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08/04/2022 | CANADA | N°2022CSC11

Canada | Canada, Cour suprême, 8 avril 2022, R. c. Stairs, 2022 CSC 11


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Stairs, 2022 CSC 11

 

 
Appel entendu : 2 novembre 2021
Jugement rendu : 8 avril 2022
Dossier : 39416


 
Entre :
 
Matthew Stairs
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario et Association canadienne des libertés civiles
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal


Motifs de jugement conjoints :
(par. 1 à 103)

Les juges Moldaver et Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Rowe et Kasirer)


 

 


Motifs concordants ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Stairs, 2022 CSC 11

 

 
Appel entendu : 2 novembre 2021
Jugement rendu : 8 avril 2022
Dossier : 39416

 
Entre :
 
Matthew Stairs
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario et Association canadienne des libertés civiles
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement conjoints :
(par. 1 à 103)

Les juges Moldaver et Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Rowe et Kasirer)

 

 

Motifs concordants :
(par. 159 à 177)

La juge Côté

 

 

Motifs dissidents :
(par. 104 à 158)

La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Brown et Martin)

 
 
 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Matthew Stairs                                                                                                Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée
et
Procureur général de l’Ontario et
Association canadienne des libertés civiles                                             Intervenants
Répertorié : R. c. Stairs
2022 CSC 11
No du greffe : 39416.
2021 : 2 novembre; 2022 : 8 avril.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Fouille accessoire à l’arrestation — Accusé arrêté par les policiers dans le sous‑sol de sa maison à la suite d’un signalement de violence conjugale — Exécution par les policiers dans la salle de séjour du sous‑sol d’une fouille de sécurité menant à la découverte de méthamphétamine — Accusé déclaré coupable de possession d’une substance désignée en vue d’en faire le trafic — La norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation devrait‑elle être modifiée lorsque la fouille est effectuée dans un domicile? — La fouille de sécurité dans la salle de séjour du sous‑sol était‑elle une fouille légale effectuée accessoirement à l’arrestation? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 8.
               Une personne a appelé au 9‑1‑1 pour signaler un homme frappant à plusieurs reprises une femme dans une voiture. Les policiers ont retrouvé la voiture stationnée dans l’entrée d’une maison. Ils ont frappé à la porte avant de la maison et ont annoncé leur présence d’une voix forte, mais personne n’est venu répondre. Craignant pour la sécurité de la femme, ils sont entrés dans la maison. Une femme présentant des blessures récentes au visage est montée de l’escalier du sous‑sol. L’accusé a ensuite couru du pied de l’escalier jusqu’à la salle de lavage du sous‑sol, où il s’est barricadé et où il a été arrêté peu de temps après. Après l’arrestation, les policiers ont effectué une inspection visuelle à des fins sécuritaires de la salle de séjour du sous‑sol, d’où venaient d’arriver l’accusé et la femme. Lors de l’inspection, ils ont aperçu un contenant transparent et un sac de plastique bien en vue renfermant de la méthamphétamine. L’accusé a été inculpé de possession d’une substance désignée en vue d’en faire le trafic, de voies de fait et de défaut de se conformer à une ordonnance de probation.
                    L’accusé a présenté une demande préalable au procès où il alléguait, notamment, des violations de son droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garanti par l’art. 8 de la Charte. La juge du procès n’a constaté aucune violation de l’art. 8 et aucune raison d’écarter la méthamphétamine. Elle a conclu qu’il n’y avait rien d’abusif à ce que les policiers inspectent rapidement du regard la salle de séjour du sous‑sol après l’arrestation de l’accusé, que la fouille avait un objectif valable et que la fouille et la saisie subséquente étaient légales. L’accusé a été déclaré coupable de toutes les accusations. Il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité pour l’infraction liée aux drogues, faisant valoir que les éléments de preuve relatifs à celles‑ci avaient été admis à tort. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé la déclaration de culpabilité, concluant que la fouille et la saisie subséquente de la méthamphétamine n’avaient pas porté atteinte aux droits que l’art. 8 de la Charte garantit à l’accusé. Les juges majoritaires étaient d’avis que la fouille était une fouille accessoire à une arrestation légale, que la norme de common law relative à de telles fouilles s’appliquait et que la fouille de la salle de séjour du sous‑sol satisfaisait à cette norme.
                    Arrêt (les juges Karakatsanis, Brown et Martin sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Rowe, Kasirer et Jamal : La norme fondamentale de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation continue de s’appliquer lorsque les policiers effectuent une fouille dans un espace du domicile de la personne arrêtée qui relève du contrôle physique de celle-ci. La norme de common law permet aux policiers de fouiller la personne légalement mise en état d’arrestation et de saisir les objets en sa possession ou se trouvant dans l’espace environnant l’arrestation dans le but d’assurer la sécurité des policiers et de la personne en état d’arrestation, d’empêcher l’évasion de cette dernière ou encore de constituer une preuve contre elle. Plus particulièrement, elle permet la fouille de la personne arrêtée et de l’espace environnant l’arrestation lorsque : (1) l’arrestation est légale; (2) la fouille est accessoire à l’arrestation, de sorte qu’il y a un fondement raisonnable à la fouille qui est lié à l’arrestation, et celle‑ci vise un objectif valable d’application de la loi, notamment la sécurité, ou la préservation ou la découverte d’éléments de preuve; et (3) la nature et l’étendue de la fouille sont raisonnables.
                    Cependant, lorsque l’espace du domicile de la personne arrêtée visé par la fouille est hors du contrôle physique de celle-ci au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation doit être modifiée pour être constitutionnelle au titre de l’art. 8 de la Charte. La distinction entre les espaces du domicile relevant du contrôle physique de la personne arrêtée et ceux se trouvant hors du contrôle physique de celle‑ci vise la reconnaissance du fait que plus la fouille sans mandat dans un domicile est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. La question clé pour déterminer si un espace a un lien suffisant avec l’arrestation est de savoir s’il y a un lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation. L’analyse est hautement contextuelle; la décision doit être prise en fonction d’une démarche téléologique afin que les policiers puissent répondre adéquatement à une grande variété de situations factuelles pouvant survenir. Selon les circonstances, l’espace environnant peut être plus ou moins vaste.
                    Plus particulièrement, lorsque l’espace du domicile visé par la fouille accessoire à l’arrestation est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation doit être modifiée de deux façons qui la rendent plus rigoureuse. D’abord, les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité ou celle de la personne arrêtée ou du public, qu’une fouille permettrait d’éviter. La norme des soupçons raisonnables est plus rigoureuse que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation. Les policiers ont besoin d’un ensemble de faits objectivement discernables appréciés à la lumière de toutes les circonstances donnant lieu au risque soupçonné. Les considérations suivantes pourraient être pertinentes : a) la nécessité d’une fouille; b) la nature du risque appréhendé; c) les conséquences potentielles de l’absence de prise de mesures de protection; d) l’existence d’autres mesures; et e) la probabilité que le risque envisagé existe réellement. De plus, lorsque le juge chargé de la révision évalue la conduite des policiers, il doit être conscient de l’instabilité et de l’incertitude auxquelles ceux‑ci font face — les policiers doivent s’attendre à l’inattendu.
                    Ensuite, les policiers doivent adapter soigneusement les fouilles qu’ils effectuent dans un domicile accessoirement à une arrestation aux intérêts accrus en matière de respect de la vie privée qui s’y rattachent. Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation permet seulement aux policiers de le faire dans l’espace environnant l’arrestation. La nature de la fouille doit être adaptée à son objectif précis, aux circonstances de l’arrestation et à la nature de l’infraction. La fouille ne devrait pas être plus attentatoire que nécessaire pour écarter les soupçons raisonnables des policiers.
                    En l’espèce, la fouille dans la salle de séjour du sous-sol respectait la norme des soupçons raisonnables, tant pour ce qui est de son élément subjectif que de son élément objectif. La juge du procès pouvait conclure que les policiers avaient subjectivement cru qu’il y avait un risque pour la sécurité qui pouvait être écarté en effectuant une fouille dans la salle de séjour, qui était un objectif valable d’application de la loi. La juge du procès pouvait aussi conclure qu’il était objectivement raisonnable que les policiers vérifient que l’endroit ne contenait aucun risque ou autre occupant. La dynamique avant et pendant l’arrestation et la nature de l’infraction pour laquelle l’accusé a été arrêté étaient des facteurs qui occupaient une place importante dans l’analyse des raisons de soupçonner. La situation était instable et évoluait rapidement, et l’accusé a été arrêté pour voies de fait contre sa conjointe. Dans les cas de violence familiale, les policiers se soucient non seulement du respect de la vie privée et de l’autonomie de la personne arrêtée, mais ils doivent aussi être vigilants quant à la sécurité de tous les membres du ménage, y compris les victimes connues et les victimes potentielles. De plus, la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive. Elle a eu lieu tout de suite après l’arrestation et les policiers ont simplement effectué une inspection visuelle de la salle de séjour afin de s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce et qu’il n’y avait pas d’armes ou de dangers. L’étendue spatiale de la fouille était juste : la salle de séjour faisait partie de l’espace environnant l’arrestation, elle semblait être un espace commun de séjour, et les policiers ont procédé à une fouille des plus sommaires, qui était la moins attentatoire possible.
                    La fouille dans la salle de séjour effectuée accessoirement à l’arrestation ne violait pas le droit que l’art. 8 de la Charte garantit à l’accusé, et les éléments de preuve trouvés lors de la fouille dans la salle de séjour ont donc été dûment admis au procès.
                    Les juges Karakatsanis, Brown et Martin (dissidents) : Le pourvoi devrait être accueilli, la déclaration de culpabilité de l’accusé pour possession d’une substance désignée en vue d’en faire le trafic devrait être annulée et un verdict d’acquittement devrait être inscrit. La fouille et les saisies sans mandat effectuées par les policiers ne respectaient pas l’art. 8 de la Charte. La preuve devrait être exclue en application du par. 24(2) de la Charte, en ce que l’admission de celle‑ci est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
                    L’exigence de mandat est un contrepoids fondamental aux pouvoirs des policiers, et une pierre angulaire de l’ordre constitutionnel du Canada. Toute exception devrait être extrêmement rare. Toutefois, certaines exceptions existent, notamment le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation. Dans certains cas, la Cour a modifié ou adapté le cadre d’analyse de common law pour tenir compte d’intérêts individuels particulièrement impérieux. Les intérêts considérables au respect de la vie privée dans une habitation commandent la modification de la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation. Le domicile est le lieu où se déroulent les activités les plus intimes des gens : il est à la fois un abri contre le monde extérieur et un dossier biographique, et son caractère sacré est indispensable. Toutefois, bien que les intérêts au respect de la vie privée dans une habitation soient importants, les intérêts à la protection de la sécurité des policiers et du public le sont tout autant. Les policiers doivent pouvoir parer aux risques susceptibles de se présenter dans des environnements inconnus et potentiellement hostiles, surtout lorsqu’ils enquêtent sur des infractions survenant dans des contextes instables, comme la violence familiale. Si l’on soupèse les intérêts au respect de la vie privée et les objectifs des autorités d’application de la loi eu égard à l’art. 8, l’équilibre est établi en autorisant les policiers à effectuer une fouille accessoire à l’arrestation dans un domicile lorsqu’ils soupçonnent raisonnablement qu’il y a une menace imminente pour la sécurité des policiers ou du public. Contrairement à ce que prévoit la norme établie par les juges majoritaires, la menace doit être imminente. Les risques pour la sécurité qui se présentent lors d’une arrestation dans une habitation, pour laquelle un mandat ne peut être obtenu, seront généralement imminents. Et l’imminence est un concept utile parce qu’elle définit les circonstances où l’obtention d’un mandat n’est pas faisable. Elle indique que si les policiers peuvent obtenir un mandat avant de procéder à une fouille dans une habitation, ils devraient le faire.
                    Bien que la norme des soupçons raisonnables soit une norme relativement peu exigeante, elle exige néanmoins que les policiers aient certaines raisons de soupçonner qu’il pourrait y avoir un risque pour la sécurité. Comme pour les autres fouilles accessoires à l’arrestation, ils doivent avoir à la fois des motifs subjectifs et objectifs pour procéder à une fouille. La tâche du tribunal est d’examiner la preuve des motifs réels justifiant la fouille — et non de se demander si des soupçons raisonnables auraient pu justifier la fouille. En fin de compte, la tâche des tribunaux consiste, dans chaque cas, à appliquer la norme eu égard à la preuve précise dont ils sont saisis, en se concentrant sur les raisons invoquées par le policier. Il faut se demander si la fouille était constitutionnelle au moment où elle a été effectuée.
                    En parallèle à la norme des soupçons raisonnables, l’étendue acceptable d’une fouille représente une autre limite à la capacité des policiers de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation dans une habitation. Elle limite les fouilles de deux façons : par la nature des préoccupations qui sous‑tendent l’arrestation, et par la nécessité qu’il y ait une proximité sur les plans temporel et spatial entre la fouille et l’arrestation. Tout comme le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à l’arrestation découle de l’arrestation elle‑même, une fouille ne peut se justifier que si son but est lié à celui de l’arrestation. Une arrestation qui ne donne lieu qu’à des préoccupations liées à la sécurité ne peut, sans plus, autoriser une fouille pour des questions non liées à la sécurité. Il doit y avoir un lien téléologique avec la nature de l’arrestation. Une fouille qui relève de ces paramètres doit aussi être à proximité de l’arrestation sur les plans spatial et temporel.
                    En l’espèce, la fouille et les saisies n’étaient pas justifiées. Les policiers n’ont effectué une fouille dans le sous‑sol qu’une fois que l’accusé fût menotté et que la victime fût montée à l’étage. Il n’y avait aucun fait précis justifiant la fouille de sécurité, seulement une incertitude générale concernant la présence d’armes ou d’autres personnes. L’agent ayant effectué la fouille n’a fourni aucun motif justifiant l’existence de soupçons raisonnables que la sécurité de quiconque était en danger à la suite de l’arrestation de l’accusé. La fouille et les saisies étaient donc illégales et violaient les droits de l’accusé garantis par l’art. 8 de la Charte.
                    La preuve devrait être exclue en application du par. 24(2) de la Charte. La conduite de l’État dans la présente affaire se situe à l’extrémité supérieure du spectre et favorise l’exclusion. Il était bien connu que les maisons privées jouissent d’un intérêt considérable en matière de respect de la vie privée et ne peuvent généralement pas faire l’objet de fouilles sans mandat. Les intérêts au respect de la vie privée de l’accusé dans son domicile étaient importants et la fouille et les saisies illégales représentaient une atteinte majeure à ses intérêts protégés par la Charte, ce qui milite fortement en faveur de l’exclusion. Cependant, les drogues constituaient des éléments de preuve très fiables, cruciaux pour la thèse de la Couronne, ce qui milite fortement en faveur de l’inclusion. Soupesant les trois questions, l’admission de la preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La preuve est donc irrecevable.
                    La juge Côté : Il y a accord avec la juge Karakatsanis concernant la norme des soupçons raisonnables pour les fouilles accessoires à une arrestation effectuées dans une habitation, son application de la norme aux faits de l’espèce et sa conclusion que la fouille et la saisie des éléments de preuve ont contrevenu aux droits de S garantis par l’art. 8 de la Charte. Toutefois, les éléments de preuve saisis illégalement ne devraient pas être exclus car l’admission des éléments de preuve ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Le pourvoi devrait donc être rejeté.
                    La gravité de la conduite policière attentatoire à la Charte favorise l’admission de la preuve. La gravité de la violation est atténuée par l’incertitude du droit concernant les fouilles résidentielles accessoires à une arrestation. Comme le droit applicable était incertain et vu la manière par ailleurs non abusive dont la fouille a été effectuée, la gravité de la conduite policière se situait à l’extrémité inférieure du spectre. La Couronne concède que la conduite policière a eu des conséquences importantes sur les intérêts de S au respect de sa vie privée protégés par la Charte, ce qui milite en faveur de l’exclusion de la preuve. Toutefois, l’intérêt de la société à ce que les accusations relatives aux drogues dont S faisait l’objet soient jugées sur le fond, milite en faveur de l’admission de la preuve.
                    Dans l’ensemble, la preuve ne devrait pas être exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte. À l’avenir, les policiers auront beaucoup de mal à justifier l’admission d’éléments de preuve dans un scénario semblable. Toutefois, les policiers ont agi de bonne foi selon leur compréhension de principes de droit qui n’étaient pas bien définis et la société a un intérêt considérable à ce qu’une accusation visant une grande quantité de drogue illicite très dangereuse et pernicieuse soit jugée.
Jurisprudence
Citée par les juges Moldaver et Jamal
                    Arrêt appliqué : R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743; distinction d’avec l’arrêt : R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37; arrêts examinés : R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679; R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; arrêts mentionnés : Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158; Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 739; Semayne’s Case (1604), 5 Co. Rep. 91a, 77 E.R. 194; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Pohoretsky, 1987 CanLII 62 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 945; R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851; Chimel c. California, 395 U.S. 752 (1969); Maryland c. Buie, 494 U.S. 325 (1990); R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311; Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; R. c. Beare, 1988 CanLII 126 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 387; Jensen c. Stemmer, 2007 MBCA 42, 214 Man. R. (2d) 64; R. c. Dodd (1999), 1999 CanLII 18930 (NL CA), 180 Nfld. & P.E.I.R. 145; R. c. Lowes, 2016 ONCA 519.
Citée par la juge Karakatsanis (dissidente)
                    R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Simmons, 1988 CanLII 12 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518; Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679; Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 739; R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743; Baron c. Canada, 1993 CanLII 154 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 416; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692.
Citée par la juge Côté
                    Arrêts mentionnés : R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621; R. c. Pileggi, 2021 ONCA 4, 153 O.R. (3d) 561; R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 266, 487.11, 529 à 529.5, 733.1(1).
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 5(2).
Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15, art. 42.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Statistique Canada. Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités. La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2019, par Shana Conroy, Ottawa, Statistique Canada, mars 2021.
Coughlan, Steve. Criminal Procedure, 4th ed., Toronto, Irwin Law, 2020.
McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5th ed. by S. Casey Hill, David M. Tanovich and Louis P. Strezos, eds., Toronto, Thomson Reuters, 2022 (loose‑leaf updated February 2022, release 1).
Ruff, Lanette. « Does Training Matter? Exploring Police Officer Response to Domestic Dispute Calls Before and After Training on Intimate Partner Violence » (2012), 85 Police J. 285.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (la juge en chef adjointe Fairburn et les juges Nordheimer et Harvison Young), 2020 ONCA 678, 153 O.R. (3d) 32, 396 C.C.C. (3d) 369, 67 C.R. (7th) 10, 467 C.R.R. (2d) 354, [2020] O.J. No. 4590 (QL), 2020 CarswellOnt 15663 (WL Can.), qui a confirmé la déclaration de culpabilité pour possession de substances en vue d’en faire le trafic inscrite par la juge Coats, 2018 ONSC 3783, [2018] O.J. No. 3264 (QL), 2018 CarswellOnt 9791 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Brown et Martin sont dissidents.
                    Erin Dann et Lisa Freeman, pour l’appelant.
                    Mark J. Covan et Diana Lumba, pour l’intimée.
                    Mabel Lai et Nicole Rivers, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Anil K. Kapoor et Victoria M. Cichalewska, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
 
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Rowe, Kasirer et Jamal rendu par
 
                    Les juges Moldaver et Jamal —
I.               Aperçu
[1]                             Le présent pourvoi porte sur l’étendue acceptable d’une fouille accessoire à une arrestation dans le domicile d’une personne. En particulier, la Cour est appelée à définir le juste équilibre, au regard de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, entre les intérêts d’un accusé au respect de sa vie privée chez lui, d’une part, et les objectifs valables d’application de la loi, d’autre part, lorsque des policiers effectuent une fouille dans le domicile de l’accusé accessoirement à son arrestation légale. Comme nous l’expliquerons, le juste équilibre de ces facteurs exige la modification de la norme de common law régissant les fouilles accessoires à une arrestation.
[2]                             Le présent pourvoi fait suite à une arrestation mouvementée au domicile de l’appelant, Matthew Stairs, pour violence familiale. Les policiers ont répondu à l’appel au 9‑1‑1 d’une personne qui disait avoir vu un homme frapper à plusieurs reprises une femme dans une voiture. Les policiers ont rapidement retrouvé la voiture du suspect, stationnée dans l’entrée d’une maison inconnue de ceux‑ci. Après avoir regardé rapidement l’intérieur de la voiture, ils ont frappé à la porte avant de la maison et ont annoncé leur présence d’une voix forte, mais personne n’est venu répondre. Craignant pour la sécurité de la femme, les policiers sont entrés dans la maison. Au moment où ils ont annoncé leur présence, une femme présentant des blessures récentes au visage est montée de l’escalier du sous‑sol. Monsieur Stairs n’a pas suivi. Il a plutôt couru du pied de l’escalier jusqu’à la salle de lavage du sous‑sol, où il s’est barricadé et où il a été arrêté peu de temps après.
[3]                             Après l’arrestation, les policiers ont effectué une inspection visuelle à des fins sécuritaires de la salle de séjour du sous‑sol, d’où venaient d’arriver M. Stairs et la femme. Les policiers voulaient ainsi s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce et qu’il ne s’y trouvait aucun danger ni aucune arme à découvert. Lors de l’inspection, ils ont aperçu un contenant transparent et un sac de plastique bien en vue renfermant de la méthamphétamine, ce qui a fait en sorte que M. Stairs a été accusé de possession de substances en vue d’en faire le trafic (infraction prévue au par. 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19), accusation qui s’ajoutait à celles pour voies de fait et défaut de se conformer à une ordonnance de probation (infractions prévues à l’art. 266 et au par. 733.1(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46). Il a été déclaré coupable de toutes ces accusations au procès.
[4]                             Monsieur Stairs a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité pour l’infraction liée aux drogues, faisant valoir que les éléments de preuve relatifs à celles‑ci avaient été admis à tort. Dans une décision partagée, les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario ont confirmé la déclaration de culpabilité. Le juge dissident aurait annulé la déclaration de culpabilité et prononcé un acquittement.
[5]                             Monsieur Stairs se pourvoit maintenant de plein droit devant la Cour relativement à sa déclaration de culpabilité pour l’infraction liée aux drogues. Il soutient que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation doit être modifiée pour ce qui est des fouilles effectuées dans un domicile, vu les intérêts très élevés au respect de la vie privée que les gens ont à l’égard de leur domicile. Il affirme que lorsque des policiers effectuent une fouille pour des raisons de sécurité, comme ils allèguent l’avoir fait dans son cas, ils ne peuvent le faire que s’ils ont des motifs raisonnables de croire, ou du moins de soupçonner, qu’il existe une menace imminente pour la sécurité du public ou des policiers. Monsieur Stairs prétend que cette norme n’a pas été respectée et que la fouille de la salle de séjour du sous‑sol par les policiers était de ce fait inconstitutionnelle. Il affirme aussi que la méthamphétamine saisie par les policiers aurait dû être écartée de la preuve et qu’un acquittement doit être prononcé concernant l’accusation de possession d’une substance réglementée en vue d’en faire le trafic.
[6]                             La norme fondamentale de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation exige que la personne soumise à la fouille ait été légalement arrêtée, que la fouille soit véritablement accessoire à l’arrestation — en ce sens qu’elle vise un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation — et que la fouille ne soit pas abusive (R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 21 et 27). Par le passé, la Cour a adapté cette norme dans plusieurs contextes pour qu’elle soit conforme à l’art. 8 de la Charte. Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation a été éliminé pour ce qui est de la saisie d’échantillons corporels (R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607), et la norme a été modifiée dans d’autres situations qui présentent un intérêt élevé au respect de la vie privée à l’égard de l’objet de la fouille, par exemple les fouilles à nu, les écouvillonnages du pénis et les fouilles de téléphones cellulaires (R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679; R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518; Fearon).
[7]                             Bien que nous soyons d’accord avec M. Stairs pour dire que la norme de common law devrait être modifiée — et rendue plus stricte — afin de refléter l’intérêt élevé d’un accusé au respect de sa vie privée chez lui, nous rejetons le critère qu’il propose. Vu les faits de l’espèce, ses observations ne visaient que les fouilles de sécurité et ne s’appliquaient pas aux fins d’enquête, comme la préservation et la découverte d’éléments de preuve.
[8]                             Mettant en balance les exigences de l’application efficace de la loi et le droit d’une personne au respect de sa vie privée chez elle, nous concluons que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation effectuées dans un domicile doit être modifiée, selon que l’espace visé par la fouille relève ou non du contrôle physique de la personne arrêtée. Lorsque l’espace faisant l’objet de la fouille relève du contrôle physique de la personne arrêtée, la norme de common law continue de s’appliquer. Toutefois, lorsque l’espace est hors de son contrôle physique, mais est toujours suffisamment lié à l’arrestation, la fouille accessoire à l’arrestation effectuée dans un domicile pour des raisons de sécurité sera valide seulement si les conditions suivantes sont respectées :
•         les policiers ont des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité, celle de l’accusé ou du public, qu’une fouille permettrait d’éviter;
•         la fouille n’est pas effectuée d’une manière abusive, et est adaptée aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.
[9]                             En raison du contexte factuel de l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider si les soupçons raisonnables s’appliquent aussi aux fins d’enquête, comme la préservation et la découverte d’éléments de preuve. Nous remettons à une autre occasion l’analyse de cette question.
[10]                        Appliquant la norme plus stricte à l’espèce, nous estimons que les policiers avaient des raisons de soupçonner qu’il y avait un risque pour la sécurité dans la salle de séjour du sous‑sol et qu’un examen visuel rapide de la pièce écarterait ce risque, cet examen représentant la méthode de fouille la moins attentatoire possible dans les circonstances. Il s’ensuit que les droits que l’art. 8 de la Charte garantit à M. Stairs n’ont pas été violés et que les éléments de preuve relatifs aux drogues ont été admis à bon droit. Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
II.            Les faits
[11]                        Un civil a composé le 9‑1‑1 pour signaler qu’il avait vu un homme au volant d’un véhicule frappant sa passagère. L’auteur de l’appel a dit que l’homme zigzaguait sur la route tout en assénant à la femme une [traduction] « rafale de coups ». À un moment donné, l’homme a fait une prise de tête à la femme et elle semblait se recroqueviller pour se protéger.
[12]                        Trois policiers — les agents Brown, Martin et Vandervelde — ont été dépêchés pour enquêter sur l’agression signalée. Ils ont rapidement localisé une voiture, qui correspondait étroitement à la description qu’avait donnée l’auteur de l’appel, stationnée dans l’entrée d’une maison inconnue de ceux‑ci. Les policiers ont fait une vérification du numéro de plaque et ont été informés que la voiture était immatriculée au nom du père de M. Stairs, qui habitait aussi dans la maison. Les policiers ont également appris que M. Stairs était un conducteur connu de la voiture et qu’il faisait l’objet d’avertissements pour risque de fuite, violence familiale et violence. Il figurait aussi sur une liste de contrevenants à risque élevé.
[13]                        Après avoir jeté un coup d’œil à l’intérieur de la voiture, les policiers ont frappé à la porte avant de la maison à plusieurs reprises et annoncé d’une voix forte leur présence, mais personne n’est venu répondre. Croyant que la femme était peut‑être en danger, deux des policiers sont entrés dans la maison par une porte de côté non verrouillée, puis ont ouvert la porte avant pour leur collègue. Les policiers ont continué à annoncer leur présence et ont crié à tout le monde qui se trouvait dans la maison de [traduction] « monter à l’étage », « les mains en l’air » (2018 ONSC 3747, 412 C.R.R. (2d) 95 (« motifs relatifs à la demande préalable au procès »), par. 86). Une femme, aperçue arrivant du côté droit du sous‑sol, est montée à l’étage. Elle présentait des blessures récentes, dont des ecchymoses et de l’enflure autour du front et des yeux, des coupures à la joue et des égratignures. L’agent Brown s’est entretenu brièvement avec elle. Lors de son témoignage, il a affirmé que même si elle n’était pas combative, elle ne collaborait pas non plus. L’agent Martin, alors stagiaire, est demeuré à l’étage avec elle, pendant que les deux autres policiers ont dirigé leur attention sur son agresseur.
[14]                        Du haut de l’escalier, l’agent Vandervelde a aperçu un homme, qui s’est révélé être M. Stairs, courir du côté droit du sous‑sol vers le côté gauche, en passant par le bas de l’escalier. L’agent Vandervelde a brièvement croisé le regard de M. Stairs. Ce dernier a fait fi des ordres des policiers de monter à l’étage les mains en l’air. Il s’est plutôt enfermé dans la salle de lavage du sous‑sol, adjacente à la salle de séjour d’où lui et la femme venaient d’arriver.
[15]                        L’agent Vandervelde et l’agent Brown sont descendus au sous‑sol pour arrêter M. Stairs. En descendant, ils ont jeté un coup d’œil derrière eux vers la salle de séjour du sous‑sol; leur attention, toutefois, était portée sur M. Stairs, qui se trouvait à ce moment dans la salle de lavage située à gauche de l’escalier. L’agent Vandervelde avait son arme à feu à la main, et l’agent Brown avait son pistolet électrique à la main. À un moment donné, M. Stairs a ouvert la porte de la salle de lavage, a poussé un cri et a immédiatement refermé la porte. Il a fini par sortir et a obéi aux ordres des policiers. L’agent Brown lui a passé les menottes et l’a fouillé, ne trouvant qu’une somme d’argent. L’agent Brown a également inspecté la salle de lavage pour confirmer qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce. Quatre minutes se sont écoulées entre le moment où les policiers ont frappé à la porte avant et l’arrestation. Selon l’agent Brown, la situation était instable et évoluait rapidement.
[16]                        Après l’arrestation, l’agent Vandervelde a effectué une inspection visuelle à des fins sécuritaires de la salle de séjour adjacente, où se trouvaient une table à café, un canapé, un téléviseur et des armoires. D’où il se trouvait, il ne pouvait pas voir ce qui se trouvait derrière le canapé ou le support du téléviseur, alors il s’est rendu derrière le canapé. À cet endroit, il a vu un contenant de plastique transparent de type Tupperware, bien en vue sur le plancher. Il renfermait ce qui ressemblait à des éclats de verre, qu’il croyait être de la méthamphétamine. Il a affirmé que le contenant se trouvait à environ un pied du canapé et qu’il n’avait pas eu à déplacer quoi que ce soit pour le voir. Il a aussi aperçu un sac ziplock près de la table à café, qui semblait renfermer de la méthamphétamine. Il n’a pas ouvert de portes ou de placards dans la salle de séjour.
[17]                        Lors de l’instruction de la demande préalable au procès visant l’exclusion d’éléments de preuve, l’agent Vandervelde a soutenu que l’inspection à des fins sécuritaires visait à confirmer [traduction] « qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce » et qu’il n’y avait « aucun autre danger » (motifs relatifs à la demande préalable au procès, par. 282). À la question de savoir s’il cherchait des armes liées à l’agression, il a répondu : [traduction] « Pas, pas nécessairement liées à l’agression, non. Tout de même, vous ne voulez pas vous trouver dans un sous‑sol où il y a des armes à feu ou d’autres armes qui traînent » (d.a., vol. I, p. 225).
[18]                        En interrogatoire principal, on a montré à l’agent Vandervelde une photo de l’espace derrière le canapé et on lui a demandé de tracer un « X » à l’endroit où il avait trouvé le contenant Tupperware. Il ne pouvait pas dire exactement où, seulement qu’il se trouvait derrière le canapé dans un espace dégagé au sol. Il ne pouvait pas non plus se souvenir s’il avait enlevé le couvercle avant ou après avoir quitté le domicile.
[19]                        Après que l’agent Brown eut inspecté la salle de lavage pour confirmer que personne d’autre ne s’y trouvait, il est monté à l’étage pour parler de nouveau à la femme. Lors de l’instruction de la demande préalable au procès, il a affirmé que cette dernière n’avait fourni que peu d’information. Elle a nié que M. Stairs l’avait agressée et a insisté pour dire qu’ils ne faisaient que [traduction] « jouer » (motifs relatifs à la demande préalable au procès, par. 28).
III.         Décisions des juridictions inférieures
[20]                        Préalablement au procès, M. Stairs a présenté une demande où il alléguait plusieurs violations des droits que lui garantissent l’art. 8 (le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives) et l’art. 9 de la Charte (le droit à la protection contre la détention arbitraire). La seule question qu’il nous reste à trancher est celle de savoir si l’inspection à des fins sécuritaires de la salle de séjour du sous‑sol était une fouille légale accessoire à l’arrestation. Nos résumés des décisions faisant l’objet du présent pourvoi mettent l’accent sur cette question.
A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2018 ONSC 3747, 412 C.R.R. (2d) 95 (la juge Coats)
[21]                        La juge du procès n’a constaté aucune violation de l’art. 8 de la Charte. Il n’y avait rien d’abusif à ce que les policiers inspectent rapidement du regard la salle de séjour du sous‑sol après l’arrestation de M. Stairs. Bien que les policiers aient jeté un coup d’œil derrière eux vers la pièce en descendant au sous‑sol, leur attention à ce moment‑là était dirigée sur M. Stairs, qui se trouvait alors dans la salle de lavage.
[22]                        La fouille avait un objectif valable. Lors de son témoignage, l’agent Vandervelde a affirmé s’être rendu dans la salle de séjour pour s’assurer que personne d’autre ne s’y trouvait et qu’il n’y avait aucun autre danger. Cet objectif n’avait rien d’abusif, parce que la femme et M. Stairs étaient tous les deux arrivés de cet espace, que les policiers ne voyaient pas complètement la salle de séjour lorsqu’ils descendaient l’escalier et que leur premier coup d’œil n’avait pas entièrement écarté leurs préoccupations relatives à la sécurité.
[23]                        La fouille et la saisie subséquente étaient légales. Le contenant Tupperware et le sac dans lesquels a été trouvée la méthamphétamine étaient tous les deux bien en vue et transparents. Le fait que l’agent Vandervelde ne fût pas en mesure de marquer l’emplacement exact du contenant Tupperware sur une photo de la salle de séjour n’a pas affaibli son témoignage quant à son emplacement général. Qui plus est, la juge du procès a accepté le témoignage de l’agent Vandervelde qui affirmait croire à la présence de méthamphétamine dans les contenants et le sac de plastique avant de les ramasser. En conséquence, la juge du procès n’a constaté aucune raison d’écarter la méthamphétamine.
B.            Cour d’appel de l’Ontario, 2020 ONCA 678, 153 O.R. (3d) 32 (la juge en chef adjointe Fairburn et la juge Harvison Young, le juge Nordheimer, dissident)
(1)         Motifs majoritaires — la juge en chef adjointe Fairburn et la juge Harvison Young
[24]                        S’exprimant au nom des juges majoritaires, la juge en chef adjointe Fairburn a rejeté l’appel. À son avis, la juge du procès avait conclu à bon droit que la fouille et la saisie subséquente de la méthamphétamine n’avaient pas porté atteinte aux droits que l’art. 8 de la Charte garantit à M. Stairs.
[25]                        Le principal désaccord entre les juges majoritaires et le juge dissident portait sur l’applicabilité de l’arrêt de la Cour R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37. Dans cet arrêt, la Cour a statué que les policiers devaient avoir des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une menace imminente pour la sécurité du public ou des policiers afin d’entrer chez quelqu’un et d’y effectuer une fouille.
[26]                        Les juges majoritaires ont rejeté l’applicabilité de ce critère, parce que le contexte factuel de l’arrêt MacDonald diffère sensiblement de celui de l’espèce. À leur avis, contrairement à l’affaire MacDonald, la fouille en l’espèce était une fouille accessoire à une arrestation légale et la norme de common law relative à de telles fouilles s’appliquait — c.‑à‑d. qu’une fouille effectuée dans l’espace environnant l’arrestation sera valable si elle a pour fin un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation et si la fin était objectivement raisonnable dans les circonstances.
[27]                        La fouille de la salle de séjour du sous‑sol satisfaisait à cette norme. Les policiers ont fouillé la salle de séjour pour s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce et qu’il n’y avait aucun autre danger. Ces préoccupations relatives à la sécurité étaient logiques dans les circonstances : les policiers se trouvaient dans un sous‑sol qu’ils ne connaissaient pas; ils ne savaient pas combien de personnes se trouvaient dans la maison; ils ne pouvaient pas voir derrière le canapé lorsqu’ils descendaient l’escalier; et la salle de séjour se trouvait juste à côté de l’escalier où les policiers devaient monter pour sortir M. Stairs de la maison en toute sécurité. Il était objectivement raisonnable que les policiers inspectent rapidement du regard la salle de séjour du sous-sol. Puisque la méthamphétamine était bien en vue, les policiers pouvaient la saisir conformément à la théorie des objets bien en vue. En conséquence, les juges majoritaires ont rejeté l’appel de M. Stairs concernant sa déclaration de culpabilité pour l’infraction liée aux drogues.
(2)         Motifs dissidents — le juge Nordheimer
[28]                        Le juge Nordheimer, dissident, aurait accueilli l’appel de M. Stairs, annulé sa déclaration de culpabilité pour l’infraction liée aux drogues et inscrit un acquittement. À son avis, la présente affaire ne pouvait être distinguée de l’affaire MacDonald. Lorsque des policiers se livrent à une fouille de sécurité chez quelqu’un sans mandat — même s’il s’agit d’une fouille accessoire à une arrestation légale — ils doivent avoir des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une menace imminente pour la sécurité du public ou des policiers.
[29]                        En l’espèce, les policiers n’avaient aucun motif raisonnable de croire, ni même de soupçonner, qu’il y aurait dans la salle de séjour des armes, des dangers ou d’autres personnes susceptibles de constituer une menace. Toute préoccupation que les policiers auraient pu avoir quant à la présence possible d’armes à feu équivalait tout au plus au type de vague inquiétude en matière de sécurité contre laquelle mettait en garde l’arrêt MacDonald. Par conséquent, le juge dissident a constaté une violation de l’art. 8 de la Charte. Il aurait écarté la preuve en application du par. 24(2).
IV.         Questions en litige
[30]                        Le présent pourvoi soulève deux questions en litige : (1) la fouille de la salle de séjour du sous‑sol, accessoire à l’arrestation, était‑elle abusive en contravention de l’art. 8 de la Charte; et (2) dans l’affirmative, la méthamphétamine saisie par les policiers devrait‑elle être écartée en application du par. 24(2) de la Charte?
[31]                        Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi. Nous ne sommes pas convaincus que les droits garantis à M. Stairs par l’art. 8 de la Charte ont été violés. Par conséquent, nous n’avons pas à aborder le par. 24(2) de la Charte.
V.           Analyse
[32]                        La Cour a énoncé une méthode d’analyse en deux volets visant à trancher la question de savoir s’il y a lieu de modifier la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation pour qu’elle soit conforme à l’art. 8 de la Charte (voir les arrêts Stillman, Golden, Fearon et Saeed) :
(1)   Premier volet : Déterminer si la fouille satisfait à la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation.
(2)   Deuxième volet : Dans l’affirmative, déterminer s’il y a lieu de modifier la norme pour qu’elle soit conforme à l’art. 8 de la Charte, eu égard aux intérêts particuliers au respect de la vie privée et aux objectifs d’application de la loi qui sont en jeu.
[33]                        Appliquant cette méthode, nous concluons que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation dans un domicile doit être modifiée.
A.           Premier volet : la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation
[34]                        La norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation permet aux policiers de fouiller la personne légalement mise en état d’arrestation et de saisir les objets en sa possession ou se trouvant dans l’espace environnant l’arrestation, dans le but d’assurer la sécurité des policiers et de la personne en état d’arrestation, d’empêcher l’évasion de cette dernière ou encore de constituer une preuve contre elle (Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158, p. 180‑181). Ce pouvoir d’effectuer une fouille est « extraordinaire », parce que, contrairement aux autres pouvoirs de la police, il ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables (Fearon, par. 16 et 45).
[35]                        La norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation est bien établie. Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Fearon, aux par. 21 et 27, cette norme exige que (1) la personne fouillée ait été légalement arrêtée; (2) la fouille soit véritablement accessoire à l’arrestation en ce sens qu’elle doit viser un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation; et (3) la fouille ne soit pas abusive.
[36]                        Pour ce qui est du deuxième critère, les objectifs valables d’application de la loi justifiant la fouille accessoire à l’arrestation comprennent les suivants : a) assurer la sécurité des policiers et du public; b) empêcher la destruction d’éléments de preuve; et c) découvrir des éléments de preuve susceptibles d’être utilisés au procès (Fearon, par. 75).
[37]                        L’objectif d’application de la loi visé par les policiers doit être subjectivement lié à l’arrestation, et la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être objectivement raisonnable (R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 19). Afin que cette norme soit satisfaite, il n’est pas nécessaire que les policiers aient des motifs raisonnables et probables pour effectuer la fouille. Il leur suffit plutôt d’avoir « un motif raisonnable » de faire ce qu’ils ont fait (Caslake, par. 20). Il s’agit là d’une norme beaucoup moins exigeante que les motifs raisonnables et probables.
[38]                        La Cour a expliqué la distinction entre la norme du « motif raisonnable » et la norme plus exigeante des « motifs raisonnables et probables » dans l’arrêt Caslake, au par. 20 :
      Par exemple, la norme des motifs raisonnables et probables exigerait qu’un policier démontre qu’il croyait raisonnablement que la personne arrêtée était munie d’une arme particulière avant de la fouiller. Par contre, selon la norme qui s’applique en l’espèce, le policier aurait le droit de fouiller une personne arrêtée afin de vérifier si elle porte une arme si, dans les circonstances, il semblait raisonnable de vérifier si la personne est armée.
[39]                        Monsieur Stairs ne conteste pas que la fouille de la salle de séjour satisfaisait à la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation. Son observation principale est plutôt que la norme doit être modifiée pour ce qui est des fouilles dans un domicile effectuées accessoirement à une arrestation, en raison des intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile. Par conséquent, nous passons tout de suite au deuxième volet.
B.            Deuxième volet : déterminer s’il y a lieu de modifier la norme de common law
[40]                        Dans certaines situations, la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation doit être modifiée pour donner effet à l’art. 8 de la Charte. Comme nous l’avons indiqué, la Cour a modifié la norme dans plusieurs contextes pour mettre en balance a) la nature et l’étendue des intérêts au respect de la vie privée en cause; et b) l’importance des objectifs d’application de la loi que visent les policiers. La jurisprudence fait état d’une gamme de normes, et certains contextes exigent un seuil plus élevé que d’autres pour les fouilles accessoires à une arrestation.
(1)         La gamme des normes appliquées à des cas de fouilles accessoires à une arrestation
[41]                        Pour déterminer la norme qui convient en l’espèce, nous examinerons d’abord les normes appliquées dans d’autres arrêts, en commençant par la plus exigeante. Nous situerons ensuite les fouilles dans un domicile sur la gamme des normes.
[42]                        Dans l’arrêt Stillman, la Cour a conclu que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation ne s’applique pas à la saisie de substances corporelles, notamment les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements dans la bouche. Bien que les échantillons corporels puissent être utiles dans les enquêtes criminelles, particulièrement à des fins d’identification, ils ne risquent habituellement pas de disparaître s’ils ne sont pas saisis immédiatement (par. 49). Comme la saisie de substances corporelles porte atteinte à une sphère de la vie privée essentielle à la dignité et à l’intégrité physique, les policiers doivent obtenir un mandat. Ils ne peuvent pas saisir des échantillons corporels accessoirement à une arrestation sans être munis d’un mandat.
[43]                        Suivent ensuite sur la gamme les arrêts Golden et Saeed, qui ont modifié la norme de common law relative aux fouilles à nu et aux prélèvements par écouvillonnage du pénis, respectivement.
[44]                        Dans l’arrêt Golden, la Cour a souligné que, contrairement aux fouilles sommaires, sur lesquelles elle s’était penchée dans l’arrêt Cloutier, les fouilles à nu sont particulièrement attentatoires, puisqu’elles nécessitent l’enlèvement des vêtements de la personne et l’inspection visuelle de ses parties intimes. « Les fouilles à nu sont [. . .] fondamentalement humiliantes et avilissantes », et impliquent inévitablement une atteinte grave à la dignité et à la vie privée (Golden, par. 90). En outre, il est rare que les fouilles à nu doivent être effectuées sur‑le‑champ en raison du faible risque de destruction ou de perte des éléments de preuve. Mettant en balance ces facteurs, la Cour a conclu qu’une fouille à nu nécessite : a) des motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation elle‑même; et b) des motifs raisonnables et probables de conclure qu’une fouille à nu est nécessaire dans les circonstances particulières de l’arrestation, à savoir l’existence de certains éléments de preuve laissant croire qu’il était possible que la personne arrêtée dissimule des armes ou des éléments de preuve en lien avec le motif de l’arrestation (Golden, par. 94 et 98). Qui plus est, la fouille à nu doit être effectuée d’une manière raisonnable. La Cour a énoncé des lignes directrices indiquant quand, où et comment il y a lieu de pratiquer les fouilles à nu.
[45]                        Dans l’arrêt Saeed, la Cour s’est tournée vers l’arrêt Golden et a conclu qu’il devait exister des motifs raisonnables de croire qu’un prélèvement par écouvillonnage du pénis fournirait des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé a été arrêté. Bien que de tels prélèvements soient très attentatoires et qu’ils portent atteinte à la dignité de l’accusé, dans les affaires d’agression sexuelle, il y a un risque que des éléments de preuve très fiables soient perdus, que ce soit par la destruction des éléments de preuve ou par leur dégradation avec le temps. Pour faire en sorte que les prélèvements par écouvillonnage du pénis soient effectués de manière raisonnable et respectueuse, la Cour a donné des lignes directrices indiquant quand, où et comment il y a lieu d’effectuer ces analyses.
[46]                        À un niveau inférieur sur la gamme que les arrêts Golden et Saeed se situe l’arrêt Fearon, où la Cour s’est penchée sur les fouilles de téléphones cellulaires effectuées accessoirement à une arrestation. Pour refléter l’attente élevée en matière de respect de la vie privée à l’égard des téléphones cellulaires, la Cour a modifié le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation de trois façons. Premièrement, « [l]a nature et l’étendue de la fouille du téléphone cellulaire doivent toutes deux être véritablement accessoires à l’arrestation particulière pour l’infraction précise » (par. 76). Deuxièmement, les policiers ne sont autorisés à effectuer la fouille que dans le but de découvrir des éléments de preuve lorsque l’enquête serait « paralysée ou sérieusement entravée parce qu’on ne peut pas fouiller rapidement le téléphone cellulaire accessoirement à l’arrestation » (par. 80). Troisièmement, « les policiers doivent prendre des notes détaillées de ce qu’ils ont examiné dans le téléphone cellulaire » (par. 82).
[47]                        À l’extrémité inférieure de la gamme se trouvent les situations où aucune modification n’est nécessaire. L’arrêt Caslake en constitue un exemple : la Cour a refusé de modifier la norme de common law relative aux fouilles de véhicules effectuées accessoirement à une arrestation. La Cour a conclu qu’un véhicule ne suscite aucune attente accrue en matière de vie privée qui justifierait une exception aux principes habituels de common law (par. 15).
(2)         Évaluation des fouilles effectuées dans un domicile
[48]                        Pour situer la présente affaire sur la gamme des arrêts où la norme de common law a été modifiée, nous devons examiner les intérêts pertinents en matière de respect de la vie privée et les objectifs d’application de la loi visés par les policiers lors de fouilles dans un domicile effectuées accessoirement à une arrestation.
a)              L’intérêt au respect de la vie privée
[49]                        La Cour a rappelé à maintes reprises que le domicile d’une personne suscite une attente élevée en matière de respect de la vie privée. Un principe fondamental établi depuis longtemps veut que, dans une société libre, la maison de chacun est son château (Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 739, p. 742‑743, le juge Dickson (plus tard juge en chef), citant Semayne’s Case (1604), 5 Co. Rep. 91a, 77 E.R. 194, p. 195). Le domicile est « le lieu où nos activités les plus intimes et privées sont le plus susceptibles de se dérouler » (R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 22). De plus, la Cour a reconnu, dans l’arrêt R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, au par. 140, sous la plume du juge Cory, qu’« [i]l n’existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa “maison d’habitation” ».
[50]                        Étant donné les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile, les fouilles sans mandat qui y sont effectuées sont à première vue abusives. Cela a été confirmé dans l’arrêt R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, où la Cour a statué que, même si les policiers ont un mandat d’arrestation, ils ne sont pas généralement autorisés à faire une arrestation dans un domicile sans être munis d’un mandat particulier permettant l’entrée. Le Parlement a codifié par la suite les principes de l’arrêt Feeney en introduisant les art. 529 à 529.5 dans le Code criminel pour régir les situations où les policiers peuvent entrer dans des maisons d’habitation afin d’y effectuer des arrestations.
[51]                        Bien que les gens aient sans aucun doute un intérêt élevé au respect de la vie privée dans leur domicile, les fouilles dans celui‑ci sont néanmoins moins attentatoires que les fouilles à nu et les prélèvements par écouvillonnage du pénis, qui ont inévitablement une incidence sur la dignité de la personne. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Stillman, « la violation de l’intégrité physique de la personne humaine est une affaire beaucoup plus grave » qu’une intrusion dans son domicile (par. 42, citant R. c. Pohoretsky, 1987 CanLII 62 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 945, p. 949). À notre avis, même si les fouilles dans un domicile peuvent révéler des renseignements très personnels et confidentiels, elles ne portent pas invariablement atteinte à la dignité et à l’intégrité physique, comme il est envisagé dans les arrêts Stillman, Golden et Saeed.
b)            Objectifs des policiers
[52]                        Les objectifs d’application de la loi visés par les policiers varieront selon le cas. Outre la personne ciblée, il peut y avoir d’autres personnes dans le domicile, y compris d’éventuelles victimes ayant besoin d’aide ou des agresseurs représentant un risque pour la sécurité. Bien que les circonstances puissent être différentes d’un cas à l’autre, les arrestations dans un domicile sont souvent des situations instables qui évoluent rapidement.
[53]                        Globalement, les risques en jeu dans le contexte d’une arrestation dans un domicile ont tendance à être plus pressants que ceux qui se présentent dans les cas de fouilles à nu et de prélèvements par écouvillonnage du pénis. Pour ce qui est des fouilles à nu, le risque que la personne arrêtée ait accès à des objets cachés ou les fasse disparaître rapidement est généralement faible (Golden, par. 93). En ce qui concerne les prélèvements par écouvillonnage du pénis, aucun risque pour la sécurité n’est en jeu.
c)              Mise en balance du respect de la vie privée et des objectifs des policiers
[54]                        La mise en balance des intérêts au respect de la vie privée dans un domicile, d’une part, et des objectifs des policiers, d’autre part, nous amène à conclure que les fouilles dans un domicile se situent à un niveau plus bas sur la gamme que celui où se trouvent les arrêts Golden et Saeed. Bien que les fouilles dans un domicile mettent en jeu des intérêts sérieux au respect de la vie privée, elles ne portent pas inévitablement atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de la personne. Qui plus est, les objectifs des policiers seront souvent pressants et assujettis à des contraintes de temps dans le contexte d’une arrestation dans un domicile.
[55]                        Compte tenu de la place qu’occupent les fouilles dans un domicile sur la gamme de cas, nous ne pouvons accepter l’observation de la Couronne selon laquelle la norme de common law fournit une protection suffisante en ce qui concerne les fouilles accessoires à une arrestation effectuée dans un domicile, y compris les fouilles de sécurité. Cette norme est trop peu exigeante compte tenu des intérêts au respect de la vie privée dans le domicile. Nous ne pouvons pas non plus accepter la thèse de M. Stairs — qui correspond aux motifs dissidents en Cour d’appel — selon laquelle les fouilles de sécurité effectuées par les policiers accessoirement à une arrestation dans un domicile exigent une croyance raisonnable qu’un préjudice est imminent. Cette norme est trop exigeante vu les objectifs policiers pressants en jeu. La juste mise en balance de l’intérêt au respect de la vie privée, d’une part, et des objectifs des policiers, d’autre part, exige une modification de la norme de common law qui tombe entre ces deux extrémités.
(3)         Modifications à la norme de common law
[56]                        Pour être constitutionnelle, la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation doit être modifiée de deux façons qui la rendent plus rigoureuse lorsque les policiers effectuent des fouilles dans des espaces du domicile qui sont hors du contrôle physique de la personne arrêtée :
•         les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité ou celle de l’accusé ou du public, qu’une fouille permettrait d’éviter;
•         la fouille ne doit pas être effectuée d’une manière abusive, et doit être adaptée aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.
[57]                        Afin de faciliter la comparaison, nous réitérons que la norme de common law permet la fouille d’une personne arrêtée et de l’espace environnant l’arrestation lorsque : (1) l’arrestation est légale; (2) la fouille est accessoire à l’arrestation, de sorte qu’il y a un fondement raisonnable à la fouille qui est lié à l’arrestation et celle‑ci vise un objectif valable d’application de la loi, notamment la sécurité, la préservation ou la découverte d’éléments de preuve; et (3) la nature et l’étendue de la fouille sont raisonnables. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont appliqué cette norme dans le cas qui nous occupe.
[58]                        Nous expliquerons maintenant chacune des deux modifications.
a)              Soupçon raisonnable requis pour les espaces se trouvant hors du contrôle physique de la personne arrêtée
(i)            Définition de l’espace environnant l’arrestation
[59]                        Une fouille accessoire à l’arrestation peut aussi viser l’espace environnant l’arrestation. Toutefois, cette notion doit être adaptée pour tenir compte des considérations uniques accompagnant la fouille dans un domicile. Nous devons donc faire une distinction entre deux sous‑catégories au sein de l’espace environnant l’arrestation :
a)   l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation; et
b)   les espaces se trouvant hors du contrôle physique de cette personne, mais qui font partie de l’espace environnant parce qu’ils sont suffisamment liés à l’arrestation.
Cette distinction vise la reconnaissance du fait que plus la fouille sans mandat est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. Comme nous l’expliquons ci‑dessous, différentes normes doivent s’appliquer à ces sous-catégories.
[60]                        La tâche consistant à déterminer si un endroit précis fait partie de l’espace environnant l’arrestation et de quelle sous‑catégorie il relève incombe au juge du procès. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la question de savoir si un espace est suffisamment lié à l’arrestation est contextuelle et propre à l’affaire. Il s’agit de savoir s’il y a un « lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation » (R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 49). Cette analyse est hautement contextuelle; la décision doit être prise en fonction d’une démarche téléologique afin que les policiers puissent répondre adéquatement à une grande variété de situations factuelles pouvant survenir. Selon les circonstances, l’espace environnant peut être plus ou moins vaste. Comme l’a souligné un savant auteur, [traduction] « [u]ne fouille accessoire à l’arrestation peut s’étendre à l’espace environnant et pourrait donc comprendre la fouille de l’immeuble ou du véhicule où l’accusé est arrêté » (S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 124).
[61]                        Lorsque les policiers font une arrestation, selon la norme de common law actuelle, ils peuvent effectuer une fouille par palpation et examiner l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée. Toutefois, lorsque les policiers dépassent cette zone, la norme doit être relevée pour tenir compte du fait qu’ils sont entrés dans une maison sans mandat. Dans de telles circonstances, il ne suffit pas de satisfaire à la norme actuelle de common law, qui exige un certain fondement raisonnable pour la fouille. Les policiers doivent plutôt respecter une norme plus exigeante : ils doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille répondra à un objectif valable de sécurité. Nous aborderons plus en profondeur la norme des soupçons raisonnables dans la section suivante.
[62]                        Une démarche semblable a été adoptée aux États‑Unis, où la jurisprudence établit une distinction entre les espaces relevant du contrôle physique de la personne arrêtée et ceux se trouvant hors du contrôle physique de celle‑ci. Deux arrêts, lus ensemble, illustrent cette distinction. D’abord, dans l’arrêt Chimel c. California, 395 U.S. 752 (1969), p. 763, la Cour suprême des États‑Unis a statué que dans le contexte d’une arrestation dans un domicile, le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation permet aux policiers de fouiller : a) la personne arrêtée, comme au moyen d’une fouille sommaire; et b) l’espace [traduction] « relevant de son contrôle immédiat », c’est‑à‑dire l’espace où la personne arrêtée pourrait tenter de saisir une arme ou des éléments de preuve destructibles.
[63]                        Ensuite, dans l’arrêt Maryland c. Buie, 494 U.S. 325 (1990), la Cour suprême des États‑Unis s’est penchée sur des espaces qui n’ont pas été analysés dans l’arrêt Chimel. Elle a conclu que les policiers peuvent procéder à une inspection de protection d’un domicile après une arrestation lorsqu’ils soupçonnent raisonnablement qu’il y a un danger. Même dans ce cas, la fouille se limite à une inspection superficielle des espaces où une personne pourrait être trouvée et ne peut durer plus longtemps que nécessaire pour écarter le soupçon raisonnable de danger.
[64]                        Ces affaires, bien qu’elles ne soient évidemment pas contraignantes, constituent des précédents convaincants et utiles démontrant la nécessité d’établir différentes normes pour les fouilles d’espaces relevant du contrôle physique de la personne arrêtée et pour ceux se trouvant hors du contrôle physique de celle‑ci.
(ii)         La nature des soupçons raisonnables
[65]                        Lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à une arrestation dans un domicile pour des raisons de sécurité, ils doivent avoir des raisons de soupçonner qu’une fouille des espaces se situant hors du contrôle physique de la personne arrêtée contribuera à l’atteinte de l’objectif valable de sécurité du public et des policiers, y compris celle de l’accusé. Cette norme modifiée, qui est plus rigoureuse que la norme de base de common law, respecte les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile, tout en permettant aux policiers de s’acquitter efficacement de leurs responsabilités en matière d’application de la loi.
[66]                        À l’instar du critère de common law, l’objectif de la fouille doit être subjectivement lié à l’arrestation, et la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être objectivement raisonnable. Toutefois, l’exigence relative à l’objectivité est plus rigoureuse. Pour y satisfaire, la Couronne doit établir des « faits objectifs [qui] font naître des soupçons raisonnables, de sorte qu’une personne raisonnable à la place du policier aurait soupçonné raisonnablement la tenue d’une activité criminelle » (R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45).
[67]                        La norme des soupçons raisonnables est plus rigoureuse que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Caslake, le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation découle de l’arrestation légale même (par. 13). Il suffit qu’il existe un « motif raisonnable » de faire ce que le policier a fait compte tenu de l’arrestation (par. 20). La norme de common law est moins sévère que celle des soupçons raisonnables parce qu’elle permet les fouilles fondées sur des préoccupations généralisées découlant de l’arrestation, alors que celle des soupçons raisonnables ne le permet pas.
[68]                        En revanche, pour établir l’existence de soupçons raisonnables, les policiers ont besoin d’un ensemble de faits objectivement discernables appréciés à la lumière de toutes les circonstances donnant lieu au risque soupçonné. Cette appréciation doit « s’appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l’expérience pratique quotidienne » (Chehil, par. 29). De plus, les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille remédiera à ce risque. Toutefois, la norme des soupçons raisonnables est moins exigeante que celle des motifs raisonnables et probables parce qu’elle est fondée sur une possibilité et non sur une probabilité (Chehil, par. 32).
[69]                        La question de savoir si les circonstances d’un cas donné donnent lieu à des soupçons raisonnables doit être évaluée à la lumière de l’ensemble des circonstances (Chehil, par. 26). Les considérations suivantes pourraient être pertinentes : a) la nécessité d’une fouille; b) la nature du risque appréhendé; c) les conséquences potentielles de l’absence de prise de mesures de protection; d) l’existence d’autres mesures; et e) la probabilité que le risque envisagé existe réellement (R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 758).
(iii)        La raison d’être de la norme des soupçons raisonnables
[70]                        L’arrêt Golub fournit des lignes directrices utiles concernant la raison d’être de la norme des soupçons raisonnables. Dans cette affaire, il y avait eu entrée et fouille dans un domicile accessoirement à une arrestation. Après avoir procédé à une arrestation à l’extérieur d’une résidence, les policiers ont continué à soupçonner qu’une autre personne, armée d’une mitraillette chargée, se trouvait dans l’appartement. Le juge Doherty, pour la Cour d’appel de l’Ontario, a conclu que lorsque l’endroit devant faire l’objet d’une fouille est un domicile, les principes généraux énoncés dans l’arrêt Cloutier ne s’appliquent pas. Il a souligné que la décision de la Cour dans l’arrêt Feeney représentait un changement en droit qui accordait, dans la plupart des cas, une plus grande protection aux intérêts au respect de la vie privée dans un domicile qu’aux intérêts des autorités chargées de l’application de la loi. Il a ensuite expliqué que puisque les arrestations sans mandat dans un domicile ne sont généralement pas permises, un raisonnement semblable devrait s’appliquer aux fouilles sans mandat effectuées dans un domicile accessoirement à une arrestation (p. 755‑756).
[71]                        Le juge Doherty a conclu que les fouilles dans un domicile effectuées accessoirement à une arrestation devraient être [traduction] « généralement interdites, sous réserve de circonstances exceptionnelles où l’intérêt des autorités chargées de l’application de la loi est si impérieux qu’il prévaut sur le droit d’une personne au respect de sa vie privée dans son domicile » (p. 756). Les policiers doivent avoir des « soupçons raisonnables fondés sur les circonstances précises de l’arrestation » (p. 758‑759), selon lesquels ils doivent procéder à une fouille afin de protéger la sécurité de ceux qui se trouvent sur le lieu de l’arrestation (p. 758).
[72]                        Dans l’affaire Golub, les policiers sont entrés dans le domicile pour effectuer une fouille accessoire à l’arrestation, alors qu’en l’espèce, les policiers étaient déjà légalement dans le domicile en raison d’une situation d’urgence lorsqu’ils ont effectué une fouille accessoire à l’arrestation. Malgré cette différence, à notre avis, les principes qui ont mené la cour dans l’arrêt Golub à exiger une norme de soupçons raisonnables s’appliquent de la même manière en l’espèce. Le simple fait que les policiers soient entrés dans le domicile pour une raison valable ne leur donne pas carte blanche pour se promener partout dans le domicile lorsque les circonstances ne l’exigent pas. Comme nous l’avons expliqué, plus la fouille sans mandat est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. Par conséquent, lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à l’arrestation dans un domicile, dans des espaces se trouvant hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, ils doivent avoir des soupçons raisonnables.
[73]                        En concluant que la norme des soupçons raisonnables s’applique aux fouilles dans un domicile effectuées accessoirement à une arrestation, le juge Doherty a mis en balance les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile et les objectifs pertinents des policiers. Compte tenu du contexte factuel dans l’arrêt Golub, il était particulièrement intéressé par l’intérêt des policiers à protéger la sécurité des personnes se trouvant sur le lieu de l’arrestation. À cet égard, il a fait les astucieuses observations suivantes, auxquelles nous souscrivons entièrement :
     [traduction] . . . je m’intéresse à l’intérêt des policiers à protéger la sécurité des personnes se trouvant sur le lieu de l’arrestation. Cet intérêt est souvent la préoccupation la plus pressante sur le lieu d’une arrestation et des mesures doivent être prises sur‑le‑champ. Lorsque l’on décide si les policiers avaient raison de prendre des mesures pour assurer leur sécurité, il faut tenir compte des réalités de la situation d’arrestation. Souvent, et la présente affaire en est un bon exemple, l’atmosphère du lieu de l’arrestation est instable et les policiers doivent s’attendre à l’inattendu. Le prix payé si des mesures inadéquates sont prises pour sécuriser le lieu d’une arrestation peut en effet être très élevé. Tout comme il est inapproprié de tenter de justifier ex post facto la conduite des policiers, il est tout aussi inapproprié de faire fi des réalités des situations où les policiers doivent prendre de telles décisions. [Nous soulignons; p. 757.]
[74]                        Lorsque le juge chargé de la révision évalue la conduite des policiers, il doit être conscient de l’instabilité et de l’incertitude auxquelles ceux‑ci font face — les policiers doivent s’attendre à l’inattendu. Cette réalité est inhérente à l’exercice par les policiers de leurs pouvoirs de common law, ainsi que de leurs devoirs prévus par la loi, notamment « la préservation de la paix, la prévention du crime et [. . .] la protection de la vie des personnes et des biens » (R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 15 (soulignement omis), citant Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2, p. 11‑12; Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15, art. 42). Compte tenu de leur mandat, les policiers « doivent être habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu’ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l’ordre » (R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, par. 16). La norme des soupçons raisonnables fait en sorte que les policiers peuvent s’acquitter de ces devoirs, tout en tenant compte de l’intérêt élevé au respect de la vie privée des gens dans leur domicile.
(iv)        Aucune exigence relative à la croyance raisonnable de préjudices imminents
[75]                        En adoptant une norme de soupçons raisonnables, nous rejetons celle que propose M. Stairs concernant la croyance raisonnable que des préjudices sont imminents, à laquelle a souscrit le juge dissident en Cour d’appel. Monsieur Stairs et le juge dissident ont invoqué l’arrêt MacDonald; toutefois, cet arrêt se distingue de la présente affaire.
[76]                        Dans l’arrêt MacDonald, les policiers se sont présentés au condominium de M. MacDonald en raison d’une plainte de bruit. Lorsque ce dernier a ouvert partiellement la porte de son unité, il semblait tenir une arme derrière sa jambe. Après qu’il a refusé de dire ce qu’il tenait derrière sa jambe, le policier a poussé la porte pour l’ouvrir davantage. Il importe de noter que M. MacDonald n’était pas en état d’arrestation. Il a donc conservé une attente considérable au respect de sa vie privée dans son domicile, et les policiers devaient satisfaire à des critères plus exigeants pour justifier leur entrée dans le domicile — c.‑à‑d., une croyance raisonnable que des préjudices étaient imminents. Dans la présente affaire, en revanche, les policiers étaient déjà entrés dans le domicile en raison d’une situation d’urgence et avaient procédé légalement à l’arrestation. L’attente en matière de respect de la vie privée de M. Stairs était donc considérablement diminuée (Fearon, par. 56, faisant référence à R. c. Beare, 1988 CanLII 126 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 387, p. 413). Précisons que « [l]e pouvoir de procéder à la fouille ne découle pas d’une attente moins grande en matière de vie privée chez la personne arrêtée »; toutefois, il s’agit d’un facteur dans l’appréciation de la norme applicable à une fouille accessoire à l’arrestation (Caslake, par. 17). À notre avis, il s’ensuit que l’arrêt MacDonald se distingue de la présente affaire.
[77]                        Des motifs indépendants justifient aussi le rejet d’une norme exigeant une croyance raisonnable que des préjudices sont imminents pour la fouille d’un domicile accessoire à une arrestation. D’abord, étant donné qu’une fouille accessoire à une arrestation a habituellement lieu au début d’une enquête, les policiers seront souvent incapables de démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables. Placer la barre trop haut empêcherait les policiers d’agir rapidement et de prendre des mesures immédiates afin d’écarter les risques pour leur sécurité et celle des autres, y compris des victimes innocentes. Ensuite, une exigence d’imminence interdirait pratiquement le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, puisqu’elle constituerait simplement une reformulation de l’exception relative à l’urgence. En cas d’urgence, les policiers peuvent agir uniquement sur ce fondement. Il ne serait pas nécessaire qu’ils aient le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.
b)            Nature et étendue de la fouille
[78]                        Les policiers doivent adapter soigneusement les fouilles qu’ils effectuent dans un domicile accessoirement à une arrestation aux intérêts accrus en matière de respect de la vie privée qui s’y rattachent. Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation ne permet pas aux policiers de procéder à des fouilles fortuites. Les policiers font face à de nombreuses contraintes lorsqu’ils dépassent l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée.
[79]                        Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation permet seulement aux policiers de le faire dans l’espace environnant l’arrestation (Cloutier, p. 180‑181; Coughlan, p. 124). Les indications de la Cour sur la façon d’établir ce qui constitue l’espace environnant l’arrestation demeurent les mêmes. Comme il a été indiqué, le principal facteur à considérer est le lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation (Nolet, par. 49).
[80]                        De plus, la nature de la fouille doit être adaptée à son objectif précis, aux circonstances de l’arrestation et à la nature de l’infraction. En général, les policiers ne peuvent avoir recours au pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation pour justifier la fouille dans chaque recoin de la maison. La fouille accessoire à l’arrestation demeure une exception à la règle générale selon laquelle un mandat est requis pour justifier l’introduction dans le domicile. La fouille ne devrait pas être plus attentatoire que nécessaire pour écarter les soupçons raisonnables des policiers.
[81]                        En outre, il serait bon que les policiers prennent des notes détaillées après avoir procédé à une fouille dans un domicile accessoirement à une arrestation. Ils devraient inscrire les endroits visés par la fouille, l’étendue de celle‑ci, l’heure à laquelle elle a eu lieu, son objectif et sa durée. Dans certains cas, des notes insuffisantes pourraient amener un juge du procès à tirer des conclusions préjudiciables ayant une incidence sur le caractère raisonnable de la fouille.
(4)         Le cadre d’analyse applicable
[82]                        En résumé, la fouille d’un domicile effectuée accessoirement à une arrestation pour des raisons de sécurité sera conforme à l’art. 8 de la Charte lorsque les conditions suivantes sont réunies :
(1)         L’arrestation était légale.
(2)         La fouille était accessoire à l’arrestation, ce qui est le cas lorsque les considérations suivantes sont respectées :
a)      Lorsque l’espace visé par la fouille relève du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, la norme de common law doit être satisfaite.
b)      Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille contribuera à l’atteinte de l’objectif de sécurité des policiers et du public, y compris celle de l’accusé.
(3)         Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — la nature et l’étendue de la fouille doivent être adaptées à son objet et aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.
VI.         Application
[83]                        Devant la Cour, M. Stairs ne remet pas en question la légalité de son arrestation ou la validité de la fouille par palpation initiale et de l’inspection de la salle de lavage. Les questions à trancher sont les suivantes : a) les policiers avaient-ils des raisons de soupçonner que des risques liés à la sécurité justifiaient la fouille dans la salle de séjour du sous‑sol; et b) la fouille a‑t‑elle été effectuée d’une manière non abusive?
A.           Soupçons raisonnables
[84]                        La fouille dans la salle de séjour respectait la norme des soupçons raisonnables, tant pour ce qui est de son élément subjectif que de son élément objectif.
(1)         Élément subjectif
[85]                        La juge du procès pouvait conclure que les policiers avaient subjectivement cru qu’il y avait un risque relatif à la sécurité qui pouvait être écarté en effectuant l’inspection à des fins sécuritaires de la salle de séjour. Il s’agissait d’un objectif valable d’application de la loi. Le policier qui a effectué l’inspection à des fins sécuritaires (l’agent Vandervelde) a affirmé lors de son témoignage que l’inspection avait été effectuée pour s’assurer [traduction] « qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce », comme une personne pouvant représenter un risque ou ayant besoin d’aide, et qu’il n’y avait pas « d’autres dangers », comme des armes ou des armes à feu à découvert (voir les motifs relatifs à la demande préalable au procès, par. 282).
(2)         Élément objectif
[86]                        La juge du procès pouvait aussi conclure qu’il était objectivement raisonnable que les policiers vérifient que l’endroit ne contenait aucun risque ou autre occupant. Lors de l’appréciation du caractère raisonnable, il est essentiel de bien replacer l’arrestation et les circonstances dans leur contexte. En l’espèce, les facteurs suivants occupent une place importante dans l’analyse des raisons de soupçonner : a) la dynamique avant et pendant l’arrestation; et b) la nature de l’infraction pour laquelle M. Stairs a été arrêté.
a)              La dynamique de l’arrestation
[87]                        La situation était instable et évoluait rapidement. Les policiers ont répondu à un appel d’un civil au 9‑1‑1. L’auteur de l’appel a signalé qu’un conducteur zigzaguait sur la route tout en assénant à répétition la passagère d’une [traduction] « rafale de coups ». Il a continué à la frapper, même si elle se recroquevillait pour se protéger.
[88]                        Peu de temps après, les policiers ont localisé la voiture signalée, stationnée dans l’entrée d’une maison inconnue de ceux‑ci. Même s’ils se sont annoncés plusieurs fois d’une voix forte, personne n’est venu répondre à la porte. Ils sont entrés dans la maison parce qu’ils craignaient que l’agression fût toujours en cours. Lorsque la femme est arrivée de la salle de séjour située au sous‑sol, elle avait des blessures récentes au visage, ce qui étayait la croyance des policiers qu’elle avait été agressée. De plus, M. Stairs a désobéi aux ordres qui lui ont été répétés plusieurs fois. Il se comportait de façon irrégulière : il a couru d’un bout à l’autre du sous‑sol à partir de la salle de séjour et s’est barricadé dans la salle de lavage.
[89]                        À partir du moment où les policiers ont frappé à la porte jusqu’à l’arrestation, environ quatre minutes se sont écoulées. La situation était tendue et les policiers avaient leur arme à la main. Tout au long de l’interaction, les policiers savaient aussi que M. Stairs avait des antécédents de violence, notamment de violence familiale, qu’il était susceptible de s’enfuir et qu’il avait été désigné délinquant à haut risque.
b)            La nature de l’infraction
[90]                        Monsieur Stairs a été arrêté pour voies de fait contre sa conjointe. Comme l’a reconnu la Cour dans l’arrêt Godoy, au par. 21, le respect de la vie privée au sein du foyer doit être mis en balance avec la sécurité des autres membres du foyer :
      L’un des traits spécifiques de [la violence conjugale] est son caractère privé. La violence familiale survient au sein du foyer qui est censé être inviolable. Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’intimité du foyer soit une valeur qu’il faut préserver et favoriser, le respect de la vie privée ne saurait l’emporter sur la sécurité de tous les membres du foyer. Si notre société veut se doter de moyens efficaces pour lutter contre la violence conjugale, elle doit pouvoir intervenir en cas de crise.
[91]                        Pour les victimes de violence familiale, le domicile n’est souvent pas un refuge sûr. Il s’agit plutôt d’un endroit qui abrite et permet les mauvais traitements. Bien que les intérêts au respect de la vie privée dans le domicile soient importants, l’art. 8 de la Charte « ne vise pas à protéger aveuglément les droits en matière de vie privée revendiqués dans le contexte d’activités criminelles qui se déroulent à l’intérieur de la demeure d’une personne » (Silveira, par. 119, la juge L’Heureux‑Dubé, motifs concordants). Dans les cas de violence familiale, les policiers se soucient non seulement du respect de la vie privée et de l’autonomie de la personne arrêtée, mais ils doivent aussi être vigilants quant à la sécurité de tous les membres du ménage, y compris les victimes connues et les victimes potentielles.
[92]                        Par le passé, les victimes de violence familiale ne recevaient pas l’aide dont elles avaient besoin. Les conflits familiaux étaient considérés comme étant des questions « privées » qui ne justifiaient pas l’intervention de l’État. Plus récemment, « les tribunaux, les législateurs, la police et les travailleurs sociaux se sont engagés dans une campagne sérieuse et importante pour s’informer eux‑mêmes et éduquer le public au sujet de la nature et de la fréquence de la violence conjugale » (Godoy, par. 21). Pourtant, malgré ces avancées, la violence familiale persiste. Elle demeure l’un des crimes les plus fréquents au Canada, représentant plus d’un quart de tous les crimes violents. En 2019, il y a eu environ 400 000 victimes de crimes violents signalés à la police. De ce nombre, 26 p. 100 — soit plus de 100 000 personnes — ont été agressées par un membre de la famille (Statistique Canada, La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2019 (mars 2021), p. 4).
[93]                        De plus, les affaires où il est question de violence familiale sont souvent instables et chargées sur le plan émotif (Jensen c. Stemmer, 2007 MBCA 42, 214 Man. R. (2d) 64, par. 98; L. Ruff, « Does Training Matter? Exploring Police Officer Response to Domestic Dispute Calls Before and After Training on Intimate Partner Violence » (2012), 85 Police J. 285). Les interventions en cas de querelle conjugale peuvent être dangereuses et peuvent même représenter un danger pour la vie des agents intervenants et des personnes se trouvant sur les lieux (R. c. Dodd (1999), 1999 CanLII 18930 (NL CA), 180 Nfld. & P.E.I.R. 145 (C.A. T.‑N.‑L.), par. 38). En raison de la fréquence de la violence familiale et des risques qui y sont liés, les policiers intervenants doivent avoir la capacité d’évaluer et de contrôler la situation. En l’espèce, cela comprend le fait de confirmer s’il y a d’autres personnes ou risques dans l’espace environnant l’arrestation.
[94]                        Les policiers répondent souvent à des appels concernant des cas de violence familiale en ayant peu de renseignements. Par exemple, ils ne savent peut‑être pas si d’autres membres de la famille, notamment des enfants, sont touchés. Cette difficulté est exacerbée lorsque les victimes sur le lieu de l’arrestation sont peu coopératives, comme cela est souvent le cas dans un contexte de violence familiale. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Lowes, 2016 ONCA 519, les policiers ont répondu à un appel au 9‑1‑1 où une personne affirmait avoir entendu un voisin menacer de tuer une femme. La femme a soutenu auprès des policiers qu’il n’y avait personne d’autre dans l’appartement. La Cour d’appel a conclu que les policiers auraient [traduction] « manqué à leur devoir » s’ils avaient cru la femme sur parole (par. 12 (CanLII)).
[95]                        Une situation semblable s’est déroulée en l’espèce. Malgré des blessures récentes et visibles, la victime a prétendu que M. Stairs et elle ne faisaient que jouer à la bagarre. Cette affirmation n’était pas crédible, étant donné la nature de ses blessures et en raison du fait qu’une personne avait été témoin d’une agression si violente qu’elle l’avait signalée au 9‑1‑1. De plus, l’agent Brown a affirmé que, compte tenu de sa conversation avec la victime, il croyait qu’elle [traduction] « ne voulait pas coopérer » (d.a., vol. II, p. 49). Surtout, les policiers ne pouvaient pas se fier à elle pour obtenir des renseignements fiables concernant la présence d’autres personnes, d’autres dangers ou la cause de ses blessures, et il n’y avait personne d’autre auprès de qui ils pouvaient obtenir de tels renseignements. Il était donc objectivement raisonnable que les policiers procèdent à une fouille sommaire de l’espace environnant l’arrestation, y compris la salle de séjour du sous‑sol.
[96]                        Notre collègue la juge Karakatsanis affirme que les policiers ont agi selon des soupçons généraux, plutôt que selon des soupçons raisonnables. Soit dit en tout respect, nous ne sommes pas de cet avis. Lorsque nous nous demandons si la conduite des policiers était objectivement raisonnable dans les circonstances de l’espèce, nous devons nous souvenir des propos d’une aide inestimable qu’a tenus le juge Doherty dans l’arrêt Golub, à la p. 757 : dans des situations instables où les policiers doivent s’attendre à l’inattendu, il est [traduction] « fautif de faire abstraction des réalités des situations dans lesquelles les policiers doivent prendre leurs décisions ». Bien qu’il soit essentiel que la démarcation entre soupçons généraux et soupçons raisonnables soit maintenue, dans les cas comme celui en l’espèce, nous devons prendre bien soin d’éviter d’utiliser le portrait global que donne le recul comme étalon servant à mesurer les décisions instantanées prises par les policiers.
[97]                        Bien que les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile soient importants, ils ne sont pas absolus. À la lumière des faits de la présente affaire, la juge du procès pouvait conclure que l’intérêt de la société relatif à l’application efficace de la loi devait l’emporter sur l’intérêt de M. Stairs au respect de sa vie privée dans la salle de séjour au sous‑sol. La juge du procès n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était objectivement raisonnable que les policiers vérifient l’endroit pour s’assurer qu’aucune autre personne (notamment des victimes potentielles) n’était présente et qu’il n’y avait pas d’armes ou de dangers à découvert.
B.            Nature et étendue de la fouille
[98]                        La fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive. Elle a eu lieu tout de suite après l’arrestation et les policiers ont simplement effectué une inspection visuelle de la salle de séjour afin de s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce et qu’il n’y avait pas d’armes ou de dangers.
[99]                        L’étendue spatiale de la fouille était juste. La conclusion de fait de la juge du procès selon laquelle la salle de séjour faisait partie de l’espace environnant l’arrestation ne révèle aucune erreur. Les policiers ont dûment limité l’étendue de la fouille. S’ils avaient effectué une fouille aux étages supérieurs de la maison ou dans d’autres pièces, la fouille aurait été abusive; mais ils ne l’ont pas fait. Ils ont seulement vérifié la salle de séjour du sous‑sol, qui était directement adjacente à l’endroit où M. Stairs avait été arrêté — l’endroit même d’où la victime et lui étaient arrivés quelques moments plus tôt.
[100]                     De plus, les policiers ont effectué une fouille dans ce qui semblait être un espace commun de séjour. Rien concernant cet espace ne laissait croire qu’une attente en matière de respect de la vie privée supérieure à la normale dans le contexte d’un domicile était justifiée, comme celle que l’on pourrait raisonnablement avoir dans une chambre à coucher. Bien qu’il ait été révélé au procès que M. Stairs utilisait la salle de séjour du sous‑sol comme son principal espace d’habitation, au moment de la fouille, rien n’indiquait qu’il l’utilisait comme chambre à coucher. Le sous‑sol ne constituait pas non plus un appartement séparé du reste de la maison.
[101]                     Enfin, les policiers ont procédé à une fouille des plus sommaires. Ils ont effectué une brève inspection visuelle pour voir s’il y avait une autre personne dans la pièce ou des armes ou des dangers évidents sur les lieux. Ils n’ont déplacé aucun objet ni ouvert aucune porte ou armoire, ce qui n’aurait pas été permis dans ce cas. Compte tenu de leur objectif, la fouille était la moins attentatoire possible.
[102]                     L’avocate de M. Stairs a fait valoir que si la norme applicable à une fouille accessoire à une arrestation dans un domicile était modifiée pour exiger des soupçons raisonnables, elle n’aurait [traduction] « aucun problème quant à l’applicabilité de la doctrine des objets bien en vue » (transcription, p. 19). Étant donné que la Cour n’a pas eu l’avantage d’entendre des observations à ce sujet, nous reportons à une autre occasion l’importante question de savoir si la doctrine de common law des objets bien en vue s’applique dans le contexte d’une fouille accessoire à une arrestation dans un domicile et, le cas échéant, de quelle façon elle s’applique. En raison de la concession au dossier, et des conclusions de la juge du procès, nous ne modifierions pas sa conclusion portant que la saisie était autorisée.
VII.      Dispositif
[103]                     Pour les motifs exposés ci‑dessus, la fouille dans la salle de séjour effectuée accessoirement à l’arrestation ne violait pas le droit que l’art. 8 de la Charte garantit à M. Stairs d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Les policiers avaient des raisons de soupçonner qu’il y avait un risque relatif à la sécurité, auquel remédierait une inspection sommaire visuelle à des fins sécuritaires. De plus, la fouille était adaptée à son objectif — elle était ciblée, brève et restreinte. Les éléments de preuve trouvés lors de la fouille dans la salle de séjour ont donc été dûment admis au procès. Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
 
Version française des motifs des juges Karakatsanis, Brown et Martin rendus par
 
                    La juge Karakatsanis —
I.               Aperçu
[104]                     Lors d’une intervention faisant suite à un appel pour violence conjugale, des policiers ont arrêté Matthew Stairs dans son domicile, ont effectué une fouille dans son sous‑sol et, dans le cadre d’une découverte n’ayant aucun lien avec la nature de l’arrestation ou le but de la fouille, ont saisi de la méthamphétamine trouvée derrière un canapé et à côté d’une table à café. Monsieur Stairs a par la suite été accusé de possession de drogues en vue d’en faire le trafic. Les juges majoritaires concluent que la fouille et les saisies sans mandat effectuées par les policiers respectaient l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je ne suis pas de cet avis.
[105]                     Le domicile n’est pas seulement un abri — c’est aussi un refuge personnel et une mine de renseignements personnels. Il occupe une place unique dans la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives que garantit l’art. 8. De fait, il n’y a « aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée » (R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, par. 140). Toutefois, le droit au respect de la vie privée n’est pas absolu, et doit parfois céder le pas à des objectifs concurrents d’application de la loi. La question en l’espèce porte sur la façon de mettre en balance les deux facteurs lorsque les policiers entrent légalement dans une habitation sans mandat, font une arrestation et cherchent à procéder à une fouille accessoire à cette arrestation. La Charte exige‑t‑elle que des restrictions particulières s’appliquent?
[106]                     La question est axée sur l’application de la doctrine de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation, qui habilite normalement les policiers à procéder à une fouille de la personne arrêtée et de son environnement immédiat pour des raisons de sécurité, afin de préserver des éléments de preuve susceptibles d’être détruits ou de découvrir de nouveaux éléments de preuve qui pourraient être utilisés au procès. Ce pouvoir est inhabituel parce que, comme le pouvoir de procéder à une fouille découle de l’arrestation, il autorise les fouilles sans mandat sans que des motifs raisonnables ou même un soupçon raisonnable ne soient nécessaires. Les policiers ont plutôt seulement besoin d’un « motif raisonnable » pour procéder à la fouille (R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 20).
[107]                     À l’instar de mes collègues, je conclus que la common law place la barre trop bas pour les fouilles accessoires à une arrestation dans une habitation. Le respect de la vie privée exige une norme plus élevée. Lorsque les policiers cherchent à procéder à une fouille dans une habitation pour des raisons de sécurité — comme ils l’ont fait en l’espèce — la norme qu’il convient d’appliquer est celle des soupçons raisonnables qu’il y a une menace imminente pour la sécurité des policiers ou du public.
[108]                     Appliquant ce cadre d’analyse à la présente affaire, je conclus que la fouille et les saisies n’étaient pas justifiées. Les policiers n’ont effectué une fouille dans le sous‑sol qu’une fois que M. Stairs fût menotté et que la victime fût montée à l’étage, et ils l’ont fait en l’absence d’indices indiquant la présence d’armes ou d’autres personnes. L’agent ayant effectué la fouille n’a fourni aucun motif justifiant l’existence de soupçons raisonnables que la sécurité de quiconque était en danger à la suite de l’arrestation de M. Stairs. La fouille et les saisies étaient donc illégales et violaient les droits de M. Stairs garantis par l’art. 8. Je suis d’avis d’exclure la preuve en vertu du par. 24(2), d’annuler la déclaration de culpabilité de M. Stairs et d’inscrire un verdict d’acquittement.
II.            Faits
[109]                     Dans le cadre d’une intervention faisant suite à un appel au 9‑1‑1 d’un civil qui soutenait avoir vu un conducteur de voiture agresser sa passagère, les agents Brown, Vandervelde et Martin ont trouvé la voiture à une adresse résidentielle et ont vérifié la plaque d’immatriculation. La voiture était associée à Matthew Stairs, un individu faisant l’objet d’avertissements pour risque de fuite, violence et violence familiale. Les policiers, ne recevant aucune réponse à la porte avant, ont regardé par les fenêtres et, ne voyant personne dans la maison, sont entrés par une porte de côté non verrouillée. Au rez‑de‑chaussée, aucune lumière n’était allumée, mais ils pouvaient voir de la lumière et entendre de la musique provenant du sous‑sol. L’agent Vandervelde a vu M. Stairs passer au bas de l’escalier en courant, et une femme ayant des blessures récentes au visage est arrivée du sous‑sol avec les mains en l’air. Pendant que l’agent Martin s’occupait de la femme à l’étage, les agents Brown et Vandervelde sont descendus au sous‑sol avec leur arme à la main et ont finalement convaincu M. Stairs de sortir de la salle de lavage, où il s’était barricadé. L’agent Brown l’a arrêté et fouillé, ne trouvant que de l’argent. L’agent Vandervelde a ensuite fait une « inspection visuelle » du sous‑sol et, à environ 10 pieds de l’endroit où avait eu lieu l’arrestation, il a vu un contenant Tupperware transparent sur le plancher derrière un canapé, renfermant ce qui semblait être de la méthamphétamine en cristaux. Un sac ziplock à côté d’une table à café semblait aussi contenir de la méthamphétamine. Les policiers ont saisi les deux objets et ont aussi arrêté la femme blessée pour possession de drogues.
[110]                     Monsieur Stairs a été accusé de possession d’une substance réglementée en vue d’en faire le trafic et a contesté l’admissibilité en preuve des drogues sur le fondement de l’art. 8 de la Charte. La juge du procès a rejeté sa demande, concluant que les policiers l’avaient légalement arrêté, avaient légalement procédé à une fouille accessoire à l’arrestation et avaient légalement saisi les éléments de preuve au titre de la théorie des objets bien en vue (2018 ONSC 3747, 412 C.R.R. (2d) 95 (motifs relatifs à la demande préalable au procès)). Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario étaient aussi de cet avis, statuant que la fouille était autorisée à titre de fouille accessoire à l’arrestation, et que les saisies des éléments de preuve étaient légales en application de la théorie des objets bien en vue (2020 ONCA 678, 153 O.R. (3d) 32). Le juge Nordheimer, dissident, aurait conclu que la fouille ne satisfaisait pas à la norme de la « nécessité objectivement vérifiable » pour une fouille sans mandat dans une habitation (R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 31). Monsieur Stairs interjette appel de plein droit à la Cour.
III.         Analyse
[111]                     Mes motifs comportent trois parties. Premièrement, j’examine le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, et je conclus qu’une fouille est permise lorsque l’agent soupçonne raisonnablement qu’il y a une menace imminente pour la sécurité des policiers ou du public. Deuxièmement, j’étudie l’application de cette norme à la preuve en l’espèce, et je conclus que la fouille et les saisies étaient illégales, et donc inconstitutionnelles. Enfin, je me penche sur le par. 24(2) de la Charte, et je conclus que la preuve devrait être exclue et l’appel accueilli.
A.         Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation
(1)            Article 8 de la Charte
[112]                     L’article 8 de la Charte confère le droit « à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Une fouille ou une saisie n’est raisonnable, et donc constitutionnelle, que (1) lorsqu’elle est autorisée par la loi; (2) la loi elle‑même n’a rien d’abusif; et (3) la fouille ou la saisie n’ont pas été effectuées d’une manière abusive (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278). La portée du droit est déterminée par l’équilibre sous‑jacent qu’établit l’art. 8 entre les intérêts au respect de la vie privée et les objectifs légitimes des autorités d’application de la loi (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 159‑160).
[113]                     À l’instar des autres droits garantis par la Charte, l’art. 8 restreint le pouvoir de l’État; il « n’autorise pas en soi le gouvernement à agir » (Hunter, p. 156). Dans l’arrêt Hunter, la Cour a conclu que l’autorisation judiciaire préalable — un mandat — est une condition préalable de la validité d’une fouille ou d’une saisie, faute de quoi la fouille ou la saisie sera tenue pour inconstitutionnelle (p. 161). Par l’attribution à un arbitre judiciaire de la responsabilité d’autoriser une fouille sur le fondement de motifs raisonnables et probables, l’exigence d’obtention d’un mandat « impose à l’État l’obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier » et est un « moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elles ne se produisent » (Hunter, p. 160 (soulignement dans l’original)).
[114]                     L’exigence de mandat est un contrepoids fondamental aux pouvoirs des policiers, et une pierre angulaire de notre ordre constitutionnel. Toute exception devrait être « extrêmement rar[e] » (R. c. Simmons, 1988 CanLII 12 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 495, p. 527; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, p. 239). Toutefois, il n’est pas toujours possible d’obtenir un mandat. En cas d’urgence — souvent défini comme une menace imminente à la sécurité des policiers ou du public, ou un risque de perte ou de destruction imminente d’éléments de preuve — les policiers pourraient être autorisés à procéder à une fouille ou à saisir les éléments de preuve sans mandat (Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 487.11; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 52). De telles exceptions sont justifiées non pas par des intérêts réduits au respect de la vie privée, mais par les objectifs pressants d’application de la loi, qui les dépassent lors de situations critiques.
(2)            Pouvoir de common law d’effectuer une fouille accessoire à l’arrestation
[115]                     Le pouvoir des policiers d’effectuer une fouille accessoire à l’arrestation est une autre exception de common law à l’exigence de mandat. Ce pouvoir peut être exercé lorsque (1) la personne a été légalement arrêtée; (2) la fouille est « véritablement accessoire à l’arrestation, c’est‑à‑dire qu’elle vise un objectif d’application de la loi valable, lié aux motifs de l’arrestation »; et (3) la fouille n’est pas abusive (R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518, par. 37). Le pouvoir découle de l’arrestation même; il n’est pas nécessaire d’établir indépendamment l’existence de motifs raisonnables et probables (Caslake, par. 13).
[116]                     Le pouvoir n’est pas sans limites. Il permet seulement aux policiers de fouiller la personne mise en état d’arrestation et « de saisir les objets en sa possession ou dans son entourage immédiat » (Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158, p. 180). De plus, le critère selon lequel la fouille doit être « véritablement accessoire à l’arrestation » exige deux choses. Premièrement, la fouille doit se rapporter à un objectif valable d’application de la loi — protéger la sécurité des policiers ou du public, empêcher la destruction d’éléments de preuve ou découvrir des éléments de preuve qui pourront être utilisés au procès — et elle doit être subjectivement et objectivement raisonnable dans les circonstances (Caslake, par. 19 et 21). Deuxièmement, la fouille doit avoir lieu à proximité de l’arrestation sur les plans temporel et spatial (Caslake, par. 25). En bref, il s’agit d’un « pouvoir précis », dont la portée est tributaire des « circonstances particulières de l’arrestation précise » (R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 13 et 16). Les objectifs et l’étendue de la fouille dépendront de la nature de l’infraction et des circonstances de l’arrestation (Caslake, par. 25).
[117]                     Malgré les limites de ce pouvoir, la Cour est demeurée prudente afin d’empêcher qu’il ait une portée excessive. Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation est « extraordinaire », non seulement parce qu’il permet les fouilles sans mandat, mais aussi parce qu’il peut le faire « dans des circonstances où il n’existe aucun motif pour obtenir un mandat » (Fearon, par. 16). Dans certains cas, la Cour a modifié ou adapté le cadre d’analyse de common law pour tenir compte d’intérêts individuels particulièrement impérieux, comme dans le cas de saisies de cheveux, de prélèvements dans la bouche et d’empreintes dentaires (R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607); de fouilles à nu (R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679); de fouilles de téléphones cellulaires (Fearon); et de prélèvements par écouvillonnage du pénis (Saeed). La question en l’espèce est de savoir si les intérêts considérables au respect de la vie privée dans une habitation commandent aussi des modifications à l’exercice de ce pouvoir de common law.
(3)            Fouilles dans une habitation
[118]                     Pour répondre à cette question, l’art. 8 exige la mise en balance des intérêts au respect de la vie privée dans une habitation, d’une part, et des intérêts d’application de la loi, d’autre part.
a)               Intérêts au respect de la vie privée
[119]                     Pendant des siècles, la loi a reconnu que la maison de chacun est son sanctuaire (Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 739, p. 743). Représentant depuis longtemps une contrainte majeure aux intrusions de l’État, la consécration juridique de l’intimité du foyer « s’est [. . .] considérablement accrue avec l’adoption de la Charte » (Feeney, par. 43). Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les gens ont des intérêts considérables au respect de la vie privée dans leur domicile (Silveira, par. 140; Feeney, par. 43; R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 19; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 22; MacDonald, par. 26; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202, par. 46; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, par. 24). Cela vaut non seulement pour les personnes arrêtées, mais aussi pour les autres occupants, et comprend les espaces ou les choses faisant l’objet d’un contrôle partagé (Reeves, par. 37). Même si elles sont brèves ou circonscrites, les fouilles effectuées par les policiers dans des habitations menacent ces vastes intérêts impérieux au respect de la vie privée et les intérêts qui les sous‑tendent — la dignité, l’intégrité et l’autonomie (R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, p. 293) — qui sont tous essentiels à l’épanouissement humain.
[120]                     Mes collègues reconnaissent que les intérêts au respect de la vie privée dans une habitation sont considérables (par. 49). Toutefois, contrairement à eux, je ne trouve pas utile de comparer la vie privée dans une habitation à une fouille à nu ou à l’obtention d’échantillons de substances corporelles (par. 51). Les intérêts au respect de la vie privée prennent différentes formes — ils peuvent avoir trait à la personne, aux lieux ou à l’information (Tessling, par. 20) — et ne peuvent être mis sur le même pied. L’adaptation du cadre d’analyse de common law vise à concilier les intérêts précis au respect de la vie privée en cause avec les intérêts précis d’application de la loi qui leur font contrepoids. La question de savoir si une fouille dans une habitation serait plus ou moins attentatoire qu’une fouille corporelle ou une fouille de téléphone cellulaire ou de voiture relève donc de la digression; les principales questions sont de savoir à quel moment et de quelle façon les intérêts indubitablement considérables au respect de la vie privée dans une habitation doivent céder le pas à divers objectifs policiers.
[121]                     En bref, le domicile est le lieu où se déroulent les activités les plus intimes des gens : il est à la fois un abri contre le monde extérieur et un dossier biographique et son caractère sacré, sans lequel la vie privée, la dignité, l’intégrité et l’autonomie seraient durement touchées, est indispensable. La grande importance accordée à la sécurité d’une personne dans son domicile agit donc comme « rempart » de protection, qui « procure à l’individu une certaine mesure de vie privée et de tranquillité vis‑à‑vis du pouvoir atterrant de l’État » (Silveira, par. 41, le juge La Forest, dissident, mais pas sur ce point).
b)               Objectifs d’application de la loi
[122]                     Bien que les intérêts au respect de la vie privée dans une habitation soient importants, les intérêts à la protection de la sécurité des policiers et du public le sont tout autant. Les policiers doivent pouvoir parer aux risques susceptibles de se présenter dans des environnements inconnus et potentiellement hostiles, surtout lorsqu’ils enquêtent sur des infractions survenant dans des contextes instables, comme la violence familiale. Le coût des mesures inadéquates pour protéger la sécurité [traduction] « peut en effet être très élevé », et il ne serait pas raisonnable de « demander aux policiers de se placer dans des situations potentiellement dangereuses » sans qu’ils soient outillés pour prendre des mesures de défense raisonnables (R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 757). Selon les circonstances de l’arrestation, il est aussi possible que les policiers doivent aider d’autres personnes sur les lieux, comme des enfants.
[123]                     Certes, les intérêts d’application de la loi en jeu lors d’une fouille dans une habitation dans un contexte de violence familiale peuvent jouer dans les deux sens. Les fouilles effectuées par les policiers pourraient accabler davantage les victimes ou mettre au jour des éléments de preuve relatifs à des infractions non liées, ce qui peut décourager les gens de faire un signalement. Il s’agit d’un motif particulier de préoccupation dans le cas de la violence familiale, un de ces « traits spécifiques » étant son caractère privé (Godoy, par. 21). La présente affaire sert d’illustration : peu après l’arrestation de M. Stairs, les policiers ont arrêté la victime elle‑même pour possession de drogues. Les victimes de violence familiale sont souvent réticentes à demander l’aide des policiers et à coopérer avec eux lorsqu’ils arrivent sur les lieux. Des pouvoirs de fouille trop vastes ne peuvent qu’aggraver cette réticence.
[124]                     Cependant, les deux côtés de la médaille ont beaucoup d’importance lorsque les policiers font face à des préoccupations concernant la sécurité dans une habitation. Bien que la nature des intérêts au respect de la vie privée dans une habitation privée justifie habituellement un critère plus exigeant, les préoccupations concernant la sécurité pointent résolument dans l’autre direction. Manifestement, le droit d’effectuer une fouille sur le fondement d’un seul « motif raisonnable » ne donnerait que peu d’effet au puissant intérêt au respect de la vie privée. Toutefois, un pouvoir d’effectuer une fouille formulé en restrictions indues pourrait mettre en danger les policiers ou le public. Mettant en balance les deux objectifs eu égard à l’art. 8, j’estime que la norme des soupçons raisonnables est la norme qu’il convient d’appliquer aux fouilles fondées sur la sécurité, lorsque les policiers croient qu’il pourrait y avoir menace imminente pour eux ou d’autres personnes.
[125]                     Puisque je tire cette conclusion, il s’ensuit que je rejette les observations de M. Stairs ainsi que la conclusion du juge dissident en Cour d’appel (par. 76‑78) portant que l’art. 8 exige une norme de croyance raisonnable qu’un préjudice est imminent dans ce contexte. Toutefois, bien que je sois d’accord avec mes collègues pour dire que la croyance raisonnable — c’est‑à‑dire, les motifs raisonnables et probables (Baron c. Canada, 1993 CanLII 154 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 416, p. 446‑447) — place la barre trop haut, je ne crois pas qu’il faut rejeter l’exigence voulant qu’un risque pour la sécurité soit imminent (motifs des juges Moldaver et Jamal, par. 77). Les risques pour la sécurité qui se présentent lors d’une arrestation dans une habitation, pour laquelle un mandat ne peut être obtenu, seront généralement imminents. Même si cette exigence peut effectivement chevaucher l’exception relative à l’urgence ou en constituer une « reformulation » (par. 77), la cohérence avec les autres normes juridiques ne justifie pas de définir celle‑ci de façon plus large. L’imminence est un concept utile parce qu’elle définit les circonstances où l’obtention d’un mandat n’est pas faisable. Elle indique que si les policiers peuvent obtenir un mandat avant de procéder à une fouille dans une habitation, ils devraient le faire.
c)               Résumé
[126]                     En somme, les intérêts considérables au respect de la vie privée dans une habitation commandent la modification de la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation lorsque celle‑ci a lieu dans une habitation. Cet équilibre est établi en autorisant les policiers à effectuer une fouille accessoire à l’arrestation lorsqu’ils soupçonnent raisonnablement qu’il y a une menace imminente pour la sécurité des policiers ou du public. Comme cet argument n’a pas été avancé, je remets à une autre occasion l’analyse de la question de savoir si les fouilles visant la découverte d’éléments de preuve dans une habitation, effectuées accessoirement à une arrestation, sont permises aux termes de l’art. 8.
(4)            La norme des soupçons raisonnables
[127]                     Je souscris à l’aperçu que brossent mes collègues de la norme des soupçons raisonnables. Toutefois, certains points méritent d’être soulignés.
[128]                     Bien que la norme des soupçons raisonnables soit une norme relativement peu exigeante imposée par les tribunaux en vue du respect de l’art. 8 de la Charte, elle exige néanmoins que les policiers aient certaines raisons de soupçonner qu’il pourrait y avoir un risque pour la sécurité. Comme pour les autres fouilles accessoires à l’arrestation, ils doivent avoir à la fois des motifs subjectifs et objectifs pour procéder à une fouille (Caslake, par. 21), et ces motifs doivent correspondre — les policiers « ne peuvent pas invoquer le fait que, objectivement, il existait un motif légitime de procéder à la fouille, alors que ce n’est pas le motif pour lequel ils ont procédé à cette fouille » (Caslake, par. 27). La tâche du tribunal est d’examiner la preuve des motifs réels justifiant la fouille — et non de se demander si des soupçons raisonnables auraient pu justifier la fouille.
[129]                     Dans l’arrêt R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, la Cour a énoncé plusieurs principes servant à guider l’application de la norme des soupçons raisonnables. Comme le notent mes collègues, la norme des soupçons raisonnables :
•         est « fondé[e] sur des faits objectivement discernables, qui peuvent ensuite être soumis à l’examen judiciaire indépendant [lequel] est rigoureux et doit prendre en compte l’ensemble des circonstances » (Chehil, par. 26);
•         est une norme plus rigoureuse que celle des « simples soupçons », mais moins que celle des motifs raisonnables et probables — elle évoque la « possibilité — plutôt que la probabilité — raisonnable d’un crime » (par. 26‑27, citant R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456, par. 75);
•         doit « s’appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l’expérience pratique quotidienne » (par. 29).
[130]                     Mes collègues expliquent aussi que la norme des soupçons raisonnables ne permet pas les fouilles « fondées sur des préoccupations généralisées découlant de l’arrestation » (par. 67). De fait, dans l’arrêt Chehil, la Cour a bien précisé qu’un examen « rigoureux » des raisons justifiant la fouille doit être lié aux faits précis en question. Citant la nécessité d’un « ensemble de facteurs suffisamment spécifiques », la Cour a expliqué qu’un « ensemble de facteurs ne suffira pas à justifier des soupçons raisonnables lorsqu’ils équivalent simplement à des soupçons “généraux” » (par. 30). Bien qu’elle reconnaisse l’importance de la formation et de l’expérience des policiers dans l’appréciation, il ne faut pas, avertit‑elle, que ces facteurs envahissent l’analyse :
     La formation et l’expérience du policier peuvent fournir un fondement expérientiel, plutôt qu’empirique, aux soupçons raisonnables. Toutefois, il ne s’ensuit pas que l’intuition fondée sur l’expérience du policier suffira ou que le point de vue de ce dernier sur les circonstances commandera la déférence [. . .] Une supposition éclairée ne saurait supplanter l’examen rigoureux et indépendant qu’exige la norme des soupçons raisonnables. [Je souligne; référence omise; par. 47.]
[131]                     Je suis d’accord avec mes collègues que les facteurs énumérés dans l’arrêt Golub dans le contexte d’une fouille de sécurité — notamment la [traduction] « nature du risque appréhendé, les conséquences potentielles de l’absence de prise de mesures de protection, l’existence d’autres mesures et la probabilité que le danger envisagé existe réellement » (Golub, p. 758) — aident à évaluer si un risque donnera lieu à un soupçon raisonnable. En fin de compte, la tâche des tribunaux consiste, dans chaque cas, à appliquer la norme eu égard à la preuve précise dont ils sont saisis, en se concentrant sur les raisons invoquées par le policier. Lorsque la justification donnée par les policiers concernant la fouille n’est pas suffisante, ce n’est pas le rôle de la Couronne ou du juge d’en trouver une après le fait. Il faut se demander si la fouille était constitutionnelle au moment où elle a été effectuée.
(5)            L’étendue des fouilles de sécurité dans une habitation
[132]                     En parallèle à la norme des soupçons raisonnables, l’étendue acceptable d’une fouille représente une autre limite à la capacité des policiers de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation dans une habitation. Elle limite les fouilles de deux façons : par la nature des préoccupations qui sous‑tendent l’arrestation, et par la nécessité qu’il y ait une proximité sur les plans temporel et spatial entre la fouille et l’arrestation.
[133]                     Tout comme le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à l’arrestation découle de l’arrestation elle‑même, une « fouille ne peut se justifier que si son but est lié à celui de l’arrestation » (Caslake, par. 17; voir aussi par. 13). Une arrestation qui ne donne lieu qu’à des préoccupations liées à la sécurité ne peut, sans plus, autoriser une fouille pour des questions non liées à la sécurité — par exemple, lors d’une arrestation pour infractions au code de la route, « dès que les policiers ont fait ce qu’il faut pour assurer leur propre sécurité, rien ne peut justifier de fouiller davantage » (Caslake, par. 22). De même, une arrestation sans mandat dans une habitation qui mène les policiers à soupçonner raisonnablement qu’ils doivent neutraliser des menaces, ou trouver et aider des victimes, ne leur permet que d’effectuer une fouille conforme à ces préoccupations particulières. Il doit y avoir un lien téléologique avec la nature de l’arrestation.
[134]                     Une fouille qui relève de ces paramètres doit aussi être à proximité de l’arrestation sur les plans spatial et temporel. Une arrestation ne peut mener les policiers trop loin. Sur le plan spatial, la Cour a affirmé que les objets ou les endroits faisant l’objet d’une fouille doivent faire partie de « [l’]entourage immédiat » de l’arrestation (Cloutier, p. 180). Et même si la Cour s’est abstenue de « limiter strictement le délai qui peut s’écouler entre la fouille et l’arrestation », les policiers doivent, selon les faits, effectuer la fouille « dans un délai raisonnable après l’arrestation » (Caslake, par. 16 et 24). Évidemment, ces limites sont particulièrement importantes dans une habitation.
[135]                     Je n’adopterais pas, comme le font mes collègues, la distinction américaine entre « les espaces relevant du contrôle physique de la personne arrêtée et ceux se trouvant hors du contrôle physique de celle‑ci » (par. 62‑64). Dans notre jurisprudence, la fouille accessoire à une arrestation a toujours été présentée comme le pouvoir de fouiller une personne arrêtée et son environnement immédiat. En déterminant les cas où le cadre d’analyse modifié s’applique dans une habitation, j’établirais une distinction entre la personne arrêtée et son environnement immédiat, parce que la fouille d’une personne arrêtée (la très répandue fouille « par palpation ») ne met pas en jeu ses intérêts au respect de la vie privée dans son domicile — elle a les mêmes intérêts au respect de sa vie privée personnelle dans son domicile qu’en public. Les espaces au‑delà de sa personne, toutefois, font intervenir des intérêts territoriaux et informationnels plus larges qui, dans un domicile, sont importants. La distinction fondée sur une zone relevant du contrôle de la personne arrêtée n’ayant pas été invoquée, son adoption est inutile, et elle complique le cadre d’analyse concernant les fouilles accessoires à l’arrestation.
[136]                     Dans les rares cas où des préoccupations relatives à la sécurité surviennent indépendamment de l’arrestation, d’autres principes peuvent aussi s’appliquer. Le devoir de common law qu’ont les policiers de protéger la vie et la sécurité, par exemple, peut justifier que ceux‑ci effectuent une fouille de sécurité sans mandat dans des situations dont la « nécessité est objectivement vérifiable » (MacDonald, par. 40‑41). Cependant, de telles fouilles ne peuvent pas être « absolu[es] » (par. 41). Elles doivent elles aussi être effectuées d’une manière qui reflète leur objet, c’est‑à‑dire faire ce qui est « raisonnablement nécessaire » pour dissiper la menace appréhendée (par. 47 (en italique dans l’original)).
[137]                     Il est évident que les préoccupations relatives à la sécurité ne sont pas toutes identiques. Comme lorsque l’on détermine s’il a été satisfait à la norme des soupçons raisonnables, l’étendue d’une fouille dépendra d’une appréciation ciblée des faits auxquels faisaient face les policiers. Cependant, vu que les fouilles accessoires à une arrestation dans une habitation exigent qu’il y ait un risque imminent pour la sécurité, leur étendue sera, à mon avis, souvent limitée. Cette conclusion est conforme au statut d’exception du pouvoir au titre de l’art. 8. Bien qu’il s’agisse d’un « outil d’une valeur inestimable pour les policiers », les fouilles accessoires à une arrestation « portent inévitablement atteinte à la vie privée d’un individu » (Saeed, par. 1). Les fouilles ne devraient porter atteinte à la vie privée que dans la mesure nécessaire. Dans un domicile plus que n’importe où ailleurs, ce pouvoir doit demeurer un « pouvoir précis » (Fearon, par. 16).
B.            Application
[138]                     Appliquant ces principes à la présente affaire, je conclus que la fouille et les saisies ne relevaient pas des pouvoirs de common law de la police et étaient donc inconstitutionnelles.
[139]                     L’agent Vandervelde, qui a découvert les drogues, a effectué une fouille dans le sous‑sol de M. Stairs pour voir s’il y avait des dangers ou d’autres personnes — c’est‑à‑dire, pour des raisons de sécurité. Nul ne conteste que les policiers avaient « à l’esprit l’un des objectifs d’une fouille valide effectuée accessoirement à une arrestation lorsqu’ils [ont] proc[édé] à la fouille » (Caslake, par. 19). La question est de savoir si la fouille — qui a révélé des éléments de preuve qui n’avaient aucun lien avec les motifs de l’arrestation ou la nature de la fouille — était subjectivement et objectivement raisonnable selon la norme des soupçons raisonnables.
[140]                     Le raisonnement de la juge du procès sur ce point était bref. Appliquant le cadre d’analyse non modifié de common law concernant les fouilles accessoires à l’arrestation, elle a conclu que la fouille était à la fois subjectivement et objectivement raisonnable :
     [traduction] La fouille avait un objectif valable. L’agent Vandervelde a témoigné qu’il avait effectué une fouille pour s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre et aucun autre danger dans la pièce, ce qui est raisonnable. L’homme et la femme étaient arrivés de la salle de séjour. Ni l’agent Brown ni l’agent Vandervelde ne pouvaient voir complètement la salle de séjour lorsqu’ils descendaient l’escalier. L’inspection rapide effectuée alors qu’ils descendaient l’escalier ne pouvait écarter toutes les préoccupations relatives à la sécurité. Comme il a été indiqué plus tôt, les agents ne pouvaient pas voir certaines parties de la salle de séjour. [par. 282]
[141]                     Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont tiré les mêmes conclusions :
     [traduction] En fin de compte, les policiers ont été en mesure d’exprimer pourquoi ils avaient des préoccupations relatives à la sécurité, et cette explication était sensée. Ils sont descendus dans un sous‑sol où ils n’étaient jamais allés auparavant, dans une maison où ils n’étaient jamais allés. Bien que la personne ayant appelé le 9‑1‑1 ait dit qu’il y avait deux personnes dans la voiture, cela ne signifiait pas qu’il y avait seulement deux personnes dans la maison; cela ne voulait pas non plus dire qu’il n’y avait aucun autre risque pour la sécurité caché dans les coins.
     Plus précisément, les policiers ne pouvaient pas voir derrière le canapé à partir de l’embrasure de la porte de la salle de séjour. Il n’était pas déraisonnable de faire une rapide inspection visuelle de la pièce dans les circonstances. Les policiers avaient menotté une personne et devaient monter l’escalier, qui était situé juste à côté de la salle de séjour, afin de sortir cette personne de la résidence en toute sécurité, pendant que la femme restait à l’étage. Le fait que la méthamphétamine était bien en vue faisait en sorte qu’elle pouvait être saisie. [par. 67‑68]
[142]                     Mes collègues estiment que « [l]a juge du procès pouvait conclure que les policiers avaient subjectivement cru qu’il y avait un risque relatif à la sécurité », puisque les agents ont affirmé avoir effectué une fouille pour s’assurer qu’il n’y avait aucune autre personne ni autre risque dans la pièce (par. 85). Ils ont expliqué que la fouille était objectivement raisonnable pour deux principales raisons. Premièrement, la dynamique avant et pendant l’arrestation était « instable et évoluait rapidement » (par. 87). Les policiers sont entrés dans l’habitation car ils craignaient que l’agression se poursuive, ils ont rencontré la victime qui avait « des blessures récentes au visage » (par. 88) et sont entrés dans le sous‑sol avec leur arme à la main (par. 89). Pendant ce temps, M. Stairs — dont les policiers connaissaient les antécédents de violence — a désobéi aux ordres des policiers et s’est « barricadé dans la salle de lavage » (par. 88). Deuxièmement, les policiers ont arrêté M. Stairs pour violence conjugale, infraction dont la nature privée peut, paradoxalement, faire en sorte que l’intimité du foyer profite à l’agresseur (par. 91). Sa fréquence, les risques pour la sécurité qu’elle comporte et les incertitudes factuelles sur les lieux ont pour conséquence que les policiers « doivent avoir la capacité d’évaluer et de contrôler la situation » (par. 93). Les policiers ne pouvaient pas se fier à la victime, qui a nié qu’une agression avait eu lieu et qui était réticente à coopérer. Ces facteurs considérés conjointement, « la juge du procès pouvait conclure que l’intérêt de la société relatif à l’application efficace de la loi devait l’emporter sur l’intérêt de M. Stairs au respect de sa vie privée dans la salle de séjour au sous‑sol » (par. 97).
[143]                     Je ne peux souscrire à cette analyse.
[144]                     Comme je l’ai expliqué, les tribunaux qui évaluent le caractère raisonnable d’une fouille policière doivent déterminer si les propres motifs de l’agent justifiant la fouille étaient raisonnables. Seuls ces motifs subjectifs peuvent être pris en compte; les tribunaux « ne peuvent pas invoquer le fait que, objectivement, il existait un motif légitime de procéder à la fouille, alors que ce n’est pas le motif pour lequel [les policiers] ont procédé à cette fouille » (Caslake, par. 27).
[145]                     Le fondement subjectif de la fouille effectuée par les policiers doit se trouver dans le témoignage de l’agent ayant effectué la fouille. L’agent Vandervelde a affirmé ce qui suit lorsqu’on lui a demandé ce qui s’était passé après l’arrestation de M. Stairs :
     [traduction] . . . alors une fois qu’il a été menotté et que j’estimais que c’était sécuritaire, je me suis engagé dans le sous‑sol pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’autres menaces évidentes ou d’autres personnes.
      . . .
     On ne sait jamais vraiment ce qu’on cherche lorsqu’on entre dans une maison dans une situation comme celle‑là, alors ça peut être des armes bien en vue, comme je l’ai déjà dit, ou d’autres personnes pouvant être dans le sous‑sol. [Je souligne.]
      (d.a., vol. II, p. 212‑213)
[146]                     Il a plus tard précisé sa réponse :
      [traduction]
      Q.              . . . Alors pour ce qui est de l’inspection du sous‑sol, par opposition à l’obtention d’un mandat de perquisition, quelle est l’importance de procéder à ce processus d’inspection?
      R.             Surtout simplement pour assurer ma sécurité et celle des autres policiers qui sont sur les lieux.
      Q.             Quelles sortes de risques se posent si vous ne vérifiez pas un endroit?
      R.             D’autres personnes pourraient être cachées dans le sous‑sol; il pourrait y avoir des armes à feu ou des armes qui ne sont pas entreposées de façon sécuritaire, etc., on ne sait jamais vraiment quel type de danger on peut trouver. [Je souligne.]
      (d.a., vol. II, p. 229)
[147]                     Comme je l’ai déjà expliqué, pour satisfaire à la norme des soupçons raisonnables, les éléments de preuve doivent être « suffisamment spécifiques »; la fouille ne peut être fondée sur des généralités, une intuition ou des suppositions éclairées (Chehil, par. 30 et 47). Toutefois, en l’espèce, le policier a, au mieux, exprimé une préoccupation généralisée concernant des armes ou des personnes qui auraient pu être trouvées « dans une situation comme celle‑là ». Il a admis que cela était « sécuritaire » et qu’on « ne sait jamais vraiment ce qu’on cherche ». Son témoignage ne laissait pas entendre qu’il soupçonnait la présence d’autres agresseurs, victimes ou armes. Comme justification, « on ne sait jamais vraiment » pourrait s’appliquer chaque fois que les policiers font une arrestation dans une habitation. Ce n’est pas un motif acceptable sur le plan constitutionnel pour effectuer une fouille dans une maison privée; subjectivement, la norme des soupçons raisonnables n’a pas été respectée.
[148]                     Cette justification subjective n’était pas non plus objectivement raisonnable. Je note ce qui suit :
•                  Bien que la recherche concernant la plaque d’immatriculation de M. Stairs ait indiqué qu’il faisait l’objet d’avertissements de violence et de violence familiale, il n’y avait aucune mention d’armes dans le serveur de la police, et rien ne laissait croire que M. Stairs en avait en sa possession (motifs relatifs à la demande préalable au procès, par. 36, 76, 101 et 157).
•                  Les agents Brown et Vandervelde ont fait une inspection visuelle du sous‑sol lorsqu’ils y sont entrés. Même s’ils ne pouvaient pas voir l’endroit au complet, cette inspection les avait convaincus qu’ils pouvaient se retourner et concentrer leurs efforts à sortir M. Stairs de la salle de lavage (par. 58, 128 et 281).
•                  L’agent Brown n’a trouvé aucune arme sur M. Stairs (par. 60) et [traduction] « rien n’indiquait sur les lieux qu’il y avait une personne en danger » (par. 50).
•                  L’agent Vandervelde a effectué la fouille seulement « une fois [que M. Stairs était] menotté et [qu’il] estimai[t] que c’était sécuritaire », à un moment où la victime était à l’étage, en compagnie de l’agent Martin (par. 89).
•                     Même si les agents savaient que le père de M. Stairs vivait dans la maison, ils n’ont jamais vu d’indices de la présence d’autres personnes à part M. Stairs et la victime, et n’ont jamais demandé à l’un d’eux si quelqu’un d’autre était présent (par. 55, 71, 81‑84, 119 et 166‑167).
[149]                     En somme, il n’y avait aucun fait précis justifiant la fouille de sécurité, seulement une incertitude générale concernant la présence d’armes ou d’autres personnes. Toutefois, une fois M. Stairs menotté et la victime à l’étage avec l’agent Martin, et en l’absence d’indices indiquant la présence d’armes ou d’autres personnes, il n’y avait tout simplement pas de menace apparente pour la sécurité. Il ne s’agit pas d’un soupçon objectivement raisonnable.
[150]                     Comme la fouille n’était ni subjectivement ni objectivement raisonnable, je conclus qu’elle était illégale.
[151]                     En raison de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de se demander si les saisies de drogues étaient justifiées selon la doctrine des objets bien en vue. La question de savoir si cette doctrine s’applique dans une habitation et, le cas échéant, de quelle façon, a été soulevée deux fois par la Cour mais n’a jamais été tranchée (Godoy, par. 22; Reeves, par. 25). Puisque ce point n’a pas été abordé devant nous, je m’abstiendrai de le faire.
[152]                     Par conséquent, je conclus que la fouille et les saisies des éléments de preuve violaient les droits que l’art. 8 garantit à M. Stairs.
C.            Paragraphe 24(2) et dispositif
[153]                     La question qui se pose devient donc celle de savoir si la preuve devrait être exclue en application du par. 24(2) de la Charte, en ce que l’admission de celle‑ci est « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Trois questions à examiner guideront mon analyse : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond (R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (Grant (2009)), par. 71).
[154]                     Comme je parviens à une autre conclusion concernant l’existence d’une violation de la Charte, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers les conclusions subsidiaires de la juge du procès à ce sujet (R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 138).
[155]                     D’abord, la gravité de la conduite attentatoire de l’État est évaluée selon un spectre de culpabilité, allant de « violations mineures ou commises par inadvertance » aux violations commises « au mépris délibéré des droits garantis par la Charte ou en ne s’en souciant pas » (Grant (2009), par. 74; voir aussi Le, par. 143). À mon avis, la conduite de l’État dans la présente affaire se situe à l’extrémité supérieure de ce spectre. Il était bien connu que les maisons privées jouissent d’un intérêt considérable en matière de respect de la vie privée et ne peuvent généralement pas faire l’objet de fouilles sans mandat. Bien entendu, on ne peut blâmer les policiers de ne pas avoir appliqué le cadre d’analyse juridique adopté dans le présent pourvoi, qu’ils ne connaissaient pas. Toutefois, cela n’excuse pas leur conduite, compte tenu de l’importance que la loi accorde depuis longtemps au respect de la vie privée dans ce contexte. En effectuant une fouille dans le sous‑sol de M. Stairs sans justification raisonnable, le policier n’a pas tenu compte de son intérêt considérable au respect de la vie privée. De plus, contrairement à ce que conclut la juge du procès (motifs relatifs à la demande préalable au procès, par. 292), il ne peut être considéré comme ayant agi de bonne foi, puisqu’il n’a pas agi « d’une manière [. . .] compatible avec ce qu’i[l] [croyait] subjectivement, raisonnablement et non négligemment être la loi » (Le, par. 147). Dans les circonstances, cette question milite en faveur de l’exclusion.
[156]                     Ensuite, puisque les intérêts au respect de la vie privée de M. Stairs dans son domicile étaient importants, la fouille et les saisies illégales représentaient une atteinte majeure à ses intérêts protégés par la Charte. Cette question milite fortement en faveur de l’exclusion.
[157]                     Finalement, les drogues constituaient des éléments de preuve très fiables, cruciaux pour la thèse de la Couronne. La troisième question milite fortement en faveur de l’inclusion.
[158]                     Lorsque les deux premières questions militent fortement en faveur de l’exclusion, « la troisième question fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve » (Le, par. 142). Soupesant les trois questions, je conclus qu’admettre la preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. J’estime que la preuve était irrecevable. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la déclaration de culpabilité de M. Stairs pour possession d’une substance désignée en vue d’en faire le trafic et d’inscrire un verdict d’acquittement.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    La juge Côté —
I.               Aperçu
[159]                     Je suis d’accord avec ma collègue la juge Karakatsanis concernant la norme des soupçons raisonnables pour les fouilles accessoires à une arrestation effectuées dans une habitation. Je souscris aussi à son application de cette norme aux faits de l’espèce. Je conclus également que la fouille et la saisie des éléments de preuve ont contrevenu aux droits de M. Stairs garantis par l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[160]                     Toutefois, je diverge d’opinion avec ma collègue quant à l’issue du présent pourvoi en vertu du par. 24(2) de la Charte. Comme je vais l’expliquer, je n’exclurais pas les éléments de preuve saisis illégalement. Dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, j’adopterais la conclusion subsidiaire de la juge du procès selon laquelle l’admission des éléments de preuve ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
II.            Analyse fondée sur le par. 24(2)
[161]                     Je note dès le départ que la juge du procès n’a constaté aucune violation et, partant, son analyse fondée sur le par. 24(2) a été effectuée à titre subsidiaire. Dans ce scénario, bien qu’il n’y ait pas lieu de faire preuve de déférence en appel envers la conclusion de la juge du procès, ses conclusions de fait relatives au par. 24(2) commandent la déférence (R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 90; R. c. Pileggi, 2021 ONCA 4, 153 O.R. (3d) 561, par. 97; R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456, par. 60, le juge Rosenberg). Quoi qu’il en soit, en faisant preuve de déférence envers les conclusions factuelles de la juge du procès, je parviens à la même conclusion. Je refuserais d’exclure les drogues saisies lors de la fouille illégale.
A.           Gravité de la conduite policière attentatoire à la Charte
[162]                     Bien que j’aie des réserves au sujet de la conduite des policiers dans la présente affaire, je conclus que le premier facteur énoncé dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, milite en faveur de l’admission de la preuve.
[163]                     Comme ma collègue la juge Karakatsanis l’a réaffirmé dans l’arrêt R. c. Saeed, 2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518, par. 126 (motifs concordants quant au résultat), « lorsque les policiers agissent sur la foi d’une interprétation erronée du droit applicable et que celui‑ci est incertain, leur conduite attentatoire à la Charte est considérée moins grave » (citant R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 86‑87; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 69 et 71; voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 77; Fearon, par. 93; S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), §19:40).
[164]                     J’accepte donc l’argument de la Couronne selon lequel la gravité de la violation en l’espèce est atténuée par l’incertitude, au moment des faits, du droit concernant les fouilles résidentielles accessoires à une arrestation. De fait, il semble que ce soit la première fois que la Cour se penche sur l’application du pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation dans une habitation. Le désaccord entre les membres de la Cour et ceux de la Cour d’appel quant à la norme applicable aux fouilles de sécurité effectuées dans une résidence à la suite d’une arrestation et à l’étendue acceptable de celles‑ci illustre la zone grise juridique dans laquelle opéraient les policiers. Si une douzaine d’éminents juristes ne peuvent s’entendre sur le droit applicable, comment pouvons‑nous nous attendre à ce que ces policiers l’aient compris et bien appliqué sur‑le‑champ? À mon avis, « [c]omme le droit applicable était incertain au moment des faits pertinents et vu la manière par ailleurs non abusive dont la fouille a été effectuée », tel qu’il a été énoncé dans l’arrêt Vu, au par. 71, la gravité de la conduite policière en l’espèce se situait à l’extrémité inférieure du spectre.
[165]                     J’ajouterais que la juge du procès dans la présente affaire a tiré la conclusion de fait que les policiers avaient agi de [traduction] « bonne foi » en tout temps pendant cette arrestation et cette fouille dans une situation « instable », croyant que leur conduite était autorisée par la loi (2018 ONSC 3747, 412 C.R.R. (2d) 95 (« motifs relatifs à la demande préalable au procès »), par. 292). Comme dans l’arrêt Vu, l’analyse convaincante de mes collègues sur la norme applicable en l’espèce « devrait permettre de clarifier le droit » et de « prévenir ce genre de confusion à l’avenir » (par. 69).
[166]                     Cela dit, je reconnais les difficultés concernant le témoignage de l’agent Vandervelde, comme l’a souligné le juge dissident de la Cour d’appel (2020 ONCA 678, 153 O.R. (3d) 32, par. 100). Toutefois, je ne vois pas de preuve suffisante justifiant la modification de la conclusion factuelle relative à la bonne foi qu’a tirée la juge du procès. Je ne vois rien qui semble indiquer des préoccupations générales concernant la conduite policière dans la présente affaire. De plus, je suis d’accord avec la juge du procès pour dire qu’il n’y a [traduction] « aucune preuve que l’un des trois policiers a fait montre d’un mépris flagrant ou total des droits garantis par la Charte » (motifs relatifs à la demande préalable au procès, par. 292). À mon avis, la fouille et la saisie illégales découlaient d’une erreur involontaire et isolée, quoique celle‑ci ait eu d’importantes répercussions sur le droit de M. Stairs au respect de sa vie privée.
B.            Répercussions sur le droit de M. Stairs au respect de sa vie privée garanti par la Charte
[167]                     J’accepte la concession de la Couronne selon laquelle le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant milite en faveur de l’exclusion de la preuve.
[168]                     Comme l’a reconnu la juge du procès, une fouille illégale sans mandat dans une résidence viole les intérêts au respect de la vie privée qui sont au cœur même de l’art. 8. Je suis d’accord avec ma collègue la juge Karakatsanis pour dire que le caractère sacré d’un domicile est un élément indispensable de la vie privée (par. 121).
[169]                     La conduite policière en l’espèce a donc eu des conséquences importantes sur les intérêts de M. Stairs au respect de sa vie privée protégés par la Charte.
C.            Intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée sur le fond
[170]                     Monsieur Stairs concède à juste titre que le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant [traduction] « milite en faveur de l’admission de la preuve » (m.a., par. 86). J’accepte cette concession.
[171]                     J’aimerais souligner le fait que les policiers ont saisi plus de 90 grammes de méthamphétamine en cristaux. Ces éléments de preuve sont manifestement fiables et sans eux, la Couronne n’aurait aucun argument à faire valoir pour justifier l’accusation de possession de drogues en vue d’en faire le trafic dont fait l’objet M. Stairs. La peine à purger pour cette accusation représentait 20 mois de la peine globale de 26 mois à laquelle a été condamné M. Stairs. Je partage l’avis de la Couronne qu’il y a un intérêt public considérable à ce que l’accusation relative aux drogues soit jugée sur le fond.
D.           Pondération finale
[172]                     Pondérant les trois considérations ci‑dessus, je refuserais d’exclure la preuve en vertu du par. 24(2).
[173]                     À l’avenir, à la lumière des directives de la Cour, les policiers auront beaucoup de mal à justifier l’admission d’éléments de preuve dans un scénario semblable à celui qui nous occupe. Les modifications au droit qu’énoncent mes collègues exigeront que les policiers respectent les droits individuels au respect de la vie privée dans une habitation, en s’abstenant d’effectuer des fouilles sans mandat à moins qu’ils soupçonnent raisonnablement qu’une fouille est nécessaire pour écarter le risque relatif à la sécurité. Lorsqu’il n’y a aucun risque de ce genre correspondant au standard requis, les intérêts de la personne arrêtée au respect de sa vie privée protégés par l’art. 8 devraient généralement avoir préséance. Autrement dit, les policiers devraient sécuriser l’habitation et obtenir un mandat de perquisition, ce qui n’est pas une tâche particulièrement onéreuse.
[174]                     Toutefois, en l’espèce, je ne modifierais pas la conclusion de la juge du procès voulant que les policiers aient agi de bonne foi selon leur compréhension de principes de droit qui n’étaient pas bien définis. Comme je l’ai expliqué, la norme de justification pour les fouilles accessoires à une arrestation effectuées dans une résidence et l’étendue acceptable de celles‑ci n’étaient pas claires à l’époque. De plus, la société a un intérêt considérable à ce qu’une accusation visant une grande quantité de drogue illicite très dangereuse et pernicieuse soit jugée.
[175]                     Par conséquent, j’adopterais la conclusion subsidiaire de la juge du procès portant que l’admission de la preuve ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
III.         Dispositif
[176]                     Pour les motifs qui précèdent, je refuserais d’exclure la preuve saisie en violation des droits de M. Stairs garantis par l’art. 8.
[177]                     Ainsi, je rejetterais le pourvoi et je confirmerais la déclaration de culpabilité.
 
                    Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Brown et Martin sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelant : Embry Dann, Toronto; Courtyard Chambers, Toronto.
                    Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Halifax.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Kapoor Barristers, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC11 ?
Date de la décision : 08/04/2022

Analyses

vie privée ; arrestations ; policiers ; domicile ; fouilles accessoires ; application ; respect ; habitations ; normes ; soupçons raisonnables ; personne arrêtée ; sécurité ; salle de séjour ; juge du procès ; risques ; maisons


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Stairs
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 8 avril 2022, R. c. Stairs, 2022 CSC 11


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-04-08;2022csc11 ?

Source

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