COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Campbell, 2024 CSC 42
Appel entendu : 21 mars 2024
Jugement rendu : 6 décembre 2024
Dossier : 40465
Entre :
Dwayne Alexander Campbell
Appelant
et
Sa Majesté le Roi
Intimé
- et -
Procureur général de l’Ontario, directeur des poursuites criminelles et pénales,
procureur général de l’Alberta, Conseil national des musulmans canadiens,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Association canadienne des libertés civiles, Criminal Trial Lawyers’ Association, British Columbia Civil Liberties Association, Trial Lawyers Association of British Columbia et Independent Criminal Defence Advocacy Society
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau
Motifs de jugement :
(par. 1 à 146)
Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Kasirer et O’Bonsawin)
Motifs concordants :
(par. 147 à 167)
Le juge Rowe
Motifs concordants :
(par. 168 à 237)
La juge Côté
Motifs conjoints dissidents :
(par. 238 à 358)
Les juges Martin et Moreau (avec l’accord de la juge Karakatsanis)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Dwayne Alexander Campbell Appelant
c.
Sa Majesté le Roi Intimé
et
Procureur général de l’Ontario,
directeur des poursuites criminelles et pénales,
procureur général de l’Alberta,
Conseil national des musulmans canadiens,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Association canadienne des libertés civiles,
Criminal Trial Lawyers’ Association,
British Columbia Civil Liberties Association,
Trial Lawyers Association of British Columbia et
Independent Criminal Defence Advocacy Society Intervenants
Répertorié : R. c. Campbell
2024 CSC 42
No du greffe : 40465.
2024 : 21 mars; 2024 : 6 décembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Conversation par messages textes — Attente raisonnable au respect de la vie privée — Urgence de la situation — Utilisation par les policiers d’un téléphone cellulaire saisi lors de l’arrestation d’un trafiquant de drogues afin de se faire passer pour lui et de poursuivre une conversation par messages textes entre lui et l’accusé sans obtenir de mandat — Arrestation de l’accusé par les policiers au cours d’une livraison de drogue organisée lors de la conversation par messages textes — L’accusé avait‑il une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de la conversation par messages textes? — La fouille sans mandat était‑elle justifiée par la loi? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 8 — Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 11(7).
Les policiers ont légalement saisi un téléphone cellulaire lors d’une fouille accessoire à l’arrestation de G, un trafiquant de drogues connu. Quelques minutes après l’arrestation de G, quatre messages textes se sont affichés à l’écran de verrouillage du téléphone, dans lesquels l’expéditeur, D, semblait proposer de vendre de la drogue à G. Dans les 2 heures 15 minutes qui ont suivi, les policiers ont, sans mandat, répondu aux textos en se faisant passer pour G et ont encouragé l’expéditeur à se rendre à la résidence de G pour y livrer la drogue. À son arrivée à la résidence de G ce soir‑là, l’accusé a été arrêté et trouvé en possession d’héroïne additionnée de fentanyl, et il a été inculpé d’infractions de trafic et de possession de drogues. L’accusé a affirmé qu’il n’avait pas envoyé les quatre premiers textos et que D lui avait donné le téléphone pour qu’il organise la livraison de la drogue à G. Cependant, l’accusé a reconnu avoir envoyé et reçu les textos ultérieurs à propos de la livraison de drogue à G.
L’accusé a demandé à ce que les textos soient écartés de la preuve. Le juge du procès a conclu que, parce que l’accusé n’avait pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des textos, il n’avait pas qualité pour faire valoir que ses droits garantis par l’art. 8 par la Charte avaient été enfreints. Il a ajouté que, même s’il avait conclu que l’accusé avait qualité pour agir, la fouille sans mandat aurait été justifiée par l’urgence de la situation en vertu du par. 11(7) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (« LRCDAS »). Il a également rejeté l’argument de l’accusé selon lequel les policiers avaient effectué une interception illégale de ses communications électroniques en violation de la partie VI du Code criminel. Subsidiairement encore, il n’aurait pas écarté les textos de la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte. L’accusé a subséquemment été déclaré coupable relativement aux accusations portées contre lui et il a interjeté appel de ses déclarations de culpabilité. La Cour d’appel a accepté que l’accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes et qu’il avait donc qualité pour soutenir que les policiers avaient violé ses droits garantis par l’art. 8. Cependant, elle a conclu que la fouille était justifiée par l’urgence de la situation sous le régime du par. 11(7) de la LRCDAS. Par conséquent, elle a rejeté l’appel.
Arrêt (les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes) : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : L’accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec l’utilisateur du téléphone de G et il avait qualité pour contester la fouille en vertu de l’art. 8 de la Charte. La fouille sans mandat de la conversation de l’accusé par messages textes était justifiée par « l’urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat au titre du par. 11(7) de la LRCDAS. La fouille était donc non abusive et justifiée par la loi et elle ne violait pas l’art. 8.
L’article 8 de la Charte, qui garantit que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, vise principalement à assurer la protection du droit à la vie privée contre l’intrusion injustifiée de l’État. Le demandeur qui souhaite avoir qualité pour soutenir qu’il y a eu atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8 doit démontrer qu’il s’attendait subjectivement à ce que l’objet de la fouille demeure privé et que son attente était objectivement raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances. Dans cette évaluation, les tribunaux sont guidés par quatre questions : (1) l’objet de la prétendue fouille; (2) si le demandeur avait un intérêt direct à l’égard de l’objet; (3) si le demandeur avait une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet; et (4) si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable.
Premièrement, quand l’État examine des messages textes, l’objet de la prétendue fouille est à juste titre qualifié comme étant la conversation électronique qui a eu lieu entre deux ou plusieurs personnes. L’objet de la fouille englobe l’existence de la conversation, l’identité des participants, les renseignements échangés, ainsi que toute inférence que l’on peut tirer de ces renseignements quant aux fréquentations et aux activités des participants. Deuxièmement, le demandeur a un intérêt direct à l’égard d’une conversation par messages textes s’il a participé à la conversation et écrit plusieurs des textos en cause. Troisièmement, le fardeau du demandeur d’établir une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la prétendue fouille n’est pas très exigeant. En l’absence de témoignage ou d’aveu du demandeur lors du voir‑dire, une telle attente peut être présumée ou inférée eu égard aux circonstances. Quatrièmement, pour décider si une attente subjective au respect de la vie privée est objectivement raisonnable, les tribunaux doivent recourir à une approche à la fois normative et neutre sur le plan du contenu.
Il n’existe pas de liste exhaustive ou définitive de facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de décider si l’attente subjective d’un demandeur au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet d’une fouille est objectivement raisonnable. Cependant, la nature privée de l’objet est un facteur crucial pour établir une attente raisonnable au respect de la vie privée. Les tribunaux doivent s’attacher à la question de savoir si l’objet de la fouille en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet du demandeur. En ce qui concerne les messages textes en particulier, on met l’accent non pas sur le contenu effectif des messages saisis par les policiers, mais plutôt sur le risque qu’une conversation électronique donnée révèle des renseignements d’ordre personnel ou biographique, tels que des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu. En outre, le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée en cause peut être un autre facteur important dans l’appréciation de la question de savoir si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée est objectivement raisonnable. Il s’agit d’une considération distincte de la question de savoir si les policiers ont agi légalement en deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 8.
En revanche, le niveau de contrôle que le demandeur a sur des renseignements ne permet pas de trancher la question de la qualité pour agir. Le contrôle n’est pas un indicateur absolu de l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, pas plus que l’absence de contrôle ne porte un coup fatal à la reconnaissance d’un intérêt en matière de vie privé. Une personne ne perd pas le contrôle de renseignements pour l’application de l’art. 8 uniquement parce que quelqu’un d’autre les possède ou peut les consulter. Par conséquent, les conversations par messages textes peuvent être protégées par un espace privé qui s’étend au‑delà de l’appareil mobile d’une personne jusqu’au destinataire du message, même lorsque cette personne communique des renseignements personnels à d’autres personnes. L’espace privé protégé par l’art. 8 de la Charte comprend le droit de protéger les renseignements personnels contre les intrusions de l’État.
Une fois que le demandeur a établi qu’il a qualité pour soutenir qu’il y a eu atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8, l’étape suivante consiste à trancher la question de savoir si les policiers ont agi légalement, laquelle est pertinente pour permettre d’établir si la conduite de l’État était abusive. Une fouille n’est pas abusive au regard de l’art. 8 si elle est autorisée par une règle de droit qui n’est pas abusive et si elle n’est pas effectuée d’une manière abusive. Toutefois, une fouille sans mandat est présumée abusive, ce qui fait passer la charge de persuasion à la Couronne, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille n’était pas abusive.
Le Parlement a édicté la partie VI du Code criminel à titre de régime exhaustif sur l’interception de communications privées en établissant un équilibre entre le droit d’une personne au respect de sa vie privée et le besoin collectif d’application de la loi. Suivant l’al. 184(1)a), dans la partie VI, constitue un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans le fait qu’une personne intercepte sciemment une communication privée par l’utilisation d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre. Pour qu’il y ait interception au sens de la partie VI, la police doit utiliser un dispositif faisant appel à un moyen technologique de surveillance envahissant. À moins que la police n’utilise un moyen technologique de surveillance envahissant, une tromperie ou ruse policière ne constitue pas une interception au sens de la partie VI.
La police a le pouvoir en common law de fouiller une personne accessoirement à une arrestation légale et de saisir les objets en sa possession ou se trouvant dans l’espace environnant l’arrestation. Ce pouvoir est extraordinaire parce qu’il ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables. Il exige simplement un motif raisonnable de faire ce que la police a fait. Une fouille accessoire à une arrestation est légale si : (1) l’arrestation elle‑même était légale; (2) la fouille était véritablement accessoire à l’arrestation, en ce qu’elle visait un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation; et (3) la fouille n’était pas abusive. Les objectifs valables d’application de la loi comprennent les suivants : assurer la sécurité des policiers ou du public, empêcher la destruction d’éléments de preuve et découvrir des éléments de preuve qui pourraient être utilisés au procès.
Le paragraphe 11(1) de la LRCDAS autorise le juge de paix à délivrer un mandat autorisant à perquisitionner en un lieu pour y saisir une substance désignée. Exceptionnellement, le par. 11(7) autorise l’agent de la paix à perquisitionner en ce lieu sans mandat si les conditions de délivrance d’un mandat sont réunies, mais que l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable. Le paragraphe 11(7) comporte donc deux exigences. Premièrement, il faut démontrer l’urgence de la situation, qui dénote non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie, mais plutôt d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. Deuxièmement, il faut démontrer que les conditions de délivrance d’un mandat étaient réunies, mais que l’urgence de la situation rendait son obtention difficilement réalisable, c’est‑à‑dire impossible dans les faits ou inenvisageable. En ce qui concerne le seuil de preuve, les policiers doivent avoir des motifs raisonnables et probables, plutôt que de simples soupçons raisonnables, pour invoquer l’urgence prévue au par. 11(7). La Couronne doit établir que l’urgence invoquée était raisonnablement probable d’après l’expérience et l’expertise des policiers et les faits pertinents dont ils étaient saisis. Pour ce qui est de la norme de contrôle en appel, l’appréciation de la preuve et les conclusions de fait du juge du procès dans l’application du par. 11(7) commandent une grande retenue en appel; toutefois, la question de savoir si les faits constatés par le juge du procès satisfont à la norme légale relative à l’urgence prévue au par. 11(7) est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.
En l’espèce, les quatre questions de l’analyse relative à l’art. 8 établissent que l’accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec un interlocuteur qu’il pensait être G. Plus particulièrement, en ce qui a trait au seul point contesté, il a été établi que l’attente subjective de l’accusé au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable. Premièrement, pour ce qui est de la nature privée de l’objet, la prétendue fouille visant la conversation de l’accusé par messages textes s’immisçait dans un moyen de communication à l’égard duquel une personne raisonnable s’attendrait normalement à la plus grande confidentialité. Deuxièmement, les policiers ont utilisé une technique d’enquête particulièrement intrusive en s’introduisant dans une conversation déjà en cours entre deux personnes réelles dont la relation était préexistante, essentiellement en usurpant l’identité de l’un des participants. Troisièmement, en ce qui touche le niveau de contrôle sur les renseignements, l’accusé n’a pas perdu la protection de l’art. 8 de la Charte simplement en partageant des renseignements privés avec l’autre participant à sa conversation par messages textes ou en utilisant le téléphone d’une connaissance.
Quant au caractère non abusif de la fouille, la technique d’enquête policière qui consistait à participer à une conversation par messages textes avec l’accusé à partir du téléphone de G n’était pas une interception sous le régime de la partie VI du Code criminel puisque les policiers n’ont pas utilisé un dispositif faisant appel à un moyen technologique de surveillance envahissant. Ils ont simplement répondu aux messages textes reçus sur le téléphone de G, le même moyen de communication ou dispositif que l’accusé avait utilisé pour établir la communication. Cependant, la fouille du téléphone cellulaire de G n’était pas accessoire à une arrestation légale, car elle n’était pas une fouille strictement liée à l’arrestation de G ou à l’infraction pour laquelle il a été arrêté. Il s’agissait plutôt d’une fouille visant à recueillir des éléments de preuve contre D, qui s’est avéré être l’accusé. Néanmoins, les policiers avaient le pouvoir d’effectuer une fouille sans mandat en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS en raison de l’urgence de la situation. Les policiers ont cru raisonnablement se trouver dans une situation urgente relative à une vente de drogue suspectée qui requérait une intervention policière immédiate afin d’empêcher que la drogue fasse l’objet d’un trafic au sein de la collectivité de façon imminente. Les policiers avaient également des motifs raisonnables et probables de croire que la transaction concernait plus particulièrement de l’héroïne additionnée de fentanyl, ce qui posait un risque grave pour la sécurité publique. Les policiers avaient certes des motifs pour obtenir un mandat, mais son obtention était difficilement réalisable parce que seul un télémandat aurait pu être obtenu à ce moment de la journée et il serait probablement arrivé trop tard pour permettre de conclure cette transaction. Comme les policiers n’ont pas enfreint l’art. 8 de la Charte, il n’est pas nécessaire de décider si la preuve aurait dû être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte.
Le juge Rowe : Il y a accord complet avec les motifs et le dispositif du juge Jamal. Toutefois, il est nécessaire de répondre aux juges dissidentes en ce qui concerne le traitement qu’elles font de l’urgence de la situation et leur analyse sur la question de savoir si les éléments de preuve devraient être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte.
Le paragraphe 11(7) de la LRCDAS autorise les agents de la paix à perquisitionner sans mandat un lieu si les conditions de délivrance d’un mandat sont réunies, mais que l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable. Il faut donner dûment effet au précédent applicable concernant l’urgence de la situation aux termes du par. 11(7) de la LRCDAS, l’arrêt R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202. L’arrêt Paterson présente un énoncé définitif de la règle de l’urgence de la situation, lequel continue de s’appliquer. Bien que les décisions antérieures puissent aider à clarifier la notion d’urgence de la situation, elles ne permettent pas de contourner la règle de droit énoncée dans l’arrêt Paterson. Une telle approche fragiliserait les précédents et ouvrirait la porte au sophisme dans l’argumentation juridique.
Selon l’arrêt Paterson, il y a urgence notamment lorsque l’intervention immédiate des policiers est nécessaire pour assurer la sécurité du public. Les faits de l’espèce relèvent de l’urgence de la situation comme il est décrit dans l’arrêt Paterson. Le préjudice pour le public était imminent puisque les policiers ne disposaient que de peu de temps pour empêcher ce qu’ils croyaient raisonnablement être la vente par D d’une quantité importante de drogue contenant du fentanyl. Les policiers croyaient que s’ils n’empêchaient pas cette vente, celle‑ci pourrait bien entraîner des décès dans la collectivité. Il s’agissait d’une situation du type maintenant ou jamais. La Couronne n’était pas tenue d’établir que D avait une autre transaction en vue si celle avec G échouait. Cela rehausserait implicitement les exigences en matière de preuve relatives à l’urgence de la situation au‑delà de la norme des motifs raisonnables et probables.
En ce qui a trait à l’analyse fondée sur le par. 24(2) de la Charte, la preuve indique que les policiers ont activement considéré la question de l’autorisation judiciaire avant de conclure qu’ils n’avaient pas le temps d’obtenir un mandat. Bien que les communications entre les policiers et l’accusé aient finalement duré plus de deux heures, ceux‑ci n’avaient aucun moyen de le savoir. Dans une situation dynamique et incertaine, des minutes auraient bien pu faire la différence pour les policiers entre intercepter le fentanyl ou voir l’occasion de le faire leur glisser entre les doigts.
La juge Côté : La conduite des policiers ne constituait pas une fouille pour l’application de l’art. 8 de la Charte. En fonction de l’application du test de l’ensemble des circonstances et compte tenu de l’approche normative qui guide la jurisprudence relative à l’art. 8 de la Charte et du dossier factuel en l’espèce, l’attente subjective de l’accusé au respect de sa vie privée à l’égard des communications électroniques entre lui et G n’était pas objectivement raisonnable.
La réponse à la question de savoir si des policiers ont effectué une fouille ou une perquisition au sens de l’art. 8 dépend directement de l’existence d’une attente raisonnable du demandeur au respect de sa vie privée dans les circonstances particulières de l’affaire. Les tribunaux doivent établir un équilibre entre les intérêts parfois contradictoires que constituent, d’une part, les intérêts en matière de respect de la vie privée nécessaires à la dignité et à l’autonomie de la personne, et, d’autre part, le besoin de vivre dans une société sûre et sécuritaire. Tout examen et toute technique d’enquête du gouvernement ne constituent pas une fouille ou une perquisition au sens de la Charte. Ce n’est que si l’activité de la police a pour effet de déjouer une attente raisonnable au respect de la vie privée qu’elle constitue alors une fouille. Pour obtenir la protection de l’art. 8 contre la conduite abusive de l’État, le demandeur doit avoir une attente subjective au respect de sa vie privée et cette attente subjective doit être objectivement raisonnable. Les tribunaux doivent effectuer cet examen en tenant compte de l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée. La décision de la Cour dans l’arrêt R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, n’a pas créé de règle catégorique selon laquelle toutes les conversations par messages textes ou les autres communications électroniques donnent lieu, en raison de leur nature, à une attente raisonnable au respect de la vie privée. Le test de l’ensemble des circonstances commande une analyse individualisée et au cas par cas, ce qui oblige le tribunal à traiter l’examen fondé sur l’art. 8 comme une analyse contextuelle qui repose sur des faits. Bien que l’approche normative en matière de vie privée soit importante pour aider à s’assurer de la société libre et démocratique dans laquelle les Canadiens et Canadiennes raisonnables et bien informés s’attendent à vivre, les tribunaux ne doivent pas perdre de vue l’ensemble des circonstances des affaires particulières dont ils sont saisis et, en conséquence, la conduite des policiers dans ces circonstances.
Les policiers ne peuvent parcourir le contenu d’un téléphone en toute liberté et sans aucune limite; toutefois, leurs actions peuvent être légitimes s’ils restreignent et circonscrivent la portée de leur intervention à l’enquête qu’ils mènent. En l’espèce, les policiers étaient libres de consulter les quatre messages textes de D qu’ils ont reçus et vus de façon passive sur le téléphone légalement saisi de G et d’y répondre. En effet, les policiers menaient une opération d’infiltration qui portait sur des activités criminelles directement liées à l’objet sous‑tendant l’arrestation de G — une transaction de drogue. Si l’on examine la situation dans son ensemble, il est clair que dès qu’ils ont vu ces quatre messages, les policiers ont raisonnablement soupçonné qu’ils faisaient face à une transaction de drogue suffisamment liée à l’arrestation de G qu’ils venaient tout juste d’effectuer. Il n’y avait pas de conversation préexistante entre l’accusé et G que les policiers ont fouillée. Les policiers ont plutôt participé à un échange électronique dans le cadre d’une opération d’infiltration liée aux drogues. Lorsque les policiers exécutent un mandat de perquisition et que le téléphone de la cible sonne, il n’y a rien de mal à ce qu’ils répondent à ce téléphone. Le fait que les messages textes génèrent eux‑mêmes automatiquement un relevé permanent ne transforme pas la conduite analogue en l’espèce en une fouille ou une saisie.
Outre le caractère secret de l’enquête, de nombreux facteurs appuient la conclusion selon laquelle l’attente subjective de l’accusé au respect de sa vie privée n’était pas objectivement raisonnable. Le premier facteur est la portée circonscrite et le caractère non intrusif de la conduite des policiers. La façon dont les policiers ont mené la conversation avec l’accusé, en s’assurant de ne pas lui poser de questions élaborées et de ne pas s’écarter de l’objectif de faciliter la transaction de drogue, a fait en sorte qu’aucun renseignement biographique n’a été obtenu lors de la conversation, à part ce qui était déjà légalement connu des policiers grâce aux quatre premiers messages. Les policiers n’ont pas non plus fouillé le téléphone de G de manière intrusive, et ne l’ont pas déverrouillé. Les policiers s’en sont tenus à faciliter et à conclure la transaction de drogue.
Le deuxième facteur est la propriété et le contrôle de l’appareil et des communications électroniques qui s’y trouvent, lesquels sont des concepts pertinents sans être déterminants dans le contexte de la protection prévue à l’art. 8. L’absence de contrôle total de l’accusé sur la conversation et la propriété du téléphone appuient une attente au respect de la vie privée considérablement réduite, et qui n’est pas objectivement raisonnable dans les circonstances de la présente affaire. L’accusé, au mieux, partageait avec D le contrôle du téléphone. Le lieu où la conversation se déroule n’est qu’un des multiples facteurs à soupeser. La preuve indique que le téléphone appartenait à D et qu’il avait été remis à l’accusé pour faciliter la transaction de drogue. Le fait que l’accusé n’était pas propriétaire du téléphone et qu’il n’était pas l’auteur des quatre premiers messages est intimement lié à son absence de contrôle sur ceux‑ci. Les quatre messages textes ne provenaient pas de l’accusé, mais avaient été envoyés par D à G. Le téléphone emprunté devait en outre être rendu à D une fois la livraison effectuée.
Le troisième facteur est la distinction entre les circonstances de la présente affaire et celles de l’affaire Marakah. Plus il y a de participants à une conversation et moins un contrôle peut être exercé sur les personnes qui pourraient la voir, plus il est probable que l’attente subjective au respect de la vie privée d’une personne ne soit pas objectivement raisonnable. Dans l’arrêt Marakah, l’attente raisonnable de l’accusé au respect de sa vie privée était réduite en raison de son absence de contrôle sur une conversation électronique entre deux personnes sur des téléphones cellulaires qui appartenaient aux participants à la conversation. Le fait qu’il y avait encore moins de contrôle dans la présente affaire tend à indiquer que l’attente de l’accusé au respect de sa vie privée était considérablement réduite, voire réduite à néant, lorsque l’ensemble des circonstances est pris en compte. Qui plus est, l’accusé ne connaissait guère G. Contrairement à l’accusé dans l’affaire Marakah, l’accusé dans la présente affaire n’a jamais demandé à G de garder secrètes leurs communications électroniques; il ne lui a pas non plus demandé de supprimer des messages.
Les communications électroniques ne révélaient donc aucun élément d’information concernant les renseignements biographiques de l’accusé et elles n’étaient pas non plus susceptibles, suivant le caractère normatif de l’analyse fondée sur l’art. 8, de révéler de tels renseignements, compte tenu de la portée circonscrite de l’enquête policière.
Il y a désaccord quant à certains aspects de l’analyse faite dans la dissidence. En particulier, les conséquences de la conclusion implicite selon laquelle l’enquête en l’espèce équivalait à une interception sont importantes. Cela exigerait une autorisation sous le régime de la partie VI du Code criminel plutôt qu’un mandat général, ce qui imposerait davantage d’exigences pour l’obtention d’une autorisation et créerait des obstacles considérables pour les enquêtes policières. En ce qui a trait aux situations d’urgence, la Cour devrait éviter de faire des suppositions quant aux autres techniques d’enquête potentielles qui auraient pu fonctionner en l’absence d’une preuve appropriée en ce sens, comme une demande d’ordonnance de communication. En outre, il n’est pas certain que l’obtention d’une ordonnance de communication serait suffisante pour localiser la personne qui utilisait le téléphone de D. Enfin, le caractère intrusif perçu de la technique policière ne devrait pas teinter l’analyse des faits de la Cour dans l’analyse fondée sur le par. 24(2) de la Charte. Selon le droit en vigueur en Ontario à l’époque, un accusé n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard du téléphone cellulaire d’un coaccusé. Il n’y avait donc absolument aucune raison à l’époque pour les policiers de penser que le fait de s’interposer dans la conversation posait un problème. De plus, les policiers savaient déjà légalement, en raison des quatre premiers messages, que quiconque répondant à ceux‑ci participait à une activité criminelle, ce qui devrait amoindrir l’impact sur les intérêts au respect de la vie privée de l’accusé. Lorsque les circonstances de l’enquête policière renforcent considérablement le caractère raisonnable de la conduite policière à l’époque, cela devrait être pris en compte lors de l’analyse visant à déterminer si l’utilisation des éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice.
Les juges Karakatsanis, Martin et Moreau (dissidentes) : Il y a lieu d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité et d’inscrire des acquittements. Les actes accomplis sans mandat par les policiers ont mis en jeu et violé le droit garanti à l’accusé par l’art. 8 de la Charte de ne pas faire l’objet de fouilles, perquisitions et saisies abusives. Les actes des policiers ne peuvent être justifiés en vertu du pouvoir de procéder à une fouille accessoirement à l’arrestation ou en raison de l’urgence de la situation, et l’utilisation des éléments de preuve obtenus est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice au regard des facteurs dont il a été tenu compte pour l’application du par. 24(2) de la Charte.
L’accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de ses communications électroniques et le droit qui lui est garanti par l’art. 8 de la Charte entrait en jeu. L’approche fondée sur l’ensemble des circonstances demeure la bonne pour déterminer si un demandeur a une attente raisonnable au respect de sa vie privée, y compris dans les cas où la conduite des policiers comporte un volet d’infiltration. Même si certaines caractéristiques de la technique d’enquête ne violent pas le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée, l’accent doit demeurer sur la possibilité qu’une technique donnée révèle des renseignements privés au regard de l’ensemble des circonstances. Vu la nature de la conduite policière en cause, la violation de cet intérêt en matière de vie privée doit être considérée comme impliquant un degré d’intrusion élevé. La technique consistant à usurper l’identité d’une personne existante repose sur l’exploitation d’une relation existante entre des personnes privées, ce qui est susceptible de révéler à la police des renseignements de nature très personnelle. Par contraste avec une conversation téléphonique, où la capacité des policiers de se faire passer pour une personne connue de celle qui appelle est limitée, dans le cas d’une conversation par messages textes, la possibilité pour les policiers de se faire passer pour le destinataire et de tromper l’expéditeur n’est limitée que par les occasions qu’ils ont de le faire et par les restrictions imposées par la loi. La confiance d’une personne de façon générale, et envers l’État en particulier, serait gravement ébranlée si le dernier texto qu’elle recevait d’une connaissance ou d’un membre de la famille provenait, en réalité, d’un policier ayant dissimulé son identité. Le fait de reconnaître que, dans une société libre et démocratique, la revendication du droit au respect de la vie privée à l’égard de conversations personnelles par messages textes entre des personnes qui se connaissent doit être considérée comme étant à l’abri de toute intrusion par l’État — sauf justification constitutionnelle — ne compromet pas la capacité de la police d’enquêter sur les crimes et de découvrir des éléments de preuve au moyen de fouilles ou de perquisitions. Cela a tout simplement pour effet d’exiger que les policiers soient légalement autorisés à agir.
Le Parlement a prévu divers moyens permettant de solliciter une autorisation judiciaire préalable lorsque l’intervention de l’État menace l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée. Dans le présent cas, les policiers n’ont ni sollicité ni obtenu une telle autorisation et leur fouille sans mandat constituait par conséquent une violation prima facie de l’art. 8 — à moins qu’ils puissent établir l’existence de circonstances spéciales reconnues en droit comme justifiant leurs actes, et que tant la règle de droit l’autorisant que la manière dont elle a été effectuée n’étaient pas abusives. Les tribunaux ont défini ces situations avec soin et de manière spécifique. En l’espèce, la fouille effectuée était abusive.
Premièrement, la technique d’enquête sans mandat utilisée ne constituait pas une fouille accessoire à l’arrestation, parce que les policiers ne l’ont pas effectuée pour un objectif valable d’application de la loi lié aux motifs de l’arrestation. Leur pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation n’autorise pas les policiers à se servir d’un téléphone cellulaire saisi légalement pour communiquer avec une autre personne. L’arrestation de G n’était pas liée à la transaction de drogue imminente avec l’accusé. Cette transaction constituait une investigation d’une infraction potentielle distincte commise par une autre personne, qui ne saurait être considérée comme véritablement accessoire aux raisons de l’arrestation de G.
Deuxièmement, la fouille sans mandat effectuée par les policiers n’était pas non plus justifiée par la doctrine de l’urgence de la situation comprise correctement à la lumière de sa portée limitée et de sa prudente évolution jurisprudentielle. Cette doctrine ne peut être considérée séparément de l’approche normative de longue date en droit des fouilles, perquisitions et saisies selon laquelle, chaque fois que cela est possible, les intrusions ou atteintes touchant les biens, la vie privée ou la dignité des personnes doivent être préalablement autorisées. En examinant la jurisprudence de la Cour dans les années qui ont suivi l’édiction de la Charte, il est évident que la décision concernant l’urgence de la situation doit être prise avec soin, et que la Cour a constamment appliqué une approche stricte en ce qui concerne cette doctrine. Un crime grave n’est pas suffisant pour établir l’urgence d’agir pour les besoins de l’analyse fondée sur l’art. 8. Cette question doit plutôt être tranchée conformément aux paramètres du droit. Lorsque les intérêts individuels liés à la vie privée sont plus importants, comme dans le cas du domicile, la Cour a défini des situations précises dans lesquelles l’urgence d’agir pourrait justifier une intrusion dans un cas donné, refusant de reconnaître l’existence d’un pouvoir général de common law. Les intérêts liés à la vie privée en ce qui concerne les appareils électroniques devraient être abordés avec le même soin.
Depuis que le Parlement a codifié certains pouvoirs de fouille et de perquisition sans mandat en cas de situation d’urgence, et malgré l’absence d’une définition législative applicable à de telles situations au par. 11(7) de la LRCDAS et à l’art. 487.11 du Code criminel, les exigences à respecter pour établir l’urgence de la situation peuvent être réduites à trois éléments nécessaires : l’existence de motifs justifiant l’obtention d’un mandat; l’existence d’une situation d’urgence; et la question de savoir si cette situation d’urgence rendait l’obtention du mandat difficilement réalisable par les policiers. La jurisprudence reconnaît les principales catégories de situations d’urgence, soit la perte ou la destruction d’éléments de preuve, la sécurité des policiers ou du public, et la prise en chasse. Bien que le volet relatif à la sécurité ne prête pas à controverse étant donné que l’intérêt de la société envers la protection de la vie humaine est élevé, il a uniquement été appliqué pour écarter l’obligation d’obtenir une autorisation préalable lorsque la menace à la sécurité est imminente, claire et concrète. La jurisprudence appuie une application stricte et étroite du volet relatif à la sécurité. Une préoccupation générale concernant la sécurité de la société ne saurait suffire à justifier une intervention sans mandat, sauf en cas de menace imminente.
Les faits de la présente affaire n’établissent pas l’existence d’un risque imminent pour la sécurité justifiant une intervention policière sans mandat, et il n’y avait donc aucune situation d’urgence justifiant la fouille sans mandat. Peu importe qu’il ait été possible ou non que la technique d’enquête en l’espèce soit autorisée par le par. 11(7) de la LRCDAS, qui implique l’application d’une norme de l’urgence moins exigeante que celle requise par des sources plus rigoureuses permettant l’obtention sans mandat de communications en temps réel, les circonstances de la présente affaire débordent largement le cadre du volet relatif à la sécurité reconnu de la doctrine de l’urgence de la situation. Même si l’on accepte que la quantité et le type de drogues en jeu présentaient un risque de préjudice potentiel pour la sécurité publique, la situation est loin de satisfaire à l’exigence d’un risque imminent pour un individu ou un groupe. La jurisprudence ne permet pas de conclure que la vente potentielle et la consommation subséquente d’une drogue nocive constituent une urgence en l’absence d’un risque de danger imminent pour la police ou la sécurité publique. Qualifier ces situations de situations d’urgence, c’est inviter à le faire chaque fois qu’une transaction potentielle de drogue implique une substance dangereuse, indépendamment de l’absence de préjudice imminent. Cela élève à tort la préoccupation légitime et omniprésente en matière de sécurité publique au rang de situation d’urgence en raison des risques pour la santé associés à la consommation de drogues illicites non réglementées. Cela aura pour résultat de permettre des interventions policières intrusives de grande envergure en dehors des rares cas où le préjudice lié à la sécurité publique est à ce point imminent et immédiat qu’une fouille ou une perquisition sans mandat à première vue abusive est jugée non abusive. Cette approche affaiblit les régimes législatifs que le Parlement a édictés afin de régir et de restreindre les fouilles et les perquisitions sans mandat, ainsi que la protection de l’art. 8, qui est enchâssée dans ces régimes et existe indépendamment d’eux. Ce n’est pas le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat qui permet de conclure à l’urgence de la situation. Le fait qu’il serait difficile ou peu pratique d’obtenir un mandat n’est pas suffisant pour satisfaire à cette norme juridique. Il faut plutôt établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable. Comme il n’y avait pas de situation d’urgence en l’espèce, il s’ensuit que la mesure réalisable pour les policiers consistait à obtenir un mandat les autorisant à fouiller le téléphone de G ou à poursuivre l’enquête en prenant d’autres mesures.
En vertu du par. 24(2) de la Charte, la question de savoir si l’utilisation de la preuve obtenue en contravention de la Charte est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice fait intervenir trois questions : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le premier facteur milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve : l’absence d’urgence ou de caractère difficilement réalisable, combinée à l’utilisation d’une technique d’enquête policière légalement discutable, ainsi que la violation additionnelle des droits garantis à l’accusé par l’art. 8 à la suite de l’arrestation militent cumulativement contre l’admission des éléments de preuve. Le deuxième facteur milite également en faveur de l’exclusion. L’accusé avait un intérêt substantiel lié au respect de sa vie privée qui est protégé par la Charte à l’égard de sa conversation avec G, qui révélait des renseignements privés d’ordre biographique concernant l’accusé. L’incidence de la violation sur cet intérêt a été aggravée par la nature intrusive de la technique d’enquête. Le fort lien de causalité entre la violation de la Charte et la preuve obtenue amplifie l’incidence à l’endroit de l’accusé. Le troisième facteur milite en faveur de l’admission des éléments de preuve. Bien que la gravité de l’infraction du trafic de fentanyl ne détermine pas le résultat de l’analyse au troisième volet, en l’espèce, les éléments de preuve obtenus sont des éléments fiables concernant la perpétration d’un crime grave et leur exclusion serait en réalité fatale pour la poursuite contre l’accusé. Dans de telles circonstances, la société a un intérêt considérable à ce que les accusations soient jugées sur le fond. Dans le cas où le premier facteur ainsi que le deuxième militent fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve, le troisième facteur fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve. Tout bien considéré, l’utilisation de ces éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice.
Jurisprudence
Citée par le juge Jamal
Arrêts appliqués : R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; arrêts examinés : R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36; R. c. Beairsto, 2018 ABCA 118, 68 Alta. L.R. (6th) 207; arrêts mentionnés : R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Bykovets, 2024 CSC 6; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Dyment, 1988 CanLII 10 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212; R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531; R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211; R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; R. c. Fliss, 2002 CSC 16, [2002] 1 R.C.S. 535; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; Wakeling c. États-Unis d’Amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287; R. c. McQueen (1975), 1975 CanLII 1373 (AB CA), 25 C.C.C. (2d) 262; Lyons c. La Reine, 1984 CanLII 30 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 633; R. c. Pires, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; R. c. Hafizi, 2023 ONCA 639, 168 O.R. (3d) 435; R. c. Bordage, 2000 CanLII 6273; R. c. Largie, 2010 ONCA 548, 101 O.R. (3d) 561; R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992; R. c. Stairs, 2022 CSC 11, [2022] 1 R.C.S. 169; Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37; R. c. Hobeika, 2020 ONCA 750, 153 O.R. (3d) 350; R. c. Beaver, 2022 CSC 54; R. c. Pawar, 2020 BCCA 251, 393 C.C.C. (3d) 408; R. c. McCormack, 2000 BCCA 57, 133 B.C.A.C. 44; R. c. Cornell, 2010 CSC 31, [2010] 2 R.C.S. 142; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527; R. c. Dussault, 2022 CSC 16, [2022] 1 R.C.S. 306; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; Crampton c. Walton, 2005 ABCA 81, 40 Alta. L.R. (4th) 28; R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Phoummasak, 2016 ONCA 46, 350 C.R.R. (2d) 370; R. c. Webster, 2015 BCCA 286, 374 B.C.A.C. 129; R. c. Hunter, 2015 BCCA 428, 378 B.C.A.C. 165; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366; R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. J.F., 2022 CSC 17, [2022] 1 R.C.S. 330; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27.
Citée par le juge Rowe
Arrêt appliqué : R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; arrêts mentionnés : Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175; R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., 1988 CanLII 63 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 401; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353.
Citée par la juge Côté
Arrêt appliqué : R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; arrêts examinés : R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; arrêts mentionnés : R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743; R. c. Hafizi, 2023 ONCA 639, 168 O.R. (3d) 435; R. c. Evans, 1996 CanLII 248 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 8; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Wise, 1992 CanLII 125 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 527; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Colarusso, 1994 CanLII 134 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 20; R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, conf. (1994), 1994 CanLII 1461 (ON CA), 73 O.A.C. 55; R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631; R. c. J.J., 2022 CSC 28; R. c. Knelsen, 2024 ONCA 501; R. c. Rafferty, 2018 ONCJ 881, 424 C.R.R. (2d) 88; R. c. Devic, 2018 BCPC 318; R. c. Bear-Knight, 2021 SKQB 258, [2022] 2 W.W.R. 537; R. c. Findlay, 2023 MBPC 17, 529 C.R.R. (2d) 284; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212; R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 393; R. c. Bykovets, 2024 CSC 6; R. c. Labelle, 2019 ONCA 557, 379 C.C.C. (3d) 270; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424; R. c. Liew, 1999 CanLII 658 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 227; R. c. Ramelson, 2022 CSC 44; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Howell, 2011 NSSC 284, 313 N.S.R. (2d) 4; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Singh (1998), 1998 CanLII 4819 (BC CA), 127 C.C.C. (3d) 429; R. c. Ramsum, 2003 ABQB 45, 329 A.R. 370; R. c. Ahmad, 2020 CSC 11, [2020] 1 R.C.S. 577; R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442; R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Marakah, 2016 ONCA 542, 131 O.R. (3d) 561.
Citée par les juges Martin et Moreau (dissidentes)
R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320; R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; R. c. Bykovets, 2024 CSC 6; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531; R. c. Ward, 2012 ONCA 660, 112 O.R. (3d) 321; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Paris, 2015 ABCA 33, 320 C.C.C. (3d) 102; R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3; R. c. Noseworthy (1997), 1997 CanLII 1853 (ON CA), 33 O.R. (3d) 641; R. c. Lucas, 2014 ONCA 561, 121 O.R. (3d) 303; R. c. Ly, 2016 ABCA 229; R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36; R. c. Finlay (1985), 1985 CanLII 117 (ON CA), 23 C.C.C. (3d) 48; R. c. Beairsto, 2018 ABCA 118, 68 Alta. L.R. (6th) 207; R. c. Beairsto, 2016 ABQB 216, 37 Alta. L.R. (6th) 379; R. c. Mills, 2017 NLCA 12, 1 C.A.N.L.R. 488; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Tim, 2022 CSC 12, [2022] 1 R.C.S. 234; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527; Kentucky c. King, 563 U.S. 452 (2011); R. c. Rao (1984), 1984 CanLII 2184 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 97; Colet c. La Reine, 1981 CanLII 11 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 2; Entick c. Carrington (1765), 2 Wils. K.B. 275, 95 E.R. 807; Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 739; Semayne’s Case (1604), 5 Co. Rep. 91a, 77 E.R. 194; R. c. Cornell, 2010 CSC 31, [2010] 2 R.C.S. 142; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Macooh, 1993 CanLII 107 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 802; R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Landry, 1986 CanLII 48 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 145; R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; R. c. Hobeika, 2020 ONCA 750, 153 O.R. (3d) 350; R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37; R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659; R. c. Golub, 1997 CanLII 6316; R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311; L’Espérance c. R., 2011 QCCA 237; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366; R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895; R. c. Johnson, 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357; R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 229; R. c. Hilbach, 2023 CSC 3; R. c. Noble (1984), 1984 CanLII 2156 (ON CA), 16 C.C.C. (3d) 146; R. c. Laliberte, 2007 SKCA 7, 289 Sask. R. 253; R. c. Bakal, 2021 ONCA 584, 157 O.R. (3d) 401; R. c. Shomonov, 2019 ONCA 1008; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631; R. c. Mercer (1992), 1992 CanLII 7729 (ON CA), 70 C.C.C. (3d) 180; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Marakah, 2016 ONCA 542, 131 O.R. (3d) 561; R. c. McColman, 2023 CSC 8; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Beaver, 2022 CSC 54; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 117.02, partie VI, 183 « communication privée », « dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre », « intercepter », 184(1), (2), 184.2, 184.4, 185, 186, 188, 487.01, 487.015, 487.016, 487.11, 529.3.
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 5(1), (2), 11.
Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 [abr. 1996, c. 19, art. 94].
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Lauwers, Roberts et Trotter), 2022 ONCA 666, 163 O.R. (3d) 355, 418 C.C.C. (3d) 279, 517 C.R.R. (2d) 338, [2022] O.J. No. 4276 (Lexis), 2022 CarswellOnt 13763 (WL), qui a confirmé les déclarations de culpabilité pour infractions de trafic et de possession de drogues prononcées contre l’accusé. Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes.
Stephen Whitzman et Carson Hurley, pour l’appelant.
Jennifer Conroy et David Quayat, pour l’intimé.
Emily Marrocco et Matthew Asma, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Lina Thériault et Pauline Lachance, pour l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales.
Christine Rideout, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Mannu Chowdhury et Karine Devost, pour l’intervenant le Conseil national des musulmans canadiens.
Gerald Chan et Riaz Sayani, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Stephen Aylward, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Derek Jugnauth et Tania Shapka, pour l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association.
Daniel J. Song, c.r., et Veronica Martisius, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
Eric V. Gottardi, c.r., et Sarah Pringle, pour l’intervenante Trial Lawyers Association of British Columbia.
Matthew A. Nathanson et Rachel M. Wood, pour l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par
Le juge Jamal —
I. Introduction
[1] Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si les policiers étaient légalement autorisés à utiliser sans mandat le téléphone cellulaire d’un trafiquant de drogues en état d’arrestation afin de poursuivre une conversation par messages textes avec un autre trafiquant de drogues. Les policiers ont procédé ainsi pour empêcher que ce qu’ils ont cru raisonnablement être un cocktail mortel d’héroïne additionnée de fentanyl fasse l’objet de façon imminente d’un trafic au sein de la collectivité.
[2] Pour trancher cette question, il faut examiner les éléments suivants : (1) les circonstances dans lesquelles une personne a une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes; (2) la question de savoir si la fouille d’une telle conversation par la police constitue une « interception » au sens de la partie VI du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46; (3) l’étendue du pouvoir policier de procéder à une fouille sans mandat d’une conversation par messages textes accessoirement à une arrestation légale; et (4) les circonstances dans lesquelles la fouille sans mandat d’une conversation par messages textes peut être justifiée par « l’urgence de la situation » en vertu du par. 11(7) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19 (« LRCDAS »).
[3] Les policiers ont légalement saisi un téléphone cellulaire lors d’une fouille accessoire à l’arrestation de Kyle Gammie, un trafiquant de drogues connu. Quelques minutes après l’arrestation de M. Gammie, quatre messages textes se sont affichés à l’écran de verrouillage du téléphone, dans lesquels l’expéditeur nommé « Dew » semblait proposer de vendre de la drogue à M. Gammie. Eu égard à plusieurs facteurs, dont le poids et le prix proposés, les policiers ont cru que les textos révélaient probablement une transaction de drogue en cours concernant la vente d’héroïne additionnée de fentanyl. Les policiers ont craint que, sans leur intervention, la drogue serait vite vendue ailleurs dans la collectivité, de sorte qu’ils ont commencé à répondre aux textos en se faisant passer pour M. Gammie et à encourager l’expéditeur à se rendre à la résidence de M. Gammie pour y livrer la drogue.
[4] L’appelant, Dwayne Alexander Campbell, a affirmé qu’il n’avait pas envoyé les quatre premiers textos et qu’un autre trafiquant de drogues nommé Dew lui avait donné le téléphone pour la livraison de la drogue. Néanmoins, M. Campbell a reconnu avoir poursuivi la conversation par messages textes, dont il s’attendait à ce qu’elle demeure privée. À son arrivée à la résidence de M. Gammie plus tard ce jour‑là, M. Campbell a été arrêté et trouvé en possession de 14,33 grammes d’héroïne additionnée de fentanyl. Il a été inculpé d’infractions de trafic et de possession prévues à la LRCDAS.
[5] Le juge du procès a rejeté la demande de M. Campbell visant à ce que les textos soient écartés de la preuve au motif que la technique d’enquête policière consistant à participer à une conversation par messages textes avec lui à partir du téléphone de M. Gammie constituait une « fouille » ayant porté atteinte à son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge a conclu que, parce que M. Campbell n’avait pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des textos, les policiers n’avaient pas effectué une « fouille » au sens de l’art. 8 et M. Campbell n’avait donc pas qualité pour faire valoir que ses droits garantis par l’art. 8 avaient été enfreints. Il a ajouté que, même s’il avait conclu que M. Campbell avait qualité pour agir, la fouille sans mandat aurait été justifiée par l’urgence de la situation en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS. Il a également rejeté l’argument de M. Campbell selon lequel les policiers avaient effectué une « interception » illégale de ses communications électroniques en violation de la partie VI (« Atteintes à la vie privée ») du Code criminel. Subsidiairement encore, le juge du procès n’aurait pas écarté la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte. Il a donc déclaré M. Campbell coupable d’infractions de trafic et de possession prévues à la LRCDAS et l’a condamné à une peine d’emprisonnement.
[6] La Cour d’appel de l’Ontario a accepté que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes, mais elle a conclu que la fouille était justifiée par l’urgence de la situation sous le régime du par. 11(7) de la LRCDAS. Par conséquent, la cour a rejeté les appels de la déclaration de culpabilité et de la peine.
[7] Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec l’utilisateur du téléphone de M. Gammie. Les policiers ont procédé à une « fouille » de cette conversation et M. Campbell a donc qualité pour contester la fouille en vertu de l’art. 8 de la Charte. Néanmoins, la fouille n’était pas une « interception » de communications électroniques au sens de la partie VI du Code criminel, et elle n’était pas non plus accessoire à l’arrestation légale de M. Gammie.
[8] Malgré cela, la fouille sans mandat de la conversation de M. Campbell par messages textes était justifiée par l’urgence de la situation sous le régime du par. 11(7) de la LRCDAS. Le juge du procès a conclu que les policiers avaient cru raisonnablement se trouver dans une situation urgente où ils devaient intervenir immédiatement pour protéger la sécurité publique compte tenu de deux considérations. Premièrement, les policiers avaient cru raisonnablement que la drogue vendue était de l’héroïne additionnée de fentanyl, une combinaison particulièrement mortelle ayant tué de nombreuses personnes vulnérables aux prises avec un problème de toxicomanie partout au pays. Deuxièmement, les policiers avaient cru raisonnablement en outre que, s’ils n’intervenaient pas immédiatement, la drogue en question serait vendue de façon imminente à des personnes vulnérables au sein de la collectivité et présentait donc un risque grave pour la sécurité publique. Ces conclusions établissaient cumulativement l’urgence de la situation en l’espèce et rendaient l’obtention d’un mandat difficilement réalisable. Le juge du procès était en droit de tirer ces conclusions eu égard à la preuve dont il disposait, et il a estimé à juste titre qu’elles satisfaisaient à la norme légale justifiant une fouille sans mandat en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
II. Faits
[9] Les 13 et 14 juin 2017, sur le fondement de renseignements provenant d’informateurs confidentiels, cinq membres de l’unité antidrogue du service de police de Guelph ont surveillé M. Gammie, un trafiquant de drogues connu. Les informateurs avaient avisé les policiers que M. Gammie trafiquait des drogues, notamment de l’héroïne et du fentanyl. Le 13 juin, les policiers ont vu une personne qu’ils croyaient être M. Gammie conclure des transactions avec des consommateurs de drogues connus. Le 14 juin, les policiers ont demandé et obtenu un mandat de perquisition de la résidence de M. Gammie, et ils ont arrêté ce dernier et une femme à 16 h 25 alors qu’ils tentaient de quitter la résidence en voiture. Monsieur Gammie était en possession de cocaïne et de 2 295 $ en argent comptant.
[10] Lors de l’arrestation, M. Gammie a lancé deux téléphones cellulaires sur le siège passager de la voiture. L’un des policiers ayant procédé à l’arrestation, l’agent Kendall Brown, a légalement saisi les téléphones cellulaires accessoirement à l’arrestation. Quelques minutes plus tard, entre 16 h 31 et 16 h 51, quatre messages textes se sont affichés sur l’un des téléphones et étaient bien en vue sur l’écran de verrouillage de celui‑ci. Les textos provenaient d’un expéditeur nommé Dew. Ils se lisaient comme suit :
[traduction]
[16 h 31 min 23 s] Famille, j’ai besoin de 1250 pour cette moitié‑là par contre
[16 h 50 min 26 s] Allooo
[16 h 50 min 48 s] À quelle tu vas en avoir besoin parce que je ne veux pas me promener en voiture avec
[16 h 50 min 59 s] À quelle heure tu vas en avoir besoin
(d.a., p. 221)
[11] L’agent Brown a porté les textos à l’attention de l’agent Andrew Orok et du sergent Ben Bair, un enquêteur expérimenté en matière de drogues et le responsable de l’escouade antidrogue de la police de Guelph. Le sergent Bair a cru que les textos portaient sur une transaction de drogue en cours concernant probablement de l’héroïne additionnée de fentanyl. Il a tiré cette inférence parce que l’expression « 1250 pour cette moitié‑là » concordait avec un bas prix pour une demi‑once d’héroïne, ce qui indiquait qu’elle était probablement mélangée avec du fentanyl. Il savait aussi qu’en 2017, 75 p. 100 de l’héroïne saisie par la police de Guelph contenait du fentanyl. Il craignait que, si les policiers ne mettaient pas la main sur la drogue en question, celle‑ci soit vendue de façon imminente dans la collectivité et compromette la sécurité publique.
[12] Deux autres agents ont également soupçonné que la drogue en cause était de l’héroïne additionnée de fentanyl. L’agent Orok soupçonnait qu’il s’agissait d’héroïne sur la base de son prix et de renseignements d’informateurs confidentiels selon lesquels M. Gammie faisait le commerce de l’héroïne, alors que l’agent Dale Hunt avait été avisé par deux informateurs confidentiels que M. Gammie trafiquait de la cocaïne, de l’héroïne et de la méthamphétamine en cristaux, ainsi que du fentanyl.
[13] Le sergent Bair a donné pour instruction à l’agent Orok de répondre aux textos en prétendant être M. Gammie et en demandant à Dew de livrer la drogue à la résidence de M. Gammie. Il croyait que Dew n’avait pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des textos envoyés au téléphone de M. Gammie, et il a donc conclu que les policiers pouvaient légalement se faire passer pour M. Gammie sans mandat.
[14] Dans les 2 heures 15 minutes qui ont suivi, l’agent Orok a échangé 35 textos avec Dew au sujet de la livraison. Il a échangé ces messages directement à partir de l’écran de verrouillage du téléphone cellulaire, mais il n’a examiné aucun autre renseignement contenu dans le téléphone.
[15] Lors du voir‑dire, M. Campbell a témoigné qu’un trafiquant de drogues nommé Dew lui avait donné le téléphone cellulaire en vue de la livraison de la drogue à M. Gammie. Monsieur Campbell a prétendu ne pas avoir envoyé les quatre premiers textos, mais il a reconnu avoir envoyé et reçu les textos ultérieurs à propos de la livraison de drogue à M. Gammie.
[16] Peu après 19 h, M. Campbell est arrivé à la résidence de M. Gammie et a été arrêté. Lors d’une fouille sur la personne de M. Campbell effectuée accessoirement à l’arrestation, les policiers ont trouvé 40 $ en argent comptant et 14,33 grammes d’héroïne mélangée avec du fentanyl. Ils ont également saisi le téléphone cellulaire de M. Campbell et photographié l’écran afin d’enregistrer la conversation par messages textes avec le téléphone de M. Gammie. Les policiers ont par la suite obtenu des mandats les autorisant à fouiller et à télécharger les textos des téléphones de M. Gammie et de Dew.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure de justice de l’Ontario, décision sur le voir‑dire (le juge Lemon)
[17] Le juge du procès a conclu que M. Campbell n’avait pas qualité pour faire valoir que les policiers avaient violé ses droits garantis par l’art. 8 de la Charte en utilisant le téléphone de M. Gammie pour le texter. Il a estimé que M. Campbell n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée lorsqu’il a texté l’utilisateur du téléphone de M. Gammie. Les deux parties ont convenu que le précédent pertinent était l’arrêt de notre Cour R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, rendu quelques mois après l’arrestation de M. Campbell, qui portait sur la question de savoir si un accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard d’une conversation par messages textes avec un complice d’une opération illégale impliquant des armes à feu. Notre Cour a conclu que des messages textes peuvent susciter une attente raisonnable au respect de la vie privée lorsque le demandeur a une attente subjective au respect de sa vie privée et que cette attente est objectivement raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances.
[18] Le juge du procès a reconnu que M. Campbell avait une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes. Il a souligné [traduction] « qu’il est permis de s’attendre à ce que les conversations entre deux trafiquants de drogues, du fait qu’elles sont entre eux, demeurent privées » (motifs exposés au terme du voir‑dire (reproduits au d.a., p. 1‑36), par. 39). Par ailleurs, il a conclu que cette attente n’était pas objectivement raisonnable. Les textos [traduction] « ne révélai[ent] aucun renseignement d’ordre personnel ou biographique » sur M. Campbell et il s’agissait de « propos banals qui [. . .] auraient pu être entendus dans un autobus » (par. 44). Par conséquent, M. Campbell n’avait pas qualité pour prétendre qu’il y avait eu atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8 de la Charte.
[19] Bien que cette conclusion soit suffisante pour rejeter les arguments de M. Campbell fondés sur l’art. 8 de la Charte, le juge du procès a fait observer que la jurisprudence dans ce domaine du droit évoluait rapidement, et il a donc examiné les autres arguments de M. Campbell en supposant que ce dernier avait qualité pour agir.
[20] Le juge du procès a convenu que les policiers avaient fouillé le téléphone de M. Gammie et il a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel la conversation par messages textes tout entière était « bien en vue ». Il a conclu que, bien que les quatre premiers textos de Dew fussent bien en vue, les textos échangés par la suite entre l’agent Orok et M. Campbell avaient été produits par l’utilisation du téléphone dans le cadre de l’enquête. Ces textos étaient [traduction] « de fait une fouille du téléphone » (par. 63).
[21] Le juge du procès a statué que la fouille sans mandat du téléphone de M. Gammie était justifiée par l’urgence de la situation au titre du par. 11(7) de la LRCDAS. Il a accepté le témoignage des policiers selon lequel ils avaient cru raisonnablement que Dew proposait de vendre à M. Gammie de l’héroïne additionnée de fentanyl. Il a également conclu que [traduction] « [s]ans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque » (par. 100). D’après les textos, Dew était impatient et un télémandat [traduction] « serait probablement arrivé trop tard pour permettre de conclure cette transaction » (par. 100). Par conséquent, [traduction] « [l]a probabilité que la transaction concerne du fentanyl et les effets dévastateurs de cette drogue sur la collectivité en f[aisaient] une question de sécurité publique » (par. 100). Les policiers étaient donc justifiés en vertu du par. 11(7) de prendre part à une conversation par messages textes avec M. Campbell sans mandat.
[22] Le juge du procès a rejeté l’argument de M. Campbell selon lequel les policiers avaient effectué une « interception » de ses communications électroniques exigeant une autorisation judiciaire préalable en vertu de la partie VI (« Atteintes à la vie privée ») du Code criminel. Il a fait remarquer que la partie VI avait pour objet de régir l’utilisation de moyens technologiques envahissants permettant de surveiller les communications entre un expéditeur et un destinataire et de s’interposer dans celles‑ci. Bien qu’ils se soient livrés à une tromperie en se faisant passer pour M. Gammie, les policiers n’ont pas effectué une « interception » au sens de la partie VI. Pour cette raison, ils n’étaient pas tenus d’obtenir une autorisation judiciaire préalable avant d’utiliser le téléphone de M. Gammie pour texter M. Campbell.
[23] Néanmoins, le juge du procès a accepté que les policiers avaient violé les droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 de la Charte lorsqu’ils avaient parcouru les textos contenus dans le téléphone de Dew et pris des photos de ceux‑ci au moment de l’arrestation de M. Campbell. (Ce point n’a pas été avancé devant la Cour d’appel ou notre Cour. Comme je l’ai fait remarquer, les policiers ont par la suite obtenu un mandat valide les autorisant à fouiller et à télécharger le contenu du téléphone de Dew.)
[24] Enfin, le juge du procès a affirmé que, même s’il avait conclu à chacune des atteintes reprochées aux droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 de la Charte, il n’aurait pas écarté les textos de la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte.
[25] Les textos et la drogue ayant été admis en preuve, M. Campbell a été déclaré coupable de trafic d’héroïne et de fentanyl, et de possession d’héroïne et de fentanyl en vue d’en faire le trafic, en violation des par. 5(1) et (2) de la LRCDAS. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans, réduite de quatre mois pour tenir compte des conditions restrictives de mise en liberté sous caution et de la période passée en détention avant le procès.
B. Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 666, 163 O.R. (3d) 355 (le juge Trotter, avec l’accord des juges Lauwers et Roberts)
[26] La Cour d’appel a rejeté les appels formés par M. Campbell à l’encontre de la déclaration de culpabilité et de la peine. Elle a souscrit à la conclusion du juge du procès selon laquelle il n’y a pas eu violation de l’art. 8 de la Charte, mais elle l’a fait pour des raisons différentes. Elle a également rejeté les autres moyens d’appel.
[27] La cour a statué que M. Campbell avait qualité pour soutenir que les policiers avaient violé ses droits garantis par l’art. 8. Appliquant l’arrêt Marakah, elle a accepté que M. Campbell avait une attente objectivement raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances. Les commentaires formulés dans les textos de M. Campbell n’étaient pas [traduction] « banals », mais concernaient plutôt une transaction de drogue, « chose dont on pourrait essayer d’éviter qu’elle ne soit entendue dans un autobus » (par. 40).
[28] La cour a également rejeté l’argument de la Couronne selon lequel l’arrêt R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320 — affaire dans laquelle la police s’était fait passer en ligne pour une adolescente de 14 ans dans le cadre d’une enquête en matière de leurre d’enfants sur Internet — devrait modifier l’application de l’arrêt Marakah à la présente affaire. La cour a considéré que l’arrêt Mills a établi une [traduction] « exception » à l’arrêt Marakah lorsque les communications électroniques elles‑mêmes constituent un crime contre le destinataire — dans cette affaire, le fait de prendre pour victimes des enfants —, ce qui est très différent de la présente espèce (par. 62). En l’espèce, la cour a fait remarquer que les policiers [traduction] « se sont introduits dans une conversation déjà en cours entre deux personnes réelles dont la relation était préexistante, essentiellement en usurpant l’identité de l’un des participants. [. . .] [L]es policiers ont pris part à l’échange, mais à l’insu de l’appelant » (par. 71).
[29] Enfin, la cour a conclu qu’il était loisible au juge du procès de conclure à l’absence de violation de l’art. 8 de la Charte parce que les policiers avaient agi en raison de l’urgence de la situation. Les policiers devaient agir immédiatement afin de protéger la sécurité publique et il était difficilement réalisable d’obtenir un mandat. Les policiers ont cru que les textos portaient sur une transaction d’héroïne additionnée de fentanyl qui était en cours et que, sans une intervention policière immédiate, la drogue ferait l’objet d’un trafic dans la collectivité. Le témoignage des policiers, combiné à [traduction] « la nature notoirement nocive du fentanyl », équivalait à une situation urgente (par. 83). Selon la cour, [traduction] « [b]ien que la conclusion du juge du procès s’appuie sur certains impondérables, elle n’était pas indûment conjecturale ni déraisonnable » (par. 83). La cour a statué qu’il était loisible au juge du procès de conclure qu’une [traduction] « intervention immédiate était requise » et que « l’obtention d’un mandat, voire d’un télémandat, était difficilement réalisable » (par. 84 (en italique dans l’original)).
[30] Dans sa plaidoirie devant la Cour d’appel, l’avocat de M. Campbell n’a pas insisté sur la question de savoir si les policiers avaient procédé à une « interception » au sens de la partie VI du Code criminel, et la cour ne s’est donc pas penchée sur ce point.
[31] Ayant conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’art. 8, la cour n’a pas examiné la question de savoir s’il y avait lieu d’écarter la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte.
IV. Questions en litige
[32] Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :
1. Monsieur Campbell a‑t‑il qualité pour prétendre que les policiers ont effectué une « fouille » qui a violé ses droits garantis par l’art. 8 de la Charte?
2. S’agissait‑il d’une fouille non autorisée par la loi et donc d’une fouille « abusive » au sens de l’art. 8? Plus particulièrement, s’agissait‑il d’une fouille : a) qui constituait une « interception » au sens de la partie VI du Code criminel; b) qui n’était pas accessoire à une arrestation légale; ou c) qui n’était pas justifiée par « l’urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat au titre du par. 11(7) de la LRCDAS?
3. La preuve obtenue devrait‑elle être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte?
V. Analyse
A. Monsieur Campbell avait‑il une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes?
[33] La première question est de savoir si M. Campbell a qualité pour prétendre que les policiers ont porté atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8 de la Charte en utilisant le téléphone de M. Gammie afin de participer à la conversation par messages textes qui a mené à l’arrestation de M. Campbell. Lors du voir‑dire, M. Campbell a témoigné qu’il n’était pas Dew et qu’il n’avait pas envoyé les quatre premiers textos du téléphone de Dew à celui de M. Gammie. Par ailleurs, il a admis avoir envoyé les textos ultérieurs au téléphone de M. Gammie, et a donc prétendu avoir qualité pour contester l’admission en preuve de ceux‑ci. Les deux juridictions inférieures ont évalué la qualité pour agir de M. Campbell sur ce fondement. Je vais faire de même.
[34] Monsieur Campbell a qualité pour agir s’il établit qu’il avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec un interlocuteur qu’il pensait être M. Gammie, auquel cas les policiers ont procédé à une « fouille » au sens de l’art. 8 de la Charte. Il faut alors se demander s’il s’agissait d’une fouille « abusive » aux termes de l’art. 8 de la Charte (voir R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 35‑36; Marakah, par. 10 et 12; R. c. Bykovets, 2024 CSC 6, par. 30).
[35] Comme je vais l’expliquer, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes, de sorte qu’il a qualité pour prétendre que les policiers ont porté atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8 de la Charte.
(1) Principes juridiques
[36] L’article 8 de la Charte garantit que « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. » Il vise principalement à assurer la protection du droit à la vie privée contre l’intrusion injustifiée de l’État (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 160; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, p. 291; Bykovets, par. 29).
[37] Le droit au respect de la vie privée est fondamental dans une société libre et démocratique. Il est essentiel à « la dignité, l’autonomie et la croissance personnelle [d’un individu] » (Bykovets, par. 29; voir aussi Plant, p. 292; R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696, par. 38), ainsi qu’à « la relation entre l’État et le citoyen » (R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 12). Dans un extrait souvent cité de l’arrêt R. c. Dyment, 1988 CanLII 10 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 417, p. 427‑428, le juge La Forest a écrit que « [l]’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique. » Une opinion semblable a été reprise par le juge Binnie dans l’arrêt Tessling, qui a fait remarquer que « [p]eu de choses revêtent autant d’importance pour notre mode de vie que l’étendue du pouvoir conféré à la police d’entrer dans la maison d’un citoyen canadien, de porter atteinte à sa vie privée et même à son intégrité corporelle sans autorisation judiciaire » (par. 13).
[38] Une préoccupation centrale exprimée dans la jurisprudence de notre Cour portant sur l’art. 8 a été de trouver un équilibre entre les objectifs souvent concurrents que sont le respect de la vie privée personnelle et la protection de l’intérêt public. Cette recherche d’équilibre reflète l’impératif constitutionnel de l’art. 8 lui‑même, qui, exprimé sous la forme négative, est de protéger contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ou, exprimé sous la forme positive, de protéger uniquement une attente raisonnable au respect de la vie privée (Hunter, p. 159). Dans l’arrêt Hunter, le juge Dickson, plus tard juge en chef, a expliqué que l’art. 8 exige d’« apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » (p. 159‑160). Dans l’arrêt Tessling, le juge Binnie a ajouté que « [l]es citoyens tiennent à leur vie privée, mais ils veulent également être protégés. La répression du crime et la sécurité sont des préoccupations légitimes tout aussi valables » (par. 17; voir aussi Plant, p. 291‑292).
[39] L’article 8 de la Charte s’applique lorsqu’une personne a des « attentes raisonnables en matière de vie privée relativement à l’objet de l’action de l’État et aux renseignements auxquels cet objet donne accès » (Marakah, par. 10, citant Cole, par. 34). Le demandeur qui souhaite avoir qualité pour soutenir qu’il y a eu atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8 doit démontrer qu’il s’attendait subjectivement à ce que l’objet de la fouille demeure privé et que son attente était objectivement raisonnable eu égard à « l’ensemble des circonstances » (Marakah, par. 10, citant R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, par. 31 et 45; voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 17‑18; Jones, par. 13). Dans cette évaluation, les tribunaux sont guidés par quatre questions : (1) l’objet de la prétendue fouille; (2) si le demandeur avait un intérêt direct à l’égard de l’objet; (3) si le demandeur avait une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet; et (4) si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable (Marakah, par. 11; Cole, par. 40; Spencer, par. 18; Bykovets, par. 31).
(2) Application
[40] Je suis d’accord avec la Couronne pour dire que notre Cour a conclu qu’il n’y a pas de règle « automatique » quant à la qualité pour agir en ce qui a trait aux messages textes. Comme l’a reconnu la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Marakah, une conversation par messages textes « peut, dans certains cas, susciter une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée », mais cela « ne conduit pas forcément à la conclusion selon laquelle un échange de messages électroniques fait toujours naître une telle attente » (par. 5 (en italique dans l’original)). La question de savoir si une personne a une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard d’une conversation par messages textes doit être évaluée en fonction de l’ensemble des circonstances dans chaque cas.
[41] À mon avis, les quatre questions de l’analyse relative à l’art. 8 établissent que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec un interlocuteur qu’il pensait être M. Gammie. Bien que le seul point contesté soit le caractère objectivement raisonnable de son attente subjective au respect de sa vie privée, je vais brièvement examiner chacun des autres points aussi.
a) Quel était l’objet de la prétendue fouille?
[42] Quand l’État examine des messages textes, l’objet de la prétendue fouille est à juste titre qualifié comme étant « la conversation électronique qui a eu lieu entre deux ou plusieurs personnes » (Marakah, par. 19; voir aussi Jones, par. 14; R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3, par. 5). Comme il a été souligné dans l’arrêt Marakah, cela « englobe l’existence de la conversation, l’identité des participants, les renseignements échangés, ainsi que toute inférence que l’on peut tirer de ces renseignements quant aux fréquentations et aux activités des participants » (par. 20).
[43] En l’espèce, l’objet de la prétendue fouille était la conversation de M. Campbell par messages textes avec un interlocuteur qu’il croyait être M. Gammie.
b) Monsieur Campbell avait‑il un intérêt direct à l’égard de l’objet?
[44] La Couronne ne conteste pas que M. Campbell avait un intérêt direct à l’égard de sa conversation par messages textes. Il a participé à la conversation et écrit plusieurs des textos en cause (voir Marakah, par. 21; Jones, par. 15).
c) Monsieur Campbell avait‑il une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet?
[45] Le fardeau du demandeur d’établir une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la prétendue fouille « n’est pas “très exigeant” » (Marakah, par. 22, citant R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 37; voir aussi Jones, par. 20). La preuve nécessaire est « minime », ce qui reflète que « la portée normative de l’art. 8 transcende les attentes subjectives [d’un] demandeur [donné] » (Jones, par. 21). « En l’absence de témoignage ou d’aveu du demandeur lors du voir‑dire, une telle attente subjective peut être présumée ou inférée eu égard aux circonstances » (par. 21).
[46] Le juge du procès a accepté le témoignage de M. Campbell selon lequel il avait une attente subjective au respect de sa vie privée. Il a conclu que [traduction] « [v]u la nature de la conversation et le seuil peu élevé applicable », il pouvait « présumer qu’il est permis de s’attendre à ce que les conversations entre deux trafiquants de drogues, du fait qu’elles sont entre eux, demeurent privées » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 39). Cette conclusion n’est pas contestée devant notre Cour.
d) L’attente subjective de M. Campbell au respect de sa vie privée était‑elle objectivement raisonnable?
[47] Pour décider si une attente subjective au respect de la vie privée est objectivement raisonnable, les tribunaux doivent recourir à une approche à la fois normative et neutre sur le plan du contenu. Plusieurs intervenants exhortent notre Cour à confirmer ces postulats de base de l’analyse fondée sur l’art. 8. Je conviens qu’il est utile de le faire.
(i) L’article 8 exige une approche normative
[48] La question de savoir s’il y a une attente raisonnable au respect de la vie privée n’appelle pas « un examen purement factuel »; l’examen « est de nature normative et non simplement descriptive » (Spencer, par. 18; voir aussi Tessling, par. 42). Bien qu’il doive tenir compte du contexte factuel, l’examen abonde inévitablement en jugements de valeur quant au genre de société libre et démocratique dans lequel les Canadiennes et les Canadiens raisonnables et bien informés s’attendent à vivre, en fonction de préoccupations sur les conséquences à long terme du fait de tolérer l’intrusion de l’État dans la vie privée des individus (Spencer, par. 18; Patrick, par. 27; Bykovets, par. 52; voir aussi H. Stewart, « Normative Foundations for Reasonable Expectations of Privacy » (2011), 54 S.C.L.R. (2d) 335, p. 342‑347; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶3.38).
[49] L’approche normative concernant l’art. 8 « exige que nous appliquions une approche large et fonctionnelle à l’objet de la fouille, et que nous nous concentrions sur le risque qu’elle révèle des renseignements d’ordre personnel ou biographique » (Bykovets, par. 7 (en italique dans l’original), citant Marakah, par. 32; voir aussi R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, par. 28; Tessling, par. 42; Spencer, par. 18; Stewart, p. 335 et 342‑343).
(ii) L’approche relative à l’art. 8 doit également être neutre sur le plan du contenu
[50] Il est également établi que « [l]’analyse fondée sur l’art. 8 [doit être] neutre au plan du contenu » (Marakah, par. 48). Par conséquent, « les fruits d’une fouille ou d’une perquisition ne peuvent être utilisés pour justifier une atteinte abusive à la vie privée » (par. 48). Les précédents de notre Cour relatifs à l’approche neutre sur le plan du contenu établissent que les gens n’ont pas moins droit à la protection de la vie privée garantie par l’art. 8 de la Charte du fait qu’ils se livraient à une activité criminelle au moment de la fouille, de la perquisition ou de la saisie.
[51] L’arrêt R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, est une décision de principe en ce qui a trait à l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8. Notre Cour a conclu que l’accusé avait une attente raisonnable au respect de la vie privée dans une chambre d’hôtel où la police avait installé une caméra vidéo sans autorisation judiciaire au cours d’une enquête visant une maison de jeu « flottante ». Elle a souligné que la question de savoir si une personne a une attente raisonnable au respect de sa vie privée « devrait [. . .] être posée en termes plus généraux et plus neutres » (p. 50). La question est de savoir non pas « si les personnes qui commettent des actes illégaux dans une chambre d’hôtel verrouillée peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée » (une approche axée sur le contenu), mais plutôt « si dans une société comme la nôtre, les personnes qui se retirent dans une chambre d’hôtel et qui ferment la porte derrière elles peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée » (une approche neutre sur le plan du contenu) (p. 50).
[52] Suivant l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8, l’existence d’une attente raisonnable au respect de la vie privée ne dépend pas de « la nature légale ou illégale de la chose recherchée » (Spencer, par. 36; voir aussi Reeves, par. 28; Patrick, par. 32; R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211, par. 39; D. Stuart, Charter Justice in Canadian Criminal Law (7e éd. 2018), p. 307; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶3.37). Pour les besoins de l’art. 8, « il ne faut pas se demander si [le demandeur] a enfreint la loi, mais bien si la police a outrepassé les limites du pouvoir de l’État » (Reeves, par. 2).
(iii) L’attente subjective de M. Campbell au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable
[53] Il n’existe pas de liste exhaustive ou définitive de facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de décider si l’attente subjective d’un demandeur au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet d’une fouille est objectivement raisonnable (Bykovets, par. 45; Cole, par. 45; Marakah, par. 24). Les facteurs pertinents comprennent notamment :
(i) si les renseignements tendent à révéler des détails intimes ou biographiques concernant le mode de vie et les choix personnels de l’individu visé par la prétendue fouille;
(ii) l’endroit où a eu lieu la prétendue fouille;
(iii) si l’objet de la prétendue fouille était à la vue du public;
(iv) si l’objet avait été abandonné;
(v) si les renseignements étaient déjà entre les mains de tiers et, dans l’affirmative, s’ils étaient visés par une obligation de confidentialité;
(vi) si la technique policière avait un caractère intrusif par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée;
(vii) si l’individu était présent au moment de la prétendue fouille;
(viii) la possession, le contrôle, la propriété et l’usage historique du bien ou du lieu qui aurait été fouillé; et
(ix) l’habilité à régir l’accès au lieu de la fouille, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure autrui (Plant, p. 293; Tessling, par. 32; Edwards, par. 45).
[54] Les parties ont axé leurs observations devant notre Cour sur trois facteurs : (1) la nature privée de l’objet; (2) le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée; et (3) le niveau de contrôle sur les renseignements.
1. La nature privée de l’objet
[55] La nature privée de l’objet est un facteur crucial pour établir une attente raisonnable au respect de la vie privée. L’article 8 vise à « prot[éger] un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État » (Plant, p. 293; voir aussi Marakah, par. 31; Bykovets, par. 51). Comme l’a reconnu notre Cour, « l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend » (Dyment, p. 429, citant le Groupe d’étude établi conjointement par le ministère des Communications et le ministère de la Justice, L’ordinateur et la vie privée (1972), p. 13; voir aussi Spencer, par. 40; Jones, par. 39; Tessling, par. 23). Dans le même ordre d’idée, l’art. 8 de la Charte a été décrit comme protégeant « l’autodétermination informationnelle » (Jones, par. 39).
[56] Conformément à l’approche normative et neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8, un tribunal doit s’attacher à la question de savoir « “si, d’une manière générale, les citoyens ont un droit au respect de leur vie privée” à l’égard de l’objet de la fouille effectuée par l’État » (Bykovets, par. 53, citant Patrick, par. 32). La question est de savoir si l’objet de la fouille en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet du demandeur (Marakah, par. 31).
[57] En ce qui concerne les messages textes en particulier, « on met l’accent non pas sur le contenu effectif des messages saisis par les policiers, mais plutôt sur le risque qu’une conversation électronique donnée révèle des renseignements d’ordre personnel ou biographique »; l’accent est mis sur la question de savoir si les participants à la conversation ont « une attente raisonnable au respect de leur vie privée à l’égard de sa teneur, quelle qu’elle soit » (Marakah, par. 32). L’article 8 protège notamment les « renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu » (par. 32, citant Plant, p. 293).
[58] Notre Cour a reconnu que peu de types de conversation, voire aucun, ne peuvent « promettre une plus grande confidentialité que la messagerie texte. Il n’existe pas de mode de correspondance plus discret » (Marakah, par. 35; voir aussi TELUS Communications, par. 1). « Les conversations électroniques peuvent permettre aux gens de communiquer au sujet de leurs activités, de leurs relations et même de leur identité des détails qu’ils ne révéleraient jamais au grand public, tout en bénéficiant de la discrétion que leur procure ce mode de communication mobile » (Marakah, par. 36).
[59] En l’espèce, la prétendue fouille visant la conversation de M. Campbell par messages textes s’immisçait dans un moyen de communication à l’égard duquel une personne raisonnable s’attendrait normalement à la plus grande confidentialité. Une conversation par messages textes risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements très personnels et biographiques au sujet des participants. C’est le type de renseignements dont on s’attendrait à ce qu’il demeure confidentiel à l’égard de l’État.
[60] Bien que je sois d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge du procès a commis une erreur en concluant que M. Campbell n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances, je suis respectueusement d’avis que les deux juridictions ont fait erreur en mettant l’accent sur le contenu effectif des messages textes en cause plutôt que sur le risque que la conversation ne révèle ou la tendance de la conversation à révéler des renseignements très personnels et biographiques au sujet des participants. Le juge du procès a affirmé que la conversation de M. Campbell par messages textes [traduction] « ne révélait aucun renseignement d’ordre personnel ou biographique à son sujet et n’était pas non plus susceptible d’en révéler » parce qu’il s’agissait de « propos banals qui, à une autre époque, auraient pu être entendus dans un autobus » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 44). Pour sa part, la Cour d’appel s’est attachée au fait que la conversation portait [traduction] « sur une transaction de drogue, chose dont on pourrait essayer d’éviter qu’elle ne soit entendue dans un autobus » (par. 40). Comme l’a affirmé notre Cour, cependant, l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 qui est suivie depuis longtemps exige du tribunal qu’il se demande si le type de renseignements en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet du demandeur, quel que soit le contenu effectif de la conversation (Marakah, par. 31‑32).
[61] À mon avis, la nature privée de l’objet en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet de M. Campbell, et étaye donc sa prétention suivant laquelle il avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes.
2. Le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée
[62] Le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée en cause peut être important dans l’appréciation de la question de savoir si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée est objectivement raisonnable (Tessling, par. 32 et 50; Plant, p. 295). Il s’agit d’une considération distincte de la question de savoir si les policiers ont agi légalement, laquelle est pertinente pour permettre d’établir si la conduite de l’État était « abusive » en deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 8 (Edwards, par. 33).
[63] En l’espèce, la technique d’enquête policière était particulièrement intrusive. Les policiers n’ont pas simplement examiné les textos que M. Campbell avait envoyés au téléphone de M. Gammie, et M. Campbell ne textait pas un parfait inconnu non plus. Comme l’a affirmé la Cour d’appel, « les policiers ont pris part à l’échange, mais à l’insu de l’appelant » (par. 71). Ils se sont [traduction] « “immiscés dans une conversation privée”. Ils se sont introduits dans une conversation déjà en cours entre deux personnes réelles dont la relation était préexistante, essentiellement en usurpant l’identité de l’un des participants » (par. 71). Ce facteur étaye également la prétention de M. Campbell selon laquelle il avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée eu égard à l’ensemble des circonstances.
3. Le contrôle sur les renseignements
[64] La Couronne souligne que M. Campbell utilisait un téléphone emprunté, ce qui, dit‑elle, affaiblit sa prétention selon laquelle il avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée. La Couronne affirme qu’il n’était pas objectivement raisonnable pour M. Campbell de s’attendre à ce que sa conversation avec M. Gammie demeure privée parce qu’il a soutenu que le téléphone appartenait à Dew et qu’il l’avait emprunté simplement pour effectuer la livraison de drogue (m.i., par. 41‑42). Elle cite l’observation de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Marakah selon laquelle « [i]l peut y avoir une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée selon une échelle ou une “hiérarchie” des lieux » (par. 29, citant Tessling, par. 22). Une personne peut avoir une attente élevée au respect de sa vie privée à l’égard de son propre téléphone, sur lequel elle « exerce un contrôle absolu, une attente moindre au respect de [s]a vie privée à l’égard du téléphone [d’un] ami », sur lequel l’ami exerce un contrôle, et absolument aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée si elle « [s’]atten[d] à ce que le message texte soit rendu public » (par. 29). La Couronne affirme que M. Campbell ne pouvait avoir eu une attente objectivement raisonnable au respect de sa vie privée avec un [traduction] « quasi‑étranger » sur un téléphone emprunté (m.i., par. 29).
[65] Je n’accepte pas cet argument. Monsieur Campbell a témoigné que même s’il ne connaissait pas le nom complet de Dew, il connaissait Dew et avait fait plusieurs livraisons de drogue pour lui dans le passé. Monsieur Campbell utilisait donc le téléphone d’une personne avec laquelle il entretenait déjà une relation.
[66] De plus, la position de la Couronne ne tient pas compte du fait que le contrôle ne permet pas de trancher la question de la qualité pour agir. Comme la juge en chef McLachlin l’a souligné dans l’arrêt Marakah, « le contrôle n’est pas un indicateur absolu de l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, pas plus que l’absence de contrôle ne porte un coup fatal à la reconnaissance d’un intérêt en matière de vie privée » (par. 38; voir aussi Reeves, par. 37) « [U]ne personne ne perd pas le contrôle de renseignements pour l’application de l’art. 8 uniquement parce que quelqu’un d’autre les possède ou peut les consulter » (Marakah, par. 41; voir aussi le par. 68). Le partage du contrôle des renseignements en cause peut réduire sans nécessairement éliminer l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée. Par conséquent, les conversations par messages textes peuvent être protégées par un « espace privé » qui s’étend au‑delà de l’appareil mobile d’une personne jusqu’au destinataire du message, même lorsque cette personne « communique des renseignements personnels à d’autres personnes » (par. 37).
[67] L’attente raisonnable au respect de la vie privée de M. Campbell s’étendait donc de l’utilisation du téléphone de Dew aux textos qu’il a envoyés et reçus lors de sa conversation électronique avec un interlocuteur qu’il croyait être M. Gammie. Il n’a pas perdu la protection de l’art. 8 de la Charte simplement en partageant des renseignements privés avec l’autre participant à sa conversation par messages textes ou en utilisant le téléphone d’une connaissance.
[68] La question pertinente sous le régime de l’art. 8 n’est pas celle de savoir si la personne s’attendait raisonnablement à ce que l’objet de la fouille demeure confidentiel à l’égard de n’importe qui; l’important est de savoir si elle s’attendait raisonnablement à ce qu’il demeure confidentiel à l’égard de l’intrusion de l’État (R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30, p. 46; Wong, p. 43‑44 et 47‑48; Plant, p. 291; Tessling, par. 18; Marakah, par. 40‑45). L’« espace privé » protégé par l’art. 8 de la Charte comprend le droit de « protége[r] les renseignements personnels contre les intrusions de l’État » (Marakah, par. 37). À mon avis, eu égard à l’ensemble des circonstances, M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’intrusion de l’État dans sa conversation par messages textes.
e) Les activités d’infiltration policière ne sont pas compromises
[69] La Couronne soutient en outre que le fait pour les policiers de se faire passer pour M. Gammie constituait simplement une opération policière d’infiltration, et n’était donc pas une fouille visée à l’art. 8. Elle cite les commentaires émis par la juge Karakatsanis au nom des juges minoritaires de la Cour dans l’arrêt Mills, à savoir que « l’art. 8 n’empêche pas les policiers de communiquer avec des individus au cours d’une opération d’infiltration » et qu’« un individu ne peut raisonnablement s’attendre à ce que la personne avec laquelle il communique ne prenne pas connaissance de ses propos » (par. 42). Selon la Couronne, une conversation par messages textes ne devient pas une fouille simplement parce que l’un des interlocuteurs s’avère être un agent d’infiltration, et accepter la revendication du droit à la vie privée de M. Campbell mènerait à [traduction] « une société privée d’activités d’infiltration policière » (m.i., par. 55).
[70] À l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis de rejeter cet argument. Je reconnais qu’il n’est pas nécessairement inapproprié que les policiers répondent au téléphone d’une personne en état d’arrestation et parlent avec une personne qui ne se doute de rien, comme ce fut le cas dans R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520. Cependant, avoir une conversation téléphonique avec l’auteur d’un appel est différent sur le plan constitutionnel du fait de créer un enregistrement électronique permanent de la communication au moyen d’un enregistrement sonore clandestin ou en utilisant le véhicule que constitue la messagerie texte. L’enregistrement clandestin d’une communication par la police constitue une fouille, une perquisition ou une saisie sur le plan constitutionnel. Comme l’a affirmé le juge La Forest dans l’arrêt Duarte, « [u]ne conversation avec un indicateur n’est pas une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de la Charte. Toutefois l’interception et l’enregistrement électroniques clandestins d’une communication privée en sont » (p. 57). De même, comme la juge Arbour l’a affirmé dans l’arrêt R. c. Fliss, 2002 CSC 16, [2002] 1 R.C.S. 535, par. 12, « une conversation avec un indicateur, ou un policier, n’est pas une fouille, une perquisition ou une saisie. Seul l’enregistrement de cette conversation l’est ».
[71] En l’espèce, les policiers n’ont pas enregistré clandestinement la conversation de M. Campbell. C’est plutôt le moyen de communication lui‑même, soit la messagerie texte, qui a généré le relevé de la conversation (TELUS Communications, par. 34). Ce véhicule peut donner lieu à une attente raisonnable au respect de la vie privée, ce qui n’empêche pas en soi les activités d’infiltration policière. Cette attente impose plutôt simplement des restrictions d’ordre constitutionnel aux enquêtes policières qui font intervenir la messagerie texte en exigeant des policiers qu’ils se conforment à l’art. 8 de la Charte (voir Marakah; Jones).
f) Il n’est pas nécessaire de décider si l’arrêt Mills a créé une « exception » à l’arrêt Marakah ou s’il s’est écarté de l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8
[72] Enfin, la Couronne fait valoir que la Cour d’appel a commis une erreur en affirmant que [traduction] « l’arrêt Mills a établi une exception [à l’arrêt Marakah] dans les cas où les communications électroniques elles‑mêmes constituent un crime contre le destinataire — dans cette affaire, le fait de prendre pour victimes des enfants » (motifs de la C.A., par. 62; voir aussi les par. 34 et 73). La Couronne fait plutôt valoir que les arrêts Marakah et Mills [traduction] « démontrent que le test de l’ensemble des circonstances est suffisamment souple pour permettre à la Cour de l’adapter à un paysage [technologique] en pleine évolution tout en demeurant fidèle aux principes que l’art. 8 vise à protéger » (m.i., par. 36). Plusieurs intervenants formulent eux aussi la mise en garde selon laquelle qualifier l’arrêt Mills comme étant une « exception » à l’arrêt Marakah édulcorerait l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 de la Charte, et inviterait les tribunaux à conclure que des communications entre certaines parties ne méritent pas la protection garantie par l’art. 8 lorsque la police soupçonne que leurs relations sont liées à un crime. Ils préviennent qu’une telle qualification amènerait les tribunaux à se demander si certaines relations méritent, d’un point de vue moral, la protection garantie à l’art. 8, ce qui minerait des décennies de jurisprudence fondée sur la Charte.
[73] L’arrêt Mills porte sur une opération d’infiltration dans laquelle la police s’est fait passer pour une adolescente de 14 ans afin de mener une enquête en matière de leurre d’enfants sur Internet. La police a communiqué avec l’accusé en ligne et a utilisé un logiciel de capture d’écran pour enregistrer les communications sans autorisation judiciaire. Les communications ont conduit à l’organisation d’une rencontre où la police a arrêté l’accusé et l’a inculpé de leurre. Lorsque la Couronne a tenté de produire en preuve au procès les communications électroniques, l’accusé a fait valoir que la police avait violé ses droits garantis par l’art. 8 de la Charte en interceptant ses communications électroniques privées sans autorisation judiciaire. Notre Cour a conclu à la majorité qu’il n’y avait eu aucune violation de l’art. 8.
[74] Quatre séries de motifs ont été rendues dans l’arrêt Mills, et il n’y a pas eu de décision majoritaire. Le juge Brown, au nom d’une pluralité de juges de la Cour, a expressément appliqué l’approche de l’« ensemble des circonstances » et de nature normative dans l’appréciation du caractère objectivement raisonnable au regard de l’art. 8, et il a conclu que l’accusé n’avait pas une attente raisonnable au respect de sa vie privée eu égard à l’ensemble des circonstances (par. 13 et 20). Il a fondé sa conclusion sur ce qu’il a décrit comme une proposition « modeste » selon laquelle l’accusé ne pouvait pas établir « une attente objectivement raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances de l’espèce, où il s’est entretenu en ligne avec une enfant qui était une inconnue pour lui et où, élément le plus important, les policiers savaient qu’un tel entretien aurait lieu au moment où ils ont créé l’enfant en question » (par. 30 (en italique dans l’original)). Dans ses motifs, le juge Brown a également cité l’arrêt Marakah avec approbation (par. 12‑14 et 16).
[75] La juge Karakatsanis, au nom d’une minorité de juges de la Cour, a conclu que l’accusé n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée parce qu’il était comme quelqu’un qui « parle, sans le savoir, à un agent d’infiltration en personne » (par. 44). Elle a conclu que, comme l’accusé « ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le destinataire visé de ses messages n’en prenne pas connaissance, l’art. 8 n’entre pas en jeu » (par. 44). L’accusé avait choisi l’écrit comme moyen de communication et savait qu’un enregistrement électronique permanent de ses communications existait (par. 48 et 55). La juge Karakatsanis ne s’est pas écartée non plus de l’approche de l’ensemble des circonstances relative à l’art. 8 et a elle aussi cité l’arrêt Marakah avec approbation (par. 49 et 60).
[76] Le juge Moldaver, qui a souscrit au résultat, a affirmé que les motifs respectifs des juges Brown et Karakatsanis étaient « bien fondé[s] en droit » (par. 66).
[77] Enfin, la juge Martin, qui a elle aussi souscrit au résultat, aurait conclu à une violation de l’art. 8, mais n’aurait pas écarté la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte.
[78] Il n’y a donc pas eu de décision majoritaire dans Mills. Comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel, cependant, ni le juge Brown ni la juge Karakatsanis n’ont [traduction] « tenté de se distancier » de l’arrêt Marakah (par. 60). Selon moi, Marakah demeure l’arrêt faisant autorité lorsqu’une conversation par messages textes suscite une attente raisonnable au respect de la vie privée en vertu de l’art. 8. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de décider si Mills est à juste titre considéré comme créant une « exception » à Marakah ou comme s’écartant de l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 de la Charte.
(3) Conclusion
[79] Monsieur Campbell avait une attente objectivement raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec un interlocuteur qu’il pensait être M. Gammie. Les policiers se sont immiscés dans l’attente raisonnable de M. Campbell au respect de sa vie privée en prétendant être M. Gammie afin de poursuivre cette conversation. Par conséquent, les policiers ont effectué une « fouille » visée à l’art. 8, et M. Campbell a qualité pour la contester.
B. La fouille était‑elle abusive?
[80] La question suivante est celle de savoir si la fouille sans mandat à laquelle les policiers ont procédé était « abusive » et donc contraire à l’art. 8 de la Charte.
[81] Une fouille sans mandat est présumée abusive, ce qui fait passer la charge de persuasion à la Couronne, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille n’était pas abusive (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278). Une fouille n’est pas abusive au regard de l’art. 8 si elle est autorisée par une règle de droit qui n’est pas abusive et si elle n’est pas effectuée d’une manière abusive (p. 278; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 12; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 10).
[82] Monsieur Campbell soutient que la fouille n’était pas autorisée par la loi, et était donc abusive, pour deux motifs. Il affirme que l’envoi trompeur de messages textes par les policiers constituait une « interception » au sens de la partie VI du Code criminel, car les policiers ont ainsi pu prendre volontairement connaissance de ses textos en temps réel. Il fait valoir également que la fouille sans mandat n’était pas justifiée par l’urgence de la situation en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS. À son avis, la Cour d’appel a fait preuve de laxisme en ce qui a trait à la question de l’urgence, de sorte que la police ne serait plus tenue d’obtenir un mandat chaque fois que des drogues dangereuses comme le fentanyl sont en cause. La Couronne ne souscrit pas à ces arguments, et ajoute que la fouille visant la conversation de M. Campbell par messages textes était autorisée en tant que fouille accessoire à l’arrestation légale de M. Gammie.
[83] Selon moi, la technique d’enquête policière ne constituait ni une interception au sens de la partie VI du Code criminel ni une fouille accessoire à l’arrestation légale de M. Gammie. En même temps, je reconnais que la fouille était justifiée par l’urgence de la situation en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS. La fouille était donc non abusive et justifiée par la loi et elle ne violait pas l’art. 8 de la Charte. Je vais examiner chaque point à tour de rôle.
(1) La fouille ne constituait pas une interception au sens de la partie VI du Code criminel
[84] Monsieur Campbell affirme que la technique d’enquête policière qui consistait à participer à une conversation par messages textes avec lui à partir du téléphone de M. Gammie était une « interception » sous le régime d’écoute électronique prévu à la partie VI du Code criminel et exigeait donc une autorisation judiciaire. Il soutient que cela a violé ses droits garantis par l’art. 8 de la Charte et exacerbé la gravité de la violation de l’art. 8 pour les besoins de l’analyse fondée sur le par. 24(2).
[85] Je ne suis pas de cet avis. La technique d’enquête policière n’était pas une « interception » au sens de la partie VI, car elle ne comportait pas l’utilisation d’un dispositif faisant appel à un moyen technologique de surveillance envahissant.
a) Principes juridiques
[86] Le Parlement a édicté la partie VI du Code criminel, « Atteintes à la vie privée » (art. 183 à 196.1), à titre de régime exhaustif sur l’interception de communications privées en établissant un équilibre entre le droit d’une personne au respect de sa vie privée et le besoin collectif d’application de la loi (Wakeling c. États-Unis d’Amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549, par. 26; Duarte, p. 45; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 39). La partie VI crée des infractions, établit des procédures pour l’interception autorisée de communications privées lors d’enquêtes sur certains crimes et indique quand des communications interceptées peuvent être admissibles en preuve.
[87] La partie VI (alors la partie IV.1) a été édictée en 1974 à une époque où l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants, comme les dispositifs d’écoute électronique, pour écouter clandestinement les conversations privées de citoyens suscitait de grandes inquiétudes (Duarte, p. 38‑39 et 43‑44; Jones, par. 73; R. c. McQueen (1975), 1975 CanLII 1373 (AB CA), 25 C.C.C. (2d) 262 (C.S. Alb. (Div. app.)), p. 268). Lors de la présentation de la mesure législative, le ministre de la Justice Otto E. Lang a affirmé que « ce projet de loi cherche à augmenter la protection de la vie privée au Canada en rendant illégale, de façon générale, l’utilisation de toute une série de dispositifs qui peuvent intercepter les conversations des gens contre leur gré » (Débats de la Chambre des communes, vol. IV, 1re sess., 29e lég., 8 mai 1973, p. 3538, à propos du projet de loi C‑176).
[88] Peu après l’édiction de la partie VI, la Cour suprême de l’Alberta, division d’appel, dans l’arrêt McQueen, a décrit la mesure législative comme étant [traduction] « l’aboutissement de vastes et longs efforts visant à imposer un certain contrôle législatif sur le recours sans distinction à des pratiques appelées communément écoute électronique, qui requiert du matériel spécial [. . .] utilisé à l’insu de la personne faisant l’objet d’une surveillance » (p. 268). Comme la juge Côté l’a souligné plus récemment dans l’arrêt Jones de notre Cour, « l’adoption de la partie VI était motivée par les inquiétudes que soulevaient l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants ainsi que l’incidence de ceux‑ci sur la vie privée des citoyens » (par. 73; voir aussi Duarte, p. 43‑44; Lyons c. La Reine, 1984 CanLII 30 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 633, p. 664; R. c. Pires, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, par. 8; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 26; TELUS Communications, par. 2 et 45). Les moyens technologiques modernes de surveillance électronique, « s’ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privée » (Jones, par. 74, citant Wong, p. 47; voir aussi R. c. Hafizi, 2023 ONCA 639, 168 O.R. (3d) 435, par. 110‑113). L’objet de la partie VI est donc d’imposer des mesures de contrôle sur l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants qui menacent de porter atteinte à la vie privée des gens.
[89] Suivant l’al. 184(1)a), dans la partie VI, constitue un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans le fait qu’une personne « intercepte sciemment une communication privée » par l’utilisation « d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre ». L’article 183 définit ainsi les termes « communication privée », « dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre » et « intercepter » pour l’application de la partie VI :
communication privée Communication orale ou télécommunication dont l’auteur se trouve au Canada, ou destinée par celui‑ci à une personne qui s’y trouve, et qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée par un tiers. La présente définition vise également la communication radiotéléphonique traitée électroniquement ou autrement en vue d’empêcher sa réception en clair par une personne autre que celle à laquelle son auteur la destine.
. . .
dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre Tout dispositif ou appareil utilisé ou pouvant être utilisé pour intercepter une communication privée. La présente définition exclut un appareil de correction auditive utilisé pour améliorer, sans dépasser la normale, l’audition de l’utilisateur lorsqu’elle est inférieure à la normale.
. . .
intercepter S’entend notamment du fait d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d’une communication ou de sa substance, son sens ou son objet.
[90] Le paragraphe 184(2) prévoit une exonération de la responsabilité criminelle prévue au par. 184(1) dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une partie à la communication privée consent à l’interception ou que cette dernière est autorisée par voie judiciaire (al. 184(2)a) et b); voir E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), § 4:3; M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 12.2 et 12.12).
[91] Même lorsqu’un des participants consent à l’interception, une autorisation judiciaire préalable est requise en vertu de l’art. 184.2 pour permettre le recours à ce qu’on appelle la « surveillance participative » comme technique d’enquête. Dans les situations où aucun des participants à une communication privée ne consent à l’interception, les art. 185 et 186 établissent les exigences d’une demande d’autorisation judiciaire pour ce qu’on appelle la « surveillance électronique par un tiers » sous le régime de la partie VI (voir Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 12.54; R. c. Bordage, 2000 CanLII 6273 (C.A. Qc); R. c. Largie, 2010 ONCA 548, 101 O.R. (3d) 561, par. 39‑58).
[92] Comme notre Cour l’a souligné, « [e]n comparaison des conditions prévues par d’autres dispositions du Code [criminel] se rapportant aux fouilles, saisies, perquisitions et mandats, [les dispositions de la partie VI] comportent des exigences plus strictes au titre de la protection de la vie privée » (TELUS Communications, par. 27, la juge Abella). Par exemple, l’al. 186(1)b) exige que « d’autres méthodes d’enquête [aient] été essayées et [aient] échoué, ou [aient] peu de chance de succès, ou que l’urgence de l’affaire [soit] telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête ». La police doit démontrer qu’il n’y avait « aucune autre méthode d’enquête raisonnable, dans les circonstances de l’enquête criminelle considérée » (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 29 (soulignement omis), cité dans TELUS Communications, par. 28).
[93] En vertu de l’art. 184.4, la « disposition sur l’écoute électronique en cas d’urgence », un policier peut intercepter une communication privée sans autorisation judiciaire préalable si : a) il a des motifs raisonnables de croire qu’une interception immédiate est nécessaire pour empêcher un acte illicite qui causerait des dommages sérieux à une personne ou à un bien; b) une autorisation judiciaire ne peut être obtenue avec toute la diligence raisonnable; et c) l’auteur de la communication ou la personne à laquelle elle est destinée est soit la personne qui commettrait l’acte illicite, soit la personne qui subirait les dommages causés par celui‑ci (voir Tse, par. 1‑2).
b) Application
[94] Monsieur Campbell affirme que la technique d’enquête des policiers qui consistait à participer à une conversation par messages textes avec lui en se faisant passer pour M. Gammie constituait une « interception » des communications privées de M. Campbell au moyen d’un dispositif, à savoir le téléphone cellulaire de M. Gammie. Il soutient que notre Cour devrait adopter une approche large et fonctionnelle pour décider si la partie VI du Code criminel s’applique. Suivant cet argument, les policiers en l’espèce ont commis une infraction criminelle en utilisant le téléphone de M. Gammie pour poursuivre la conversation par messages textes avec Dew.
[95] Je reconnais que l’étendue du terme « interception » ne devrait pas recevoir une interprétation formaliste de façon à rendre la partie VI « inutile en matière de protection du droit à la vie privée dans le cas des nouveaux moyens technologiques de communication textuelle électronique qui génèrent et sauvegardent des copies des communications privées dans le cadre du processus de transmission » (TELUS Communications, par. 33; voir aussi le par. 34). Néanmoins, à mon avis, la partie VI ne s’applique pas en l’espèce parce que les policiers n’ont pas utilisé un dispositif faisant appel à un moyen technologique de surveillance envahissant. Il s’agit d’une condition préalable d’une interception au sens de la partie VI.
[96] Comme l’a souligné la juge Côté dans l’arrêt Jones, « l’interception correspond aux actes accomplis par un tiers qui s’interpose en temps réel dans le processus de communication en recourant à des moyens technologiques » (par. 72 (je souligne)). La partie VI exige [traduction] « l’utilisation d’un “dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre”, autre qu’un appareil de correction auditive (c.‑à‑d., pas simplement l’oreille nue) » (Ewaschuk, § 4:7 (italique omis); voir aussi S. C. Hutchison et autres, Search and Seizure Law in Canada (feuilles mobiles), § 4:15 et 4:17; Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 12.2 (« au moyen d’un dispositif technique »)).
[97] À titre d’exemple, dans l’arrêt R. c. Beairsto, 2018 ABCA 118, 68 Alta. L.R. (6th) 207, que le juge du procès a cité avec approbation en l’espèce (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 104) et qui porte sur des faits semblables à ceux de la présente affaire, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’à moins que la police n’utilise un moyen technologique de surveillance envahissant, une tromperie ou ruse policière ne constitue pas une interception au sens de la partie VI. Dans l’affaire Beairsto, la police a saisi le téléphone cellulaire d’un suspect accessoirement à son arrestation. Lors de la saisie, un agent a remarqué que le téléphone n’était pas verrouillé et a vu une conversation par messages textes en cours où il semblait être question de trafic de drogue. L’agent a participé à la conversation par messages textes sur le téléphone saisi et un autre dispositif, amenant l’autre partie, par la ruse, à lui envoyer un kilogramme de cocaïne, ce qui a conduit à l’arrestation de cette partie. La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que la conduite policière n’était pas une interception au sens de la partie VI parce que, sans utilisation d’un moyen technologique de surveillance envahissant, [traduction] « une tromperie n’équivaut pas à une interception » (par. 24). Comme l’a expliqué la cour :
[traduction] . . . il est important de faire la distinction entre la divulgation de communications privées qui ont été trouvées et l’interception de communications privées. Lorsqu’une enquête comporte une tromperie de base quant à la personne avec laquelle l’appelant communique, et qu’il n’y a pas de moyens technologiques envahissants qui équivalent à une « interposition » entre le destinataire et l’expéditeur, aucune interception n’est établie. [par. 25]
[98] La nécessité d’un « dispositif ou appareil » distinct qui effectue l’interception par des moyens technologiques subreptices ressort également du contexte législatif pertinent, notamment la disposition relative à l’autorisation judiciaire, l’art. 186. Le paragraphe 186(5.1) prévoit que « l’autorisation est assortie du pouvoir d’installer secrètement un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre et de l’entretenir et l’enlever secrètement ». De même, le par. 186(5.2) ajoute que le juge qui a donné l’autorisation visée au par. 186(5.1) peut plus tard donner une deuxième autorisation « permettant que » le dispositif « soit enlevé secrètement » après l’expiration de la première autorisation. Un « dispositif ou appareil » ne peut être installé, entretenu ou enlevé que s’il est distinct du moyen de communication que son utilisation vise à intercepter.
[99] En communiquant avec M. Campbell, les policiers ne se sont pas servis d’un « dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre » de nature envahissante qui pouvait être « utilisé ou pouvant être utilisé pour intercepter une communication privée ». Ils ont simplement répondu aux messages textes reçus sur le téléphone de M. Gammie, le même moyen de communication ou dispositif que M. Campbell avait utilisé pour établir la communication. Bien que constituant à première vue une intrusion dans l’attente raisonnable au respect de la vie privée de M. Campbell, cela n’a pas nécessité l’utilisation d’un moyen technologique de surveillance secrète, contrairement à ce qu’exige la partie VI.
c) Conclusion
[100] Les policiers n’ont pas effectué une interception au sens de la partie VI du Code criminel.
(2) La fouille n’était pas accessoire à une arrestation légale
[101] La Couronne soutient que les policiers n’ont pas enfreint l’art. 8 de la Charte parce que la technique d’enquête policière qui consistait à participer à une conversation par messages textes avec M. Campbell à l’aide du téléphone de M. Gammie constituait une fouille légale accessoire à l’arrestation de ce dernier. Selon la Couronne, les policiers avaient le droit de fouiller le téléphone de M. Gammie accessoirement à son arrestation afin de localiser et d’arrêter un autre suspect après avoir pris connaissance d’une transaction de drogue imminente.
[102] Je n’accepte pas cet argument, qui ne semble pas avoir été soulevé devant les juridictions inférieures. À mon avis, la fouille du téléphone de M. Gammie n’était pas une fouille légale accessoire à l’arrestation, car il ne s’agissait ni d’une fouille strictement accessoire à l’arrestation de M. Gammie ni d’une fouille visant à recueillir des éléments de preuve contre un autre auteur de l’infraction pour laquelle M. Gammie avait été arrêté.
a) Principes juridiques
[103] La police a le pouvoir en common law de fouiller une personne accessoirement à une arrestation légale et de saisir les objets en sa possession ou se trouvant dans l’espace environnant l’arrestation, dans le but d’assurer la sécurité des policiers et de la personne en état d’arrestation, d’empêcher l’évasion de cette dernière ou encore de constituer une preuve contre elle (R. c. Stairs, 2022 CSC 11, [2022] 1 R.C.S. 169, par. 34; Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158, p. 180‑181). Ce pouvoir est « extraordinaire » parce qu’il ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables (Stairs, par. 34, citant Fearon, par. 16 et 45). Il exige simplement « un motif raisonnable » de faire ce que la police a fait (Caslake, par. 20).
[104] Une fouille accessoire à une arrestation est légale si : (1) l’arrestation elle‑même était légale; (2) la fouille était véritablement accessoire à l’arrestation, en ce qu’elle visait un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation; et (3) la fouille n’était pas abusive (Fearon, par. 21 et 27; Stairs, par. 35). Les objectifs valables d’application de la loi comprennent les suivants : assurer la sécurité des policiers ou du public, empêcher la destruction d’éléments de preuve et découvrir des éléments de preuve qui pourraient être utilisés au procès (Fearon, par. 75; Stairs, par. 36).
[105] Dans l’arrêt Fearon, le juge Cromwell a conclu que le pouvoir policier de fouiller un téléphone cellulaire accessoirement à une arrestation légale « doit être exercé avec une grande circonspection » (par. 80) et il ne peut être exercé que dans des circonstances limitées (par. 83). Les policiers peuvent fouiller un téléphone cellulaire accessoirement à une arrestation « pourvu que la fouille — ce que l’on fouille et la façon de le faire — soit strictement accessoire à l’arrestation et que les policiers conservent des notes détaillées de ce qu’ils ont fouillé et des raisons pour le faire » (par. 4 (je souligne)). Le juge Cromwell a souligné que la fouille doit « viser un objectif valable d’application de la loi lié à l’infraction pour laquelle le suspect a été arrêté », ce qui « empêche que les téléphones cellulaires soient inspectés couramment et d’une manière trop générale » (par. 57 (je souligne)).
b) Application
[106] La Couronne fait valoir que les policiers avaient pour objectif d’application de la loi de préserver la sécurité publique puisque les quatre premiers textos apparaissant sur le téléphone de M. Gammie ont averti les policiers d’une possible vente d’héroïne additionnée de fentanyl, ce qui posait un risque grave pour la sécurité publique. La Couronne soutient que la conversation par messages textes qui a suivi entre les policiers et M. Campbell était accessoire à l’arrestation légale de M. Gammie et s’inscrivait dans la poursuite de cet objectif de sécurité publique. La Couronne cite, à l’appui, les propos du juge Cromwell dans l’arrêt Fearon, selon lesquels « [u]ne fouille d’un téléphone cellulaire effectuée rapidement peut mener les enquêteurs à d’autres auteurs du crime et à des biens volés qu’on peut facilement faire disparaître » (par. 67 (je souligne)). La Couronne affirme que c’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[107] Je ne suis pas de cet avis. La fouille du téléphone cellulaire de M. Gammie n’était pas une fouille « strictement » liée à son arrestation ou à l’infraction pour laquelle il a été arrêté. Il s’agissait d’une fouille visant à recueillir des éléments de preuve contre un autre trafiquant de drogues suspecté, Dew, qui s’est avéré être M. Campbell. Monsieur Campbell n’était pas non plus « un autre auteur » de l’infraction pour laquelle M. Gammie a été arrêté. Monsieur Campbell a plutôt été arrêté pour des infractions distinctes de trafic et de possession de drogues.
c) Conclusion
[108] La conversation par messages textes que les policiers ont eue avec M. Campbell au moyen du téléphone de M. Gammie n’était pas une fouille légale accessoire à l’arrestation de M. Gammie.
(3) La fouille était justifiée par « l’urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat
[109] Enfin, la Couronne fait valoir que la fouille du téléphone cellulaire de M. Gammie était justifiée par « l’urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat au titre du par. 11(7) de la LRCDAS. La Couronne soutient que les policiers devaient intervenir immédiatement parce qu’ils soupçonnaient raisonnablement que la drogue offerte en vente par Dew était de l’héroïne additionnée de fentanyl, et que si les policiers n’étaient pas intervenus, la drogue en question aurait fait l’objet de façon imminente d’un trafic au sein de la collectivité. Monsieur Campbell répond que le juge du procès et la Cour d’appel ont commis une erreur dans leur application du test relatif à l’urgence visé au par. 11(7), tel qu’il a été interprété par notre Cour dans l’arrêt faisant autorité R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202.
[110] Je suis d’accord avec la Couronne. Selon moi, les conclusions du juge du procès reposaient sur la preuve et respectaient cumulativement le seuil légal visé au par. 11(7).
a) Principes juridiques
(i) Le paragraphe 11(7) de la LRCDAS
[111] Le paragraphe 11(1) de la LRCDAS autorise le juge de paix à délivrer un mandat autorisant à perquisitionner en un lieu pour y saisir une substance désignée. Exceptionnellement, le par. 11(7) autorise l’agent de la paix à perquisitionner en ce lieu sans mandat si les conditions de délivrance d’un mandat sont réunies, mais que « l’urgence de la situation » rend son obtention « difficilement réalisable ». Les paragraphes 11(1) et (7) prévoient :
11 (1) Le juge de paix qui, sur demande ex parte, est convaincu sur la foi d’une dénonciation faite sous serment qu’il existe des motifs raisonnables de croire à la présence, en un lieu, d’un ou de plusieurs des articles énumérés ci‑dessous peut délivrer à un agent de la paix un mandat l’autorisant, à tout moment, à perquisitionner en ce lieu et à les y saisir :
a) une substance désignée ou un précurseur ayant donné lieu à une infraction à la présente loi;
b) une chose qui contient ou recèle une substance désignée ou un précurseur visé à l’alinéa a);
c) un bien infractionnel;
d) une chose qui servira de preuve relativement à une infraction à la présente loi ou, dans les cas où elle découle en tout ou en partie d’une contravention à la présente loi, à une infraction prévue aux articles 354 ou 462.31 du Code criminel.
. . .
(7) L’agent de la paix peut exercer sans mandat les pouvoirs visés aux paragraphes (1), (5) ou (6) lorsque l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les conditions de délivrance en soient réunies.
(ii) Le paragraphe 11(7) établit deux exigences
[112] Dans l’arrêt Paterson, le juge Brown a considéré que le par. 11(7) comportait deux exigences. Premièrement, il faut démontrer « l’urgence de la situation », qui « dénote non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie, mais plutôt d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public » (par. 33). Deuxièmement, il faut démontrer que les conditions de délivrance d’un mandat étaient réunies, mais que l’urgence de la situation « rend[ait] l’obtention d’un mandat “difficilement réalisable” », c’est‑à‑dire « impossible dans les faits ou inenvisageable » (par. 34 et 36; voir aussi le par. 28). Par conséquent, « [i]l faut [. . .] établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable » (par. 34). Le juge Brown a résumé comme suit les deux exigences du par. 11(7) :
. . . pour qu’une entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison de l’existence d’une urgence commandant une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. De plus, il faut démontrer que cette urgence était telle que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs. [par. 37]
(iii) Le seuil de preuve : des motifs raisonnables et probables
[113] Comme l’ont fait valoir la Couronne et l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario), les policiers doivent avoir des motifs raisonnables et probables, plutôt que de simples soupçons raisonnables, pour invoquer l’urgence prévue au par. 11(7). La norme plus exigeante des motifs raisonnables et probables contribue à garantir que la police n’est pas trop facilement dispensée de l’obligation d’obtenir un mandat, compte tenu des intérêts en matière de vie privée et de liberté en jeu lors de la mise en balance avec la nécessité de l’application de la loi (voir R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, p. 240‑243; R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 31 et 41; Tse, par. 33; Fearon, par. 69‑73; R. c. Hobeika, 2020 ONCA 750, 153 O.R. (3d) 350, par. 43).
[114] La norme des motifs raisonnables et probables exige que la Couronne établisse que l’urgence invoquée était raisonnablement probable d’après l’expérience et l’expertise des policiers et les faits pertinents dont ils étaient saisis; elle n’exige pas que la Couronne établisse l’urgence selon la prépondérance des probabilités (voir R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 72, au sujet de la norme des motifs raisonnables et probables de procéder à une arrestation sans mandat). La Couronne doit démontrer que la croyance raisonnable des policiers selon laquelle il y avait urgence était [traduction] « objectivement fondée sur les circonstances de l’affaire » (R. c. Pawar, 2020 BCCA 251, 393 C.C.C. (3d) 408, par. 73; voir aussi le par. 79; Beaver, par. 72; Hobeika, par. 45). Les points de vue subjectifs des policiers doivent avoir été objectivement raisonnables (Beaver, par. 72; R. c. McCormack, 2000 BCCA 57, 133 B.C.A.C. 44, par. 25). Une crainte vague, conjecturale ou générale qu’un report de la fouille jusqu’à l’obtention d’un mandat entraîne la perte d’éléments de preuve ne respecte pas le seuil relatif à l’urgence (Pawar, par. 72).
(iv) La norme de contrôle en appel
[115] L’appréciation de la preuve et les conclusions de fait du juge du procès dans l’application du par. 11(7) commandent une « grande retenue » en appel (voir R. c. Cornell, 2010 CSC 31, [2010] 2 R.C.S. 142, par. 25; Hobeika, par. 45). Toutefois, la question de savoir si les faits constatés par le juge du procès satisfont à la norme légale relative à l’urgence prévue au par. 11(7) est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 20; R. c. Dussault, 2022 CSC 16, [2022] 1 R.C.S. 306, par. 26; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 60). Comme l’a souligné notre Cour, « [l]a question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de craindre pour la sécurité ou de craindre que des éléments de preuve ne soient détruits ne doit pas être examinée [traduction] “à la lumière de ce qu’on sait aujourd’hui” » (Cornell, par. 23, citant Crampton c. Walton, 2005 ABCA 81, 40 Alta. L.R. (4th) 28, par. 45). Les tribunaux ne devraient pas remettre en question les décisions opérationnelles raisonnables prises par les policiers (Hobeika, par. 52, citant Cornell, par. 24 et 36).
b) Application
[116] Comme l’a souligné la Cour d’appel, [traduction] « [l]e juge du procès s’est livré à un examen approfondi de la preuve » concernant l’urgence de la situation et l’obtention difficilement réalisable d’un mandat qu’exige le par. 11(7) de la LRCDAS (par. 76). En appliquant l’arrêt Paterson de notre Cour, le juge du procès a conclu :
[traduction] . . . je conclus qu’il y avait urgence dans la présente affaire. Sans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque. Les textos indiquent que « Dew » était déjà impatient. À ce moment de la journée, seul un télémandat aurait pu être obtenu, mais, en tout état de cause, celui‑ci serait probablement arrivé trop tard pour permettre de conclure cette transaction. La probabilité que la transaction concerne du fentanyl et les effets dévastateurs de cette drogue sur la collectivité en font une question de sécurité publique.
(motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100)
[117] À l’instar de la Cour d’appel, je ne relève aucune erreur dans l’analyse du juge du procès. Ce dernier a tiré des conclusions précises quant à la nécessité d’une intervention policière immédiate afin de protéger la sécurité publique et à l’obtention difficilement réalisable d’un mandat, lesquelles respectaient cumulativement la norme légale prévue au par. 11(7). Je vais examiner à tour de rôle chacune de ces conclusions.
(i) La situation concernait une vente de drogue suspectée requérant une intervention policière immédiate
[118] Le juge du procès a accepté que les policiers avaient cru raisonnablement se trouver dans une situation urgente relative à une vente de drogue suspectée qui requérait une intervention policière immédiate. Si les policiers n’étaient pas intervenus, M. Campbell aurait interrompu la vente à M. Gammie et aurait de façon imminente vendu la drogue ailleurs au sein de la collectivité. Les policiers devaient donc agir rapidement. Comme l’a conclu le juge du procès, « [s]ans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque. Les textos indiquent que “Dew” était déjà impatient » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100).
[119] Les conclusions du juge du procès étaient étayées par les dépositions des policiers lors du voir‑dire. Par exemple, l’agent Orok a témoigné que, d’après les quatre premiers textos de Dew et son expérience des enquêtes sur les transactions de drogue, la situation était urgente. L’agent Orok a souligné que Dew avait texté qu’il ne voulait pas se promener en voiture avec la drogue et qu’une fois qu’il aurait appris que M. Gammie avait été arrêté, il ne communiquerait pas avec M. Gammie ni n’apporterait la drogue à Guelph pour la lui vendre :
[traduction]
Q. Il n’y avait aucune urgence dans le message texte.
R. Excepté que la personne dit ne pas vouloir se promener en voiture avec, ce qui constitue une urgence.
Q. D’accord, mais cela pourrait vouloir dire que cette personne va se promener avec pendant un mois, deux semaines, c’est exact?
R. Eh bien, [d’après] mon expérience, un vendeur de drogues ne veut pas se promener avec de l’héroïne dans ses poches, ou dans son véhicule, pendant des mois, ni pendant des heures d’ailleurs.
. . .
Q. D’accord. Vous seriez d’accord avec moi pour dire qu’il n’y avait aucune urgence du point de vue de votre enquête à ce moment‑là.
R. Je dirais qu’il y avait urgence. Une fois que l’arrestation de M. Gammie serait connue, cette personne ne se rendrait pas à Guelph, elle ne communiquerait plus avec M. Gammie. [Je souligne.]
(d.a., partie V, vol. I, p. 241‑242)
[120] Le sergent Bair était du même avis. Il a témoigné que les textos de Dew indiquaient qu’il était impatient et qu’il ne voulait pas conduire son véhicule avec la drogue, et que si M. Gammie prenait trop de temps à répondre, Dew vendrait celle‑ci ailleurs dans la collectivité, puisque les trafiquants [traduction] « ne trafiquent pas auprès d’une seule personne » (d.a., partie V, vol. I, p. 59). Il a expliqué que [traduction] « Dew ne trafiquait probablement pas uniquement auprès de Gammie » et que, comme la plupart des trafiquants de drogues, il « trafiqu[ait] probablement auprès d’autres personnes » (p. 96). À son avis, Dew [traduction] « se livrerait probablement au trafic de cette drogue auprès de Gammie, ou si ce n’était pas auprès de Gammie, auprès de quelqu’un d’autre, ce qui entraînerait des décès dans la collectivité » (p. 96).
[121] Au vu de cette preuve, je ne vois aucun motif de mettre en doute la conclusion du juge du procès selon laquelle la situation requérait une intervention policière immédiate parce qu’elle concernait un trafiquant de drogues impatient qui s’attendait à vendre sa drogue de façon imminente, que ce soit à M. Gammie ou à quelqu’un d’autre. Les policiers avaient interrompu la vente que Dew prévoyait effectuer auprès de M. Gammie et devaient faire face à l’impatience exprimée par Dew et à son souhait de ne pas se promener en voiture avec la drogue. Si les policiers n’avaient pas agi immédiatement, la drogue aurait de façon imminente fait l’objet d’un trafic ailleurs dans la collectivité.
[122] Je n’accepte pas non plus l’argument de M. Campbell selon lequel la Cour d’appel a examiné les motifs du juge du procès au regard de la mauvaise norme légale relative à l’urgence au titre du par. 11(7). La Cour d’appel a affirmé que, si les policiers n’avaient pas intercepté cette transaction, [traduction] « [l]a drogue aurait été hors de portée de la police et vendue à quelqu’un d’autre à un autre moment et serait finalement parvenue aux consommateurs dans la rue » (par. 83 (je souligne)). Monsieur Campbell soutient que les mots « à un autre moment » et « finalement » ne satisfont pas à la norme élevée énoncée dans l’arrêt Paterson, suivant laquelle l’urgence de la situation doit requérir « une intervention immédiate des policiers » (par. 33) pour prévenir « un risque imminent » (par. 32, citant Grant, p. 243).
[123] Je conviens que, pris isolément, les mots « à un autre moment » et « finalement » n’expriment pas correctement le seuil légal relatif à l’urgence envisagé dans l’arrêt Paterson. Néanmoins, la Cour d’appel a appliqué la bonne norme légale, laquelle consiste à se demander si la situation requérait une intervention policière immédiate. Dans le paragraphe suivant, la Cour d’appel a accepté que [traduction] « le juge du procès a conclu qu’une intervention immédiate était requise » (par. 84 (je souligne, italique omis)). Le juge du procès avait lui‑même appliqué la norme relative à l’urgence énoncée dans l’arrêt Paterson et avait conclu que « [s]ans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100 (je souligne)). Je ne vois donc aucune erreur dans la façon dont la Cour d’appel a appliqué la norme relative à l’urgence énoncée dans l’arrêt Paterson.
[124] En l’espèce, les policiers devaient agir immédiatement pour intercepter la vente de la drogue en question afin d’empêcher qu’elle fasse l’objet d’un trafic au sein de la collectivité de façon imminente. La Couronne n’avait pas à établir que les policiers disposaient d’une preuve indiquant que Dew avait prévu une autre vente en particulier si la vente à M. Gammie tombait à l’eau.
[125] Enfin, je suis d’accord que la police ne peut pas élaborer une stratégie d’enquête permettant de créer une situation d’urgence afin de procéder sans mandat. Dans certains cas, [traduction] « [s]i la stratégie policière crée la prétendue urgence, il ne s’agit pas d’une situation d’“urgence”, mais d’une situation prévue, voire planifiée par la police » (Hobeika, par. 49, le juge Doherty, citant R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, par. 49‑53 et 84‑86, le juge La Forest, dissident, et R. c. Phoummasak, 2016 ONCA 46, 350 C.R.R. (2d) 370, par. 15‑18). En l’espèce, toutefois, après les quatre premiers messages textes de Dew, les policiers [traduction] « étaient en présence d’un crime en cours » (R. c. Webster, 2015 BCCA 286, 374 B.C.A.C. 129, par. 90; voir aussi R. c. Hunter, 2015 BCCA 428, 378 B.C.A.C. 165, par. 30). Par conséquent, les policiers ont réagi à la situation d’urgence, mais ne l’ont pas créée.
(ii) Les policiers soupçonnaient que la drogue était de l’héroïne additionnée de fentanyl, ce qui posait un risque grave pour la sécurité publique
[126] Le juge du procès a conclu que [traduction] « l’ensemble de la preuve appuie la conclusion selon laquelle les policiers pensaient qu’ils avaient affaire à une transaction liée à de l’héroïne, probablement additionnée de fentanyl » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 92). Il a affirmé que [traduction] « [l]es trois policiers qui ont vu les [quatre] textos [de Dew] et qui en ont parlé ont toujours considéré que le produit en question était de l’héroïne et du fentanyl. Leur crédibilité n’a pas été attaquée en contre‑interrogatoire. Il n’y a aucune raison de rejeter leur témoignage » (par. 93). Il a conclu que les policiers croyaient qu’il existait une « probabilité que la transaction concerne du fentanyl », ce qui, en raison des « effets dévastateurs de cette drogue sur la collectivité en f[aisait] une question de sécurité publique » (par. 100).
[127] La preuve appuyait la conclusion du juge du procès selon laquelle les quatre premiers textos de Dew, qui renvoyaient à « 1250 pour cette moitié‑là », concernaient probablement de l’héroïne additionnée de fentanyl. Le sergent Bair a raisonnablement inféré que l’expression « 1250 pour cette moitié‑là » concordait avec un bas prix pour de l’héroïne. Il a témoigné qu’une demi‑once d’héroïne se vendait environ 1 400 $, alors qu’une once de cocaïne se vendait 1 800 $ et que le prix d’une once de méthamphétamine en cristaux variait entre 600 $ et 900 $ (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 54). Il savait également, d’après son expérience, que 75 p. 100 de l’héroïne saisie par la police dans la région de Guelph en 2017 était additionnée de fentanyl. De plus, deux informateurs confidentiels avaient avisé la police que M. Gammie vendait de l’héroïne ou peut‑être de l’héroïne et du fentanyl. Par conséquent, le sergent Bair a cru raisonnablement que la transaction concernait [traduction] « fort probablement » de l’héroïne additionnée de fentanyl (d.a., partie V, vol. I, p. 20).
[128] De même, l’agent Hunt a témoigné que deux informateurs confidentiels fiables l’avaient avisé que M. Gammie se livrait au trafic de la cocaïne, de l’héroïne et de la méthamphétamine en cristaux, et qu’un informateur confidentiel avait inclus le fentanyl dans la liste. L’agent Orok a témoigné que, sur la base de renseignements d’informateurs confidentiels, il a cru que M. Gammie faisait le commerce de l’héroïne.
[129] J’estime non fondé l’argument de M. Campbell selon lequel le juge du procès s’est livré à des inférences [traduction] « douteuses » en concluant que les policiers avaient des motifs raisonnables et probables de croire que la transaction concernait de l’héroïne additionnée de fentanyl (m.a., par. 47). Monsieur Campbell affirme que les policiers [traduction] « ignorai[ent] qui était “Dew” et ne savai[ent] rien sur lui en tant que trafiquant de drogues », et qu’ils « n’avai[ent] aucun moyen de savoir si l’héroïne en question contenait du fentanyl et, si oui, quelle quantité » (par. 47 (italique omis)). Cet argument exige erronément que les policiers établissent qu’ils avaient la certitude que la drogue comportait du fentanyl, plutôt que des motifs raisonnables et probables. À mon avis, les policiers avaient de tels motifs.
[130] Je ne vois donc aucun motif de mettre en doute la conclusion du juge du procès selon laquelle [traduction] « [d]’après cette preuve, [. . .] les policiers ont cru que la transaction de drogue concernait de l’héroïne additionnée de fentanyl » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 96).
[131] Tout aussi inattaquable est la conclusion du juge du procès selon laquelle les policiers ont cru raisonnablement que cette transaction de drogue faisait ressortir un besoin de protection de la sécurité publique en raison de « [l]a probabilité que la transaction concerne du fentanyl et [d]es effets dévastateurs de cette drogue sur la collectivité » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100). Le sergent Bair a souligné les ravages causés par le fentanyl en Ontario et, plus précisément, à Guelph. En 2017, plus de personnes sont mortes en Ontario d’une surdose de fentanyl que des suites d’un accident de voiture. De plus, les taux de décès et d’hospitalisation en raison d’une surdose d’opioïdes étaient plus élevés à Guelph que la moyenne provinciale, et le fentanyl était en cause dans 65 p. 100 des décès liés aux opioïdes à Guelph. La police de Guelph a accordé un intérêt particulier aux enquêtes sur le fentanyl afin de [traduction] « sauver des vies » (d.a., partie V, vol. I, p. 11).
[132] Les graves dangers que pose le trafic de fentanyl ont été mis en relief par le juge Moldaver dans l’arrêt R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 94‑97, mais méritent d’être rappelés. Le fentanyl est un analgésique et un sédatif opioïde créant une forte dépendance et extrêmement puissant qui devrait être administré en milieu médical. On estime qu’il est jusqu’à 100 fois plus puissant que la morphine et environ 25 à 50 fois plus puissant que l’héroïne. Une dose létale peut être inférieure à deux milligrammes, soit environ la taille d’un seul grain de sel. Le fentanyl est par ailleurs beaucoup moins cher que d’autres drogues, de sorte que les trafiquants de drogues en mélangent souvent de petites quantités à d’autres drogues pour créer un produit moins cher dont les effets sont similaires, augmentant ainsi considérablement leurs profits. Comme il est visuellement impossible à distinguer d’autres drogues dures, le fentanyl expose les consommateurs de drogues vulnérables à des risques graves, notamment des lésions cérébrales, des lésions organiques, le coma et la mort. Au cours de la dernière décennie, les décès liés au fentanyl ont augmenté de façon spectaculaire partout au Canada, ce qui a mené à ce que plusieurs tribunaux ont décrit comme une « crise nationale » (par. 96). Pour rappeler la mise en garde formulée par le juge Moldaver, « [a]ussi grave que soit la menace que représentent des drogues comme l’héroïne et la cocaïne, cette menace n’est rien en comparaison de celle que représentent le fentanyl et ses analogues. [. . .] [L]e fentanyl a modifié le paysage de la crise de la toxicomanie au Canada, se révélant l’ennemi public numéro un » (par. 93).
[133] Bien qu’il ne conteste pas les dangers du fentanyl, M. Campbell soulève deux objections à l’égard de la conclusion selon laquelle il y avait une situation d’urgence.
[134] Premièrement, M. Campbell affirme que la Cour d’appel a examiné la conclusion du juge du procès sur l’urgence au regard de la norme de la décision raisonnable plutôt que de celle de la décision correcte. Il met en doute l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle « [b]ien que la conclusion du juge du procès s’appuie sur certains impondérables, elle n’était pas indûment conjecturale ni déraisonnable » (par. 83 (je souligne)).
[135] Je ne retiens pas cet argument. La Cour d’appel dans le paragraphe contesté a examiné plus particulièrement la question de savoir si la preuve dont était saisi le juge du procès lui permettait de tirer la conclusion de fait selon laquelle les policiers avaient agi dans le but de protéger la sécurité publique. La cour a statué que la conclusion du juge du procès était une conclusion [traduction] « qu’il lui était loisible de tirer à la lumière de la preuve » (par. 83). Bien que l’emploi du mot « déraisonnable » ne puisse avoir indiqué que la norme de contrôle applicable était celle de l’erreur manifeste et déterminante, je ne vois aucun motif d’intervenir en appel. Comme la conclusion du juge du procès n’était ni indûment conjecturale ni déraisonnable, il ne s’agissait pas d’une erreur manifeste et déterminante.
[136] Deuxièmement, M. Campbell affirme que le raisonnement du juge du procès crée de fait une « exception relative au fentanyl » à la norme de l’urgence, norme qui serait respectée dans tous les cas de trafic suspecté de drogues dangereuses. Il soutient qu’une conclusion d’urgence de la situation doit être exceptionnelle, et que, [traduction] « si la norme relative à l’urgence de la situation appliquée en l’espèce devait être validée, la police n’aurait jamais besoin d’un mandat dans un cas mettant en cause une drogue dangereuse » (m.a., par. 48).
[137] Je reconnais que, [traduction] « [d]e par sa nature, une situation urgente est exceptionnelle et ne devrait être invoquée pour justifier une violation de la vie privée d’une personne que dans les cas où c’est nécessaire » (R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456, par. 35, le juge Rosenberg, citant R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 52). En même temps, je ne partage pas la crainte de M. Campbell selon laquelle la présence suspectée de fentanyl équivaut à elle seule à une situation d’urgence dans tous les cas. La conclusion d’urgence tirée par le juge du procès reposait à la fois sur la présence raisonnablement suspectée de fentanyl et sur la nécessité pour les policiers d’agir immédiatement en raison de l’impatience que Dew avait exprimée dans ses messages textes. Eu égard à l’ensemble des circonstances, le juge du procès pouvait conclure qu’il était raisonnablement justifié que les policiers considèrent que c’était une situation du type maintenant ou jamais qui exigeait qu’ils agissent immédiatement afin de protéger la sécurité publique.
[138] Si les faits avaient été différents, la conclusion aurait peut‑être été différente. Par exemple, si Dew avait envoyé un texto pour organiser une transaction de drogue le lendemain ou la semaine suivante, il n’y aurait peut‑être pas eu la même urgence. Selon les circonstances, les policiers auraient peut‑être été capables, et obligés, d’obtenir un mandat. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit dans ce cas‑ci. Si les policiers n’étaient pas intervenus immédiatement, la drogue mortelle que M. Campbell trafiquait aurait été hors de leur portée et aurait de façon imminente fait l’objet d’un trafic auprès de consommateurs de drogues vulnérables au sein de la collectivité.
[139] J’estime donc que le juge du procès a conclu à bon droit que la norme légale relative à l’urgence de la situation avait été respectée étant donné que les policiers se trouvaient dans une situation urgente requérant une intervention policière immédiate afin de protéger la sécurité publique.
(iii) Les conditions de délivrance d’un mandat étaient réunies, mais son obtention était difficilement réalisable
[140] Monsieur Campbell ne conteste pas sérieusement que les policiers avaient des motifs pour obtenir un mandat. Compte tenu des quatre premiers textos de Dew aperçus sur le téléphone de M. Gammie, les policiers avaient des motifs raisonnables et probables de croire que Dew avait l’intention de vendre de l’héroïne additionnée de fentanyl à M. Gammie. Monsieur Campbell a également concédé qu’il était difficilement réalisable pour les policiers d’obtenir un mandat dans les circonstances (transcription, p. 7). Comme l’a conclu le juge du procès, en fin d’après‑midi le 14 juin 2017, « seul un télémandat aurait pu être obtenu, mais, en tout état de cause, celui‑ci serait probablement arrivé trop tard pour permettre de conclure cette transaction » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100). Je ne vois aucun motif d’intervenir à l’égard de ces conclusions.
c) Conclusion
[141] Je conclus que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en statuant que les policiers avaient le pouvoir d’effectuer une fouille sans mandat en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS. Par conséquent, les policiers n’ont pas enfreint l’art. 8 de la Charte.
(4) La Cour devrait refuser d’examiner le nouvel argument de M. Campbell selon lequel le par. 11(7) de la LRCDAS ne s’applique pas à la fouille d’une conversation par messages textes
[142] Lors des plaidoiries dans le présent pourvoi, l’avocat de M. Campbell a brièvement soulevé un nouvel argument qui n’avait pas été soulevé devant les juridictions inférieures ni dans les arguments écrits présentés à notre Cour. Il a fait valoir que le par. 11(7) de la LRCDAS autorise seulement la fouille d’un « lieu », ce qui, a‑t‑il dit, ne s’étendait pas à la fouille de la conversation de M. Campbell par messages textes. Il a affirmé que la fouille effectuée en l’espèce pouvait être autorisée uniquement par un mandat général décerné en vertu de l’art. 487.01 du Code criminel, une disposition qui n’autorise pas la fouille sans mandat dans une situation d’urgence (transcription, p. 20 et 131‑132). L’avocate de la Couronne a répondu que, si un mandat général avait été requis, la fouille aurait été justifiée en vertu de la doctrine de common law de l’urgence de la situation (p. 105‑106).
[143] Selon moi, la Cour devrait refuser d’examiner ce nouvel argument soulevé pour la première fois lors des plaidoiries devant elle. Comme notre Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, les juridictions d’appel sont généralement réticentes à entendre de nouveaux arguments lorsqu’« elles sont privées de l’éclairage du tribunal de première instance » (R. c. J.F., 2022 CSC 17, [2022] 1 R.C.S. 330, par. 40). Les parties ne peuvent soulever de nouveaux arguments en appel qu’en présence de circonstances exceptionnelles, compte tenu, notamment, des éléments suivants : « . . . la teneur du dossier, l’équité envers toutes les parties, l’importance que la question soit résolue par [le tribunal], le fait que l’affaire se prête ou non à une décision et les intérêts de l’administration de la justice en général » (par. 41, citant Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, par. 20; voir aussi Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27, par. 204).
[144] En l’espèce, le nouvel argument de M. Campbell n’a pas été soulevé devant les juridictions inférieures ni dans ses observations écrites présentées à notre Cour. La question de l’urgence a été débattue devant tous les niveaux de juridiction uniquement sur la base du par. 11(7) de la LRCDAS. Il serait inapproprié de modifier la façon la cause est présentée au stade avancé où nous en sommes, compte tenu des intérêts de l’administration de la justice en général, dont le bénéfice pour notre Cour de disposer des motifs des juridictions inférieures et des observations écrites des parties et des intervenants sur les points de droit contestés.
C. Il n’est pas nécessaire d’examiner le par. 24(2) de la Charte
[145] Vu ma conclusion selon laquelle les policiers n’ont pas enfreint l’art. 8 de la Charte, il n’est pas nécessaire de décider si la preuve aurait dû être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte.
VI. Dispositif
[146] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
Le juge Rowe —
[147] Je souscris entièrement aux motifs et au dispositif de mon collègue le juge Jamal. Je rédige des motifs distincts uniquement en réponse au traitement que font mes collègues les juges Martin et Moreau de l’urgence de la situation et à leur analyse fondée sur le par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés dans leurs motifs dissidents.
I. L’arrêt Paterson est l’arrêt applicable concernant l’« urgence de la situation »
[148] Comme l’énonce le juge Jamal, le par. 11(7) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19 (« LRCDAS »), autorise les agents de la paix à perquisitionner sans mandat un lieu si les conditions de délivrance d’un mandat sont réunies, mais que « l’urgence de la situation » rend son obtention « difficilement réalisable » (par. 111).
[149] L’arrêt R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202, est le précédent applicable concernant l’urgence de la situation aux termes du par. 11(7). Mes collègues, dans leurs motifs dissidents, retracent l’historique de la règle de l’urgence de la situation avant et après l’adoption de la Charte. Selon elles, l’arrêt Paterson est un résumé de la jurisprudence existante et elles affirment qu’il n’établissait pas « un nouveau critère ni ne modifiait les normes à respecter pour démontrer l’existence d’une urgence selon les catégories établies » (par. 310). Mes collègues s’appuient sur les par. 32‑33 de l’arrêt Paterson pour appuyer ce point de vue (par. 310).
[150] Soit dit avec égards, cette caractérisation de l’arrêt Paterson ne lui donne pas dûment effet. Elle a plutôt pour effet de le remplacer par la formulation du droit que lui préfèrent mes collègues, ce qui pose problème sur le plan méthodologique. Supposons que je préfère la jurisprudence antérieure aux Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175 (« Renvois relatifs aux GES »). Si j’applique la méthode employée par mes collègues, je peux contourner le précédent qui ne me plaît pas en disant : « Les Renvois relatifs aux GES ne font qu’appliquer l’arrêt R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., 1988 CanLII 63 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 401. En conséquence, je vais m’appuyer sur l’arrêt Crown Zellerbach à titre de jurisprudence applicable et non sur les Renvois relatifs aux GES ». Une telle approche fragiliserait les précédents et ouvrirait la porte au sophisme dans l’argumentation juridique.
[151] Bien que le juge Brown dans l’arrêt Paterson ait fait référence à des décisions relatives à la notion d’urgence dans son interprétation du par. 11(7) de la LRCDAS, comme on pouvait s’y attendre, il a poursuivi en énonçant un cadre d’analyse relatif à l’urgence de la situation qui continue de s’appliquer (par. 32‑33 et 37).
[152] Les deux paragraphes de l’arrêt Paterson qu’ont identifiés mes collègues — les par. 32 et 33 — doivent être lus dans le contexte de la décision dans son ensemble. À l’issue de cet exercice, il est clair que la Cour dans l’arrêt Paterson avait deux objectifs : (1) répondre à un argument soulevé par l’appelant sur la relation entre le par. 11(7) de la LRCDAS et le par. 529.3(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (par. 29‑31); et (2) dégager un « thème commun » d’« urgence » en ce qui concerne les situations urgentes pour l’application du par. 11(7) (par. 33).
[153] Pour ce qui est du premier objectif, l’appelant dans l’arrêt Paterson a invité la Cour à incorporer la définition d’« urgence » du par. 529.3(2) du Code criminel dans le par. 11(7) de la LRCDAS (par. 30). Cette thèse a été rejetée (par. 31).
[154] Au paragraphe 32, le juge Brown a souligné que l’urgence de la situation a été reconnue dans des cas qui « s’apparentaient beaucoup » à ceux mentionnés dans la définition du par. 529.3(2). C’est dans ce contexte qu’il a examiné la jurisprudence existante :
Cela dit, l’« urgence de la situation » a été reconnue dans des cas qui s’apparentaient beaucoup à ceux mentionnés dans la définition du par. 529.3(2). Les décisions de la Cour relatives à l’application de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 (abrogée et remplacée par la LRCDAS), lequel disposait qu’une perquisition pouvait être effectuée sans mandat, sauf dans une maison d’habitation, lorsque l’agent de la paix croyait, pour des motifs raisonnables, à la perpétration d’une infraction en matière de stupéfiants, est éclairante. Dans l’arrêt R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223 (« Grant 1993 »), la Cour statue que cette disposition respecte l’art. 8 de la Charte lorsqu’elle fait l’objet d’une interprétation atténuée de façon à permettre la perquisition sans mandat seulement en situation d’urgence. La Cour opine qu’il y a situation d’urgence lorsqu’il existe « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée » (Grant 1993, p. 243; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 153, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente; R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, par. 51, le juge La Forest, dissident). De même, elle estime par ailleurs qu’il y a « situation d’urgence quand une action immédiate est requise pour assurer la sécurité des policiers » (Feeney, par. 52; voir également, relativement aux fouilles et aux perquisitions visant à assurer la sécurité des policiers, R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 32, où la Cour affirme que ces fouilles et ces perquisitions constituent une réponse « à une situation dangereuse créée par une personne, situation à laquelle les policiers doivent réagir “sous l’impulsion du moment” »). Dans l’arrêt Feeney, la Cour ajoute au par. 47 qu’il peut y avoir situation d’urgence lorsqu’un policier prend un suspect « en chasse » (voir également R. c. Macooh, 1993 CanLII 107 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 802, p. 820‑821). [Je souligne; par. 32.]
[155] Quant au deuxième objectif, l’examen qu’a fait le juge Brown de la jurisprudence l’a amené à dégager le « thème commun » d’« urgence » (par. 33) :
Le thème commun qui émerge des descriptions de situations constituant des situations urgentes visées au par. 11(7) (« exigent circumstances » dans la version anglaise) dénote non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie, mais plutôt d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. Cette interprétation est confirmée par le texte même de la version française du par. 11(7), « urgence de la situation ».
[156] Le juge Brown a alors énoncé de façon concise le droit en matière d’urgence de la situation en application du par. 11(7) de la LRCDAS (par. 37) :
Dès lors, pour qu’une entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison de l’existence d’une urgence commandant une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. De plus, il faut démontrer que cette urgence était telle que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs.
[157] L’arrêt Paterson n’est pas simplement un résumé des décisions qui l’ont précédé. Il présente plutôt un énoncé définitif de la règle de l’urgence de la situation, lequel continue de s’appliquer.
[158] Mes collègues cherchent à outrepasser l’arrêt Paterson et à s’appuyer sur des décisions antérieures afin de faire valoir leur propre point de vue d’une « application stricte et étroite du volet relatif à la sécurité, et d’ailleurs de toute catégorie de situations d’urgence » (par. 318). Bien que je reconnaisse que les décisions antérieures puissent aider à clarifier la notion d’urgence de la situation (p. ex., ce qui constitue un risque pour la sécurité d’un policier), elles ne permettent pas de contourner la règle de droit énoncée dans l’arrêt Paterson.
II. Il y avait un risque « imminent » de préjudice pour la sécurité du public
[159] Selon l’arrêt Paterson, il y a « urgence » notamment lorsqu’une « intervention immédiate des policiers » est nécessaire pour assurer la sécurité du public (par. 33 et 37).
[160] Dans leurs motifs dissidents, mes collègues affirment qu’un « risque pour la sécurité » du public doit être « imminent » (par. 319), mais concluent que ce n’était pas le cas en l’espèce, car deux événements étaient nécessaires afin que le risque pour la sécurité du public se concrétise : tout d’abord, M. Campbell devait vendre la drogue à un trafiquant de rue; puis, le trafiquant de rue devait vendre la drogue à ceux qui la consommeraient (par. 321).
[161] Soit dit avec égards, cette conclusion ne s’accorde ni avec la jurisprudence, ni avec les conclusions du juge du procès. Le préjudice pour le public était « imminent » puisque les policiers ne disposaient que de peu de temps pour empêcher ce qu’ils croyaient raisonnablement être la vente par Dew d’une quantité importante de drogue contenant du fentanyl (motifs exposés au terme du voir‑dire (reproduits au d.a., p. 1‑36), par. 96 et 100). Les policiers croyaient que s’ils n’empêchaient pas cette vente, celle‑ci pourrait bien entraîner des décès dans la collectivité. Comme l’écrit le juge Jamal, les policiers se trouvaient dans une situation du type « maintenant ou jamais » (par. 137).
[162] Il s’agissait d’une situation dynamique où il fallait agir rapidement. Premièrement, les messages textes de Dew révélaient son impatience à l’égard de la vente (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100), et les policiers croyaient que s’ils prenaient trop de temps à répondre, ils perdraient contact puisque Dew supposerait que M. Gammie avait été arrêté (d.a., partie V, vol. I, p. 59 et 241‑242). Deuxièmement, le sergent Bair a affirmé qu’il ignorait qui était Dew et qu’il n’était pas en mesure de trouver celui‑ci autrement (p. 96). Troisièmement, de nombreux policiers ont témoigné qu’ils croyaient que si cette transaction n’était pas effectuée, les drogues seraient vendues ailleurs dans la collectivité (p. 59, 96, 182‑183 et 241‑242). Enfin, les policiers étaient conscients des conséquences potentiellement fatales du fentanyl sur leur territoire, ce qui en faisait un enjeu de sécurité publique (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100).
[163] Mes collègues rehaussent implicitement les exigences en matière de preuve relatives à l’urgence de la situation. Elles affirment que rien dans le dossier ne portait à croire « qu’un autre acheteur potentiel attendait à ce moment-là dans les coulisses, de sorte que la vente potentielle était imminente » (par. 327). Soit dit avec égards, la Couronne n’était pas tenue d’établir que Dew avait une autre transaction en vue si celle avec M. Gammie échouait. Comme l’affirme à juste titre le juge Jamal, la norme pour établir l’urgence de la situation est celle des « motifs raisonnables et probables » (par. 113). Le juge du procès a conclu que cette norme était respectée; ses conclusions sont étayées par le dossier.
[164] Les faits de l’espèce relèvent de l’« urgence de la situation » au sens du par. 11(7), comme il est décrit dans l’arrêt Paterson. Rien ne permet de modifier la conclusion du juge du procès selon laquelle [traduction] « [s]ans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100). Les policiers disposaient de peu de temps pour appréhender M. Campbell. Attendre un télémandat aurait gravement compromis leur objectif de protéger le public (d.a., partie V, vol. I, p. 59, 95‑96 et 183).
[165] On peut aisément concevoir des situations comparables où les policiers doivent agir « maintenant ou jamais » parce qu’ils ne disposent que d’une occasion très limitée d’empêcher une menace à la sécurité publique, p. ex. afin de déjouer le transfert d’armes ou d’explosifs destinés à être utilisés dans un attentat pour des motifs politiques dans un lieu public à une date importante ultérieure, comme le 1er juillet.
III. Analyse fondée sur le par. 24(2)
[166] En ce qui concerne le par. 24(2) de la Charte, je souscris aux motifs concordants de la juge Côté. Je n’ajouterai que ce qui suit.
[167] En rapport avec le premier facteur de l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, mes collègues estiment, dans leurs motifs dissidents, qu’aucun des policiers n’a tenté « d’obtenir une autorisation judiciaire durant la période d’environ deux heures au cours de laquelle ils ont communiqué avec M. Campbell » (par. 342). Toutefois, cette affirmation fait abstraction de la conclusion du juge du procès selon laquelle les policiers avaient eu une discussion sur ce qu’ils devraient faire avant de texter M. Campbell (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 68, 72‑73 et 132). Cette conclusion est étayée par la preuve, puisque de nombreux policiers ont témoigné avoir activement considéré la question de l’autorisation judiciaire avant de conclure qu’ils n’avaient pas le temps d’obtenir un mandat (d.a., partie V, vol. I, p. 95‑96, 125‑126, 179‑180 et 242-243). En outre, bien que nous sachions maintenant que les communications entre les policiers et M. Campbell ont duré plus de deux heures, ceux-ci n’avaient aucun moyen de le savoir à l’époque des faits. Dans une situation dynamique et incertaine, des minutes auraient bien pu faire la différence pour les policiers entre intercepter le fentanyl ou voir l’occasion de le faire leur glisser entre les doigts.
Version française des motifs rendus par
La juge Côté —
I. Introduction
[168] Je suis d’accord avec mon collègue le juge Jamal que le pourvoi devrait être rejeté. Cependant, j’arrive à cette conclusion pour des motifs qui se rapprochent davantage de ceux du juge du procès. À mon avis, la conduite des policiers ne constituait pas une fouille pour l’application de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, les opérations d’infiltration policière ne donnent pas toutes lieu à une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de l’art. 8 de la Charte.
[169] Bien que je sois d’avis que l’appelant, M. Campbell, avait une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille en cause, son attente n’était pas objectivement raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce. Il est tout à fait clair que la décision de notre Cour dans l’arrêt R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, n’a pas créé de règle catégorique selon laquelle tous les messages textes ou les autres communications électroniques donnent lieu, en raison de leur nature, à une attente raisonnable au respect de la vie privée. Le test de « l’ensemble des circonstances », qui a été approuvé dans l’arrêt Marakah et dans d’autres décisions portant sur l’art. 8, commande une analyse individualisée et au cas par cas, ce qui oblige le tribunal à traiter l’examen fondé sur l’art. 8 comme une « analyse contextuelle qui repose sur des faits » (R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 12).
[170] Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, toute attente subjective au respect de la vie privée qu’a pu avoir l’appelant était considérablement réduite et ne donnait pas lieu à la protection de l’art. 8. Les policiers étaient libres de consulter les quatre messages textes qu’ils ont reçus et vus de façon passive sur le téléphone légalement saisi de M. Gammie et d’y répondre. En effet, les policiers menaient une opération d’infiltration qui portait sur des activités criminelles directement liées à l’objet sous-tendant l’arrestation de M. Gammie — une transaction de drogue. Comme l’a reconnu notre Cour, « [a]dmettre que les policiers, et d’autres autorités, ne doivent rechercher que les seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé est incompatible avec notre système de justice » (CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 24).
[171] Outre le caractère secret de l’enquête, de nombreux facteurs appuient l’argument de la Couronne selon lequel l’attente subjective de l’appelant au respect de sa vie privée n’était pas objectivement raisonnable. Parmi ces facteurs, mentionnons la portée circonscrite et le caractère non intrusif de la conduite des policiers, la propriété et le contrôle de l’appareil et des communications électroniques qui s’y trouvent ainsi que la distinction entre les circonstances de la présente affaire et celles de l’affaire Marakah. À l’instar du juge du procès lors du voir-dire, je suis d’avis également que les communications électroniques ne révélaient aucun élément d’information concernant les renseignements biographiques de l’appelant et qu’elles n’étaient pas non plus susceptibles, suivant le caractère normatif de l’analyse fondée sur l’art. 8, de révéler de tels renseignements, compte tenu de la portée circonscrite de l’enquête policière.
[172] C’est le fondement sur lequel je m’appuie pour arriver au même résultat que mon collègue le juge Jamal et pour rejeter le pourvoi.
II. Analyse
A. Les fouilles aux fins de l’application de l’art. 8
[173] Il est bien établi que la réponse à la question de savoir si des policiers ont effectué une fouille ou une perquisition au sens de l’art. 8 de la Charte dépend directement de l’existence d’une attente raisonnable au respect de la vie privée dans les circonstances particulières de l’affaire. Il est essentiel que les tribunaux, lorsqu’ils effectuent cette analyse, établissent un équilibre entre « les intérêts parfois contradictoires que constituent, d’une part, les intérêts en matière de respect de la vie privée nécessaires à la dignité et à l’autonomie de la personne, et, d’autre part, le besoin de vivre dans une société sûre et sécuritaire » (R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320, par. 38, la juge Karakatsanis, motifs concordants). Il s’agit de trouver l’équilibre délicat « entre le droit au respect de la vie privée et l’intérêt à appliquer la loi » (Marakah, par. 100, le juge Moldaver, dissident, mais non sur ce point; voir aussi R. c. Hafizi, 2023 ONCA 639, 168 O.R. (3d) 435, par. 115).
[174] Tout examen et toute technique d’enquête du gouvernement ne constituent pas une fouille ou une perquisition au sens de la Charte (Mills, par. 41, la juge Karakatsanis; voir aussi R. c. Evans, 1996 CanLII 248 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 8, par. 11; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 18; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 34). Dans le contexte de l’application de l’art. 8, on entend par « fouille ou perquisition » [traduction] « l’examen par des représentants de l’État de questions à l’égard desquelles une personne a une attente raisonnable au respect de sa vie privée » (N. Hasan et autres, Search and Seizure (2021), p. 2). Comme l’a confirmé notre Cour dans l’arrêt Tessling, « [c]e n’est que “[s]i l’activité de la police a pour effet de déjouer une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée [qu’]elle constitue alors une fouille” » (par. 18, citant R. c. Wise, 1992 CanLII 125 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 527, p. 533). Une inspection n’est donc considérée comme une fouille ou une perquisition que « lorsqu’une personne a des attentes raisonnables en matière de vie privée relativement à l’objet de l’action de l’État et aux renseignements auxquels cet objet donne accès » (Cole, par. 34).
[175] Pour obtenir la protection de l’art. 8 contre la conduite abusive de l’État, le demandeur doit démontrer qu’il avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la « prétendue » fouille (voir Mills, par. 12, citant Marakah, par. 10). Plus précisément, le demandeur doit avoir une attente subjective au respect de sa vie privée et cette attente subjective doit être objectivement raisonnable. Les tribunaux doivent effectuer cet examen en tenant compte de « l’ensemble des circonstances » d’une affaire donnée. Le test se décline en quatre questions :
1. Quel était l’objet de la prétendue fouille?
2. Le demandeur avait‑il un intérêt direct dans l’objet de la fouille?
3. Le demandeur avait‑il une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille?
4. Dans l’affirmative, cette attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée était‑elle objectivement raisonnable?
(Marakah, par. 11)
[176] La réponse à la question de savoir si l’attente d’une personne au respect de sa vie privée est objectivement raisonnable peut « varier selon la nature de ce qu’on veut protéger, les circonstances de l’ingérence de l’État et l’endroit où celle‑ci se produit, et selon les buts de l’ingérence » (R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 38, citant R. c. Colarusso, 1994 CanLII 134 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 20, p. 53). D’ailleurs, il n’existe pas de « liste définitive des facteurs à examiner pour répondre à cette question » (Cole, par. 45). Étant donné que les circonstances factuelles diffèrent d’une affaire à l’autre, les tribunaux doivent insister sur différents facteurs selon les circonstances (R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, par. 45; R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696, par. 13). À titre d’exemple, mentionnons l’endroit où la fouille a eu lieu (voir Tessling; Patrick); le contrôle sur l’objet de la fouille (voir Marakah; Cole; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631); et l’utilisation et la propriété partagées d’un appareil (voir R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531).
B. Les communications électroniques et l’art. 8
[177] Selon l’appelant, les circonstances factuelles en cause dans la présente affaire sont identiques à celles que notre Cour a observées dans l’arrêt Marakah. Il soutient que les faits des deux affaires ne présentent [traduction] « aucune différence importante sur le plan juridique » (m.a., par. 28). Je ne partage pas cet avis et j’estime important d’expliquer mon raisonnement pour bien situer les présents motifs dans le contexte de la jurisprudence de notre Cour.
[178] Je ne remets pas en question l’idée que l’arrêt Marakah a marqué un tournant décisif dans la jurisprudence de notre Cour portant sur l’art. 8 et qu’il a confirmé que les communications électroniques peuvent contenir des renseignements privés (voir Marakah, par. 36, la juge en chef McLachlin, et par. 92, le juge Moldaver; R. c. J.J., 2022 CSC 28, par. 238, le juge Brown, dissident en partie). La décision des juges majoritaires dans cette affaire a incontestablement eu de profondes répercussions sur les décisions des juridictions de première instance ainsi que de celles d’appel partout au Canada. D’ailleurs, elle a servi de catalyseur et a ouvert la voie au renforcement des protections juridiques fondées sur la Charte, permettant à certains expéditeurs de messages textes d’avoir une attente raisonnable au respect de leur vie privée à l’égard de leurs communications électroniques.
[179] Mais ce n’est pas toujours le cas. Il ne faut pas oublier que l’arrêt Marakah n’énonçait pas catégoriquement que tous les expéditeurs de messages textes ont une attente raisonnable au respect de leur vie privée à l’égard de leurs communications électroniques; il n’indiquait pas non plus que toutes les conversations par message texte donneraient lieu à une telle attente raisonnable. Dans la présente affaire, la Couronne affirme que l’arrêt Marakah [traduction] « n’a pas créé de règle de reconnaissance automatique de la qualité pour agir quant à toutes les communications écrites sur support électronique » (m.i., par. 3). Je suis tout à fait d’accord. De fait, la Cour d’appel de l’Ontario a récemment appliqué le même raisonnement dans l’arrêt R. c. Knelsen, 2024 ONCA 501, par. 38, où la juge van Rensburg a écrit : [traduction] « Il n’y a pas de reconnaissance automatique de la qualité pour faire valoir des droits protégés par l’art. 8 à l’égard des messages textes qui ont été envoyés et reçus » (soulignement omis). Il est impératif de fournir cette précision compte tenu de la jurisprudence en constante évolution à laquelle la Couronne fait référence et qui semble faire une équation entre une communication privée et la qualité inhérente pour faire valoir les droits garantis par l’art. 8 dans tout contexte (m.i., par. 34; voir aussi R. c. Rafferty, 2018 ONCJ 881, 424 C.R.R. (2d) 88, par. 23; R. c. Devic, 2018 BCPC 318, par. 29‑31; R. c. Bear‑Knight, 2021 SKQB 258, [2022] 2 W.W.R. 537, par. 18‑31; R. c. Findlay, 2023 MBPC 17, 529 C.R.R. (2d) 284, par. 7‑9).
[180] S’exprimant au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Marakah, la juge en chef McLachlin a expressément écarté l’idée selon laquelle les communications par message texte suscitent toujours une attente raisonnable au respect de la vie privée. Elle a souligné que cette notion n’est pas invariablement vraie dans tous les cas et a expliqué que c’est « suivant l’ensemble des circonstances » que « certain[es] » conversations par message texte « peuvent » être protégés par l’art. 8 (par. 4). Elle a précisé sa pensée sur ce point, au par. 5 :
Conclure qu’une conversation par message texte peut, dans certains cas, susciter une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée ne conduit pas forcément à la conclusion selon laquelle un échange de messages électroniques fait toujours naître une telle attente (voir les motifs du juge Moldaver, par. 100 et 167‑168); le juge du procès doit décider en fonction des faits s’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée à l’égard de pareille conversation dans un cas donné. [Je souligne.]
[181] Dans sa conclusion, la juge en chef McLachlin reconnaît implicitement que le test de « l’ensemble des circonstances » est subordonné aux détails et au contexte uniques de chaque cas. La juge en chef de l’époque avait compris que chaque cas comporte son propre scénario factuel distinct, ce qui nécessite un examen en fonction des circonstances de l’affaire. Dans une opinion concordante, le juge Rowe a reconnu le même principe, à savoir que le caractère objectivement raisonnable d’une attente subjective « est évalué à l’aune de considérations qui varient selon les circonstances de chaque cas » (par. 84 (je souligne)). Pour sa part, le juge Moldaver a abondé dans le même sens dans son analyse dissidente (voir le par. 98; voir aussi Knelsen, par. 38).
[182] À mon avis, le test de « l’ensemble des circonstances » perdrait son sens s’il n’était pas permis aux tribunaux d’évaluer un cas en fonction de ses circonstances particulières. Le lien entre la personne et l’objet de la fouille doit être examiné « en étudiant l’ensemble des circonstances dans un cas donné » (Marakah, par. 98 et 113, le juge Moldaver, dissident, mais non sur ce point; voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 17). À cet égard, je reprendrais ce que j’ai écrit dans l’arrêt Reeves : « Une attente en matière de respect de la vie privée à l’égard d’objets ou d’espaces donnés peut être considérée comme objectivement raisonnable dans certaines circonstances, mais non dans d’autres » (par. 110, citant R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 393, par. 33). Bien que des règles générales entourant les protections prévues à l’art. 8 aient été établies dans la jurisprudence (pour un exemple récent, voir R. c. Bykovets, 2024 CSC 6, par. 14), il est essentiel que l’analyse demeure axée sur l’ensemble des circonstances de chaque cas.
[183] Contrairement aux conclusions de certaines juridictions inférieures selon lesquelles les conversations par message texte suscitent presque toujours une attente raisonnable au respect de la vie privée (voir, p. ex., Rafferty, par. 23), l’arrêt Marakah de notre Cour n’a pas créé une telle règle. La Cour a plutôt expressément circonscrit la protection en précisant que « certains » messages textes « peuvent » être protégés (par. 4). Je partage l’opinion de mon collègue le juge Rowe — exprimée lors de l’audition du présent pourvoi — affirmant qu’à partir du moment où le test de l’ensemble des circonstances a été adopté, il est devenu nécessaire de procéder à une appréciation au cas par cas, étant donné que chaque cas comporte ses propres faits, circonstances, difficultés et nuances (transcription, p. 87-89). Selon les faits de l’affaire dont il est saisi, le tribunal devra mettre l’accent sur certains facteurs (Mills, par. 31, le juge Brown, et par. 62, la juge Karakatsanis). À cet égard, je suis d’accord avec la façon dont la Couronne a décrit le droit lors des plaidoiries : [traduction] « L’arrêt Marakah ne permet pas d’affirmer qu’il y a reconnaissance automatique de la qualité pour agir lorsqu’il s’agit de messages textes » (transcription, p. 78). Avec égards, et comme je l’explique plus loin, un raisonnement qui repose en grande partie sur l’idée que la messagerie texte constitue un moyen de communication associé à « la plus grande confidentialité », et est susceptible de révéler des détails personnels intimes, suppose dans les faits que de telles communications, en raison de leur nature même, donnent toutes lieu à une attente raisonnable au respect de la vie privée. Ce raisonnement ne reflète pas fidèlement la décision de notre Cour dans l’arrêt Marakah, et va au‑delà de l’état actuel du droit.
C. Application
[184] La Couronne a reconnu, devant notre Cour et devant les juridictions inférieures, que la fouille en l’espèce a pour objet les communications électroniques entre l’appelant et M. Gammie. Elle reconnaît en outre que l’appelant avait un intérêt direct dans ces communications électroniques. Ces points ne sont pas contestés.
[185] Je suis d’accord avec mon collègue le juge Jamal que l’appelant avait une attente subjective au respect de sa vie privée quant à l’objet de la fouille en cause. Comme il le fait remarquer et comme l’indique la jurisprudence, le seuil pour établir cette attente subjective est peu élevé (voir les motifs du juge Jamal, par. 45; Marakah, par. 22; Reeves, par. 32; voir aussi R. c. Labelle, 2019 ONCA 557, 379 C.C.C. (3d) 270, par. 31, citant Jones). Le juge du procès pouvait accepter ou rejeter en totalité ou en partie le témoignage de l’appelant sur cette question et il a conclu que les deux individus s’attendaient généralement à ce que leur conversation demeure privée (motifs exposés au terme du voir‑dire (reproduits au d.a., p. 1-36), par. 39; voir aussi les motifs de la C.A., 2022 ONCA 666, 163 O.R. (3d) 355, par. 36).
[186] Toutefois, je diverge respectueusement d’opinion avec le juge Jamal et la Cour d’appel sur la question de savoir si l’attente subjective de l’appelant au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable. Mon analyse porte uniquement sur cette question. Étant donné ma conclusion à cet égard, il n’est pas nécessaire que je détermine si la fouille était autorisée par la loi, si la loi elle‑même était raisonnable et si la fouille a été effectuée d’une manière raisonnable (voir R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51). Il est nécessaire d’examiner ces questions seulement après la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur a satisfait au test de la qualité pour contester ce qui serait en conséquence considéré comme une fouille pour l’application de l’art. 8. Contrairement à l’arrêt Marakah et à la technique d’enquête utilisée dans cette affaire, les circonstances du présent pourvoi ne permettent pas de conclure à l’existence d’une attente objectivement raisonnable au respect de la vie privée.
[187] Mon analyse est basée sur le test de « l’ensemble des circonstances » et sur le principe que l’analyse fondée sur l’art. 8 repose sur une approche normative plutôt que purement descriptive (voir Mills, par. 20; Tessling, par. 42). Il convient toutefois de noter que l’approche normative doit être prise en compte en fonction de l’ensemble des circonstances propres à l’affaire.
[188] L’approche fondée sur l’ensemble des circonstances constitue depuis de nombreuses années la pierre angulaire de la jurisprudence de notre Cour sur l’art. 8 (voir, p. ex., Patrick; Reeves; Mills; Cole). Cette approche ne peut être écartée au profit de « jugements de valeur ». Bien que l’approche normative soit importante pour aider à s’assurer de la société libre et démocratique dans laquelle les Canadiens et Canadiennes raisonnables et bien informés s’attendent à vivre (motifs du juge Jamal, par. 48), les tribunaux ne doivent pas perdre de vue l’ensemble des circonstances des affaires particulières dont ils sont saisis et, en conséquence, la conduite des policiers dans ces circonstances. Le test de l’ensemble des circonstances a eu et continue d’avoir valeur de précédent. Pour les besoins du présent pourvoi, il est vrai que les policiers ne peuvent parcourir le contenu d’un téléphone en toute liberté et sans aucune limite. Toutefois, leurs actions peuvent être légitimes s’ils restreignent et circonscrivent la portée de leur intervention à l’enquête qu’ils mènent. La conclusion de l’arrêt Marakah selon laquelle une conversation par message texte peut susciter une attente raisonnable au respect de la vie privée dans certains cas (par. 4‑5) mène forcément à la conclusion qu’il existe des situations où une conversation par message texte ne suscite pas ce type d’attente. En l’espèce, il s’agit de l’une de ces situations.
[189] Je passe maintenant à l’examen des divers facteurs qui appuient le fait que l’attente subjective de l’appelant au respect de sa vie privée n’était pas objectivement raisonnable.
(1) Les opérations d’infiltration policière
[190] Premièrement, je me penche sur le fait qu’il s’agissait d’une opération d’infiltration.
[191] À de nombreuses reprises, notre Cour a reconnu le rôle important que jouent les techniques d’infiltration policière pour le bon fonctionnement de notre système de justice criminelle. Par exemple, dans le contexte du leurre d’enfants, la Cour a décrit les opérations d’infiltration policière comme étant « un outil important — sinon le plus important — dont disposent les policiers pour repérer les délinquants qui s’en prennent aux enfants et les empêcher de leur faire du mal » (R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 94). La protection conférée par l’art. 8 « n’empêche pas les policiers de communiquer avec des individus au cours d’une opération d’infiltration » (Mills, par. 42, la juge Karakatsanis). En effet, dans certaines situations, la police doit recourir à des artifices pour lutter contre les activités criminelles (voir R. c. Liew, 1999 CanLII 658 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 227, par. 45). Cela est particulièrement vrai dans un monde comme le nôtre marqué par l’évolution de la technologie à l’ère de l’information et l’évolution des appareils que nous utilisons, où « [c]ertains des crimes les plus pernicieux sont ceux sur lesquels il est le plus difficile d’enquêter » (R. c. Ramelson, 2022 CSC 44, par. 1). Comme l’a indiqué notre Cour, « [l]es téléphones cellulaires sont utilisés pour faciliter les activités criminelles » et « constituent la base du commerce de la drogue et le moyen par lequel les drogues sont vendues dans la rue » (R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 48, citant R. c. Howell, 2011 NSSC 284, 313 N.S.R. (2d) 4, par. 39).
[192] Je suis en désaccord avec mes collègues les juges Martin et Moreau lorsqu’elles affirment que les policiers ont eu recours à une technique qui « n’est pas analogue à la situation dans laquelle un agent d’infiltration agit sous le couvert d’un personnage fictif » (par. 259). À mon avis, c’est exactement ce qu’ont fait les policiers en l’espèce. Lors du voir‑dire, le juge du procès a conclu, et l’appelant a reconnu, que les policiers avaient légalement saisi le téléphone cellulaire de M. Gammie accessoirement à l’arrestation (par. 7 et 32). Après avoir saisi le téléphone, les policiers ont vu qu’il s’allumait et que quatre messages textes avaient été reçus, lesquels étaient visibles sur l’écran verrouillé. L’appelant a affirmé qu’il n’était pas l’auteur des quatre premiers messages textes, qui avaient été envoyés par « Dew », et que le téléphone n’était pas le sien. En fait, l’appelant [traduction] « a reconnu [qu’il] n’a pas qualité pour contester les [quatre premiers] messages textes entre “Dew” et M. Gammie » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 34; voir aussi la transcription, p. 4 et 75‑76).
[193] Les quatre premiers messages textes qu’ont vus les policiers ont motivé leurs actes subséquents. Il ressort du dossier que lorsque les policiers ont vu ces messages, qui sont apparus alors qu’ils étaient légalement en possession du téléphone de M. Gammie, ils ont évidemment commencé à avoir des soupçons. Il est important de réitérer que les policiers venaient tout juste d’arrêter M. Gammie pour des activités liées aux drogues :
[traduction] Monsieur Gammie était connu des policiers. Il avait été condamné à de nombreuses reprises pour des infractions liées aux drogues. Il avait été arrêté et condamné pour avoir vendu de la cocaïne. Le sergent Bair connaissait M. Gammie depuis que celui‑ci avait 17 ans. Monsieur Gammie était connu comme un trafiquant de rue ou homme de main. Il avait été remis en liberté en avril 2017. À sa sortie de prison, il avait apparemment continué à faire la même chose.
(motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 49)
[194] Le contenu des quatre messages textes reçus concordait avec une transaction de drogue, en l’occurrence de l’héroïne additionnée de fentanyl, selon le témoignage accepté d’un policier au procès (voir les motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 58, 92 et 96). De plus, l’informateur confidentiel qui participait à l’enquête a avisé les policiers que M. Gammie faisait le trafic d’héroïne (par. 58). Pour les policiers, [traduction] « M. Gammie était en train de partir pour aller ramasser la drogue qui avait été offerte lorsqu’il a été arrêté » (par. 57). Si l’on examine la situation dans son ensemble, il est clair que dès qu’ils ont vu les quatre premiers messages textes, les policiers ont raisonnablement soupçonné qu’ils faisaient face à une transaction de drogue suffisamment liée à l’arrestation qu’ils venaient tout juste d’effectuer (voir, de façon générale, Fearon, par. 21 (en lien avec les fouilles accessoires à l’arrestation)).
[195] Encore une fois, la preuve acceptée au procès indiquait que l’appelant n’avait pas envoyé les quatre premiers messages textes — Dew les avait envoyés. L’appelant n’avait donc pas encore amorcé de conversation avec M. Gammie (ou les policiers). S’il y a eu une conversation, à ce moment‑là c’était entre Dew et M. Gammie, et non l’appelant. Selon la preuve, la conversation entre l’appelant et les policiers n’a commencé que lorsque ces derniers, après réception des quatre messages textes de Dew, ont entrepris l’opération d’infiltration. Par conséquent, les policiers ont pris part à une conversation qui n’avait pas lieu entre l’appelant et M. Gammie; la conversation venait tout juste d’être amorcée. En fait, même s’il y avait une conversation préexistante, l’appelant n’y participait pas. Les policiers sont intervenus dans une conversation parce qu’ils avaient, selon la preuve, des soupçons fondés sur des faits objectivement vérifiables (voir R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 3).
[196] Contrairement à l’affaire Marakah, où les policiers ont fouillé le téléphone d’un suspect et trouvé des messages incriminants qui avaient déjà été échangés, la présente affaire porte sur la participation de policiers à un échange électronique dans le cadre d’une opération d’infiltration liée aux drogues. Leur fouille ne visait pas une conversation préexistante, parce qu’il n’y avait pas de conversation préexistante entre l’appelant et M. Gammie. Cela ressort clairement des messages introductifs que Dew a envoyés au téléphone de M. Gammie. Dew avait amorcé la conversation à ce moment‑là. Bien que je reconnaisse que l’affaire Mills comportait la création par les policiers d’une personne entièrement fictive, en l’espèce, l’appelant envoyait des messages textes à une personne dont le téléphone se trouvait légalement entre les mains des policiers (voir Mills, par. 44 et 50). Comme l’indique une autrice, ce facteur a joué un rôle important dans la décision de notre Cour dans l’arrêt Mills :
[traduction] Pour les juges majoritaires dans l’arrêt Mills, cette possibilité d’« interception » policière par le biais de la participation des policiers à la conversation était, en fait, un facteur déterminant quant au caractère raisonnable de l’attente de M. Mills au respect de sa vie privée. Il en est ainsi car, même si M. Mills ignorait qu’il conversait avec un policier, la police savait qu’il conversait avec un policier. Le fait que la police a toujours su que M. Mills ne communiquait pas avec un véritable enfant était déterminant quant au caractère objectivement raisonnable de son attente au respect de sa vie privée. En effet, c’est parce que les messages ont été directement « interceptés » par la police que M. Mills ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’État n’en prenne pas connaissance.
(M. Biddulph, « The Privacy Paradox : Marakah, Mills, and the Diminished Protections of Section 8 » (2020), 43:5 Man. L.J. 161, p. 187 (soulignement dans l’original).)
(2) Le caractère intrusif de la conduite des policiers
[197] Deuxièmement, « [l]’absence de caractère attentatoire [de la conduite des policiers] est un facteur pris en compte dans l’évaluation » (Tessling, par. 50, citant R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, p. 43; voir aussi Buhay, par. 36; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 594; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, p. 295). Il est vrai que les téléphones cellulaires sont susceptibles de révéler des renseignements très privés et que la fouille de ces appareils « met en cause d’importants intérêts en matière de vie privée qui sont différents, de par leur nature et leur étendue, de ceux en cause lors de la fouille d’autres “lieux” » (Fearon, par. 51, citant R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 38 et 40-45). D’un point de vue normatif, il ne fait aucun doute que les conversations électroniques qui s’y trouvent peuvent permettre aux gens de communiquer « au sujet de leurs activités, de leurs relations et même de leur identité des détails qu’ils ne révéleraient jamais au grand public » (Marakah, par. 36). Toutefois, s’appuyer strictement sur ce raisonnement sans tenir compte de l’ensemble des circonstances mènerait à la conclusion que toutes les conversations électroniques feraient naître une attente raisonnable au respect de la vie privée. Cela ne saurait être le cas.
[198] Le fait que les communications électroniques peuvent révéler une foule de renseignements biographiques ne signifie pas que toute intrusion policière dans des communications électroniques révélera nécessairement de tels renseignements. L’arrêt Tessling illustre bien ce principe. Dans cet arrêt, le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la Cour, a conclu que l’accusé n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’activité thermique se dégageant de sa résidence. Bien que l’intérêt au respect de la vie privée afférent aux activités qui se déroulent chez une personne soit clairement reconnu depuis longtemps, la technique FLIR utilisée par la police dans cette affaire, qui enregistre des images de la chaleur émanant d’un édifice, révélait peu de choses sur ces activités. Elle ne dévoilait « rien sur la vie privée de [l’accusé] ni sur “un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel” le concernant » (par. 63). Bien que la technique de surveillance eût révélé certains renseignements concernant les activités menées dans la résidence de l’accusé, le lieu où « nos activités les plus intimes et privées sont le plus susceptibles de se dérouler » (par. 22), il n’y a pas eu de fouille au sens de l’art. 8 en raison des limites quant au type de renseignements qui pouvaient être recueillis au moyen de la technique FLIR. Autrement dit, il n’y a pas eu de fouille, en raison de l’absence de caractère intrusif de la méthode employée par les policiers. Dans le même ordre d’idées, la façon dont les policiers ont mené la conversation avec l’appelant en l’espèce, en s’assurant de ne pas lui poser de questions élaborées et de ne pas s’écarter de l’objectif de faciliter la transaction de drogue, a fait en sorte qu’aucun renseignement biographique n’a été obtenu lors de la conversation, à part ce qui était déjà légalement connu des policiers grâce aux quatre premiers messages.
[199] Mes collègues sont d’avis que la technique d’enquête policière était particulièrement intrusive en l’espèce (motifs du juge Jamal, par. 63; motifs des juges Martin et Moreau, par. 258-260). Avec égards, j’estime que mes collègues s’attardent trop étroitement et catégoriquement au fait que l’appelant croyait texter M. Gammie sans examiner les circonstances plus larges de la technique d’enquête.
[200] Au contraire, l’ensemble de la preuve en l’espèce indique que les policiers n’ont pas fouillé le téléphone de M. Gammie de manière intrusive. Ils n’ont pas déverrouillé le téléphone ni fouillé son contenu. Je suis d’accord avec la Couronne que dans la présente affaire, les policiers ont étroitement circonscrit la nature de la technique policière d’opération d’infiltration après avoir légalement vu les quatre premiers messages textes. Non seulement la nature des communications était apparente pour les policiers à partir de ces messages (c.‑à‑d., une conversation amorcée dans le but de faciliter une transaction de drogue), mais ceux-ci n’ont pas non plus posé de questions élaborées lorsqu’ils ont choisi de répondre aux messages. En d’autres mots, les policiers n’ont pas cherché à obtenir de réponses qui auraient révélé des renseignements biographiques sur l’appelant, ni fouillé le contenu du téléphone ou examiné des communications préexistantes. Au lieu de cela, ils ont pris soin d’indiquer à l’appelant l’endroit où ils devaient se rencontrer et de lui demander combien de temps il lui faudrait pour s’y rendre. En fait, les policiers s’en sont tenus à faciliter et à conclure la transaction de drogue. Ils n’ont rien appris de nouveau sur l’appelant au cours de la conversation qui a suivi, et n’ont pas non plus cherché à le faire. Dans de telles circonstances, lorsque la police prend bien soin de ne pas découvrir de nouveaux renseignements biographiques, la conversation entre l’appelant et la police peut même parfois être moins intrusive que, pour reprendre l’exemple de mes collègues, le fait de répondre au téléphone d’une personne arrêtée et de se faire passer pour une personne fictive (motifs des juges Martin et Moreau, par. 259).
[201] Je souligne ici que mon analyse tient compte des renseignements connus de la police avant que la conversation entre le policier et l’appelant ait lieu, comme la nature de la conversation, qui ressortait des quatre premiers messages textes. Par contraste, même si elle est censée tenir compte de « l’ensemble des circonstances », la démarche de mon collègue le juge Jamal amènerait la police et les tribunaux à faire abstraction des renseignements dont la police avait déjà légalement connaissance aux fins de l’analyse de l’attente raisonnable au respect de la vie privée, étant donné que l’accent est mis sur la possibilité que ce type de renseignement ou que l’objet général de la fouille (c.‑à‑d., une conversation par message texte) révèle des renseignements biographiques (par. 57). Ceci distingue fondamentalement nos positions.
[202] À la lumière de l’approche normative, il n’y avait aucune possibilité que de l’information personnelle révélant des renseignements biographiques sur l’appelant soit transmise. Il est vrai que notre Cour a reconnu que les activités criminelles relèvent aussi de la sphère privée, renvoyant à la neutralité du contenu qu’implique une analyse fondée sur l’art. 8 (Marakah, par. 31-32). Mais il faut se garder de suggérer que, dans le contexte d’une conversation par message texte, si l’accusé se livrait à une activité criminelle, son attente au respect de sa vie privée est automatiquement objectivement raisonnable. Il est raisonnable d’affirmer que lorsqu’il y a une prétendue fouille, il y aura toujours des soupçons concernant une activité criminelle à l’autre bout du spectre. La logique serait donc que les communications par message texte dans le cadre d’une enquête criminelle révéleraient toujours des renseignements privés (c.‑à‑d., une activité criminelle), ce qui, une fois de plus, tendrait à indiquer que l’accusé a une attente raisonnable au respect de sa vie privée dans toutes les communications de ce genre.
[203] En effet, l’approche du juge Jamal va au‑delà de la conclusion selon laquelle chaque prétendue fouille d’une conversation par message texte suscite une attente raisonnable au respect de la vie privée. L’importance qu’il accorde à la neutralité du contenu mène à la conclusion logique que chaque conversation par message texte suscite une attente raisonnable au respect de la vie privée, quel que soit son contenu, car il s’agit d’une conversation qui « risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements très personnels et biographiques au sujet des participants » (par. 59). Ce raisonnement irait encore une fois à l’encontre de l’observation de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Marakah selon laquelle une conversation par message texte peut donner lieu à une attente raisonnable au respect de la vie privée dans certains cas seulement (par. 4).
[204] J’estime important de souligner et de réitérer qu’en l’espèce, les policiers ont été en mesure de participer à la conversation par message texte sur un écran verrouillé sans déverrouiller le téléphone ni voir le reste de son contenu (motifs de la C.A., par. 13; m.i., par. 43 et 79). Les policiers n’ont pas examiné les messages textes préexistants échangés entre M. Gammie et qui que ce soit d’autre; les quatre premiers messages marquaient clairement le début d’une conversation, à laquelle l’appelant s’est joint seulement une fois qu’elle était déjà commencée. À mon avis, la participation des policiers à la conversation sur un écran verrouillé revenait, pour ceux-ci, à avoir légalement possession d’un téléphone cellulaire verrouillé et à répondre à un appel téléphonique sur cet appareil dans le cadre d’une opération d’infiltration. Avec égards, je suis en désaccord avec la description que fait mon collègue de la différence entre les deux situations (voir les motifs du juge Jamal, par. 70), comme je l’explique plus loin. En fait, il est raisonnable d’affirmer qu’un agent d’infiltration exerce probablement un contrôle moindre sur la portée circonscrite d’une conversation téléphonique que sur celle d’une conversation par message texte. Contrairement à une conversation téléphonique, une conversation par message texte donne au policier le temps de préparer prudemment une réponse qui ne serait pas élaborée et dont la portée serait plus étroite. Je suis d’accord avec la Couronne que, lorsque les policiers exécutent un mandat de perquisition et que le téléphone de la cible sonne, il n’y a rien de mal à ce qu’ils répondent à ce téléphone, lequel a été obtenu légalement.
[205] Cela n’est pas inédit dans la jurisprudence et, à l’instar des conclusions de la Cour d’appel et de mon collègue le juge Jamal, ce n’est pas nécessairement inapproprié (motifs de la C.A., par. 67; motifs du juge Jamal, par. 70). Dans l’arrêt R. c. Singh (1998), 1998 CanLII 4819 (BC CA), 127 C.C.C. (3d) 429, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que les policiers n’avaient pas intercepté une communication privée, mais avaient plutôt simplement reçu un appel [traduction] « de l’appelant malgré le fait que celui-ci ne croyait pas qu’il parlait à un agent de la paix » (par. 4). Dans l’arrêt R. c. Edwards (1994), 1994 CanLII 1461 (ON CA), 73 O.A.C. 55, une décision confirmée par la suite par notre Cour (1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128), la Cour d’appel de l’Ontario n’a perçu aucun inconvénient du fait que les policiers avaient répondu à plusieurs appels sur un téléphone saisi ou même à ce qu’ils téléphonent à des numéros apparus sur un téléavertisseur. Les faits de l’affaire R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, permettaient aussi aux policiers d’agir de la sorte. Dans cette affaire, les policiers ont arrêté l’accusé et saisi son téléphone cellulaire, et un appel a été reçu sur ce téléphone alors qu’il se trouvait au poste de police. Un policier a répondu à l’appel et a facilité une transaction de drogue (voir les par. 13‑15; voir aussi R. c. Ramsum, 2003 ABQB 45, 329 A.R. 370, par. 30‑31).
[206] D’ailleurs, il convient également de noter que notre Cour n’a pas considéré comme une fouille la situation où des policiers étaient en mesure de composer eux‑mêmes des numéros de téléphone soupçonnés d’être associés au trafic de la drogue (voir R. c. Ahmad, 2020 CSC 11, [2020] 1 R.C.S. 577). Dans la jurisprudence où il est question du droit en matière de provocation policière, notre Cour a conclu que, bien que les policiers doivent avoir des soupçons raisonnables avant de pouvoir présenter à une personne une occasion de commettre une infraction, les soupçons raisonnables peuvent prendre forme chez eux une fois qu’ils ont effectivement engagé une conversation avec le suspect (Ahmad, par. 54). Les policiers sont autorisés à mentionner le nom de quelqu’un que le vendeur connaît bien pour le mettre à l’aise, en laissant entendre qu’ils sont associés à une personne qu’il connaît. Les policiers ont recours à cette tactique en partie pour accroître la probabilité que le suspect leur fasse confiance. Par contraste, la conversation entre l’appelant et les policiers en l’espèce ne comportait aucune technique trompeuse hormis le fait de répondre par message texte sur le téléphone de M. Gammie; les policiers ont simplement répondu afin de faciliter une transaction qui était manifestement déjà planifiée. Même s’il n’était pas nécessaire que les policiers aient des soupçons raisonnables dans ces circonstances, il ne fait aucun doute qu’ils en avaient dans ce cas‑ci.
[207] Le fait que les messages textes génèrent eux‑mêmes automatiquement un relevé permanent découle simplement de la décision d’une personne de recourir à l’écrit comme moyen de communication; cela ne transforme pas la conduite des policiers « en une fouille ou une saisie » (voir Mills, par. 45 et 48, la juge Karakatsanis). Encore une fois, les policiers, en l’espèce, n’ont pas déverrouillé le téléphone pour examiner son contenu ou d’autres relevés téléphoniques. Ils ont passivement reçu quatre messages qui présentaient les caractéristiques d’une transaction de drogue, impliquant le suspect connu qu’ils avaient arrêté. Après avoir pris en considération les droits à la protection de la vie privée potentiellement en jeu, les policiers ont répondu sur l’écran verrouillé et n’ont pas examiné le contenu du téléphone. Ils ne cherchaient pas à se procurer un relevé de la conversation ou à obtenir des renseignements qu’elle pouvait contenir. Ils ont plutôt pris part à la conversation dans le but limité et circonscrit de faciliter la livraison de drogues, rien de plus (m.i., par. 49). Rien de ce qu’ils ont fait n’irait « à l’encontre de la conception de la décence et du franc‑jeu au sein de notre société », comme se faire passer pour un thérapeute ou un aumônier de prison (Mills, par. 63).
[208] Le fait que les policiers auraient pu — s’ils le souhaitaient — répondre à un appel du téléphone de Dew et faciliter une transaction de drogue ne devrait pas changer l’analyse. Mis à part le fait qu’en pratique, un tel geste aurait pu compromettre leur enquête, puisque l’appelant aurait pu se rendre compte qu’il ne s’agissait pas de la voix de M. Gammie, il n’y a pas de différence significative entre l’action de répondre à un appel du téléphone de Dew et celle de converser par message texte lorsque le relevé de la conversation n’est pas ce que cherchaient à obtenir les policiers.
[209] Mon collègue le juge Jamal conclut que sa reconnaissance d’un intérêt au respect de la vie privée dans les circonstances de l’espèce n’entraverait pas le travail d’infiltration des policiers — elle « impose plutôt simplement des restrictions d’ordre constitutionnel aux enquêtes policières qui font intervenir la messagerie texte en exigeant des policiers qu’ils se conforment à l’art. 8 de la Charte » (par. 71). Mon collègue n’explique pas pourquoi il en est ainsi. En outre, mes collègues les juges Martin et Moreau font une constatation similaire, affirmant que la reconnaissance d’un intérêt au respect de la vie privée en l’espèce « ne compromet pas la capacité de la police d’enquêter sur les crimes et de découvrir des éléments de preuve au moyen de fouilles ou de perquisitions » (par. 261). Cela requiert seulement qu’ils « soient légalement autorisés à agir » — ce qui signifie, dans la plupart des cas, que les policiers devront obtenir un mandat (par. 261). Avec égards, je ne partage pas leur avis. Au contraire, l’ajout de nouvelles « contraintes » obligeant les policiers à obtenir un mandat de perquisition nuira évidemment à leur capacité d’enquêter sur un plus grand nombre de cas. De plus, ce raisonnement passe à côté de la question : le problème est que les approches de mes collègues établissent une distinction sans aucune justification entre les cas où l’art. 8 de la Charte devrait s’appliquer et ceux où il ne le devrait pas. L’article 8 entrerait en jeu dans le cas où l’enquête policière a lieu par message texte, mais il n’y aurait aucune entrave à l’enquête du fait que les policiers la poursuivent au moyen d’appels téléphoniques. Comme la technologie et les communications en ligne sont de plus en plus omniprésentes, les façons dont les crimes sont commis dans le monde en ligne évoluent elles aussi (voir Mills, par. 39), que ce soit par des appels téléphoniques, des messages textes ou d’autres moyens de communication. Il faut permettre à la police de s’adapter (voir Ahmad, par. 147).
(3) Le contrôle et la propriété
[210] Troisièmement, les concepts de contrôle et de propriété sont pertinents eu égard aux circonstances de l’espèce et sont tous les deux « depuis longtemps jugés pertinents » dans le contexte de la protection prévue à l’art. 8 (Marakah, par. 38). Il est vrai que l’absence de contrôle d’une personne sur l’objet d’une prétendue fouille n’est pas un facteur déterminant dans l’analyse fondée sur l’art. 8 (par. 38). Comme l’ont chacun reconnu la juge en chef McLachlin, pour les juges majoritaires, et le juge Moldaver, dissident, dans l’arrêt Marakah, l’absence de contrôle exclusif sur l’objet n’élimine pas nécessairement l’attente raisonnable au respect de la vie privée. Le contrôle est « un des éléments à prendre en considération parmi l’ensemble des circonstances pour juger du caractère objectivement raisonnable d’une attente subjective en matière de respect de la vie privée » (par. 38; voir aussi les par. 130‑131). De même, « le droit de propriété est pertinent, sans être déterminant » dans cette analyse (Reeves, par. 39). Dans l’affaire Reeves, l’accusé partageait l’utilisation d’un ordinateur personnel avec sa conjointe. Celle‑ci a découvert de la pornographie juvénile dans l’ordinateur et a ensuite autorisé la police à entrer dans la maison et à prendre l’appareil. Toutefois, notre Cour a jugé que l’accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de cet ordinateur.
[211] Étant donné qu’une attente raisonnable au respect de la vie privée peut se situer sur une échelle (Marakah, par. 29), je suis d’avis que l’absence de contrôle total de l’appelant sur la conversation et la propriété du téléphone, comme le reflète le dossier, appuient une attente au respect de la vie privée considérablement réduite, et qui n’est pas objectivement raisonnable dans les circonstances de la présente affaire. En ce qui concerne le contrôle, l’appelant, au mieux, partageait avec Dew le contrôle du téléphone qu’il utilisait pour communiquer avec M. Gammie. S’il est vrai que l’objet de la fouille était la communication électronique en question et non le téléphone lui‑même, je suis d’accord avec la Couronne que le lieu où cette conversation se déroule n’est qu’« un des multiples facteurs à soupeser » (Marakah, par. 30; m.i., par. 40; voir aussi les motifs du juge Jamal, par. 53). D’ailleurs, comme l’a reconnu la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Marakah, « [j]e peux avoir une attente élevée au respect de ma vie privée quant à mon propre téléphone, sur lequel j’exerce un contrôle absolu, une attente moindre au respect de ma vie privée à l’égard du téléphone de mon ami, sur lequel je m’attends à ce qu’il exerce un contrôle, et absolument aucune attente raisonnable au respect de ma vie privée si je m’attends à ce que le message texte soit rendu public » (par. 29 (je souligne)). Dans le cas qui nous occupe, la preuve indique que le téléphone appartenait à Dew et qu’il avait été remis à l’appelant pour faciliter la transaction de drogue.
[212] À cette fin, le facteur de la propriété joue un rôle tout aussi important en l’espèce. Selon le témoignage de l’appelant, le téléphone qu’il utilisait n’était pas le sien; celui‑ci appartenait à Dew et l’appelant ne l’empruntait que lorsqu’il livrait de la drogue. De plus, les quatre messages textes ne provenaient pas de lui, mais avaient été envoyés par Dew à M. Gammie. Le téléphone devait en outre être rendu à Dew une fois la livraison effectuée (motifs exposés au terme du voir-dire, par. 33). Le fait que l’appelant n’était pas propriétaire du téléphone et qu’il n’était pas l’auteur des quatre premiers messages est intimement lié à son absence de contrôle sur ceux‑ci. Au mieux, l’appelant empruntait le téléphone de Dew et tous deux avaient un contrôle partagé sur les communications qui ont eu lieu après les quatre premiers messages. Cela atténue la prétention de l’appelant à une attente objectivement raisonnable au respect de sa vie privée.
[213] Dans l’arrêt Marakah, la juge en chef McLachlin a expressément envisagé que, même s’il existait une attente raisonnable au respect de la vie privée à l’égard de la conversation électronique entre M. Marakah et son complice, laquelle avait été obtenue à partir de l’appareil de ce dernier, « des faits différents pourraient fort bien aboutir à un résultat différent » (par. 55). La juge McLachlin a observé qu’il ne s’agissait pas d’une affaire « de messages publiés sur les médias sociaux, de conversations tenues dans des salons de cyberbavardage bondés ou de commentaires publiés sur des babillards en ligne » (par. 55). Ces exemples illustrent le fait que plus il y a de participants à une conversation et moins un contrôle peut être exercé sur les personnes qui pourraient la voir, plus il est probable que l’attente subjective au respect de la vie privée d’une personne ne soit pas objectivement raisonnable.
[214] L’attente raisonnable de M. Marakah au respect de sa vie privée était réduite en raison de son absence de contrôle sur une conversation électronique entre deux personnes sur des téléphones cellulaires qui appartenaient aux participants à la conversation. Selon le témoignage même de l’appelant, nous pouvons déduire qu’au moins trois personnes avaient accès à la conversation en l’espèce : M. Gammie, le propriétaire du téléphone; Dew, qui a envoyé les quatre premiers messages textes; et l’appelant. Ce dernier a décidé de poursuivre la conversation même s’il se doutait qu’il échangeait des messages textes avec quelqu’un d’autre puisque les messages envoyés ne ressemblaient pas à ceux qu’envoyait habituellement M. Gammie (d.a., partie V, vol. I, p. 312‑316). De son point de vue, il y avait possiblement une quatrième personne à la conversation. Tout cela a eu lieu sur un téléphone que l’appelant avait emprunté uniquement afin de finaliser des livraisons de drogue et qu’il avait l’intention de rendre une fois la transaction conclue (p. 305‑310). Si l’attente de M. Marakah au respect de sa vie privée était déjà réduite dans son cas, le fait qu’il y avait encore moins de contrôle dans la présente affaire tend à indiquer que l’attente de l’appelant au respect de sa vie privée était considérablement réduite, voire réduite à néant, lorsque nous considérons l’ensemble des circonstances.
[215] Qui plus est, l’analyse du contrôle et de la propriété en l’espèce doit être étroitement liée à la relation entre les personnes impliquées. Notre Cour a affirmé que la relation entre les parties à la conversation peut aussi entrer en ligne de compte dans l’analyse fondée sur l’art. 8 (voir Plant, p. 293). Dans l’arrêt Mills, la Cour a beaucoup insisté sur l’absence de relation entre M. Mills et l’« enfant », qui était en réalité un policier. Par exemple, le juge Brown a souligné à plusieurs reprises que M. Mills s’entretenait avec une personne « qui était une inconnue pour lui » (par. 4, 22, 24, 27 et 30). À mon avis, il insistait sur la relation dans le but limité de faire ressortir que les policiers avaient créé une personne fictive; ils étaient donc au courant de la relation et il n’y avait aucun risque qu’ils outrepassent les limites de cette conversation préexistante.
[216] Il est donc important de mettre en évidence la preuve de la relation existante en l’espèce, qui montre que l’appelant ne connaissait guère M. Gammie. Contrairement à l’accusé dans l’affaire Marakah, l’appelant dans la présente affaire n’a jamais demandé à M. Gammie de garder secrètes leurs communications électroniques; il ne lui a pas non plus demandé de supprimer des messages. Comme l’a souligné à juste titre la Couronne, le témoignage de l’appelant ne permettait pas de savoir avec certitude s’il connaissait ou non M. Gammie (m.i., par. 40). Lors de son témoignage, l’appelant a indiqué qu’il n’avait jamais rencontré M. Gammie, mais il a plus tard admis lui avoir déjà livré de la drogue. Son témoignage était incohérent. Toutefois, peut‑être plus important encore, est le fait qu’il soupçonnait que la personne à qui il envoyait des messages textes n’était peut‑être pas M. Gammie (voir m. interv., procureur général de l’Ontario, par. 25).
[217] Considérant l’affaire d’un point de vue normatif, je reviendrais à mes commentaires précédents concernant la nature des messages textes, l’écran verrouillé ainsi que la portée circonscrite de l’enquête policière et des réponses aux messages textes. Ces circonstances auraient indiqué clairement aux policiers qu’ils n’outrepassaient pas les limites d’une relation donnée ou n’examinaient pas des conversations antérieures. Rappelons que les policiers savaient que les messages textes concernaient une transaction de drogue impliquant M. Gammie, qu’ils venaient tout juste d’arrêter pour des activités liées aux drogues. Ils n’ont pas essayé de déverrouiller le téléphone. Et ils ont répondu aux messages textes sans chercher à obtenir d’autres renseignements. Au lieu de cela, ils ont simplement indiqué à l’appelant l’endroit où ils devaient se rencontrer et lui ont demandé combien de temps il lui faudrait pour s’y rendre. Compte tenu de ce que révélaient les quatre premiers messages, « [les policiers] pouvaient donc conclure en toute confiance et à juste titre qu’aucune préoccupation fondée sur l’art. 8 ne découlerait de leur examen de ces communications », étant donné la portée circonscrite de l’enquête policière et des messages textes associés envoyés à l’appelant à partir de l’écran verrouillé du téléphone (voir Mills, par. 27, le juge Brown). En réalité, « ce que la police recherchait vraiment » était de faciliter la transaction de drogue (voir Reeves, par. 29, concernant la façon de définir l’objet d’une prétendue fouille).
(4) Conclusion sur l’attente raisonnable au respect de la vie privée
[218] Appliquant le test de l’ensemble des circonstances, et tenant compte de l’approche normative qui guide notre jurisprudence relative à l’art. 8 et du dossier factuel en l’espèce, je conclus que l’attente subjective de l’appelant au respect de sa vie privée n’était pas objectivement raisonnable. À mon avis, affirmer que les policiers auraient dû simplement ignorer les quatre premiers messages textes et ne pas faire enquête après avoir légalement pris possession du téléphone irait à l’encontre du « rôle de la police [qui] consiste essentiellement à faire enquête sur les crimes » (R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 254) et du « maintien de la loi et de l’ordre et [de] la sécurité de la société canadienne » (R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442, par. 51). Il demeure important que « les considérations de principe et les considérations pratiques ne doivent pas s’exclure les unes des autres dans l’application de l’art. 8 » (Marakah, par. 89, le juge Rowe). Dans le cas qui nous occupe, la police était autorisée à mener une opération d’infiltration en participant à une conversation de manière circonscrite et spécifique, ce qu’elle a fait.
(5) Commentaires sur l’interception, l’urgence de la situation et le par. 24(2) de la Charte
[219] Étant donné que j’ai conclu que l’appelant n’avait pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances, mon analyse s’arrête ici. Cependant, je juge nécessaire de formuler des commentaires sur certains aspects de l’analyse de mes collègues les juges Martin et Moreau, lesquels pourraient avoir des conséquences dans les causes ultérieures.
a) L’interception
[220] Après avoir conclu que l’appelant avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances, mes collègues les juges Martin et Moreau affirment que « notre Cour ne dispose pas des assises nécessaires pour décider de façon décisive quelle disposition législative permettrait à un tribunal d’autoriser la conduite policière en cause », étant donné l’absence d’une argumentation complète et d’un examen de la Cour d’appel sur cette question (par. 277). Cependant, elles font cette affirmation immédiatement après plusieurs paragraphes d’analyse qui sous‑entendent clairement que les actes de la police, en l’espèce, équivaudraient à une interception.
[221] Selon moi, de façon générale, lorsqu’il est admis que notre Cour ne doit pas statuer sur une question en l’absence d’une argumentation complète et d’un examen par la Cour d’appel, il faut éviter d’effectuer tout de même une analyse significative sur la question. Bien que les juges Martin et Moreau n’entendent peut‑être pas trancher la question de façon définitive, j’estime que la prudence est de mise dans les circonstances. Je suis d’avis qu’il suffit, pour les besoins de leur analyse, d’affirmer tout simplement qu’aucun mandat n’a été obtenu.
[222] Qui plus est, toutefois, je tiens à formuler des commentaires sur les conséquences que la conclusion implicite de mes collègues — soit que l’enquête en l’espèce équivalait à une interception — pourrait avoir sur le travail des policiers. Cette conclusion implicite irait bien au‑delà des conséquences découlant du simple fait de conclure qu’il existe une attente raisonnable au respect de la vie privée dans les situations où la police prend l’identité d’un tiers dans une conversation par message texte.
[223] Conclure que la conduite des policiers en l’espèce nécessitait une forme d’autorisation sous le régime de la partie VI du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, plutôt qu’un mandat général prévu à l’art. 487.01 du Code, n’est pas simplement une question de choisir quel type d’autorisation est requis entre deux dispositions similaires assorties d’exigences quasi identiques. La partie VI crée des obstacles plus importants pour l’obtention d’une autorisation. La description des juges Martin et Moreau selon laquelle les policiers se sont « interpos[és] dans le processus de communication entre MM. Campbell et Gammie en temps réel » suggère qu’une autorisation d’écoute électronique des communications d’un tiers serait requise dans les circonstances (par. 272 (je souligne)). Conformément à l’art. 186 du Code criminel, cela exigerait que la police établisse, entre autres, que la conversation est nécessaire pour les fins de l’enquête afin d’obtenir l’autorisation de la poursuivre.
[224] Même lorsque les policiers ne prennent pas l’identité d’un tiers et en créent plutôt une de toutes pièces, l’application de la logique de mes collègues ferait en sorte que, dans toute situation où les policiers poursuivent une conversation par message texte avec un suspect, il s’agirait de surveillance participative aux termes de la partie VI et une autorisation judiciaire serait donc nécessaire. Les policiers ne pourraient, par exemple, envoyer des messages textes à un numéro qu’ils soupçonnent de servir à la livraison de drogues sur appel pour enquêter, ni se livrer à une enquête au moyen de conversations par message texte avec un suspect, à moins d’avoir obtenu préalablement une autorisation judiciaire sous le régime de la partie VI du Code criminel. L’autorisation de surveillance participative n’a pas la même exigence de nécessité pour l’enquête que l’autorisation d’écoute électronique visant un tiers (voir Code criminel, art. 184.2; R. W. Hubbard, M. Lai et D. Sheppard, Wiretapping and Other Electronic Surveillance : Law and Procedure (feuilles mobiles), § 2:8). Néanmoins, elle exige davantage des policiers que le ferait un mandat général (R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3, par. 27). Cela créerait sans aucun doute des obstacles considérables pour les enquêtes policières.
b) La situation d’urgence
[225] Dans le cadre de leur analyse relative à la situation d’urgence, mes collègues font la remarque que les policiers auraient dû employer d’autres techniques d’enquête, étant donné qu’il n’y avait aucun risque imminent pour la sécurité. Elles soulignent que « [l]es policiers étaient en mesure de localiser Dew, étant donné qu’ils auraient pu s’adresser aux tribunaux et demander une ordonnance de communication afin d’obtenir les renseignements associés au numéro de téléphone cellulaire de Dew » (motifs des juges Martin et Moreau, par. 331).
[226] À mon avis, notre Cour devrait éviter de faire des suppositions quant aux autres techniques d’enquête potentielles qui auraient pu fonctionner en l’absence d’une preuve appropriée en ce sens. Même si les policiers pouvaient en théorie demander une ordonnance de communication afin d’obtenir les renseignements associés au téléphone cellulaire de Dew, il n’est pas nécessairement vrai qu’ils auraient pu le faire assez rapidement pour poursuivre cette enquête avec succès. Le temps que les policiers obtiennent une ordonnance de communication, il est possible que la personne utilisant le téléphone de Dew ait entendu parler de l’arrestation de M. Gammie, ait fait autre chose avec la drogue ou abandonné la transaction, ou se soit débarrassée du téléphone. En outre, il n’est pas certain que l’obtention de renseignements concernant le propriétaire du téléphone serait suffisante pour localiser la personne qui utilisait le téléphone de Dew.
c) Le paragraphe 24(2)
[227] De plus, je suis en désaccord avec la façon dont mes collègues les juges Martin et Moreau effectuent leur analyse fondée sur le par. 24(2) de la Charte. Selon moi, certains des facteurs qui atténueraient clairement la gravité de la conduite de l’État contraire à la Charte ou l’incidence de la violation sur les intérêts de l’appelant garantis par la Charte ou bien ne sont pas considérés comme étant atténuants, ou bien sont considérés comme étant des facteurs aggravants. La perception qu’ont mes collègues du caractère intrusif de la technique policière semble avoir teinté leur analyse des faits.
[228] Par exemple, en ce qui a trait au premier facteur de l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, mes collègues affirment que l’expérience des policiers et leur familiarité avec la loi en l’espèce aggravent la violation, étant donné que « le droit sur les fouilles et les perquisitions sans mandat est bien établi et que les policiers concernés comptent des dizaines d’années d’expérience » (par. 341).
[229] La connaissance des policiers doit être située dans son contexte. Il faut se rappeler que l’enquête a eu lieu en juin 2017, avant l’arrêt Marakah de notre Cour. À l’époque, selon le droit en vigueur en Ontario, un accusé n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard du téléphone cellulaire d’un coaccusé, conformément à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario rendue en 2016 (R. c. Marakah, 2016 ONCA 542, 131 O.R. (3d) 561). Les policiers se sont demandé si l’appelant avait un intérêt au respect de sa vie privée à l’égard de la conversation par message texte, et ils ont conclu qu’il n’en avait pas, étant donné qu’il s’agissait d’une conversation sur le téléphone de M. Gammie (motifs exposés au terme du voir-dire, par. 69 et 72). Cela était entièrement conforme au droit en vigueur en Ontario à l’époque.
[230] Si les policiers croyaient qu’il n’y avait aucune attente raisonnable au respect de la vie privée à l’égard de la conversation par message texte, parce que tel était, dans les faits, le droit applicable, on voit mal pourquoi ils auraient pu penser qu’un intérêt au respect de la vie privée prendrait forme s’ils répondaient aux messages. Cela est particulièrement vrai puisqu’à cette époque, les policiers auraient également su qu’ils étaient autorisés à répondre aux appels téléphoniques sur des téléphones saisis et à parler à la personne au bout du fil. Il n’y avait donc absolument aucune raison à l’époque pour les policiers de penser que le fait de s’interposer dans cette conversation posait un problème. Ils savaient aussi qu’ils ne faisaient que répondre aux messages textes sans déverrouiller le téléphone (motifs exposés au terme du voir-dire, par. 68). Fait plus remarquable, les policiers croyaient que la situation était urgente (par. 69 et 72).
[231] À la lumière de cette situation, nous ne pouvons faire reproche aux policiers de leur connaissance du fait que les fouilles sans mandat sont présumées inconstitutionnelles. Il est évident qu’ils le savaient. Mais les policiers croyaient également qu’ils n’avaient pas le temps d’obtenir un mandat, qu’aucune raison ne justifiait d’en obtenir un puisque l’appelant n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des messages textes sur le téléphone de M. Gammie, et que les circonstances étaient urgentes. De plus, contrairement à ce qu’affirment les juges Martin et Moreau au par. 342 de leurs motifs, il est tout à fait compréhensible qu’aucun de ces policiers n’ait témoigné relativement à la question de savoir quel mandat aurait été requis pour autoriser leur technique d’enquête — ils ne pensaient même pas qu’il y avait une « fouille » qui devait être autorisée.
[232] En ce qui concerne le second facteur de l’arrêt Grant, le fait que la conversation « considéré[e] globalement » reflétait le mode de vie criminel de l’appelant ne devrait pas avoir augmenté l’impact de la violation sur ses intérêts protégés par la Charte (motifs des juges Martin et Moreau, par. 348). Il en est ainsi parce que les policiers savaient déjà légalement, en raison des quatre premiers messages ayant établi la nature de la conversation, que quiconque répondant à ceux-ci participait à une activité criminelle. Ceci devrait amoindrir l’impact sur les intérêts au respect de la vie privée de l’appelant.
[233] Pour ce qui est de la question de savoir si l’utilisation des éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice, lorsque les circonstances de l’enquête policière renforcent considérablement le caractère raisonnable de la conduite policière à l’époque, cela devrait être pris en compte lors de l’analyse.
[234] En outre, je souscris également aux commentaires de mon collègue le juge Rowe, dans ses motifs concordants, concernant l’analyse fondée sur le par. 24(2) que font les juges Martin et Moreau.
III. Conclusion
[235] La réponse à la question de savoir si les parties aux conversations par message texte ont une attente raisonnable au respect de leur vie privée dans leurs communications électroniques dépend des circonstances de chaque affaire. Les tribunaux doivent effectuer les analyses fondées sur l’art. 8 en tenant compte de l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée. D’ailleurs, la plupart du temps, ces circonstances seront propres à l’affaire en question. Bien que l’aspect normatif de l’analyse soit important, il ne faut pas négliger le dossier et les faits de l’affaire; négliger ces aspects ferait abstraction du test de l’ensemble des circonstances, lequel constitue la pierre angulaire de la jurisprudence de notre Cour sur l’art. 8.
[236] En l’espèce, les policiers ont passivement reçu quatre messages textes sur un téléphone qui était légalement en leur possession après leur arrestation du propriétaire du téléphone, M. Gammie, pour des activités liées aux drogues. Ils croyaient que ces messages textes étaient liés à l’arrestation qu’ils venaient tout juste d’effectuer. Après s’être demandé si des intérêts relatifs au respect de la vie privée étaient en jeu, ils ont mené une opération d’infiltration en répondant aux messages textes sur un écran verrouillé, d’une façon circonscrite et sans chercher à savoir autre chose que le temps qu’il faudrait à l’appelant pour se rendre à la destination convenue. Les policiers n’ont pas fouillé le téléphone de M. Gammie. Ils ont plutôt participé à la conversation par message texte dans le but bien précis de faciliter la transaction de drogue soupçonnée.
[237] Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs des juges Karakatsanis, Martin et Moreau rendus par
Les juges Martin et Moreau —
I. Aperçu
[238] Le présent pourvoi porte sur la conduite de policiers au cours d’une enquête en matière de drogues et invite la Cour à déterminer si une technique d’enquête particulière faisait intervenir l’attente raisonnable au respect de la vie privée de l’accusé en application de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés; à préciser la portée et l’application appropriée de la doctrine de l’urgence de la situation en conformité avec l’art. 8 de la Charte; et à statuer sur l’admissibilité des éléments de preuve obtenus au regard du par. 24(2) de la Charte.
[239] La nature de l’intervention de l’État qui est contestée joue un rôle important dans l’analyse et la résolution de ces importantes questions juridiques. Des policiers ont arrêté Kyle Gammie pour trafic de drogues, saisi son téléphone et vu une partie de conversation par messages textes entre lui et « Dew ». Par la suite, et sans aucune forme d’autorisation judiciaire préalable, les policiers ont décidé d’utiliser le téléphone cellulaire qu’ils avaient saisi. Pendant environ deux heures, ils ont pris contrôle du téléphone et se sont fait passer pour M. Gammie dans une série de communications par messages textes avec « Dew ». Pendant ce temps, « Dew », qui s’est avéré être l’appelant, M. Campbell, ignorait qu’il communiquait avec des policiers et non avec M. Gammie. Les policiers ont demandé à Dew de livrer de l’héroïne d’une valeur de 1 250 $ au domicile de M. Gammie, où ils se trouvaient alors. Lorsque M. Campbell est arrivé à la résidence de M. Gammie avec la drogue demandée, les policiers l’ont arrêté et accusé des infractions en cause dans le présent pourvoi.
[240] Monsieur Campbell conteste la légalité de la façon dont les policiers ont utilisé le téléphone de M. Gammie pour communiquer avec lui afin d’organiser la transaction de drogue. Il demande l’exclusion des éléments de preuve obtenus par les policiers au motif que la technique d’enquête qu’ils ont choisie ne respectait pas les droits qui lui sont garantis par l’art. 8 de la Charte ou n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour en matière de fouilles, de perquisitions et de saisies légitimes.
[241] La Cour est donc pour la première fois appelée à examiner une situation où, après avoir arrêté le suspect qu’ils ciblaient dans le cadre d’une enquête liée au trafic de drogues, des policiers se sont servis d’un téléphone saisi, se sont fait passer pour son propriétaire, ont pris part à un long échange de messages textes, puis ont commencé une enquête distincte sur une transaction de drogue distincte impliquant un nouveau suspect jusque‑là inconnu. En amorçant un échange de messages textes avec M. Campbell, alors qu’ils se faisaient passer pour M. Gammie, une personne réelle connue de M. Campbell, les policiers ont facilité une nouvelle transaction de drogue différente, obtenant ainsi des communications privées en temps réel sur une base continue. Étant donné que les communications se faisaient par messages textes, les policiers comprenaient qu’ils créaient aussi un relevé écrit de tout ce qui se disait dans leur conversation textuelle. Les policiers ont expliqué qu’après l’arrestation de M. Gammie, ils ont dirigé leur attention sur la personne qui lui envoyait des messages textes, parce qu’ils croyaient que l’héroïne pouvait contenir du fentanyl et qu’ils voulaient empêcher qu’elle soit vendue à quelqu’un d’autre qu’eux.
[242] Nous reconnaissons que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de ses communications et que le droit qui lui est garanti par l’art. 8 de la Charte entrait en jeu. Les conversations par messages textes promettent aux participants un haut degré de confidentialité et sont susceptibles de révéler une quantité considérable de renseignements personnels (R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608). Le Parlement a prévu divers moyens permettant de solliciter une autorisation judiciaire préalable lorsque l’intervention de l’État menace l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée. Dans le présent cas, les policiers n’ont ni sollicité ni obtenu une telle autorisation et leur fouille sans mandat constituait par conséquent une violation prima facie de l’art. 8 — à moins qu’ils puissent établir l’existence de circonstances spéciales reconnues en droit comme justifiant leurs actes. Les tribunaux ont naturellement défini ces situations avec soin et de manière spécifique.
[243] Nous sommes d’accord avec le juge Jamal pour dire que la technique d’enquête reprochée, qui a consisté à se faire passer pour M. Gammie au cours d’une conversation par messages textes, ne pouvait être justifiée en vertu du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoirement à une arrestation.
[244] En outre, nous rejetons l’argument qu’avance la Couronne sur la base d’un courant jurisprudentiel qui autorise le recours exceptionnel au pouvoir de procéder à une fouille ou à une perquisition sans mandat dans des situations de véritable urgence, argument suivant lequel la fouille sans mandat en l’espèce était légale parce que les policiers pensaient être en présence d’une « situation d’urgence » et n’étaient pas en mesure d’obtenir un mandat à temps. À notre avis, comprise correctement à la lumière de sa portée limitée et de sa prudente évolution jurisprudentielle, la doctrine de l’urgence de la situation ne justifie pas la fouille dans la présente affaire.
[245] Même en acceptant que la quantité et le type de drogues en jeu présentaient un risque de préjudice potentiel pour la sécurité publique, nous estimons que la situation est loin de satisfaire à l’exigence d’un risque imminent pour un individu ou un groupe. Les risques allégués dans ce cas‑ci n’étaient pas imminents ou immédiats au sens exigé par la loi, et ils n’auraient pu se matérialiser qu’après que deux autres événements subséquents possibles ou plus se soient produits. Pour dire les choses simplement, la jurisprudence ne permet pas de conclure que la vente potentielle et la consommation subséquente d’une drogue nocive constituent une urgence en l’absence d’un risque de danger imminent pour la police ou la sécurité publique. Les faits de la présente affaire n’établissent pas l’existence d’un risque imminent pour la sécurité justifiant une intervention policière sans mandat, et il n’y avait donc aucune situation d’urgence justifiant la fouille sans mandat prévue au par. 11(7) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19 (« LRCDAS »).
[246] Pour les motifs qui suivent, nous concluons que les actes des policiers ont porté atteinte aux droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 de la Charte et que l’utilisation des éléments de preuve découlant de la conversation électronique est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice aux termes du par. 24(2) de la Charte. En conséquence, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité de l’appelant et d’inscrire des acquittements.
II. Contexte
[247] Au cours de l’après‑midi du 14 juin 2017, des membres de l’unité antidrogue du service de police de Guelph ont procédé à l’arrestation de M. Gammie à l’extérieur de sa résidence pour des infractions liées à la drogue. Monsieur Gammie était connu des policiers en tant que [traduction] « trafiquant de rue ou [. . .] homme de main » (motifs exposés au terme du voir‑dire (reproduits au d.a., p. 1‑36), par. 49). Sur la foi d’indications confidentielles selon lesquelles M. Gammie était impliqué dans le trafic de drogues, les policiers l’ont placé sous surveillance et ont obtenu un mandat de perquisition visant son appartement. Il a été arrêté vers 16 h 25 alors qu’il quittait l’immeuble à appartements. Durant l’arrestation, un des membres de l’équipe de surveillance, l’agent Kendall Brown, a vu M. Gammie lancer deux téléphones cellulaires sur le siège passager de son véhicule, et il les a saisis accessoirement à l’arrestation. L’agent Brown a remis les téléphones cellulaires au policier chargé des pièces à conviction, l’agent Andrew Orok. Ils ont été apportés à l’intérieur de la résidence de M. Gammie, où les policiers exécutaient le mandat de perquisition.
[248] Vers 16 h 50, les policiers ont constaté que l’un des téléphones cellulaires saisis affichait des messages textes entrants, non lus, provenant d’un dénommé « Dew » sur l’écran verrouillé. Le procureur de l’appelant a concédé au cours des plaidoiries orales que Dew était M. Campbell. Quatre messages étaient visibles :
[traduction]
Famille, j’ai besoin de 1250 pour cette moitié‑là par contre
Allooo
À quelle tu vas en avoir besoin parce que je ne veux pas me promener en voiture avec
À quelle heure tu vas en avoir besoin
(motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 10)
[249] Le premier message était arrivé à environ 16 h 31, et les trois suivants, à 16 h 50. L’agent Orok a porté les messages à l’attention du sergent Ben Bair, l’officier supérieur chargé de l’enquête. Le sergent Bair a témoigné que, d’après son expérience en matière d’enquêtes sur les drogues dans la région de Guelph et compte tenu du prix comparativement peu élevé de 1 250 $ pour une telle quantité, il croyait que les messages se rapportaient à une transaction d’héroïne additionnée de fentanyl, et non à une vente d’héroïne pure. Lors du voir‑dire, il a également expliqué qu’à l’époque on estimait que 75 p. 100 de l’héroïne circulant à Guelph contenait du fentanyl. Sa crainte était que, si la police manquait la vente, la drogue causerait des décès [traduction] « soit dans [sa] collectivité soit ailleurs » (d.a., partie V, vol. I, p. 59).
[250] Les trois policiers ont conversé brièvement pendant une minute ou une minute et demie et en sont venus à la conclusion que l’urgence de la situation les autorisait à poursuivre la conversation avec Dew à partir du téléphone de M. Gammie. Durant leur discussion, ils ont considéré qu’ils avaient saisi légalement le téléphone de M. Gammie accessoirement à l’arrestation et qu’ils n’avaient pas essayé de le déverrouiller. Ils estimaient que seul M. Gammie avait une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard du téléphone, mais ne pensaient pas que le mandat de perquisition qu’ils avaient obtenu plus tôt dans la journée à l’égard de l’appartement leur permettait de fouiller un téléphone saisi dans le véhicule. Ils se sont également demandé si le fait de donner suite aux renseignements affichés sur l’écran constituerait de la provocation policière, mais ils ont ultimement estimé que ce n’était pas le cas. Étant donné que les textos les amenaient à penser que Dew était impatient et que la transaction concernait de l’héroïne contenant du fentanyl, les policiers voulaient faire en sorte que la drogue soit livrée pour la [traduction] « retirer [. . .] de la rue avant qu’elle soit vendue à quelqu’un d’autre » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 69).
[251] Les policiers ont témoigné qu’à l’heure qu’il était ce jour‑là, il leur aurait fallu obtenir un télémandat, mais qu’ils estimaient ne pas avoir le temps de le faire, car cela risquait de leur faire manquer la vente potentielle. Le sergent Bair a dit avoir estimé qu’ils n’avaient pas le temps d’obtenir un mandat, parce que si M. Gammie mettait trop de temps à répondre aux messages, Dew supposerait qu’il avait été arrêté et vendrait la drogue à quelqu’un d’autre.
[252] Le sergent Bair a donné comme consigne à l’agent Orok de participer à la conversation avec Dew en se faisant passer pour M. Gammie. Le choix de cette technique d’enquête visait à faire en sorte que la drogue soit livrée à la résidence de M. Gammie. Les policiers ont pu voir les messages affichés sur l’écran verrouillé et y répondre sans consulter davantage le contenu du téléphone. Le sergent Bair a confirmé dans son témoignage que les policiers avaient commencé à participer à la conversation avec Dew vers 16 h 50 et que M. Campbell avait finalement été arrêté à 19 h 05.
[253] Durant cette période d’environ deux heures, l’agent Orok a échangé 35 messages avec Dew, qui était en fait M. Campbell, comme celui‑ci l’a plus tard confirmé. Se faisant passer pour M. Gammie, l’agent Orok a envoyé une première réponse à M. Campbell à 16 h 51. Dans ses messages à M. Campbell, l’agent Orok a confirmé vouloir conclure la nouvelle transaction d’héroïne et a demandé à M. Campbell d’apporter la drogue à la résidence de M. Gammie. Il a relancé M. Campbell à quelques reprises pour savoir combien de temps il lui faudrait pour arriver. Lorsque M. Campbell a voulu parler au téléphone, et qu’il a spontanément appelé à un autre téléphone de M. Gammie, l’agent Orok a affirmé, pour calmer les soupçons de M. Campbell, qu’une autre personne avait son téléphone. Les messages de l’agent Orok visaient à faire en sorte que la livraison ait lieu, et ils fournissaient des instructions sur le trajet à la résidence et sur l’endroit où entrer dans l’immeuble.
[254] Les trois policiers ont attendu à l’intérieur de la résidence pendant approximativement deux heures avant que M. Campbell n’arrive. Le sergent Bair a annulé la venue de policiers supplémentaires à la résidence de M. Gammie pendant l’attente, et l’exécution du mandat a été suspendue. L’agent Orok a engagé la communication par messages textes et, mis à part la discussion au sujet des textos entrants, il ne s’est pas passé grand‑chose à l’intérieur de la résidence. Rien dans le dossier n’indique que l’obtention d’un mandat a été discutée davantage.
[255] Lorsque M. Campbell est arrivé à la porte latérale de l’immeuble à appartements de M. Gammie, il a retiré un soulier de course rouge qui avait été placé pour maintenir la porte entrouverte, comme cela avait été discuté dans les messages qu’il avait échangés avec l’agent Orok. Il s’est présenté avec le soulier en main à la porte de l’appartement de M. Gammie, où des policiers en uniforme l’attendaient et l’ont informé qu’il était en état d’arrestation. Monsieur Campbell a tenté de s’enfuir, mais il a été appréhendé, arrêté et fouillé. Les policiers ont saisi un téléphone cellulaire, 14,33 grammes d’héroïne mélangée à du fentanyl et 40 $ en espèces. Le téléphone saisi de M. Campbell affichait encore à l’écran les messages de la conversation avec l’agent Orok. Les policiers ont ensuite parcouru le téléphone de M. Campbell et pris des photos des messages textes, ce qui a entraîné une violation subséquente de l’art. 8 de la Charte.
[256] Ce qui s’est produit et la nature précise de la conduite policière en cause ont une incidence sur les questions juridiques centrales qui se posent en l’espèce, à savoir : Cette intervention de l’État a-t-elle mis en jeu et violé le droit garanti à M. Campbell par l’art. 8 de la Charte de ne pas faire l’objet de fouilles, perquisitions et saisies abusives? Les policiers peuvent-ils justifier leurs actes en plaidant « l’urgence de la situation »? L’utilisation des éléments de preuve ainsi obtenus est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice au regard des facteurs dont notre Cour doit tenir compte pour l’application du par. 24(2) de la Charte?
III. Analyse
A. Monsieur Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des communications électroniques
[257] Nous sommes d’accord avec notre collègue le juge Jamal et avec la Cour d’appel pour dire que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de ses communications électroniques avec la police (motifs du juge Jamal, par. 41; motifs de la C.A., 2022 ONCA 666, 163 O.R. (3d) 355, par. 33). Nous sommes en outre d’avis que l’approche fondée sur l’ensemble des circonstances demeure la bonne pour déterminer si un demandeur a une attente raisonnable au respect de sa vie privée (motifs du juge Jamal, par. 40), y compris dans les cas où la conduite des policiers comporte un volet d’infiltration (R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30). Même si certaines caractéristiques de la technique d’enquête ne violent pas le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée (p. ex., le caractère bien en vue des messages textes), le tribunal ne peut s’appuyer sur celles‑ci pour justifier les aspects de l’enquête qui ont une incidence sur le respect de la vie privée. L’accent doit plutôt demeurer sur la possibilité qu’une technique donnée révèle des renseignements privés au regard de l’ensemble des circonstances.
[258] Vu la nature de la conduite policière en cause, nous tenons à préciser que la violation de cet intérêt en matière de vie privée doit être considérée comme impliquant un degré d’intrusion élevé. En ayant choisi, créé et utilisé la technique d’enquête spécifique en l’espèce, les policiers ne s’en sont pas tenus à fouiller un téléphone ou à observer passivement des communications privées par textos : ils se sont introduits activement dans une conversation [traduction] « entre deux personnes réelles dont la relation était préexistante, essentiellement en usurpant l’identité de l’un des participants » (motifs de la C.A., par. 71).
[259] La technique consistant à usurper l’identité d’une personne existante dans de telles circonstances entraîne une ingérence particulièrement insidieuse de la part de la police. Il ne s’agit pas d’une technique que notre Cour a examinée antérieurement dans le contexte de l’art. 8 de la Charte, et elle n’est pas analogue à la situation dans laquelle un agent d’infiltration agit sous le couvert d’un personnage fictif (voir, p. ex., R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320; R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544). Elle n’est pas similaire non plus à la situation où un policier répond à un appel sur le téléphone d’une personne arrêtée et, là aussi, se fait passer pour une personne fictive (voir, p. ex., R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, où la Cour s’est demandé si le témoignage d’un policier concernant un appel relatif à un achat de drogue constituait du ouï‑dire inadmissible).
[260] En outre, dans le cas de conversations téléphoniques, la capacité de se faire passer pour une personne connue de celle qui appelle est limitée, et il existe un risque réel que cette dernière découvre la tromperie. Les efforts qu’ont déployés les policiers afin d’éviter de répondre aux appels de M. Campbell illustrent bien cette difficulté. Par contraste, dans le cas d’une conversation par messages textes, la possibilité pour les policiers de se faire passer pour le destinataire et de tromper l’expéditeur n’est limitée que par les occasions qu’ils ont de le faire et par les restrictions imposées par la loi. Suivant l’analyse normative visant à déterminer l’existence d’une attente raisonnable au respect de la vie privée, l’État ne devrait pas être autorisé à s’immiscer dans nos relations personnelles pour ensuite utiliser les liens de ces relations afin d’obtenir des renseignements ou de susciter un comportement précis en l’absence d’autorisation légale (R. c. Bykovets, 2024 CSC 6, par. 7 et 52‑53). La tromperie (et l’efficacité) de cette technique repose sur l’exploitation d’une relation existante entre des personnes privées, ce qui est susceptible de révéler à la police des renseignements de nature très personnelle. Notre confiance de façon générale, et dans l’État en particulier, serait gravement ébranlée si le dernier texto que nous recevions d’une connaissance ou d’un membre de la famille provenait, en réalité, d’un policier ayant dissimulé son identité. Cette technique d’enquête corrode la dignité et l’autonomie établies par le biais de relations personnelles privées.
[261] Le fait de reconnaître que, dans une société libre et démocratique, la revendication du droit au respect de la vie privée à l’égard de conversations personnelles par textos entre des personnes qui se connaissent doit être considérée comme étant [traduction] « à l’abri de toute intrusion par l’État — sauf justification constitutionnelle — » ne compromet pas la capacité de la police d’enquêter sur les crimes et de découvrir des éléments de preuve au moyen de fouilles ou de perquisitions (R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, par. 28, citant R. c. Ward, 2012 ONCA 660, 112 O.R. (3d) 321, par. 87, le juge Doherty). Cela a tout simplement pour effet d’exiger que les policiers soient légalement autorisés à agir. Une fois qu’ils ont obtenu un mandat de perquisition, comme c’était le cas dans l’affaire CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743, ou qu’ils disposent d’un autre pouvoir légal, il est permis aux policiers « de découvrir et de conserver le plus d’éléments de preuve pertinents possible » (par. 22) dans les limites des pouvoirs en question.
[262] En somme, M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances et, partant, l’art. 8 de la Charte est en jeu. Nous allons maintenant examiner les actes des policiers et les pouvoirs qui, le cas échéant, les autorisaient à agir comme ils l’ont fait.
B. Il s’agissait d’une fouille sans mandat
[263] Nos règles de droit régissant les fouilles, les perquisitions et les saisies reconnaissent l’importance du droit au respect de la vie privée et ont toujours préconisé un système de responsabilité requérant la justification de toute transgression de ce droit avant une intervention de l’État (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 160‑161; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S 657, par. 22‑24; Bykovets, par. 88).
[264] En l’espèce, les policiers n’ont pas tenté d’obtenir quelque forme d’autorisation judiciaire que ce soit avant de décider de se faire passer pour M. Gammie et d’utiliser son téléphone pour participer à une conversation par messages textes en temps réel avec M. Campbell.
[265] Sur le plan factuel, il n’y a aucun élément de preuve précisant le type particulier de mandat dont les policiers auraient, selon eux, eu besoin. Sur le plan juridique, la présente affaire a été plaidée au regard du par. 11(7) de la LRCDAS, mais il n’est pas clair que la technique d’enquête utilisée en l’espèce aurait pu être autorisée par le biais du par. 11(1). Il aurait été évident pour les policiers qu’ils étaient sur le point de procéder à la fouille et à la saisie de communications en temps réel sur une base continue. L’obtention de tels éléments de preuve excède les pouvoirs décrits à l’art. 11 de la LRCDAS. Les paragraphes (1), (5) et (6) de l’art. 11 permettent aux policiers d’effectuer une perquisition pour saisir des éléments de preuve ou des choses qu’ils croient qui existent déjà (p. ex., des éléments de preuve qui sont dans « un lieu » (par. 11(1)) ou qu’une personne fouillée s’y trouvant « a sur elle » (par. 11(5)), ou encore d’autres éléments de preuve qui ne sont pas mentionnés dans le mandat (par. 11(6))) (voir R. c. Paris, 2015 ABCA 33, 320 C.C.C. (3d) 102, par. 17; S. C. Hutchison et autres, Search and Seizure Law in Canada (feuilles mobiles), § 16.10).
[266] Bien que le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, offre certaines possibilités, nous avons entendu peu d’arguments au sujet des types d’autorisations qui auraient pu être demandées à l’égard d’une telle conduite policière. La question de savoir si cette conduite constituait une interception au sens de la partie VI du Code criminel a été soulevée par M. Campbell devant les juridictions inférieures et durant la plaidoirie orale devant notre Cour. Monsieur Campbell a aussi prétendu pour la première fois devant notre Cour que les policiers auraient dû demander un mandat général avant de se livrer à cette conduite particulière (transcription, p. 20 et 131‑132).
[267] La nature inusitée de la technique utilisée pourrait nécessiter une autorisation fondée sur un mandat général délivré en vertu de l’art. 487.01 du Code criminel. Le mandat général est une façon pour la police d’obtenir une autorisation préalable pour des techniques ou des procédures non mentionnées dans le Code criminel, lorsqu’aucune autre disposition ne prévoit la fouille ou la perquisition (R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3, par. 16 et 51; voir aussi Hutchison et autres, § 16:26, et J. A. Fontana et D. Keeshan, The Law of Search and Seizure in Canada (13e éd. 2024), p. 675‑676). Par contraste avec l’art. 11 de la LRCDAS, un mandat général peut être délivré à l’égard d’une infraction anticipée et d’éléments de preuve qui n’existent pas encore (R. c. Noseworthy (1997), 1997 CanLII 1853 (ON CA), 33 O.R. (3d) 641 (C.A.); R. c. Lucas, 2014 ONCA 561, 121 O.R. (3d) 303, par. 110 et 113‑114; R. c. Ly, 2016 ABCA 229; B. A. MacFarlane, R. J. Frater et C. Michaelson, Drug Offences in Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), § 25:39).
[268] Nous ne souscrivons pas à l’opinion voulant que la technique d’enquête conçue et adoptée par les policiers en l’espèce ne puisse constituer une « interception » au sens de la partie VI du Code criminel. L’analyse du juge Jamal va à l’encontre de l’interprétation libérale de la partie VI donnée par la Cour (TELUS, par. 23‑25, 40 et 43). Avec égards, le fait d’insister sur la « nécessité d’un “dispositif ou appareil” distinct » (motifs du juge Jamal, par. 98‑99) ne permet pas de véritablement examiner « au fond la technique d’enquête policière » (TELUS, par. 62). L’analyse est plutôt axée sur les « formalités » de la technique d’enquête (par. 62 et 77). La Cour a mis en garde contre une interprétation formaliste de la partie VI qui traite trop étroitement les « différences techniques » entre les divers modes d’obtention de la preuve (par. 3‑5 et 24‑25).
[269] Le Code criminel n’exige pas qu’un dispositif distinct soit utilisé pour qu’il y ait interception. Aux termes du par. 184(1), commet une infraction quiconque intercepte sciemment une communication privée « au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre ». L’article 183 du Code criminel énonce qu’un « dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre » s’entend de « [t]out dispositif ou appareil utilisé ou pouvant être utilisé pour intercepter une communication privée ». Cette phrase englobe une grande variété de dispositifs, allant du [traduction] « système de surveillance par satellite le plus complexe au simple verre plaqué contre un mur pour écouter une conversation qui se déroule dans la pièce voisine » (R. W. Hubbard, M. Lai et D. Sheppard, Wiretapping and Other Electronic Surveillance : Law and Procedure (feuilles mobiles), § 1:4). En formulant cette définition, le Parlement entendait viser [traduction] « toutes les méthodes possibles permettant d’intercepter des communications privées, à l’exception de l’audition humaine normale » (ibid.). C’est ce qui ressort d’une interprétation téléologique et contextuelle des dispositions, y compris la définition large de la notion d’« intercepter » à l’art. 183 du Code criminel, qui « [s]’entend notamment du fait d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d’une communication ou de sa substance, son sens ou son objet. »
[270] Il ressort d’une simple lecture de l’art. 183 que [traduction] « le dispositif du destinataire (une fois que la police s’en est emparée) est un dispositif qui peut être utilisé pour “intercepter une communication privée” » (S. Penney, « Consent Searches for Electronic Text Communications : Escaping the Zero‑Sum Trap » (2018), 56 Alta. L. Rev. 1, p. 25).
[271] En outre, le fait que l’autorisation accordée en vertu de la partie VI permet notamment d’installer ou de retirer un dispositif secrètement (Code criminel, par. 186(5.1)) ne signifie pas que seules les interceptions qui impliquent un dispositif distinct du moyen de communication utilisé sont assujetties à la partie VI. La partie VI a été édictée pour répondre aux préoccupations accrues concernant la vie privée que suscite l’intervention policière consistant à « intercepter » des communications privées (TELUS, par. 23‑24). L’installation d’un dispositif distinct n’est qu’une des méthodes employées pour procéder à une interception.
[272] Relativement à la question de la surveillance non participative, la Cour a précisé, dans l’arrêt R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696, que « l’interception correspond aux actes accomplis par un tiers qui s’interpose en temps réel dans le processus de communication en recourant à des moyens technologiques » (par. 72, cité dans les motifs du juge Jamal, par. 96). Il convient de signaler que l’arrêt Jones ne comporte aucun énoncé sur la nécessité d’un dispositif distinct dans tous les cas. Cette précision dans Jones tenait compte des faits dont la Cour était saisie et, selon nous, elle s’applique aux circonstances de la présente affaire. En l’espèce, les policiers ont utilisé des messages textes (les actes accomplis) pour s’interposer dans le processus de communication entre MM. Campbell et Gammie en temps réel en employant un téléphone cellulaire (le moyen technologique). De plus, ce moyen technologique a généré un relevé de la conversation.
[273] Bien que les dispositions pertinentes du Code criminel soient « des lois édictées dans les années 1970 », la Cour a déclaré dans TELUS que la partie VI doit être interprétée à la lumière des droits garantis à l’art. 8 de la Charte, « lesquels doivent progresser au rythme de la technologie » (par. 33 et 53, citant R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, p. 44; Bykovets, par. 11). Le message clair est que les nouvelles techniques d’enquête policière doivent être adaptées d’une manière qui s’accorde avec les droits garantis par la Charte. Souvent, la nécessité de recourir à de nouvelles techniques découle précisément d’une innovation technologique qui exige une réponse inventive dans l’intérêt public. En l’espèce, le progrès technologique réside dans la façon dont un téléphone cellulaire permet à la fois les conversations textuelles et vocales et crée automatiquement un relevé des messages textes envoyés et reçus. La manière dont un tel appareil peut maintenant fonctionner amène donc de nouvelles façons de consigner ou d’obtenir des conversations en vertu de l’art. 183 du Code criminel. Dans Jones, la Cour a invité les tribunaux à rester « conscient[s] [. . .] [des] moyens modernes de surveillance électronique », car l’État pourrait être « tenté de se livrer à des [traduction] “recherche[s] à l’aveuglette [prospectives] dans l’espoir de découvrir des indices d’un crime” » (par. 74, citant Wong, p. 47, et R. c. Finlay (1985), 1985 CanLII 117 (ON CA), 23 C.C.C. (3d) 48 (C.A. Ont.), p. 70).
[274] Suivant une analyse normative du respect de la vie privée, il n’existe pas non plus de distinction significative entre l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée par la police et un échange de messages textes de la même conversation qui génère son propre relevé. Des conversations privées ne devraient pas recevoir des mesures de protection moindres de la part de l’État simplement parce que la police n’utilise pas un appareil distinct pour les enregistrer. Une telle interprétation fait fi de l’objectif de la partie VI, qui a été édictée précisément pour assurer une protection contre « les atteintes non autorisées à la vie privée par les agents de l’État, peu importe la forme technique que peuvent revêtir les divers moyens employés » (TELUS, par. 33 (nous soulignons), citant Wong, p. 44).
[275] Il est évident que si la conversation entre les policiers et M. Campbell avait eu lieu par téléphone et que les policiers avaient utilisé un dispositif d’enregistrement pour conserver cette conversation, une autorisation fondée sur la partie VI aurait été nécessaire. Cependant, nous ne pouvons accepter que dans les cas où, comme en l’espèce, la même conversation a lieu grâce à un moyen ayant la caractéristique de créer son propre relevé, le degré d’intrusion de l’État dans la vie privée est d’une certaine façon moins élevé et qu’aucune autorisation n’est nécessaire. Avec égards, cette approche trop rigide a peu de sens et elle offre des protections inadaptées aux droits liés à la vie privée, en plus de faire abstraction de la fréquence à laquelle les conversations personnelles et privées se font de nos jours par messages textes plutôt qu’au moyen d’appels téléphoniques conventionnels.
[276] L’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta R. c. Beairsto, 2018 ABCA 118, 68 Alta. L.R. (6th) 207, ne peut être invoqué au soutien de la proposition voulant qu’il n’y ait pas eu interception en l’espèce. Premièrement, le juge du procès dans cette affaire s’est fondé sur une interprétation trop étroite de l’arrêt Duarte de la Cour, estimant qu’il portait uniquement sur l’« enregistrement » de communications privées, plutôt que sur la capacité de l’État d’accéder à ce qui était censé être une conversation privée entre des citoyens individuels (R. c. Beairsto, 2016 ABQB 216, 37 Alta. L.R. (6th) 379, par. 59‑61; Duarte, p. 43‑44; Penney, p. 23). Deuxièmement, le juge du procès a repris à son compte le même type d’analyse fondée sur l’acceptation du risque qui a été rejetée dans l’arrêt Duarte. Enfin, la Cour d’appel dans Beairsto s’est appuyée exclusivement sur la décision rendue par la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans R. c. Mills, 2017 NLCA 12, 1 C.A.N.L.R. 488, pour appuyer la prétention selon laquelle une tromperie ne constitue pas une interception (par. 25). Toutefois, le raisonnement suivi par la Cour d’appel dans Mills reposait en grande partie sur la participation d’un tiers pour qu’il y ait interception (par. 13‑14). Une « interception » n’exige pas la présence d’un tiers dans les cas de surveillance participative (Mills (CSC), par. 139, la juge Martin).
[277] Bien que nous ne souscrivions pas à la conclusion du juge Jamal selon laquelle il ne pouvait s’agir en l’espèce d’une interception requérant une autorisation fondée sur la partie VI, en l’absence d’argumentations complètes et sans le bénéfice d’un examen par la Cour d’appel visant à déterminer la disposition d’autorisation appropriée, notre Cour ne dispose pas des assises nécessaires pour décider de façon décisive quelle disposition législative permettrait à un tribunal d’autoriser la conduite policière en cause. Nous préférons donc reporter à une autre occasion l’examen de cette question. Toutefois, tant à la partie VI qu’à l’art. 487.01 du Code criminel, le Parlement a signalé que les policiers doivent respecter des normes plus rigoureuses en vue d’obtenir des éléments de preuve en « interceptant » des communications privées ou en utilisant des techniques nouvelles qui ne sont pas prévues au Code criminel (voir les exigences légales prévues à l’égard des interceptions urgentes aux art. 184.4 et 188, et du mandat général au par. 487.01(1)). Comme les conclusions tirées par le juge du procès en l’espèce ne satisfont pas à la norme juridique de l’urgence justifiant une fouille sans mandat en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS, il est préférable que la détermination de la disposition législative d’autorisation appropriée soit basée sur des argumentations complètes et exhaustives.
[278] Indépendamment de la question de la disposition précise du Code criminel devant être invoquée pour autoriser la technique d’enquête choisie par les policiers, nous sommes en présence d’une fouille pour laquelle aucun mandat n’a été obtenu. Comme l’indique très clairement l’arrêt Hunter, une fouille sans mandat est à première vue abusive (p. 161). Afin de s’acquitter du fardeau de démontrer qu’une fouille sans mandat n’était pas abusive au sens de l’art. 8 de la Charte, la Couronne doit établir que cette fouille était autorisée par la loi, et que tant la règle de droit l’autorisant que la manière dont elle a été effectuée ne sont pas abusives (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 277‑278; R. c. Tim, 2022 CSC 12, [2022] 1 R.C.S. 234, par. 45‑46). Pour les motifs qui suivent, nous concluons que la fouille effectuée en l’espèce était abusive : il ne s’agissait pas d’une fouille accessoire à l’arrestation, et l’absence de préjudice imminent signifie que la situation n’était pas urgente.
C. La technique d’enquête utilisée ne constituait pas une fouille accessoire à l’arrestation
[279] Nous sommes d’accord avec le juge Jamal pour dire que les communications des policiers avec l’appelant ne relèvent pas du champ d’application d’une fouille accessoire à l’arrestation, parce que les policiers ne l’ont pas effectuée pour un objectif valable d’application de la loi lié aux motifs de l’arrestation. Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, qui circonscrit étroitement ce pouvoir, n’autorise pas les policiers à se servir d’un téléphone cellulaire saisi légalement pour communiquer avec une autre personne en tant qu’aspect de leur pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation. Plusieurs passages de l’arrêt Fearon tendent à indiquer que l’analyse qu’a effectuée la Cour se limite à l’accès au contenu existant et à sa consultation, et elle n’englobe pas toutes les façons dont un policier pourrait utiliser ou fouiller un téléphone cellulaire (voir par. 76).
[280] Dans le cas qui nous occupe, bien que les policiers aient arrêté M. Gammie pour trafic de drogues, cette arrestation n’était pas liée à la transaction de drogue imminente avec M. Campbell. Cette transaction constituait une infraction potentielle distincte. Les policiers n’ont pris connaissance de la transaction qu’après avoir lu les quatre premiers messages sur le téléphone de M. Gammie pendant qu’il était en état d’arrestation. En conséquence, l’investigation d’une infraction potentielle distincte commise par une autre personne ne saurait être considérée comme véritablement accessoire aux raisons de l’arrestation de M. Gammie.
D. Les mesures prises par les policiers n’étaient pas justifiées par la doctrine de l’urgence de la situation
[281] Nous passons maintenant à l’argument de la Couronne portant que la fouille effectuée sans mandat par les policiers n’avait tout de même rien d’abusive vu l’urgence de la situation. Le terme « urgence de la situation » a été décrit comme étant [traduction] « un critère à appliquer pour déterminer la justification d’une fouille sans mandat » (Fontana et Keeshan, p. 1753). Lorsqu’une fouille sans mandat relève du champ d’application approprié de la doctrine de l’urgence de la situation et qu’elle n’est pas effectuée de manière abusive, elle peut être conforme à l’art. 8 de la Charte (R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 18; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223 (« Grant 1993 »), p. 250).
[282] Devant les juridictions inférieures, cette question a été examinée au regard du par. 11(7) de la LRCDAS (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 98‑100; motifs de la C.A., par. 77‑80). À notre avis, qu’il ait été possible ou non que cette technique d’enquête soit autorisée par application de l’art. 11 de la LRCDAS, nous sommes convaincues que les droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 ont de toute façon été violés, car les faits constatés par le juge du procès ne correspondaient pas, en droit, à une situation d’urgence. Le paragraphe 11(7) implique l’application d’une norme moins exigeante que celle requise par des sources plus rigoureuses permettant l’obtention sans mandat de communications en temps réel. Même à supposer que la conduite des policiers puisse relever des pouvoirs de fouille sans mandat prévus au par. 11(7), les circonstances de la présente affaire débordent largement le cadre du volet relatif à la sécurité reconnu de la doctrine de l’urgence de la situation.
[283] Pour expliquer cette conclusion, nous allons traiter brièvement de la question de la norme de contrôle appropriée, examiner les origines et la portée de la doctrine de l’urgence de la situation, puis démontrer pourquoi cette doctrine n’a pas été appliquée correctement en l’espèce.
(1) L’urgence de la situation implique l’application d’une norme juridique aux faits en cause
[284] À l’instar de notre collègue le juge Jamal, nous sommes d’avis que la question de savoir si les conclusions de fait en l’espèce répondent aux exigences de la doctrine de l’urgence de la situation constitue une question de droit (R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 20). Il est vrai que les constatations factuelles concernant ce qui s’est produit, ainsi que les raisons pour lesquelles les policiers croyaient qu’une intervention urgente sans mandat était nécessaire, « découle[nt] des conclusions de fait du juge du procès » et sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante (ibid.; voir aussi le par. 18). Toutefois, la question de savoir si ces faits constituent, en droit, une situation urgente qui fait en sorte que la fouille sans mandat n’est pas abusive au sens de l’art. 8 de la Charte implique « l’application d’une norme juridique aux faits » (par. 20).
[285] L’appelant soutient que la Cour d’appel a appliqué la mauvaise norme de contrôle lorsqu’elle s’est demandé si, en droit, les conclusions de fait tirées par le juge du procès [traduction] « constituaient une situation urgente » (par. 83). Nous sommes du même avis. Conformément à l’arrêt Shepherd, il incombait au tribunal de révision de déterminer si les faits constatés par le juge du procès satisfaisaient à la norme juridique de l’urgence de la situation énoncée dans la loi et la jurisprudence. Avec égards, la Cour d’appel s’est erronément attardée à la question de savoir si les conclusions de fait du juge du procès concernant l’urgence de la situation invoquée et le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat étaient des conclusions [traduction] « déraisonnable[s] » ou « indûment conjecturale[s] », ou que le juge « pouvait valablement tirer » (par. 83‑84). La Cour d’appel a omis de se demander si, en droit, les faits constatés satisfaisaient à la norme juridique de l’urgence de la situation. Comme nous allons l’expliquer, les circonstances de la présente affaire ne correspondaient pas au type de risque imminent pour la sécurité qui constitue une situation urgente en droit.
(2) Les origines de la doctrine de l’urgence de la situation
[286] L’expression anglaise « exigent circumstances » (« urgence de la situation ») en tant que terme juridique tire ses origines de la jurisprudence américaine (Fontana et Keeshan, p. 1753; W. F. Foster et J. E. Magnet, « The Law of Forcible Entry » (1977), 15 Alta. L. Rev. 271, p. 289; voir Kentucky c. King, 563 U.S. 452 (2011)). Toutefois, l’idée qu’il existe un pouvoir exceptionnel de fouille, perquisition ou saisie sans mandat dans des circonstances atténuantes possède un historique distinct en common law anglo‑canadienne. Comme l’histoire le démontre, de tels pouvoirs ont toujours été interprétés étroitement. De fait, la doctrine de l’urgence de la situation ne peut être considérée séparément de l’approche normative de longue date en droit des fouilles, perquisitions et saisies selon laquelle, chaque fois que cela est possible, les intrusions ou atteintes touchant les biens, la vie privée ou la dignité des personnes doivent être préalablement autorisées. Un point particulièrement important dans le présent pourvoi est la façon dont notre Cour a, depuis l’adoption de la Charte, constamment appliqué une approche stricte et prudente en ce qui concerne la doctrine de l’urgence de la situation.
[287] Les pouvoirs exceptionnels dont l’application est réservée aux situations d’urgence ont émergé de l’importance accordée par la common law à la protection des gens contre les intrusions injustifiées dans une propriété privée. Historiquement, en common law, les policiers n’avaient pas le pouvoir de pénétrer dans une propriété privée pour y perquisitionner sans être légalement autorisés à le faire par un mandat, sauf accessoirement à une arrestation (R. c. Rao (1984), 1984 CanLII 2184 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), p. 110 et 120; Colet c. La Reine, 1981 CanLII 11 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 2, p. 8‑9; Hunter, p. 160; Entick c. Carrington (1765), 2 Wils. K.B. 275, 95 E.R. 807, p. 817‑818; Fontana et Keeshan, p. 1149‑1150).
[288] L’expression « exigent circumstances » (qui a été rendue en français par « circonstances critiques ») a été utilisée pour la première fois dans la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 739, qui portait sur une action pour intrusion. La question en litige dans Eccles consistait à décider si des policiers étaient autorisés à pénétrer dans un appartement privé pour y appréhender une personne visée par trois mandats d’arrestation. La Cour a confirmé tant « le principe de base » établi dans l’affaire Semayne’s Case (1604), 5 Co. Rep. 91a, 77 E.R. 194, p. 195, selon lequel [traduction] « la maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse », que l’exception à ce principe voulant que l’entrée puisse exceptionnellement être permise dans l’intérêt public aux fins d’exécution d’un acte judiciaire en matière criminelle, par exemple en vue de rechercher un fugitif (Eccles, p. 742‑743).
[289] Néanmoins, la Cour a également précisé que le pouvoir de pénétrer dans une propriété privée pour exécuter un mandat n’était pas illimité : les policiers devaient posséder des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée se trouvait à cet endroit; et, « [e]xcepté dans des circonstances critiques, les agents de police doivent faire une annonce avant d’entrer » (p. 745‑747 (nous soulignons)). L’arrêt Eccles a donc confirmé le principe « qui oblige les policiers à frapper à la porte et à annoncer leur présence » — un principe qui accorde de l’importance aux intérêts liés aux biens, à la vie privée et à la dignité (R. c. Cornell, 2010 CSC 31, [2010] 2 R.C.S. 142, par. 19) — tout en reconnaissant la possibilité d’exceptions basées sur l’urgence.
[290] Il n’existait pas de situation d’urgence dans Eccles, et la Cour a sommairement fait état de situations dans lesquelles les policiers seraient justifiés d’entrer sans s’annoncer : « . . . il y aura des occasions où, par exemple, afin de sauver de la mort ou de blessures quelqu’un qui se trouve sur les lieux ou d’empêcher la destruction d’une preuve, ou en cours de poursuite immédiate (hot pursuit), l’avis puisse ne pas être requis » (p. 747 (nous soulignons)).
[291] L’exception au principe de l’inviolabilité du domicile — fondée sur l’urgence de la situation en cas de poursuite immédiate — est bien établie en common law, et elle a survécu à l’établissement par la Cour, dans R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, de l’obligation faite aux policiers d’être munis d’un mandat pour pénétrer chez quelqu’un afin de procéder à son arrestation (par. 47 et 51; Semayne’s Case, p. 198; R. c. Macooh, 1993 CanLII 107 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 802, p. 813‑815). Dans l’arrêt Macooh, la Cour a défini le concept de prise en chasse (ou poursuite immédiate), soulignant que [traduction] « l’essence de la prise en chasse est qu’elle doit être continue et effectuée avec diligence raisonnable, de façon à ce que la poursuite et la capture, avec la perpétration de l’infraction, puissent être considérées comme faisant partie d’une seule opération » (p. 817, citant R. E. Salhany, Canadian Criminal Procedure (5e éd. 1989), p. 44). Les policiers qui venaient de constater la perpétration d’une infraction pouvaient donc légalement se lancer à la poursuite du suspect et pénétrer dans un domicile afin de s’assurer que le contrevenant n’échappe pas à la justice en se réfugiant à l’intérieur de sa demeure (Macooh, p. 815‑816).
[292] Les scénarios envisagés dans ces exemples impliquent nécessairement des conséquences qui se produiraient dans un cadre temporel rapproché de l’intervention policière — c’est‑à‑dire immédiatement ou peu de temps après celle‑ci. Si ces conséquences étaient éloignées de la situation immédiate, il n’y aurait aucun besoin ou motif justifiant une entrée soudaine dans un domicile. Par conséquent, deux aspects temporels liés à l’urgence de la situation se dégagent de ces exemples : premièrement, l’intervention policière est requise immédiatement; deuxièmement, l’intervention policière est nécessaire parce que le préjudice en question va se produire de façon imminente. En l’absence de préjudice imminent, la nécessité d’une intervention policière sans mandat immédiate disparaît.
(3) L’évolution de la notion d’urgence de la situation après la Charte
[293] L’avènement de la Charte a obligé la Cour à se demander comment la doctrine de l’urgence de la situation s’inscrirait dans un cadre constitutionnel accordant une importance accrue à la protection des intérêts liés à la vie privée. Dans un certain nombre de décisions importantes, examinées ci‑dessous, la Cour a pris soin de formuler les situations d’urgence en tant qu’exceptions restreintes à la règle selon laquelle les fouilles et perquisitions sans mandat sont à première vue abusives au sens de l’art. 8 de la Charte. À la suite de ces décisions, le Parlement a édicté des dispositions législatives autorisant des introductions, fouilles ou perquisitions sans mandat en cas de situation d’urgence, dispositions qui reflètent les principes énoncés dans ces affaires et, dans certains cas, y ajoutent.
a) Les premiers arrêts : reconnaissance d’une exception étroite et modifications législatives
[294] La décision pivot de la Cour, l’arrêt Hunter, a établi le cadre d’examen des fouilles et perquisitions sans mandat en cas de situation d’urgence. L’arrêt Hunter a reconnu que l’art. 8 de la Charte a pour but « de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée », but qui doit être réalisé à l’aide d’un mécanisme d’autorisation judiciaire préalable (p. 157‑158 et 160‑161). Même s’il ne traitait pas expressément d’une situation d’urgence, le juge Dickson (plus tard juge en chef) a reconnu qu’« il n’est peut‑être pas raisonnable dans tous les cas d’insister sur l’autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée », mais il a néanmoins dit être « d’avis de conclure qu’une telle autorisation, lorsqu’elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d’une fouille, d’une perquisition et d’une saisie » (p. 161 (nous soulignons)).
[295] Une analyse spécifique de la notion d’urgence de la situation n’a pas été entreprise avant l’arrêt Grant 1993, dans lequel la Cour s’est penchée sur la légalité de perquisitions périphériques effectuées sans mandat à une résidence en vertu de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1. L’article 10 permettait à la police d’effectuer des perquisitions sans mandat dans des lieux autres qu’une maison d’habitation pour des motifs raisonnables. La Cour a donné une interprétation atténuée de cette disposition, jugeant qu’elle allait à l’encontre de l’art. 8 de la Charte et qu’elle était inopérante dans la mesure où elle était censée autoriser une fouille ou une perquisition sans mandat en l’absence d’une situation d’urgence où il serait pratiquement impossible — c’est-à-dire infaisable — d’obtenir un mandat (p. 228 et 243‑244).
[296] Rédigeant l’arrêt de la Cour, le juge Sopinka a fait observer que les dérogations aux normes énoncées dans Hunter seraient rares, mais il a reconnu la nécessité de soupeser l’intérêt de la société en ce qui a trait à l’application de la loi (p. 240‑241). La Cour a souligné qu’il fallait « interpréter d’une façon restrictive » cette exception à la règle générale interdisant les fouilles et perquisitions sans mandat (p. 241) :
En général, on ne pourra satisfaire au critère que s’il existe un risque imminent que les éléments de preuve recherchés dans le cadre d’une enquête en matière de stupéfiants soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée aux fins de l’obtention d’un mandat. [p. 241‑242]
[297] La Cour a en conséquence reconnu une exception limitée fondée sur l’urgence de la situation dans le cas des enquêtes en matière de drogues. De plus, elle a refusé de reconnaître l’existence d’une exception générale en ce qui concerne la présence de drogues à bord d’un moyen de transport en mouvement, concluant que les limites de l’exception dépendraient alors des faits propres à chaque affaire (p. 242).
[298] Deux ans plus tard, dans R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, la Cour a conclu qu’une entrée sans mandat dans un domicile afin de préserver des éléments de preuve en attendant la délivrance d’un mandat de perquisition portait atteinte à l’art. 8 de la Charte. La Couronne avait concédé que l’entrée et la garde à l’intérieur des lieux avaient violé l’art. 8 de la Charte (par. 140), et la principale question en litige consistait à décider si les éléments de preuve devaient être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte.
[299] Tant les juges majoritaires que le juge La Forest, dissident, ont conclu que la violation découlait du fait que les policiers étaient entrés dans le domicile en contravention directe de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, lequel leur permettait uniquement d’entrer dans une maison d’habitation munis d’un mandat (par. 41, 49 et 141‑142). La juge L’Heureux‑Dubé, qui a souscrit au résultat et rédigé sa propre opinion, a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’art. 8, au motif que « l’exception de common law relative aux situations d’urgence » existait en dépit de l’obligation d’obtenir un mandat prévue par la loi (par. 105).
[300] Malgré la conclusion des juges majoritaires selon laquelle il s’agissait d’une violation très grave, la Cour a confirmé la décision des juridictions inférieures de ne pas écarter les éléments de preuve en vertu du par. 24(2). Rédigeant les motifs majoritaires, le juge Cory a fait siennes les conclusions du juge du procès selon lesquelles le fait que les arrestations avaient eu lieu en public dans le voisinage et la nécessité de préserver la preuve constituaient une situation d’urgence qui atténuait la gravité de la violation (par. 150‑151).
[301] Une dernière décision importante remontant à la même période est l’affaire Feeney, dans laquelle la Cour a revu les règles de common law qui avaient été établies dans Eccles ainsi que dans R. c. Landry, 1986 CanLII 48 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 145, concernant les arrestations sans mandat après introduction par la force dans des lieux privés. Dans Feeney, les faits s’étaient déroulés dans la foulée d’un crime violent. Après qu’un homme âgé eut été violemment battu à mort à son domicile avec une barre de fer ou un objet similaire, des policiers sont intervenus sur la foi d’informations et sont entrés chez l’accusé, l’ont détenu, puis l’ont subséquemment arrêté après avoir vu du sang sur sa chemise. Faisant observer que la common law devait être « adapté[e] aux valeurs de la Charte » (par. 42), le juge Sopinka, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires, a confirmé que, de façon générale, tant un mandat d’arrestation qu’un mandat autorisant l’entrée seraient nécessaires pour effectuer une arrestation dans un domicile afin de tenir compte de l’importance accrue accordée aux intérêts liés à la vie privée depuis l’avènement de la Charte (par. 42‑45 et 48‑51).
[302] Il importe de souligner que les juges majoritaires ont une fois de plus refusé d’assortir l’obligation d’obtenir un mandat d’une exception générale fondée sur l’urgence de la situation. Le juge Sopinka a reconnu qu’il devait y avoir une exception dans le cas d’une prise en chasse, mais il a choisi de « reporte[r] à un autre jour » l’examen de la question de savoir si des situations d’urgence autres que la prise en chasse pourraient justifier une entrée sans mandat dans un domicile pour y effectuer une arrestation (par. 47). Il a exprimé son désaccord avec la conclusion de la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente, selon laquelle « une situation d’urgence justifie généralement nécessairement une entrée sans mandat », estimant que la question demeurait entière (ibid. (soulignement dans l’original)).
[303] Les décisions dans Silveira et Feeney ont amené une intervention du législateur. Le Parlement a modifié le Code criminel et la LRCDAS (qui a remplacé la Loi sur les stupéfiants) pour autoriser les fouilles et les perquisitions sans mandat en cas de situation d’urgence. L’article 487.11 du Code criminel permet aux policiers d’« exercer, sans mandat, tous les pouvoirs prévus aux paragraphes 487(1) ou 492.1(1) » — dispositions portant respectivement sur les mandats de perquisition ordinaires et les mandats pour un dispositif de localisation — « lorsque l’urgence de la situation rend difficilement réalisable l’obtention du mandat, sous réserve que les conditions de délivrance de celui‑ci soient réunies ». Contrairement à la Loi sur les stupéfiants, la LRCDAS ne fait plus de distinction entre les maisons d’habitation et les autres lieux en ce qui concerne l’autorisation de fouilles et de perquisitions effectuées par la police. Reprenant un libellé semblable à celui de l’art. 487.11 du Code criminel, le par. 11(7) de la LRCDAS permet à la police de perquisitionner sans mandat dans « un lieu » en cas de situation d’urgence pour y saisir des substances désignées, des précurseurs, des biens infractionnels ou toute chose qui servira de preuve relativement à une infraction (voir par. 11(1)). Ni l’art. 487.11 du Code criminel ni le par. 11(7) de la LRCDAS ne définissent la notion d’urgence de la situation.
[304] À la suite de l’arrêt Feeney, le Parlement a édicté un régime législatif afin d’encadrer les autorisations judiciaires préalables permettant l’entrée dans une maison d’habitation pour y procéder à une arrestation (voir Hutchison et autres, § 3:23). Parmi les modifications apportées au Code criminel, l’art. 529.3 est venu autoriser les entrées sans mandat dans les situations d’urgence. Contrairement à l’art. 487.11 du Code criminel et au par. 11(7) de la LRCDAS, le par. 529.3(2) a défini la notion d’urgence de la situation en indiquant qu’il y a notamment urgence dans les cas où l’agent de la paix, selon le cas :
a) a des motifs raisonnables de soupçonner qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort;
b) a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans la maison d’habitation et qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminentes.
[305] L’article 529.3 ne limite pas les autres sources de pouvoir susceptibles de permettre l’entrée sans mandat dans une maison d’habitation, par exemple une prise en chasse, puisqu’il commence par les mots suivants : « [l]’agent de la paix peut, sans que soit restreint ou limité le pouvoir d’entrer qui lui est conféré en vertu de la présente loi ou d’une autre loi ou d’une règle de droit . . . » D’autres pouvoirs d’origine législative en matière de fouille et de perquisition en cas de situation d’urgence sont prévus à l’art. 117.02 (perquisition et saisie dans le cas d’infractions avec usage d’une arme ou d’une arme à feu) et à l’art. 184.4 (écoute électronique d’urgence pour prévenir un préjudice grave; voir Tse).
[306] Ce que nous retenons de la jurisprudence de la Cour dans les années qui ont suivi l’édiction de la Charte, jurisprudence ayant mené à une codification partielle, c’est que la décision concernant « l’urgence de la situation » doit être prise avec soin. Il s’agit d’un pouvoir limité devant être employé dans des circonstances exceptionnelles (voir R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456, par. 35), qui permet d’écarter l’obligation d’obtenir une autorisation judiciaire préalable applicable par défaut en vertu de l’art. 8. Un crime grave n’est pas suffisant pour établir l’urgence d’agir pour les besoins de l’analyse fondée sur l’art. 8 (Feeney, par. 52‑53) — la question de savoir si une situation urgente existe doit être tranchée conformément aux paramètres du droit. Lorsque les intérêts individuels liés à la vie privée sont plus importants, comme dans le cas du domicile, la Cour a défini des situations précises dans lesquelles l’urgence pourrait justifier une intrusion dans un cas donné, refusant de reconnaître l’existence d’un pouvoir général de common law. Nous sommes d’avis d’aborder avec le même soin les intérêts liés à la vie privée en ce qui concerne les appareils électroniques.
b) Une formulation plus récente des exigences de la doctrine de l’urgence de la situation
[307] Depuis que le Parlement a codifié certains pouvoirs de fouille et de perquisition sans mandat en cas de situation d’urgence, et malgré l’absence d’une définition législative au par. 11(7) de la LRCDAS et à l’art. 487.11 du Code criminel, les exigences à respecter pour établir l’urgence de la situation sont claires. Des commentateurs ont souligné que la Cour est restée fidèle au cadre d’analyse établi dans l’arrêt Hunter lorsqu’elle a examiné des pouvoirs policiers de fouille et perquisition en situations d’urgence (T. Quigley, « The Impact of the Charter on the Law of Search and Seizure » (2008), 40 S.C.L.R. (2d) 117, p. 130‑138; R. Jochelson et D. Ireland, Privacy in Peril : Hunter v Southam and the Drift from Reasonable Search Protections (2019), p. 134). Les professeurs Jochelson et Ireland (ce dernier ayant formulé ses propos avant sa nomination à la magistrature) ont suggéré que c’est peut-être dû au fait que le [traduction] « concept d’urgence est clair et limité en common law » et que le Parlement a légiféré dans ce domaine (p. 134).
[308] Les exigences requises par la loi et la jurisprudence pour justifier une fouille ou une perquisition sans mandat en raison de l’urgence de la situation peuvent être réduites à trois éléments nécessaires : l’existence de motifs justifiant l’obtention d’un mandat; l’existence d’une situation d’urgence; et la question de savoir si cette situation d’urgence rendait l’obtention du mandat difficilement réalisable par les policiers (LRCDAS, par. 11(7); Code criminel, art. 487.11; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202, par. 28 et 32‑37; Grant 1993, p. 241‑243; Kelsy, par. 24‑35; Fontana et Keeshan, p. 1753‑1755).
[309] Rédigeant les motifs majoritaires dans Paterson, le juge Brown a rejeté l’invitation faite par M. Paterson à la Cour d’importer dans le par. 11(7) de la LRCDAS la définition d’« urgence » qui figure au par. 529.3(2) du Code criminel (par. 30). L’argument de l’appelant a été rejeté en raison de l’absence, à l’art. 11, de termes exprès définissant l’urgence de la situation comme c’est le cas au par. 529.3(2) (par. 31). Eu égard à l’interprétation législative, le juge Brown a conclu qu’« aucune raison valable ne permet de conclure que le législateur a voulu que l’on recoure au par. 529.3(2) du Code criminel pour définir l’“urgence de la situation” visée au par. 11(7) de la LRCDAS » (ibid.). Pour cette seule raison, il a refusé de « faire “en interprétant” la loi ce que le législateur a choisi de ne pas faire en l’adoptant » (ibid., citant Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 53).
[310] Après avoir rejeté cet argument sur la base de principes d’interprétation législative bien établis, le juge Brown a résumé la jurisprudence reconnaissant les principales catégories de situations d’urgence, soit la perte ou la destruction d’éléments de preuve, la sécurité des policiers ou du public, et la prise en chasse. Le juge Brown a conclu que le « thème commun » qui émerge des descriptions des situations d’urgence dans la jurisprudence était l’idée « d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public » et « non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie » (Paterson, par. 32‑33). Lorsque l’arrêt Paterson est considéré globalement et contextuellement, en décrivant de cette façon le thème commun qui se dégage de la jurisprudence, le juge Brown n’établissait pas un nouveau critère ni ne modifiait les normes à respecter pour démontrer l’existence d’une urgence selon les catégories établies. Il se référait à la jurisprudence de la Cour qui, au fil des ans, a clarifié ces exigences.
[311] En ce qui concerne les préoccupations en matière de preuve, le juge Brown a souscrit à la norme décrite par la Cour dans l’affaire Grant 1993 comme étant l’existence d’un « risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée » (par. 32, citant Grant 1993, p. 243). Le juge d’appel Doherty a repris cette formulation dans R. c. Hobeika, 2020 ONCA 750, 153 O.R. (3d) 350, lorsqu’il a énoncé la norme juridique applicable : [traduction] « L’élément d’urgence au par. 11(7), telle qu’il a été décrit dans Paterson, [est] établi si [. . .] les policiers [ont] des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un risque imminent que des éléments de preuve à l’intérieur de l’unité soient détruits avant qu’ils aient pu obtenir et exécuter un mandat » (par. 43 et 45 (nous soulignons)). Par conséquent, la norme applicable énoncée dans l’arrêt Grant 1993, telle qu’elle a été décrite dans Paterson, s’appliquait toujours.
[312] Le volet relatif à la sécurité de la doctrine de l’urgence de la situation a été accepté par les juridictions inférieures comme étant le fondement de la fouille sans mandat en l’espèce (motifs de la C.A., par. 83). Comme l’a noté le juge d’appel Rosenberg dans Kelsy, la jurisprudence sur les fouilles et les perquisitions de sécurité s’est développée en grande partie en lien avec la doctrine de common law relative aux pouvoirs accessoires (par. 58). La sécurité a également été prise en compte dans le contexte de fouilles accessoires aux arrestations.
[313] Nous constatons que, dans les affaires liées à la sécurité, des contraintes temporelles strictes sont présentes du fait qu’une intervention immédiate est requise pour parer à un préjudice imminent à cet égard. La volatilité potentielle de la situation dans le cas d’une arrestation ou d’un appel au 911 soulève des craintes pour la sécurité qui sont étroitement circonscrites à la durée de l’arrestation ou de l’urgence. Par exemple, dans R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, mentionné au par. 32 de l’arrêt Paterson relativement à la catégorie des fouilles de sécurité, la Cour a conclu que la doctrine établie dans l’arrêt R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.), justifiait la conduite du policier qui, dans cette affaire, était intervenu pour répondre à une plainte de bruit. Le policier avait poussé la porte entrouverte de l’appartement de l’accusé après avoir vu dans la main de celui‑ci un objet « noir et brillant », qui s’est révélé être une arme à feu chargée (MacDonald, par. 6‑8). Dans l’arrêt Paterson, au par. 32, la Cour a également cité l’affirmation formulée dans MacDonald, au par. 32, selon laquelle les fouilles effectuées pour protéger la sécurité des policiers constituent une réponse à « une situation dangereuse créée par une personne, situation à laquelle les policiers doivent réagir “sous l’impulsion du moment” ».
[314] Ces propos font écho à ceux formulés par le juge d’appel Doherty dans R. c. Golub, 1997 CanLII 6316 (C.A. Ont.), selon lesquels lorsqu’une intervention immédiate est requise pour assurer la sécurité des personnes présentes sur les lieux d’une arrestation dans des situations potentiellement dangereuses, [traduction] « une fouille effectuée d’une manière compatible avec la préservation de la sécurité des personnes sur les lieux est justifiée » (par. 45).
[315] La Cour a également mentionné l’arrêt R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, comme exemple de situation d’urgence (Tse, par. 18), où la question en litige consistait à décider si la Charte interdisait les entrées et perquisitions sans mandat lors d’interventions en réponse à des appels d’urgence au 911. La Cour a conclu que « l’importance du devoir qu’ont les agents de police de protéger la vie justifie qu’ils entrent par la force dans une maison afin de s’assurer de la santé et de la sécurité de la personne qui a composé le 911 », mais elle a précisé que « l’atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité » et que les policiers ont uniquement « le pouvoir d’enquêter sur les appels au 911 et notamment d’en trouver l’auteur pour déterminer les raisons de l’appel et apporter l’aide nécessaire » (Godoy, par. 22).
[316] Dans Tse, la Cour a examiné la constitutionnalité de la disposition sur l’écoute électronique en cas d’urgence et a conclu qu’il n’est possible de recourir à ce pouvoir d’agir sans mandat qu’en cas d’urgence pour prévenir un préjudice à la fois grave et imminent, en respectant « intrinsèquement des limites temporelles strictes » (par. 27).
[317] L’arrêt Feeney nous enseigne également que le risque pour la sécurité doit être précis, exceptionnel et concret (par. 52‑53). Les juges majoritaires ont rejeté l’idée qu’il suffisait de démontrer l’existence d’un risque général découlant du fait qu’un individu dangereux se trouve en liberté, estimant que « [q]ualifier cela de situation d’urgence c’est inviter à le faire au sujet de chaque moment qui suit un crime grave » (par. 53). De même, dans L’Espérance c. R., 2011 QCCA 237, la Cour d’appel du Québec a rejeté l’idée selon laquelle l’urgence de la situation pouvait être démontrée par le fait qu’« une préoccupation de sécurité est souvent présente, en principe, dans les histoires de drogue » (par. 31 (en italique dans l’original)).
[318] Par conséquent, bien que le volet relatif à la sécurité [traduction] « ne prête pas à controverse » étant donné que l’intérêt de la société envers la protection de la vie humaine est élevé (R. M. Pomerance, « Parliament’s Response to R. v. Feeney : A New Regime for Entry and Arrest in Dwelling Houses » (1998), 13 C.R. (5th) 84, p. 92), il a uniquement été appliqué pour écarter l’obligation d’obtenir une autorisation préalable lorsque l’intérêt lié à la sécurité est suffisamment impérieux — c’est‑à‑dire lorsque la menace à la sécurité est imminente, claire et concrète. À notre avis, la jurisprudence appuie une application stricte et étroite du volet relatif à la sécurité, et d’ailleurs de toute catégorie de situations d’urgence, pour décider si la fouille ou perquisition sans mandat examinée est conforme à la Constitution.
(4) La technique d’enquête sans mandat en l’espèce n’était pas justifiée par la doctrine de l’urgence de la situation
[319] Pour les motifs qui suivent, nous concluons que la technique d’enquête sans mandat utilisée par les policiers en l’espèce a porté atteinte aux droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 de la Charte. À notre avis, la fouille dans ce cas‑ci ne pouvait être autorisée par le par. 11(7) de la LRCDAS, vu l’absence de risque imminent pour la sécurité obligeant les policiers à intervenir immédiatement et sans mandat.
a) Les circonstances de la présente affaire ne relèvent pas du volet relatif à la sécurité
[320] Les conclusions qu’a tirées le juge du procès sur la question l’urgence de la situation, en se fondant sur l’arrêt Paterson, figurent aux par. 100‑101 des motifs exposés au terme du voir‑dire :
[traduction] Compte tenu de cet arrêt, je conclus qu’il y avait urgence dans la présente affaire. Sans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque. Les textos indiquent que « Dew » était déjà impatient. À ce moment de la journée, seul un télémandat aurait pu être obtenu, mais, en tout état de cause, celui‑ci serait probablement arrivé trop tard pour permettre de conclure cette transaction. La probabilité que la transaction concerne du fentanyl et les effets dévastateurs de cette drogue sur la collectivité en font une question de sécurité publique.
Il était donc loisible aux policiers de fouiller le téléphone et d’aller jusqu’à engager la conversation avec M. Campbell. [Nous soulignons.]
[321] Comme l’a indiqué la Cour d’appel, la préoccupation des policiers liée à la sécurité publique dépendait de transactions distinctes devant survenir ultérieurement — tout d’abord, M. Campbell devait vendre la demi‑once d’héroïne [traduction] « à quelqu’un d’autre à un autre moment », et, subséquemment, la drogue serait vendue à d’autres personnes et parviendrait « finalement [. . .] aux consommateurs dans la rue » (par. 83). Le préjudice envisagé dépendait de la matérialisation de ces deux événements à un certain moment.
[322] La préoccupation de sécurité formulée ne satisfait pas à la norme juridique de l’urgence de la situation : elle ne peut être qualifiée d’imminente au sens ordinaire du terme et elle ne trouve aucun appui dans la jurisprudence.
[323] L’intérêt de la société en matière de sécurité publique est pertinent à l’égard de bon nombre de domaines du droit criminel et de la jurisprudence relative à Charte. Décider si une préoccupation particulière de sécurité est juridiquement pertinente pour l’application de la doctrine de l’urgence de la situation se distingue de la prise en compte de la sécurité de la collectivité dans le contexte de la détermination de la peine. Dans le premier cas, les tribunaux doivent déterminer si une préoccupation précise de sécurité était si pressante et imminente qu’elle justifiait de passer outre à l’obligation d’obtenir une autorisation judiciaire préalable applicable par défaut en vertu de l’art. 8. Veiller à la sécurité publique est également un objectif du droit relatif à la détermination de la peine et, dans ce contexte, les tribunaux s’attaquent aux préoccupations de sécurité en tant que maux sociaux en cause dans l’affaire dont ils sont saisis (R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 60; R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895, par. 9; R. c. Johnson, 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357, par. 19‑20). Lorsqu’ils déterminent la peine d’un contrevenant, les tribunaux tiennent compte des intérêts en matière de sécurité publique ainsi que des circonstances particulières de l’affaire afin de fixer une peine appropriée (R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 229, p. 288‑290; R. c. Hilbach, 2023 CSC 3, par. 92). Le fait que la Cour d’appel s’appuie sur la décision de notre Cour dans Parranto pour établir les fondements factuels du risque pour la sécurité en l’espèce est donc malavisé (motifs de la C.A., par. 83). Qui plus est, l’arrêt Parranto concernait la peine appropriée dans le cas d’individus impliqués dans des opérations de trafic commercial de fentanyl à grande échelle, ce qui diffère de la situation dans la présente affaire (par. 2).
[324] Dans l’application de la doctrine de l’urgence de la situation, une préoccupation générale concernant la sécurité de la société ne saurait suffire à justifier une intervention sans mandat, sauf en cas de menace imminente. Comme l’a fait observer le juge d’appel Martin dans R. c. Noble (1984), 1984 CanLII 2156 (ON CA), 16 C.C.C. (3d) 146 (C.A. Ont.), fixer trop bas la norme applicable aux situations urgentes présente le risque que l’exception supplante la règle générale requérant l’obtention d’un mandat (p. 171).
[325] Le risque potentiel de préjudice susceptible de découler de la consommation d’une drogue par une personne — consommation qui surviendrait après que se soient produits certains événements — ne correspond pas aux types de risques imminents pour la sécurité que les tribunaux ont reconnus comme étant urgents. Comme il a été expliqué plus haut, constituent des risques imminents pour la sécurité ceux qui surviennent si soudainement qu’une intervention immédiate est nécessaire, par exemple lorsqu’il est nécessaire d’entrer rapidement de force dans un lieu pour protéger la vie et la sécurité des personnes qui s’y trouvent, ou lorsqu’il est possible qu’un geste soudain dans une situation instable puisse menacer la sécurité d’un policier. Une telle notion d’imminence a été appliquée de façon constante dans les affaires clés susmentionnées, ainsi que dans les décisions d’autres juridictions d’appel (voir R. c. Laliberte, 2007 SKCA 7, 289 Sask. R. 253; R. c. Bakal, 2021 ONCA 584, 157 O.R. (3d) 401; R. c. Shomonov, 2019 ONCA 1008). Les auteurs de l’ouvrage Drug Offences in Canada évoquent la situation où la police a des raisons de croire [traduction] « qu’il y a des produits chimiques volatils et dangereux dans un laboratoire de production de drogues » comme un exemple possible de fouille « de sécurité » pouvant être liée à une infraction en matière de drogues (§ 25:35).
[326] Nous rejetons l’opinion voulant que la croyance des policiers selon laquelle, parce que la drogue en question était « à risque » s’ils n’intervenaient pas, le critère de l’urgence prévu au par. 11(7) a été respecté (motifs du juge Jamal, par. 118‑124). La prétendue nécessité d’interrompre une transaction imminente de drogue, impliquant la quantité et le type de drogues en cause, ne découlait pas d’un danger imminent pour la sécurité publique. La situation n’impliquait pas « d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public » (Paterson, par. 33). En d’autres termes, elle relève de la catégorie de situations ou de conduites que le juge Brown a qualifiées de simples considérations « de commodité, d’avantage ou d’économie » (ibid.). Il n’existait aucun risque imminent pour la sécurité justifiant l’intervention sans mandat des policiers, car tout risque de préjudice n’aurait pu se manifester qu’après que soient survenus au moins deux autres événements.
[327] Bien que les policiers aient témoigné qu’il était probable que Dew se livrait à du trafic auprès d’autres personnes que M. Gammie, contrairement aux conclusions du juge Jamal, il n’y a dans le dossier rien qui tende à indiquer que Dew serait allé de façon imminente vendre la drogue à quelqu’un d’autre. Ni le juge du procès ni la Cour d’appel n’ont tiré cette conclusion à partir de la preuve — et il ne s’agit pas non plus d’une conclusion inéluctable. Il n’y a aucune preuve qu’un autre acheteur potentiel attendait à ce moment‑là dans les coulisses, de telle sorte que la vente potentielle était imminente. Selon la preuve, l’un des policiers pensait que la transaction allait avoir lieu dans un [traduction] « futur proche », tandis qu’un autre a reconnu que rien dans les messages textes n’indiquait que la transaction allait survenir immédiatement (d.a., partie V, vol. I, p. 184 et 240‑241). Cela ne satisfait pas au critère juridique de l’imminence. Nous acceptons que les policiers n’étaient pas au courant de l’existence de Dew avant de voir les quatre messages sur l’écran du téléphone de M. Gammie et qu’ils ont pris des décisions en matière d’enquête en réponse à une situation imprévue. Toutefois, cette situation ne justifiait pas une intervention policière sans mandat, parce qu’elle ne satisfaisait pas à la norme juridique qui devait être respectée pour assurer la conformité de l’intervention à l’art. 8. Sous l’égide du volet relatif à la sécurité de la doctrine de l’urgence de la situation, c’est le risque de préjudice découlant de menaces à la sécurité qui doit être imminent pour justifier une intervention sans mandat. À notre avis, les conclusions de fait tirées par le juge du procès ne satisfaisaient pas à la norme juridique de l’urgence pour justifier une fouille sans mandat au regard de l’art. 8 de la Charte.
[328] Le désir général d’empêcher que des drogues se retrouvent dans les rues et entre les mains d’éventuels consommateurs constituera à juste titre un élément commun à toutes les enquêtes policières impliquant des substances dangereuses. Certaines drogues, comme le fentanyl trouvé dans l’héroïne vendue en l’espèce, entraînent des conséquences tragiques pour des individus et des collectivités au Canada. Ce problème sociétal complexe commande une réponse multidimensionnelle. Cependant, étendre l’application de la doctrine de l’urgence de la situation au‑delà des circonstances qui ont jusqu’ici été qualifiées de préjudice imminent, et qui peuvent plausiblement l’être, ouvre la porte à des fouilles ou à des perquisitions sans mandat presque chaque fois que des policiers ont l’occasion de saisir des drogues ou qu’une infraction potentiellement grave fait l’objet d’une enquête. Pour paraphraser l’arrêt Feeney, qualifier ces situations de situations d’urgence, c’est inviter à le faire chaque fois qu’une transaction potentielle de drogue implique une substance dangereuse, indépendamment de l’absence de préjudice imminent (voir le par. 53). Cela élève à tort la préoccupation légitime et omniprésente en matière de sécurité publique au rang de situation d’urgence en raison des risques pour la santé associés à la consommation de drogues illicites non réglementées. Cela aura pour résultat de permettre des interventions policières intrusives de grande envergure en dehors des rares cas où le préjudice lié à la sécurité publique est à ce point imminent et immédiat qu’une fouille ou une perquisition sans mandat à première vue abusive est jugée non abusive.
[329] Non seulement cette approche va‑t‑elle à l’encontre de l’exigence énoncée dans l’arrêt Feeney selon laquelle le risque doit être précis, exceptionnel et concret, mais elle permet également à l’exception d’absorber la règle de la manière visée par la mise en garde du juge Martin dans l’arrêt Noble (p. 171). Cette approche affaiblit les régimes législatifs que le Parlement a édictés afin de régir et de restreindre les fouilles et les perquisitions sans mandat, ainsi que la protection de l’art. 8, qui est enchâssée dans ces régimes et existe indépendamment d’eux.
b) En l’absence d’urgence, l’exigence relative au caractère difficilement réalisable n’est pas respectée
[330] L’exigence relative au caractère difficilement réalisable que prévoit la loi a été peu examinée dans la présente affaire. Le juge du procès a conclu qu’un télémandat [traduction] « serait probablement arrivé trop tard pour permettre de conclure cette transaction » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100), et le procureur de l’appelant n’a pas soutenu qu’il était possible pour les policiers d’en obtenir un afin d’engager la conversation avec M. Campbell (transcription, p. 7 et 20). Toutefois, l’analyse relative à l’urgence et celle relative au caractère difficilement réalisable sont liées et ne peuvent être examinées isolément. Comme l’a souligné la Cour dans Paterson, ce n’est pas le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat qui permet de conclure à l’urgence de la situation. Le fait qu’il serait difficile ou peu pratique d’obtenir un mandat n’est pas suffisant pour satisfaire à cette norme juridique. Il faut plutôt établir que l’urgence de la situation « a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable » (par. 34 (nous soulignons)). En l’espèce, il aurait été nécessaire de démontrer que l’existence d’un risque imminent pour la sécurité rendait l’obtention d’un mandat difficilement réalisable avant de prendre des mesures pour assurer que ce risque ne se concrétise pas. Soit dit en tout respect, la Cour d’appel a erronément omis de se demander si la conclusion du juge du procès selon laquelle une intervention immédiate était nécessaire satisfaisait à la norme juridique requise en ce qui a trait à l’urgence et au caractère difficilement réalisable. Elle a simplement conclu qu’il s’agissait d’une conclusion [traduction] « que le juge du procès pouvait valablement tirer » (par. 84).
[331] Comme nous l’avons conclu, les circonstances concernant la vente potentielle, à un quelconque moment ultérieur, d’une petite quantité de drogue dangereuse qui parviendrait probablement par la suite aux consommateurs dans les rues ne satisfaisaient pas au critère du risque imminent pour la sécurité. Comme il n’y avait pas de situation d’urgence en l’espèce, il s’ensuit que la mesure réalisable pour les policiers consistait à obtenir un mandat les autorisant à fouiller le téléphone de M. Gammie ou à poursuivre l’enquête en prenant d’autres mesures. Les objectifs d’une telle enquête auraient pu être différents, et inclure des efforts en vue d’identifier et de localiser Dew, et peut-être la source plus vaste d’où provenait la demi‑once d’héroïne additionnée de fentanyl. Les policiers étaient en mesure de localiser Dew, étant donné qu’ils auraient pu s’adresser aux tribunaux et demander une ordonnance de communication afin d’obtenir les renseignements associés au numéro de téléphone cellulaire de Dew (d.a., partie V, vol. I, p. 184‑185; Code criminel, art. 487.015 et 487.016). Lorsque les conditions d’exercice d’un pouvoir reconnu permettant aux policiers d’effectuer une fouille ou une perquisition sans mandat ne sont pas respectées, cela « confirme que l’atteinte à la vie privée est inacceptable », auquel cas [traduction] « les options qui s’offrent aux responsables de l’application de la loi sont de poursuivre l’enquête en recourant à des méthodes moins attentatoires que la fouille et la perquisition et de demander un mandat dès qu’ils ont des motifs suffisants de le faire » (R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 36, citant R. c. Mercer (1992), 1992 CanLII 7729 (ON CA), 70 C.C.C. (3d) 180 (C.A. Ont.), p. 189).
[332] Le dossier indique que les policiers se sont demandé s’ils étaient autorisés à engager la conversation avec M. Campbell ou s’ils devaient obtenir l’autorisation de le faire, et qu’ils ne croyaient pas avoir le temps d’obtenir un mandat (d.a., partie V, vol. I, p. 94‑96). Comme il a été mentionné plus tôt, la technique choisie aurait pu nécessiter une autorisation en vertu de la partie VI ou de l’art. 487.01 du Code criminel, et il ne nous est pas nécessaire en l’espèce de nous prononcer de façon définitive sur la disposition d’autorisation applicable.
[333] Cependant, nous tenons également à signaler que, malgré le fait que trois policiers ont attendu environ deux heures à l’appartement de M. Gammie pendant que l’agent Orok communiquait avec M. Campbell, et que deux autres policiers se sont rendus devant l’immeuble pour attendre l’arrivée de ce dernier, rien n’indique que les policiers se sont renseignés au sujet de l’autorisation appropriée ou qu’ils ont tenté d’obtenir quelque type de télémandat que ce soit, même à mesure qu’évoluait la situation. Le juge du procès a accepté la conclusion des policiers selon laquelle ils n’auraient pas été en mesure d’obtenir un télémandat à temps, mais la seule preuve au dossier permettant d’étayer cette conclusion était l’affirmation des policiers. Il n’y avait aucune information pratique sur la façon dont des autorisations pouvaient être obtenues dans leur ressort. Étant donné qu’une demande fondée sur la Charte concernant une situation d’urgence suppose toujours une analyse a posteriori de la question de savoir si la fouille ou la perquisition était abusive ou non, il faut des éléments de preuve clairs à l’appui du caractère difficilement réalisable pour permettre aux tribunaux d’examiner cette exigence légale. En plus des notes détaillées que prennent les policiers, les tribunaux bénéficieraient d’avoir un portait complet de l’urgence et du caractère difficilement réalisable invoqués.
[334] Il est fort possible que les ressources judiciaires disponibles ou le type de mandat requis pour effectuer ce type de fouille auraient rendu difficile ou impossible l’obtention de l’autorisation de procéder à la fouille à temps si le degré d’urgence requis avait existé en l’espèce. Cependant, lorsqu’il n’existe pas de situation d’urgence et que la fouille, la perquisition ou la technique d’enquête fait intervenir l’art. 8 de la Charte, il n’appartient pas aux tribunaux, en tant que gardiens des droits fondamentaux de la population canadienne, d’élargir les pouvoirs de fouille et de perquisition sans mandat (voir Wong, p. 56‑57). Le manque de ressources permettant de faire en sorte que des techniques d’enquête puissent être utilisées en temps opportun et de manière conforme à la Charte ne peut servir de justification pour diluer les protections conférées par la Charte.
E. Les éléments de preuve devraient être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte
[335] L’appelant demande l’exclusion de tous les messages textes obtenus grâce à la technique d’enquête des policiers (à l’exception des quatre premiers messages qu’ils ont initialement consultés sur l’écran du téléphone), ainsi que l’exclusion de la preuve de son arrivée à l’appartement de M. Gammie avec la drogue. Ces éléments de preuve faisaient indéniablement partie d’une seule et même transaction, et ils ont été obtenus dans des conditions qui ont porté atteinte à la Charte. Ayant conclu que l’exigence minimale applicable est respectée, nous passons au volet évaluatif de l’analyse fondée sur le par. 24(2) de la Charte.
[336] Le paragraphe 24(2) de la Charte exige que des éléments de preuve soient écartés si, eu égard aux circonstances, leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La question de savoir si l’utilisation de la preuve obtenue en contravention de la Charte est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice fait intervenir trois questions : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond (R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (« Grant 2009 »), par. 71).
[337] En l’espèce, le juge du procès a procédé à une analyse subsidiaire conformément au par. 24(2) et a conclu que les éléments de preuve devaient être admis (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 129‑139). Vu sa conclusion sur l’urgence de la situation, la Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’examiner la question relative au par. 24(2) (par. 85). Bien que l’analyse qui est effectuée par le juge de procès conformément au par. 24(2) commande normalement la déférence pour ce qui est des conclusions de fait sur lesquelles elle s’appuie, en raison de notre désaccord avec la conclusion du juge du procès, l’analyse fondée sur le par. 24(2) peut être effectuée de nouveau dans ce cas‑ci (Grant 2009, par. 129; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 138; Tim, par. 72).
(1) La gravité de la conduite attentatoire de l’État
[338] Notre tâche à cette étape‑ci consiste à situer la conduite des policiers sur une « échelle de culpabilité », échelle qui va des violations commises par inadvertance, techniques ou autrement mineures, à une extrémité, aux actes témoignant d’un mépris ou d’un non‑respect délibéré des droits garantis par la Charte, à l’autre extrémité (Paterson, par. 43; Le, par. 143). Nous considérons que la conduite des policiers se situe à l’extrémité des violations les plus graves et concluons par conséquent que le premier facteur de l’arrêt Grant 2009 milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.
[339] Un certain nombre de facteurs pèsent lourdement en défaveur de l’utilisation des éléments de preuve : la conduite des policiers en l’absence de situation urgente; l’incertitude juridique entourant la nature de la technique d’enquête utilisée; et les multiples violations de la Charte.
[340] Il est clair en droit depuis un certain temps que les fouilles et les perquisitions effectuées sans mandat sont présumées abusives (voir, p. ex., Hunter; Collins; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 33). Comme nous l’avons indiqué précédemment dans les présents motifs, les conclusions de fait tirées en l’espèce n’étayent pas l’existence d’un risque imminent pour la sécurité du public ou des policiers — la norme juridique requise pour que la doctrine de l’urgence de la situation justifie une fouille sans mandat. Les affirmations des policiers concernant l’urgence de la situation étaient plutôt liées principalement à la commodité pour les besoins de l’enquête d’intercepter la drogue, en raison de la gravité de l’infraction, du fait que les trafiquants comme Dew ne veulent habituellement pas circuler en voiture avec leur produit, et du fait que ce dernier semblait impatient (d.a., partie V, vol. II, p. 179, 181 et 242). Vu l’absence de preuve concrète permettant de conclure à l’existence d’un risque imminent pour la sécurité, il est troublant de constater que les policiers n’ont même pas tenté d’obtenir un télémandat, que ce soit au départ ou à mesure que le temps passait et que la situation évoluait. En somme, les policiers se sont fondés sur la notion d’urgence pour procéder à une fouille sans mandat sans motif valable, ce qui rend la conduite attentatoire à la Charte encore plus grave (Paterson, par. 47).
[341] L’expérience des policiers et leur familiarité avec le droit amplifient davantage la gravité de la violation de la Charte, puisque la fouille sans mandat de M. Campbell n’amenait pas les policiers « en terrain inconnu sur le plan juridique » (Le, par. 149). La Cour a indiqué en termes clairs que l’exclusion de la preuve est justifiée « s’il y a eu violation manifeste d’une règle bien établie régissant la conduite de l’État » (Tim, par. 85, citant Paterson, par. 44). À notre humble avis, considérées sous leur angle le plus favorable, les violations constituaient de la négligence par rapport aux normes imposées par la Charte. Le sergent Bair a témoigné qu’il travaillait au service de police de Guelph depuis plus de 20 ans, qu’il avait mené des enquêtes liées aux drogues pendant [traduction] « plus de la moitié » de sa carrière et qu’il était le « sergent responsable » d’une unité antidrogue depuis 2013 (d.a., partie V, vol. I, p. 3‑4). L’agent Orok était un agent d’infiltration qualifié de niveau V, le niveau [traduction] « le plus élevé » qui soit, et il faisait spécifiquement partie de l’unité antidrogue depuis approximativement quatre ans et demi (p. 193‑194). Similairement, l’agent Brown travaillait à l’unité antidrogue depuis plus de cinq ans (p. 114). Comme c’est le cas dans chaque affaire, « on s’attend à juste titre à ce [que la police] connaisse l’état du droit », spécialement lorsque, comme en l’espèce, le droit sur les fouilles et les perquisitions sans mandat est bien établi et que les policiers concernés comptent des dizaines d’années d’expérience (Grant 2009, par. 133).
[342] Nous tenons également à souligner qu’aucun de ces policiers expérimentés n’a témoigné lors du voir‑dire relativement à la question de savoir quel mandat aurait été requis pour autoriser leur technique d’enquête (d.a., partie V, vol. I, p. 59, 96, 183 et 185). Aucun de ces policiers n’a tenté non plus d’obtenir une autorisation judiciaire durant la période d’environ deux heures au cours de laquelle ils ont communiqué avec M. Campbell, organisé la vente de drogue et attendu l’arrivée de ce dernier. Dans ces circonstances, l’absence de tout effort évident, ne serait-ce même que pour tenter d’obtenir une autorisation judiciaire, était particulièrement surprenante étant donné que l’un des policiers présents sur les lieux était celui‑là même qui avait rédigé le mandat pour la perquisition à la résidence de M. Gammie (p. 118).
[343] À la date de l’arrestation de M. Campbell, le droit applicable en Ontario, suivant la décision de la Cour d’appel de cette province dans R. c. Marakah, 2016 ONCA 542, 131 O.R. (3d) 561, était qu’un accusé n’avait pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard du téléphone cellulaire d’un coaccusé. Ce point a été infirmé par notre Cour dans Marakah (d.a., partie V, vol. I, p. 95‑97 et 180‑183).
[344] Toutefois, bien que les policiers aient pu agir conformément au droit en vigueur en ce qui concerne l’intérêt de M. Campbell lié au respect de sa vie privée lorsqu’ils ont consulté le téléphone de M. Gammie, leur pouvoir en droit de se faire passer pour ce dernier (du fait de son arrestation et à son insu) et de s’arroger le contrôle d’une conversation privée en cours était encore totalement incertain au moment de l’enquête. Devant pareille incertitude, « la police ferait bien de pécher par excès de prudence » (TELUS, par. 80; R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 60 et 63). Les policiers ont témoigné que la question de savoir s’ils étaient dûment autorisés à prendre connaissance des messages entrants et à y répondre les avait préoccupés, mais qu’ils avaient rapidement décidé d’intervenir sans autorisation. Face à une incertitude évidente, les policiers auraient dû faire montre de prudence, et non pas choisir de recourir à une technique d’enquête intrusive et prospective. Nous avons conclu qu’il n’existait pas de situation d’urgence et que cette technique ne pouvait être autorisée par l’art. 11 de la LRCDAS. Ces conclusions exacerbent la gravité de la conduite attentatoire à la Charte.
[345] Un dernier facteur est le fait que les multiples violations de la Charte en l’espèce amplifient davantage la gravité de la conduite des policiers. Bien que le juge du procès n’ait constaté aucune violation de l’art. 8 en ce qui concerne la conversation par messages textes des policiers avec M. Campbell, il a toutefois conclu que ces derniers avaient effectué une fouille non autorisée du téléphone de M. Campbell à la suite de son arrestation, malgré l’absence de risque impérieux à ce moment‑là que les éléments de preuve contenus dans le téléphone soient perdus ou détruits. Cette action a constitué une violation distincte des droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 124‑128). Il est arrivé précédemment que notre Cour situe l’inconduite policière à l’extrémité supérieure de l’échelle lorsque « de graves violations de la Charte sont survenues tout au long du processus d’enquête » (Reeves, par. 65).
[346] L’absence d’urgence ou de caractère difficilement réalisable, combinée à l’utilisation d’une technique d’enquête légalement discutable, ainsi que la violation additionnelle des droits garantis à M. Campbell par l’art. 8 militent cumulativement contre l’admission des éléments de preuve.
(2) L’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte
[347] Le deuxième facteur de l’arrêt Grant 2009 milite fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.
[348] Du point de vue de l’attente raisonnable au respect de la vie privée, M. Campbell avait un intérêt substantiel protégé par la Charte à l’égard de sa conversation avec M. Gammie. La conversation révélait des renseignements privés d’ordre biographique concernant M. Campbell. Nous rejetons l’invitation de l’intimé à conclure que l’incidence de la violation sur les intérêts de M. Campbell liés au respect de sa vie privée était atténuée parce que la conversation [traduction] « ne révélait pas de détails intimes » à son sujet (m.i., par. 110). Même si les messages textes concernaient des indications et des mises à jour sur l’heure d’arrivée prévue, considérés globalement, ils reflétaient clairement « le mode de vie et les choix personnels » criminels de M. Campbell, ce qui était évident aux yeux des policiers lorsqu’ils ont utilisé leur technique d’enquête (Marakah (CSC), par. 32 et 54; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 32). Le fait de communiquer par messages textes crée automatiquement un relevé écrit de nos conversations — et la Charte est conçue pour protéger contre la possibilité insidieuse que l’État puisse, « à son entière discrétion », accéder à ces relevés (Marakah (CSC), par. 40; voir aussi Duarte, p. 44).
[349] L’incidence de la violation sur l’intérêt de M. Campbell lié au respect de sa vie privée qui est protégé par la Charte a été aggravée par la nature intrusive de la technique d’enquête. Ainsi que l’a fait observer la Cour d’appel en l’espèce, la technique que les policiers ont utilisée en l’espèce était [traduction] « bien plus intrusive » que le simple fait d’inspecter une conversation échangée entre deux autres personnes, comme c’était le cas dans Marakah (CSC) (par. 71). Dans la présente affaire, les policiers ont activement contribué à monter un dossier à charge contre M. Campbell en se faisant passer pour un autre individu avec qui M. Campbell croyait avoir une conversation privée. Nous avons souligné dans notre analyse de l’attente raisonnable au respect de la vie privée pourquoi cette technique policière entraîne un degré d’intrusion particulièrement élevé.
[350] La notion de possibilité de découvrir la preuve peut s’avérer utile pour apprécier l’incidence de la violation. Elle permet à un tribunal d’évaluer la force du lien de causalité entre la violation de la Charte et les éléments de preuves qui en ont découlé (voir R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 125, citant Grant 2009, par. 122). Dans le cas qui nous occupe, c’est uniquement en se faisant passer pour M. Gammie que les policiers ont pu faire envoyer les messages textes incriminants et monter de toutes pièces la transaction de drogue. La preuve liée aux messages textes pouvait uniquement être découverte au moyen d’une violation de la Charte, ce qui se traduit par une incidence plus grande sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte (Tim, par. 94). Le fort lien de causalité entre la violation de la Charte et la preuve obtenue amplifie l’incidence à l’endroit de M. Campbell.
(3) L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée sur le fond
[351] Le troisième facteur de l’arrêt Grant 2009 milite en faveur de l’admission des éléments de preuve (m.a., par. 64).
[352] Les éléments de preuve obtenus au moyen de la technique d’enquête des policiers — la conversation par messages textes ainsi que l’arrivée de M. Campbell avec la drogue à la résidence de M. Gammie — sont des éléments fiables concernant la perpétration d’un crime grave (Grant 2009, par. 81). L’exclusion de ces éléments de preuve serait « en réalité [. . .] fatale pour la poursuite » contre M. Campbell (par. 83). Dans de telles circonstances, la société a un intérêt considérable à ce que les accusations portées contre M. Campbell soient jugées sur le fond.
[353] Néanmoins, nous insistons sur le fait que la gravité de l’infraction dans le présent cas — le trafic de fentanyl — ne détermine pas le résultat de l’analyse au troisième volet du cadre établi dans l’arrêt Grant 2009. Dans le contexte de la détermination de la peine, le trafic de fentanyl a été reconnu comme un crime extrêmement grave compte tenu de la puissance et de la létalité potentielle de cette drogue — considérations qui, logiquement en droit de la détermination de la peine, entraînent des peines plus sévères pour ce crime (voir, p. ex., Parranto). Toutefois, pour l’application du par. 24(2) de la Charte, la gravité de l’infraction est un facteur « qui peut jouer dans les deux sens » (Grant 2009, par. 84). Bien que l’intérêt du public à ce qu’il y ait un jugement sur le fond soit plus grand lorsque l’infraction reprochée est grave, « l’intérêt du public en l’irréprochabilité du système de justice n’est pas moins vital, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales » (ibid. (nous soulignons)). Conformément à ce principe, la Cour a écarté en vertu du par. 24(2) des éléments de preuve, même lorsqu’il s’agissait d’éléments fiables concernant des infractions extrêmement graves — notamment le trafic de 35 kg de cocaïne (R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494), le trafic d’armes à feu (Marakah (CSC)) ainsi que la possession de pornographie juvénile et l’accès à celle‑ci (Reeves). Monsieur Campbell a été appréhendé pour avoir trafiqué une demi‑once d’héroïne additionnée de fentanyl. Affirmer que l’admission sera toujours le résultat lorsque les éléments de preuve sont fiables et que les accusations sont graves « n’est pas la règle applicable », cela est clair (Harrison, par. 40).
[354] Bien que le troisième facteur de l’arrêt Grant 2009 milite de façon générale en faveur de l’admission, cela ne met pas fin à l’analyse. Il nous faut mettre en balance les trois facteurs afin de déterminer si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
(4) Mise en balance des facteurs
[355] Nous sommes d’avis que les éléments de preuve devraient être écartés. Les policiers ont écarté l’idée de même tenter d’obtenir un mandat, alors que rien n’indiquait que l’obtention d’un mandat aurait été difficilement réalisable dans les circonstances. Le but d’écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte n’est pas « [de] sanctionner la conduite des policiers ou [de] dédommager l’accusé pour une violation de ses droits » (Le, par. 139). Le paragraphe 24(2) prescrit plutôt que « [d]es éléments de preuve doivent être écartés » lorsqu’il est nécessaire de le faire pour « maintenir “l’intégrité du système de justice et [. . .] la confiance à son égard” » (ibid. (en italique dans l’original), citant Grant 2009, par. 68‑70).
[356] Les protections accordées par l’art. 8 de la Charte — y compris le critère exigeant de l’urgence de la situation qui peut justifier une fouille ou une perquisition sans mandat — ne sont pas automatiquement mises de côté simplement parce que les policiers croient qu’il est vraisemblable qu’une transaction de drogue implique du fentanyl. Bien que la croyance des policiers se soit avérée exacte dans le cas de M. Campbell, « pour chaque violation de la Charte qui aboutit devant les tribunaux, il en existe un grand nombre qui ne sont ni révélées ni corrigées parce qu’elles n’ont pas permis de recueillir d’éléments de preuve pouvant mener à des accusations » (Grant 2009, par. 75). Cette préoccupation est toujours présente dans la mesure où les policiers peuvent être enclins à tempérer le critère de l’urgence de la situation afin de prévenir le risque qu’un préjudice grave se produise, même si ce risque est éloigné, incertain, ou encore ne se matérialise jamais. La présomption de longue date contre les fouilles et les perquisitions sans mandat ainsi que la nécessité de respecter les limites de toutes les exceptions clairement circonscrites à cette règle demeurent des conditions essentielles pour faire en sorte que l’art. 8 ne s’érode pas catégoriquement.
[357] En l’espèce, il ressort de la mise en balance des facteurs de l’arrêt Grant 2009 que le premier facteur ainsi que le deuxième militent fortement en faveur de l’exclusion. Dans un tel cas, la Cour a souligné que le troisième facteur « fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve » (Le, par. 142; Paterson, par. 56). Tout bien considéré, nous sommes convaincues que l’utilisation de ces éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice. Ils doivent être écartés.
IV. Dispositif
[358] Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité de l’appelant et d’inscrire des acquittements.
Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes.
Procureurs de l’appelant : Hicks Adams, Toronto; Daley, Byers, Toronto.
Procureur de l’intimé : Service des poursuites pénales du Canada, Bureau régional de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.
Procureur de l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Montréal.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Crown Prosecution Service, Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.
Procureurs de l’intervenant le Conseil national des musulmans canadiens : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto; Conseil national des musulmans canadiens, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Stockwoods, Toronto; Savard Foy, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Stockwoods, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association : Wolch Wilson Jugnauth, Calgary; Pringle Law, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Pringle Law, Vancouver; British Columbia Civil Liberties Association, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante Trial Lawyers Association of British Columbia : Peck and Company, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society : MN Law, Vancouver; Harper Grey, Vancouver.
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