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19/06/2013 | CANADA | N°2013_CSC_35

Canada | R. c. Baldree


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520
Date : 20130619
Dossier : 34754

Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Christopher Baldree
Intimé
- et -
Procureur général de l'Ontario
Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 77)

Motifs concordants :
(par. 78 à 125)
Le juge Fish (ave

c l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner)

Le juge Moldaver...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520
Date : 20130619
Dossier : 34754

Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Christopher Baldree
Intimé
- et -
Procureur général de l'Ontario
Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 77)

Motifs concordants :
(par. 78 à 125)
Le juge Fish (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner)

Le juge Moldaver




R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Christopher Baldree Intimé
et
Procureur général de l'Ontario Intervenant
Répertorié : R. c. Baldree
2013 CSC 35
N o du greffe : 34754.
2012 : 7 novembre; 2013 : 19 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Ouï-dire — Commande téléphonique de drogue — Affirmations implicites — Affirmation implicite présentée en preuve pour établir la véracité de son contenu — Application de la règle du ouï-dire — Cadre d'analyse raisonnée — Application de la méthode d'analyse raisonnée pour déterminer la nécessité et la fiabilité de la preuve.
Après l'arrestation de B, une personne a composé le numéro du téléphone cellulaire de B pour se faire livrer de la drogue. Un agent de police a répondu à l'appel et a accepté de livrer la marchandise au prix pratiqué habituellement par B. L'auteur de l'appel a donné son adresse. La police n'a aucunement tenté de le trouver et de l'interroger, et il n'a pas été appelé à témoigner. Le juge du procès a conclu que le témoignage de l'agent de police ne constituait pas du ouï-dire et a admis en preuve le contenu de l'appel. B a été déclaré coupable de possession de marihuana et de cocaïne en vue d'en faire le trafic. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont accueilli l'appel, ordonné la tenue d'un nouveau procès et conclu qu'il aurait fallu écarter la preuve.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté et la tenue d'un nouveau procès est ordonnée.
La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner : La règle du ouï‑dire traduit l'importance accordée par notre système de justice pénale au témoignage de vive voix devant le tribunal. Les caractéristiques déterminantes du ouï‑dire sont les suivantes : (1) le fait que la déclaration soit présentée pour établir la véracité de son contenu et (2) l'impossibilité de contre‑interroger le déclarant au moment précis où il fait cette déclaration. La preuve par ouï-dire est présumée inadmissible en droit. En l'espèce, la question en litige est celle de savoir si cette règle d'exclusion s'applique uniquement au ouï‑dire exprès, ou si elle s'applique également au ouï‑dire implicite. Une affirmation implicite présentée en preuve pour établir la véracité de son contenu n'est pas traitée différemment pour l'application de la règle du ouï-dire qu'une affirmation explicite équivalente. Les raisons de principe qui sous-tendent la présomption d'inadmissibilité s'appliquent également aux deux catégories de ouï‑dire. Aucune raison de principe ne permet de distinguer les affirmations explicites et implicites, pour ce qui est d'en déterminer l'admissibilité, si elles sont toutes deux présentées pour établir la véracité de leur contenu.
La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible à moins de relever d'une exception traditionnelle à la règle du ouï‑dire. Si elle ne relève pas d'une exception à cette règle, elle peut tout de même être admissible si, par application de la méthode d'analyse raisonnée, l'existence d'indices suffisants de fiabilité et de nécessité est établie lors d'un voir‑dire. La preuve par ouï-dire est présumée inadmissible, car il est difficile de contrôler la fiabilité de la déclaration. La nécessité d'adopter une approche fonctionnelle à l'égard de l'affirmation implicite ressort à l'évidence, compte tenu des dangers inhérents au ouï‑dire, à savoir la perception du déclarant, sa mémoire, sa relation du fait et sa sincérité.
En l'espèce, aucune exception traditionnelle ne s'applique, et la preuve contestée ne résiste pas à l'analyse raisonnée. Il s'agissait d'une seule commande téléphonique de drogue d'une fiabilité incertaine. La police n'a aucunement tenté de trouver l'auteur de l'appel et de l'interroger, et encore moins de l'appeler à témoigner au procès — où le juge des faits aurait pu évaluer l'affirmation qu'on lui prête en lui faisant subir un contre‑interrogatoire et en observant son comportement. Bien que la commande téléphonique de drogue en l'espèce ne résiste pas à l'analyse raisonnée, il n'en sera pas nécessairement ainsi dans d'autres cas.
Enfin, la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1) b )(iii) du Code criminel ne peut s'appliquer en l'espèce, vu qu'on ne saurait affirmer qu'il n'existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l'appel n'avait pas été admis.
Le juge Moldaver : Une affirmation implicite d'un élément de fait est comprise dans le « contenu » d'une déclaration pour l'application de la règle du ouï‑dire. Par conséquent, la commande téléphonique de drogue constituait du ouï-dire, car elle a été présentée en preuve pour démontrer que B était dans les faits un trafiquant de drogue. Or, dans un tel cas, le véritable enjeu de la méthode d'analyse raisonnée est celui de la fiabilité, et c'est sur ce critère que l'analyse devrait être axée. Le critère de nécessité joue certes un rôle, mais il ne vise pas à entraver l'admission d'éléments de preuve fiables. Au contraire, il repose sur l'intérêt qu'a la société à découvrir la vérité. C'est pourquoi, dans un cas comme celui-ci — où les chances de dénicher et d'identifier l'auteur d'un appel, de trouver en lui un témoin disposé à collaborer et d'obtenir de sa part des renseignements exacts sont minces —, la preuve qui se révèle fiable devrait être admise, car elle sera nécessaire pour permettre que l'on se rapproche de la vérité. Par contre, si la preuve n'est pas fiable, elle doit être écartée.
Pour commencer, des éléments de preuve de ce type ont été admis dans une foule d'affaires, au motif qu'ils ne constituaient pas du ouï‑dire. Comme les juges n'ont pas l'habitude d'admettre des preuves qu'ils ne tiennent pas pour fiables, ces arrêts antérieurs semblent reposer sur la conclusion que les commandes téléphoniques de drogue se révèlent fiables plus souvent qu'autrement et qu'on peut donc considérer sans danger qu'elles ne constituent pas du ouï‑dire. Même dans les cas où ce type de preuve a été écarté, c'était pour une question de fiabilité. Ces affaires ont en commun que la fiabilité de la preuve a dicté la décision sur l'admissibilité, et c'est à une telle appréciation que les tribunaux doivent s'attacher.
L'analogie que font les juges majoritaires avec un arrêt antérieur de la Cour au soutien de leur conclusion selon laquelle la police aurait dû chercher à trouver l'auteur de l'appel et à l'interroger ne résiste pas à l'examen. Dans cette autre affaire, la police traitait avec un déclarant connu qui était tout à fait disposé à collaborer. En l'espèce, le déclarant n'était pas connu. Mis à part les préoccupations liées à la sécurité des agents, notons que les chances que la police trouve le déclarant semblent limitées et les chances que ce dernier soit disposé à collaborer, le cas échéant, le sont davantage encore. Il a donc été satisfait au critère de nécessité.
Bien que, selon la méthode d'analyse raisonnée, même une seule commande téléphonique de drogue puisse respecter le seuil de fiabilité, le ministère public n'a pas démontré en l'espèce que l'appel satisfait au critère et, partant, que son admission était justifiée à titre d'élément tendant à prouver au fond que B trempait dans le trafic de drogue. Même si l'auteur de l'appel croyait sincèrement que B était un trafiquant de drogue, la raison motivant une telle croyance, et la véracité de cette dernière, ne sont pas étayées. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une affaire où de multiples appels ont été interceptés et où le bon sens dicte d'écarter pour improbable la possibilité d'une erreur de la part des nombreux auteurs d'appel. En outre, nous ne disposons pas d'indices de fiabilité suffisants, ni dans les termes mêmes de la déclaration, ni sous forme de preuve corroborante. Si les circonstances avaient été quelque peu différentes, elles auraient pu permettre de déterminer si l'auteur de l'appel croyait que B était un trafiquant de drogue et si sa croyance était vraie dans les faits. Voilà ce qu'il faut pour satisfaire au seuil de fiabilité.
Jurisprudence
Citée par le juge Fish
Distinction d'avec l'arrêt : R. c. Ly , [1997] 3 R.C.S. 698, conf. (1996), 193 A.R. 149; arrêts mentionnés : R. c. Edwards (1994), 91 C.C.C. (3d) 123, conf. par [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Kearley , [1992] 2 All E.R. 345; R. c. Wilson (1996), 29 O.R. (3d) 97; R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Starr , 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Smith , [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. Khan , [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Mapara , 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358; R. c. Fialkow , [1963] 2 C.C.C. 42; R. c. Lucia , 2010 ONCA 533 (CanLII); R. c. Cook (1978), 10 B.C.L.R. 84; R. c. Nguyen , 2003 BCCA 556, 188 B.C.A.C. 218; R. c. Parchment , 2004 BCSC 1806 (CanLII); R. c. Williams , 2009 BCCA 284, 273 B.C.A.C. 86; R. c. Graham , 2013 BCCA 75 (CanLII); R. c. Ramsum , 2003 ABQB 45, 329 A.R. 370; R. c. Bannon (1995), 132 A.L.R. 87; R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Bevan , [1993] 2 R.C.S. 599.
Citée par le juge Moldaver
Distinction d'avec l'arrêt : R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; arrêts mentionnés : R. c. Hawkins , [1996] 3 R.C.S. 1043; R. c. Owad (1951), 102 C.C.C. 155; R. c. Fialkow , [1963] 2 C.C.C. 42; R. c. Cook (1978), 46 C.C.C. (2d) 318; R. c. Edwards (1994), 19 O.R. (3d) 239; R. c. Nguyen , 2003 BCCA 556, 188 B.C.A.C. 218; R. c. Williams , 2009 BCCA 284, 273 B.C.A.C. 86; R. c. Lucia , 2010 ONCA 533 (CanLII); R. c. Graham , 2013 BCCA 75 (CanLII); R. c. Wilson (1996), 29 O.R. (3d) 97; R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Couture , 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Woodcock (1789), 1 Leach 500, 168 E.R. 352; R. c. Starr , 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Ly , [1997] 3 R.C.S. 698.
Lois et règlements cités
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 686(1) b )(iii), 693(1) a ).
Criminal Justice Act 2003 (R.‑U.), 2003, ch. 44, art. 115.
Evidence Act 1995 (Austr.), No. 2, art. 59(1).
Federal Rules of Evidence (É.-U.), règle 801.
Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 , art. 5(2) .
Doctrine et autres documents cités
Birch, Di. « Criminal Justice Act 2003 (4) Hearsay : Same Old Story, Same Old Song? », [2004] Crim. L.R. 556.
Bryant, Alan W., Sidney N. Lederman and Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada , 3rd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2009.
Canada. Commission de réforme du droit. Rapport sur la preuve . Ottawa : Information Canada, 1975.
Dennis, I. H. The Law of Evidence , 4th ed. London : Sweet & Maxwell, 2010.
Dufraimont, Lisa. Annotation to R. v. Baldree (2012), 92 C.R. (6th) 331.
Finman, Ted. « Implied Assertions as Hearsay : Some Criticisms of the Uniform Rules of Evidence » (1962), 14 Stan. L. Rev. 682.
Hill, S. Casey, David M. Tanovich and Louis P. Strezos, eds. McWilliams' Canadian Criminal Evidence , vol. 1, 4th ed. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2003 (loose‑leaf updated March 2012, release 22).
McCormick, Charles T. « The Borderland of Hearsay » (1930), 39 Yale L.J. 489.
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Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence , 6th ed. Toronto : Irwin Law, 2011.
Phipson on Evidence , 17th ed. by Hodge C. Malek et al. London : Sweet & Maxwell, 2010.
Rice, Paul R. « Should Unintended Implications of Speech be Considered Nonhearsay? The Assertive/Nonassertive Distinction Under Rule 801(a) of the Federal Rules of Evidence » (1992), 65 Temp. L. Rev. 529.
Schiff, Stanley. « Evidence — Hearsay and the Hearsay Rule : A Functional View » (1978), 56 R. du B. can. 674.
Weinstein, Jack B., and Margaret A. Berger. Weinstein's Evidence : Commentary on Rules of Evidence for the United States Courts and for State Courts , vol. 4. New York : Matthew Bender, 1983 (loose‑leaf updated August 1990, release 38).
Wigmore, John Henry. A Treatise on the Anglo - American System of Evidence in Trials at Common Law , vol. III, 2nd ed. Boston : Little, Brown & Co., 1923.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Feldman, Blair et Watt), 2012 ONCA 138, 109 O.R. (3d) 721, 287 O.A.C. 327, 280 C.C.C. (3d) 191, 92 C.R. (6th) 331, [2012] O.J. No. 924 (QL), 2012 CarswellOnt 1741, qui a annulé la déclaration de culpabilité prononcée contre l'accusé et qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi rejeté.
James C. Martin et Brian G. Puddington , pour l'appelante.
Michael Davies et James Foord , pour l'intimé.
John S. McInnes , pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner rendu par
Le juge Fish —
I
[1] Une déclaration extrajudiciaire faite par une personne qui n'est pas citée comme témoin au procès est qualifiée, à juste titre, de ouï‑dire lorsqu'elle est présentée en preuve pour établir la véracité de son contenu.
[2] Nul ne conteste en l'espèce que la preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible en droit.
[3] La seule question en litige est celle de savoir si cette règle d'exclusion s'applique au « ouï‑dire exprès » uniquement, ou si elle s'applique également au « ouï‑dire implicite ». Compte tenu de la logique et des principes, je suis convaincu que c'est le cas.
[4] Dans les deux cas, la pertinence de la déclaration extrajudiciaire ne tient pas au fait qu'elle a été faite , mais plutôt à ce que son contenu vise à établir . Dans les deux cas, la déclaration en question vise à établir la véracité des propos exprès ou implicites que l'on prête à la personne qui n'a pas été citée comme témoin.
[5] En ce qui concerne la pertinence sur le plan de la logique, il n'y a donc aucune distinction substantielle entre le ouï‑dire exprès et le ouï‑dire implicite. Les raisons de principe qui sous-tendent la présomption d'inadmissibilité s'appliquent également aux deux catégories de ouï‑dire.
[6] Pour les motifs qui précèdent et ceux exposés ci‑après, j'estime, tout comme les juges majoritaires de la Cour d'appel, que le juge du procès aurait dû exclure la déclaration extrajudiciaire contestée en l'espèce. Elle ne relève d'aucune exception traditionnelle à la règle du ouï‑dire et ne présente pas les indices de nécessité et de fiabilité qui pourraient autrement la rendre admissible.
[7] Par conséquent, je suis d'avis de rejeter l'appel interjeté par le ministère public devant notre Cour à l'encontre du jugement de la Cour d'appel.
II
[8] Au terme d'un procès devant un juge seul, l'intimé a été déclaré coupable de possession de marihuana et de cocaïne en vue d'en faire le trafic, en contravention au par. 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 .
[9] Son appel a été accueilli par les juges majoritaires de la Cour d'appel de l'Ontario, qui ont ordonné la tenue d'un nouveau procès. Le ministère public se pourvoit de plein droit devant la Cour en vertu de l' al. 693(1) a ) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , sur les questions de droit au sujet desquelles le juge Watt de la Cour d'appel est dissident.
[10] Comme je partage l'avis de la Cour d'appel que la tenue d'un nouveau procès est justifiée, je ne ferai mention des faits que dans la mesure nécessaire pour trancher le présent pourvoi.
[11] Le 11 mai 2006, le sergent Shawn Martelle et l'agent Robert Ouellette de la police de Cornwall ont répondu à un appel concernant une possible introduction par effraction dans l'appartement d'un dénommé Eric Lepage. Ils ont frappé à la porte, et un homme qui a dit s'appeler Chris Baldree les a laissé entrer. Une fois à l'intérieur, les policiers ont immédiatement détecté une odeur de marihuana et ont découvert des « joints » et de petites cocottes de marihuana dans un cendrier.
[12] Dans la penderie de la chambre d'amis, le sergent Martelle a découvert un coffre-fort ouvert dans lequel se trouvait un sac à sandwich contenant 90 grammes de cocaïne et, à côté du coffre‑fort, une grande boîte en carton renfermant un sac ziplock contenant 511 grammes de marihuana.
[13] M. Baldree et trois autres personnes qui se trouvaient dans l'appartement ont été arrêtés. Les policiers ont saisi le téléphone cellulaire du premier ainsi que l'argent qu'ils ont trouvé en sa possession.
[14] Au poste de police, le téléphone de M. Baldree a sonné. Le sergent Martelle a répondu. Lors du procès, il a ainsi décrit l'appel :
[traduction]

R. À l'autre bout du fil, un homme a dit qu'il se trouvait au 327, rue Guy, qu'il était un ami de Megan et qu'il voulait parler à Chris. Sachant que je venais d'arrêter deux personnes du nom de Chris, j'ai demandé « Chris qui? » et l'homme a répondu « Baldree » et a demandé une once de pot. J'ai alors dit que je menais maintenant le, le bal, que M. Baldree était absent et que je prendrais sa . . .
LA COUR : D'accord, pardon, a demandé à parler à Chris.
R. Oui, excusez‑moi Votre Honneur.
LA COUR : Oui.
R. Et je lui ai posé la question, je lui ai demandé « Chris qui? » et il a répondu « Baldree ».
LA COUR : Oui.
R. Il a demandé une once de pot. Je lui ai alors demandé combien Chris le lui vendait; il a répondu qu'il payait 150 $. Je lui ai dit ensuite que je livrerais la marchandise au 327, rue Guy, et la conversation s'est alors terminée. [d.a., vol. II, p. 76]
La police n'a aucunement essayé de communiquer avec l'auteur de l'appel à l'adresse qu'il avait donnée.
[15] L'avocat de l'accusé s'est promptement opposé à ce témoignage au motif qu'il constituait une preuve par ouï‑dire inadmissible. Le juge du procès n'était pas de cet avis. Il a conclu que la preuve ne constituait pas du « ouï‑dire », suivant les arrêts R. c. Ly , [1997] 3 R.C.S. 698, et R. c. Edwards (1994), 91 C.C.C. (3d) 123 (C.A. Ont.), conf. pour d'autres motifs par [1996] 1 R.C.S. 128.
[16] De l'avis du juge :
[traduction] Que ces appels soient qualifiés de preuve par ouï‑dire admissible ou simplement de déclarations démontrant l'état d'esprit, la loi les considère comme admissibles à titre de preuve circonstancielle révélant que la personne en cause est impliquée dans le trafic de drogue. Ils ne sont pas présentés en preuve en vue d'établir que la personne qui téléphone est en fait la personne qu'elle déclare être ou que la personne se livrera dans les faits au trafic de drogue. Comme il a été mentionné, il s'agit d'une preuve circonstancielle d'une personne impliquée dans le trafic de drogue. [d.a., vol. I, p. 22‑23]
[17] Ayant conclu que le témoignage du sergent Martelle ne constituait pas du ouï‑dire, le juge du procès était d'avis qu'il n'était pas nécessaire d'apprécier sa valeur probante en regard de son effet préjudiciable.
III
[18] Les trois juges de la Cour d'appel de l'Ontario ont rédigé des motifs distincts. Les juges Feldman et Blair ont accueilli l'appel et ordonné la tenue d'un nouveau procès; le juge Watt, dissident, était d'avis de rejeter l'appel.
[19] La juge Feldman ne partageait pas l'avis du juge du procès selon qui l'appel téléphonique constituait une preuve circonstancielle révélant que M. Baldree était impliqué dans le trafic de drogue. À ses yeux, au contraire, [traduction] « admettre en preuve le contenu de [l']appel c'est admettre en preuve du ouï‑dire. L'auteur de l'appel, qui n'a pas subi l'épreuve du contre‑interrogatoire, affirme implicitement que l'accusé est un trafiquant de drogue » (par. 140).
[20] Selon la juge Feldman, le juge du procès a donc commis une erreur en s'attachant à [traduction] « la véracité de l'affirmation selon laquelle l'auteur de l'appel voulait effectivement acheter de la drogue, ce qui, bien entendu, n'était pas pertinent, et non à l'affirmation implicite que recelait la commande » (par. 144).
[21] Renvoyant aux motifs des juges majoritaires de la Chambre des lords dans R. c. Kearley , [1992] 2 All E.R. 345, ainsi qu'à l'avis du juge en chef de l'Ontario, le juge McMurtry, dans R. c. Wilson (1996), 29 O.R. (3d) 97 (C.A.), la juge Feldman a conclu que le résultat de l'analyse relative au ouï‑dire ne devrait pas différer selon qu'il s'agit d'une affirmation expresse ou implicite (par. 140).
[22] La juge estimait que l'appel constituait du ouï‑dire et qu'il n'aurait pas dû être présenté en preuve contre M. Baldree parce qu'il ne pouvait résister à l'examen selon la méthode d'analyse raisonnée en matière de ouï‑dire. En ce qui concerne la nécessité, la police connaissait l'adresse de l'auteur de l'appel, mais n'a pas tenté de communiquer avec lui; pour ce qui est de la fiabilité, rien ne permettait de mettre à l'épreuve la croyance de l'auteur de l'appel sans lui faire subir un contre‑interrogatoire (par. 146).
[23] La juge Feldman a également conclu que la preuve était inadmissible parce que son effet préjudiciable l'emportait sur sa valeur probante (par. 147).
[24] La juge Feldman a refusé d'appliquer la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1) b )(iii) du Code criminel et, partant, elle était d'avis que l'erreur du juge de première instance exigeait la tenue d'un nouveau procès. Compte tenu en particulier du fait que, selon le ministère public, la commande téléphonique de drogue constituait la preuve la plus solide contre l'accusé, la juge Feldman ne pouvait tirer comme conclusion que l'admission irrégulière du témoignage du sergent Martelle n'avait eu aucune incidence sur le verdict (par. 149).
[25] Dans ses motifs concordants, le juge Blair ne pouvait affirmer avec certitude que la preuve contestée constituait du ouï‑dire. Quoi qu'il en soit, il jugeait préférable [traduction] « pour les juristes de s'attacher moins à catégoriser la preuve selon qu'elle constitue ou non du “ouï‑dire”, dans ce genre de cas limites, et davantage aux critères de principe relatifs à la nécessité et à la fiabilité d'une part et à la valeur probante par rapport à l'effet préjudiciable d'autre part » (par. 155).
[26] Ainsi, le juge Blair a estimé qu'il n'était pas nécessaire de [traduction] « trancher le nœud gordien que présente la question du “ouï‑dire” pour statuer en l'espèce » parce que la preuve contestée ne résistait ni à l'examen portant sur la nécessité et la fiabilité ni à l'évaluation du rapport entre sa valeur probante et son effet préjudiciable (par. 156).
[27] Dans ses motifs dissidents, le juge Watt partageait l'opinion du juge du procès que, suivant l'arrêt Ly de notre Cour, la preuve d'une seule commande téléphonique de drogue est admissible à titre de preuve ne constituant pas du ouï‑dire (par. 73).
[28] Selon le juge Watt, il n'était pas nécessaire de procéder à une analyse raisonnée dans ces circonstances parce que la preuve contestée ne constituait pas du ouï‑dire. Il ne souscrivait pas à l'avis de ses collègues selon qui la preuve devait être écartée au motif que son effet préjudiciable l'emportait sur sa valeur probante (par. 95‑98).
[29] Subsidiairement, le juge Watt était d'avis que, même si la commande téléphonique de drogue avait été admise en preuve à tort au procès, la déclaration de culpabilité devrait néanmoins être maintenue en vertu de la disposition réparatrice (par. 99).
IV
[30] Les caractéristiques déterminantes du ouï‑dire sont les suivantes : (1) le fait que la déclaration soit présentée pour établir la véracité de son contenu et (2) l'impossibilité de contre-interroger le déclarant au moment précis où il fait cette déclaration : R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 56. Comme l'explique la juge Charron dans Khelawon , par. 35, la règle du ouï‑dire traduit l'importance accordée par notre système de justice pénale au témoignage de vive voix devant le tribunal :
Notre système accusatoire attache une grande importance à l'assignation de témoins qui déposent sous la foi du serment ou d'une affirmation solennelle et dont le comportement peut être observé par le juge des faits, et le témoignage, vérifié au moyen d'un contre‑interrogatoire. Nous considérons que ce processus représente la meilleure façon de vérifier la preuve testimoniale. Parce qu'elle se présente sous une forme différente, la preuve par ouï‑dire suscite des préoccupations particulières. La règle d'exclusion générale reconnaît la difficulté pour le juge des faits d'apprécier le poids à donner, s'il y a lieu, à une déclaration d'une personne qui n'a été ni vue ni entendue et qui n'a pas eu à subir un contre‑interrogatoire. On craint que la preuve par ouï‑dire non vérifiée se voie accorder plus de poids qu'elle n'en mérite.
[31] Bref, la preuve par ouï-dire est présumée inadmissible, car il est difficile de contrôler la fiabilité de la déclaration. Outre l'impossibilité pour le juge des faits d'apprécier le comportement du déclarant au moment où il fait la déclaration, les tribunaux et les auteurs de doctrine ont recensé quatre sujets de préoccupation, à savoir la perception du déclarant, sa mémoire, sa relation du fait et sa sincérité : Khelawon , par. 2; R. c. Starr , 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, par. 159.
[32] Premièrement, il se peut que le déclarant ait mal perçu les faits relatés dans sa déclaration; deuxièmement, même s'il a correctement perçu les faits pertinents, il se peut qu'il ne se les remémore pas fidèlement ; troisièmement, il est possible qu'en relatant les faits pertinents il induise involontairement en erreur ; finalement, il pourrait avoir sciemment fait une fausse déclaration . La possibilité de sonder en profondeur ces éventuelles sources d'erreur ne se présente que si le déclarant comparaît pour être contre‑interrogé.
[33] Au fil des ans, plusieurs exceptions ont été reconnues en common law, au motif qu'une application trop rigide de la règle d'exclusion entraverait le processus de recherche de la vérité. Comme l'explique J. H. Wigmore :
[traduction] La règle du ouï‑dire repose sur la théorie [. . .] que c'est l'épreuve du contre‑interrogatoire qui peut le mieux révéler et dévoiler, le cas échéant, les nombreuses sources possibles d'inexactitude et de manque de fiabilité que peut receler la simple déclaration non vérifiée d'un témoin. Mais, dans une situation donnée, cette épreuve ou cette garantie peut être superflue; il peut être suffisamment clair, dans ce cas, que la déclaration ne comporte aucun risque d'inexactitude ou de manque de fiabilité, de sorte que le contre‑interrogatoire serait un exercice surérogatoire. De plus, cette épreuve peut être impossible à faire subir en raison, par exemple, du décès du déclarant, de sorte que, si on doit utiliser son témoignage, il faut l'accepter sans qu'il soit vérifié.
( Wigmore on Evidence (2 e éd. 1923), vol. III, §1420, cité avec approbation dans R. c. Smith , [1992] 2 R.C.S. 915, p. 929.)
[34] À partir de l'arrêt R. c. Khan , [1990] 2 R.C.S. 531, la Cour s'est écartée de la notion d'un ensemble de catégories d'exceptions à la règle du ouï‑dire conçues par les tribunaux, préférant établir une approche téléologique, régie par un cadre d'analyse raisonnée, que la juge en chef McLachlin énonce en ces termes dans R. c. Mapara , 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358, par. 15 :
a) La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible à moins de relever d'une exception à la règle du ouï‑dire. Les exceptions traditionnelles continuent présomptivement de s'appliquer.
b) Il est possible de contester une exception à l'exclusion du ouï‑dire au motif qu'elle ne présenterait pas les indices de nécessité et de fiabilité requis par la méthode d'analyse raisonnée. On peut la modifier au besoin pour la rendre conforme à ces exigences.
c) Dans de « rares cas », la preuve relevant d'une exception existante peut être exclue parce que, dans les circonstances particulières de l'espèce, elle ne présente pas les indices de nécessité et de fiabilité requis.
d) Si la preuve par ouï‑dire ne relève pas d'une exception à la règle d'exclusion, elle peut tout de même être admissible si l'existence d'indices de fiabilité et de nécessité est établie lors d'un voir‑dire.
[35] La règle du ouï-dire, comme tant d'autres, est plus facile à énoncer qu'à appliquer.
[36] Aucune preuve ne constitue à priori du ouï‑dire. Comme je le mentionne au début, son admissibilité dépend de la fin à laquelle elle est déposée. La preuve constitue du ouï‑dire — et est présumée inadmissible — si elle est présentée pour établir la véracité de son contenu.
V
[37] Manifestement, en l'espèce, le ministère public a présenté le témoignage du sergent Martelle comme preuve de la véracité de son contenu. Puisque le déclarant n'a pas été appelé à témoigner, la déposition du policier constituait du ouï‑dire et, de ce fait, était présumée inadmissible. J'estime donc que le juge du procès a commis une erreur en n'examinant pas la preuve suivant la méthode d'analyse raisonnée.
[38] Rappelons que le sergent Martelle a témoigné qu'une personne, qui affirmait habiter au 327, rue Guy, a composé le numéro du téléphone cellulaire qu'il avait confisqué à Chris Baldree, a demandé à parler à ce dernier et a commandé une once de marihuana à 150 $.
[39] Je conviens avec la juge Feldman que le ministère public n'a pas présenté ce témoignage à titre de preuve circonstancielle que l'intimé était impliqué dans le trafic de drogue. Le ministère public a plutôt demandé au juge des faits de conclure, sur la foi du témoignage du sergent Martelle, que l'auteur anonyme de l'appel avait l'intention d'acheter de la marihuana de l'intimé parce qu'il croyait que ce dernier était un trafiquant de drogue . La pertinence de la déclaration dépend donc de la véracité de la croyance sous‑jacente du déclarant. Toute inférence susceptible d'être tirée de la déclaration suppose nécessairement la véracité de celle‑ci.
[40] Si l'auteur de l'appel avait dit vouloir acheter de la drogue de M. Baldree parce que M. Baldree en vendait , sa déclaration aurait constitué une affirmation expresse selon laquelle M. Baldree est un trafiquant de drogue. Formulée ainsi, la déclaration aurait sans aucun doute constitué du ouï‑dire.
[41] Or, l'auteur de l'appel a plutôt dit vouloir acheter de la drogue de M. Baldree . L'affirmation selon laquelle M. Baldree était un trafiquant de drogue n'en était pas moins manifeste dans sa substance, même si elle se présentait sous une forme implicite plutôt qu'explicite. Selon la thèse du ministère public, les affirmations implicites ne sont pas visées par la règle du ouï-dire, et la conversation téléphonique était présumée admissible pour cette raison.
[42] À mon avis, la réponse à la question de savoir si cet élément de preuve constituait ou non du ouï‑dire ne saurait être subordonnée à la manière dont la commande est formulée. Une telle analyse formaliste fait fi de l'approche raisonnée adoptée par notre Cour à l'égard de la règle du ouï‑dire. En effet, [traduction] « il semble absurde que la forme grammaticale des affirmations du déclarant soit déterminante » : L. Dufraimont, Annotation to R. v. Baldree (2012), 92 C.R. (6th) 331, p. 334.
[43] Il n'existe aucune différence de principe ou significative entre dire a) « j'appelle M. Baldree pour lui acheter de la drogue » et b) « j'appelle M. Baldree parce qu'il vend de la drogue ». Quelle que soit la manière dont elle est formulée, cette déclaration extrajudiciaire est présentée à une seule fin, à savoir prouver la véracité de l'affirmation selon laquelle M. Baldree vend de la drogue. Le juge des faits n'a pas à être grammairien pour comprendre la signification de cette preuve.
[44] La nécessité d'adopter une approche fonctionnelle à l'égard de l'affirmation implicite ressort à l'évidence, compte tenu des dangers inhérents au ouï‑dire, à savoir la perception, la mémoire, la relation du fait et la sincérité.
[45] D'aucuns soutiennent que le danger relatif à la sincérité est parfois atténué dans le cas d'une affirmation implicite. Il en est ainsi parce que [traduction] « [s]i le déclarant n'a pas l'intention d'affirmer quoi que ce soit, il devrait alors s'ensuivre qu'il ne peut avoir l'intention de déformer quoi que ce soit » : P. R. Rice, « Should Unintended Implications of Speech be Considered Nonhearsay? The Assertive/Nonassertive Distinction Under Rule 801(a) of the Federal Rules of Evidence » (1992), 65 Temp. L. Rev. 529, p. 531.
[46] En revanche, il ne fait aucun doute que les autres dangers inhérents au ouï‑dire demeurent présents, voire augmentent lorsqu'une personne « affirme » en quelque sorte un fait de manière implicite :
[traduction] Si l'on examine la question du point de vue des quatre dangers inhérents au ouï‑dire, le risque de mensonge est considérablement réduit si le déclarant n'avait pas l'intention d'affirmer ce que sa déclaration est censée prouver, en particulier s'il n'avait aucunement l'intention de faire une déclaration de fait. Par contre, les autres dangers en matière de ouï‑dire subsistent, à savoir, le risque de perception erronée, de mémoire défaillante (à moins que l'affirmation implicite ne porte sur l'état d'esprit du déclarant) et d'ambiguïté. En fait, ce dernier danger pourrait être accru. Lorsque X demande si Z est là, doit-on comprendre uniquement que Z n'accompagne pas X, ou bien que Z n'accompagne pas X et que ce dernier le cherche, ou alors que Z est en danger, ou encore que X veut savoir où se trouve Z? En conséquence, dans de nombreux cas, la valeur de l'affirmation implicite, tout comme celle de l'affirmation expresse, est fonction de la fiabilité de son auteur . [Italiques ajoutés.]
(H. M. Malek et autres, dir., Phipson on Evidence (17 e éd. 2010), p. 889)
Qui plus est, même la question de l'insincérité se pose dans le cas d'une affirmation implicite :
[traduction] Si la distinction entre l'affirmation expresse et l'affirmation implicite tient à l'absence de problème d'insincérité, et que cette garantie de sincérité se traduit par une diminution des problèmes de perception, de mémoire et d'ambiguïté, cette distinction ne saurait s'appliquer à l'affirmation implicite verbale. L'expression orale est un mécanisme de communication; elle sert pour ainsi dire toujours à transmettre un message à un interlocuteur. Il est illogique de conclure que la question de la sincérité ne se pose pas et que le problème de non‑fiabilité est atténué en présence d'une affirmation implicite non intentionnelle découlant de paroles, s'il se peut que celles‑ci aient été teintées d'insincérité au départ par rapport au message direct communiqué de façon intentionnelle. Si un manque éventuel de sincérité s'infiltre dans les paroles qui recèlent l'affirmation implicite, cette dernière sera aussi peu digne de foi que les paroles auxquelles elle est attribuable. [Rice, p. 534]
[47] Bref, [traduction] « si la norme qui distingue l'affirmation expresse de l'affirmation implicite porte sur le nombre de dangers que chacune entraîne, elles ne se distinguent point » : T. Finman, « Implied Assertions as Hearsay : Some Criticisms of the Uniform Rules of Evidence » (1962), 14 Stan. L. Rev. 682, p. 689.
[48] Par conséquent, aucune raison de principe ne permet de distinguer les affirmations explicites et implicites, pour ce qui est d'en déterminer l'admissibilité, si elles sont toutes deux présentées pour établir la véracité de leur contenu. Les deux types de preuve fonctionnent exactement de la même façon. Qui plus est, les avantages qu'offre le contre‑interrogatoire du déclarant ne diffèrent pas sensiblement d'une forme de témoignage à l'autre. Si une déclaration extrajudiciaire met en jeu les dangers traditionnels inhérents au ouï‑dire, elle constitue du ouï‑dire et doit être traitée en conséquence.
[49] En l'espèce, le juge du procès et le juge dissident de la Cour d'appel ont conclu que la Cour avait tiré une conclusion différente dans Ly . Avec égards, je ne suis pas de cet avis.
[50] L'affaire Ly portait sur l'admissibilité d'une conversation téléphonique entre un agent de police qui avait composé le numéro d'une opération soupçonnée de vente de drogue sur appel et la personne qui avait répondu à son appel. L'agent avait alors pris des dispositions pour l'achat et la livraison des substances. L'appelant s'est présenté, en possession de la marchandise, à l'endroit et à l'heure fixés et a été arrêté sans délai et accusé de possession de drogue en vue d'en faire le trafic.
[51] Le juge du procès a qualifié de ouï-dire la preuve concernant la conversation du policier avec son interlocuteur et l'a écartée pour cette raison. À l'issue de l'appel interjeté par le ministère public, la Cour d'appel de l'Alberta n'était pas de cet avis. Selon elle, la conversation en cause était admissible [ traduction ] dans « la chronologie des faits », vu qu'« [i]l était impossible de comprendre les incidents ultérieurs sans la preuve de la conversation téléphonique les ayant précédés » ((1996), 193 A.R. 149, par. 3).
[52] Dans les courts motifs de jugement rendus oralement, la Cour estimait, à l'instar de la Cour d'appel, que la preuve au sujet de la conversation avait été écartée à tort au procès. La Cour a signalé que celle-ci avait été présentée en preuve pour expliquer la présence de l'appelant, à l'heure et à l'endroit fixés, avec la drogue, et non pas, comme dans l'affaire qui nous intéresse, pour établir la véracité de son contenu : Ly , par. 3.
[53] J'estime que rien dans l'arrêt Ly ne permet de croire — et encore moins de trancher — qu'une affirmation implicite présentée en preuve pour établir la véracité de son contenu est traitée différemment pour l'application de la règle du ouï-dire qu'une affirmation explicite équivalente. Contrairement à l'affaire Ly , c'est la question qui nous occupe.
[54] Bien que nous en soyons saisis pour la première fois, cette question divise les juridictions inférieures dans plusieurs provinces depuis au moins une cinquantaine d'années : voir, par exemple, R. c. Fialkow , [1963] 2 C.C.C. 42 (C.A. Ont.); Edwards ; Wilson ; R. c. Lucia , 2010 ONCA 533 (CanLII); R. c. Cook (1978), 10 B.C.L.R. 84 (C.A.); R. c. Nguyen , 2003 BCCA 556, 188 B.C.A.C. 218; R. c. Parchment , 2004 BCSC 1806 (CanLII); R. c. Williams , 2009 BCCA 284, 273 B.C.A.C. 86; R. c. Graham , 2013 BCCA 75 (CanLII); R. c. Ramsum , 2003 ABQB 45, 329 A.R. 370.
VI
[55] Les plus hauts tribunaux judiciaires de l'Angleterre, du Pays de Galles et de l'Australie ont conclu de même que la règle du ouï‑dire régit les affirmations implicites, mais ces décisions ont été infirmées par voie législative : voir Kearley ; R. c. Bannon (1995), 132 A.L.R. 87 (H.C.); Criminal Justice Act 2003 (R.‑U.), 2003, ch. 44, art. 115; Evidence Act 1995 (Austr.), n o 2, par. 59(1).
[56] Au Canada, le législateur n'a pas jugé nécessaire ni pertinent d'adopter des dispositions législatives précisant que les affirmations implicites ne constituent pas du ouï‑dire. Il s'agit évidemment d'une démarche tout à fait compréhensible compte tenu de notre approche raisonnée et plus flexible en matière d'exclusion.
[57] Comme l'a mentionné la juge Feldman, les faits dans Kearley , l'arrêt britannique de principe, étaient semblables à ceux de l'espèce. Dans Kearley , la police a effectué une descente chez l'accusé parce qu'il était soupçonné de vendre de la drogue. Les policiers y ont découvert des substances illégales, mais en quantité insuffisante pour qu'ils puissent conclure au trafic de drogue. Toutefois, ils y ont intercepté dix appels provenant de personnes intéressées à lui acheter de la drogue. En outre, sept personnes se sont présentées à l'appartement pour y acheter des stupéfiants.
[58] La Chambre des lords, à la majorité, a conclu que les commandes téléphoniques de drogue et les déclarations des visiteurs constituaient une preuve par ouï‑dire inadmissible. Parce qu'elles étaient énoncées comme des commandes de drogue, elles n'affirmaient pas expressément, mais sous-entendaient, que l'accusé était un trafiquant de drogue. Néanmoins, selon les lords juges, qu'elle soit communiquée expressément ou implicitement, l'information transmise était identique. Pour reprendre les propos de lord Ackner :
[traduction] . . . si l'interlocuteur avait formulé sa demande en ces termes : « Je voudrais ma commande habituelle d'amphétamines pour le prix auquel tu me les as vendues la semaine dernière » [. . .], la règle du ouï‑dire empêcherait la poursuite de citer comme témoin l'agent de police pour qu'il relate cette conversation. . .
Si [toutefois] la simple commande de drogue faite à l'appelant relatée par l'agent de police contient essentiellement la même affirmation, mais implicite seulement, je ne connais aucune source ni aucun principe voulant que la règle du ouï‑dire ne s'applique pas tout autant pour écarter une telle preuve. On vise à utiliser la déclaration verbale, même implicite, comme preuve de la véracité de la proposition énoncée. Le fait que cette dernière soit implicite et non formulée expressément ne saurait, à mon avis, rien changer. [p. 363-364]
[59] On a invoqué deux principales raisons qui militent contre l'application de la règle du ouï‑dire aux affirmations implicites.
[60] Premièrement, comme l'affirme le juge Watt de la Cour d'appel (par. 83) et comme le fait valoir le ministère public, écarter les affirmations implicites au motif qu'elles constituent du ouï‑dire risque d'élargir la portée de la règle d'exclusion, étant donné que [traduction] « [p]resque chaque action humaine repose sur un ensemble de présomptions acceptées de façon implicite et, suivant une telle philosophie, “affirmées” par l'acteur » (m.a., par. 62, citant McWilliams' Canadian Criminal Evidence (4 e éd. (feuilles mobiles)), p. 7-21).
[61] Deuxièmement, comme le soulignent les détracteurs de l'arrêt Kearley , l'application de la règle du ouï‑dire aux affirmations implicites, telles les commandes téléphoniques de drogue, risque de priver le juge des faits d'éléments de preuve fiables et d'entraver ainsi le processus de recherche de la vérité : voir, par exemple, D. Birch, « Criminal Justice Act 2003 (4) Hearsay : Same Old Story, Same Old Song? », [2004] Crim. L.R. 556, p. 564‑565.
[62] La réponse lapidaire au premier argument est que le présent pourvoi ne porte pas sur l'application de la règle du ouï‑dire aux affirmations implicites découlant d'un comportement. Il porte plutôt sur une déclaration purement verbale .
[63] Il vaut mieux remettre à une autre occasion l'examen de la question de l'applicabilité de la règle du ouï‑dire à une inférence susceptible d'être tirée d'un comportement. Dans le contexte qui nous occupe, j'estime qu'il suffit de dire qu' [traduction] « il est possible d'adopter tel ou tel comportement sans jamais avoir l'intention de communiquer quoi que ce soit à quiconque [mais] il n'en va pas de même des paroles ou d'une combinaison de paroles et de comportements (par exemple, faire un pari) parce que les paroles ont pour seule fin la communication » : Rice, p. 536 (en italique dans l'original).
[64] Le deuxième motif de préoccupation est grandement atténué, je le répète, par l'effet de l'approche raisonnée en matière de ouï‑dire adoptée au Canada.
[65] Dans Kearley , après avoir conclu que la preuve constituait du ouï‑dire, la Chambre des lords l'a écartée automatiquement parce qu'elle ne relevait pas d'une exception traditionnelle à la règle du ouï‑dire.
[66] La démarche canadienne n'est pas victime d'un tel manque de souplesse. Sous le régime du droit canadien, la preuve par ouï‑dire qui n'est pas admissible au titre d'une exception traditionnelle peut néanmoins être admise suivant une analyse raisonnée visant à en déterminer la nécessité et la fiabilité. Ce [traduction] « régime logique » reconnaît que « certaines affirmations implicites, tout comme certaines affirmations expresses, seront très fiables même en l'absence d'un contre‑interrogatoire » : Finman, p. 693. Dans le cadre de ce régime, les affirmations implicites qui sont nécessaires et fiables peuvent être admises en preuve alors que les autres seront écartées.
VII
[67] Au vu des faits de la présente affaire, aucune exception traditionnelle ne s'applique. La preuve contestée ne résiste pas à l'analyse raisonnée; elle ne satisfait ni à l'exigence de nécessité ni à celle de fiabilité.
[68] Dans l'arrêt Khelawon , la nécessité avait été reconnue. La juge Charron a tout de même pris la peine de signaler que
dans une instance appropriée, il se peut bien que, pour trancher la question de la nécessité, le tribunal se demande si la partie qui veut présenter la preuve a déployé tous les efforts raisonnables pour préserver la preuve du déclarant de manière à préserver également les droits de l'autre partie. [par. 104]
Nous sommes en présence en l'espèce du genre d'« instance appropriée » dont il est question dans l'affaire Khelawon . Et, le fin mot dans cette histoire, c'est que la police n'a fait aucun effort pour obtenir le témoignage du déclarant, n'a pas cherché à l'interroger ni même à le trouver, même si celui‑ci avait indiqué son adresse . Qui plus est, aucun motif n'a été avancé pour expliquer l'absence d'efforts visant à dénicher le déclarant.
[69] En outre, l'appel en l'espèce ne permet pas de satisfaire au critère de fiabilité. Comme l'a conclu la juge Feldman de la Cour d'appel, [traduction] « [r]ien ne permet d'affirmer que la croyance de l'auteur de l'appel était fiable sans mettre à l'épreuve le fondement de cette croyance au moyen d'un contre‑interrogatoire » (par. 146). En fait, il ne s'agit pas d'un cas où « on peut facilement voir qu'une telle épreuve requise [c'est‑à‑dire le contre‑interrogatoire] ajouterait peu comme garantie parce que ses objets ont en grande partie déjà été atteints » : Khelawon , par. 62, citant Wigmore on Evidence , §1420.
[70] En tirant cette conclusion, je me garde de proposer une règle catégorique applicable aux commandes téléphoniques de drogue. Bien que l'appel visé en l'espèce ne résiste pas à l'analyse raisonnée, ce ne sera pas nécessairement toujours le cas.
[71] Par exemple, dans le cas où la police intercepte non pas une mais plusieurs commandes téléphoniques de drogue, le nombre d'appels peut très bien suffire dans certaines circonstances à établir la fiabilité — certes, même si [traduction] « [u]ne ou deux personnes ont pu se tromper, ou bien comploter pour faire accuser le défendeur de trafic de drogue », il serait « difficile de croire que tous les interlocuteurs ont commis la même erreur ou fomentent le même complot » : I. H. Dennis, The Law of Evidence (4 e éd. 2010), p. 708.
[72] En outre, le nombre d'appels peut aussi étayer le critère de nécessité. On ne saurait s'attendre, lorsque les déclarants sont nombreux, que le ministère public les trouve et les convainque tous ou presque tous de témoigner au procès, et ce, même dans la situation peu probable où ils auraient fourni leurs adresses, comme en l'espèce. Il ne faut pas oublier que les critères de nécessité et de fiabilité vont de pair; si la preuve est suffisamment fiable, l'exigence de nécessité peut être assouplie : voir Khelawon , par. 86, citant R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740, et R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764.
[73] En l'espèce, nous sommes en présence d'une seule commande téléphonique de drogue d'une fiabilité incertaine. L'auteur de l'appel a donné son adresse. La police n'a aucunement tenté de le trouver et de l'interroger, et encore moins de l'appeler à témoigner au procès — où le juge des faits aurait pu évaluer l'affirmation qu'on lui prête en lui faisant subir un contre‑interrogatoire et en observant son comportement.
VIII
[74] Manifestement, la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1) b )(iii) du Code criminel ne peut s'appliquer en l'espèce, vu qu'on ne saurait affirmer qu'il n'existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si le coup de fil en cause n'avait pas été admis : R. c. Bevan , [1993] 2 R.C.S. 599, p. 617.
[75] En effet, pour résumer, l'avocat du ministère public a qualifié l'appel téléphonique contesté d'élément de preuve le plus solide dans l'affaire (d.a., vol. IV, p. 127). Aux dires de l'avocat, [traduction] « en ce qui me concerne, la commande passée au numéro de cellulaire conclut l'affaire » (p. 138). En outre, le juge du procès a mentionné l'appel dans ses motifs et en a tenu compte pour évaluer la crédibilité de M. Baldree (d.a., vol. I, p. 29).
[76] Compte tenu de ce qui précède, on ne peut guère affirmer que l'admission irrégulière de cet élément de preuve n'a pas eu d'incidence sur l'issue du procès.
IX
[77] Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter l'appel, de confirmer le jugement de la Cour d'appel, d'annuler la déclaration de culpabilité de l'intimé et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
Version française des motifs rendus par
Le juge Moldaver —
I. Aperçu
[78] À l'instar de mon collègue, le juge Fish, je rejette en l'espèce la preuve relative à la commande téléphonique de drogue par application de la méthode d'analyse raisonnée en matière de ouï‑dire et je souscris pour l'essentiel à ses motifs. Tout particulièrement, je suis d'accord pour dire qu'une affirmation implicite d'un élément de fait est comprise dans le « contenu » d'une déclaration pour l'application de la règle du ouï‑dire. En effet, si les parties ne s'entendent pas sur ce point, c'est exactement ce que propose le procureur général de l'Ontario, intervenant en l'espèce.
[79] Cependant, je rédige des motifs distincts pour exprimer mes réserves sur la partie VII des motifs de mon collègue, où il traite des critères de nécessité et de fiabilité que comporte la méthode d'analyse raisonnée. Tout particulièrement, j'ai des réserves à propos de la démarche de mon collègue en matière de nécessité. Ce critère joue certes un rôle, mais un rôle qui n'est pas essentiel à l'admissibilité de commandes téléphoniques de drogue comme celle qui nous occupe en l'espèce. Dans ces cas, le véritable enjeu est celui de la fiabilité, et, à mon humble avis, c'est sur ce critère que devrait être axée notre analyse.
[80] Il faut commencer par reconnaître que nous qualifions aujourd'hui de preuve par ouï‑dire — et donc de preuve présumée inadmissible — des éléments que les tribunaux acceptent de longue date comme preuve circonstancielle. C'est un pas qu'il ne faut pas faire à la légère, mais je crois néanmoins que c'est le bon. Comme mon collègue le fait remarquer, qu'un élément de preuve donné soit classé ou non comme du ouï‑dire ne devrait pas dépendre du choix des mots employés par le déclarant (par. 42‑43). L'analyse devrait plutôt porter sur l'existence (ou l'inexistence) des dangers liés au ouï‑dire, compte tenu de l'objet pour lequel la déclaration extrajudiciaire est présentée en preuve.
[81] Par conséquent, je conviens que le juge doit évaluer la fiabilité d'une commande téléphonique de drogue au cas par cas. Si la preuve est fiable, elle doit être admise, car elle sera nécessaire pour permettre que l'on se rapproche de la vérité . Au contraire, si elle n'est pas fiable, elle doit être écartée. La seule différence entre hier et aujourd'hui devrait tenir au fait qu'en qualifiant l'affirmation implicite de ouï‑dire on évite le débat épineux consistant à déterminer ce que le déclarant avait l'intention ou non d'affirmer et on s'attache à la véritable question dans un cas comme celui qui nous occupe, c'est-à-dire celle de savoir [ traduction ] « si la preuve est suffisamment fiable pour justifier son admission » (A. W. Bryant, S. N. Lederman et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (3 e éd. 2009), p. 244).
[82] En l'espèce, pour les raisons que j'expliquerai, l'appel ne constitue pas un élément suffisamment fiable. Partant, je conviens qu'il aurait dû être écarté.
II. Analyse
A. C'est le seuil de fiabilité qui nous intéresse
[83] Il importe de bien établir les paramètres de l'analyse qui suit en précisant la véritable question en litige. En l'espèce, il est uniquement question du seuil de fiabilité, et non de la fiabilité en dernière analyse . À ce stade-ci, le tribunal décide seulement si l'appel téléphonique présente suffisamment d'indices de fiabilité pour donner au juge des faits « une base satisfaisante pour examiner la véracité de la déclaration » ( R. c. Hawkins , [1996] 3 R.C.S. 1043, par. 75). Le seuil de fiabilité doit son existence à la « craint[e] que la preuve par ouï‑dire non vérifiée se voie accorder plus de poids qu'elle n'en mérite » ( R. c. Khelawon , 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 35).
[84] Toutefois, une fois le seuil de fiabilité établi, la fiabilité en dernière analyse — notamment la question de savoir quel poids, s'il en est, accorder à la preuve — ressortit au juge des faits. Comme le fait remarquer la juge Charron dans Khelawon , par. 50 :
Il appartient au juge des faits de décider, à l'issue du procès, s'il s'en remettra, en fin de compte, à la déclaration relatée pour trancher les questions en litige, après l'avoir examinée en fonction de l'ensemble de la preuve.
B. Le traitement des commandes téléphoniques de drogue à ce jour
[85] Comme le dit le juge Watt de la Cour d'appel, dissident, la question que soulève une commande téléphonique de drogue — en particulier celle de savoir si elle est susceptible de contenir une affirmation implicite — [ traduction ] « n'a guère, voire jamais, joué de rôle » dans la jurisprudence à ce jour (2012 ONCA 138, 109 O.R. (3d) 721, par. 53). Néanmoins, ainsi que le signale mon collègue, le juge Fish, des éléments de preuve du type de celui qui nous intéresse en l'espèce ont été admis dans une foule d'affaires, au motif qu'ils ne constituaient pas du ouï‑dire (par. 54). Voir, p. ex., R. c. Owad (1951), 102 C.C.C. 155 (C.A. Ont.); R. c. Fialkow , [1963] 2 C.C.C. 42 (C.A. Ont.); R. c. Cook (1978), 46 C.C.C. (2d) 318 (C.A.C.‑B.); R. c. Edwards (1994), 19 O.R. (3d) 239 (C.A.); R. c. Nguyen , 2003 BCCA 556, 188 B.C.A.C. 218; R. c. Williams , 2009 BCCA 284, 273 B.C.A.C. 86; R. c. Lucia , 2010 ONCA 533 (CanLII); R. c. Graham , 2013 BCCA 75 (CanLII).
[86] Ces arrêts m'amènent à m'interroger. Se peut‑il que nous ayons tort depuis si longtemps?
[87] Comme j'estime pouvoir conclure sans risque de me tromper que les juges n'ont pas l'habitude d'admettre des preuves qu'ils ne tiennent pas pour fiables, je suis porté à croire que ces arrêts antérieurs reposent sur la conclusion — souvent implicite, mais parfois expresse — que les commandes téléphoniques de drogue sont intrinsèquement fiables. Il se peut que ces arrêts reflètent un consensus judiciaire implicite — ressorti de multiples décisions rendues sur de multiples décennies — voulant que, comme ce type de preuve se révèle fiable plus souvent qu'autrement, on puisse considérer sans danger qu'il ne constitue pas du ouï‑dire. La juge Feldman de la Cour d'appel a présenté une thèse semblable dans ses motifs (par. 131).
[88] L'arrêt Edwards constitue un bon exemple d'une conclusion expresse quant à la fiabilité de ce genre d'appels. Il s'agissait dans cette affaire de déterminer si [ traduction ] « un certain nombre d'appels [faits au numéro de téléphone de l'accusé] provenant de personnes intéressées à acheter de petites quantités de crack » étaient admissibles pour prouver que l'accusé était un trafiquant de drogue (p. 243). Bien que la juge McKinlay de la Cour d'appel ait statué que la preuve n'était pas présentée pour démontrer la véracité de son contenu et, partant, ne constituait pas du ouï‑dire, subsidiairement, elle a conclu à l'admissibilité de la preuve en application de la méthode d'analyse raisonnée :
[ traduction ] À mon avis, la preuve en cause respecte ces critères. Il était nécessaire de prouver la nature des activités de l'appelant relatives à la drogue, et il n'existait en l'espèce aucun autre moyen pour la police de le faire. La police ne connaissait pas l'identité des auteurs des appels et, de toute manière, même si leur identité avait été connue, il aurait été improbable qu'ils acceptent de témoigner. La preuve est fiable parce qu'elle a été recueillie dans des circonstances écartant toute possibilité de commandes fallacieuses. Les auteurs des appels ont été amenés à croire que leurs interlocuteurs (les policiers) agissaient pour le compte de l'appelant. [Je souligne; p. 249.]
[89] Dans la mesure où les autres affaires reflètent le point de vue de la juge McKinlay de la Cour d'appel sur la fiabilité de ce genre d'appels, elles vont dans le même sens que les dispositions réglementaires et législatives expresses adoptées à cet égard dans d'autres ressorts. Voir, p. ex., Federal Rules of Evidence (É.-U.), règle 801; Criminal Justice Act 2003 (R.‑U.), 2003, ch. 44, art. 115. Un traité reconnu des Federal Rules of Evidence des États-Unis explique ainsi l'exclusion générale des affirmations implicites de la définition du ouï‑dire prévue dans les règles :
[ traduction ] . . . prenons le cas d'une personne qui pose un geste sur la foi d'une croyance, mais sans avoir l'intention de communiquer cette croyance par son geste. L'une des principales raisons qui sous-tendent la règle du ouï‑dire — à savoir écarter les déclarations dont la véracité ne peut subir l'épreuve du contre‑interrogatoire — ne s'applique pas, car la sincérité du déclarant n'est alors pas mise en cause. [Je souligne.]
(J. B. Weinstein et M. A. Berger, Weinstein's Evidence : Commentary on Rules of Evidence for the United States Courts and for State Courts (feuilles mobiles), vol. 4, § 801(a)(01))
Voir également McCormick on Evidence (7 e éd. 2013), vol. 2 (selon qui la définition prévue à la règle 801 constitue [ traduction ] « un compromis entre la théorie et le besoin d'établir une définition relativement simple et applicable aux situations où les dangers liés au ouï‑dire sont généralement atténués », p. 208‑209); I. H. Dennis, The Law of Evidence (4 e éd. 2010) (selon qui puisque [ traduction ] « les dangers liés au ouï‑dire sont souvent considérablement atténués dans le cas d'une affirmation implicite, aucune raison systémique ne milite en faveur de l'application de la règle du ouï‑dire à ce genre d'affirmation », p. 710).
[90] En effet, le Code de la preuve proposé en 1975 par la Commission de réforme du droit du Canada s'inscrivait dans la même lignée. Sa définition du ouï‑dire excluait donc l'affirmation implicite — verbale ou non. Voir l'al. 27(2) b ) du Code de la preuve dans le Rapport sur la preuve (1975). Les commissaires, dont Antonio Lamer, qui est par la suite devenu l'un des principaux architectes de la méthode d'analyse raisonnée applicable au ouï‑dire, ont conclu en ces termes :
. . . comme le précise la définition, le comportement d'un individu ou les paroles prononcées par lui ne constituent pas du ouï‑dire s'il n'avait pas l'intention de leur conférer valeur d'affirmation. Il n'en demeure pas moins qu'en évaluant la fiabilité de ce genre de preuve, on peut avoir à tenir compte des risques inhérents à la preuve de ouï‑dire. [. . .] [À] l'encontre d'une assertion faite consciemment, une activité n'ayant pas valeur d'affirmation cherche rarement à induire en erreur; or c'est ce qui constitue le principal danger associé au ouï‑dire. En excluant le comportement qui ne tient pas lieu d'affirmation, la définition contenue au présent Code adopte l'optique la meilleure. [Je souligne; p. 78.]
[91] Cependant, ce raisonnement présente une lacune importante. C'est qu'il faut distinguer lorsqu'il s'agit de ouï‑dire, comme en l'espèce, entre le fait qu'un élément est vrai et la croyance du déclarant quant à la véracité de cet élément. Pour reprendre les propos du professeur McCormick :
[ traduction ] C'est seulement lorsque la déclaration est présentée pour appuyer les inférences selon lesquelles le déclarant y ajoute foi , premièrement, et que les faits confirment cette croyance, deuxièmement, que la déclaration constituera du ouï‑dire. [En italique dans l'original.]
(C. T. McCormick, « The Borderland of Hearsay » (1930), 39 Yale L.J. 489, p. 490)
[92] Ainsi, nos préoccupations relatives à la fiabilité d'une déclaration relatée sont de deux ordres. Premièrement, il se peut que la déclarante ne croie pas ce qu'elle affirme et donc qu'elle mente sciemment (le danger relatif à la sincérité). Deuxièmement, même si elle croit ce qu'elle affirme, il se peut qu'elle se trompe sur les faits qu'elle relate (les dangers relatifs à la perception, à la mémoire et à la relation du fait). Comme le font remarquer certains auteurs, c'est cette deuxième préoccupation qui a parfois été négligée. Voir, p. ex., S. Schiff, « Evidence — Hearsay and the Hearsay Rule : A Functional View » (1978), 56 R. du B. can. 674, p. 683, note 33 (où l'auteur critique la définition élaborée dans le Code de la preuve parce qu'elle [ traduction ] « fait fi de toutes les raisons justifiant l'application de la règle du ouï‑dire sauf le danger d'insincérité du déclarant »).
[93] Il me semble que cette deuxième préoccupation a mené à la décision dans l'arrêt R. c. Wilson (1996), 29 O.R. (3d) 97 (C.A.). Dans cette affaire, le ministère public cherchait à faire admettre une preuve révélant que, pendant que les policiers se trouvaient au domicile de l'accusé, [ traduction ] « un homme s'est présenté à la porte pour voir “Rob” et acheter de la drogue » (p. 104). L'accusé s'appelait Robert Wilson. Le juge du procès a admis la preuve, suivant l'arrêt Edwards , mais la Cour d'appel a infirmé sa décision. De l'avis du juge McMurtry, juge en chef de l'Ontario, il était [ traduction ] « hasardeux » et « imprudent » de conclure d'une seule visite que l'accusé vendait de la drogue (p. 104-105).
[94] Fait intéressant cependant, le juge McMurtry n'était nullement déconcerté par le résultat dans l'affaire Edwards . À son avis, dans ce cas, la preuve de [ traduction ] « dix appels distincts » entraînait « irrésistiblement une inférence » quant à la nature des activités de l'accusé (p. 104). Certes, s'il est possible qu'une personne croie à tort que le destinataire de son appel (ou de sa visite) est un trafiquant de drogue, on peut difficilement conclure que dix personnes pourraient toutes s'être trompées. Voir D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (6 e éd. 2011), p. 111‑112; Dennis, p. 707-709.
[95] Autrement dit, ce qui distingue Edwards de Wilson est le fait que la preuve a été jugée fiable dans un cas et non dans l'autre. Cette appréciation a dicté la décision sur l'admissibilité, et, à mon avis, c'est à une telle appréciation que nous devons nous attacher.
C. Quel est le rôle du critère de nécessité?
[96] J'en viens donc à la question de la nécessité. Il vaut la peine de rappeler que « l'exclusion dont les déclarations relatées sont présumées faire l'objet tient essentiellement à l'incapacité générale d'en vérifier la fiabilité » ( Khelawon , par. 2 (je souligne)). Bien sûr, il ne faut pas entendre par là que le critère de nécessité ne constitue plus un élément préalable à l'admission de la preuve par ouï‑dire, ce qui serait faux. Du reste, la Cour a dit que « la nécessité et la fiabilité ne devraient pas être examinées séparément » parce qu'« [u]n critère peut influer sur l'autre » (par. 77). En effet, elle a reconnu que « [p]ar souci de recherche de la vérité, il [peut se révéler] nécessaire d'admettre quant au fond [une] déclaration en raison de sa très grande fiabilité » (par. 86 (je souligne), renvoyant aux arrêts R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740, et R. c. U. (F.J.) , [1995] 3 R.C.S. 764). C'est le principe que je suis d'avis d'appliquer en l'espèce.
[97] Cependant, mon collègue attribue au critère de nécessité un rôle élargi dans un cas comme en l'espèce. Il cite les propos de la juge Charron dans Khelawon , par. 104, selon qui : « . . . dans une instance appropriée , il se peut bien que, pour trancher la question de la nécessité, le tribunal se demande si la partie qui veut présenter la preuve a déployé tous les efforts raisonnables pour préserver la preuve du déclarant de manière à préserver également les droits de l'autre partie » (je souligne). De ce passage, mon collègue tire la conclusion suivante, au par. 68 :
Nous sommes en présence en l'espèce du genre d'« instance appropriée » dont il est question dans l'affaire Khelawon . Et, le fin mot dans cette histoire, c'est que la police n'a fait aucun effort pour obtenir le témoignage du déclarant, n'a pas cherché à l'interroger ni même à le trouver, même si celui‑ci avait indiqué son adresse . [En italique dans l'original; je souligne.]
[98] En toute déférence, je ne suis pas du tout convaincu que nous sommes en présence du genre d'« instance appropriée » que la juge Charron avait à l'esprit quand elle a rédigé ce passage dans Khelawon .
[99] Dans l'affaire Khelawon , le déclarant était un vieillard frêle de 81 ans qui vivait dans une résidence pour personnes âgées depuis un accident vasculaire cérébral. Il est décédé avant la tenue du procès et ne pouvait donc être cité à témoigner. Toutefois, le ministère public a demandé que soit admise, en application de la méthode d'analyse raisonnée, une déclaration vidéo faite sans prêter serment par le déclarant à la police au cours de l'enquête. C'est dans ce contexte que la juge Charron a fait la remarque suivante, au par. 104 :
Même si M. Skupien était âgé et frêle au moment de ses allégations, rien ne prouve que le ministère public a tenté de préserver son témoignage en application des art. 709 à 714 du Code criminel . M. Skupien n'a pas témoigné à l'enquête préliminaire. Le dossier n'indique pas s'il était décédé à cette époque. En faisant ces commentaires, je ne remets pas en question la nécessité pour le ministère public de recourir au témoignage sous forme relatée de M. Skupien. Je reconnais que c'était nécessaire. Toutefois, dans une instance appropriée, il se peut bien que, pour trancher la question de la nécessité, le tribunal se demande si la partie qui veut présenter la preuve a déployé tous les efforts raisonnables pour préserver la preuve du déclarant de manière à préserver également les droits de l'autre partie. Cette question ne se pose pas en l'espèce. [Je souligne.]
[100] Il me semble que la juge Charron voulait préciser que, même si les policiers auraient raisonnablement dû s'attendre à ce que le déclarant ne puisse assister au procès — « M. Skupien était âgé et frêle » —, ils n'ont pris aucune mesure pour obtenir de lui une déclaration améliorée sur le plan de la forme, et ce, sachant qu'il serait probablement disposé à collaborer. Comme le fait remarquer la juge Charron, les art. 709 à 714 du Code criminel « envisagent expressément cette éventualité et établissent une procédure de prise de déposition par un commissaire en présence de l'accusé ou de son avocat, ce qui permet de préserver à la fois la preuve et les droits de l'accusé » (par. 7 (je souligne)).
[101] Ainsi, les faits de l'affaire Khelawon sont très différents de ceux de la présente espèce. C'est pourquoi il ne faut pas accepter d'emblée qu'une demande adressée à la police et jugée parfaitement raisonnable dans un cas le sera nécessairement dans un autre.
[102] À mon humble avis, c'est là que l'analogie avec l'affaire Khelawon s'arrête. La police y traitait avec un déclarant connu qui était tout à fait disposé à collaborer. En l'espèce, le déclarant n'était pas connu et, même si la police avait pu le repérer — ce dont je doute grandement — rien n'indique qu'il aurait été disposé à collaborer. En fait, le contraire est plus probable.
[103] À la lumière de ce qui précède, il vaut la peine de rappeler — et c'est ce que la juge Charron a affirmé elle‑même peu de temps après la publication de l'arrêt Khelawon — que le critère de nécessité vise à déterminer non pas si la déclaration relatée constitue la meilleure forme de preuve (car le témoignage de vive voix l'est toujours), mais s'il s'agit de « la meilleure forme possible » dans les circonstances ( R. c. Couture , 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 79 (je souligne)).
[104] La question qui se pose alors est la suivante : faut‑il exiger de la police, au nom de la nécessité, qu'elle déniche un déclarant inconnu — et souvent impossible à identifier — qui sera probablement impossible à trouver et — à supposer qu'il soit trouvé — ne sera probablement pas disposé à collaborer?
[105] La réponse à cette question se trouve à mon avis dans les motifs de la juge McKinlay de la Cour d'appel dans l'arrêt Edwards :
[ traduction ] [La police] ne connaissait pas l'identité des auteurs des appels et, de toute façon, si elle l'avait connue, il est peu probable qu'ils eussent témoigné. [p. 249]
À mon humble avis, la logique de la juge McKinlay tient, même au vu des faits de l'espèce.
[106] Certes, il est vrai qu'en l'espèce la police disposait de l'adresse de l'auteur de l'appel, mais elle ne connaissait pas son identité. La police n'allait tout de même pas se présenter au 327, rue Guy, pour demander laquelle des personnes qui s'y trouvaient voulait acheter de la drogue de Chris Baldree. Mis à part les préoccupations liées à la sécurité des agents, notons que les chances que la police trouve le déclarant semblent limitées, et les chances que ce dernier soit disposé à collaborer, le cas échéant, le sont davantage encore. L'organisation d'une opération secrète d'achat de drogue poserait d'autres problèmes, étant donné le nombre d'agents nécessaires pour la mener et les risques évidents pour la sécurité de ces derniers inhérents à ce genre d'opérations.
[107] Dans un cas comme dans l'autre, le jeu n'en vaudrait guère la chandelle. Et cela, selon moi, suffit pour répondre pleinement à la préoccupation concernant l'absence d'explication fournie par la police quant à sa décision de ne prendre aucune mesure pour trouver le déclarant. En toute déférence, j'estime qu'aucune explication n'était nécessaire si ce n'est celle que dicte le bon sens. S'il y a peu de chances de trouver le déclarant et, le cas échéant, peu de chances qu'il soit disposé à fournir à la police une preuve d'une qualité supérieure à l'appel téléphonique en soi (p. ex. une déclaration de type B. (K.G . ) ou un témoignage de vive voix), il aura été satisfait au critère de nécessité.
[108] La suggestion de mon collègue selon laquelle, même dans les cas présentant de multiples appels , on pourrait s'attendre de la police qu'elle trouve et tente de persuader au moins quelques‑uns des auteurs de témoigner (par. 72) pose également problème. En toute déférence, je considère une telle action, si elle n'est pas justifiée par des indices de collusion, comme étant inutile. Ce n'est rien d'autre qu'une mesure prise pour la forme. Ce n'est pas ce qu'exige — et ce que devrait exiger — le critère de nécessité.
[109] Au fond, le fait est que ce critère ne vise pas à entraver l'admission d'éléments de preuve fiables. Au contraire, il « repose sur l'intérêt qu'a la société à découvrir la vérité » ( Khelawon , par. 49). La nécessité est au service de la vérité, elle ne prévaut pas contre elle. C'est pourquoi, dans un cas comme celui qui nous occupe — où les chances de dénicher et d'identifier l'auteur d'un appel, de trouver en lui un témoin disposé à collaborer et d'obtenir de sa part des renseignements exacts sont minces —, la preuve qui se révèle fiable devrait être admise, car elle sera nécessaire pour permettre que l'on se rapproche de la vérité. Par contre, si la preuve n'est pas fiable, elle doit être écartée. D'une manière ou d'une autre, l'analyse doit à mon avis être axée sur la fiabilité.
D. L'appel en l'espèce était‑il fiable?
[110] On peut évaluer la fiabilité d'une déclaration relatée au regard, entre autres, des circonstances y ayant donné naissance. On peut sonder les termes mêmes de la déclaration pour y déceler des indices de fiabilité. Le droit prévoit également la possibilité de trouver de tels indices au‑delà de la déclaration, sous la forme d'une preuve corroborante ( Khelawon , par. 100).
[111] Selon le ministère public, l'appel était suffisamment fiable pour en justifier l'admission. Tout particulièrement, il invoque l'absence de toute preuve tendant à démontrer que [ traduction ] « l'auteur de l'appel était animé par quoi que ce soit d'autre que l'envie d'acheter de la drogue » et l'argument selon lequel « la spontanéité de la conversation témoigne de circonstances où la possibilité d'un mensonge intentionnel était infime » (m.a., par. 82).
[112] L'argument présente un certain intérêt. Comme on l'a vu, il existe de bonnes raisons de croire que le danger relatif à la sincérité est atténué dans un cas comme la présente espèce. Cela étant dit, M. Baldree fait valoir que les circonstances entourant l'appel suffisent pour soulever une préoccupation quant à la possibilité que le coup de fil ait [ traduction ] « visé à éveiller les soupçons » à son égard (m.i., par. 85).
[113] Selon le dossier, une certaine incertitude régnait au départ sur les rôles respectifs des deux Chris — Baldree et Anderson — en rapport avec la drogue découverte dans l'appartement. Dans son témoignage, le sergent Martelle a déclaré que M. Anderson était connu pour [ traduction ] « vend[re] [. . .] ce genre de drogue » (d.a., vol. II, p. 106). Il semblait jouir d'une certaine réputation, connu « dans la rue » sous le surnom « le Mexicain » (p. 59).
[114] L'argument de M. Baldree ne suffit pas à lui seul à mettre en doute la fiabilité de l'appel. Par exemple, il n'a pas tenté d'expliquer comment M. Anderson — ou quiconque — aurait pu orchestrer le coup de fil trompeur alors que la police avait confisqué tous les téléphones cellulaires en procédant aux arrestations et que les autres n'ont été remis en liberté qu' après l'appel. Si la police avait relâché l'un des deux acolytes de M. Anderson avant l'appel au numéro de M. Baldree, il en aurait été autrement, mais ce n'était pas le cas.
[115] Par conséquent, il faut s'abstenir de conclure à des circonstances suspectes dans ce genre de cas en l'absence de tout élément de preuve en ce sens. Si notre démarche permettait de telles inférences, nombre des exceptions traditionnelles à la règle du ouï‑dire ne tiendraient plus. Il va sans dire qu'un homme à l'article de la mort a toujours la faculté de mentir. Et pourtant, dans le cas de la déclaration d'un mourant, on ne se perd pas en conjectures sur la possibilité d'une fausse déclaration. Au contraire, il est reconnu en droit que les raisons susceptibles de pousser au mensonge dans de telles circonstances sont tout au plus infimes ( R. c. Woodcock (1789), 1 Leach 500, 168 E.R. 352 (B.R.), p. 353). Autrement dit, on reconnaît une norme régissant le comportement humain pour ce qu'elle est, à savoir une norme.
[116] Bref, nos règles étant élaborées en fonction non pas de possibilités hypothétiques, mais bien de réalités pratiques, une commande téléphonique de drogue, de par sa simple nature, ne devrait pas éveiller de soupçons quant à son authenticité. S'il incombe à la personne voulant faire admettre la preuve de démontrer que cette dernière est suffisamment fiable pour que son admission se justifie, à mon avis « il incombe à la personne qui s'oppose à l'admission de la preuve de démontrer l'existence de circonstances douteuses » ( R. c. Starr , 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, par. 8, la juge en chef McLachlin). En l'espèce, le dossier ne présente pas suffisamment d'éléments pour justifier qu'on se soucie des circonstances entourant l'appel fait au numéro de M. Baldree.
[117] Cependant, apprécier la sincérité de la croyance de l'auteur du coup de fil ne permet pas de régler la question, et, finalement, c'est en quoi l'argument du ministère public ne me convainc pas.
[118] En l'espèce, le ministère public tentait de faire admettre en preuve la commande téléphonique de drogue pour démontrer, non pas simplement que l'auteur de l'appel croyait que M. Baldree était un trafiquant de drogue (un élément d'une valeur limitée pour la poursuite), mais que M. Baldree l'était dans les faits (une preuve d'une importance considérable). En effet, même s'il a qualifié cet élément de preuve circonstancielle, le juge du procès a reconnu à juste titre qu'il visait à établir que M. Baldree est [ traduction ] « impliqué dans le trafic de drogue » (d.a., vol. I, p. 23 (italiques ajoutés)). C'est sur le fondement de ce fait que le ministère public cherchait à faire conclure que M. Baldree avait en sa possession la cocaïne et la marihuana trouvées dans l'appartement.
[119] La faille dans l'argument du ministère public tient à ce qu'il n'éclaire guère sur la fiabilité de l'affirmation selon laquelle M. Baldree est dans les faits un trafiquant de drogue. Son argument pèse davantage lorsqu'il s'agit de démontrer le fait que l'auteur de l'appel avait l'intention d'acheter de la drogue . Partant, la déclaration aurait été admissible à titre de déclaration d'intention si le ministère public l'avait présentée à cette fin (voir, p. ex., R. c. Ly , [1997] 3 R.C.S. 698). Or, comme le fait observer la juge Feldman de la Cour d'appel, ce n'est pas dans cette optique qu'il l'invoquait (par. 144).
[120] Autrement dit, la faiblesse dans l'argument du ministère public tient à ce que, même si l'auteur de l'appel croyait sincèrement que M. Baldree était un trafiquant de drogue, la raison motivant une telle croyance , et la véracité de cette dernière, ne sont pas étayées. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une affaire où de multiples appels ont été interceptés et où le bon sens dicte d'écarter pour improbable la possibilité d'une erreur de la part des nombreux auteurs d'appel. En outre, nous ne disposons pas d'indices de fiabilité suffisants, ni dans les termes mêmes de la déclaration, ni sous forme de preuve corroborante.
[121] Par conséquent, en l'absence d'autres éléments, accepter l'argument du ministère public — que l'appel satisfait au seuil de fiabilité et, partant, que son admission était justifiée à titre d'élément tendant à prouver au fond que M. Baldree trempait dans le trafic de drogue, équivaudrait à mon avis à franchir un trop grand pas.
E. Un seul appel peut‑il parfois se révéler fiable?
[122] Si en l'espèce le coup de fil n'atteint pas le seuil nécessaire pour être admissible, il ne faudra pas nécessairement de multiples appels pour établir l'admissibilité. En effet, selon la méthode d'analyse raisonnée, même une seule commande téléphonique de drogue pourrait respecter ce seuil. Je tenterai d'illustrer ma thèse à l'aide des faits de la présente affaire.
[123] Comme je le mentionne précédemment, il manque dans l'échange téléphonique un élément venant confirmer que M. Baldree était dans les faits un trafiquant de drogue. L'échange en soi présente trop peu de gages circonstanciels de fiabilité et il n'existe guère d'éléments de preuve externes, voire aucun, tendant à confirmer une telle thèse. En revanche, si l'auteur de l'appel avait refusé l'offre de livraison et avait plutôt demandé s'il pouvait « passer prendre la drogue chez Eric », cet élément aurait peut-être suffi, car il aurait révélé davantage de familiarité avec M. Baldree et ses activités, y compris la connaissance actuelle du déménagement récent de ce dernier à l'appartement de M. Lepage. Si on avait trouvé dans l'appartement de ce dernier une liste de dettes portant les empreintes digitales de M. Baldree, cela aurait également pu faire l'affaire, à titre de preuve corroborante que M. Baldree trempe dans le trafic de drogue. Il est possible d'imaginer d'autres scénarios.
[124] Mon propos est simplement le suivant : si les circonstances avaient été quelque peu différentes, elles auraient pu permettre de déterminer si l'auteur de l'appel croyait que M. Baldree était un trafiquant de drogue et si sa croyance était vraie dans les faits . Voilà ce qu'il faut pour satisfaire au seuil de fiabilité. Outre les éléments factuels de la présente affaire, nous ne pouvons prédire les circonstances susceptibles d'entourer à l'avenir un autre coup de fil. Je fais donc une mise en garde contre l'idée que seuls de multiples appels peuvent constituer une preuve fiable.
III. Conclusion
[125] Sous réserve des commentaires formulés dans les présentes, je souscris aux motifs de mon collègue. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter l'appel.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelante : Service des poursuites pénales du Canada, Brampton.
Procureurs de l'intimé : Foord Davies, Ottawa.
Procureur de l'intervenant : Procureur général de l'Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2013 CSC 35 ?
Date de la décision : 19/06/2013
Proposition de citation de la décision: R. c. Baldree


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2013-06-19;2013.csc.35 ?

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