COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, 2007 CSC 30
Date : 20070628
Dossier : 30611
Entre :
Procureur général du Canada
Appelant / Intimé au pourvoi incident
et
JTI-Macdonald Corp.
Intimée / Appelante au pourvoi incident
Et entre :
Procureur général du Canada
Appelant / Intimé au pourvoi incident
et
Rothmans, Benson & Hedges inc.
Intimée / Appelante au pourvoi incident
Et entre :
Procureur général du Canada
Appelant / Intimé au pourvoi incident
et
Imperial Tobacco Canada ltée
Intimée / Appelante au pourvoi incident
‑ et ‑
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec,
procureur général du Nouveau‑Brunswick,
procureur général du Manitoba, procureur général de la Colombie‑Britannique, procureur général de la Saskatchewan et Société canadienne du cancer
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 142)
La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)
______________________________
canada (procureur général) c. jti‑macdonald corp.
Procureur général du Canada Appelant/intimé au pourvoi incident
c.
JTI‑Macdonald Corp. Intimée/appelante au pourvoi incident
et
Procureur général du Canada Appelant/intimé au pourvoi incident
c.
Rothmans, Benson & Hedges inc. Intimée/appelante au pourvoi incident
et
Procureur général du Canada Appelant/intimé au pourvoi incident
c.
Imperial Tobacco Canada ltée Intimée/appelante au pourvoi incident
et
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec,
procureur général du Nouveau‑Brunswick,
procureur général du Manitoba,
procureur général de la Colombie‑Britannique,
procureur général de la Saskatchewan et
Société canadienne du cancer Intervenants
Répertorié : Canada (Procureur général) c. JTI‑Macdonald Corp.
Référence neutre : 2007 CSC 30.
No du greffe : 30611.
2007 : 19 février; 2007: 28 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOIS PRINCIPAUX et POURVOIS INCIDENTS contre des arrêts de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Brossard et Rayle), [2005] J.Q. no 11174 (QL), 2005 QCCA 725 (sub nom. Imperial Tobacco Canada ltée c. Canada (Procureure générale)), et [2005] R.J.Q. 2018, 260 D.L.R. (4th) 224, [2005] J.Q. no 10915 (QL), 2005 QCCA 726 (sub nom. JTI‑Macdonald Corp. c. Canada (Procureure générale)), et [2005] J.Q. no 11175 (QL), 2005 QCCA 727 (sub nom. Rothmans, Benson & Hedges inc. c. Canada (Procureure générale)), infirmant en partie une décision du juge Denis, [2003] R.J.Q. 181, 102 C.R.R. (2d) 189, [2002] J.Q. no 5550 (QL). Pourvois principaux accueillis et pourvois incidents rejetés.
Claude Joyal, Bernard Mandeville et Maurice Régnier, pour l’appelant/intimé au pourvoi incident.
Douglas C. Mitchell, Georges R. Thibaudeau et Catherine McKenzie, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident JTI‑Macdonald Corp.
Steven I. Sofer et Rachel Ravary, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident Benson & Hedges inc.
Simon V. Potter, Gregory B. Bordan et Sophie Perreault, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident Imperial Tobacco Canada ltée.
Robin K. Basu et Mark Crow, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Dominique A. Jobin et Caroline Renaud, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Gaétan Migneault, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Cynthia Devine, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.
Craig Jones et Jonathan Penner, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Thomson Irvine, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Julie Desrosiers et Robert Cunningham, pour l’intervenante la Société canadienne du cancer.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La Juge en chef —
I. Aperçu
1 Les présents pourvois portent sur la constitutionnalité des dispositions législatives canadiennes sur la publicité et la promotion des produits du tabac, contenues dans la Loi sur le tabac, L.C. 1997, ch. 13, et le Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, DORS/2000‑272 (« RIPT »). Il s’agit principalement de savoir si les restrictions que certaines dispositions imposent à la liberté d’expression sont justifiées en tant que limites raisonnables au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.
2 L’affaire oppose des fabricants de produits du tabac et le procureur général du Canada, lequel est appuyé par un certain nombre de procureurs généraux provinciaux ainsi que par la Société canadienne du cancer. À ce stade de l’instance, les fabricants de produits du tabac contestent six aspects du régime législatif et réglementaire : (1) son effet sur les publications scientifiques subventionnées, (2) ses dispositions relatives à la promotion trompeuse, (3) ses dispositions relatives à la publicité attrayante pour les jeunes, (4) son interdiction de la publicité de style de vie; (5) son interdiction de la promotion de commandite et (6) son exigence réglementaire que les mises en garde occupent la moitié de l’emballage des produits du tabac.
3 Le juge Denis, siégeant en première instance, a conclu à la constitutionnalité des dispositions en cause ([2003] R.J.Q. 181). La Cour d’appel du Québec a confirmé la validité de la majeure partie du régime, mais elle a toutefois conclu que des parties de certaines dispositions étaient inconstitutionnelles ([2005] J.Q. no 11174 (QL), 2005 QCCA 725, et 260 D.L.R. (4th) 224, [2005] R.J.Q. 2018, 2005 QCCA 726, ainsi que [2005] J.Q. no 11175 (QL), 2005 QCCA 727). Le procureur général du Canada se pourvoit devant notre Cour contre les conclusions d’inconstitutionnalité, alors que les fabricants de produits du tabac forment des pourvois incidents à l’égard de certaines dispositions que la Cour d’appel a jugées constitutionnelles.
4 Je conclus que, correctement interprétées, les dispositions législatives et réglementaires en cause ne contreviennent pas de manière injustifiable à l’al. 2b) de la Charte, et qu’il y a lieu d’en confirmer la validité pour les motifs suivants.
II. Contexte
5 Avant d’analyser les six aspects contestés du régime législatif et réglementaire, il est nécessaire de situer la mesure législative dans ses contextes historique, social et juridique.
6 En 1995, la Cour a annulé les dispositions relatives à la publicité contenues dans la Loi réglementant les produits du tabac (L.C. 1988, ch. 20) : RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199. Cette loi établissait une interdiction générale de toute publicité et promotion des produits du tabac, sous réserve d’exceptions particulières, et exigeait que des mises en garde non attribuées figurent sur l’emballage de ces produits. La Cour à la majorité a conclu que les dispositions en cause dans cette affaire restreignaient la liberté d’expression et que le gouvernement n’avait pas justifié ces restrictions au regard de l’article premier. Plus particulièrement, en ne démontrant qu’il n’existait aucune autre solution moins attentatoire, le gouvernement n’avait pas établi que les restrictions en cause satisfaisaient à l’exigence d’atteinte minimale établie dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (la juge McLachlin, par. 163 et 165, et le juge Iacobucci, par. 191). Tout en convenant que la justification prévue par l’article premier à l’égard de telles questions ne commande pas une preuve scientifiquement précise, la Cour à la majorité a conclu que l’absence quasi totale de preuve était fatale pour la thèse du gouvernement. Le juge de première instance avait conclu que, selon la preuve, les exigences de justification n’étaient pas respectées. La Cour à la majorité a statué que, au vu du dossier dont elle était saisie, il n’y avait aucune raison de modifier la conclusion du juge de première instance.
7 Pour répondre à l’arrêt RJR de la Cour, le législateur a adopté la Loi sur le tabac et le règlement qui sont en cause dans les présents pourvois. De manière générale, l’économie des nouvelles mesures législatives consistait notamment à permettre la publicité informative et la publicité préférentielle, tout en interdisant la publicité et la promotion de style de vie, la publicité attrayante pour les jeunes et la publicité ou promotion trompeuse. En outre, la taille des mises en garde obligatoires et attribuées sur les emballages est passée de 33 pour 100 à la moitié de la principale surface exposée. Le nouveau régime législatif était en général plus modéré et nuancé que le régime antérieur. Il témoignait d’un effort réel du législateur de concevoir des mesures de contrôle de la publicité et de la promotion qui seraient conformes à ses objectifs et qui répondraient aux préoccupations exprimées par la Cour à la majorité dans l’arrêt RJR.
8 La réplique du gouvernement, lorsque, inévitablement, le nouveau régime a été contesté, s’inspirait également de l’arrêt RJR de la Cour. Celui‑ci a présenté une preuve détaillée et abondante à l’appui de son argument selon lequel la nouvelle mesure législative assujettissait la liberté d’expression à des restrictions dont la justification pouvait être démontrée au sens de l’article premier de la Charte.
9 Dans ses efforts pour concevoir et justifier des mesures de contrôle bien adaptées au domaine de la publicité et de la promotion des produits du tabac, le législateur a bénéficié d’une meilleure compréhension des moyens que les fabricants utilisent pour annoncer et promouvoir leurs produits, de même que de nouvelles données scientifiques concernant la nature du tabagisme et ses conséquences. Selon les conclusions tirées en l’espèce par le juge de première instance, il est désormais indéniable que le tabac crée une forte dépendance et engendre des coûts personnels et sociaux exorbitants. Nous savons aujourd’hui que la moitié des fumeurs mourront d’une maladie liée au tabac, ce qui représente des coûts énormes pour le système de santé public. Nous savons également que la dépendance au tabac est l’une des plus difficiles à surmonter et que nombreux sont les fumeurs qui ont tenté, et tentent encore, en vain de cesser de fumer.
10 De plus, le contexte international a changé depuis 1995. Partout dans le monde, des gouvernements mettent en oeuvre des mesures antitabac semblables à celles du Canada, et parfois même plus restrictives que celles‑ci. La Convention‑cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (2003), 2302 R.T.N.U 229, que le Canada a ratifiée en 2004, établit une interdiction globale de la promotion des produits du tabac, sous réserve des exigences constitutionnelles des États qui y ont adhéré. La Convention, qui compte 168 signataires et 148 parties, est l’un des traités multilatéraux qui réunit le plus grand nombre d’adhérents. Au Canada, les gouvernements acceptent désormais généralement que la protection de la population contre la fumée secondaire est un objectif d’intérêt public légitime. Maintes provinces interdisent l’usage du tabac dans les endroits publics fermés; certaines légifèrent en vue d’obtenir le remboursement des coûts des soins de santé par les fabricants de produits du tabac, et de limiter la promotion des produits du tabac encore plus que ne le fait la Loi sur le tabac fédérale. On a reproché à l’industrie du tabac d’avoir désigné des cigarettes comme étant « légères » ou « douces », pratique à laquelle les fabricants ont accepté de mettre fin en 2006 à la suite d’une enquête du Bureau de la concurrence.
11 Aucun de ces changements ne dégage la Couronne du fardeau d’établir que la justification des restrictions que la mesure législative impose à la liberté d’expression peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, comme l’exige l’article premier de la Charte. Le simple fait que la mesure législative constitue la réponse du législateur à un arrêt de notre Cour ne milite ni pour ni contre la déférence : P. W. Hogg, A. A. Bushell Thornton et W. K. Wright, « Charter Dialogue Revisited — Or “Much Ado About Metaphors” » (2007), 45 Osgoode Hall L.J. 1, p. 47‑48. Le modèle juridique établi dans les arrêts Oakes et RJR demeure applicable. Toutefois, l’application de ce modèle à la preuve que le gouvernement a soumise, plus d’une décennie plus tard, dans la présente affaire peut donner lieu à des conclusions différentes. L’arrêt RJR s’inscrit dans un contexte historique différent et repose sur des conclusions différentes étayées par un dossier différent à une époque différente. La Loi sur le tabac doit être appréciée en fonction des connaissances, des conditions sociales et du cadre réglementaire qui ressortent de la preuve présentée en l’espèce.
III. La preuve
12 Les conclusions de fait du juge de première instance méritent d’être examinées en détail; les éléments essentiels sont les suivants.
13 Quelque 45 000 Canadiens décèdent chaque année de maladies liées au tabac. Dans cette mesure, le tabagisme est le principal problème de santé publique au Canada.
14 La plupart des fumeurs commencent à fumer à l’adolescence, entre l’âge de 13 et de 16 ans. La publicité des produits du tabac sert à recruter de nouveaux fumeurs, particulièrement des adolescents. Il est tout à fait irréaliste de prétendre qu’elle ne vise pas les gens de moins de 19 ans. La publicité récente des produits du tabac vise trois objectifs : atteindre les jeunes, rassurer les fumeurs (pour les dissuader de cesser de fumer) et atteindre les femmes.
15 Le tabac contient de la nicotine, une drogue qui crée une forte dépendance. Environ 80 pour 100 des fumeurs souhaitent cesser de fumer, mais en sont incapables. Cependant, les nouveaux fumeurs, en particulier les jeunes, sont souvent inconscients des risques de dépendance (ou ont tendance à refuser de regarder la vérité en face à cet égard). Les cigarettiers ont conçu des cigarettes qui renferment de plus grandes quantités de nicotine.
16 Entre 1985 et 2000, le pourcentage des Canadiens qui fument est passé de 35 pour 100 à 24 pour 100. Ce pourcentage a diminué dans chaque groupe d’âge, sauf chez les 15 à 19 ans.
17 Les fabricants ont reconnu qu’ils produisent la quasi totalité des cigarettes vendues au Canada et que leur entreprise est rentable même si les cigarettes sont lourdement taxées. Ils ont également reconnu qu’ils consacraient des sommes importantes à la promotion de leurs marques respectives.
IV. Le régime législatif et réglementaire
18 La Loi sur le tabac a pour objet de « de s’attaquer, sur le plan législatif, à un problème qui, dans le domaine de la santé publique, est grave et d’envergure nationale », et plus particulièrement « de protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens compte tenu des preuves établissant, de façon indiscutable, un lien entre l’usage du tabac et de nombreuses maladies débilitantes ou mortelles », « de préserver notamment les jeunes des incitations à l’usage du tabac et du tabagisme qui peut en résulter », « de protéger la santé des jeunes par la limitation de l’accès au tabac » et « de mieux sensibiliser la population aux dangers que l’usage du tabac présente pour la santé » : al. 4a), b), c) et d) (voir annexe A, dans laquelle figurent les dispositions pertinentes de la Loi).
19 La Loi sur le tabac cherche à atteindre ces objectifs en ciblant les « quatre P » de la commercialisation des produits du tabac : produit, prix, point de vente et promotion. Les présents pourvois ne visent que le quatrième « P » — la promotion — qui est régi par la partie IV de la Loi. En plus de contenir les dispositions contestées en l’espèce, la partie IV interdit les témoignages de personnes célèbres, réglemente la distribution d’accessoires de marque et d’articles autres que des produits du tabac, interdit la promotion des ventes sous forme notamment de rabais, de primes et d’échantillons gratuits, et réglemente la vente au détail des produits du tabac. Le gouvernement a choisi la structure législative actuelle après avoir mené une vaste consultation publique et envisagé un certain nombre d’autres possibilités.
20 Les restrictions applicables à la publicité des produits du tabac constituent un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel : RJR. Cependant, les infractions réglementaires créées par la Loi sur le tabac ne sont pas de véritables crimes et sont des infractions de responsabilité stricte : voir l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154. Les violations des dispositions régissant la promotion entraînent des peines sévères : des amendes pouvant atteindre 300 000 $ par jour et un emprisonnement maximal de deux ans, ou l’une de ces peines (art. 43 et 47). Un cigarettier peut être reconnu coupable d’une infraction distincte pour chacun des jours au cours desquels se continue la violation (art. 49). Les administrateurs et les dirigeants d’une personne morale peuvent être condamnés pour les infractions commises par celle‑ci (art. 50).
21 La structure fondamentale des restrictions en matière de publicité et de promotion ainsi que les objections des fabricants à ces restrictions peuvent être décrites de la façon suivante.
1. Promotion
22 Le point de départ est une interdiction générale de faire la promotion des produits du tabac, sauf dans la mesure où elle est autorisée par la Loi ou son règlement d’application :
19. Il est interdit de faire la promotion d’un produit du tabac ou d’un élément de marque d’un produit du tabac, sauf dans la mesure où elle est autorisée par la présente loi ou ses règlements.
Le terme « promotion » est défini à l’art. 18. La définition fondamentale est large :
18. (1) Dans la présente partie, «—promotion—» s’entend de la présentation, par tout moyen, d’un produit ou d’un service — y compris la communication de renseignements sur son prix ou sa distribution — , directement ou indirectement, susceptible d’influencer et de créer des attitudes, croyances ou comportements au sujet de ce produit ou service.
23 Le paragraphe 18(2) établit des exceptions à cette interdiction générale. La première exception s’applique à la représentation d’un produit du tabac dans une oeuvre artistique ou scientifique, sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie pour la représentation du produit dans l’oeuvre en question : al. 18(2)a). La deuxième exception s’applique « aux comptes rendus, commentaires et opinions portant sur un produit du tabac », sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie pour la mention de ce produit : al. 18(2)b). La troisième exception, non pertinente en l’espèce, porte sur la promotion au sein de l’industrie du tabac : al. 18(2)c). Les fabricants soutiennent que l’interdiction de la représentation, moyennant contrepartie, de produits du tabac dans des oeuvres scientifiques les empêche de financer une recherche scientifique sur les produits du tabac et d’en publier les résultats.
2. Interdictions expresses : promotion trompeuse, publicité de style de vie et publicité attrayante pour les jeunes
24 Après avoir établi une interdiction générale de la promotion, sous réserve des exceptions prévues au par. 18(2) et dans les autres dispositions de la Loi ou de son règlement d’application, la mesure législative établit un certain nombre d’interdictions expresses.
25 La première est une interdiction générale absolue de la promotion trompeuse des produits du tabac :
20. Il est interdit de faire la promotion d’un produit du tabac, y compris sur l’emballage de celui‑ci, d’une manière fausse ou trompeuse ou susceptible de créer une fausse impression sur les caractéristiques, les effets sur la santé ou les dangers pour celle‑ci du produit ou de ses émissions.
Les fabricants soutiennent que cette interdiction est d’une imprécision et d’une portée inacceptables, du fait qu’elle vise non seulement la promotion faite d’une manière fausse ou trompeuse (expression ayant un sens juridique reconnu), mais encore tout ce qui est « susceptible de créer une fausse impression sur les caractéristiques » des produits du tabac et sur les risques qu’ils présentent pour la santé.
26 La mesure législative interdit également les attestations et témoignages (art. 21), ce qui n’est pas contesté par les fabricants. Les interdictions touchant l’emballage et la présentation (art. 23, 24, 25 et 26) ne sont pas contestées non plus (à l’exception des mises en garde obligatoires sur les emballages).
27 Le paragraphe 22(1) interdit les annonces qui représentent « un produit du tabac, [. . .] l’emballage de celui‑ci ou [. . .] un élément de marque ». Toutefois, le par. 22(2) établit ensuite une exception à cette interdiction en ce qui concerne la publicité informative et la publicité préférentielle dans les publications qui sont expédiées par courrier à un adulte désigné par son nom, dans les publications dont au moins 85 pour 100 des lecteurs sont des adultes ou sur des affiches placées dans des endroits non fréquentés par les jeunes.
28 Le paragraphe 22(2) a donc pour effet de permettre la publicité informative ou préférentielle d’un produit du tabac dans les publications lues, et les lieux fréquentés, surtout par des adultes. Toutefois, probablement parce qu’il craignait que cette publicité atteigne quand même les jeunes (du fait, notamment, que les publications dont 85 pour 100 des lecteurs sont des adultes peuvent néanmoins être lues par un grand nombre de jeunes), ou franchisse le seuil qui la sépare de la publicité de style de vie, le législateur a restreint davantage cette forme déjà limitée de publicité :
22. ...
(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas à la publicité de style de vie ou à la publicité dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes.
La « publicité de style de vie » est définie au par. 22(4) comme étant la « [p]ublicité qui associe un produit avec une façon de vivre, tels le prestige, les loisirs, l’enthousiasme, la vitalité, le risque ou l’audace ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d’une telle façon de vivre. » Aucune définition de ce qui pourrait être attrayant pour les jeunes n’est donnée. Les fabricants font valoir que les interdictions de la publicité de style de vie et de la publicité attrayante pour les jeunes sont imprécises et ont une portée excessive et qu’elles sont, de ce fait, inconstitutionnelles.
29 Le libellé contesté qui renvoie à la publicité de style de vie et à la publicité attrayante pour les jeunes, est repris à l’art. 27, qui interdit d’utiliser les éléments de marque des produits du tabac sur des articles autres que des produits du tabac.
3. Commandites
30 L’article 24 de la Loi sur le tabac interdit d’utiliser « directement ou indirectement » un élément de marque d’un produit du tabac ou le nom d’un fabricant sur le matériel relatif à la promotion « d’une personne, d’une entité, d’une manifestation, d’une activité ou d’installations permanentes ». L’article 25 interdit d’utiliser un élément de marque ou le nom d’un fabricant sur des « installations permanentes » si cela a pour effet d’associer l’élément ou le nom en question à une manifestation ou activité sportive ou culturelle. Les fabricants contestent ces interdictions relatives aux commandites. Ils soutiennent d’abord que l’interdiction générale de la promotion n’est pas justifiée et, subsidiairement, que, si elle est justifiée, l’interdiction particulière d’utiliser les dénominations sociales, par opposition aux éléments de marque, a une portée excessive et est donc inconstitutionnelle.
4. Mises en garde sur les emballages
31 Enfin, le nouveau règlement (RIPT, annexe B) fait passer la taille requise des mises en garde sur les emballages de 33 pour 100 à la moitié de la principale surface exposée (al. 5(2)b)). Les fabricants s’opposent à cette augmentation en faisant valoir que les mises en garde portent atteinte à leur liberté d’expression et que le gouvernement n’a pas démontré que l’augmentation de leur taille est justifiée.
V. Analyse
32 Avant d’examiner plus en détail les dispositions contestées, il peut être utile d’analyser les grands principes qui doivent guider l’examen de leur constitutionnalité.
33 Les fabricants contestent les dispositions en cause pour le motif qu’elles violent ou restreignent le droit à la liberté d’expression que leur garantit l’al. 2b) de la Charte. Le gouvernement concède qu’il y a violation, sauf en ce qui concerne l’augmentation de la taille des mises en garde, mais il affirme que le droit en question est restreint dans des limites qui sont justifiées au regard de l’article premier de la Charte.
34 Le texte de l’al. 2b) de la Charte est le suivant :
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes : . . .
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
Lors de l’adoption de la Charte, se posait la question de savoir si la garantie de la liberté d’expression s’étendait à l’expression commerciale des personnes morales. Notre Cour a conclu par l’affirmative : Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927. Cette conclusion reposait sur un examen des valeurs protégées par la garantie de la liberté d’expression : l’épanouissement personnel, la recherche de la vérité et la participation démocratique. La Cour a statué que, compte tenu de ses décisions antérieures voulant que les droits garantis par la Charte reçoivent une interprétation large et libérale, il n’y avait aucune raison valable de soustraire l’expression commerciale à la protection de l’al. 2b). Elle a fait remarquer que le discours commercial peut être utile pour renseigner les consommateurs sur les produits offerts et leur donner une raison d’acheter : Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 766‑767.
35 La question principale qui se pose à l’égard des dispositions contestées est de savoir si le gouvernement a établi que leur « justification [peut] se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » au sens de l’article premier de la Charte, dont voici le texte :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
36 Cette question fait intervenir ce qu’on s’appelle en droit l’analyse de la proportionnalité. La plupart des constitutions modernes reconnaissent que les droits ne sont pas absolus et peuvent être restreints si cela est nécessaire pour atteindre un objectif important et si la restriction apportée est proportionnée ou bien adaptée. La notion de proportionnalité émane de travaux de recherche antiques et scolastiques sur l’exercice légitime de l’autorité gouvernementale. Sa formulation moderne remonte à la Cour suprême de l’Allemagne et à la Cour européenne des droits de l’homme, qui ont été influencées par l’ancien droit allemand : A. Barak, « Proportional Effect: The Israeli Experience » (2007), 57 U.T.L.J. 369, p. 370‑371. Dans l’arrêt Oakes, notre Cour a formulé un critère de proportionnalité qui reprend les éléments de cette idée de proportionnalité — premièrement, la règle de droit doit répondre à un objectif important, et deuxièmement, le moyen qu’elle prend pour atteindre cet objectif doit être proportionné. La proportionnalité suppose à son tour l’existence d’un lien rationnel entre le moyen employé et l’objectif visé, d’une atteinte minimale et d’une proportionnalité des effets. Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson, dans l’arrêt Oakes, p. 139 :
À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu’il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme « suffisamment important ». [Soulignement supprimé.]
37 Les restrictions de la liberté d’expression qui sont cause dans la présente affaire ont pour objectif général de régler le problème de santé publique que pose l’usage du tabac, en protégeant les Canadiens contre les maladies débilitantes ou mortelles liées à l’usage du tabac. Plus particulièrement, la Loi vise à mieux sensibiliser la population aux dangers que l’usage du tabac présente pour la santé et à protéger la santé des jeunes par la limitation de l’accès au tabac : art. 4. Un objectif sera considéré comme légitime s’il vise la réalisation d’objectifs collectifs d’une importance fondamentale : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (édition feuilles mobiles), vol. 2, p. 38‑22; Oakes, p. 136. Pour reprendre les termes de l’arrêt Oakes, l’objectif doit être « urgent et réel ».
38 Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt RJR, il peut être difficile de déterminer l’objectif d’une loi pour les besoins de l’analyse de la proportionnalité. Les lois peuvent avoir des objectifs différents, dont le niveau d’abstraction peut également différer. Plus l’objectif visé est général et large, plus il est difficile de démontrer que les moyens choisis pour en favoriser la réalisation portent le moins possible atteinte à des droits. En l’espèce, le législateur a formulé de façon large son objectif global : protéger la santé des Canadiens et s’attaquer à un problème de santé publique d’envergure nationale. Nul ne conteste l’importance de cet objectif. Toutefois, le législateur a également formulé ses objectifs d’une façon plus restrictive en reliant l’objectif général à l’objectif des dispositions en cause qui, par exemple consiste à préserver notamment les jeunes des incitations à l’usage du tabac et à mieux sensibiliser la population aux dangers que l’usage du tabac présente pour la santé. En définissant son objectif de façon aussi précise, le législateur a pris garde de le surestimer ou d’en exagérer l’importance : RJR, par. 144.
39 Cela nous amène à l’autre volet de l’analyse de la proportionnalité — les moyens choisis par le législateur pour atteindre son objectif. En l’espèce, ces moyens comportent une restriction de la liberté d’expression garantie par la Constitution. Pour résister à l’analyse, ces moyens doivent être rationnellement liés à l’objectif visé, être conçus de manière à porter le moins possible atteinte au droit en question et être proportionnés ou équilibrés sur le plan de leur effet. La question de savoir si ces conditions sont remplies doit être appréciée au regard de la restriction imposée.
40 Rares sont les cas qui ont échoué en raison de l’exigence d’un lien rationnel. Toutefois, cela n’enlève rien à l’importance de cette étape. Le gouvernement doit établir que les moyens qu’il a choisis sont liés à l’objectif visé. Il doit à tout le moins être possible de soutenir que ces moyens peuvent aider à réaliser l’objet en question. Cela a représenté un problème dans l’arrêt RJR, où le juge de première instance a conclu que, bien qu’il ait complètement interdit la publicité commerciale, le gouvernement n’avait pas établi l’existence d’un lien entre la publicité purement informative ou préférentielle et une augmentation de l’usage du tabac. Dans la Loi actuelle, le législateur a tenté d’éviter cette difficulté en autorisant la publicité informative et la publicité préférentielle, sous réserve de certaines exceptions.
41 Il peut y avoir lieu de faire montre de déférence lorsqu’il s’agit de déterminer si l’exigence d’un lien rationnel est respectée. Il se peut qu’il ne soit pas simple ou facile de trouver des solutions efficaces à des problèmes sociaux complexes, tel l’usage du tabac. Il peut y avoir lieu de débattre de ce qui fonctionnera ou ne fonctionnera pas, et il est possible que le résultat ne soit pas mesurable du point de vue scientifique. La décision du législateur sur les moyens à adopter devrait faire l’objet d’une grande déférence en pareils cas.
42 Non seulement les moyens doivent‑ils avoir un lien rationnel avec l’objectif visé, mais encore il faut démontrer qu’ils ne portent qu’une « atteinte minimale » au droit en question. Ils doivent être soigneusement adaptés à l’objectif visé. Le législateur a le droit de chercher à atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, mais ce faisant, il doit porter le moins possible atteinte aux droits des Canadiens.
43 Là encore, une certaine déférence peut être indiquée lorsque le problème auquel s’attaque le législateur est un problème social complexe. Il peut exister plusieurs façons d’aborder un problème, sans qu’on l’on sache avec certitude laquelle sera la plus efficace. Il peut être possible, dans le calme de la salle d’audience, d’imaginer une solution qui porte moins atteinte au droit en cause que celle adoptée par le législateur. Toutefois, il faut également se demander si, au regard des moyens choisis par le législateur, cette solution serait raisonnablement efficace. Pour compliquer les choses, il se peut qu’un régime législatif vise un certain nombre d’objectifs et que l’atteinte minimale portée à un droit dans la poursuite d’un objectif particulier empêche la réalisation d’un autre objectif. La formulation de solutions législatives à des problèmes complexes est forcément une tâche complexe, qui commande une évaluation et une mise en balance. C’est pourquoi notre Cour a conclu que, en ce qui touche les questions sociales complexes, l’exigence d’atteinte minimale est respectée si le législateur a choisi l’une des diverses solutions raisonnables qui s’offraient : R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, et Irwin Toy.
44 L’analyse de l’atteinte minimale en l’espèce sera également influencée par le lien entre l’examen constitutionnel et l’interprétation législative. Avant d’entreprendre l’examen constitutionnel, il faut interpréter la loi. Cela peut avoir un effet crucial à l’étape de l’analyse de l’atteinte minimale, lorsque la portée excessive est alléguée. Le processus d’interprétation peut permettre de résoudre une ambiguïté en faveur d’un sens plus limité. Cela n’est possible que si la loi comporte une véritable ambiguïté. Par conséquent, dans les cas où il existe une ambiguïté, les arguments de portée excessive peuvent être tranchés au moyen de l’interprétation correcte : R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 32.
45 Il s’agit enfin de savoir s’il y a proportionnalité entre les effets de la mesure qui restreint le droit en question et l’objectif de la loi. Cet examen est axé sur l’effet pratique de la loi. Quels effets bénéfiques la mesure aura‑t‑elle sur le plan du bien collectif recherché? Quelle est l’importance de la restriction du droit? La restriction est‑elle justifiée lorsque les avantages qu’elle procure sont mis en balance avec la mesure dans laquelle elle limite le droit en question?
46 Bien que la question de l’atteinte minimale soit souvent déterminante, l’examen final de la proportionnalité des effets est essentiel. C’est seulement à cette étape que la réalisation de l’objectif peut être soupesée en fonction de l’effet sur le droit en question. Si les exigences de lien rationnel et d’atteinte minimale étaient respectées et que l’analyse devait s’arrêter là, il se pourrait qu’en présence d’un objectif moins important la validité d’une atteinte grave à un droit soit confirmée.
47 Comme nous le verrons, bien que l’argumentation ait surtout porté sur la question de l’atteinte minimale, la présente affaire met en cause des préoccupations relatives à la proportionnalité des effets. Les effets bénéfiques potentiels de la réduction de l’usage du tabac et de la prévention du tabagisme chez les jeunes sont très grands. Par contre, on peut soutenir qu’un certain nombre des effets négatifs sur le droit en question se situent au bas de l’échelle de la liberté d’expression. (La présumée interdiction de la publication des résultats d’une recherche scientifique est une exception.) Lorsque l’expression commerciale est utilisée, comme on le fait valoir en l’espèce, pour inciter les gens à adopter un comportement préjudiciable et toxicomaniaque, sa valeur devient faible.
48 C’est dans ce contexte que je vais maintenant examiner plus précisément les dispositions contestées du régime législatif et réglementaire.
1. Publication d’oeuvres scientifiques commanditées par un fabricant
49 Comme nous l’avons vu, l’art. 19 de la Loi établit une interdiction générale de la promotion des produits du tabac, sous réserve d’exceptions particulières. Le paragraphe 18(2) soustrait à cette interdiction certaines formes de promotion, dont les oeuvres « littéraires, dramatiques, musicales, cinématographiques, artistiques, scientifiques ou éducatives [. . .] sur ou dans lesquelles figure » un produit du tabac, pourvu qu’aucun fabricant ou détaillant n’ait donné une contrepartie pour la représentation du produit dans ces oeuvres.
50 Les fabricants soutiennent que cette exception n’est pas suffisamment large pour inclure la publication des résultats d’une recherche scientifique légitime. S’ils commanditent une recherche, ils donnent une contrepartie, ce qui les empêche de publier les résultats d’une recherche scientifique légitime. Par exemple, la recherche effectuée par un professeur titulaire, grâce à la subvention d’un fabricant de produits du tabac, ne pourrait même pas, soutiennent‑ils, être publiée dans une revue à comité de lecture si elle produit des résultats qui sont favorables à un produit du tabac (et qui en font ainsi la « promotion »).
51 Le juge Denis, siégeant en première instance, a conclu que l’art. 18 ne vise que la promotion commerciale et que cela ne limite pas la recherche scientifique légitime. Toutefois, la Cour d’appel, sous la plume du juge Beauregard, a décidé que les art. 18 et 19 imposaient une restriction à la publication des résultats d’une recherche scientifique et qu’ils constituaient ainsi une atteinte injustifiée au droit à la liberté d’expression. Pour remédier à la situation, la Cour d’appel a ordonné que l’exception que le par. 18(2) établit au sujet des oeuvres pour lesquelles une contrepartie est donnée soit inopérante en ce qui concerne les oeuvres scientifiques.
52 Une interdiction de la publication de toutes les oeuvres scientifiques commanditées — si c’est ce que la Loi impose — est difficile à justifier. Même si l’on pouvait prétendre qu’elle satisfait au critère du lien rationnel, en raison de la possibilité que des recherches commanditées produisent éventuellement des résultats susceptibles d’encourager l’usage du tabac, cette interdiction ne constituerait probablement pas une atteinte minimale au droit à la liberté d’expression. La possibilité de commanditer une oeuvre scientifique sur le tabac pourrait certes être exploitée de manière abusive. Par exemple, les cigarettiers pourraient subventionner des études scientifiques trompeuses ou mensongères, ou dont la publication est destinée aux adolescents. Cependant, ces préoccupations, pourrait‑on soutenir, ne justifient pas une interdiction systématique de la publication des oeuvres scientifiques; elles peuvent et devraient être ciblées expressément. Il est également possible de prétendre que l’interdiction totale des oeuvres scientifiques commanditées ne satisferait pas non plus à l’exigence de proportionnalité des effets. Les avantages de la publication des résultats d’une recherche scientifique légitime l’emporteront probablement sur tout effet négatif qu’elle peut avoir sur les objectifs du législateur. La publication des résultats d’une recherche scientifique est une activité expressive valable dont l’interdiction a de graves répercussions sur le droit à la liberté d’expression. Par contre, l’effet bénéfique de l’interdiction pourrait être négligeable. Quelle que soit la façon de l’envisager, affirment les fabricants, l’interdiction restreint de manière injustifiable leur droit à la liberté d’expression. Une forme d’expression potentiellement valable est limitée inutilement ou de manière non proportionnée.
53 La question demeure, toutefois : les dispositions, correctement interprétées, établissent‑elles une interdiction totale de la recherche scientifique subventionnée? J’estime qu’il faut répondre à cette question par la négative. Correctement interprétés, les art. 18 et 19 permettent la publication des oeuvres scientifiques légitimes commanditées par les fabricants de produits du tabac.
54 Je pars du principe selon lequel ces dispositions sont ambiguës en ce qui concerne les oeuvres scientifiques. L’intention du législateur ne ressort pas clairement du libellé. L’article 18 est curieusement rédigé. Interprété littéralement et conjointement avec la définition figurant au par. 18(1) et l’interdiction prévue à l’art. 19, l’al. 18(2)a) établirait une interdiction générale concernant les oeuvres scientifiques. Une telle interprétation semble non fondée. Elle ne cadre ni avec l’économie des art. 18 et 19 ni avec les objectifs du législateur. L’article 18 a pour objet premier le « placement de produits » destinés aux consommateurs, telle la pratique des fabricants de produits du tabac qui consiste à payer un studio pour qu’il utilise leur marque de cigarettes dans un film. Bien que le procureur général prétende que le « placement de produits » et les oeuvres scientifiques suscitent les mêmes préoccupations, il est difficile de voir pourquoi il devrait en résulter une interdiction applicable à toutes les oeuvres scientifiques légitimes subventionnées.
55 Face à une disposition législative qui, interprétée littéralement, semble illogique, la Cour devrait se demander s’il est possible de l’interpréter d’une manière qui soit conforme au contexte et qui permette d’obtenir un résultat rationnel. Cela résulte de la méthode moderne d’interprétation des lois, formulée par Driedger dans un passage souvent cité par notre Cour :
Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
(Sharpe, par. 33, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87)
56 Le procureur général du Canada préconise une interprétation téléologique de l’art. 18, selon laquelle le terme « promotion » ne vise que la promotion commerciale. Il s’agit de l’approche adoptée par le juge Denis, siégeant en première instance, qui a conclu que seule la promotion commerciale destinée aux consommateurs était visée par l’art. 18 (par. 341). Ainsi interprétés, les art. 18 et 19 n’interdisent pas la publication des résultats d’une recherche scientifique légitime du fait que cette forme de recherche n’est ni commerciale ni destinée aux consommateurs. Par contre, il serait interdit à un fabricant de payer pour qu’une marque particulière figure dans une oeuvre scientifique commerciale destinée aux consommateurs. Une telle restriction de la liberté d’expression serait toutefois justifiée au regard de l’article premier de la Charte; le lien rationnel, l’atteinte minimale et la proportionnalité des effets seraient clairement établis. Cette interprétation a pour effet d’harmoniser la mention des « oeuvres [. . .] scientifiques », à l’al. 18(2)a), avec l’objet et le libellé de l’ensemble de l’art. 18.
57 Je conclus que le terme « promotion », figurant à l’art. 18, devrait s’entendre de la promotion commerciale qui s’adresse, directement ou indirectement, aux consommateurs.
2. Promotion trompeuse
58 L’article 20 interdit la promotion faite « d’une manière fausse ou trompeuse », de même que celle faite d’une manière « susceptible de créer une fausse impression sur les caractéristiques, les effets sur la santé ou les dangers pour celle‑ci du produit ou de ses émissions ».
59 Le juge de première instance a confirmé la validité de cette disposition, pour le motif qu’elle ne portait pas atteinte à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b). La Cour d’appel, sous la plume du juge Beauregard, a statué que les termes « d’une manière [. . .] susceptible de créer une fausse impression » était vague et trop englobante et ne pouvait donc pas être justifiée, au regard de l’article premier, en tant que limite raisonnable à la liberté d’expression. La cour a ordonné que les termes contestés soient retirés de l’art. 20.
60 De toute évidence, l’art. 20 viole la garantie de liberté d’expression. La Charte ne s’attache pas au contenu et protège autant l’expression de vérités que celle de faussetés. La réglementation des faussetés doit donc être justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Voir R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439.
61 L’examen fondé sur l’article premier et portant sur la justification de l’interdiction prévue à l’art. 20 de la Loi doit s’inscrire dans le contexte factuel de la publicité trompeuse à laquelle se livre depuis longtemps l’industrie du tabac. La créativité dont font preuve les fabricants pour transmettre des messages positifs au sujet d’un produit largement reconnu pour sa nocivité est impressionnante. Au cours des dernières années, par exemple, les fabricants ont employé des étiquettes mentionnant que leur produit ne comporte aucun additif et qu’il est composé de tabac canadien seulement, afin de donner l’impression qu’il est sain. Techniquement, l’information figurant sur ces étiquettes peut être véridique. Toutefois, celles‑ci ont pour but et pour effet d’amener les consommateurs à croire faussement, lorsqu’ils demandent le paquet rangé derrière le comptoir, que le produit qu’ils consommeront ne leur causera aucun tort, ou que, de toute façon, il leur fera moins de tort que les autres produits du tabac, même s’il est prouvé que les produits sur lesquels sont apposées ces étiquettes ne sont pas moins dangereux pour la santé que les autres produits du tabac. C’est avec ce contexte à l’esprit qu’il faut apprécier le libellé choisi par le législateur à l’art. 20, ainsi que la justification de ce libellé. Le législateur était soucieux de combattre les fausses inférences trompeuses au sujet de l’innocuité des produits, et de permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé.
62 L’objection vise précisément les termes « ou susceptible de créer une fausse impression », qui figurent à l’art. 20. Les fabricants soutiennent qu’ils sont vagues et trop englobants et qu’ils font intervenir des considérations subjectives. Comment, se demandent‑ils, peuvent‑ils prévoir ce qui est « susceptible de créer une fausse impression »? Les épithètes « fausse ou trompeuse », employées comme termes juridiques, qualifient généralement des faits objectivement vérifiables. Si les termes « susceptible de créer une fausse impression » ajoutent quelque chose aux termes « fausse ou trompeuse », comme l’entendait probablement le législateur, de quoi s’agit‑il?
63 La réponse est que les termes « susceptible de créer une fausse impression » visent la promotion qui, sans être vraiment fausse ou trompeuse au sens juridique traditionnel, transmet une fausse impression au sujet des effets du produit du tabac, en ce sens qu’elle amène les consommateurs à faire des inférences erronées. Il s’agit là d’une tentative de combler la zone grise qui sépare la fausseté démontrable et l’incitation à faire de fausses inférences, et que les fabricants de produits du tabac ont exploitée avec succès dans le passé.
64 La pratique de l’industrie consistant à promouvoir l’usage du tabac en amenant les consommateurs à faire de fausses inférences sur l’innocuité des produits du tabac est largement répandue, ce qui porte à croire que l’industrie la juge efficace. Le législateur a réagi en interdisant la promotion qui est « susceptible de créer une fausse impression ». Cela constitue une restriction de la liberté d’expression. Il s’agit uniquement de savoir si cette restriction est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.
65 L’objectif du législateur consistant à combattre la promotion des produits du tabac faisant appel à des demi‑vérités et incitant à faire de fausses inférences constitue un objectif urgent et réel qui est susceptible de justifier des restrictions du droit à la liberté d’expression. L’interdiction de ces formes de promotion est rationnellement liée aux objectifs du législateur en matière de santé publique et de protection du consommateur.
66 Les termes contestés ne portent pas plus atteinte au droit à la liberté d’expression que ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif en cause. Les termes « fausse ou trompeuse » ne jouent pas le rôle qui est assigné aux autres termes « susceptible de créer une fausse impression ». Il n’est pas facile non plus de trouver des termes plus stricts qui joueraient ce rôle. Un libellé identique à celui qui est contesté en l’espèce figure dans la version anglaise des al. 11(1)a) et 13(4)a) de la Convention‑cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. La version française enploie des termes presque identiques. Aux termes de cette convention, chaque partie doit utiliser ce libellé dans son droit national, sous réserve de l’application de ses principes constitutionnels nationaux. Au moins trois autres lois canadiennes ont recours au même libellé : la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27, par. 5(1), la Loi sur les dispositifs émettant des radiations, L.R.C. 1985, ch. R‑1, par. 5(1), et la Loi sur la généalogie des animaux, L.R.C. 1985, ch. 8 (4e suppl.), art. 64. Ces exemples ajoutent du poids à la conclusion selon laquelle l’interdiction de la promotion « susceptible de créer une fausse impression » n’est ni vague ni trop englobante, mais se situe plutôt à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables.
67 Je suis d’avis de rejeter l’argument des fabricants selon lequel les termes français « susceptible de créer une fausse impression » ont une portée beaucoup plus large que les termes anglais « likely to create an erroneous impression ». Le mot français « susceptible » n’a pas le même sens que le mot anglais « susceptible »; il est souvent employé comme l’équivalent de « likely », notamment dans la Convention de l’OMS. Lorsque les versions française et anglaise de la Loi sont considérées ensemble, le sens est clair.
68 Enfin, le libellé contesté satisfait à l’exigence de proportionnalité des effets. D’une part, l’objectif est d’une très grande importance, rien de moins qu’une question de vie ou de mort pour les millions de personnes susceptibles d’être touchées, et la preuve montre que l’interdiction de la publicité faisant appel à des demi‑vérités et incitant à faire de fausses inférences peut aider à réduire l’usage du tabac. Le fait que les fabricants de produits du tabac aient recours à cette forme de publicité le confirme. D’autre part, la forme d’expression en jeu — le droit d’inviter les consommateurs à faire une inférence erronée sur la salubrité d’un produit qui, selon la preuve, leur causera presque assurément du tort — a peu de valeur. Tout bien considéré, l’effet de l’interdiction est proportionnel.
69 Je conclus que l’interdiction de la promotion trompeuse et, plus particulièrement, de la promotion « susceptible de créer une fausse impression » est justifiée, au regard de l’article premier de la Charte, en tant que limite raisonnable à la liberté d’expression, et que l’art. 20 de la Loi sur le tabac est constitutionnel.
3. Publicité et promotion attrayantes pour les jeunes
70 La Loi sur le tabac protège de trois façons particulières les jeunes contre la publicité et la promotion des produits du tabac. La première façon, prévue au par. 22(2), consiste à imposer des restrictions en matière de placement de publicités. La deuxième façon, prévue au par. 22(3), consiste à interdire la publicité « dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes ». La troisième façon consiste à interdire l’utilisation des éléments de marque d’un produit du tabac sur des articles — autres que des produits du tabac — qui « sont associés aux jeunes ou dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils pourraient être attrayants pour les jeunes » : al. 27a). Les fabricants contestent la deuxième mesure, à savoir l’interdiction de la publicité « dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes » : par. 22(3).
71 La structure du régime en cause est, d’une manière générale, la suivante. Comme nous l’avons vu, le par. 22(2) autorise la publicité informative et la publicité préférentielle dans certains médias et certains lieux. La publicité préférentielle est largement définie comme étant la « [p]ublicité qui fait la promotion d’un produit du tabac en se fondant sur les caractéristiques de sa marque. » On pourrait soutenir que les caractéristiques de la marque peuvent inclure des éléments qui s’adressent aux jeunes. Pour supprimer ces éléments, le par. 22(3) de la Loi établit une exception à leur égard, ce qui a pour effet d’interdire cette forme de publicité.
72 Il ne fait aucun doute que cette interdiction restreint la liberté d’expression et, contrevient, de ce fait, à l’al. 2b) de la Charte. Il s’agit uniquement de savoir si elle est justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Je conclus par l’affirmative.
73 Là encore, l’analyse doit commencer par l’interprétation du par. 22(3). Il faut de nouveau s’interroger sur le sens que le législateur a voulu donner à cette disposition. L’interprétation, en l’espèce, est un défi de taille. Le libellé utilisé, que ce soit en français ou en anglais, présente certaines difficultés. Pour compliquer les choses, il est possible, en interprétant les deux versions, d’y voir des nuances différentes.
74 Les juridictions inférieures se sont heurtées à ces difficultés. Le juge Denis, siégeant en première instance, a commencé par rejeter la preuve de l’industrie du tabac selon laquelle la publicité de ses produits ne cible pas les jeunes et ne s’adresse qu’aux consommateurs adultes volages (brand‑switching). Il a conclu qu’une bonne partie de la publicité faite par l’industrie vise, en fait, les jeunes et que persuader les adolescents à commencer à fumer participait d’une stratégie publicitaire calculée et délibérée. Il a ajouté que les termes « motifs raisonnables », « pourrait » et « attrayante pour les jeunes » ont un sens bien connu et sont suffisants pour permettre à un juge de décider si, dans un cas donné, l’existence d’une violation a été établie.
75 La Cour d’appel était partagée sur la question de la constitutionnalité de la disposition. Les juges majoritaires (les juges Brossard et Rayle) en ont confirmé la validité. À l’instar du juge de première instance, ils ont considéré que le critère applicable consiste à se demander si les termes en question peuvent être interprétés par un tribunal. Ils ont jugé qu’ils pouvaient l’être. Ils ont insisté sur le fait qu’en cette matière il faut faire montre d’une grande déférence à l’égard du choix du législateur. Ils ont estimé que le législateur a le droit d’être inexorable lorsqu’il est question d’enfants et de jeunes. L’infraction, ont‑ils souligné, n’est pas criminelle mais réglementaire. L’interdiction vise à protéger un groupe vulnérable. À leur avis, lorsqu’on compare l’importance de cet objectif avec la faible valeur de l’activité expressive qui fait l’objet d’une restriction, il ne fait aucun doute que l’interdiction est proportionnée. Dans ces circonstances, les tribunaux doivent s’en remettre au législateur.
76 Le juge Beauregard était dissident. À son avis, la disposition a une portée excessive. Il ne suffit pas qu’un juge puisse appliquer la disposition; il faut en outre que les fabricants de produits du tabac puissent savoir ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Il doit être possible de distinguer ce qui est attrayant pour les jeunes, et interdit, et ce qui est attrayant pour les adultes, et permis. Comme cette ligne est impossible à tracer, il s’ensuit, selon le juge Beauregard, que la disposition interdit complètement toutes les formes de publicité informative et de publicité préférentielle, contrairement au sens clair du par. 22(2). À son avis, la solution consistait à retirer du par. 22(3) les termes « ou à la publicité dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes ».
77 Selon les fabricants, la disposition interdisant la publicité qui pourrait être attrayante pour les jeunes comporte deux défauts : imprécision et portée excessive. Ces deux défauts sont liés entre eux. L’argument principal des fabricants veut que la disposition ne leur donne pas suffisamment d’indications pour qu’ils sachent quand ils sont susceptibles d’enfreindre la loi. Cela ressemble énormément à l’argument de « l’imprécision » fondé sur l’art. 7. Toutefois, comme l’art. 7 n’est pas en cause dans la présente affaire, il convient d’aborder cette question sous l’angle de l’article premier, soit comme une absence de « restriction prescrite par une règle de droit », soit comme une absence d’atteinte minimale. Comme l’a affirmé le juge Sopinka dans l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, p. 94‑95 (cité et approuvé à l’unanimité par la Cour dans l’arrêt Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, par. 56) :
Or, il existe aux moins deux façons dont l’imprécision peut prendre une importance constitutionnelle dans une analyse fondée sur l’article premier. Tout d’abord, une loi peut présenter une telle indétermination qu’il est impossible de l’interpréter comme limitant de quelque manière le pouvoir du gouvernement. [. . .] Dans de telles circonstances, il n’existe pas de restriction prescrite par une règle de droit et point n’est alors besoin de procéder à l’analyse fondée sur l’article premier, car la condition préliminaire de son application n’est pas remplie. La seconde façon dont l’imprécision peut jouer un rôle constitutionnel est dans l’analyse de l’article premier. Une loi qui satisfait au critère préliminaire peut néanmoins, pour cause d’imprécision, ne pas constituer une restriction raisonnable. Il se peut en effet que la généralité d’une disposition ainsi que l’imprécision de ses termes fassent que l’atteinte portée à un droit garanti par la Charte ne soit pas maintenue dans des limites raisonnables. À cet égard, l’imprécision est un élément de la portée excessive.
78 Il est donc clair que la portée excessive et l’imprécision peuvent être pris en considération pour déterminer si une restriction de la liberté d’expression est justifiée au regard de l’article premier de la Charte, bien que ces deux notions fassent intervenir des considérations différentes. En ce qui concerne la portée excessive, il faut déterminer si, à première vue, la disposition vise plus d’activités expressives que ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif du législateur. Ce qui est reproché n’est pas le manque de clarté des mots, mais le fait que, tout en étant clairs, les mots en question ont une trop large portée. L’imprécision, au contraire, est axée sur le caractère général et vague du libellé employé. On fait valoir que, parce que le libellé est vague et obscur, il peut s’appliquer d’une façon qui, en fait, dépasse les objectifs déclarés du législateur. Il se peut que le citoyen — qu’il s’agisse d’une personne morale ou physique — qui souhaite respecter la loi n’ait d’autre choix que de pécher par excès de prudence. Il se peut alors qu’il s’exprime moins que ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif de l’État. En réalité, face à de vagues interdictions de s’exprimer, le citoyen prudent peut devoir se taire complètement. À l’instar du libellé clair qui confère à une mesure législative une portée trop large, la portée excessive pour cause d’imprécision est cruciale en ce qui concerne l’exigence d’atteinte minimale.
79 Il s’ensuit qu’il faut démontrer deux choses pour réfuter un argument voulant qu’il y ait imprécision et portée excessive : premièrement, la disposition doit fournir des indications suffisantes à ceux qui sont appelés à s’y conformer; deuxièmement, elle doit limiter le pouvoir discrétionnaire des représentants de l’État chargés de l’appliquer. Bien que la certitude totale soit impossible et qu’une certaine généralisation soit inévitable, le texte législatif doit être suffisamment précis pour servir de guide dans un débat juridique : R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606. Le juge de première instance et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont mis l’accent sur le besoin de la souplesse et l’impossibilité de la certitude absolue, mais le juge Beauregard a également insisté, à juste titre, sur le principe selon lequel il faut donner aux citoyens un avertissement suffisant pour guider leur conduite. Pour dissiper la crainte que la mesure législative contestée soit appliquée de manière excessive, il ne suffit pas simplement de se demander si un juge de première instance sera en mesure de l’appliquer lorsqu’il sera saisi d’une affaire où il en sera question. En fait, cela revient à reporter à une autre occasion le soin de trancher la question cruciale de la portée excessive.
80 C’est dans ce contexte que je vais maintenant interpréter le par. 22(3). Comme nous l’avons vu, l’objectif est de déterminer l’intention du législateur. Pour ce faire, il faut examiner les termes employés dans leur contexte juridique et social. Il s’agit de trouver un sens commun entre les versions française et anglaise. Et du début à la fin, on s’inspire de l’objectif ou de l’intention du législateur. En ce qui concerne l’affaire en cause, le législateur n’aurait pas pu exprimer plus clairement son intention que dans la Loi sur le tabac. Cette intention est tout simplement « de préserver notamment les jeunes des incitations à l’usage du tabac et du tabagisme qui peut en résulter » : al. 4b).
81 L’interdiction de la publicité attrayante pour les jeunes comporte un certain nombre d’expressions qui, à première vue, posent un problème : considérées séparément, les expressions « dont il existe des motifs raisonnables de croire » et « attrayante pour les jeunes » sont loin d’être précises. Toutefois, c’est l’intention globale que nous devons chercher.
82 La première chose qui nous frappe au par. 22(3), c’est l’accent qu’il met sur les « motifs raisonnables » de conclure que la publicité est visée par l’interdiction. La version anglaise emploie le libellé « that could be construed on reasonable grounds ». La version française utilise une construction grammaticale différente, mais reprend la même idée : « dont il existe des motifs raisonnables de croire ». La construction anglaise est inhabituelle. La construction française est, quant à elle, bien connue en droit. Le concept des « motifs raisonnables de croire » est courant, surtout en droit criminel. Je conclus que le sens commun de cette partie de la disposition est qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que la publicité en question relève de l’interdiction. C’est une norme objective, une norme au contenu juridique clair.
83 C’est l’emploi du conditionnel « pourrait » ou « could be » dans la disposition qui suscite davantage de difficultés. Dans le contexte criminel, l’expression « motifs raisonnables de croire » est généralement employée à l’indicatif présent; la personne qui effectue l’appréciation doit avoir des motifs raisonnables de croire ce dont il est question. Le paragraphe 22(3) est différent. La version anglaise emploie les termes « could be construed on reasonable grounds », ce qui laisse croire qu’il devrait y avoir des motifs raisonnables, mais que la personne qui les apprécie n’aurait pas besoin d’être aussi certaine de leur existence qu’elle devrait l’être dans le contexte criminel. La version française utilise une construction totalement différente. Le conditionnel « pourrait » vise non pas l’activité qui consiste à apprécier ou à interpréter les motifs, comme dans la version anglaise, mais plutôt la nature de la publicité interdite : « qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes ».
84 Là encore, j’estime que la version française est plus utile. La version anglaise, qui indique qu’il faut des motifs raisonnables mais qu’il n’est pas nécessaire que la personne qui les apprécie soit absolument certaine de leur existence, semble contradictoire. Si des motifs raisonnables existent, il est difficile d’imaginer comment on pourrait douter de leur existence. La version française évite ce problème : il faut avoir des motifs raisonnables de conclure que la publicité « pourrait être » attrayante pour les jeunes. Cette formulation exprime l’idée que les motifs raisonnables existent, mais qu’il peut y avoir des doutes quant à savoir si les jeunes jugeraient effectivement cette publicité attrayante. Ainsi interprétée, l’expression contribue à dégager le poursuivant de l’obligation de prouver qu’une publicité particulière était effectivement attrayante pour un ou plusieurs jeunes. Tout ce qu’il faut, c’est que la preuve établisse que la publicité pourrait être attrayante pour un jeune.
85 Reste l’expression « attrayante pour les jeunes ». En ce qui concerne la version anglaise, on pourrait soutenir que le terme « appealing » est un verbe, qu’il a le sens « d’exercer un attrait sur », quoique son sens adjectival [traduction] « qui exerce un attrait, qui intéresse » semble plus naturel (Canadian Oxford Dictionary (2e éd. 2004), p. 61). En français, le terme « attrayante » est clairement adjectival — la question est de savoir si la publicité pourrait être « attrayante » pour les jeunes. Je conclus que le mot « appealing » doit également être considéré comme un adjectif en anglais.
86 Reste à déterminer ce que le législateur avait à l’esprit en traitant différemment la publicité attrayante « pour les jeunes ». Se pourrait‑il qu’il ait voulu viser toute publicité, même celle qui est surtout attrayante pour les adultes, en supposant qu’elle pourrait aussi être attrayante pour certains jeunes? Ou encore, le législateur voulait‑il que l’exception à l’autorisation générale de la publicité informative et de la publicité préférentielle ne s’applique qu’à la publicité qui est particulièrement attrayante pour les jeunes?
87 À mon avis, la seule conclusion raisonnable est la dernière. Le législateur avait déjà dit, au par. 22(2), que la publicité informative et la publicité préférentielle étaient permises dans certains lieux appropriés. Le paragraphe 22(3) vise à protéger une sous‑catégorie plus restreinte de consommateurs dont les goûts particuliers ne peuvent pas être représentés dans des publicités. Interpréter l’expression « pourrait être attrayante pour les jeunes » comme visant toute publicité ferait échec à cette intention et ferait perdre tout son sens au par. 22(2). En outre, il faut présumer que les mots « pour les jeunes » ont été inclus dans un but précis. Les interpréter comme s’appliquant à tout le monde leur ferait aussi perdre tout leur sens. La règle voulant que le législateur ne parle pas pour ne rien dire indique qu’il y a lieu de rejeter cette interprétation : Procureur général du Québec c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831. Enfin, interpréter le par. 22(3) comme ne visant que la publicité particulièrement attrayante pour les jeunes est conforme avec l’intention du législateur d’empêcher les jeunes de commencer à fumer et de développer une dépendance au tabac.
88 Pour ces motifs, je conclus qu’il faut considérer que le par. 22(3) interdit la publicité informative et la publicité préférentielle qui pourraient être attrayantes pour une couche sociale particulière, à savoir les jeunes. Pour établir l’existence de cet élément de la disposition, le poursuivant doit démontrer que la publicité en question pourrait être attrayante pour les jeunes, par opposition à la population adulte en général.
89 À l’issue de cet exercice d’interprétation, nous arrivons à dégager un sens commun aux versions française et anglaise du par. 22(3), qui est conforme à l’intention déclarée du législateur d’empêcher plus particulièrement les jeunes de commencer à fumer. Selon cette interprétation du par. 22(3), la poursuite doit, dans un cas donné, établir l’existence de motifs raisonnables de croire que la publicité d’un produit du tabac qui est visée pourrait être attrayante pour les jeunes, en ce sens qu’elle pourrait être particulièrement attirante et intéressante pour les jeunes, par opposition à l’ensemble de la population.
90 Après avoir établi le sens du par. 22(3), j’aborde la question de savoir si on a démontré que l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression est une restriction raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte.
91 Personne ne conteste que l’objectif du législateur consistant à soustraire les jeunes à la tentation de commencer à fumer et au tabagisme qui peut en résulter est un objectif urgent et réel. Il ne fait également aucun doute que l’interdiction de la publicité attrayante pour les jeunes est rationnellement liée à cet objectif.
92 Les arguments des fabricants selon lesquels la disposition ne constitue pas une atteinte minimale en raison de son imprécision et de sa portée excessive commandent toutefois un examen attentif. Je ne puis souscrire au point de vue de la juge Rayle selon lequel, « en ce qui concerne la protection des enfants, le volet “atteinte minimale” du critère relatif à l’article premier de la charte n’est pas pertinent » (par. 341). Cependant, je conclus que, selon l’interprétation que je propose de lui donner, le par. 22(3) n’est pas imprécis. Il n’interdit pas totalement la publicité. La publicité informative et la publicité préférentielle sont permises dans la mesure où elles ne sont pas faites dans des lieux que les jeunes sont susceptibles de fréquenter ou dans des publications qui ne s’adressent pas à des adultes, et où elles ne constituent pas de la publicité de style de vie (que j’examinerai plus loin) ou de la publicité dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes en tant que groupe.
93 L’interdiction de la publicité qui pourrait être attrayante pour les jeunes a‑t‑elle une portée excessive? Va‑t‑elle plus loin que ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif du législateur? On pourrait soutenir qu’il suffit de limiter la publicité à la publicité informative et à la publicité préférentielle et d’imposer des restrictions en matière de placement de publicités, et que la restriction additionnelle imposée par le par. 22(3) est inutile. Toutefois, cet argument ne tient pas compte de la portée de la définition que le législateur donne de la « publicité préférentielle », qui pourrait bien permettre la publicité destinée aux jeunes. L’information peut, elle aussi, revêtir différentes formes. Ces réalités, conjuguées à la possibilité que les jeunes puissent voir ou lire le matériel autorisé par les dispositions restreignant le placement des publicités, justifient d’assujettir à une restriction particulière le matériel qui pourrait être attrayant pour les jeunes. La publicité préférentielle est permise dans les publications qui sont expédiées par courrier à un adulte désigné par son nom (al. 22(2)a)) ou dont au moins 85 pour 100 des lecteurs sont des adultes (al. 22(2)b)). Ces publications peuvent néanmoins être lues par des jeunes. Dans ce contexte, le par. 22(3) vise à empêcher que ces publications contiennent de la publicité qui « pourrait » être attrayante pour les jeunes, par opposition à la population adulte en général. Le paragraphe 22(3) interdit simplement de présenter cette forme de publicité d’une manière qui pourrait être particulièrement attrayante pour les jeunes. Compte tenu de la complexité et de la subtilité des pratiques qui — comme le démontre le dossier en l’espèce — ont été adoptées antérieurement dans le domaine de la publicité des produits du tabac, on ne saurait prétendre que le législateur est allé plus loin que nécessaire en interdisant la publicité qui pourrait inciter les jeunes à commencer à fumer.
94 Enfin, le par. 22(3) satisfait à l’exigence de proportionnalité des effets. L’activité expressive interdite a peu de valeur. L’information concernant les produits du tabac et les caractéristiques des marques peut avoir une certaine valeur pour le consommateur qui a déjà développé une dépendance au tabac. Mais cette valeur n’est pas très grande. Par contre, les effets bénéfiques de l’interdiction pour les jeunes et la société en général peuvent être considérables. Les restrictions en matière de placement de publicités peuvent faire en sorte que la majorité des personnes qui voient la publicité interdite par le par. 22(3) sont des adultes. Elles peuvent avoir une incidence sur la publicité informative et la publicité préférentielle qu’ils peuvent recevoir. Toutefois, cette incidence est peu importante; ce qui est interdit, c’est uniquement la publicité qui pourrait être particulièrement attrayante pour les jeunes. En outre, la vulnérabilité des jeunes peut justifier la prise de mesures qui, en matière de liberté d’expression, les favorisent par rapport aux adultes. Ainsi, dans l’arrêt Irwin Toy, p. 982, la Cour a confirmé la validité d’une disposition prévoyant que l’heure tardive à laquelle un message publicitaire était diffusé ne faisait pas présumer qu’il n’était pas destiné aux enfants, tout en faisant observer que cette disposition « dit clairement qu’une publicité pour un produit destiné aux enfants présentée de façon à attirer l’attention des enfants est interdite même si le public susceptible de la voir est composé en majeure partie d’adultes ».
95 Je conclus que la restriction de la liberté d’expression imposée par le par. 22(3), correctement interprété, est justifiée en tant que limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte.
4. Publicité de style de vie
96 Le paragraphe 22(3) exclut de la publicité informative et de la publicité préférentielle qu’autorise le par. 22(2) deux formes de publicité : la publicité qui pourrait être attrayante pour les jeunes, que je viens d’examiner, et la publicité de style de vie.
97 Le paragraphe 22(4) définit ainsi la publicité de style de vie :
« publicité de style de vie » Publicité qui associe un produit avec une façon de vivre, tels le prestige, les loisirs, l’enthousiasme, la vitalité, le risque ou l’audace ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d’une telle façon de vivre.
98 L’on s’entend pour dire que cette disposition porte atteinte à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b). Les fabricants soutiennent toutefois que sa portée est excessive et demandent son annulation. Subsidiairement, ils demandent que la définition de style de vie soit limitée aux styles de vie mentionnés expressément au par. 22(4).
99 Le juge Denis, siégeant en première instance, a expliqué en détail la pratique de l’industrie consistant à utiliser l’attrait exercé par divers styles de vie pour vendre des produits du tabac. Différents styles de vie s’adressent à différentes couches de la population. Les femmes et les jeunes représentent un pourcentage important de la population qui est visée par cette forme de publicité. Les annonces publicitaires sont très subtiles. Certaines associent un produit à un style de vie romantique, telle l’image de cowboy de « l’homme Marlboro ». D’autres peuvent évoquer des aspects d’un style de vie plus ordinaire, telle l’image d’une tasse de café ou d’un bain, combinée à une cigarette. Parfois, la cigarette y est complètement absente; on ne montre que le bain ou la tasse de café, en l’associant discrètement à une marque particulière. Le juge Denis a conclu à la validité de l’interdiction de la publicité de style de vie pour le motif que, même s’il fait appel à des images et à des émotions, cette forme de publicité est assez claire pour qu’un tribunal puisse l’interpréter dans un cas particulier.
100 La Cour d’appel était partagée à cet égard. Les juges majoritaires (les juges Brossard et Rayle) ont confirmé la validité de l’interdiction. Selon eux, le législateur était fondé à recourir à une définition large pour englober les formes de publicité créative qui pourraient ne pas être visées par une définition plus traditionnelle de la publicité de style de vie. Le juge Beauregard, dissident, a estimé qu’il peut être impossible de faire la promotion de certains produits sans évoquer une émotion positive ou négative au sujet d’un style de vie déjà associé à ces produits.
101 Je conclus que, correctement interprétée, l’interdiction que le par. 22(3) établit à l’égard de la publicité de style de vie constitue une restriction de la liberté d’expression qui est raisonnable et dont la justification peut être démontrée.
102 Comme dans le cas des autres dispositions contestées dans les présents pourvois, il faut d’abord se livrer à un exercice d’interprétation. Un certain contexte peut être utile. Dans l’arrêt RJR, la Cour à la majorité a convenu que, compte tenu de la preuve qui lui avait été soumise, l’interdiction de la publicité de style de vie (mais non de la publicité informative et de la publicité préférentielle) aurait pu être considérée comme une atteinte minimale (la juge McLachlin, par. 164; le juge Iacobucci, par. 191). Cela reposait sur l’idée que la publicité de style de vie vise toujours à accroître l’usage global du tabac, et non seulement à informer les personnes qui fument déjà.
103 Le procureur général du Canada affirme que le l’art. 22 est la réponse du Canada aux « directives » de la Cour. Cependant, la Loi sur le tabac s’écarte, à d’importants égards, du modèle analysé dans l’arrêt RJR, ce qui rend peu concluante toute comparaison directe.
104 Premièrement, la Loi donne à l’expression « style de vie » une définition différente de celle figurant dans l’analyse effectuée dans l’arrêt RJR. La définition de la publicité de style de vie à laquelle faisait allusion l’arrêt RJR était large et ne comportait aucune des mentions de « prestige, [. . .] loisirs, [. . .] enthousiasme, [. . .] vitalité, [. . .] risque ou [. . .] audace » contenues dans la Loi. En outre, dans l’arrêt RJR, la Cour s’est concentrée sur la publicité qui « associe » un produit à une façon de vivre, et n’a fait aucune mention de la publicité qui « évoque une émotion ou une image, positive ou négative », au sujet d’une façon de vivre, comme le fait la Loi sur le tabac.
105 Deuxièmement, la Loi sur le tabac définit la publicité préférentielle plus largement que l’a fait la Cour dans l’arrêt RJR. Dans cet arrêt, la publicité préférentielle était limitée en ce sens qu’elle ne devait être destinée qu’aux personnes qui fument déjà, afin de les inciter à changer de marque, et qu’elle ne visait que la couleur, le design et la présentation de l’emballage (le juge La Forest, se fondant sur la définition utilisée par la Cour d’appel ([1993] R.J.Q. 375, le juge Brossard). Par contre, la Loi sur le tabac définit simplement la publicité préférentielle comme la « [p]ublicité qui fait la promotion d’un produit du tabac en se fondant sur les caractéristiques de sa marque ». Cela signifie que le par. 22(2) ouvre plus grand la porte à cette forme de publicité que ne l’aurait fait la définition stricte de l’arrêt RJR, si elle avait été adoptée.
106 Ces différences signifient qu’aucune comparaison directe ne saurait être faite entre les dispositions relatives à la publicité de style de vie contenues dans la Loi sur le tabac et l’incidence que les conclusions de l’arrêt RJR sur la publicité préférentielle ont sur la portée de la publicité de style de vie. Dans l’arrêt RJR, l’approbation de la publicité préférentielle par les juges majoritaires reposait non seulement sur une preuve différente, mais aussi sur d’autres définitions de concepts cruciaux. La place importante que le par. 22(2) accorde à la publicité autorisée doit être prise en considération pour déterminer si l’exception prévue au par. 22(3) a une portée excessive. Il s’ensuit que l’argument du procureur général, selon lequel il faut reconnaître la validité du par. 22(3) parce qu’il constitue la réponse du législateur aux « directives » données par la Cour dans l’arrêt RJR, est simpliste. Il faut se concentrer sur la structure et le libellé de la Loi sur le tabac, et non sur ce qui a été dit l’arrêt RJR au sujet de faits différents et d’autres définitions de concepts cruciaux.
107 Comment alors faut‑il interpréter la publicité de style de vie mentionnée au par. 22(3)? Il faut d’abord examiner l’économie de l’ensemble de l’art. 22 et partir du fait que le par. 22(2) autorise la publicité informative et la publicité préférentielle. La publicité informative est une notion relativement claire : elle consiste à donner de l’information factuelle sur le produit. Cependant, cela n’écarte pas la possibilité que l’information soit présentée d’une façon qui évoque un style de vie. La publicité préférentielle prévue par la Loi a une portée encore plus large. Comme je l’ai déjà souligné, la Loi n’a pas retenu le concept strict de la publicité préférentielle énoncé dans l’arrêt RJR. Elle a plutôt défini cette forme de publicité comme étant la « [p]ublicité qui fait la promotion d’un produit du tabac en se fondant sur les caractéristiques de sa marque. » Comme le fait valoir la Société canadienne du cancer, la notion de « marque » est associée à un style de vie; en matière de commercialisation, la marque est une image intangible et est habituellement associée à un style de vie particulier.
108 Après avoir autorisé de manière générale, au par. 22(2), la publicité informative et la publicité préférentielle, la Loi exclut ensuite la publicité de style de vie définie au par. 22(4). Autrement dit, le par. 22(2) autorise la publicité associée à une façon de vivre, de même que la publicité qui évoque des émotions et des images, mais le par. 22(3) retire cette autorisation.
109 La première partie de la définition de la publicité de style de vie figurant au par. 22(4) ne pose aucun problème. Conjuguée au par. 22(3), elle exclut du champ d’application général du par. 22(2) la publicité qui associe un produit à une façon de vivre. Cette exclusion, analysée dans l’arrêt RJR, a un sens bien connu. Les termes qui suivent présentent cependant des difficultés : « ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d’une telle façon de vivre ». Qu’ajoutent‑ils? Le juge Beauregard estimait que toute publicité qui évoque une image ou une émotion au sujet de cette façon de vivre doit nécessairement « associer » un produit à cette façon de vivre.
110 Nous devons toutefois tenter de trouver un sens à ces termes, conformément à la règle selon laquelle le législateur ne parle pas pour ne rien dire : Carrières Ste‑Thérèse. Ce sens se ressort d’une appréciation du problème auquel s’attaquait le législateur relativement à la publicité de style de vie. La disposition expresse selon laquelle la publicité de style de vie n’a qu’à évoquer une émotion ou une image peut être perçue comme visant à écarter les arguments voulant que, pour constituer de la publicité de style de vie, le message doit à première vue présenter un lien entre le produit du tabac et une façon de vivre. Bien qu’on puisse soutenir que la publicité qui associe un produit du tabac à une façon de vivre évoque une émotion ou une image, il n’est pas certain que la publicité qui évoque une émotion ou une image associe toujours un produit du tabac à un style de vie. Par exemple, il se pourrait que, dans une publicité, une image de style de vie ait pour objet d’évoquer une émotion ou une image qui évoque elle‑même, de manière subliminale, un certain produit du tabac. Le publicitaire accusé d’une infraction pourrait faire valoir comme moyen de défense que la publicité n’« associ[ait] » pas le style de vie au produit et qu’il n’y a ainsi aucune preuve qu’elle établissait un lien entre les deux. Les termes « ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d’une telle façon de vivre » permettraient de réfuter cet argument. Il est vrai que le verbe « associe » peut être interprété comme visant même les influences subliminales ou subtiles. Cependant, il peut aussi être interprété d’une manière plus restrictive. L’inclusion expresse de la publicité de style de vie qui évoque des émotions et des images indique clairement que même la publicité qui ne semble pas à première vue relier un style de vie à un produit du tabac est interdite si elle évoque un style de vie de manière subliminale.
111 Les termes « évoque une émotion ou une image, positive ou négative » ne devraient toutefois pas recevoir une interprétation large au point d’englober toutes les impressions perceptives. Il faudrait les interpréter d’une manière qui laisse place à la véritable publicité informative ou préférentielle, qui est autorisée par le par. 22(2). Cela rappelle la définition de la publicité préférentielle utilisée dans l’arrêt RJR, qui visait seulement les personnes qui fument déjà, ainsi que la couleur, le design et la présentation de l’emballage. On peut faire valoir que, d’une façon très abstraite et artistique, une couleur ou une image évoque une émotion. Cependant, le législateur se souciait des émotions et des images qui peuvent inciter les gens à commencer à fumer ou à accroître leur usage du tabac. Le législateur a utilisé ces termes dans le cadre de son objectif — empêcher l’accroissement de l’usage du tabac résultant de la publicité et limiter la publicité autorisée à des données factuelles précises qui sont destinées aux fumeurs invétérés. La disposition devrait être interprétée en conséquence.
112 La mention de l’émotion « positive ou négative » soulève une autre difficulté. On s’attendrait à ce que la publicité de style de vie évoque une émotion positive au sujet du style de vie et de l’utilisation du produit en question. Toutefois, les publicitaires ne manquent pas d’ingéniosité lorsqu’il s’agit de convaincre subtilement en suscitant des émotions négatives. On peut penser à la représentation d’un style de vie qui transmet le message que les non‑fumeurs sont laissés pour compte ou perçus comme des gens non raffinés.
113 Enfin, quel est l’effet de l’utilisation des termes « tels le prestige, les loisirs, l’enthousiasme, la vitalité, le risque ou l’audace » pour qualifier l’expression « façon de vivre » au par. 22(3)? Le mot « tels » indique que la « façon de vivre » n’est pas limitée par les termes qui suivent. Ces termes doivent plutôt être considérés comme illustrant des formes de publicité de style de vie.
114 Interprétée de cette façon, l’interdiction de la publicité de style de vie est raisonnable et sa justification peut être démontrée au sens de l’article premier de la Charte. Comme dans le cas des autres dispositions contestées, le caractère urgent et réel de l’objectif du législateur est incontestable. Le dossier regorge d’exemples de publicité de style de vie faisant la promotion de produits du tabac. Il démontre amplement que cette forme de publicité a le pouvoir d’inciter les non‑fumeurs à commencer à fumer et d’accroître l’usage du tabac chez les personnes qui ont développé une dépendance au tabac. Il démontre également toute la complexité et la subtilité de cette forme de publicité. La publicité de style de vie va de la simple association de l’homme Marlboro à la culture cowboy à la suggestion subtile émanant d’une tasse de café ou d’une scène de bain qui évoque l’usage du tabac grâce à des images déjà acquises.
115 La complexité et la subtilité de la publicité de style de vie se reflètent dans les moyens que le législateur a choisis pour s’y attaquer. L’interdiction de cette forme de publicité doit non seulement viser les associations évidentes, mais aussi les évocations subliminales subtiles, d’où l’inclusion de la publicité qui « évoque une émotion ou une image, positive ou négative ». Il existe un lien rationnel entre la disposition en question et l’objectif du législateur. L’existence d’une atteinte minimale est également établie. La véritable publicité informative ou préférentielle continue d’être autorisée au par. 22(2). Ces formes de publicité cessent d’être autorisées lorsqu’elles associent un produit à une façon de vivre ou recourent à un style de vie qui évoque une émotion ou une image qui, de par son objet ou son effet, est susceptible d’amener plus de gens à commencer à fumer ou d’amener les personnes qui fument déjà à accroître leur usage du tabac. Enfin, la proportionnalité des effets est évidente. L’activité expressive supprimée — l’incitation à un usage accru du tabac — a peu de valeur par rapport aux effets bénéfiques importants de la réduction de l’usage du tabac et de la dépendance à celui‑ci qui peut résulter de l’interdiction.
116 Le défi que représente la lutte contre la publicité subtile moderne des produits du tabac n’est pas négligeable. La distinction qui existe entre les publicités informative et préférentielle destinées à gagner une part du marché, d’une part, et la publicité destinée à accroître l’usage du tabac et le nombre de nouveaux fumeurs, d’autre part, est difficile à traduire en termes juridiques. Dans sa sagesse, le législateur a décidé de s’y mettre. Correctement interprétée, la mesure législative qu’il a adoptée satisfait aux exigences de justification prévues à l’article premier de la Charte.
5. Commandites
117 Les fabricants de produits du tabac ont depuis longtemps l’habitude de commanditer des manifestations et des installations culturelles et sportives afin de promouvoir leurs produits et, ont‑ils affirmé, de se comporter en bons citoyens. Dans la Loi sur le tabac, le législateur a choisi d’interdire la promotion de ces commandites. La question est de savoir si cette interdiction est constitutionnelle.
118 L’article 24 de la Loi interdit d’utiliser, directement ou indirectement, un élément de marque d’un produit du tabac ou le nom d’un fabricant sur le matériel relatif à la « promotion d’une personne, d’une entité, d’une manifestation, d’une activité ou d’installations permanentes ». L’article 25 va plus loin et interdit d’apposer un élément de marque d’un produit du tabac ou du nom d’un fabricant sur des installations permanentes, si l’élément ou le nom est de ce fait associé à une manifestation ou à une activité sportive ou culturelle. Ensemble, ces dispositions signifient que les fabricants de produits du tabac ne peuvent ni utiliser leurs éléments de marque ou leur nom pour commanditer des manifestations, ni apposer leurs éléments de marque ou leur nom sur des installations sportives ou culturelles.
119 Deux questions se posent. La première est de savoir si l’interdiction générale des commandites est constitutionnelle. Étant donné que cette interdiction restreint clairement la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte, il ne reste qu’à déterminer si sa justification a été démontrée au sens de l’article premier de la Charte.
120 Le juge Denis, siégeant en première instance, a conclu à juste titre que la promotion de commandite est essentiellement une publicité de style de vie déguisée. Si la publicité de style de vie est interdite, la commandite, quant à elle, offre aux cigarettiers un autre moyen d’associer leurs produits au prestige, aux loisirs, etc. La Cour d’appel a confirmé à l’unanimité cette conclusion, allant même jusqu’à affirmer que les art. 24 et 25 pouvaient être redondants du fait qu’ils ne représentent que des applications particulières de l’interdiction de la publicité de style de vie.
121 L’interdiction de la promotion de commandite est rationnellement liée à l’objectif législatif pour les mêmes raisons que l’est l’interdiction de la publicité de style de vie. De même, étant donné que l’interdiction de la publicité de style de vie est reconnue comme étant une atteinte minimale, l’interdiction des commandites est elle aussi reconnue comme telle. Une conclusion à l’existence d’une atteinte minimale est renforcée par le fait que le législateur a échelonné l’application de cette interdiction sur une période de cinq ans pour éviter qu’elle ait un effet perturbateur. Je tiens également à souligner que, contrairement à ce que prétendent les fabricants, il ne leur est pas interdit de commanditer quoi que ce soit; il leur est seulement interdit de se servir de leur commandite à des fins publicitaires.
122 La deuxième question, l’utilisation de dénominations sociales dans des commandites, est plus complexe. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que cette interdiction constituait une atteinte injustifiée à la liberté d’expression et ont déclaré inopérants les mots « ou le nom d’un fabricant » figurant aux art. 24 et 25, autorisant de ce fait l’utilisation des dénominations sociales dans la promotion de commandite et sur des installations, sauf si la dénomination renvoie, directement ou indirectement, à une marque de produit du tabac (les juges Brossard et Rayle).
123 Selon les juges majoritaires, il se pourrait qu’une dénomination sociale apposée dans un programme d’activité ou sur un édifice n’évoque pas un produit ou n’en fasse pas la promotion, ce qui soulève la question du lien rationnel. (On peut noter l’ordonnance finale qui a été rendue est plus restrictive que les motifs de jugement et se limite aux dénominations sociales qui ne servent pas de marques de fabrique.)
124 Le juge Beauregard, dissident, a affirmé que la seule raison pour laquelle une société apposerait son nom sur un immeuble serait d’évoquer la marque ou le nom de son produit, et que, par conséquent, l’interdiction était justifiée.
125 Je partage l’opinion du juge Beauregard selon laquelle l’interdiction de l’utilisation des dénominations sociales dans la promotion de commandite et sur des installations sportives ou culturelles est justifiée.
126 Là encore, l’objectif du législateur est manifestement urgent et réel. Comme l’a conclu le juge Denis, la preuve démontre que, au fur et à mesure qu’étaient renforcées les restrictions de la publicité sur le tabac, les fabricants se sont tournés vers la commandite d’activités sportives et culturelles pour remplacer la promotion de style de vie. Apposer le nom d’un fabricant de produits du tabac sur une installation est une forme de commandite de cette nature. L’interdiction de la promotion au moyen de dénominations sur des installations, prévue à l’art. 25, ne s’applique qu’aux installations utilisées pour des activités sportives ou culturelles, et non à toutes les installations. L’objectif consistant à enrayer cette forme de promotion justifie d’imposer des limites à la liberté d’expression.
127 Le moyen choisi pour atteindre cet objectif n’est pas non plus disproportionné. L’élément du lien rationnel est établi. Inscrire une dénomination sociale sur une liste de commanditaires ou l’apposer sur une installation sportive ou culturelle peut promouvoir l’usage du tabac de plusieurs façons. Cela est évident lorsque la dénomination sociale est liée à la marque de fabrique d’un produit du tabac. (L’appelant a fait valoir que les intimées ont toutes des marques de fabrique constituées en partie de leur dénomination sociale, ce qui n’a pas été démenti par les intimées.) Cependant, même en l’absence d’un lien manifeste entre la dénomination sociale et la marque de fabrique d’un produit du tabac, la dénomination sociale peut servir à promouvoir la vente de ce produit. L’existence d’un lien peut être établie de différentes manières. Il se peut que la dénomination sociale qui ne mentionne pas une marque de tabac fasse néanmoins référence au tabac, ou encore il se peut que la dénomination sociale soit historiquement associée au tabac. La preuve a établi que l’industrie du tabac a l’habitude d’utiliser des sociétés fictives comme élément d’identification de la marque. Les associations entre la société mère et la société fictive peuvent persister dans l’esprit du public. Par conséquent, la dénomination sociale utilisée dans la promotion de commandite ou apposé sur l’immeuble ou l’installation peut évoquer un lien avec la société fictive et sa marque.
128 Compte tenu de la nature du problème et de la valeur limitée de l’activité expressive en cause par rapport aux effets bénéfiques de l’interdiction, la solution proposée — l’interdiction totale d’utiliser les dénominations sociales dans la promotion de commandite ou de les apposer sur des installations sportives ou culturelles — est proportionnelle. Et compte tenu de la valeur limitée de l’activité expressive en cause par rapport aux effets bénéfiques de l’interdiction, la proportionnalité des effets est établie.
129 Je conclus que les dispositions contestées relatives aux commandites sont justifiées en tant que limites raisonnables au sens de l’article premier de la Charte.
6. Les mises en garde
130 Le règlement d’application de la Loi (le RIPT) a augmenté la taille minimale des mises en garde obligatoires sur les emballages des produits du tabac, la faisant passer de 33 pour 100, selon l’ancienne Loi, à la moitié de la principale surface exposée. Il s’agit de déterminer si cette mesure contrevient à l’al. 2b) et, dans l’affirmative, si cette contravention est justifiée.
131 Il n’est pas facile de répondre à la question de savoir si l’exigence impérative d’une mise en garde contrevient à l’al. 2b). Le procureur général prétend qu’il n’y a pas de contravention à l’al. 2b) et que l’exigence n’a pas pour effet de priver les fabricants d’un moyen de communiquer leur message, ni de limiter la forme d’expression. Il se fonde sur l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, p. 279‑280, dans lequel la juge Wilson a affirmé : « Si une loi ne prive pas vraiment une personne de la capacité de dire son opinion ou ne l’associe pas effectivement à un message qu’elle désapprouve, il est difficile de voir comment elle est privée de son droit de rechercher la vérité, de jouer un rôle dans la collectivité ou de se réaliser [les valeurs protégées par l’al. 2b)]. » Les dispositions du RIPT permettent aux fabricants de présenter la mise en garde, non pas comme étant leur message, mais comme étant celui de Santé Canada. Ils disposent toujours de la moitié de l’emballage pour transmettre des messages de leur choix, et ils ne sont pas limités à une taille ou à un style particulier d’emballage qui pourrait les empêcher de le faire. C’est pourquoi, selon le procureur général, les fabricants n’ont pas démontré qu’il leur est interdit de transmettre des messages de leur choix sur leurs emballages. Étant donné qu’ils ne sont pas acquittés de ce fardeau, ils n’ont pas établi l’existence d’une atteinte à leur liberté d’expression, conclut‑il.
132 Toutefois, notre Cour a retenu une conception large de l’« activité expressive » dans les affaires relatives à l’al. 2b). Dans l’arrêt Irwin Toy, elle est allée jusqu’à dire que stationner une voiture pouvait constituer une activité expressive. Dans le Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, p. 1184, le juge Lamer a affirmé que, dans certaines circonstances, le silence pouvait constituer une activité expressive. Conclure que des restrictions ou exigences mineures en matière d’emballage violent la garantie de liberté d’expression prévue à l’al. 2b) risque de banaliser cette garantie. Toutefois, on pourrait soutenir que l’exigence que les fabricants apposent la mise en garde du gouvernement sur la moitié de la surface exposée de leur emballage constitue un obstacle à la façon dont ils choisissent de s’exprimer. Je conclus donc qu’en général les exigences de mise en garde contreviennent à l’al. 2b), et plus particulièrement celle voulant que la mise en garde occupe la moitié de la principale surface exposée de l’emballage.
133 Reste à savoir si cette contravention est justifiée en tant que limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte. Je conclus que oui.
134 L’objectif que le législateur vise en exigeant qu’une bonne partie de l’emballage soit consacrée à une mise en garde est urgent et réel. La mise en garde vise à rappeler aux acheteurs potentiels les dangers que le produit présente pour la santé. Elle contribue ainsi à la réalisation de l’objectif général du législateur qui consiste à décourager l’usage du tabac et à empêcher les gens de commencer à fumer. L’importance des mises en garde est renforcée par la conclusion du juge de première instance selon laquelle les consommateurs et l’ensemble de la population ne sont pas bien informés des dangers du tabagisme.
135 La preuve concernant l’importance et l’efficacité des mises en garde démontre l’existence d’un lien rationnel entre l’exigence du législateur que des mises en garde soient apposées et son objectif de diminution de l’usage du tabac, ainsi que des maladies et des décès qui en résultent. Dans des affaires antérieures portant sur l’interdiction de la publicité des produits du tabac, la Cour a conclu à l’unanimité que « les deux parties ont reconnu que des études réalisées dans le passé ont démontré que les mises en garde apposées sur les emballages de produits du tabac produisent des résultats en ce qu’ils sensibilisent davantage le public aux dangers du tabagisme et contribuent à réduire l’usage général du tabac dans notre société » : RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, les juges Sopinka et Cory, p. 353; voir aussi l’arrêt RJR, la juge McLachlin, par. 158. Depuis lors, une preuve abondante est venue étayer cette conclusion.
136 La réaction des fabricants à l’exigence du législateur que la mise en garde occupe non plus 33 pour 100 mais la moitié de la principale surface exposée de l’emballage démontre encore plus la rationalité de cette exigence. La preuve révèle que les fabricants ont perçu cette augmentation comme une menace et qu’ils ont cherché à y faire face au moyen de stratégies destinées à réduire l’incidence globale des mises en garde.
137 Quant à l’atteinte minimale, la question est de savoir si l’exigence des mises en garde, en ce qui concerne leur taille notamment, se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables. Les fabricants soutiennent qu’il est injustifiable d’augmenter, de 33 pour 100 à la moitié, la surface qu’elles doivent occuper sur l’emballage. Toutefois, la preuve a démontré que des mises en garde de plus grande dimension peuvent avoir une plus grande influence. Le législateur n’a pas à appliquer des mesures moins efficaces : RJR, par. 160 et 163.
138 Le caractère raisonnable de l’exigence du gouvernement est étayé par le fait que l’Australie, la Belgique, la Suisse, la Finlande, Singapour et le Brésil prescrivent des mises en garde au moins aussi grandes que celles requises au Canada, et que l’Union européenne exige qu’elles occupent au moins 48 pour 100 de l’emballage. La Convention‑cadre de l’OMS pour la lutte antitabac stipule que les mises en garde « devraient » couvrir au moins la moitié de l’emballage, mais pas moins de 30 pour 100.
139 Enfin, la proportionnalité des effets est établie. Les effets bénéfiques des mises en garde de plus grande dimension sont manifestes. Les effets négatifs sur l’intérêt que les fabricants ont à s’exprimer de manière créative sur l’emballage de leurs produits sont négligeables.
140 J’estime que l’exigence que la moitié de la principale surface exposée de l’emballage soit occupée par une mise en garde contre les dangers que le produit présente pour la santé est une mesure raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre de notre société et qu’elle est constitutionnelle au regard de l’article premier de la Charte.
VI. Conclusion
141 Je conclus que, correctement interprétées, les dispositions contestées de la Loi sur le tabac et du Règlement sur l’information relative aux produits du tabac sont constitutionnelles en entier. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir les pourvois du procureur général, de rejeter les pourvois incidents des fabricants et de rétablir l’ordonnance du juge de première instance. Le procureur général a droit à ses dépens devant notre Cour et la Cour d’appel.
142 Voici la réponse qui est donnée aux questions constitutionnelles :
1. Les articles 18, 19, 20, 22, 24 et 25 de la Loi sur le tabac, L.C. 1997, ch. 13, en totalité ou en partie, ou par leur effet combiné, contreviennent‑ils à l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Oui.
2. Dans l’affirmative, cette contravention constitue‑t‑elle une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Oui.
3. Les dispositions du Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, DORS/2000‑272, qui régissent la taille des messages obligatoires, contreviennent‑elles à l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Oui.
4. Dans l’affirmative, cette contravention constitue‑t‑elle une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Oui.
ANNEXE A
Tobacco Act, S.C. 1997, c. 13
[PURPOSE
Purpose of Act]
4. The purpose of this Act is to provide a legislative response to a national public health problem of substantial and pressing concern and, in particular,
(a) to protect the health of Canadians in light of conclusive evidence implicating tobacco use in the incidence of numerous debilitating and fatal diseases;
(b) to protect young persons and others from inducements to use tobacco products and the consequent dependence on them;
(c) to protect the health of young persons by restricting access to tobacco products; and
(d) to enhance public awareness of the health hazards of using tobacco products.
[PART IV
PROMOTION
Definition of “promotion”]
18. (1) In this Part, “promotion” means a representation about a product or service by any means, whether directly or indirectly, including any communication of information about a product or service and its price and distribution, that is likely to influence and shape attitudes, beliefs and behaviours about the product or service.
[Application]
(2) This Part does not apply to
(a) a literary, dramatic, musical, cinematographic, scientific, educational or artistic work, production or performance that uses or depicts a tobacco product or tobacco product‑related brand element, whatever the mode or form of its expression, if no consideration is given directly or indirectly for that use or depiction in the work, production or performance;
(b) a report, commentary or opinion in respect of a tobacco product or a brand of tobacco product if no consideration is given by a manufacturer or retailer, directly or indirectly, for the reference to the tobacco product or brand in that report, commentary or opinion; or
(c) a promotion by a tobacco grower or a manufacturer that is directed at tobacco growers, manufacturers, persons who distribute tobacco products or retailers but not, either directly or indirectly, at consumers.
[Prohibition]
19. No person shall promote a tobacco product or a tobacco product‑related brand element except as authorized by this Act or the regulations.
[False promotion]
20. No person shall promote a tobacco product by any means, including by means of the packaging, that are false, misleading or deceptive or that are likely to create an erroneous impression about the characteristics, health effects or health hazards of the tobacco product or its emissions.
[Testimonials or endorsements]
21. (1) No person shall promote a tobacco product by means of a testimonial or an endorsement, however displayed or communicated.
[Depiction of person]
(2) For the purposes of subsection (1), the depiction of a person, character or animal, whether real or fictional, is considered to be a testimonial for, or an endorsement of, the product.
[Exception]
(3) This section does not apply to a trade‑mark that appeared on a tobacco product for sale in Canada on December 2, 1996.
[Advertising]
22. (1) Subject to this section, no person shall promote a tobacco product by means of an advertisement that depicts, in whole or in part, a tobacco product, its package or a brand element of one or that evokes a tobacco product or a brand element.
[Exception]
(2) Subject to the regulations, a person may advertise a tobacco product by means of information advertising or brand‑preference advertising that is in
(a) a publication that is provided by mail and addressed to an adult who is identified by name;
(b) a publication that has an adult readership of not less than eighty‑five per cent; or
(c) signs in a place where young persons are not permitted by law.
[Lifestyle advertising]
(3) Subsection (2) does not apply to lifestyle advertising or advertising that could be construed on reasonable grounds to be appealing to young persons.
[Definitions]
(4) The definitions in this subsection apply in this section.
[“brand‑preference advertising”
« publicité préférentielle » ]
“brand‑preference advertising” means advertising that promotes a tobacco product by means of its brand characteristics.
[“information advertising”
« publicité informative »]
“information advertising” means advertising that provides factual information to the consumer about
(a) a product and its characteristics; or
(b) the availability or price of a product or brand of product.
[“lifestyle advertising”
« publicité de style de vie »]
“lifestyle advertising” means advertising that associates a product with, or evokes a positive or negative emotion about or image of, a way of life such as one that includes glamour, recreation, excitement, vitality, risk or daring.
[Packaging]
23. No person shall package a tobacco product in a manner that is contrary to this Act or the regulations.
[Prohibition — sponsorship promotion]
24. No person may display a tobacco product‑related brand element or the name of a tobacco manufacturer in a promotion that is used, directly or indirectly, in the sponsorship of a person, entity, event, activity or permanent facility.
[Prohibition — name of facility]
25. No person may display a tobacco product‑related brand element or the name of a tobacco manufacturer on a permanent facility, as part of the name of the facility or otherwise, if the tobacco product‑related brand element or name is thereby associated with a sports or cultural event or activity.
[Accessories]
26. (1) Subject to the regulations, a manufacturer or retailer may sell an accessory that displays a tobacco product‑related brand element.
[Promotion]
(2) No person shall promote an accessory that displays a tobacco product‑related brand element except in the prescribed manner and form and in a publication or place described in paragraphs 22(2)(a) to (c).
[Non‑tobacco product displaying tobacco brand element]
27. No person shall furnish or promote a tobacco product if any of its brand elements is displayed on a non‑tobacco product, other than an accessory, or is used with a service, if the non‑tobacco product or service
(a) is associated with young persons or could be construed on reasonable grounds to be appealing to young persons; or
(b) is associated with a way of life such as one that includes glamour, recreation, excitement, vitality, risk or daring.
[Exception — tobacco product]
28. (1) Subject to the regulations, a person may sell a tobacco product, or advertise a tobacco product in accordance with section 22, if any of its brand elements is displayed on a non‑tobacco product, other than an accessory, or used with a service, if the non‑tobacco product or service does not fall within the criteria described in paragraphs 27(a) and (b).
[Exception — non‑tobacco product]
(2) Subject to the regulations, a person may promote a non‑tobacco product, other than an accessory, that displays a tobacco product‑related brand element, or a service that uses a tobacco product‑related brand element, to which section 27 does not apply.
[Sales promotions]
29. No manufacturer or retailer shall
(a) offer or provide any consideration, direct or indirect, for the purchase of a tobacco product, including a gift to a purchaser or a third party, bonus, premium, cash rebate or right to participate in a game, lottery or contest;
(b) furnish a tobacco product without monetary consideration or in consideration of the purchase of a product or service or the performance of a service; or
(c) furnish an accessory that bears a tobacco product‑related brand element without monetary consideration or in consideration of the purchase of a product or service or the performance of a service.
[Retail display of tobacco products]
30. (1) Subject to the regulations, any person may display, at retail, a tobacco product or an accessory that displays a tobacco product‑related brand element.
[Signs]
(2) A retailer of tobacco products may post, in accordance with the regulations, signs at retail that indicate the availability of tobacco products and their price.
[Communication media]
31. (1) No person shall, on behalf of another person, with or without consideration, publish, broadcast or otherwise disseminate any promotion that is prohibited by this Part.
[Exception]
(2) Subsection (1) does not apply to the distribution for sale of an imported publication or the retransmission of radio or television broadcasts that originate outside Canada.
[Foreign media]
(3) No person in Canada shall, by means of a publication that is published outside Canada, a broadcast that originates outside Canada or any communication other than a publication or broadcast that originates outside Canada, promote any product the promotion of which is regulated under this Part, or disseminate promotional material that contains a tobacco product‑related brand element in a way that is contrary to this Part.
[Report to Minister]
32. Every manufacturer shall provide the Minister, in the prescribed manner and within the prescribed time, with the prescribed information about any promotion under this Part.
Loi sur le tabac, L.C. 1997, ch. 13
[OBJET
Santé publique]
4. La présente loi a pour objet de s’attaquer, sur le plan législatif, à un problème qui, dans le domaine de la santé publique, est grave et d’envergure nationale et, plus particulièrement :
a) de protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens compte tenu des preuves établissant, de façon indiscutable, un lien entre l’usage du tabac et de nombreuses maladies débilitantes ou mortelles;
b) de préserver notamment les jeunes des incitations à l’usage du tabac et du tabagisme qui peut en résulter;
c) de protéger la santé des jeunes par la limitation de l’accès au tabac;
d) de mieux sensibiliser la population aux dangers que l’usage du tabac présente pour la santé.
[PARTIE IV
PROMOTION
Définition de « promotion »]
18. (1) Dans la présente partie, « promotion » s’entend de la présentation, par tout moyen, d’un produit ou d’un service — y compris la communication de renseignements sur son prix ou sa distribution — ,directement ou indirectement, susceptible d’influencer et de créer des attitudes, croyances ou comportements au sujet de ce produit ou service.
[Application]
(2) La présente partie ne s’applique pas :
a) aux œuvres littéraires, dramatiques, musicales, cinématographiques, artistiques, scientifiques ou éducatives — quels qu’en soient le mode ou la forme d’expression — sur ou dans lesquelles figure un produit du tabac ou un élément de marque d’un produit du tabac, sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie, directement ou indirectement, pour la représentation du produit ou de l’élément de marque dans ces œuvres;
b) aux comptes rendus, commentaires et opinions portant sur un produit du tabac ou une marque d’un produit du tabac et relativement à ce produit ou à cette marque, sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie, directement ou indirectement, pour la mention du produit ou de la marque;
c) aux promotions faites par un tabaculteur ou un fabricant auprès des tabaculteurs, des fabricants, des personnes qui distribuent des produits du tabac ou des détaillants, mais non directement ou indirectement auprès des consommateurs.
[Interdiction]
19. Il est interdit de faire la promotion d’un produit du tabac ou d’un élément de marque d’un produit du tabac, sauf dans la mesure où elle est autorisée par la présente loi ou ses règlements.
[Promotion trompeuse]
20. Il est interdit de faire la promotion d’un produit du tabac, y compris sur l’emballage de celui‑ci, d’une manière fausse ou trompeuse ou susceptible de créer une fausse impression sur les caractéristiques, les effets sur la santé ou les dangers pour celle‑ci du produit ou de ses émissions.
[Attestations et témoignages]
21. (1) Il est interdit de faire la promotion d’un produit du tabac, y compris sur l’emballage de celui‑ci, au moyen d’attestations ou de témoignages, quelle que soit la façon dont ils sont exposés ou communiqués.
[Représentation]
(2) Pour l’application du paragraphe (1), la représentation d’une personne, d’un personnage ou d’un animal, réel ou fictif, est considérée comme une attestation ou un témoignage.
[Exception]
(3) Le présent article ne s’applique pas aux marques de commerce qui figurent sur un produit du tabac en vente au Canada le 2 décembre 1996.
[Publicité]
22. (1) Il est interdit, sous réserve des autres dispositions du présent article, de faire la promotion d’un produit du tabac par des annonces qui représentent tout ou partie d’un produit du tabac, de l’emballage de celui‑ci ou d’un élément de marque d’un produit du tabac, ou qui évoquent le produit du tabac ou un élément de marque d’un produit du tabac.
[Exception]
(2) Il est possible, sous réserve des règlements, de faire la publicité — publicité informative ou préférentielle — d’un produit du tabac :
a) dans les publications qui sont expédiées par le courrier et qui sont adressées à un adulte désigné par son nom;
b) dans les publications dont au moins quatre‑vingt‑cinq pour cent des lecteurs sont des adultes;
c) sur des affiches placées dans des endroits dont l’accès est interdit aux jeunes par la loi.
[Publicité de style de vie]
(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas à la publicité de style de vie ou à la publicité dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait être attrayante pour les jeunes.
[Définitions]
(4) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
[« publicité de style de vie »
“lifestyle advertising” ]
« publicité de style de vie » Publicité qui associe un produit avec une façon de vivre, tels le prestige, les loisirs, l’enthousiasme, la vitalité, le risque ou l’audace ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d’une telle façon de vivre.
[« publicité informative »
“information advertising”]
« publicité informative » Publicité qui donne au consommateur des renseignements factuels et qui porte :
a) sur un produit ou ses caractéristiques;
b) sur la possibilité de se procurer un produit ou une marque d’un produit ou sur le prix du produit ou de la marque.
[« publicité préférentielle »
“brand‑preference advertising”]
« publicité préférentielle » Publicité qui fait la promotion d’un produit du tabac en se fondant sur les caractéristiques de sa marque.
[Emballage]
23. Il est interdit d’emballer un produit du tabac d’une manière non conforme à la présente loi et aux règlements.
[Interdiction — promotion de commandite]
24. Il est interdit d’utiliser, directement ou indirectement, un élément de marque d’un produit du tabac ou le nom d’un fabricant sur le matériel relatif à la promotion d’une personne, d’une entité, d’une manifestation, d’une activité ou d’installations permanentes.
[Interdiction — élément ou nom figurant dans la dénomination]
25. Il est interdit d’utiliser un élément de marque d’un produit du tabac ou le nom d’un fabricant sur des installations permanentes, notamment dans la dénomination de celles‑ci, si l’élément ou le nom est de ce fait associé à une manifestation ou activité sportive ou culturelle.
[Accessoires]
26. (1) Sous réserve des règlements, le fabricant ou le détaillant peut vendre, à titre onéreux, un accessoire sur lequel figure un élément de marque d’un produit du tabac.
[Promotion]
(2) Il est interdit de faire la promotion d’accessoires sur lesquels figure un élément de marque d’un produit du tabac sauf selon les modalités réglementaires et dans les publications ou les endroits mentionnés aux alinéas 22(2)a) à c).
[Articles associés aux jeunes ou à un style de vie]
27. Il est interdit de fournir ou de promouvoir un produit du tabac si l’un de ses éléments de marque figure sur des articles autres que des produits du tabac — à l’exception des accessoires — ou est utilisé pour des services et que ces articles ou ces services :
a) soit sont associés aux jeunes ou dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils pourraient être attrayants pour les jeunes;
b) soit sont associés avec une façon de vivre, tels le prestige, les loisirs, l’enthousiasme, la vitalité, le risque ou l’audace.
[Autres articles]
28. (1) Sous réserve des règlements, il est possible de vendre un produit du tabac ou d’en faire la publicité conformément à l’article 22 dans les cas où l’un de ses éléments de marque figure sur des articles autres que des produits du tabac — à l’exception des accessoires — ou est utilisé pour des services qui ne sont pas visés par les alinéas 27a) ou b).
[Promotion]
(2) Sous réserve des règlements, il est possible de promouvoir des articles autres que des produits du tabac — à l’exception des accessoires — portant un élément de marque d’un produit du tabac ou des services utilisant un tel élément qui ne sont pas visés à l’article 27.
[Promotion des ventes]
29. Il est interdit au fabricant et au détaillant
a) d’offrir ou de donner, directement ou indirectement, une contrepartie pour l’achat d’un produit du tabac, notamment un cadeau à l’acheteur ou à un tiers, une prime, un rabais ou le droit de participer à un tirage, à une loterie ou à un concours;
b) de fournir un produit du tabac à titre gratuit ou en contrepartie de l’achat d’un produit ou d’un service ou de la prestation d’un service;
c) de fournir un accessoire sur lequel figure un élément de marque d’un produit du tabac à titre gratuit ou en contrepartie de l’achat d’un produit ou d’un service ou de la prestation d’un service.
[Autorisation]
30. (1) Sous réserve des règlements, il est possible, dans un établissement de vente au détail, d’exposer des produits du tabac et des accessoires portant un élément de marque d’un produit du tabac.
[Affiches]
(2) Il est possible pour un détaillant, sous réserve des règlements, de signaler dans son établissement que des produits du tabac y sont vendus et d’indiquer leurs prix.
[Médias]
31. (1) Il est interdit, à titre gratuit ou onéreux et pour le compte d’une autre personne, de diffuser, notamment par la presse ou la radio‑télévision, toute promotion interdite par la présente partie.
[Exception]
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la distribution en vue de la vente de publications importées au Canada ou à la retransmission d’émissions de radio ou de télévision de l’étranger.
[Usage des médias étrangers]
(3) Il est interdit à toute personne se trouvant au Canada de faire la promotion, dans une publication ou une émission provenant de l’étranger ou dans une communication, autre qu’une publication ou une émission, provenant de l’étranger, d’un produit à la promotion duquel s’applique la présente partie ou de diffuser du matériel relatif à une promotion contenant un élément de marque d’un produit du tabac d’une manière non conforme à la présente partie.
[Renseignements]
32. Le fabricant est tenu de transmettre au ministre les renseignements exigés par les règlements, dans les délais et selon les modalités réglementaires, sur les promotions visées par la présente partie.
ANNEXE B
Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, DORS/2000‑272
[Champ d’application]
[Vente au détail]
2. Le présent règlement s’applique aux produits du tabac qui sont destinés à la vente au détail au Canada.
[Dispositions générales]
[Lisibilité de l’information écrite]
3. (1) L’information écrite qui doit être fournie en vertu du présent règlement, doit être, à la fois :
a) présentée dans les deux langues officielles, de la même façon;
b) lisible et bien en évidence.
[Mises en garde et information de santé]
(2) Les mises en garde et l’information de santé doivent, à la fois :
a) sauf celles prévues aux paragraphes 5(4) à (6), être obtenues du ministre et reproduites par imagerie électronique d’après l’infographie qui a été utilisée par le ministre pour produire le document source;
b) être adaptées pour se conformer aux exigences de l’alinéa 5(2)b).
[Couleurs et clarté]
(3) La reproduction de toute mise en garde ou de toute information de santé doit être effectuée :
a) d’une part, en des couleurs se rapprochant le plus possible de celles de cette mise en garde ou de cette information dans le document source;
b) d’autre part, avec le plus de clarté possible, compte tenu de la technique d’impression utilisée.
[Mention de la source]
4. (1) Le fabricant qui choisit de mentionner la source de toute information qui, en vertu du présent règlement, doit être fournie, fait figurer uniquement la mention ci‑après, placée sous l’information et imprimée de la même couleur que celle‑ci, en caractères Univers d’un pas qui ne dépasse pas le plus petit pas utilisé dans l’information :
a) lorsque l’information est en anglais, « Health Canada »;
b) lorsqu’elle est en français, « Santé Canada ».
[Effacement de la mention]
(2) Le fabricant qui choisit de ne pas mentionner la source d’une mise en garde ou de l’information de santé peut effacer la mention incluse dans les dossiers informatisés obtenus aux termes de l’alinéa 3(2)a).
[Mises en garde]
[Obligation de faire figurer]
5. (1) Sous réserve des paragraphes (4) à (6), le fabricant de cigarettes, kreteks, bidis, bâtonnets de tabac, tabac à cigarettes, tabac en feuilles, tabac à pipe, tabac à mâcher, tabac à priser ou cigares, sauf le tabac à pipe visé à l’article 6, doit faire figurer sur chaque emballage de ces produits du tabac, conformément au présent article, l’une des mises en garde prévues pour ce produit du tabac.
[Façon de faire figurer]
(2) La mise en garde doit répondre aux conditions suivantes :
a) elle figure en anglais sur l’une des principales surfaces exposées et en français sur l’autre;
b) elle occupe au moins 50 % de la principale surface exposée et est disposée parallèlement au bord supérieur du paquet et vers la partie supérieure de celui‑ci, dans la mesure où le permet le respect de l’alinéa c), dans le même sens que les autres renseignements figurant sur la surface;
c) elle est disposée sur la principale surface exposée de façon à ce que l’imprimé d’aucun des mots qui en fait partie ne soit pas déchiré à l’ouverture de l’emballage;
d) sauf dans le cas des bidis, du tabac à mâcher et du tabac à priser, son format est choisi parmi les formats fournis par le ministre pour chaque mise en garde, selon la forme de l’espace délimité aux termes de l’alinéa b).
Pourvois principaux accueillis et pourvois incidents rejetés, avec dépens.
Procureur de l’appelant/intimé au pourvoi incident : Procureur général du Canada, Montréal.
Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident JTI‑Macdonald Corp. : Irving Mitchell Kalichman, Westmount.
Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident Rothmans, Benson & Hedges inc. : McCarthy Tétrault, Montréal.
Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident Imperial Tobacco Canada ltée : Ogilvy Renault, Montréal.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureurs de l’intervenante la Société canadienne du cancer : Fasken Martineau DuMoulin, Montréal.