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07/05/2021 | CANADA | N°2021CSC19

Canada | Canada, Cour suprême, 7 mai 2021, R. c. C.P., 2021 CSC 19


COUR SUPRÊME DU CANADA


Référence : R. c. C.P., 2021 CSC 19

 

Appel entendu : 10 novembre 2020
Jugement rendu : 7 mai 2021
Dossier : 38546


Entre :
C.P.
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Justice for Children and Youth et British Columbia Civil Liberties Association
Intervenants
 
 
Traduction française officielle
 


 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Molda

ver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 120)
 

La juge Abella (avec l’accord des juges Karakatsanis et Martin)


Motifs co...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. C.P., 2021 CSC 19

 

Appel entendu : 10 novembre 2020
Jugement rendu : 7 mai 2021
Dossier : 38546

Entre :
C.P.
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Justice for Children and Youth et British Columbia Civil Liberties Association
Intervenants
 
 
Traduction française officielle
 

 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 120)
 

La juge Abella (avec l’accord des juges Karakatsanis et Martin)

Motifs concordants :
(par. 121 à 164)
 

Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Moldaver, Brown et Rowe)

Motifs concordants :
(par. 165 à 216)
 

Le juge Kasirer

Motifs dissidents :
(par. 217 à 304)

La juge Côté

 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

r. c. c.p.
C.P.                                                                                                                    Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée
et
Procureur général du Canada,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Justice for Children and Youth et
British Columbia Civil Liberties Association                                          Intervenants
Répertorié : R. c. C.P.
2021 CSC 19
No du greffe : 38546.
2020 : 10 novembre; 2021 : 7 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Droit criminel — Appels — Verdict déraisonnable — Accusé adolescent déclaré coupable d’agression sexuelle par un juge siégeant seul — Déclaration de culpabilité portée en appel par l’accusé au motif que le verdict était déraisonnable — Déclaration de culpabilité confirmée par les juges majoritaires de la Cour d’appel — Le verdict était-il déraisonnable?
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à la liberté — Justice fondamentale — Droit à l’égalité — Adolescents — Appels à la Cour suprême du Canada — Accusé adolescent déclaré coupable d’agression sexuelle — Déclaration de culpabilité confirmée par les juges majoritaires de la Cour d’appel, mais dissidence exprimée par un juge — Appel de plein droit interjeté à la Cour suprême par l’adolescent en vertu de l’al. 691(1)a) du Code criminel — Suivant le par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, un adolescent ne peut interjeter appel à la Cour suprême, sauf s’il a obtenu l’autorisation de le faire — Le paragraphe 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents viole‑t‑il le droit de l’adolescent à l’égalité et son droit à ce qu’il ne soit porté atteinte à sa liberté qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15 — Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, art. 37(10).
                    Alors que P avait 15 ans, il s’est rendu à une fête à la plage pour célébrer l’anniversaire d’un ami avec un groupe de jeunes. La plaignante, D, avait 14 ans. Ils avaient bu tous les deux. Il y a eu des rapports sexuels. P a été accusé d’avoir agressé sexuellement D. Au procès, la Couronne a soutenu que P avait eu des rapports sexuels avec D alors qu’il savait qu’elle était trop ivre pour être capable d’y consentir. Pour sa défense, P a prétendu que D avait consenti à avoir des rapports sexuels avec lui avant qu’elle ne montre des signes qu’elle était trop ivre pour y consentir. G, une amie de D, est venue à la fête plus tard que le reste du groupe. Elle a vu D couchée par terre et s’est toute de suite rendue auprès de cette dernière. D avait vomi, elle ne pouvait pas se lever, et elle était incapable de communiquer. Nul ne conteste que D était ivre au point d’incapacité lorsque G l’a trouvée. La question était de savoir combien de temps s’était écoulé après l’activité sexuelle lorsque G a vu D. La juge du procès a rejeté le témoignage de P en interrogatoire principal selon lequel il aurait parlé à G avant que cette dernière ne rejoigne D, mais elle a accepté son témoignage selon lequel il avait entendu G arriver à la fête tout de suite après avoir eu des rapports sexuels avec D, et son aveu en contre‑interrogatoire comme quoi G s’était rendue immédiatement aux côtés de D à son arrivée, ce qui concordait avec le témoignage de G. La juge du procès a conclu que D était en état d’ébriété au moment des rapports sexuels et qu’elle était donc incapable d’y consentir à ce moment-là. La juge du procès était convaincue hors de tout doute raisonnable que P savait que D était dans un état d’ébriété tel qu’elle ne pouvait pas avoir consenti à l’activité sexuelle, qu’il a ignoré volontairement ce fait ou qu’il ne s’en est pas soucié. Elle a reconnu P coupable d’agression sexuelle.
                    P a interjeté appel à la Cour d’appel, plaidant que le verdict était déraisonnable. Les juges majoritaires ont rejeté l’appel, mais un juge aurait accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et inscrit un acquittement. P a déposé un avis d’appel de plein droit à la Cour en vertu de l’al. 691(1)a) du Code criminel. La Couronne a déposé une requête en cassation de l’appel, vu qu’en application du par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA »), les adolescents n’ont pas de droit d’appel automatique devant la Cour. Le paragraphe 37(1) de la LSJPA incorpore les voies d’appel en ce qui concerne les actes criminels prévues au Code criminel dans le système de justice pour les adolescents, mais le par. 37(10) prive les adolescents des droits d’appel automatiques à la Cour dont jouissent les adultes, notamment ceux prévus à l’al. 691(1)a) du Code criminel. L’autorisation est donc nécessaire, et ce, même lorsque la cour d’appel confirme la déclaration de culpabilité pour un acte criminel et qu’il y a une dissidence sur une question de droit en cour d’appel. P a plaidé que le par. 37(10) de la LSJPA contrevient aux art. 7 et 15 de la Charte. La Cour a ajourné la requête de la Couronne en cassation sans préjudice du droit de P de demander l’autorisation d’appel, notamment sur la question de la constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA. La Cour a accordé l’autorisation d’appel.
                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.
(1) Caractère déraisonnable du verdict
                    Les juges Abella, Karakatsanis et Martin : Le verdict était raisonnable. Les motifs rendus par la juge du procès au soutien de son verdict de culpabilité d’agression sexuelle prononcé contre P sont des motifs de première instance exemplaires de par leur rigueur et leur minutie. Rien ne permet de conclure que le verdict était déraisonnable.
                    Le verdict d’un juge peut être déraisonnable, même s’il est étayé par la preuve, si le juge y arrive d’une façon illogique ou irrationnelle. Cela peut se produire si le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui de cette inférence ou conclusion, ou dont on peut démontrer qu’elle est incompatible avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge du procès. L’analyse cible étroitement les vices fondamentaux du raisonnement, ce qui veut dire que le verdict n’a pas été rendu de manière judiciaire ou conformément au principe de légalité.
                    En l’espèce, le raisonnement qui a amené la juge du procès à conclure que G avait découvert D dans l’état d’incapacité dans laquelle elle se trouvait tout de suite après les rapports sexuels était à la fois logique et rationnel. La juge du procès a rejeté le témoignage de P selon lequel il s’était entretenu avec G avant qu’elle se rende aux côtés de D parce que ce témoignage était intrinsèquement incompatible avec son propre témoignage en contre‑interrogatoire, contredit extrinsèquement par le témoignage de G, et parce que P était ivre, particulièrement en comparaison avec G, dont le souvenir n’était pas suspect. La juge a fourni des motifs solides au soutien de ce qu’elle croyait et de ce qu’elle ne croyait pas, expliquant pourquoi elle avait conclu que certaines parties du témoignage de P n’étaient pas frappées des mêmes vices qui l’ont amené à rejeter d’autres aspects du témoignage de ce dernier. Le verdict en était assurément un qu’une juge qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre. La juge du procès savait très bien que le moment auquel les rapports sexuels s’étaient déroulés ne pouvait pas être déterminé en termes absolus, et que ce qui importait était le moment relatif de l’arrivée de G par rapport à l’activité sexuelle. Les témoignages conjugués de G et de P ont convaincu la juge du procès que G s’était rendue auprès de D dès son arrivée, et que, selon le propre témoignage de P, elle était arrivée à la fête tout de suite après les rapports sexuels. Il était donc loisible à la juge du procès de conclure logiquement que l’état d’incapacité totale dans lequel G a trouvé D à son arrivée était l’état dans lequel cette dernière se trouvait pendant l’activité sexuelle.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Brown et Rowe : Il y a accord avec la juge Abella pour dire que le verdict était raisonnable.
                    Le juge Kasirer : Il y a accord avec la juge Abella pour dire que le verdict était raisonnable.
                    La juge Côté (dissidente) : La déclaration de culpabilité de P pour agression sexuelle est déraisonnable. Premièrement, la juge du procès a conclu de manière illogique à l’incapacité de D à consentir à des rapports sexuels. Elle savait très bien que le moment où les rapports sexuels ont eu lieu était la question centrale de l’affaire. La combinaison des témoignages de P et de G, l’amie de D, a joué un rôle crucial dans sa conclusion d’incapacité. Le témoignage de G à lui seul était insuffisant pour appuyer une conclusion d’incapacité au moment des rapports sexuels, et des éléments de preuve additionnels étaient nécessaires pour permettre de restreindre l’intervalle entre le moment où ont eu lieu les rapports sexuels et celui où G est allée voir D. Seul le témoignage de P permettait de déterminer le moment où les rapports sexuels avaient eu lieu par rapport à celui où G est arrivée et a observé D. La juge du procès a comblé cet intervalle en rejetant le témoignage selon lequel P a parlé avec G avant que cette dernière ne s’occupe de D, et ce, pour trois raisons : (1) P s’est contredit; (2) G était plus fiable et plus crédible; et (3) le témoignage de P n’était pas fiable parce qu’il était intoxiqué à ce moment‑là de la soirée. Il était loisible à la juge de rejeter certaines parties de la déclaration de P en raison de contradictions intrinsèque et extrinsèque, à condition d’avoir un fondement logique et raisonnable pour le faire. Cependant, en l’espèce, la source du raisonnement illogique de la juge vient de la troisième raison qu’elle a donnée. Il était illogique pour la juge du procès de conclure, d’une part, que P ne pouvait pas témoigner de manière fiable sur ce qui s’était passé après les rapports sexuels parce qu’il était trop intoxiqué à ce moment‑là dans la soirée, tout en concluant également, d’autre part, que P pouvait néanmoins témoigner de manière fiable sur le fait qu’il avait entendu G arriver à la fête. Ces conclusions sont inconciliables. Si P était trop intoxiqué à ce moment‑là pour être par la suite en mesure de témoigner de manière fiable au sujet de la conversation, son témoignage selon lequel il avait entendu G arriver était également nécessairement non fiable. Ces deux événements se seraient passés au même moment, c’est‑à‑dire quand, selon la juge du procès, P était trop ivre pour que son témoignage subséquent puisse être fiable. La juge du procès a conclu que P était trop ivre à ce moment‑là pour se souvenir par la suite de certaines choses, mais n’était pas trop ivre pour se souvenir par la suite d’autres choses qui se seraient passées au même moment. Elle n’a pas expliqué cette incohérence à l’égard d’un élément de preuve crucial. Sans le témoignage de P selon lequel il avait entendu G arriver après les rapports sexuels, il était impossible de déclarer P coupable d’agression sexuelle. Cette faille logique suffirait pour pouvoir ordonner un nouveau procès.
                    Deuxièmement, la preuve dont disposait la juge du procès ne saurait appuyer la conclusion selon laquelle D était incapable de consentir et il y a lieu de prononcer un verdict d’acquittement plutôt que d’ordonner un nouveau procès. La juge du procès aurait dû conférer beaucoup moins de poids au témoignage de P concernant le moment où ont eu lieu les rapports sexuels par rapport à celui où est arrivée G qu’elle ne l’a fait dans ses motifs. Elle a accordé un poids considérable au témoignage de P selon lequel il avait entendu que G était arrivée peu après les rapports sexuels. Il s’agissait là de l’élément central de ses motifs. Cela était cependant incompatible avec ses conclusions répétées que P était très intoxiqué et n’était donc pas un témoin fiable. Si on examine la fiabilité du témoignage de P de manière cohérente avec les conclusions répétées de la juge du procès selon lesquelles celui‑ci était très intoxiqué et que sa mémoire des événements clés n’était pas fiable, il est tout simplement impossible de déterminer, même de façon approximative, à quel moment les rapports sexuels ont eu lieu eu égard au reste de la preuve circonstancielle. Une reconstitution de la chronologie des événements indique que les rapports sexuels pourraient avoir eu lieu à n’importe quel moment dans une période d’environ deux heures. En conséquence, la preuve n’a pas permis de déterminer hors de tout doute raisonnable à quel moment les rapports sexuels ont eu lieu. La juge du procès ne pouvait pas raisonnablement conclure que l’incapacité de D à consentir au moment des rapports sexuels était la seule conclusion raisonnable possible eu égard à la preuve. Sans cette conclusion d’incapacité, il n’y a pas de cause qui tienne contre P, parce que ni D ni aucun autre témoin n’a déclaré que D n’avait pas effectivement donné son consentement. En conséquence, la preuve ne saurait appuyer le verdict selon lequel P est coupable d’agression sexuelle et celui‑ci devrait être remplacé par un acquittement.
(2) Constitutionnalité du par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Brown et Rowe : Le paragraphe 37(10) de la LSJPA est compatible avec les art. 7 et 15 de la Charte.
                    Pour prouver qu’il y a violation de l’art. 7 de la Charte, il faut établir deux éléments : (1) que la loi ou mesure de l’État contestée prive le demandeur du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; et (2) que la privation en cause n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. En l’espèce, les exigences de la première étape sont respectées, car une limite imposée au droit des adolescents de se pourvoir en appel devant la Cour fait entrer en jeu des droits résiduels à la liberté en vertu l’art. 7. Le résultat dépend de la question de savoir si la privation en cause est conforme au nouveau principe de justice fondamentale proposé selon lequel les adolescents ont droit à la prise de mesures procédurales supplémentaires au sein du système de justice pénale. Pour qu’un principe de justice soit « fondamental » au sens de l’art. 7 : (i) il doit s’agir d’un principe juridique; (ii) il doit exister un consensus sur le fait que cette règle ou ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice; et (iii) ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.
                    Si le nouveau principe proposé suppose d’effectuer une analyse comparative entre les droits procéduraux des adolescents et ceux des adultes, il ne constitue ni une norme valable, ni une norme susceptible de faire consensus. Si ce principe est interprété comme un principe distinct, l’argument fondé sur l’art. 7 dépend de la question de savoir si le par. 37(10) prive les adolescents d’un droit à la liberté sans que ceux‑ci puissent bénéficier de garanties procédurales suffisantes. Le fait de refuser aux adolescents le droit automatique d’être entendus devant la Cour dans le cas où une cour d’appel confirme une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel, mais où un juge de cette cour est dissident sur une question de droit, ne saurait en soi porter atteinte à leur droit constitutionnel d’obtenir une protection procédurale suffisante au sein du système de justice pénale pour les adolescents, parce qu’il n’y a pas de droit d’appel garanti par la Constitution, et encore moins de droit d’appel automatique devant la juridiction de dernière instance du système judiciaire. Les principes de justice fondamentale ne pourraient exiger une audience automatique devant la Cour dans des circonstances aussi restreintes, car cela aurait pour effet de constitutionnaliser l’application de l’al. 691(1)a) du Code criminel aux adolescents et d’assujettir ainsi le Parlement à l’obligation positive d’adopter une telle disposition si elle n’existe pas déjà. Les appels automatiques pour les adolescents ne sont pas une condition essentielle à l’exercice de la justice. L’absence d’un appel automatique n’accroît pas le risque de déclarations de culpabilité injustifiées ou d’autres erreurs judiciaires. Le manque de preuve indiquant qu’il y a un véritable problème dans la manière dont la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’autorisation dément la conclusion selon laquelle le par. 37(10) prive les adolescents de garanties procédurales suffisantes. Le système moderne de justice pour les adolescents offre à ceux‑ci des mesures procédurales supplémentaires qui correspondent à leur situation particulière et à leur vulnérabilité inhérente dans le système de justice. Par conséquent, le par. 37(10) de la LSJPA est compatible avec l’art. 7 de la Charte.
                    En ce qui a trait à l’art. 15 de la Charte, la question est de savoir si le par. 37(10) de la LSJPA prive les adolescents d’un avantage procédural conféré aux adultes par l’al. 691(1)a) du Code criminel. Une loi ou une mesure prise par l’État contreviendra à la garantie prévue à l’art. 15 : (1) si elle crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; et (2) si elle impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage. Le paragraphe 37(10) de la LSJPA crée une distinction fondée sur l’âge. La question qui se pose est de savoir s’il établit une distinction discriminatoire en niant un avantage d’une manière qui renforce, perpétue ou accentue un désavantage pour les adolescents. Une compréhension du régime législatif distinct qui sous‑tend le par. 37(10) est cruciale pour pouvoir évaluer l’effet réel de la disposition sur les adolescents.
                    La LSJPA vise à établir un équilibre entre divers intérêts, notamment la diligence et la prise de mesures procédurales supplémentaires, qui constituent deux principes fondamentaux du système de justice pénale pour les adolescents. Bien qu’ils soient particulièrement vulnérables aux erreurs judiciaires, les adolescents sont aussi particulièrement vulnérables aux préjudices résultant de procédures judiciaires prolongées. Une compréhension contextuelle de la situation des adolescents dans le cadre du régime procédural établi par la LSJPA doit donc prendre en compte ces deux intérêts : un contrôle en appel structurellement prolongé peut leur être plus préjudiciable. Le paragraphe 37(10) ne perpétue pas un désavantage quelconque, mais établit plutôt un juste équilibre entre des intérêts qui se recoupent, à savoir l’intérêt des adolescents à ce que les affaires qui les mettent en cause soient résolues diligemment et leur intérêt à ce qu’il y ait un contrôle en appel. Par‑dessus tout, l’obligation d’obtenir une autorisation prévue au par. 37(10) s’applique également au ministère public et confère aux adolescents l’avantage procédural corollaire d’être protégés contre un appel interjeté de plein droit par le ministère public en vertu de l’al. 693(1)a) du Code criminel, une garantie qui n’est pas accordée aux adultes.
                    Les avantages de la disposition doivent également être pris en compte conjointement avec l’absence de preuve portant que le processus d’autorisation de la Cour perpétue un désavantage concret pour les adolescents. Le dernier rempart contre l’erreur judiciaire n’est pas le droit à un appel automatique, mais le droit d’appel lui‑même. La vulnérabilité des adolescents dans le système de justice pénale n’est pas accentuée simplement parce qu’une disposition de la LSJPA ne confère pas le plus grand avantage procédural imaginable dont bénéficient les adultes. En choisissant de refuser aux adolescents un droit d’appel automatique à la Cour, le Parlement n’a pas exercé de discrimination à leur endroit, mais il a plutôt tenu compte de la réalité de leur vie en soupesant les avantages d’un contrôle en appel par rapport aux préjudices inhérents à ce processus, en conformité avec la remarque incidente selon laquelle le règlement final de poursuites en matière criminelle ne devrait pas être retardé inutilement.
                    Le juge Kasirer : Le paragraphe 37(10) de la LSJPA est constitutionnellement valide. Il y a accord avec le juge en chef pour dire que le par. 37(10) est conforme à l’art. 7 de la Charte. Il y a également accord avec la juge Abella pour dire que le par. 37(10) limite les droits garantis au par. 15(1) de la Charte; toutefois, la restriction du droit à l’égalité des adolescents prescrite par le par. 37(10), lue en corrélation avec l’al. 691(1)a) du Code criminel, est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au regard de l’article premier de la Charte.
                    Il incombe à la partie qui s’appuie sur la disposition attaquée d’établir que la restriction du par. 15(1) se justifie au regard de l’article premier de la Charte. Cette partie doit démontrer que la limite poursuit un objectif urgent et réel et que les moyens choisis pour favoriser la réalisation de cet objectif ne limite pas de manière disproportionnée le droit garanti au par. 15(1). La proportionnalité exige que la limite ait un lien rationnel avec l’objectif urgent et réel énoncé, qu’elle porte atteinte de façon minimale, et que ses avantages l’emportent sur ses effets préjudiciables. Le rapport entre le par. 15(1) et l’article premier requiert une attention particulière. L’analyse doit être axée sur la gravité de la discrimination et son rapport avec les valeurs qui sous‑tendent une société libre et démocratique. Une restriction des droits garantis au par. 15(1) qui repose sur l’âge de la personne a été perçue dans certains contextes comme étant moins grave et donc plus facile à justifier. L’analyse doit être sensible au contexte des objectifs législatifs en cause. L’objectif urgent et réel doit être examiné de manière à ne pas excuser le comportement de l’État entraînant les formes de discrimination les plus odieuses. Cela n’exclut pas les limites qui promeuvent d’autres valeurs et principes.
                    Comme la question constitutionnelle soumise à la Cour n’intéresse que la voie d’appel prévue à l’al. 691(1)a), c’est ce cas précis de discrimination prima facie fondée sur l’âge que doit justifier la Couronne. Le paragraphe 37(10) de la LSJPA vise l’objectif urgent et réel de promouvoir la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale dans les affaires criminelles impliquant des adolescents, ce que le système de justice pénale pour les adolescents est conçu notamment pour favoriser. Prévoir des appels sur autorisation plutôt que des appels de plein droit favorise le règlement rapide des affaires impliquant des adolescents. La rapidité renforce le lien entre les actes et leurs conséquences, réduit l’impact psychologique, évite le sentiment d’injustice potentielle, et promeut l’intérêt sociétal à voir les adolescents réadaptés et réinsérés dans la société le plus rapidement possible.
                    Le paragraphe 37(10) a un lien rationnel avec l’objectif urgent et réel consistant à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale. En exigeant l’autorisation dans les circonstances où il y aurait autrement des appels de plein droit, le par. 37(10) sert l’objectif de rapidité car l’obligation d’obtenir l’autorisation peut servir de mesure dissuasive contre un appel non fondé. En outre, les demandes d’autorisation d’appel sont généralement tranchées plus rapidement que les appels. Bien que la procédure d’appel puisse s’avérer plus longue en moyenne pour les adolescents dont la demande d’autorisation d’appel devant la Cour est accueillie, que dans un scénario où il n’y a aucune obligation d’obtenir pareille autorisation, cela n’empêche pas de conclure que le par. 37(10) a un lien rationnel avec l’objectif législatif, puisqu’il vise à amener une conclusion rapide aux dossiers où il n’y a aucune raison d’entendre l’appel qui soulève une question de droit dénuée de fondement.
                    Pour ce qui est de l’atteinte minimale, en imposant l’obligation d’obtenir une autorisation au par. 37(10), le Parlement ne va pas trop loin pour atteindre son objectif consistant à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale dans les affaires criminelles impliquant des adolescents. Si imposer l’obligation d’obtenir l’autorisation pour un appel par ailleurs fondé pourrait créer un risque d’erreur judiciaire qui est absent dans le cas des adultes pouvant interjeter appel de plein droit, la Cour exerce son pouvoir en matière d’autorisation de manière à pouvoir entendre des appels qui soulèvent un risque d’erreur judiciaire. Dans les affaires criminelles, le concept d’importance pour le public, le critère le plus important qui détermine le succès ou l’échec d’une demande d’autorisation, doit être interprété comme étant mis en jeu non seulement par des questions de droit d’importance jurisprudentielle qui constituent des questions d’importance pour le public, mais aussi par celles qui soulèvent de sérieuses questions de droit quant au caractère sûr du verdict en matière criminelle. La question d’une condamnation injustifiée transcende le défendeur concerné et met en jeu l’intégrité de notre système de justice dans son ensemble. La Cour a la capacité institutionnelle de relever les erreurs judiciaires potentielles par le truchement du processus d’autorisation d’appel. Non seulement a‑t‑elle la faculté d’exercer son pouvoir d’accorder l’autorisation d’appel en tenant compte des droits garantis par la Charte et des principes de justice fondamentale, mais elle a l’obligation de le faire. Le processus d’autorisation d’appel offre donc une protection efficace aux adolescents dans les cas où un adulte se trouvant dans une situation similaire pourrait interjeter un appel de plein droit en vertu de l’al. 691(1)a).
                    Enfin, l’avantage qu’offre le par. 37(10) pour ce qui est de conclure en temps opportun les affaires criminelles l’emporte sur l’effet préjudiciable qu’a l’impact discriminatoire d’imposer aux adolescents l’obligation d’obtenir l’autorisation d’appel dans les cas où des adultes peuvent interjeter appel de plein droit. Le Parlement, au moment d’adopter le par. 37(10) de la LSJPA, n’a pas choisi d’enlever à un adolescent l’accès à la Cour; il a seulement ajouté l’obligation d’en obtenir l’autorisation. Au moment de statuer sur la demande d’autorisation, la Cour disposera des motifs exposés par le juge dissident en cour d’appel sur la question de droit, du mémoire au soutien de la demande d’autorisation et des documents nécessaires à l’appui. Surtout, les critères d’octroi de l’autorisation qui s’appliquent dans les affaires criminelles impliquant des adolescents indiquent que, lorsque la liberté de l’adolescent est en jeu, un appel méritoire à première vue sur la question de droit répondrait à la norme de l’importance pour le public même si l’affaire, à sa face même, ne transcende pas les intérêts des parties au chapitre de l’importance jurisprudentielle. Tout risque accru d’erreur judiciaire qu’entraîne l’obligation de demander l’autorisation d’appel dans ces circonstances est réduit au minimum par le processus d’autorisation d’appel. Imposer l’obligation de solliciter l’autorisation dans la poursuite des objectifs plus généraux de la justice pénale pour les adolescents concorde avec la place qu’occupe l’égalité dans une société libre et démocratique.
                    Les juges Abella, Karakatsanis et Martin : La limitation prévue au par. 37(10) de la LSJPA constitue une violation à première vue de l’art. 15 de la Charte qui ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte, ce qui rend le par. 37(10) inconstitutionnel.
                    Pour prouver une violation à première vue du par. 15(1), le demandeur doit démontrer que la loi contestée crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage. L’égalité réelle exige que l’on porte attention à tous les éléments contextuels de la situation du groupe de demandeurs et à l’effet de la limitation sur leur situation. Il ne faut toutefois pas confondre le contexte et la justification. Aucun volet de l’analyse relative au par. 15(1) ne permet que les objectifs de la loi intègrent à l’analyse la question de savoir si la limitation elle‑même est une distinction qui a pour effet de perpétuer, de renforcer ou d’accentuer le désavantage subi par le groupe de demandeurs. Ce n’est qu’au volet de la justification au regard de l’article premier que les objectifs de la loi sont pertinents, et ils ne le sont que dans la mesure où ils justifient la limitation.
                    En l’espèce, les parties reconnaissent qu’il est satisfait au premier volet de l’analyse relative au par. 15(1) parce qu’il y a une distinction entre les droits d’appel à la Cour dont bénéficient les adultes et ceux dont bénéficient les adolescents sur le fondement de l’âge. Le deuxième volet, qui consiste à déterminer si le fait de priver les adolescents des droits d’appel automatiques dont bénéficient les adultes a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer leur désavantage, requiert que l’on examine quel avantage procure un droit d’appel automatique à la Cour.
                    Le principal objet d’un appel de plein droit à la Cour dans une affaire criminelle est de rectifier les erreurs de droit entachant le procès pour infractions graves. Une dissidence au sujet d’une question de droit en cour d’appel provinciale, y compris une déclaration de culpabilité qui est déraisonnable ou qui ne peut pas s’appuyer sur la preuve, donne automatiquement un droit d’appel à la Cour afin d’éviter les erreurs judiciaires. Des protections procédurales solides contre les déclarations de culpabilité erronées sont cruciales. L’histoire des déclarations de culpabilité erronées comme celles de Steven Truscott, David Milgaard et Donald Marshall fils témoigne des conséquences inacceptables de leur absence.
                    C’est un enjeu d’accès à la justice d’importance fondamentale pour les adolescents qui cherchent à prévenir des condamnations injustifiées. Le droit d’appel automatique accordé aux adultes par l’al. 691(1)a) du Code criminel repose sur l’idée logique qu’une dissidence sur une question de droit à la cour d’appel suscite un doute légitime quant à la validité de la condamnation, d’où la nécessité que la Cour procède à un contrôle en dernier ressort, que la cause réponde ou non à la norme établie par la Cour en matière d’autorisation d’appel. De même, l’al. 691(2)b) exprime l’idée de base voulant qu’il soit indispensable à un système de justice pénale équitable que toute personne reconnue coupable d’un acte criminel a droit à au moins un appel du premier verdict de culpabilité, que ce verdict ait été inscrit en premier lieu au procès ou en appel. Ces droits d’appel automatiques fournissent une étape supplémentaire d’examen judiciaire, et ils offrent une protection procédurale importante.
                    Le paragraphe 37(10) de la LSJPA prive les adolescents d’une garantie importante contre les condamnations injustifiées visant des adultes, en dépit de la preuve que les adolescents sont plus enclins à faire l’objet de telles condamnations que les adultes. Qui plus est, de par l’effet qu’il a sur le par. 691(2) du Code criminel, le par. 37(10) de la LSJPA prive les adolescents reconnus coupables la première fois par une cour d’appel du droit à quelque examen que ce soit de leur dossier. Cette privation perpétue manifestement le désavantage dont souffrent les adolescents au sein du système de justice pénale. C’est un vestige du modèle désuet et paternaliste de justice pour les adolescents. Il serait insoutenable de prétendre que les adolescents méritent moins de protection contre les erreurs judiciaires que les adultes. La philosophie et l’objet mêmes de la LSJPA, qui met l’accent sur la fourniture de mesures procédurales solides aux adolescents, militent en faveur de procédures pour empêcher le désavantage à son comble, à savoir une condamnation injustifiée. Bien que la Cour s’efforce de déceler tout signe qu’une erreur judiciaire est peut‑être survenue à l’étape de l’autorisation d’appel, il n’en demeure pas moins qu’une demande d’autorisation d’appel ne donne pas lieu à un contrôle d’erreurs aussi approfondi que celui qui caractérise un pourvoi sur le fond. L’objectif de rapidité ne justifie pas l’impossibilité d’obtenir une protection procédurale qui a longtemps servi de rempart contre les erreurs judiciaires. Rien ne justifie un règlement rapide découlant d’un procès inéquitable. Il y a par conséquent violation à première vue de l’art. 15.
                    En ce qui concerne l’article premier de la Charte, même si l’on accepte qu’accorder à la Cour le pouvoir discrétionnaire de décider dans quelles circonstances des affaires criminelles impliquant des adolescents méritent un contrôle en appel de second niveau est un objectif réel et urgent de la privation d’un droit automatique d’appel au par. 37(10), il échoue à la dernière étape de l’analyse de la proportionnalité car tout avantage du refus est largement supplanté par ses effets préjudiciables. La rapidité ainsi que la réadaptation et la réinsertion sociale hâtives sont des objectifs salutaires, mais la contribution réelle du par. 37(10) à leur réalisation est minime. On peut gagner tout au plus quelques mois dans les cas où l’autorisation est refusée. En revanche, obliger un adolescent accusé à vivre le processus d’autorisation d’appel avant qu’il n’ait droit à une audience a pour effet de prolonger le processus dans les cas où l’autorisation est accordée, car si l’autorisation est octroyée, l’appel ne sera pas entendu avant plusieurs autres mois. Cela signifie que le par. 37(10) expose les adolescents à un risque accru d’erreurs judiciaires en vue de pouvoir gagner quelques mois. Refuser aux adolescents l’examen complet automatique qu’offre un appel et accepter un processus d’appel moins rigoureux subordonne la justice à l’expéditivité dans le cas des adolescents, plutôt que l’inverse. Les objectifs que sont la rapidité, la réadaptation et la réinsertion sociale ne valent rien si l’on tolère des verdicts erronés de culpabilité au service de la célérité. La LSJPA n’est pas censée promouvoir l’injustice rapide. Les répercussions profondément néfastes qu’a l’accélération de la réadaptation et de la réinsertion sociale sur le droit à la même protection procédurale de base en appel contre les erreurs judiciaires que les adultes l’emportent largement sur l’avantage de pouvoir retrancher quelques mois au processus d’appel.
                    La juge Côté : Il n’est pas nécessaire de répondre aux questions constitutionnelles relatives à la validité du par. 37(10) de la LSJPA, car elles sont maintenant théoriques. L’analyse constitutionnelle relative à l’absence d’un droit d’appel automatique à la Cour n’aurait aucune incidence sur le pourvoi sous‑jacent en matière pénale interjeté en l’espèce, parce que la Cour a accordé l’autorisation d’appel.
Jurisprudence
Citée par la juge Abella
                    Arrêts mentionnés : R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. 746; R. c. A.G., 2000 CSC 17, [2000] 1 R.C.S. 439; R. c. Burke, 1996 CanLII 229 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 474; R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, [2008] 2 R.C.S. 152; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28; États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283; R. c. Farinacci (1993), 1993 CanLII 3385 (ON CA), 86 C.C.C. (3d) 32; R. c. R. (R.), 2008 ONCA 497, 90 O.R. (3d) 654; R. c. J. (J.T.), 1990 CanLII 85 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 755; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739; R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426; R. c. Le, 2019 CSC 34; R. c. Parks (1993), 1993 CanLII 3383 (ON CA), 15 O.R. (3d) 324; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493.
Citée par le juge en chef Wagner
                    Arrêts mentionnés : Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595; R. c. Farinacci (1993), 1993 CanLII 3385 (ON CA), 86 C.C.C. (3d) 32; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76; R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309; États-Unis d’Amérique c. Cobb, 2001 CSC 19, [2001] 1 R.C.S. 587; Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), 1992 CanLII 51 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 631; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Kourtessis c. M.R.N., 1993 CanLII 137 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 53; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1992 CanLII 87 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 711; R. c. R.L. (1986), 1986 CanLII 4611 (ON CA), 26 C.C.C. (3d) 417; R. c. K.G. (1986), 1986 ABCA 217 (CanLII), 31 C.C.C. (3d) 81; R. c. B. (S.) (1989), 1989 CanLII 4802 (SK CA), 50 C.C.C. (3d) 34; R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577; R. c. E. (A.W.), 1993 CanLII 65 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 155; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548; Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429; R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012; R. c. M. (J.S.), 2005 BCCA 417, 200 C.C.C. (3d) 400; R. c. D.F.G. (1986), 1986 CanLII 1176 (BC CA), 29 C.C.C. (3d) 451; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55; Krishnapillai c. Canada (C.A.), 2001 CAF 378, [2002] 3 F.C. 74; Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77; R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426.
Citée par le juge Kasirer
                    Arrêts mentionnés : Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143; McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 229; Stoffman c. Vancouver General Hospital, 1990 CanLII 62 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 483; Harrison c. Université de la Colombie-Britannique, 1990 CanLII 61 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 451; A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, [2009] 2 R.C.S. 181; Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 513; Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3; Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, [2018] 1 R.C.S. 522; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624; R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55; Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; R. c. Keegstra, 1995 CanLII 91 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 381; R. c. Hay, 2010 CSC 54, [2010] 3 R.C.S. 206; R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. R. (R.), 2008 ONCA 497, 90 O.R. (3d) 654; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145.
Citée par la juge Côté (dissidente)
                    R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. Al-Rawi, 2018 NSCA 10, 359 C.C.C. (3d) 237; R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 346; R. c. Barton, 2019 CSC 33; R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, [2008] 2 R.C.S. 152; R. c. Mathieu (1994), 1994 CanLII 5561 (QC CA), 90 C.C.C. (3d) 415, conf. par 1995 CanLII 79 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 46; R. c. Cedeno, 2005 ONCJ 91, 27 C.R. (6th) 251; South Yukon Forest Corp. c. Canada, 2012 FCA 165, 431 N.R. 286; R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000.
Lois et règlements cités
Acte de la Cour Suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, c. 11, art. 49.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 273.2(a)(ii), 677, 685(1), 691, 693(1)(a).
Code criminel, 1892, L.C. 1892, c. 29, art. 750.
Loi des jeunes délinquants, 1908, S.C. 1908, c. 40, art. 31.
Loi des jeunes délinquants, 1929, S.C. 1929, c. 46, art. 37(1), (2).
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S-26, art. 44.
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, préambule, art. 3 [mod. 2012, c. 1, art. 168(2)], 37, 142.
Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y-1, art. 3, 27(1) [abr. & rempl. c. 24 (2e suppl.), art. 20], (5) [idem].
Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, règles 25(1), 26(1), 33(2).
Traités et autres instruments internationaux
Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 n° 3, art. 40(2)(b)(iii).
Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, A/RES/40/33, 29 novembre 1985, règle 20.1.
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Feldman, MacPherson et Nordheimer), 2019 ONCA 85, 373 C.C.C. (3d) 244, [2019] O.J. No. 644 (QL), 2019 CarswellOnt 1642 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la juge Crosbie, 2017 ONCJ 277, [2017] O.J. No. 2221 (QL), 2017 CarswellOnt 6476 (WL Can.). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.
                    Matthew R. Gourlay, pour l’appelant.
                    Grace Choi et Holly Loubert, pour l’intimée.
                    John Provart, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Michelle M. Biddulph, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
                    Jane Stewart, pour l’intervenante Justice for Children and Youth.
                    Alison M. Latimer, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
 
Version française du jugement des juges Abella, Karakatsanis et Martin rendu par
 
                    La juge Abella —
[1]                              Il s’agit d’un pourvoi interjeté par un adolescent contre une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle au motif que le verdict était déraisonnable. Il s’agit en outre d’une contestation de la constitutionnalité du par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, qui prive les adolescents d’un droit d’appel conféré à tous les adultes déclarés coupables d’actes criminels, à savoir un droit d’appel automatique à la Cour suprême du Canada lorsqu’il y a une dissidence en cour d’appel sur une question de droit ou que la cour d’appel inscrit un verdict de culpabilité à la suite d’un appel formé par la Couronne contre un acquittement au procès. Ces droits d’appel offrent des garanties importantes contre les erreurs judiciaires. Selon la LSJPA, les adolescents aux prises avec le système de justice pénale ne jouissent pas de ces droits.
[2]                              La question constitutionnelle est tributaire de celle de savoir si cette privation viole les droits garantis aux adolescents par la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, si cette privation peut se justifier. L’argument reposait à la fois sur l’art. 15 et l’art. 7 de la Charte, mais étant donné ma conclusion au regard de l’art. 15, il est inutile d’aborder la question relative à l’art. 7. Essentiellement, l’argument fondé sur l’art. 15 est que la privation perpétue et renforce le désavantage dont souffrent les adolescents dans un procès criminel et qu’il y a donc violation du par. 15(1) de la Charte.
[3]                              La position de la Couronne peut être réduite à deux propositions principales :
•         La LSJPA est une loi bonifiée qui offre aux adolescents d’autres protections, ce qui rend inutile cette garantie particulière contre les déclarations de culpabilité injustifiées.
•         Les appels prolongent le processus, et les adolescents ont besoin que le procès criminel se règle rapidement. D’après la LSJPA, la rapidité est un objectif clé pour que les adolescents déclarés coupables puissent être rapidement réadapté et réinsérés dans la société. 
[4]                              La réponse à ces propositions peut être résumée ainsi, et elle m’amène à conclure, avec égards, que la limitation prévue au par. 37(10) constitue une violation à première vue de l’art. 15 qui ne peut se justifier au regard de l’article premier :
•         Le fait que la loi vise généralement à apporter des améliorations n’est d’aucune pertinence pour décider si une limitation en particulier représente une violation à première vue de l’art. 15. Il peut s’agir d’un facteur contextuel dans l’analyse de la justification au regard de l’article premier, mais ce qui est en litige au stade de la violation, c’est l’incidence de la limitation sur le groupe de demandeurs, non l’objectif de la loi dans son ensemble. Le fait crucial demeure que la LSJPA ne prévoit aucune procédure analogue en guise de substitut pour un droit d’appel garanti à notre Cour.
•         L’objectif de rapidité ne justifie pas l’impossibilité d’obtenir une protection procédurale qui a longtemps servi de rempart contre les erreurs judiciaires. Rien ne justifie un règlement rapide découlant d’un procès inéquitable.
[5]                              Quant à l’appel du verdict de culpabilité, je conviens avec les juges majoritaires de la Cour d’appel que le verdict était raisonnable, et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Historique judiciaire
[6]                              Alors que C.P. avait 15 ans, il s’est rendu à une fête à la plage pour célébrer l’anniversaire d’un ami avec un groupe de jeunes. La plaignante, R.D., avait 14 ans. Ils avaient bu tous les deux. Il y a eu des rapports sexuels.
[7]                              C.P. a été accusé d’avoir agressé sexuellement R.D. Il a subi son procès devant la juge Crosbie, siégeant à titre de juge d’un tribunal pour adolescents au sens de la LSJPA.
[8]                              Au procès, la Couronne a soutenu que C.P. avait eu des rapports sexuels avec R.D. alors qu’il savait qu’elle était trop ivre pour être capable d’y consentir. Pour sa défense, C.P. a prétendu que R.D. avait consenti à avoir des rapports sexuels avec lui avant qu’elle ne montre des signes qu’elle était trop ivre pour y consentir. Selon ses dires, il avait l’impression qu’elle [traduction] « se portait bien » lorsqu’ils ont eu les rapports sexuels.
[9]                              Dans des motifs approfondis et mûrement réfléchis, la juge Crosbie s’est demandé si R.D. était trop ivre pour consentir et si C.P. avait une croyance sincère mais erronée au consentement de R.D. (2017 ONCJ 277).
[10]                          R.D. n’a pas témoigné. La déclaration enregistrée sur bande vidéo qu’elle a faite à la police a été admise au procès. Elle n’a gardé aucun souvenir des rapports sexuels.
[11]                          Une amie de R.D., E.G., a fait à la police une déclaration enregistrée sur bande vidéo qui a été admise au procès. Elle a affirmé être venue à la fête avec un ami plus tard que le reste du groupe. La toute première chose qu’elle a vue était R.D. couchée par terre. Elle s’est toute de suite rendue auprès de cette dernière. Elle a trouvé R.D. dans un état d’ébriété avancé. Cette dernière avait vomi, elle ne pouvait pas se lever, et elle était incapable de communiquer. Dans son témoignage au procès, E.G. a réitéré qu’elle s’était rendue immédiatement auprès de R.D. à son arrivée à la fête. Le témoignage d’E.G. sur ce point n’a pas été contesté.
[12]                          La juge du procès a conclu qu’E.G. était un [traduction] « témoin crédible et fiable sans animosité envers C.P. ».
[13]                          C.P. a soutenu que R.D. avait consenti aux rapports sexuels. Dans son témoignage, il a affirmé que lui et R.D. étaient arrivés à la fête avec un groupe d’amis. Ils se sont assis sur un matelas près d’un feu de camp, où ils ont causé et se sont embrassés. R.D. s’est éloignée seule du feu de camp et s’est assise près d’un rocher à distance du groupe. C.P. a parlé à un autre ami pendant environ cinq minutes, puis a rejoint R.D. C.P. a affirmé dans son témoignage que lui et R.D. ont commencé à s’embrasser, puis qu’à un moment donné, elle lui aurait dit [traduction] « baise‑moi ». Selon ses dires, il est d’abord resté surpris, mais il l’a crue et a pensé qu’elle était capable de donner son consentement. Il n’a pas utilisé de moyen de protection.
[14]                          C.P. a affirmé qu’après avoir éjaculé, il s’est levé et a entendu E.G. et un autre jeune arriver. Selon ses dires, il est allé leur parler pendant 10 ou 15 minutes avant de retourner aux côtés de R.D. Toutefois, en contre‑interrogatoire, C.P. a avoué qu’E.G. s’était rendue [traduction] « immédiatement vers [R.D.] » à son arrivée.
[15]                          La juge du procès n’a pas cru certains aspects cruciaux du témoignage de C.P., notamment que R.D. [traduction] « se portait bien » pendant les rapports sexuels et qu’elle lui aurait demandé d’avoir des rapports sexuels. Sur ces points, la juge a conclu que C.P. s’était montré « évasif et déstabilisé » et qu’il « tentait de minimiser l’incidence qu’avait eu son état d’ébriété sur sa capacité de se souvenir de ce qui s’était passé et sur ses gestes ce soir‑là ». Le comportement de C.P., d’après le ton de sa voix, sa manière d’agir et ses propos, donnait à la juge l’impression que C.P. devinait certaines réponses et qu’à d’autres moments, il « voulait désespérément que quelque chose se soit produit, alors qu’en fait, ce n’était pas le cas ». Cependant, elle était consciente que C.P.
                    se remémorait un événement qui remontait à un an. En outre, C.P. n’a que seize ans et, j’imagine, il était nerveux pendant son témoignage, surtout lors du contre‑interrogatoire habile par l’avocat. Je ne critique absolument pas son témoignage en entier. Les éléments que j’ai exposés ci‑dessus représentent les nombreuses raisons qui m’ont amenée à rejeter son témoignage quant à certains points clés. [par. 114]
[16]                          La juge Crosbie a rejeté le témoignage de C.P. en interrogatoire principal selon lequel il aurait parlé à E.G. pendant 10 à 15 minutes avant qu’E.G. ne rejoigne R.D., mais elle a accepté son témoignage selon lequel il avait entendu E.G. arriver à la fête tout de suite après avoir eu des rapports sexuels avec R.D., et son aveu en contre‑interrogatoire comme quoi E.G. s’était rendue immédiatement aux côtés de R.D. à son arrivée, ce qui concordait avec le témoignage d’E.G.
[17]                          Nul ne conteste que R.D. était ivre au point d’incapacité lorsqu’E.G. l’a trouvée. Par conséquent, la question était de savoir combien de temps s’était écoulé après l’activité sexuelle lorsqu’E.G. a vu R.D. S’appuyant sur le témoignage de C.P. qui a affirmé avoir entendu E.G. arriver tout de suite après les rapports sexuels et sur les témoignages d’E.G. et de C.P. selon lesquels E.G. s’était rendue immédiatement aux côtés de R.D. à son arrivée, la juge du procès a conclu que R.D. était en état d’incapacité au moment des rapports sexuels :
                    [traduction]
                     La preuve [. . .] m’amène à conclure hors de tout doute raisonnable que R.D. était dans un état d’ébriété avancé au moment où C.P., de son propre aveu, était avec elle et, de son propre aveu, avait eu des rapports sexuels avec elle. E.G. a trouvé R.D. alors que cette dernière avait déjà vomi. R.D. a été trouvée inconsciente et généralement inerte — le tout dans un laps de temps très, très court après que C.P., comme il l’a lui‑même déclaré, venait d’éjaculer en elle. [par. 95]
[18]                          Ceci a amené la juge Crosbie à conclure hors de tout doute raisonnable que R.D. était incapable de consentir au moment des rapports sexuels.
[19]                          Ayant conclu que R.D. était trop ivre pour consentir au moment de l’activité sexuelle, la juge Crosbie s’est ensuite penchée sur la question de savoir si C.P. avait eu une croyance sincère mais erronée au consentement communiqué. Elle a tiré trois conclusions clés. Premièrement, elle a expressément conclu que [traduction] « [R.D.] n’a[vait] pas demandé à C.P. de [“la baiser”] ». Deuxièmement, elle a conclu qu’« il n’est pas possible de douter de la connaissance qu’avait [C.P.] du degré d’ivresse dans lequel » R.D. se trouvait lorsque les rapports sexuels ont eu lieu :
                    . . . très peu de temps après l’activité sexuelle, R.D. s’endormait, elle avait des vomissures sur elle, elle ne semblait pas comprendre ce qu’E.G. [son amie] lui disait et elle était incapable de donner des réponses cohérentes. Dans son témoignage, C.P. a dit être en présence de R.D. pendant cette période. Il n’est tout simplement pas possible de douter de la connaissance qu’il avait du degré d’ivresse dans lequel R.D. se trouvait réellement au moment pertinent. [par. 120]
[20]                          Enfin, la juge a conclu que malgré sa connaissance de l’état d’ébriété de R.D., C.P. avait omis de prendre des mesures pour déterminer si R.D. était consentante, choisissant plutôt [traduction] « d’aller de l’avant, sachant qu’il y avait un danger ou un risque que [R.D.] était trop ivre ». Même s’il savait qu’il « devait se renseigner », il « ne voulait pas connaître la vérité — il a préféré rester dans l’ignorance ».
[21]                          Par conséquent, la juge du procès était convaincue [traduction] « hors de tout doute raisonnable que C.P. savait que R.D. était dans un état d’ébriété tel qu’elle ne pouvait pas avoir consenti à l’activité sexuelle, qu’il a ignoré volontairement ce fait ou qu’il ne s’en est pas soucié ».
[22]                          Elle a reconnu C.P. coupable d’agression sexuelle.
[23]                          C.P. a interjeté appel à la Cour d’appel de l’Ontario, plaidant que le verdict était déraisonnable. Le juge MacPherson, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a rejeté l’appel de C.P. (2019 ONCA 85, 373 C.C.C. (3d) 244). Il a conclu que [traduction] « les motifs minutieux et détaillés de la juge du procès avaient mené à un verdict tout à fait raisonnable ». À son avis, la juge du procès n’a commis aucune erreur dans son traitement de la preuve de C.P. ou du droit applicable. Sa conclusion, fondée sur la preuve, selon laquelle E.G. s’était rendue immédiatement aux côtés de R.D. à son arrivée à la fête et selon laquelle C.P. l’avait entendue arriver dès qu’il eut éjaculé et qu’il se soit levé, l’a raisonnablement amenée à conclure que R.D. était incapable de consentir et que C.P. savait qu’elle en était incapable. La juge du procès a expliqué clairement les fondements de son appréciation négative de la crédibilité de C.P. et pourquoi elle rejetait expressément des aspects fondamentaux de son témoignage, par exemple son affirmation comme quoi R.D. « se portait bien » pendant les rapports sexuels et qu’elle lui avait demandé d’avoir des rapports sexuels.
[24]                          Le juge Nordheimer, dissident, aurait accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et inscrit un acquittement au motif qu’un [traduction] « examen juste et équilibré de l’ensemble de la preuve » « ne permettait pas de rendre un verdict comme quoi l’infraction avait été prouvée hors de tout doute raisonnable ». À son avis, la juge du procès a eu tort de s’appuyer sur le témoignage de C.P. selon lequel il avait entendu E.G. arriver à la plage après qu’il eut éjaculé, tout en rejetant tous les autres éléments de son témoignage. Puisque le témoignage de C.P. à propos du moment où il avait éjaculé par rapport à l’arrivée d’E.G. était le « chaînon manquant » qui reliait l’activité sexuelle à l’état d’incapacité de R.D., il incombait à la juge du procès d’expliquer la raison pour laquelle elle s’appuyait sur ce seul élément de preuve. Il a en outre conclu que le témoignage d’E.G. quant au moment de son arrivée posait des problèmes importants.
[25]                          C.P. a déposé un avis d’appel en vertu de l’al. 691(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, qui confère un appel automatique de plein droit à l’accusé déclaré coupable d’un acte criminel et dont la déclaration de culpabilité est confirmée par la cour d’appel avec une dissidence sur une question de droit. La Couronne a déposé une requête en cassation, vu qu’en application du par. 37(10) de la LSJPA, les adolescents n’ont pas de droit d’appel automatique. L’autorisation est donc nécessaire, et ce, même lorsqu’il y a une dissidence sur une question de droit en cour d’appel (R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, par. 35).
[26]                          C.P. a déposé un avis de question constitutionnelle et a plaidé que le par. 37(10) de la LSJPA contrevenait aux art. 7 et 15 de la Charte.
[27]                          Notre Cour a ajourné la requête de la Couronne en cassation sans préjudice du droit de C.P. de demander l’autorisation d’appel, notamment sur la question de la constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA. La Cour a accordé l’autorisation d’interjeter appel du verdict et de la question constitutionnelle.
Analyse du verdict de culpabilité
[28]                          Lorsqu’un verdict est rendu par un juge siégeant seul et expliqué dans les motifs de jugement, il y a deux fondements sur lesquels une cour d’appel peut conclure que le verdict est déraisonnable. Premièrement, un verdict est déraisonnable s’il n’est pas l’un de ceux qu’un « jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre » (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 381, par. 36, citant R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168, p. 185). Dans l’arrêt Biniaris, la juge Arbour a précisé que cette norme, bien qu’elle soit énoncée en fonction d’un verdict rendu par un jury, s’applique également aux décisions d’un juge siégeant sans jury. Toutefois, elle a expliqué que l’examen en appel du caractère déraisonnable est « un peu plus facile lorsque le jugement contesté est celui d’un juge seul », puisque les juges donnent des motifs dans lesquels
                    le tribunal d’appel qui procède à l’examen est parfois en mesure de déceler une lacune dans l’évaluation de la preuve ou dans l’analyse, qui servira à expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée, et à justifier l’annulation. [par. 37]
[29]                          Les commentaires de la juge Arbour dans Biniaris ont mené à l’adoption, dans R. c. Beaudry, 2007 CSC 5 (CanLII), [2007] 1 R.C.S. 190, et dans R. c. Sinclair, 2011 CSC 40 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 3, à une deuxième voie d’examen, quelque peu élargie, du caractère déraisonnable. Le verdict d’un juge peut être déraisonnable, même s’il est étayé par la preuve, si le juge y arrive « d’une façon illogique ou irrationnelle » (Beaudry, par. 96‑97, le juge Fish (dissident quant au résultat); Sinclair, par. 4 et 15‑17, le juge Fish (dissident quant au résultat), et par. 44, le juge LeBel). Cela peut se produire si le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui de cette inférence ou conclusion, ou dont on peut démontrer qu’elle est incompatible avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge du procès (Sinclair, par. 4, 16 et 19‑21; R. c. R.P., 2012 CSC 22 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 746, par. 9).
[30]                          L’analyse des conclusions ou inférences illogiques ou irrationnelles en application des arrêts Beaudry et Sinclair ne saurait permettre aux juges siégeant en révision de substituer leurs propres conclusions de fait à celles du juge du procès (Beaudry, par. 98). Comme l’a fait observer le juge MacPherson à la Cour d’appel, le « fait qu’un juge d’une cour d’appel aurait eu un doute que le juge du procès n’a pas eu est insuffisant pour justifier la conclusion que le jugement de première instance était déraisonnable » (par. 67, citant R. c. A.G., 2000 CSC 17 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 439, par. 29). Elle ne permet pas non plus de modifier de manière injustifiée les appréciations de la crédibilité par le juge du procès. Une cour d’appel qui contrôle les appréciations de la crédibilité pour déterminer si le verdict est raisonnable ne peut écarter ces appréciations que si elles ne peuvent pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve (R.P., par. 10; R. c. Burke, 1996 CanLII 229 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 474, par. 7). L’analyse de la logique ou de la rationalité des conclusions essentielles d’un juge en application des arrêts Beaudry et Sinclair cible étroitement les « vices fondamentaux du raisonnement », ce qui veut dire que le verdict n’a pas été rendu de manière judiciaire ou conformément au principe de légalité (Sinclair, par. 4, 26 et 77).
[31]                          S’appuyant sur Beaudry et Sinclair, C.P. a plaidé qu’il était illogique pour la juge du procès de conclure qu’E.G. avait découvert R.D. en état d’incapacité très peu de temps après les rapports sexuels. Partant du raisonnement du juge Nordheimer, dissident, C.P. a prétendu que le vice fondamental du raisonnement de la juge du procès était qu’elle avait accepté son témoignage selon lequel E.G. était arrivée tout de suite après les rapports sexuels, mais que la juge avait rejeté son témoignage sur tous les autres points importants. S’appuyant sur la norme classique de Biniaris, C.P. a plaidé en outre que le verdict n’en était pas un qu’un juge des faits ayant reçu des directives appropriées aurait pu raisonnablement rendre eu égard à la preuve disponible, puisque celle‑ci ne permettait pas d’établir avec précision quand les rapports sexuels avaient eu lieu.
[32]                          Selon moi, le raisonnement qui a amené la juge du procès à conclure que c’est tout de suite après les rapports sexuels qu’E.G. avait découvert R.D. dans l’état d’incapacité dans laquelle elle se trouvait était à la fois logique et rationnel.
[33]                          C.P. a soutenu que le « recours sélectif » de la juge du procès à son témoignage concernant l’arrivée d’E.G. était illogique, puisque sa raison de rejeter d’autres parties de son témoignage était qu’il était trop ivre pour que l’on puisse s’y fier. En particulier, C.P. a plaidé que la juge ne pouvait pas logiquement rejeter son témoignage, compte tenu de son état d’ébriété, suivant lequel il avait parlé à E.G. pendant 10 à 15 minutes avant qu’elle se rende aux côtés de R.D., tout en acceptant son témoignage, dans la même séquence d’événements, selon lequel E.G. était arrivée tout de suite après les rapports sexuels.
[34]                          Cet argument s’appuie sur une mauvaise interprétation des motifs de la juge du procès. La juge a rejeté le témoignage de C.P. selon lequel il s’était entretenu avec E.G. avant qu’elle se rende aux côtés de R.D. parce que ce témoignage était intrinsèquement incompatible avec son propre témoignage en contre‑interrogatoire, contredit extrinsèquement par le témoignage d’E.G., et parce que C.P. était ivre, particulièrement en comparaison avec E.G., dont le souvenir [traduction] « n’était pas suspect ». Plus généralement, l’ivresse de C.P. et sa malhonnêteté au sujet de son ivresse faisaient partie des nombreux facteurs pertinents dont la juge du procès a tenu compte dans son appréciation de la crédibilité de C.P. La juge n’a à aucun moment conclu que C.P. était à ce point ivre que sa mémoire était catégoriquement non fiable. L’effet de l’ivresse sur le témoignage d’un témoin n’est pas une question de tout ou rien.
[35]                          Il est un principe bien établi qu’un juge ou un jury peut « croire une partie ou la totalité des témoignages, notamment de celui de l’accusé, ou n’en rien croire » (R. c. J.H.S., 2008 CSC 30 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 152, par. 10). En l’espèce, la juge du procès a rejeté des points essentiels du témoignage de C.P., mais a cru son témoignage selon lequel il avait entendu E.G. arriver tout de suite après les rapports sexuels. La juge a fourni des motifs solides au soutien de ce qu’elle croyait et de ce qu’elle ne croyait pas, expliquant pourquoi elle avait conclu que certaines parties du témoignage de C.P. n’étaient pas frappées des mêmes vices qui l’ont amené à rejeter d’autres aspects du témoignage de ce dernier.
[36]                          En outre, le verdict en était assurément un qu’un « [juge ou un jury] qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre » (Biniaris, par. 36, citant Yebes, p. 185). Des éléments de preuve étayaient la conclusion de la juge du procès selon laquelle E.G. avait découvert R.D. en état d’incapacité peu de temps après les rapports sexuels. La juge Crosbie savait très bien que le moment auquel les rapports sexuels s’étaient déroulés ne pouvait pas être déterminé en termes absolus. Elle a constaté [traduction] « qu’il y avait absence de clarté quant au moment où l’activité sexuelle avait eu lieu ». Les témoins à charge ne pouvaient qu’« estimer » quand le groupe était arrivé à la plage, et aucun témoin à charge ne pouvait « déterminer avec précision à quel moment » les rapports sexuels avaient eu lieu. Mais, comme l’ont expliqué les juges majoritaires de la Cour d’appel, ce qui importait n’était pas le moment précis, mais [traduction] « le moment relatif de l’arrivée d’ [E.G.] par rapport à l’activité sexuelle » (par. 56 (italiques ajoutés)).
[37]                          Les témoignages conjugués d’E.G. et de C.P. ont convaincu la juge du procès qu’E.G. s’était rendue auprès de R.D. dès son arrivée, et que, selon le propre témoignage de C.P., elle était arrivée à la fête tout de suite après les rapports sexuels. Il était donc loisible à la juge du procès de conclure logiquement que l’état d’incapacité totale dans lequel E.G. a trouvé la victime à son arrivée était l’état dans lequel cette dernière se trouvait pendant l’activité sexuelle.
[38]                          Pour ces motifs, je souscris à l’opinion exprimée par les juges majoritaires de la Cour d’appel que rien ne permet de conclure que le verdict était déraisonnable. Les motifs rendus par la juge Crosbie au soutien de son verdict de culpabilité d’agression sexuelle prononcé contre C.P. sont des motifs de première instance exemplaires de par leur rigueur et leur minutie.
[39]                          En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
La constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA
[40]                          Il reste à trancher la question de la constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA, qui prive les adolescents des droits d’appel automatique à notre Cour prévus à l’art. 691 du Code criminel.
[41]                          Le 11 mars 2019, C.P. a déposé un avis d’appel en vertu de l’al. 691(1)a) du Code criminel, qui confère un droit d’appel automatique aux personnes déclarées coupables d’un acte criminel lorsqu’il y a une dissidence sur une question de droit en cour d’appel.
[42]                          En réponse, la Couronne a déposé une requête en cassation fondée sur l’art. 44 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, qui dispose :
                    44 La Cour peut casser les procédures dans les causes portées devant elle qui ne peuvent faire l’objet d’appel ou quand les procédures sont entachées de mauvaise foi.
[43]                          La Couronne a fondé sa requête sur l’exigence, prévue au par. 37(10) de la LSJPA, qu’un adolescent obtienne l’autorisation avant de pouvoir interjeter appel à notre Cour. En réponse à la requête de la Couronne en cassation, C.P. a déposé un avis de question constitutionnelle fondé sur le par. 33(2) des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156. Après avoir reçu des observations écrites, la Cour a ajourné la requête de la Couronne en cassation « sans préjudice du droit de C.P. de signifier et de déposer une demande d’autorisation d’appel » (Bulletin des procédures, 15 novembre 2019, p. 36). Dans son ordonnance, notre Cour a mentionné que C.P. pouvait « soulever comme motif d’autorisation d’appel toute question constitutionnelle relative au par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents » (p. 36).
[44]                          C.P. a déposé une demande d’autorisation d’appel dans laquelle il a invoqué deux moyens : la raisonnabilité de son verdict et la constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA.
[45]                          La Couronne a déposé une réponse à la demande d’autorisation, plaidant que notre Cour n’avait pas compétence pour connaître de la question constitutionnelle, puisqu’il n’y avait ni ordonnance ni jugement définitif portant sur la constitutionnalité du par. 37(10) dont C.P. pouvait interjeter appel. Deuxièmement, tout en reconnaissant que notre Cour a le pouvoir discrétionnaire d’examiner de nouvelles questions constitutionnelles soulevées pour la première fois devant elle, la Couronne a soutenu que ce pouvoir discrétionnaire ne pouvait être exercé que lorsqu’il y a un lien significatif entre la question constitutionnelle et le jugement ou l’ordonnance dont il est interjeté appel.
[46]                          Notre Cour a accordé l’autorisation d’appel. Le procureur général du Canada est intervenu sur la question constitutionnelle.
[47]                          À l’audience, la Couronne a réitéré sa position suivant laquelle la Cour n’avait pas compétence pour trancher la question constitutionnelle, mais elle n’a pas insisté sur ce point puisque toutes les parties étaient présentes et disposées à débattre de la question constitutionnelle.
[48]                          L’arrêt de notre Cour dans Guindon c. Canada, 2015 CSC 41 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 3, régit cette question. Dans Guindon, les juges majoritaires ont statué que dès que la Cour est saisie d’un pourvoi, la décision d’
                    [e]xaminer puis [de] trancher une question constitutionnelle qui n’a pas été régulièrement soulevée dans le cadre des instances antérieures relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour, compte tenu de l’ensemble des circonstances, dont la teneur du dossier, l’équité envers toutes les parties, l’importance que la question soit résolue par la Cour, le fait que l’affaire se prête ou non à une décision et les intérêts de l’administration de la justice en général.
. . .
                        La Cour ne doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’examiner puis de trancher une question nouvelle qu’à titre exceptionnel et jamais sans que le plaideur ne démontre que les parties n’en subiront pas un préjudice. [par. 20 et 23]
[49]                          En l’espèce, les parties ne subissent aucun préjudice. Tous les procureurs généraux ont été avisés de la question constitutionnelle, et le procureur général du Canada a exercé son droit d’intervenir. Comme dans l’affaire Guindon, « [n]ul ne soutient qu’une preuve supplémentaire s’impose, sans compter qu’aucune demande d’autorisation d’étoffer la preuve n’a été présentée » (par. 35).
[50]                          Cependant, le fait qu’il y va manifestement des intérêts de l’administration de la justice que notre Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour instruire et trancher la question est particulièrement pertinente, puisqu’il s’agit d’une question dont notre Cour ne peut être saisie pour la première fois qu’en appel d’une cour d’appel. Refuser d’entendre l’argument constitutionnel de C.P. reviendrait à laisser planer l’incertitude, au chapitre de la compétence, sur une question d’accès à la justice d’importance fondamentale pour les adolescents.
[51]                          Le déroulement des procédures en l’espèce fournit un appui supplémentaire au pouvoir de la Cour de trancher la question constitutionnelle. Il ne fait aucun doute que la Cour aurait eu à statuer sur la validité du par. 37(10) afin de décider convenablement de la requête présentée par la Couronne pour faire casser le premier avis d’appel de plein droit déposé par C.P. En ajournant cette requête et en permettant à C.P. de soulever la question constitutionnelle dans sa demande d’autorisation d’appel, la Cour est restée compétente pour trancher la question, une compétence acquise par suite de la requête en cassation, dans le cadre du pourvoi en tant que tel.
[52]                          J’en viens au fond de la question constitutionnelle, à savoir si le par. 37(10) de la LSJPA viole les art. 15 ou 7 de la Charte.
[53]                          L’article 691 du Code criminel trace les voies d’appel à notre Cour en ce qui concerne les actes criminels. Il confère à l’accusé le bénéfice de droits d’appel automatiques à notre Cour dans des situations particulières. L’alinéa 691(1)a)[1] confère à la personne dont la condamnation pour un acte criminel est confirmée par la cour d’appel un droit d’appel automatique à notre Cour sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident. En outre, le par. 691(2)[2] confère à la personne dont l’acquittement a été infirmé à la cour d’appel un droit d’appel automatique à notre Cour sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident, ou sur toute question de droit si la cour d’appel a consigné un verdict de culpabilité.
[54]                          Le paragraphe 37(1)[3] de la LSJPA incorpore les voies d’appel en ce qui concerne les actes criminels prévues au Code criminel dans le système de justice pour les adolescents. Toutefois, le par. 37(10) de la LSJPA prive les adolescents des droits d’appel automatiques à notre Cour prévus à l’al. 691(1)a) et au par. 691(2) du Code criminel, et les oblige plutôt à demander l’autorisation avant qu’ils puissent interjeter appel. Le paragraphe 37(10) dispose :
                    (10) Les jugements de la cour d’appel portant sur la déclaration de culpabilité ou sur l’ordonnance ayant rejeté une dénonciation ou un acte d’accusation ne sont pas susceptibles d’appel à la Cour suprême du Canada en vertu du paragraphe (1), sauf si celle‑ci a donné une autorisation d’appel.
[55]                          Ceci nous amène à la question de savoir si cette disposition viole l’art. 15 de la Charte. Le paragraphe 15(1) dispose :
                    15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
[56]                          Notre Cour a récemment réaffirmé le critère servant à identifier les violations du par. 15(1) dans l’arrêt Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28. Pour prouver une violation à première vue du par. 15(1), le demandeur doit démontrer que la loi contestée :
•               crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;
•               impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage. [par. 27]
[57]                          L’égalité réelle exige que l’on porte attention à tous les éléments contextuels de la situation du groupe de demandeurs et à l’effet de la limitation sur leur situation (Fraser, par. 42). Il ne faut toutefois pas confondre le contexte et la justification. Aucun volet du critère à appliquer pour déterminer s’il y a violation de l’art. 15 selon notre jurisprudence ne permet que les objectifs de la loi intègrent à l’analyse la question de savoir si la limitation elle‑même est une distinction qui a pour effet de perpétuer, de renforcer ou d’accentuer le désavantage subi par le groupe de demandeurs. Ce n’est qu’au volet de la justification au regard de l’article premier que les objectifs de la loi sont pertinents, et ils ne le sont que dans la mesure où ils justifient la limitation (Fraser, par. 79).
[58]                          Les parties reconnaissent qu’il est satisfait au premier volet de l’analyse relative au par. 15(1) parce qu’il y a une distinction entre les droits d’appel à notre Cour dont bénéficient les adultes et ceux dont bénéficient les adolescents sur le fondement de l’âge. Par conséquent, la question litigieuse dans le présent pourvoi est de savoir s’il a été satisfait au deuxième volet de l’analyse. Le fait de priver les adolescents des droits d’appel automatiques dont bénéficient les adultes a‑t‑il pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer leur désavantage? Dans l’affirmative, une violation à première vue de l’art. 15 est établie.
[59]                          Pour trancher cette question constitutionnelle, nous devons d’abord examiner quel avantage procure un droit d’appel automatique à notre Cour. L’appel de plein droit à notre Cour lorsqu’un juge de la cour d’appel est dissident au sujet d’une question de droit dans une affaire criminelle existe depuis que la Cour a été établie en 1875 (Acte de la Cour Suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, c. 11, art. 49). Le droit a été transféré au Code criminel en 1892 (voir Code criminel de 1892, S.C. 1892, c. 29, art. 750). Le professeur Peter H. Russell explique que le [traduction] « principal objet » d’un appel de plein droit à notre Cour dans une affaire criminelle est de rectifier les erreurs de droit entachant le procès pour infractions graves. Un désaccord entre les juges de la cour d’appel provinciale est considéré comme une preuve suffisante de la possibilité d’une telle erreur, justifiant le contrôle par notre Cour (« The Jurisdiction of the Supreme Court of Canada : Present Policies and a Programme for Reform » (1968), 6 Osgoode Hall L.J. 1, p. 13‑14).
[60]                          Dans Biniaris, la juge Arbour a abondé dans ce sens dans son examen de la raison pour laquelle une dissidence au sujet d’une question de droit, y compris une déclaration de culpabilité qui est déraisonnable ou qui ne peut pas s’appuyer sur la preuve, donne automatiquement un droit d’appel à notre Cour :
                        Les appels sur des questions de droit en matière criminelle reposent en partie sur la volonté d’assurer que les déclarations de culpabilité criminelle résultent de procès dénués de toute erreur. Les procès dénués de toute erreur sont souhaitables en soi, mais à plus forte raison en tant que moyen d’éviter les déclarations de culpabilité erronées. [par. 26]
Personne n’a mis en doute devant nous le bien‑fondé de cette proposition, à savoir que ces droits d’appel automatiques ont pour objet d’éviter les erreurs judiciaires. Les dispositions du Code criminel témoignent elles‑mêmes de la reconnaissance par le Parlement qu’une dissidence sur une question de droit à la cour d’appel, ou une condamnation inscrite pour la première fois en appel, commande un contrôle automatique.
[61]                          L’importance d’empêcher les déclarations de culpabilité erronées ne saurait être surestimée. Comme l’a conclu notre Cour dans États‑Unis c. Burns, 2001 CSC 7 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 283, « [l]e désir d’éviter que des innocents soient déclarés coupables et punis est depuis longtemps à l’avant plan des “préceptes fondamentaux de notre système juridique”. Cela se reflète dans la présomption d’innocence prévue à l’al. 11d) de la Charte, ainsi que dans les règles détaillées régissant la façon de recueillir la preuve et de la présenter, les règles de procédure visant à assurer un procès équitable et l’existence d’appels » (par. 95). Des protections procédurales solides contre les déclarations de culpabilité erronées sont cruciales. L’histoire des déclarations de culpabilité erronées comme celles de Steven Truscott, David Milgaard et Donald Marshall fils, témoigne des conséquences inacceptables de leur absence. L’existence même des déclarations de culpabilité erronées démontre que le risque d’erreur judiciaire est loin d’être théorique.
[62]                          Le droit d’appel automatique prévu à l’al. 691(1)a) — accordé à tout adulte condamné pour un acte criminel si le juge d’une cour d’appel a des doutes quant à la validité de la condamnation — est un garde‑fou de taille contre les déclarations de culpabilité erronées et les erreurs judiciaires. Il repose sur l’idée logique qu’une dissidence sur une question de droit à la cour d’appel suscite un doute légitime quant à la validité de la condamnation, d’où la nécessité que notre Cour procède à un contrôle en dernier ressort, que la cause réponde ou non à la norme établie par la Cour en matière d’autorisation d’appel.
[63]                          Lorsqu’une cour d’appel annule un acquittement et inscrit un verdict de culpabilité pour la première fois en appel, l’al. 691(2)b) procure pareillement un contrôle essentiel de la sûreté du verdict. Lorsque l’al. 691(2)b) entre en jeu, le droit d’appel à notre Cour est le premier droit d’appel de l’accusé. Sans lui, le contrevenant acquitté au procès, puis déclaré coupable par la cour d’appel, se retrouve sans garantie que sa condamnation sera contrôlée par quelque tribunal que ce soit.
[64]                          L’alinéa 691(2)b) intervient lorsqu’une cour d’appel substitue un verdict de culpabilité à un acquittement inscrit au procès. Quand cet alinéa entre en jeu et un juge de la cour d’appel exprime une dissidence, la prémisse qui sous‑tend l’al. 691(1)a) demeure exacte. La dissidence contre la décision de la cour d’appel de substituer un verdict de culpabilité fait douter de la validité de cette décision.
[65]                          Même si la décision de substituer un verdict de culpabilité est unanime, cependant, l’al. 691(2)b) sert, pour les adultes, de garde‑fou important contre les erreurs judiciaires. L’objectif de la disposition est clair. La possibilité de revoir les condamnations au criminel [traduction] « fait partie intégrante de notre système de droit criminel depuis au moins l’adoption du Code criminel » en 1892 (R. c. Farinacci (1993), 1993 CanLII 3385 (ON CA), 86 C.C.C. (3d) 32 (C.A. Ont.), p. 42). Les appels [traduction] « font partie intégrante du système de justice pénale canadien », et ils « offrent une protection contre les déclarations de culpabilité erronées et rehaussent le caractère équitable du processus » (R. c. R. (R.), 2008 ONCA 497, 90 O.R. (3d) 641, par. 16). Par conséquent, le Code criminel prévoit des appels de premier niveau « pratiquement sans limites » à l’encontre de verdicts de culpabilité (R. (R.), par. 19). L’alinéa 691(2)b) exprime l’idée de base voulant qu’il soit indispensable à un système de justice pénale équitable que toute personne reconnue coupable d’un acte criminel a droit à au moins un appel du premier verdict de culpabilité, que ce verdict ait été inscrit en premier lieu au procès ou en appel. À cet article, le Parlement a décidé que la possibilité de se pourvoir en appel sur autorisation n’offre pas une garantie suffisante de contrôle au premier niveau pour les délinquants adultes.
[66]                          Ces droits d’appel automatiques ne sont pas, bien entendu, des garanties contre les erreurs judiciaires, mais, en fournissant une étape supplémentaire d’examen judiciaire, ils offrent, à tout le moins, une protection procédurale importante. Il s’agit donc de savoir si le fait de refuser cette garantie procédurale aux adolescents viole l’art. 15 de la Charte.
[67]                          Ayant examiné la substance de l’avantage que procure un appel automatique devant notre Cour, un bref aperçu du contexte historique du système de justice pour les adolescents s’impose à ce stade.
[68]                          Les adolescents sont assujettis à un système de justice pénale distinct depuis 1908. La philosophie de ce système a évolué avec le temps. Un examen de l’histoire du système indique que celui‑ci est passé d’un modèle paternaliste, qui limitait les droits procéduraux des adolescents, à un modèle d’application régulière de la loi, qui reconnaît les adolescents comme des individus porteurs de droits qui ont besoin de mesures procédurales supplémentaires pour prendre en compte leur vulnérabilité. L’évolution des droits d’appel au sein du système de justice pour les adolescents a suivi une trajectoire semblable. Un point essentiel, toutefois, l’accès des adolescents à notre Cour traîne de la patte.
[69]                          Le premier système de justice distinct pour les adolescents a été établi sous le régime de la Loi des jeunes délinquants, 1908, S.C. 1908, c. 40. La Loi des jeunes délinquants était animée par une philosophie axée sur le bien‑être, le tribunal agissant comme parens patriae. Son objet était exprimé en ces termes :
                    31. . . . que le soin, la surveillance et la discipline d’un jeune délinquant ressemblent autant que possible à ceux qui lui seraient donnés par ses parents, et que, autant qu’il est praticable, chaque jeune délinquant soit traité, non comme un criminel, mais comme un enfant mal dirigé, ayant besoin d’aide, d’encouragement et de secours.
[70]                          Conformément à la philosophie sous‑jacente de la Loi des jeunes délinquants, les droits juridiques des adolescents étaient délibérément limités. La [traduction] « philosophie axée sur le traitement qui sous‑tendait la loi nécessitait un système fondé sur le paternalisme, tant au plan de la procédure qu’à celui du résultat, parce que la Loi des jeunes délinquants avait pour objet principal de venir en aide au jeune délinquant le plus vite possible » (Janet Bolton et autres, « The Young Offenders Act : Principles and Policy — The First Decade in Review » (1993), 38 R.D. McGill 939, p. 947).
[71]                          Par conséquent, sous le régime de la Loi des jeunes délinquants, les adolescents jouissaient de peu de protections procédurales. Il n’était possible de former un appel de premier niveau que sur autorisation spéciale, si un juge de la cour supérieure considérait que « dans les circonstances particulières du cas il est essentiel dans l’intérêt public ou pour la bonne administration de la justice que cette permission soit accordée » (Loi concernant les jeunes délinquants, 1929, S.C. 1929, c. 46, par. 37(1) et (2)). La restriction touchant les appels était justifiée par l’idée que le règlement rapide des affaires criminelles intéressant les adolescents devait l’emporter sur les droits à l’application régulière de la loi (voir Nicholas Bala et Sanjeev Anand, Youth Criminal Justice Law (3e éd. 2012), p. 466; voir aussi ministère de la Justice, Comité sur la délinquance juvénile, Délinquance juvénile au Canada : rapport du Comité du ministère de la Justice sur la délinquance juvénile (1965), p. 168‑169 (« Délinquance juvénile au Canada »).
[72]                          Déjà dans les années 1960, on reprochait à la Loi sur les jeunes délinquants de ne pas fournir des droits juridiques adéquats aux adolescents. La limitation des appels faisait l’objet de critiques particulières. Le rapport du ministère de la Justice intitulé Délinquance juvénile au Canada soutenait que le mécanisme d’accès aux appels était « indûment restrictif » et recommandait que l’adolescent et la Couronne se voient donner l’accès direct à la cour d’appel sur des questions de droit (p. 168‑169).
[73]                          La Loi sur les jeunes délinquants a été remplacée en 1984 par la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y‑1, ce qui marquait un virage important dans l’approche philosophique du Canada à l’égard de la justice pour les adolescents. L’adoption de la Charte en 1982 a poussé le Parlement à étendre les protections juridiques conférées aux adolescents qui font face à des accusations criminelles (voir Nicholas Bala, « Changing Professional Culture and Reducing Use of Courts and Custody For Youth : The Youth Criminal Justice Act and Bill C‑10 » (2015), 78 Sask. L. Rev. 127, p. 131).
[74]                          Un des thèmes directeurs de la Loi sur les jeunes contrevenants était que les jeunes devaient pouvoir bénéficier des mêmes droits que les adultes à l’application régulière de la loi et à un traitement juste et égal (voir R. c. J. (J.T.), 1990 CanLII 85 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 755, p. 779, la juge L’Heureux‑Dubé (dissidente), citant le rapport du bureau du Solliciteur général, La Loi sur les jeunes contrevenants : Points saillants (1981), p. 4). Sa déclaration de principes, formulée à l’art. 3, annonçait que « les adolescents jouissent, à titre propre, de droits et libertés, au nombre desquels figurent ceux qui sont énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés » (voir l’al. 3(1)e)), conférant aux jeunes une série considérable de protections procédurales pour la première fois. Ces droits comprenaient des droits d’appel, qui confirmaient qu’à défaut d’une déclaration de culpabilité valide fondée sur les bons principes de droit, il n’y a aucun « contrevenant » à qui on peut imputer de responsabilité (Bala et Anand, p. 466).
[75]                          Le paragraphe 27(1)[4] de la Loi sur les jeunes contrevenants a incorporé les dispositions du Code criminel relatives aux appels en ce qui concerne les actes criminels dans le système de justice pour les adolescents. Ceci aurait compris les droits d’appel automatiques à notre Cour, mais le par. 27(5)[5] prévoyait qu’un adolescent devait obtenir l’autorisation avant qu’un appel à notre Cour puisse être instruit :
                 (5) Les jugements de la cour d’appel portant sur la déclaration de culpabilité ou sur l’ordonnance ayant rejeté une dénonciation ne sont pas susceptibles d’appel à la Cour suprême du Canada en vertu du paragraphe (1), sauf si celle‑ci a donné une autorisation d’appel dans les vingt et un jours du prononcé du jugement ou dans un délai plus long qu’elle ou un de ses juges a accordé pour des motifs spéciaux.
[76]                          Dans une affaire en matière d’interprétation législative, notre Cour a affirmé, dans une remarque incidente, que cette restriction reflétait « [l]a politique générale consistant à privilégier une résolution rapide de l’étape judiciaire afin de faciliter le passage à l’étape de réinsertion » (C. (T.L.), p. 1016). La restriction était ainsi conforme à l’approche parens patriae de la justice pour adolescents qui prévalait sous le régime de la loi précédente, la Loi sur les jeunes délinquants.
[77]                          La Loi sur les jeunes contrevenants a été remplacée en 2003 par la loi actuelle, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. À l’instar de la Loi sur les jeunes contrevenants, la déclaration de principes de la LSJPA reconnaît que « les adolescents jouissent, et ce personnellement, de droits et libertés » (sous‑al. 3(1)d)(i)). Toutefois, la déclaration de principes de la LSJPA va plus loin. Elle affirme que le système de justice pénale pour les adolescents doit mettre l’accent sur « la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits » (sous‑al. 3(1)(b)(iii)). Conformément à ce principe, la LSJPA confère aux adolescents une vaste gamme de droits et de mesures procédurales supplémentaires (voir K.J.M., par. 142, les juges Abella et Brown).
[78]                          Les paragraphes 27(1) et (5) de la Loi sur les jeunes contrevenants ont été remplacés sans modifications de fond par les par. 37(1) et (10) de la LSJPA. Autrement dit, même si la LSJPA dit conférer aux adolescents des mesures procédurales, l’accès à notre Cour par voie d’appel est demeuré restreint sous le régime de cette loi, comme il l’avait été sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants. C.P. plaide que le déni de cet avantage procédural perpétue le désavantage unique dont souffrent les adolescents dans le système de justice pénale.
[79]                          Notre Cour a reconnu à maintes reprises que les adolescents sont particulièrement vulnérables dans le contexte de la justice pénale. Dans R. c. D.B., 2008 CSC 25 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 3, notre Cour a statué que le régime d’infractions désignées de la LSJPA — qui énumérait un ensemble d’infractions emportant la peine applicable aux adultes par présomption — violait l’art. 7 de la Charte. La Cour a expliqué que le Canada a un système distinct de justice pour les adolescents pour une raison, à savoir « qu’en raison de leur âge les adolescents sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral » (par. 41). De plus, la Cour a tiré la conclusion suivante : 
     Un adolescent devrait bénéficier, tout au moins, du même avantage procédural dont l’adulte déclaré coupable bénéficie au moment de la détermination de la peine, à savoir qu’il incombe au ministère public de démontrer pourquoi une peine plus sévère est nécessaire et appropriée dans un cas donné. Le fardeau qui incombe à l’adolescent a pour effet d’inverser ce fardeau traditionnel du ministère public et viole donc l’art. 7. [Italiques ajoutés; par. 82.]
[80]                          L’arrêt D.B. a constitutionnalisé le statut particulier des adolescents dans le système de justice pénale, vu leur vulnérabilité particulière. Il a en outre reconnu, dans le contexte de la détermination de la peine, que les règles de procédure dont bénéficient les adultes doivent s’appliquer également dans les procédures intentées contre des adolescents.
[81]                          La même année, dans l’arrêt R. c. L.T.H., 2008 CSC 49 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 739, le juge Fish a souligné l’importance des mesures procédurales supplémentaires qui régissent l’admissibilité de déclarations faites par des adolescents à des personnes en autorité. Il a expliqué que ces protections étaient justifiées du fait que « les garanties offertes aux adultes en matière de procédure et de preuve ne protègent pas adéquatement les adolescents qui, du fait de leur âge et de leur discernement relativement moins élevé, sont présumés être plus vulnérables que les adultes » (par. 3). En particulier, le juge Fish a conclu que les adolescents sont vulnérables parce qu’ « en règle générale, les adolescents comprennent moins bien leurs garanties juridiques que les adultes, sont moins susceptibles de les faire valoir lorsqu’ils sont en présence d’une personne en autorité et sont plus faciles à influencer pendant un interrogatoire » (par. 24).
[82]                          Un an plus tard, dans l’arrêt R. c. S.J.L., 2009 CSC 14 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 426, notre Cour a statué que si un adolescent et un adulte ont prétendument commis une infraction ensemble, ils doivent être jugés séparément. La juge Deschamps a statué que la création du système de justice pour les adolescents « est fondée sur la reconnaissance de la présomption de culpabilité morale moindre des adolescents et de leur plus grande vulnérabilité face au système judiciaire » (par. 64). Un procès conjoint serait « incompatible avec le principe directeur de la LSJPA qui maintient, pour les adolescents, un système de justice distinct de celui des adultes » (par. 56 (en italique dans l’original)).
[83]                          En réaction à ces arrêts, le Parlement a modifié la LSJPA en 2012[6] et mis à jour sa déclaration de principes à l’al. 3(1)b). L’accent mis sur la prise de mesures procédurales supplémentaires pour les adolescents a été maintenu au sous‑al. 3(1)b)(iii). 
[84]                          Les professeurs Nicholas Bala et Sanjeev Anand expliquent de façon convaincante la relation entre la vulnérabilité des adolescents et leur besoin corrélatif de mesures procédurales supplémentaires :
                    [traduction]
                        La raison d’être de l’octroi de protections juridiques plus importantes aux adolescents qu’aux adultes — à l’instar de la raison d’être de la responsabilité limitée des adolescents — est leur immaturité intellectuelle, sociale et psychologique. Les adolescents sont moins susceptibles d’apprécier l’importance du processus judiciaire et les conséquences juridiques des décisions que l’on attend d’eux. En règle générale, ils ne comprennent ni n’apprécient entièrement leurs droits et ils sont vraisemblablement incapables de les exercer pleinement sans assistance. Qui plus est, les adolescents ont vraisemblablement plus de difficulté à formuler des plans réalistes et à faire valoir leurs points de vue dans le système de justice pour adolescents. Ils peuvent de surcroît être plus vulnérables aux pressions exercées par des policiers et d’autres agents de l’État. [p. 164]
[85]                          En somme, les mesures procédurales supplémentaires accordées aux adolescents dans le système de justice qui leur est réservé ne sont pas des avantages gratuits. Elles pallient directement la vulnérabilité et le désavantage corrélatif qui sont propres aux adolescents en raison de leur âge. Parfois, les adolescents ont droit aux mêmes protections procédurales que les adultes, et parfois, des mesures différentes s’imposeront. La LSJPA ne vise pas la concordance, ligne par ligne, avec le Code criminel et elle n’a pas à le faire, et aucun de nos arrêts sur la LSJPA ne fait valoir cette proposition hyperbolique. La question dont nous sommes saisis ne consiste pas à décider si les adolescents devraient bénéficier de tous les droits procéduraux accordés aux adultes; elle concerne le par. 37(10) de la LSJPA, et consiste à se demander si le par. 15(1) de la Charte confère aux adolescents les droits d’appel automatiques dont disposent les adultes. La réponse à cette question est tributaire de celle de savoir si la privation des droits de se pourvoir en appel à notre Cour renforce, perpétue ou accentue le désavantage subi par les adolescents dans le système de justice pénale.
[86]                          C’est manifestement le cas. Elle prive les adolescents de ce qui est reconnu comme une garantie importante contre les condamnations injustifiées visant des adultes, en dépit de la preuve que les adolescents sont plus enclins à faire l’objet de telles condamnations que les adultes. Un rapport récent du Sous‑comité fédéral‑provincial‑territorial des chefs des poursuites pénales sur la prévention des erreurs judiciaires identifie les adolescents comme une population à risque de condamnations injustifiées, expliquant ce qui suit :
                        De nombreux travaux de recherche laissent entendre que les jeunes sont également plus enclins à faire l’objet de condamnations injustifiées que les adultes, et ce pour diverses raisons liées à l’âge. Un facteur essentiel est la nature de leur développement cérébral. En substance, les cerveaux des jeunes fonctionnent de manière différente et lorsqu’ils ne sont pas complètement développés, ceux‑ci prennent de mauvaises décisions, contrairement aux adultes. Les experts dans tous les domaines soulignent 3 jugements de la Cour suprême des États‑Unis, notamment Roper v. Simmons dans laquelle celle‑ci a reconnu la preuve scientifique selon laquelle les jeunes sont moins matures, moins en mesure d’évaluer les risques et les conséquences à long terme de leur conduite, plus vulnérables aux pressions externes et plus influençables relativement à l’autorité. Par conséquent, il se peut que les caractéristiques qui différencient les jeunes des adultes en matières cognitive, sociale et émotionnelle les rendent toutefois particulièrement vulnérables aux facteurs systémiques reconnus qui contribuent aux condamnations injustifiées.
                    (L’innocence en péril : la nécessité de vigilance continue afin de prévenir les condamnations injustifiées au Canada, 2018 (en ligne), p. 263.)
[87]                          Des études provenant des États‑Unis font elles aussi état de la vulnérabilité particulière des adolescents, notamment qu’ils sont plus influençables et soumis que les adultes pendant des interrogatoires policiers et moins susceptibles de comprendre leurs droits. Ces traits sont des facteurs de risque importants pour des verdicts erronés de culpabilité (Emily West et Vanessa Meterko, « Innocence Project : DNA Exonerations, 1989‑2014 : Review of Data and Findings from the First 25 Years » (2016), 79 Alb. L. Rev. 717, p. 728, 759‑760, 763 et 783; Saul M. Kassin et autres, « Police‑Induced Confessions: Risk Factors and Recommendations » (2010), 34 Law & Hum. Behav. 3). Les études démontrent aussi que le risque de verdicts erronés de culpabilité augmente lorsque les adolescents sont privés des garanties d’application régulière de la loi accordées aux adultes (Steven A. Drizin et Greg Luloff, « Are Juvenile Courts a Breeding Ground for Wrongful Convictions? » (2007), 34 N. Ky. L. Rev. 257, p. 260; Joshua A. Tepfer, Laura H. Nirider et Lynda M. Tricarico, « Arresting Development : Convictions of Innocent Youth » (2010), 62 Rutgers L. Rev. 887).
[88]                          L’arrêt D.B. explique les désavantages uniques que subissent les adolescents dans le système de justice pénale : « [ils] sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral » (par. 41). Qui plus est, il est important de souligner que la vulnérabilité vécue par les adolescents en général est amplifiée dans le cas des jeunes qui sont autochtones ou membres de minorités raciales. La triste réalité, comme notre Cour l’a récemment rappelé dans R. c. Le, 2019 CSC 34, est que l’ « expérience commune » des adolescents racialisés est qu’ils sont « fréquemment pris pour cibles, appréhendés et appelés à répondre à des questions ciblées et familières » par les policiers (par. 97). Ces jeunes interagissent de façon disproportionnée avec le système de justice pénale pour une variété complexe de raisons, qui comprennent de la discrimination directe et systémique au sein du système (Bala et Anand, p. 58‑59; Robin T. Fitzgerald et Peter J. Carrington, « Disproportionate Minority Contact in Canada : Police and Visible Minority Youth » (2011), 53 C.J.C.C.J. 449, p. 450‑454 et 473, Carla Cesaroni, Chris Grol et Kaitlin Fredericks, « Overrepresentation of Indigenous youth in Canada’s Criminal Justice System: Perspectives of Indigenous young people » (2019), 52 Austl. & N.Z. J. Crim. 111, p. 112; Nate Jackson, « Aboriginal Youth Overrepresentation in Canadian Correctional Services : Judicial and Non‑Judicial Actors and Influence » (2015), 52 Alta. L. Rev. 927, p. 929‑932).
[89]                          Ce phénomène n’a rien de nouveau, que ce soit dans l’esprit du public ou dans celui de la magistrature. Depuis l’arrêt R. c. Parks (1993), 1993 CanLII 3383 (ON CA), 15 O.R. (3d) 324 (C.A.), les tribunaux ont reconnu les nombreuses façons dont le système de justice pénale peut toucher de manière disproportionnée les accusés qui font partie de ces groupes (R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433). Si le fait d’être autochtone ou d’appartenir à une minorité raciale peut avoir un effet démesurément négatif sur les accusés adultes, le fait d’être un adolescent accusé et un membre d’une minorité raciale donne regrettablement et inexorablement lieu à une sorte de double péril (voir Robert Mason, Bibliothèque du Parlement, Condamnations injustifiées au Canada, étude générale 77‑F, 23 septembre 2020, p. 10).
[90]                          Tout ceci confirme que les adolescents sont particulièrement vulnérables aux condamnations injustifiées au sein du système de justice pénale et qu’ils sont, en tout état de cause, non moins vulnérables à celles‑ci que les adultes. Pourtant, le par. 37(10) de la LSJPA prive les adolescents de l’avantage d’un droit d’appel automatique à notre Cour lorsqu’un juge de la cour d’appel a cerné un risque d’erreur de droit, un avantage dont bénéficient depuis longtemps les accusés adultes. Qui plus est, de par l’effet qu’il a sur le par. 691(2) du Code criminel, le par. 37(10) de la LSJPA prive les adolescents reconnus coupables la première fois par une cour d’appel du droit à quelque examen que ce soit de leur dossier. Cette privation perpétue manifestement le désavantage dont souffrent les adolescents au sein du système de justice pénale. C’est un vestige du modèle désuet et paternaliste de justice pour les adolescents qui prive ces derniers d’une garantie procédurale conçue pour réduire le risque d’erreurs judiciaires.
[91]                          Il serait insoutenable de prétendre que les adolescents méritent moins de protection contre les erreurs judiciaires que les adultes. Comme le souligne l’arrêt D.B., la philosophie et l’objet mêmes de la LSJPA, qui met l’accent sur la fourniture de mesures procédurales solides aux adolescents, militent en faveur de procédures pour empêcher le désavantage à son comble, à savoir une condamnation injustifiée.
[92]                          La Couronne prétend que le processus d’autorisation d’appel est un substitut adéquat à un droit d’appel automatique. Toutefois, la marche à suivre à l’étape de la demande d’autorisation d’appel ordinaire est, de par sa nature même, moins intensive que la recherche minutieuse d’une erreur de droit effectuée lors d’une instruction sur le fond. Ainsi que le reconnaît la Couronne dans son mémoire, [traduction] « [l]e processus d’autorisation d’appel est censé être plus simple que la procédure d’appel » (par. 56). Bien que notre Cour s’efforce de déceler tout signe qu’une erreur judiciaire est peut‑être survenue à l’étape de l’autorisation d’appel, il n’en demeure pas moins qu’une demande d’autorisation d’appel ne donne pas lieu à un contrôle d’erreurs aussi approfondi que celui qui caractérise un pourvoi sur le fond. Les décisions portant sur la demande d’autorisation d’appel sont prises sans la tenue d’une audience, ou l’avantage de l’intégralité du dossier pour évaluer tout vice juridique.
[93]                          La Couronne soutient en outre que notre Cour pourrait alléger l’effet désavantageux du par. 37(10) en appliquant une norme moins rigoureuse aux décisions sur autorisation d’appel en matière de justice pour adolescents. Il vaut la peine de signaler que l’argument de la Couronne quant au pouvoir discrétionnaire a été invoqué sans succès pour justifier les dispositions de détermination de la peine qui ont été jugées inconstitutionnelles dans D.B. Ces dispositions conféraient au juge chargé de déterminer la peine le pouvoir discrétionnaire de trancher la question ultime d’infliger ou non une peine applicable aux adultes à un adolescent. Toutefois, la Cour a conclu que l’existence du pouvoir discrétionnaire ne les rendait pas moins attentatoires au droit à la liberté que garantit l’art. 7 aux adolescents. Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Même si notre Cour pouvait exercer en théorie son pouvoir discrétionnaire d’une façon qui réduit les effets inconstitutionnels du par. 37(10), ceci ne rend pas constitutionnel une disposition qui ne l’est pas.
[94]                          Je ne suis pas non plus convaincue par l’argument de la Couronne selon lequel il n’existerait aucun désavantage parce qu’il y a plusieurs autres avantages procéduraux offerts aux adolescents dans la LSJPA. Cet argument évoque la remarque faite en obiter dictum en 1994 par le juge Sopinka dans l’arrêt C. (T.L.), lequel disait « [avoir] du mal à accepter qu’un jeune contrevenant puisse choisir un élément du régime et prétendre en bénéficier au même titre que les adultes, sans tenir compte des nombreux avantages connexes accordés aux adolescents, mais refusés aux adultes » (p. 1017‑1018). Il importe de se rappeler, outre le fait que ces commentaires ont été formulés en obiter, que la question litigieuse dans cette affaire en était une d’interprétation législative, et non de validité constitutionnelle.
[95]                          De plus, il était question dans cette affaire de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples pour un seul acte criminel, et non d’un verdict imprudent. Il n’y a aucune raison de supposer que, dans ces circonstances, le juge Sopinka se serait attardé au rôle que jouent les droits d’appel dans la prévention des erreurs judiciaires. Plus important encore, ses commentaires ont été faits bien avant les arrêts de notre Cour dans D.B., L.T.H. et S.J.L., qui soulignent tous l’importance de fournir des mesures procédurales aux adolescents compte tenu de leur vulnérabilité. Malgré la gamme des mesures procédurales offertes aux adolescents par la LSJPA, il n’en demeure pas moins que le par. 37(10) de la LSJPA confère aux adolescents des droits de révision en appel moins robustes que ceux des adultes en raison de leur âge, dans un contexte où ils sont déjà particulièrement vulnérables. L’existence d’autres garanties procédurales n’est d’aucun secours, en droit, à un adolescent faisant l’objet d’un verdict de culpabilité douteux.
[96]                          L’affirmation de mon collègue suivant laquelle l’objectif de rapidité fixé dans la LSJPA devrait faire partie du contexte analysé à l’étape de l’art. 15 confond le contexte et la justification. La Couronne a en fait plaidé la rapidité pour justifier la limitation au sens de l’article premier. C’est à cette étape qu’elle doit être examinée (Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, p. 178; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5 (CanLII), [2013] 1 R.C.S. 61, par. 331; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 548, par. 16; Fraser, par. 42). Il ne convient pas d’en tenir compte pour décider s’il y a violation à première vue du par. 15(1). L’arrêt Fraser l’a souligné :
                        La perpétuation du désavantage ne devient pas moins grave au regard du par. 15(1) simplement parce qu’elle était pertinente à l’égard d’un objectif légitime de l’État. Le critère à appliquer pour déterminer s’il y a violation à première vue du par. 15(1) concerne l’effet discriminatoire de la loi sur les groupes défavorisés et non la question de savoir si la distinction est justifiée, un examen qu’il convient d’effectuer au regard de l’article premier. [En italique dans l’original, par. 79.]
[97]                          Le fait que la rapidité est l’un des objectifs de la limitation ou de la LSJPA est étranger à la question de savoir si l’on perpétue le désavantage des adolescents en les privant d’une protection importante contre les erreurs judiciaires. Cela revient à leur dire que, tant que leur dossier est traité rapidement au sein du système, ils devraient être reconnaissants de ne pas avoir à subir une couche supplémentaire de protection contre les erreurs judiciaires.
[98]                          Mon collègue a tort de s’appuyer sur l’arrêt Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 396, pour suggérer qu’il faut concilier l’intérêt des adolescents à ce que leur dossier soit traité rapidement et leur intérêt à la protection procédurale dans l’analyse du « contexte » fondée sur le par. 15(1). Dans l’arrêt Withler, il était expressément question de déterminer « comment procéder à cette analyse dans le cas où les dispositions contestées s’inscrivent dans un vaste régime légal de prestations gouvernementales » (par. 25). Dans ce contexte, nous avons conclu que la « multiplicité des intérêts » mise en balance par la loi attaquée « jouer[a] [. . .] dans l’analyse du caractère discriminatoire », car il faut tenir « compte [. . .] de l’ensemble des bénéficiaires potentiels » (par. 3 et 38). Withler ne permet pas d’affirmer qu’une disposition législative perpétuant le désavantage d’un groupe de demandeurs réussira l’examen fondé sur le par. 15(1) pourvu qu’une analyse « contextuelle » démontre que le régime législatif général vise à favoriser de différentes manières les autres intérêts de ce groupe.
[99]                          Le Parlement a décidé que lorsque les juges d’une cour d’appel sont divisés sur la question de savoir si la déclaration de culpabilité d’un adulte pour un acte criminel se tient, sur le plan juridique, ou lorsqu’ils infirment un acquittement pour lui substituer un verdict de culpabilité, l’accusé devrait automatiquement avoir le droit de se pourvoir devant notre Cour pour s’assurer que le procès était équitable et qu’il n’y a eu aucune erreur judiciaire. L’absence de cette protection pour les adolescents équivaut au déni d’un avantage procédural qui perpétue et renforce leur vulnérabilité inhérente dans le système de justice pénale. Il y a par conséquent violation à première vue de l’art. 15.
[100]                     En ce qui concerne l’article premier, la Couronne prétend que l’objectif réel et urgent de la privation d’un droit automatique d’appel au par. 37(10) est le suivant :
                    [traduction]
                    accorder à la Cour suprême du Canada le pouvoir discrétionnaire de décider dans quelles circonstances des affaires criminelles impliquant des adolescents méritent un contrôle en appel de second niveau. La société a intérêt à ce que la Cour suprême soit investie du pouvoir de décider quand l’affaire criminelle intéressant un adolescent mérite un examen plus approfondi et quand il serait peu utile, voir inutile, de prolonger davantage le processus d’appel, vu la primauté des principes de la LSJPA que sont la rapidité, la réadaptation et la réinsertion sociale. [m.i., par. 55]
[101]                     Même si l’on accepte qu’une prise de décision rapide par notre Cour constitue un objet important de la restriction des droits d’appel accordés aux adolescents, elle échoue à la dernière étape de l’analyse de la proportionnalité car tout avantage du refus est largement supplanté par ses effets préjudiciables. C’est un enjeu d’accès à la justice d’importance fondamentale pour les adolescents qui cherchent à prévenir des condamnations injustifiées.
[102]                     Je reconnais que la rapidité ainsi que la réadaptation et la réinsertion sociale hâtives sont des objectifs salutaires, mais la contribution réelle du par. 37(10) à leur réalisation est minime. On peut gagner tout au plus quelques mois dans les cas où l’autorisation est refusée. En revanche, obliger un adolescent accusé à vivre le processus d’autorisation d’appel avant qu’il n’ait droit à une audience a pour effet de prolonger le processus, et non de l’abréger dans les cas où l’autorisation est accordée, car si l’autorisation est octroyée, l’appel ne sera pas entendu avant plusieurs autres mois. Si, par contre, un appel est immédiatement mis au rôle parce qu’il y a un droit d’appel automatique, la recherche approfondie d’erreur se mettra en branle des mois plus tôt. Cela signifie que le par. 37(10) expose les adolescents à un risque accru d’erreurs judiciaires en vue de pouvoir gagner quelques mois.
[103]                     Il importe également de souligner la différence essentielle entre la capacité d’examen dans le cadre d’une demande d’autorisation d’appel et dans le cadre d’un appel. Les décisions en matière d’autorisation sont prises par notre Cour sans le bénéfice d’une audience complète. Faute de ces outils d’évaluation, la Cour cherche des erreurs judiciaires avec une main attachée derrière le dos. Voilà pourquoi le Parlement a décidé qu’un examen plus attentif s’impose dans le cas des adultes lorsque les critères prévus à l’art. 691 du Code criminel sont remplis.
[104]                     Refuser aux adolescents l’examen complet automatique qu’offre un appel et accepter un processus d’appel moins rigoureux subordonne la justice à l’expéditivité dans le cas des adolescents, plutôt que l’inverse. Il ne fait aucun doute que l’expéditivité compte pour les adolescents, mais non aux dépens des protections procédurales conçues pour réduire au minimum le risque d’erreurs judiciaires.
[105]                     La prévention des erreurs judiciaires est au cœur de toutes les couches d’examen dans le système de justice pénale pour chaque accusé. Un verdict de culpabilité injustifié sous le régime de la LSJPA est tout autant une erreur judiciaire qu’une déclaration de culpabilité injustifiée pour les adultes sous le régime du Code criminel.
[106]                     Pourtant, le par. 37(10) ne fait pas que refuser aux adolescents la possibilité d’un appel automatique en cas de dissidence, il leur refuse même cette possibilité lorsque le procureur général dépose un avis d’intention de réclamer l’infliction d’une peine applicable aux adultes, ce qui les prive d’un droit garanti à un adulte même si l’État veut les traiter comme un adulte.
[107]                     Le contre‑argument — l’avantage du déni d’un droit d’appel automatique facilite la priorisation de la réadaptation et de la réinsertion sociale immédiates — reflète le paternalisme qui prévalait sous le régime de la Loi sur les jeunes délinquants précédente. Suivant ce contre-argument, les adolescents n’auraient pas besoin de la protection procédurale que constitue l’appel automatique dont bénéficient les adultes parce qu’il est plus important d’amorcer leur parcours vers la réadaptation que de voir à ce que les condamnations marquant le début de ce parcours résultent de procès équitables.
[108]                     Il s’agit d’un argument qui justifie le risque accru de verdicts erronés de culpabilité comme un coût acceptable de fonctionnement du système de justice pénale pour les adolescents, sur la base des objectifs de rapidité ainsi que de réadaptation et réinsertion sociale hâtives. Mais la rapidité, la réadaptation et la réinsertion sociale ne constituent pas des objectifs légitimes si le verdict de culpabilité sous‑jacent découle d’un procès inéquitable. Les objectifs que sont la rapidité, la réadaptation et la réinsertion sociale reposent sur l’hypothèse selon laquelle la conclusion de culpabilité n’est pas fondée sur une erreur judiciaire. Ces objectifs ne valent rien si l’on tolère des verdicts erronés de culpabilité au service de la célérité. La LSJPA n’est pas censée promouvoir l’injustice rapide. Il n’y a nul besoin de réadaptation ou de réinsertion sociale si l’adolescent n’aurait pas dû être déclaré coupable au départ.
[109]                     Les répercussions profondément néfastes qu’a l’accélération de la réadaptation et de la réinsertion sociale sur le droit à la même protection procédurale de base en appel contre les erreurs judiciaires que les adultes l’emportent largement sur l’avantage de pouvoir retrancher quelques mois au processus d’appel.
[110]                     Enfin, il y a lieu de répondre à l’argument présenté à l’audience suivant lequel notre Cour ne devrait pas conclure à une violation de l’art. 15 parce que cela constituerait peut‑être le précédent qui permet de conclure à d’autres violations de l’art. 15 dans la LSJPA. Avec égards, la proposition pose problème non seulement sur le plan jurisprudentiel, mais aussi sur le plan conceptuel.
[111]                     Le problème jurisprudentiel sous‑jacent de la thèse, c’est qu’elle mise sur une conception de l’art. 15 que notre Cour n’a jamais appliquée — l’égalité en tant que synonyme de similarité — afin de mettre en garde que conclure à une violation en l’espèce risque d’entraîner, par déduction logique, un plus grand accès à des protections procédurales tels les procès devant jury et les enquêtes préliminaires dans le cas des adolescents. Dans le tout premier arrêt de notre Cour sur l’égalité, Andrews, elle a rejeté la « similarité » ou principe de l’égalité formelle, retenant plutôt la notion d’égalité réelle, une démarche qui reconnaît et respecte la différence (p. 164‑165, 168 et 171). Le rejet du « traitement identique » au regard de l’art. 15 a été confirmé, entre autre, dans les arrêts R. c. Kapp, 2008 CSC 41 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 483, par. 14‑16 et 27‑28, Withler, par. 2 et 39‑66, et tout récemment dans Fraser, par. 40‑41 et 47. Notre Cour se demande plutôt si la limite précise dont elle est en présence est une distinction qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage du demandeur.
[112]                     Il est aussi problématique au plan conceptuel de faire valoir qu’on ne devrait pas conclure à une violation à première vue de l’art. 15 en l’espèce, parce que cela pourrait mener à la conclusion qu’il y a d’autres violations de l’art. 15. Cela ajoute un facteur troublant à notre analyse fondée sur la Charte. L’idée que notre Cour devrait refuser de conclure qu’une distinction restrictive a pour effet de perpétuer le désavantage du groupe demandeur si cela inciterait d’autres revendicateurs de droits à se manifester compromet l’ensemble de l’analyse fondée sur l’art. 15. À l’étape de la violation, il incombe au demandeur de satisfaire à ce critère à deux volets de notre Cour. Nous ne demandons pas aux demandeurs d’anticiper les autres demandes que peut inspirer leur succès, les retombées potentielles de ces demandes, ni de dire pourquoi ils devraient avoir gain de cause de toute façon.
[113]                     Ce genre d’argument dit de la « pente glissante » n’a jamais non plus en fait rempli une fonction analytique quand il s’agit de décider si un droit garanti par la Charte a été violé. En l’insérant aujourd’hui, en tant qu’obstacle potentiel à des demandes fondées sur l’art. 15, ou à toute autre demande fondée sur la Charte, on retiendrait la Cour en otage par crainte de conséquences inconnues. En se livrant à un argument de cette nature, les juges risquent d’« expédier » l’affaire portée devant le tribunal et de trancher les futures demandes sans le fondement factuel et l’argumentation juridique nécessaires à une évaluation adéquate (Lorraine Eisenstat Weinrib, « The Body and the Body Politic : Assisted Suicide under the Canadian Charter of Rights and Freedoms » (1994), 39 R.D. McGill 618, p. 636-637; voir aussi Frederick Schauer, « Slippery Slopes » (1985), 99 Harv. L. Rev. 361).
[114]                     La raison d’être de la procédure d’appel de plein droit que refuse le par. 37(10) est simple : voir à la sûreté d’un verdict dans des circonstances où celui‑ci est remis en question par un juge de la cour d’appel, ou lorsqu’un verdict de culpabilité est inscrit pour la première fois en appel. La crainte que l’on revendique des procès devant jury et des enquêtes préliminaires si un adolescent obtient un droit automatique d’appel en l’espèce néglige les différences de taille entre les procédures, des différences qu’il vaut mieux étudier dans une cause où la question est soumise au tribunal et les parties ont eu l’occasion de débattre sur le fond.
[115]                     Dans la présente affaire, il y a un lien direct entre le refus d’une protection procédurale dont jouissent les adultes et la vulnérabilité des adolescents aux erreurs judiciaires. Le refus a pour effet de perpétuer cette vulnérabilité. Quand on se demande si une disposition perpétue un désavantage au regard de l’art. 15, il est loin d’être évident que le même genre de lien avec les procès devant jury et les enquêtes préliminaires crée le risque d’erreur judiciaire. L’avantage procédural refusé en l’espèce n’a qu’un seul objectif, à savoir garantir la sûreté d’un verdict dans des circonstances où ce verdict est remis en question par un juge de la cour d’appel. Ce n’est tout simplement pas comparable à la complexité multiforme des procès devant jury. La tentative d’établir un parallèle entre eux incarne le caractère fallacieux de la pente glissante.
[116]                     Au bout du compte, à mon humble avis, ce genre d’argument me semble fondamentalement incompatible avec l’objectif de la Charte. Celle‑ci était censée imposer un ensemble de contraintes et d’obligations justiciables au gouvernement que peuvent faire respecter des particuliers et des groupes (voir Jacob Weinrib, « The Modern Constitutional State: A Defence » (2014), 40 Queen’s L.J. 165). Comme l’a expliqué notre Cour dans Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493, « [l]es citoyens doivent avoir le droit de contester les lois qui outrepassent à leur avis les pouvoirs d’une législature. Lorsqu’un tel recours est dûment exercé, les tribunaux sont constitutionnellement tenus de trancher » (par. 56). Cette affirmation indique implicitement que la Cour doit statuer sur l’affaire dont elle est saisie, et non sur une demande éventuelle et hypothétique.
[117]                     La seule question dont nous sommes saisis consiste à savoir si le par. 37(10) de la LSJPA viole la Charte. À mon humble avis, c’est le cas.
[118]                     Pour toutes les raisons qui précèdent, la violation à première vue de l’art. 15 ne peut se justifier, ce qui rend le par. 37(10) de la LSJPA inconstitutionnel.
[119]                     Vu cette conclusion, il est inutile d’aborder l’argument de C.P. selon lequel le par. 37(10) de la LSJPA viole en outre le droit que lui garantit l’art. 7 de la Charte en tant que transgression du principe de justice fondamentale voulant que les adolescents aient droit à des mesures procédurales supplémentaires dans le système de justice pénale.
[120]                     Cette question constitutionnelle n’a aucune incidence sur l’appel formé par C.P. contre le verdict de culpabilité. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
 
Version française des motifs du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Brown et Rowe rendus par
 
                    Le juge en chef —
I.               Introduction
[121]                     Le présent pourvoi soulève deux questions distinctes. La première concerne le caractère raisonnable d’une déclaration de culpabilité relativement à une accusation d’agression sexuelle. L’appelant, C.P., soutient que le verdict a été rendu de manière illogique, sans que la preuve ne le justifie raisonnablement. Pour les mêmes motifs que ceux exposés par ma collègue la juge Abella, je rejetterais le pourvoi interjeté à l’encontre du verdict de culpabilité. Les motifs de la juge du procès étaient rigoureux et convaincants, et rien ne permet de conclure que le verdict était déraisonnable.
[122]                     La seconde question porte sur la constitutionnalité du par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), qui oblige les jeunes contrevenants à demander l’autorisation avant de pouvoir interjeter appel devant notre Cour. Selon l’appelant, cette disposition viole les art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu’elle prive les adolescents d’un avantage procédural conféré aux adultes par l’al. 691(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, à savoir un droit d’appel automatique lorsqu’une cour d’appel confirme une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel, mais qu’un juge de cette cour est dissident sur une question de droit.
[123]                     Je souscris à la conclusion de ma collègue la juge Abella sur la question préliminaire de compétence. Cependant, pour les motifs qui suivent, je rejetterais la contestation constitutionnelle.
II.            Constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA
A.           Analyse relative à l’article 7
[124]                     L’article 7 de la Charte prévoit ce qui suit :
                        Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[125]                     Pour prouver qu’il y a violation de l’art. 7, il faut établir deux éléments : (1) que la loi ou mesure de l’État contestée prive le demandeur du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; et (2) que la privation en cause n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 55; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3, par. 37).
[126]                     Dans le présent pourvoi, les exigences de la première étape sont facilement respectées, car une limite imposée au droit des adolescents de se pourvoir en appel devant notre Cour fait entrer en jeu des droits résiduels à la liberté qui relèvent de l’art. 7 (R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595, p. 645; R. c. Farinacci (1993), 1993 CanLII 3385 (ON CA), 86 C.C.C. (3d) 32 (C.A. Ont.), p. 40). Les deux parties le reconnaissent. Le résultat dépendra donc de la question de savoir si la privation en cause est conforme aux principes de justice fondamentale.
[127]                     L’appelant demande à notre Cour de reconnaître un nouveau principe de justice fondamentale, à savoir le droit des adolescents à la « prise de mesures procédurales supplémentaires » au sein du système de justice pénale. Son argument trouve ses assises fondamentales notamment dans l’arrêt D.B. de notre Cour, où la juge Abella, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a reconnu que les adolescents bénéficiaient d’une « présomption de culpabilité morale moins élevée » à titre de principe de justice fondamentale et déclaré qu’en conséquence, « [u]n adolescent devrait bénéficier, tout au moins, du même avantage procédural dont l’adulte déclaré coupable bénéficie au moment de la détermination de la peine » (par. 41 et 82 (en italique dans l’original)). L’appelant soutient que l’arrêt D.B. a constitutionnalisé le statut particulier des adolescents dans le système de justice pénale et a érigé la prise de mesures procédurales supplémentaires en principe directeur dans la jurisprudence en matière de justice pour adolescents. Selon lui, le temps est venu pour la Cour de constitutionnaliser ce dernier principe sous le régime de l’art. 7.
[128]                     L’appelant fait valoir que le principe de la prise de mesures procédurales supplémentaires satisfait aux trois conditions que la juge Abella a rappelées dans l’arrêt D.B., conditions selon lesquelles, pour qu’un principe de justice soit « fondamental » au sens de l’art. 7 : (i) il doit s’agir d’un principe juridique; (ii) il doit exister un consensus sur le fait que cette règle ou ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice; et (iii) ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne (par. 46).
[129]                     Cependant, les observations de l’appelant n’indiquent pas clairement si le principe de la prise de mesures procédurales supplémentaires suppose d’effectuer une analyse comparative entre les droits procéduraux des adolescents et ceux des adultes, ou s’il s’agit d’une norme distincte qui s’applique de façon indépendante aux adolescents en fonction de leur situation particulière sans égard à ce qui est offert aux adultes. L’appelant semble parfois considérer que ce principe exige que les garanties procédurales conférées aux adolescents soient supérieures, ou au moins égales, aux mesures accordées aux adultes dans l’ensemble du système de justice pénale. Suivant cette approche, l’art. 7 garantit que les adolescents ne seront pas privés sans raison valable d’une mesure procédurale importante offerte aux adultes.
[130]                     Si son contenu dépend dans les faits strictement d’une analyse comparative appelée à fluctuer en fonction des avantages procéduraux que le Parlement aura jugé bon de consentir ou de retirer aux adultes à un moment donné, ce principe ne constitue ni une norme valable, ni une norme susceptible de faire consensus. Dans la mesure où il s’attache uniquement à la question de savoir de quelle manière les adolescents sont traités comparativement aux adultes, l’argument soulevé à cet égard paraît mieux convenir à une analyse fondée sur l’art. 15 de la Charte, et non à une analyse faisant intervenir les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7.
[131]                     Cependant, conscient de ces difficultés, l’appelant soutient également que la prise de mesures procédurales supplémentaires peut constituer un principe distinct, ce qui signifie que toute garantie procédurale offerte aux adolescents doit tenir compte de leur statut particulier au sein du système de justice pénale. Il fait valoir que, plutôt que d’exiger la prise de mesures procédurales identiques à celles accordées aux adultes,
                    [traduction] le principe de « la prise de mesures procédurales supplémentaires » permet une évaluation raisonnée des choix du législateur au regard du postulat selon lequel les adolescents doivent bénéficier de règles spéciales dans le système de justice. Cela ne veut pas dire que, pour chaque mesure procédurale « X » adoptée à l’égard des adultes, le Parlement doit accorder « X + 1 » ou même « X » aux adolescents. Des différences sur le plan procédural — même dans le cas de mesures qui paraissent conférer des droits moins élaborés aux adolescents — peuvent être pleinement conformes à ce principe, pourvu que, considérée dans son contexte, la mesure procédurale en cause défende les intérêts des inculpés adolescents plutôt que d’y déroger. [En italique dans l’original.]
                    (m.a., par. 71.)
[132]                     La difficulté que soulève cette interprétation selon laquelle il s’agit d’un principe distinct tient donc au fait qu’elle ne propose tout simplement rien de nouveau. Il existe déjà un principe de justice fondamentale bien établi voulant qu’en matière criminelle, tous les accusés doivent bénéficier de garanties procédurales suffisantes contre les déclarations de culpabilité injustifiées ou autres erreurs judiciaires (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, par. 5). En ce qui a trait aux exigences qui confèrent des garanties procédurales suffisantes, elles « ne sont pas immuables », mais « varient selon le contexte dans lequel on les invoque », ce qui signifie que « certaines garanties en matière de procédure pourraient être requises par la Constitution dans une situation donnée et ne pas l’être dans une autre » (R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309, p. 361; voir aussi États‑Unis d’Amérique c. Cobb, 2001 CSC 19, [2001] 1 R.C.S. 587, par. 32; Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), 1992 CanLII 51 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 631, p. 656‑657). Autrement dit, le caractère suffisant des garanties procédurales s’évaluera nécessairement en fonction de la situation particulière des adolescents qui a été reconnue par la Cour, y compris leur culpabilité morale moins élevée et leur besoin de mesures procédurales supplémentaires dans le système de justice pénale (D.B., par. 41). Si la prise de mesures procédurales supplémentaires est interprétée comme un principe distinct, l’argument de l’appelant fondé sur l’art. 7, pour le formuler autrement, dépend de la question de savoir si le par. 37(10) prive les adolescents d’un droit à la liberté sans que ceux‑ci puissent bénéficier de garanties procédurales suffisantes.
[133]                     À mon avis, le fait de refuser aux adolescents le droit automatique d’être entendus devant notre Cour lorsqu’un juge de la cour d’appel a exprimé une dissidence sur une question de droit ne saurait en soi porter atteinte à leur droit constitutionnel d’obtenir une protection procédurale suffisante au sein du système de justice pénale pour les adolescents. La Cour a fermement affirmé dans divers contextes qu’il n’y a pas de « droit d’appel [. . .] garanti par la Constitution », et encore moins de droit d’appel automatique devant la juridiction de dernière instance du système judiciaire, notamment dans des situations mettant clairement en jeu les droits à la liberté et les principes de justice fondamentale relevant de l’art. 7 (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 136, citant Kourtessis c. M.R.N., 1993 CanLII 137 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 53; voir aussi Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1992 CanLII 87 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 739). La justice fondamentale n’emporte pas le droit de bénéficier des « procédures les plus favorables que l’on puisse imaginer » (Lyons, p. 362). Bien que je n’écarte pas la possibilité théorique que l’art. 7 puisse conférer un droit d’appel dans un autre contexte — une question qu’il n’est pas nécessaire de trancher en l’espèce —, je ne vois pas comment les principes de justice fondamentale pourraient exiger quelque chose d’aussi précis qu’une audience automatique devant notre Cour dans le cas restreint où une cour d’appel confirme une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel, mais où un juge de cette cour est dissident sur une question de droit.
[134]                     Une telle exigence aurait pour effet de constitutionnaliser l’application de l’al. 691(1)a) du Code criminel aux adolescents et d’assujettir ainsi le Parlement à l’obligation positive d’adopter une telle disposition si elle n’existe pas déjà. Cette conclusion semblerait d’autant plus anormale que, pour les affaires criminelles soumises à la Cour, l’obligation d’obtenir une autorisation constitue la règle plutôt que l’exception. Il n’existe bien entendu pas de droit d’appel automatique à notre Cour prévu par la loi en cas de déclaration sommaire de culpabilité, même quand une cour d’appel a annulé un acquittement et a consigné une déclaration de culpabilité pour la première fois, tout comme il n’existe pas de droit d’appel à l’égard d’une question de fait, même quand un juge de la cour d’appel est dissident. Qui plus est, il est de jurisprudence constante que la procédure sommaire, qui est la procédure applicable par défaut aux adolescents (art. 142 de la LSJPA) et dans laquelle les voies d’appel dont dispose l’accusé sont généralement plus limitées, est constitutionnelle (R. c. R.L. (1986), 1986 CanLII 4611 (ON CA), 26 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.); R. c. K.G. (1986), 1986 ABCA 217 (CanLII), 31 C.C.C. (3d) 81 (C.A. Alb.); R. c. B. (S.) (1989), 1989 CanLII 4802 (SK CA), 50 C.C.C. (3d) 34 (C.A. Sask.)). En d’autres termes, les appels automatiques pour les adolescents ne sont pas — pour reprendre les termes qu’a utilisés notre Cour pour rejeter une demande similaire qui visait à consacrer l’« intérêt supérieur de l’enfant » en tant que principe de justice fondamentale — « une condition essentielle à l’exercice de la justice » (Canadian Foundation for Children, par. 10‑12).
[135]                     Une appréciation contextuelle du caractère suffisant des garanties procédurales offertes devrait également tenir compte des coûts particuliers associés à une procédure d’appel prolongée dans le système de justice pour les adolescents — pour l’adolescent accusé, mais aussi pour les victimes, qui sont souvent elles‑mêmes des adolescents (N. Bala et S. Anand, Youth Criminal Justice Law (3e éd. 2012), p. 154, citant Conseil national du bien‑être social, La justice et les pauvres (2000)). Les principes directeurs de la rapidité et de la diligence énoncés aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et 3(1)b)(v) de la LSJPA, principes que j’analyserai plus en détail dans mon analyse relative à l’art. 15, influent également sur l’analyse fondée sur l’art. 7. Les principes de justice fondamentale « touchent toute une gamme d’intérêts qui vont des droits de l’accusé à des préoccupations sociales plus globales », et, bien que l’équité d’une procédure doive être appréciée surtout du point de vue de l’accusé, « elle doit être aussi considérée du point de vue de la collectivité et du plaignant » (R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, p. 603; R. c. E. (A.W.), 1993 CanLII 65 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 155, p. 198).
[136]                     Il est également utile de souligner, à ce stade‑ci, que la menace de déclaration de culpabilité injustifiée à laquelle ma collègue la juge Abella vise à parer est, à la lumière du dossier dont nous disposons, entièrement théorique. L’appelant n’a présenté aucun élément de preuve portant que l’absence d’un appel automatique accroît d’une quelconque manière le risque que des adolescents jugés pour des actes criminels soient déclarés coupables à tort ou soient victimes d’une autre erreur judiciaire. Nous ne sommes pas non plus saisis d’une preuve suggérant que le processus d’autorisation à la Cour confère une protection procédurale insuffisante. Autrement dit, il n’a pas été démontré qu’il y a un véritable problème dans la manière dont notre Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’autorisation, et encore moins un problème qui justifie une conclusion de violation constitutionnelle.
[137]                     Au contraire, le processus d’autorisation à la Cour est rigoureux. S’il est vrai que les demandes d’autorisation ne font pas l’objet du même contrôle approfondi des erreurs que celui auquel est assujetti un pourvoi sur le fond, la Cour jouit d’un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de prendre en considération certains facteurs qui pourraient dénoter une possibilité d’erreur, notamment le fait qu’un juge ait exprimé une dissidence sur une question de droit ou encore une déclaration de culpabilité consignée pour la première fois en appel. Il n’y a aucune raison de croire qu’un argument sérieux faisant état d’une erreur judiciaire ne satisferait pas à la norme de l’intérêt public justifiant une autorisation d’appel à la Cour. Comme l’a fait remarquer l’ancien juge Iaccobucci, [traduction] « même dans les cas où il n’y a pas eu de dissidence ou d’annulation d’un acquittement en cour d’appel, l’autorisation d’appel est souvent accordée dans les affaires criminelles vu que celles‑ci sont fréquemment considérées comme soulevant des questions d’importance pour le public, car elles mettent en jeu la liberté de l’intéressé » (F. Iacobucci, « The Supreme Court of Canada : Its History, Powers and Responsibilities » (2002), 4 J. App. Prac. & Process 27, p. 34‑35). La Cour suprême appliquerait et applique de fait son exigence d’autorisation conformément aux principes de justice fondamentale.
[138]                     À mon avis, le manque de preuve d’un problème à cet égard dément la conclusion selon laquelle le par. 37(10) prive les adolescents de garanties procédurales suffisantes comme c’était le cas sous le régime des anciennes mesures législatives en matière de justice pour adolescents, lesquelles prévoyaient en effet des pratiques paternalistes et exposaient les adolescents à des erreurs judiciaires. Au contraire, notre système moderne de justice pour les adolescents s’est depuis longtemps éloigné de ces pratiques discutables; il offre désormais aux adolescents des mesures procédurales supplémentaires qui correspondent à leur situation particulière et à leur vulnérabilité inhérente dans le système de justice.
[139]                     Pour ces motifs, je conclus que le par. 37(10) de la LSJPA est compatible avec l’art. 7 de la Charte même dans le cas où un juge d’une cour d’appel est dissident sur une question de droit. Néanmoins, je n’écarterais pas la possibilité théorique que l’art. 7 puisse garantir un appel de plein droit lorsqu’une cour d’appel consigne une déclaration de culpabilité pour la première fois; il s’agit cependant d’une question qu’il n’est pas nécessaire de trancher à la lumière des faits de l’espèce.
B.            Analyse relative à l’article 15
[140]                     L’appelant soutient également que le par. 37(10) de la LSJPA exerce à l’égard des adolescents une discrimination fondée sur l’âge en les privant d’un important avantage procédural accordé aux adultes se trouvant dans une situation similaire. Voici la garantie prévue par le par. 15(1) de la Charte :
     La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
[141]                     Une loi ou une mesure prise par l’État contreviendra à cette garantie : (1) si elle crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; et (2) si elle impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage (Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 27; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, par. 19‑20).
[142]                     Les parties s’accordent pour dire que le par. 37(10) de la LSJPA crée une distinction fondée sur l’âge. La question qui se pose est de savoir s’il établit une distinction discriminatoire en niant un avantage d’une manière qui renforce, perpétue ou accentue un désavantage pour les adolescents. À cet égard, il convient aussi de garder à l’esprit que, de façon générale, les distinctions fondées sur l’âge sont « courantes et nécessaires pour maintenir l’ordre dans notre société » et ne sont « pas fortement associé[es] à la discrimination et à la dénégation arbitraire de privilèges » (Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429, par. 31).
[143]                     Il ne s’agit pas ici de la première fois qu’un argument fondé sur le droit à l’égalité est invoqué devant la Cour au sujet des voies d’appel relativement limitées offertes aux adolescents dans le système de justice pénale. Dans l’arrêt R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012, notre Cour s’est attachée à l’interprétation législative du par. 27(5) de la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y‑1, une disposition fonctionnellement équivalente qui figurait dans la loi ayant précédé la LSJPA. Dans cette affaire, le juge Sopinka a souligné qu’au vu de « [l]a politique générale consistant à privilégier une résolution rapide de l’étape judiciaire », « il n’y a rien [. . .] d’anormal » à ce « qu’un adolescent reconnu coupable d’une infraction ait des droits d’appel plus restreints que ceux d’un adulte se trouvant dans la même situation » (p. 1015‑1016). Bien qu’il n’ait pas fermé définitivement la porte à une contestation fondée sur le droit à l’égalité, le juge Sopinka a conclu avoir « du mal à accepter qu’un jeune contrevenant puisse choisir un élément du régime et prétendre en bénéficier au même titre que les adultes, sans tenir compte des nombreux avantages connexes accordés aux adolescents mais refusés aux adultes » (p. 1017).
[144]                     Bien que la question n’ait pas été formellement tranchée dans C. (T.L.), une partie du raisonnement suivi dans cet arrêt reste pertinente en l’espèce. Les remarques incidentes du juge Sopinka mettent en garde contre le fait de sélectionner artificiellement certains éléments particuliers d’un régime législatif à multiples facettes afin de révéler des iniquités entre des régimes fondamentalement distincts. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a formulé des observations similaires en mettant en garde [traduction] « contre le fait d’isoler artificiellement une seule disposition appartenant à un régime de justice pénale complet censé procurer un avantage aux adolescents et de conclure ainsi à une violation constitutionnelle », et en affirmant qu’ « il est inapproprié d’isoler un paragraphe en particulier », parce que chaque paragraphe « représente à ce point un détail par rapport au régime dans sa totalité qu’il ne peut ni ne doit être examiné séparément » (R. c. M. (J.S.), 2005 BCCA 417, 200 C.C.C. (3d) 400, par. 31; R. c. D.F.G. (1986), 1986 CanLII 1176 (BC CA), 29 C.C.C. (3d) 451, p. 453‑454).
[145]                     Autrement dit, c’est l’effet réel de la disposition à la lumière de tout son contexte qui devrait régir l’analyse et le par. 37(10) ne devrait pas être dissocié de son contexte législatif global. Une approche qui exigerait une parité absolue avec le Code criminel sans tenir compte de la nature distincte du régime qui sous‑tend la LSJPA serait en fait contraire à l’approche contextuelle dictée dans l’arrêt Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, par. 73, 76 et 79. L’analyse requiert plutôt une « compréhension contextuelle de la situation du demandeur dans le cadre d’un régime législatif et dans la société en général »; le tribunal doit s’interroger « sur l’opportunité générale de[s] [. . .] limites [établies], compte tenu de la situation des personnes touchées et des objets du régime » (par. 65 et 67). Une compréhension du régime législatif distinct qui sous‑tend le par. 37(10) est cruciale pour pouvoir évaluer l’effet réel de la loi sur les adolescents (voir P. J. Monahan, B. Shaw et P. Ryan, Constitutional Law (5e éd. 2017), p. 469).
[146]                     En l’espèce, les options d’appel énoncées à l’art. 37 de la LSJPA s’inscrivent dans un régime complet destiné à mettre en œuvre la Déclaration de principes énoncée à l’art. 3, ainsi que les principes correctifs et de réadaptation mentionnés dans le préambule de la LSJPA. L’alinéa 3(1)b), en particulier, dispose que :
                    b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et mettre l’accent sur :
                        (i) leur réadaptation et leur réinsertion sociale,
                        (ii) une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité,
                        (iii) la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée,
                        (iv) la prise de mesures opportunes qui établissent clairement le lien entre le comportement délictueux et ses conséquences,
                        (v) la diligence et la célérité avec lesquelles doivent intervenir les personnes chargées de l’application de la présente loi, compte tenu du sens qu’a le temps dans la vie des adolescents;
[147]                     Il est évident que la LSJPA vise à établir un équilibre entre divers intérêts. Premièrement, comme l’a souligné le juge Fish dans R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99, « [le Parlement] a cherché également, pour se conformer à ses obligations internationales, à accorder une protection procédurale accrue aux jeunes contrevenants », protection qui leur est conférée à eux seuls (par. 41). Ces garanties procédurales étendues ont été bien résumées par les juges Abella et Brown dans R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, par. 142 (dissidents, mais non sur ce point) :
                    Parmi les droits procéduraux supplémentaires conférés par la LSJPA, mentionnons le recours à des mesures extrajudiciaires (art. 4‑12); l’avis aux père et mère (art. 26); la possibilité d’exiger la présence des père et mère devant le tribunal (art. 27); un droit amélioré à l’assistance d’un avocat (al. 10(2)d) et art. 25 et 32); des obligations spécifiques que les juges du tribunal pour adolescents doivent respecter pour s’assurer que ceux‑ci sont traités de manière équitable (art. 32); une réduction de la possibilité d’ordonner la détention sous garde (art. 29); la possibilité de mettre en liberté des adolescents qui seraient autrement placés sous garde (art. 31); la révision de novo de l’ordonnance relative à la mise en liberté sous caution (art. 33); le droit d’être détenu séparément des adultes dans le cadre d’une détention temporaire (art. 30); des mesures procédurales supplémentaires à l’égard de l’admissibilité des déclarations faites par les adolescents aux personnes en autorité (art. 146) et un régime distinct de détermination de la peine (art. 38‑82).
[148]                     Deuxièmement, la nécessité reconnue depuis longtemps de régler plus rapidement et plus diligemment les affaires qui mettent en cause des adolescents, un principe qui constitue un leitmotiv de la jurisprudence de notre Cour ainsi que des obligations internationales du Canada, est codifiée aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et 3(1)b)(v) de la LSJPA. À l’échelle internationale, la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, R.T. Can. 1992 no 3, mentionnée dans le préambule de la LSJPA, garantit aux adolescents le droit à ce que les poursuites criminelles engagées contre eux soient tranchées sans retard (sous‑al. 40(2)b)iii)). De même, l’art. 20.1 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, A/RES/40/33 (29 novembre 1985), énonce que les affaires mettant en cause des adolescents « doi[vent], dès le début, être traitée[s] rapidement, sans retard évitable ». Il est important de souligner que les sous‑al. 3(1)b)(iv) et 3(1)b)(v) n’avaient pas d’équivalent dans l’ancienne Loi sur les jeunes contrevenants (Bala et Anand, p. 441).
[149]                     Dans le même ordre d’idées, lorsqu’elle a défini de quelle manière les plafonds présumés en matière de délais déraisonnables s’appliquaient dans les affaires mettant en cause des adolescents, la Cour a reconnu dans K.J.M. que l’intérêt à ce que de telles affaires soient traitées rapidement exige une approche plus globale, soit une approche à multiples facettes plutôt qu’une approche axée uniquement sur la réadaptation. Elle a relevé cinq raisons principales pour lesquelles la rapidité revêt une importance particulière pour les adolescents :
                    Renforcer le lien entre les actes et leurs conséquences. Premièrement, comme les adolescents ont [traduction] « une perception différente du temps et une mémoire moins bien développée que les adultes », leur capacité d’évaluer le lien entre les actes et leurs conséquences est amoindrie . . .
                    Réduire l’incidence psychologique. Deuxièmement, en gardant à l’esprit que le temps passé à attendre le procès représente une plus grande proportion de la vie d’un adolescent que de celle d’un adulte et que les adolescents perçoivent le temps différemment, un délai peut avoir une plus grande incidence psychologique sur eux . . .
                    Préserver le droit de présenter une défense pleine et entière. Troisièmement, les souvenirs ont tendance à s’estomper plus rapidement chez les adolescents que chez les adultes. La rapidité accrue avec laquelle les souvenirs des adolescents s’estompent peut faire en sorte qu’il soit plus difficile pour eux de se souvenir de situations passées, ce qui peut ensuite nuire à leur capacité de présenter une défense pleine et entière, un droit qui est protégé par l’art. 7 de la Charte. . .
                    Éviter une éventuelle iniquité. Quatrièmement, [. . .] [l]orsqu’un long délai sépare la commission de l’infraction de la peine correspondante, l’adolescent peut avoir un sentiment d’injustice, car, entre temps, sa vision des choses et ses comportements peuvent avoir considérablement changé. Afin d’éviter de punir des adolescents pour « ce qu’ils étaient dans le passé », les délais devraient donc être minimisés.
Promouvoir les intérêts de la société. Cinquièmement, le traitement rapide des dossiers mettant en cause des adolescents favorise l’intérêt de la société. En effet, celle‑ci a un intérêt à voir les adolescents réadaptés et réinsérés dans la société le plus rapidement possible. [Références omises; par. 51-55.]
[150]                     Comme l’illustre la présente affaire, le rôle que joue la rapidité dans l’état psychologique des victimes, lesquelles sont souvent elles-mêmes des enfants, présente aussi une importance. Cela découle de la prescription relative aux « règles spéciales » énoncée à l’al. 3(1)d)(ii) de la LSJPA, selon laquelle « les victimes [. . .] doivent subir le moins d’inconvénients possible du fait de leur participation au système de justice pénale pour les adolescents ».
[151]                     En conséquence, la diligence et la prise de mesures procédurales supplémentaires constituent deux principes fondamentaux du système de justice pénale pour les adolescents (voir S. Davis‑Barron, Youth and the Law in Canada (2e éd. 2015), p. 177). En créant un système de justice distinct ayant des procédures distinctes, le Parlement a reconnu le fait que, bien qu’ils soient particulièrement vulnérables aux erreurs judiciaires, les adolescents sont aussi particulièrement vulnérables aux préjudices résultant de procédures judiciaires prolongées. Ces vulnérabilités particulières constituent deux facettes d’un même problème, et elles se recouperont parfois. Comme le soulignent les juges Abella et Brown dans l’arrêt K.J.M., dans le contexte d’un procès, « la rapidité revêt une plus grande importance à titre de protection procédurale dans le cas d’adolescents », notamment parce que les retards pourraient également nuire à leur capacité de présenter une défense pleine et entière (par. 151 (je souligne)).
[152]                     Selon moi, une compréhension contextuelle de la situation des adolescents dans le cadre du régime procédural établi par la LSJPA doit également prendre en compte à la fois leur intérêt à ce que les affaires qui les mettent en cause soient résolues diligemment et le préjudice général qu’entraîne le fait d’interagir avec le système de justice pénale, étant donné que « l’effet d’amélioration [de la mesure législative] sur la situation des autres participants et la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier joueront également dans l’analyse du caractère discriminatoire » (Withler, par. 38).
[153]                     Cependant, je m’empresse de souligner qu’en examinant la pertinence de la rapidité en ce qui concerne la question de savoir si le par. 37(10) perpétue un désavantage pour les adolescents, je ne cherche pas à justifier un tel désavantage au motif qu’il est pertinent à l’égard d’un objectif légitime de l’État ou en raison de l’effet d’amélioration de la LSJPA dans son ensemble — des considérations de ce genre devraient relever de l’analyse fondée sur l’article premier de la Charte, et ce, uniquement dans la mesure où elles sont susceptibles de justifier plus particulièrement la restriction contestée (Fraser, par. 69). Je donne plutôt simplement plein effet à l’analyse contextuelle que commande l’approche de notre Cour à l’égard de l’égalité réelle (Fraser, par. 42). L’analyse fondée sur le par. 15(1) de la Charte en ce qui a trait à la perpétuation d’un désavantage exige que l’on porte attention à « tous les éléments contextuels de la situation du groupe de demandeurs » et à « l’effet réel de la mesure législative sur leur situation » (Withler, par. 43; voir aussi Taypotat, par. 17). Cette analyse contextuelle peut pour sa part révéler qu’un traitement différent est discriminatoire parce qu’il perpétue un désavantage, qu’il est neutre ou qu’il est « nécessaire pour améliorer la situation véritable du groupe de demandeurs » (Withler, par. 39). Dans l’appréciation de l’effet réel de l’obligation d’obtenir une autorisation, notre Cour doit donc prendre en compte tous les éléments contextuels de la situation des adolescents, ce qui comprend, à mon sens, le fait qu’un contrôle en appel structurellement prolongé peut leur être plus préjudiciable.
[154]                     Soit dit en tout respect, l’analyse par la juge Abella du par. 37(10) va dans le sens contraire, car elle s’écarte de l’approche contextuelle prescrite par l’égalité réelle. À mon avis, considéré dans son contexte, le par. 37(10) ne perpétue pas un désavantage quelconque, mais établit plutôt un juste équilibre entre des intérêts qui se recoupent, à savoir l’intérêt des adolescents à ce que les affaires qui les mettent en cause soient résolues diligemment et leur intérêt à ce qu’il y ait un contrôle en appel, car le bon sens indique qu’un compromis inhérent et inévitable doit être fait entre ces intérêts.
[155]                     Par‑dessus tout, il convient de se rappeler que le par. 37(10) s’applique également au ministère public. Considérée dans son contexte, l’obligation d’obtenir une autorisation confère aux adolescents l’avantage procédural corollaire d’être protégés contre un appel interjeté de plein droit par le ministère public en vertu de l’al. 693(1)a) du Code criminel, une garantie qui n’est pas accordée aux adultes. Lorsqu’un adolescent est acquitté par la cour d’appel, mais qu’un juge de cette cour est dissident sur une question de droit, le par. 37(10) sert de rempart contre les délais prolongés, et l’avantage du caractère définitif conféré par la disposition est loin d’être négligeable, non seulement pour l’accusé, mais également pour les plaignants, qui peuvent eux‑mêmes être adolescents. L’affirmation selon laquelle cette disposition ne fait que permettre de « gagner quelques mois » perd de vue cet aspect contextuel crucial (motifs de la juge Abella, par. 102). Autrement dit, elle ne tient pas compte du fait que l’invalidation du par. 37(10) conférerait également au ministère public un droit d’appel automatique contre un adolescent acquitté. À mon avis, écarter l’intérêt de l’adolescent à ce que sa cause soit traitée rapidement au motif qu’il s’agit d’un argument n’ayant de pertinence qu’à l’égard de l’examen de la justification fondé sur l’article premier reviendrait à laisser de côté l’analyse contextuelle qu’il faut faire pour appréhender l’effet réel de la disposition.
[156]                     Il est vrai que, dans le cas où une autorisation est finalement accordée, le par. 37(10) aura eu pour effet de prolonger quelque peu le processus pour l’adolescent dont la déclaration de culpabilité a donné lieu à une dissidence en cour d’appel. Cependant, cela n’annule ni la diligence assurée dans le cas où l’autorisation est refusée, ni le caractère dissuasif structurel découlant de l’obligation d’obtenir une autorisation et son effet sur la rapidité au sein du système de justice pénale pour les adolescents dans son ensemble. De plus, les demandes d’autorisation peuvent être instruites plus rapidement que les pourvois et elles seront probablement traitées dans les meilleurs délais possible lorsque des adolescents sont en cause. Considéré dans le contexte de la LSJPA dans son ensemble, le par. 37(10) favorise légitimement la diligence et la rapidité.
[157]                     Ces avantages de la disposition doivent également être pris en compte conjointement avec l’absence de preuve portant que le processus d’autorisation de notre Cour perpétue un désavantage concret pour les adolescents. En termes simples, aucune preuve au dossier dont nous disposons n’étaye la prétention de la juge Abella selon laquelle « l’accès des adolescents à notre Cour traîne de la patte » (par. 68). Ni l’appelant ni ma collègue n’ont pu invoquer une seule affaire où notre Cour a refusé d’accorder une autorisation à un adolescent lorsqu’un juge d’une cour d’appel était dissident. J’ajouterais que les adolescents ne sont pas privés d’un accès à la Cour, étant donné que « [l]e droit de demander une [. . .] autorisation est en soi un droit d’accès à la [c]our » (Krishnapillai c. Canada (C.A.), 2001 CAF 378, [2002] 3 C.F. 74, par. 24, citant Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317 (C.A.F.), p. 318). Le dernier rempart contre l’erreur judiciaire n’est pas, à proprement parler, le droit à un appel automatique, mais le droit d’appel lui‑même, que ce soit sur autorisation ou de plein droit; de plus, « la remise en cause perpétuelle n’est pas [. . .] garante de l’exactitude factuelle » (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 41). Lorsqu’un adolescent présente une demande d’autorisation d’appel contre une déclaration de culpabilité confirmée, après qu’un juge de la cour d’appel a exprimé une dissidence sur une question de droit, la Cour est particulièrement bien placée dans une telle situation pour examiner tous les facteurs pertinents, y compris les arguments qui font état d’une erreur judiciaire. Vu les coûts particuliers que représentent pour les adolescents une audience automatique et un examen approfondi du dossier par une formation complète, une telle procédure ne servira pas leurs intérêts dans tous les cas. Cela est particulièrement vrai à la lumière de la remarque incidente selon laquelle « [p]arfois, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de donner la possibilité d’obtenir d’autres opinions » (Kourtessis, p. 70).
[158]                     Il va sans dire qu’aucun juge de la Cour ne tolérerait qu’une déclaration de culpabilité douteuse soit maintenue simplement en vue d’assurer la résolution diligente de l’affaire. De plus, à mon sens, l’obligation d’obtenir une autorisation n’implique nullement que des déclarations de culpabilité injustifiées sont d’une façon ou d’une autre plus tolérables dans le système de justice pour les adolescents. Notre Cour ne doit pas s’appuyer sur une dissidence comme indicateur général du bien‑fondé dans tous les cas, bien qu’il puisse s’agir d’une mesure commode dans le système pour adultes. Le paragraphe 37(10) permet plutôt à la Cour d’adopter une approche individualisée et sensée qui peut également prendre en compte le préjudice attribuable à un long contrôle en appel dans le système de justice pour les adolescents.
[159]                     Une analyse décontextualisée ne permet pas de prendre en considération ces éléments essentiels, et assimile en réalité traitement égal à traitement identique, une approche que la Cour a toujours rejetée (Canadian Foundation for Children, par. 51). La vulnérabilité des adolescents dans le système de justice pénale n’est pas accentuée simplement parce qu’une disposition de la LSJPA ne confère pas le plus grand avantage procédural imaginable dont bénéficient les adultes. Cela est encore plus vrai dans le cas d’un avantage qui n’a rien à voir, ou qui a tout au plus un lien douteux, avec leur vulnérabilité réelle et leurs besoins particuliers.
[160]                     À mon avis, l’obligation d’obtenir une autorisation prévue au par. 37(10) constitue un des divers moyens légitimes permettant au système de justice pour les adolescents de fournir des voies procédurales différentes par rapport à celles offertes aux adultes sans porter atteinte à l’égalité de valeur des adolescents ni renforcer leur désavantage. Le fait que les jeunes contrevenants n’aient pas le droit à un procès avec jury dans chaque cas où un adulte peut choisir cette option en est un autre. Ils n’ont pas non plus le même droit à une enquête préliminaire, droit qui a historiquement été plus limité pour les adolescents que pour les adultes. Pourtant, en se prononçant sur la question de savoir si le ministère public pouvait recourir à la mise en accusation directe sous le régime de la LSJPA, la Cour a déjà reconnu que la décision du Parlement de restreindre la possibilité de tenir des enquêtes préliminaires dans le cas des adolescents pouvait en fait être considérée comme un avantage :
     De surcroît, il est même possible d’affirmer que, dans certains cas, la procédure de mise en accusation directe permet de favoriser les objectifs et principes de la LSJPA. Le fait d’empêcher tout recours à celle‑ci pourrait compromettre leur mise en œuvre. Par exemple, le motif qui concerne l’état psychologique des témoins revêt une importance particulière à la lumière de la règle spéciale, mentionnée au sous‑al. 3(1)d)(ii) de la LSJPA, suivant laquelle « les victimes doivent être traitées avec courtoisie et compassion, sans qu’il ne soit porté atteinte à leur dignité ou à leur vie privée, et doivent subir le moins d’inconvénients possible du fait de leur participation au système de justice pénale pour les adolescents ». De même, il est reconnu que l’enquête préliminaire rallonge le processus judiciaire, ce qui a un effet plus important pour les prévenus adolescents « compte tenu du sens qu’a le temps » dans leur vie et que tenir une enquête préliminaire pourrait aller à l’encontre des objectifs de diligence et de célérité prévus au sous‑al. 3(1)b)(v) LSJPA. [Soulignement dans l’original; texte entre crochets dans l’original.]
                    (R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426, par. 40; il convient de souligner que cet arrêt est antérieur aux modifications apportées au Code criminel qui ont restreint les enquêtes préliminaires aux infractions punissables d’un emprisonnement de 14 ans ou plus.)
[161]                     Ma collègue la juge Abella et moi convenons que c’est un lieu commun de dire que la garantie d’égalité prévue dans la Charte ne commande ni une similitude ou une égalité formelle, ni une parité absolue avec le Code criminel, mais plutôt une recherche de l’égalité réelle. Les adolescents ont des besoins et des vulnérabilités qui diffèrent de ceux des adultes, et c’est précisément pour cette raison que le système canadien de justice pour les adolescents « est distinct » de celui pour les adultes (K.J.M., par. 49; R.C., par. 41). À mon avis, l’obligation d’obtenir une autorisation correspond à cette réalité.
[162]                     En choisissant de refuser aux adolescents un droit d’appel automatique à la Cour, le Parlement n’a pas exercé de discrimination à leur endroit, mais il a plutôt tenu compte de la réalité de leur vie en soupesant les avantages d’un contrôle en appel par rapport aux préjudices inhérents à ce processus, en conformité avec la remarque incidente selon laquelle « le règlement final de poursuites, particulièrement celles de nature criminelle, ne devrait pas être retardé inutilement » (Kourtessis, p. 70). Le fait qu’un aspect particulier du système de justice pour les adolescents ne corresponde pas à un aspect du régime pour adultes ne saurait servir de fondement à une conclusion de discrimination.
III.         Conclusion
[163]                     En conséquence, le par. 37(10) de la LSJPA est compatible avec les art. 7 et 15 de la Charte, et il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse fondée sur l’article premier.
[164]                     Je rejetterais le pourvoi.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    Le juge Kasirer —
I.               Survol
[165]                     J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mes collègues le juge en chef et les juges Abella et Côté. En tout respect pour l’opinion contraire, je suis d’avis, à l’instar du juge en chef, que le par. 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA ») est constitutionnel. Je conclus en outre que le verdict de culpabilité rendu contre l’appelant, C.P., n’était pas déraisonnable et qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi pour ce motif.
[166]                     Par souci de clarté quant aux différentes questions soumises à la Cour, je souscris aux motifs de la juge Abella, de même qu’à ceux des juges majoritaires de la Cour d’appel, selon lesquels le verdict de culpabilité rendu contre l’appelant, C.P., n’était pas déraisonnable. Quant à la seconde question influant sur la constitutionnalité du par. 37(10) de la LSJPA, je suis d’accord avec la juge Abella que notre Cour a compétence pour trancher les questions constitutionnelles. Par ailleurs, je partage l’avis du juge en chef selon lequel le par. 37(10) est conforme à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Tout comme lui, je remettrais à une autre occasion l’examen de la question de savoir si l’art. 7 nécessite un premier droit d’appel d’une déclaration de culpabilité inscrite par une cour d’appel, une question dont notre Cour n’est pas saisie.
[167]                     Mes motifs diffèrent de ceux de mes collègues sur le point de savoir si le par. 37(10) de la LSJPA porte atteinte à la garantie d’égalité au par. 15(1) de la Charte. Nos divergences portent notamment sur l’application de l’article premier de la Charte à l’exigence qu’un adolescent demande l’autorisation de se pourvoir en appel devant notre Cour lorsqu’une cour d’appel confirme une déclaration de culpabilité relativement à un acte criminel, mais qu’il y a dissidence sur une question de droit. À l’instar de la juge Abella, et compte tenu en particulier des arrêts de notre Cour dans Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, et Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, je conclus que le par. 37(10) de la LSJPA limite les droits garantis au par. 15(1) de la Charte. Mais, soit dit en tout respect, je suis d’avis que, en l’espèce, la Couronne a démontré que la restriction du droit à l’égalité des adolescents prescrite par le par. 37(10) de la LSJPA, lue en corrélation avec l’al. 691(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. Par conséquent, je conclus que le par. 37(10) est constitutionnellement valide.
[168]                     Je m’empresse de dire que je souscris à bon nombre des observations faites par le juge en chef au sujet de l’importance de la rapidité à la règle établie au par. 37(10) de la LSJPA et à bon nombre de ses commentaires sur les mesures protégeant contre une erreur judiciaire les adolescents qui sollicitent l’autorisation d’interjeter appel devant notre Cour en matière criminelle. Je partage également son avis que la procédure d’autorisation d’appel de la Cour est assez souple pour prévenir l’injustice qui, aux dires de C.P., est causée par l’obligation d’obtenir l’autorisation d’appel. Le juge en chef estime que ces considérations de rapidité et les mesures de protection contre une erreur judiciaire sont des caractéristiques pertinentes du contexte à analyser pour décider s’il y a eu restriction du par. 15(1); comme je m’efforcerai de l’expliquer, je suis plutôt d’avis qu’elles sont pertinentes afin de démontrer que la restriction des droits garantis au par. 15(1) est justifiée au regard de l’article premier de la Charte, une tâche qui revient à l’État. Selon moi, le par. 37(10) de la LSJPA est conforme à la Constitution, mais je propose d’arriver à cette conclusion sur la base de certains des arguments du juge en chef en empruntant cette voie alternative.
[169]                     Il vaut mieux reconnaître d’emblée le lourd fardeau — incombant à la Couronne — de démontrer que la restriction des droits reconnus au par. 15(1) est justifiée. Il vaut mieux reconnaître également que l’avantage qu’offre le par. 37(10) au chapitre de la rapidité pour la réadaptation des adolescents et leur réinsertion sociale représente, du moins quant au temps épargné dans le système de justice, un avantage relativement modeste par rapport à un appel de plein droit. De plus, il est clair que, si l’exigence d’autorisation d’appel prévue au par. 37(10) créait un véritable risque d’erreur judiciaire, ce risque l’emporterait vraisemblablement sur l’avantage modeste de célérité dans l’analyse fondée sur l’article premier. Je partage l’avis de la juge Abella — je suis enclin à penser que tous les juges de notre Cour soient de son avis — qu’une injustice résultant d’un processus expéditif pour un adolescent constituerait un déni total de justice. Il ne sert à rien de réadapter promptement un adolescent innocent. Le par. 37(10) serait un échec total s’il privilégiait la réadaptation au détriment de verdicts sûrs.
[170]                     J’estime cependant, en tout respect, que, d’un point de vue pratique, le par. 37(10) n’expose pas un adolescent à un véritable risque d’injustice résultant d’un processus expéditif et que, malgré la violation prima facie du par. 15(1) pour discrimination fondée sur l’âge, il est néanmoins constitutionnel. Aussi modeste soit‑il, l’avantage de célérité l’emporte sur tout véritable risque d’erreur judiciaire associé à l’obligation supplémentaire pour les adolescents d’obtenir l’autorisation d’appel. Il ne faut pas banaliser les risques d’erreurs judiciaires en droit criminel, mais à mon avis, la Couronne a démontré que tout risque supplémentaire d’erreur judiciaire invoqué par C.P. est plus théorique que réel. Lorsqu’un adolescent demande l’autorisation d’interjeter appel d’une déclaration de culpabilité sur une question de droit à l’égard de laquelle il y a eu dissidence en cour d’appel, et que l’appel proposé a une chance raisonnable de succès, tout porte à croire que l’autorisation serait accordée. Éviter le risque d’erreur judiciaire — même si la question de droit était une question qui intéressait seulement les parties — serait à mon sens une question d’importance pour le public qui justifie l’autorisation d’appel en vertu des dispositions applicables de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, et du Code criminel.
[171]                     On plaide en l’espèce, tout particulièrement, que le danger d’erreur judiciaire est exacerbé lorsqu’un adolescent doit solliciter l’autorisation d’appel dans un cas où, en cour d’appel, la dissidence porte sur un verdict déraisonnable quant à la question de droit pertinente. Je ne partage pas cet avis. Lorsque la procédure d’autorisation révèle l’existence d’une cause défendable tendant vers une possible erreur judiciaire pour ce motif, la question en deviendrait une qui répondrait à la norme voulue d’importance pour le public. Il en est ainsi parce que l’ensemble de la société a un intérêt dans le droit à la liberté de l’adolescent même si la question de droit en cause est négligeable sur le plan jurisprudentiel. Lorsque l’appel proposé a une chance raisonnable de succès — selon les motifs du juge dissident, la demande d’autorisation d’appel ou le dossier déposé à l’appui de cette demande — l’autorisation d’appel serait accordée car il aura été satisfait au critère de l’importance pour le public. L’idée que l’autorisation d’appel serait refusée en pareilles circonstances — que, pour des raisons de célérité, l’autorisation serait refusée pour l’appel raisonnablement défendable d’une déclaration de culpabilité d’un adolescent appuyé par une dissidence en cour d’appel — laisse entendre que notre Cour agirait d’une manière contraire aux principes de justice fondamentale, ce qui est insoutenable. Fait important, vu l’interprétation généreuse des critères d’autorisation applicables dans ces circonstances, notre Cour peut identifier les cas de ce type dans le cadre d’une demande d’autorisation d’appel et les distinguer de ceux qui ne devraient pas aller de l’avant sur le fond.
[172]                     Imposer aux adolescents l’obligation d’obtenir une autorisation d’appel dans les rares cas où les adultes peuvent interjeter un appel de plein droit devant notre Cour selon le Code criminel est donc une mesure proportionnée que le Parlement est autorisé à prendre en vue de réaliser l’objectif consistant à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale des adolescents en matière criminelle. Notre Cour est institutionnellement outillée pour cerner les cas qui se prêtent à une telle mesure et octroyer l’autorisation d’appel, eu égard à la demande d’autorisation d’appel et à la preuve déposée, ce qui lui permet de prévenir les erreurs judiciaires potentielles dans les situations où les adolescents pourraient autrement former un appel de plein droit en vertu de l’al. 691(1)a) du Code criminel. En l’absence de chance raisonnable de succès de l’appel proposé, l’obligation d’obtenir l’autorisation peut mettre fin en temps opportun aux affaires dans lesquelles cette injustice ne risque manifestement pas de se produire, avant que l’on procède avec une audition complète. De ce point de vue, il était loisible au Parlement, comme le soutient la Couronne, d’adopter le par. 37(10) de la LSJPA, en tant que règle qui offre aux adolescents un avantage de rapidité d’une manière qui l’emporte sur tout effet préjudiciable entraîné par l’obligation d’obtenir l’autorisation d’appel. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la restriction de la garantie contre la discrimination fondée sur l’âge est justifiée.
II.            Les principes de droit applicables
[173]                     Il incombe à la partie qui s’appuie sur la disposition attaquée d’établir que la restriction du par. 15(1) se justifie au regard de l’article premier de la Charte (R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136‑137). Le droit en la matière est bien établi : cette partie doit démontrer que la limite poursuit un objectif urgent et réel et que les moyens choisis pour favoriser la réalisation de cet objectif ne limite pas de manière disproportionnée le droit garanti au par. 15(1). La proportionnalité exige que la limite ait un lien rationnel avec l’objectif urgent et réel énoncé, qu’elle porte atteinte de façon minimale, et que ses avantages l’emportent sur ses effets préjudiciables (Ontario c. G, par. 71).
[174]                     À l’instar de tous les autres droits garantis par la Charte, le droit à l’égalité doit parfois céder le pas à des objectifs sociétaux légitimes. Je suis toutefois conscient que le rapport entre le par. 15(1) et l’article premier requiert une attention particulière. Comme l’a fait remarquer une chercheuse, il y a une sorte [traduction] « d’inadéquation normative » entre ces deux dispositions de la Charte, en ce que « l’article 15 peut être perçu comme une tentative de se prémunir contre la “tyrannie de la majorité” [. . .] et l’article premier nous ramène à l’idée que les besoins de l’ensemble pourraient, tout compte fait, justifier la discrimination » (S. Lawrence, « Equality and Anti‑discrimination : The Relationship between Government Goals and Finding Discrimination in Section 15 », dans P. Oliver, P. Macklem et N. Des Rosiers, dir., The Oxford Handbook of the Canadian Constitution (2017), 815, p. 829).
[175]                     La juge Wilson a expliqué dans Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, que le fardeau imposé à l’État de justifier une restriction des droits garantis au par. 15(1) est onéreux à juste titre (p. 154). Je conviens avec la professeure S. Martin, écrivant avant son accession à la magistrature, [traduction] « qu’une solide compréhension de l’interrelation de l’égalité, de la liberté et de la démocratie sous le régime de la Charte permettra de distinguer les atteintes raisonnables dont la justification peut se démontrer » de celles qui ne le sont pas (« Balancing Individual Rights To Equality And Social Goals » (2001), 80 Rev. B. can. 299, p. 364). L’analyse doit être axée sur « la gravité de la discrimination et son rapport avec les valeurs qui sous‑tendent une société libre et démocratique » (p. 366‑367; voir aussi p. 365).
[176]                     Au sujet de ce dernier point, je souligne qu’une restriction des droits garantis au par. 15(1) qui repose sur l’âge de la personne a été perçue dans certains contextes comme étant moins grave et donc plus facile à justifier. Comme l’a écrit le professeur P. W. Hogg, une [traduction] « minorité définie par l’âge est beaucoup moins susceptible d’être lésée par la majorité qu’une minorité définie par la race, la religion ou toute autre caractéristique que la majorité n’a jamais possédée et ne possédera jamais » (Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl. (feuilles mobiles)), vol. 2, p. 55‑66). Qui plus est, il est notable que notre Cour a constaté que les restrictions aux droits garantis au par. 15(1) — fondées sur l’âge — sont plus susceptibles de se justifier sur la base d’objectifs étatiques légitimes (voir, p. ex., McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 229, p. 297 et suiv., Stoffman c. Vancouver General Hospital, 1990 CanLII 62 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 483, p. 520‑531, Harrison c. Université de la Colombie‑Britannique, 1990 CanLII 61 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 451, p. 463‑464; voir aussi, dans la même veine, A.C. c. Manitoba (Director of Child and Family Services), 2009 CSC 30, [2009] 2 R.C.S. 181, par. 110).
[177]                     L’analyse de la justification doit être sensible au contexte des objectifs législatifs en cause (voir, p. ex., C. D. Bredt, « The Right to Equality and Oakes : Time for Change » (2009) 27 N.J.C.L. 59, p. 73). L’État doit non seulement identifier un objectif urgent et réel (Fraser, par. 125‑29), mais cet objectif doit également être examiné de manière à ne pas excuser le comportement de l’État entraînant les formes de discrimination les plus odieuses. Comme le juge Iacobucci, dissident, l’a expliqué dans Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 513, « l’objectif inconstitutionnel ne pourra pas sauvegarder une loi au regard de l’article premier » (par. 210; voir aussi Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493, par. 115‑16). Lors de l’examen du caractère urgent et réel de l’objectif, par exemple, l’objectif avoué de [traduction] « léser ou de dégrader » un groupe serait clairement illégitime (V. C. Jackson, « Proportionality and Equality », dans V. C. Jackson et M. Tushnet, dir., Proportionality : New Frontiers, New Challenges (2017), 171, p. 175).
[178]                     Cela n’exclut toutefois pas les limites qui « prom[euvent] d’autres valeurs et principes » (M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3, par. 107 (souligné dans l’original); D. Proulx, « Droit à l’égalité », dans JurisClasseur Québec — Collection droit public — Droit constitutionnel (feuilles mobiles), vol. 2, par S. Beaulac et J.‑F. Gaudreault‑DesBiens, dir., fasc. 9, no 6 et 47). À l’étape du lien rationnel, la question principale est de savoir si la discrimination prima facie en cause favorise la réalisation des objectifs législatifs légitimes (voir Egan, par. 191‑198, le juge Iacobucci, dissident; M. c. H., par. 109‑116; Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, [2018] 1 R.C.S. 522, par. 44; Ontario c. G, par. 73).
[179]                     S’il est possible de surmonter ces obstacles, une marge d’appréciation est accordée au législateur dans le choix des moyens pour réaliser ses objectifs (Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 439‑440, la juge en chef McLachlin, motifs concordants, et par. 401‑405, la juge Deschamps, dissidente en partie; Centrale, par. 45‑50). Les moyens doivent se situer à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables que peut prendre une législature pour atteindre ses objectifs de la manière la moins attentatoire possible (RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 93‑94). Enfin, les avantages des objectifs législatifs doivent, bien entendu, l’emporter sur leurs effets préjudiciables (Centrale, par. 51‑54).
III.         La restriction du par. 15(1) se justifie au regard de l’article premier
[180]                     Tenant compte de ces principes, j’aborde la question constitutionnelle en cause. L’avis de question constitutionnelle résume ce qui préoccupe précisément C.P. au sujet du rapport entre le par. 37(10) de la LSJPA et le par. 15(1) de la Charte, et il le relie à l’al. 691(1)a) du Code criminel :
                        [traduction] Le paragraphe 37(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, viole‑t‑il le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés en faisant preuve de discrimination inacceptable à l’égard des adolescents dans la mesure où il vise à nier à un adolescent dont la déclaration de culpabilité a été confirmée à la majorité par la cour d’appel l’avantage procédural d’un appel de plein droit à la Cour suprême du Canada en vertu de l’al. 691(1)a) du Code criminel, alors que cet avantage est accordé à un contrevenant adulte qui se trouve dans une situation semblable?
[181]                     Pour ce qui est des appels concernant des actes criminels dans les affaires impliquant des adolescents, la LSJPA incorpore les dispositions du Code criminel relatives aux appels (LSJPA, par. 37(1)). À l’instar d’un adulte, un adolescent reconnu coupable d’un acte criminel et dont la condamnation est confirmée à l’unanimité par la cour d’appel peut interjeter appel sur autorisation à notre Cour sur toute question de droit (Code criminel, al. 691(1)b)). Or, comme le par. 37(10) de la LSJPA prévoit que l’arrêt d’une cour d’appel à l’endroit d’un adolescent n’est pas susceptible d’appel devant notre Cour sauf sur autorisation, les adolescents, contrairement aux adultes, n’ont pas le droit automatique d’interjeter appel devant notre Cour d’une déclaration de culpabilité relativement à un acte criminel qui a été confirmée en cour d’appel lorsqu’il y a dissidence sur une question de droit (Code criminel, al. 691(1)a)). La question constitutionnelle soumise à la Cour n’intéresse que cette voie d’appel prévue à l’al. 691(1)a). C’est donc ce cas précis de discrimination prima facie fondée sur l’âge que doit justifier la Couronne.
[182]                     Bien que la question constitutionnelle soit débattue pour la première fois devant notre Cour, il convient de noter qu’elle a trait aux procédures propres au présent tribunal et, comme la Couronne l’a souligné dans son argumentation à l’appui de la constitutionnalité du par. 37(10), met en jeu la connaissance institutionnelle particulière qu’a la Cour du processus d’autorisation (m.i., par. 38). En effet, dans un cas comme celui qui nous occupe, où un texte législatif qui restreint le droit à l’égalité dans le système de justice pénale est examiné au regard de l’article premier, le « savoir et le discernement » qu’ont les juges au sujet du fonctionnement des tribunaux leur permet de se prononcer « de façon beaucoup plus sûre » que dans d’autres contextes au moment de décider si la limite se justifie dans le cadre d’une société libre et démocratique (McKinney, p. 305). Je signale également que le procureur général du Canada est intervenu en l’espèce et a présenté des arguments sur l’article premier de la Charte afin de justifier une disposition adoptée par le Parlement.
A.           Objectif urgent et réel
[183]                     C.P. n’accepte pas que le par. 37(10) de la LSJPA vise un objectif urgent et réel (m.a., par. 92; transcription, p. 41). Soit dit en tout respect, je ne partage pas cet avis.
[184]                     Selon la déclaration de principes qui figure à l’art. 3 de la LSJPA, le système de justice pénale pour les adolescents est conçu notamment pour favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale des adolescents en matière criminelle. L’alinéa 3(1)b) de la LSJPA dispose que le système de justice pénale pour les adolescents doit mettre l’accent sur « (i) leur réadaptation et leur réinsertion sociale, [. . .] (iv) la prise de mesures opportunes qui établissent clairement le lien entre le comportement délictueux et ses conséquences, et (v) la diligence et la célérité avec lesquelles doivent intervenir les personnes chargées de l’application de la présente loi, compte tenu du sens qu’a le temps dans la vie des adolescents ».
[185]                     Bien que la cause ne portait pas sur des enjeux de constitutionnalité, dans l’arrêt R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012, le juge Sopinka a reconnu que la politique favorisant le règlement et la réadaptation rapides était servie par une disposition analogue en matière d’appel dans la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y‑1 (p. 1016; m.i., par. 16 et 27; m.i. du PGC, par. 12). De même, dans le cas du par. 37(10) de la LSJPA, je conviens avec le procureur général du Canada que [traduction] « prévoir des appels sur autorisation plutôt que des appels de plein droit favorise le règlement rapide des affaires impliquant des adolescents pour pouvoir amorcer le stade de la réadaptation » (par. 54).
[186]                     La rapidité revêt une importance particulière pour les adolescents. Les chercheurs spécialistes de la justice pour les adolescents ont observé dans ce contexte que les adolescents ont une perception du temps différente de celle des adultes et ont une mémoire moins bien développée qu’eux (N. Bala et S. Anand, Youth Criminal Justice Law (3e éd. 2012), p. 144). La rapidité renforce le lien entre les actes et leurs conséquences, réduit l’impact psychologique, évite le sentiment d’injustice potentielle, et promeut l’intérêt sociétal à voir les adolescents réadaptés et réinsérés dans la société le plus rapidement possible (R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, par. 51‑52 et 54‑55). On a donc affirmé que [traduction] « [l]’efficacité du processus de justice juvénile dépend au moins en partie de sa rapidité » (J. A. Butts, G. R. Cusick et B. Adam, Delays in Youth Justice (2009), p. 8; voir aussi ministère de la Justice, Comité sur la délinquance juvénile, Délinquance juvénile au Canada : rapport du Comité du ministère de la Justice sur la délinquance juvénile (1965), p. 168-169).
[187]                     À la lumière de ce qui précède, je n’ai aucune difficulté à conclure que la promotion de la rapidité, de la réadaptation précoce et de la réinsertion sociale dans les affaires criminelles impliquant des adolescents est un objectif urgent et réel.
B.            Lien rationnel
[188]                     Une inférence raisonnable que le par. 37(10) de la LSJPA aidera à réaliser l’objectif urgent et réel est suffisante pour établir un lien rationnel (Canada (Procureur général) c. JTI‑Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610, par. 40; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 143).
[189]                     C.P. affirme que le par. 37(10) de la LSJPA n’a aucun lien avec l’objectif urgent et réel consistant à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale. Le temps nécessaire pour traiter et trancher une demande d’autorisation, dit‑il, n’est pas sensiblement plus court que le temps pour entendre et trancher un appel de plein droit et, si l’autorisation est accordée, le temps total est plus long qu’un appel de plein droit.
[190]                     Je m’inscris en faux contre cet argument. Le par. 37(10) de la LSJPA a un lien rationnel avec l’objectif pertinent. En exigeant l’autorisation dans les circonstances où il y aurait autrement des appels de plein droit, cette disposition sert l’objectif de rapidité. L’obligation d’obtenir l’autorisation peut fort bien servir de mesure dissuasive contre un appel non fondé. En outre, les demandes d’autorisation d’appel sont généralement tranchées plus rapidement que les appels. En moyenne, notre Cour prend environ quatre mois pour statuer sur les demandes d’autorisation d’appel (Cour suprême du Canada, Rétrospective annuelle 2020 (2021), p. 34). À l’inverse, il faut en moyenne huit mois pour que notre Cour entende une cause après l’octroi de l’autorisation ou le dépôt de l’avis d’appel de plein droit. Si l’appel est mis en délibéré, le temps continuera de s’écouler avant que l’arrêt soit rendu. Comme le plaide le procureur général du Canada, le processus d’autorisation d’appel peut mettre fin rapidement aux procédures des demandeurs dont les appels potentiels sont dénués de fondement (par. 55). On rejettera ces demandes d’autorisation d’appel, plutôt que de procéder à un appel en bonne et due forme. Ainsi, et bien qu’il faille reconnaître que le temps épargné ne soit pas toujours substantiel, le par. 37(10) de la LSJPA a un lien rationnel avec l’objectif de favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale. Lorsque C.P. soutient que le par. 37(10) [traduction] « ne fait quasiment rien » (m.a., par. 90) pour atteindre l’objectif de règlement rapide du processus décisionnel à l’égard des adolescents afin de faciliter la réadaptation, il ne nie pas l’existence d’un lien rationnel, mais soulève un argument qui est mieux examiné à la dernière étape de l’analyse de la proportionnalité.
[191]                     Je reconnais que la procédure d’appel peut s’avérer plus longue en moyenne pour les adolescents dont la demande d’autorisation d’appel devant notre Cour est accueillie, que dans un scénario où il n’y a aucune obligation d’obtenir pareille autorisation.
[192]                     La comparaison que propose C.P. est toutefois difficile à faire. Quand la Cour accorde l’autorisation, elle le fait en présumant tacitement que l’appel proposé est défendable ou que la question de droit nécessite l’encadrement de la Cour. Aucune présomption de ce type n’intervient dans le cas d’un appel de plein droit. Ajoutons que, lorsque l’autorisation est accordée, l’appelant n’est pas forcément tenu de ne débattre que de la question de droit étroite soulevée par le juge dissident de la cour d’appel comme dans le cas d’un appel de plein droit. À moins que notre Cour restreigne les questions qui seront débattues, il est généralement admis que l’autorisation est octroyée pour l’ensemble de l’appel (R. c. Keegstra, 1995 CanLII 91 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 381, par. 28). La comparaison est dès lors difficile.
[193]                     Mais quoi qu’il en soit, l’argument de C.P., en ce qui concerne les appels auxquels la Cour attribue un certain bien‑fondé à première vue à l’étape de l’autorisation, n’empêche pas de conclure que le par. 37(10) de la LSJPA a un lien rationnel avec l’objectif législatif. Le paragraphe 37(10) de la LSJPA vise à amener une conclusion rapide aux dossiers où il n’y a aucune raison d’entendre l’appel qui soulève une question de droit dénuée de fondement. Cela est largement analogue au pouvoir qu’ont les cours d’appel de rejeter sommairement un appel de plein droit soulevant une question de droit frivole sans procéder à une audition complète sur le fond (Code criminel, par. 685(1)). Le paragraphe 37(10) de la LSJPA aide par conséquent à réaliser l’objectif législatif qui consiste à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale dans les affaires criminelles impliquant des adolescents.
C.            Atteinte minimale
[194]                     À cette étape de l’analyse, il s’agit de savoir si le par. 37(10) de la LSJPA appartient à une gamme de solutions raisonnables qui s’offrent au Parlement pour atteindre son objectif. Comme l’a expliqué la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Québec c. A, cette marge d’appréciation accordée au législateur est particulièrement importante lorsque la mesure en question tente d’établir un équilibre entre des valeurs sociales légitimes mais opposées (par. 439). Dans cette affaire, la législature provinciale a cherché à atteindre un équilibre entre, d’une part, le traitement égal des droits patrimoniaux et du soutien alimentaire dans les relations conjugales et, d’autre part, la liberté d’une personne de se marier ou de contracter une union civile ou non. D’après la juge en chef McLachlin, la question que la Cour doit se poser est de savoir si « l’atteinte qui découle de la loi va trop loin par rapport à l’objectif du législateur » (par. 442 (en italique dans l’original)). De même, en l’espèce, le Parlement a décidé d’établir un équilibre entre les différents objectifs sociaux mentionnés dans la déclaration de principes au moment de concevoir un système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA, art. 3). Il s’agit de savoir si, en imposant l’obligation d’obtenir une autorisation au par. 37(10), le Parlement va trop loin pour atteindre son objectif consistant à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale dans les affaires criminelles impliquant des adolescents.
[195]                     Selon C.P., le par. 37(10) de la LSJPA ne porte pas une atteinte minimale car le processus d’autorisation d’appel ne peut remplacer l’appel de plein droit. Je reconnais qu’imposer l’obligation d’obtenir l’autorisation pour un appel par ailleurs fondé pourrait créer un risque d’erreur judiciaire qui est absent dans le cas des adultes pouvant interjeter appel de plein droit. Les adolescents doivent d’abord convaincre notre Cour d’accorder l’autorisation avant que leur appel ne soit entendu sur le fond, alors qu’ils sont au moins aussi vulnérables à une déclaration de culpabilité injustifiée. J’estime toutefois que le processus d’autorisation d’appel s’avère un rempart efficace contre les erreurs judiciaires et qu’il suffit à remplir l’exigence d’atteinte minimale.
[196]                     Notre Cour exerce son pouvoir en matière d’autorisation de manière à pouvoir entendre des appels qui soulèvent un risque d’erreur judiciaire. Je prends acte des commentaires selon lesquels, en règle générale, l’autorisation d’appel est accordée exceptionnellement (M. Vauclair et T. Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales (27e éd. 2020), par. 341), et [traduction] « [l]e critère le plus important qui détermine le succès ou l’échec d’une demande d’autorisation est l’importance pour le public des questions qu’elle soulève » (E. Meehan et autres, Supreme Court of Canada Manual : Practice and Advocacy (feuilles mobiles), p. 3‑3). Les auteurs reconnaissent toutefois depuis longtemps que le concept d’« importance pour le public » ne signifie pas nécessairement que la question soulevée dans la demande a un impact considérable sur le droit en matière criminelle, comme le fait remarquer la Couronne (m.i., par. 39). Dans des propos tenus lors d’une allocution, le juge Sopinka a souligné qu’en matière criminelle, le critère de l’importance pour le public [traduction] « n’est pas appliqué aussi strictement. Si le demandeur n’a pas bénéficié d’un procès équitable ou a peut‑être été déclaré coupable à tort, nous pourrions accorder l’autorisation d’appel même en l’absence d’une question de droit “époustouflante” » (Meehan, p. 3‑4 à 3‑4.1, citant une allocution prononcée le 10 avril 1997 par le juge Sopinka). Ce principe a été corroboré par le juge Iacobucci, celui‑ci écrivant dans un article de doctrine que [traduction] « même dans les cas où il n’y a pas eu de dissidence ou d’annulation d’un acquittement en cour d’appel, l’autorisation d’appel est souvent accordée dans les affaires criminelles vu que celles‑ci sont fréquemment considérées comme soulevant des questions d’importance pour le public, car elles mettent en jeu la liberté de l’intéressé » (F. Iacobucci, « The Supreme Court of Canada : Its History, Powers and Responsibilities » (2002), 4 J. App. Prac. & Process 27, p. 34‑35).
[197]                     La question constitutionnelle en l’espèce nous oblige à examiner un seul cas de figure : celui où un adolescent reconnu coupable d’un acte criminel et dont la déclaration de culpabilité est confirmée par la cour d’appel sollicite l’autorisation de se pourvoir en appel devant notre Cour. À l’instar d’un adulte, l’adolescent peut interjeter appel sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident. Contrairement à un adulte, l’adolescent doit obtenir l’autorisation d’exercer son droit d’appel par l’effet du par. 37(10).
[198]                     Aux dires de C.P., cette règle constitue une restriction de son droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) qui ne saurait se justifier au regard de l’article premier. Il soutient — tout comme l’intervenante la Criminal Lawyers’ Association (Ontario) (« CLA ») — que, lorsque la question de droit sur laquelle porte la dissidence est un verdict déraisonnable, l’obligation additionnelle d’obtenir une autorisation risque sérieusement d’entraîner le rejet de la demande d’autorisation, car la question de droit ne sera pas perçue comme étant une d’« importance pour le public ».
[199]                     La CLA affirme [traduction] « qu’un test d’“importance pour le public” suppose que les questions de droit en jeu doivent transcender le différend entre les parties » (m.i., par. 12). D’après l’intervenante, bien qu’un verdict déraisonnable constitue une question de droit, il ne soulève habituellement pas de question qui transcende le différend entre les parties. En général, un appel fondé sur une dissidence suivant laquelle un verdict est déraisonnable ne soulèverait pas un point de droit nouveau ou non résolu qui nécessite l’encadrement de notre Cour. En conséquence, soutient l’intervenante, « la Cour n’examinera pas en grande partie une déclaration de culpabilité déraisonnable, et les erreurs sur lesquelles les cours d’appel provinciales ne parviennent pas à s’entendre ne seront pas corrigées. Des condamnations injustifiées en résulteront » (par. 2).
[200]                     Je ne souscris pas à cet argument. Ce risque de déclarations de culpabilité injustifiées décrié par C.P. et la CLA repose sur une mauvaise compréhension du processus d’autorisation d’appel.
[201]                     À mon avis, il faut interpréter le critère d’importance pour le public dans ce contexte comme étant mis en jeu non seulement par des questions de droit d’importance jurisprudentielle qui constituent des questions d’importance pour le public, mais aussi par celles qui soulèvent de sérieuses questions de droit quant au caractère sûr du verdict en matière criminelle. La question d’une condamnation injustifiée transcende le défendeur concerné et met en jeu l’intégrité de notre système de justice dans son ensemble, soulevant par le fait même des questions d’importance pour le public lorsqu’il s’agit d’octroyer l’autorisation d’appel.
[202]                     À titre d’exemple, je note que, dans R. c. Hay, 2010 CSC 54, [2010] 3 R.C.S. 206, le défendeur a sollicité l’autorisation d’interjeter appel devant notre Cour au motif que le verdict de culpabilité était déraisonnable (par. 1). S’exprimant au nom de la formation de trois juges, le juge Cromwell a conclu qu’il était dans l’intérêt de la justice d’ordonner la communication de certaines pièces pour les besoins de cette demande d’autorisation, étant donné l’importance que peut avoir cette preuve à l’égard de la question du verdict déraisonnable (par. 9). Finalement, l’autorisation d’appel a été accordée, les nouveaux éléments de preuve liés aux pièces communiquées ont été admis, et l’appel a été accueilli pour ce motif (R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694, par. 74‑75 et 78). Ces procédures tendent fortement à indiquer que notre Cour est à l’affût des questions de verdict déraisonnable à l’étape de l’autorisation d’appel même si ces questions ne revêtent pas nécessairement une grande importance juridique qui transcende les intérêts des parties au‑delà de la possibilité qu’il y ait une condamnation injustifiée. Notre Cour est sans aucun doute préoccupée par la possibilité d’erreurs judiciaires (voir, p. ex., R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 26), et on peut s’attendre à ce qu’elle exerce son pouvoir pour octroyer l’autorisation en conséquence.
[203]                     J’ajoute que, dans l’arrêt R. c. R. (R.), 2008 ONCA 497, 90 O.R. (3d) 641, le juge Doherty a examiné l’autorisation de se pourvoir en appel devant une cour d’appel provinciale d’une décision confirmant une déclaration de culpabilité par procédure sommaire et, ce faisant, il a établi un parallèle avec la faculté de notre Cour d’accorder l’autorisation d’appel dans les cas d’actes criminels (par. 20). Il a notamment expliqué que l’intérêt de la justice nécessite l’octroi de l’autorisation lorsqu’il y a de [traduction] « fortes chances » qu’une erreur de droit de la juridiction inférieure ait entraîné la confirmation de la déclaration de culpabilité (par. 34). De la même manière, j’estime que notre Cour a le pouvoir d’accorder l’autorisation d’appel dans une affaire criminelle impliquant un adolescent lorsque la demande d’autorisation d’appel soulève le risque qu’une erreur judiciaire surviendra si l’appel n’est pas entendu et si l’appel proposé a une chance raisonnable de succès.
[204]                     De fait, en qualité de gardien des droits reconnus par la Charte (Hunter c. Southam Inc, 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169), notre Cour a non seulement la faculté d’exercer son pouvoir d’accorder l’autorisation d’appel en tenant compte de ces droits et des principes de justice fondamentale, mais elle a également, à mon avis, l’obligation de le faire.
[205]                     Je souligne aussi que notre Cour a la capacité institutionnelle de relever les erreurs judiciaires potentielles par le truchement du processus d’autorisation d’appel. Dans une demande d’autorisation, le demandeur doit déposer non seulement les décisions des juridictions inférieures et l’argumentation, mais aussi tout extrait pertinent de la transcription ou de la preuve, y compris les pièces, sur lesquels il compte s’appuyer (Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, par. 25(1)). Ces documents doivent être déposés à la Cour électroniquement, en plus de leurs versions imprimées (par. 26(1)), et, selon les Lignes directrices pour la préparation des documents à déposer à la Cour suprême du Canada (versions imprimée et électronique), 27 janvier 2021 (en ligne), il doit être possible d’effectuer des recherches dans le document déposé électroniquement. Le résultat global est que la preuve pertinente au dossier, entre autres, pour avancer un argument fondé sur un verdict déraisonnable peut être déposée à l’étape de l’autorisation.
[206]                     En outre, je rappelle que l’appel de plein de droit dont aurait bénéficié C.P. s’il avait été un adulte ne peut être interjeté que dans les cas où il y a dissidence en cour d’appel sur une question de droit. Les motifs de cette dissidence seront explicitement consignés dans le jugement formel en application de l’art. 677 du Code criminel. Dans ces circonstances, l’attention de la Cour est attirée non seulement sur la dissidence, mais aussi sur la question de droit en raison de laquelle le juge dissident serait arrivé à un résultat différent. En décidant si un appel proposé répond aux critères d’autorisation, notre Cour considérera évidemment, d’un point de vue pratique, la présence d’une dissidence en cour d’appel comme un signe que l’appel pourrait bien avoir une chance raisonnable de succès. Dans une certaine mesure, on pourrait être enclin à dire que la présence même d’une dissidence est une sorte de drapeau rouge; elle sert à signaler le sérieux possible de l’appel pour lequel l’autorisation est demandée. En fait, une étude des décisions sur demande d’autorisation d’appel rendues entre 1993 et 1995 a révélé qu’une [traduction] « voix dissidente en cour d’appel inférieure capte aussi l’attention de la Cour; il existe un rapport important et positif entre les dissidences et les décisions sur demande d’autorisation » (R. B. Flemming, Tournament of Appeals : Granting Judicial Review in Canada (2004), p. 70; voir aussi p. 10). Le processus d’autorisation d’appel offre donc une protection efficace aux adolescents dans les cas où un adulte se trouvant dans une situation similaire pourrait interjeter un appel de plein droit en vertu de l’al. 691(1)a).
[207]                     Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision du Parlement d’imposer l’obligation d’obtenir une autorisation dans ces circonstances en vue d’atteindre l’objectif consistant à favoriser la rapidité, la réadaptation précoce et la réinsertion sociale dans les affaires de justice pénale impliquant des adolescents porte atteinte de façon minimale au droit garanti par le par. 15(1).
D.           Proportionnalité générale
[208]                     La dernière question à trancher est de savoir si la Couronne s’est acquittée de son fardeau de démontrer que les avantages offerts par le par. 37(10) de la LSJPA l’emportent sur ses effets préjudiciables. Dans la présente affaire, la Cour doit mettre en balance les avantages de la conclusion en temps opportun des affaires criminelles impliquant des adolescents et l’effet discriminatoire de l’imposition de l’obligation d’obtenir l’autorisation d’appel dans les cas où des adultes peuvent interjeter appel de plein droit.
[209]                     Le paragraphe 37(10) de la LSJPA s’attaque au préjudice accru associé à un examen en appel structurellement long. Comme l’a fait remarquer le juge Doherty dans l’arrêt R. (R.), [traduction] « des procédures d’appel prolongées nuisent à la rapidité et au caractère définitif des verdicts en droit criminel. Les décisions rendues en matière criminelle dans le climat neutre et raréfié de la cour d’appel, des années après les faits pertinents, par un tribunal qui n’a pratiquement aucun lien avec le lieu ou les gens touchés par les allégations ne sont pas le moyen idéal de régler des affaires criminelles » (par. 16). La rapidité est un objectif particulièrement important de la justice pénale pour les adolescents et elle présente des avantages éprouvés et reconnus depuis longtemps (K.J.M., par. 51‑52 et 54‑55), et le par. 37(10) de la LSJPA confère ces avantages en permettant à notre Cour de filtrer les appels dépourvus de fondement à l’étape de l’autorisation. Comme je l’ai déjà souligné, le processus d’autorisation se termine en moyenne plus rapidement que l’audition d’un appel de plein droit.
[210]                     Cet avantage doit être mis en balance avec les effets préjudiciables de la discrimination prima facie. En l’espèce, il s’agit du fait que les adolescents dont la déclaration de culpabilité relative à un acte criminel est confirmée par une cour d’appel, quoiqu’avec une opinion dissidente sur une question de droit, doivent solliciter l’autorisation d’interjeter appel devant notre Cour.
[211]                     Je reconnais que l’appel de plein droit devant notre Cour a été qualifié de « très significatif » (Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑53, no 1, 2e sess., 33e lég., 5 octobre 1987, p. 17 (Robert Kaplan)). Il est sans doute vrai que notre Cour demeure compétente, à titre de ce qu’on appelle une « cour d’erreur », sur certaines questions de droit en matière criminelle. Mais, lorsqu’on le compare au droit d’appel sur autorisation, le rôle différent que joue l’appel de plein droit ne doit pas être exagéré. Comme le souligne la Couronne, le par. 37(10) de la LSJPA ne nie pas à un adolescent la possibilité de faire appel devant notre Cour (m.i., par. 38). Il accorde aux adolescents la faculté de demander l’autorisation d’appel en suivant le processus décrit précédemment. Même si l’autorisation est requise, notre Cour est avisée du fait que la dissidence d’un juge de la cour d’appel soulève un doute, dans l’esprit de ce juge, au sujet du caractère sûr du verdict et peut mesurer la gravité de l’argument selon lequel il y a eu une erreur judiciaire. Le processus d’autorisation d’appel permet à notre Cour d’identifier les cas où il est raisonnablement possible qu’un appel permette de corriger une erreur judiciaire, et d’y accorder l’autorisation.
[212]                     Pour résumer sur ce point, je rappelle que le Parlement, au moment d’adopter le par. 37(10) de la LSJPA, n’a pas choisi d’enlever à un adolescent l’accès à notre Cour; il a seulement ajouté l’obligation d’en obtenir l’autorisation. Au moment de statuer sur la demande d’autorisation, notre Cour disposera des motifs exposés par le juge dissident en cour d’appel sur la question de droit, isolée par l’art. 677 du Code criminel. La Cour aura le mémoire au soutien de la demande d’autorisation et les documents nécessaires à l’appui, y compris la preuve présentée au procès, qui permettra à la Cour de décider si la question de droit donne naissance à un appel méritoire. Surtout, et contrairement à ce que C.P. et certains des intervenants ont soutenu devant nous, les critères d’octroi de l’autorisation qui s’appliquent dans les affaires criminelles impliquant des adolescents indiquent que, lorsque la liberté de l’adolescent est en jeu, un appel méritoire à première vue sur la question de droit — y compris un argument selon lequel le verdict est déraisonnable — répondrait à la norme de l’importance pour le public même si l’affaire, à sa face même, ne transcende pas les intérêts des parties au chapitre de l’importance jurisprudentielle. Si la demande d’autorisation révèle une chance raisonnable de succès en pareilles circonstances, notre Cour peut l’accueillir.
[213]                     Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis persuadé que le processus d’autorisation offre une protection aux adolescents dans les cas où un adulte pourrait interjeter appel de plein droit. Il était loisible au Parlement de chercher une voie législative qui accorde plus d’importance à l’effet préjudiciable causé par des procédures d’appel plus longues et dépourvues d’utilité tout en maintenant la possibilité de former des appels méritoires au moyen du processus d’autorisation.
[214]                     Pour ces motifs, je conclus que les avantages au plan de la rapidité l’emportent sur les effets préjudiciables de la discrimination prima facie en cause. Tout risque accru d’erreur judiciaire qu’entraîne l’obligation de demander l’autorisation d’appel dans les circonstances dont fait état l’avis de question constitutionnelle est réduit au minimum par le processus d’autorisation d’appel. Imposer l’obligation de solliciter l’autorisation dans la poursuite des objectifs plus généraux de la justice pénale pour les adolescents concorde avec la place qu’occupe l’égalité dans une société libre et démocratique.
IV.         Conclusion
[215]                     Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
[216]                     En réponse à la question constitutionnelle soulevée dans la présente affaire, je conclus que le par. 37(10) de la LSJPA ne viole pas l’art. 7 de la Charte. Il constitue une restriction du par. 15(1) de la Charte, mais il s’agit d’une restriction qui se justifie au regard de l’article premier. Par conséquent, je conclus que le par. 37(10) de la LSJPA est constitutionnellement valide.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    La juge Côté —
I.               Aperçu
[217]                     Il s’agit d’un pourvoi interjeté contre un verdict de culpabilité pour agression sexuelle prononcé par la juge Crosbie de la Cour de justice de l’Ontario. L’appelant, C.P., avait 15 ans au moment des faits et a donc subi son procès sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1.
[218]                     Il n’était pas contesté que C.P. avait eu des rapports sexuels avec la plaignante, R.D., alors âgée de 14 ans, lors d’une fête à la plage où les deux avaient consommé de l’alcool. Comme R.D. n’avait aucun souvenir des rapports sexuels, elle ne pouvait fournir une preuve directe qu’elle n’était pas consentante. La question centrale dans cette affaire était donc de savoir si R.D. était trop intoxiquée au moment des rapports sexuels pour consentir, et non de savoir si elle avait ou non effectivement consenti. Pour répondre à cette question, il était essentiel de déterminer avec précision à quel moment les rapports sexuels avaient eu lieu. S’ils avaient eu lieu tôt dans la soirée, alors que R.D. ne faisait que commencer à ressentir les effets de l’alcool qu’elle consommait, la capacité de consentir pouvait être inférée. Cependant, s’ils avaient eu lieu plus tard dans la soirée, alors que R.D. était très intoxiquée, il était loisible à la juge du procès d’inférer que R.D. était incapable de consentir.
[219]                     La juge du procès (2017 ONCJ 277) a conclu que les rapports sexuels avaient eu lieu plus tard dans la soirée. Elle a donc conclu hors de tout doute raisonnable que R.D. était trop intoxiquée pour être capable de donner son consentement au moment des rapports sexuels et que C.P. avait connaissance de son incapacité.
[220]                     Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario (2019 ONCA 85, 373 C.C.C. (3d) 244) ont confirmé la déclaration de culpabilité de C.P. Le juge Nordheimer, dissident, aurait prononcé un acquittement. C.P. demande à notre Cour d’annuler sa déclaration de culpabilité et de prononcer un verdict d’acquittement. Subsidiairement, il nous demande d’ordonner un nouveau procès. Je suis d’accord avec C.P. que le verdict est déraisonnable.
[221]                     C.P. soutient également que le par. 37(10) de la LSJPA, qui prive les adolescents du droit d’appel automatique conféré aux adultes en présence d’une dissidence sur une question de droit en cour d’appel, viole les art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et que ces violations ne sont pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte. Comme une autorisation a été accordée en l’espèce et vu la conclusion que je tire sur le bien‑fondé du pourvoi, je ne me prononce pas sur les arguments relatifs à la Charte. Cependant, j’estime nécessaire de rappeler l’importance d’une dissidence sur une question de droit. Plus particulièrement, dans les affaires qui mettent en cause des adolescents, j’estime qu’une telle dissidence, surtout une forte dissidence comme celle du juge Nordheimer en l’espèce, indique clairement qu’un appel a un certain fondement et que la déclaration de culpabilité doit être revue.
[222]                     Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais le pourvoi, j’annulerais la déclaration de culpabilité et je prononcerais un acquittement.
II.            Contexte
[223]                     Le 23 avril 2016, plusieurs adolescents se sont réunis à l’extérieur d’un magasin de vins et spiritueux (« LCBO ») à Toronto afin de demander à des adultes d’y entrer et de leur acheter de l’alcool. Le groupe avait prévu apporter de l’alcool sur une plage située à proximité afin de célébrer l’anniversaire d’une certaine T. Dans ce groupe, il y avait notamment R.D. et C.P.
[224]                     R.D. et C.P. se connaissaient depuis environ deux mois. Passant souvent du temps ensemble dans un café en compagnie d’autres adolescents après l’école et les fins de semaine, ils s’étaient liés d’amitié.
[225]                     On ne sait pas exactement à quelle heure le groupe d’adolescents se trouvait à la LCBO. C.P. a témoigné être arrivé vers 20 h 30 ou 21 h et y être resté pendant environ 30 à 45 minutes, tandis que R.D. a dit qu’ils étaient à la LCBO vers 21 h ou 22 h. Quoi qu’il en soit, il n’est pas contesté que la LCBO fermait à 22 h et que le groupe ne peut donc être parti plus tard que ça.
[226]                     Après avoir obtenu des bouteilles de vodka pour la fête, le groupe d’adolescents s’est rendu à la plage. C.P. et R.D. ont marché ensemble pour se rendre au tramway menant dans cette direction. Ils se sont assis proches l’un de l’autre dans celui‑ci et ont parlé. En se dirigeant vers la plage, les adolescents buvaient à même les bouteilles, qu’ils s’échangeaient.
[227]                     Pour se rendre à la plage, ils devaient traverser un stationnement, puis descendre une pente raide. Quand ils sont arrivés à la plage, un groupe de jeunes plus âgés était déjà là et avait allumé un feu de camp. Le groupe de jeunes plus âgés a accepté de laisser les nouveaux venus se joindre à lui. Selon son amie G.G., R.D. n’était pas ivre lorsqu’ils sont arrivés à la plage.
[228]                     Là encore, on ne sait pas exactement à quelle heure le groupe d’adolescents est arrivé à la plage, bien que, selon la preuve, ce serait entre 22 h et 23 h. R.D. a dit aux policiers que le groupe était arrivé pendant cette période, et G.G. a témoigné que le groupe était arrivé vers 22 h 30. Le récit de C.P. concernant la durée du trajet entre la LCBO et la plage, qui n’a pas été rejeté par la juge du procès, fait état de la même période.
[229]                     C.P. et R.D. se sont assis ensemble sur un matelas près du feu. Ils ont parlé et bu ensemble. Après 15 à 20 minutes, ils ont commencé à s’embrasser avec la langue sur le matelas. Ils ont toutefois été interrompus lorsque quelques membres du groupe de jeunes plus âgés ont décidé de jeter le matelas dans le feu.
[230]                     Ayant été forcés de se déplacer, R.D. est allée s’asseoir près de rochers situés environ 5 à 10 pieds du feu et C.P. est allé parler avec un de ses amis pendant 5 minutes.
[231]                     R.D. n’a pas témoigné au procès et n’a jamais été contre‑interrogée. La Couronne a plutôt déposé une déclaration enregistrée sur bande vidéo que R.D. avait faite à la police ainsi qu’une transcription de cette déclaration. Dans sa déclaration, R.D. a dit aux policiers que ses souvenirs étaient flous, mais qu’elle se rappelait avoir embrassé C.P. sur le matelas jusqu’à ce qu’il soit jeté dans le feu et s’être assise près des rochers.
[232]                     C.P. a témoigné qu’il avait décidé de laisser son ami pour aller rejoindre R.D. près des rochers parce qu’il voulait continuer à l’embrasser. Selon C.P., ils ont repris là où ils s’étaient arrêtés. Malgré ses souvenirs supposément flous, R.D. se rappelait s’être étendue sous une couverture sur le sable près des rochers et avoir embrassé C.P.
[233]                     C.P. a ajouté qu’alors qu’ils s’embrassaient près des rochers, il avait commencé à toucher son entrejambe par‑dessus ses vêtements. Il a témoigné que R.D. lui avait alors demandé : [traduction] « Baise‑moi, [C.] ». C.P. a avoué avoir été pris par surprise, mais a précisé qu’il n’avait aucune raison de douter qu’elle voulait avoir des rapports sexuels avec lui. Comme ils s’étaient embrassés précédemment, cela pouvait sembler constituer l’aboutissement naturel de ce qui se passait entre eux.
[234]                     C.P. a témoigné qu’après que R.D. lui eut dit [traduction] « Baise‑moi, [C.] », il l’avait aidée à descendre son pantalon et avait eu des rapports sexuels avec elle. Il n’a pas utilisé de condom parce qu’il n’en avait pas. Il a affirmé que R.D. était consciente pendant toute la durée des rapports sexuels et qu’elle ne semblait pas être trop intoxiquée pour être en mesure de consentir. R.D. a dit à la police qu’elle ne se souvenait pas avoir eu des rapports sexuels, mais qu’elle se rappelait avoir remonté son pantalon après.
[235]                     Fait important, bien qu’il y ait eu une douzaine de personnes autour du feu, c’est‑à‑dire 5 à 10 pieds de l’endroit où les rapports sexuels ont eu lieu, la Couronne n’a pas appelé à la barre une seule personne qui en a été témoin et qui aurait pu dire au tribunal si R.D. était inconsciente ou simplement éméchée. Cela est étonnant étant donné qu’ils ont eu lieu à une distance de seulement 5 à 10 pieds et qu’ils ne doivent donc pas être passés inaperçus. En fait, un certain nombre de personnes ont discuté de cet « événement » entre eux cette soirée‑là et sur les médias sociaux le lendemain matin.
[236]                     C.P. a témoigné qu’après les rapports sexuels, il s’était levé pendant que R.D. remontait son pantalon. Comme je l’ai mentionné précédemment, bien que R.D. ait affirmé qu’elle ne se souvenait pas d’avoir eu des rapports sexuels avec C.P., elle se rappelait avoir remonté son pantalon.
[237]                     Il n’est pas contesté qu’E.G. est arrivée à la fête après les rapports sexuels, qu’elle a trouvé R.D. endormie avec des vomissures sur elle, et qu’à son réveil, R.D. avait de la difficulté à parler et ne cessait de dire qu’elle avait froid. Ce qui est contesté, cependant, c’est le moment où E.G. est arrivée par rapport au moment où ont eu lieu les rapports sexuels.
[238]                     D’une part, C.P. a témoigné que lorsqu’il s’est levé après avoir eu les rapports sexuels, il a entendu ses amis J. et E.G. arriver à la plage et a décidé d’aller leur parler, ce qu’il a fait pendant 10 à 15 minutes. C.P., J. et E.G. sont ensuite allés voir R.D. et l’ont trouvée en train de vomir. En réponse à une question suggestive posée par la Couronne en contre‑interrogatoire, C.P. a cependant convenu qu’E.G. est allée voir R.D. [traduction] « immédiatement »
[239]                     D’autre part, E.G., qui n’avait pas eu grand‑chose à boire cette soirée‑là, a témoigné au procès qu’elle est arrivée à la plage après le reste du groupe et qu’elle est allée voir R.D. immédiatement à son arrivée. Cependant, ce témoignage est incompatible avec la déclaration qu’elle a faite à la police selon laquelle elle avait bu un peu de la vodka qui restait, puis qu’elle était restée auprès de R.D. pour le reste de la soirée. Si elle est restée auprès de R.D. durant toute la soirée, le seul moment où elle aurait pu boire de la vodka est entre le moment où elle est arrivée à la plage et celui où elle a observé R.D. allongée et endormie, ce qui a pour effet d’élargir l’intervalle entre le moment où ont eu lieu les rapports sexuels et le moment où elle est allée voir R.D.
[240]                     E.G. a également affirmé que C.P. était très ivre quand elle est arrivée. D’après son témoignage, C.P. avait de la difficulté à marcher, ne cessait de se répéter et faisait des commentaires décousus.
[241]                     G.G., qui était à la plage cette soirée‑là, a confirmé que C.P. était très intoxiqué lors de la soirée en question. Elle a aussi témoigné que lorsqu’elle a quitté la fête vers minuit et demi, E.G. n’était pas encore arrivée. G.G. a ajouté que R.D. a commencé à vomir juste avant son départ.
[242]                     À 1 h 24 ou à 1 h 49, R.D. a eu une conversation téléphonique avec L.L., un autre adolescent qui n’était pas à la fête. L.L. a témoigné que R.D. peinait à articuler correctement au téléphone. Elle n’arrêtait pas non plus de s’excuser, mais il ne savait pas pourquoi. À cette époque, L.L. et R.D. se fréquentaient, mais ils ne formaient pas un couple officiel.
[243]                     Plus tard, les mères de trois des filles sont arrivées à la plage pour les ramener à la maison. On a aidé R.D. à gravir la pente menant au stationnement. Pendant que les mères rassemblaient les adolescents dans le stationnement, R.D. et C.P. ont été vus en train de s’étreindre : R.D. avait mis ses mains autour de la taille de C.P. et déposé sa tête sur son épaule. R.D. est ensuite montée dans le véhicule de la mère d’E.G.
[244]                     La mère d’E.G. n’a pas ramené R.D. chez elle. Il avait plutôt été décidé qu’elle serait amenée au domicile de G.G. La mère de cette dernière lui a donné du pain grillé et de l’eau, et lui a offert un lit. La mère de R.D. a ensuite été informée que sa fille allait rester chez G.G.
[245]                     Le lendemain matin, la mère de R.D. est venue la chercher chez G.G. et l’a ramenée à la maison. R.D. est retournée se coucher. Après s’être réveillée, elle a lu un message texte où l’une de ses amies lui disait qu’une photo d’elle endormie sous une couverture sur la plage circulait. Cette photo portait la mention [traduction] « [e]lle a baisé [C.] et a perdu conscience ». Humiliée, R.D. a dit à son amie : « Je veux mourir ». L.L., le garçon que R.D. fréquentait à cette époque, a aussi reçu le message. Visiblement vexé, il a transféré la photo à R.D. et lui a dit « T’as baisé [C.]. C’est pour ça que j’en ai fini avec toi ». R.D. a répondu : « Pourtant je ne m’en souviens pas ».
[246]                     Alarmée par la situation, R.D. a appelé sa mère pour que celle‑ci vienne la rejoindre à son lit et elle l’a mise au courant de la rumeur. La mère de R.D. a fourni une preuve par double ouï‑dire[7] selon laquelle sa fille R.D. lui avait dit que quelques‑uns de ses amis disaient que C.P. avait eu des rapports sexuels avec elle alors qu’elle était inconsciente sur la plage; du moins, c’est ainsi que la mère de R.D. interprétait la situation. Il convient cependant de noter qu’aucun des messages textes que R.D. a reçus ce matin‑là ne mentionnait le fait que C.P. avait eu des rapports sexuels avec elle alors qu’elle était inconsciente. Le message indiquait plutôt qu’elle avait eu des rapports sexuels avec C.P. et qu’elle avait ensuite perdu conscience.
[247]                     La mère de R.D. a décidé d’amener sa fille à l’hôpital pour qu’elle se fasse examiner. Le personnel médical a fait un prélèvement sur R.D et a trouvé de l’ADN, dont il a plus tard été confirmé qu’il correspondait à celui de C.P. R.D. a initialement refusé de signaler l’incident à la police. Sa mère a toutefois réussi à la convaincre de le faire en lui disant, entre autres, que le fait de ne pas le signaler reviendrait à cautionner le fait que C.P. avait eu des rapports sexuels avec elle alors qu’elle était inconsciente, même si R.D. ne pouvait pas confirmer que cela s’était effectivement passé alors qu’elle était dans cet état et que les messages textes indiquaient en fait le contraire. Lorsqu’elle a fait sa déclaration à la police plus tard dans la journée après être allée à l’hôpital, on lui a demandé si elle avait voulu avoir des rapports sexuels avec C.P. et elle a répondu : [traduction] « je ne m’en souviens pas donc, je ne, je ne pense pas ».
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour de justice de l’Ontario, 2017 ONCJ 277 (la juge Crosbie)
[248]                     La juge du procès a souligné qu’il n’était pas contesté que C.P. avait eu des rapports sexuels avec R.D. Comme, en raison de son absence de souvenirs, R.D. ne pouvait pas affirmer dans son témoignage ne pas avoir communiqué son consentement, la théorie de la Couronne reposait sur la thèse selon laquelle son intoxication l’avait de toute façon rendue incapable de consentir. La Couronne devait donc prouver les éléments suivants hors de tout doute raisonnable : (1) R.D. était trop intoxiquée pour consentir; (2) C.P. savait que R.D. n’aurait pas pu donner son consentement; (3) C.P. n’avait pas de croyance sincère mais erronée au consentement. La juge a conclu que tous ces éléments avaient été établis hors de tout doute raisonnable et elle a déclaré C.P. coupable d’agression sexuelle.
(1)         Actus reus — Incapacité de R.D. à consentir
[249]                     La juge du procès a reconnu à juste titre que le moment où les rapports sexuels ont eu lieu au cours de la soirée était un élément crucial en vue de déterminer si R.D. était trop intoxiquée pour consentir :
                    [traduction] Si les rapports sexuels ont eu lieu plus près du moment où le groupe est arrivé — c’est‑à‑dire alors que R.D. consommait de l’alcool, mais n’en ressentait pas encore des effets considérables —, la Couronne pourrait fort bien avoir plus de difficulté à prouver que R.D. n’avait pas la capacité de consentir. Cependant, plus tard ceux‑ci ont eu lieu, c’est‑à‑dire alors que R.D. dormait, était immobile, était incompréhensible et vomissait, plus il est probable que la Couronne soit en mesure de prouver que R.D. n’avait pas la capacité minimale requise pour consentir. [Je souligne; par. 90 (CanLII).]
Autrement dit, la question était de savoir combien de temps après les rapports sexuels les amis de R.D. avaient trouvé celle‑ci dans un état d’intoxication extrême. Si la Couronne était incapable d’établir hors de tout doute raisonnable que les rapports sexuels avaient eu lieu peu avant le moment où E.G. avait vu R.D., il ne serait pas possible de prononcer une déclaration de culpabilité.
[250]                     Quoiqu’elle ait bien compris l’importance du moment où ont eu lieu les rapports sexuels pendant la soirée, la juge du procès a reconnu que la preuve était insuffisante pour lui permettre de déterminer approximativement celui‑ci :
                        [traduction] Au fil du procès, il a semblé qu’il y avait absence de clarté quant au moment où l’activité sexuelle avait eu lieu. Comme l’a montré l’examen de la preuve, les témoins de la Couronne n’ont été en mesure que d’estimer vers quel moment le groupe est arrivé à la plage. E.G. et G.G. n’ont pas été témoins d’une quelconque activité sexuelle et ne pouvaient donc pas aider à déterminer avec précision à quel moment elle a eu lieu. R.D. avait des fragments de souvenirs, mais n’était certainement pas en mesure de préciser le moment de l’incident. [Je souligne; par. 90.]
[251]                     En fin de compte, la juge du procès a conclu que les rapports sexuels ont eu lieu peu avant qu’E.G. arrive à la plage. Elle a fondé cette conclusion sur [traduction] « [l]a combinaison des témoignages d’E.G. et de C.P. » (par. 90).
[252]                     Premièrement, la juge du procès a souligné qu’E.G. avait témoigné être allée voir R.D. [traduction] « immédiatement » à son arrivée.
[253]                     Deuxièmement, la juge a estimé que le témoignage d’E.G. était corroboré par celui de C.P. Lors de son interrogatoire principal, C.P. a déclaré qu’après les rapports sexuels, il s’était levé et avait entendu [traduction] « que [J.] et E.G. [. . .] étaient arrivés » (par. 92). Il a ajouté être ensuite allé les rejoindre et avoir conversé avec eux pendant 10 à 15 minutes avant que ceux‑ci aillent voir R.D. Cependant, la juge du procès était d’avis que C.P. a par la suite confirmé, en contre‑interrogatoire, [traduction] « que E.G. est allée voir R.D. immédiatement lorsqu’elle est arrivée » (par. 92 (je souligne)).
[254]                     Pour être en mesure de se fonder sur le témoignage de C.P. comme une corroboration de celui d’E.G., la juge du procès devait rejeter la déclaration de C.P. selon laquelle il avait conversé pendant 10 à 15 minutes avec E.G. avant qu’elle aille voir R.D. La juge l’a fait et elle a fondé cette conclusion notamment sur son opinion selon laquelle (1) C.P. s’était contredit en contre‑interrogatoire, (2) le témoignage d’E.G. était plus crédible et (3) le témoignage de C.P. n’était pas fiable, car il était trop intoxiqué à ce moment‑là de la soirée. La juge a pu ainsi isoler la réponse fournie par C.P. en contre‑interrogatoire et l’utiliser pour renforcer le témoignage d’E.G.
[255]                     Ayant conclu que les rapports sexuels ont eu lieu peu avant l’arrivée d’E.G., la juge du procès a conclu que R.D. devait être en état d’incapacité au moment des rapports sexuels en raison de son degré d’intoxication. En effet, la juge a souligné qu’E.G. avait trouvé R.D. [traduction] « inconsciente, couverte de vomissures et généralement inerte » à son arrivée (par. 100).
(2)         Mens rea — la connaissance par C.P. du fait que R.D. était trop intoxiquée pour consentir
[256]                     La juge du procès [traduction] « a conclu hors de tout doute raisonnable que C.P. savait que R.D. était dans un état d’ébriété tel qu’elle ne pouvait pas avoir consenti à l’activité sexuelle, qu’il a ignoré volontairement ce fait ou qu’il ne s’en est pas soucié » (par. 117). À son avis, l’affaiblissement des facultés de R.D. était évident pour G.G., E.G. et C.P.
[257]                     La juge du procès a également conclu que R.D. n’avait pas dit [traduction] « Baise‑moi, [C.] ». Premièrement, elle a considéré que le témoignage de C.P. n’était ni crédible ni fiable. Deuxièmement, elle avait des doutes quant à la plausibilité de ce consentement communiqué. Étant donné le caractère [traduction] « platonique » de leur relation, il était peu probable que le fait qu’ils se soient embrassés ait naturellement mené R.D. à demander à C.P. d’avoir des rapports sexuels avec elle sur une plage où il y avait des gens à proximité (par. 126). Quoi qu’il en soit, la juge était d’avis que, même si R.D. avait fait cela, « elle était trop intoxiquée pour avoir consenti volontairement à l’activité sexuelle » (par. 121).
(3)         Défense de croyance sincère mais erronée au consentement
[258]                     Enfin, la juge du procès a rejeté la défense de croyance sincère mais erronée au consentement invoquée par C.P. Elle a conclu que, même si R.D. avait dit [traduction] « Baise‑moi, [C.] », C.P. n’aurait pas pu se fonder sur ce consentement communiqué. Sans statuer sur la question de manière concluante, la juge a affirmé qu’il était légalement interdit à C.P. d’invoquer cette défense soit parce qu’il était intoxiqué, soit parce qu’il avait l’esprit suffisamment clair pour être bien conscient de l’incapacité de R.D. et de la nécessité de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer du caractère volontaire de son consentement.
B.            Cour d’appel de l’Ontario, 2019 ONCA 85, 373 C.C.C. (3d) 244
(1)         Dissidence (le juge Nordheimer)
[259]                     Le juge Nordheimer, dissident, a conclu que le verdict de la juge du procès était déraisonnable. Selon lui, sa conclusion selon laquelle R.D. était incapable de consentir était [traduction] « incompatible avec l’ensemble de la preuve, en particulier les éléments de preuve non contredits » (motifs de la C.A., par. 15). Le juge Nordheimer a exprimé son désaccord avec la conclusion de la juge selon laquelle les rapports sexuels avaient eu lieu plus tard dans la soirée.
[260]                     Premièrement, le juge Nordheimer a conclu que la juge du procès avait commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi elle isolait un seul élément du témoignage de C.P. et rejetait tout le reste. Il a souligné qu’un seul élément de preuve permettait de situer le moment où avaient eu lieu les rapports sexuels près de celui où était arrivée E.G. Il s’agissait d’une seule réponse donnée par C.P. en contre‑interrogatoire à une question suggestive ambiguë de la Couronne selon laquelle E.G. était [traduction] « immédiatement » allée voir R.D. à son arrivée. Ce seul élément de preuve a joué un rôle crucial dans le raisonnement de la juge du procès. Sans lui, rien d’autre dans la preuve ne permettait de relier le moment où avaient eu lieu les rapports sexuels à celui où était arrivée E.G. La seule preuve que pouvait fournir E.G. était que R.D. était endormie lorsqu’elle est arrivée, mais elle ne pouvait pas dire si elle était arrivée peu après ou longtemps après les rapports sexuels parce qu’elle n’était pas là quand ceux‑ci ont eu lieu. Le juge Nordheimer a déclaré que, bien qu’il soit loisible au juge des faits d’accepter seulement une partie d’un témoignage, la juge du procès était tenue d’expliquer sa décision cruciale de rejeter l’ensemble du témoignage de C.P., sauf cette réponse. En ne le faisant pas, elle a commis une erreur de droit.
[261]                     Deuxièmement, le juge Nordheimer a estimé que l’ensemble de la preuve démontrait qu’[traduction] « il s’est écoulé une plus longue période entre l’activité sexuelle et l’arrivée d’E.G. que celle dont a tenu compte la juge du procès » (par. 31 (je souligne)). La déclaration d’E.G. selon laquelle elle avait trouvé R.D. endormie à son arrivée ne pouvait donc pas être invoquée pour démontrer que R.D. était en état d’incapacité pendant les rapports sexuels. Il se peut fort bien que l’état de R.D. soit passé de la capacité à l’incapacité dans l’intervalle qui s’est écoulé entre les rapports sexuels et l’arrivée d’E.G.
[262]                     Ayant jugé que la conclusion de la juge du procès concernant l’actus reus était déraisonnable, le juge Nordheimer ne s’est pas penché sur le caractère raisonnable de la décision de rejeter la défense de croyance sincère mais erronée au consentement invoquée par C.P. Il aurait annulé la déclaration de culpabilité et prononcé un acquittement.
(2)         Majorité (le juge MacPherson, avec l’appui de la juge Feldman)
[263]                     S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge MacPherson a conclu que le verdict était raisonnable. Il n’a pas souscrit au raisonnement du juge Nordheimer.
[264]                     Premièrement, le juge MacPherson était d’avis que la juge du procès n’avait pas commis d’erreur de droit en n’expliquant pas les raisons pour lesquelles elle n’avait accepté qu’une partie du témoignage de C.P. et rejeté le reste. Il a affirmé que la juge du procès avait expliqué pourquoi elle avait conclu que C.P. n’était pas crédible et pourquoi elle avait rejeté son témoignage sur certains éléments clés, notamment en ce qui a trait à sa véracité sur la question de la conversation de 10 à 15 minutes. Il était donc loisible à la juge du procès de n’accepter qu’une partie du témoignage de C.P.
[265]                     Deuxièmement, le juge MacPherson n’était pas d’accord pour dire que la conclusion de la juge du procès selon laquelle l’activité sexuelle avait eu lieu immédiatement avant qu’E.G. arrive à la plage était incompatible avec le reste de la preuve. Selon lui, ce n’était pas [traduction] « le moment exact où E.G. est arrivée et où elle a observé la plaignante » qui importait (par. 56). Ce qui était essentiel à la conclusion d’incapacité tirée par la juge du procès était plutôt le moment relatif où E.G. est arrivée par rapport à celui où ont eu lieu les rapports sexuels. C.P. avait déclaré dans son témoignage que la période écoulée entre les rapports sexuels et l’arrivée d’E.G. était relativement courte. Une période de dix ou de quinze minutes n’aurait pas changé les choses.
IV.         Question en litige
[266]                     Sur le bien‑fondé du pourvoi de C.P., la seule question en litige est celle de savoir si la déclaration de culpabilité de C.P. pour agression sexuelle est raisonnable.
V.           Analyse
[267]                     C.P. demande à notre Cour d’annuler sa déclaration de culpabilité et de prononcer un verdict d’acquittement. Subsidiairement, il nous demande d’ordonner un nouveau procès. C.P. soulève trois moyens d’appel. À mon avis, le verdict de culpabilité est déraisonnable pour deux raisons.
[268]                     Premièrement, une faille logique dans le raisonnement de la juge du procès vient corrompre une conclusion relative à la preuve qui est cruciale pour l’issue de l’affaire. La juge a tiré deux conclusions inconciliables. D’une part, elle s’est fondée sur le souvenir que C.P. avait d’événements contemporains aux rapports sexuels pour le déclarer coupable. Mais, d’autre part, elle a conclu que C.P. était trop intoxiqué à ce moment‑là de la soirée pour être par la suite en mesure de témoigner de manière fiable sur ce qui s’est passé. Cette première raison à elle seule suffirait pour permettre à la Cour d’ordonner un nouveau procès.
[269]                     Deuxièmement, je suis également d’avis que la preuve ne saurait appuyer la conclusion d’incapacité à consentir et que la Cour devrait donc prononcer un verdict d’acquittement plutôt que d’ordonner un nouveau procès. Le fait d’analyser la fiabilité du témoignage de C.P. de manière cohérente avec les conclusions répétées de la juge du procès portant que C.P. était très intoxiqué et que son souvenir des événements cruciaux n’était pas fiable mène à la conclusion que le reste des éléments de preuve circonstancielle ne permet tout simplement pas de déterminer avec précision à quel moment les rapports sexuels ont eu lieu. Ainsi, les rapports sexuels pourraient avoir eu lieu à n’importe quel moment dans une période d’environ deux heures où l’état de R.D. est passé du fait de ne pas être ivre à celui d’être inconsciente.
A.           La conclusion d’incapacité a‑t‑elle été tirée de manière illogique?
[270]                     Le premier moyen d’appel invoqué par C.P. est que le raisonnement de la juge du procès est illogique au sens des arrêts R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, et R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3. L’illogisme peut se présenter de « différentes façons » (Sinclair, par. 19). En l’espèce, C.P. fait valoir que la juge a tiré deux conclusions de fait inconciliables. D’une part, elle a rejeté le témoignage de C.P. selon lequel il a eu une conversation de 10 à 15 minutes avec E.G. lorsqu’elle est arrivée à la plage et avant qu’elle aille voir R.D., au motif qu’il était très intoxiqué à ce moment‑là de la soirée. Mais, d’autre part, la juge a accepté une autre partie de son témoignage concernant ce qui s’est passé à ce moment‑là de la soirée, c’est‑à‑dire sa déclaration selon laquelle il a entendu [traduction] « que [J.] et E.G. [. . .] étaient arrivés » peu après les rapports sexuels. C.P. soutient que s’il était trop ivre à ce moment‑là pour être par la suite en mesure de témoigner de manière fiable au sujet de la conversation, il serait logiquement également incapable témoigner de manière fiable qu’E.G. est arrivée peu après les rapports sexuels. Ces deux choses se seraient passées au même moment, un moment où il était, selon la juge du procès, trop ivre pour se souvenir par la suite de ce qui s’est produit. C.P. souligne que la juge n’a pas expliqué ce [traduction] « recours sélectif » (m.a., par. 120). Je suis d’accord que la juge a tiré la conclusion d’incapacité de manière illogique.
[271]                     Comme je l’ai mentionné précédemment, la juge du procès savait très bien que le moment où les rapports sexuels ont eu lieu était la question centrale de la présente affaire. La défense n’a pas contesté le témoignage d’E.G. selon lequel elle avait trouvé R.D. pratiquement inconsciente avec des vomissures sur elle. Si les rapports sexuels avaient eu lieu très peu de temps avant l’arrivée d’E.G., une inférence d’incapacité aurait été plus plausible qu’elle ne l’aurait été si les rapports sexuels avaient eu lieu bien avant ce moment. Selon G.G., R.D. n’était pas ivre quand le groupe est arrivé à la plage, mais elle l’est devenue de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait, jusqu’à ce qu’elle commence à vomir vers minuit et demi. Si les rapports sexuels avaient eu lieu tôt dans la soirée, à un moment où R.D. était soit sobre, soit ivre sans être pour autant en état d’incapacité, une inférence d’incapacité aurait donc été trop ténue pour que C.P. puisse être déclaré coupable hors de tout doute raisonnable. Il est important de souligner que le fait que R.D. ait été intoxiquée tôt dans la soirée ne signifierait pas qu’elle était nécessairement incapable de donner son consentement. Ce n’est que lorsque ses capacités sont devenues affaiblies au point qu’elle n’était plus lucide — si cela s’est réellement produit — que son consentement aurait été vicié en droit (voir R. c. Al‑Rawi, 2018 NSCA 10, 359 C.C.C. (3d) 237, par. 66; R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 346, par. 55‑57; R. c. Barton, 2019 CSC 33, par. 88).
[272]                     La juge du procès était d’avis que la [traduction] « combinaison des témoignages d’E.G. et de C.P. » permettait de répondre à la question de savoir à quel moment les rapports sexuels avaient eu lieu (par. 90). La combinaison de ces témoignages a effectivement joué un rôle crucial dans sa conclusion d’incapacité. E.G. a témoigné qu’elle était allée voir R.D. immédiatement et qu’elle l’avait trouvée extrêmement intoxiquée (par. 91). Cependant, comme E.G. n’était pas à la plage au moment des rapports sexuels, son témoignage à lui seul ne permettait pas de déterminer avec précision à quel moment ceux‑ci avaient eu lieu par rapport au moment où elle avait constaté que R.D. était endormie. Même si on accepte qu’E.G. s’est rendue auprès de R.D. immédiatement à son arrivée, cela ne permet pas d’établir si elle l’a observée dans les minutes qui ont suivi les rapports sexuels ou une heure plus tard. En termes simples, le témoignage d’E.G. à lui seul était insuffisant pour appuyer une conclusion d’incapacité au moment des rapports sexuels. Dans tous les cas, des éléments de preuve additionnels étaient nécessaires pour permettre de restreindre l’intervalle entre le moment où ont eu lieu les rapports sexuels et celui où elle est allée voir R.D. En l’espèce, seul le témoignage de C.P. permettait de déterminer le moment où les rapports sexuels avaient eu lieu par rapport à celui où E.G. est arrivée et a observé R.D.
[273]                     C.P. a témoigné qu’après les rapports sexuels, il s’était levé et avait alors entendu [traduction] « que [J.] et E.G. [. . .] étaient arrivés ». Cette déclaration de C.P. a permis de restreindre l’intervalle entre le moment où ont eu lieu les rapports sexuels et celui où E.G. est allée avoir R.D. La combinaison de cette déclaration et du témoignage d’E.G. selon lequel elle s’était rendue immédiatement auprès de R.D. rendait les deux événements contemporains, voire presque concomitants. Cependant, C.P. a ajouté avoir eu une conversation de 10 à 15 minutes avec E.G. avant qu’elle ne s’occupe de R.D., de sorte qu’il y avait un intervalle de 10 à 15 minutes entre les événements en question. Selon C.P., l’état de R.D. est passé de la capacité à l’incapacité dans cet intervalle.
[274]                     La juge du procès a comblé cet intervalle de 10 à 15 minutes en rejetant le témoignage selon lequel [traduction] « [C.P.] a parlé avec E.G. avant qu’elle ne s’occupe de R.D. », et ce, pour trois raisons (par. 93). Jusqu’à maintenant, il n’y a rien d’illogique dans le raisonnement de la juge. Il est bien établi qu’un juge des faits peut n’accepter qu’une partie d’un témoignage (R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, [2008] 2 R.C.S. 152, par. 10; R. c. Mathieu (1994), 1994 CanLII 5561 (QC CA), 90 C.C.C. (3d) 415 (C.A. Qc), p. 430, le juge Fish, conf. par 1995 CanLII 79 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 46). Il était donc loisible à la juge de rejeter la déclaration de C.P. concernant la conversation et d’accepter seulement sa déclaration selon laquelle il avait entendu E.G. arriver peu après les rapports sexuels, à condition d’avoir un fondement logique et raisonnable pour le faire.
[275]                     Là où le raisonnement de la juge du procès devient illogique, cependant, c’est dans les trois raisons qu’elle a données pour rejeter le témoignage de C.P. concernant la conversation :
(a)   Contradiction intrinsèque : C.P. s’est contredit lorsqu’il a dit, lors de son interrogatoire principal, qu’il avait eu une conversation avec E.G. avant qu’elle n’aille voir R.D., mais qu’il a ensuite affirmé, en réponse à une question suggestive posée par la Couronne lors du contre‑interrogatoire, qu’E.G. était allée voir R.D. immédiatement à son arrivée.
(b)  Contradiction extrinsèque : La juge du procès a préféré la version d’E.G., qui a déclaré ne pas avoir eu de conversation avec C.P. à son arrivée, parce qu’elle la trouvait plus fiable et plus crédible que C.P.
(c)   Non‑fiabilité causée par l’intoxication : Le témoignage de C.P. n’était pas fiable parce que ce dernier [traduction] « était [trop] intoxiqué à ce moment‑là » de la soirée (par. 91‑94).
La source de l’illogisme vient de cette troisième raison.
[276]                     Ce qui est illogique, ce n’est pas la façon dont la juge du procès a traité la question de savoir si la conversation a ou non eu lieu, c’est‑à‑dire le fait qu’elle ait accepté une seule réponse tirée du contre‑interrogatoire de C.P. — selon laquelle E.G. est immédiatement allée voir R.D. — et qu’elle ait rejeté le reste de son témoignage relatif à la conversation. Le juge Nordheimer a conclu que le fait que la juge se soit fondée sur cette seule réponse sans fournir aucune explication constituait une erreur de droit (motifs de la C.A., par. 23‑26). Cependant, je suis d’avis que la juge du procès a bel et bien exposé les raisons pour lesquelles elle s’est fondée sur cette seule réponse et a rejeté le témoignage voulant que la conversation ait eu lieu. Elle a rejeté le témoignage de C.P. au sujet de la conversation, parce que l’alcool avait eu une incidence sur sa fiabilité, qu’il s’était contredit et qu’elle a cru un autre témoin à la place.
[277]                     Plutôt, ce qui est illogique, c’est que la juge du procès ait conclu, d’une part, que C.P. ne pouvait pas témoigner de manière fiable sur ce qui s’était passé après les rapports sexuels parce qu’il était trop intoxiqué à ce moment‑là dans la soirée, tout en concluant également, d’autre part, que C.P. pouvait néanmoins témoigner de manière fiable sur le fait qu’il avait entendu [traduction] « que [J.] et E.G. [. . .] étaient arrivés ». Ces conclusions sont inconciliables. Si C.P. était trop intoxiqué à ce moment‑là pour être par la suite en mesure de témoigner de manière fiable au sujet de la conversation, son témoignage selon lequel il avait entendu E.G. arriver était également nécessairement non fiable. Ces deux événements se seraient passés au même moment, c’est‑à‑dire quand, selon la juge du procès, C.P. était trop ivre pour que son témoignage subséquent puisse être fiable.
[278]                     La Couronne soutient pour sa part que les conclusions de la juge du procès sont en fait compatibles. Selon elle, il était loisible à la juge du procès de se fonder sur ses conclusions relatives à la crédibilité pour rejeter la majeure partie du témoignage de C.P. et n’en accepter que certains éléments. La juge du procès a tiré des conclusions défavorables détaillées quant à la crédibilité aux par. 107 à 114. La Couronne ajoute que les deux autres raisons données par la juge — la contradiction intrinsèque et la contradiction extrinsèque — suffisaient à justifier le rejet du témoignage de C.P. concernant la conversation et l’acceptation de son témoignage selon lequel l’arrivée d’E.G. était contemporaine aux rapports sexuels.
[279]                     Je suis d’accord avec la Couronne qu’il s’agit là de deux raisons valables pour ce faire, mais là n’est pas la question. Encore une fois, le problème n’est pas que la juge du procès a rejeté de manière irrationnelle le témoignage concernant la conversation. Il est logique de rejeter un témoignage intrinsèquement contradictoire ou de croire un autre témoin plus crédible et plus fiable. Le problème est plutôt que la juge a tiré deux conclusions inconciliables. Elle a conclu que C.P. était trop ivre à ce moment‑là pour se souvenir par la suite de certaines choses, mais n’était pas trop ivre pour se souvenir par la suite d’autres choses qui se seraient passées au même moment.
[280]                     Autrement dit, si la juge du procès avait dit qu’elle rejetait le témoignage de C.P. concernant la conversation pour seulement deux raisons — la contradiction intrinsèque et la contradiction extrinsèque — et qu’elle n’avait pas mentionné l’intoxication de C.P. comme raison additionnelle, ses motifs auraient été logiques. Cependant, en ajoutant cette troisième raison, elle a rendu son raisonnement illogique.
[281]                     La juge du procès n’a pas expliqué cette incohérence à l’égard d’un élément de preuve crucial. Sans le témoignage de C.P. selon lequel il avait entendu E.G. arriver après les rapports sexuels, il était impossible de le déclarer coupable. La juge a expliqué pourquoi elle a rejeté le témoignage concernant la conversation, mais pas pourquoi elle a retenu [traduction] « une sorte d’île d’acuité dans un océan d’oubli » (R. c. Cedeno, 2005 ONCJ 91, 27 C.R. (6th) 251, par. 20).
[282]                     Pour reprendre les termes utilisés par le juge Stratas dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. Canada, 2012 CAF 165, au par. 46, et les adapter au contexte de la présente affaire, une faille logique qui corrompt une conclusion relative à la preuve qui est cruciale pour l’issue de l’affaire — en l’occurrence, la conclusion d’incapacité — ne tire pas seulement sur les feuilles et les branches en laissant l’arbre debout, mais fait tomber l’arbre tout entier. Comme la conclusion d’incapacité est tombée au sol, le verdict de culpabilité est déraisonnable et la déclaration de culpabilité ne saurait être maintenue.
[283]                     Lorsqu’une faille logique dans le raisonnement du juge du procès rend un verdict déraisonnable au sens des arrêts Beaudry et Sinclair, un nouveau procès doit être ordonné (Sinclair, par. 23). Toutefois, si le verdict ne peut par ailleurs se justifier eu égard à la preuve au dossier, un tribunal d’appel doit prononcer un verdict d’acquittement plutôt qu’ordonner un nouveau procès (par. 23). La réponse à la question de savoir si un verdict d’acquittement devrait être prononcé ou si un nouveau procès devrait être ordonné en l’espèce dépendra donc de celle que je donnerai au deuxième moyen d’appel de C.P.
B.            La conclusion d’incapacité pouvait‑elle raisonnablement être tirée eu égard à la preuve?
[284]                     Le deuxième moyen d’appel invoqué par C.P. est que la preuve dont disposait la juge du procès ne pouvait appuyer ni sa conclusion d’incapacité ni, par voie de conséquence, le verdict de culpabilité (R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381). Comme je l’ai mentionné précédemment, si ce deuxième moyen d’appel est retenu, il en résultera un verdict d’acquittement plutôt qu’un nouveau procès. Lorsque la thèse de la Couronne repose sur une preuve circonstancielle, comme c’est le cas en l’espèce, le tribunal d’appel doit déterminer « si le juge des faits, agissant d’une manière judiciaire, pouvait raisonnablement conclure que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable qui pouvait être tirée de l’ensemble de la preuve » (R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 55). Contrairement au moyen relatif au caractère déraisonnable dont il était question dans les arrêts Beaudry et Sinclair et qui a trait aux « vices fondamentaux du raisonnement qui [. . .] mène [au verdict du juge du procès] » (Sinclair, par. 4, citant le par. 77 (texte entre crochets dans l’original); voir aussi Beaudry), ce deuxième moyen d’appel concerne le poids de la preuve au dossier. Il exige que « le tribunal d’appel [. . .] réexamin[e] l’effet de la preuve et dans une certaine mesure la réévalu[e] » (Villaroman, par. 55; voir aussi Biniaris, par. 36).
[285]                     En l’espèce, je suis d’avis que la juge du procès ne pouvait pas raisonnablement conclure que l’incapacité de R.D. à consentir au moment des rapports sexuels était la seule conclusion raisonnable possible eu égard à la preuve. Sans cette conclusion d’incapacité, il n’y a pas de cause qui tienne contre C.P., parce que ni R.D. ni autre aucun autre témoin n’a déclaré que celle‑ci n’avait pas effectivement donné son consentement. En conséquence, la preuve ne saurait appuyer le verdict de culpabilité et celui‑ci devrait être remplacé par un verdict d’acquittement.
[286]                     Le point de départ du réexamen de la preuve est le poids accordé au témoignage de C.P. À mon avis, la juge du procès aurait dû conférer beaucoup moins de poids au témoignage de C.P. concernant le moment où ont eu lieu les rapports sexuels par rapport à celui où est arrivée E.G. qu’elle ne l’a fait dans ses motifs. La juge du procès a accordé un poids considérable au témoignage de C.P. selon lequel il avait entendu E.G. arriver peu après les rapports sexuels. Il s’agissait là de l’élément central de ses motifs. Cela était cependant incompatible avec ses conclusions répétées que C.P. était très intoxiqué et n’était donc pas un témoin fiable.
[287]                     Après avoir obtenu de la vodka à la LCBO, C.P. a commencé à boire tôt dans la soirée pendant que le groupe se rendait à pied au tramway en direction de la plage. Il a continué à boire dans le tramway. Une fois le groupe arrivé à la plage, il a bu encore plus de vodka autour du feu de camp. Selon E.G. et G.G., tout cet alcool a rendu C.P. très ivre. E.G. a déclaré que C.P. ne pouvait parler de manière cohérente ni marcher correctement. G.G. a ajouté que C.P. trébuchait. C.P. a lui‑même confirmé qu’il avait tellement bu que son ami J. lui avait dit de s’asseoir parce qu’il pouvait à peine marcher.
[288]                     La juge du procès a tiré plusieurs conclusions défavorables contre C.P. en se fondant sur la preuve de son degré d’intoxication. Premièrement, elle a rejeté la déclaration de C.P. selon laquelle il avait eu une conversation avec E.G. à l’arrivée de celle‑ci, parce qu’il était trop intoxiqué à ce moment‑là de la soirée pour que son témoignage soit fiable. Deuxièmement, la juge a souligné que le degré d’intoxication de C.P. pouvait expliquer [traduction] « le fait qu’il ne se souvenait pas de certains détails » (par. 110). Elle a ajouté que, « si [C.P.] était aussi ivre que les témoins le laissent entendre, il serait compréhensible qu’il ait des trous de mémoire » (par. 114). Troisièmement, la juge du procès a conclu qu’en raison de l’al. 273.2a)(ii) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, le degré d’intoxication de C.P. l’empêchait légalement d’invoquer la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.
[289]                     En plus de la non‑fiabilité de C.P. fondée sur son degré d’intoxication, le reste de la preuve concernant la chronologie des événements de la soirée a miné encore davantage la valeur probante de son témoignage. La preuve n’a pas permis de déterminer hors de tout doute raisonnable à quel moment les rapports sexuels ont eu lieu. Une reconstitution de la chronologie des événements indique que les rapports sexuels pourraient avoir eu lieu à n’importe moment dans une période d’environ deux heures.
[290]                     Premièrement, R.D. et G.G. ont affirmé que le groupe est arrivé à la plage entre 22 h et 23 h. Cette heure d’arrivée approximative est compatible avec le reste de la preuve. Le groupe doit avoir quitté la LCBO à un moment quelconque avant la fermeture du magasin à 22 h. Selon le témoignage non contredit de C.P., les adolescents ont ensuite marché pendant 15 à 30 minutes, ont pris le tramway pendant environ 15 minutes, ont marché jusqu’à la plage pendant 10 minutes, puis ont discuté pour déterminer s’ils se joindraient au groupe de jeunes plus âgés ou s’ils feraient leur propre feu de camp. Ce sont tous là des détails narratifs que la juge du procès n’a pas rejetés.
[291]                     Deuxièmement, 15 à 20 minutes après que C.P. et R.D. se soient assis ensemble sur le matelas, ils ont commencé à s’embrasser jusqu’à ce que le matelas soit jeté dans le feu. Peu après, C.P. a rejoint R.D. près des rochers et a eu des rapports sexuels avec elle. Je suis d’accord avec le juge Nordheimer pour dire que, sur la base de l’expérience judiciaire, l’activité sexuelle a, selon toute vraisemblance, eu lieu avant que R.D. n’ait des vomissures sur elle (motifs de la C.A., par. 31). Quoi qu’il en soit, la Couronne n’a pas soutenu le contraire.
[292]                     Troisièmement, selon le témoignage de G.G., R.D. a commencé à vomir aux environs de minuit et demi. Aucun témoin autre que G.G. n’a remarqué quand R.D. a commencé à vomir. C.P. a témoigné qu’il n’était pas là, et E.G. est arrivée après qu’elle eut vomi. G.G. a quitté la fête très peu de temps par la suite, à minuit et demi. Elle était certaine d’être partie vers cette heure‑là, parce qu’elle avait regardé son téléphone avant de partir. Contrairement à d’autres témoins qui ne faisaient qu’estimer le moment de certains événements, le témoignage de G.G. à cet égard est non équivoque.
[293]                     Quatrièmement, E.G. est arrivée à la plage à un moment donné après minuit et demi. Le témoignage de G.G. permet de l’établir clairement. En effet, G.G. a affirmé catégoriquement que, lorsqu’elle est partie à minuit et demi, elle n’avait pas encore vu E.G. En revanche, cette dernière a avoué qu’elle était incapable de confirmer avec certitude l’heure de son arrivée. E.G. est donc nécessairement arrivée à un moment donné après minuit et demi.
[294]                     Cinquièmement, à la suite d’une période indéterminée après son arrivée, E.G. est allée voir R.D. et l’a trouvée endormie avec des vomissures sur elle. La question de savoir si E.G. est immédiatement allée voir R.D. à son arrivée ou si elle a d’abord eu une conversation de 10 à 15 minutes avec C.P., comme celui‑ci l’a affirmé dans son témoignage, n’aurait pas dû se voir accorder l’importance que lui a accordée la juge du procès. Il y avait en fait suffisamment d’éléments de preuve découlant du témoignage d’E.G. pour appuyer une conclusion selon laquelle la toute première chose qu’elle avait faite à son arrivée n’était pas d’aller voir R.D. Le premier élément de preuve était le fait qu’E.G. a dit à la police qu’à son arrivée, elle a bu un peu de la vodka qui restait. Comme le juge Nordheimer l’a souligné, le fait qu’E.G. aille voir R.D. immédiatement est incompatible avec sa déclaration selon laquelle elle a bu un peu de vodka, car elle a aussi dit être restée avec R.D. pendant tout le temps où elle a été à la plage, jusqu’à ce qu’ils partent tous. Si elle est restée sans interruption avec R.D. après être allée la voir, elle doit donc avoir bu de la vodka avant d’être allée la rejoindre. Le deuxième élément de preuve était le fait qu’E.G. a déclaré avoir entendu une rumeur selon laquelle C.P. et R.D. avaient eu des rapports sexuels plus tôt dans la soirée. Sa déclaration laisse entendre que, lorsqu’elle est arrivée, elle a eu une conversation avec quelques‑uns des adolescents qui étaient autour du feu à propos des rapports sexuels avant d’aller voir R.D. Voici ce qu’elle a affirmé :
                    [traduction] . . . Je ne suis pas vraiment certaine de savoir qui en parlait, mais quelques personnes étaient comme, genre [R.D.] et [C.P.] ont couché ensemble plus tôt aujourd’hui, ce soir et j’étais comme quand? Et ils ont dit genre avant que toi et [G.] arriviez . . .
                    (d.a., vol. II, p. 30)
[295]                     Cette chronologie démontre qu’il s’est écoulé environ deux heures entre (1) l’arrivée du groupe à la plage entre 22 h et 23 h et (2) l’observation de R.D. par E.G. à un moment donné après minuit et demi. L’ensemble de la preuve ne peut raisonnablement être interprété de telle sorte que l’incapacité de R.D. à consentir constitue la seule conclusion raisonnable. La juge du procès aurait dû acquitter C.P. Si on examine la fiabilité du témoignage de C.P. de manière cohérente avec les conclusions répétées de la juge selon lesquelles celui‑ci était très intoxiqué et que sa mémoire des événements clés n’était pas fiable, il est tout simplement impossible de déterminer, même de façon approximative, à quel moment les rapports sexuels ont eu lieu eu égard au reste de la preuve circonstancielle. En fait, la preuve circonstancielle au dossier indique que les rapports sexuels pourraient avoir eu lieu à n’importe quel moment durant cette période de deux heures. Le degré d’intoxication de R.D. a changé considérablement au cours de celle‑ci; n’étant pas ivre, selon G.G., à son arrivée à la plage, R.D. a perdu conscience plus tard. La juge du procès a elle‑même reconnu que, sans le témoignage de C.P., le reste de la preuve circonstancielle ne permettait à lui seul de déterminer avec précision le moment où les rapports sexuels avaient eu lieu pendant cette période :
                        [traduction] Au fil du procès, il a semblé qu’il y avait absence de clarté quant au moment où l’activité sexuelle avait eu lieu. Comme l’a montré l’examen de la preuve, les témoins de la Couronne n’ont été en mesure que d’estimer vers quel moment le groupe est arrivé à la plage. E.G. et G.G. n’ont pas été témoins d’une quelconque activité sexuelle et ne pouvaient donc pas aider à déterminer avec précision à quel moment elle a eu lieu. R.D. avait des fragments de souvenirs, mais n’était certainement pas en mesure de préciser le moment de l’incident. [. . .] La combinaison des témoignages d’E.G. et de C.P. a cependant permis de répondre à la question de savoir à quel moment de la soirée l’activité sexuelle a eu lieu. [Je souligne; par. 90.]
[296]                     En outre, il y a d’autres éléments de preuve qui, bien qu’ils ne soient pas nécessaires pour conclure que le verdict était déraisonnable, auraient dû renforcer l’existence d’un doute raisonnable dans l’esprit de la juge du procès.
[297]                     Bien que les rapports sexuels aient eu lieu à une distance de seulement 5 à 10 pieds de l’emplacement du feu où une douzaine de jeunes étaient rassemblés, la Couronne n’a pas appelé à la barre une seule personne en ayant été témoin. Elle a fait entendre E.G., qui était arrivée après les rapports sexuels, et G.G., qui ne les a pas vus non plus avoir lieu. Pourtant, il y avait manifestement certaines personnes qui en avaient été témoins, comme l’indiquent les messages échangés sur les médias sociaux le lendemain matin, où des adolescents ont échangé l’information selon laquelle R.D. et C.P. avaient couché ensemble. De plus, certains d’entre eux ont dit à E.G., après son arrivée, que R.D. et C.P. avaient eu des rapports sexuels plus tôt dans la soirée, ce qui montre clairement que leur activité sexuelle n’était pas passée inaperçue.
[298]                     La conversation téléphonique que R.D. et L.L. ont eue après 1 h aurait également dû renforcer l’existence d’un doute raisonnable. Lors de cette conversation, R.D. n’arrêtait pas de s’excuser auprès de L.L., qu’elle fréquentait à cette époque. Lorsqu’on examine cette conversation avec le reste de la preuve, elle tend à indiquer que R.D. était consciente de ce qui s’était passé et le regrettait. Dans le même ordre d’idées, le fait que R.D. se soit souvenue d’avoir embrassé C.P. près des rochers et d’avoir remonté son pantalon après les rapports sexuels sont d’autres indices montrant qu’elle était consciente de ce qui se passait, ce qui constitue un terrain favorable à un doute raisonnable.
[299]                     Enfin, la théorie de la Couronne semble avoir été construite sur la base d’un récit fondé sur des rumeurs et du double ouï‑dire. Comme je l’ai mentionné précédemment, la mère de R.D. n’a peut‑être pas forcé sa fille à signaler l’incident à la police, mais elle l’a convaincue de le faire sur le fondement de la prémisse selon laquelle R.D. avait été agressée alors qu’elle était inconsciente. C’est ce récit fondé sur la rumeur que R.D. a entendue de ses amis qui semble avoir servi de base à la théorie construite par la police et la poursuite. De toute évidence, cet élément, à lui seul, ne veut pas dire que le dossier de la Couronne ne pouvait tenir, mais un juge du procès se fondant sur son expérience judiciaire aurait dû examiner la thèse invoquée avec un surcroît de prudence.
[300]                     Pour terminer, sans la conclusion cruciale d’incapacité, la Couronne ne pouvait pas prouver ses allégations, car il n’y avait aucune preuve d’absence de consentement. Le verdict est déraisonnable et la juge du procès aurait dû acquitter C.P.
C.            La juge du procès a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la défense de croyance sincère mais erronée au consentement?
[301]                     Le troisième moyen d’appel invoqué par C.P. est que la juge du procès a commis une erreur de droit en rejetant sa défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué. Il soutient que, pour l’application de la norme quasi objective servant à déterminer si un accusé peut invoquer cette défense, la juge aurait dû prendre en considération sa jeunesse lorsqu’elle a apprécié les circonstances dont il avait connaissance. Selon C.P., le principe de culpabilité morale moins élevée impose l’application d’une norme moins élevée. Bien que nul ne soit censé ignorer la loi, il est absurde de suggérer qu’un adolescent intoxiqué est présumé connaître les subtilités de la jurisprudence sur ce qui constitue un consentement valable. En conséquence, la juge du procès aurait dû prendre en compte la compréhension limitée que C.P. avait des principes du droit pénal quand elle a analysé sa défense.
[302]                     Malgré son intérêt doctrinal, je ne crois qu’il faille répondre à cette question en l’espèce. Cela n’aurait aucune incidence sur l’issue du présent pourvoi. C.P. nous demande de nous prononcer sur cette question de droit afin de donner des directives au tribunal de juridiction inférieure si un nouveau procès est ordonné. Comme j’ai conclu qu’un verdict d’acquittement devrait être prononcé, de telles directives ne sont pas nécessaires. Quoi qu’il en soit, même si j’avais conclu qu’un nouveau procès devrait être ordonné, la réponse à cette question n’aurait pas eu d’incidence sur l’issue du pourvoi. La question serait purement théorique. C.P. ne conteste pas la conclusion de la juge du procès selon laquelle R.D. n’a pas dit [traduction] « Baise‑moi, [C.] » –– ce prétendu consentement communiqué constituait la condition préalable à sa défense. Il ne conteste pas non plus la conclusion de la juge selon laquelle son degré d’intoxication l’empêchait légalement d’invoquer la défense –– il s’agit là d’un autre obstacle l’empêchant de faire valoir cette défense. En bref, l’erreur de droit, s’il y en a une, serait sans conséquence. Enfin, il semble que C.P. soulève cette question pour la première fois dans son pourvoi devant la Cour.
VI.         Conclusion
[303]                     Comme je l’ai dit précédemment, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de répondre aux questions constitutionnelles relatives à la validité du par. 37(10) de la LSJPA, parce qu’elles sont maintenant théoriques. Vu que la Cour a accordé une autorisation d’appel, l’analyse constitutionnelle relative à l’absence d’un droit d’appel automatique à notre Cour n’aurait aucune incidence sur le pourvoi sous‑jacent en matière pénale interjeté en l’espèce. En conséquence, je m’abstiens de me prononcer sur ces questions.
[304]                     Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais le pourvoi, j’annulerais la déclaration de culpabilité et je prononcerais un acquittement.
 
                    Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.
                    Procureurs de l’appelant : Henein Hutchison, Toronto.
                    Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Greenspan Humphrey Weinstein, Toronto.
                    Procureur de l’intervenante Justice for Children and Youth : Justice for Children and Youth, Toronto.
                    Procureur de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Alison M. Latimer, Vancouver.

[1] 691 (1) La personne déclarée coupable d’un acte criminel et dont la condamnation est confirmée par la cour d’appel peut interjeter appel à la Cour suprême du Canada :
 
a)      sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident;
 
[2] (2) La personne qui est acquittée de l’accusation d’un acte criminel — sauf dans le cas d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux — et dont l’acquittement est annulé par la cour d’appel peut interjeter appel devant la Cour suprême du Canada :
 
a)      sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident;
 
b)      sur toute question de droit, si la cour d’appel a consigné un verdict de culpabilité;
 
[3] 37 (1) En vertu de la présente loi, il peut être interjeté appel relativement à un acte criminel ou à une infraction que le procureur général choisit de poursuivre par mise en accusation, conformément à la partie XXI (appels — actes criminels) du Code criminel, laquelle s’applique avec les adaptations nécessaires.
[4] abr. & rempl. c. 24 (2e suppl.), art. 20.
[5] abr. & rempl. c. 24 (2e suppl.), art. 20.
[6]  Voir 2012, c. 1, par. 168(2).
[7]  Bien qu’admissible parce que la défense ne s’y est pas opposée, la preuve par ouï‑dire devrait néanmoins avoir une valeur probante moins élevée.


Synthèse
Référence neutre : 2021CSC19 ?
Date de la décision : 07/05/2021

Analyses

adolescents ; autorisation ; LSJPA ; adultes ; erreurs judiciaires ; rapports sexuels ; Couronne ; témoignages ; savoir ; verdict ; juge du procès ; Code criminel ; justice pénale ; arrivées ; obligations ; déclaration de culpabilité


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : C.P.
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 7 mai 2021, R. c. C.P., 2021 CSC 19


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2021-05-07;2021csc19 ?

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