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14/04/2022 | CANADA | N°2022CSC12

Canada | Canada, Cour suprême, 14 avril 2022, R. c. Tim, 2022 CSC 12


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Tim, 2022 CSC 12

 

 
Appel entendu : 7 octobre 2021
Jugement rendu : 14 avril 2022
Dossier : 39525


 
Entre :
 
Sokha Tim
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Kasirer et Jamal
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 101)

Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Rowe e

t Kasirer)


 

 


Motifs dissidents :
(par. 102 à 104)

Le juge Brown







 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Tim, 2022 CSC 12

 

 
Appel entendu : 7 octobre 2021
Jugement rendu : 14 avril 2022
Dossier : 39525

 
Entre :
 
Sokha Tim
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 101)

Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Rowe et Kasirer)

 

 

Motifs dissidents :
(par. 102 à 104)

Le juge Brown

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Sokha Tim                                                                                                        Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée
Répertorié : R. c. Tim
2022 CSC 12
No du greffe : 39525.
2021 : 7 octobre; 2022 : 14 avril.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Détention arbitraire — Fouilles, perquisitions et saisies — Réparation — Exclusion de la preuve — Accusé arrêté par les policiers pour possession d’une substance désignée sur la base d’une erreur de droit en ce que ces derniers ont cru à tort qu’un comprimé en la possession de l’accusé était une substance désignée — Fouilles subséquentes par les policiers de l’accusé et de son véhicule menant à la découverte de drogues, de munitions et d’une arme de poing — L’arrestation et les fouilles subséquentes ont‑elles violé les droits de l’accusé contre la détention arbitraire et contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives? — Dans l’affirmative, l’utilisation des éléments de preuve obtenus est‑elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice d’une manière justifiant leur exclusion? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
                    L’accusé a heurté un panneau routier avec son véhicule dans une rue achalandée et a poursuivi sa route sur environ un kilomètre jusqu’à ce que le véhicule ne puisse plus rouler. Lorsqu’un policier est arrivé sur les lieux, il a demandé à l’accusé son permis de conduire, l’immatriculation du véhicule et une preuve d’assurance. Quand l’accusé a ouvert la portière de son automobile pour aller chercher les documents, le policier l’a vu tenter de dissimuler un petit sac ziplock contenant un seul comprimé jaune. Le policier a correctement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine, qu’il a cru à tort être une substance désignée figurant dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (« LRCDAS »). Ce policier a immédiatement arrêté l’accusé pour possession d’une substance désignée.
                    Après l’arrestation de l’accusé, la police a effectué quatre fouilles. D’abord, les policiers ont effectué accessoirement à l’arrestation une fouille par palpation de l’accusé ainsi qu’une fouille de son automobile qui ont permis découvrir du fentanyl, d’autres drogues illégales et des munitions. Ensuite, pendant qu’on amenait l’accusé à la voiture de patrouille, un policier a vu des balles tomber de son pantalon et a alors procédé à une seconde fouille par palpation pendant laquelle une arme de poing chargée est tombée du pantalon de l’accusé. Enfin, l’accusé a été soumis à une fouille à nu au poste de police, mais aucun autre objet de contrebande n’a été trouvé.
                    Au procès, l’accusé a demandé l’exclusion de la preuve obtenue pendant les fouilles au motif que la police avait violé le droit à la protection contre la détention arbitraire et le droit contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives qui lui sont respectivement garantis par l’art. 9 et l’art. 8 de la Charte. Le juge du procès a rejeté la demande, statuant que l’arrestation sans mandat n’avait pas violé l’art. 9 de la Charte, car le policier possédait des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise. Il a admis les éléments de preuve et déclaré l’accusé coupable de plusieurs infractions liées aux drogues et aux armes à feu. Dans un arrêt rendu à la majorité, la Cour d’appel a conclu à l’absence de violation des art. 8 et 9 de la Charte et a rejeté l’appel de l’accusé. La juge dissidente a statué que la police avait violé les art. 8 et 9 de la Charte, et elle aurait écarté tous les éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte et acquitté l’accusé.
                    Arrêt (le juge Brown est dissident) : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Rowe, Kasirer et Jamal : Les policiers ont violé l’art. 9 de la Charte en arrêtant l’accusé sur la base d’une erreur de droit quant au statut juridique de la gabapentine. En outre, ils ont violé l’art. 8 de la Charte en fouillant l’accusé et son véhicule accessoirement à l’arrestation illégale. Tous les éléments de preuve contestés ont été obtenus dans des conditions qui ont violé la Charte et fait entrer en jeu le par. 24(2). Toutefois, les éléments de preuve ne devraient pas être écartés en application du par. 24(2), puisque leur utilisation n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
                    Le droit contre les détentions arbitraires garanti par l’art. 9 de la Charte est violé lorsqu’une arrestation est basée sur une erreur de droit. Il est illégal pour des policiers de procéder à une arrestation sur la base d’une erreur de droit, et une arrestation illégale est nécessairement arbitraire. Une arrestation sans mandat est autorisée par les al. 495(1)a) et b) du Code criminel lorsque le policier qui procède à l’arrestation possède subjectivement des motifs raisonnables et probables pour agir, et que ces motifs sont justifiables d’un point de vue objectif. La notion de motifs raisonnables porte sur les faits, et non sur l’existence en droit d’une infraction. Une arrestation sans mandat est légale uniquement si la croyance raisonnable que le policier procédant à l’arrestation a à l’égard des faits, si ceux‑ci sont avérés, se rattache à une infraction criminelle connue en droit. Si une erreur de droit est commise, il ne fait aucune différence que cette erreur porte sur une infraction inexistante, ou encore sur une infraction existante que ne supportaient pas les faits — même avérés — sur lesquels le policier s’est fondé. La conclusion selon laquelle une arrestation légale ne saurait reposer sur une erreur de droit, tirée par la Cour dans les affaires civiles Frey c. Fedoruk, 1950 CanLII 24 (SCC), [1950] R.C.S. 517, et Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2018 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335, s’applique tout autant en contexte criminel. Des considérations impérieuses en matière de principes et de politiques juridiques le confirment. Permettre aux policiers de procéder à des arrestations sur la base de ce qu’ils croient être la loi — plutôt que sur la base de ce qu’est réellement la loi — élargirait de façon radicale les pouvoirs des policiers au détriment des libertés civiles.
                    En l’espèce, l’arrestation de l’accusé était illégale et arbitraire, contrevenant ainsi à l’art. 9 de la Charte. Même si le policier qui a procédé à l’arrestation croyait subjectivement avoir des motifs raisonnables et probables d’arrêter l’accusé pour possession d’une substance désignée figurant dans la LRCDAS, sa croyance subjective était basée sur une erreur de droit, car bien qu’il ait correctement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine, il a commis une erreur quant au statut juridique de cette substance. Par conséquent, la croyance subjective du policier n’était pas — et ne pouvait pas être — objectivement raisonnable.
                    Une fouille sans mandat est à première vue abusive et, de ce fait, contraire au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’art. 8 de la Charte. Une fouille n’est pas abusive et elle est par conséquent conforme à l’art. 8 de la Charte si les conditions suivantes sont réunies : (1) la fouille est autorisée par la loi; (2) la loi l’autorisant n’a rien d’abusif; et (3) la fouille n’est pas effectuée d’une manière abusive. Les policiers possèdent, en vertu de la common law, le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête dans certaines circonstances. Dans la présente affaire, la fouille initiale par palpation de l’accusé ainsi que la fouille de son véhicule, lesquelles ont censément été effectuées accessoirement à l’arrestation, ont violé le droit garanti à l’accusé par l’art. 8 de la Charte parce que l’arrestation de ce dernier était illégale. Toutefois, la seconde fouille par palpation et la fouille à nu n’ont pas violé l’art. 8. La seconde fouille par palpation de l’accusé était une fouille légale effectuée accessoirement à la détention aux fins de l’enquête relative à l’accident de la route. Le policier qui a procédé à l’arrestation possédait des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui était menacée. Il a exprimé des préoccupations subjectives liées à la sécurité, ne serait‑ce qu’implicitement, et ces préoccupations étaient objectivement raisonnables dans les circonstances. Qui plus est, la fouille n’a pas été effectuée de manière abusive. Pour ce qui est de la fouille à nu au poste de police, étant donné que l’accusé a été arrêté légalement pour des infractions liées aux armes après que les munitions et l’arme de poing sont tombées de son pantalon, la fouille était accessoire à cette arrestation et elle a été effectuée de manière non abusive.
                    Le paragraphe 24(2) de la Charte entre en jeu lorsque des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui violent les droits garantis par la Charte à la personne accusée. Afin de déterminer si des éléments de preuve ont été obtenus de cette façon, les tribunaux appliquent une approche généreuse et fondée sur l’objet visé. Il faut examiner toute la suite des événements, et la preuve est viciée lorsque la violation des droits et la découverte des éléments de preuve s’inscrivent dans le cadre de la même opération ou conduite. Le lien entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés peut être temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois. Un lien éloigné ou ténu entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés ne sera pas suffisant pour faire entrer en jeu le par. 24(2). Lorsque des éléments de preuve ont été obtenus en violation de la Charte, l’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) examine ensuite, sur la base de trois questions, l’effet à long terme de l’utilisation de ces éléments de preuve sur la confiance du public envers le système de justice. Ces trois questions sont : (1) la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. La dernière étape dans l’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) consiste à mettre en balance les facteurs dégagés lors de l’examen des trois questions afin d’évaluer l’incidence de l’utilisation ou de l’exclusion des éléments de preuve sur la considération à long terme portée à l’administration de la justice.
                    En l’espèce, tous les éléments de preuve saisis ont été obtenus dans des conditions qui ont violé les droits garantis à l’accusé par la Charte. Ce fut le cas en ce qui concerne les munitions et les drogues illégales saisies durant les première et deuxième fouilles, étant donné que l’arrestation de l’accusé pour possession d’une substance désignée ainsi que les fouilles de sa personne et de sa voiture effectuées accessoirement à l’arrestation ont violé les art. 8 et 9. Pour ce qui est des éléments de preuve qui ont été trouvés au cours de la seconde fouille par palpation, il existait des liens de nature temporelle et contextuelle entre les violations de la Charte et la découverte des éléments de preuve. La découverte de ces éléments de preuve était très rapprochée dans le temps des violations de la Charte, et elle découlait directement de la même interaction avec les policiers et faisait partie de la même opération ou série d’actes que les première et deuxième fouilles.
                    Suivant la première question de l’analyse, la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte se situe à l’extrémité la moins grave de l’échelle de culpabilité et milite faiblement en faveur de l’exclusion. La conduite sous‑jacente à l’arrestation de l’accusé et aux fouilles accessoires à l’arrestation a été commise par inadvertance, elle n’était pas délibérée et elle résultait d’une erreur honnête quant à la question de savoir si la gabapentine figurait dans la LRCDAS; le policier qui a procédé à l’arrestation a tenté tout au long de l’interaction de respecter les droits garantis à l’accusé par la Charte, et les policiers n’ont à aucun moment fait preuve d’aveuglement volontaire ou de mépris flagrant à l’égard de ces droits; en outre, les faits révèlent une erreur humaine commise par un seul policier, relativement peu expérimenté, et il n’a été présenté aucune preuve d’un problème systémique ou d’un manque de formation au sein des forces policières qui aurait contribué à cette erreur. En ce qui a trait à la deuxième question de l’analyse, les violations de la Charte découlant de l’arrestation illégale et des deux premières fouilles ont eu une incidence modérée sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte, de telle sorte que le résultat de l’examen de la seconde question milite modérément en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. Lorsque l’accusé a été arrêté illégalement, ses intérêts en matière de liberté étaient restreints légalement aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route, ce qui a pour effet d’atténuer dans une certaine mesure l’incidence de son arrestation arbitraire. Pour ce qui est de l’incidence des violations de l’art. 8 de la Charte, les fouilles étaient minimalement envahissantes. Enfin, en ce qui a trait à la troisième question de l’analyse, soit l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, les éléments de preuve saisis étaient fiables et pertinents aux fins de poursuites intentées par la Couronne à l’égard d’infractions graves, et leur utilisation servirait mieux la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel que leur exclusion. Cette question de l’analyse milite fortement en faveur de leur utilisation. La mise en balance finale ne commande pas l’exclusion des éléments de preuve afin de protéger la considération à long terme portée au système de justice. L’exclusion des éléments de preuve affaiblirait au lieu de soutenir la considération à long terme portée au système de justice pénale.
                    Le juge Brown (dissident) : Le pourvoi devrait être accueilli. Les éléments de preuve devraient être exclus, et des verdicts d’acquittement devraient être substitués à l’égard de tous les chefs d’accusation.
                    Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire (1) qu’une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale, (2) qu’en l’espèce l’arrestation a entraîné une violation des droits garantis à l’accusé par les art. 8 et 9 de la Charte, et (3) que les conclusions du juge du procès relativement au par. 24(2) ne commandent aucune déférence compte tenu des erreurs de droit commises par ce dernier. Il y a en outre accord avec la présentation faite par les juges majoritaires des règles de droit et des principes qui régissent le par. 24(2). Il y a désaccord quant à l’application des règles de droit et des principes aux faits, en ce qui a trait aux faits se rapportant à la gravité de la conduite attentatoire à la Charte. Sur ce point, il y a accord avec la juge dissidente de la Cour d’appel. Compte tenu de ce qui précède, et acceptant l’analyse des juges majoritaires à l’égard des autres questions, l’utilisation des éléments de preuve recueillis serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
Jurisprudence
Citée par le juge Jamal
                    Arrêts appliqués : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241; Frey c. Fedoruk, 1950 CanLII 24 (SCC), [1950] R.C.S. 517; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335; arrêts mentionnés : R. c. Blaney, 2018 BCSC 2211; R. c. Jongbloets, 2017 BCSC 2329; R. c. J.G.B., 2020 YKTC 14; Pearce c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1409; R. c. Johnson, 2018 SKQB 322, conf. par 2021 SKCA 63; R. c. Qaqasiq, 2020 NUCJ 36, conf. par 2021 NUCA 16; R. c. Bourdon, 2016 ONSC 5707; R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; R. c. Loewen, 2011 CSC 21, [2011] 2 R.C.S. 167; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948; United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), 1992 CanLII 99 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 901; Hudson c. Brantford Police Services Board (2001), 2001 CanLII 8594 (ON CA), 158 C.C.C. (3d) 390; R. c. Douglas, 2021 ONCJ 562; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129; Heien c. North Carolina, 574 U.S. 54 (2014); Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425; R. c. Orr, 2021 BCCA 42, 399 C.C.C. (3d) 441; R. c. Griffith, 2021 ONCA 302, 71 C.R. (7th) 239; R. c. Todd, 2019 SKCA 36, [2019] 9 W.W.R. 207; R. c. Canary, 2018 ONCA 304, 361 C.C.C. (3d) 63; R. c. Messina, 2013 BCCA 499, 346 B.C.A.C. 179; R. c. Wilson, 2012 BCCA 517, 331 B.C.A.C. 195, autorisation d’appel refusée, [2013] 3 R.C.S. xii; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Stairs, 2022 CSC 11; R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725; R. c. Rowson, 2015 ABCA 354, 332 C.C.C. (3d) 165, conf. par 2016 CSC 40, [2016] 2 R.C.S. 158; R. c. Thibodeau, 2007 BCCA 489, 247 B.C.A.C. 103, autorisation d’appel refusée, [2008] 1 R.C.S. xiii; R. c. Ali, 2022 CSC 1; R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679; R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; R. c. Wittwer, 2008 CSC 33, [2008] 2 R.C.S. 235; R. c. Mack, 2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3; R. c. Strachan, 1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980; R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 189 O.A.C. 376; R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689; R. c. Goldhart, 1996 CanLII 214 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 463; R. c. Pino, 2016 ONCA 389, 130 O.R. (3d) 561; R. c. Lichtenwald, 2020 SKCA 70, 388 C.C.C. (3d) 377; R. c. Reilly, 2020 BCCA 369, 397 C.C.C. (3d) 219, conf. par 2021 CSC 38; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Belnavis, 1997 CanLII 320 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 341; R. c. Wise, 1992 CanLII 125 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 527; R. c. Keller, 2019 ABCA 38, 372 C.C.C. (3d) 502; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215; R. c. Parranto, 2021 CSC 46.
Citée par le juge Brown (dissident)
                    R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 320.16(1), 495(1).
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19.
Traffic Safety Act, R.S.A. 2000, c. T‑6, art. 69(1)(a), (c).
Doctrine et autres documents cités
Cournoyer, Guy. Code criminel annoté 2021, Montréal, Yvon Blais, 2020.
Ewaschuk, E. G. Criminal Pleadings & Practice in Canada, 2nd ed., Toronto, Thomson Reuters, 1987 (loose‑leaf updated February 2022, release 1).
Manning, Morris, and Peter Sankoff. Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law, 5th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2015.
Marin, René J. Admissibility of Statements, 9th ed., Toronto, Thomson Reuters, 1995 (loose‑leaf updated February 2022, release 1).
McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5th ed. by S. Casey Hill, David M. Tanovich and Louis P. Strezos, eds., Toronto, Thomson Reuters, 2013 (loose‑leaf updated February 2022, release 1).
Stuart, Don. Canadian Criminal Law : A Treatise, 8th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2020.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges McDonald, Veldhuis et Wakeling), 2020 ABCA 469, 21 Alta. L.R. (7th) 95, 397 C.C.C. (3d) 163, 477 C.R.R. (2d) 11, [2021] 6 W.W.R. 55, [2020] A.J. No. 1426 (QL), 2020 CarswellAlta 2496 (WL Can.), qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé à l’égard d’infractions liées aux armes et aux drogues. Pourvoi rejeté, le juge Brown est dissident.
                    Daniel J. Song et Curtis Steeves, pour l’appelant.
                    Elisa Frank, pour l’intimée.
 
                  Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Rowe, Kasirer et Jamal rendu par
 
                    Le juge Jamal —
I.               Introduction
[1]                             La question en litige dans le présent pourvoi consiste à déterminer si l’arrestation d’un individu basée sur une erreur de droit et les fouilles effectuées subséquemment ont violé les droits à la protection contre la détention arbitraire (art. 9) et les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives (art. 8) garantis à cette personne par la Charte canadienne des droits et libertés, et, dans l’affirmative, si les éléments de preuve obtenus doivent être écartés en application du par. 24(2).
[2]                             La police a interrogé l’appelant, M. Sokha Tim, relativement à un accident de la route, après que ce dernier a heurté un panneau routier avec son véhicule dans une rue achalandée de Calgary et a poursuivi sa route jusqu’à ce que le véhicule ne puisse plus rouler. Un policier a trouvé l’appelant debout, sur le bord de la route, à côté de son véhicule endommagé, et il lui a demandé son permis de conduire, l’immatriculation du véhicule et une preuve d’assurance. Quand l’appelant est retourné à son automobile pour y récupérer ces documents, le policier l’a vu tenter de dissimuler un comprimé jaune. Le policier a correctement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine, un médicament délivré sur ordonnance, mais il a cru à tort qu’il s’agissait d’une substance désignée figurant dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19 (« LRCDAS »). Ce policier a alors arrêté l’appelant pour possession d’une substance désignée. La fouille par palpation de l’appelant et la fouille de son automobile qui ont été effectuées par la police accessoirement à l’arrestation ont permis de découvrir du fentanyl, d’autres drogues illégales et des munitions. Parce qu’ils ont vu des balles tomber du pantalon de l’appelant et ont cru que ce dernier dissimulait quelque chose, les policiers ont effectué une seconde fouille par palpation, découvrant cette fois une arme de poing chargée. Une fouille à nu réalisée au poste de police n’a pas permis de trouver d’autres objets de contrebande.
[3]                             Au procès, l’appelant a demandé l’exclusion de la preuve liée à l’arme à feu, aux munitions et aux drogues au motif que la police avait violé les droits qui lui sont garantis par les art. 8 et 9 de la Charte. Le juge du procès a rejeté la demande, admis les éléments de preuve et déclaré l’appelant coupable de plusieurs infractions liées aux drogues et aux armes à feu, notamment de possession de fentanyl et d’une arme à feu prohibée chargée. Dans un arrêt rendu à la majorité, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté son appel. L’appelant se pourvoit maintenant de plein droit devant notre Cour.
[4]                              Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Les policiers ont violé l’art. 9 de la Charte en arrêtant l’appelant sur la base d’une erreur de droit quant au statut juridique de la gabapentine. Ils ont ensuite violé l’art. 8 de la Charte en fouillant l’appelant et son véhicule accessoirement à l’arrestation illégale. Cependant, la fouille par palpation subséquente de l’appelant constituait une fouille légale accessoire à une détention parallèle pour les besoins de l’enquête sur l’accident de la route. En outre, la fouille à nu effectuée au poste de police constituait une fouille légale accessoire à l’arrestation pour possession d’une arme à feu prohibée. Bien que tous les éléments de preuve contestés aient été « obtenus dans des conditions » qui ont violé la Charte, je ne suis pas d’avis de les écarter en application du par. 24(2). Les violations de la Charte se situent à l’extrémité la moins grave de l’échelle de culpabilité, et elles n’ont eu qu’une incidence modérée sur les intérêts de l’appelant protégés par la Charte. En revanche, les éléments de preuve étaient fiables et essentiels à la poursuite d’infractions graves. À mon avis, il ressort de la mise en balance de ces considérations que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
II.            Faits
[5]                             Dans l’après‑midi du 8 octobre 2016, un membre du public a composé le 9‑1‑1 pour signaler un accident impliquant un seul véhicule sur Memorial Drive, à Calgary. Le véhicule de l’appelant avait quitté la route, heurté un panneau routier et continué de rouler sur environ un kilomètre avant de s’arrêter. Les services d’incendie, les services médicaux et les services de police se sont précipités sur les lieux. L’appelant se tenait sur le bord de la route et parlait à un pompier lorsqu’un policier est arrivé.
[6]                             Soupçonnant que l’appelant avait fui les lieux de l’accident, le policier s’est approché de ce dernier et lui a demandé s’il avait été impliqué dans un accident. L’appelant a reconnu qu’il avait heurté le panneau routier, mais il a affirmé qu’il n’avait pas été en mesure de s’arrêter. Le policier lui a demandé son permis de conduire, l’immatriculation du véhicule et une preuve d’assurance. L’appelant a répondu qu’il allait chercher les documents dans son automobile. Le policier l’a suivi pendant qu’il y allait.
[7]                             Quand l’appelant a ouvert la portière du côté du conducteur, le policier a vu un petit sac ziplock contenant un seul comprimé jaune près des commandes de la vitre dans la portière. L’appelant a regardé en direction du sac, qu’il a fait tomber par terre à l’extérieur du véhicule d’un geste vif de la main, comme s’il essayait de le dissimuler. Le policier a reconnu le comprimé comme étant de la gabapentine, substance dont il avait observé le trafic dans les rues avec des drogues illicites tels le fentanyl et la méthamphétamine. Comme le policier croyait que la gabapentine était une substance désignée figurant dans la LRCDAS, il a immédiatement arrêté l’appelant pour possession d’une substance désignée. Il ne lui a pas posé de questions au sujet de la drogue, parce qu’il voulait l’arrêter et lui donner sans délai la mise en garde usuelle. Toutefois, comme l’a par la suite appris le policier, la gabapentine — familièrement appelée « gabby » ou « gabbies » — n’est pas une substance désignée, mais plutôt un analgésique et un anti‑convulsif délivré sur ordonnance. Elle fait aussi l’objet de trafic et est utilisée comme drogue à usage récréatif pour l’euphorie qu’elle procure[1].
[8]                             Après l’arrestation de l’appelant, la police a effectué quatre fouilles. La légalité de ces fouilles a été contestée devant les juridictions inférieures et devant notre Cour.
[9]                             La première fouille a consisté en une fouille par palpation de l’appelant effectuée par le policier accessoirement à l’arrestation. Cette fouille a permis de découvrir des munitions réelles pour une carabine de calibre .22 et une arme de poing de calibre .45, cinq comprimés de fentanyl, deux comprimés qui ont plus tard été identifiés comme étant de l’hydromorphone (un opioïde et une substance désignée figurant dans la LRCDAS), deux comprimés qui ont été par la suite été identifiés comme étant de l’alprazolam (un tranquillisant et une substance désignée figurant dans la LRCDAS), un autre comprimé de gabapentine, trois téléphones cellulaires et 480 $ en argent liquide.
[10]                        La deuxième fouille a consisté en une fouille de la voiture de l’appelant effectuée accessoirement à l’arrestation. Cette fouille a été réalisée par un autre policier, qui était arrivé quelques instants avant que le premier policier ne mette l’appelant en état d’arrestation. Le second policier a trouvé un couteau à lame dentelée plié, un vaporisateur chasse‑ours, quatre comprimés de fentanyl et deux comprimés qui ont ultérieurement été identifiés comme étant de l’alprazolam.
[11]                        Pour ce qui est de la troisième fouille, le policier qui avait procédé à l’arrestation de l’appelant a de nouveau fouillé celui‑ci, car il s’inquiétait d’avoir peut‑être omis de repérer certains objets lors de la première fouille. Ses soupçons ont été éveillés parce que l’appelant marchait de façon étrange pendant qu’on l’amenait à la voiture de patrouille : il boitait et remuait la jambe, comme si quelque chose était dissimulé dans son pantalon ou en train de tomber de la jambe de son pantalon. Le policier a alors vu des munitions de calibre .22 tomber de la jambe du pantalon de l’appelant. Pendant qu’il le fouillait, le policier a touché l’extérieur du pantalon de l’appelant, dans la région de l’aine, et il a senti la présence d’un objet métallique. Une arme de poing à deux canons est immédiatement tombée du pantalon de l’appelant. L’arme à feu était chargée et contenait deux cartouches non utilisées, une dans chaque canon.
[12]                        Dans le cas de la quatrième fouille, il s’est agi d’une fouille à nu de l’appelant effectuée au poste de police. On a demandé à l’appelant de se dévêtir, sans retirer son sous‑vêtement, et un policier l’a fouillé le long de la ceinture élastique du sous‑vêtement pour voir s’il avait dissimulé quoi que ce soit d’autre. Aucun autre objet de contrebande n’a été trouvé.
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (le juge Sullivan)
[13]                        Lors d’un voir‑dire, l’appelant a affirmé que les policiers avaient violé les droits que lui garantissent les art. 8 et 9 de la Charte, et il a demandé que soient écartés, en application du par. 24(2), les éléments de preuve relatifs au fentanyl, aux munitions et à l’arme de poing. Le juge du procès a décidé que l’arrestation sans mandat n’avait pas violé l’art. 9 de la Charte, car le policier possédait des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise, même si la possession de gabapentine ne constituait pas une infraction. Le policier croyait subjectivement que la gabapentine était une substance désignée, et sa croyance était objectivement raisonnable, puisqu’il avait constaté, dans le cours de son travail, qu’elle faisait l’objet de trafic avec d’autres drogues de rues, et qu’il avait vu l’appelant essayer de dissimuler le comprimé. Le juge du procès a statué que les fouilles effectuées sur les lieux l’avaient été accessoirement à une arrestation légale, et qu’en conséquence elles n’avaient pas violé l’art. 8 de la Charte. Bien que le juge du procès ait conclu à l’absence de violation des art. 8 et 9 de la Charte, il a dit qu’il avait considéré tous les facteurs pertinents pour l’application du par. 24(2) et il a admis les éléments de preuve. L’appelant a alors plaidé coupable à une infraction de possession de fentanyl et à plusieurs infractions liées aux armes à feu.
B.            Cour d’appel de l’Alberta, 2020 ABCA 469, 397 C.C.C. (3d) 163 (les juges McDonald et Wakeling, la juge Veldhuis (dissidente))
[14]                        La Cour d’appel de l’Alberta a été divisée relativement à la question de savoir s’il y avait eu violation des art. 8 et 9 de la Charte et si les éléments de preuve recueillis devaient être écartés en application du par. 24(2).
[15]                        Les juges majoritaires ont conclu à l’absence de violation des art. 8 et 9 de la Charte et ils ont rejeté l’appel. Selon eux, le policier possédait des motifs raisonnables et probables de croire que l’appelant avait commis un acte criminel et il pouvait en conséquence l’arrêter sans mandat en vertu du par. 495(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. L’erreur de droit qu’a commise le policier ayant procédé à l’arrestation — c’est‑à‑dire le fait qu’il croyait que la gabapentine était une substance désignée figurant dans la LRCDAS — n’a pas eu pour effet de rendre l’arrestation invalide. Le policier ne mettait pas en application une [traduction] « loi inexistante »; « [i]l mettait en application les dispositions de la LRCDAS relatives à la possession d’une substance désignée » (par. 36). Bien que le policier ait commis une erreur de droit, il possédait des motifs raisonnables et probables de croire à l’existence d’une situation factuelle et légale qui, si elle avait existé, aurait constitué une infraction de possession d’une substance désignée. On ne demande pas à un policier d’être parfait en considérant les choses après coup. Le policier a agi de bonne foi et ses actions étaient raisonnables dans les circonstances. Il n’y avait donc pas eu de violation de l’art. 9 de la Charte. Comme l’arrestation était légale, les fouilles n’avaient pas violé l’art. 8 de la Charte. Il n’y avait nul besoin de se pencher sur le par. 24(2).
[16]                        La juge dissidente a conclu que la police avait violé les art. 8 et 9 de la Charte. L’arrestation de l’appelant était arbitraire et avait violé l’art. 9. Bien que le policier ait eu une croyance subjective que l’appelant était en possession d’une substance désignée, cette croyance n’était pas objectivement raisonnable. Les policiers doivent être familiers avec les lois qu’ils mettent en application et les consulter. En l’espèce, le policier ayant procédé à l’arrestation a commis une erreur de droit quant au statut juridique de la gabapentine. Il n’existait pas de préoccupations liées à la sécurité, ni d’urgence ni d’autres circonstances exigeant une arrestation immédiate, et l’appelant coopérait avec les policiers au moment de son arrestation. Les quatre fouilles ont toutes violé l’art. 8 de la Charte. La Couronne a concédé que si l’arrestation était arbitraire, les première et deuxième fouilles avaient violé l’art. 8. La juge dissidente a statué que la Couronne n’avait pas prouvé l’existence de motifs indépendants justifiant les troisième et quatrième fouilles. Le témoignage du policier n’avait pas permis d’établir de motifs justifiant une fouille de sécurité accessoire à une détention aux fins d’enquête.
[17]                        La juge dissidente aurait écarté tous les éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte, et elle aurait acquitté l’appelant. La conduite étatique attentatoire à la Charte était grave : le policier qui a procédé à l’arrestation n’agissait pas de bonne foi, puisque sa croyance selon laquelle l’appelant avait commis une infraction n’était pas raisonnable dans les circonstances; il n’avait pas utilisé les pouvoirs de détention aux fins d’enquête à sa disposition; et il n’avait pris aucune mesure raisonnable pour déterminer si l’appelant était en possession d’une substance désignée. L’incidence sur les intérêts de l’appelant protégés par la Charte était grave, car ce dernier a été soumis à des fouilles dont le caractère intrusif a varié et qui ont culminé par une fouille à nu hautement envahissante. La mise en balance finale a abouti à l’exclusion des éléments de preuve, au motif que leur utilisation était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Même si l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond militait en faveur de l’utilisation des éléments de preuve, la gravité des violations et leur incidence sur les intérêts de l’appelant protégés par la Charte appuyaient leur exclusion.
IV.         Questions en litige
[18]                        L’appelant soulève les trois questions litigieuses suivantes :
A.      Les policiers ont‑ils violé l’art. 9 de la Charte en arrêtant l’appelant sur la base d’une erreur de droit?
B.      Les quatre fouilles ont‑elles violé l’art. 8 de la Charte?
C.      Les éléments de preuve devraient‑ils être écartés en application du par. 24(2) de la Charte?
V.           Analyse
A.           Les policiers ont‑ils violé l’art. 9 de la Charte en arrêtant l’appelant sur la base d’une erreur de droit?
(1)         Introduction
[19]                        La première question consiste à déterminer si les policiers ont violé le droit contre les détentions arbitraires garanti à l’appelant par l’art. 9 de la Charte en procédant à son arrestation sur la base d’une erreur de droit. La Couronne concède qu’il y a eu, lors de l’arrestation de l’appelant, une erreur de droit relativement à la question de savoir si la gabapentine était une substance désignée figurant dans la LRCDAS. Toutefois, la Couronne plaide que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont à juste titre décidé qu’une arrestation basée sur une erreur de droit raisonnable est néanmoins légale.
[20]                        Je ne suis pas d’accord. Comme je l’expliquerai, une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale et viole l’art. 9 de la Charte.
(2)         Principes juridiques applicables
a)     L’article 9 de la Charte
[21]                        L’article 9 de la Charte précise que « [c]hacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. » Notre Cour a adopté une interprétation généreuse et téléologique de l’art. 9, une interprétation qui vise à mettre en équilibre l’intérêt de la société dans le maintien efficace de l’ordre et une robuste protection des garanties constitutionnelles (voir R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460, par. 24; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, par. 15‑18 et 23). Exprimé en termes larges, l’objet de l’art. 9 « vise à protéger la liberté individuelle contre l’ingérence injustifiée de l’État » (Grant, par. 20; voir aussi R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 25).
[22]                        Conformément à cet objet, une arrestation ou une détention qui est légale n’est pas arbitraire et ne viole pas l’art. 9 de la Charte, à moins que la loi autorisant l’arrestation ou la détention ne soit elle‑même arbitraire (voir Grant, par. 54; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, par. 20). À l’inverse, une arrestation ou une détention qui est illégale est nécessairement arbitraire et elle viole l’art. 9 de la Charte (voir Grant, par. 54; R. c. Loewen, 2011 CSC 21, [2011] 2 R.C.S. 167, par. 3).
b)   Le pouvoir d’un agent de la paix d’arrêter sans mandat
[23]                        Les alinéas 495(1)a) et b) du Code criminel disposent qu’un agent de la paix peut arrêter sans mandat « une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel » ou « une personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle ».
[24]                        Le cadre d’analyse applicable à l’égard des arrestations sans mandat été énoncé dans l’arrêt R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250‑251. Une arrestation sans mandat requiert l’existence tant de motifs subjectifs que de motifs objectifs. Le policier qui procède à l’arrestation doit posséder subjectivement des motifs raisonnables et probables pour agir, et ces motifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Cette appréciation objective tient compte de l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation — y compris le caractère dynamique de la situation — considérées du point de vue d’une personne raisonnable possédant des connaissances, une formation et une expérience comparables à celles du policier ayant procédé à l’arrestation. Les policiers ne sont pas tenus, avant de procéder à une arrestation, de disposer d’une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité (voir aussi R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 24; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, par. 28; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45‑47; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, par. 73).
[25]                        L’existence de motifs raisonnables et probables est fondée sur les conclusions factuelles du juge du procès. Bien que de telles conclusions factuelles commandent la déférence en appel et qu’elles soient révisables uniquement en cas d’erreur manifeste et déterminante, la question de savoir si les faits tels qu’ils ont été constatés par le juge du procès constituent des motifs raisonnables et probables est une question de droit susceptible de contrôle au regard de la norme de la décision correcte (voir R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 20).
[26]                        La question précise concernant l’art. 9 de la Charte que soulève la présente affaire est celle de savoir si une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale. Un policier peut‑il arrêter une personne qui, selon ce qu’il croit, a commis une infraction, même si les faits sur lesquels se fonde le policier, s’ils sont avérés, n’impliquent pas une conduite illégale? À mon avis, la réponse à cette question est non. Comme je l’expliquerai, les précédents, les principes et les politiques juridiques s’opposent à ce qu’une arrestation basée sur une erreur de droit puisse être légale.
c)     Précédents
[27]                        C’est dans l’arrêt Frey c. Fedoruk, 1950 CanLII 24 (SCC), [1950] R.C.S. 517, que notre Cour a statué pour la première fois qu’une arrestation légale ne saurait être basée sur une erreur de droit. L’affaire Frey portait sur une action civile pour emprisonnement illégal intentée par un voyeur contre un policier et une autre personne, à la suite de l’arrestation du voyeur par le policier pour violation de la paix. La Cour a jugé que la conduite pour laquelle le plaignant avait été arrêté ne constituait pas une infraction criminelle et ne devait pas être reconnue en tant que nouvelle infraction en common law (le voyeurisme est maintenant une infraction prévue au par. 162(1) du Code criminel). L’arrêt Frey est habituellement invoqué pour appuyer la proposition selon laquelle c’est au Parlement et non aux tribunaux qu’il appartient de créer de nouvelles infractions ou d’élargir le champ d’application de la responsabilité criminelle (voir R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 57; R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 33; United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), 1992 CanLII 99 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 901, p. 930; D. Stuart, Canadian Criminal Law : A Treatise (8e éd. 2020), p. 21‑22; M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), p. 6‑7). Cependant, la Cour a également décidé, dans Frey, que l’erreur de droit que commet un policier en croyant qu’une conduite donnée constitue une infraction criminelle ne pouvait pas fournir de [traduction] « motifs raisonnables et probables » de procéder à une arrestation sans mandat en vertu de l’ancien art. 30 du Code criminel (p. 531). Une arrestation sans mandat est légale uniquement si la croyance raisonnable qu’a le policier procédant à l’arrestation à l’égard des faits, si ceux‑ci sont avérés, se rattache à une infraction criminelle connue en droit. Comme l’a expliqué le juge Cartwright (plus tard juge en chef), à la p. 531 de l’arrêt Frey :
     [traduction] Je suis d’avis que [l’art. 30 du Code criminel] vise la situation où un agent de la paix a des motifs raisonnables et probables de croire à l’existence d’un état de fait qui, s’il avait existé, aurait pour conséquence juridique que la personne qu’il arrêtait avait commis une infraction pour laquelle cette personne pouvait être arrêtée sans mandat. Il ne peut pas, à mon avis, signifier qu’un agent de la paix est fondé à arrêter une personne lorsque le policier connaît les faits réels et qu’il conclut erronément que ces faits constituent une infraction, alors qu’en droit ils n’en constituent absolument pas une. « Ignorantia legis non excusat ». [Je souligne.]
[28]                        L’arrêt Frey a récemment été confirmé sur ce point dans Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335. Dans Kosoian, une usagère du métro a poursuivi la police après avoir été arrêtée et fouillée parce qu’elle avait refusé de se conformer à un pictogramme du métro avertissant les passagers de tenir la main courante d’un escalier mécanique. Notre Cour a statué que le pictogramme était simplement un avertissement et ne créait pas d’infraction, et que l’erreur de droit qu’avait commise le policier en croyant le contraire ne lui avait pas conféré de motifs raisonnables et probables d’arrêter l’usagère sans mandat en application du Code de procédure pénale, RLRQ, c. C‑25.1, du Québec (« C.p.p. »). Dans Kosoian, citant l’arrêt Frey, la juge Côté a déclaré, au par. 78, que la notion de motifs raisonnables porte sur les faits, et non sur l’existence en droit d’une infraction — et qu’en conséquence une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale, même si le policier procédant à l’arrestation croit de bonne foi en l’existence de l’infraction :
     L’exercice de ces pouvoirs suppose l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise. Cette notion de « motifs raisonnables » porte sur les faits, et non sur l’existence en droit de l’infraction en cause (Frey c. Fedoruk, 1950 CanLII 24 (SCC), [1950] R.C.S. 517, p. 531). Si l’infraction que le policier croit avoir été commise n’existe tout simplement pas, ni le C.p.p. — ni aucune autre loi ou règle de common law, du reste — ne lui confèrent le pouvoir d’exiger qu’une personne s’identifie et celui de procéder à son arrestation, en cas de refus de celle‑ci d’obtempérer (voir Moore c. La Reine, 1978 CanLII 160 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 195, p. 205‑206, le juge Dickson, dissident; R. c. Guthrie (1982), 1982 ABCA 201 (CanLII), 21 Alta. L.R. (2d) 1, p. 8; R. c. Coles, 2003 PESCAD 3, 221 Nfld. & P.E.I.R. 98, par. 14). En procédant à une arrestation sur cette base, le policier se trouve à agir illégalement, même s’il croit de bonne foi en l’existence de l’infraction (R. c. Houle (1985), 1985 ABCA 275 (CanLII), 41 Alta. L.R. (2d) 295, p. 297‑299; Crépeau c. Yannonie, [1988] R.R.A. 265 (C.S. Qc), p. 269; voir aussi P. Ceyssens, Legal Aspects of Policing (feuilles mobiles), vol. 1, p. 2‑3). Conséquemment, il incombait à l’agent Camacho de vérifier l’existence de l’infraction reprochée à madame Kosoian avant de faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés par le C.p.p. [Je souligne.]
Voir, au même effet, Hudson c. Brantford Police Services Board (2001), 2001 CanLII 8594 (ON CA), 158 C.C.C. (3d) 390 (C.A. Ont.), par. 24, le juge Rosenberg (le par. 25(1) du Code criminel, qui protège contre les poursuites en responsabilité civile les agents de la paix qui agissent sur la foi de « motifs raisonnables », vise les erreurs de fait, mais [traduction] « n’offre aucune protection en cas d’erreurs de droit raisonnables »); R. c. Douglas, 2021 ONCJ 562, par. 47‑48 (CanLII), le juge Rose ([traduction] « Pour être légale, une arrestation doit être basée sur des motifs fondés en droit, ce qui exclut la possibilité qu’une erreur de droit puisse constituer un tel motif. »). Voir aussi R. J. Marin, Admissibility of Statements (9e éd. (feuilles mobiles)), § 9:51 ([traduction] « [P]arce que le risque d’abus est indéniable, il est important que les actions des policiers aient un fondement légal. En l’absence de justification, leurs actions et leur conduite ne peuvent pas être tolérées ».); E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (2e éd. (feuilles mobiles)), § 5:59 ([traduction] « [U]n agent qui arrête une personne sur la base d’une “infraction inexistante” peut être tenu civilement responsable ».).
[29]                        Bien que les arrêts Frey et Kosoian aient porté sur des affaires civiles, la conclusion de notre Cour selon laquelle une arrestation légale ne saurait reposer sur une erreur de droit s’applique tout autant en contexte criminel. Dans les deux affaires, la Cour a analysé le caractère légal d’une arrestation sans mandat basée sur une erreur de droit dans le cadre d’un raisonnement visant à statuer sur l’existence de la responsabilité civile. Ce raisonnement concerne la portée des pouvoirs des policiers et s’applique tout autant en contexte criminel. Voir Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129, par. 68, la juge en chef McLachlin (La norme du policier raisonnable dans les affaires civiles « n’a pas pour effet de rendre les normes criminelles contradictoires entre elles », mais au contraire elle « les intègre ».); G. Cournoyer, Code criminel annoté 2021 (2020), art. 129 (« Si l’infraction que le policier croit avoir été commise n’existe tout simplement pas, celui‑ci n’a pas le pouvoir d’exiger qu’une personne s’identifie ni le pouvoir de procéder à son arrestation, en cas de refus de celle‑ci d’obtempérer. »).
d)   Principes et politiques juridiques
[30]                        Des considérations impérieuses en matière de principes et de politiques juridiques confirment qu’une arrestation légale ne saurait être basée sur une erreur de droit — c’est‑à‑dire lorsqu’un policier connaît les faits et conclut erronément qu’ils constituent une infraction, alors qu’en droit ce n’est pas le cas. Permettre aux policiers de procéder à des arrestations sur la base de ce qu’ils croient être la loi — plutôt que sur la base de ce qu’est réellement la loi — élargirait de façon radicale les pouvoirs des policiers au détriment des libertés civiles. Cela ferait en sorte que les gens seraient à la merci de la compréhension de la loi qu’auraient des policiers donnés, et que les policiers seraient moins enclins à vouloir connaître la loi. La population canadienne s’attend à juste titre à ce que les policiers respectent la loi, ce qui exige qu’ils la connaissent. Notre Cour a affirmé que, « [s]i la police n’est pas tenue d’entreprendre une réflexion juridique au sujet de précédents contradictoires, elle doit cependant connaître l’état du droit » (Grant, par. 133; Le, par. 149). La juge Côté a résumé de manière fort utile les considérations pertinentes en matière de principes et de politiques juridiques dans l’arrêt Kosoian, au par. 6 :
     Dans une société libre et démocratique, le policier ne peut entraver l’exercice des libertés individuelles que dans la mesure prévue par la loi. Toute personne peut donc légitimement s’attendre à ce que le policier qui intervient auprès d’elle se conforme au droit en vigueur, ce qui requiert nécessairement qu’il connaisse les lois et règlements qu’il est appelé à faire respecter. Le policier a donc l’obligation d’avoir une connaissance et une compréhension adéquates des lois et règlements qu’il doit faire respecter.
[31]                        Il est en conséquence illégal pour des policiers de procéder à une arrestation sur la base d’une erreur de droit.
e)     Jurisprudence américaine
[32]                        Compte tenu des précédents canadiens sur ce point, je ne vois nul besoin pressant de me tourner vers la jurisprudence américaine. Cependant, les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont trouvé persuasif le raisonnement des juges de la majorité de la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt Heien c. North Carolina, 574 U.S. 54 (2014), affaire dans laquelle il a été jugé qu’une interception routière basée sur une erreur de droit raisonnable ne violait pas le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garanti par le Quatrième amendement de la Constitution des États Unis.
[33]                        Dans l’affaire Heien, un policier avait intercepté un véhicule parce que l’un de ses deux feux de freinage ne fonctionnait pas, même s’il a été jugé plus tard que la loi de l’État — bien qu’ambigüe — n’exigeait qu’un seul feu fonctionnel. Les soupçons du policier ont été éveillés pendant l’interception, et après avoir obtenu le consentement de le faire, le policier a fouillé le véhicule et a découvert de la cocaïne. Pour l’application du Quatrième amendement, une interception routière pour une infraction suspectée est considérée comme [traduction] « une “saisie” des occupants du véhicule » (p. 60).
[34]                        Rédigeant l’opinion de la majorité, le juge en chef Roberts a statué que l’interception routière n’avait pas violé le Quatrième amendement, étant donné que le policier avait commis une erreur de droit raisonnable (p. 66‑68). La juge Sotomayor, dissidente, a pour sa part conclu qu’une [traduction] « erreur de droit commise par un policier, aussi raisonnable qu’elle puisse être, ne peut pas étayer le soupçon individualisé requis pour justifier une saisie visée par le Quatrième amendement » (p. 80).
[35]                        Soit dit en tout respect, je ne considère pas que l’arrêt Heien soit utile pour statuer sur la légalité d’une arrestation basée sur une erreur de droit en droit canadien. Notre Cour a souligné qu’il faut faire montre d’énormément de prudence avant de transplanter des décisions américaines relatives au Quatrième amendement dans le contexte canadien de l’art. 8 de la Charte (voir Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 161). C’est le cas en partie parce que « le régime de la Charte exige que l’admissibilité de la preuve soit abordée de façon plus souple et plus fondée sur le contexte que la Constitution américaine; ainsi, il n’existe pas aux États‑Unis de disposition équivalente au par. 24(2) de la Charte » (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 546‑547, le juge La Forest). Cet appel à la prudence, conjuguée aux précédents de notre Cour sur ce point, fournit de bonnes raisons de ne pas importer un précédent américain dans la présente cause.
f)     Conclusion
[36]                        Il est depuis longtemps établi en droit canadien qu’une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale, même si cette erreur est commise de bonne foi. La notion de « motifs raisonnables et probables » justifiant une arrestation porte sur les faits, et non sur l’existence d’une infraction en droit. Un policier commet une erreur de droit lorsqu’il connaît les faits et conclut erronément qu’ils constituent une infraction, alors qu’en droit ce n’est pas le cas.
(3)            Application
[37]                        Je vais maintenant appliquer le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Storrey aux motifs subjectifs et objectifs avancés pour justifier l’arrestation sans mandat en l’espèce.
[38]                        Le policier qui a procédé à l’arrestation croyait subjectivement qu’il avait des motifs raisonnables et probables d’arrêter l’appelant pour possession d’une substance désignée figurant dans la LRCDAS. Dans son témoignage, ce policier a dit avoir arrêté l’appelant parce qu’il l’a vu [traduction] « faire tomber » un comprimé « par terre », et qu’il a cru que ce dernier « essayait de le dissimuler » pour qu’il ne le voie pas (d.a., p. 141). Le policier qui a procédé à l’arrestation a immédiatement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine, substance dont il avait observé le [traduction] « trafic dans les rues », et « pour quelque raison » il a cru qu’il s’agissait d’une substance désignée (d.a., p. 145). Il a donc [traduction] « arrêté [l’appelant] pour possession d’une substance désignée » (d.a., p. 141). La question qui se pose maintenant est celle de savoir si la croyance subjective du policier était objectivement raisonnable.
[39]                        La croyance subjective du policier qui a procédé à l’arrestation qu’il avait des motifs raisonnables et probables d’arrêter l’appelant était basée sur une erreur de droit, et de ce fait cette croyance n’était pas — et ne pouvait pas être — objectivement raisonnable. Par conséquent, l’arrestation était illégale et arbitraire, contrevenant ainsi à l’art. 9 de la Charte. Comme l’a fait observer la juge dissidente de la Cour d’appel de l’Alberta, au par. 66, le policier n’a commis aucune erreur quant aux faits, car il a correctement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine. Mais, comme l’a reconnu la Couronne en appel, c’est plutôt quant au droit relatif à ces faits que le policier était dans l’erreur — c’est‑à‑dire quant au statut juridique de la gabapentine, qui n’était pas une substance désignée figurant dans la LRCDAS.
[40]                        Devant notre Cour, la Couronne concède une fois de plus que l’erreur du policier [traduction] « peut être qualifiée d’erreur de droit » (transcription, p. 25; voir aussi m.i., par. 43), mais elle soutient que l’arrestation en litige ici diffère de celles en cause dans les arrêts Frey et Kosoian. La Couronne affirme que le policier a arrêté l’appelant en vertu de la LRCDAS pour possession d’une substance désignée — une infraction qui existe en droit.
[41]                        Je n’accepte pas cet argument. Le policier a arrêté l’appelant explicitement pour possession de gabapentine. Le policier connaissait les faits — il a correctement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine —, mais il a erronément conclu que la possession de gabapentine constituait une infraction, alors qu’en droit ce n’était pas le cas. Ces circonstances font en sorte que la présente affaire relève carrément du cadre d’application des arrêts Frey et Kosoian. Que l’erreur de droit porte sur une infraction inexistante, ou encore sur une infraction existante que ne supportaient pas les faits — même avérés — sur lesquels le policier s’est fondé, ne fait aucune différence. Dans les deux cas, l’erreur de droit fait obstacle à une arrestation légale. Les juridictions inférieures ont fait erreur en concluant différemment.
[42]                        Je tiens à préciser que je ne suggère pas que, avant de pouvoir arrêter légalement une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction liée aux drogues, les policiers doivent observer la présence d’une drogue précise et l’identifier correctement parmi les centaines de substances désignées figurant dans la LRCDAS. Les policiers arrêtent de façon routinière des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions liées aux drogues pour de possibles infractions à la LRCDAS, même quand ils n’observent pas ou n’identifient pas de drogues précises. Les tribunaux confirment régulièrement la légalité de telles arrestations, s’ils concluent qu’il existait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation (voir, p. ex., Loewen, par. 7‑8; R. c. Orr, 2021 BCCA 42, 399 C.C.C. (3d) 441, par. 78; R. c. Griffith, 2021 ONCA 302, 71 C.R. (7th) 239, par. 29‑33; R. c. Todd, 2019 SKCA 36, [2019] 9 W.W.R. 207, par. 6‑11 et 44; R. c. Canary, 2018 ONCA 304, 361 C.C.C. (3d) 63, par. 25‑31; R. c. Messina, 2013 BCCA 499, 346 B.C.A.C. 179, par. 26‑29; R. c. Wilson, 2012 BCCA 517, 331 B.C.A.C. 195, par. 14 et 52, autorisation d’appel refusée, [2013] 3 R.C.S. xii).
[43]                        Je conclus que l’arrestation en cause était illégale et a violé l’art. 9 de la Charte.
B.            Les quatre fouilles ont‑elles violé l’art. 8 de la Charte?
(1)         Introduction
[44]                        Je vais maintenant me pencher sur la question de savoir si les quatre fouilles ont violé le droit « à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives » garanti à l’appelant par l’art. 8 de la Charte. Je rappelle que les quatre fouilles sans mandat étaient : (1) une fouille initiale par palpation de l’appelant effectuée accessoirement à l’arrestation; (2) une fouille de sa voiture effectuée accessoirement à l’arrestation; (3) une deuxième fouille par palpation de l’appelant; et (4) une fouille à nu de ce dernier au poste de police. Comme je l’expliquerai, je conclus que les deux premières fouilles ont violé l’art. 8 de la Charte, mais non les troisième et quatrième fouilles.
(2)         Principes généraux
[45]                        Une fouille sans mandat est à première vue abusive et, de ce fait, contraire à l’art. 8 de la Charte. Il incombe à la Couronne de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’une fouille sans mandat n’était pas abusive (voir R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 11; R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 21; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 32).
[46]                        Une fouille n’est pas abusive et elle est par conséquent conforme à l’art. 8 de la Charte si les conditions suivantes sont réunies : (1) la fouille est autorisée par la loi; (2) la loi l’autorisant n’a rien d’abusif; et (3) la fouille n’est pas effectuée d’une manière abusive (voir R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278; Caslake, par. 10; R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518, par. 36).
[47]                        En l’espèce, les règles de droit susceptibles d’avoir autorisé les fouilles sont les pouvoirs de common law autorisant les fouilles accessoires à l’arrestation (les première et deuxième fouilles), les fouilles accessoires à une détention aux fins d’enquête (la troisième fouille) et les fouilles à nu (la quatrième fouille). Je vais examiner ci‑après chacun de ces pouvoirs potentiels.
(3)         Les première et deuxième fouilles : des fouilles illégales effectuées accessoirement à l’arrestation
[48]                        La Couronne concède que les deux premières fouilles — la fouille initiale par palpation de l’appelant et la fouille de sa voiture après la découverte de la gabapentine — ont censément été effectuées accessoirement à l’arrestation, et que si l’arrestation de l’appelant était illégale, alors ces fouilles étaient elles aussi illégales et ont violé l’art. 8 de la Charte. J’accepte cette concession.
[49]                        Pour être valide, une fouille accessoire à une arrestation doit satisfaire à trois conditions : (1) la personne soumise à la fouille a été arrêtée légalement; (2) la fouille est « véritablement accessoire » à l’arrestation, c’est‑à‑dire qu’elle vise un objectif valide d’application de la loi lié aux raisons de l’arrestation; et (3) la fouille n’est pas effectuée de manière abusive (voir Saeed, par. 37; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 21 et 27; R. c. Stairs, 2022 CSC 11, par. 6 et 35).
[50]                        Dans la présente affaire, la fouille initiale de l’appelant par palpation et la fouille de sa voiture qui ont été effectuées accessoirement à l’arrestation ne satisfont pas à la première condition : l’appelant n’a pas été arrêté légalement. Par conséquent, les deux premières fouilles ont nécessairement violé l’art. 8 de la Charte.
(4)         La troisième fouille : une fouille légale effectuée accessoirement à une détention aux fins d’enquête
[51]                        La juge dissidente a conclu que la troisième fouille — l’autre fouille par palpation de l’appelant — ne pouvait être justifiée en tant que fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête, étant donné que le policier qui a procédé à l’arrestation ne croyait pas subjectivement que sa sécurité était menacée.
[52]                        Avec égards, je ne peux souscrire à cette conclusion. La troisième fouille était une fouille légale effectuée accessoirement à la détention aux fins de l’enquête relative à l’accident de la route.
[53]                        Dans l’arrêt Mann, la Cour a reconnu que les policiers possèdent, en vertu de la common law, le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête dans certaines circonstances. S’exprimant pour la majorité, le juge Iacobucci a déclaré que « les policiers peuvent détenir une personne aux fins d’enquête s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de toutes les circonstances, que cette personne est impliquée dans un crime donné et qu’il est nécessaire de la détenir » (par. 45). Il a ajouté qu’un policier « peut soumettre la personne qu’il détient à une fouille par palpation préventive », lorsque le policier « possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée » (par. 45). De plus, tant la détention aux fins d’enquête que la fouille par palpation « doivent être effectuées de manière non abusive » (par. 45; voir aussi R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725, par. 20 et 29‑31).
[54]                        En l’espèce, la juge dissidente de la Cour d’appel a semblé accepter qu’il y avait eu détention légale aux fins d’enquête, tant dans le cas de l’enquête liée aux drogues que dans celui de l’enquête liée à l’accident de la route. Elle a déclaré être [traduction] « d’accord avec la Couronne pour dire que le contexte factuel objectif satisfaisait au critère relatif à une détention aux fins d’enquête concernant des substances désignées » (par. 77). Elle a en outre souligné que, [traduction] « [a]u procès, l’appelant a concédé qu’il était détenu aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route de toute façon » (par. 77).
[55]                        Toutefois, l’appelant plaide que la juge dissidente a fait erreur en concluant qu’il existait des motifs justifiant de le détenir aux fins de l’enquête liée aux drogues. Il soutient que, si [traduction] « l’erreur de droit [du policier] concernant la gabapentine ne permettait pas de justifier une arrestation sans mandat basée sur des motifs raisonnables et probables, elle ne devrait pas non plus permettre de justifier une détention aux fins d’enquête basée sur des soupçons raisonnables que [l’appelant] était lié à “un crime donné” » (m.a., par. 94).
[56]                        Je retiens cet argument de l’appelant. Tout comme une arrestation sans mandat basée sur une erreur de droit viole l’art. 9 de la Charte, une détention aux fins d’enquête basée sur une erreur de droit a le même effet.
[57]                        Cependant, la juge dissidente a à juste titre conclu que les policiers pouvaient détenir l’appelant aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route, comme l’a reconnu ce dernier. L’interaction de la police avec l’appelant a commencé par l’enquête liée à l’accident de la route. Le policier qui a procédé à l’arrestation a témoigné qu’il s’est rendu à l’endroit où le véhicule endommagé de l’appelant s’était arrêté et qu’il s’est approché de ce dernier parce qu’il le soupçonnait d’avoir fui les lieux de la collision avec un panneau routier.
[58]                        Ce faisant, le policier exerçait régulièrement ses pouvoirs d’enquête en vertu du code provincial de la route et du Code criminel. L’alinéa 69(1)(a) de la loi albertaine intitulée Traffic Safety Act, R.S.A. 2000, c. T‑6, exige que le conducteur ou quiconque a la charge d’un véhicule à moteur impliqué dans un accident de la route [traduction] « demeure sur les lieux de l’accident ou, si la personne a quitté les lieux de l’accident, y retourne immédiatement, sauf ordre contraire d’un agent de la paix ». Le conducteur ou quiconque a la charge du véhicule doit aussi fournir à l’agent de la paix les renseignements demandés, comme l’exige la loi (voir Traffic Safety Act, al. 69(1)(c)). En conséquence, un conducteur impliqué dans un accident automobile [traduction] « est tenu, indépendamment de ses obligations en droit criminel, de demeurer sur les lieux de l’accident » (R. c. Rowson, 2015 ABCA 354, 332 C.C.C. (3d) 165 (« Rowson (ABCA) »), par. 44, conf. par 2016 CSC 40, [2016] 2 R.C.S. 158). Il n’existe [traduction] « aucune faculté de choisir de ne pas coopérer avec les policiers si on est le conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident automobile » — un tel conducteur « n’est pas libre de s’en aller » (Rowson (ABCA), par. 44). De plus, aux termes du par. 320.16(1) du Code criminel, commet une infraction quiconque, dans certaines circonstances, omet de s’arrêter après un accident de la route.
[59]                        Il s’ensuit que l’appelant n’avait aucun droit de refuser de coopérer avec les policiers, il n’était pas non plus libre de s’en aller. Il était légalement détenu dans le cadre d’une enquête liée à un accident de la route, même s’il ne pouvait pas être légalement détenu dans le cadre d’une enquête liée aux drogues.
[60]                        Cela m’amène à la question de savoir si le policier qui a procédé à l’arrestation possédait des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui était menacée (voir Mann, par. 40 et 45; voir aussi R. c. Thibodeau, 2007 BCCA 489, 247 B.C.A.C. 103, par. 10, autorisation d’appel refusée, [2008] 1 R.C.S. xiii). La juge dissidente a conclu que le policier ne possédait pas de tels motifs. Elle a cité le témoignage du policier indiquant qu’il avait effectué une autre fouille par palpation parce qu’il s’inquiétait du fait qu’il avait peut‑être [traduction] « omis de repérer certains objets », après avoir vu des balles tomber de la jambe du pantalon de l’appelant, affirmation qui, a‑t‑elle conclu, démontrait que le policier ne croyait pas que « sa sécurité était menacée », mais plutôt qu’il était « soucieux de recueillir des éléments de preuve » (par. 80). Voici le passage pertinent du témoignage du policier :
      [traduction]
 
      Q. [Avocat de la Couronne] : Après avoir trouvé ces objets [c.‑à‑d. les drogues et les munitions trouvées sur l’appelant], qu’avez‑vous fait?
      R. : Bien, une fois que j’ai eu trouvé tous ces objets sur l’accusé, j’ai commencé à l’amener vers ma voiture de patrouille. À ce moment‑là, il s’est mis à boiter et à remuer la jambe, ce qui m’a alors paru étrange. Ça donnait l’impression qu’il y avait quelque chose qui tombait le long de la jambe de son pantalon ou que quelque chose était dissimulé dans son pantalon. En conséquence, une fois qu’il a été rendu à mon véhicule, avant de le faire asseoir dans celui‑ci, d’autres munitions, comme, des munitions de calibre .22, sont tombées de l’intérieur de la jambe de son pantalon, ce qui a éveillé mes soupçons. J’ai alors effectué une autre fouille, me disant que j’avais omis de repérer certains objets. [Je souligne.]
      (d.a., p. 150)
[61]                        Sur la base de ces propos, la juge dissidente a inféré que [traduction] « [l]e policier n’avait pas songé à mener une fouille de sécurité ou ressenti quelque préoccupation à cet égard » (par. 81).
[62]                        Je dois exprimer mon désaccord. Bien que l’inférence de la juge dissidente constitue une interprétation possible de la transcription du témoignage, ce n’est pas la seule interprétation possible, ni même l’interprétation la plus plausible. Pour moi, considéré à la lumière du contexte, le témoignage du policier indique que celui‑ci était préoccupé par le fait qu’il avait peut‑être « omis de repérer certains objets » susceptibles de constituer une menace à sa sécurité et à celle d’autrui. Le policier venait tout juste de trouver des balles sur l’appelant pendant une fouille par palpation, et il a ensuite vu d’autres balles tomber du pantalon de celui‑ci. L’appelant s’était mis « à boiter et à remuer la jambe » comme si « quelque chose était dissimulé dans son pantalon ». Ce « quelque chose » d’apparent était une arme à feu.
[63]                        Cette interprétation du témoignage du policier qui a procédé à l’arrestation — à savoir que les propos formulés révèlent des préoccupations liées à la sécurité — est confirmée par le témoignage de l’autre policier qui se trouvait sur les lieux. Ce dernier a témoigné qu’il est sorti de sa voiture de patrouille [traduction] « parce que c’étaient des munitions qui avaient été trouvées », et qu’il est en conséquence « resté sur les lieux pendant un certain temps, tandis que [le policier qui a procédé à l’arrestation] a continué ses recherches » (d.a., p. 163). Ce témoignage tend lui aussi à indiquer que les policiers soupçonnaient que l’appelant pouvait être armé, et qu’il représentait de ce fait un risque évident pour les policiers et pour le public.
[64]                        J’arrive donc à la conclusion que le policier qui a procédé à l’arrestation a effectivement exprimé des préoccupations subjectives liées à la sécurité, ne serait‑ce qu’implicitement, et que ces préoccupations étaient objectivement raisonnables dans les circonstances. Lorsqu’on trouve des balles dissimulées, il est possible qu’il y ait aussi une arme à feu dissimulée. L’autre fouille par palpation de l’appelant, celle au cours de laquelle le policier a délogé une arme de poing chargée simplement en touchant l’extérieur du pantalon de l’appelant, a elle aussi été effectuée de manière non abusive. Cette fouille n’a pas violé l’art. 8 de la Charte.
(5)         La quatrième fouille : une fouille à nu légale
[65]                        Bien que la juge dissidente n’ait pas examiné séparément la fouille à nu de l’appelant au poste de police, elle a semblé conclure que cette fouille était illégale pour les mêmes raisons que la troisième. Aucun élément de preuve additionnel n’a été découvert durant la fouille à nu.
[66]                        Une fouille à nu peut être justifiée en common law en tant que mesure accessoire à une arrestation légale quand il existe « des motifs raisonnables et probables justifiant cette fouille, en plus des motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation » (R. c. Ali, 2022 CSC 1, par. 2; R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679, par. 99). Il y a des motifs raisonnables et probables justifiant une fouille à nu « lorsqu’il existe certains éléments de preuve suggérant la possibilité que des armes ou d’autres preuves liées au motif de l’arrestation soient dissimulées » (Ali, par. 2; voir aussi Golden, par. 94 et 111). La fouille à nu doit aussi être effectuée raisonnablement, d’une manière qui « porte le moins possible atteinte au droit à la vie privée et à la dignité de la personne qui y est soumise » (Golden, par. 104).
[67]                        En l’espèce, l’appelant a été arrêté légalement pour des infractions liées aux armes, après que les munitions et l’arme de poing sont tombées de son pantalon. Le policier a témoigné que, après la troisième fouille, il [traduction] « a saisi les objets qui étaient tombés par terre, de la jambe du pantalon [de l’appelant], [. . .] et qu’ensuite [il] a fait asseoir [l’appelant] dans [son] véhicule, où ce dernier a été informé des droits qui lui sont garantis par la Charte et a reçu la mise en garde usuelle » (d.a., p. 152). La conduite du policier et les mots employés par celui‑ci indiquaient clairement que l’appelant était en état d’arrestation (voir R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217, par. 25). Sa conduite a eu pour effet de placer l’appelant en état d’arrestation pour possession d’une arme à feu prohibée (Latimer, par. 24). J’infère par conséquent du dossier que l’appelant a été placé en état d’arrestation pour possession d’une arme à feu prohibée à la suite de la troisième fouille.
[68]                        La fouille à nu effectuée au poste de police était accessoire à cette arrestation liée à des armes, puisqu’elle visait à découvrir des armes dissimulées ou des éléments de preuve se rapportant à l’infraction pour laquelle l’appelant avait été légalement arrêté (voir Golden, par. 94). Les fouilles à nu constituent incontestablement « une atteinte importante à la vie privée et, souvent, une expérience humiliante, avilissante et traumatisante pour les personnes qui les subissent » (Golden, par. 83). Dans le présent cas, toutefois, la fouille à nu a été minimalement envahissante, car elle a été effectuée de manière non abusive, conformément aux lignes directrices énoncées par la Cour relativement à ces fouilles (voir Golden, par. 101‑102). Elle a été réalisée au poste de police, et elle s’est limitée à la ceinture du sous‑vêtement de l’appelant, sous-vêtement que ce dernier a conservé tout au long de la fouille.
[69]                        En conséquence, je conclus que la fouille à nu n’a pas violé l’art. 8 de la Charte.
(6)         Conclusion
[70]                        La première fouille par palpation de l’appelant ainsi que la fouille de son véhicule ont violé l’art. 8 de la Charte, mais ni la seconde fouille par palpation ni la fouille à nu n’ont contrevenu à cette disposition.
C.            Les éléments de preuve devraient‑ils être écartés en application du par. 24(2) de la Charte?
(1)         Introduction
[71]                        Vu les violations des art. 8 et 9 de la Charte, la dernière question à examiner est celle de savoir si les éléments de preuve doivent être écartés en application du par. 24(2). Aux termes de cette disposition, lorsque « le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions » qui portent atteinte à un droit garanti par la Charte, « ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».
[72]                        Étant donné que le juge du procès a commis une erreur de droit dans l’évaluation de la nature et de l’étendue des violations de la Charte, sa conclusion « subsidiaire » en faveur de l’utilisation des éléments de preuve ne commande aucune déférence. Notre Cour doit donc procéder à un nouvel examen de cette question (voir Grant, par. 129; Le, par. 138; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202, par. 42).
[73]                        Comme je l’explique ci‑après, bien que les éléments de preuve contestés aient été « obtenus dans des conditions » qui ont porté atteinte aux droits garantis à l’appelant par la Charte, ils ne devraient pas être écartés en application du par. 24(2).
(2)         Principes juridiques applicables
[74]                        Le paragraphe 24(2) de la Charte entre en jeu lorsque des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui violent les droits garantis par la Charte à la personne accusée. L’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) examine, sur la base de trois questions, l’effet à long terme de l’utilisation d’éléments de preuve obtenus en violation de la Charte sur la confiance du public envers le système de justice. Ces trois questions sont : (1) la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal consiste à mettre en balance le résultat de l’examen de chacune de ces questions en vue de « déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (Grant, par. 71; voir aussi Le, par. 139‑142).
[75]                        Le paragraphe 24(2) ne crée pas une règle d’exclusion automatique des éléments de preuve obtenus en violation d’un droit garanti par la Charte. Il incombe à la personne accusée d’établir que, eu égard aux circonstances, l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (voir Collins, p. 280; Fearon, par. 89; voir aussi S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 19:12).
(3)         Tous les éléments de preuve saisis ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à l’appelant par la Charte
[76]                        Comme j’ai conclu que l’arrestation de l’appelant pour possession d’une substance désignée ainsi que les fouilles de sa personne et de sa voiture effectuées accessoirement à l’arrestation ont violé les art. 8 et 9 de la Charte, les munitions et les drogues illégales saisies durant les première et deuxième fouilles ont été « obtenu[es] dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à l’appelant par la Charte. Cette conclusion oblige à se demander si ces éléments de preuve doivent être écartés en application du par. 24(2) de la Charte.
[77]                        Le principal point contesté concerne la question de savoir si l’arme de poing chargée et les munitions qui ont été trouvées au cours de la troisième fouille ont été « obtenu[es] dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à l’appelant par la Charte. La Couronne soutient que, comme l’appelant était détenu légalement aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route quand les policiers ont vu des balles tomber de son pantalon, le lien entre l’arrestation illégale liée aux drogues et la découverte de l’arme à feu et des munitions est ténu. La Couronne affirme aussi que la chute des balles du pantalon de l’appelant a été [traduction] « un facteur intermédiaire significatif », qui a effectivement rompu le lien de causalité entre l’arrestation illégale et les deux premières fouilles d’une part, et les éléments de preuve obtenus pendant la troisième fouille d’autre part (m.i., par. 81). En conséquence, la Couronne avance que les éléments de preuve découverts pendant la troisième fouille n’ont pas été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à l’appelant par la Charte. À l’inverse, l’appelant prétend que c’est son arrestation illégale pour possession d’une substance désignée qui a entraîné les quatre fouilles, établissant ainsi un lien temporel, causal ou contextuel entre les violations de la Charte et la découverte de l’arme à feu et des munitions sur sa personne. Selon l’appelant, tous les éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits que lui garantit la Charte. Comme je vais l’expliquer, je suis d’accord avec l’appelant.
[78]                        Notre Cour a donné des indications permettant de déterminer dans quels cas des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à la personne accusée par la Charte, circonstance qui fait entrer en jeu le par. 24(2) :
1.         Les tribunaux appliquent « une approche généreuse et fondée sur l’objet visé » afin de décider si des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à l’accusé par la Charte (R. c. Wittwer, 2008 CSC 33, [2008] 2 R.C.S. 235, par. 21; R. c. Mack, 2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3, par. 38).
2.         Il faut examiner « toute la suite des événements » liés à la violation de la Charte et aux éléments de preuve contestés (R. c. Strachan, 1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980, p. 1005‑1006).
3.         « La preuve est viciée lorsque l’atteinte et la découverte de la preuve dont l’admissibilité est contestée s’inscrivent dans le cadre de la même opération ou conduite » (Mack, par. 38; voir aussi Wittwer, par. 21).
4.         Le lien entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés peut être [traduction] « temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois » (Wittwer, par. 21, citant R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 189 O.A.C. 376, par. 45). Il n’est pas nécessaire d’établir un lien de causalité (Wittwer, par. 21; R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, par. 83; Strachan, p. 1000‑1002).
5.         Un lien éloigné ou ténu entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés ne sera pas suffisant pour faire entrer en jeu le par. 24(2) (Mack, par. 38; Wittwer, par. 21; R. c. Goldhart, 1996 CanLII 214 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 463, par. 40; Strachan, p. 1005‑1006). De telles situations doivent être considérées au cas par cas. Il n’existe pas « de règle stricte pour déterminer le moment où les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit garanti par la Charte deviennent trop éloignés » (Strachan, p. 1006).
Voir aussi R. c. Pino, 2016 ONCA 389, 130 O.R. (3d) 561, par. 72; R. c. Lichtenwald, 2020 SKCA 70, 388 C.C.C. (3d) 377, par. 57; R. c. Reilly, 2020 BCCA 369, 397 C.C.C. (3d) 219, par. 75‑76, conf. par 2021 CSC 38; et Hill, Tanovich et Strezos, § 19:22.
[79]                        En l’espèce, il n’est pas nécessaire que je décide si, comme le réclame la Couronne, les balles tombées du pantalon de l’appelant ont rompu le lien de causalité entre l’arrestation illégale de l’appelant et les deux premières fouilles illégales, d’une part, et la troisième fouille, légale celle‑là, d’autre part. Même s’il était possible d’affirmer qu’il n’existait aucun lien de causalité entre les violations de la Charte et la découverte des éléments de preuve durant la troisième fouille, il y avait indubitablement des liens de nature temporelle et contextuelle qui n’étaient ni ténus ni éloignés. Le lien entre les violations de la Charte et les éléments de preuve contestés découlant de la troisième fouille était de nature temporelle, parce que la découverte de ces éléments de preuve était très rapprochée dans le temps des violations de la Charte. Le lien était également de nature contextuelle, puisque la découverte de ces éléments de preuve découlait directement de la même interaction avec les policiers : la troisième fouille a eu lieu parce que le policier s’inquiétait du fait qu’il avait peut‑être « omis de repérer certains objets » pendant la première fouille. La troisième fouille faisait aussi partie de la même opération ou série d’actes que les première et deuxième fouilles : l’interaction a commencé dans le cours d’une enquête liée à l’accident de la route qui a rapidement mené à une arrestation illégale pour possession de ce que l’on croyait être une substance désignée, arrestation qui a ensuite immédiatement fait naître des préoccupations en matière de sécurité justifiant la troisième fouille.
[80]                        Conformément à l’approche généreuse appliquée par la Cour à l’égard de la condition de base requérant que les éléments de preuve aient été « obtenus dans des conditions » attentatoires, ces liens de nature temporelle et contextuelle sont suffisants pour exiger l’examen de la question de savoir si les éléments de preuve obtenus dans la troisième fouille doivent être écartés en application du par. 24(2) de la Charte, en plus des éléments de preuve découlant des deux premières fouilles.
[81]                        Je vais maintenant me pencher sur les trois questions de l’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) de la Charte.
(4)         Les éléments de preuve ne devraient pas être écartés en application du par. 24(2) de la Charte
a)     La gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte
[82]                        La première question de l’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) porte sur la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte. Elle consiste à se demander si les policiers ont commis des entorses dont le tribunal devrait se dissocier (voir Grant, par. 72). Cet examen n’est pas effectué « dans le but de sanctionner la conduite des policiers », mais plutôt de « préserver la confiance du public envers le principe de la primauté du droit et envers les processus qui le mettent en œuvre » (Grant, par. 73). Le tribunal doit situer la conduite étatique attentatoire à la Charte sur un « éventail de possibilités » ou une « échelle de culpabilité » (Grant, par. 74; Paterson, par. 43; Le, par. 143). À l’extrémité la plus grave de l’échelle de culpabilité, on trouve les violations qui sont commises au mépris délibéré des droits garantis par la Charte ou sans se soucier de ces droits, les situations de violations systémiques de la Charte ou les dérogations importantes aux normes prescrites par la Charte. Les tribunaux doivent se dissocier de telles conduites parce qu’elles sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice. À l’extrémité la moins grave de l’échelle de culpabilité, on trouve les violations commises par inadvertance, techniques, mineures ou résultant d’une erreur compréhensible. Comme de telles circonstances ébranlent minimalement la confiance du public à l’égard de la primauté du droit, il n’est pas aussi crucial pour les tribunaux de s’en dissocier (voir Grant, par. 74; Le, par. 143; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, par. 22).
[83]                        Je situerais la présente affaire à l’extrémité la moins grave de l’échelle de culpabilité, et ce, pour trois raisons.
[84]                        Premièrement, la conduite étatique attentatoire à la Charte sous‑jacente à l’arrestation de l’appelant et aux fouilles accessoires à l’arrestation a été commise par inadvertance, elle n’était pas délibérée et elle résultait d’une erreur honnête quant à la question de savoir si la gabapentine était l’une des centaines de substances désignées figurant dans la LRCDAS. Bien que l’on s’attende à ce que les policiers connaissent les lois qu’ils font respecter, le policier qui a procédé à l’arrestation ici était en fonction depuis seulement trois ans. Durant cette courte période, il avait vu la gabapentine, qu’il connaissait sous le nom familier de « gabby », faire l’objet de trafic avec des substances désignées comme le fentanyl et la méthamphétamine. Son expérience concordait avec la jurisprudence dans laquelle il est souvent fait mention de la gabapentine avec d’autres substances désignées, même s’il s’agit d’un médicament délivré sur ordonnance (voir précédemment, par. 7). Bref, un policier relativement peu expérimenté a arrêté l’appelant sur la base d’une erreur honnête (voir Fearon, par. 95).
[85]                        Néanmoins, je souscris à la prétention de l’appelant et à la conclusion de la juge dissidente (au par. 84) portant que, même si l’erreur du policier n’a pas été commise de mauvaise foi, ce seul fait ne fait pas de cette erreur une violation de la Charte commise de « bonne foi » (voir Le, par. 147). La bonne foi des policiers, lorsqu’elle est présente, a pour effet de réduire l’obligation du tribunal de se dissocier de la conduite des policiers (voir Grant, par. 75; Paterson, par. 44). La bonne foi ne peut pas être invoquée si la violation de la Charte découle de la négligence d’un policier, d’une erreur déraisonnable de sa part ou de la méconnaissance par celui‑ci de l’étendue de ses pouvoirs ou des normes prescrites par la Charte (voir Grant, par. 75; Buhay, par. 59; Le, par. 147; Paterson, par. 44). J’accepte aussi que, « [m]ême lorsque l’atteinte à un droit garanti par la Charte n’est pas le résultat d’un acte délibéré ou d’un abus systémique ou institutionnel », il a été jugé « qu’il est justifié d’écarter la preuve s’il y a eu violation manifeste d’une règle bien établie régissant la conduite de l’État » (Paterson, par. 44; voir aussi Harrison, par. 24‑25). Malgré cela, il n’en demeure pas moins à mon avis que l’erreur commise par le policier et les violations de la Charte qui en ont résulté ont été des erreurs honnêtes et commises par inadvertance, plutôt que commises de propos délibéré ou par insouciance.
[86]                        Deuxièmement, les policiers n’ont à aucun moment fait preuve d’aveuglement volontaire ou de mépris flagrant à l’égard des droits garantis à l’appelant par la Charte (voir Grant, par. 75). Au contraire, le policier qui a procédé à l’arrestation a tenté tout au long de l’interaction de respecter les droits garantis à l’appelant par la Charte. Selon le témoignage non contesté du policier, il a arrêté l’appelant immédiatement, avant de l’interroger au sujet de la drogue, parce qu’il voulait l’aviser sans délai des droits que la Charte lui garantit.
[87]                        Je ne peux par conséquent souscrire à l’affirmation de l’appelant et de la juge dissidente (aux par. 85‑87 et 89) selon laquelle la gravité des violations de la Charte est amplifiée par le défaut du policier de recourir à des techniques d’enquête non attentatoires à la Charte, tel le recours à une brève détention aux fins d’enquête afin de confirmer ses soupçons sur le statut juridique de la gabapentine (voir Collins, p. 285). À mon avis, cette affirmation repose sur une prémisse erronée. Le juge du procès a estimé, en tant que conclusion de fait, que le policier croyait et non pas simplement soupçonnait que la gabapentine était une substance désignée. Le policier aurait certes dû connaître adéquatement la loi qu’il faisait respecter, mais il n’a pas arrêté l’appelant sur la foi d’un simple soupçon.
[88]                        Troisièmement, il n’a été présenté à la Cour aucun élément de preuve tendant à établir qu’il existe, au sein des forces policières de Calgary, un problème systémique ou un manque de formation qui aurait contribué à l’erreur honnête du policier. Notre Cour a souligné que, « même si la preuve d’un problème systémique peut à juste titre amplifier la gravité de la violation et militer en faveur de l’exclusion des éléments de preuve, l’absence d’un tel problème n’est guère un facteur atténuant » (Harrison, par. 25). Quoiqu’elle ne constitue pas un facteur atténuant, l’absence de problème systémique éclaire le tribunal lorsqu’il situe l’erreur d’un policier sur l’échelle de culpabilité. Comme il a été mentionné plus tôt, la dissociation n’est pas aussi cruciale en présence d’une erreur technique ou commise par inadvertance (voir Grant, par. 74; Le, par. 143; Harrison, par. 22). En l’espèce, les faits révèlent purement et simplement une erreur humaine commise par un seul policier, relativement peu expérimenté.
[89]                        Compte tenu de l’erreur honnête du policier, de l’absence de mépris flagrant à l’égard des droits garantis par la Charte et de l’absence de problème systémique, je situerais la conduite étatique attentatoire à la Charte à l’extrémité la moins grave de l’échelle de culpabilité. Ce facteur milite en faveur de l’exclusion, mais faiblement seulement.
b)   L’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte
[90]                        La deuxième question de l’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) s’attache à l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. Il s’agit de s’interroger sur « la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause » (Grant, par. 76; Le, par. 151). Cela signifie qu’il faut déterminer quels sont les intérêts protégés par les droits pertinents de la Charte, et évaluer la gravité de l’incidence de la violation sur ces intérêts (voir Grant, par. 77). Tout comme pour la première question de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant, le tribunal doit situer sur une échelle l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte, échelle qui va des incidences qui sont éphémères, techniques, transitoires ou insignifiantes, aux incidences qui sont profondément envahissantes et qui mettent gravement en péril les intérêts sous‑jacents aux droits violés. Plus grande est l’incidence sur les intérêts protégés par la Charte plus grand est le risque que l’utilisation des éléments de preuve soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. C’est le cas parce que « l’utilisation des éléments de preuve risque de donner à penser que les droits garantis par la Charte, pour encensés qu’ils soient, ne revêtent pas d’utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait le cynisme et déconsidérerait l’administration de la justice » (Grant, par. 76; voir aussi Le, par. 151; Harrison, par. 28).
[91]                        Dans l’affaire qui nous occupe, j’ai conclu qu’il y a eu trois violations de la Charte : une violation de l’art. 9 lors de l’arrestation illégale de l’appelant; et deux violations de l’art. 8 lors des fouilles abusives de l’appelant et de sa voiture effectuées accessoirement à l’arrestation. Les intérêts protégés par l’art. 9 de la Charte incluent la protection de « la liberté individuelle contre l’ingérence injustifiée de l’État » (Grant, par. 20; Le, par. 152), alors que les intérêts protégés par l’art. 8 de la Charte comprennent la vie privée et la dignité humaine de chacun (voir Grant, par. 78; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 91). Je dirais que les violations en cause ont eu une incidence modérée sur les intérêts de l’appelant protégés par la Charte : bien que cette incidence n’ait pas été éphémère, technique, transitoire ou insignifiante, elle n’a pas non plus été profondément envahissante.
[92]                        En ce qui concerne l’incidence de la violation de l’art. 9 de la Charte, l’appelant soutient que son arrestation arbitraire a comporté de la [traduction] « violence étatique non autorisée » à l’endroit de sa liberté (m.a., par. 122). Il plaide que son arrestation dans une rue achalandée n’a été ni brève ni éphémère, et que les menottes ont restreint sa liberté et ses mouvements. Malgré cela, comme le souligne à bon droit la Couronne, et comme le reconnaît à juste titre l’appelant, ce dernier était détenu légalement aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route. Il devait demeurer sur les lieux et coopérer avec les policiers relativement à l’accident — il n’était pas libre de s’en aller (voir Rowson (ABCA), par. 44; voir aussi Hill, Tanovich et Strezos, § 19:36). Le fait que la liberté de l’appelant était restreinte légalement aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route a pour effet d’atténuer dans une certaine mesure l’incidence de son arrestation arbitraire.
[93]                        Pour ce qui est de l’incidence des violations de l’art. 8 de la Charte, la première fouille — une fouille par palpation — est un processus « relativement peu intrusif » (Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158, p. 185), une « procédure peu envahissante » (Mann, par. 56). La fouille en litige ici correspond à cette description. On peut en dire autant de la deuxième fouille — la fouille de la voiture de l’appelant effectuée accessoirement à l’arrestation — compte tenu des attentes réduites en matière de respect de la vie privée lorsqu’une personne se trouve dans un véhicule (voir MacKenzie, par. 31; R. c. Belnavis, 1997 CanLII 320 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 341, par. 38; R. c. Wise, 1992 CanLII 125 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 527, p. 534).
[94]                        En revanche, je ne suis pas disposé à formuler des conjectures relativement à la question de savoir si les éléments de preuve auraient été découverts en l’absence des violations de la Charte. Il est vrai que si les éléments de preuve pouvaient uniquement être découverts au moyen de violations de la Charte, l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte serait alors plus grande (voir Grant, par. 122 et 137; R. c. Keller, 2019 ABCA 38, 372 C.C.C. (3d) 502, par. 64). Toutefois, « lorsqu’il est impossible d’établir avec certitude si les éléments de preuve auraient été découverts » sans la violation de la Charte, « la possibilité de découvrir [ces éléments] n’influera pas sur l’analyse requise par le par. 24(2) » (Grant, par. 122; voir aussi Hill, Tanovich et Strezos, § 19:49). Les tribunaux ne devraient pas se livrer à des conjectures sur la possibilité de découvrir la preuve (voir R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, par. 70).
[95]                        Si l’on regroupe ces facteurs dans le cadre de la deuxième question, je suis d’avis que les violations de la Charte découlant de l’arrestation illégale et des deux premières fouilles ont eu une incidence modérée sur les intérêts de l’appelant protégés par la Charte. L’appelant a certes été arrêté illégalement, mais il a en outre été détenu légalement aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route; les fouilles étaient minimalement envahissantes, et je ne suis pas prêt à me livrer à des conjectures sur la question de la possibilité de découvrir les éléments de preuve. Ces incidences ne sont pas profondément envahissantes, mais elles ne sont pas non plus éphémères, techniques, transitoires ou insignifiantes. Le résultat de l’examen de la seconde question milite modérément en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.
c)     L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond
[96]                        La troisième question porte sur des facteurs comme la fiabilité des éléments de preuve contestés et leur importance pour la preuve de la Couronne. Il s’agit de déterminer « si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel est mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion d’éléments de preuve » (Grant, par. 79). S’il s’agit d’éléments de preuve fiables et cruciaux pour la preuve de la Couronne, ce fait militera généralement en faveur de leur inclusion (voir Grant, par. 80‑81; Harrison, par. 33‑34).
[97]                        En l’espèce, les éléments de preuve saisis étaient fiables et pertinents aux fins de poursuites intentées par la Couronne à l’égard d’infractions graves. L’appelant concède que l’utilisation de ces éléments de preuve servirait mieux la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel que leur exclusion. Je suis d’accord.
d)   La mise en balance finale
[98]                        La dernière étape dans l’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2) consiste à mettre en balance les facteurs dégagés lors de l’examen des trois questions afin d’évaluer l’incidence de l’utilisation ou de l’exclusion des éléments de preuve sur la considération à long terme portée à l’administration de la justice. Une telle mise en balance implique une évaluation de nature qualitative, une évaluation qui ne permet donc pas une précision mathématique (voir Grant, par. 86 et 140; Harrison, par. 36). Chaque facteur doit être évalué et mis en balance en vue du maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance du public à son égard (voir Grant, par. 68). La mise en balance a un caractère prospectif : elle vise à faire en sorte que des éléments de preuve obtenus au moyen d’une violation de la Charte « ne déconsidèrent pas davantage le système de justice » (Grant, par. 69). La mise en balance a aussi un aspect sociétal : l’objectif n’est pas de punir la conduite des policiers, mais plutôt de s’attaquer aux conséquences systémiques « de l’utilisation d’éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice » (Grant, par. 70; voir aussi Le, par. 139).
[99]                        J’ai conclu que la première question de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant milite faiblement en faveur de l’exclusion et la deuxième question, modérément, mais que la troisième question milite fortement en faveur de leur utilisation. À mon avis, sur la base de ces faits, la mise en balance finale ne commande pas l’exclusion des éléments de preuve afin de protéger la considération à long terme portée au système de justice. Un policier relativement peu expérimenté a commis une erreur honnête quant au statut juridique de la gabapentine, un médicament délivré sur ordonnance, qui fait l’objet de trafic dans les rues et que l’appelant a essayé de dissimuler pendant une enquête légale liée à un accident de la route. La situation a donné lieu à une arrestation, à des fouilles accessoires à cette arrestation et à la découverte d’une arme à feu chargée, de munitions et de fentanyl — une drogue qui a été qualifiée « [d]’ennemi public numéro un » (R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 93, le juge Moldaver). L’exclusion de ces éléments de preuve aurait simplement pour effet de punir les policiers — ce qui n’est pas l’objet du par. 24(2) —, et elle affaiblirait au lieu de soutenir la considération à long terme portée au système de justice pénale.
[100]                     Je conclus que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Je suis par conséquent d’avis d’utiliser les éléments de preuve et de confirmer les déclarations de culpabilité à l’égard de tous les chefs d’accusation.
VI.         Dispositif
[101]                     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
 
                  Version française des motifs rendus par
 
                    Le juge Brown —
[102]                     Je souscris aux conclusions suivantes de mon collègue, ainsi qu’aux motifs qu’il a exposés au soutien de celles‑ci : (1) une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale; (2) en l’espèce, l’arrestation a entraîné une violation des droits garantis à l’appelant par les art. 8 et 9 de la Charte; et (3) les conclusions du juge du procès relativement au par. 24(2) ne commandent aucune déférence compte tenu des erreurs de droit commises par ce dernier.
[103]                     Je souscris en outre à la présentation que fait mon collègue des règles de droit et des principes qui régissent le par. 24(2). Le point sur lequel je dois, avec égards, exprimer mon désaccord avec lui, est l’application de ces règles et principes aux faits de l’espèce, particulièrement en ce qui a trait aux faits se rapportant à la gravité de la conduite attentatoire à la Charte. Sur ce point, je fais miens les motifs exposés par la juge Veldhuis aux par. 84‑89 (2020 ABCA 469, 397 C.C.C. (3d) 163).
[104]                     Compte tenu de ce qui précède, et acceptant l’analyse de mon collègue à l’égard des autres questions prévues par l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, je conclus que l’utilisation des éléments de preuve recueillis serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi, j’exclurais les éléments de preuve et je substituerais des verdicts d’acquittement à l’égard de tous les chefs d’accusation.
 
                    Pourvoi rejeté, le juge Brown est dissident.
                    Procureurs de l’appelant : Pringle Chivers Sparks Teskey, Vancouver.
                    Procureur de l’intimée : Justice and Solicitor General, Appeals, Education & Prosecution Policy Branch, Calgary.

[1]  Voir, p. ex., R. c. Blaney, 2018 BCSC 2211, par. 3 et 11 (CanLII); R. c. Jongbloets, 2017 BCSC 2329, par. 20 (CanLII); R. c. J.G.B., 2020 YKTC 14, par. 6‑7 (CanLII); Pearce c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1409, par. 17 (CanLII); R. c. Johnson, 2018 SKQB 322, par. 21 (CanLII), conf. par 2021 SKCA 63; R. c. Qaqasiq, 2020 NUCJ 36, par. 17 (CanLII), conf. par 2021 NUCA 16; R. c. Bourdon, 2016 ONSC 5707, par. 14 et 475‑476 (CanLII).


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC12 ?
Date de la décision : 14/04/2022

Analyses

policiers ; Charte ; éléments de preuve ; arrestations ; fouilles ; violés ; application ; palpation ; véhicule ; substances désignées ; erreur de droit ; motifs raisonnables ; arrêté ; gabapentine ; incidences ; Couronne


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Tim
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 14 avril 2022, R. c. Tim, 2022 CSC 12


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-04-14;2022csc12 ?

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