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27/06/2008 | CANADA | N°2008_CSC_41

Canada | R. c. Kapp, 2008 CSC 41 (27 juin 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, 2008 CSC 41

Date : 20080627

Dossier : 31603

Entre :

John Michael Kapp, Robert Agricola, William Anderson, Albert Armstrong,

Dale Armstrong, Lloyd James Armstrong, Pasha Berlak, Kenneth Axelson,

Michael Bemi, Leonard Botkin, John Brodie, Darrin Chung, Donald Connors,

Bruce Crosby, Barry Dolby, Wayne Ellis, William Gaunt, George Horne,

Hon van Lam, William Leslie Sr., Bob M. McDonald, Leona McDonald,

Stuart McDonald, Ryan McEachern, William McIsaac, Melvin

(Butch) Mitchell,

Ritchie Moore, Galen Murray, Dennis Nakutsuru, Theordore Neef,

David Luke Nelson, Phuoc Ng...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, 2008 CSC 41

Date : 20080627

Dossier : 31603

Entre :

John Michael Kapp, Robert Agricola, William Anderson, Albert Armstrong,

Dale Armstrong, Lloyd James Armstrong, Pasha Berlak, Kenneth Axelson,

Michael Bemi, Leonard Botkin, John Brodie, Darrin Chung, Donald Connors,

Bruce Crosby, Barry Dolby, Wayne Ellis, William Gaunt, George Horne,

Hon van Lam, William Leslie Sr., Bob M. McDonald, Leona McDonald,

Stuart McDonald, Ryan McEachern, William McIsaac, Melvin (Butch) Mitchell,

Ritchie Moore, Galen Murray, Dennis Nakutsuru, Theordore Neef,

David Luke Nelson, Phuoc Nguyen, Nung Duc Gia Nguyen, Richard Nomura,

Vui Phan, Robert Powroznik, Bruce Probert, Larry Salmi, Andy Sasidiak,

Colin R. Smith, Donna Sonnenberg, Den van Ta, Cedric Towers, Thanh S. Tra,

George Tudor, Mervin Tudor, Dieu To Ve, Albert White, Gary Williamson,

Jerry A. Williamson, Spencer J. Williamson, Kenny Yoshikawa,

Dorothy Zilcosky et Robert Zilcosky

Appelants

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l'Ontario, procureur général du Québec,

procureur général de la Saskatchewan, procureur général de

l'Alberta, Première nation Tsawwassen, Nation Haisla,

bande indienne des Songhees, Première nation Malahat,

Première nation des T'Sou‑ke, Première nation Snaw‑naw‑as

(Nanoose) et bande indienne de Beecher Bay (collectivement appelées

Nations Te'mexw), Nation Heiltsuk, bande indienne des

Musqueams, tribus Cowichan, Sportfishing Defence Alliance,

B.C. Seafood Alliance, Pacific Salmon Harvesters Society,

Aboriginal Fishing Vessel Owners Association, United

Fishermen and Allied Workers Union, Japanese Canadian

Fishermens Association, Atlantic Fishing Industry Alliance,

bande indienne Nee Tahi Buhn, Première nation Tseshaht et

Assemblée des Premières nations

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 66)

Motifs concordants quant au résultat :

(par. 67 à 123)

La juge en chef McLachlin et la juge Abella (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron et Rothstein)

Le juge Bastarache

______________________________

R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, 2008 CSC 41

John Michael Kapp, Robert Agricola, William Anderson,

Albert Armstrong, Dale Armstrong, Lloyd James Armstrong,

Pasha Berlak, Kenneth Axelson, Michael Bemi, Leonard

Botkin, John Brodie, Darrin Chung, Donald Connors, Bruce

Crosby, Barry Dolby, Wayne Ellis, William Gaunt, George

Horne, Hon van Lam, William Leslie Sr., Bob M. McDonald,

Leona McDonald, Stuart McDonald, Ryan McEachern,

William McIsaac, Melvin (Butch) Mitchell, Ritchie Moore,

Galen Murray, Dennis Nakutsuru, Theordore Neef, David

Luke Nelson, Phuoc Nguyen, Nung Duc Gia Nguyen, Richard

Nomura, Vui Phan, Robert Powroznik, Bruce Probert, Larry

Salmi, Andy Sasidiak, Colin R. Smith, Donna Sonnenberg,

Den van Ta, Cedric Towers, Thanh S. Tra, George Tudor,

Mervin Tudor, Dieu To Ve, Albert White, Gary Williamson,

Jerry A. Williamson, Spencer J. Williamson, Kenny

Yoshikawa, Dorothy Zilcosky et Robert Zilcosky Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec,

procureur général de la Saskatchewan, procureur général de

l’Alberta, Première nation Tsawwassen, Nation Haisla,

bande indienne des Songhees, Première nation Malahat,

Première nation des T’Sou‑ke, Première nation Snaw‑naw‑as

(Nanoose) et bande indienne de Beecher Bay (collectivement appelées

Nations Te’mexw), Nation Heiltsuk, bande indienne des

Musqueams, tribus Cowichan, Sportfishing Defence Alliance,

B.C. Seafood Alliance, Pacific Salmon Harvesters Society,

Aboriginal Fishing Vessel Owners Association, United

Fishermen and Allied Workers Union, Japanese Canadian

Fishermens Association, Atlantic Fishing Industry Alliance,

bande indienne Nee Tahi Buhn, Première nation Tseshaht et

Assemblée des Premières nations Intervenants

Répertorié : R. c. Kapp

Référence neutre : 2008 CSC 41.

No du greffe : 31603.

2007 : 11 décembre; 2008 : 27 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Finch et les juges Mackenzie, Low, Levine et Kirkpatrick) (2006), 56 B.C.L.R. (4th) 11, 271 D.L.R. (4th) 70, [2006] 10 W.W.R. 577, 227 B.C.A.C. 248, 374 W.A.C. 248, 24 C.E.L.R. (3d) 99, [2006] 3 C.N.L.R. 282, 141 C.R.R. (2d) 249, [2006] B.C.J. No. 1273 (QL), 2006 CarswellBC 1407, 2006 BCCA 277, qui a confirmé une décision du juge en chef Brenner (2004), 31 B.C.L.R. (4th) 258, [2004] 3 C.N.L.R. 269, 121 C.R.R. (2d) 349, [2004] B.C.J. No. 1440 (QL), 2004 CarswellBC 1607, 2004 BCSC 958, qui a levé l’arrêt des procédures ordonné par le juge Kitchen, [2003] 4 C.N.L.R. 238, [2003] B.C.J. No. 1772 (QL), 2003 CarswellBC 1881, 2003 BCPC 279. Pourvoi rejeté.

Bryan Finlay, c.r., J. Gregory Richards et Paul D. Guy, pour les appelants.

Croft Michaelson et Paul Riley, pour l’intimée.

Sarah T. Kraicer et S. Zachary Green, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Isabelle Harnois et Brigitte Bussières, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Richard James Fyfe, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Robert J. Normey, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

Joseph J. Arvay, c.r., et Jeffrey W. Beedell, pour l’intervenante la Première nation Tsawwassen.

Allan Donovan et Bram Rogachevsky, pour l’intervenante la Nation Haisla.

Robert J. M. Janes et Dominique Nouvet, pour les intervenantes la bande indienne des Songhees, la Première nation Malahat, la Première nation des T’Sou‑ke, la Première nation Snaw‑naw‑as (Nanoose) et la bande indienne de Beecher Bay (collectivement appelées Nations Te’mexw).

Maria A. Morellato et Joanne R. Lysyk, pour les intervenantes la Nation Heiltsuk et la bande indienne des Musqueams.

F. Matthew Kirchner et Lisa C. Glowacki, pour l’intervenante les tribus Cowichan.

J. Keith Lowes, pour les intervenantes Sportfishing Defence Alliance, B.C. Seafood Alliance, Pacific Salmon Harvesters Society, Aboriginal Fishing Vessel Owners Association et United Fishermen and Allied Workers Union.

John Carpay et Chris Schafer, pour l’intervenante Japanese Canadian Fishermens Association.

Kevin O’Callaghan et Katey Grist, pour l’intervenante Atlantic Fishing Industry Alliance.

Ryan D. W. Dalziel, pour l’intervenante la bande indienne Nee Tahi Buhn.

Hugh M. G. Braker, c.r., et Anja P. Brown, pour l’intervenante la Première nation Tseshaht.

Bryan P. Schwartz et Jack R. London, c.r., pour l’intervenante l’Assemblée des Premières nations.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein rendu par

La Juge en chef et la juge Abella —

A. Introduction

[1] Les appelants sont des pêcheurs commerciaux, pour la plupart non autochtones, qui affirment que leurs droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés par un permis de pêche communautaire accordant aux membres de trois bandes autochtones le droit exclusif de pêcher le saumon à l’embouchure du fleuve Fraser pendant une période de 24 heures les 19 et 20 août 1998.

[2] Les appelants fondent leur allégation sur le par. 15(1). Ils font valoir essentiellement que le permis de pêche communautaire est discriminatoire à leur égard en raison de leur race. La Couronne soutient que le programme en vertu duquel le permis a été délivré avait pour objet général de réglementer les pêches, et qu’il a amélioré la situation d’un groupe défavorisé. Ces arguments, pris ensemble, soulèvent la question de l’interaction des par. 15(1) et 15(2) de la Charte. En particulier, ils obligent notre Cour à se demander si le par. 15(2) peut s’appliquer indépendamment du par. 15(1) pour protéger les programmes améliorateurs contre les allégations de discrimination — une possibilité évoquée dans la jurisprudence de notre Cour portant sur le droit à l’égalité.

[3] Nous avons conclu qu’un programme qui établit une distinction fondée sur un motif énuméré à l’art. 15 ou sur un motif analogue, mais qui a pour objet d’améliorer la situation d’un groupe défavorisé, aide à réaliser l’égalité réelle garantie par l’art. 15 et que l’allégation de discrimination doit être rejetée. Étant donné que le permis de pêche communautaire contesté en l’espèce relève du par. 15(2) — l’un de ses objets étant d’améliorer la situation des bandes autochtones participantes — l’allégation des appelants voulant qu’il y ait eu violation de l’art. 15 ne saurait être retenue. Bien que l’application du par. 15(2) soit suffisante pour trancher le pourvoi, nous allons, en plus d’examiner les rôles respectifs des par. 15(1) et 15(2), commenter brièvement l’art. 25 de la Charte à la lumière des motifs rédigés à ce sujet par le juge Bastarache.

B. Faits et historique des procédures judiciaires

[4] Avant le contact avec les Européens, les groupes autochtones qui vivaient dans la région de l’embouchure du fleuve Fraser pêchaient à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Il n’est pas exagéré d’affirmer que le fleuve et ses ressources halieutiques abondantes jouaient un rôle prépondérant dans leur vie. Au cours des deux dernières décennies, des décisions judiciaires ont confirmé que les pratiques de pêche qui faisaient partie intégrante de la culture d’un peuple autochtone avant le contact avec les Européens sont à l’origine d’un droit contemporain de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. Ce droit de pêche est un droit collectif. Il s’applique à la collectivité, et non à l’individu, et il peut être exercé par les personnes ayant un lien avec la collectivité ancestrale autochtone.

[5] Les tribunaux n’ont pas reconnu que ce droit ancestral s’applique à la pêche aux fins de vente ou pêche commerciale : R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507. La participation des Autochtones à la pêche commerciale était donc laissée à l’initiative personnelle ou devait faire l’objet de négociations entre les peuples autochtones et le gouvernement. Le gouvernement fédéral a jugé qu’il y avait lieu d’accorder aux peuples autochtones un intérêt dans le secteur de la pêche commerciale. De façon générale, les bandes étaient économiquement défavorisées comparativement aux non‑Autochtones. Le poisson pris à des fins alimentaires et rituelles ne comblait pas tous leurs besoins.

[6] La décision du gouvernement de favoriser la participation des Autochtones à la pêche commerciale faisait suite aux recommandations du rapport final Pearse de 1982, qui appuyait la négociation d’accords de pêche autochtone (Pour remonter le courant : Une nouvelle politique des pêches canadiennes du Pacifique). Dans ce rapport, on reconnaissait l’existence du lien problématique entre le désavantage économique éprouvé par les collectivités autochtones et l’interdiction de longue date de vendre du poisson — une interdiction ayant perturbé ce qui avait autrefois représenté un important créneau économique pour les Autochtones. Il était également difficile de faire respecter cette interdiction; le rapport Gardner Pinfold de 1994 a abordé le grave problème de conservation découlant d’une interdiction de vente du poisson « plus honoré[e] dans l’infraction que dans l’observation » (Évaluation des projets pilotes de vente de la stratégie relative aux pêches des Autochtones (SRAPA), p. 16). La décision de favoriser la participation des Autochtones à la pêche commerciale peut aussi être perçue comme une réponse à la directive donnée par notre Cour dans l’arrêt Sparrow, p. 1119, selon laquelle, en appliquant la réglementation sur les pêches, le gouvernement doit consulter les groupes autochtones afin de respecter l’obligation de fiduciaire qu’il a envers ces collectivités. Des arrêts subséquents ont confirmé l’obligation de consulter et d’accommoder les collectivités autochtones dans les domaines de l’exploitation et de la conservation des ressources; il s’agit là d’une obligation constitutionnelle qui concorde avec le principe de l’honneur de la Couronne : voir, par exemple, l’arrêt Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 S.C.R. 1010.

[7] Les politiques visant à attribuer une part de la pêche commerciale aux Autochtones, que le gouvernement fédéral a adoptées dans le cadre de la « Stratégie relative aux pêches autochtones », ont revêtu différentes formes. Adoptée en 1992, la Stratégie relative aux pêches autochtones vise trois objectifs explicites : garantir le respect des droits reconnus par l’arrêt Sparrow; offrir aux collectivités autochtones un rôle plus important dans la gestion de leurs pêches et leur procurer des avantages économiques accrus; limiter la perturbation des pêches non autochtones (rapport Gardner Pinfold de 1994). À la suite des consultations qui ont été tenues avec les parties intéressées depuis son adoption, la Stratégie relative aux pêches autochtones a été examinée et remaniée périodiquement afin de réaliser ces objectifs. Cette stratégie a, dans une large mesure, consisté à établir trois programmes pilotes de vente, dont l’un a donné lieu à la délivrance du permis de pêche communautaire en cause dans la présente affaire. Le permis a été délivré conformément au Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93‑332 (« RPPCA »). Le RPPCA prévoit la délivrance de permis communautaires aux « organisation[s] autochtone[s] », qui s’entendent notamment « d’une bande indienne, d’un conseil de bande indienne, d’un conseil de tribu et d’une association qui représente une collectivité territoriale autochtone » (art. 2). Le permis communautaire ne peut pas être délivré à des individus, mais une organisation autochtone peut en confier l’utilisation aux individus qu’elle désigne.

[8] Le permis qui nous intéresse en l’espèce autorisait les pêcheurs désignés par les bandes à pêcher le saumon rouge entre 7 h, le 19 août 1998, et 7 h, le 20 août 1998, et à utiliser leurs prises à des fins alimentaires, sociales et rituelles, ainsi qu’à les vendre. Certains pêcheurs désignés par les bandes pour pêcher conformément au permis de pêche communautaire détenaient également un permis de pêche commerciale les autorisant à pêcher pendant d’autres périodes d’ouverture de la pêche commerciale.

[9] Les appelants sont tous des pêcheurs commerciaux à qui il était interdit de pêcher pendant les 24 heures que le permis de pêche communautaire allouait à la pêche autochtone. Sous l’égide de la B.C. Fisheries Survival Coalition, ils ont participé à une pêche de protestation pendant la période interdite en vue de contester la constitutionnalité du permis communautaire. Comme prévu, ils ont été accusés d’avoir pêché pendant une période interdite. En réponse aux accusations, ils ont déposé un avis de question constitutionnelle dans lequel ils demandaient que le permis de pêche communautaire, le RPPCA et les règlements connexes ainsi que la Stratégie relative aux pêches autochtones soient déclarés inconstitutionnels.

[10] La Cour provinciale de la Colombie‑Britannique (le juge Kitchen) a conclu que le permis de pêche communautaire délivré aux trois bandes portait atteinte aux droits à l’égalité garantis aux appelants par le par. 15(1) de la Charte, et que cette atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. La cour a, en application de l’art. 24 de la Charte, ordonné l’arrêt des procédures relatives à toutes les accusations : [2003] 4 C.N.L.R. 238, 2003 BCPC 279.

[11] La Cour suprême de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Brenner) a accueilli l’appel de la Couronne contre les déclarations sommaires de culpabilité : (2004), 31 B.C.L.R. (4th) 258, 2004 BCSC 958. Elle a conclu que le programme pilote de vente n’avait pas un objet ou un effet discriminatoire parce qu’il ne perpétuait pas ou ne favorisait pas l’opinion selon laquelle ceux à qui il était interdit de pêcher les jours où la pêche était ouverte dans le cadre du programme pilote de vente étaient moins capables ou moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou que membres de la société canadienne. Le juge en chef Brenner a levé l’arrêt des procédures et inscrit des déclarations de culpabilité contre les appelants.

[12] Dans cinq séries de motifs concordants quant au résultat, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l’appel : (2006), 56 B.C.L.R. (4th) 11, 2006 BCCA 277. Le juge Low a conclu que le programme pilote de vente ne privait pas d’un avantage visé à l’art. 15 lorsque l’affaire était envisagée d’un point de vue contextuel plutôt que formaliste. Le juge Mackenzie, souscrivant à l’opinion du juge en chef Brenner concernant l’appel contre les déclarations sommaires de culpabilité, a rejeté l’allégation de discrimination pour le motif que l’existence d’un objet ou d’un effet discriminatoire n’avait pas été établie. La juge Kirkpatrick a rejeté l’argument fondé sur l’art. 15 pour le motif que l’art. 25 de la Charte, qui protège les droits et libertés des peuples autochtones du Canada, soustrayait le programme à l’accusation de discrimination. Le juge en chef Finch a souscrit à l’avis des juges Low et Mackenzie relativement à la question de l’art. 15, et a conclu que l’art. 25 n’était pas en jeu. Enfin, la juge Levine s’est dite d’accord avec le juge en chef Finch concernant la question de l’art. 15, mais elle a refusé de se prononcer sur la question de savoir si l’art. 25 était en jeu.

C. Analyse

[13] L’article 15 de la Charte prévoit ce qui suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

1. L’objet de l’art. 15

[14] Près de 20 années se sont écoulées depuis l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la première décision de la Cour portant sur l’art. 15. L’arrêt Andrews établit le modèle à suivre en ce qui concerne l’importance que notre Cour attache à l’égalité réelle — un modèle qui a été enrichi mais qui n’a jamais été abandonné par la jurisprudence ultérieure.

[15] L’égalité réelle, comparativement à l’égalité formelle, repose sur l’idée que « [f]avoriser l’égalité emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération » : arrêt Andrews, p. 171, le juge McIntyre s’exprimant au nom des juges majoritaires au sujet de la question de l’art. 15. Soulignant que l’égalité ne signifie pas nécessairement traitement identique et que le modèle formel du « traitement analogue » peut en fait engendrer des inégalités, le juge McIntyre a ajouté (p. 165) :

Pour s’approcher de l’idéal d’une égalité complète et entière devant la loi et dans la loi — et dans les affaires humaines une approche est tout ce à quoi on peut s’attendre — la principale considération doit être l’effet de la loi sur l’individu ou le groupe concerné. Tout en reconnaissant qu’il y aura toujours une variété infinie de caractéristiques personnelles, d’aptitudes, de droits et de mérites chez ceux qui sont assujettis à une loi, il faut atteindre le plus possible l’égalité de bénéfice et de protection et éviter d’imposer plus de restrictions, de sanctions ou de fardeaux à l’un qu’à l’autre. En d’autres termes, selon cet idéal qui est certes impossible à atteindre, une loi destinée à s’appliquer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l’un que sur l’autre.

Tout en reconnaissant que l’égalité est un concept intrinsèquement comparatif (p. 164), le juge McIntyre a mis en garde contre l’adoption d’un critère stérile de la situation analogue qui serait axé sur l’égalité de traitement des individus égaux. L’insistance sur l’égalité réelle est demeurée au cœur de l’approche que la Cour a adoptée à l’égard des demandes fondées sur le droit à l’égalité.

[16] Les paragraphes 15(1) et 15(2) ont pour effet combiné de promouvoir l’idée d’égalité réelle qui sous‑tend l’ensemble de l’art. 15. Le paragraphe 15(1) vise à empêcher les distinctions discriminatoires ayant un effet négatif sur les membres des groupes caractérisés par les motifs énumérés à l’art. 15 ou par des motifs analogues. Il s’agit là d’une façon de combattre la discrimination. Cependant, les gouvernements peuvent également souhaiter le faire au moyen de programmes destinés à aider des groupes défavorisés à améliorer leur situation. Grâce au par. 15(2), la Charte protège le droit des gouvernements de mettre en œuvre de tels programmes sans s’exposer à des contestations fondées sur le par. 15(1). C’est ce qui ressort de l’existence du par. 15(2). Donc, les par. 15(1) et 15(2) ont pour effet combiné de confirmer l’objet de l’art. 15 qui est de favoriser l’égalité réelle.

[17] Le modèle établi dans l’arrêt Andrews, qui a été explicité dans une série de décisions ayant abouti à l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, établissait essentiellement un critère à deux volets devant être utilisé pour démontrer l’existence de discrimination au sens du par. 15(1) : (1) La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? Il était question de trois volets dans l’arrêt Law, mais nous estimons que le critère est essentiellement le même.

[18] Dans l’arrêt Andrews, le juge McIntyre a examiné l’effet discriminatoire en fonction de deux concepts : (1) la perpétuation d’un préjugé ou d’un désavantage dont les membres d’un groupe sont victimes en raison de caractéristiques personnelles décrites dans les motifs énumérés et analogues, et (2) l’application de stéréotypes fondés sur ces motifs qui donne lieu à une décision ne correspondant pas à la situation et aux caractéristiques réelles d’un demandeur ou d’un groupe. Par exemple, l’affaire Andrews a été tranchée en fonction du deuxième concept; la Cour a jugé que l’interdiction de pratiquer le droit dont faisaient l’objet les personnes n’ayant pas la citoyenneté était fondée sur un stéréotype selon lequel ces personnes ne pouvaient pas exercer correctement les fonctions d’un avocat en Colombie‑Britannique — une conception qui privait ces gens d’un privilège non pas en raison de leurs mérites et de leurs capacités, mais en raison de ce que le rapport de la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi (1984) a qualifié de « caractéristiques qui leur sont prêtées à tort » (p. 2). En outre, le juge McIntyre a souligné qu’une conclusion à l’existence de discrimination pourrait reposer sur le fait qu’une loi ou un programme avait pour effet de perpétuer le désavantage dont était victime un groupe caractérisé par un motif énuméré à l’art. 15 ou par un motif analogue. Dans ce contexte, il a affirmé ceci (p. 174) :

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

[19] Dix années plus tard, dans l’arrêt Law, notre Cour a proposé que la discrimination soit définie en fonction de l’effet de la loi ou du programme sur la « dignité humaine » des membres du groupe demandeur, eu égard à quatre facteurs contextuels : (1) le désavantage préexistant dont peut être victime le groupe demandeur; (2) le degré de correspondance entre la différence de traitement et la situation réelle du groupe demandeur; (3) la question de savoir si la loi ou le programme a un objet ou un effet améliorateur; (4) la nature du droit touché (par. 62‑75).

[20] L’arrêt Law a réussi à unifier ce qui, depuis l’arrêt Andrews, était devenu une division dans l’approche de notre Cour relative à l’art. 15. L’arrêt Law est parvenu à le faire en réitérant et en confirmant l’interprétation donnée dans l’arrêt Andrews, selon laquelle l’art. 15 garantit l’égalité réelle et non seulement formelle. De plus, l’arrêt Law nous a beaucoup aidé à comprendre le fondement conceptuel de l’égalité réelle.

[21] En même temps, plusieurs difficultés ont découlé de la tentative, dans l’arrêt Law, de faire de la dignité humaine un critère juridique. Il ne fait aucun doute que la dignité humaine est une valeur essentielle qui sous‑tend le droit à l’égalité garanti par l’art. 15. En fait, la protection de tous les droits garantis par la Charte est guidée par la promotion de la dignité de l’être humain. Comme le juge en chef Dickson l’a affirmé dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 :

Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. [p. 136]

[22] Toutefois, comme l’ont souligné des détracteurs, la dignité humaine est une notion abstraite et subjective qui non seulement peut être déroutante et difficile à appliquer même avec l’aide des quatre facteurs contextuels, mais encore s’est avérée un fardeau additionnel pour les parties qui revendiquent le droit à l’égalité, au lieu d’être l’éclaircissement philosophique qu’elle était censée constituer[1]. Les critiques se sont aussi accumulées à l’égard de la façon dont l’arrêt Law a permis au formalisme de certains arrêts de la Cour ultérieurs à l’arrêt Andrews de ressurgir sous la forme d’une analyse comparative artificielle axée sur l’égalité de traitement des individus égaux[2].

[23] Comme la Cour le reconnaît dans l’arrêt Law même, il est plus utile d’analyser, dans chaque cas, les facteurs qui permettent de reconnaître l’effet discriminatoire. Les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Law sont fondés sur la qualification, dans l’arrêt Andrews, de la perpétuation d’un désavantage et de l’application de stéréotypes comme étant les principaux indices de discrimination, et se rapportent à cette qualification. La préexistence d’un désavantage et la nature du droit touché (les premier et quatrième facteurs énoncés dans l’arrêt Law) concernent la perpétuation d’un désavantage et d’un préjugé, alors que le deuxième facteur a trait à l’application de stéréotypes. L’objet ou l’effet améliorateur d’une loi ou d’un programme (le troisième facteur énuméré dans l’arrêt Law) concerne la question de savoir si la mesure en question a un objet réparateur au sens du par. 15(2). (Nous dirions, sans pour autant le décider ici, que le troisième facteur énuméré dans l’arrêt Law pourrait aussi être pertinent pour trancher la question qui, aux fins d’application du par. 15(1), est de savoir si la loi ou le programme en cause a pour effet de perpétuer un désavantage.)

[24] Considéré sous cet angle, l’arrêt Law ne prescrit pas l’application d’un nouveau critère distinctif pour déterminer l’existence de discrimination, mais il confirme plutôt l’approche relative à l’égalité réelle visée par l’art. 15, qui a été énoncée dans l’arrêt Andrews et explicitée dans de nombreux arrêts subséquents. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Law doivent être interprétés non pas littéralement comme s’il s’agissait de dispositions législatives, mais comme un moyen de mettre l’accent sur le principal enjeu de l’art. 15, qui a été décrit dans l’arrêt Andrews — la lutte contre la discrimination, au sens de la perpétuation d’un désavantage et de l’application de stéréotypes.

[25] Comme nous l’avons vu, l’objectif primordial que représente la lutte contre la discrimination sous‑tend à la fois le par. 15(1) et le par. 15(2). Le paragraphe 15(1) a pour objet d’empêcher les gouvernements d’établir des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues qui ont pour effet de perpétuer un désavantage ou un préjugé dont un groupe est victime, ou qui imposent un désavantage fondé sur l’application de stéréotypes. Le paragraphe 15(2) vise à permettre aux gouvernements de combattre de manière proactive la discrimination existante grâce à l’adoption de mesures de promotion sociale.

[26] Dans ce contexte, nous allons procéder à un examen plus détaillé du par. 15(2) et du rôle qu’il joue dans le présent pourvoi.

2. Le paragraphe 15(2)

[27] Comme nous l’avons vu, selon l’arrêt Andrews, l’art. 15 n’est pas synonyme de traitement identique. Le juge McIntyre a expliqué que « toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité » et qu’« un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités » (p. 164). Il a refusé explicitement de reconnaître que le traitement identique est un objectif de la Charte fondé en partie sur l’existence du par. 15(2). À la page 171, il a affirmé que « le fait qu’un traitement identique puisse souvent engendrer de graves inégalités est reconnu par le par. 15(2) ».

[28] Au lieu d’exiger que tous soient traités de manière identique, le juge McIntyre a, dans l’arrêt Andrews, établi une distinction entre différence et discrimination, et il a adopté, en matière de droits à l’égalité, une approche consistant à reconnaître les différences et à en tenir compte. Le juge McIntyre a proposé le modèle suivant, à la p. 182 :

[P]our vérifier s’il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur le motif allégué de discrimination et de décider s’il s’agit d’un motif énuméré ou analogue. L’examen doit également porter sur l’effet de la distinction ou de la classification attaquée sur le plaignant. Dès qu’on accepte que ce ne sont pas toutes les distinctions et différenciations créées par la loi qui sont discriminatoires, on doit alors attribuer au par. 15(1) un rôle qui va au‑delà de la simple reconnaissance d’une distinction légale. Un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer non seulement qu’il ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offre, mais encore que la loi a un effet discriminatoire sur le plan législatif.

En d’autres termes, les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. De par leur nature même, les programmes destinés à améliorer la situation d’un groupe défavorisé excluent inévitablement les membres d’autres groupes. Cela n’en fait pas nécessairement des mesures inconstitutionnelles ou des mesures de « discrimination à rebours ». Selon l’arrêt Andrews, le comportement discriminatoire doit engendrer plus qu’une différence de traitement. Comme l’a déclaré le juge McIntyre, à la p. 167, une loi ne sera pas « nécessairement mauvaise parce qu’elle établit des distinctions ».

[29] À notre avis, les appelants ont établi qu’ils ont été traités différemment en raison d’un motif énuméré, la race. Parce que le gouvernement fait valoir que le programme a amélioré la situation d’un groupe défavorisé, nous devons examiner plus en détail le par. 15(2).

[30] La question qui se pose est de savoir si le programme qui visait les bandes autochtones relève du par. 15(2) en ce sens qu’il constitue une « lo[i], [un] programm[e] ou [une] activit[é] destin[é] à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». Comme nous l’avons vu, le permis de pêche communautaire autorisant les trois bandes à pêcher aux fins de vente les 19 et 20 août a été délivré conformément à une loi habilitante et à son règlement d’application, à savoir le RPPCA. Cette mesure constitue une « lo[i], [un] programm[e] ou [une] activit[é] » au sens du par. 15(2). La question plus complexe à laquelle il faut répondre est de savoir si le programme remplit l’autre condition du par. 15(2), c’est‑à‑dire s’il est « destin[é] à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ».

[31] Même avant l’adoption de la Charte, notre Cour, dans l’arrêt Athabasca Tribal Council c. Compagnie de pétrole Amoco Canada Ltée, [1981] 1 R.C.S. 699, a reconnu que les programmes améliorateurs visant un groupe défavorisé ne sont pas discriminatoires. Dans cette affaire, la question était de savoir l’Energy Resources Conservation Board avait compétence pour prescrire la mise en œuvre d’un programme d’« action positive » visant l’embauche d’Autochtones comme condition de son approbation d’une usine de traitement de sables bitumineux. La Cour a conclu, à l’unanimité, que l’organisme en question n’avait pas cette compétence, mais le juge Ritchie, s’exprimant en son propre nom et en celui de trois autres juges (le juge en chef Laskin et les juges Dickson et McIntyre), a abordé l’aspect « action positive » de l’affaire, concluant qu’un programme destiné à favoriser la collectivité autochtone n’était pas discriminatoire au sens de la loi albertaine intitulée The Individual’s Rights Protection Act, S.A. 1972, ch. 2 :

En l’espèce, il s’agit d’une proposition destinée à améliorer le sort des autochtones afin de leur permettre de faire concurrence, autant que possible sur un pied d’égalité avec eux, aux autres membres de la collectivité qui cherchent un emploi à l’usine de traitement de sables bitumineux. Avec égards, je ne vois aucune raison pour laquelle on devrait conclure à l’existence de « mesures discriminatoires à l’égard » d’autres habitants dans les propositions que comportent les programmes d’« action positive » pour l’amélioration du sort des autochtones de la région en question. L’objet du plan, si je le comprends bien, n’est pas de chasser les non‑Indiens de leurs emplois, mais plutôt d’améliorer le sort des Indiens pour qu’ils soient en mesure d’obtenir des emplois malgré les handicaps dont ceux de leur race ont hérité. [p. 711]

[32] Le rapport de la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi — qui avait pour mandat de déterminer si la promotion sociale était indiquée au Canada — , sur lequel le juge McIntyre s’est fondé pour établir ses théories de la discrimination et de l’égalité, énonce les principes qui sous‑tendent le par. 15(2), aux p. 14‑15 :

En tenant compte du chemin que beaucoup doivent encore parcourir avant de parvenir à l’égalité, et en reconnaissant que des obstacles arbitraires n’ont fait, jusqu’ici, que reculer davantage l’objectif à atteindre, le paragraphe 15(2) autorise maintenant les lois, programmes ou activités destinés à éliminer les contraintes à l’égalité. Tandis que le paragraphe 15(1) garantit aux individus le droit d’être traités en égaux sans discrimination aucune, le paragraphe 15(2), bien qu’il ne rende pas obligatoire l’application de mesures, prévoit que le fait de tenter d’améliorer la condition des individus ou groupes défavorisés ne constitue ni une pratique discriminatoire ni une violation du droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1), même si cela signifie les traiter de façon différente.

Le paragraphe 15(2) ouvre la voie en permettant l’application de mesures correctives à un groupe. L’article 15 favorise une approche globale ou systémique plutôt qu’individuelle en vue d’éliminer les obstacles discriminatoires.

Le paragraphe 15(2) n’exige pas l’adoption de lois ou la création de programmes et d’activités pour parvenir plus vite à l’égalité, corriger les inégalités ou éliminer la discrimination. Mais il sanctionne de telles mesures, leur accordant une reconnaissance légale.

[33] Essentiellement, le par. 15(2) de la Charte vise à protéger les efforts déployés par l’État pour concevoir et adopter des mesures correctives destinées à aider les groupes défavorisés. L’expression « n’a pas pour effet d’interdire », contenue dans le par. 15(2), confirme la validité de cette interprétation.

[34] Dans l’arrêt Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, 2000 CSC 37, notre Cour a examiné explicitement le lien entre le par. 15(1) et le par. 15(2). La Cour, sous la plume du juge Iacobucci, n’a pas paru disposée, à l’époque, à considérer que le par. 15(2) s’applique de manière indépendante, mais elle n’a pas écarté cette possibilité, au par. 108 :

[D]ans l’état actuel de la jurisprudence, je considère que le par. 15(2) confirme la portée du par. 15(1) et, à cet égard, les demandeurs qui présenteront dans le futur des demandes fondées sur le droit à l’égalité devraient d’abord invoquer le par. 15(1), puisque cette disposition vise les programmes améliorateurs du genre de ceux envisagés au par. 15(2). En agissant ainsi, ils s’assureront que le programme fera l’objet de l’examen approfondi effectué dans le cadre de l’analyse relative à la discrimination, en plus d’ouvrir la possibilité d’un examen fondé sur l’article premier. Toutefois [. . .], il est bien possible que nous désirions réexaminer cette question ultérieurement, dans le contexte d’une autre affaire. [Nous soulignons.]

[35] Dans l’arrêt Lovelace, le juge Iacobucci a estimé que le par. 15(2) pouvait être interprété de deux façons. Selon lui, la Cour suprême pouvait considérer que le par. 15(2) est un outil d’interprétation du par. 15(1) (l’approche adoptée dans l’arrêt Lovelace), ou qu’il établit une exception ou une exemption relativement à l’application du par. 15(1).

[36] Il a retenu l’approche selon laquelle cette disposition est un outil d’interprétation, tout en reconnaissant que celle voulant qu’elle établisse une exemption bénéficiait d’un certain appui. En particulier, il a mentionné Mark A. Drumbl et John D. R. Craig pour appuyer la thèse selon laquelle le par. 15(2) devrait constituer un moyen de défense contre une violation du par. 15(1), sans quoi la disposition devient superflue et n’incite pas le gouvernement à combattre de manière proactive la discrimination grâce à des programmes améliorateurs (« Affirmative Action in Question : A Coherent Theory for Section 15(2) » (1997), 4 R. études const. 80, par. 102).

[37] À notre avis, il existe une troisième possibilité : si le gouvernement peut démontrer qu’un programme contesté remplit les conditions du par. 15(2), il peut se révéler tout à fait inutile d’effectuer une analyse relative au par. 15(1). Comme nous l’avons vu au début de la présente analyse, les par. 15(1) et 15(2) doivent être interprétés comme ayant pour effet combiné de promouvoir l’égalité réelle. Le paragraphe 15(1) a pour objet d’empêcher les gouvernements d’établir des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues ayant pour effet de perpétuer un désavantage ou un préjugé, ou d’imposer un désavantage fondé sur l’application de stéréotypes. Le paragraphe 15(2) vise à permettre aux gouvernements de combattre de manière proactive la discrimination. Ainsi interprétées, les deux dispositions confirment mutuellement leur portée. Le paragraphe 15(2) favorise la pleine expression de l’égalité plutôt que la dérogation à celle‑ci. [traduction] « Selon la définition de l’égalité réelle, la différence de traitement destinée à traiter de façon équitable des groupes défavorisés représente une expression d’égalité, non une exception à celle‑ci » : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl. 2007), vol. 2, p. 55‑53.

[38] Toutefois, cet objectif de confirmation n’empêche pas le par. 15(2) de jouer un rôle indépendant. Ce paragraphe représente plus qu’une exhortation. Il précise simplement et clairement que le par. 15(1) ne peut pas recevoir une interprétation qui permet de déclarer discriminatoire et contraire à l’art. 15 un programme améliorateur destiné à supprimer un désavantage.

[39] En l’espèce, les appelants allèguent l’existence de discrimination en se fondant sur le par. 15(1). La source de cette discrimination — l’essence même de leur plainte — est un programme qui peut être améliorateur. Une seule conclusion est donc possible : si le gouvernement établit que ce programme relève du par. 15(2), l’allégation des appelants doit être rejetée.

[40] En d’autres termes, une fois que l’auteur d’une demande présentée en vertu de l’art. 15 a établi l’existence d’une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, le gouvernement peut démontrer que la loi, le programme ou l’activité contesté apporte une amélioration et est donc conforme à la Constitution. L’avantage que présente cette approche est qu’elle permet d’éviter la difficulté symbolique d’avoir à juger un programme discriminatoire avant de le « valider » comme étant améliorateur, tout en permettant d’appliquer de façon indépendante une disposition qui a été formulée de façon séparée et distincte du par. 15(1). Si le gouvernement ne démontre pas que son programme relève du par. 15(2), ce programme doit alors faire l’objet d’un examen approfondi au regard du par. 15(1) afin de déterminer s’il a un effet discriminatoire.

[41] Par conséquent, voici la façon dont nous formulerions le critère applicable pour les besoins du par. 15(2) : un programme ne porte pas atteinte au droit à l’égalité garanti par l’art. 15, si le gouvernement peut démontrer (1) que le programme a un objet améliorateur ou réparateur et (2) que le programme vise un groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue. En proposant ce critère, nous sommes conscientes du fait qu’il pourra se révéler nécessaire, dans des affaires ultérieures, d’ajuster ce cadre d’analyse afin de l’adapter à la situation particulière des parties. Toutefois, à cette étape embryonnaire de l’établissement du droit relatif au par. 15(2), le critère que nous avons décrit constitue un point de départ fondamental suffisant pour trancher les questions dont nous sommes saisis en l’espèce, mais toujours susceptible d’être amélioré à l’avenir.

[42] Notre analyse du par. 15(2) et de son application est basée sur trois mots clés de la disposition. Ce paragraphe protège « les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». Bien que les considérations soulevées par chacun de ces mots puissent se recouper jusqu’à un certain point, il est sans doute utile d’examiner ceux‑ci individuellement.

a) « destinés »

[43] Deux questions se posent lors que nous interprétons ce mot. La première question est de savoir si les tribunaux doivent examiner l’objet ou l’effet de la mesure législative. La deuxième question consiste à se demander si, pour bénéficier de la protection du par. 15(2), un programme doit viser uniquement un objet améliorateur ou s’il suffit que cet objet améliorateur soit l’un des divers objectifs du programme en cause.

[44] Le libellé du par. 15(2) indique que c’est l’objectif législatif plutôt que l’effet réel qui est la considération primordiale pour déterminer si un programme peut bénéficier de la protection du par. 15(2). Michael Peirce défend ce point de vue, qu’il qualifie d’approche « subjective », parce qu’il est plus conforme au libellé de la disposition et qu’il permet d’éviter une ingérence potentiellement inappropriée des tribunaux dans les programmes gouvernementaux (« A Progressive Interpretation of Subsection 15(2) of the Charter » (1993), 57 Sask L. Rev. 263). Les auteurs de doctrine sont néanmoins en désaccord au sujet de l’approche qui devrait être adoptée, et utilisent souvent les qualificatifs « subjectif » (fondé sur l’objet) et « objectif » (fondé sur l’effet).

[45] Les auteurs de doctrine et les juges qui sont favorables à un examen judiciaire de l’effet réel d’un programme avancent principalement l’argument suivant à l’appui de leur point de vue. Ils disent craindre qu’un critère « subjectif » permette au gouvernement de faire obstacle à une allégation de discrimination en déclarant que la loi contestée a un objet améliorateur. C’est ainsi que Russell Juriansz affirme qu’un [traduction] « critère purement subjectif peut être trop large » (« Recent Developments in Canadian Law : Anti‑Discrimination Law Part I » (1987), 19 R.D. Ottawa 447, p. 483). David Lepofsky et Jerome Bickenbach croient que la [traduction] « meilleure approche est celle voulant que le défendeur doive établir que le programme contesté a de sérieuses chances d’atteindre son objectif améliorateur » (« Equality Rights and the Physically Handicapped », dans A. F. Bayefsky et M. Eberts, dir., Equality Rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms (1985), 323, p. 355). Ils justifient ce point de vue par l’argument selon lequel, [traduction] « si l’objectif améliorateur d’une mesure législative était le seul critère applicable pour les besoins du par. 15(2), un législateur pourrait facilement contourner les exigences égalitaires du par. 15(1) en insérant dans toute mesure législative potentiellement discriminatoire une clause prévoyant que “la présente loi est destinée à améliorer la situation [d’un] [. . .] groupe défavorisé” » (p. 355).

[46] À notre avis, cette crainte peut être facilement dissipée. Rien n’indique qu’un critère axé sur l’objectif d’une mesure législative doit retenir servilement la façon dont le gouvernement qualifie son objectif. Les tribunaux pourraient bien examiner une mesure législative pour s’assurer que l’objet déclaré est véritable. C’est exactement ce qu’ont fait les tribunaux saisis d’une demande fondée sur le par. 15(2). Par exemple, dans la décision Manitoba Rice Farmers Association c. Human Rights Commission (Man.) (1987), 50 Man. R. (2d) 92 (B.R.) (inf. en partie par (1988), 55 Man. R. (2d) 263 (C.A.)), le juge Simonsen a expliqué ceci, au par. 51 :

[traduction] Une simple déclaration du gouvernement selon laquelle il a adopté un programme « destin[é] à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race [. . .] » ne respecte pas automatiquement les exigences requises pour valider le programme au regard du par. 15(2) de la Charte. Le gouvernement ne peut pas se servir d’une déclaration aussi rudimentaire pour assurer la protection d’une activité ou d’un programme qui est inutilement discriminatoire.

[47] Dans cette veine, les partisans de l’approche axée sur l’objectif améliorateur du programme, plutôt que sur son effet, prétendent que cette façon de procéder empêchera les tribunaux de s’ingérer indûment dans des programmes améliorateurs créés par le législateur. Ils soulignent que les rédacteurs de la Charte canadienne ont voulu éviter la situation qui s’est produite aux États‑Unis lorsque des juges ont annulé des programmes de promotion sociale au nom de l’égalité. L’approche téléologique reflète également le libellé même de la disposition, qui met l’accent sur l’« objet » du programme, de la loi ou de l’activité plutôt que sur son effet. De plus, les effets d’un programme qui est encore balbutiant ne sont pas toujours faciles à déterminer. La loi ou le programme peut être expérimental. Si la mesure en question a sincèrement pour objet de promouvoir l’égalité par l’amélioration de la situation d’un groupe défavorisé, le gouvernement devrait disposer d’une certaine latitude pour adopter des programmes innovateurs, même si certains parmi ceux‑ci peuvent en définitive se révéler infructueux. Le gouvernement peut tirer des leçons de ces échecs et corriger des programmes de promotion de l’égalité afin de les rendre plus efficaces.

[48] Compte tenu du libellé de la disposition et de son objectif de permettre aux gouvernements de combattre de manière proactive la discrimination, nous estimons que l’approche fondée sur « l’objet » est plus indiquée que celle fondée sur « l’effet » : dans le cas où une loi, un programme ou une activité établit une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, l’objectif visé par le gouvernement en créant cette distinction était‑il d’améliorer la situation d’un groupe défavorisé? En examinant l’objet, les tribunaux peuvent donc juger nécessaire de prendre en compte non seulement les déclarations des rédacteurs du programme, mais aussi la question de savoir si le législateur a choisi des moyens ayant un lien rationnel avec cet objet améliorateur, en ce sens qu’il semble tout au moins plausible que le programme peut effectivement favoriser la réalisation de l’objectif déclaré de supprimer un désavantage. La Cour du Banc de la Reine du Manitoba a indiqué qu’elle préconisait ce type d’analyse dans l’arrêt Manitoba Rice Farmers Association, par. 54 :

[traduction] Pour justifier un programme au regard du par. 15(2), j’estime qu’il doit y avoir un lien réel entre l’objet déclaré du programme gouvernemental et sa forme et sa mise en œuvre. Il ne suffit pas de déclarer qu’un programme a pour objet d’aider un groupe défavorisé si, en fait, la mesure amélioratrice ne s’attaque pas à la cause du désavantage. Il doit y avoir identité ou corrélation des éléments du programme qui inciteront le tribunal à conclure que, sur les plans de sa forme et de sa mise en œuvre, la mesure a un lien rationnel avec la cause du désavantage.

[49] L’analyse des moyens utilisés par le gouvernement peut facilement devenir une appréciation de l’effet du programme. Par conséquent, pour maintenir une analyse fondée sur l’intention, les tribunaux pourraient être incités à procéder à l’analyse en se posant la question suivante : Était‑il raisonnable que l’État conclue que les moyens choisis pour réaliser son objectif améliorateur permettraient d’atteindre cet objectif? Pour que la distinction soit raisonnable, il doit y avoir une corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible. Un tel critère permet au législateur de bénéficier d’une grande déférence, mais il permet aussi de procéder à un contrôle judiciaire dans le cas où un programme est théoriquement destiné à aider une population défavorisée, alors qu’en pratique il répond à d’autres objectifs non réparateurs.

[50] La prochaine question est de savoir s’il est nécessaire que l’objet améliorateur soit le seul objectif du programme. Il arrive souvent que des programmes aient plus d’un objet ou tendent à la réalisation de plus d’un objectif. L’objet améliorateur doit‑il être le seul objectif visé ou peut‑il constituer un objectif parmi d’autres?

[51] Selon nous, il est difficilement justifiable d’exiger que l’objet améliorateur soit le seul objectif d’un programme. Il semble improbable qu’un programme soit motivé par un seul objectif; un programme peut comporter de nombreux objectifs. Empêcher que ces programmes bénéficient de la protection du par. 15(2) pour le motif qu’ils visent d’autres objectifs semble contrecarrer le but du par. 15(2).

[52] Toutefois, l’importance que l’objet améliorateur revêt dans le programme peut aider à déterminer la portée de la protection assurée par le par. 15(2). Supposons qu’un programme améliorateur puisse coexister ou interagir avec un programme législatif général. Si seul ce programme a un objet améliorateur, le par. 15(2) s’applique‑t‑il pour protéger le programme législatif général? Pour l’instant, on peut dire que le par. 15(2) soustrait à un examen fondé sur le par. 15(1) les distinctions fondées sur un motif énuméré ou analogue qui tendent et sont nécessaires à la réalisation de l’objet améliorateur.

b) « améliorer »

[53] Le paragraphe 15(2) protège les programmes destinés à « améliorer » la situation des groupes défavorisés caractérisés par les motifs énumérés ou analogues. Bien qu’à prime abord ce mot ne semble pas prêter à confusion, les tribunaux ont déjà considéré qu’il (de même que le par. 15(2)) s’appliquait dans des circonstances étonnantes. Dans la décision R. c. Music Explosion Ltd. (1989), 62 Man. R. (2d) 189, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a confirmé la validité d’un règlement de la ville de Winnipeg qui interdisait aux jeunes personnes âgées de moins de 16 ans d’utiliser des appareils de divertissement sans le consentement d’un tuteur ou de leur père ou de leur mère pour le motif que ce règlement était protégé par le par. 15(2). Le juge Smith a déclaré que le règlement [traduction] « vise clairement à répondre aux besoins particuliers des jeunes » (par. 21). Cette décision a été infirmée en appel. La Cour d’appel a donné l’explication suivante : [traduction] « [C]ette mesure législative n’accorde aucun avantage particulier aux jeunes, mais elle leur impose plutôt une restriction. Elle n’a pas non plus pour objectif d’améliorer leur situation » ((1990), 68 Man. R. (2d) 203, par. 18). Les tribunaux ont également utilisé le par. 15(2) pour confirmer la validité de certaines dispositions du Code criminel (Re Rebic and The Queen (1985), 20 C.C.C. (3d) 196 (C.S.C.‑B.), conf. par (1986), 28 C.C.C. (3d) 154 (C.A.C.‑B.)) et de la Loi sur les jeunes contrevenants (Re M and The Queen (1985), 21 C.C.C. (3d) 116 (B.R. Man.)).

[54] Cette jurisprudence indique que le sens du mot « améliorer » mérite d’être examiné attentivement lors de l’évaluation de programmes au regard du par. 15(2). Selon nous, les lois destinées à limiter ou à punir un comportement ne doivent pas bénéficier de la protection du par. 15(2). De même, comme nous l’avons vu, l’accent ne doit pas être mis sur l’effet de la loi. Cela dit, le fait qu’une loi n’ait aucun effet améliorateur plausible ou prévisible risque de rendre douteux l’objet améliorateur visé par l’État. Les gouvernements, nous le répétons, ne peuvent pas, sous des prétextes fallacieux, protéger des programmes discriminatoires.

c) « défavorisés »

[55] Il n’est pas nécessaire en l’espèce de clarifier beaucoup plus l’interprétation du mot « défavorisés » qui a été donnée dans les arrêts Andrews, Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, et Law, et dans d’autres cas dans le contexte du par. 15(1). Le « désavantage » aux fins d’application de l’art. 15 dénote la vulnérabilité, un préjugé et une image négative dans la société. Le paragraphe 15(2) a pour objet de protéger les programmes gouvernementaux axés sur la situation d’un groupe défavorisé précis et identifiable, par opposition aux mesures législatives sociales générales, tels les programmes d’aide sociale. Il n’est pas nécessaire que les membres du groupe soient tous défavorisés, il suffit que l’ensemble du groupe soit victime de discrimination.

3. Application du par. 15(2) à la présente affaire

[56] Les appelants ont soutenu qu’ils avaient été privés d’un avantage en raison de leur race, un motif énuméré à l’art. 15 de la Charte. Comme nous l’avons vu, une fois que les appelants ont établi l’existence d’une telle distinction, le gouvernement peut tenter de démontrer que le programme est protégé par le par. 15(2). Le gouvernement a accordé le permis de pêche communautaire valide du 19 au 20 août à certaines bandes autochtones. Par conséquent, nous sommes convaincues que les appelants ont démontré l’existence d’une distinction fondée sur la race, un motif énuméré à l’art. 15.

[57] Nous avons déjà indiqué que la distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue qu’établit un programme gouvernemental n’est pas discriminatoire au sens de l’art. 15 si, au regard du par. 15(2), ce programme (1) a un objet améliorateur ou réparateur et (2) vise un groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue. La question est de savoir si le programme en cause dans la présente affaire remplit ces conditions.

[58] La première question est de savoir si le programme qui a interdit à M. Kapp et à d’autres pêcheurs non membres des bandes de pêcher avait un objet améliorateur ou réparateur. La Couronne associe maints objectifs au programme pilote de vente contesté. Ce programme vise notamment à parvenir à des solutions négociées relativement aux revendications de droits de pêche des peuples autochtones et à donner des possibilités de développement économique aux bandes autochtones afin de favoriser leur accession à l’autosuffisance. Le permis de pêche contesté est lié à tous ces objectifs. Le programme pilote de vente faisait partie — ne serait‑ce que dans une faible mesure — d’une tentative de parvenir à une solution négociée relativement aux revendications de droits de pêche des peuples autochtones. Il donnait aux bandes des possibilités de développement économique grâce à la vente ou au commerce. Ces démarches du gouvernement visaient à favoriser l’accession des bandes à l’autosuffisance. Le gouvernement espérait, de cette façon, remédier au désavantage social et économique dont étaient victimes les bandes visées. Les moyens choisis pour réaliser cet objectif (l’attribution aux collectivités autochtones de privilèges spéciaux en matière de pêche qui constituent un avantage) ont un lien rationnel avec la poursuite de cet objectif. Il s’ensuit que la Couronne a prouvé que le programme avait un objet améliorateur crédible.

[59] Les objectifs du gouvernement sont en corrélation avec le désavantage économique et social dont sont réellement victimes les membres de trois bandes autochtones. Il est incontestable que les peuples autochtones sont défavorisés. Dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour a mentionné « l’héritage de stéréotypes et préjugés visant les peuples autochtones » (par. 66). La Cour a également reconnu que « [l]es peuples autochtones sont aux prises avec des taux élevés de chômage et de pauvreté, et [qu’]ils font face à d’importants désavantages dans les domaines de l’éducation, de la santé et du logement » (Lovelace, par. 69). Plus particulièrement, la preuve démontre en l’espèce que les bandes qui se sont vu accorder l’avantage en question étaient effectivement défavorisées sur les plans du revenu et de l’éducation, et à maints autres égards. Ce désavantage historique perdure de nos jours. Étant donné qu’il vise des objectifs d’autosuffisance à long terme et qu’à plus court terme il offre des sources de revenu et des possibilités d’emploi additionnelles, le permis de pêche communautaire est lié au désavantage social et économique dont sont victimes les bandes. Le fait que certains membres des bandes ne soient pas nécessairement personnellement défavorisés n’annule pas le désavantage dont sont collectivement victimes les membres de ces bandes.

[60] Monsieur Kapp affirme qu’il faut mettre l’accent sur les formes de désavantage dont étaient victimes les bandes à qui l’avantage a été accordé, et il fait valoir que le programme en question n’a procuré aucun avantage répondant concrètement aux problèmes particuliers auxquels ces bandes faisaient face. Comme nous l’avons vu, il doit y avoir corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe cible. Si le groupe cible est socialement et économiquement défavorisé, comme c’est le cas en l’espèce, et que le programme peut raisonnablement remédier à cette situation, l’existence de la correspondance nécessaire est alors établie.

[61] Nous concluons que le programme gouvernemental en cause dans la présente affaire est protégé par le par. 15(2) en tant que programme « destin[é] à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». Il s’ensuit que le programme ne porte pas atteinte au droit à l’égalité garanti par l’art. 15 de la Charte.

4. L’article 25 de la Charte

[62] Après avoir conclu que l’existence d’une violation de l’art. 15 n’est pas établie, il n’est pas nécessaire de se demander si l’art. 25 de la Charte ferait obstacle à la demande des appelants. Toutefois, nous tenons à faire part des questions que nous nous posons au sujet de certains aspects du raisonnement du juge Bastarache et de la juge Kirkpatrick de la Cour d’appel qui auraient rejeté l’appel sur le seul fondement de l’art. 25.

[63] La première question est de savoir si le permis de pêche communautaire dont il est question en l’espèce tombe sous le coup de l’art. 25. Selon nous, le libellé de l’art. 25 et les exemples qu’on y trouve — droits ancestraux, droits issus de traités et autres « droits ou libertés », tels les droits émanant de la Proclamation royale ou d’accords sur des revendications territoriales — indiquent que les droits des Autochtones ou les programmes destinés à ceux‑ci ne sont pas tous visés par cette disposition. Au contraire, seuls les droits de nature constitutionnelle sont susceptibles de bénéficier de la protection de l’art. 25. Si c’est le cas, nous nous demandons alors, sans pour autant trancher la question, si le permis de pêche constitue un droit ou une liberté visé par l’art. 25.

[64] Même dans l’hypothèse où le permis de pêche relèverait effectivement de l’art. 25, la deuxième question est de savoir si la demande des appelants fondée sur l’art. 15 serait totalement irrecevable, contrairement à ce qui se produirait dans le cas d’une disposition servant à interpréter des droits garantis par la Charte qui sont susceptibles d’entrer en conflit.

[65] Ces questions soulèvent des considérations complexes extrêmement importantes pour que les droits des Autochtones puissent être conciliés de manière pacifique avec les intérêts de tous les Canadiens. Nous estimons qu’il serait plus prudent de laisser à la Cour le soin de trancher ces questions au fur et à mesure qu’elles seront soulevées dans des cas particuliers.

D. Conclusion

[66] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi pour le motif que l’existence d’une atteinte au droit à l’égalité garanti par l’art. 15 n’a pas été établie.

Version française des motifs rendus par

Le juge Bastarache —

1. Introduction

[67] Le ministre des Pêches et des Océans est chargé de gérer la pêche du saumon sur le fleuve Fraser. Dans le but d’améliorer la gestion de cette pêche et de régler plusieurs problèmes qui accablent la pêche, il a élaboré la Stratégie relative aux pêches autochtones, dont un volet est le programme pilote de vente. Dans le cadre de ce programme, le ministre a exercé les pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14, et le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93‑332.

[68] Le 19 août 1998, le ministre a délivré aux Premières nations Musqueam, Burrard et Tsawwassen un permis les autorisant à pêcher en exclusivité pendant une période de 24 heures et à vendre leurs prises. Les appelants, qui sont tous des pêcheurs commerciaux, ont organisé une « pêche de protestation » durant la pêche autochtone et ont été accusés d’avoir pêché à un moment où la pêche leur était interdite. Lors de leur procès, les appelants n’ont pas contesté la loi en vertu de laquelle ils étaient accusés, mais ils ont soutenu que l’instance devait être suspendue en raison de la violation de leurs droits à l’égalité garantis par le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils font valoir qu’il y a eu une atteinte, en raison d’une distinction fondée sur la race, à leur droit de prendre part sur un pied d’égalité à la pêche commerciale publique, et que toute distinction fondée sur la race porte atteinte à la dignité des personnes faisant l’objet de la discrimination.

[69] Le ministre intimé soutient que les appelants ne se sont vu dénier aucun bénéfice de la loi puisqu’on leur a donné la possibilité de pêcher et qu’ils ont du reste capturé des quantités importantes de saumon. En outre, le fait de donner accès à la pêche commerciale du saumon à des collectivités autochtones qui ont historiquement été défavorisées ne porte pas atteinte à la dignité des pêcheurs de saumon commerciaux au sens où ils seraient traités comme des citoyens canadiens moins dignes et de moindre valeur. Le ministre intimé a déclaré que la politique établie dans le cadre de la Stratégie relative aux pêches autochtones consistait à offrir à des collectivités autochtones ayant historiquement occupé et utilisé un territoire des possibilités de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles, et dans certains cas de participer à un programme pilote de vente. Il a expliqué qu’environ 70 ententes sur les pêches étaient négociées chaque année avec des groupes autochtones partout dans la province. En vertu de ces ententes, des permis communautaires délivrés aux groupes les autorisent à pratiquer la pêche selon les conditions qui y sont prescrites. Pour l’intimé, les membres du groupe de demandeurs, tous des particuliers, ne peuvent pas à juste titre se comparer aux collectivités autochtones qui reçoivent le bénéfice en question. Les appelants répliquent que l’appartenance à une bande ne constitue pas une justification valable dans toute situation fonctionnellement pertinente à la réglementation des pêches publiques. Ils ajoutent que toute éventuelle importance culturelle de l’activité de pêche est régie par la doctrine des droits des peuples autochtones et que la protection de ces droits est garantie à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[70] En ce qui concerne l’aspect communautaire de la pêche, le juge de première instance, le juge Kitchen de la Cour provinciale, a écrit ce qui suit : [traduction] « Le ministère qualifie la pêche de “communautaire”, mais les individus désignés par les bandes pour y participer ont une liberté totale et ils conservent tous les bénéfices pour eux‑mêmes. [. . .] [L]a pêche pratiquée dans le cadre du programme pilote de vente fournit une assistance financière uniquement aux membres individuels des bandes, pas aux bandes en général. [. . .] Il ne s’agit pas d’une pêche communautaire. [. . .] [L]es membres de bandes qui réussissent le mieux dans le cadre du programme pilote de vente sont ceux qui étaient également des pêcheurs commerciaux et qui exploitaient des bateaux de pêche commerciale munis de tout l’équipement nécessaire » ([2003] 4 C.N.L.R. 238, 2003 BCPC 279, par. 200, 211 et 214).

[71] Le programme pilote de vente n’avait aucun lien avec le droit spécifique des peuples autochtones de pratiquer la pêche à des fins alimentaires dont il était question dans R c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. Il visait plutôt, selon l’intimé, à parvenir à des solutions négociées relativement aux revendications de droits de pêche commerciale des peuples autochtones et à donner des possibilités de développement économique aux bandes autochtones afin de favoriser leur accession à l’autosuffisance. Le ministre Crosbie, le ministre des Pêches et des Océans à l’époque, a expliqué que la vente non autorisée de produits de la pêche vivrière autochtone créait un problème de gestion. Il a expliqué que, plutôt que de soumettre le problème aux tribunaux, le ministère avait tenté de s’entendre avec des groupes autochtones sur la quantité de poisson qu’ils pouvaient capturer et vendre, et de permettre au ministère de réglementer la façon dont le poisson serait vendu. James Matkin, le porte‑parole du ministère des Pêches, a expliqué que le programme pilote de vente est justifié au titre de l’exercice, sous la forme d’élaboration de politiques, des pouvoirs conférés au ministre par la Loi sur les pêches et qu’il répond à l’orientation donnée par la Cour suivant laquelle il faut privilégier la négociation par rapport au recours judiciaire.

[72] Le juge de première instance a fait observer ce qui suit au sujet du fondement du projet pilote :

[traduction] Il est difficile de discerner le véritable objectif du programme pilote de vente. [. . .] Le ministre des Pêches John Crosbie a indiqué que la répression du braconnage était la raison sur laquelle reposait le programme. . .

. . . il a également mentionné que le programme devait constituer une expérience. Voilà une seconde justification donnée à l’égard du programme. . .

Ces textes affirment en outre que l’arrêt Sparrow exige qu’on donne aux Autochtones de telles occasions. Tel n’est manifestement pas le cas . . .

. . . Les publications du ministère font également état de l’obligation fiduciaire de la société envers la collectivité autochtone et expliquent que cela a incité le ministère à devancer la jurisprudence . . .

. . .

Surtout, le ministère des Pêches et des Océans a cité le développement économique et un objectif améliorateur comme raison d’être du programme pilote de vente. Mais il est permis de penser qu’il s’agit là d’une justification ex post facto; . . .

. . .

Même si l’existence d’un désavantage financier entrait en ligne de compte, aucune étude ou évaluation économique n’a été effectuée avant ou durant le programme pilote de vente au sujet des besoins économiques des bandes et des bénéfices financiers que la pêche procurerait. . .

. . .

. . . Diverses raisons ont été présentées à divers moments. On n’a donné aucun fondement cohérent au programme. [par. 186‑189, 191, 199 et 210]

[73] Ce qu’il importe ici de souligner, c’est que selon l’intimé, la Stratégie relative aux pêches autochtones et le programme pilote de vente visaient principalement la gestion de la pêche et n’avaient pas pour principal objectif l’amélioration de la condition de groupes ou d’individus défavorisés. L’intimé ne s’appuie pas, par conséquent, sur le par. 15(2) de la Charte. Il déclare que le par. 15(2) est une disposition interprétative et que, étant donné les indications données par notre Cour quant à la façon dont devraient être analysées les revendications d’égalité fondées sur le par. 15(1), l’objectif ou l’effet améliorateur d’un programme peut aisément être pris en considération dans le cadre du par. 15(1).

[74] Le juge Kitchen de la Cour provinciale est arrivé à la conclusion que le programme pilote de vente violait le par. 15(1) et sa validité ne pouvait être sauvegardée par l’article premier de la Charte. Le juge de la cour d’appel des poursuites sommaires, le juge en chef Brenner de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a accueilli l’appel au motif que le juge de première instance avait défini trop étroitement le groupe de demandeurs et le groupe de comparaison, qu’il n’avait pas adéquatement tenu compte du désavantage préexistant des communautés autochtones qui forment le groupe de comparaison, et qu’il n’avait pas accordé suffisamment de poids au fait que le programme pilote de vente n’avait pas une incidence importante pour le groupe de demandeurs ((2004), 31 B.C.L.R. (4th) 258, 2004 BCSC 958). Il a conclu que le programme pilote de vente correspond aux besoins, à la capacité et à la situation des collectivités autochtones et qu’il cadre également avec les besoins, la capacité et la situation du reste de la société canadienne. Même si la question n’avait pas été abordée sur le fond lors du procès, le juge en chef Brenner a permis à certains intervenants de plaider que l’art. 25 de la Charte s’appliquait en l’espèce. Il a finalement conclu que cet article ne s’appliquait pas. Toutes les parties, et la plupart des intervenants, ont débattu à fond l’application de l’art. 25 devant la Cour d’appel et devant notre Cour.

[75] Les cinq membres de la formation de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont rejeté l’appel à l’unanimité, mais pour des motifs différents ((2006), 56 B.C.L.R. (4th) 11, 2006 BCCA 227). Le juge en chef Finch et les juges Low et Levine ont estimé que les appelants, ayant été totalement incapables d’établir avoir été privés d’un bénéfice, n’avaient donc pas réussi à franchir la première étape du critère formulé dans l’arrêt Law (Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497). Ils ont conclu que le permis de pêche communautaire des Autochtones constituait un simple élément d’un cadre réglementaire plus large visant divers groupes d’utilisateurs. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le ministre n’avait pas refusé aux appelants un bénéfice réel puisqu’ils avaient d’autres occasions de pratiquer la pêche en vertu de permis commerciaux. Le juge Mackenzie a conclu que les appelants, à supposer qu’ils aient réussi à franchir les deux premières étapes du critère de l’arrêt Law, n’avaient pas fait la preuve que les permis communautaires avaient un objectif ou un effet discriminatoire. La juge Kirkpatrick a pour sa part conclu que les permis de pêche communautaires octroyés étaient protégés en vertu de l’art. 25 de la Charte en tant que « droits ou libertés [. . .] autres [. . .] des peuples autochtones du Canada ». Elle a ajouté que l’art. 25 entre en jeu chaque fois que l’issue d’une contestation fondée sur la Charte est susceptible de porter atteinte à des droits ou libertés des peuples autochtones. Comme les appelants s’efforçaient d’obtenir la suppression du programme pilote de vente, l’art. 25 faisait obstacle à leur contestation constitutionnelle fondée sur l’art. 15.

2. Analyse

[76] Comme la juge Kirkpatrick, je suis d’avis que l’art. 25 de la Charte répond parfaitement à la question posée dans ce pourvoi. J’examinerai pour commencer le rôle et l’effet de l’art. 25, pour ensuite en déterminer la portée. Finalement, je proposerai et j’appliquerai à la présente affaire une méthode d’analyse à suivre dans les cas où l’art. 25 entre en jeu.

[77] Je n’ai pas à me lancer dans une analyse exhaustive de l’application de l’art. 15 de la Charte; il me suffira d’établir l’existence d’un conflit potentiel entre le programme pilote de vente et l’art. 15. Cela dit, je tiens à préciser mon adhésion totale à la réaffirmation du critère adopté par la Juge en chef et la juge Abella, dans leurs motifs, à l’égard de l’application de l’art. 15.

2.1 Rôle et effet de l’art. 25

[78] La promulgation de la Charte a incontestablement marqué le début d’une ère nouvelle sur le plan des droits individuels au Canada. Il n’en demeure pas moins que ce document reconnaît expressément, aussi, des droits qu’il convient de qualifier de droits collectifs. La coexistence de droits collectifs avec le paradigme libéral par ailleurs institué par la Charte demeure une source de tension constante dans la jurisprudence et la doctrine. Cette tension atteint son paroxysme à l’art. 25 dans le contexte des droits des Autochtones.

[79] Pour la plupart des auteurs, l’art. 25 est une disposition interprétative qui ne crée pas de nouveaux droits. B. H. Wildsmith expose ainsi les deux modes d’interprétation les plus souvent proposés :

[traduction] Suivant l’un des modes d’interprétation de l’art. 25, cette disposition demande au décideur d’interpréter le droit ou la liberté garanti par la Charte de manière à lui donner effet, si la chose est possible, sans restreindre les droits ou libertés visés à l’art. 25. S’il n’est pas possible d’interpréter le droit ou la liberté garanti par la Charte de manière à éviter une incidence négative sur les droits des peuples autochtones, alors l’art. 25 se trouve dépourvu de conséquences. On donne effet au droit ou à la liberté garanti par la Charte malgré son incidence [négative] sur les droits des peuples autochtones. Suivant le deuxième mode d’interprétation de l’art. 25, si les droits garantis par la Charte et les droits décrits à l’art. 25 s’avèrent inconciliables, le conflit sera résolu en donnant effet aux droits et libertés visés à l’art. 25. En résumé, les droits des peuples autochtones demeurent inviolables et ne sont pas touchés par les droits ou libertés garantis par la Charte.

(Aboriginal Peoples & Section 25 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (1988), p. 10‑11)

[80] Le premier mode a été décrit dans la doctrine comme un prisme interprétatif ou une simple norme d’interprétation. Le deuxième mode est le plus souvent présenté comme un bouclier. Wildsmith, pour démontrer que la thèse selon laquelle l’art. 25 est une simple norme d’interprétation se heurte à une sérieuse difficulté, donne (aux p. 11‑12) un exemple qui présente de grandes similitudes avec la présente affaire. Si une loi provinciale interdisait [traduction] « aux Indiens de chasser (ou de pêcher) autrement que pour leur consommation personnelle à moins d’avoir au préalable obtenu un permis » et qu’il n’existait à l’appui de cette exemption aucun droit ancestral ou issu d’un traité, un chasseur ou un pêcheur non indien pourrait faire valoir que la loi en question est contraire au par. 15(1) de la Charte. Les Indiens auraient un droit de chasse ou de pêche pour leur consommation personnelle qui est refusé aux autres. Le droit conféré aux Indiens par le texte législatif serait un des « droits ou libertés [. . .] autres » dont il est question à l’art. 25. Le tribunal serait alors forcé de faire prévaloir soit le droit à l’égalité, soit le droit protégé par l’art. 25. Si l’art. 25 a pour véritable effet de protéger les droits et libertés des peuples autochtones contre une érosion découlant de la Charte, il faudrait résoudre le conflit en refusant d’appliquer l’art. 15 dans un tel cas.

[81] J’estime moi aussi que l’intention était manifestement de donner la primauté à l’art. 25. Comme nous le verrons, cette interprétation s’accorde avec la formulation et l’historique de la disposition. Elle s’accorde également avec les déclarations du sous‑ministre de la Justice à l’époque, Roger Tassé, et avec celles de Mark MacGuigan, le ministre de la Justice au moment de la modification de 1983.

2.1.1 Méthode d’interprétation

[82] Notre Cour a accordé une grande importance à la nécessité d’interpréter les lois en fonction de leur objet. Dans R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56, le juge Iacobucci explique dans le détail les règles d’interprétation des lois. Il indique qu’il faut tout d’abord examiner le libellé de la loi, puis son historique, le régime qu’elle établit, et enfin le contexte législatif. C’est donc en me référant à tous ces éléments que j’étudierai la façon dont la tension entre droits individuels et droits collectifs est résolue à l’art. 25.

[83] Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 82, la Cour a écrit : « Conformément à cette longue tradition de respect des minorités, qui est au moins aussi ancienne que le Canada lui‑même, les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont ajouté à l’art. 35 des garanties expresses relatives aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des autochtones, et à l’art. 25 une clause de non‑atteinte aux droits des peuples autochtones. » De toute évidence,

la Cour a jugé qu’une interprétation généreuse s’impose.

2.1.2 Analyse textuelle et structurelle

[84] Examinons tout d’abord le libellé de l’art. 25 :

25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la Proclamation royale du 7 octobre 1763;

b) aux droits ou libertés existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

25. The guarantee in this Charter of certain rights and freedoms shall not be construed so as to abrogate or derogate from any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada including

(a) any rights or freedoms that have been recognized by the Royal Proclamation of October 7, 1763; and

(b) any rights or freedoms that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired.

[85] Voilà un texte qui est clair dans sa version française et ambigu dans sa version anglaise. D’autres dispositions de la Charte indiquent le contexte législatif de l’interprétation de l’art. 25. L’article 21 précise que les art. 16 à 20 « n’ont pas pour effet, en ce qui a trait à la langue française ou anglaise ou à ces deux langues, de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations ». Aux termes de l’art. 29, les dispositions de la Charte « ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles ».

[86] La plupart des auteurs jugent importante la présence du mot « construed » dans le texte anglais de l’art. 25. À mon avis, le mot « construe » a un sens très large. Le dictionnaire Oxford English Dictionary (2e éd. 1989) en donne la définition suivante : [traduction] « analyser ou trouver la construction grammaticale d’une phrase; indiquer par l’ordre des mots le sens de la phrase » (p. 796). La présence de ce terme autorise donc à considérer que, lorsqu’ils interprètent la portée de droits garantis par la Charte, les tribunaux doivent s’assurer que ces droits ne portent pas atteinte à un droit ou à une liberté des peuples autochtones. Comme je l’ai signalé, Wildsmith a décrit les deux approches qui s’affrontent à propos de l’art. 25 comme des modes d’interprétation opposés. J’estime que l’expression « shall not be construed » est ambiguë en ce qui a trait à l’effet de la disposition.

[87] Ceci étant dit, je suis d’avis que le texte français de l’art. 25 est beaucoup plus certain. L’expression « ne porte pas atteinte aux » pourrait être rendue approximativement par « without prejudice to » (J. Picotte, Juridictionnaire : Recueil des difficultés et des ressources du français juridique (1991), t. I A, p. 228) ou par « will not prejudicially affect » (Lexique anglais‑français du droit en Ontario (1987), entrée 224). Il importe par ailleurs de souligner qu’on trouve dans le texte français de l’art. 25 les mêmes termes que dans les art. 21 et 29 de la Charte, qui ont déjà été interprétés par la Cour. Dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, la Cour a estimé, dans des remarques incidentes, que les mots « ne porte pas atteinte aux » figurant à l’art. 29 faisaient obstacle à des droits inconciliables. La règle de la cohérence interne exigerait que les mêmes mots utilisés dans la même Charte (surtout dans la même section, formée de dispositions générales) soient interprétés de la même manière, ce qui s’opposerait à la conclusion suivant laquelle le texte français ne fournit pas la réponse la plus cohérente pour la recherche d’une signification commune. Voir R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6; voir aussi Renvoi relatif au projet de loi 30 et Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609.

[88] Quoi qu’il en soit, j’estime, comme Wildsmith, que la différence dans le libellé n’est pas décisive. Premièrement, l’art. 25 est très différent de l’art. 27, la seule disposition générale de la Charte à porter clairement la marque d’une simple disposition interprétative. Deuxièmement, il établit une primauté, ce qui ne cadre pas avec l’idée d’une pondération des deux droits. Notre Cour a examiné une disposition analogue de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. 1985, app. III, art. 2, ainsi rédigée : « Toute loi du Canada [. . .] doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes . . . ». Dans R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282, le juge Ritchie a dit qu’il faut donner aux mots en cause un sens plus réaliste, c’est‑à‑dire que si une loi ne peut être « raisonnablement interprétée et appliquée » (p. 294) sans enfreindre le droit, elle doit être déclarée inopérante. Ce principe a été réaffirmé dans Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349. La présente affaire ne présente pas de différence fondamentale.

[89] On pourrait soutenir que voir dans l’art. 25 un bouclier ne serait pas conforme à l’approche, empreinte de souplesse et non hiérarchique, retenue par la Cour en matière de droits garantis par la Charte. Il est incontestable que la Cour a, dans le passé, fait état de la difficulté de concilier des droits qui souvent semblent s’opposer les uns aux autres dans leur exercice, en particulier dans le contexte d’actions fondées sur les droits à l’égalité. Néanmoins, lorsque la primauté est clairement donnée à des droits collectifs au chapitre de la protection (comme c’est le cas en l’espèce, selon moi), les droits à l’égalité individuels ont habituellement cédé le pas. Dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, la juge Wilson a dit, à la p. 1197, que même si les droits spéciaux des minorités religieuses en matière d’éducation conférés par l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 « s’accorde[nt] mal avec le concept de l’égalité enchâssé dans la Charte », on ne peut recourir à l’art. 15 ni pour annuler les droits spécifiques du groupe protégé ni pour étendre ces droits à d’autres groupes religieux. Il est également instructif de lire les motifs de l’ancien juge en chef Dickson dans Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 369 qui, au sujet de l’application de l’art. 15 dans le contexte des droits des minorités linguistiques en matière d’éducation, écrivait : « [I]l serait déplacé d’invoquer un principe d’égalité destiné à s’appliquer universellement à “tous” pour interpréter une disposition qui accorde des droits particuliers à un groupe déterminé ». À mon avis, et comme le soutient J. M. Arbour, l’art. 25 a pour objectif de protéger les droits des peuples autochtones lorsque l’application des protections établies dans la Charte à l’endroit des individus diminuerait l’identité distinctive, collective et culturelle d’un groupe autochtone (« The Protection of Aboriginal Rights Within a Human Rights Regime : In Search of an Analytical Framework for Section 25 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms » (2003), 21 S.C.L.R. (2d) 3, p. 60).

2.1.3 Historique législatif

[90] L’historique législatif de l’art. 25 a été décrit par Wildsmith, aux p. 5-8. Il a souligné qu’on pouvait faire remonter l’origine de l’art. 25 de la Charte à l’art. 26 du projet de loi C‑60 présenté au Parlement le 20 juin 1978. Il était précisé dans le livre blanc qui accompagnait le projet de loi que « le renouvellement de la fédération doit conduire au plein respect des droits légitimes des autochtones » (Le temps d’agir — Jalons du renouvellement de la fédération canadienne (1978)). L’article 26 est devenu l’art. 24 dans la résolution d’octobre 1980 qui a suivi la rencontre des Premiers ministres de septembre 1980. Selon Sanders, cet article visait à protéger les droits des peuples autochtones contre les dispositions égalitaristes de la Charte (voir D. Sanders, « Prior Claims : Aboriginal People in the Constitution of Canada », dans S. M. Beck et I. Bernier, dir., Canada and the New Constitution : The Unfinished Agenda (1983), vol. 1, 225, p. 231).

[91] Le 30 janvier 1981, les représentants des organisations autochtones et des trois partis politiques nationaux sont parvenus à une entente au sujet des dispositions concernant les peuples autochtones. Ces dispositions ont été présentées le même jour au Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada. Un nouvel art. 34 était ainsi libellé : « La présente loi confirme les droits, ancestraux ou issus des traités, des peuples autochtones du Canada. » On avait également modifié l’art. 24 en dissociant la question des droits des peuples autochtones de la disposition générale de sauvegarde créée par un nouvel art. 25.

[92] Ces changements ont ensuite été incorporés au projet de résolution du 24 avril 1981. L’appui à la résolution ayant faibli, de nouvelles négociations entre les représentants des peuples autochtones et des responsables du gouvernement ont abouti à la présentation, le 18 novembre 1981, d’un art. 25 modifié. Cette disposition ne fait pas mention de droits issus de traités ni d’« autres » droits ou libertés. Les négociations avec les premiers ministres provinciaux ont abouti à une modification qui se retrouve dans la résolution finale du 8 décembre 1981. Le texte de cette résolution a de nouveau été modifié par l’adoption de la Proclamation de 1983 modifiant la Constitution, L.R.C. 1985, app. II, no 46. Cette modification a ajouté le par. (3) qui prévoit ce qui suit : « Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis. »

[93] Le ministre de la Justice de l’époque, l’honorable Jean Chrétien, a déclaré ceci devant le Comité mixte spécial : « Rien dans la charte ne portera atteinte aux droits des Indiens. [. . .] [L]es droits de tous les autochtones du Canada, découlant soit des traités soit de la proclamation royale, seront maintenus et ne seront pas modifiés par l’adoption de la charte des droits et de l’article 24 » (Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, fascicule no 3, 12 novembre 1980, p. 68 et 84). Il a été indiqué d’une façon on ne peut plus claire que l’art. 25 ne crée pas de nouveaux droits. Il devait servir de bouclier contre les incidences de la Charte sur les droits et les libertés des peuples autochtones. On trouvera un exposé plus complet du fondement historique de l’art. 25 dans l’article de Arbour, aux p. 30-37.

2.1.4 Doctrine et jurisprudence

[94] Pratiquement tous les auteurs sont d’accord pour dire que l’art. 25 joue le rôle d’un bouclier : voir Wildsmith, p. 23; B. Slattery, « The Constitutional Guarantee of Aboriginal and Treaty Rights » (1982-1983), 8 Queen’s L.J. 232, p. 239; N. K. Zlotkin, Unfinished Business : Aboriginal Peoples and the 1983 Constitutional Conference (1983), p. 46; K. McNeil, « The Constitutional Rights of the Aboriginal Peoples of Canada » (1982), 4 S.C.L.R. 255, p. 262; P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl. 2007), vol. 1, p. 28-56 et 28-57; D. Sanders, « The Rights of the Aboriginal Peoples of Canada » (1983), 61 R. du B. can. 314, p. 321; P. Cumming, « Canada’s North and Native Rights », dans B. W. Morse, dir., Aboriginal Peoples and the Law : Indian, Metis, and Inuit Rights in Canada (1985), 695, p. 732; N. Lyon, « Constitutional Issues in Native Law », dans Morse, 408, p. 423; K. M. Lysyk, « Les droits et libertés des peuples autochtones du Canada », dans G.-A. Beaudoin et W. S. Tarnopolsky, dir., Charte canadienne des droits et libertés (1982), 591, p. 595-597; contra : R. H. Bartlett, « Survey of Canadian Law : Indian and Native Law » (1983), 15 R.D. Ottawa 431, et B. Schwartz, First Principles : Constitutional Reform with Respect to the Aboriginal Peoples of Canada, 1982‑1984 (1985).

[95] Les auteurs suivants partagent aussi cet avis : K. Wilkins, « . . . But We Need the Eggs : The Royal Commission, the Charter of Rights and the Inherent Right of Aboriginal Self‑government » (1999), 49 U.T.L.J. 53; T. Isaac, « Canadian Charter of Rights and Freedoms : The Challenge of the Individual and Collective Rights of Aboriginal People » (2002), 21 Windsor Y.B. Access Just. 431; A. Goldenberg, « “Salmon for Peanut Butter” : Equality, Reconciliation and the Rejection of Commercial Aboriginal Rights » (2004), 3 Indigenous L.J. 61, p. 90; C. Hutchinson, « Case Comment on R. v. Kapp : An Analytical Framework for Section 25 of the Charter » (2007), 52 R.D. McGill 173, p. 189. P. Macklem, Indigenous Difference and the Constitution of Canada (2001), et T. Dickson, « Section 25 and Intercultural Judgment » (2003), 61 U.T. Fac. L. Rev. 141, ont élaboré une approche qui leur est propre, fondée sur la distinction entre droits individuels et droits collectifs. Il convient de signaler qu’aucun de ces auteurs n’a appliqué la règle d’interprétation applicable aux textes législatifs bilingues.

[96] La jurisprudence sur la question est rare, mais la tendance récente consiste à voir dans la protection instaurée par l’art. 25 un « bouclier » plutôt qu’un « prisme interprétatif ». D’après R. c. Steinhauer, [1985] 3 C.N.L.R. 187 (B.R. Alb.), Campbell c. British Columbia (Attorney General), [2000] 4 C.N.L.R. 1 (C.S.C.‑B.), et Conseil de la bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (2000), 37 C.H.R.R. D/466 (C.A.F.), l’art. 25 offre un bouclier. R. c. Nicholas, [1989] 2 C.N.L.R. 131 (B.R.N.‑B.), va dans le même sens, sauf qu’on y restreint l’application de l’art. 25 aux droits visés à l’art. 15. Dans Campbell, le juge Williamson a résumé la jurisprudence en indiquant qu’elle montre que [traduction] « l’article se veut un “bouclier” empêchant les dispositions de la Charte de restreindre les droits ancestraux, issus de traités ou autres » : par. 156. Il a en outre indiqué qu’il faut adopter à l’égard de l’art. 25 une approche fondée sur son objet et que [traduction] « l’article a pour objet d’empêcher que les dispositions de la Charte n’érodent ou ne sapent la situation distinctive des peuples autochtones au Canada » (par. 158).

2.1.5 Limites du bouclier

[97] Le bouclier est‑il absolu? Bien sûr que non. Premièrement, il est restreint par l’art. 28 de la Charte, qui établit l’égalité des sexes « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte ». Deuxièmement, il est limité à son objet, les droits et libertés garantis par la Charte étant juxtaposés aux droits et libertés des peuples autochtones. L’arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, donne au par. 46 des précisions utiles à cet égard. Cela signifie, pour l’essentiel, que seules les lois qui portent véritablement atteinte à des droits des peuples autochtones seront prises en considération, et non celles qui ont uniquement des effets accessoires sur les Autochtones.

[98] Il existe quelque incertitude au sujet des droits et libertés que vise l’art. 25. La plupart des difficultés soulevées ont trait à l’autonomie gouvernementale. Les règlements administratifs pris par des bandes en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, sont‑ils tous protégés? Wildsmith estime que ce pourrait être le cas parce que ces règlements tirent leur origine du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, manifestement associé au concept d’indianité (p. 33). Il affirme cependant que le pouvoir en question ne serait pas illimité parce que les tribunaux y intégreraient la nécessité du « caractère raisonnable », comme ils l’ont fait dans le cas de l’exercice de pouvoirs municipaux, et parce que la Déclaration canadienne des droits continuerait de s’appliquer. (Les tribunaux devraient bien entendu tenir compte de l’arrêt Lavell pour que cette voie puisse s’avérer utile.) Wildsmith signale, aux p. 25‑26, que le tribunal pourrait vouloir recourir à un critère de proportionnalité semblable à celui utilisé dans Oakes pour déterminer si une loi porterait véritablement atteinte à un droit ou une liberté des peuples autochtones (R. c. Oakes, [1986], 1 R.C.S. 103). Il soutient (à la p. 37) que des Autochtones qui souhaiteraient attaquer une loi fédérale accordant un traitement préférentiel à d’autres Autochtones pourraient encore se prévaloir des droits garantis par la Charte.

[99] Il n’existe aucune raison de croire que l’art. 25 ait exclu les Autochtones du régime de protection de la Charte. Un groupe autochtone peut demander, en vertu du par. 15(1), qu’on lui accorde le même bénéfice que reçoit un autre groupe autochtone. Les articles 2 et 3 de la Charte s’appliquent aux Autochtones. Macklem, aux p. 225‑227, exprime l’avis que les tribunaux devraient faire la distinction entre les restrictions externes et les restrictions internes relatives aux règlements administratifs autochtones qui entrent en conflit avec la Charte, et que dans le cas des restrictions internes, il y a lieu d’exiger des collectivités autochtones qu’elles satisfassent au critère de l’arrêt Oakes pour résister à une contestation. On pourrait aussi soutenir qu’il serait contraire à l’objectif de l’art. 25 d’empêcher un Autochtone d’invoquer ces dispositions pour attaquer un règlement administratif pris par un conseil de Bande. Il ne me semble pas du tout évident qu’il est nécessaire de limiter les droits individuels des Autochtones pour reconnaître les droits collectifs dont il est question à l’art. 25; comme le fait remarquer A. Shachar, les personnes peuvent avoir des identités multiples (« The Paradox of Multicultural Vulnerability : Individual Rights, Identity Groups, and the State », dans C. Joppke et S. Lukes, dir., Multicultural Questions (1999), 87; voir aussi W. Kymlicka, Multicultural Citizenship : A Liberal Theory of Minority Rights (1995), p. 35). Les Autochtones sont des Canadiens. Le cadre de réconciliation est compatible avec la nécessité de faire preuve de souplesse dans l’application de l’art. 25. Ce point de vue s’accorde avec l’approche adoptée par le juge Binnie dans Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, 2001 CSC 33, par. 164.

[100] Certains souhaiteraient voir la Cour ne faire aucun cas de l’art. 25 à cause de l’incertitude quant à son application, en particulier en ce qui a trait aux pouvoirs législatifs envisagés par la Loi sur les Indiens. Il n’est pas raisonnable, à mon sens, de prétendre que cette Cour ne devrait pas appliquer une disposition législative parce qu’elle présente des difficultés insurmontables. Après tout, l’art. 25 est la seule disposition de la Charte qui fait expressément mention des peuples autochtones, et la Charte a maintenant 25 ans. Je pense également que les craintes exprimées sont exagérées. Même avec la justification actuelle dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier, le gouvernement a beaucoup de latitude pour établir qu’il ne faut pas donner une importance exagérée aux valeurs consacrées par la Charte lorsqu’il s’agit des exigences de l’égalité fondamentale des peuples autochtones. Les pouvoirs législatifs conférés aux bandes sous le régime de l’art. 81 de la Loi sur les Indiens sont susceptibles d’être annulés; ceux que visent les art. 83 et 85.1 peuvent faire l’objet de modifications à la Loi sur les Indiens si un problème sérieux de compatibilité avec des valeurs protégées par la Charte se pose. Les droits visés à l’art. 25 ne sont pas inscrits dans la Constitution et peuvent être abolis. Le Parlement peut également assujettir un droit aux mêmes mesures de protection que celles que prévoit la Charte par ses dispositions particulières. Wildsmith mentionne que l’art. 25 ne s’applique peut‑être même pas aux conseils de bande parce qu’ils pourraient ne pas être visés par la définition énoncée à l’al. 32(1)a) de la Charte (p. 39) — un argument à l’appui duquel il serait peut‑être possible de rappeler que l’Accord de Charlottetown renfermait une clause qui aurait rendu l’art. 25 applicable aux gouvernements autochtones. Tout cela pour dire qu’il ne nous est pas nécessaire de régler chaque cas imaginable dans cette seule décision.

2.2 Étendue de la protection établie par l’art. 25

[101] En l’espèce, ce qui importe au sujet de l’étendue de la protection établie par l’art. 25, c’est la signification des mots « droits ou libertés [. . .] autres ». Ces mots ont une portée « globale », selon Lysyk à la p. 596 — ce qui indique qu’on voulait donner une étendue très large à la protection. Mais il est uniquement question des « droits ou libertés [. . .] des peuples autochtones du Canada », de ceux qui leur sont propres. En anglais, le texte parle de « rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada ».

[102] La règle ejusdem generis veut que, dans une énumération, la portée du terme général soit limitée aux personnes ou aux choses de la même catégorie que celles qui sont expressément mentionnées. À l’article 25, le terme général « ou autres » suit l’énumération des droits ou libertés « ancestraux » et « issus de traités ». La juge en chef McLachlin et la juge Abella soutiennent qu’il faut appliquer la règle de façon à limiter les droits ou libertés protégés à ceux qui sont de nature constitutionnelle. Je crois pour ma part qu’il faut retenir une approche plus large qui s’accorde davantage avec les principes d’interprétation décrits ci‑dessus.

[103] Je crois que la mention des « droits ou libertés ancestraux et issus de traités » indique que la disposition est axée sur le caractère tout à fait particulier des personnes ou des collectivités mentionnées dans la Constitution; les droits protégés sont ceux qui leur sont propres en raison de leur statut spécial. Comme le soutient Macklem, l’art. 25 [traduction] « soustrait à l’examen fondé sur la Charte les initiatives fédérales, provinciales et autochtones qui visent à faire avancer des intérêts ressortissant à la différence autochtone » : voir p. 225. Dans cette perspective, un texte législatif qui fait une distinction entre Autochtones et non‑Autochtones afin de protéger des intérêts liés à la culture, au territoire ou à la souveraineté autochtones, ou au processus des traités, mérite d’être soustrait à l’examen fondé sur la Charte.

[104] Dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 52, la juge L’Heureux‑Dub— a laissé entendre, en remarque incidente, que la portée de l’art. 25 était sans doute plus grande que celle de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qu’elle pouvait s’étendre à des dispositions législatives. Elle a atténué son propos en ajoutant que le fait qu’une loi concerne les Autochtones ne suffirait pas à lui seul à rendre l’art. 25 applicable. À mon avis, les limitations proposées ci‑dessus sont conformes à cet énoncé.

[105] Les lois adoptées en vertu de la compétence établie au par. 91(24) feraient normalement partie de cette catégorie, cette compétence concernant les peuples autochtones en tant que tels, mais pas les lois visées par l’art. 88 de la Loi sur les Indiens, puisqu’il s’agit par définition de lois d’application générale. Sont compris dans les droits et libertés « autres » les droits d’origine législative qui visent à protéger des intérêts liés à la culture, au territoire et à l’autonomie gouvernementale des Autochtones, comme je l’ai déjà signalé, ainsi que les accords de règlement qui remplacent des droits ancestraux ou issus de traités. Mais les droits privés dont jouissent les Autochtones sur le plan individuel, à titre privé, en tant que citoyens canadiens comme les autres, ne seraient pas protégés.

[106] L’inclusion des droits d’origine législative et des accords de règlement ayant trait au processus des traités et à la différence autochtone s’accorde avec la jurisprudence de cette Cour. Comme l’a signalé la juge Kirkpatrick de la Cour d’appel, il ressort clairement des arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Nation Haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, et Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 R.C.S. 550, 2004 CSC 74, que l’obligation de la Couronne de consulter les peuples autochtones et de trouver des accommodements à leurs préoccupations précède l’établissement d’un droit ancestral ou issu de traités. Il s’agit bien sûr des deux termes énumérés dont il est question précédemment à propos de la règle ejusdem generis. En outre, la Cour a conclu dans Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 186, que la préservation de l’honneur de la Couronne suppose la possibilité pour cette dernière de négocier de bonne foi avec les peuples autochtones. Enfin, dans Sparrow, cette Cour a exhorté la Couronne à négocier avant de recourir aux tribunaux. L’article 25 traduit cette nécessité impérative de trouver des accommodements aux intérêts des peuples autochtones, de les reconnaître et de les concilier.

[107] William Pentney dit craindre que si l’on interprète largement l’expression « droits ou libertés [. . .] autres » pour inclure les droits créés par le législateur ou la common law, on arrivera au [traduction] « résultat insolite et non souhaitable » que les lois ordinaires pourraient modifier la portée d’une disposition protégée par la Charte : « The Rights of the Aboriginal Peoples of Canada and the Constitution Act, 1982 : Part I — The Interpretive Prism of Section 25 » (1988), 22 U.B.C. L. Rev. 21, p. 57. Plusieurs craignent aussi qu’en accordant à des droits créés par la loi la protection de l’art. 25, on se trouve à les élever au rang de droits constitutionnels : voir p. ex. Hutchinson, p. 186. Des craintes similaires ont été exprimées au sujet du par. 16(3) de la Charte, qui consacre le pouvoir de favoriser l’exercice des droits linguistiques. Dans Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 577, par. 92, la Cour d’appel de l’Ontario a fait à ce sujet les observations suivantes :

Nous ne sommes pas convaincus que le par. 16(3) comprend un principe d’« encliquetage », qui conférerait une protection constitutionnelle aux mesures prises pour faire progresser l’égalité linguistique. Le paragraphe 16(3) repose sur le principe établi dans Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick (1974), [1975] 2 R.C.S. 182, 45 D.L.R. (3d) 583 selon lequel la Constitution garantit un « plancher » et non un « plafond »; il traduit l’aspiration d’une recherche de l’égalité concrète. Cette aspiration exprimée par le par. 16(3) revêt de l’importance pour interpréter la loi. Il nous semble cependant indéniable que l’effet de cette disposition est de protéger, et non pas de constitutionnaliser, les mesures prises pour faire avancer l’égalité linguistique. La portée juridique effective du par. 16(3) en est déterminée et limitée par les premiers mots : « La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures ». Le paragraphe 16(3) n’est pas attributif de droit. Il s’agit plutôt d’une disposition destinée à prévenir toute contestation d’une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l’art. 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d’un palier de gouvernement. [En italique dans l’original.]

À mon avis, les mêmes principes s’appliquent aux mesures législatives que protège l’art. 25.

2.3 Mode d’analyse de l’art. 25

[108] Une question importante consiste à déterminer à quel moment l’art. 25 entre en jeu. La juge Kirkpatrick de la Cour d’appel a conclu que c’était avant toute prise en considération du droit garanti par la Charte; le juge en chef Brenner, juge d’appel des poursuites sommaires en l’espèce, a souscrit à ce point de vue en adoptant l’approche retenue dans la décision Campbell. Cela semble concorder avec ce qu’a dit la juge L’Heureux‑Dubé dans Corbiere, par. 52. Dans Campbell, il a également été décidé que la question de l’art. 25 a un caractère préliminaire. C’est aussi mon avis. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas nécessaire de définir correctement la revendication fondée sur la Charte, mais simplement qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse complète au regard de l’art. 15, comme dans la présente affaire par exemple, avant de se demander si l’art. 25 s’applique. Ce qu’il faut déterminer, c’est s’il existe un conflit véritable.

[109] Je ne pense pas qu’il soit raisonnable d’invoquer l’art. 25 une fois qu’une violation de la Charte est établie. Il en est ainsi notamment parce qu’il n’existerait pas de raison d’invoquer l’art. 25 dans le cas où l’on conclut à une discrimination non susceptible d’être justifiée en vertu de l’article premier, simplement parce que, dans le contexte de l’art. 15, comme dans la présente affaire par exemple, les considérations servant à démontrer qu’une loi n’est pas discriminatoire devraient faire l’objet d’un nouvel examen judiciaire dans le cadre de l’art. 25. Une autre raison tient au fait qu’une véritable disposition interprétative servirait à définir la garantie fondamentale. L’article 25 vise à préserver certaines distinctions incompatibles avec une pondération des droits à l’égalité et des droits des peuples autochtones. Ce qui est demandé, essentiellement, c’est une interprétation contextualisée prenant en compte les aspirations et les besoins culturels des Autochtones. Dan Russell (A People’s Dream : Aboriginal Self‑Government in Canada (2000), p. 100) en donne un exemple fondé sur l’art. 3 de la Charte : il dit que le droit de vote devrait être réinterprété dans le contexte des élections au sein des bandes afin que soient prises en compte les particularités du système de clan. Cela revient, je pense, à dire que les Autochtones n’ont pas les mêmes droits que les autres Canadiens, plutôt qu’à dire qu’ils sont protégés comme tous les autres Canadiens contre les atteintes à leurs droits individuels garantis par la Charte. W. F. Pentney (The Aboriginal Rights Provisions in the Constitution Act, 1982 (1987)) emprunte la même approche en suggérant d’interpréter la Charte à travers un prisme autochtone. Je ne crois pas qu’il existe des droits distincts garantis par la Charte pour les Autochtones et les non-Autochtones pris individuellement, ni qu’il soit possible de prendre en considération l’expérience culturelle spécifique des Autochtones pour définir des droits garantis par la Charte. Les droits sont les mêmes pour tous; leur application est une question de justification en fonction du contexte.

[110] Je pense aussi qu’il est contraire à l’économie de la Charte de faire entrer l’art. 25 en ligne de compte dans l’application de l’article premier. L’article premier ne s’applique pas à l’art. 25 en tant que tel parce que l’art. 25 ne crée pas de droits; l’incorporation de l’art. 25 est inconcevable dans ce contexte. L’article premier prend déjà en considération la perspective autochtone lorsqu’il y a lieu. L’article 25 a une fonction de protection, et cette fonction doit être préservée. L’article 25 n’a pas été conçu pour établir un équilibre entre les droits garantis par la Charte et les droits des peuples autochtones. Il ne faudrait pas atténuer la portée de l’art. 25 alors qu’il ressort de notre jurisprudence que les droits des peuples autochtones doivent faire l’objet d’une application large et généreuse, et que lorsqu’il y a incertitude, il faut faire tout ce qui est possible pour donner priorité à la perspective autochtone. Il me semble que la seule raison pour laquelle on voudrait aborder l’art. 25 dans le cadre du par. 15(1), c’est la crainte déjà mentionnée que des droits individuels risquent d’être compromis. Une autre crainte ressortant de certaines plaidoiries dans la présente affaire est celle de voir constitutionnalisés des droits relevant de l’art. 25; cette crainte est sans aucun fondement. L’article 25 ne crée ni ne constitutionnalise aucun droit.

2.4 Application à la présente affaire

[111] L’application de l’art. 25 comporte trois étapes. La première exige une évaluation de la revendication afin d’établir la nature du droit fondamental garanti par la Charte et de déterminer si le bien‑fondé de la revendication a été établi à première vue. La deuxième étape consiste à évaluer le droit autochtone afin de déterminer s’il relève de l’art. 25. La troisième étape consiste à déterminer s’il existe un conflit véritable entre le droit garanti par la Charte et le droit autochtone.

2.4.1 Nature de la revendication

[112] Les appelants soutiennent que des pêcheurs autochtones se sont vu accorder le droit de pêcher en exclusivité, pendant une journée, avant l’ouverture de la pêche commerciale générale à laquelle ils prennent part, et que ce droit donne naissance à un bénéfice refusé aux non‑Autochtones en raison de leur race. Le fait que des permis communautaires ont été délivrés à plusieurs bandes, qui donnent ensuite une autorisation de pêcher à certains pêcheurs, n’est pas pertinent selon eux, parce que l’appartenance à des bandes ne constitue pas une justification valable fonctionnellement pertinente à la réglementation des pêches publiques.

[113] L’intimé a présenté plusieurs arguments à l’encontre de la revendication. Il dit en particulier qu’il n’y a pas atteinte au par. 15(1) parce que les demandeurs sont des titulaires de permis individuels tandis que les permis des Autochtones sont de nature communautaire; il n’existe pas d’élément de comparaison valable. Il dit qu’aucun bénéfice n’est refusé parce que le programme permet des prises suffisantes aux différentes catégories de bénéficiaires, dont certaines sont communautaires et certaines individuelles.

[114] Selon une conclusion de fait, la pêche n’est pas de nature communautaire (les conclusions du juge Kitchen de la Cour provinciale sont résumées au par. 22 du mémoire des appelants); selon une autre conclusion de fait, de nombreux Autochtones qui pêchent en vertu des permis communautaires participent également à la pêche commerciale générale. Et ce qui est plus important, il est admis que le permis délivré aux pêcheurs autochtones n’est pas accessible aux non‑Autochtones. Il est sans importance que l’autorisation de pêcher soit accordée sous la forme d’un permis délivré à une bande; le gouvernement ne peut pas faire indirectement ce qu’il lui est interdit de faire directement. Comme le précise le par. 19 de l’arrêt Van der Peet, ces droits « tirent leur origine du fait que les peuples autochtones sont des autochtones » (soulignement omis). D’autre part, pratiquement toutes les parties et tous les intervenants dans la présente affaire parlent du « droit de pêche » que procure le programme pilote de vente, ce qui offre un élément révélateur de la nature véritable du permis. Même si les permis communautaires étaient importants, leur nature ne donne aucune indication quant au fait qu’il pourrait être discriminatoire de les restreindre aux Autochtones en tant que groupe utilisateur. Il est établi hors de tout doute que le programme est fondé sur la race.

[115] Les déclarations du ministre Crosbie et des responsables gouvernementaux pour expliquer la raison d’être du programme sont manifestement liés à des accords avec les bandes sur la réglementation et la gestion de la pêche. Le titre même du règlement est révélateur : Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. En ce qui a trait à l’existence d’un bénéfice, une conclusion de fait a là encore été tirée par le juge Kitchen de la Cour provinciale (dont le résumé se trouve au par. 25 du mémoire des appelants). Quoi qu’il en soit, il est difficile de comprendre comment l’intimé peut prétendre que les Autochtones ont obtenu un bénéfice considérable, en particulier la bande Tsawwassen, dont le nombre de bateaux est passé de 15 à 35 (mémoire de l’intimé, par. 43), et qu’il y a eu une augmentation des revenus et des emplois pour les Autochtones (par. 44), sans que cela ait eu d’incidence sur les pêcheurs non autochtones, alors que les prises sont limitées par des quotas ajustés d’une année à l’autre. Les prises attribuées en exclusivité aux bandes ne peuvent être attribuées à la pêche générale.

[116] Il existe à mon avis une preuve prima facie de discrimination selon le par. 15(1). Il n’est pas nécessaire d’approfondir l’analyse ou d’invoquer l’article premier. La possibilité de conflit est établie.

2.4.2 Le droit autochtone

[117] Le ministre a délivré des permis à des Autochtones dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi sur les pêches et le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. L’intimé soutient que ces permis ne constituent pas un droit ou une liberté visé à l’art. 25 de la Charte. Selon lui, seuls les droits et libertés qui [traduction] « sont essentiels au maintien du caractère distinctif des cultures autochtones au sein de l’ensemble politique canadien [. . .] sont susceptibles d’être visés par l’art. 25 » (mémoire, par. 131), et [traduction] « il s’ensuit que, pour se voir accorder la protection donnée par l’art. 25, un “droi[t] ou libert[é] [. . .] autr[e]” doit : (1) être d’une ampleur suffisante pour l’emporter sur une liberté ou un droit garanti par la Charte; (2) présenter un degré élevé de permanence; (3) être étroitement lié à la protection et à l’affirmation du caractère distinctif autochtone. Le permis en question ne satisfait pas à ces critères. Le permis autorisant la vente résultait simplement de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif, il était assorti de plusieurs conditions et il était de brève durée. Il ne valait que pour 24 heures. L’accord conclu avec les bandes Musqueam, Burrard et Tsawwassen stipulait expressément qu’il ne créait aucun droit autochtone. La conclusion du juge en chef Brenner selon laquelle le permis ne créait pas de droit au sens de l’art. 25 était juste » (par. 137‑138).

[118] La première observation que je ferais, c’est que le critère de l’ampleur ne cadre tout simplement pas avec les termes de l’art. 25. Dans cet article, il est simplement question des droits des peuples autochtones du Canada, soit de tous les droits qui favorisent leur situation distinctive. Cela vaut aussi pour le critère de la permanence; comme je l’ai déjà signalé dans ces motifs, les mots « droits ou libertés [. . .] autres » se rapportent nécessairement à des droits d’origine législative, susceptibles d’être abolis n’importe quand. Le fait que les accords conclus avec les bandes nommées stipulaient qu’ils ne créaient aucun droit autochtone est sans importance. L’article 25 ne crée aucun droit.

[119] L’intimé convient que l’application de la règle ejusdem generis permet de cerner la portée qu’on entendait donner aux mots « droits ou libertés [. . .] autres ». Au paragraphe 101 de son mémoire, l’intimé évoque le rapport tout à fait particulier des communautés autochtones de la Colombie‑Britannique avec la pêche. Cela devrait suffire à établir un lien entre le droit de pêche donné aux Autochtones en vertu du programme pilote de vente et les droits envisagés à l’art. 25. Le droit de pêche a constamment fait l’objet de revendications fondées sur les droits ancestraux et les droits issus de traités, soit les termes énumérés dans les dispositions.

[120] En outre, l’intimé lui‑même prétend que ces droits constituaient une première étape vers la constitution d’un droit issu d’un traité. Comme je l’ai déjà signalé dans les présents motifs, l’art. 25 reflète les notions de réconciliation et de négociation présentes dans le processus des traités et reconnues par la jurisprudence de notre Cour : Nation Haïda, Taku River. Le juge en chef Brenner a examiné les droits et libertés offerts aux peuples autochtones participant au programme pilote de vente ainsi que l’importance du programme pour les peuples autochtones de la Colombie‑Britannique (par. 93) :

[traduction] La SPA constituait une tentative visant à concilier cette relation tout à fait particulière avec la nécessité de réglementer les pêches en instituant une pêche faisant l’objet d’une réglementation distincte, respectueuse des valeurs autochtones traditionnelles et sensible à ces valeurs. On y est parvenu en négociant des questions comme la cogestion de la pêche, la répartition du poisson et d’autres questions importantes pour les groupes autochtones. Elle prévoyait également la délivrance de permis communautaires, qui revêt une importance exceptionnelle pour les collectivités autochtones.

[121] À mon avis, enfin, le droit dont il est question en l’espèce dépend entièrement de l’exercice des pouvoirs conférés au Parlement par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui concerne une catégorie de personnes, soit les Indiens. Là encore, il est intéressant de relever le parallèle établi entre l’art. 93 et le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 par le juge Estey dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, p. 1206 : « En ce sens, l’art. 93 est l’équivalent provincial du par. 91(24) (les Indiens et les terres réservées aux Indiens) qui autorise le Parlement du Canada à légiférer au profit de la population indienne selon un mode préférentiel, discriminatoire ou distinctif, par rapport aux autres. » Soutenir que l’octroi de ces permis n’est pas un droit mais l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel, c’est privilégier la forme par rapport au fond. On ne peut interpréter la Charte comme si elle rendait inconstitutionnel l’exercice de pouvoirs conformes aux objectifs du par. 91(24), et il n’est pas logique de croire que tout exercice de la compétence établie au par. 91(24) exige une justification en vertu de l’article premier. L’article 25 est un compagnon indissociable du par. 35(1); il protège les objectifs du par. 35(1) et accroît la portée des mesures nécessaires pour que soit remplie la promesse de réconciliation.

2.4.3 Conflit potentiel

[122] Il est établi en l’espèce, à mon avis, que le droit conféré par le programme pilote de vente est limité aux Autochtones et a un effet préjudiciable aux pêcheurs commerciaux non autochtones actifs dans la même région que les bénéficiaires du programme. Il est clair aussi que le désavantage est lié à des différences raciales. L’article 15 de la Charte peut à première vue être invoqué. L’application du droit à l’égalité reconnu à tous en vertu de l’art. 15 n’est pas compatible avec les droits des pêcheurs autochtones titulaires de permis dans le cadre du programme pilote de vente. Il existe un conflit véritable.

3. Conclusion

[123] L’article 25 de la Charte s’applique en l’espèce et constitue une réponse complète à la revendication. Pour cette raison, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs des appelants : WeirFoulds, Toronto.

Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

Procureurs de l’intervenante la Première nation Tsawwassen : Arvay Finlay, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante la Nation Haisla : Donovan & Company, Vancouver.

Procureurs des intervenantes la bande indienne des Songhees, la Première nation Malahat, la Première nation des T’Sou‑ke, la Première nation Snaw‑naw‑as (Nanoose) et la bande indienne de Beecher Bay (collectivement appelées Nations Te’mexw) : Cook, Roberts, Victoria.

Procureurs des intervenantes la Nation Heiltsuk et la bande indienne des Musqueams : Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante les tribus Cowichan : Ratcliff & Company, North Vancouver.

Procureur des intervenantes Sportfishing Defence Alliance, B.C. Seafood Alliance, Pacific Salmon Harvesters Society, Aboriginal Fishing Vessel Owners Association et United Fishermen and Allied Workers Union : J. Keith Lowes, Vancouver.

Procureur de l’intervenante Japanese Canadian Fishermens Association : Canadian Constitution Foundation, Calgary.

Procureurs de l’intervenante Atlantic Fishing Industry Alliance : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante la bande indienne Nee Tahi Buhn : Bull, Housser & Tupper, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante la Première nation Tseshaht : Braker & Company, West Vancouver.

Procureurs de l’intervenante l’Assemblée des Premières nations : Pitblado, Winnipeg.

[1]Donna Greschner, « Does Law Advance the Cause of Equality? » (2001), 27 Queen’s L.J. 299; Sheilah Martin, « Balancing Individual Rights to Equality and Social Goals » (2001), 80 R. du B. can. 299; Donna Greschner, « The Purpose of Canadian Equality Rights » (2002), 6 R. études const. 291; Debra M. McAllister, « Section 15 — The Unpredictability of the Law Test » (2003‑2004), 15 R.N.D.C. 3; Christopher D. Bredt et Adam M. Dodek, « Breaking the Law’s Grip on Equality : A New Paradigm for Section 15 » (2003), 20 S.C.L.R. (2d) 33; Daphne Gilbert, « Time to Regroup : Rethinking Section 15 of the Charter » (2003), 48 R.D. McGill 627; Daniel Proulx, « Le concept de dignité et son usage en contexte de discrimination : deux Chartes, deux modèles », [2003] R. du B. (numéro spécial) 485; Daphne Gilbert et Diana Majury, « Critical Comparisons : The Supreme Court of Canada Dooms Section 15 » (2006), 24 Windsor Y.B. Access Just. 111; Christian Brunelle, « La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne : de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale », dans La Charte québécoise : origines, enjeux et perspectives, [2006] R. du B. (numéro thématique) 143; R. James Fyfe, « Dignity as Theory : Competing Conceptions of Human Dignity at the Supreme Court of Canada » (2007), 70 Sask. L. Rev. 1; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl. 2007), vol. 2, p. 55-28 et 55-29; Alexandre Morin, Le droit à l’égalité au Canada (2008), p. 80‑82.

[2] Sophia Reibetanz Moreau, « Equality Rights and the Relevance of Comparator Groups » (2006), 5 J.L. & Equality 81; Daphne Gilbert et Diana Majury, « Critical Comparaisons : The Supreme Court of Canada Dooms Section 15 » (2006), 24 Windsor Y.B. Access Just. 111; Beverley Baines, « Equality, Comparison, Discrimination, Status », dans Fay Faraday, Margaret Denike et M. Kate Stephenson, dir., Making Equality Rights Real : Securing Substantive Equality under the Charter (2006), 73; Dianne Pothier, « Equality as a Comparative Concept : Mirror, Mirror, on the Wall, What’s the Fairest of Them All? », dans Sheila McIntyre et Sanda Rodgers, dir., Diminishing Returns : Inequality and the Canadian Charter of Rights and Freedoms (2006), 135. Voir aussi Dianne Pothier, « Connecting Grounds of Discrimination to Real People’s Real Experiences » (2001), 13 R.F.D. 37; Bruce Ryder, Cidalia C. Faria et Emily Lawrence, « What’s Law Good For? An Empirical Overview of Charter Equality Rights Decisions » (2004), 24 S.C.L.R. (2d) 103; Mayo Moran, « Protesting Too Much : Rational Basis Review Under Canada’s Equality Guarantee », dans Sheila McIntyre et Sanda Rodgers, dir., Diminishing Returns : Inequality and the Canadian Charter of Rights and Freedoms (2006), 71; Sheila McIntyre, « Deference and Dominance : Equality Without Substance », dans Sheila McIntyre et Sanda Rodgers, dir., Diminishing Returns : Inequality and the Canadian Charter of Rights and Freedoms (2006), 95.


Synthèse
Référence neutre : 2008 CSC 41 ?
Date de la décision : 27/06/2008
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté. le permis de pêche communautaire était conforme à la constitution

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à l’égalité - Programmes de promotion sociale - Lien entre les art. 15(1) et 15(2) de la Charte canadienne des droits et libertés - Portée et application de l’art. 15(2) - Permis de pêche communautaire délivré en vertu d’un programme pilote de vente et accordant aux membres de trois bandes autochtones le droit exclusif de pêcher le saumon pendant une période de 24 heures - Pêcheurs commerciaux, pour la plupart non autochtones, à qui il était interdit de pêcher pendant cette période, alléguant l’existence d’une atteinte à leurs droits à l’égalité en raison d’une mesure discriminatoire fondée sur la race - Le programme en cause est‑il protégé par l’art. 15(2) de la Charte?.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Maintien des droits et libertés des Autochtones - Droit à l’égalité - Permis de pêche communautaire délivré en vertu d’un programme pilote de vente et accordant aux membres de trois bandes autochtones le droit exclusif de pêcher le saumon pendant une période de 24 heures - Pêcheurs commerciaux, pour la plupart non autochtones, à qui il était interdit de pêcher pendant cette période, alléguant l’existence d’une atteinte à leurs droits à l’égalité en raison d’une mesure discriminatoire fondée sur la race - L’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés soustrait‑il le programme en cause à l’accusation de discrimination?.

Pêche - Pêche commerciale - Stratégie relative aux pêches autochtones - Permis de pêche communautaire délivré en vertu d’un programme pilote de vente et accordant aux membres de trois bandes autochtones le droit exclusif de pêcher le saumon pendant une période de 24 heures - Pêcheurs commerciaux, pour la plupart non autochtones, à qui il était interdit de pêcher pendant cette période, alléguant l’existence d’une atteinte à leurs droits à l’égalité en raison d’une mesure discriminatoire fondée sur la race - Le permis était‑il conforme à la Constitution? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 15.

La décision du gouvernement fédéral de favoriser la participation des Autochtones à la pêche commerciale est à l’origine de la Stratégie relative aux pêches autochtones. Cette stratégie a, dans une large mesure, consisté à établir trois programmes pilotes de vente, dont l’un a donné lieu à la délivrance, aux trois bandes autochtones, d’un permis de pêche communautaire autorisant les pêcheurs désignés par ces bandes à pêcher le saumon à l’embouchure du fleuve Fraser pendant une période de 24 heures, de même qu’à vendre leurs prises. Les appelants, tous des pêcheurs commerciaux, pour la plupart non autochtones, qui se sont vu interdire de pêcher pendant cette période de 24 heures, ont participé à une pêche de protestation et ont été accusés d’avoir pêché pendant une période interdite. Lors de leur procès, ils ont fait valoir que le permis de pêche communautaire était discriminatoire à leur égard en raison de leur race. Le juge de première instance a conclu que le permis délivré aux trois bandes portait atteinte aux droits à l’égalité garantis aux appelants par le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et que cette atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Il a ordonné l’arrêt des procédures relatives à toutes les accusations. L’appel de la Couronne contre les déclarations sommaires de culpabilité a été accueilli. L’arrêt des procédures a été levé et des déclarations de culpabilité ont été inscrites contre les appelants. La Cour d’appel a maintenu cette décision.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté. Le permis de pêche communautaire était conforme à la Constitution.

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein : Le permis de pêche communautaire relève du par. 15(2) de la Charte et l’allégation des appelants voulant qu’il y ait eu violation de l’art. 15 ne saurait être retenue. [3]

Les paragraphes 15(1) et 15(2) ont pour effet combiné de promouvoir l’idée d’égalité réelle qui sous‑tend l’ensemble de l’art. 15. Le paragraphe 15(1) a pour objet d’empêcher les gouvernements d’établir des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues ayant pour effet de perpétuer un désavantage ou un préjugé, ou d’imposer un désavantage fondé sur l’application de stéréotypes. Le paragraphe 15(2) vise à permettre aux gouvernements de combattre de manière proactive la discrimination au moyen de programmes destinés à aider des groupes défavorisés à améliorer leur situation. Grâce au par. 15(2), la Charte protège le droit des gouvernements de mettre en œuvre de tels programmes sans s’exposer à des contestations fondées sur le par. 15(1). Lorsqu’il fait face à une allégation fondée sur l’art. 15, le gouvernement peut établir que le programme contesté relève du par. 15(2) et est donc conforme à la Constitution. Si le gouvernement ne le fait pas, le programme doit alors être assujetti à un examen approfondi au regard du par. 15(1) afin de déterminer s’il a un effet discriminatoire. [16] [37] [40]

La distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue qu’établit un programme gouvernemental n’est pas discriminatoire au sens de l’art. 15 si, au regard du par. 15(2), ce programme (1) a un objet améliorateur ou réparateur et (2) vise un groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue. Compte tenu du libellé et de l’objet de la disposition, l’objectif législatif est la considération primordiale pour déterminer si un programme peut bénéficier de la protection du par. 15(2). Il n’est pas nécessaire que le programme vise uniquement un objet améliorateur. [41] [44] [48] [50] [57]

Le programme gouvernemental en cause dans la présente affaire est protégé par le par. 15(2) de la Charte. Le permis de pêche communautaire a été délivré conformément à une loi habilitante et à son règlement d’application, et il constitue une « lo[i], [un] programm[e] ou [une] activit[é] » au sens du par. 15(2). Le programme est aussi « destin[é] à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». La Couronne associe maints objectifs au programme, dont ceux consistant à parvenir à des solutions négociées relativement aux revendications de droits de pêche des peuples autochtones et à donner des possibilités de développement économique aux bandes autochtones afin de favoriser leur accession à l’autosuffisance. Les moyens choisis pour réaliser cet objectif (l’attribution aux collectivités autochtones de privilèges spéciaux en matière de pêche qui constituent un avantage) ont un lien rationnel avec la poursuite de cet objectif. La Couronne a donc prouvé que le programme avait un objet améliorateur crédible. Le programme vise également un groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue. Les bandes qui se sont vu accorder l’avantage en question étaient défavorisées sur les plans du revenu et de l’éducation, et à maints autres égards. Ce désavantage historique perdure de nos jours. Le fait que certains membres des bandes ne soient pas nécessairement personnellement défavorisés n’annule pas le désavantage dont sont collectivement victimes les membres de ces bandes. Il s’ensuit que le programme ne porte pas atteinte au droit à l’égalité garanti par l’art. 15 de la Charte. [30] [57‑59] [61]

En ce qui concerne l’art. 25 de la Charte, il n’est pas certain que le permis de pêche communautaire en cause tombe sous le coup de cet article. Le libellé de l’art. 25 et les exemples qu’on y trouve indiquent que seuls les droits de nature constitutionnelle sont susceptibles de bénéficier de la protection de l’art. 25. Même dans l’hypothèse où le permis de pêche relèverait effectivement de l’art. 25, la deuxième question est de savoir si la demande des appelants fondée sur l’art. 15 serait totalement irrecevable, contrairement à ce qui se produirait dans le cas d’une disposition servant à interpréter des droits garantis par la Charte qui sont susceptibles d’entrer en conflit. Il serait plus prudent que ces questions — qui soulèvent des considérations complexes extrêmement importantes pour que les droits des Autochtones puissent être conciliés de manière pacifique avec les intérêts de tous les Canadiens — soient tranchées au fur et à mesure qu’elles seront soulevées dans des cas particuliers. [63‑65]

Le juge Bastarache : L’article 25 de la Charte fait obstacle à la contestation constitutionnelle des appelants fondée sur l’art. 15. Bien que la réaffirmation du critère adopté dans les motifs principaux à l’égard de l’application de l’art. 15 de la Charte soit acceptée, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse complète au regard de l’art. 15 avant de se demander si l’art. 25 s’applique. Il suffit d’établir l’existence d’un conflit potentiel entre le programme pilote de vente et l’art. 15. [75] [77] [108]

L’article 25 n’est pas une simple norme d’interprétation. Il a pour objectif de protéger les droits des peuples autochtones lorsque l’application des protections établies dans la Charte à l’endroit des individus diminuerait l’identité distinctive, collective et culturelle d’un groupe autochtone. Cette interprétation s’accorde avec la formulation et l’historique de la disposition. L’article 25 qui sert de bouclier contre les incidences de la Charte sur les droits et les libertés des peuples autochtones est restreint par l’art. 28 de la Charte, qui établit l’égalité des sexes « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte ». Il est également limité à son objet, les droits et libertés garantis par la Charte étant juxtaposés aux droits et libertés des peuples autochtones. Cela signifie, pour l’essentiel, que seules les lois qui portent véritablement atteinte à des droits des peuples autochtones seront prises en considération, et non celles qui ont uniquement des effets accessoires sur les Autochtones. [80‑81] [89] [93] [97]

La mention à l’art. 25 des « droits ou libertés ancestraux et issus de traités » indique que la disposition est axée sur le caractère tout à fait particulier des personnes ou des collectivités mentionnées dans la Constitution; les droits protégés sont ceux qui leur sont propres en raison de leur statut spécial. Un texte législatif qui fait une distinction entre Autochtones et non‑Autochtones afin de protéger des intérêts liés à la culture, au territoire ou à la souveraineté autochtones, ou au processus des traités, mérite d’être soustrait à l’examen fondé sur la Charte. Les lois adoptées en vertu de la compétence établie au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 feraient normalement partie de cette catégorie, cette compétence concernant les peuples autochtones en tant que tels, mais pas les lois visées par l’art. 88 de la Loi sur les Indiens, puisqu’il s’agit par définition de lois d’application générale. Sont compris dans les droits et libertés « autres » à l’art. 25 les droits d’origine législative qui visent à protéger des intérêts liés à la culture, au territoire et à l’autonomie gouvernementale des Autochtones, ainsi que les accords de règlement qui remplacent des droits ancestraux ou issus de traités. Mais les droits privés dont jouissent les Autochtones sur le plan individuel, à titre privé, en tant que citoyens canadiens comme les autres, ne seraient pas protégés. L’article 25 traduit la nécessité impérative de trouver des accommodements aux intérêts des peuples autochtones, de les reconnaître et de les concilier. [103] [105‑106]

L’application de l’art. 25 comporte trois étapes. La première exige une évaluation de la revendication afin d’établir la nature du droit fondamental garanti par la Charte et de déterminer si le bien‑fondé de la revendication a été établi à première vue. La deuxième étape consiste à évaluer le droit autochtone afin de déterminer s’il relève de l’art. 25. La troisième étape consiste à déterminer s’il existe un conflit véritable entre le droit garanti par la Charte et le droit autochtone. [111]

En l’espèce, il existe une preuve prima facie de discrimination selon le par. 15(1). Le droit conféré par le programme pilote de vente est limité aux Autochtones et a un effet préjudiciable aux pêcheurs commerciaux non autochtones actifs dans la même région que les bénéficiaires du programme. Il est clair aussi que le désavantage est lié à des différences raciales. Le droit autochtone est visé par l’art. 25. Le rapport tout à fait particulier des communautés autochtones de la Colombie‑Britannique avec la pêche devrait suffire à établir un lien entre le droit de pêche donné aux Autochtones en vertu du programme pilote de vente et les droits envisagés à l’art. 25. Le droit de pêche a constamment fait l’objet de revendications fondées sur les droits ancestraux et les droits issus de traités, soit les termes énumérés dans les dispositions. En outre, la Couronne elle‑même a prétendu que ces droits constituaient une première étape vers la constitution d’un droit issu d’un traité et l’art. 25 reflète les notions de réconciliation et de négociation présentes dans le processus des traités. Enfin, le droit dont il est question en l’espèce dépend entièrement de l’exercice des pouvoirs conférés au Parlement par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui concerne les Indiens. On ne peut interpréter la Charte comme si elle rendait inconstitutionnel l’exercice de pouvoirs conformes aux objectifs du par. 91(24), et il n’est pas logique de croire que tout exercice de la compétence établie au par. 91(24) exige une justification en vertu de l’article premier de la Charte. L’article 25 est un compagnon indissociable du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982; il protège les objectifs du par. 35(1) et accroît la portée des mesures nécessaires pour que soit remplie la promesse de réconciliation. Il existe également un conflit véritable en l’espèce puisque l’application du droit à l’égalité reconnu à tous en vertu de l’art. 15 n’est pas compatible avec les droits des pêcheurs autochtones titulaires de permis dans le cadre du programme pilote de vente. Par conséquent, l’art. 25 de la Charte s’applique en l’espèce et constitue une réponse complète à la revendication. [116] [119‑123]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Kapp

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin et la juge Abella
Arrêts examinés : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143
Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497
arrêts mentionnés : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507
Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Athabasca Tribal Council c. Compagnie de pétrole Amoco Canada Ltée, [1981] 1 R.C.S. 699
Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, 2000 CSC 37
Manitoba Rice Farmers Association c. Human Rights Commission (Man.) (1987), 50 Man. R. (2d) 92, inf. en partie par (1988), 55 Man. R. (2d) 263
R. c. Music Explosion Ltd. (1989), 62 Man. R. (2d) 189, inf. par (1990), 68 Man. R. (2d) 203
Re Rebic and The Queen (1985), 20 C.C.C. (3d) 196, conf. par (1986), 28 C.C.C. (3d) 154
Re M and The Queen (1985), 21 C.C.C. (3d) 116
Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418
Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.
Citée par le juge Bastarache
Arrêts mentionnés : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497
R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56
Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148
R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6
Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609
R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282
Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349
Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342
R. c. Steinhauer, [1985] 3 C.N.L.R. 187
Campbell c. British Columbia (Attorney General), [2000] 4 C.N.L.R. 1
Conseil de la bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (2000), 37 C.H.R.R. D/466
R. c. Nicholas, [1989] 2 C.N.L.R. 131
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, 2001 CSC 33
Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203
Nation Haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73
Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 R.C.S. 550, 2004 CSC 74
Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010
Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 577.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2, 3, 15, 16(3), 21, 25, 27, 28, 29, 32(1)a).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. 1985, app. III, art. 2.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(24), 93.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35.
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Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: R. c. Kapp, 2008 CSC 41 (27 juin 2008)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-06-27;2008.csc.41 ?
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