COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Beaudry, [2007] 1 R.C.S. 190, 2007 CSC 5
Date : 20070131
Dossier : 31195
Entre :
Alain Beaudry
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
‑ et ‑
Procureur général du Canada et
Association canadienne de la police professionnelle
Intervenants
Traduction française officielle : Motifs du juge Binnie et motifs du juge Fish
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 75)
Motifs concordants :
(par. 76 à 80)
Motifs dissidents :
(par. 81 à 116)
La juge Charron (avec l’accord des juges LeBel, Abella et Rothstein)
Le juge Binnie
Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache et Deschamps)
______________________________
R. c. Beaudry, [2007] 1 R.C.S. 190, 2007 CSC 5
Alain Beaudry Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général du Canada et
Association canadienne de la police professionnelle Intervenants
Répertorié : R. c. Beaudry
Référence neutre : 2007 CSC 5.
No du greffe : 31195.
2006 : 12 mai; 2007 : 31 janvier.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Chamberland, Doyon et Giroux), [2005] R.J.Q. 2536, [2005] J.Q. no 15282 (QL), 2005 QCCA 966, qui a confirmé la déclaration de culpabilité de l’accusé pour entrave à la justice. Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Deschamps et Fish sont dissidents.
Gérald Soulière et Tristan Desjardins, pour l’appelant.
Charles Levasseur et Daniel Grégoire, pour l’intimée.
François Lacasse, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Ronald Picard, pour l’intervenante l’Association canadienne de la police professionnelle.
Le jugement des juges LeBel, Abella, Charron et Rothstein a été rendu par
1 La juge Charron — L’appelant Alain Beaudry, un agent de police, est accusé d’entrave à la justice suivant le par. 139(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Il aurait omis délibérément de recueillir les éléments de preuve nécessaires au dépôt éventuel d’accusations criminelles contre un suspect dont il avait des motifs raisonnables de croire qu’il avait conduit un véhicule à moteur en état d’ébriété. En réponse à l’accusation, M. Beaudry prétend que sa décision constituait un exercice légitime de la discrétion policière. Le ministère public soutient que la décision est fondée non pas sur le pouvoir discrétionnaire de la police, mais sur un traitement de faveur accordé à un confrère policier. À l’issue de son procès devant juge seul, M. Beaudry a été déclaré coupable. La décision du juge Beaulieu, de la Cour du Québec, a été maintenue par la Cour d’appel du Québec, le juge Chamberland inscrivant sa dissidence : [2005] R.J.Q. 2536, 2005 QCCA 966. Ce dernier était d’avis qu’il était déraisonnable de « rejeter les explications de l’appelant ou, à tout le moins, de conclure qu’elles ne soulevaient pas de doute raisonnable à l’égard du caractère honnête de l’exercice de sa discrétion, en tant que policier, de ne pas judiciariser l’affaire » (par. 65). Monsieur Beaudry se pourvoit devant la Cour de plein droit.
2 La question en litige est donc de savoir si le verdict du juge du procès est déraisonnable au sens du sous-al. 686(1)a)(i). Pour trancher adéquatement, il faudra d’abord se pencher sur le pouvoir discrétionnaire des policiers en général et, plus particulièrement, sur sa relation avec l’infraction d’entrave à la justice. Instruit des principes juridiques applicables, l’on pourra ensuite passer à leur application à la preuve par le juge du procès.
3 Nul ne conteste que le pouvoir discrétionnaire des policiers est un élément essentiel tant de notre système de justice pénale que de la fonction d’agent de police. Il permet une application plus juste du droit aux situations concrètes auxquelles sont confrontés les policiers. Je ne peux, à ce sujet, souscrire entièrement aux motifs majoritaires de la Cour d’appel rédigés par le juge Doyon. Je partage plutôt l’analyse juridique du juge Chamberland, dissident. En toute déférence, je suis d’avis que le juge Doyon limite indûment la portée du pouvoir discrétionnaire en tenant compte de considérations extrinsèques telles que des directives internes qui n’ont pas force de loi ou le pouvoir discrétionnaire des substituts du procureur général. Cependant, cet aspect de son analyse n’a aucun impact sur la question qui nous occupe, soit le caractère déraisonnable du verdict. Sur ce point, je partage l’opinion de la majorité.
4 Comme j’entends le démontrer, le verdict du juge de la Cour du Québec est raisonnable et s’appuie sur une interprétation tout à fait plausible de la preuve. Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que l’analyse de la preuve mise de l’avant par le juge Chamberland, de la Cour d’appel, est incompatible avec le rôle d’une cour d’appel appelée à statuer sur le caractère déraisonnable d’un verdict. En l’espèce, le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit. Le dossier révèle que des éléments de preuve appuient chacune des composantes de l’infraction. Le règlement de la question déterminante reposait sur la crédibilité de l’accusé. Le juge du procès était dans une position privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins et déterminer si la preuve laissait place à un doute raisonnable. Je rejetterais donc le pourvoi.
1. Faits
5 Lors des faits à l’origine du présent pourvoi, Alain Beaudry est policier au service de police de la ville de Repentigny, où il a le grade de sergent chargé de la relève. Vers 3 h 30 du matin le 22 septembre 2000, le sergent Beaudry assiste les agents Martin Boucher et Hugo Bélisle lors d’une intervention de routine. Ils entendent un véhicule se diriger vers eux et faire un bruit anormal donnant à penser qu’il roule avec un pneu crevé. Prenant les devants, le sergent Beaudry regagne son auto-patrouille et se lance à la poursuite du véhicule, aussitôt suivi par ses deux collègues. Le sergent Beaudry évalue alors la vitesse du véhicule — une mini-fourgonnette — à 60/70 km/h, ce qui dépasse la vitesse maximale permise. Il a aussi l’impression qu’il s’agit d’un véhicule volé. Selon l’agent Boucher, pendant la poursuite, le conducteur de la mini-fourgonnette omet un arrêt obligatoire et évite de peu le terre-plein. Le sergent Beaudry communique avec la répartitrice du poste de police, qui lui indique que le véhicule n’a pas été déclaré volé et qu’il appartient à un résidant de Repentigny, Patrick Plourde.
6 Lorsque la mini‑fourgonnette s’arrête enfin, Beaudry est le premier agent à s’approcher du véhicule. Le conducteur du véhicule semble faire peu de cas de sa présence, s’efforçant plutôt de retenir le berger allemand qui est à l’intérieur de la voiture. À quelques reprises, le sergent Beaudry lui intime l’ordre de garder ses mains sur le volant. Le conducteur ne réagit pas et se met à se cogner la tête contre le volant. S’approchant du véhicule, le sergent Beaudry essaie d’établir un dialogue avec le conducteur qui pleure et tient un discours confus. Il lui demande aussi s’il veut qu’on l’amène à l’hôpital et qu’on s’occupe de son chien. Il n’obtient pas davantage de réaction. Après quelques minutes, le conducteur sort du véhicule et se projette au sol. Tandis que les policiers l’aident à se relever, M. Plourde déclare : « Je fais la même job que vous autres » et montre son insigne de police.
7 C’est à ce moment que le sergent Beaudry se souvient avoir rencontré l’agent Patrick Plourde une dizaine de jours auparavant lorsqu’un de ses collègues lui avait demandé d’agir à titre de témoin dans une conversation entre lui, une femme et M. Plourde. Sans vouloir porter plainte contre lui, la femme tient à avertir M. Plourde qu’elle ne tolérera plus ses appels téléphoniques incessants, non plus que ses menaces que ses collègues policiers lui donnent des contraventions si elle persiste à refuser de le fréquenter. Selon le sergent Beaudry, elle dit aussi savoir que M. Plourde est en dépression et qu’il est suivi par un médecin. Selon M. Plourde, le sujet n’aurait pas été abordé. Enfin, le rapport d’événement rédigé par l’agent Simard et contresigné par le sergent Beaudry signale que la femme prétend qu’il est « dérangé mentalement ».
8 Une fois M. Plourde relevé, les policiers le mènent à l’auto-patrouille des agents Boucher et Bélisle. Monsieur Plourde se frappe alors la tête à répétition sur le capot du véhicule. Les policiers décident de le menotter. Monsieur Plourde résiste et c’est en tentant de le maîtriser que le sergent Beaudry et ses deux collègues sentent pour la première fois une odeur d’alcool. Lors de son contre-interrogatoire, le sergent Beaudry reconnaît explicitement qu’il soupçonnait alors M. Plourde d’avoir conduit avec facultés affaiblies. Ce dernier est ensuite conduit au poste de police de Repentigny à bord du véhicule des agents Bélisle et Boucher.
9 Pendant le trajet, la répartitrice demande au sergent Beaudry de qualifier l’intervention. Ce dernier lui répond : « Rentre ça “Assistance au public” pour tout de suite. » Selon son témoignage, une fois arrivé au poste, il va voir M. Plourde qui est toujours assis sur la banquette arrière de l’auto-patrouille. Il lui offre à nouveau de l’amener à l’hôpital, mais il refuse. Il ne veut pas non plus qu’on demande à qui que ce soit de venir le chercher. Le sergent Beaudry décide d’installer M. Plourde dans la salle de détention des mineurs pour lui permettre de reprendre ses esprits. Selon son témoignage, c’est à ce moment, en voyant la démarche chancelante de M. Plourde, que le sergent Beaudry acquiert des motifs raisonnables et probables de croire que ce dernier a bel et bien commis l’infraction de conduite avec facultés affaiblies.
10 Ce serait aussi à ce moment qu’il prend la décision de ne pas faire subir l’alcootest à M. Plourde. Il aurait jugé que celui-ci était une personne dépressive qui avait besoin de soins. Je signale au passage que la présence sur les lieux d’un technicien compétent pour administrer l’alcootest — en l’occurrence l’agent Boucher — n’est pas contestée ni, par conséquent, le fait que les échantillons auraient pu être prélevés dans le délai prévu par la loi.
11 Plus tard, l’agent Boucher demande au sergent Beaudry s’il doit préparer un rapport concernant l’incident. Ce dernier répond par l’affirmative. Après avoir consulté la liste des codes de classification des événements, il lui dit d’utiliser le code « Activité non répertoriée ». Le rapport de l’agent Boucher, contresigné plus tard par le sergent Beaudry, fait notamment mention du fait que M. Plourde était dans un état d’ébriété avancé. Le sergent Beaudry joint à son rapport une note à l’intention du directeur-adjoint Rocheleau indiquant que Patrick Plourde est policier à la Sûreté du Québec et qu’il serait nécessaire de contacter son supérieur immédiat.
12 Après avoir pris connaissance de l’incident, le directeur-adjoint Rocheleau convoque le sergent Beaudry à son bureau. Il lui demande où se trouve le rapport sur les facultés affaiblies et le résultat de l’alcootest. Le sergent Beaudry répond que dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il a décidé de ne pas arrêter M. Plourde ni lui faire subir l’alcootest. Il explique que, selon lui, ce dernier avait plus besoin d’un coup de main que d’un coup sur la tête. Le directeur‑adjoint Rocheleau n’accepte pas cette explication et ordonne au sergent Beaudry de préparer un rapport de facultés affaiblies. Environ une demi-heure après, le directeur-adjoint demande au sergent Beaudry si le rapport est prêt. Ce dernier répond qu’il n’en a pas commencé la rédaction, car il attend la réponse de son syndicat auquel il a demandé s’il devait obtempérer à cet ordre. Suite aux pressions du directeur-adjoint, un rapport d’activités intitulé « Facultés affaiblies » est versé au dossier. Le rapport est signé par tous les membres de l’équipe du sergent Beaudry. Comme il ne fait que quelques lignes, la direction de la police de Repentigny n’en est pas satisfaite et exige un rapport en bonne et due forme. Ce n’est que plus tard dans la soirée qu’un rapport détaillé est soumis.
2. Cour du Québec
13 Après avoir relaté avec force détails les éléments de preuve présentés par les parties, le juge Beaulieu fait état du droit applicable. Tout d’abord, il s’attarde au fardeau de preuve et souligne à juste titre qu’il revient au ministère public de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Puisque l’accusé a témoigné au procès et qu’il doit apprécier la crédibilité de son témoignage, le juge Beaulieu rappelle les enseignements de notre Cour dans l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742. Il note qu’il ne suffit pas de ne pas croire la version des faits de l’accusé pour le déclarer coupable. Il faut aussi déterminer si cette version soulève un doute raisonnable ou si la preuve dans son ensemble permet de conclure hors de tout doute raisonnable que l’accusé est coupable.
14 Ensuite, quant à l’infraction d’entrave à la justice, le juge Beaulieu rappelle que la poursuite devait démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention spécifique d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice lorsqu’il a choisi de ne pas soumettre Patrick Plourde à l’alcootest même s’il avait des motifs raisonnables de croire que ce dernier avait conduit avec facultés affaiblies. Il note aussi qu’il faut plus qu’une faute déontologique, une conduite inappropriée ou non professionnelle ou une erreur de jugement pour conclure à la culpabilité de l’accusé.
15 Le principal moyen invoqué en défense est que la décision du sergent Beaudry de ne pas recueillir les éléments de preuve nécessaires au dépôt d’accusations pénales contre Patrick Plourde constituait un exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire, comme il l’avait expliqué au directeur-adjoint Rocheleau lors de leur premier entretien. Le juge Beaulieu se penche donc d’abord sur cette question. Il constate que le Code criminel ne renferme aucune directive concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers. Il note toutefois que l’application de la loi et le bon fonctionnement de la justice criminelle n’en dépendent pas moins quotidiennement de son exercice.
16 Selon le juge Beaulieu, lorsqu’un agent de la paix soutient qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire comme dans la présente affaire, le tribunal devra déterminer l’intention sous-jacente à cet exercice afin de vérifier si l’agent de la paix a exercé ce pouvoir avec honnêteté et non d’une façon arbitraire, par favoritisme ou avec toute autre intention malhonnête. Il conclut donc que l’issue du procès dépend entièrement de ce que le tribunal est convaincu ou non hors de tout doute raisonnable qu’Alain Beaudry a décidé de ne pas soumettre M. Plourde à l’alcootest parce que ce dernier était un agent de la Sûreté du Québec. En somme, s’il a fait preuve de clémence parce que M. Plourde était agent de la paix, l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est inacceptable.
17 Se penchant ensuite sur l’analyse de la preuve, le juge Beaulieu ne remet pas en cause la description que font l’accusé et ses collègues du comportement de M. Plourde lors de l’intervention policière. Cependant, il est d’avis que les justifications avancées par les trois policiers qui étaient sur les lieux de l’interception sont mensongères et qu’elles visent à expliquer après coup la décision de ne pas poursuivre l’enquête. En ce qui concerne l’agent Boucher, il qualifie de mensongère l’affirmation qu’il n’a pas pris l’initiative de soumettre M. Plourde à l’alcootest parce qu’il n’avait que des soupçons de conduite en état d’ébriété. Le témoignage de l’agent Boucher était incompatible avec son rapport d’événement où il précise : « Nous avons vite remarqué que l’individu était en état d’ébriété avancé. » Le juge Beaulieu rejette aussi les explications de l’agent Bélisle. En effet, même s’il a signé le rapport préparé par l’agent Boucher, il a témoigné qu’il lui avait été difficile ce soir-là de déterminer s’il était aux prises avec un cas de facultés affaiblies, alors qu’il lui était apparu évident que M. Plourde était en état de crise.
18 Le juge Beaulieu rejette aussi la justification de l’accusé Alain Beaudry et la qualifie de « moyen découvert après les événements pour tenter d’expliquer pourquoi il a agi comme il l’a fait le 22 septembre ». Selon lui, ce n’est que lorsque ses actes ont été remis en question que le sergent Beaudry a invoqué l’état de santé de M. Plourde pour justifier sa décision.
19 Dans un premier temps, le juge Beaulieu relève que le sergent Beaudry a tenté de dissimuler la véritable nature de l’intervention en la qualifiant d’abord d’assistance au public, puis en optant ensuite pour la catégorie « Activité non répertoriée », même s’il savait qu’il s’agissait d’un cas de facultés affaiblies.
20 Le juge Beaulieu passe ensuite au prétendu état dépressif de M. Plourde. Selon lui, si ce dernier était dépressif au point qu’il ne fallait ni l’arrêter ni le détenir en cellule de crainte qu’il pose un geste malheureux, l’accusé devait passer outre au refus de M. Plourde et le conduire à l’hôpital. De même, il ne trouve aucune explication à l’absence de cette considération dans les documents préparés durant la nuit, que ce soit le rapport d’événement contresigné par l’accusé ou son propre journal d’activités, alors que le sergent Beaudry a dit au procès qu’elle avait été déterminante dans sa décision. Il est d’avis que l’explication de ce dernier selon laquelle il avait en mémoire le cas d’un policier qui s’était suicidé chez lui après avoir subi l’alcootest ne tient pas puisque M. Plourde était en sécurité dans une salle surveillée au moyen d’une caméra.
21 Le juge Beaulieu remet aussi en question l’affirmation du sergent Beaudry selon laquelle, cette nuit-là, il avait en mémoire la rencontre du 12 septembre. Selon ce dernier, la femme avait conseillé à M. Plourde de retourner voir son médecin car il était en dépression. Le juge note que pour sa part, M. Plourde ne se souvient pas qu’il ait été question de son congé de maladie. De plus, le rapport d’événement rédigé suite à cette rencontre et contresigné par l’accusé ne fait pas mention d’un état dépressif. On y lit plutôt que la femme se plaint de harcèlement et qu’elle croit M. Plourde dérangé mentalement.
22 Le juge Beaulieu accorde aussi créance au témoignage de l’agent Raymond Dagenais auquel le sergent Beaudry aurait répondu que M. Plourde était en état d’arrestation pour conduite avec facultés affaiblies lorsqu’il lui avait demandé ce que ce dernier faisait dans la salle de détention des mineurs. Il croit aussi l’agent Dagenais lorsqu’il affirme que le sergent Beaudry lui a dit d’attendre avant de photographier M. Plourde parce qu’il devait prendre une décision à son sujet. Encore une fois, il juge ces réponses incompatibles avec la justification avancée par le sergent Beaudry. En effet, pourquoi dire à l’agent Dagenais que M. Plourde est en état d’arrestation, s’il est dans la salle des mineurs pour un motif humanitaire? De même, pourquoi lui dire d’attendre avant de photographier M. Plourde si la décision est déjà prise de classer l’affaire dans la catégorie « Activité non répertoriée »? Selon le juge Beaulieu, le rapport d’événement et la note destinée au directeur-adjoint Rocheleau ne visaient qu’à détourner l’attention du fait qu’il avait décidé sur les lieux même de l’interception de ne pas procéder à l’enquête qu’appelaient les circonstances.
23 C’est ce qui amène le juge à conclure que, le 22 septembre 2000, Alain Beaudry a délibérément omis d’accomplir son devoir, accordant plutôt « une chance, un traitement de faveur, un privilège » à Patrick Plourde, un agent de la paix de la Sûreté du Québec. Le sergent Beaudry ne pouvait ignorer que les échantillons d’haleine étaient des éléments de preuve nécessaires au dépôt d’une accusation contre M. Plourde en vertu de l’art. 253 du Code criminel. Le juge le déclare donc coupable.
3. Cour d’appel du Québec, [2005] R.J.Q. 2536, 2005 QCCA 966
3.1 Le juge Chamberland (dissident)
24 Le juge Chamberland amorce son analyse en signalant que le juge du procès a considéré l’omission de recueillir des éléments de preuve comme l’élément matériel de l’infraction. Or, selon lui, cela n’était le cas que dans la mesure où le sergent Beaudry avait l’obligation légale de recueillir ces éléments de preuve. En effet, comme le policier avait exercé son pouvoir discrétionnaire, il n’avait pas l’obligation de recueillir des éléments de preuve pouvant servir au dépôt d’accusations criminelles.
25 D’après le juge Chamberland, la discrétion policière existe en matière de justice criminelle et elle répond entre autres choses au voeu de la collectivité que les auteurs d’infractions mineures ne fassent pas tous l’objet d’une arrestation policière ou d’une poursuite judiciaire. Il ajoute que les policiers peuvent exercer ce pouvoir à l’égard de tous, y compris un collègue policier, en autant qu’ils l’exercent de façon honnête, en toute transparence et pour des motifs valables et raisonnables.
26 Se référant au témoignage du sergent Beaudry concernant l’enseignement reçu à l’Institut de police et au Guide de pratiques policières du Service de la Sécurité publique de Repentigny, le juge Chamberland arrive à la conclusion que le sergent Beaudry était en droit de croire qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de régler le cas de Patrick Plourde sans recourir à la voie judiciaire. À son avis, l’existence d’une obligation de recueillir des éléments de preuve dépend en somme du caractère honnête ou non de l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
27 Pour l’essentiel, je partage l’analyse du juge Chamberland quant à la nature et à l’étendue du pouvoir discrétionnaire. Cependant, j’estime qu’il a outrepassé son rôle en réinterprétant la preuve présentée au procès et en intervenant dans l’appréciation de la crédibilité de certains témoins, sans faire preuve de la déférence qui s’impose à l’endroit du juge du procès. Son analyse aurait dû porter sur le caractère raisonnable ou non du verdict du juge de première instance.
28 Ainsi, le juge Chamberland relève certains faits et conteste leur interprétation par le juge de première instance :
· Le sergent Beaudry a expliqué que l’état dépressif de M. Plourde avait motivé ses actes.
· Le fait que le sergent Beaudry a décidé sur les lieux de l’interception de ne pas appliquer la justice pénale ne contredit pas cette explication, non plus que l’utilisation du code R-400 « Activité non répertoriée ».
· Le sergent Beaudry n’a jamais caché quoi que ce soit. Le rapport d’événement qu’il a contresigné mentionne que l’individu était en état d’ébriété avancé et qu’il dégageait une forte odeur d’alcool. De plus, son journal de bord précise que l’appelant « cuv[ait] son vin ».
· Le sergent Beaudry a amené M. Plourde au poste de police, puis l’a placé dans une salle dotée d’une caméra de surveillance.
· Si le sergent Beaudry avait décidé d’aider M. Plourde parce qu’il était policier, il aurait pu simplement le conduire chez lui.
· Le fait que le mot « dépression » ne figure nulle part dans le rapport de l’accusé ne saurait être déterminant en l’espèce. De plus, le rapport décrit objectivement ce que d’aucuns associeraient à un comportement dépressif : crise de larmes; nécessité de protéger M. Plourde en le plaçant dans la salle réservée aux délinquants mineurs.
· Le sergent Beaudry a invité son supérieur à communiquer avec celui de M. Plourde à la Sûreté du Québec, ce qui ne dénote pas l’intention de camoufler l’affaire.
· Le juge de première instance voit dans le témoignage du directeur-adjoint Rocheleau, selon lequel le sergent Beaudry avait exercé sa discrétion « pour donner une chance » à M. Plourde, un indice que l’accusé ment sur ses intentions. Or, les propos de ce dernier sont plutôt neutres.
· Le dossier ne renferme aucune preuve de falsification ou de modification de documents ou d’intention de tromper qui que ce soit quant à l’état de M. Plourde au moment des événements.
Le juge Chamberland conclut donc qu’il était déraisonnable de rejeter les explications de l’appelant ou, à tout le moins, de statuer qu’elles ne soulevaient pas un doute raisonnable quant à l’honnêteté de la décision discrétionnaire de ne pas enclencher la procédure judiciaire. Le juge dissident aurait donc substitué l’acquittement au verdict de culpabilité.
3.2 Le juge Doyon
29 Au nom de la majorité de la Cour d’appel, le juge Doyon ne conteste pas l’existence du pouvoir discrétionnaire de la police. Il est toutefois d’avis que, pour en apprécier l’exercice, il faut considérer tant les faits en cause que le contexte juridique.
30 Il soutient d’abord que les circonstances ayant donné lieu à l’intervention policière dirigée par le sergent Beaudry étaient d’une gravité telle que le juge du procès aurait dû considérer la version des faits de l’appelant avec circonspection. Comme je l’expose plus loin, je partage l’avis du juge Doyon sur ce point.
31 Nos vues divergent cependant en ce qui concerne l’importance que revêt le contexte juridique dans l’analyse. À cet égard, le juge Doyon rappelle qu’au Québec les accusations criminelles sont généralement autorisées et portées par un substitut du procureur général. La décision discrétionnaire du sergent Beaudry de ne pas arrêter M. Plourde et de ne pas le soumettre à l’alcootest doit être évaluée au regard de ce fait. L’omission de recueillir des échantillons d’haleine malgré l’existence de motifs raisonnables de croire à la commission d’une infraction a eu pour conséquence d’empêcher le substitut du procureur général d’exercer ses fonctions. Le juge Doyon est donc d’avis que, au moment d’apprécier la légitimité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, il ne faut pas faire abstraction de l’impact de la décision sur l’administration de la justice et, notamment, sur la capacité du procureur général d’exercer ses fonctions à partir de toutes les informations utiles et pertinentes.
32 Ensuite, toujours au chapitre du contexte juridique, le juge Doyon souligne qu’en plus de l’extrait cité par le juge Chamberland, le Guide de pratiques policières du Service de la Sécurité publique de Repentigny comporte des directives détaillées quant à la procédure à suivre dans les cas de conduite avec facultés affaiblies et que celles-ci indiquent une volonté claire des autorités que l’auteur d’une telle infraction fasse d’emblée l’objet d’une enquête complète. Il estime donc que le juge de première instance pouvait conclure que le policier Beaudry n’avait pas exercé sa discrétion en toute honnêteté.
33 Le juge Doyon rejette ensuite l’interprétation de la preuve proposée par le juge Chamberland. Ce faisant, il se livre lui aussi à une réinterprétation de la preuve, au lieu d’analyser le fondement du verdict. Toutefois, contrairement au juge dissident, le juge Doyon parvient à la conclusion que le jugement de première instance n’est entaché d’aucune erreur déterminante.
4. Analyse
34 Avant de me pencher sur la principale question que pose le pourvoi — le verdict du juge du procès est-il déraisonnable? — voici quelques remarques sur le pouvoir discrétionnaire des policiers et sur sa relation avec l’infraction d’entrave à la justice.
4.1 Le pouvoir discrétionnaire des policiers
35 Il ne fait pas de doute que l’agent de police a le devoir d’appliquer la loi et d’enquêter sur un crime. Le principe selon lequel il incombe au policier d’appliquer le droit criminel est bien établi en common law : R. c. Metropolitan Police Commissioner, [1968] 1 All E.R. 763 (C.A.), le maître des rôles lord Denning, p. 769; Hill c. Chief Constable of West Yorkshire, [1988] 2 All E.R. 238 (H.L.), lord Keith of Kinkel; P. Ceyssens, Legal Aspects of Policing (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 2-22 et suiv.
36 Ce principe est par ailleurs codifié à l’art. 48 de la Loi sur la police, L.R.Q., ch. P‑13.1 :
48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.
37 Néanmoins, il ne faut pas conclure mécaniquement ou sans discernement à l’existence de ce devoir. Le passage de la lettre de la loi aux situations pratiques et concrètes auxquelles sont confrontés les policiers dans l’exercice journalier de leurs fonctions nécessite certains ajustements. Même s’ils paraissent parfois déroger à la lettre de la loi, ces ajustements sont cruciaux et participent de l’essence même d’une saine administration de la justice criminelle ou, pour reprendre le libellé du par. 139(2), s’inscrivent parfaitement dans le « cours de la justice ». C’est précisément la capacité — voire l’obligation — d’exercer son jugement pour ajuster l’application de la loi aux circonstances ponctuelles et aux impératifs concrets de la justice qui sert de fondement au pouvoir discrétionnaire du policier. À ce propos, la remarque du juge La Forest dans l’arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, p. 410, conserve toute sa pertinence :
Le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle. Un système qui tenterait d’éliminer tout pouvoir discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner.
Ainsi, l’agent de police qui a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou qu’une enquête plus approfondie permettrait d’obtenir des éléments de preuve susceptibles de mener au dépôt d’accusations pénales, peut exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas emprunter la voie judiciaire. Or, ce pouvoir n’est pas absolu. Le policier est loin d’avoir carte blanche et doit justifier rationnellement sa décision.
38 Les justifications requises sont essentiellement de deux ordres. D’abord, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit se justifier subjectivement, c’est‑à‑dire qu’il doit nécessairement être honnête et transparent et reposer sur des motifs valables et raisonnables (motifs du juge Chamberland, par. 41). Ainsi, une décision fondée sur le favoritisme ou sur des stéréotypes culturels, sociaux ou raciaux ne peut constituer un exercice légitime de la discrétion policière. Toutefois, il ne suffit pas, pour justifier une décision, de croire sincèrement qu’elle a été prise dans l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire.
39 C’est pourquoi l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police doit ensuite être justifié au regard d’éléments objectifs. Je conviens avec le juge Doyon qu’au moment de décider de la légitimité d’une décision discrétionnaire, il importe de s’attacher aux circonstances matérielles qui ont donné lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Cependant, je ne partage pas son opinion en ce qui concerne l’importance des éléments qu’il associe au contexte juridique, soit les directives administratives et l’administration de la justice dans la province.
4.1.1 Circonstances matérielles
40 Premièrement, il va sans dire que les circonstances matérielles constituent un facteur important dans l’appréciation de la décision du policier : le pouvoir discrétionnaire ne s’exerce certainement pas de la même façon dans le cas d’un vol à l’étalage par un adolescent et celui d’un vol qualifié. Dans le premier cas, le policier peut très bien servir les intérêts de la justice en adressant un avertissement sévère au jeune contrevenant et en prévenant ses parents. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il existe un degré de gravité à partir duquel le pouvoir discrétionnaire de la police disparaît complètement. Dans le cas d’un vol qualifié ou même d’une infraction plus grave, la décision discrétionnaire de ne pas arrêter un suspect ou de ne pas pousser l’enquête peut être prise dans l’exercice de ce pouvoir. Cependant, la justification avancée devra être proportionnée à la gravité des actes, et le pouvoir devra avoir été manifestement exercé dans l’intérêt public. Par conséquent, si certains exercices du pouvoir discrétionnaire sont presque routiniers et se justifient de façon évidente, d’autres sont véritablement exceptionnels et exigent du policier qu’il étaye davantage sa décision.
41 En l’espèce, la preuve établit clairement que les faits à l’origine de l’intervention policière, sans être des plus graves, étaient néanmoins sérieux. Au départ, l’intervention a eu lieu parce que M. Plourde circulait à grande vitesse avec un pneu crevé. De plus, M. Plourde a omis un arrêt obligatoire, failli percuter le terre-plein et continué à rouler sur une bonne distance malgré le fonctionnement des gyrophares. Dès que le sergent Beaudry a soupçonné l’individu d’avoir consommé de l’alcool, il devait envisager son intervention avec encore plus de réserve. Pour souligner encore une fois la gravité des infractions associées à l’ivresse au volant et pour mettre en garde contre leur banalisation, je n’hésite pas à rappeler les propos du juge Cory dans l’arrêt R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254 :
Chaque année, l’ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Au plan numérique seulement, l’ivresse au volant a une plus grande incidence sur la société canadienne que tout autre crime. Du point de vue des décès et des blessures graves donnant lieu à l’hospitalisation, la conduite avec facultés affaiblies est de toute évidence le crime qui cause la plus grande perte sociale au pays. [par. 16]
42 Depuis ce constat accablant du juge Cory, la situation ne s’est améliorée au pays qu’en raison des nombreuses mesures de sensibilisation et de répression prises tant par les autorités que par la société civile et à l’égard desquelles la vigilance et la diligence des forces policières jouent un rôle capital. D’ailleurs, les témoignages du directeur-adjoint Rocheleau et du policier à la retraite Lapointe sont tous deux éloquents à ce chapitre. Il en ressort qu’au service de police de Repentigny, les infractions liées à l’ivresse au volant sont jugées très graves. Ces deux policiers expérimentés ont fait valoir que l’attitude des policiers a grandement évolué au fil des années et que l’ère du laxisme et de la banalisation de ces infractions est bel et bien terminée. C’est aussi ce qui se dégage clairement des directives administratives contenues dans le Guide de pratiques policières du Service de la Sécurité publique de Repentigny, sur lesquelles je me penche ci-après.
4.1.2 Contexte juridique
43 Je ne peux partager entièrement l’avis du juge Doyon quant à l’impact du contexte juridique sur le pouvoir discrétionnaire de la police, et ce, sur deux points. J’examine d’abord les directives administratives, puis la division des tâches entre la police et les substituts du procureur général.
4.1.2.1 Les directives administratives ne sont pas déterminantes quant à l’intention de commettre une infraction
44 Bien que l’existence de directives administratives applicables au cas considéré soit loin d’être entièrement dépourvue de pertinence, elle ne saurait être aussi déterminante que le laisse entendre le juge Doyon. Après avoir cité les extraits du Guide de pratiques policières du Service de la Sécurité publique de Repentigny ayant trait à la procédure à suivre dans un cas de capacité de conduite affaiblie, il conclut :
Ces extraits démontrent, me semble‑t‑il, la volonté claire des autorités que les infractions de capacité affaiblie soient d’abord l’objet d’une enquête complète, ce qui n’empêche pas que, par la suite, l’on n’entreprenne pas de poursuites judiciaires. Il faut rappeler qu’en matière de prise d’échantillons d’haleine, le délai pour s’exécuter est relativement court, ce qui nécessite que l’enquête soit complétée avec diligence et ce qui milite en faveur de l’application de cette directive.
Ayant pris connaissance d’une telle directive, le policier, qui a affirmé solennellement, conformément à la Loi sur la police (L.R.Q., c. P‑13.1), qu’il remplirait les devoirs de sa charge avec honnêteté, ne pourra ignorer l’importance que revêt ce type d’infraction aux yeux de l’État. D’ailleurs, le supérieur de l’appelant a lui‑même conclu, après avoir été informé des événements, que des prélèvements d’échantillons d’haleine auraient dû être réalisés. [par. 78-79]
45 Le juge Doyon semble attribuer aux directives administratives du Guide de pratiques policières une valeur normative qu’elles n’ont pas. Il faut se rappeler que ces directives n’ont pas force de loi. Partant, elles ne peuvent modifier la portée d’un pouvoir discrétionnaire qui, lui, tire sa source de la common law ou d’une loi. Dans la mesure où le par. 254(2) du Code criminel, le seul texte législatif applicable en l’espèce, confère à l’agent de la paix le pouvoir, mais ne lui impose pas l’obligation, de recueillir des échantillons d’haleine, le Guide de pratiques policières ne peut faire du pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non la prise d’échantillons une norme juridique obligatoire : Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.
46 Dans R. c. Jageshur (2002), 169 C.C.C. (3d) 225, la Cour d’appel de l’Ontario a abordé la question dans un contexte très similaire à celui qui nous intéresse. Cette affaire portait sur la légalité d’une opération policière conduite en conformité avec le droit applicable, mais non avec les directives administratives en vigueur. Le juge Doherty, de la Cour d’appel de l’Ontario, a dit au nom des juges unanimes :
[traduction] Les devoirs d’un policier et, partant, ses obligations, ne sauraient se confondre avec les directives sur la manière de s’y conformer. Les politiques de l’Administration policière ont trait aux modalités d’exécution de ces devoirs et obligations, et non à leur définition ou délimitation.
. . .
L’examen de la nature de la politique de la GRC sur les opérations d’envergure en matière de stupéfiants et d’infiltration me conforte dans l’opinion que cette politique ne circonscrivait pas les obligations des policiers. L’alinéa 21(1)b) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements sur la conduite et l’exercice des fonctions des membres de la GRC. L’alinéa 21(2)b) autorise le commissaire de la GRC à établir des règles (règlements) sur la conduite et l’exercice des fonctions des membres de la GRC. L’article 38 du même texte législatif autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements régissant la conduite des membres (code de déontologie). La politique visée par le présent appel ne tirait pas son origine de ces dispositions. . . [Je souligne; par. 50 et 52.]
En somme, la preuve de l’existence de telles directives, de même que celle de leur connaissance réelle ou présumée par l’accusé au moment des actes reprochés, peut éclairer les circonstances du prétendu exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il en va de même de la preuve des pratiques usuelles du service de police, comme les témoignages du directeur-adjoint Rocheleau et du policier retraité Lapointe entendus en l’espèce. Toutefois, elle ne saurait être déterminante.
4.1.2.2 La division des tâches entre les substituts du procureur général et la police ne supprime pas la discrétion policière
47 Par ailleurs, le juge Doyon paraît laisser entendre qu’au Québec, où c’est à un substitut du procureur général que revient la décision d’autoriser ou non le dépôt d’accusations pénales, le pouvoir discrétionnaire du sergent Beaudry ne lui permettait pas de décider que le cas de Patrick Plourde pouvait être réglé autrement qu’en procédant à la prise d’échantillons d’haleine et à l’arrestation.
48 Avec égards pour l’opinion contraire, je ne crois pas qu’il faille aller aussi loin. Le bon fonctionnement du système de justice pénale nécessite selon moi que tous les intervenants puissent exercer leur jugement dans l’accomplissement de leurs fonctions respectives, même s’il peut y avoir chevauchement de leurs pouvoirs discrétionnaires respectifs. Le policier joue un rôle qui lui est propre dans le système de justice pénale, un rôle qui lui a été conféré initialement par la common law, et il importe qu’il demeure indépendant du pouvoir exécutif : R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, par. 27-36, et R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297, 2002 CSC 12. Ainsi, il y a lieu de rejeter la conception hiérarchique du juge Doyon selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du policier est limité par celui du substitut du procureur général. Dans l’accomplissement de leurs fonctions respectives, le policier et le substitut du procureur général jouissent d’un pouvoir discrétionnaire qu’ils doivent exercer indépendamment de toute influence externe : Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372, 2002 CSC 65. Les limites de ce pouvoir sont inhérentes aux fonctions et aux devoirs du titulaire. Toutefois, le respect de la compétence des substituts du procureur général ne joue pas dans la délimitation du pouvoir des policiers.
4.2 La relation entre l’infraction d’entrave à la justice et le pouvoir discrétionnaire de la police
49 Comme l’a judicieusement relevé le juge du procès, l’accusé ne peut être déclaré coupable de l’infraction prévue au par. 139(2) pour le seul motif qu’il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière légitime. C’est pourquoi il m’apparaît pertinent de noter d’entrée de jeu que, malgré un certain nombre de traits communs, l’appréciation de l’exercice du pouvoir discrétionnaire et celle de la commission de l’infraction d’entrave à la justice ne doivent pas être confondues. Bien que, dans la plupart des cas, la preuve avancée pour établir qu’une conduite ne constitue pas un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire puisse aussi l’être pour établir l’infraction d’entrave à la justice, il faut nécessairement mener deux analyses distinctes.
50 Dans ses motifs dissidents, le juge Chamberland note qu’en l’espèce l’analyse de l’actus reus et celle de la mens rea se rejoignent puisque l’une et l’autre s’effectuent au regard de l’honnêteté de la décision discrétionnaire. Pourtant, la simple absence d’une intention malhonnête ne prouve pas qu’une décision relève du pouvoir discrétionnaire. L’exercice de ce pouvoir doit aussi être justifié en fonction d’éléments objectifs. Dans tous les cas, il faut déterminer quel serait le comportement d’un policier agissant raisonnablement dans la même situation. Il faut circonscrire les facteurs qui, aux yeux d’un observateur objectif, justifieraient l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Bien que l’on puisse supposer que, dans la plupart des cas, la question de l’intention sous-jacente à la décision sera déterminante tant pour apprécier l’exercice du pouvoir que pour juger s’il y a eu entrave à la justice, il me semble donc préférable de lier l’analyse du pouvoir discrétionnaire à celle de l’actus reus.
51 Ainsi, lorsque le pouvoir discrétionnaire est invoqué, l’analyse de l’élément matériel de l’infraction doit donc comporter deux étapes. Premièrement, les actes reprochés peuvent-ils être considérés comme un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire du policier? Dans l’affirmative, il n’y pas lieu d’aller plus loin puisque, je le répète, le pouvoir discrétionnaire des policiers est une composante essentielle de notre système de justice pénale. Il serait donc antinomique de prétendre qu’un acte peut à la fois tendre à contrecarrer le cours de la justice et trouver sa justification dans le pouvoir discrétionnaire de la police. Si, hors de tout doute raisonnable, les actes reprochés ne peuvent constituer un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire de la police, l’analyse doit se poursuivre.
52 Deuxièmement, l’infraction d’entrave au cours de la justice, dont les paramètres sont bien établis par la jurisprudence, a-t-elle été commise? Pour résumer, l’élément matériel de l’infraction ne sera établi que si l’acte tendait à contrecarrer ou à entraver le cours de la justice (R. c. May (1984), 13 C.C.C. (3d) 257 (C.A. Ont.), le juge Martin; voir aussi R. c. Hearn (1989), 48 C.C.C. (3d) 376 (C.A.T.-N.), le juge en chef Goodridge, conf. par [1989] 2 R.C.S. 1180). En ce qui concerne la mens rea, nul ne conteste qu’il s’agit d’une infraction requérant une intention spécifique (R. c. Charbonneau (1992), 13 C.R. (4th) 191 (C.A. Qué.)). La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait bel et bien l’intention d’adopter une conduite tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Une simple erreur de jugement ne suffit pas. L’accusé qui a agi de bonne foi, mais dont la conduite ne peut être assimilée à un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire, n’a pas commis l’infraction criminelle d’entrave à la justice.
53 Comme je l’ai dit en introduction, les remarques qui précèdent visent à clarifier la notion juridique de pouvoir discrétionnaire du policier et le rapport entre l’exercice illégitime de celui-ci et l’infraction d’entrave à la justice. Cependant, le présent pourvoi ne soulève qu’une seule question de droit, celle de savoir si le verdict du juge Beaulieu, de la Cour du Québec, est déraisonnable. C’est à elle que je passe maintenant.
4.3 Les conclusions du juge Beaulieu
54 Notons d’emblée que le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit. Le juge Beaulieu énonce d’abord clairement et sans ambiguïté les principes applicables au fardeau de preuve et ceux devant guider son appréciation de la crédibilité du témoignage de l’accusé. Ensuite, c’est avec raison qu’il fait état du pouvoir discrétionnaire de la police et de son importance. Aussi, il délimite bien l’application du droit pénal et celle du droit disciplinaire en reconnaissant qu’un exercice injustifié du pouvoir discrétionnaire n’emporte pas nécessairement la commission de l’infraction pénale prévue au par. 139(2). De même, il identifie correctement les éléments constitutifs de l’infraction, notamment la nécessité pour le ministère public de prouver une intention spécifique d’entraver le cours de la justice. En somme, le juge Beaulieu pose avec précision la question à trancher :
Dans la présente affaire, si le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusé a décidé de ne pas soumettre Plourde à l’alcootest parce que ce dernier est un agent de la Sûreté du Québec, agent de la paix, et de lui accorder une chance, cet exercice de ce pouvoir discrétionnaire est inacceptable.
55 À l’instar de la majorité des juges de la Cour d’appel, je suis d’avis que le juge du procès pouvait raisonnablement conclure que l’accusé avait manqué à son devoir en accordant un traitement de faveur à M. Plourde parce qu’il était agent de la paix. La norme de contrôle d’un verdict a été établie dans les arrêts R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, et R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, et elle n’est pas remise en cause dans le présent pourvoi. Dans l’arrêt Biniaris, la juge Arbour la résume comme suit :
Le critère qu’une cour d’appel doit appliquer pour déterminer si le verdict d’un jury ou le jugement d’un juge du procès est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve a été énoncé clairement dans l’arrêt Yebes :
[I]l doit y avoir révision judiciaire chaque fois que le jury dépasse une norme raisonnable. [. . .] [L]e critère est celui de savoir « si le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre ».
(Yebes, précité, à la p. 185 (citant Corbett c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 275, à la p. 282, le juge Pigeon).)
Cette formulation du critère implique à la fois une évaluation objective et, dans une certaine mesure, une évaluation subjective. Elle oblige la cour d’appel à déterminer quel verdict un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière judiciaire, aurait pu rendre, et ce faisant, à examiner, à analyser et, dans la mesure où il est possible de le faire compte tenu de la situation désavantageuse dans laquelle se trouve un tribunal d’appel, à évaluer la preuve. [Je souligne; par. 36.]
56 Avec respect, je ne suis pas d’accord avec l’analyse proposée par mon collègue. Le juge Fish se fonde sur le passage suivant dans Biniaris pour affirmer qu’il y a une « distinction fondamentale entre les verdicts du jury et les verdicts prononcés par les juges » dans l’application du sous-al. 686(1)a)(i) :
Le critère de l’arrêt Yebes est formulé en fonction d’un verdict prononcé par un jury, mais il s’applique tout autant au jugement d’un juge siégeant sans jury. L’examen en appel du caractère déraisonnable est toutefois différent et un peu plus facile lorsque le jugement contesté est celui d’un juge seul, du moins quand il y a des motifs de jugement assez substantiels. Le cas échéant, le tribunal d’appel qui procède à l’examen est parfois en mesure de déceler une lacune dans l’évaluation de la preuve ou dans l’analyse, qui servira à expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée, et à justifier l’annulation. [Je souligne; par. 37.]
57 Le juge Fish a raison lorsqu’il dit qu’un verdict peut être déraisonnable même s’il peut s’appuyer sur la preuve et, dans un tel cas, il convient d’ordonner la tenue d’un nouveau procès plutôt que d’inscrire un verdict d’acquittement. Dans R. c. Pittiman, [2006] 1 R.C.S. 381, 2006 CSC 9, notre Cour a traité de cette question au par. 14 en disant ceci :
Lorsqu’une déclaration de culpabilité est annulée pour le motif que le verdict ne s’appuie pas sur la preuve, la cour d’appel inscrit habituellement un verdict d’acquittement en l’absence d’erreur de droit quant à l’admissibilité de la preuve. Comme le juge Doherty l’a fait remarquer dans l’arrêt R. c. Harvey (2001), 160 C.C.C. (3d) 52 (C.A. Ont.), par. 30, [traduction] « [i]l convient d’ordonner un acquittement parce qu’il serait injuste d’ordonner un nouveau procès et de donner au ministère public une deuxième possibilité de présenter une preuve qui permettrait à un juge des faits raisonnable de prononcer un verdict de culpabilité. » Cependant, lorsque le verdict est jugé déraisonnable pour cause d’incompatibilité des verdicts, mais que la preuve pesant contre l’appelant étaye la déclaration de culpabilité, il convient habituellement d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
58 Par contre, il est important de se rappeler, comme l’indique bien la juge Arbour, que le critère de l’arrêt Yebes ne varie pas selon le fait que le procès a eu lieu avec ou sans jury. Le critère qui doit être appliqué est celui de savoir « si le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre ». Dans tous les cas, c’est la conclusion qui est à l’examen, et non le processus qui a été suivi pour y arriver. Je conviens, comme l’explique la juge Arbour dans l’extrait précité, que si les motifs du juge révèlent des erreurs ou un raisonnement fautif, ceci peut parfois expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée. Mais un verdict n’est pas nécessairement déraisonnable parce que le juge a commis des erreurs au cours de son analyse. L’examen doit être poussé plus loin. Dans tous les cas, le tribunal doit considérer si le verdict est déraisonnable et, pour ce faire, l’ensemble de la preuve doit être considéré. La juge Arbour le précise dans l’arrêt R. c. A.G., [2000] 1 R.C.S. 439, 2000 CSC 17 :
En se livrant à l’exercice prescrit par le sous-al. 686(1)a)(i) du Code criminel, le tribunal d’examen doit réexaminer la preuve en profondeur et mettre à profit toute son expérience pour déterminer si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le verdict était raisonnable. [par. 6]
59 Dans son analyse, le juge Fish reproche au juge du procès d’avoir commis des erreurs dans son interprétation de la preuve. Il conclut ensuite que ces erreurs étaient suffisamment graves pour nécessiter un nouveau procès. Je ne suis pas d’accord que le juge du procès a commis de telles erreurs. Qui plus est, il est important de souligner que là n’est pas la question devant cette Cour. Ce pourvoi en est un de plein droit sur la question de droit à savoir si le verdict est déraisonnable au sens du sous-al. 686(1)a)(i). Il peut exister un lien entre une erreur d’interprétation de la preuve et un verdict déraisonnable mais il ne faut pas confondre les deux questions. Le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario l’explique bien dans R. c. Morrissey (1995), 97 C.C.C. (3d) 193, comme suit :
[traduction] Une erreur dans l’interprétation de la preuve ne rend pas un verdict déraisonnable. Une conclusion que le juge a commis une erreur en interprétant la preuve n’est pas non plus une condition préalable à une conclusion qu’un verdict est déraisonnable. Dans les affaires jugées sans jury, une conclusion que le juge du procès a commis une erreur en interprétant la preuve peut toutefois occuper une place importante dans un argument selon lequel le verdict qui en est résulté était déraisonnable. Un appelant sera beaucoup mieux en mesure de démontrer le caractère déraisonnable d’un verdict s’il peut démontrer une erreur du juge du procès dans l’interprétation d’un élément de preuve important . . . [Je souligne; p. 220.]
60 Il ne suffit donc pas de déterminer si le juge du procès a commis des erreurs. L’analyse doit être poursuivie. Le juge Laskin de la Cour d’appel de l’Ontario résume l’analyse comme suit dans R. c. G. (G.) (1995), 97 C.C.C. (3d) 362 :
[traduction] Lorsqu’une cour d’appel constate une erreur, elle est tenue d’examiner la nature de l’erreur, son effet sur le verdict et, lorsque le verdict est celui d’un juge seul, sur le raisonnement suivi pour rendre ce verdict. Évidemment, les erreurs d’interprétation ou d’appréciation de la preuve ou celles qui entachent une conclusion tirée de la preuve ne justifient pas toutes l’annulation d’une déclaration de culpabilité. Mais l’al. 686(1)a) du Code criminel oblige cette Cour à intervenir si l’erreur mène à un verdict déraisonnable, si l’erreur est une erreur de droit qui ne peut être réparée aux termes du sous-al. 686(1)b)(iii), ou si l’erreur entraîne une erreur judiciaire.
L’appelant a fait valoir qu’à l’issue d’une évaluation correcte de l’ensemble de la preuve, aucun juge des faits ayant reçu des directives appropriées n’aurait pu raisonnablement le déclarer coupable. Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’un argument défendable. La loi n’exigeait pas que le témoignage de A.G. soit corroboré. Son témoignage, même dans le contexte des autres éléments de preuve en l’espèce, constituait un élément de preuve qui pouvait raisonnablement appuyer la déclaration de culpabilité de l’appelant. Par conséquent, je ne puis affirmer que le verdict était déraisonnable. [p. 377]
61 Dans son analyse, le juge Fish ne considère pas l’ensemble de la preuve pour déterminer si le verdict est déraisonnable. Ainsi, il me semble que le raisonnement qui le mène à l’ordonnance d’un nouveau procès est plutôt une application du sous‑al. 686(1)a)(iii), soit, « que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire ». Cette question n’est pas devant la Cour. De plus, la question à savoir si le juge a mal interprété la preuve à un tel point qu’il y a eu erreur judiciaire est une question mixte de fait et de droit. La Cour d’appel qui examine une telle question doit tenir compte de la position privilégiée du juge du procès.
62 Je reconnais sans hésiter que la déférence envers les conclusions factuelles de la cour de première instance ne doit pas servir de prétexte à la cour d’appel pour se soustraire à son obligation de réformer un verdict déraisonnable. C’est pourquoi aucune conclusion factuelle n’est entièrement à l’abri du regard scrutateur de la cour d’appel. Néanmoins, comme la Cour l’a affirmé de façon constante, le respect de la position privilégiée du juge du procès vis-à-vis de l’appréciation des faits est nécessaire à l’intégrité de notre système judiciaire. Il importe aussi de garder à l’esprit que la question de savoir si un verdict est déraisonnable est distincte de celle de savoir si un autre verdict était raisonnable suivant une autre interprétation de la preuve présentée au procès. Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que c’est plutôt à ce dernier exercice que s’est livré le juge Chamberland dans ses motifs dissidents. Qui plus est, son analyse ne tient aucunement compte de la position privilégiée du juge du procès pour apprécier la preuve. En toute déférence, le juge Fish n’en tient pas compte non plus. Les propos tenus par les juges Iacobucci et Major au nom de la majorité de la Cour dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, méritent d’être rappelés :
Quoique cette théorie soit généralement acceptée, elle n’est pas appliquée de manière systématique. Le fondement de cette théorie est aussi valide aujourd’hui qu’il l’était il y a 100 ans. Cette théorie repose sur l’idée que le caractère définitif des décisions est un aspect important du processus judiciaire. Personne ne prétend que les juges des cours d’appel seraient, d’une manière ou d’une autre, plus intelligents que les autres et donc capables d’arriver à un meilleur résultat. Leur rôle n’est pas de rédiger de meilleurs jugements, mais de contrôler les motifs à la lumière des arguments des parties et de la preuve pertinente, puis de confirmer la décision à moins que le juge de première instance n’ait commis une erreur manifeste ayant conduit à un résultat erroné. [par. 4]
63 D’après moi, la nécessité de respecter ce principe fondamental est encore plus criante lorsque, comme en l’espèce, c’est l’appréciation de la crédibilité des témoins par le juge du procès qui est en cause. C’est pourquoi, dans l’arrêt R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, le juge Sopinka a dit que le pouvoir de révision des cours d’appel doit être exercé avec circonspection lorsque le verdict tient à une question de crédibilité (par. 5-6). Il a en outre précisé que les cas où l’appréciation de la crédibilité par la cour de première instance ne peut pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable de la preuve étaient « peu communs » (par. 7). C’est donc avec cette mise en garde en tête que je me penche maintenant sur l’interprétation de la preuve par le juge Beaulieu.
64 Il ne fait nul doute que M. Plourde a conduit son véhicule en état d’ébriété et même en état d’ébriété avancé. Il a aussi été clairement établi que le sergent Beaudry a bel et bien décidé de ne pas recueillir les éléments de preuve nécessaires au dépôt d’accusations pénales. L’accusation portée contre ce dernier repose précisément sur sa décision de ne pas obtenir d’échantillons d’haleine. La poursuite prétend que, par cette décision, il a entravé la justice puisqu’il savait que ces éléments de preuve étaient nécessaires pour prouver l’infraction portée contre M. Plourde en vertu de l’art. 253 du Code criminel. Il est important de souligner que l’accusation ne repose nullement sur la prétention que le sergent Beaudry ait tenté de dissimuler la commission d’une infraction par M. Plourde. Si je comprends bien les motifs du juge Fish, il conclut que le verdict est déraisonnable, du moins en partie, parce que, selon lui, il n’y a aucune preuve qui permettrait de conclure que le sergent Beaudry ait tenté de dissimuler le fait que M. Plourde avait commis une infraction (voir, entre autres, le par. 111 des motifs du juge Fish). Là n’est pas la question. Il s’agit plutôt d’examiner la décision prise par le sergent Beaudry de ne pas obtenir d’échantillons d’haleine. S’agissait-il en l’espèce d’un exercice acceptable du pouvoir discrétionnaire de la police et, dans la négative, d’une entrave au cours de la justice?
65 Dans son analyse, le juge Beaulieu décrit d’abord les faits pertinents pour la question de savoir si la décision du sergent Beaudry constituait un exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire. À cet égard, tous les éléments sont réunis pour conclure raisonnablement qu’il s’agissait de circonstances très sérieuses. Certes, il n’y a pas eu d’accident ou de blessure ce soir-là. Toutefois, il ne fait nul doute que des gestes graves ont précédé l’intervention du sergent Beaudry. Patrick Plourde excédait la limite permise et circulait sur la voie publique avec un pneu crevé, il a omis d’effectuer un arrêt et il a frôlé le terre-plein. De plus, lorsque les policiers l’ont pris en chasse, il a poursuivi sa course sur une bonne distance avant d’immobiliser son véhicule. Une fois rangé sur le côté de la rue, il ignore le sergent Beaudry pendant quelques minutes, il a la tête penchée sur le volant, il pleure, il tient des propos confus et il tombe au sol en descendant de son véhicule.
66 De plus, même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec le poids que le juge Doyon accorde aux directives administratives contenues dans le Guide de pratiques policières, il n’en demeure pas moins que, tout comme le témoignage du directeur-adjoint Rocheleau et du policier retraité Lapointe concernant la procédure habituelle dans les cas de conduite avec facultés affaiblies, elles pouvaient à juste titre accroître la preuve exigée par le juge du procès à l’appui de la prétention selon laquelle le pouvoir discrétionnaire avait été exercé pour un motif humanitaire. Comme l’a souligné le juge Doyon pour la majorité de la Cour d’appel, « [c]onfronté à des circonstances de cette gravité, le juge pouvait, comme il l’a fait, considérer avec circonspection la version de [Beaudry] » (par. 71).
67 Le juge du procès soupèse aussi avec soin le témoignage des deux policiers qui accompagnaient l’accusé le soir du 22 septembre 2000, les agents Boucher et Bélisle. L’agent Boucher indique qu’il n’a pas pris l’initiative de soumettre M. Plourde à l’alcootest parce qu’il n’avait que des soupçons de conduite avec facultés affaiblies. Le tribunal a eu raison, et l’appelant en convient, de qualifier cette affirmation de mensongère. Quant à l’agent Bélisle, il indique qu’il lui a été difficile de dire s’il s’agissait d’un cas de facultés affaiblies. De nouveau, le tribunal ne commet aucune erreur en concluant qu’il s’agit d’un mensonge. Le juge du procès pouvait fort bien considérer le témoignage des autres policiers, qui eux aussi avaient pu apprécier les circonstances de l’espèce, afin de décider si l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police était approprié dans ce cas. Bien que seule la décision du sergent Beaudry soit en cause, les témoignages des deux autres agents constituaient tout de même des éléments de contexte importants. Ces témoignages étaient tout à fait de nature à éclairer le juge du procès dans son appréciation de la situation à laquelle les policiers avaient été confrontés ce soir-là. Le fait que les collègues du sergent Beaudry ont menti au tribunal ne peut que soulever des doutes sur ce qui s’est véritablement passé sur les lieux de l’interception, puis au poste de police.
68 En outre, le juge du procès note que la preuve révèle hors de tout doute raisonnable que, sur les lieux mêmes de l’intervention, l’accusé s’est souvenu avoir rencontré l’individu un peu plus d’une semaine auparavant, le 12 septembre 2000. Ainsi, dès ce moment, il sait qu’il a affaire à un agent de la Sûreté du Québec. Cette conclusion est cruciale puisqu’elle constitue la pierre angulaire du verdict du juge Beaulieu. La preuve révèle par ailleurs que c’est aussi sur les lieux de l’intervention que le sergent Beaudry a pris la décision de ne pas suivre la procédure habituelle. Deux hypothèses se posent donc : le sergent Beaudry a pris la décision de ne pas poursuivre l’enquête soit par favoritisme parce que M. Plourde était un agent de la paix, soit parce qu’il savait que ce dernier était dépressif et qu’il avait besoin d’aide. Les parties conviennent que si le sergent Beaudry a agi par favoritisme, il est coupable de l’infraction qu’on lui reproche.
69 Telle est donc la question déterminante, et le juge Beaulieu y consacre la plus grande partie de ses motifs. Il ajoute foi à la version du sergent Beaudry et de ses collègues en ce qui a trait à la description de la personne de M. Plourde et de sa conduite, mais il est d’avis que « l’atmosphère de détresse » a été invoquée après coup pour tenter de justifier les actes du sergent Beaudry. La logique du raisonnement qui sous-tend la conclusion du juge Beaulieu quant à la culpabilité d’Alain Beaudry est manifeste. Voici les points principaux de son raisonnement.
70 Le juge Beaulieu examine en détail les prétentions du sergent Beaudry selon lesquelles il a pris la décision de ne pas recueillir les échantillons d’haleine parce qu’il voulait aider M. Plourde, qu’il savait dépressif. Or, il exprime son scepticisme vis-à-vis de cette justification. Pour justifier sa décision, prise sur les lieux même de l’incident, le sergent Beaudry prétend s’être souvenu que le sujet de la dépression de M. Plourde avait été abordé lors de la rencontre du 12 septembre, dix jours plus tôt. Pourtant, dans son témoignage, M. Plourde ne se souvient pas qu’il en ait été question. De même, le rapport d’événement rédigé alors n’en fait pas mention. Quoi qu’il en soit, le juge du procès se demande pourquoi le sergent Beaudry n’a pas conduit M. Plourde à l’hôpital s’il était dépressif au point que l’on craigne qu’il pose un geste malheureux. À son avis, si l’accusé était aussi préoccupé de la santé de M. Plourde, il devait passer outre à son refus d’aller à l’hôpital, d’autant plus qu’il a explicitement reconnu dans son témoignage qu’il aurait été préférable que M. Plourde soit conduit à l’hôpital. Le juge Beaulieu note aussi à bon droit que la garde de celui-ci dans une salle faisant l’objet d’une surveillance vidéo aurait neutralisé le risque de tentative de suicide même si les échantillons d’haleine avaient été recueillis.
71 Le juge du procès ne s’explique pas non plus l’absence au dossier de toute mention de l’état dépressif de M. Plourde si le fait était si criant. Par exemple, dans son propre journal d’activité, l’accusé décrit M. Plourde comme une personne en état d’ébriété avancé, notant qu’il doit « cuve[r] son vin ». Il semble donc que le sergent Beaudry conclut des signes de détresse manifestés par M. Plourde lors de son interception qu’il est ivre et non qu’il est dépressif. La conclusion notée par le sergent Beaudry que M. Plourde était en état d’ébriété avancé était tout à fait raisonnable puisqu’il est pour le moins difficile de distinguer un état mental anormal d’un état d’ébriété conjugué au stress inhérent à une interaction avec les forces policières dans de telles conditions. Le juge du procès n’a pu manquer de remarquer non plus que la note manuscrite agrafée au rapport destiné au directeur-adjoint Rocheleau ne fait pas mention de la dépression ou de quelque autre motif humanitaire, mais seulement du fait que Patrick Plourde est policier. Force est donc d’admettre qu’il manque quelques éléments pour croire à un diagnostic clinique de dépression sévère ou de tendances suicidaires.
72 En plus de rejeter les justifications avancées par le sergent Beaudry quant à son motif humanitaire, le juge du procès arrive aussi à la conclusion hors de tout doute raisonnable que l’accusé a agi sciemment et par favoritisme en omettant de recueillir des échantillons d’haleine en temps utile. À cet égard, le juge Chamberland est d’avis (au par. 55) que le sergent Beaudry a agi avec transparence et qu’il n’a jamais tenté de cacher quoi que ce soit. Pourtant, le juge Beaulieu est d’un tout autre avis et, selon moi, sa conclusion est entièrement raisonnable.
73 Tout d’abord, le juge du procès a ajouté foi au témoignage de l’agent Dagenais selon lequel l’accusé lui a répondu que M. Plourde était en état d’arrestation pour facultés affaiblies lorsqu’il lui a demandé s’il devait obtenir les informations biométriques (photo et empreintes digitales) de M. Plourde. Là encore, le juge du procès a raison de se demander pourquoi l’accusé n’a pas jugé bon d’expliquer plutôt à son collègue que le prévenu a été amené au poste pour sa propre sécurité, parce qu’il était dépressif et avait besoin d’aide plus qu’autre chose. Le juge croit aussi l’agent Dagenais lorsqu’il ajoute que le sergent Beaudry lui a dit d’attendre parce qu’il avait une décision à prendre. Pourtant, le sergent Beaudry avait déjà décidé de classer l’événement comme « non répertorié ». Le juge du procès pouvait très bien conclure, contrairement au juge Chamberland, que par ces actes, l’accusé ne faisait pas preuve de transparence.
74 Ainsi, ces conclusions factuelles, particulièrement en ce qui concerne la crédibilité de Beaudry, étayent amplement la conclusion du juge suivant laquelle, le 22 septembre 2000, le sergent Beaudry a agi par favoritisme et a eu l’intention spécifique d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice en ne recueillant pas les échantillons d’haleine nécessaires à ce qu’une accusation fondée sur l’art. 253 du Code criminel soit déposée contre Patrick Plourde.
5. Conclusion
75 C’est pourquoi je conclus que le verdict du juge Beaulieu n’est pas déraisonnable et je suis d’avis de rejeter l’appel.
Version française des motifs rendus par
76 Le juge Binnie — Je suis d’accord avec ma collègue la juge Charron que le pourvoi doit être rejeté. Comme elle le fait remarquer, le verdict dépendait de questions de crédibilité et « [l]e juge du procès était dans une position privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins et déterminer si la preuve laissait place à un doute raisonnable » (par. 4).
77 Indépendamment du bien‑fondé du pourvoi cependant, le juge Fish exhorte la Cour à réexaminer la portée traditionnelle du sous‑al. 686(l)a)(i) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. En particulier, le juge Fish soutient qu’une cour d’appel pourrait conclure qu’un verdict est « déraisonnable » ou « ne peut pas s’appuyer sur la preuve » dans un cas où ce verdict repose sur des conclusions de fait du juge de première instance « dont on peut démontrer qu’elles sont incompatibles [. . .] avec des éléments de preuve qui ne sont ni contredits par d’autres éléments de preuve ni rejetés par le juge » (par. 98); autrement dit, dans les cas où, à l’examen, le fondement des conclusions sur lesquelles repose le verdict disparaît.
78 Comme le signale la juge Charron, le droit a toujours mis l’accent sur le caractère raisonnable du verdict, non sur la qualité des motifs sur lesquels il repose. La juge Charron accepte néanmoins qu’il « peut exister un lien entre une erreur d’interprétation de la preuve et un verdict déraisonnable » (par. 59).
79 Dans R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, nous avons conclu que le juge du procès qui ne donne pas des motifs suffisants pour permettre un examen valable de sa décision en appel commet une « erreur de droit » au sens du sous‑al. 686(1)a)(ii). La dissidence du juge Chamberland en l’espèce ne reposait pas sur une « erreur de droit » ([2005] R.J.Q. 2536, 2005 QCCA 966); par conséquent, l’accusé appelant ne peut se prévaloir du sous‑al. 686(1)a)(ii) même si l’on pouvait croire qu’il s’applique. Cependant, il est utile de rappeler que dans Sheppard, nous avons fait remarquer de façon plus générale ce qui suit :
. . . l’obligation de donner des motifs est liée à leur fin, qui varie selon le contexte. En première instance, les motifs justifient et expliquent le résultat. La partie qui n’a pas gain de cause sait pourquoi elle a perdu. [. . .] Les membres du public intéressés peuvent constater que justice a été rendue, ou non, selon le cas. [par. 24]
En pratique, ces préoccupations fonctionnelles s’appliquent tout autant à l’examen par une cour d’appel d’un appel fondé sur des allégations de verdict déraisonnable ou de verdict qui ne peut pas s’appuyer sur la preuve. Aux yeux des parties et des membres du public, si les conclusions de fait essentielles au verdict étaient des conclusions « dont on peut démontrer qu’elles sont incompatibles » avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge du procès, un tel verdict serait privé de légitimité et pourrait, à juste titre à mon avis, être considéré comme « déraisonnable ».
80 Mon désaccord avec le juge Fish tient par conséquent à sa conclusion que les circonstances de l’espèce satisfont au critère qu’il a proposé. La question clé, telle qu’elle est énoncée, est la crédibilité. À mon avis, avec égards, les vices qu’il a identifiés dans les motifs du juge du procès ne sont pas à ce point importants pour le verdict et incompatibles avec la preuve qu’il soit justifié d’infirmer sa décision. Pour cette raison, je suis d’accord avec la juge Charron pour rejeter le pourvoi.
Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Deschamps et Fish rendus par
Le juge Fish (dissident) —
I
81 Un policier a le droit, à l’instar de tout autre accusé, d’être présumé innocent tant qu’il n’a pas été raisonnablement et régulièrement déclaré coupable — même si un autre policier a bénéficié de l’infraction alléguée.
82 En l’espèce, Alain Beaudry, un policier municipal d’expérience aux antécédents irréprochables, a été reconnu coupable d’entrave à la justice pour avoir omis de s’acquitter de ses obligations lors de l’arrestation de Patrick Plourde, un policier de la Sûreté du Québec. D’après la preuve non contredite, M. Plourde était dans un état d’ébriété avancé lorsqu’il a été arrêté au volant de sa voiture. Il a été emmené au poste sans qu’on lui demande de fournir l’échantillon d’haleine ou de sang nécessaire pour déterminer son alcoolémie.
83 Au procès, la question déterminante était de savoir si M. Beaudry s’était abstenu de demander cet échantillon parce que M. Plourde était policier. Le juge du procès a répondu à cette question par l’affirmative et dans cet appel, la question est de savoir si sa décision est « déraisonnable » au sens du sous‑al. 686(1)a)(i) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Avec égards pour l’opinion contraire, j’estime qu’elle l’est parce que les conclusions du juge ne s’appuient pas sur les motifs qui l’y ont conduit — et parce que ses motifs sont fondamentalement incompatibles avec la preuve non contredite présentée lors du procès.
84 Je suis donc d’avis d’accueillir l’appel et d’annuler la déclaration de culpabilité de M. Beaudry. Dans les circonstances toutefois, j’ordonnerais la tenue d’un nouveau procès plutôt que de prononcer un verdict d’acquittement.
II
85 Je suis d’accord avec la juge Charron pour ce qui est de l’analyse qu’elle fait du par. 139(2) du Code criminel. Plus particulièrement, j’estime comme elle que l’actus reus et la mens rea de l’infraction d’entrave à la justice ne doivent pas être confondus. L’exercice illégitime du pouvoir discrétionnaire n’équivaudra à une entrave à la justice que s’il s’accompagne d’une intention « d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice ». Il faut donc démontrer que M. Beaudry a agi par corruption ou malhonnêteté — c’est-à-dire qu’il a outrepassé ce qu’il croyait être l’exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire de policier.
86 À l’instar de la juge Charron, je crois que le pouvoir discrétionnaire des policiers est un élément essentiel du système de justice au Québec, comme dans les autres provinces. Il n’est pas limité par le pouvoir du procureur général de porter des accusations indépendamment d’une recommandation policière, et ne saurait être écarté par les directives internes de la police.
III
87 Dans R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17, la juge Deschamps et moi, dissidents quant au résultat, avons conclu que « [l]e devoir d’une cour d’appel ne se limite pas à s’assurer que “le dossier autorisait le verdict prononcé” » (par. 36). Cela s’explique par le fait que le sous‑al. 686(1)a)(i) du Code criminel prévoit expressément qu’un verdict peut être rejeté en appel s’il est « déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve ».
88 Dans Gagnon, les juges majoritaires n’ont pas abordé cette question et j’estime qu’il est nécessaire et opportun d’y revenir en l’espèce avant d’appliquer ce que je crois être le critère pertinent.
89 Le sous‑alinéa 686(1)a)(i) autorise une cour d’appel à admettre l’appel « si elle est d’avis [. . .] que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve ». À mon avis, la conjonction disjonctive « ou » indique que le législateur avait clairement l’intention d’établir une distinction entre les verdicts qui ne peuvent pas s’appuyer sur la preuve et ceux qui peuvent à juste titre être qualifiés de déraisonnables pour un autre motif. Toute autre interprétation du critère reviendrait à permettre que les appels, y compris les appels de plein droit, soient assujettis à un examen judiciaire de portée plus restreinte que les interventions par voie de bref de prérogative — non susceptibles d’appel, avec ou sans autorisation.
90 Il importe de se rappeler que le critère du verdict déraisonnable a été plus souvent qu’autrement défini et expliqué dans des cas de procès devant jury, où s’appliquent des considérations particulières : voir, par exemple, R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168.
91 Contrairement aux juges, les jurés ne sont pas tenus de motiver leur décision, ni même autorisés à le faire. Leurs motifs, au Canada du moins, demeurent à jamais entourés du secret de leurs délibérations : l’art. 649 du Code criminel interdit la divulgation, sous réserve seulement d’exceptions limitées, de tout renseignement relatif aux délibérations d’un jury. Les raisons pour lesquelles le jury a conclu comme il l’a fait échappent au tribunal, tant en première instance qu’en appel.
92 Les cours d’appels n’ont pas plus le droit de savoir comment ou pourquoi le jury est arrivé à son verdict qu’elles n’ont celui d’émettre des hypothèses à ce sujet. Il faut présumer que le jury était composé de gens raisonnables agissant raisonnablement. Son verdict doit donc être tenu pour raisonnable, sauf si aucun jury ayant reçu des directives appropriées n’aurait pu raisonnablement arriver à un tel verdict ou, pour reprendre le libellé du sous‑al. 686(1)a)(i), si le verdict « ne peut pas s’appuyer sur la preuve ».
93 On ne peut cependant pas en dire autant du verdict prononcé par un juge. C’est le rôle du juge de prononcer des décisions motivées : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26. Et évaluer le caractère raisonnable de ces motifs ne saurait relever de la conjecture. De plus, si le niveau de détails requis variera selon les circonstances de l’affaire, les motifs doivent être suffisamment détaillés pour permettre un examen valable en appel. Une telle exigence serait inutile si le seul critère permettant d’apprécier le caractère déraisonnable pour l’application du sous‑al. 686(1)a)(i) consistait à se demander si la preuve permet de justifier le verdict.
94 Cette distinction fondamentale entre les verdicts du jury et les verdicts prononcés par les juges a été expressément reconnue dans R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, où la juge Arbour, au nom de la Cour, explique ainsi la situation :
L’examen en appel du caractère déraisonnable est toutefois différent et un peu plus facile lorsque le jugement contesté est celui d’un juge seul, du moins quand il y a des motifs de jugement assez substantiels. Le cas échéant, le tribunal d’appel qui procède à l’examen est parfois en mesure de déceler une lacune dans l’évaluation de la preuve ou dans l’analyse, qui servira à expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée, et à justifier l’annulation. [Je souligne; par. 37.]
95 Voir aussi R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656, en particulier p. 665, et R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474.
96 Bref, le texte de la disposition pertinente du Code criminel et son application par la Cour récemment indiquent que, du moins dans les procès sans jury, les cours d’appel peuvent conclure au caractère déraisonnable d’un verdict même si la preuve autorisait qu’il soit prononcé.
97 Selon la juge Charron, un verdict qui s’appuie sur des motifs déraisonnables n’est pas déraisonnable s’il existe des éléments de preuve qui auraient permis à un autre juge des faits d’arriver à la même conclusion par une démarche différente et appropriée. Avec égards, je ne partage pas ce point de vue. Nul ne devrait être reconnu coupable sur le fondement de motifs manifestement mauvais — des motifs à première vue illogiques ou contraires à la preuve — parce qu’un autre juge (qui n’a jamais entendu l’affaire et qui ne l’entendra jamais) aurait peut‑être pu, mais pas nécessairement, arriver à la même conclusion pour d’autres motifs. Un verdict auquel on est arrivé d’une façon illogique ou irrationnelle peut difficilement devenir raisonnable du fait qu’un autre juge aurait pu raisonnablement condamner ou acquitter l’accusé. J’estime que si la preuve est susceptible d’appuyer une condamnation, il est de loin préférable d’ordonner un nouveau procès de sorte qu’une décision nouvelle et correcte puisse être prise par un « autre juge » qui sera un véritable juge et non un juge hypothétique.
98 Je m’empresse d’ajouter que lorsqu’elles déterminent si un verdict prononcé par le juge du procès est déraisonnable, les cours d’appel ne peuvent pas substituer leur appréciation personnelle des faits à celle du juge, ou intervenir parce que les motifs du juge auraient dû être plus détaillés ou être formulés plus clairement. Cela ne relève pas de la compétence d’une cour d’appel : R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122; Burke; Biniaris; H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25; R. c. Kerr (2004), 48 M.V.R. (4th) 201, 2004 MBCA 30. Mais lorsqu’il est motivé, un verdict ne saurait être raisonnable au sens du sous-al. 686(1)a)(i) s’il repose sur des conclusions de fait dont on peut démontrer qu’elles sont incompatibles, comme en l’espèce, avec des éléments de preuve qui ne sont ni contredits par d’autres éléments de preuve ni rejetés par le juge.
IV
99 Les conclusions de fait du premier juge peuvent se résumer comme suit :
(1) Les policiers qui étaient avec l’appelant au moment de l’incident ne sont pas des témoins crédibles parce qu’ils ont tous deux nié avoir eu plus que des soupçons quant au fait que M. Plourde était ivre lorsqu’il a été intercepté.
(2) La décision de l’appelant de classer l’incident comme une « Assistance au public » et une « Activité non répertoriée », alors qu’il savait que M. Plourde conduisait en état d’ébriété, indique qu’il tentait de cacher ce fait.
(3) La prétention de l’appelant selon laquelle il croyait que M. Plourde était dépressif et avait besoin d’aide est fausse. Si l’appelant avait réellement cru que M. Plourde était dépressif, il l’aurait conduit à l’hôpital et non au poste de police. En outre, le rapport de police ne mentionne pas que M. Plourde était dépressif; au contraire, la femme qui l’a accusé de harcèlement lors de l’incident survenu dix jours auparavant a dit de lui qu’il était « dérangé mentalement » (non « dépressif »), selon les termes mêmes du rapport dressé à cette occasion. Enfin, M. Plourde a lui‑même témoigné qu’il ne se souvenait pas que cette question ait été soulevée avec l’appelant.
(4) Les témoignages de Raymond Dagenais et de Marc Rocheleau ont plus de poids. Selon M. Dagenais, l’appelant lui a dit que M. Plourde était en état d’arrestation et qu’il ne devrait pas le photographier parce qu’« il a une décision à prendre ». M. Rocheleau a déclaré que l’appelant lui a dit ceci : « On a exercé notre pouvoir discrétionnaire pour donner une chance. »
100 Pour ces motifs, le juge du procès a conclu que l’appelant avait tenté de cacher que M. Plourde avait conduit un véhicule à moteur en état d’ébriété et d’empêcher ainsi que des accusations soient portées contre lui. Le juge a aussi conclu que l’appelant avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon illégitime en décidant de ne pas soumettre M. Plourde à l’alcootest et en refusant de recommander qu’il soit poursuivi (la décision de poursuivre ou non ne relevait pas de l’appelant). De l’avis du juge, l’appelant a agi par favoritisme envers un collègue policier et non parce qu’il croyait que M. Plourde était dépressif et avait besoin d’aide.
101 Avec égards pour l’opinion contraire, il s’agit d’un cas où les motifs du juge du procès souffrent, pour reprendre les termes employés dans Biniaris, de lacunes dans l’évaluation et l’analyse de la preuve qui permettent de justifier l’annulation (par. 37). Cela vaut en particulier pour la seule véritable question qui se pose en l’espèce — savoir si l’appelant a agi par corruption ou malhonnêteté, avec l’intention d’entraver la justice.
102 Je m’en remets à la conclusion défavorable du juge du procès quant à la crédibilité des agents Boucher et Bélisle. De toute façon, leur témoignage peut difficilement être déterminant. Qu’ils aient eu ou non immédiatement des motifs raisonnables de soupçonner que M. Plourde était ivre n’a aucune incidence sur les questions cruciales suivantes : l’appelant a‑t‑il exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi ou avec l’intention d’entraver la justice? L’appelant s’est‑il abstenu d’arrêter M. Plourde et de lui administrer l’alcootest parce qu’il le croyait dépressif et pensait que ce dernier avait besoin d’aide ou parce qu’il voulait soustraire un collègue policier à des poursuites criminelles?
103 J’examine maintenant les autres conclusions du juge du procès, qui sont plus pertinentes en l’espèce.
104 Au sujet des rapports de police, le juge du procès a dit ceci :
Le Tribunal a pris en considération la rédaction du rapport d’événement ainsi que la note préparée par l’accusé et brochée au rapport laissé dans le pigeonnier de Rocheleau. Ces documents n’ont que pour fonction de détourner l’attention au sujet des événements survenus pendant la nuit.
105 Avec égards, j’estime qu’en indiquant expressément dans ces documents que M. Plourde était dans un état d’ébriété avancé, l’appelant ne peut qu’avoir attiré l’attention sur ce fait — et non détourné l’attention de celui-ci. La conclusion du juge à cet égard est clairement contredite par l’élément de preuve à partir duquel elle est tirée.
106 De même, en qualifiant « l’excuse de la dépression » de moyen de justification concocté subséquemment, le juge du procès va à l’encontre d’un élément de preuve non contredit. Même le ministère public a admis que l’appelant avait effectivement offert de conduire M. Plourde à l’hôpital, mais en vain : M. Plourde a refusé de s’y rendre.
107 En outre, la distinction entre les mots « dépressif » et « dérangé mentalement » est davantage sémantique que significative. Et l’absence du terme « dépressif » dans le rapport de police n’a que peu d’importance. Au lieu de discréditer la déclaration de l’appelant, cette absence témoigne bien des assises fragiles sur lesquelles repose la preuve du ministère public. Comme l’a dit le juge Chamberland :
Le fait que le mot « dépression » ne soit pas mentionné dans le rapport d’événement ne me semble pas déterminant, à tout événement pas au point de conclure que les explications de l’appelant ne sont pas dignes de foi ou, à tout le moins, ne soulèvent pas de doute raisonnable. Je refuse de croire que la culpabilité ou l’innocence d’un accusé puisse tenir à l’absence ou à la présence d’un mot dans un rapport. Le document vise à rapporter un événement et l’intervention policière qui a suivi; ce n’est pas un rapport médical, encore que les mots utilisés décrivent ce que d’aucuns associeraient naturellement à un état dépressif :
. . . M. Plourde était en crise de larmes tout au long de l’intervention, alors pour sa protection nous l’avons placé dans la salle mineur (sic) afin que celui‑ci soit mieux . . .
([2005] R.J.Q. 2536, 2005 QCCA 966, par. 59)
108 Enfin, la crédibilité que le juge du procès accorde au témoignage de Marc Rocheleau n’est pas concluante, au mieux. Le juge a dit ce qui suit :
Marc Rocheleau, directeur[-]adjoint, est un témoin fort crédible. Le Tribunal le croit lorsqu’il rapporte les propos que l’accusé lui a tenus dont, entre autres :
« On a exercé notre pouvoir discrétionnaire pour donner une chance. »
109 Si cet élément de preuve est véridique, comme nous devons en fait le supposer, la seule inférence qu’il est raisonnable d’en tirer est tout aussi compatible avec un verdict d’innocence qu’avec un verdict de culpabilité. Il est indéniable que l’appelant avait sciemment décidé d’aider M. Plourde au lieu de l’inculper. La question était de savoir s’il l’avait fait par esprit de camaraderie ou par compassion, à tort ou à raison. Considéré isolément ou dans le contexte de l’ensemble de la preuve, le témoignage de M. Rocheleau n’est guère utile à cet égard.
110 Bref, l’appelant a eu tout au long de cette affaire un comportement empreint de transparence et non de dissimulation. Dans le rapport qu’il a rédigé et signé à l’époque de l’incident, il a déclaré que M. Plourde a été arrêté dans un « état d’ébriété avancé ». Il a de nouveau indiqué ce fait dans son journal d’activités, que ses supérieurs pouvaient consulter. Et lorsque l’appelant a amené M. Plourde au poste, il l’a placé dans une cellule sous surveillance vidéo, de sorte qu’il était presque impossible pour quiconque de nier que M. Plourde était ivre. Enfin, de crainte que tout cela puisse par ailleurs passer inaperçu, l’appelant a laissé à son supérieur une note dans laquelle il suggérait d’informer les supérieurs de M. Plourde de l’incident.
111 Aucun de ces éléments de preuve n’est contesté. Aucun d’eux ne dépend de la crédibilité d’un témoin quant à sa véracité. Aucun d’eux n’étaye la conclusion selon laquelle l’appelant a tenté de dissimuler l’infraction commise par M. Plourde. Aucun d’eux n’offre un fondement raisonnable aux conclusions de fait sur lesquelles le juge du procès a fait reposer son verdict. Plus particulièrement, on peut raisonnablement affirmer qu’aucun de ces éléments de preuve n’établit que l’appelant a omis d’obtenir des échantillons d’haleine de M. Plourde parce qu’il voulait, pour une raison illicite, gêner ou empêcher une poursuite contre M. Plourde. Et c’est là, comme je l’indique précédemment (au par. 101), la question critique en l’espèce.
112 Avec égards, j’estime devoir conclure que la décision rendue par le juge du procès est déraisonnable au sens du sous‑al. 686(1)a)(i) du Code criminel. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
V
113 L’intégrité de notre système juridique dépend dans une large mesure de l’intégrité de ceux qui en assurent l’administration et l’application. Cela suppose, pour ce qui est de la justice pénale, que les policiers procéderont sans crainte ni favoritisme à l’arrestation et à la poursuite des contrevenants. Il est donc essentiel, et non pas seulement compréhensible, de s’inquiéter chaque fois qu’il y a lieu de soupçonner qu’un policier tente « d’étouffer » une affaire pour protéger un collègue ou pour plaire à quelqu’un envers qui il se sent redevable.
114 Ni l’erreur de jugement commise par un policier ni l’exercice inapproprié — ou même douteux — de son pouvoir discrétionnaire dans l’accomplissement de ses fonctions ne sauraient constituer en soi une preuve concluante d’une tentative d’entrave à la justice. Nous ne devons pas être moins zélés à éviter une injustice à un policier qu’à examiner pourquoi il s’est abstenu de façon suspecte d’enquêter sur des infractions ou de poursuivre des contrevenants.
115 En l’espèce, il existait des éléments de preuve au vu desquels un juge des faits pouvait raisonnablement déclarer l’appelant coupable de l’infraction reprochée. Mais l’appelant avait néanmoins droit à une décision qu’autorisaient les motifs sur lesquels elle était censée reposer.
116 Pour les motifs exposés par le juge Chamberland de la Cour d’appel et pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu que le verdict ne peut être maintenu. À mon humble avis toutefois, un nouveau procès serait plus approprié qu’un acquittement puisque le dossier renferme des éléments de preuve qui, correctement appréciés et examinés, auraient pu raisonnablement étayer un verdict de culpabilité.
Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Deschamps et Fish sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Hébert, Downs, Lepage, Soulière & Carette, Montréal.
Procureurs de l’intimée : Substituts du procureur général, Trois‑Rivières.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne de la police professionnelle : Trudel, Nadeau, Montréal.