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27/09/2013 | CANADA | N°2013_CSC_49

Canada | R. c. Chehil


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220
Date : 20130927
Dossier : 34524

Entre :
Mandeep Singh Chehil
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général de l'Ontario, Association canadienne des libertés civiles,
Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada Samuelson-Glushko et Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
Intervenants


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les

juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 7...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220
Date : 20130927
Dossier : 34524

Entre :
Mandeep Singh Chehil
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général de l'Ontario, Association canadienne des libertés civiles,
Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada Samuelson-Glushko et Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
Intervenants


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 77)
La juge Karakatsanis (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner)


R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220
Mandeep Singh Chehil Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général de l'Ontario,
Association canadienne des libertés civiles,
Clinique d'intérêt public et de politique d'internet
du Canada Samuelson‑Glushko et Association
des libertés civiles de la Colombie‑Britannique Intervenants
Répertorié : R. c. Chehil
2013 CSC 49
N o du greffe : 34524.
2013 : 22 janvier; 2013 : 27 septembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Chiens renifleurs — Bagage à bord d'un avion — Accusé, passager de l'avion, soupçonné par la police de transporter de la drogue — Bagage enregistré de l'accusé soumis par la police à un contrôle par un chien détecteur de drogue — La police avait‑elle des motifs raisonnables de soupçonner l'accusé d'une infraction liée à la drogue? — Le chien détecteur était‑il suffisamment fiable pour que la fouille effectuée au moyen de l'animal soit jugée non abusive? — Charte canadienne des droits et libertés , art. 8 .
La police a analysé le manifeste des passagers d'un vol de nuit entre Vancouver et Halifax. Les agents soupçonnaient l'accusé de trafiquer de la drogue en raison de certains indices : l'accusé avait acheté un billet aller simple, il avait été l'un des derniers passagers à acheter son billet, il voyageait seul, il avait payé comptant pour sa place et avait enregistré un seul bagage. Les agents ont soumis le bagage enregistré de l'accusé à un contrôle par un chien détecteur de drogue. L'animal ayant indiqué qu'il avait détecté une odeur de drogue, l'accusé a été arrêté pour possession d'un stupéfiant. La fouille de la valise a révélé trois kilogrammes de cocaïne. L e juge du procès a statué que les agents n'avaient pas de soupçons raisonnables au moment d'utiliser le chien renifleur et, en outre, que le rendement de l'animal sur le terrain n'était pas suffisamment fiable pour que la fouille ne soit pas jugée abusive. Le juge du procès a écarté la preuve en application du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés . La Cour d'appel a accueilli l'appel, concluant que la fouille n'était pas abusive et que l'arrestation de l'accusé était justifiée. Elle a ordonné la tenue d'un nouveau procès.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
L'utilisation d'un chien spécialement dressé pour la détection olfactive de certaines substances illicites constitue une fouille qui ne nécessite aucune autorisation judiciaire préalable dans le cas où les policiers ont des soupçons raisonnables, fondés sur des faits objectivement discernables, que des éléments de preuve établissant la perpétration d'une infraction seront découverts. Le seuil des soupçons raisonnables respecte l'équilibre établi pour l'application de l' art. 8 de la Charte , car il autorise le recours par les forces de l'ordre à des techniques d'enquête légitimes mais circonscrites. Le contrôle judiciaire ultérieur permet d'assurer cet équilibre et d'empêcher les atteintes aveugles et discriminatoires au droit à la vie privée, les tribunaux vérifiant que l'atteinte policière à l'attente raisonnable en matière de vie privée repose bel et bien sur un fondement objectif et raisonnable. Les soupçons raisonnables étant une affaire de possibilité, plutôt que de probabilité, il s'ensuit nécessairement que les policiers soupçonneront raisonnablement, dans certains cas, des personnes innocentes d'être des criminels. Malgré cette réalité, la fouille bien effectuée à l'aide d'un chien renifleur et fondée sur des soupçons raisonnables est conforme à la Charte , vu son caractère peu envahissant, étroitement ciblé et hautement fiable.
Les soupçons raisonnables doivent être évalués à la lumière de toutes les circonstances. L'appréciation doit s'appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l'expérience pratique quotidienne. Un ensemble de facteurs ne suffira pas à justifier des soupçons raisonnables lorsqu'ils équivalent simplement à des soupçons « généraux » susceptibles de viser trop de personnes innocentes. On ne peut faire abstraction des renseignements disculpatoires, neutres ou équivoques dans l'évaluation d'un ensemble de facteurs. Toutefois, l'obligation imposée à la police de prendre en compte tous les facteurs ne la contraint pas à pousser l'enquête pour trouver des facteurs disculpatoires ou écarter des explications possiblement innocentes. Bien que la police doive fonder les soupçons raisonnables sur un comportement précis ou un indice précis d'activité criminelle, l'indice ne doit pas constituer lui‑même un comportement illégal ou révéler un acte criminel identifié.
Dans l'évaluation des soupçons raisonnables, les caractéristiques définies dans un profil policier peuvent être prises en considération; toutefois, elles ne sauraient se substituer à des faits objectifs donnant naissance à des soupçons raisonnables quant à la perpétration d'une activité criminelle. L'analyse doit plutôt demeurer axée sur la question fondamentale, à savoir l'ensemble des circonstances — y compris les caractéristiques propres au suspect, les facteurs contextuels et l'infraction soupçonnée — suffit‑il pour que le seuil des soupçons raisonnables soit atteint?
Le ministère public a le fardeau de prouver que les faits objectivement discernables font naître des soupçons raisonnables, de sorte qu'une personne raisonnable à la place du policier aurait soupçonné raisonnablement la tenue d'une activité criminelle. La formation et l'expérience du policier peuvent fournir un fondement expérientiel, plutôt qu'empirique, aux soupçons raisonnables. Toutefois, il ne s'ensuit pas que l'intuition fondée sur l'expérience du policier suffira ou que le point de vue de ce dernier sur les circonstances commandera la déférence. Une supposition éclairée ne saurait supplanter l'examen rigoureux et indépendant qu'exige la norme des soupçons raisonnables.
La fiabilité du chien en question joue également pour déterminer si la fouille effectuée à l'aide de l'animal a été menée de manière abusive ou non. En l'absence de normes légales, le juge de première instance doit examiner attentivement la preuve dont il dispose pour procéder à cette appréciation. Tant les résultats d'essais dans un environnement contrôlé que ceux de l'utilisation sur le terrain sont utiles pour déterminer si une indication constitue un signe fiable de la présence réelle de drogue.
En l'espèce, l'accusé avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l'égard de son bagage enregistré, dans le contexte d'une enquête policière générale. Toutefois, la fouille effectuée à l'aide du chien renifleur n'était pas abusive. Le juge du procès a commis une erreur de principe dans la manière d'appliquer la norme des soupçons raisonnables en appréciant les facteurs individuellement. Considérés dans leur ensemble, les facteurs en l'espèce justifiaient des soupçons raisonnables quant à une activité illicite liée à la drogue de sorte que la fouille effectuée à l'aide du chien renifleur était conforme à la Charte . Vu la force de l'ensemble de facteurs ayant mené à la décision d'utiliser le chien, la fiabilité de l'animal et l'absence d'explications disculpatoires, l'indication a eu pour effet de transformer les soupçons raisonnables découlant de l'ensemble en motifs raisonnables et probables d'arrestation.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Kang‑Brown , 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456; R. c. A.M. , 2008 CSC 19, [2008] 1 R.C.S. 569; R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182; R. c. MacKenzie , 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250; R. c. Collins , [1987] 1 R.C.S. 265; Hunter c. Southam Inc. , [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Simmons , [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Monney , [1999] 1 R.C.S. 652; R. c. Mann , 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; R. c. M. (M.R.) , [1998] 3 R.C.S. 393; R. c. Caslake , [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. Bramley , 2009 SKCA 49, 324 Sask. R. 286; United States c. Gooding , 695 F.2d 78 (1982); Reid c. Georgia , 448 U.S. 438 (1980); Terry c. Ohio , 392 U.S. 1 (1968); R. c. Golub (1997), 34 O.R. (3d) 743; United States c. Sokolow , 490 U.S. 1 (1989); R. c. Payette , 2010 BCCA 392, 291 B.C.A.C. 289; Florida c. Harris , 133 S.Ct. 1050 (2013); R. c. Borden , [1994] 3 R.C.S. 145; R. c. Storrey , [1990] 1 R.C.S. 241; R. c. Lozano , 2013 ONSC 1871, [2013] O.J. No. 1432 (QL); R. c. Nguyen , 2013 SKQB 36 (CanLII); Alberta c. Jarvis , 2012 ABQB 602, 270 C.R.R. (2d) 154; R. c. Gowing , 2012 ABPC 38, 532 A.R. 312; R. c. Earle , 2012 NSPC 27, 315 N.S.R. (2d) 123; R. c. Krafczyk , 2011 ABQB 107, 511 A.R. 211; R. c. Imani , [2012] N.B.J. No. 120 (QL); R. c. Ryan , 2011 NSSC 102, 300 N.S.R. (2d) 97; R. c. Hoy , 2010 ABQB 575, 534 A.R. 58; R. c. Hoang , 2010 BCPC 24, 206 C.R.R. (2d) 127; R. c. Frieburg , 2013 MBCA 40 (CanLII); R. c. Tse , 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; R. c. Patrick , 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Shepherd , 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527; R. c. Wong , 2005 BCPC 24, 127 C.R.R. (2d) 342; R. c. Calderon (2004), 188 C.C.C. (3d) 481.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 8 , 9 , 24(2) .
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 254(2) , 492.2 .
Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes , L.C. 2000, ch. 17 , art. 15(1) , 17(1) .
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 , art. 49 .
Loi sur les douanes , L.R.C. 1985, ch. 1 (2 e suppl .), art. 98 .
Doctrine et autres documents cités
Sankoff, Peter, and Stéphane Perrault. « Suspicious Searches : What's so Reasonable About Them? » (1999), 24 C.R. (5th) 123.
Shapiro, Jonathan. « Confusion and Dangers in Lowering the Hunter Standards » (2008), 55 C.R. (6th) 396.
Tanovich, David M. « A Powerful Blow Against Police Use of Drug Courier Profiles » (2008), 55 C.R. (6th) 379.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (le juge en chef MacDonald et les juges Saunders et Farrar), 2011 NSCA 82, 308 N.S.R. (2d) 122, 278 C.C.C. (3d) 445, 243 C.R.R. (2d) 109, 88 C.R. (6th) 300, 976 A.P.R. 122, [2011] N.S.J. No. 499 (QL), 2011 CarswellNS 646, qui a infirmé une décision du juge Cacchione, 2010 NSSC 255, 300 N.S.R. (2d) 28, 268 C.C.C. (3d) 249, 950 A.P.R. 28, [2010] N.S.J. No. 712 (QL), 2010 CarswellNS 906, et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi rejeté.
Stanley W. MacDonald , c.r. , pour l'appelant.
Mark Covan , pour l'intimée.
Amy Alyea , pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Mahmud Jamal , David Mollica et W. David Rankin , pour l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles.
Argumentation écrite seulement par Tamir Israel , pour l'intervenante la Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada Samuelson‑Glushko.
Michael A. Feder et H. Michael Rosenberg , pour l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La juge Karakatsanis — Dans les arrêts R. c. Kang-Brown , 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456, et R. c. A.M. , 2008 CSC 19, [2008] 1 R.C.S. 569, la Cour met en balance les droits à la vie privée des voyageurs et l'intérêt du public à l'arrestation de ceux qui se livrent au transport et au trafic de la drogue. Elle conclut que l'utilisation adéquate d'un chien détecteur de drogue constitue une fouille autorisée par la loi et que pareille fouille, si elle est effectuée en application de la norme moins stricte des « soupçons raisonnables », n'est pas abusive. Parce qu'elle porte une atteinte minime, vise un objectif bien circonscrit et peut se révéler d'une grande fiabilité, la fouille effectuée à l'aide d'un chien renifleur ne nécessite pas d'autorisation judiciaire préalable. Dans les présents pourvois, la Cour est appelée à expliciter les principes qui sous‑tendent la norme des soupçons raisonnables et son application.
[2] Certains intervenants en l'espèce demandent à la Cour de conclure qu'il ne saurait y avoir d'attente raisonnable en matière de vie privée à l'égard de bagages à l'aéroport ou bien de resserrer la norme de sorte qu'il faudrait des motifs raisonnables et probables pour qu'une fouille effectuée à l'aide d'un chien renifleur soit autorisée. Toutefois, ils n'ont fourni aucune raison impérieuse justifiant la modification de l'équilibre établi dans les arrêts Kang‑Brown et A.M. entre l'intérêt de la société à la tenue d'opérations courantes de prévention du crime et le droit d'une personne à sa vie privée.
[3] À mon avis, il n'est pas nécessaire de modifier la norme des soupçons raisonnables. Il s'agit d'une norme solide, qui appelle la prise en compte de l'ensemble des circonstances, en fonction de faits objectivement vérifiables, et dont l'application est assujettie à un examen rigoureux et indépendant par les tribunaux. Comme l'a affirmé le juge Doherty dans l'arrêt R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182 (C.A.), p. 202, la norme fait obstacle à l'exercice aveugle et discriminatoire des pouvoirs policiers.
[4] Toutefois, l'application de la norme des soupçons raisonnables continue de susciter des inquiétudes, particulièrement lorsque les facteurs individuels sur lesquels s'appuie la police sont neutres et admettent une explication innocente. L'appelant fait valoir que les caractéristiques propres au « profil des passeurs de drogue » établi par la police ne devraient pas fonder les soupçons raisonnables, puisqu'elles ne fournissent pas de preuve précise d'activité criminelle. Dans le pourvoi connexe, R. c. MacKenzie , 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, l'appelant conteste lui aussi le recours aux profils des passeurs de drogue.
[5] En outre, l'appelant demande à la Cour de confirmer la conclusion du juge du procès selon laquelle le chien utilisé en l'espèce n'était pas fiable et de prescrire l'établissement de normes nationales visant à déterminer la fiabilité des chiens renifleurs ainsi que de définir ces dernières.
[6] Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi. La norme des soupçons raisonnables oblige à apprécier l'ensemble des circonstances — inculpatoires et disculpatoires — pour déterminer s'il existe des motifs objectivement discernables de soupçonner qu'une personne se livre à une activité criminelle. Elle n'oblige pas la police à faire enquête pour écarter des circonstances disculpatoires. La Cour d'appel a conclu à bon droit que le juge du procès avait commis une erreur en évaluant les facteurs individuellement, plutôt que dans leur ensemble, et en concluant que le chien renifleur n'était pas fiable.
I. Les faits
[7] Tard un mardi soir de novembre 2005, M. Chehil a quitté l'aéroport international de Vancouver à bord d'un appareil de WestJet à destination de Halifax.
[8] Le lendemain matin, aux bureaux de WestJet à Halifax, le caporal Fraser et l'agente Ruby, de l'Équipe de répression criminelle (ERC) de la GRC, ont analysé le manifeste des passagers de la liaison de nuit Vancouver‑Halifax. Ils ont observé que l'appelant avait été l'un des derniers passagers à acheter son billet, l'avait payé comptant et avait enregistré un seul bagage. Dans leur témoignage, les policiers ont déclaré qu'il s'agit là, selon leur expérience, d'indices du trafic illégal de stupéfiants.
[9] À la lumière de ces observations, ils ont décidé de soumettre le bagage enregistré de l'appelant à un contrôle par un chien détecteur de drogue nommé Boris. À l'arrivée du vol de l'appelant, les agents ont repéré sa valise du côté sécurisé de l'aéroport. Neuf autres bagages provenant du même vol ont également été retirés et alignés avec celui de l'appelant. L'agent Daigle a fait marcher Boris le long de cette file. Lors de son premier passage, le chien s'est tourné vers la valise de l'appelant et l'a regardée. Lors de son deuxième passage, Boris a indiqué qu'il avait détecté une odeur de drogue en s'asseyant devant la valise de l'appelant, puis devant l'article voisin, une glacière. Le propriétaire de la glacière a subséquemment consenti à une fouille, qui n'a pas révélé la présence de drogue.
[10] Après avoir pris sa valise, l'appelant a été abordé par un autre agent qui l'a informé de l'indication donnée à l'égard de sa valise, révélant qu'elle contenait de la drogue, et l'a arrêté pour possession d'un stupéfiant.
[11] L'appelant a été emmené à un lieu sécurisé. Forçant sa valise fermée à clé, la police y a trouvé un sac à dos contenant trois kilogrammes de cocaïne. L'appelant a été arrêté pour possession d'un stupéfiant en vue d'en faire le trafic.
II. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (2010 NSSC 255, 300 N.S.R. (2d) 28)
[12] Le juge du procès a statué que M. Chehil avait une attente raisonnable en matière de vie privée à l'égard de son bagage enregistré et que rien ne justifiait la réduction des protections constitutionnelles dans un aéroport. Il a établi une distinction entre l'attente d'un voyageur quant au respect de sa vie privée dans le contexte de la sécurité du vol et son attente à cet égard dans le contexte d'une enquête policière générale.
[13] Concluant que seul l'achat du billet au comptant — possiblement à la dernière minute — pouvait être considéré comme étant suspect, et que les autres facteurs relevés par les policiers admettaient plusieurs explications neutres qui n'avaient pas été examinées, le juge du procès a statué que ces derniers n'avaient pas de soupçons raisonnables au moment d'utiliser Boris. En particulier, parce que l'ERC n'avait pas poussé l'enquête ou envisagé des explications disculpatoires, elle n'avait pas procédé à l'évaluation globale des faits nécessaire pour établir les soupçons raisonnables. Au mieux, les policiers agissaient sur la foi d'une intuition ou d'une supposition éclairée; par conséquent, la fouille n'était pas autorisée en common law.
[14] Le juge du procès a également conclu qu'un contrôle annuel du rendement d'un chien renifleur ne constituait pas un indicateur adéquat de sa fiabilité et que le rendement de Boris sur le terrain n'était pas suffisamment fiable pour que la fouille ne soit pas jugée abusive .
[15] Le juge du procès a écarté la preuve en application du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés .
B. Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (2011 NSCA 82, 308 N.S.R. (2d) 122)
[16] La Cour d'appel a reconnu que l'appelant conservait un droit à la vie privée à l'égard de sa valise et que les mesures accrues de lutte contre le terrorisme mises en œuvre dans les aéroports ne pouvaient court‑circuiter les protections garanties dans le cadre d'enquêtes criminelles générales. Toutefois, elle a statué que le juge du procès avait fait erreur en considérant isolément les facteurs sur lesquels les policiers s'étaient appuyés et qu'il aurait plutôt fallu s'attacher à déterminer si, une fois combinés, ces facteurs faisaient naître des soupçons raisonnables, même si chacun admettait possiblement une explication innocente. La question de savoir si des mesures supplémentaires auraient pu être prises pour étayer les soupçons raisonnables n'était pas pertinente; les policiers n'ont qu'à démontrer avoir pris des moyens suffisants pour établir l'existence de tels soupçons.
[17] La Cour d'appel a conclu que l'évaluation de la fiabilité du chien renifleur ne saurait faire fi du fait que ce dernier est dressé pour détecter l'odeur de drogue, et non la drogue elle‑même. Le juge du procès a eu tort de rejeter la preuve d'expert du caporal Daigle selon laquelle l'indication erronée de la glacière avait probablement résulté de l'odeur émanant de la valise adjacente de l'appelant. Vu que les policiers avaient des motifs raisonnables et probables de croire que l'appelant avait en sa possession de la drogue illicite après l'indication donnée par Boris, son arrestation était justifiée et la fouille de sa valise n'était pas abusive. Il n'y a eu aucune violation de la Charte .
III. Questions en litige/Plan
[18] Le plan est le suivant :
A. Principes généraux
(1) La nature des soupçons raisonnables
(2) Le profilage et les soupçons raisonnables
(3) La nature de l'examen par les tribunaux
(4) La fiabilité du chien
(5) Les mesures découlant d'une indication
B. Application à l'espèce
(1) Les soupçons raisonnables de la police
(2) Le caractère non abusif de la fouille
(3) L'arrestation subséquente à l'indication
IV. Analyse
A. Principes généraux
[19] L'utilisation d'un chien détecteur de drogue (spécialement dressé pour la détection olfactive de certaines substances illicites) constitue une fouille qui ne nécessite aucune autorisation judiciaire préalable. Toutefois, pour qu'une telle fouille soit conforme à la Charte , elle doit satisfaire aux critères applicables aux fouilles sans autorisation énoncés dans l'arrêt R. c. Collins , [1987] 1 R.C.S. 265. Ainsi, le recours à un chien renifleur doit être autorisé par une loi qui n'a elle‑même rien d'abusif (en l'espèce, la common law), et la fouille ne doit pas être effectuée d'une manière abusive. Dans l'arrêt Kang‑Brown , les juges majoritaires de la Cour concluent que la décision d'utiliser un chien renifleur satisfait aux critères établis dans l'arrêt Collins dans le cas où les policiers ont des soupçons raisonnables, fondés sur des faits objectivement discernables, que des éléments de preuve établissant la perpétration d'une infraction seront découverts (voir Kang‑Brown , par. 60, le juge Binnie; par. 188‑194, la juge Deschamps; par. 244, le juge Bastarache). En outre, comme je l'expliquerai, une fouille à l'aide d'un chien renifleur est effectuée d'une manière qui n'est pas abusive si ce dernier est bien dressé et bien utilisé.
[20] L'appelant plaide que les policiers ont appliqué la norme des soupçons raisonnables de manière à autoriser les fouilles générales aléatoires d'un très grand nombre de voyageurs innocents. L'appelant et certains intervenants craignent que des caractéristiques d'un profil, si elles sont appliquées mécaniquement, visent un pourcentage élevé de voyageurs innocents ou de groupes marginalisés en raison de leur race. Ils prétendent que si les facteurs, considérés individuellement, sont innocents ou anodins, les policiers devraient être tenus de pousser l'enquête à la recherche de facteurs disculpatoires.
[21] À mon avis, il n'est pas nécessaire de reformuler le critère des « soupçons raisonnables »; il s'agit d'une norme courante qui entre en jeu dans plusieurs contextes. Toutefois, à la lumière des préoccupations soulevées, je me propose de clarifier (1) la nature des soupçons raisonnables; (2) le rôle des « profils » comme motifs de soupçons raisonnables; (3) la nature de l'examen rigoureux par les tribunaux.
(1) La nature des soupçons raisonnables
[22] Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. , [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour énonce les principes qui sous‑tendent le cadre d'application de l' art. 8 , qui appelle l'établissement d'un équilibre entre le droit à la vie privée et l'intérêt qu'a le public à donner à ceux qui sont chargés de faire respecter la loi les moyens d'enquêter sur des crimes. Premièrement, l' art. 8 ne protège pas contre tout empiétement sur le droit à la vie privée. Son but fondamental est de protéger le particulier contre l'action arbitraire de l'État en conciliant le droit du premier de ne pas être importuné avec l'intérêt qu'a le public à donner au second les moyens d'enquêter sur des crimes (p. 159‑160). Cet équilibre doit être établi sur le fondement de motifs objectifs (p. 166‑167) et, si possible, l'appréciation doit précéder la fouille (p. 160). Dans la plupart des cas, « [l]e droit de l'État de déceler et de prévenir le crime commence à l'emporter sur le droit du particulier de ne pas être importuné lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité » (p. 167‑168).
[23] L'incidence sur le droit à la vie privée et l'importance de l'objectif d'application de la loi jouent toutes deux quand il s'agit de déterminer le degré de justification nécessaire à l'empiétement par l'État sur ce droit. Dans l'arrêt Hunter , la Cour reconnaît également que cet exercice de pondération des intérêts en jeu peut justifier une fouille en application d'une norme moins rigoureuse lorsque les droits à la vie privée sont réduits ou lorsque les objectifs d'ordre public de l'État sont prédominants (p. 168). Ainsi, elle estime que les soupçons raisonnables constituent un seuil suffisant dans certains contextes d'enquête [1] , et le législateur a subordonné l'autorisation de certaines fouilles à cette norme [2] .
[24] Dans le cas de la fouille effectuée à l'aide d'un chien renifleur, la norme des soupçons raisonnables témoigne, en partie, de l'atteinte minime que porte ce genre de fouille. La fouille matérielle des bagages accessoire à l'arrestation, plus envahissante, est subordonnée à la norme plus rigoureuse des motifs raisonnables et probables, car l'arrestation doit être justifiée (voir R. c. Caslake , [1998] 1 R.C.S. 51). La même fourchette a été établie pour l'application de l' art. 9 de la Charte pour justifier la détention, qui va des soupçons raisonnables (pour la détention aux fins d'enquête) aux motifs raisonnables et probables (pour l'arrestation) (voir R. c. Mann , 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59).
[25] Le seuil des soupçons raisonnables respecte l'équilibre établi pour l'application de l' art. 8 , car il autorise le recours par les forces de l'ordre à des techniques d'enquête légitimes mais circonscrites. Le contrôle judiciaire ultérieur permet d'assurer cet équilibre et d'empêcher les atteintes aveugles et discriminatoires au droit à la vie privée, les tribunaux vérifiant que l'atteinte policière à l'attente raisonnable en matière de vie privée repose bel et bien sur un fondement objectif et raisonnable.
[26] La rigueur de la norme des soupçons raisonnables découle de l'exigence que ces soupçons soient fondés sur des faits objectivement discernables, qui peuvent ensuite être soumis à l'examen judiciaire indépendant. Cet examen est rigoureux et doit prendre en compte l'ensemble des circonstances. Dans l'arrêt Kang‑Brown , le juge Binnie donne la définition suivante des soupçons raisonnables :
La norme des « soupçons raisonnables » n'est pas une nouvelle norme juridique créée pour les besoins de la présente affaire. Les « soupçons » sont une impression que l'individu ciblé se livre à une activité criminelle. Les soupçons « raisonnables » sont plus que de simples soupçons, mais ils ne correspondent pas à une croyance fondée sur des motifs raisonnables et probables. [par. 75]
[27] Ainsi, bien que les motifs raisonnables de soupçonner, d'une part, et les motifs raisonnables et probables de croire, d'autre part, soient semblables en ce sens qu'ils doivent, dans les deux cas, être fondés sur des faits objectifs, les premiers constituent une norme moins rigoureuse, puisqu'ils évoquent la possibilité — plutôt que la probabilité — raisonnable d'un crime. Par conséquent, lorsqu'il applique la norme des soupçons raisonnables, le juge siégeant en révision doit se garder de la confondre avec la norme plus exigeante des motifs raisonnables et probables.
[28] Les soupçons raisonnables étant une affaire de possibilité, plutôt que de probabilité, il s'ensuit nécessairement que les policiers soupçonneront raisonnablement, dans certains cas, des personnes innocentes d'être des criminels. Malgré cette réalité, la fouille bien effectuée à l'aide d'un chien renifleur et fondée sur des soupçons raisonnables est conforme à la Charte , vu son caractère peu envahissant, étroitement ciblé et hautement fiable (voir Kang‑Brown , par. 60, le juge Binnie, et A.M. , par. 81‑84, le juge Binnie). Toutefois, les soupçons des policiers ne doivent pas être à ce point vagues qu'ils se réduisent à des soupçons généraux, décrits par le juge Bastarache, au par. 151 de l'arrêt A.M. , comme des soupçons « non pas au sujet d'une personne bien précise mais plutôt au sujet d'un lieu ou d'une activité en particulier ».
[29] Les soupçons raisonnables doivent être évalués à la lumière de toutes les circonstances. L'appréciation doit prendre en compte l'ensemble des faits objectivement discernables qui donneraient à l'enquêteur un motif raisonnable de soupçonner une personne d'être impliquée dans le type d'activité criminelle sur lequel porte l'enquête. L'appréciation doit s'appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l'expérience pratique quotidienne (voir R. c. Bramley , 2009 SKCA 49, 324 Sask. R. 286, par. 60). Les soupçons raisonnables du policier ne sauraient être évalués isolément (voir Monney , par. 50).
[30] Un ensemble de facteurs ne suffira pas à justifier des soupçons raisonnables lorsqu'ils équivalent simplement à des soupçons « généraux », puisque la fouille [ traduction ] « viserait un tel nombre de personnes censément innocentes qu'elle se rapprocherait d'une mesure subjective administrée aléatoirement » ( United States c. Gooding , 695 F.2d 78 (4th Cir. 1982), p. 83). La jurisprudence américaine exige également un ensemble de facteurs suffisamment spécifiques. Voir Reid c. Georgia , 448 U.S. 438 (1980), et Terry c. Ohio , 392 U.S. 1 (1968). En effet, la norme des soupçons raisonnables est conçue pour prévenir les fouilles aveugles et discriminatoires.
[31] Bien que certains facteurs, comme le fait de voyager sous un faux nom ou celui de fuir les policiers, puissent à eux seuls éveiller des soupçons raisonnables ( Kang‑Brown , par. 87, le juge Binnie), d'autres éléments d'un ensemble ne donneront naissance à des soupçons raisonnables que s'ils sont combinés à d'autres. Généralement, les caractéristiques qui s'appliquent globalement aux personnes innocentes ne suffisent pas, puisqu'elles ne peuvent révéler que des soupçons généraux. Il en va de même des facteurs qui peuvent aller « dans les deux sens », par exemple le fait qu'une personne regarde ou non quelqu'un dans les yeux. À eux seuls, de tels facteurs ne sauraient fonder des soupçons raisonnables, mais ils le peuvent s'ils s'inscrivent dans un ensemble de facteurs.
[32] De plus, on peut tirer d'un ensemble particulier de facteurs autre chose que des soupçons raisonnables. Tout comme les sept étoiles qui forment la Grande Ourse représentent pour certains une louche, une casserole ou une charrue, les facteurs qui font naître des soupçons raisonnables peuvent également admettre des explications tout à fait innocentes. Il s'agit d'une thèse acceptable, puisque la norme des soupçons raisonnables correspond à la possibilité — et non à la probabilité — de découvrir de la criminalité.
[33] On ne peut faire abstraction des renseignements disculpatoires, neutres ou équivoques dans l'évaluation d'un ensemble de facteurs. Il faut pondérer toutes les circonstances, tant les facteurs favorables que les facteurs défavorables, avant de conclure ou non à l'existence de soupçons raisonnables. Pour reprendre les propos du juge Doherty dans l'arrêt R. c. Golub (1997), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 751, [ traduction ] « [l]'agent doit prendre en compte tous les renseignements à sa disposition et il ne peut faire abstraction que des renseignements dont il a de bonnes raisons de croire qu'ils ne sont pas fiables ». C'est l'évidence même.
[34] Toutefois, l'obligation imposée à la police de prendre en compte tous les facteurs ne la contraint pas à pousser l'enquête pour trouver des facteurs disculpatoires ou écarter des explications possiblement innocentes. Comme le tribunal l'a noté dans l'arrêt United States c. Sokolow , 490 U.S. 1 (1989), p. 10 (citant Illinois c. Gates , 462 U.S. 213 (1983), p. 244, note de bas de page 13), [ traduction ] « la question pertinente n'est pas de savoir si un comportement particulier est “innocent” ou “coupable”, mais de déterminer dans quelle mesure des types particuliers d'actes non criminels font naître des soupçons ». En procédant à cette analyse pour déterminer l'existence de soupçons raisonnables, le tribunal évaluera les circonstances dont les policiers avaient connaissance au moment de procéder à la fouille, y compris celles qu'ils ont apprises après la décision d'utiliser le chien renifleur si elle n'a pas été mise à exécution immédiatement, comme en l'espèce. En revanche, l'analyse servant à déterminer l'existence de soupçons raisonnables ne saurait tenir compte de circonstances dont la police a eu connaissance après la fouille (voir Kang‑Brown , par. 92).
[35] Enfin, les faits objectifs doivent révéler la possibilité d'un comportement criminel. Bien que j'accepte l'argument de l'appelant selon lequel la police doit fonder sur un comportement précis ou un indice précis d'activité criminelle les soupçons raisonnables, je rejette celui voulant que l'indice doive constituer lui‑même un comportement illégal ou révéler un acte criminel identifié.
[36] Il doit y avoir un lien entre le comportement suspect et la technique d'enquête utilisée (voir Mann , par. 34). Dans le contexte des chiens détecteurs de drogue, ce lien est établi dès lors qu'un ensemble de faits justifie raisonnablement de soupçonner une activité liée à la drogue que l'animal est dressé pour détecter. Par exemple, dans l'arrêt R. c. Payette , 2010 BCCA 392, 291 B.C.A.C. 289, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a affirmé que, pour justifier l'utilisation d'un chien renifleur, l'ensemble doit être [ traduction ] « susceptible de fournir le lien objectivement discernable entre l'[accusé] et l'activité illégale liée à la drogue » (par. 22). Le juge Binnie exprime un avis semblable dans l'arrêt Kang‑Brown , où il conçoit les soupçons raisonnables en termes larges et les associe à la présence d'articles interdits (par. 25). La police a circonscrit les indices du passage de drogue, et des éléments objectifs peuvent permettre d'en établir l'existence.
[37] En somme, la décision de la police, fondée sur l'existence de soupçons raisonnables, d'utiliser un chien spécialement dressé pour la détection de stupéfiants doit reposer sur des facteurs suggérant une infraction relative à la drogue. La norme des soupçons raisonnables n'exige toutefois pas que les policiers indiquent le crime précis en voie de perpétration ou identifient la substance illicite recherchée. Il suffit que leurs soupçons raisonnables portent sur la possession, le trafic ou la production de drogue ou d'articles interdits liés à la drogue.
(2) Le profilage et les soupçons raisonnables
[38] Les appelants dans le présent pourvoi et dans le pourvoi connexe, MacKenzie , ainsi que l'Association canadienne des libertés civiles (« ACLC ») et la Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada Samuelson‑Glushko (« CIPPIC »), intervenantes en l'espèce, demandent à la Cour de statuer que les profils des passeurs de drogue ne sauraient à eux seuls fonder des soupçons raisonnables. Ils affirment qu'en s'appuyant sur des profils on substitue le point de vue des policiers sur la situation à un examen judiciaire rigoureux. L'ACLC met en évidence plusieurs dangers liés au recours aux profils, même comme outils d'enquête permettant de repérer les personnes d'intérêt, par exemple une application incohérente ou la modification après coup par les policiers, l'incidence imprévue sur des tiers, le tort disproportionné causé aux minorités visibles et les stéréotypes.
[39] À mon avis, rien ne sert de parler de profilage comme source de soupçons raisonnables. Le terme lui‑même évoque une évaluation fondée sur des stéréotypes et des facteurs discriminatoires qui n'ont pas leur place dans l'analyse servant à déterminer s'il existe des soupçons raisonnables. Cette analyse doit plutôt demeurer axée sur la question fondamentale, à savoir l'ensemble des circonstances — y compris les caractéristiques propres au suspect, les facteurs contextuels et l'infraction soupçonnée — suffit‑il pour que le seuil des soupçons raisonnables soit atteint?
[40] L'application de la norme des soupçons raisonnables ne saurait être mécanique ni convenue. Elle est fonction des circonstances particulières de chaque espèce. Dans l'évaluation qu'elle emporte, les caractéristiques définies dans un profil policier peuvent être prises en considération; toutefois, elles ne sauraient se substituer à des faits objectifs donnant naissance à des soupçons raisonnables quant à la perpétration d'une activité criminelle. Il convient d'envisager les caractéristiques du profil avec prudence, justement parce qu'il existe un risque qu'elles minent l'évaluation attentive de l'ensemble des circonstances, qui s'effectue au cas par cas.
[41] En l'espèce, le profil en question consistait dans un ensemble de facteurs propres aux passeurs de drogue d'après la formation et l'expérience des agents. Ces facteurs feront naître ou non des soupçons raisonnables en fonction des motifs qu'aura le policier d'en relever certains, des éléments rattachant ces facteurs à une activité criminelle et de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
[42] Ni en l'espèce, ni dans le pourvoi connexe, on ne prétend qu'il y a eu profilage discriminatoire. Même si nous n'avons pas à trancher de telles questions, j'appelle les tribunaux à considérer avec prudence les facteurs issus de l'expérience policière pour déterminer s'ils constituent en fait des stéréotypes ou de la discrimination.
[43] Qui plus est, les éléments considérés dans l'analyse visant à déterminer s'il existe des soupçons raisonnables doivent respecter les principes de la Charte . Ils doivent porter sur les actes de la personne visée par l'enquête, et non sur ses caractéristiques immuables.
[44] L'exercice des droits garantis par la Charte , par exemple celui de garder le silence ou de mettre fin à un interrogatoire qui n'est pas tenu dans le contexte de la détention, ne saurait pas non plus fonder des soupçons raisonnables. Ces droits perdraient alors tout leur sens. Personne ne devrait avoir à sacrifier sa vie privée pour exercer les droits que lui garantit la Charte .
(3) La nature de l'examen par les tribunaux
[45] L'exigence de soupçons raisonnables fondés sur des faits objectivement discernables permet un examen judiciaire ultérieur et protège contre l'action arbitraire de l'État. Selon le cadre établi dans l'arrêt Collins , le ministère public a le fardeau de prouver que les faits objectifs font naître des soupçons raisonnables, de sorte qu'une personne raisonnable à la place du policier aurait soupçonné raisonnablement la tenue d'une activité criminelle.
[46] L'examen judiciaire rigoureux sert à vérifier de manière indépendante que les soupçons sur lesquels les policiers se sont appuyés sont à leur tour fondés sur des facteurs qui sont objectivement discernables, c'est‑à‑dire que les soupçons reposent sur [ traduction ] « des éléments factuels susceptibles d'être présentés en preuve et permettent une appréciation judiciaire indépendante » (P. Sankoff et S. Perrault, « Suspicious Searches : What's so Reasonable About Them? » (1999), 24 C.R. (5th) 123, p. 125). L'ensemble de faits sur lequel s'appuient les policiers doit donc reposer sur la preuve, être lié au suspect et pouvoir étayer une inférence logique quant à l'existence d'un comportement criminel. Si le lien entre l'ensemble et la criminalité ne peut être établi au moyen d'une inférence logique, le ministère public doit présenter une preuve — empirique, statistique ou tirée de la formation et de l'expérience de l'enquêteur — visant à l'établir.
[47] La formation et l'expérience du policier peuvent fournir un fondement expérientiel, plutôt qu'empirique, aux soupçons raisonnables. Toutefois, il ne s'ensuit pas que l'intuition fondée sur l'expérience du policier suffira ou que le point de vue de ce dernier sur les circonstances commandera la déférence (voir Payette , par. 25). Une supposition éclairée ne saurait supplanter l'examen rigoureux et indépendant qu'exige la norme des soupçons raisonnables. La nature et la teneur de la formation et de l'expérience doivent être démontrées pour permettre au tribunal de déterminer objectivement si le lien entre l'ensemble de facteurs circonscrit par la police et la criminalité est probant. Plus cet ensemble est général, plus il faudra fournir une preuve particulière de l'expérience et de la formation policières. Et plus cette preuve sous‑tend le lien que le ministère public demande au tribunal d'établir, plus ce lien sera jugé convaincant.
(4) La fiabilité du chien
[48] Il se peut que la fiabilité d'un chien détecteur de drogue suscite des questions à chacune des étapes de l'analyse fondée sur l'arrêt Collins . Dans l'affaire Kang‑Brown , la grande fiabilité des chiens renifleurs bien dressés et utilisés a joué un rôle crucial dans la décision de la Cour d'accepter la norme des soupçons raisonnables pour ce genre de fouilles. En outre, vu les conséquences découlant d'un faux positif, la fiabilité du chien en question joue également pour déterminer si la fouille a été menée de manière abusive dans les circonstances (voir Kang‑Brown , par. 63‑65).
[49] Les conséquences d'un faux positif peuvent être graves. Comme nous le verrons, il se peut, selon les circonstances, que l'indication par un chien fiable qu'il a détecté l'odeur de stupéfiants donne au policier des motifs raisonnables et probables d'arrestation. Le recours à un chien dont l'odorat n'est pas fiable risque de mener à des arrestations inutiles. Les chiens étant dressés pour déceler l'odeur de la drogue et sont de ce fait susceptibles de la détecter même en l'absence de la substance, il est important de procéder à des validations dans un environnement contrôlé, car c'est seulement dans un tel environnement qu'il est véritablement possible de reconnaître un faux positif.
[50] Néanmoins, la preuve du rendement du chien renifleur au cours d'utilisations antérieures est également pertinente. Parce que le chien est dressé à détecter l' odeur de drogue, il sera incapable de distinguer celle qui émane d'articles contaminés de celle qui émane de la substance elle‑même. Si des biens contaminés dégagent un effluve puissant, l'utilité d'une indication olfactive sera réduite. Dans un environnement présentant un taux de contamination élevé, il se peut qu'un chien ne soit pas fiable en raison de la nature même de ses compétences. Cependant, il ne faudrait pas que son dossier général de rendement en souffre. Le bilan des utilisations sur le terrain peut également indiquer si l'animal démontre une tendance exceptionnelle à donner de fausses alertes ou à détecter des odeurs résiduelles.
[51] Une méthode de fouille qui aurait pour effet de viser un nombre démesuré de personnes innocentes ne saurait être jugée non abusive, en raison de l'atteinte injustifiée à la vie privée et à la dignité personnelle qu'emporteraient les arrestations. Par conséquent, la capacité du chien et la possibilité de fiabilité réduite de l'animal dans certains environnements présentant une contamination croisée doivent entrer en ligne de compte dans l'analyse contextuelle de la fiabilité. Pour les aider à reconnaître les situations où leur animal risque d'indiquer des faux positifs, les maîtres‑chiens devraient tenir des dossiers sur le rendement de ce dernier et de l'équipe. Tant les résultats d'essais dans un environnement contrôlé que ceux de l'utilisation sur le terrain sont utiles pour déterminer si une indication constitue un signe fiable de la présence réelle de drogue.
[52] L'appelant demande à la Cour d'exiger l'établissement de normes nationales de vérification pour assurer la fiabilité systématique de tous les chiens renifleurs. Toutefois, bien que des normes régissant le recours à ces chiens soient souhaitables, il appartient au législateur de légiférer en ce sens.
[53] En l'absence de normes légales, le juge de première instance doit, comme toujours, examiner attentivement la preuve dont il dispose pour déterminer si la fouille effectuée à l'aide d'un chien renifleur respecte le critère établi dans l'arrêt Collins . Par conséquent, même si certains indices — notamment le rendement passé d'un chien et le risque de contamination croisée — peuvent être pertinents quand il s'agit d'apprécier la fiabilité de l'animal, aucune exigence particulière en matière de preuve ne s'appliquera mécaniquement dans chaque affaire. La poursuite n'a pas à prouver l'infaillibilité du chien, tout comme elle n'a pas à prouver l'infaillibilité de l'information communiquée par un indicateur.
[54] La fiabilité du chien importe également pour savoir si l'indication qu'il a donnée fournit les motifs raisonnables et probables nécessaires à la prise d'autres mesures policières. Le tribunal siégeant en révision procédera à cette appréciation en s'appuyant sur le résultat de la fouille effectuée à l'aide du chien renifleur et sur la preuve relative à la fiabilité de ce dernier. Si la fouille est effectuée en toute légalité, l'agent a déjà des motifs raisonnables de soupçonner une conduite criminelle, compte tenu de l'ensemble des circonstances préalables à la fouille. La cour doit prendre en considération ces éléments pour déterminer si, à la lumière de l' ensemble des circonstances, le seuil des motifs raisonnables et probables est atteint. Je note que la Cour suprême des États‑Unis a récemment adopté cette approche dans l'arrêt Florida c. Harris , 133 S.Ct. 1050 (2013), quoique dans le contexte du critère de la « cause probable », propre au droit américain.
(5) Les mesures découlant d'une indication
[55] Après l'indication donnée par un chien renifleur, le policier demande souvent le consentement pour effectuer une fouille aux fins de vérification. Pourvu que le consentement soit dûment demandé et obtenu, la fouille est conforme à l' art. 8 de la Charte (voir R. c. Borden , [1994] 3 R.C.S. 145). Par ailleurs, les policiers peuvent conclure qu'ils ont les motifs exigés par cette dernière pour procéder à une arrestation sans mandat, c'est‑à‑dire des motifs raisonnables et probables de croire que l'accusé a commis une infraction (voir R. c. Storrey , [1990] 1 R.C.S. 241, p. 249‑251). Si l'arrestation est valide, les policiers peuvent effectuer une fouille qui y est accessoire pour protéger les éléments de preuve susceptibles d'être présentés au procès de l'accusé (voir Caslake ). C'est ainsi que les policiers ont procédé en l'espèce, tout comme dans la plupart des affaires répertoriées postérieures à Kang‑Brown où l'utilisation d'un chien renifleur a mené à une fouille aux fins de vérification [3] .
[56] L'ACLC, intervenante en l'espèce, fait valoir que l'indication donnée par le chien renifleur ne justifie qu'une fouille aux fins de vérification, moins envahissante qu'une arrestation. Sa thèse fait écho à l'observation du juge Binnie dans Kang‑Brown (par. 101) et dans A.M. (par. 14) selon laquelle il serait préférable de ne procéder à aucune arrestation tant qu'une fouille aux fins de vérification n'aura pas permis de confirmer la présence de drogue.
[57] Comme les parties n'ont pas soulevé la question du recours à une fouille aux fins de vérification plutôt qu'à une arrestation par suite de l'indication donnée par le chien renifleur et que les juridictions inférieures n'ont pas statué sur celle‑ci, je suis d'avis de remettre à une autre occasion une telle analyse [4] . Toutefois, il me semble que l'atteinte minimale à la vie privée qu'emporte la fouille effectuée au moyen d'un chien renifleur a compté pour beaucoup dans la décision de la Cour (dans les affaires Kang‑Brown et A.M. ) de reconnaître le pouvoir, issu de la common law, d'effectuer de telles fouilles sans autorisation judiciaire préalable. Il n'en irait pas de même de la fouille aux fins de vérification, qui emporte l'inspection physique du contenu d'une cache et porte davantage atteinte au droit à la vie privée. Je signale en outre que le juge Binnie ne s'exprime pas au nom des juges majoritaires dans les arrêts Kang‑Brown et A.M. et qu'aucune source n'étaye ce nouveau pouvoir de common law relatif à la fouille aux fins de vérification (voir J. Shapiro, « Confusion and Dangers in Lowering the Hunter Standards » (2008), 55 C.R. (6th) 396, p. 399).
[58] Je signale également que, dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis en l'espèce, où la police soumet à un contrôle par un chien renifleur un article en l'absence de son propriétaire, elle devrait généralement en aviser ce dernier, même si le chien n'a rien détecté. Par exemple, dans de telles circonstances, il serait pratique de fixer une étiquette à l'article ayant subi la fouille ou d'indiquer par un autre moyen que l'article en question a été flairé par un chien dressé pour détecter l'odeur de drogue. En effet, comme nous l'avons vu, la rigueur de la norme des soupçons raisonnables tient au fait qu'elle est fondée sur des faits objectifs soumis au contrôle judiciaire. À défaut d'une exigence d'aviser le propriétaire, le contrôle judiciaire de la fouille effectuée en l'absence du propriétaire de l'article pourrait se révéler impossible. En outre, comme le signale la Cour dans R. c. Tse , 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 82-84, l'avis donné après les fouilles ne nécessitant pas une autorisation judiciaire préalable constitue une protection importante contre l'abus de ces pouvoirs. Or, l'appelant en l'espèce a manifestement été avisé de la fouille effectuée à l'aide d'un chien renifleur en son absence.
B. Application à l'espèce
[59] Le procureur général de l'Ontario, intervenant en l'espèce, laisse entendre que les voyageurs n'ont aucune attente raisonnable en matière de vie privée à l'égard de leur bagage enregistré à l'aéroport, étant donné le contrôle de sécurité auquel celui‑ci est obligatoirement soumis préalablement au vol. Toutefois, comme le dit la Cour, l'attente raisonnable d'une personne au respect de sa vie privée s'apprécie selon le contexte et est susceptible de varier selon les circonstances (voir R. c. Patrick , 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 26 et 38). En l'espèce, le juge du procès a conclu que, bien que l'appelant ait eu connaissance du contrôle de sécurité que subirait sa valise et y ait consenti de manière implicite, ce fait ne mine aucunement l'attente raisonnable de l'appelant au respect de sa vie privée à l'égard de son bagage enregistré, dans le contexte d'une enquête policière générale. La Cour d'appel était du même avis. Le ministère public ne conteste pas ces conclusions devant la Cour, et je ne conçois aucune raison justifiant de les modifier. Par conséquent, les droits que l' art. 8 de la Charte garantit à l'appelant sont en cause en l'espèce.
(1) Les soupçons raisonnables de la police
a) Norme de contrôle
[60] La conclusion du juge du procès quant à savoir si l'ensemble de facteurs étayant la décision de la police d'utiliser un chien renifleur donnait naissance à des soupçons raisonnables constitue une question mixte de fait et de droit. Bien que les conclusions de fait tirées par le juge commandent la déférence, la question de savoir si elles justifient ou non l'existence des soupçons raisonnables constitue une question de droit, assujettie à la norme de la décision correcte (voir R. c. Shepherd , 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 20).
b) L'ensemble de faits en l'espèce
[61] Le juge du procès a déterminé que l'appelant voyageait seul, qu'il avait acheté un billet aller simple sur la liaison de nuit Vancouver‑Halifax, qu'il était l'un des derniers passagers à acheter son billet et qu'il avait payé comptant. Le juge a envisagé pour chacun de ces facteurs des explications innocentes qui auraient pu faire l'objet d'une enquête plus poussée et a conclu qu'à défaut d'une telle enquête, rien n'éveillait de soupçons raisonnables d'activité criminelle liée à la drogue.
[62] Selon la Cour d'appel, le juge du procès avait eu tort d'examiner chaque facteur individuellement. De l'avis des juges, il n'était pas déterminant que chaque facteur, considéré isolément, admît une explication innocente; il fallait plutôt examiner les circonstances dans leur ensemble, et non pas les compartimenter pour finir par conclure à la nature équivoque de chaque facteur.
[63] L'appelant fait valoir qu'aucun des facteurs relevés par la police en l'espèce ne constitue de preuve précise d'une activité criminelle et que ces facteurs visent de nombreux voyageurs innocents. Il soutient également que, pour susciter des soupçons raisonnables, il faut que le paiement comptant soit assorti d'un certain comportement qui éveille lui‑même des soupçons raisonnables quant à une activité criminelle.
[64] L'existence de soupçons raisonnables s'apprécie eu égard au contexte d'une affaire. Dans leur témoignage, les agents ont affirmé qu'aucun indice n'était déterminant en soi et que le recours au chien renifleur était fondé sur les facteurs suivants : (1) il s'agissait d'un voyage en aller simple; (2) le vol provenait de Vancouver; (3) l'appelant voyageait seul; (4) le billet a été acheté comptant; (5) le billet était le dernier acheté avant le départ; (6) l'appelant a enregistré un seul bagage; (7) il s'agissait d'un vol de nuit; (8) le vol s'effectuait en milieu de semaine ou vers la fin de la semaine; (9) les passeurs de drogue préfèrent les compagnies aériennes offrant des billets à prix réduit, comme WestJet. Au cours de son contre‑interrogatoire, l'agente Ruby a affirmé qu'il s'est avéré que la plupart des gens réunissant cet ensemble de facteurs sont des passeurs de drogue :
[ traduction ]
Q : Alors, Agente Ruby, hier vous avez témoigné au sujet de certains indices que vous, en tant que policière, relevez lorsque vous examinez le manifeste des passagers.
R : Oui Monsieur.
Q : D'accord? Y compris des éléments comme l'achat du billet; vous savez, si c'était à la dernière minute, au comptoir, payé comptant, etc., c'est ça?
R : Oui Monsieur.
Q : Maintenant, êtes‑vous d'accord avec moi pour dire que les gens qui achètent des billets de cette manière ne sont pas tous des passeurs de drogue?
R : Oui Monsieur.
Q : Bon. Êtes‑vous d'accord avec moi pour dire qu'en fait, la plupart ne le sont probablement pas?
R : Je ne pourrais pas être d'accord là‑dessus, puisque quand je regarde, et selon mon expérience lorsqu'il y a un ensemble, et dans ‑‑ considérés dans leur ensemble, l'expérience nous dicte que ces personnes à qui nous avons parlé, ou que nous finissons par arrêter, avaient en leur possession des stupéfiants. [d.a., vol. V, p. 64-65]
Les agents ont témoigné avoir déjà vu cet ensemble de facteurs à Halifax et savaient qu'il s'appliquait couramment à des passeurs de drogue. Ils l'avaient vu dans leur formation et l'avaient remarqué dans leurs enquêtes antérieures. Un tel ensemble n'est pas caractéristique des voyageurs innocents. Cette déclaration n'a pas été contestée lors du contre‑interrogatoire.
[65] Dans certains cas, des éléments ont été invoqués pour miner la valeur probante des facteurs relevés par la police (voir R. c. Wong , 2005 BCPC 24, 127 C.R.R. (2d) 342, ou R. c. Calderon (2004), 188 C.C.C. (3d) 481 (C.A. Ont.)). Dans ces affaires, des résultats antérieurs médiocres avaient déprécié l'ensemble de facteurs pris en compte par la police. Comme le souligne le professeur Tanovich, [ traduction ] « la preuve d'un taux déraisonnablement élevé de faux positifs peut nuire à la capacité des policiers de se fier à un profil, par exemple, pour établir le seuil constitutionnel nécessaire à une détention ou à une fouille aux fins d'enquête » (« A Powerful Blow Against Police Use of Drug Courier Profiles » (2008), 55 C.R. (6th) 379, p. 391). Aucun élément de preuve de ce genre n'a été présenté en l'espèce.
[66] L'appelant plaide également que les policiers avaient l'obligation de faire enquête pour écarter les explications innocentes relatives à l'ensemble de facteurs donnant naissance à des soupçons raisonnables. En outre, selon lui, la Cour d'appel a eu tort de tenir compte de l'état de sa valise, qui était relativement neuve, puisque ce facteur n'était pas connu des policiers quand ils ont décidé d'utiliser le chien renifleur.
[67] Je le répète, les policiers n'ont pas l'obligation d'enquêter sur les autres explications possibles à un ensemble de facteurs qui donne naissance à des soupçons raisonnables. Toutefois, ils doivent prendre en compte les renseignements obtenus entre la décision d'avoir recours à un chien renifleur et son exécution. En l'espèce, la preuve révèle que la police avait pour pratique de tenir compte de ces renseignements et que des facteurs comme le fait pour le suspect d'être accueilli par des proches endeuillés ou un commentaire versé au dossier de réservation indiquant un tarif de deuil laveraient vraisemblablement celui‑ci de tout soupçon. Les policiers ont également le droit de prendre en compte des renseignements qui étayent leurs soupçons raisonnables.
[68] Toutefois, je conviens que la Cour d'appel a eu tort de conclure que l'état de la valise appartenait à l'ensemble des facteurs. Ce n'est qu' après la fouille par Boris que les agents Pattison et Ruby ont remarqué l'état de la valise de l'appelant. Or, l'ensemble des facteurs doit être évalué au moment de la fouille et non après (voir l'arrêt Kang‑Brown , par. 92).
[69] Pour ces motifs, je partage l'avis de la Cour d'appel selon lequel le juge du procès a commis une erreur de principe dans la manière d'appliquer la norme des soupçons raisonnables en appréciant les facteurs individuellement. Considérés dans leur ensemble, les facteurs en l'espèce justifiaient des soupçons raisonnables quant à une activité illicite liée à la drogue.
(2) Le caractère non abusif de la fouille
[70] Le juge du procès estimait que la fouille était abusive, puisque le chien renifleur n'était pas fiable. Il a porté une attention particulière au fait que Boris avait indiqué une glacière qui ne contenait aucune drogue en plus de la valise de l'appelant, concluant à un taux de fiabilité de 50 p. 100 ce jour‑là. Il a également examiné le dossier de l'animal, y compris les faux positifs. Selon le juge du procès, l'évaluation par la GRC du dressage n'est pas probante, puisqu'elle n'est pas effectuée par un organisme indépendant et ne repose pas sur des normes nationales. Selon lui, les évaluations par les maîtres‑chiens de la fiabilité de leur animal se révélaient très subjectives faute d'instructions provenant de la GRC sur la manière d'y procéder.
[71] La Cour d'appel a infirmé ces conclusions, qui étaient à son avis fondées sur des conjectures et une mauvaise appréciation de la preuve.
[72] Le caporal Daigle a fourni une preuve détaillée des contrôles de rendement de Boris et les relevés de 178 utilisations sur le terrain effectuées de mai 2003 à novembre 2005. Cette preuve a établi également que Boris n'avait jamais donné de faux positif dans un environnement contrôlé. À l'issue de quatre exercices de validation, le taux de fiabilité de Boris en ce qui a trait à la détection de drogue dissimulée s'établissait à 99 p. 100.
[73] En outre, la preuve démontrait que dans 87,6 p. 100 des cas où Boris avait détecté l'odeur de drogue, on avait découvert de la drogue, ou des résidus de drogue, ou on avait pu conclure à la probabilité de présence récente de drogue. Par exemple, le propriétaire du bagage avait avoué avoir consommé récemment, ou encore, des accessoires facilitant la consommation de drogues ou des sommes importantes en argent liquide (variant de 9 000 $ à 84 775 $) avaient été découverts.
[74] À mon avis, le juge du procès a commis une erreur de principe en rejetant la preuve des validations annuelles contrôlées auxquelles avait procédé la GRC et en faisant fi de la preuve sur les cas où l'article avait été contaminé par un contact récent avec de la drogue, qui explique pourquoi certaines indications ne s'étaient pas traduites par la découverte de substance illicite et pourrait expliquer en l'espèce l'indication donnée à l'égard de la glacière. Par conséquent, compte tenu du dossier, le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante en attribuant à Boris un taux de fiabilité de 50 p. 100.
[75] Je suis d'accord avec la Cour d'appel pour dire que le juge du procès a fait erreur et que Boris était fiable. Compte tenu de la fiabilité du chien renifleur, la fouille effectuée à l'aide de celui‑ci n'était pas abusive en l'espèce.
(3) L'arrestation subséquente à l'indication
[76] L'appelant a été arrêté après que Boris a indiqué avoir détecté l'odeur de drogue émanant de sa valise. Le policier qui l'a appréhendé connaissait l'ensemble de facteurs qui avait mené à la décision d'utiliser Boris et savait que le chien avait indiqué la valise de l'appelant. En l'espèce, vu la force de l'ensemble, la fiabilité du chien et l'absence d'explications disculpatoires, l'indication a eu pour effet de transformer les soupçons raisonnables découlant de l'ensemble de facteurs en motifs raisonnables et probables d'arrestation.
V. Conclusion
[77] Les policiers avaient des soupçons raisonnables qu'ils découvriraient la preuve d'une activité criminelle liée à la drogue dans le bagage de M. Chehil. La fouille à l'aide du chien renifleur n'a pas été effectuée d'une manière abusive. Vu ma conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner les nouveaux éléments de preuve présentés par le ministère public. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant : Garson MacDonald, Halifax.
Procureur de l'intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Halifax.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureur de l'intervenante la Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada Samuelson‑Glushko : Université d'Ottawa, Ottawa.
Procureurs de l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : McCarthy Tétrault, Vancouver.


[1] Ces contextes comprennent les enquêtes de sécurité frontalière, voir R. c. Simmons , [1988] 2 R.C.S. 495, et R. c. Monney , [1999] 1 R.C.S. 652; la fouille limitée accessoire à une détention aux fins d'enquête, voir R. c. Mann , 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; et les fouilles effectuées par les autorités scolaires, voir R. c. M. (M.R.) , [1998] 3 R.C.S. 393.
[2] Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , par. 254(2) (épreuves de coordination des mouvements et obtention d'un échantillon d'haleine pour vérifier la présence d'alcool ou de drogue), et art. 492.2 (utilisation d'un enregistreur de numéro et obtention d'un registre de téléphone); Loi sur les douanes , L.R.C. 1985, ch. 1 (2 e suppl .), art. 98 (pouvoirs de fouille des agents des douanes); Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 , art. 49 (fouille par palpation sur le détenu); Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes , L.C. 2000, ch. 17 , par. 15(1) (fouille d'une personne), par. 17(1) (examen et ouverture du courrier).
[3] R. c. Lozano , 2013 ONSC 1871, [2013] O.J. No. 1432 (QL) (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Nguyen , 2013 SKQB 36 (CanLII) (arrestation suivie d'une fouille); Alberta c. Jarvis , 2012 ABQB 602, 270 C.R.R. (2d) 154 (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Gowing , 2012 ABPC 38, 532 A.R. 312 (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Earle , 2012 NSPC 27, 315 N.S.R. (2d) 123 (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Krafczyk , 2011 ABQB 107, 511 A.R. 211 (fouille aux fins de vérification, mais l'accusé avait fui les lieux); R. c. Imani , [2012] N.B.J. No. 120 (QL) (B.R. (1 re inst.)) (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Ryan , 2011 NSSC 102, 300 N.S.R. (2d) 97 (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Hoy , 2010 ABQB 575, 534 A.R. 58 (arrestation suivie d'une fouille); R. c. Hoang , 2010 BCPC 24, 206 C.R.R. (2d) 127 (fouille aux fins de vérification de la voiture de l'accusé effectuée avec son consentement, fouille aux fins de vérification de l'accusé accessoire à l'arrestation).

[4] Après l'audition du présent pourvoi par notre Cour, la Cour d'appel du Manitoba s'est penchée sur le caractère constitutionnel de la fouille aux fins de vérification dans R. c. Frieburg , 2013 MBCA 40 (CanLII). Se fondant sur les motifs du juge Binnie dans l'arrêt Kang‑Brown , la Cour d'appel a jugé qu'une telle fouille résistait au contrôle de sa constitutionnalité.


Synthèse
Référence neutre : 2013 CSC 49 ?
Date de la décision : 27/09/2013
Proposition de citation de la décision: R. c. Chehil


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2013-09-27;2013.csc.49 ?

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