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15/11/2019 | CANADA | N°2019CSC55

Canada | Canada, Cour suprême, 15 novembre 2019, R. c. K.J.M., 2019 CSC 55


COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : R. c. K.J.M., 2019 CSC 55,
[2019] 4 R.C.S. 39

Appel entendu : 19 février 2019
Jugement rendu : 15 novembre 2019
Dossier : 38292


 
Entre :
 
K.J.M.
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario,
directeur des poursuites criminelles et pénales,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Legal Aid Society of Alberta et
Justice for Children and Youth
Intervenants
 
 
Traduction française officielle 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 120)
 

Le juge Moldave...

COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : R. c. K.J.M., 2019 CSC 55,
[2019] 4 R.C.S. 39

Appel entendu : 19 février 2019
Jugement rendu : 15 novembre 2019
Dossier : 38292

 
Entre :
 
K.J.M.
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario,
directeur des poursuites criminelles et pénales,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Legal Aid Society of Alberta et
Justice for Children and Youth
Intervenants
 
 
Traduction française officielle 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 120)
 

Le juge Moldaver (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Gascon, Côté et Rowe)

Motifs conjoints dissidents :
(par. 121 à 202)
 
Motifs dissidents :
(par. 203 à 235)

Les juges Abella et Brown (avec l’accord de la juge Martin)
 
La juge Karakatsanis

 
r. c. k.j.m.
K.J.M.                                                                                                               Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée
et
Procureur général de l’Ontario,
directeur des poursuites criminelles et pénales,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Legal Aid Society of Alberta et
Justice for Children and Youth                                                               Intervenants
Répertorié : R. c. K.J.M.
2019 CSC 55
No du greffe : 38292.
2019 : 19 février; 2019 : 15 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Procès dans un délai raisonnable — Adolescents — Délai de presque 19 mois entre le dépôt des accusations et la fin du procès de l’accusé adolescent — Les plafonds présumés fixés dans Jordan s’appliquent‑ils aux instances dont sont saisis les tribunaux pour adolescents? — Le droit de l’accusé adolescent d’être jugé dans un délai raisonnable protégé par l’al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés a‑t‑il été violé?
                    M, un « adolescent » au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA »), a été accusé de diverses infractions à la suite d’une bataille au cours de laquelle il a poignardé un autre adolescent. Presque 19 mois après le dépôt des accusations, il a été déclaré coupable de voies de fait graves et de possession d’une arme dans un dessein dangereux. Peu de temps avant ses déclarations de culpabilité, il a demandé sans succès un arrêt des procédures, au motif que le délai portait atteinte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable que lui garantit l’al. 11b) de la Charte. La juge du procès a conclu que le délai total dépassait le plafond de 18 mois établi dans l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, et qu’il était donc présumé déraisonnable. Elle a toutefois rejeté la demande fondée sur l’al. 11b) de la Charte et refusé d’ordonner l’arrêt des procédures, considérant qu’il ne s’agissait pas d’un des cas les plus manifestes pour lesquels l’arrêt des procédures devrait être accordé. La Cour d’appel a rejeté l’appel, mais une juge était dissidente. Les trois juges ont rédigé des motifs distincts, chacun adoptant une approche différente quant à la question de savoir si les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent aux affaires mettant en cause des adolescents.
                    Arrêt (les juges Abella, Karakatsanis, Brown et Martin sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Gascon, Côté et Rowe : Bien que l’arrêt Jordan n’ait pas explicitement répondu à la question de savoir si les plafonds présumés de 18 et de 30 mois s’appliquent aux instances dont sont saisis les tribunaux pour adolescents, le cadre d’analyse existant établi par l’arrêt Jordan permet de répondre à la nécessité accrue d’agir rapidement dans les affaires mettant en cause des adolescents. Cette nécessité est bien établie dans la jurisprudence et codifiée par la LSJPA. Elle peut et devrait être prise en compte lors de l’application du test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond, test qui exige que la défense établisse (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. La jeunesse d’un accusé devrait être prise en compte lors de l’évaluation du deuxième volet du test. Toutefois, tant qu’il n’aura pas été démontré que l’arrêt Jordan ne sert pas adéquatement les jeunes du Canada et l’intérêt plus large de sa société à ce que les affaires mettant en cause des adolescents soient traitées diligemment, il n’est pas nécessaire d’envisager, et encore moins de mettre en place, un plafond constitutionnel moins élevé pour ce type d’affaires.
                    Le système de justice pénale pour les adolescents est distinct de celui pour les adultes. Bien que tout inculpé ait le droit d’être jugé dans un délai raisonnable aux termes de l’al. 11b) de la Charte, ce droit revêt une importance particulière pour les adolescents, et ce, pour au moins cinq raisons. Premièrement, comme les adolescents ont une perception différente du temps et une mémoire moins bien développée que les adultes, leur capacité d’évaluer le lien entre les actes et leurs conséquences est amoindrie. Tandis que les délais prolongés peuvent nuire à ce lien et diluer l’efficacité des mesures prises, une intervention rapide le renforce. Deuxièmement, un délai peut avoir une plus grande incidence psychologique sur les adolescents. Troisièmement, la rapidité accrue avec laquelle les souvenirs des adolescents s’estompent peut faire en sorte qu’il soit plus difficile pour eux de se souvenir de situations passées, ce qui peut ensuite nuire à leur capacité de présenter une défense pleine et entière, un droit qui est protégé par l’art. 7 de la Charte. Quatrièmement, l’adolescence est une période de développement cérébral, cognitif et psychologique rapide. Lorsqu’un long délai sépare la commission de l’infraction de la peine correspondante, l’adolescent peut avoir un sentiment d’injustice, car, entre-temps, sa vision des choses et ses comportements peuvent avoir considérablement changé. Cinquièmement, la société a un intérêt à voir les adolescents réadaptés et réinsérés dans la société le plus rapidement possible. Pour tous ces motifs, les affaires mettant en cause des adolescents devraient être traitées rapidement.
                    En dépit de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de fixer un plafond présumé plus bas pour les dossiers mettant en cause des adolescents. Il n’a pas été démontré qu’il y a un problème concernant les délais dans le système de justice pénale pour les adolescents, et encore moins un problème qui justifie l’imposition d’une nouvelle norme constitutionnelle. Il n’existe aucune preuve démontrant que ceux parmi ces derniers qui demandent de façon proactive un procès accéléré se voient refuser une telle demande dans la foulée de l’arrêt Jordan, ni que les acteurs du système de justice pénale pour les adolescents ne prennent pas cet arrêt à cœur. En outre, l’arrêt Jordan a établi un ensemble uniforme de plafonds qui s’appliquent, peu importe les divers degrés de préjudice subi par différents groupes et individus. Fixer de nouveaux plafonds en s’appuyant sur l’idée que certains groupes — comme les adolescents — subissent un préjudice accru en raison des délais saperait cette uniformité et pourrait entraîner une multiplication des plafonds, chacun variant selon le degré unique de préjudice subi par une catégorie ou sous‑catégorie particulière de personnes. Cela deviendrait rapidement impraticable. Le simple fait que le législateur ait décidé de créer et de maintenir un système distinct de justice pénale pour les adolescents n’est pas en soi une raison valable d’établir un plafond distinct pour les affaires les mettant en cause.
                    La décision de ne pas modifier les plafonds établis dans l’arrêt Jordan pour qu’ils s’appliquent différemment aux procès instruits devant les tribunaux pour adolescents ne veut toutefois pas dire que la jeunesse de l’accusé ne joue aucun rôle dans le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan. La nécessité accrue d’agir rapidement dans les affaires mettant en cause des adolescents peut et devrait être prise en considération au moment de déterminer si un délai inférieur au plafond présumé est déraisonnable. À l’instar des autres facteurs énoncés dans Jordan, la nécessité accrue d’agir rapidement dans les dossiers mettant en cause des adolescents est tout simplement un facteur propre à l’espèce dont il faut tenir compte au moment de décider si une instance a été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être (ou s’il est prévu qu’elle le soit). Cette approche reconnaît que même si le plafond présumé demeure le même que l’accusé soit un adolescent ou un adulte, la tolérance envers les délais diffère. Tandis que le plafond présumé fournit un filet de sécurité solide qui offre certitude, prévisibilité et simplicité, le test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond offre la souplesse nécessaire pour veiller à ce que les caractéristiques propres au cas en cause — comme l’âge de l’accusé — soient prises en compte dans l’analyse. Il n’en demeure pas moins que l’arrêt Jordan ne remplira sa promesse — pour les adolescents comme pour les adultes — que si tous les participants au système de justice pénale travaillent ensemble et adoptent une approche proactive dès le début de l’instance. Les procureurs sont fortement incités à agir de manière proactive, parce qu’une attitude contraire sera un facteur lorsqu’il s’agira de décider si une cause a été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être. De même, la défense a l’obligation d’agir de manière proactive ainsi qu’un intérêt à le faire. Si elle espère satisfaire au critère des « mesures utiles » établi dans l’arrêt Jordan, la défense doit agir de manière proactive durant toute l’instance et démontrer que l’accusé est résolu à faire instruire son procès aussi rapidement que possible. L’acquiescement résigné ne suffit pas.
                    Il y a toutes les raisons de s’attendre à ce que les adolescents bénéficient d’une meilleure protection contre les délais prolongés qu’avant l’arrêt Jordan. Bien que le test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond impose à la défense le fardeau de prouver que le délai a été déraisonnable, cela ne désavantage pas les adolescents par rapport aux adultes et ne les place pas dans une position plus désavantageuse que celle qu’ils occupaient avant l’arrêt Jordan. Ce dernier permet à tous les inculpés, y compris les adolescents, de bénéficier d’une forte présomption selon laquelle le délai est déraisonnable lorsqu’il dépasse le plafond présumé. Puisque tant les adolescents que les adultes bénéficient de cette forte présomption, ils doivent les uns comme les autres porter le fardeau de justifier un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond. Bien que la Cour ait déclaré dans l’arrêt Jordan que les arrêts de procédures prononcés dans les cas où le délai est inférieur au plafond seront rares et limités aux cas manifestes, cette déclaration doit être lue à la lumière du fait que le cadre d’analyse établi dans cet arrêt s’applique à toutes les instances criminelles et pas seulement aux affaires mettant en cause des adolescents. Même si les arrêts de procédures prononcés dans les cas où le délai est inférieur au plafond peuvent être rares si on les compare à l’ensemble des demandes d’arrêts des procédures lorsqu’un délai est inférieur au plafond, ils peuvent être moins rares si on les compare au plus petit ensemble de demandes d’arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond dans les affaires mettant en cause des adolescents. Lorsque l’on prend à cœur l’arrêt Jordan et que l’on applique correctement aux instances mettant en cause des adolescents le test applicable au délai inférieur au plafond, le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan offre aux adolescents une protection solide contre les délais déraisonnables.
                    Tout délai découlant de tentatives infructueuses d’appliquer des sanctions extrajudiciaires devrait être traité au cas par cas. Toutefois, s’il est possible en théorie que ces délais soient, dans de rares cas, inclus dans le calcul effectué selon l’arrêt Jordan, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient déduits à titre de délai imputable à la défense. Le fait de déduire ce délai du calcul effectué selon l’arrêt Jordan réduit le risque que les autorités s’abstiennent d’avoir recours en premier lieu aux sanctions extrajudiciaires de crainte d’augmenter la probabilité qu’un arrêt des procédures soit prononcé advenant l’échec de ces mesures. L’élimination des facteurs de dissuasion à l’égard des sanctions extrajudiciaires est un objectif de principe important étant donné le rôle central que joue ce type de mesures dans le système de justice pénale pour les adolescents. De plus, cette approche est logique du point de vue conceptuel. Lorsqu’on tente d’appliquer des sanctions extrajudiciaires dans une affaire, celle‑ci est essentiellement retirée du système judiciaire et suit une autre voie. Il est donc logique d’arrêter le compteur et de le remettre en marche uniquement au moment où l’affaire reprend son cours dans le système judiciaire, le cas échéant.
                    Le délai en l’espèce a été inférieur au plafond présumé de 18 mois. Le délai total a été de 18 mois et 28 jours. Selon l’arrêt Jordan, tout délai imputable à la défense doit être déduit du délai total. Par exemple, la défense cause directement le délai si le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder, mais pas elle. En l’espèce, à une occasion, le tribunal et le ministère public étaient prêts à l’heure prévue, mais M ne s’est pas présenté à temps. Il a donc fallu fixer une nouvelle date d’audition et la plus rapprochée était cinq mois plus tard. Même s’il est difficile de déterminer la portée exacte du délai qui lui est attribuable, il est juste et raisonnable d’imputer à la défense deux ou trois mois du délai. En outre, le délai causé par des événements exceptionnels distincts qui sont raisonnablement imprévisibles ou inévitables est aussi déduit, dans la mesure où il ne pouvait raisonnablement être atténué, ni par le ministère public, ni par le système judiciaire. Un tel événement s’est produit lorsqu’une erreur administrative liée au processus de demande de transcription a entraîné un délai d’environ un mois. Le délai net a donc été de 15 à 16 mois, ce qui est inférieur au plafond applicable.
                    Même si la présente affaire est un cas limite, elle ne satisfait pas au test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond. Dans une affaire transitoire comme celle‑ci, les deux critères — soit que la défense a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu, et que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être — doivent être appliqués en fonction du contexte et avec sensibilité quant au fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant. En ce qui a trait au premier critère, bien que la défense se soit comportée de manière responsable tout au long de l’instance, elle n’a pas agi de manière proactive comme elle devait le faire. Son approche en était plutôt une d’acquiescement résigné. Par contre, puisque près de 80 pour cent de l’instance a eu lieu avant que l’arrêt Jordan soit rendu, il y a lieu de donner le bénéfice du doute à la défense et il a été satisfait au premier critère. En ce qui a trait au deuxième critère, même si certains facteurs donnent à penser que l’affaire aurait raisonnablement dû être réglée plus rapidement, il s’agit de savoir si elle a été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être. En l’espèce, le procès s’est déroulé en très grande partie à une époque où la tolérance à l’égard du délai institutionnel — le délai le plus important dans la présente affaire — était élevée au pays. Le dossier établit toutefois clairement que la surcharge du rôle et les retards systémiques étaient endémiques dans le ressort en cause. De plus, la gravité des infractions et l’absence de préjudice démontré sont pertinentes en ce qu’elles expliquent pourquoi le ministère public avait de bonnes raisons de croire que le délai ne serait pas jugé déraisonnable dans la présente affaire. Le délai systémique persistant dont il a été question précédemment a aussi entravé la capacité du ministère public de traiter la présente affaire rapidement. Le délai en l’espèce était excessif. Il n’en demeure pas moins qu’une approche qui tient compte du contexte mène à la conclusion que l’instance n’a pas été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être. Il n’y a donc pas lieu de prononcer un arrêt des procédures.
                    Les juges Abella, Brown et Martin (dissidents) : L’alinéa 11b) de la Charte exige l’établissement d’un plafond présumé distinct et inférieur pour les poursuites intentées sous le régime de la LSJPA, de manière à tenir compte du caractère distinct des inculpés adolescents et du préjudice additionnel reconnu qu’ils subissent en raison des délais qui s’écoulent dans le système de justice pour les adolescents. Fixer un tel plafond donne effet à l’intention qu’avait le législateur en adoptant un système de justice pénale distinct pour les adolescents, de respecter les engagements internationaux du Canada, de tenir compte de la nécessité, reconnue dans la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan, d’assurer la célérité des procédures mettant en cause des adolescents, et de tenir compte des facteurs qui ont mené à l’établissement des plafonds présumés à l’égard des adultes dans l’arrêt Jordan. Tout comme la Cour a établi dans l’arrêt Jordan les plafonds qui conviennent aux poursuites intentées contre les adultes, une analyse distincte s’impose pour les instances qui se déroulent dans le système de justice pour les adolescents. Cette analyse mène à l’établissement d’un plafond présumé de 15 mois pour les poursuites intentées contre les adolescents devant une cour provinciale.
                    Il y a plus d’un siècle, lorsque le législateur a créé un système de justice pénale distinct pour les adolescents, il poursuivait deux objectifs fondamentaux : offrir aux adolescents des protections procédurales supplémentaires tout au long du processus pénal, compte tenu de leur jeune âge, et créer des procédures moins formelles et plus rapides. De telles protections procédurales supplémentaires qui reconnaissent la nécessité que les poursuites mettant en cause des adolescents se déroulent plus rapidement que celles mettant en cause des adultes sont codifiées aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et 3(1)b)(v) de la LSJPA, qui ont cristallisé les règles antérieures de la common law. Depuis l’adoption de la LSJPA, les tribunaux ont systématiquement répété que les poursuites pénales intentées contre les adolescents devaient être résolues plus vite que celles visant les adultes et qu’un délai qui est raisonnable dans le cas de ceux‑ci ne le sera peut‑être pas lorsqu’il s’agit d’adolescents. En raison de la plus grande vulnérabilité des adolescents ayant des démêlés avec la justice et de leur culpabilité morale moindre, des protections procédurales supplémentaires — et solides — ont été intégrées dans ce système distinct.
                    La Cour n’a pas tenu compte du rôle du préjudice dans le cas des adolescents en établissant les plafonds dans l’arrêt Jordan, parce que cet arrêt n’a pas fixé des plafonds pour les affaires portées devant le tribunal pour adolescents. Le préjudice unique dont souffrent les adolescents en raison du délai n’a donc pas été pris en compte dans l’arrêt Jordan. La seule conclusion compatible avec le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Jordan est de reconnaître que, eu égard au système judiciaire distinct que le législateur a créé et au préjudice accru qui a été reconnu dans le cas des adolescents, un plafond présumé plus bas devrait être fixé pour les procédures dont ceux‑ci font l’objet. Le fait d’abaisser le plafond présumé dans le cas des adolescents ne leur confère pas de plus grandes protections au regard de la Charte. Il a plutôt pour effet de reconnaître les conséquences plus importantes des délais chez les adolescents et de fixer un plafond qui vise à leur conférer les mêmes protections que celles dont bénéficient les adultes. Lorsqu’il s’agit du préjudice découlant de retard dans le déroulement des procédures criminelles, l’octroi aux adolescents d’une protection égale à celle qu’obtiennent les adultes nécessite de leur accorder un traitement différent. Cette conclusion ne s’éloigne pas de l’arrêt Jordan, elle en applique plutôt précisément les principes au système de justice pénale pour les adolescents. Refuser de créer un plafond distinct ferait en sorte que les principes sous‑jacents à l’arrêt Jordan offrent aux adolescents une protection inférieure à celle dont ils bénéficiaient avant le prononcé de cet arrêt.
                    Se fonder sur l’absence de toute mention du système de justice pénale pour les adolescents dans l’arrêt Jordan pour en déduire qu’il s’y applique, ne tient pas compte de la distinction qui a toujours été faite entre le système de justice pénale pour les adultes et celui pour les adolescents, au détriment de ces derniers. On ne peut procéder par déduction pour conclure que le cadre d’analyse servant à trancher les litiges portant sur des droits constitutionnels dans le contexte du système de justice pénale pour les adultes s’applique aussi au système distinct de justice pénale pour les adolescents, surtout lorsque cela se traduit par une diminution de la protection dont ces derniers bénéficient et qui leur est garantie par la Constitution. En outre, l’intégration du cadre d’analyse applicable aux adultes établi dans l’arrêt Jordan aux poursuites intentées contre les adolescents modifie l’arrêt Jordan lui‑même et dilue la clarté qu’il avait créée. Depuis le prononcé de cet arrêt, le préjudice n’est plus un facteur indépendant, mais représente plutôt un des facteurs à prendre en compte pour fixer les plafonds, et un arrêt des procédures sera prononcé lorsque le délai est inférieur au plafond uniquement dans des cas rares et manifestes. Si l’on modifie l’arrêt Jordan en rendant en théorie plus facile l’obtention d’un arrêt des procédures lorsque cette mesure est nécessaire pour tenir compte du préjudice subi par l’adolescent en cause, la clarté de la directive de l’arrêt Jordan selon laquelle un arrêt des procédures ne sera prononcé lorsque le délai est inférieur au plafond que dans des cas rares et manifestes se voit compromise et la prévisibilité de la présomption du caractère raisonnable du délai inférieur au plafond, ébranlée. Il n’est pas possible d’imaginer pire scénario : des plafonds rigides qui offrent aux adolescents une protection inférieure à celle dont ils bénéficiaient jusqu’ici et à laquelle ils avaient droit, ainsi qu’un manque de clarté et de prévisibilité quant aux situations dans lesquelles un arrêt des procédures sera prononcé lorsque le délai est inférieur au plafond, le cas échéant. Le test applicable aux délais « inférieurs au plafond » énoncé dans Jordan ne permet pas de tenir compte de la tolérance différente des adolescents envers les délais. Exiger d’un adolescent qu’il prouve l’existence de circonstances particulières pour démontrer qu’un délai inférieur au plafond est déraisonnable leur impose un fardeau disproportionné.
                    Dans la présente affaire, un délai total de 18 mois et 28 jours s’est écoulé entre le dépôt des accusations contre M et la conclusion de son procès, soit plus que le délai présumé de 15 mois. Il ne convient pas d’imputer à la défense un délai de deux à trois mois pour la simple raison que M est arrivé avec deux heures et demie de retard à l’une de ses nombreuses comparutions devant le tribunal. L’erreur commise quant à la transcription a été causée par une erreur administrative que le système judiciaire aurait raisonnablement pu atténuer. Dans le cas de M, aucune portion du délai ne devrait être imputée à la défense ou à un événement exceptionnel distinct. En outre, le délai dans le cas de M n’est pas justifié au regard de la mesure transitoire exceptionnelle et le ministère public n’a pas établi que le délai était raisonnable en l’espèce. En conséquence, le droit constitutionnel de M d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé et il y aurait lieu de prononcer l’arrêt des procédures.
                    La juge Karakatsanis (dissidente) : Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que, dans le contexte de la LSJPA, il n’est ni justifié ni nécessaire d’établir un plafond distinct pour tenir compte des caractéristiques propres aux inculpés adolescents et au système de justice pénale créé pour eux. Les plafonds présumés établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent plutôt dans le contexte du système de justice pénale pour les adolescents et la protection des droits des inculpés adolescents garantis par l’al. 11b) de la Charte est assurée par l’adoption d’une approche plus rigoureuse lors de l’analyse du caractère raisonnable des délais inférieurs au plafond présumé. Cependant, puisqu’aucune portion du délai total en l’espèce n’est imputable à la défense ou à des événements exceptionnels distincts, le délai subi par M dépasse le plafond présumé de 18 mois. Le délai ne peut se justifier par l’application de la mesure transitoire exceptionnelle puisque le ministère public n’a pas démontré, vu l’ensemble de la preuve, que le délai qui s’est écoulé en l’espèce était raisonnable du fait que les parties se seraient conformées au droit tel qu’il existait au préalable. Il y a lieu de prononcer l’arrêt des procédures.
                    Aucun élément de preuve ne permet de conclure que le système de justice pénale pour les adolescents souffre d’un problème de délais endémiques qui justifierait le recours à la mesure judiciaire exceptionnelle que constituerait la création d’un nouveau plafond présumé. Le refus d’établir un plafond inférieur ne place pas les inculpés adolescents dans une situation désavantageuse par rapport aux accusés adultes et ne les prive pas des avantages que l’arrêt Jordan a conférés en établissant des plafonds présumés en ce qui a trait aux délais. Les inculpés adolescents bénéficient du plafond présumé de 18 mois établi dans l’arrêt Jordan dans les affaires faisant l’objet d’un procès devant les cours provinciales et il est raisonnable de présumer que l’ensemble du système de justice pénale, y compris celui pour les adolescents, bénéficiera ultimement des mesures favorables qui seront prises en réponse aux plafonds présumés établis dans l’arrêt Jordan. De plus, il n’est pas nécessaire d’établir un plafond présumé inférieur pour tenir compte du préjudice particulier que subissent les adolescents du fait d’un délai, puisque recourir au test applicable aux délais inférieurs au plafond établi dans l’arrêt Jordan constitue la meilleure façon de tenir compte du préjudice plus important que subissent les adolescents ainsi que des facteurs particuliers qui s’appliquent à eux et qui sont codifiés par la LSJPA.
                    Adapter l’arrêt Jordan au contexte du système de justice pénale pour les adolescents au moyen du test applicable aux délais inférieurs au plafond, donne effet aux droits garantis aux inculpés adolescents par l’al. 11b), et ce, de deux façons. Tout d’abord, cela leur permet de bénéficier des plafonds présumés. Ensuite, le test applicable aux délais inférieurs au plafond est suffisamment souple pour tenir compte des facteurs généraux quant aux effets particuliers des délais sur les inculpés adolescents et à la nécessité accrue d’agir rapidement dans le système de justice pénale pour les adolescents. La nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents et, notamment, l’effet préjudiciable particulier des délais sur ceux‑ci ne sont pas de simples facteurs propres à l’affaire — au même titre que les traits personnels ou la situation de l’inculpé adolescent — dont on se sert pour déterminer si le délai dans un cas donné est nettement plus long que ce qu’il aurait dû raisonnablement être. Ces facteurs jouent de fait un rôle plus important : ils doivent imprégner et guider toute l’analyse pour donner effet à la mission législative exprimée par la LSJPA. Ainsi, les deux volets du test applicable aux délais inférieurs au plafond doivent tenir compte de la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires régies par le système de justice pénale pour les adolescents et être modulés de manière à ce qu’on puisse l’y intégrer.
                    Dans l’arrêt Jordan, la Cour songeait au système de justice pénale dans son ensemble lorsqu’elle a expliqué qu’elle s’attendait à ce que les arrêts de procédures prononcés dans des cas où le délai est inférieur au plafond soient rares, et limités aux cas manifestes. Compte tenu de la nécessité accrue reconnue par la loi de traiter rapidement les causes régies par le système de justice pénale pour les adolescents, il s’ensuit nécessairement que le délai dans une instance contre un inculpé adolescent deviendra nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être plus tôt, et possiblement beaucoup plus tôt, que dans une instance concernant un adulte. Par conséquent, les arrêts de procédures dans les cas où le délai est inférieur au plafond ne seront ni rares ni limités aux cas manifestes dans le contexte des poursuites contre les adolescents.
                    Il est particulièrement important d’examiner le comportement de la défense de façon large et généreuse lorsqu’il s’agit d’inculpés adolescents. Même s’il faut plus qu’un acquiescement résigné, la défense n’a pas à agir de manière proactive durant toute l’instance et à démontrer que l’accusé est résolu à faire instruire son procès aussi rapidement que possible. Cela exige trop de la défense et risque par conséquent de compromettre l’obligation générale que l’al. 11b) impose à l’État de juger tous les accusés sans délai indu. L’arrêt Jordan n’exige pas de la défense qu’elle agisse de manière proactive ou qu’elle prenne des mesures pour faire instruire l’affaire le plus rapidement possible. La défense est plutôt tenue d’agir de manière raisonnable et expéditive tout au long de la procédure et de prendre des mesures utiles et soutenues pour accélérer la procédure. En outre, l’initiative dont la défense doit faire preuve selon le premier volet du test est nécessairement moins exigeante dans le contexte de la justice pour adolescents que dans celui de la justice pour adultes.
                    Rien dans la jurisprudence antérieure ou postérieure à l’arrêt Jordan ne permet de penser que les délais découlant des tentatives infructueuses visant à appliquer des sanctions extrajudiciaires devraient être imputés à la défense. Il ne conviendrait pas de mettre ces délais sur le compte de l’accusé. Cela se traduirait en pratique par le prolongement du plafond présumé pour les inculpés adolescents au‑delà du plafond présumé de 18 mois fixé par l’arrêt Jordan. Cela réduirait aussi l’importance à accorder au traitement rapide des affaires dans l’application du test relatif aux délais inférieurs au plafond pour les causes régies par le système de justice pénale pour les adolescents.
Jurisprudence
Citée par le juge Moldaver
                    Arrêt appliqué : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; arrêts mentionnés : R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. M. (J.), 2017 ONCJ 4, 344 C.C.C. (3d) 217; R. c. M. (G.C.) (1991), 1991 CanLII 7057 (ON CA), 3 O.R. (3d) 223; R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012; R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3; R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426; Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), 1994 CanLII 83 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 165; Dersch c. Canada (Procureur général), 1990 CanLII 3820 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1505; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651; R. c. Alicandro, 2009 ONCA 133, 95 O.R. (3d) 173; R. c. H.R., 2006 BCCA 211, 225 B.C.A.C. 127; R. c. R.R., 2011 NSCA 86, 307 N.S.R. (2d) 319; R. c. P.R., 2018 SKCA 27, 365 C.C.C. (3d) 120; R. c. R. (T.) (2005), 2005 CanLII 18709 (ON CA), 75 O.R. (3d) 645; R. c. D. (S.), 1992 CanLII 58 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 161; R. c. L.B., 2014 ONCA 748, 325 O.A.C. 371; R. c. M. (K.), 2017 ONCJ 8, 373 C.R.R. (2d) 234; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659; R. c. Ashraf, 2016 ONCJ 584, 367 C.R.R. (2d) 30; R. c. Zilney, 2017 ONCJ 610, 390 C.R.R. (2d) 209; R. c. Lavoie, 2017 ABQB 66; R. c. Mamouni, 2017 ABCA 347, 58 Alta. L.R. (6th) 283; R. c. King, 2018 NLCA 66, 369 C.C.C. (3d) 1; R. c. K.G.K., 2019 MBCA 9, 373 C.C.C. (3d) 1; R. c. Vader, 2019 ABCA 191; R. c. Vassell, 2016 CSC 26, [2016] 1 R.C.S. 625.
Citée par les juges Abella et Brown (dissidents)
                    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659; R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99; R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739; R. c. M. (G.C.) (1991), 1991 CanLII 7057 (ON CA), 3 O.R. (3d) 223; R. c. D. (S.), 1992 CanLII 58 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 161; R. c. J. (M.A.), 1992 CanLII 60 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 166; R. c. R. (T.) (2005), 2005 CanLII 18709 (ON CA), 75 O.R. (3d) 645; R. c. H.R., 2006 BCCA 211, 225 B.C.A.C. 127; R. c. R.R., 2011 NSCA 86, 307 N.S.R. (2d) 319; R. c. L.B., 2014 ONCA 748, 325 O.A.C. 371; R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. J.O.B., 2005 ABCA 296; R. c. M.A.B., 2011 ABPC 87; R. c. S.M., 2003 SKPC 39, 230 Sask. R. 25; R. c. J. (S.), 2009 ONCJ 217, 192 C.R.R. (2d) 266; R. c. H. (M.), 2008 ONCJ 643; R. c. F. (T.), 2005 ONCJ 413; R. c. L.S., 2005 ONCJ 113, 130 C.R.R. (2d) 81; R. c. C. (Q.Q.), 2005 BCPC 89, 129 C.R.R. (2d) 189; R. c. M. (J.), 2017 ONCJ 4, 344 C.C.C. (3d) 217; R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3.
Citée par la juge Karakatsanis (dissidente)
                    R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. D. (S.), 1992 CanLII 58 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 161; R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. M. (G.C.) (1991), 1991 CanLII 7057 (ON CA), 3 O.R. (3d) 223; R. c. L.B., 2014 ONCA 748, 325 O.A.C. 371.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11b).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 88(1), (2)a), 268, 691(1)a).
Loi des jeunes délinquants, 1908, S.C. 1908, c. 40.
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, préambule, art. 2(1), 3, 4 à 12, 13, 25, 26, 27, 29, 30, 31, 32, 33, 37(10), 38 à 82, 146.
Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y-1.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, art. 38(3).
Provincial Court Act, R.S.A. 2000, c. P‑31, art. 11, 12.
Provincial Court Act, R.S.B.C. 1996, c. 379, art. 2(5).
Traités et autres instruments internationaux
Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3, préambule, art. 40(1), (2)b).
Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, A.G. Rés. 40/33, 29 novembre 1985, règle 20.1.
Doctrine et autres documents cités
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Bala, Nicholas, and Sanjeev Anand. Youth Criminal Justice Law, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2012.
Butts, Jeffrey A., Gretchen Ruth Cusick and Benjamin Adams. Delays in Youth Justice, Chicago, University of Chicago, 2009.
Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Justice différée, justice refusée : L’urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada (rapport final) (juin 2017) (en ligne : https://sencanada.ca/content/sen/committee/421/LCJC/Reports/CourtDelaysStudyInterimReport_f.pdf; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2019SCC-CSC55_1_fra.pdf).
Davis‑Barron, Sherri. Canadian Youth & the Criminal Law : One Hundred Years of Youth Justice Legislation in Canada, Markham (Ont.), LexisNexis, 2009.
Grisso, Thomas. « Adolescents’ Decision Making : A Developmental Perspective on Constitutional Provisions in Delinquency Cases » (2006), 32 New Eng. J. Crim. & Civ. Confinement 3.
Harris, Peter, et autres. « Working “In the Trenches” with the YCJA » (2004), 46 RCCJP 367.
Jones, Brock, Emma Rhodes and Mary Birdsell. Prosecuting and Defending Youth Criminal Justice Cases : A Practitioner’s Handbook, in Brian H. Greenspan and Vincenzo Rondinelli, eds., Criminal Law Series, Toronto, Emond, 2016.
Levick, Marsha, et autres. « The Eighth Amendment Evolves : Defining Cruel and Unusual Punishment Through the Lens of Childhood and Adolescence » (2012), 15 U. Pa. J.L. & Soc. Change 285.
Steinberg, Laurence. « Adolescent Development and Juvenile Justice » (2009), 5 Annu. Rev. Clin. Psychol. 459.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges O’Ferrall, Veldhuis et Wakeling), 2018 ABCA 278, 74 Alta. L.R. (6th) 217, [2018] 10 W.W.R. 415, 364 C.C.C. (3d) 313, 417 C.R.R. (2d) 243, [2018] A.J. No. 1021 (QL), 2018 CarswellAlta 1767 (WL Can.), qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé pour voies de fait graves et pour possession d’une arme dans un dessein dangereux. Pourvoi rejeté, les juges Abella, Karakatsanis, Brown et Martin sont dissidents.
                    Graham Johnson et Tania Shapka, pour l’appelant.
                    Robert A. Fata, pour l’intimée.
                    Eric Siebenmorgen et Joanne Stuart, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Justin Tremblay et Marie Vauclair, pour l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales.
                    Howard L. Krongold et Meaghan McMahon, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
                    Dane Bullerwell et Susan Haas, pour l’intervenante Legal Aid Society of Alberta.
                    Jane Stewart, Samira Ahmed et Mary Birdsell, pour l’intervenante Justice for Children and Youth.
                    Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Gascon, Côté et Rowe rendu par
                    Le juge Moldaver —
I.               Aperçu
[1]                             Le 12 avril 2015, l’appelant, un « adolescent » au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), a été accusé de diverses infractions à la suite d’une bataille au cours de laquelle il a poignardé un autre adolescent au visage et à l’arrière de la tête avec un couteau à lame rétractable. Il a clamé son innocence et a prétendu avoir agi en légitime défense. Le 9 novembre 2016, presque 19 mois après le dépôt des accusations, il a été déclaré coupable de voies de fait graves, infraction décrite à l’art. 268 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, et de possession d’une arme dans un dessein dangereux, infraction décrite au par. 88(1) du Code criminel. Cette déclaration de culpabilité a été prononcée peu après qu’il ait demandé sans succès un arrêt des procédures au motif que le délai portait atteinte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable que lui garantit l’al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
[2]                             Dans l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, qui a été rendu presque 15 mois après que l’appelant a été accusé, la Cour a introduit un nouveau cadre d’analyse applicable aux demandes fondées sur l’al. 11b), en remplacement de celui établi auparavant par les arrêts R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, et R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771. Ce nouveau cadre d’analyse avait pour but de s’attaquer à une « culture de complaisance vis‑à‑vis [d]es délais » qui avait émergé dans le système de justice pénale (par. 40). Au cœur de ce cadre d’analyse se trouvent deux plafonds présumés au‑delà desquels le délai est présumé déraisonnable : (1) un plafond de 18 mois pour les affaires simples instruites devant une cour provinciale, et (2) un plafond de 30 mois pour celles instruites devant une cour supérieure (par. 49).
[3]                             Le présent pourvoi soulève deux questions principales. Premièrement, ces plafonds présumés s’appliquent‑ils aux affaires instruites devant les tribunaux pour adolescents? Deuxièmement, le délai dans la cause de l’appelant était‑il déraisonnable?
[4]                             Je répondrais à la première question par l’affirmative. Bien que la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents soit bien établie dans la jurisprudence et codifiée aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v) de la LSJPA, ce facteur est pris en compte dans le cadre d’analyse actuel établi dans l’arrêt Jordan. Plus particulièrement, il peut et il devrait être pris en compte lors de l’application du test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond, test qui exige que la défense établisse « (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être » (Jordan, par. 48 (en italique dans l’original)). La jeunesse d’un accusé devrait être prise en compte lors de l’évaluation du deuxième volet du test, en supposant qu’il a été satisfait au premier volet. Toutefois, tant qu’il n’aura pas été démontré que l’arrêt Jordan ne sert pas adéquatement les jeunes du Canada et l’intérêt plus large de sa société à ce que les affaires mettant en cause des adolescents soient traitées rapidement, il ne me paraît pas nécessaire d’envisager, et encore moins de mettre en place, un plafond constitutionnel moins élevé pour ce type d’affaires.
[5]                             En ce qui concerne la deuxième question, je ne suis pas convaincu qu’un arrêt des procédures soit justifié en l’espèce. Après déduction d’un délai de deux à trois mois imputable à la défense et d’un délai d’environ un mois découlant d’une erreur administrative ayant mené à l’indisponibilité de la transcription d’une audience — un « événement exceptionnel distinct » (Jordan, par. 75) —, le délai en l’espèce est inférieur au plafond présumé de 18 mois. Si je tiens compte du test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond — qui, dans une affaire en cours d’instance durant la période transitoire comme celle-ci, doit être appliqué d’une manière qui est « sensible au fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant » (ibid., par. 99) —, je ne suis pas convaincu que la présente cause ait été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi.
II.            Contexte
[6]                             Le 11 avril 2015, lors d’une fête, l’appelant, alors âgé de 15 ans, s’est battu avec le plaignant, alors âgé de 16 ans. Durant la bataille, l’appelant a poignardé le plaignant au visage et à l’arrière de la tête avec un couteau à lame rétractable, lui causant des blessures graves. Par la suite, l’appelant a prétendu avoir agi en légitime défense.
[7]                             Le 12 avril 2015, l’appelant a été arrêté et accusé d’un certain nombre d’infractions, y compris de voies de fait graves, infraction décrite à l’art. 268 du Code criminel, et de possession d’une arme dans un dessein dangereux, infraction décrite au par. 88(1) du Code criminel. Sa mise en liberté sous caution a initialement été refusée, mais le 21 avril 2015, le ministère public a consenti à ce que l’appelant soit libéré sur promesse de se conformer à des conditions minimes[1].
[8]                             Le 19 mai 2015, l’appelant a plaidé non coupable à toutes les accusations. L’avocat de la défense espérait que le procès se tienne le 29 juin 2015, mais ce n’était pas une journée de séance, en raison des vacances judiciaires. Le procès a plutôt été fixé au 16 septembre 2015, devant la Cour provinciale de Fort McMurray.
[9]                             Le 16 septembre 2015, le ministère public a indiqué qu’il tenterait de déposer une déclaration que l’appelant avait faite à la police, revenant ainsi sur la position qu’il avait adoptée auparavant sur la question. Il fallait donc désormais tenir un voir‑dire afin de juger de l’admissibilité de la déclaration, comme le prévoit l’art. 146 de la LSJPA. Il ne restait toutefois pas suffisamment de temps cette journée‑là pour tenir un voir‑dire et celui-ci a donc été repoussé au 2 mars 2016, la première date disponible. L’avocat de la défense a indiqué que son client ne renonçait pas à son droit garanti par l’al. 11b).
[10]                        Le matin du 2 mars 2016, alors que le ministère public et ses témoins étaient prêts à procéder à l’heure prévue, l’appelant ne s’est pas présenté à temps. Dans l’intervalle, le ministère public a traité d’autres dossiers, et le voir‑dire n’a commencé qu’en après‑midi. La cour a siégé pendant environ deux heures et demie cet après‑midi‑là. Cependant, comme le ministère public l’avait prédit plus tôt le matin, il fallait plus de temps pour terminer le voir‑dire. La reprise de l’audience a été fixée au 28 juillet 2016 (la première date disponible) pour une durée de cinq heures. L’avocat de la défense a répété que son client ne renonçait pas à son droit garanti par l’al. 11b), et la juge du procès a indiqué que toute demande fondée sur cette disposition devrait être présentée avant le 28 juillet.
[11]                        Le 8 juillet 2016, presque 15 mois après que l’appelant a été accusé, l’arrêt Jordan a été rendu par la Cour.
[12]                        Le 28 juillet 2016, le voir‑dire s’est terminé et la juge du procès a demandé au greffier du tribunal de commander la transcription de l’audience. Le ministère public n’a joué aucun rôle à cet égard et n’a pas demandé de copie de la transcription. L’affaire a ensuite été ajournée jusqu’au 6 septembre 2016, date à laquelle la décision quant à l’admissibilité de la déclaration que l’appelant avait faite à la police serait rendue.
[13]                        Le 6 septembre 2016, la juge du procès a informé les parties que la transcription était arrivée dans sa boîte ce matin‑là; elle a toutefois reconnu qu’il était possible qu’elle soit arrivée à son bureau la semaine précédente alors qu’elle était en congé. Malheureusement, cette transcription était incomplète. La juge du procès a donc ajourné l’affaire jusqu’au 4 octobre 2016, afin de pouvoir commander de nouveau la transcription et d’en examiner une version complète avant de rendre un jugement.
[14]                        Le 4 octobre 2016, la juge du procès a tranché : la déclaration que l’appelant avait faite à la police était inadmissible. Durant la même audience, l’avocat de la défense a mentionné qu’il avait l’intention de déposer une demande fondée sur l’al. 11b) de la Charte, ce qu’il a fait le lendemain. En définitive, la journée suivante de comparution a été fixée au 19 octobre 2016.
[15]                        Le 19 octobre 2016, l’appelant a témoigné et la défense a clos sa preuve. L’affaire a ensuite été inscrite au rôle du 24 octobre 2016 pour la présentation des arguments concernant la demande fondée sur l’al. 11b).
[16]                        Le 24 octobre 2016, approximativement 18 mois et demi après le dépôt des accusations, la juge du procès a entendu les arguments de l’appelant concernant sa demande fondée sur l’al. 11b) et l’a ensuite rejetée.
[17]                        Le 2 novembre 2016, les plaidoiries finales se sont terminées et la juge du procès a mis l’affaire en délibéré.
[18]                        Le 9 novembre 2016, la juge du procès a rendu sa décision et a rejeté l’allégation de légitime défense de l’appelant, le déclarant coupable de voies de fait graves et de possession d’une arme dans un dessein dangereux. Les autres accusations ont été rejetées.
[19]                        Le 1er février 2017, l’appelant a été condamné à 160 jours d’emprisonnement pour l’accusation de voies de fait graves et à 20 jours pour l’accusation de possession d’une arme dans un dessein dangereux, moins le temps passé en détention avant et après sa déclaration de culpabilité, suivi d’une période de probation et de surveillance à purger dans la collectivité. Il a depuis purgé sa peine.
III.         Juridictions d’instances inférieures
A.           Décision concernant l’al. 11b) — Cour provinciale de l’Alberta (no 150428860Y1) (la juge Cleary) (non publiée)
[20]                        Dans sa décision concernant l’al. 11b), la juge du procès a conclu que le délai total était quelque peu incertain, car le procès n’était pas encore terminé. Selon ses estimations, il se situait entre 18 et 19 mois. Elle n’a imputé aucun délai au ministère public ou à la défense et a conclu que le délai d’environ un mois causé par l’indisponibilité de la transcription du voir‑dire ne constituait pas un événement exceptionnel distinct.
[21]                        Selon la juge du procès, comme le délai dépassait le plafond de 18 mois établi dans l’arrêt Jordan, il était présumé déraisonnable. Elle a toutefois refusé d’ordonner l’arrêt des procédures, considérant qu’il [traduction] « ne s’agit pas d’un des cas les plus manifestes pour lesquels je devrais prononcer l’arrêt des procédures » (d.a., p. 3). Elle a donc rejeté la demande fondée sur l’al. 11b).
B.            Cour d’appel de l’Alberta (les juges O’Ferrall, Veldhuis (dissidente) et Wakeling) (2018 ABCA 278, 74 Alta. L.R. (6th) 217)
[22]                        L’appelant a interjeté appel de la décision de la juge du procès concernant l’al. 11b) et a soulevé pour la première fois l’argument selon lequel le plafond présumé de 18 mois établi dans l’arrêt Jordan devrait être abaissé pour les affaires mettant en cause des adolescents. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’appel, la juge Veldhuis était dissidente. Les trois juges ont rédigé des motifs distincts, chacun adoptant une approche différente.
(1)         Le juge Wakeling
[23]                        Le juge Wakeling a conclu que les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquaient également aux affaires mettant en cause des adolescents. Il a ajouté que même si l’arrêt Jordan avait laissé la porte ouverte à un plafond plus bas pour ce type d’affaires, le dossier en l’espèce ne permettait pas à la cour de déterminer rationnellement quel devrait être ce plafond.
[24]                        Appliquant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan, le juge Wakeling a observé que le délai total était d’un peu moins de 19 mois. Il a conclu que le délai d’environ un mois découlant de l’indisponibilité de la transcription du voir‑dire n’avait pas été causé par le ministère public et était clairement hors de son contrôle. Sur ce fondement, il a caractérisé ce délai d’événement exceptionnel et l’a donc déduit du délai total. Ceci a donc ramené le délai à tout juste en deçà du plafond de 18 mois.
[25]                        Ayant conclu que le délai était inférieur au plafond de 18 mois, le juge Wakeling a signalé qu’un arrêt des procédures pouvait être ordonné seulement si l’appelant arrivait à démontrer : (1) qu’il avait fait un effort soutenu pour accélérer l’instance; et (2) que le procès avait été nettement plus long qu’il aurait dû l’être. Le juge Wakeling n’a trouvé aucune preuve à cet effet. Il a donc conclu que l’appelant avait été jugé dans un délai raisonnable.
[26]                        Subsidiairement, le juge Wakeling a déclaré que si le délai dépassait le plafond de 18 mois, il était alors justifié au regard de l’exception transitoire. Tenant compte de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan, il a mentionné que les infractions étaient graves, que la victime se retrouvait avec des cicatrices importantes et permanentes au visage et que [traduction] « le ministère public avait sans aucun doute et raisonnablement supposé que la gravité des infractions militait fortement contre un arrêt des procédures » (par. 45). Il a ajouté que même si le préjudice était un facteur important à prendre en considération selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin, l’appelant n’avait été en détention que pendant neuf jours et les conditions de sa mise en liberté n’avaient pas été sévères — il n’y avait en outre « aucune preuve d’un préjudice réel et on ne [pouvait] pas déduire qu’il y avait eu préjudice en raison du délai » (par. 46). Il a donc conclu que l’appelant avait été jugé dans un délai raisonnable au regard également du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin.
(2)         Le juge O’Ferrall (motifs concordants)
[27]                        Le juge O’Ferrall a rejeté l’idée selon laquelle un plafond présumé devrait être appliqué aux instances devant les tribunaux pour adolescents. En effet, selon lui, [traduction] « étant donné le caractère arbitraire et la rigidité relative des plafonds présumés, il serait mal fondé en droit de les appliquer aux adolescents » (par. 71). En outre, à son avis, il est impossible que l’arrêt Jordan ait été conçu pour qu’il s’applique aux affaires mettant en cause des adolescents, parce qu’un « délai qui est raisonnable dans le système de justice pénale pour adultes peut être déraisonnable dans le système de justice pénale pour adolescents » (par. 76). Il a également souligné que le contraire est vrai : « un délai qui est déraisonnable dans le système de justice pénale pour adultes peut être parfaitement raisonnable dans le système de justice pénale pour adolescents si, par exemple, ce délai a couru pour tenter de réadapter l’adolescent et de le réintégrer dans la société en repoussant la poursuite des accusations jusqu’à ce que des mesures extrajudiciaires soient prises ou que des sanctions extrajudiciaires soient imposées » (ibid.).
[28]                        En ce qui concerne le cas de l’appelant, le juge O’Ferrall a indiqué que le fait d’ordonner un arrêt des procédures [traduction] « n’aiderait pas à promouvoir les principes suivants de la [LSJPA] : obliger les adolescents à répondre de leurs actes ainsi que favoriser leur réadaptation et leur réinsertion sociale » (par. 65). Il a donc conclu que l’appel devrait être rejeté.
(3)         La juge Veldhuis (motifs dissidents)
[29]                        La juge Veldhuis, dissidente, a reconnu que l’arrêt Jordan était destiné à s’appliquer de manière générale afin de créer une approche uniforme relative à l’al. 11b) et que l’on ne pouvait créer à la légère de nouvelles catégories de personnes ayant droit à des plafonds présumés différents de ceux établis par cet arrêt. Cependant, elle était convaincue que la création d’un nouveau plafond présumé pour les adolescents qui font l’objet de poursuites simples devant une cour provinciale était conforme au raisonnement formulé dans l’arrêt Jordan ainsi qu’à la jurisprudence antérieure à cet arrêt, reconnaissant [traduction] « le préjudice additionnel que subissent les adolescents lorsque les délais antérieurs au procès sont longs » (par. 81). Se fondant sur l’affaire R. c. M. (J.), 2017 ONCJ 4, 344 C.C.C. (3d) 217, elle a établi ce plafond à 15 mois.
[30]                        En ce qui concerne le cas de l’appelant, la juge Veldhuis a souscrit à l’avis de la juge du procès selon lequel le délai approximatif d’un mois découlant de l’indisponibilité de la transcription du voir‑dire ne constituait pas un événement exceptionnel. Elle a donc conclu que le délai restait de 18 mois et demi et qu’il dépassait le plafond de 15 mois.
[31]                        Compte tenu de l’exception transitoire, la juge Veldhuis a conclu que la juge du procès avait commis une erreur en appliquant le critère des « cas les plus manifestes ». Selon elle, il incombait plutôt au ministère public d’établir que le délai était justifié compte tenu du fait que les parties s’étaient raisonnablement fondées sur la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan, ce qui obligeait la cour à examiner (1) la complexité de l’affaire; (2) le délai par rapport aux lignes directrices établies dans l’arrêt Morin; (3) la réponse des parties à ce délai; et (4) le préjudice subi par l’accusé. En appliquant ce cadre d’analyse, la juge Veldhuis est parvenue aux conclusions suivantes :
(1)                           La complexité — L’absence de complexité de l’affaire militait en faveur d’un arrêt des procédures.
 
(2)                           Le délai par rapport aux lignes directrices établies dans l’arrêt Morin — Le délai imputable au ministère public et le délai institutionnel, qui totalisaient 12 mois et trois quarts, dépassaient la période de cinq à six mois suggérée pour les affaires mettant en cause des adolescents par la décision R. c. M. (G.C.) (1991), 1991 CanLII 7057 (ON CA), 3 O.R. (3d) 223 (C.A.), ainsi que celle de huit à dix mois établie dans l’arrêt Morin. Cela militait en faveur d’un arrêt des procédures.
 
(3)                           La réponse des parties au délai — L’appelant a démontré son engagement à régler l’affaire le plus vite possible, tandis que le ministère public s’est montré peu motivé à faire progresser l’affaire rapidement dans le système et a pris des décisions qui ont entraîné des délais.
 
(4)                           Le préjudice — Bien que l’appelant n’ait fourni aucune preuve de préjudice, on pourrait déduire qu’il a subi un préjudice important étant donné son âge.
[32]                        En fin de compte, la juge Veldhuis a conclu que l’exception transitoire ne s’appliquait pas, car une application adéquate du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin aurait donné lieu à un arrêt des procédures. En conséquence, elle aurait accueilli l’appel et prononcé un arrêt des procédures.
IV.         Questions en litige
[33]                        Le présent pourvoi soulève deux questions principales :
(1)                           Les plafonds présumés établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent‑ils aux affaires instruites devant les tribunaux pour adolescents?
 
(2)                           Le délai dans la cause de l’appelant était‑il déraisonnable?
V.           Analyse
A.           Obligation de présenter une demande d’autorisation d’appel à la Cour dans les affaires mettant en cause des adolescents
[34]                        Avant de passer aux questions en litige, j’aimerais clarifier brièvement une question préliminaire concernant les autorisations d’appel devant la Cour dans les affaires mettant en cause des adolescents.
[35]                        L’appelant a déposé un avis d’appel au motif que l’al. 691(1)a) du Code criminel lui permet d’interjeter appel de plein droit à la Cour, du fait de la dissidence de la juge Veldhuis. Cette disposition autorise la personne déclarée coupable d’un acte criminel et dont la condamnation est confirmée par la cour d’appel à interjeter appel de plein droit à la Cour sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident. Or, comme la Cour l’a noté dans l’arrêt R. c. C. (T.L.), 1994 CanLII 57 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 1012, les adolescents jugés pour un acte criminel en application de ce qui est maintenant la LSJPA ne bénéficient pas d’un droit d’appel devant la Cour (voir p. 1017). Ils doivent plutôt demander une autorisation d’appel aux termes du par. 37(10) de la LSJPA.
[36]                        Ayant demandé des observations sur cette question de compétence avant l’audience, la Cour a autorisé une prorogation du délai pour présenter une demande d’autorisation d’appel et a accueilli cette dernière au début de l’audience. Le ministère public ne s’est pas opposé à cette décision.
[37]                        Maintenant que cette question préliminaire est réglée, je me tourne vers la question principale du pourvoi, à savoir si les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent aux affaires instruites devant les tribunaux pour adolescents.
B.            Les plafonds présumés établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent‑ils aux affaires instruites devant les tribunaux pour adolescents?
(1)         Alinéa 11b) — Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable
[38]                        L’alinéa 11b) de la Charte prévoit que « [t]out inculpé a le droit [. . .] d’être jugé dans un délai raisonnable ». Ce droit est important tant pour les individus que pour la société dans son ensemble (voir Jordan, par. 19‑28). À l’échelle de l’individu, il protège « [la] liberté [de l’accusé], en ce qui touche sa détention avant procès ou ses conditions de mise en liberté sous caution; la sécurité de sa personne, c’est‑à‑dire ne pas avoir à subir le stress et le climat de suspicion que suscite une accusation criminelle; et le droit de présenter une défense pleine et entière, dans la mesure où les délais écoulés peuvent compromettre sa capacité de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins ou de se défendre autrement » (R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3, par. 30; voir également Morin, p. 801‑803; et Jordan, par. 20). À l’échelle de la société, « les procès instruits dans un délai raisonnable permettent aux victimes et aux témoins d’apporter la meilleure contribution possible au procès et minimisent l’“angoiss[e] et [la] frustration [qu’ils ressentent] jusqu’au témoignage lui‑même” » et leur permettent de tourner la page (voir Jordan, par. 23‑24, citant Askov, p. 1220). La société a aussi un intérêt à ce que les citoyens accusés de crimes soient traités de façon humaine et équitable (voir Morin, p. 786), et les procès instruits rapidement aident à préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, qui est « essentielle à la survie du système lui‑même » (Jordan, par. 25‑26). « Bref, les procès instruits en temps utile servent l’administration de la justice » (ibid., par. 28).
[39]                        Le cadre d’analyse applicable aux demandes fondées sur l’al. 11b) a connu deux versions au cours des trois dernières décennies : celui établi dans l’arrêt Morin et celui établi dans l’arrêt Jordan.
a)      Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin
[40]                        Selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin, les tribunaux étaient tenus de soupeser quatre facteurs pour décider si un délai était devenu déraisonnable : « . . . (1) la longueur du délai; (2) la renonciation de la défense à invoquer une portion du délai; (3) les motifs du délai, y compris les besoins inhérents au dossier, le délai imputable à la défense, celui attribuable au ministère public, le délai institutionnel et les autres motifs du délai; (4) l’atteinte aux droits de l’inculpé à la liberté, à la sécurité de sa personne et à un procès équitable » (Jordan, par. 30; voir également Godin, par. 18). Fondamentalement, cet examen requérait « une décision judiciaire qui soupèse les intérêts que l’alinéa [11b)] est destiné à protéger et les facteurs qui, inévitablement, entraînent un délai ou sont autrement la cause du délai » (Morin, p. 787).
[41]                        Le délai institutionnel, qui commence lorsque les parties sont prêtes pour le procès et court jusqu’à ce que le système puisse leur permettre de procéder (voir Morin, p. 794‑795), était évalué en fonction d’un ensemble de lignes directrices administratives élaborées dans l’arrêt Morin : « . . . huit à dix mois devant une cour provinciale et six à huit mois de plus après le renvoi à procès devant une cour supérieure » (Jordan, par. 30). Les délais institutionnels qui sont conformes ou presque aux lignes directrices étaient généralement jugés raisonnables (voir ibid.).
[42]                        Le préjudice était un « facteur important, voire déterminant » selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin (ibid., par. 34). Il pouvait être soit réel, soit déduit — « même en l’absence de preuve particulière d’un préjudice, “on peut déduire qu’il y a eu préjudice en raison de la longueur du délai. Plus le délai est long, plus il est vraisemblable qu’on pourra faire une telle déduction” » (Godin, par. 31, citant Morin, p. 801).
b)      Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan
[43]                        Dans l’arrêt Jordan, la Cour a jugé que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin souffrait de plusieurs lacunes sur le plan théorique, ce qui le rendait « trop imprévisible, trop difficile à saisir et trop complexe » à appliquer pour les tribunaux (voir par. 32‑38). Encore plus troublant, le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin ne permettait pas de s’attaquer à la « culture de complaisance vis‑à‑vis [d]es délais » qui a fait son apparition au sein du système de justice criminelle en raison de pratiques inefficaces, d’une pénurie de ressources institutionnelles, de la complexité accrue des processus préalables au procès et de ceux suivis durant les procès depuis l’arrêt Morin, ainsi que d’autres facteurs (voir par. 40‑41).
[44]                        Dans le but de « faire en sorte que l’analyse d’une demande fondée sur l’al. 11b) se concentre sur les questions qui importent et [d’]inciter tous les participants au système de justice criminelle à collaborer pour que l’administration de la justice soit raisonnablement prompte » (par. 5), l’arrêt Jordan a introduit un nouveau cadre d’analyse des demandes fondées sur l’al. 11b). Au cœur de ce cadre d’analyse se trouvent deux plafonds présumés au‑delà desquels le délai est présumé déraisonnable : (1) un plafond de 18 mois pour les affaires simples instruites devant une cour provinciale; et (2) un plafond de 30 mois pour celles instruites devant une cour supérieure (par. 49).
[45]                        Lorsqu’elle a établi ces plafonds, la Cour a tenu compte de nombreux facteurs, y compris des lignes directrices administratives relatives aux délais institutionnels établis dans l’arrêt Morin, de la complexité accrue des affaires criminelles depuis cet arrêt, du concept de préjudice et de la nécessité d’assurer la confiance du public envers l’administration de la justice (voir par. 52‑55).
[46]                        En intégrant le concept de préjudice aux plafonds présumés, l’arrêt Jordan a éliminé le préjudice en tant que « facteur dans l’analyse » (voir par. 54 et 109‑110). Par conséquent, l’existence d’un préjudice est aujourd’hui présumée de manière irréfutable une fois que le plafond est dépassé, ce qui signifie que « le fait que l’accusé n’ait pas réellement subi de préjudice ne saurait transformer le délai déraisonnable en délai raisonnable » (par. 54). Le préjudice a également un lien solide avec la notion d’initiative de la défense, car on peut s’attendre à ce que l’accusé subissant un préjudice accru en raison du délai soit plus proactif pour faire avancer son dossier (voir par. 109). En somme, « le concept de préjudice sous‑tend l’ensemble du cadre [d’analyse] » (par. 109).
[47]                        La Cour a résumé le nouveau cadre d’analyse des demandes fondées sur l’al. 11b) de la façon suivante :
     Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins les délais imputables à la défense) dépasse le plafond, il est présumé déraisonnable. Pour réfuter cette présomption, le ministère public doit établir la présence de circonstances exceptionnelles. S’il ne peut le faire, le délai est déraisonnable et un arrêt des procédures doit suivre.
     Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins le délai imputable à la défense et la période découlant de circonstances exceptionnelles) se situe en deçà du plafond présumé, il incombe à la défense de démontrer le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit prouver (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. Nous nous attendons à ce que les arrêts de procédures prononcés dans des cas où le délai est inférieur au plafond soient rares, et limités aux cas manifestes. [En italique dans l’original; par. 47-48.]
[48]                        Par contre, l’arrêt Jordan n’a pas explicitement répondu à la question de savoir si les plafonds présumés de 18 et de 30 mois s’appliquent aux instances dont sont saisis les tribunaux pour adolescents. Avant de répondre à cette question, il est utile d’explorer la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents.
(2)         Nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents
[49]                        Le système de justice pénale pour les adolescents est distinct de celui pour les adultes (voir R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99, par. 41; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3, par. 40; R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426, par. 56; LSJPA, al. 3(1)b)). La loi qui régit ce système distinct est la LSJPA, qui vise les « adolescent[s] » au sens du par. 2(1). La définition énoncée dans cette disposition inclut toute personne âgée entre 12 et 17 ans, ainsi que les personnes accusées d’avoir commis une infraction durant leur adolescence. Toutes ces personnes sont jugées devant un « tribunal pour adolescents », qui peut être soit une cour provinciale, soit une cour supérieure, selon les circonstances (voir art. 13).
[50]                        Bien que tout inculpé ait le droit d’être jugé dans un délai raisonnable aux termes de l’al. 11b) de la Charte, ce droit revêt une [traduction] « importance particulière » pour les adolescents (N. Bala et S. Anand, Youth Criminal Justice Law (3e éd. 2012), p. 439). Il en est ainsi pour au moins cinq raisons.
[51]                        Renforcer le lien entre les actes et leurs conséquences. Premièrement, comme les adolescents ont [traduction] « une perception différente du temps et une mémoire moins bien développée que les adultes » (Bala et Anand, p. 144), leur capacité d’évaluer le lien entre les actes et leurs conséquences est amoindrie. Tandis que les délais prolongés peuvent nuire à ce lien et [traduction] « dilue[r] l’efficacité des mesures prises », une intervention rapide le renforce (P. Harris et autres, « Working “In the Trenches” with the YCJA » (2004), 46 RCCJP 367, p. 369). Elle permet aux adolescents d’apprendre de leurs expériences, ce qui favorise ensuite leur réadaptation et leur développement social en général. On dit donc que [traduction] « [l]’efficacité du processus de justice pour adolescents dépend, au moins en partie, de sa rapidité » (J. A. Butts, G. R. Cusick et B. Adams, Delays in Youth Justice (2009), p. 8).
[52]                        Réduire l’incidence psychologique. Deuxièmement, en gardant à l’esprit que le temps passé à attendre le procès représente une plus grande proportion de la vie d’un adolescent que de celle d’un adulte et que les adolescents perçoivent le temps différemment, un délai peut avoir une plus grande incidence psychologique sur eux. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), 1994 CanLII 83 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 165, « [q]uelques mois dans la vie d’un enfant, contrairement à celle d’un adulte, peuvent avoir une grande importance » (p. 206). Le même délai peut ainsi peser plus lourdement sur un adolescent que sur un adulte, ce qui peut ensuite accroître le stress, l’anxiété et (le cas échéant) la perte de liberté associée à ce délai. Afin de réduire au minimum cette incidence, les affaires mettant en cause des adolescents devraient, en général, être traitées rapidement.
[53]                        Préserver le droit de présenter une défense pleine et entière. Troisièmement, les souvenirs ont tendance à s’estomper plus rapidement chez les adolescents que chez les adultes (voir N. Bala, « Youth as Victims and Offenders in the Criminal Justice System : A Charter Analysis — Recognizing Vulnerability » (2008), 40 S.C.L.R. (2d) 595, p. 616, citant C. J. Brainerd, « Children’s Forgetting with Implication for Memory Suggestibility », dans N. L. Stein et autres, dir., Memory for Everyday and Emotional Events (1997), p. 213‑217). La rapidité accrue avec laquelle les souvenirs des adolescents s’estompent peut faire en sorte qu’il soit plus difficile pour eux de se souvenir de situations passées, ce qui peut ensuite nuire à leur capacité de présenter une défense pleine et entière, un droit qui est protégé par l’art. 7 de la Charte (voir Dersch c. Canada (Procureur général), 1990 CanLII 3820 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1505, p. 1514; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 47; R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 20). En outre, il a été avancé que parce que [traduction] « [l]es adolescents ont une capacité moindre à tenir compte des conséquences à long terme et sont plus enclins à prendre des décisions à court terme », ils peuvent avoir plus de difficulté à participer à leur défense au fur et à mesure que le délai se prolonge, car « il se peut que leur but premier soit que le procès se termine, peu importe son issue » (Butts, Cusick et Adams, p. 10). En conséquence, afin de préserver leur droit de présenter une défense pleine et entière, il est essentiel de juger les adolescents rapidement.
[54]                        Éviter une éventuelle iniquité. Quatrièmement, l’adolescence est une période de développement cérébral, cognitif et psychologique rapide (voir L. Steinberg, « Adolescent Development and Juvenile Justice » (2009), 5 Annu. Rev. Clin. Psychol. 459, p. 465‑471; T. Grisso, « Adolescents’ Decision Making : A Developmental Perspective on Constitutional Provisions in Delinquency Cases » (2006), 32 New Eng. J. Crim. & Civ. Confinement 3, p. 7‑9; M. Levick et autres, « The Eighth Amendment Evolves : Defining Cruel and Unusual Punishment Through the Lens of Childhood and Adolescence » (2012), 15 U. Pa. J.L. & Soc. Change 285, p. 293‑299). Lorsqu’un long délai sépare la commission de l’infraction de la peine correspondante, l’adolescent peut avoir un sentiment d’injustice, car, entre-temps, sa vision des choses et ses comportements peuvent avoir considérablement changé. Afin d’éviter de punir des adolescents pour « ce qu’ils étaient dans le passé », les délais devraient donc être minimisés.
[55]                        Promouvoir les intérêts de la société. Cinquièmement, le traitement rapide des dossiers mettant en cause des adolescents favorise l’intérêt de la société. En effet, celle‑ci a un intérêt à voir les adolescents réadaptés et réinsérés dans la société le plus rapidement possible. C’est ainsi qu’elle s’enrichit, et nous en profitons tous. De plus, certaines études avancent qu’une intervention diligente dans les affaires mettant en cause des adolescents peut réduire la probabilité de récidive, ce qui favorise l’intérêt de la société à l’égard de la prévention de la criminalité (voir Butts, Cusick et Adams, p. 9). Par ailleurs, puisque les adolescents ont été décrits comme [traduction] « les membres les plus vulnérables de notre communauté » (R. c. Alicandro, 2009 ONCA 133, 95 O.R. (3d) 173, par. 36, citant G. J. Fitch, c.r., « Child Luring », dans Substantive Criminal Law, Advocacy and the Administration of Justice, vol. 1, article présenté au National Criminal Law Program (2007)), il semble évident que la société a un intérêt particulièrement fort à veiller à ce qu’ils ne subissent pas de délais prolongés.
[56]                        La nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents est reflétée dans la jurisprudence. Dans l’arrêt M. (G.C.), le juge Osborne a précisé qu’il était [traduction] « particulièrement nécessaire de conclure les instances devant les tribunaux pour adolescents dans des délais raisonnables » (p. 230). Il a ajouté que même si les adolescents ne jouissent pas « d’une garantie constitutionnelle spéciale [d’être jugés] dans un délai raisonnable substantiellement différente de celle dont jouissent les adultes », ils devraient néanmoins, « de façon générale » (ibid.), être jugés plus rapidement que ceux‑ci. Par conséquent, « un délai qui est raisonnable dans le système de justice pénale pour les adultes peut ne pas l’être devant les tribunaux pour adolescents » (ibid.). Ces opinions ont été exprimées par d’autres cours d’appel canadiennes (voir, p. ex., R. c. H.R., 2006 BCCA 211, 225 B.C.A.C. 127, par. 21; R. c. R.R., 2011 NSCA 86, 307 N.S.R. (2d) 319, par. 8; R. c. P.R., 2018 SKCA 27, 365 C.C.C. (3d) 120, par. 85). Le juge Osborne a également proposé quelques « lignes directrices générales » concernant les délais dans les affaires mettant en cause des adolescents : ces affaires devraient généralement « être menées à procès dans les cinq à six mois suivant la période neutre requise pour retenir les services d’un avocat, obtenir la communication de la preuve », et ainsi de suite (p. 236; voir également R. c. R. (T.) (2005), 2005 CanLII 18709 (ON CA), 75 O.R. (3d) 645 (C.A.), par. 40).
[57]                        Peu après l’arrêt M. (G.C.), la Cour a confirmé, dans l’arrêt R. c. D. (S.), 1992 CanLII 58 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 161, que même si l’intérêt de la société, reconnu dans l’arrêt Askov et confirmé dans l’arrêt Morin, « exige que l’on prenne en considération le fait que les accusations portées contre des jeunes contrevenants doivent être instruites promptement, ce n’est là qu’un seul des facteurs qu’il faut soupeser avec d’autres » (p. 162). Ce faisant, la Cour s’est gardée de créer des lignes directrices ou des seuils constitutionnels distincts pour les délais dans les affaires mettant en cause des adolescents. Plus particulièrement, elle n’a formulé aucun commentaire sur les lignes directrices administratives de cinq à six mois proposées dans l’arrêt M. (G.C.).
[58]                        Plus récemment, la Cour d’appel de l’Ontario a répété qu’il [traduction] « est attendu que les procès devant les tribunaux pour adolescents progressent plus rapidement que les procès criminels mettant en cause des adultes » (R. c. L.B., 2014 ONCA 748, 325 O.A.C. 371, par. 14, citant M. (G.C.), p. 230).
[59]                        La nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents est aussi énoncée dans la loi. En effet, le par. 3(1) de la LSJPA contient une déclaration de principes qui sous‑tend le système de justice pénale pour adolescents du Canada. L’alinéa 3(1)b) est particulièrement pertinent et prévoit ce qui suit :
        b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et mettre l’accent sur :
     (i) leur réadaptation et leur réinsertion sociale,
     (ii) une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité,
   (iii) la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée,
     (iv) la prise de mesures opportunes qui établissent clairement le lien entre le comportement délictueux et ses conséquences,
     (v) la diligence et la célérité avec lesquelles doivent intervenir les personnes chargées de l’application de la présente loi, compte tenu du sens qu’a le temps dans la vie des adolescents;
[60]                        Ces principes sont en grande partie une codification de la jurisprudence relative à l’ancienne Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y‑1 (voir R. (T.), par. 29 et 34; H.R., par. 31‑32; R.R., par. 14; R. c. M. (K.), 2017 ONCJ 8, 373 C.R.R. (2d) 234, par. 38). Les sous-alinéas 3(1)b)(iv) et (v), en particulier, [traduction] « visent à rappeler aux administrateurs judiciaires, aux juges, aux avocats et aux autres intervenants la nécessité d’accorder la priorité au règlement rapide des affaires mettant en cause des adolescents » (Bala et Anand, p. 145).
[61]                        Dans ce contexte, je me tourne maintenant vers la question principale du présent pourvoi, soit celle de savoir si les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent aux procès instruits devant les tribunaux pour adolescents.
(3)         Les plafonds établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent aux procès instruits devant les tribunaux pour adolescents
[62]                        L’appelant soutient que les plafonds établis dans l’arrêt Jordan ne s’appliquent pas aux procès instruits devant les tribunaux pour adolescents. Il invite la Cour à adopter un plafond présumé de 12 mois pour les adolescents qui font l’objet de poursuites simples devant une cour provinciale (siégeant comme un tribunal pour adolescents). Mes collègues les juges Abella et Brown retiennent l’argument de l’appelant suivant lequel il y a lieu d’appliquer un plafond plus bas dans les dossiers mettant en cause des adolescents, mais ils fixeraient ce plafond à 15 mois. Soit dit en tout respect, pour les motifs qui suivent, je ne fixerais pas un plafond plus bas pour les dossiers mettant en cause des adolescents.
[63]                        D’abord et avant tout, il n’a pas été démontré qu’il y a un problème concernant les délais dans le système de justice pénale pour les adolescents, et encore moins un problème qui justifie l’imposition d’une nouvelle norme constitutionnelle. Il est important de préciser que la constitutionnalisation d’un plafond présumé moins élevé serait loin d’être sans conséquence. Alors que les exigences ordinaires prévues par les lois vont et viennent, les exigences constitutionnelles se veulent plus durables. Pour l’instant, et d’après le dossier dont nous disposons, il n’a pas été démontré que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan doit être revu pour son application aux affaires mettant en cause des adolescents. Nous ne disposons d’aucune preuve démontrant que ceux parmi ces derniers qui demandent de façon proactive un procès accéléré se voient refuser une telle demande dans la foulée de l’arrêt Jordan, ni que les acteurs du système de justice pénale pour les adolescents ne prennent pas cet arrêt à cœur. Rien ne prouve non plus, en dépit de l’insistance des juges Abella et Brown, que les adolescents se retrouvent en plus mauvaise posture sous le régime de l’arrêt Jordan qu’auparavant. En fait, comme je l’expliquerai en détail plus loin dans les présents motifs, c’est le contraire qui se produit.
[64]                        Bref, à mon humble avis, les juges Abella et Brown réagissent à un supposé problème concernant le système de justice pénale pour les adolescents dont on n’a pas démontré l’existence, et dont la survenance est peu probable, puisque, comme je l’expliquerai, le cadre d’analyse existant établi dans l’arrêt Jordan permet de répondre à la nécessité accrue d’agir rapidement dans les affaires mettant en cause des adolescents. Selon moi, il s’ensuit que tant qu’il n’aura pas été démontré que l’arrêt Jordan ne sert pas adéquatement les intérêts généraux des adolescents du Canada et de sa société à l’égard du traitement rapide des affaires mettant en cause des adolescents, il n’est pas nécessaire d’envisager, et encore moins de mettre en place, un plafond constitutionnel moins élevé pour ce type d’affaires.
[65]                        Ensuite, l’arrêt Jordan a établi un ensemble uniforme de plafonds qui s’appliquent, peu importe les divers degrés de préjudice subi par différents groupes et individus. Fixer de nouveaux plafonds en s’appuyant sur l’idée que certains groupes — comme les adolescents — subissent un préjudice accru en raison des délais saperait cette uniformité et pourrait entraîner une multiplication des plafonds, chacun variant selon le degré unique de préjudice subi par une catégorie ou sous‑catégorie particulière de personnes. Les adolescents en détention, les adolescents en liberté, les adultes en détention, les adultes en liberté, les personnes dont le statut de détention change, les personnes à qui l’on a imposé des conditions strictes de mise en liberté sous caution, les personnes à qui l’ont a imposé des conditions minimes de mise en liberté sous caution, les personnes sujettes à des pertes de mémoire plus prononcées, et d’autres personnes, pourraient toutes revendiquer leur propre plafond distinct. Même à l’intérieur de la catégorie des adolescents, cela pourrait se traduire par l’établissement de plafonds distincts pour différents groupes d’âge : un pour les personnes âgées de 17 ans, un pour celles âgées de 14 ans et ainsi de suite. Cela deviendrait rapidement impraticable. Qui plus est, le résultat serait incompatible avec l’approche du plafond uniforme adopté dans l’arrêt Jordan et entraverait la réalisation de l’objectif de cet arrêt, soit simplifier et rationaliser le cadre d’analyse des demandes fondées sur l’al. 11b).
[66]                        Il me semble également impossible de justifier l’existence d’un plafond distinct pour les affaires mettant en cause des adolescents au motif que le législateur a instauré un système distinct de justice pénale pour eux régi par la LSJPA. Les normes constitutionnelles existent indépendamment du cadre légal mis en place par le législateur. Le simple fait que ce dernier ait décidé de créer et de maintenir un système distinct de justice pénale pour les adolescents n’est pas en soi une raison valable d’établir un plafond distinct pour les affaires les mettant en cause. S’il en était autrement, le législateur aurait la faculté de transformer les normes constitutionnelles au moyen de modifications législatives ordinaires, par exemple en fusionnant les systèmes de justice pour les adultes et pour les adolescents. Pareil résultat serait incompatible avec le concept de norme constitutionnelle.
[67]                        Ces points sont étayés par une difficulté pratique qui accompagnerait l’introduction d’un plafond présumé moins élevé pour les affaires mettant en cause des adolescents : il faudrait créer un régime transitoire permettant de discerner équitablement quels dossiers dont le délai est au‑delà du nouveau plafond, mais en deçà du plafond établi dans l’arrêt Jordan, devraient faire l’objet d’un arrêt des procédures. Bien que cette préoccupation d’ordre pratique n’empêche évidemment pas l’introduction d’un plafond moins élevé, il s’agit d’une autre raison de mettre en doute l’opportunité d’une telle mesure.
[68]                        Pour ces motifs, je ne modifierais pas les plafonds établis dans l’arrêt Jordan pour qu’ils s’appliquent différemment aux procès instruits devant les tribunaux pour adolescents. Cela ne veut toutefois pas dire que l’âge de l’accusé ne joue aucun rôle dans le cadre d’analyse établi par l’arrêt Jordan. Plus particulièrement, comme je l’expliquerai, la nécessité accrue d’agir rapidement dans les affaires mettant en cause des adolescents peut et devrait être prise en considération au moment de déterminer si un délai inférieur au plafond présumé est déraisonnable. Le cadre d’analyse actuel énoncé dans l’arrêt Jordan est ainsi en mesure de répondre à la nécessité accrue d’agir rapidement dans les dossiers mettant en cause des adolescents.
(4)         Examen de la nécessité accrue d’agir rapidement dans les affaires mettant en cause des adolescents dans l’application du test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond
[69]                        Bien que les plafonds présumés soient un élément important de l’arrêt Jordan, ils ne disent pas tout. En effet, cet arrêt a établi des plafonds et non des seuils. Même si ces plafonds offrent une approche claire, ils sont complétés par une approche plus souple et au cas par cas pour les délais inférieurs au plafond. Ainsi, l’arrêt Jordan combine l’uniformité et la souplesse.
[70]                        Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan reconnaît que le délai inférieur au plafond présumé est déraisonnable si la défense réussit à prouver « (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être » (par. 48).
[71]                        Mettant l’accent sur la deuxième exigence, la Cour a déclaré dans l’arrêt Jordan que « [l]e délai raisonnable nécessaire pour instruire une cause dépend d’une panoplie de facteurs, y compris la complexité du dossier, des considérations de nature locale, et la question de savoir si le ministère public a pris des mesures raisonnables pour accélérer l’instance » (par. 87 (je souligne)). L’utilisation de l’expression « y compris » indique que la liste de facteurs n’est pas exhaustive. Dans les affaires mettant en cause des adolescents, la nécessité accrue d’agir rapidement devrait être ajoutée en tant que facteur supplémentaire à prendre en considération pour juger du délai raisonnable nécessaire dans un cas en particulier. Ce facteur devrait être pris en considération non seulement parce qu’il est codifié aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v) de la LSJPA, mais aussi en raison des motifs énoncés aux par. 51-55 des présents motifs, lesquels demeureraient valides même si le législateur abrogeait les sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v) de la LSJPA.
[72]                        À mon avis, la nécessité accrue d’agir rapidement dans les dossiers mettant en cause des adolescents ne peut être réduite à un « rabais fixe pour adolescents », et son poids dépend des circonstances. Elle requiert néanmoins, en règle générale, que les dossiers mettant en cause des adolescents procèdent rapidement, et le ministère public ainsi que le système de justice doivent faire leur part pour assurer la réalisation de cet objectif. Cette règle générale, de même que l’obligation correspondante du ministère public et du système de justice de faire leur part, se traduit déjà dans la pratique, car les dossiers mettant en cause des adolescents reçoivent habituellement un traitement prioritaire et sont menés à bien plus rondement que les dossiers d’adultes. Reconnaître la nécessité accrue d’agir rapidement dans les dossiers mettant en cause des adolescents en tant que facteur à prendre en considération pour juger des délais raisonnables dans un cas en particulier donne donc simplement effet à ce qui se passe déjà sur le terrain.
[73]                        Conformément à cette approche au cas par cas, lorsqu’un adolescent, en prenant des mesures significatives et soutenues pour accélérer le procès, porte des préoccupations particulières eu égard au délai à l’attention du ministère public et du tribunal, il y a lieu de tenir compte, en outre, de ces préoccupations et de la mesure dans laquelle le ministère public et le système de justice y répondent. Par exemple, si l’accusé parvient à démontrer qu’il éprouve des difficultés dans ses études en raison de l’anxiété que lui causent les accusations qui pèsent contre lui, et que le ministère public et le système de justice ne prennent pas de mesures raisonnables pour accélérer le processus afin de répondre à cette préoccupation, cela peut être un facteur important lorsqu’il s’agit de décider si le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. Inversement, si le ministère public et le système de justice prennent des mesures raisonnables pour répondre à cette préoccupation et font leur part pour que le dossier procède rapidement, « il est improbable que le délai raisonnable nécessaire de l’instance ait été dépassé de manière manifeste » (Jordan, par. 90).
[74]                        En fin de compte, à l’instar des autres facteurs énoncés dans Jordan, la nécessité accrue d’agir rapidement dans les dossiers mettant en cause des adolescents est tout simplement un « facteur propre à l’espèce » dont il faut tenir compte au moment de décider si un procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être (ou qu’il est prévu qu’il le soit).
[75]                        Cette approche reconnaît que même si le plafond présumé demeure le même que l’accusé soit un adolescent ou un adulte, la tolérance envers les délais diffère. Ce qui est raisonnable dans le dossier d’une personne de 45 ans peut ne pas l’être dans le dossier d’un adolescent de 17 ans — de même, ce qui est raisonnable dans le dossier d’un adolescent de 17 ans peut ne pas l’être dans celui d’un autre de 12 ans. En permettant un examen souple et au cas par cas des dossiers dont le délai est inférieur au plafond, le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan reconnaît que le fait de traiter simplement tout le monde de la même façon n’est pas la solution. Le contexte importe. Tandis que le plafond présumé fournit un filet de sécurité solide qui offre certitude, prévisibilité et simplicité, le test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond offre la souplesse nécessaire pour veiller à ce que les caractéristiques propres au cas en cause — comme l’âge de l’accusé — soient prises en compte dans l’analyse. En effet, l’arrêt Jordan n’a pas ignoré la nécessité de tenir compte du contexte. La Cour a souligné que « “le juge devra [. . .] examiner les circonstances du cas qui lui est soumis” pour juger du caractère raisonnable d’un délai » (par. 58, citant Jordan, par. 301, le juge Cromwell (souscrivant au résultat)). Elle a également déclaré ce qui suit :
     Bien que le plafond présumé accroisse la simplicité de l’analyse et favorise les mesures incitatives constructives, il ne marque pas la fin de l’exercice : [. . .] les facteurs déterminants et propres à l’affaire demeurent pertinents pour apprécier le caractère raisonnable tant du délai supérieur au plafond que de celui inférieur à ce dernier. Évidemment, un nombre à lui seul ne peut définir le caractère raisonnable d’un délai. C’est pourquoi le nouveau cadre d’analyse n’est pas fondé strictement sur une question de temps. [par. 51]
[76]                        Même si les juges Abella et Brown suggèrent le contraire, le cadre d’analyse établi dans Jordan, lorsqu’il est appliqué correctement, n’offre pas moins de protection aux adolescents que l’ancien cadre d’analyse, qui était imprévisible, difficile à saisir et complexe (voir Jordan, par. 38). En fait, il y a toutes les raisons de nous attendre à ce que les adolescents bénéficient d’une meilleure protection contre les délais prolongés qu’avant l’arrêt Jordan. À cette fin, j’aimerais aborder deux préoccupations importantes qui ont été soulevées concernant l’adoption d’une « approche fondée sur un plafond » dans les cas mettant en cause des adolescents.
[77]                        Premièrement, bien que le test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond impose à la défense le fardeau de prouver que le délai a été déraisonnable, à mon avis, cela ne désavantage pas les adolescents par rapport aux adultes et ne les place pas dans une position plus désavantageuse que celle qu’ils occupaient avant l’arrêt Jordan. Ce dernier permet à tous les inculpés, y compris les adolescents, de bénéficier d’une présomption selon laquelle le délai est déraisonnable lorsqu’il dépasse le plafond présumé. Cette présomption constitue un avantage dont l’accusé ne bénéficiait pas avant l’arrêt Jordan, puisque l’ancien cadre d’analyse imposait toujours le fardeau à l’accusé de prouver que le délai était déraisonnable, peu importe sa longueur (voir Morin, p. 788‑789). En outre, ainsi qu’il est mentionné dans l’arrêt Jordan, « [c]omme [la défense] bénéficie d’une forte présomption pour un arrêt des procédures en cas de dépassement du délai maximal applicable », il est approprié de lui imposer le fardeau de justifier un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond (par. 85‑86). En toute équité, puisque tant les adolescents que les adultes bénéficient de cette forte présomption, ils doivent les uns comme les autres porter le fardeau de justifier un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond.
[78]                        Deuxièmement, bien que la Cour ait déclaré au par. 48 de l’arrêt Jordan que les arrêts de procédures prononcés dans les cas où le délai est inférieur au plafond seront « rares » et « limités aux cas manifestes », cette déclaration doit être lue à la lumière du fait que le cadre d’analyse établi dans cet arrêt s’applique à toutes les instances criminelles et pas seulement aux affaires mettant en cause des adolescents. Même si de tels arrêts de procédures peuvent être « rares » si on les compare à l’ensemble des demandes d’arrêts des procédures lorsqu’un délai est inférieur au plafond, ils peuvent être moins « rares » si on les compare au plus petit ensemble de demandes d’arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond dans les affaires mettant en cause des adolescents. La restriction relative aux « cas manifestes » n’avait pour but que de veiller à ce qu’un arrêt des procédures ne soit pas prononcé dans les cas limites étant donné l’intérêt public important à voir les affaires criminelles réglées sur le fond.
[79]                        Donc, bien que les juges Abella et Brown soutiennent que l’approche adoptée dans les présents motifs fournira aux adolescents une protection moindre que celle dont ils jouissaient avant l’arrêt Jordan et fera de cet arrêt une « promesse creuse » pour eux (par. 166), il n’en est tout simplement pas ainsi. Si on prend à cœur l’arrêt Jordan et si on applique correctement aux instances mettant en cause des adolescents le test relatif au délai inférieur au plafond, le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan offre aux adolescents une protection solide contre les délais déraisonnables.
[80]                        Cela étant dit, l’arrêt Jordan ne remplira sa promesse — pour les adolescents comme pour les adultes — que si tous les participants au système de justice pénale travaillent ensemble et adoptent une approche proactive dès le début de l’instance (voir Jordan, par. 5, 108, 112 et 117; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 36). Comme je l’expliquerai, cela s’applique tant au ministère public qu’à la défense, entre autres.
[81]                        Les procureurs ne peuvent pas se contenter d’attendre que le plafond de 18 mois se rapproche avant d’accélérer le pas. Il s’agit précisément du type de complaisance normalisée vis‑à‑vis les délais qui a donné lieu à l’arrêt Jordan. Ils doivent plutôt prendre des mesures proactives dès le départ pour s’assurer que l’affaire soit réglée diligemment, même si le plafond présumé est encore loin. L’omission de prendre des mesures raisonnables pour accélérer l’instance est un indicateur que la cause a peut‑être pris un temps nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement prendre (voir Jordan, par. 87). C’est particulièrement le cas dans les affaires mettant en cause des adolescents, puisque la tolérance envers les délais dans ce contexte a toujours été — et sera toujours — moins grande que dans les instances mettant en cause des adultes.
[82]                        Lorsqu’ils adoptent cette approche proactive, les procureurs doivent garder à l’esprit que le plafond présumé n’est « pas [un] objectif ambitieux ». Des délais de 18 ou de 30 mois sont quand même « de longs délais pour que justice soit rendue », et la plupart des affaires peuvent et devraient être réglées en moins de temps (Jordan, par. 56‑57). Cela est particulièrement le cas en ce qui concerne les adolescents, pour les raisons qui ont déjà été expliquées. Il vaut également la peine de réitérer que les procureurs sont fortement incités à agir de manière proactive : lorsque le délai est inférieur au plafond, « la présence au dossier d’un représentant du ministère public diligent et proactif est une indication forte que la cause n’a pas pris plus longtemps de manière manifeste que ce qu’il était raisonnable qu’elle prenne » (ibid., par. 112). Inversement, lorsque le ministère public ne se montre pas proactif — surtout dans le contexte d’un procès pour adolescent —, cela est un facteur à prendre en compte lorsqu’il s’agit de décider si un dossier a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être.
[83]                        De même, la défense a l’obligation d’agir de manière proactive ainsi qu’un intérêt à le faire. Lorsqu’un accusé souhaite procéder le plus rapidement possible, la défense doit, pour satisfaire au test applicable lorsque le délai est inférieur au plafond et obtenir un arrêt des procédures, prendre « des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance » (Jordan, par. 48). Elle ne peut clairement pas se contenter d’attendre et de regarder les délais s’empiler. Elle ne peut pas non plus déployer uniquement des « efforts symboliques » comme de simplement faire consigner au dossier qu’elle voulait une date de procès plus hâtive (voir ibid., par. 85). La défense doit plutôt prendre des « mesures utiles et soutenues » — comme tenter d’obtenir les dates les plus rapprochées possible pour la tenue de l’audience, collaborer avec le ministère public et le tribunal et répondre à leurs efforts, aviser le ministère public en temps opportun quand le délai commence à poser problème, mener toutes les demandes de manière raisonnable et expéditive et ainsi de suite (voir ibid.). Bref, si la défense espère satisfaire au critère des « mesures utiles » établi dans l’arrêt Jordan, elle doit agir de manière proactive durant toute l’instance et démontrer que l’accusé est résolu à faire instruire son procès aussi rapidement que possible. L’acquiescement résigné ne suffit pas.
[84]                        Bref, si nous voulons faire de la culture de complaisance vis‑à‑vis des délais mentionnée dans l’arrêt Jordan une chose du passé, tous les participants au système de justice pénale doivent adopter une approche proactive et coopérative afin de réaliser les objectifs importants visés par l’al. 11b) (voir Jordan, par. 5). S’il est vrai que ce principe s’applique certainement aux affaires mettant en cause des adultes, il s’applique encore plus à celles mettant en cause des adolescents.
[85]                        Enfin, avant d’examiner si le délai dans la cause de l’appelant était déraisonnable, il convient d’apporter une brève précision concernant le traitement du délai découlant des tentatives infructueuses d’appliquer des sanctions extrajudiciaires. J’offre cette précision uniquement à des fins d’orientation future, car aucune tentative n’a été faite en l’espèce d’appliquer ce type de sanctions.
(5)         Traitement du délai découlant des tentatives infructueuses d’appliquer des sanctions extrajudiciaires
[86]                        La LSJPA encourage le recours aux « mesures extrajudiciaires », qui visent à intervenir auprès des jeunes contrevenants [traduction] « d’une façon moins intrusive, plus informelle et plus rapide » que si l’affaire était portée devant les tribunaux (Bala et Anand, p. 340). Le paragraphe 2(1) de la LSJPA définit ces mesures comme des « [m]esures, autres que les procédures judiciaires prévues par la présente loi, utilisées à l’endroit des adolescents auxquels une infraction est imputée, y compris les sanctions extrajudiciaires ». Il peut s’agir de simples avertissements ou mises en garde, de renvois à des programmes ou organismes communautaires et, dans les cas où ces mesures ne suffisent pas, de « sanctions extrajudiciaires » (voir la LSJPA, art. 6 à 8 et 10; B. Jones, E. Rhodes et M. Birdsell, Prosecuting and Defending Youth Criminal Justice Cases : A Practitioner’s Handbook, dans B. H. Greenspan et V. Rondinelli, dir., Criminal Law Series (2016), p. 128). Ce sont toutes des mesures de « déjudiciarisation », c’est‑à‑dire des façons de s’attaquer à la délinquance juvénile à l’extérieur du système judiciaire formel (voir Bala et Anand, p. 340 et 350). Elles contribuent notamment à réduire les délais au sein du système de justice pour les adolescents — et du système de justice de façon générale — en réduisant le nombre d’entre eux qui se retrouvent devant les tribunaux (voir Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Justice différée, justice refusée : L’urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada (rapport final) (juin 2017) (en ligne), p. 188‑189).
[87]                        La LSJPA traite les mesures extrajudiciaires comme un outil essentiel dans le domaine de la justice pour les adolescents. Elle reconnaît dans son préambule que le système de justice pénale mis sur pied pour eux devrait « limite[r] la prise des mesures les plus sévères aux crimes les plus graves » et qu’il faudrait diminuer « le recours à l’incarcération des adolescents non violents ». Le rôle central que jouent les mesures extrajudiciaires dans le système de justice pénale pour les adolescents est reconnu aux al. 4a) et b) de la LSJPA, qui prévoient que « le recours [à ces] mesures [. . .] est souvent la meilleure façon de s’attaquer à la délinquance juvénile » et qu’il « permet d’intervenir rapidement et efficacement pour corriger le comportement délictueux des adolescents ». En outre, l’al. 4c) crée une présomption selon laquelle la prise de mesures extrajudiciaires « suffit pour faire répondre les adolescents de leurs actes délictueux dans le cas où ceux‑ci ont commis des infractions sans violence et n’ont jamais été déclarés coupables d’une infraction auparavant », tandis que le par. 6(1) enjoint aux agents de police d’envisager la prise de mesures extrajudiciaires avant d’engager des poursuites. Grâce à l’importance qu’elle accorde aux mesures extrajudiciaires, la LSJPA a [traduction] « mené à une diminution importante du nombre d’adolescents qui ont fait l’objet d’accusations et à une augmentation du recours à diverses méthodes de déjudiciarisation » (Bala et Anand, p. 387).
[88]                        Les sanctions extrajudiciaires sont une forme particulière de mesures extrajudiciaires. Il s’agit de [traduction] « mesures non judiciaires utilisées pour sanctionner une infraction criminelle et pour faire répondre les adolescents de leurs actes délictueux sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une déclaration de culpabilité officielle » (Jones, Rhodes et Birdsell, p. 128; voir également Bala et Anand, p. 371‑381). Il s’agit dans tous les cas de programmes applicables après la mise en accusation (Jones, Rhodes et Birdsell, p. 128). Y recourir ne fait pas nécessairement obstacle à l’introduction ultérieure de poursuites judiciaires, dans le cas où l’adolescent ne s’est pas totalement conformé aux modalités du programme; et, dans un cas de conformité partielle, il ne serait pas injuste d’intenter une poursuite (voir la LSJPA, par. 10(5)). Lorsqu’on a tenté, en vain, d’appliquer des sanctions extrajudiciaires et que le poursuivant décide d’intenter une poursuite, il se sera nécessairement écoulé un certain temps depuis le dépôt des accusations, qui est le point de départ du calcul du délai selon l’arrêt Jordan (voir Jordan, par. 49). La question qui se pose alors est celle de savoir quel traitement il faut réserver à ce laps de temps dans le calcul du délai effectué selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan.
[89]                        À mon avis, tout délai découlant de tentatives infructueuses d’appliquer des sanctions extrajudiciaires devrait être traité au cas par cas. Cela dit, s’il est possible en théorie que ces délais soient, dans de rares cas, inclus dans le calcul effectué selon l’arrêt Jordan, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient déduits à titre de délai imputable à la défense. Des raisons de principe valables le justifient. Le fait de déduire ce délai du calcul effectué selon l’arrêt Jordan réduit le risque que les autorités s’abstiennent d’avoir recours en premier lieu aux sanctions extrajudiciaires de crainte d’augmenter la probabilité qu’un arrêt des procédures soit prononcé advenant l’échec de ces mesures. L’élimination des facteurs de dissuasion à l’égard des sanctions extrajudiciaires est un objectif de principe important étant donné le rôle central que joue ce type de mesures dans le système de justice pénale pour les adolescents. De plus, cette approche est logique du point de vue conceptuel. Lorsqu’on tente d’appliquer des sanctions extrajudiciaires dans une affaire, celle‑ci est essentiellement retirée du système judiciaire et suit une autre voie. Il est donc logique d’« arrêter le compteur » et de le remettre en marche uniquement au moment où l’affaire reprend son cours dans le système judiciaire, le cas échéant.
[90]                        Je me pencherai maintenant sur la question de savoir si le délai était déraisonnable en l’espèce.
C.            Le délai était‑il déraisonnable dans la cause de l’appelant?
(1)         Applicabilité du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Jordan
[91]                        Règle générale, le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan s’applique aux « dossiers en cours d’instance durant [la période transitoire] », c’est‑à‑dire aux affaires déjà en cours lorsque l’arrêt Jordan a été rendu le 8 juillet 2016 (voir Jordan, par. 95; Cody, par. 25). Comme la présente affaire était déjà en cours depuis près de 15 mois à cette date, il s’agit d’un tel dossier.
(2)         Délai total
[92]                        Selon le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Jordan, il faut tout d’abord calculer le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (Jordan, par. 49 et 60). En l’espèce, les parties s’entendent pour dire que le délai total s’étend du 12 avril 2015, date à laquelle l’appelant a été mis en accusation, au 9 novembre 2016, date à laquelle il a été déclaré coupable. Il s’agit donc d’un délai total de 18 mois et 28 jours (le dernier jour étant exclu)[2].
(3)         Délai imputable à la défense
[93]                        Selon l’arrêt Jordan, tout délai imputable à la défense doit être déduit du délai total, parce que cette dernière « ne doit pas être autorisée à profiter de sa propre conduite à l’origine du délai » (par. 60). Par exemple, « la défense cause directement le délai si le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder, mais pas elle » (par. 64).
[94]                        En l’espèce, le matin du 2 mars 2016, le tribunal et le ministère public étaient prêts à procéder à l’heure prévue, mais l’appelant ne s’est pas présenté à l’heure. En l’attendant, le ministère public a traité d’autres dossiers, et le voir‑dire n’a commencé qu’en après‑midi. En fin de compte, le voir‑dire n’a pas été entendu au complet, et la reprise de l’audience a été fixée au 28 juillet 2016 (la première date disponible) pour une durée de cinq heures.
[95]                        Même s’il était inévitable que le voir‑dire ne serait pas entendu au complet le 2 mars, il reste que si l’appelant était arrivé à l’heure, l’audience aurait pu progresser davantage ce jour‑là — elle aurait pu durer environ deux heures et demie de plus. Si cela avait été le cas, il est raisonnable de penser que l’audience aurait pu reprendre avant le 28 juillet, car il est plus facile de trouver une plage horaire de deux heures et demie qu’une plage horaire de cinq heures. Contrairement à ce que prétendent les juges Abella et Brown, il ne s’agit pas d’une simple « suppos[ition] » (par. 175). Cela ne fait plutôt que reconnaître la réalité indéniable de la planification des instances dans une cour provinciale occupée comme celle de Fort McMurray : plus la plage horaire requise est longue, plus l’attente est longue.
[96]                        En fin de compte, c’est la comparution tardive de l’appelant qui est à l’origine du besoin de trouver une date à laquelle on pouvait tenir une audience de cinq heures plutôt que de deux heures et demie. Il y a donc de bonnes raisons de traiter au moins une partie du délai entre le 2 mars 2016 et le 28 juillet 2016 (soit près de cinq mois) comme étant imputable à la défense, même si un ajournement était inévitable. Sans jeter le blâme sur qui que ce soit, tout comme le délai occasionné par le changement d’avis du ministère public quant à la présentation de la déclaration de l’appelant est imputable au ministère public, je suis d’avis que le délai causé par le défaut de l’appelant de se présenter à la cour à l’heure est imputable à la défense. Évidemment, il est difficile de déterminer la portée exacte du délai qui lui est attribuable, et je ne lui imputerais pas le plein délai de cinq mois. À mon avis, il est toutefois juste et raisonnable de lui imputer deux ou trois mois du délai. Le délai net est donc de 16 ou 17 mois.
[97]                        En imputant deux ou trois mois du délai à la défense parce que l’appelant s’est présenté en retard à l’audience du 2 mars, je reconnais que ni la juge du procès ni la Cour d’appel n’ont tenu compte de ce délai. Soit dit en tout respect, pour les motifs que j’ai énoncés, il aurait fallu en tenir compte.
(4)         Événements exceptionnels distincts
[98]                        Le délai causé par des « événements exceptionnels distincts » qui sont raisonnablement imprévisibles ou inévitables est aussi déduit, dans la mesure où il ne pouvait raisonnablement être atténué ni par le ministère public ni par le système judiciaire (voir Cody, par. 48, citant Jordan, par. 73 et 75). Il n’est pas nécessaire que les événements soient « rares ou tout à fait insolites » pour être qualifiés d’événements exceptionnels distincts (Jordan, par. 69). En voici des exemples : « une maladie, une procédure d’extradition ou un imprévu au procès » (ibid., par. 81). « [S]eules des circonstances véritablement indépendantes de la volonté du ministère public et auxquelles celui‑ci ne pouvait remédier » peuvent être des événements exceptionnels distincts (ibid.).
[99]                        En l’espèce, le ministère public soutient que le délai de 28 jours entre le 6 septembre 2016 et le 4 octobre 2016 — qui découle d’une erreur administrative ayant causé l’indisponibilité de la transcription du voir‑dire — constitue un événement exceptionnel distinct devant être déduit du délai total, et que la juge du procès a commis une erreur en concluant le contraire. Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord.
[100]                     Pour ce qui est du premier critère, l’erreur administrative liée au processus de demande de transcription était raisonnablement imprévisible ou inévitable. Comme le précise l’arrêt Jordan, « [l]es procès ne constituent pas des machines bien huilées » (par. 73). De même, comme la Cour l’a signalé dans l’arrêt Cody, « [d]es erreurs surviennent. D’ailleurs, les erreurs sont une réalité inévitable dans un système de justice criminelle dirigé par des êtres humains » (par. 58). L’erreur administrative qui a été commise en l’espèce était une de ces simples erreurs imprévisibles et inévitables, qui surviennent parfois durant une instance.
[101]                     Pour ce qui est du deuxième critère, il est évident que le ministère public ne pouvait pas raisonnablement atténuer ce délai. Il n’a ni demandé ni reçu de copie de la transcription — qu’a réclamée la juge du procès pour son propre bénéfice — et il ne joue aucun rôle de surveillance ou de correction à l’égard des interactions entre les administrateurs judiciaires et le bureau des sténographes judiciaires, avec lequel il n’a pas affaire. Autrement dit, l’erreur qui a été commise en l’espèce n’avait rien à voir avec le ministère public, et au moment où la juge du procès a signalé le problème aux parties, il ne pouvait rien faire pour éviter l’ajournement de l’affaire et ainsi réduire le délai causé par l’erreur.
[102]                     La question est donc celle de savoir si le système judiciaire aurait raisonnablement pu atténuer ce délai. Il est vrai que, si la juge du procès avait été au bureau lorsque la transcription incomplète lui a été envoyée, elle aurait probablement remarqué l’erreur et pu en atténuer les effets, possiblement en écoutant l’enregistrement audio de l’audience ou en demandant qu’une transcription complète lui soit envoyée en toute urgence. Cependant, au moment d’évaluer si une portion précise d’un délai aurait raisonnablement pu être atténuée par le ministère public ou le système judiciaire, il faut tenir compte de certaines « difficultés pratiques » (Jordan, par. 74). Une d’entre elles est le fait que les juges prennent parfois des vacances. Ils ne sont pas enchaînés à leur bureau. Même si l’erreur avait pu être remarquée et qu’on avait pu y remédier si la juge du procès n’avait pas pris de vacances et avait plutôt surveillé ses courriels, il ne s’agit pas, à mon avis, d’une attente raisonnable. En conséquence, le système judiciaire n’aurait pas raisonnablement pu atténuer cette portion du délai.
[103]                     Le délai d’environ un mois découlant de cette erreur administrative doit donc être soustrait du délai total. Le délai net est donc de 15 ou 16 mois, ce qui est inférieur au plafond présumé de 18 mois.
(5)         Test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond
[104]                     C’est la première fois que la Cour a l’occasion d’appliquer le test pour déterminer s’il y a lieu de prononcer un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond. Comme je l’ai déjà indiqué, un délai de ce type sera jugé déraisonnable si la défense prouve « (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être ». Dans une affaire comme celle qui nous occupe, qui était en cours d’instance durant la période transitoire, les tribunaux doivent appliquer ces critères « en fonction du contexte et en étant sensible[s] au fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant » (Jordan, par. 99).
a)              Initiative dont a fait preuve la défense — Mesures utiles et soutenues
[105]                     La défense s’est comportée de manière responsable tout au long de l’instance. Elle a enregistré ses plaidoyers diligemment, a tenté de fixer les dates de procès les plus rapprochées et a adopté des positions raisonnables. Par contre, elle n’a fait que consigner au dossier qu’il n’y avait eu aucune renonciation au droit garanti par l’al. 11b) quand les délais ont commencé à s’accumuler, et elle n’a pas démontré que l’appelant était résolu à faire instruire la cause le plus rapidement possible. La défense a plutôt fait preuve d’un acquiescement résigné. En outre, le fait que l’appelant ne se soit pas présenté à la cour à l’heure le 2 mars 2016 a entraîné un délai.
[106]                     Cela dit, la défense est tenue d’agir « raisonnablement, non pas à la perfection » (Jordan, par. 85), et comme il s’agit en l’espèce d’une affaire en cours d’instance durant la période transitoire, il faut examiner avec souplesse l’approche adoptée par la défense. Ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt Jordan, « la défense n’a pas à démontrer qu’elle a pris des initiatives pour accélérer les choses au cours de la période qui a précédé le prononcé [de l’arrêt Jordan] » (par. 99). Étant donné que près de 80 pour cent de l’instance a eu lieu avant que l’arrêt Jordan soit rendu, je suis prêt à donner le bénéfice du doute à la défense et à conclure qu’il a été satisfait au premier critère.
b)            Délai raisonnable pour juger l’affaire — Délai nettement dépassé
[107]                     En termes clairs, suivant ce volet du test, la question n’est pas de savoir si l’affaire aurait raisonnablement dû être réglée plus rapidement. Il s’agit plutôt de savoir si le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. En l’espèce, trois facteurs donnent à penser que l’affaire aurait raisonnablement dû être réglée plus rapidement.
[108]                     Premièrement, l’affaire n’était pas complexe. Bien qu’un certain nombre de témoins aient présenté une déposition et qu’un voir‑dire ait été tenu sur l’admissibilité de la déclaration que l’appelant a faite à la police, la question centrale était simple : lorsqu’il a poignardé la victime avec un couteau à lame rétractable, l’appelant agissait‑il en légitime défense? Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’une affaire qui n’est pas complexe comme celle‑ci soit réglée dans un délai d’un an.
[109]                     Deuxièmement, il y avait en l’espèce un besoin accru de juger l’appelant rapidement, conformément aux principes de la prise de mesures opportunes ainsi que de la diligence et de la célérité nécessaires des interventions dans les dossiers mettant en cause des adolescents, principes qui ont été reconnus par la jurisprudence et codifiés aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v) de la LSJPA. Pour les motifs que j’ai déjà énoncés, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable prévu à l’al. 11b) de la Charte revêt une importance particulière pour les adolescents et exige que ceux‑ci soient jugés plus rapidement.
[110]                     Troisièmement, le ministère public n’a pas pris de mesures pour accélérer les procédures, en dépit du fait qu’il s’agissait en l’espèce d’une affaire mettant en cause un adolescent. En outre, sa décision tardive de revenir sur sa position et de chercher à faire admettre la déclaration faite par l’appelant à la police a causé un délai de cinq mois et demi. Bien entendu, le ministère public peut revenir sur sa position, mais il doit rester vigilant pour s’assurer que ses décisions en matière de poursuites ne compromettent pas les droits reconnus aux accusés par l’al. 11b) (voir R. c. Vassell, 2016 CSC 26, [2016] 1 R.C.S. 625, par. 5; voir également Jordan, par. 79).
[111]                     Mais ce n’est pas tout. Comme je l’ai déjà mentionné, le test ne vise pas à savoir si l’affaire aurait dû être réglée plus rapidement, mais plutôt de savoir si elle a été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être. Dans une affaire comme celle‑ci, qui était en cours d’instance durant la période transitoire, il faut aborder la question en fonction du contexte et en étant sensible au fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant (voir Jordan, par. 99). En particulier, il faut tenir compte de la proportion du délai qui est antérieure à l’arrêt Jordan et de la façon dont ce délai aurait été traité à la lumière de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan. Ces facteurs aident à juger ce à quoi il est raisonnable de s’attendre en termes de rapidité dans les affaires visées par les dispositions transitoires. Bref, il ne faut pas appliquer de manière rigide les normes d’aujourd’hui aux événements d’hier.
[112]                     En l’espèce, le procès s’est déroulé en très grande partie à une époque où la tolérance à l’égard du délai institutionnel — le délai le plus important dans la présente affaire — était très élevée au pays. Dans une telle affaire, qui était en cours d’instance durant la période transitoire, ce niveau de tolérance élevé à l’égard du délai institutionnel est un des éléments du délai raisonnable nécessaire de la cause (voir Jordan, par. 100‑101). Ainsi, dans l’arrêt Jordan, la Cour a souligné que « compte tenu du niveau de délai institutionnel toléré suivant l’approche qui prévalait antérieurement, un arrêt des procédures sera encore plus difficile à obtenir pour les causes en cours d’instance lorsque le délai est inférieur au plafond » (par. 101).
[113]                     En ce qui a trait au ressort particulier en cause ici, nous ne disposons pas de suffisamment de données pour tirer des conclusions générales sur le temps qu’il fallait avant l’arrêt Jordan pour régler des dossiers similaires mettant en cause des adolescents à Fort McMurray. Le dossier établit toutefois clairement que la surcharge du rôle et les retards systémiques étaient endémiques. Même si les causes de ces symptômes peuvent faire l’objet d’un débat, elles comprennent assurément la culture de complaisance dont il est question dans l’arrêt Jordan et la réalité pratique selon laquelle les tribunaux dans de nombreux petits centres comme Fort McMurray sont confrontés à une charge de travail qui excède leur capacité opérationnelle. Bien que l’arrêt Jordan vise à remédier au malaise en salle d’audience et à la pénurie de ressources institutionnelles qui entraînent des délais systémiques comme celui en cause dans la présente affaire, « [i]l faut du temps pour changer les choses » (Jordan, par. 102). Le changement ne se fera pas du jour au lendemain. Bref, les délais systémiques à Fort McMurray — une « considératio[n] de nature locale » aux termes de l’arrêt Jordan — jouent un rôle important dans l’évaluation de ce à quoi il est raisonnable de s’attendre en termes de rapidité.
[114]                     Il est vrai que la portion du délai total que représente le délai institutionnel et celui attribuable au ministère public en l’espèce — soit entre neuf mois et trois quarts et dix mois et trois quarts[3] — dépassait les lignes directrices administratives proposées dans la décision M. (G.C.) pour les affaires mettant en cause des adolescents (soit cinq à six mois) et qu’elle se trouvait à la limite supérieure des lignes directrices administratives plus générales proposées dans l’arrêt Morin (soit huit à dix mois), ou qu’elle les dépassait. Cependant, les lignes directrices administratives n’ont jamais été censées être des « période[s] de prescription » ou des « durée[s] maximale[s] » (Morin, p. 796). Elles sont plutôt censées être appliquées de façon souple, compte tenu du fait qu’elles doivent « céde[r] devant d’autres facteurs », le cas échéant (ibid., p. 797). En l’espèce, les « autres facteurs » comprennent : (1) la gravité des infractions; et (2) l’absence de préjudice démontré pour l’appelant.
[115]                     La gravité de l’infraction jouait un rôle important dans le cadre d’analyse qui s’appliquait avant le prononcé de l’arrêt Jordan (voir Cody, par. 70). Plus une affaire était grave, plus on estimait que la société avait intérêt à ce qu’elle soit instruite (voir Morin, p. 787). En l’espèce, il ne fait pas de doute que les accusations sont graves. L’infraction de voies de fait graves décrite à l’art. 268 du Code criminel est un acte criminel visé par la définition d’« infraction avec violence » au par. 2(1) de la LSJPA et lorsqu’on demande une peine pour adultes pour la sanctionner, la peine d’emprisonnement maximale applicable est de 14 ans (par. 268(2)). L’infraction de possession d’une arme dans un dessein dangereux décrite au par. 88(1) du Code criminel est aussi une infraction grave. Lorsqu’on demande une peine pour adultes pour la sanctionner, la peine d’emprisonnement maximale est de dix ans si l’infraction a été poursuivie par mise en accusation (voir al. 88(2)a)). De plus, l’incident lui‑même était grave : la victime, elle‑même adolescente, a subi des [traduction] « blessures très graves » par suite de l’agression au couteau.
[116]                     Le préjudice était un « facteur important, voire déterminant » du cadre d’analyse appliqué avant l’arrêt Jordan (Jordan, par. 34). En l’espèce, il n’existait pas de preuve de préjudice réel à l’appelant et le fait qu’il ait passé seulement neuf jours en détention préventive avant sa mise en liberté assortie de conditions minimes ne constitue pas un fondement solide permettant de déduire qu’il y a eu préjudice. Bien qu’on puisse déduire du jeune âge de l’appelant et de la longueur du délai qu’il y a eu un certain préjudice (voir Morin, p. 807), l’exercice de déduction peut faire débat (voir Jordan, par. 33).
[117]                     En l’espèce, la gravité des infractions et l’absence de préjudice démontré sont pertinentes en ce qu’elles expliquent pourquoi le ministère public avait de bonnes raisons de croire que le délai ne serait pas jugé déraisonnable dans la présente affaire, qui était en cours durant la période transitoire. Si l’état du droit avait été différent — autrement dit, si l’arrêt Jordan avait été rendu avant que le procès commence —, le ministère public aurait sans doute agi différemment et fait des efforts plus soutenus pour que l’affaire progresse rapidement. Il serait toutefois injuste de s’attendre à ce que les normes qui s’appliquent aujourd’hui aient été appliquées à l’époque. À l’instar de la norme relative à l’initiative dont a fait preuve la défense, la norme qui s’applique à ce qui peut être raisonnablement attendu du ministère public doit être adaptée dans les cas transitoires pour tenir compte de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan.
[118]                     J’ajouterais que le délai systémique persistant dont il a été question précédemment a entravé la capacité du ministère public de traiter rapidement la présente affaire (voir Jordan, par. 97). En toute équité, on ne saurait reprocher au ministère public les contraintes systémiques qui existaient à l’époque et qui, même après l’arrêt Jordan, nécessitent du temps et des ressources pour qu’il y soit remédié.
[119]                     En dernière analyse, la présente affaire est un cas limite. Le délai en l’espèce était excessif, surtout eu égard à la nécessité accrue d’agir rapidement dans les dossiers mettant en cause des adolescents. Si 80 pour cent du procès s’était déroulé après l’arrêt Jordan plutôt qu’avant celui‑ci, j’aurais été enclin à prononcer l’arrêt des procédures. Cependant, en adoptant une approche qui tient compte du contexte et en étant sensible au fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant, je ne suis pas convaincu que l’instance a été nettement plus longue qu’elle aurait dû raisonnablement l’être.
VI.         Conclusion
[120]                     En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
                     Version française des motifs des juges Abella, Brown et Martin rendus par
[121]                     Les juges Abella et Brown (dissidents) — L’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à tout inculpé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Dans l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, la Cour a établi un nouveau cadre d’analyse pour juger dans quels cas il y a eu atteinte à ce droit en fixant des plafonds de 30 mois (pour les affaires instruites devant une cour supérieure) et de 18 mois (pour les affaires instruites devant une cour provinciale). Au‑delà de ces plafonds, la durée de l’instance est présumée déraisonnable. Cependant, dans l’arrêt Jordan, la Cour n’a pas examiné le système de justice pour les adolescents, et aucun des intervenants ni aucune des parties n’a soulevé la question. En conséquence, nous sommes appelés à décider en l’espèce si les plafonds fixés dans l’arrêt Jordan devraient être différents pour les affaires portées devant les tribunaux pour adolescents, eu égard aux distinctions habituelles établies entre les adolescents et les adultes dans le système de justice pénale.
[122]                     À notre avis, même si les principes qui sous‑tendent le cadre énoncé dans l’arrêt Jordan s’appliquent tout autant aux affaires portées devant les tribunaux pour adolescents, leur application mène inévitablement à la conclusion qu’il y a lieu de fixer pour elles un plafond plus bas afin de tenir compte du caractère distinct des inculpés adolescents et du préjudice additionnel reconnu qu’ils subissent en raison des délais qui s’écoulent dans le système de justice pour les adolescents.
[123]                     La fixation d’un plafond plus bas pour les adolescents permet de donner effet à l’intention qu’avait le législateur en adoptant un système de justice pénale distinct pour les adolescents, de respecter les engagements internationaux du Canada, de tenir compte de la nécessité, reconnue dans la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan, d’assurer la célérité des procédures mettant en cause des adolescents, et de tenir compte des facteurs qui ont mené à l’établissement des plafonds présumés à l’égard des adultes dans l’arrêt Jordan.
[124]                     Le système de justice pénale pour les adolescents se caractérise notamment par ses tribunaux pour adolescents. Dès sa création, ce système se voulait distinct de celui pour les adultes et il a toujours été reconnu comme tel. Le législateur fédéral a créé un système de justice pénale distinct assorti de protections procédurales supplémentaires pour les adolescents en raison du caractère unique de leurs interactions avec le système de justice pénale. Ce clivage qui existe depuis longtemps entre le système de justice pénale pour les adolescents et celui pour les adultes est le fil conducteur de notre analyse. Ainsi que nous l’expliquerons plus loin, intégrer les poursuites pénales intentées contre les adolescents au cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan touche non seulement la façon dont le système traite les adolescents, mais également la portée de cet arrêt. Afin de garantir l’efficacité de la protection prévue à l’al. 11b) de la Charte et de préserver l’intégrité des principes établis dans l’arrêt Jordan lui‑même, mais aussi par souci de conformité à la jurisprudence de la Cour, il est impératif d’appliquer le cadre d’analyse de l’arrêt Jordan d’une manière qui respecte la distinction que le législateur a établie entre le système de justice pénale pour les adultes et celui pour les adolescents.
Les principes sous‑jacents au cadre d’analyse de l’arrêt Jordan
[125]                     Dans l’arrêt Jordan, et à nouveau dans l’arrêt R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, la Cour a constaté qu’il existait « au sein du système [de justice criminelle] une culture de complaisance vis‑à‑vis des délais », favorisée par « les difficultés sur les plans théorique et pratique qui pèsent sur le test actuel applicable aux demandes fondées sur l’al. 11b) » de la Charte (Jordan, par. 4). Le cadre d’analyse utilisé précédemment pour évaluer ce type de demandes, qui avait été énoncé dans l’arrêt R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771, était imprévisible et complexe. En conséquence, comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Jordan, « tout le monde en pâti[ssait] [. . .] [l]es inculpés demeur[ai]ent dans l’incertitude [. . .] [l]es victimes et leurs familles [. . .] ne [pouvaient] tourner la page [et le] public [. . .], dont l’intérêt est servi lorsque les inculpés sont traduits rapidement en justice, [était] frustré avec raison de voir des années passer avant la tenue d’un procès » (par. 2).
[126]                     Il fallait donc, de l’avis de la Cour, « [u]ne clarté et une prévisibilité accrues cadr[a]nt bien avec un droit protégé par la Charte qui revêt une telle importance pour notre système de justice criminelle » (par. 108).
[127]                     En conséquence, la Cour a proposé un « changement d’orientation » (par. 5), soit un nouveau cadre d’analyse pour les demandes fondées sur l’al. 11b), reposant sur des plafonds présumés qui représentent le délai maximal qui devrait s’écouler avant la fin du procès. La Cour a fixé ces plafonds à 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale, et à 30 mois pour celles instruites devant une cour supérieure. Selon les explications données par la Cour, ces plafonds situent le moment à partir duquel le fardeau qui incombe à la défense aux termes de l’al. 11b) (de prouver que le délai a été déraisonnable) passe au ministère public (qui doit alors justifier le temps qu’il a fallu pour instruire l’affaire). Si les plafonds devaient « accro[ître] la simplicité de l’analyse et favorise[r] les mesures incitatives constructives », ils devaient également donner une certaine souplesse à l’évaluation des « facteurs déterminants et propres à l’affaire » pour apprécier le caractère raisonnable tant du délai supérieur au plafond que de celui inférieur à ce dernier (Jordan, par. 51).
[128]                     Dans l’arrêt Jordan, quatre raisons ont été invoquées pour justifier l’établissement des plafonds présumés. Premièrement, ces plafonds sont « nécessaire[s] pour donner des directives valables à l’État sur ses obligations constitutionnelles ainsi qu’aux personnes qui jouent un rôle important pour garantir que le procès se conclut dans un délai raisonnable » tels les fonctionnaires responsables de l’administration des tribunaux, les policiers, les avocats du ministère public, les inculpés et leurs avocats, de même que les juges (italiques ajoutés). Deuxièmement, les plafonds présumés donnent une certaine assurance que l’al. 11b) n’est pas « une promesse creuse ». Troisièmement, les plafonds sont conçus « pour encourager une conduite et une répartition des ressources qui mèneront à la tenue de procès en temps utile ». Enfin, les plafonds offrent un certain degré de certitude, car ils permettent aux participants du système de justice criminelle de connaître à l’avance « les limites du délai raisonnable et [. . .] [de] prendre des mesures proactives pour remédier aux délais ».
[129]                     La question à trancher en l’espèce est simplement celle de savoir comment appliquer aux adolescents les avantages recherchés par l’établissement de plafonds présumés, compte tenu du système de justice pénale distinct que le législateur a créé pour eux et du préjudice additionnel qu’ils subissent du fait des longs délais, préjudice reconnu depuis longtemps tant par le législateur que par la jurisprudence de la Cour.
[130]                     À notre avis, les raisons invoquées dans l’arrêt Jordan pour justifier l’établissement de plafonds présumés pour le système de justice pénale pour les adultes sont tout aussi pertinentes dans le cas des poursuites intentées contre les adolescents. Le clivage entre le système de justice pénale pour les adultes et celui pour les adolescents doit toutefois guider la façon d’appliquer ces raisons aux affaires portées devant les tribunaux pour adolescents. Nous concluons donc que l’al. 11b) de la Charte exige l’établissement d’un plafond présumé distinct pour les poursuites intentées sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), de manière à tenir compte du système de justice distinct créé par le législateur du fait des facteurs uniques applicables aux adolescents. En conséquence, tout comme la Cour a établi dans l’arrêt Jordan les plafonds qui conviennent aux poursuites intentées contre les adultes, une analyse distincte s’impose pour les instances qui se déroulent dans le système de justice pour les adolescents. Cette analyse mène à l’établissement d’un plafond présumé de 15 mois pour les poursuites intentées contre les adolescents devant une cour provinciale.
[131]                     Comme la période de près de 19 mois qui s’est écoulée en l’espèce dépasse le plafond de 15 mois et comme le ministère public ne nous a pas convaincus que l’exception transitoire s’applique de façon à justifier le délai, celui‑ci est déraisonnable. En conséquence, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner un arrêt des procédures.
Le système distinct de justice pénale pour les adolescents
[132]                     Il y a plus d’un siècle, le législateur a créé un système de justice pénale distinct pour les adolescents en adoptant la Loi des jeunes délinquants, 1908, S.C. 1908, c. 40. Le traitement distinct des adolescents accusés d’avoir commis des infractions criminelles s’est poursuivi avec la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y-1 (« LJC »), puis avec la LSJPA adoptée en 2002. Fait important à souligner, suivant l’al. 3(1)b) de la LSJPA, « le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes ». Afin de donner effet à cette distinction, l’art. 13 de cette même loi prévoit que les procédures criminelles intentées contre les adolescents sont instruites par un tribunal pour adolescents. Bien que ce tribunal soit une institution distincte des cours provinciales et supérieures, la LSJPA assimile la cour supérieure à un tribunal pour adolescents pour certaines procédures (par. 13(2) et (3)), tandis que les cours provinciales sont désignées à titre de tribunaux pour adolescents par certaines lois provinciales (voir, par exemple : Provincial Court Act, R.S.A. 2000, c. P‑31, art. 11‑12; Provincial Court Act, R.S.B.C. 1996, c. 379, par. 2(5); Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, par. 38(3)).
[133]                     Dans ses décisions portant sur l’interprétation et l’application de la LSJPA, la Cour a expliqué les raisons qui ont incité le législateur à adopter un système distinct pour les adolescents. Dans l’arrêt R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426, la Cour a conclu qu’un adolescent ne pouvait subir son procès conjointement avec un adulte et décrit la séparation entre le système de justice pénale pour les adultes et celui pour les adolescents comme un des « principe[s] directeur[s] de la LSJPA » (par. 56). Elle a ensuite expliqué en ces termes les « fondements de la création, il y a plus de cent ans maintenant, d’un système de justice propre aux adolescents » (par. 62) :
     Depuis l’adoption de la Loi concernant les jeunes délinquants en 1908 (S.C. 1908, ch. 40 [. . .]), les adolescents ont, sous réserve de l’exercice de la procédure de renvoi, joui d’un système de justice pénale distinct, animé par ses propres principes. La création d’un tel système est fondée sur la reconnaissance de la présomption de culpabilité morale moindre des adolescents et de leur plus grande vulnérabilité face au système judiciaire (D.B., par. 41 et 127; R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739, par. 3 et 93; R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99, par. 41; R. c. Z. (D.A.), 1992 CanLII 28 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 1025; P. J. Harris et M. H. Bloomenfeld, Youth Criminal Justice Act Manual (2003), vol. 2, Part Ten : Adult Sentence Hearing Cases, p. 10‑6.1; [traduction] « Historiquement, le transfert supposait l’existence d’un système de justice pour les adolescents qui était entièrement distinct du système applicable aux adultes » : P. Platt, Young Offenders Law in Canada (2e éd. 1995), p. 235). [Italiques ajoutés; par. 64.]
[134]                     La décision rendue par la Cour dans l’affaire S.J.L. était fondée principalement — et à juste titre — sur le lien entre la création d’un système de justice pénale distinct pour les adolescents et la présomption de leur culpabilité morale moindre. Un an avant le prononcé de l’arrêt S.J.L., la Cour a affirmé, dans l’arrêt R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3, que la présomption de culpabilité morale moindre chez les adolescents était un principe de justice fondamentale protégé par l’art. 7 de la Charte (voir, p. ex., B. Jones, E. Rhodes et M. Birdsell, Prosecuting and Defending Youth Criminal Justice Cases : A Practitioner’s Handbook, dans B. H. Greenspan et V. Rondinelli, dir., Criminal Law Series (2016), p. 8).
[135]                     En 2012, le législateur a modifié l’al. 3(1)b) de la LSJPA afin de codifier la jurisprudence et de réaffirmer que le système distinct de justice pénale pour les adolescents « doit [. . .] être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée ».
[136]                     En créant dans la LSJPA un système distinct de justice pénale pour les adolescents doté de ses propres procédures, le législateur poursuivait deux objectifs fondamentaux :
•                           offrir aux adolescents des protections procédurales supplémentaires tout au long du processus pénal, compte tenu de leur jeune âge; et
•                           créer des procédures moins formelles et plus rapides.
(Voir S. Davis‑Barron, Canadian Youth & the Criminal Law : One Hundred Years of Youth Justice Legislation in Canada (2009), p. 179.)
[137]                     La nécessité d’offrir des protections procédurales supplémentaires aux adolescents est également reconnue dans les engagements internationaux du Canada. Le préambule de la LSJPA renvoie explicitement à la convention des Nations Unies intitulée Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3 (adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 et ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991) :
        Attendu :
      . . .
        que le Canada est partie à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et que les adolescents ont des droits et libertés, en particulier ceux qui sont énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits, et qu’ils bénéficient en conséquence de mesures spéciales de protection à cet égard;
[138]                     La Convention reconnaît dans son préambule que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée ». Elle énonce également quelques‑unes des protections procédurales supplémentaires dont devraient bénéficier les adolescents accusés d’avoir commis une infraction criminelle. Le paragraphe 40(1) énonce le principe général selon lequel les adolescents ont droit à un traitement de nature à favoriser leur sens de la dignité et de leur valeur personnelle et qui tient compte de leur âge. Par ailleurs, l’al. 40(2)b) précise les garanties procédurales auxquelles les adolescents ont droit, y compris la présomption d’innocence, le droit d’être informés avec diligence et directement des accusations portées contre eux, le droit de ne pas être contraints de témoigner ou de s’avouer coupables, celui que leur cause soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétente, indépendante et impartiale, et le droit de faire appel d’une décision rendue contre eux.
[139]                     La Convention n’est pas le seul instrument international qui affirme la nécessité de protections procédurales supplémentaires dans les systèmes de justice pénale pour les adolescents. Comme l’énonce son préambule, elle repose sur les fondements établis dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, A.G. Rés. 40/33 (29 novembre 1985) (« Règles de Beijing »). Ces règles exigent l’adoption de mesures de protection procédurales similaires pour les adolescents jugés dans les « systèmes de justice pour mineurs » des États membres des Nations Unies, y compris le Canada.
[140]                     La LSJPA s’inspire de ces instruments internationaux. Son article 3 (« Déclaration de principes : Politique canadienne à l’égard des adolescents ») fait écho aux principes des instruments internationaux mentionnés précédemment. L’alinéa 3(1)b) consacre la prise de protections procédurales supplémentaires pour les adolescents comme l’un des principes centraux de la LSJPA :
        3 (1) Les principes suivants s’appliquent à la présente loi :
      . . .
      b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et mettre l’accent sur :
      (i) leur réadaptation et leur réinsertion sociale,
      (ii) une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité,
      (iii) la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée,
      (iv) la prise de mesures opportunes qui établissent clairement le lien entre le comportement délictueux et ses conséquences,
      (v) la diligence et la célérité avec lesquelles doivent intervenir les personnes chargées de l’application de la présente loi, compte tenu du sens qu’a le temps dans la vie des adolescents;
[141]                     La Cour a reconnu à maintes reprises la pertinence de ces instruments internationaux pour interpréter la portée de la LSJPA et les protections procédurales supplémentaires accordées aux inculpés adolescents. Citant la Convention, le juge Fish a souligné dans l’arrêt R. c. R.C., 2005 CSC 61, [2005] 3 R.C.S. 99, que « [le législateur] a cherché également, pour se conformer à ses obligations internationales, à accorder une protection procédurale accrue aux jeunes contrevenants » (par. 41). Dans l’arrêt D.B., la juge Abella a cité tant les Règles de Beijing que le sous-al. 3(1)b)(iii) de la LSJPA pour conclure qu’il incombait dans tous les cas au ministère public de justifier la levée de l’interdiction de publication de l’identité d’un adolescent (par. 84‑87).
[142]                     Ainsi que l’a également fait remarquer le juge Fish dans l’arrêt R. c. L.T.H., 2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739, le « Parlement a cru juste et nécessaire d’accorder aux adolescents des droits et des garanties procédurales dont ils sont les seuls à bénéficier » (par. 46). Parmi les droits procéduraux supplémentaires conférés par la LSJPA, mentionnons le recours à des mesures extrajudiciaires (art. 4-12); l’avis aux père et mère (art. 26); la possibilité d’exiger la présence des père et mère devant le tribunal (art. 27); un droit amélioré à l’assistance d’un avocat (al. 10(2)d) et art. 25 et 32); des obligations spécifiques que les juges du tribunal pour adolescents doivent respecter pour s’assurer que ceux‑ci sont traités de manière équitable (art. 32); une réduction de la possibilité d’ordonner la détention sous garde (art. 29); la possibilité de mettre en liberté des adolescents qui seraient autrement placés sous garde (art. 31); la révision de novo de l’ordonnance relative à la mise en liberté sous caution (art. 33); le droit d’être détenu séparément des adultes dans le cadre d’une détention temporaire (art. 30); des mesures procédurales supplémentaires à l’égard de l’admissibilité des déclarations faites par les adolescents aux personnes en autorité (art. 146); et un régime distinct de détermination de la peine (art. 38‑82).
[143]                     Bref, la nécessité d’appliquer un régime distinct pour juger les inculpés adolescents accusés d’infractions criminelles est reconnue dans une panoplie de directives légales, d’obligations internationales et de décisions judiciaires. En raison de la plus grande vulnérabilité des adolescents ayant des démêlés avec la justice et de leur culpabilité morale moindre par rapport aux adultes, des protections procédurales supplémentaires — et solides — ont été intégrées dans ce système distinct.
La nécessité de traiter rapidement les poursuites intentées sous le régime de la LSJPA
[144]                     Un des aspects de ces protections procédurales supplémentaires — et celui qui nous intéresse en l’espèce — réside dans la reconnaissance générale de la nécessité de veiller à ce que les poursuites intentées sous le régime de la LSJPA se déroulent plus rapidement que celles intentées contre les adultes. Les sous‑alinéas 3(1)b)(iv) et 3(1)b)(v) codifient la célérité et la diligence comme principes directeurs de la LSJPA. Ces dispositions sont conformes tant à la Convention qu’aux Règles de Beijing. Le sous‑alinéa 40(2)b)(iii) de la Convention garantit aux adolescents le droit d’exiger que leur cause soit entendue sans retard, tandis que la règle 20.1 des Règles de Beijing énonce que « [t]oute affaire doit, dès le début, être traitée rapidement, sans retard évitable ».
[145]                     Cela dit, pour bien comprendre la nécessité reconnue depuis fort longtemps de régler rapidement les affaires relevant du système de justice pénale pour les adolescents, il est impératif de revenir à la jurisprudence antérieure à la LSJPA, dans laquelle les tribunaux ont insisté, même à cette époque, sur l’importance d’assurer le déroulement rapide des procédures.
[146]                     Dans l’arrêt R. c. M. (G.C.) (1991), 1991 CanLII 7057 (ON CA), 3 O.R. (3d) 223 (C.A.), le juge Osborne a rappelé la nécessité de conclure sans délai abusif les instances portées devant le tribunal pour adolescents, soulignant le lien étroit entre le caractère raisonnable du délai et ce tribunal :
        [traduction] . . . il me semble que, en général, les poursuites intentées devant les tribunaux pour adolescents devraient être menées à terme plus rapidement que celles portées devant les tribunaux pour adultes. Le délai qui peut être raisonnable dans le système de justice pénale pour les adultes ne le sera pas forcément pour les affaires dont est saisi le tribunal pour adolescents. Cela s’explique par plusieurs raisons valables, notamment par le fait, bien connu, que l’adolescent est moins en mesure que l’adulte de comprendre le lien entre un comportement et ses conséquences. Dans le cas des adolescents, on constate parfois un phénomène de distorsion temporelle. Si une thérapie est nécessaire et doit faire partie de la panoplie de mesures permises par la Loi sur les jeunes contrevenants, il est préférable que cette thérapie commence dans les meilleurs délais. [Italiques ajoutés; p. 230.]
Fait à signaler, le juge Osborne n’a pas considéré le délai dans le contexte du système de justice pénale pour les adolescents comme une « garantie constitutionnelle spéciale » (p. 230) réservée aux adolescents. Il a plutôt conclu qu’un délai qui est raisonnable dans le système de justice pénale pour les adultes ne le serait peut‑être pas si c’est d’un adolescent qu’il s’agit. Bien que le « droit constitutionnel [garanti par l’al. 11b)] reste le même[, i]l s’applique différemment aux adolescents, en raison du préjudice particulier pouvant leur être causé lorsque leur procès est indûment retardé » (p. 231).
[147]                     Dans le même ordre d’idées, dans les arrêts R. c. D. (S.), 1992 CanLII 58 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 161, p. 162, et R. c. J. (M.A.), 1992 CanLII 60 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 166, p. 167, la Cour a reconnu l’« intérêt qu’a la société » à ce que les procédures intentées contre les jeunes contrevenants se déroulent rapidement. Le juge Sopinka a conclu que, dans le contexte de l’al. 11b), il est nécessaire « que l’on prenne en considération le fait que les accusations portées contre des jeunes contrevenants doivent être instruites promptement ».
[148]                     Il ressort de la jurisprudence antérieure à la LSJPA que, même si le législateur a ajouté dans cette loi de nouvelles protections procédurales applicables dans le contexte des poursuites intentées devant les tribunaux pour adolescents, la nécessité de régler rapidement ces affaires a été reconnue avant l’entrée en vigueur de cette loi. En adoptant en 2002 l’al. 3(1)b) de la LSJPA, suivant lequel « le système de justice pénale pour les adolescents doit [. . .] mettre l’accent sur [. . .] la prise de mesures opportunes qui établissent clairement le lien entre le comportement délictueux et ses conséquences, [et sur] la diligence et la célérité avec lesquelles doivent intervenir les personnes chargées de l’application de la présente loi, compte tenu du sens qu’a le temps dans la vie des adolescents », le législateur ne faisait que codifier la jurisprudence qui existait déjà. Ainsi que l’a souligné la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. R. (T.) (2005), 2005 CanLII 18709 (ON CA), 75 O.R. (3d) 645, la LSJPA a cristallisé les règles antérieures de la common law, notamment les principes établis dans l’arrêt M. (G.C.), [traduction] « l’arrêt clé de la cour sur la question des délais abusifs » (p. 650) dans le contexte des procédures mettant en cause des jeunes contrevenants.
[149]                     La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a abondé dans le même sens, soulignant que [traduction] « la plupart des principes énoncés à l’art. 3 de la LSJPA codifient la jurisprudence déjà existante [et que] l’interprétation de la LJC reposait en bonne partie sur le souci marqué des tribunaux de veiller à ce que les instances portées devant les tribunaux pour adolescents se déroulent promptement. À cet égard, la LSJPA n’apporte aucun changement » (R. c. H.R., 2006 BCCA 211, 225 B.C.A.C. 127, par. 32; voir également R. c. R.R., 2011 NSCA 86, 307 N.S.R. (2d) 319, par. 14). En conséquence, en adoptant l’al. 3(1)b) de la LSJPA, le législateur a reconnu qu’une des principales assises du système distinct de justice pénale pour les adolescents résidait dans la nécessité de veiller à ce que les poursuites intentées contre ceux‑ci soient menées à terme plus rapidement.
[150]                     Depuis l’adoption de la LSJPA, les tribunaux ont systématiquement répété que les poursuites pénales intentées contre les adolescents devaient être résolues plus vite que celles visant les adultes et qu’un délai qui est raisonnable dans le cas de ceux‑ci ne le sera peut‑être pas lorsqu’il s’agit d’adolescents. Dans l’arrêt R. c. L.B., 2014 ONCA 748, 325 O.A.C. 371, par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que [traduction] « les affaires portées devant le tribunal pour adolescents devraient se dérouler plus rondement que celles dont sont saisis les tribunaux pour adultes » (par. 14). En outre, dans l’arrêt R.R., la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu que [traduction] « pour tenir dûment compte de la situation particulière des adolescents, il faut reconnaître qu’un délai risque de porter davantage atteinte à leurs droits à la liberté et à leur sécurité qu’il ne le ferait pour un adulte » (par. 13).
[151]                     Même si la nécessité que les procédures qui mettent en cause des adolescents soient résolues diligemment est indéniablement liée au préjudice général qu’ils subissent dans le cadre de leurs interactions avec le système de justice pénale, il y a des raisons particulières qui expliquent pourquoi la rapidité revêt une plus grande importance à titre de protection procédurale dans le cas d’adolescents accusés d’avoir commis une infraction criminelle. La juge Veldhuis, de la Cour d’appel de l’Alberta, a relevé trois traits de caractère observés chez les adolescents qui expliquent pourquoi ils risquent d’être davantage lésés que les adultes par un long délai précédant leur procès (par. 104‑106) :
        [traduction] Premièrement, les adolescents sont moins en mesure que les adultes de comprendre le lien entre un comportement donné et ses conséquences : M. (G.C.), par. 23. Les longs délais qui viennent émousser encore plus ce lien peuvent empêcher les adolescents de tirer des leçons de l’incident et miner leurs chances de réadaptation.
     Deuxièmement, la perception du temps qu’ont les adolescents peut être déformée : M. (G.C.), par. 23; LSJPA, sous‑al. 3(1)b)(v). Les délais peuvent sembler plus longs aux yeux des adolescents, eu égard à la proportion de cette période par rapport à leur vie comparativement à ce qu’elle représente pour les adultes. En conséquence, ils peuvent subir un plus grand préjudice, en raison du sentiment plus vif de perte de liberté qu’ils éprouvent par suite de leur détention avant le procès ou des conditions dont est assortie leur mise en liberté sous caution, qui peuvent leur sembler plus longues qu’elle le semblerait pour un adulte. Il se peut aussi qu’ils se sentent davantage lésés en raison du sentiment prolongé de stress général que ressent quiconque fait l’objet de suspicion.
     Troisièmement, les adolescents ont tendance à oublier plus rapidement que les adultes : Nicholas Bala, « Youth as Victims and Offenders in the Criminal Justice System : A Charter Analysis — Recognizing Vulnerability » (2008) 40:19 SCLR 595, p. 616. Cette caractéristique peut nuire à la capacité des adolescents de présenter une défense pleine et entière lorsqu’ils ont de la difficulté à se rappeler les faits. [Nous soulignons.]
Nous ajouterions à cette liste les deux autres facteurs mentionnés par les juges majoritaires : la nécessité d’éviter tout risque d’iniquité et celle de promouvoir les intérêts de la société.
[152]                     L’arrêt Jordan n’a pas traité du fait que les délais ont des conséquences particulières sur les adolescents et, comme les juges majoritaires le reconnaissent, il n’a pas explicitement répondu à la question de savoir si les plafonds présumés qu’il a fixés s’appliquent aux affaires portées devant les tribunaux pour adolescents. Soit dit en tout respect, nous ne partageons pas l’avis voulant que les plafonds fixés dans l’arrêt Jordan étaient censés s’appliquer aux poursuites intentées sous le régime de la LSJPA.
[153]                     Il n’est nullement question des adolescents ou du système de justice pénale pour les adolescents dans l’arrêt Jordan, et rien dans cet arrêt ne permet de penser qu’on a tenu compte de considérations propres aux adolescents. Il n’y a rien d’étonnant à cela : personne n’a soulevé la question, personne ne l’a débattue et personne ne l’a examinée. Toutefois, pour conclure que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan s’applique à toutes les procédures pénales, on se fonde sur l’absence de toute mention du système de justice pénale pour les adolescents dans cet arrêt pour en déduire qu’il y était visé. Ce faisant, on ne tient pas compte de la distinction qui a toujours été faite entre le système de justice pénale pour les adultes et celui pour les adolescents, au détriment de ces derniers. Pour qu’on puisse considérer que le cadre d’analyse servant à trancher les litiges portant sur des droits constitutionnels dans le contexte du système de justice pénale pour les adultes s’applique aussi au système distinct de justice pénale pour les adolescents, il faut une règle explicite en ce sens. On ne peut procéder par déduction, surtout lorsque le fait de déduire que les adolescents sont visés par le cadre qui s’applique aux adultes se traduit par une diminution de la protection dont les adolescents bénéficient et qui leur est garantie par la Constitution.
[154]                     L’intégration du cadre d’analyse applicable aux adultes établi dans l’arrêt Jordan aux poursuites intentées contre les adolescents n’a pas seulement pour effet d’éliminer les protections accordées à ces derniers. Elle modifie l’arrêt Jordan lui‑même et dilue la clarté qu’il avait créée. En réalité, l’approche de nos collègues majoritaires déroge au test relatif aux délais « inférieurs au plafond ». Dans l’arrêt Jordan, la Cour n’aurait pas pu s’exprimer plus clairement : le préjudice n’est plus un facteur indépendant, mais représente plutôt un des facteurs à prendre en compte pour fixer les plafonds, et un arrêt des procédures est prononcé lorsque le délai est inférieur au plafond uniquement dans de « rares » cas et dans les « cas manifestes », sans plus. Si l’on modifie l’arrêt Jordan en rendant en théorie plus facile l’obtention d’un arrêt des procédures lorsque cette mesure est nécessaire pour tenir compte du préjudice subi par les adolescents, la clarté de la directive de l’arrêt Jordan selon laquelle un arrêt des procédures ne sera prononcé lorsque le délai est inférieur au plafond que dans de « rares » cas et dans les « cas manifestes » se voit compromise et la prévisibilité de la présomption du caractère raisonnable du délai inférieur au plafond, ébranlée.
[155]                     De plus, si l’on applique le test relatif aux délais « inférieurs au plafond » révisé que proposent les juges majoritaires, on ne sait pas dans quelles circonstances la nécessité de mener rapidement à terme une poursuite intentée contre un adolescent sera un facteur qui entrera en ligne de compte lorsqu’il s’agira de déterminer si le délai est raisonnable ou non dans une affaire donnée. On ne peut imaginer pire scénario : des plafonds rigides qui offrent aux adolescents une protection inférieure à celle dont ils bénéficiaient jusqu’ici et à laquelle ils avaient droit, ainsi qu’un manque de clarté et de prévisibilité quant aux situations dans lesquelles un arrêt des procédures sera prononcé lorsque le délai est inférieur au plafond.
[156]                     Nous ne sommes donc pas d’accord pour dire que le test applicable aux délais « inférieurs au plafond » énoncé dans Jordan permet de tenir compte de la « tolérance [différente des adolescents] envers les délais » (par. 42). Exiger d’un adolescent qu’il prouve l’existence de circonstances particulières pour démontrer qu’un délai inférieur au plafond est déraisonnable impose un fardeau disproportionné à des personnes dont la plupart des gens reconnaissent la vulnérabilité. Nous ne voyons aucune raison de tenter de concilier ce qui est inconciliable. Nous serions plutôt enclins à appliquer les principes qui sous‑tendent l’arrêt Jordan pour déterminer le plafond présumé qu’il convient d’appliquer aux procédures relevant du système de justice pénale pour les adolescents, en tenant compte des facteurs propres à ce système.
Le plafond présumé devrait être abaissé dans le cas des poursuites intentées sous le régime de la LSJPA
[157]                     L’analyse qui précède nous amène à convenir avec la juge Veldhuis de la Cour d’appel qu’un plafond séparé et distinct devrait être fixé pour le régime particulier créé par la LSJPA.
[158]                     Quel devrait donc être ce plafond présumé compte tenu de la nécessité, reconnue dans la jurisprudence, de mener rapidement à terme les procédures intentées contre les adolescents, des principes directeurs énoncés par le législateur qui régissent la LSJPA et des engagements internationaux du Canada en matière de justice pénale pour les adolescents?
[159]                     Dans l’arrêt Jordan, ce sont les lignes directrices proposées dans l’arrêt Morin qui ont servi de « point[s] de départ » pour fixer les plafonds présumés, soit, une période de huit à dix mois comme balise pour les délais institutionnels dans le cas des instances devant la cour provinciale, et une période de six à huit mois supplémentaires pour celles introduites devant la cour supérieure.
[160]                     Dans l’arrêt M. (G.C.), la Cour d’appel de l’Ontario a proposé une [traduction] « ligne directrice administrative » en déclarant que « les affaires portées devant le tribunal pour adolescents devraient être instruites dans un délai de cinq à six mois » (p. 236 (italiques ajoutés)). Si nous utilisons ce même « point de départ » pour les poursuites intentées sous le régime de la LSJPA, il devient évident, ne serait‑ce que pour cette raison, que les plafonds fixés pour les poursuites intentées contre les adultes ne peuvent s’appliquer.
[161]                     L’orientation donnée dans l’arrêt M. (G.C.) correspondait à la pratique judiciaire en vigueur avant l’arrêt Jordan, qui consistait à examiner la nécessité d’assurer que les procédures engagées contre les adolescents se déroulent diligemment dans le cadre d’une analyse du préjudice causé par le délai accumulé avant le procès. Or, dans l’arrêt Jordan, la Cour a retiré le préjudice individuel de l’analyse des demandes fondées sur l’al. 11b), car il « est difficile à prouver et son traitement porte à confusion en plus d’être hautement subjectif » (par. 33). En établissant respectivement à 18 mois et à 30 mois les plafonds présumés pour les affaires instruites devant une cour provinciale et pour celles instruites devant une cour supérieure, la Cour a affirmé, dans l’arrêt Jordan, que lorsque le plafond est dépassé, il y a présomption irréfragable de préjudice. Ainsi que nos collègues majoritaires le soulignent à juste titre, l’arrêt Jordan a incorporé l’examen du préjudice en établissant les plafonds présumés.
[162]                     Cependant, la Cour n’a pas tenu compte du rôle du préjudice dans le cas des adolescents en établissant les plafonds dans l’arrêt Jordan, parce qu’elle n’a pas fixé de plafonds pour les affaires portées devant le tribunal pour adolescents. Encore là, eu égard à la jurisprudence qui reconnaît le préjudice supplémentaire qui leur est causé par les délais, il nous semble que la Cour aurait mentionné ce préjudice accru dans l’arrêt Jordan si elle avait voulu en tenir compte.
[163]                     Nous ne sommes donc pas disposés à reconnaître que la prise en compte du préjudice spécifique subi par les adolescents constituerait une forme de « prise en compte double ». Le préjudice unique dont souffrent les adolescents en raison du délai n’a pas été pris en compte dans l’arrêt Jordan. Si un nouveau plafond présumé était établi pour les affaires mettant en cause les adolescents, le préjudice supplémentaire dont ceux‑ci souffrent serait incorporé à l’analyse pour la première fois.
[164]                     À cet égard, il nous semble que la seule conclusion compatible avec le raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt Jordan est de reconnaître que, eu égard au système judiciaire distinct que le législateur a créé et au préjudice accru qui a été reconnu dans le cas des adolescents, un plafond présumé plus bas devrait être fixé pour les procédures dont ceux‑ci font l’objet. Ainsi que l’a fait remarquer la juge Veldhuis, [traduction] « [p]uisque le plafond établi [dans l’arrêt Jordan] reposait sur le préjudice présumé auquel les adultes font face, l’existence du préjudice additionnel causé aux adolescents requiert l’établissement d’un plafond plus bas, au‑delà duquel le délai est présumé déraisonnable » (par. 107).
[165]                     Le fait d’abaisser le plafond présumé dans le cas des adolescents ne leur confère pas de plus grandes protections au regard de la Charte. Cela a plutôt pour effet de reconnaître les conséquences plus importantes des délais chez les adolescents et de fixer un plafond qui vise à leur conférer les mêmes protections que celles dont bénéficient les adultes. Il peut y avoir une différence sur le plan du chiffre, mais pas de la teneur. Lorsqu’il s’agit d’évaluer le préjudice découlant de retards dans le déroulement des procédures criminelles, l’octroi aux adolescents d’une protection égale à celle qu’obtiennent les adultes nécessite de leur accorder un traitement différent. Cette conclusion ne s’éloigne pas de l’arrêt Jordan, elle en applique plutôt précisément les principes au système de justice pénale pour les adolescents, qui a été conçu pour tenir compte de la situation unique de ceux‑ci et du préjudice supplémentaire qu’ils subissent. Lorsque ce caractère unique n’est pas reconnu, les adolescents sont privés des avantages très importants qui découlent de l’al. 11b) et que la Cour a accordés aux adultes dans l’arrêt Jordan.
[166]                     La réalité est fort simple. Ce qui est un délai raisonnable pour les adultes ne l’est pas forcément pour les adolescents. Refuser de créer un plafond distinct revient à nier cette réalité et fait en sorte que, paradoxalement, les principes sous‑jacents à l’arrêt Jordan offrent aux adolescents une protection inférieure à celle dont ils bénéficiaient avant le prononcé de cet arrêt. Ainsi appliqués, les principes énoncés dans l’arrêt Jordan deviennent une promesse creuse à l’endroit des adolescents.
[167]                     Comme le montrent les décisions rendues dans la foulée des arrêts R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, et Morin, le délai était habituellement jugé déraisonnable dans les affaires mettant en cause des adolescents bien avant qu’une période de 18 mois se soit écoulée. Les tribunaux ont régulièrement appliqué l’al. 11b) pour garantir l’instruction diligente de ces affaires de telle sorte que l’arrêt des procédures était prononcé avant même que soit atteint le plafond de 18 mois fixé par l’arrêt Jordan pour les poursuites intentées contre des adultes devant une cour provinciale (voir, par exemple : R. c. J.O.B., 2005 ABCA 296; R. c. M.A.B., 2011 ABPC 87; R. c. S.M., 2003 SKPC 39, 230 Sask. R. 25; R. c. J. (S.), 2009 ONCJ 217, 192 C.R.R. (2d) 266; R. c. H. (M.), 2008 ONCJ 643; R. c. F. (T.), 2005 ONCJ 413; R. c. L.S., 2005 ONCJ 113, 130 C.R.R. (2d) 81; R. c. C. (Q.Q.), 2005 BCPC 89, 129 C.R.R. (2d) 189). L’application aux adolescents des plafonds établis pour les adultes dans l’arrêt Jordan atténue la portée de cette norme et va à l’encontre de cette pratique et de cette interprétation de longue date. Curieusement, elle place aussi les adolescents en moins bonne posture, puisque les plafonds fixés pour les adultes dans l’arrêt Jordan peuvent permettre que les délais qui s’écoulent avant le procès soient plus longs pour les adolescents que ce que le système tolérait précédemment. Cela va directement à l’encontre de l’objectif de l’arrêt Jordan, soit lutter contre la « culture de complaisance vis‑à‑vis des délais » (par. 4).
[168]                     La principale raison invoquée par nos collègues majoritaires pour refuser d’établir un plafond présumé distinct applicable aux poursuites intentées contre des adolescents est qu’« il n’a pas été démontré qu’il y a un problème concernant les délais dans le système de justice pénale pour les adolescents » (par. 63). Or, l’existence ou l’inexistence de délais avérés ne saurait déterminer ou circonscrire le contenu du droit de l’adolescent d’être jugé dans un délai raisonnable. Au contraire, si on admet — comme nous le faisons — que les objectifs de l’arrêt Jordan s’appliquent tout autant dans le contexte de la justice pour adolescents, il faut appliquer ces principes en tenant compte du caractère unique de la justice pour adolescents. Bref, il n’est pas nécessaire qu’il existe un problème pour que l’on puisse garantir ou définir le contenu des droits constitutionnels.
[169]                     De plus, nous tenons à signaler que la Cour ne disposait d’aucune preuve empirique portant sur les délais dans les divers tribunaux canadiens lorsqu’elle a rendu sa décision dans l’affaire Jordan. Cela ne l’a pas empêchée de prendre effectivement acte de la culture de complaisance qui existait dans le système de justice pénale pour les adultes. Les juges majoritaires n’avancent aucune raison convaincante de ne pas adopter la même démarche eu égard au système de justice pénale pour les adolescents. Dans le droit fil des éclaircissements apportés par la Cour dans l’arrêt Jordan et de la méthodologie qu’elle a suivie dans cet arrêt, nous adopterions cette approche.
[170]                     Nous rejetons également la suggestion selon laquelle l’établissement d’un plafond présumé distinct pour les affaires portées devant les tribunaux pour adolescents provoquerait une multiplication des plafonds. Le législateur a choisi de considérer les adolescents âgés de 12 à 17 ans comme un seul groupe pour l’application de la LSJPA. En fixant un plafond présumé distinct pour tous les adolescents, nous ne faisons qu’observer la consigne du législateur selon laquelle les personnes appartenant à ce groupe d’âge doivent être traitées séparément et différemment des adultes. Les juges majoritaires n’expliquent pas en quoi la reconnaissance d’un nouveau plafond applicable aux poursuites intentées devant les tribunaux pour adolescents entraînerait une prolifération de plafonds sous le régime de la LSJPA ou en général. Par exemple, nos collègues majoritaires ne tiennent pas compte du fait que l’arrêt Jordan a lui‑même reconnu l’existence de deux plafonds distincts : un pour les poursuites introduites devant les cours provinciales et l’autre pour les procédures intentées devant les cours supérieures.
[171]                     De plus, et contrairement à ce qu’affirment les juges majoritaires, le fait que le législateur fédéral ait créé un système de justice pénale distinct pour les adolescents n’est pas la seule raison pour laquelle nous établirions un plafond distinct pour les affaires mettant en cause des adolescents sous le régime de la LSJPA. À notre avis, le fait qu’il existe depuis longtemps un régime législatif distinct constitue une reconnaissance implicite du droit distinct des adolescents d’être jugés le plus rapidement possible. Le fait qu’il existe un système de justice pénale distinct pour les adolescents, avec ses propres tribunaux et ses procédures uniques, nous incite simplement à fixer le plafond approprié pour ce système. S’il en était autrement, on serait en droit de reprocher aussi à l’arrêt Jordan de fixer des délais « en fonction du système applicable », puisqu’il prévoit des plafonds distincts, d’une part, pour les procédures intentées devant les cours supérieures et, d’autre part, pour celles portées devant les cours provinciales. Dans l’arrêt Jordan, il n’est pas question du bien-fondé de la reconnaissance d’un plafond inférieur pour les procédures intentées devant les tribunaux provinciaux à celui prévu pour les procédures intentées devant les cours supérieures. Par conséquent, tout comme l’arrêt Jordan a fixé des plafonds distincts pour les cours provinciales, d’une part, et pour les cours supérieures, d’autre part — et que le bien-fondé de la création de ces plafonds distincts n’a pas été remis en question —, nous établirions maintenant un plafond distinct applicable aux poursuites intentées devant les tribunaux pour adolescents.
[172]                     Nous ne sommes pas d’accord pour dire que l’établissement d’un nouveau plafond présumé pour les procédures mettant en cause des adolescents entraînera des « difficultés d’ordre pratique », comme la création d’un nouveau régime transitoire. Même si des difficultés de cette nature pouvaient ou devaient influer sur la détermination des limites d’un droit constitutionnel, elles n’interviennent pas en l’espèce. Le plafond présumé que nous fixons en l’espèce pour les poursuites intentées contre les adolescents s’appliquerait aux affaires en cours dans le système, compte tenu des mêmes mesures transitoires que la Cour a prévues dans l’arrêt Jordan pour les affaires en cours lorsque cet arrêt a été rendu.
[173]                     Il reste à déterminer le délai qui constituerait le plafond présumé pour les poursuites intentées sous le régime de la LSJPA. Dans le jugement R. c. M. (J.), 2017 ONCJ 4, 344 C.C.C. (3d) 217, le juge Paciocco a reconnu l’existence [traduction] « d’arguments objectifs en faveur d’un plafond présumé de 12 mois », précisant toutefois que « [d]es arguments valables peuvent aussi être invoqués au soutien d’un plafond de 15 mois » (par. 137‑138). Il a finalement conclu que « [c]e qui est clair, c’est qu’un plafond présumé ne devrait pas être plus élevé que 15 mois » (par. 144). La juge Veldhuis, dissidente en Cour d’appel de l’Alberta, a conclu qu’un plafond présumé de 15 mois devrait être fixé pour les poursuites intentées sous le régime de la LSJPA. Cependant, K.J.M. soutient qu’un plafond dépassant un délai de 12 mois ne peut pas remplir [traduction] « la promesse de l’arrêt Jordan tout en respectant les principes de la LSJPA ». Même s’il n’est pas strictement nécessaire que nous le fassions pour trancher le présent pourvoi étant donné que le délai en cause en l’espèce a dépassé 15 mois, nous fixerions à 15 mois le plafond présumé pour les poursuites intentées devant la cour provinciale sous le régime de la LSJPA.
Calcul du délai
[174]                     Que la poursuite soit intentée contre un adulte ou contre un adolescent, la première étape consiste à calculer le délai total écoulé entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès. Il faut ensuite soustraire de ce total le délai imputable à la défense et les délais découlant d’événements exceptionnels distincts. Dans la présente affaire, une période de 18 mois et 28 jours s’est écoulée entre le dépôt des accusations contre K.J.M. et la conclusion de son procès. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que nous reprenions en détail la caractérisation de ce délai — puisque même suivant l’estimation de nos collègues majoritaires, le délai total en l’espèce dépassait le plafond présumé de 15 mois —, nous souhaitons formuler quelques commentaires au sujet du calcul fait par ces derniers.
[175]                     Examinons d’abord l’arrivée tardive de K.J.M. au tribunal et le délai occasionné par ce retard. À notre avis, il ne convient pas d’imputer à la défense un délai de deux à trois mois pour la simple raison que K.J.M. est arrivé avec deux heures et demie de retard à l’une de ses nombreuses comparutions devant le tribunal, soit celle du 2 mars 2016. Qui plus est, ni la juge du procès ni la Cour d’appel n’ont considéré l’une ou l’autre des périodes examinées comme un délai imputable à la défense. Il n’y a pas lieu non plus, à notre avis, de supposer que n’eut été l’arrivée tardive de K.J.M., « il est raisonnable de penser que l’audience aurait pu reprendre avant le 28 juillet » (motifs des juges majoritaires, par. 95).
[176]                     Passons maintenant au délai qui, selon les juges majoritaires, a été causé par un événement exceptionnel distinct, soit l’erreur commise quant à la transcription du voir‑dire. À notre avis, le problème en question a été causé par une erreur administrative et le délai qui en découle en est un que le système judiciaire « [aurait] raisonnablement [pu] atténu[er] » (Jordan, par. 75). Ainsi que la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Jordan, « les fonctionnaires responsables de l’administration des tribunaux, les policiers, les avocats du ministère public, les inculpés et leurs avocats, de même que les juges » « jouent [tous] un rôle important pour garantir que le[s] procès se conclu[ent] dans un délai raisonnable » (par. 50).
[177]                     En l’espèce, la juge du procès a souligné qu’un [traduction] « fonctionnaire de l’État a commis une erreur » en commandant la transcription. Comme il ressort clairement de ses explications, il s’agissait d’une erreur commise par un membre du personnel responsable de l’administration des tribunaux. Pour compliquer les choses, la juge du procès a également reconnu qu’elle aurait peut‑être relevé et corrigé l’erreur si elle avait été à son cabinet. Même si nous convenons avec nos collègues majoritaires que les juges « ne sont pas enchaînés à leurs bureaux » (par. 102) et qu’ils ont le droit de prendre des vacances, il n’y a pas lieu de soustraire le délai qui en découle en le considérant comme un délai imputable à un événement exceptionnel, au détriment de l’accusé.
[178]                     En tout état de cause, la Cour a affirmé dans l’arrêt Jordan que « la réponse à cette question du caractère “exceptionnel” des circonstances dépendra du bon sens et de l’expérience du juge de première instance » (par. 71). En l’espèce, la juge du procès a conclu que la transcription manquante n’était pas un événement exceptionnel distinct. Nous serions enclins à nous en remettre « [a]u bon sens et [à] l’expérience » de la juge du procès à cet égard.
[179]                     En conséquence, dans le cas de K.J.M., nous n’imputerions aucune portion du délai à la défense ou à un événement exceptionnel distinct. Sans ces déductions, nous en arrivons à un délai total de 18 mois et 28 jours en l’espèce.
[180]                     Il s’agirait en l’occurrence de la première fois qu’un délai présumé est fixé pour les poursuites intentées dans le système de justice pénale pour les adolescents. En conséquence, nous appliquerions les commentaires formulés dans l’arrêt Jordan aux situations visées par les mesures transitoires.
[181]                     Comme nous l’avons expliqué précédemment, même suivant l’estimation de nos collègues majoritaires, le délai écoulé en l’espèce a dépassé le plafond présumé de 15 mois. Au‑delà du plafond, l’exception transitoire s’applique lorsque « le ministère public convainc la cour que le temps qui s’est écoulé est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable » (Jordan, par. 96). Comme la Cour l’a expliqué dans ce même arrêt, « [c]ela suppose qu’il faille procéder à un examen contextuel, eu égard à la manière dont l’ancien cadre a été appliqué [. . .]. Par exemple, le préjudice subi et la gravité de l’infraction ont souvent joué un rôle décisif » (ibid.). Parmi les autres facteurs pertinents, mentionnons la complexité de l’affaire, le délai total réel, la présence d’un délai institutionnel « importan[t] » et « conn[u] » et les mesures que les parties ont prises pour réagir à la situation (Jordan, par. 96‑98; Cody, par. 68‑70). « [E]n définitive, cela signifie que tous ces facteurs doivent être pris en considération selon ce qui convient dans les circonstances » (Cody, par. 70).
[182]                     En l’espèce, la juge du procès a conclu que, même si le délai dépassait 18 mois, il était justifié selon la mesure transitoire exceptionnelle. Après avoir appliqué cette exception, elle a affirmé qu’une [traduction] « vue d’ensemble de la présente affaire ne me permet pas d’affirmer qu’il s’agit d’un des cas les plus manifestes pour lesquels je devrais prononcer l’arrêt des procédures ». Les deux parties conviennent que ce critère n’était pas celui qu’il fallait appliquer à l’égard de la mesure transitoire exceptionnelle. Le critère des « cas manifestes » n’est pertinent que pour déterminer s’il y a lieu d’ordonner un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond présumé. En raison de cette erreur de droit, nous reprendrons l’analyse de la question de savoir si le délai est justifié selon la mesure transitoire exceptionnelle.
[183]                     Puisque nous souscrivons dans une large mesure à l’analyse de la juge Veldhuis au sujet de l’exception transitoire, nous procéderons dans le même ordre qu’elle sur ce point.
[184]                     Voyons d’abord la complexité de l’affaire. Ainsi que l’a souligné la juge Veldhuis, il s’agissait en l’espèce d’une affaire relativement simple. Les faits n’étaient pas vraiment complexes et la question centrale à trancher était celle de savoir si K.J.M. avait agi en légitime défense. La complexité n’a pas mené à un « délai inévitable » en l’espèce. Ce facteur milite en faveur de l’arrêt des procédures.
[185]                     Nous devons ensuite examiner le délai sous l’angle de quatre facteurs à soupeser pour juger s’il était déraisonnable. Ces facteurs sont : « . . . (1) la longueur du délai; (2) la renonciation de la défense à invoquer une portion du délai; (3) les motifs du délai, y compris les besoins inhérents au dossier, le délai imputable à la défense, celui attribuable au ministère public, le délai institutionnel et les autres motifs du délai; (4) l’atteinte aux droits de l’inculpé à la liberté, à la sécurité de sa personne et à un procès équitable » (Jordan, par. 30).
[186]                     Dans la présente affaire, le délai — l’intervalle entre le dépôt des accusations contre K.J.M. et la conclusion réelle ou anticipée du procès — couvre la période allant du 12 avril 2015 au 9 novembre 2016, soit 18 mois et 28 jours au total. La défense n’a pas renoncé à invoquer une portion du délai.
[187]                     En ce qui concerne les motifs du délai, le droit applicable antérieurement prévoyait des catégories de délais. Ceux inhérents à l’affaire, y compris le temps nécessaire pour retenir les services d’un avocat, assister aux audiences relatives à la mise en liberté sous caution, communiquer les éléments de preuve et remplir les documents de la police ainsi que les formulaires administratifs, représentent un facteur neutre. En revanche, le délai institutionnel « commence lorsque les parties sont prêtes pour le procès, mais [que] le système ne peut leur permettre de procéder » (Morin, p. 795). Le délai causé par l’accusé ne contribue pas à la détermination que le délai était déraisonnable. À l’inverse, celui causé par le ministère public contribue à cette détermination. Il est donc nécessaire de préciser à quelle catégorie appartiennent les différentes portions du délai.
[188]                     Période allant du 12 avril 2015 au 29 juin 2015 (deux mois et demi) : Pendant cette période, K.J.M. a retenu les services d’un avocat, une audience relative à la mise en liberté sous caution a été tenue et les parties étaient prêtes à fixer une date pour le procès. Cette période constitue un délai inhérent à l’affaire.
[189]                     Période allant du 30 juin 2015 au 16 septembre 2015 (deux mois et demi) : L’avocat de la défense souhaitait fixer le début du procès au 29 juin 2015, mais le tribunal ne siégeait pas à Fort McMurray, en raison des vacances judiciaires. Le procès a été fixé au 16 septembre 2015. Cette période constitue un délai institutionnel.
[190]                     Période allant du 17 septembre 2015 au 2 mars 2016 (cinq mois et demi) : Le procès devait débuter à 9 h 30 le 16 septembre 2015. Cependant, il a été reporté à la séance de l’après‑midi, car le ministère public comptait faire témoigner une seule personne et n’avait pas l’intention de déposer la déclaration que K.J.M. avait faite à la police. Les plans ont changé pendant l’heure du déjeuner et l’avocat du ministère public a décidé qu’il tenterait de déposer la déclaration en question. Cette décision a entraîné l’obligation de tenir un voir‑dire. Puisque ce dernier ne pouvait avoir lieu le 16 septembre 2015, faute de temps, le procès a été reporté au 2 mars 2016. Même si le ministère public est investi d’un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites qui lui permet de modifier sa stratégie, la façon dont il a exercé ce pouvoir a mené à un long ajournement. La période allant du 17 septembre 2015 au 2 mars 2016 constitue un délai imputable au ministère public.
[191]                     Période allant du 3 mars 2016 au 28 juillet 2016 (quatre mois et trois quarts) : Plusieurs facteurs ont évolué durant cette période. Une portion du délai a été causée par l’arrivée tardive de K.J.M. au tribunal. D’autres raisons expliquent toutefois également le délai. Le ministère public a décidé de passer à une autre affaire plutôt que d’attendre l’arrivée de K.J.M., un rapport d’expertise médicolégale a été communiqué tardivement, la période nécessaire à la tenue du voir‑dire a été sous‑estimée et il y avait des contraintes d’horaire au palais de justice. À l’instar de la juge Veldhuis, nous estimons que ce retard a été causé partiellement par les deux parties et partiellement par un délai institutionnel. Nous approuvons sa répartition du délai : soit une période d’un mois de délai neutre et la période de trois mois et trois quarts qui reste de délai institutionnel.
[192]                     Période allant du 29 juillet 2016 au 6 septembre 2016 (un mois et quart) : Le procès a repris le 28 juillet 2016, le voir‑dire a pris fin et le ministère public a clos sa preuve. L’affaire a été reportée au 6 septembre 2016 en vue d’une décision sur le voir‑dire. Cette période constitue un délai inhérent.
[193]                     Période allant du 7 septembre 2016 au 4 octobre 2016 (un mois) : Il s’agit de la période commentée plus haut au sujet de la transcription manquante. Nous convenons avec la juge Veldhuis qu’il s’agit d’un délai institutionnel.
[194]                     Période allant du 5 octobre 2016 au 2 novembre 2016 (un mois) : La juge a décidé le 4 octobre 2016 que la déclaration de K.J.M. était inadmissible. Le 19 octobre 2016, K.J.M. a témoigné et la défense a clos sa preuve. L’affaire a été reportée au 24 octobre 2016 en vue d’une audience relative à la demande fondée sur l’al. 11b), qui a été rejetée. L’affaire a de nouveau été ajournée, cette fois au 2 novembre 2016, pour la présentation des plaidoiries sur le fond. Cette présentation a eu lieu le 2 novembre 2016 et le jugement a été mis en délibéré jusqu’au 9 novembre 2016. À notre avis, le délai qui s’est écoulé entre le 5 octobre 2016 et le 2 novembre 2016 constitue un délai inhérent.
[195]                     Compte tenu de l’état antérieur du droit, nous attribuerions donc une période de quatre mois et trois quarts à un délai inhérent, une période de sept mois et quart à un délai institutionnel, une période de cinq mois et demi à un délai imputable au ministère public, et une période d’un mois à un délai neutre. Nous n’imputerions par ailleurs aucun délai à la défense. Dans l’arrêt Morin, une période de huit à dix mois de délai institutionnel et de délai imputable au ministère public a été jugée raisonnable dans le cas de poursuites intentées contre des adultes devant une cour provinciale. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, la rapidité a toujours eu une plus grande importance dans les poursuites mettant en cause des adolescents, et les tribunaux saisis de ce type de poursuite ont adapté ces délais en conséquence. Dans l’arrêt M. (G.C.), le juge Osborne a souligné qu’une période de cinq à six mois seulement de délai institutionnel et de délai imputable au ministère public serait raisonnable dans le cas des affaires portées devant le tribunal pour adolescents (p. 236). Dans la présente affaire, le délai institutionnel et celui imputable au ministère public représentaient une période de douze mois et trois quarts au total. Étant donné que ce résultat équivaut à plus du double des lignes directrices établies dans l’arrêt M. (G.C.) pour les affaires mettant en cause les adolescents et dépasse même celles établies par l’arrêt Morin à l’égard des adultes, ce facteur milite fortement en faveur de l’arrêt des procédures.
[196]                     En ce qui concerne les mesures que les parties ont prises pour atténuer les délais, les juges majoritaires reconnaissent que la défense a agi de manière responsable tout au long de l’instance, mais reprochent tout de même à l’avocat de la défense de ne pas avoir « démontré que l’appelant était résolu à faire instruire la cause le plus rapidement possible » (par. 105). En toute déférence, nous ne souscrivons pas au raisonnement de nos collègues majoritaires et à leur qualification de l’attitude de la défense à l’égard du délai. L’avocat de la défense ne devrait pas avoir à insister pour que les procédures se déroulent rapidement afin que son client soit jugé dans un délai raisonnable comme le garantit l’al. 11b) de la Charte. Qui plus est, à l’instar de la juge Veldhuis, nous croyons que la défense souhaitait dès le départ que l’affaire soit résolue le plus rapidement possible. K.J.M. a déposé son plaidoyer sans tarder, son avocat a répété à maintes reprises ses préoccupations au sujet du délai et a fait savoir que K.J.M. ne renonçait pas aux droits que lui garantit l’al. 11b). Malgré la communication tardive d’un rapport d’expertise médicolégale, la défense a accepté de poursuivre le procès. Manifestement, la défense a fait tous les efforts voulus pour que l’affaire soit résolue rapidement. Nous ne saurions en dire autant de l’avocat du ministère public, dont les décisions stratégiques ont considérablement prolongé l’instance. À notre avis, examinées ensemble, les mesures que les parties ont prises pour atténuer les délais militent en faveur de l’arrêt des procédures.
[197]                     Pour terminer, examinons la question du préjudice. Suivant l’état du droit applicable avant l’arrêt Jordan, le degré de préjudice subi par l’accusé était un facteur important à prendre en compte pour déterminer le délai institutionnel qui serait toléré. Dans l’arrêt R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3, au par. 30, la Cour a souligné les trois intérêts de l’accusé que protège l’al. 11b) :
        . . . sa liberté, en ce qui touche sa détention avant procès ou ses conditions de mise en liberté sous caution; la sécurité de sa personne, c’est‑à‑dire ne pas avoir à subir le stress et le climat de suspicion que suscite une accusation criminelle; et le droit de présenter une défense pleine et entière, dans la mesure où les délais écoulés peuvent compromettre sa capacité de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins ou de se défendre autrement.
[198]                     Même s’il est vrai que K.J.M. n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant le préjudice qu’il a subi, ce préjudice peut certainement être présumé, eu égard aux effets défavorables uniques des délais pour les adolescents. Comme l’a expliqué la juge Veldhuis (par. 150) :
        [traduction] . . . l’âge de l’appelant permet à lui seul de présumer qu’il a subi un préjudice important. En tant qu’adolescent, il est moins en mesure qu’un adulte de comprendre le lien entre son comportement et les conséquences de ce dernier. Le long délai qui s’est écoulé en l’espèce peut avoir affaibli la capacité de l’appelant de tirer des leçons de l’incident et de se réadapter. De plus, l’instance s’est poursuivie pendant une partie relativement importante de sa vie, ce qui a sans doute exacerbé les effets du stress et du climat de suspicion dans lequel il vivait, ainsi que l’impact des conditions dont sa mise en liberté sous caution a été assortie. Enfin, il se pourrait que la capacité de l’appelant de présenter une défense pleine et entière ait été compromise, étant donné que les adolescents ont tendance à oublier plus rapidement que les adultes.
[199]                     La dernière étape de l’analyse des dossiers visés par la mesure transitoire exceptionnelle consiste à soupeser tous les facteurs pertinents afin de déterminer s’il y a lieu de prononcer l’arrêt des procédures. Ainsi que l’a souligné la juge Veldhuis, la gravité de l’affaire était auparavant un facteur important à prendre en compte — plus l’incident était grave, plus la société avait un intérêt pressant à ce que l’affaire soit jugée sur le fond. Les faits dont il s’agissait en l’espèce étaient graves, puisque la victime a subi de sérieuses blessures et gardera des cicatrices permanentes au visage.
[200]                     Passons maintenant aux facteurs qui militent plutôt en faveur de l’arrêt des procédures. Ces facteurs comprennent le jeune âge de K.J.M. — il était âgé de 15 ans lors du dépôt des accusations et de près de 17 ans lorsqu’il a été déclaré coupable. Cette période représente une partie importante de sa vie, ce qui nous incite à conclure à un préjudice important découlant du délai. L’affaire elle‑même n’était pas très complexe. Eu égard à ce qui précède, notamment les mesures que les parties ont prises pour atténuer les délais, l’âge de K.J.M. et la durée de l’ensemble de l’instance, la période de douze mois et trois quarts correspondant au délai institutionnel et au délai imputable au ministère public est un délai déraisonnable. Ce délai déraisonnable l’emporte sur la gravité de l’infraction.
[201]                     En conséquence, nous conclurions que le délai dans le cas de K.J.M. n’est pas justifié au regard de la mesure transitoire exceptionnelle. Même en se fondant sur l’état antérieur du droit, le ministère public n’a pas établi que le délai a été raisonnable en l’espèce.
Conclusion
[202]                     Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi. Le droit constitutionnel de K.J.M. d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé et, en conséquence, nous prononcerions l’arrêt des procédures.
                    Version française des motifs rendus par
[203]                     La juge Karakatsanis (dissidente) — L’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à tout inculpé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Lorsqu’elle a rendu sa décision dans l’affaire R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, la Cour s’est attaquée à la culture généralisée de complaisance à l’égard des délais qui existait dans l’ensemble du système de justice criminelle. La Cour a établi un nouveau cadre d’analyse pour évaluer les demandes fondées sur l’al. 11b), reconnaissant le « rôle [qu’elle était appelée] à jouer afin de modifier la culture en salle d’audience et d’aider à rendre le système de justice criminelle plus efficace, protégeant ainsi le droit à un procès dans un délai raisonnable » (par. 45).
[204]                     Essentiellement, le cadre d’analyse adopté dans l’arrêt Jordan établit un plafond présumé au‑delà duquel le délai est présumé déraisonnable : soit 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale, et 30 mois pour les affaires jugées par une cour supérieure. Lorsque le délai est inférieur au plafond présumé, il incombe à la défense de démontrer qu’il est déraisonnable.
[205]                     En l’espèce, nous devons appliquer ce cadre d’analyse à l’appelant, K.J.M., un « adolescent » accusé en application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (LSJPA). Il a été déclaré coupable de voies de fait graves et de possession d’une arme dans un dessein dangereux, des infractions décrites respectivement à l’art. 268 et au par. 88(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Il s’est écoulé un délai total de 18 mois et 28 jours entre le dépôt des accusations contre lui et la date du verdict. La requête de K.J.M. en arrêt des procédures fondée sur l’al. 11b) de la Charte a été rejetée.
[206]                     La question de droit au cœur du présent pourvoi est celle de savoir si le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan permet de répondre adéquatement à la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des inculpés qui sont « adolescents »[4] qu’impose la LSJPA, ou s’il est nécessaire de prévoir un plafond présumé distinct afin de donner effet aux droits qui sont garantis à ces derniers par l’al. 11b).
I.               L’approche à adopter en matière de délais déraisonnables dans le système de justice pénale pour les adolescents
[207]                     L’application de l’arrêt Jordan dans ce contexte doit être fondée sur le caractère distinct du système de justice pénale pour les adolescents. Selon la volonté du législateur, « le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes » (LSJPA, al. 3(1)b)). Comme l’expliquent les juges Abella et Brown, « la nécessité d’appliquer un régime distinct pour juger les inculpés adolescents accusés d’infractions criminelles » et d’accorder à ceux‑ci « des protections procédurales supplémentaires — et solides » ressort des intentions du législateur, des obligations internationales du Canada et de notre jurisprudence, et elle s’explique par « la plus grande vulnérabilité des adolescents [et par] leur culpabilité morale moindre » (par. 143).
[208]                     Ce système de justice pénale distinct reconnaît l’effet préjudiciable plus important qu’ont les délais sur les adolescents, ce qui implique qu’il faille déployer des efforts plus importants pour garantir que les affaires mettant en cause des inculpés adolescents soient jugées rapidement. Ce principe est codifié par la LSJPA, qui précise que le système de justice pénale pour les adolescents doit mettre l’accent sur deux facteurs, à savoir, d’une part, « la prise de mesures opportunes » pour « établi[r] clairement le lien entre le comportement délictueux et ses conséquences » (sous‑al. 3(1)b)(iv)) et, d’autre part, « la diligence et la célérité », compte tenu du sens accéléré qu’a le temps dans la vie des adolescents (sous‑al. 3(1)b)(v)). La Cour avait déjà reconnu la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des inculpés adolescents dans une décision rendue avant l’entrée en vigueur de la LSJPA (R. c. D. (S.), 1992 CanLII 58 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 161, p. 162). J’abonde donc aussi dans le sens de mes collègues les juges Abella et Brown lorsqu’ils affirment « qu’une des principales assises du système distinct de justice pénale pour les adolescents résid[e] dans la nécessité de veiller à ce que les poursuites intentées contre ceux‑ci soient menées à terme plus rapidement » (par. 149) et que ce principe doit nous guider quant à la façon dont il faut appliquer le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan au système de justice pénale pour les adolescents.
[209]                     Même si je suis d’accord avec eux quant à ces prémisses, je me dissocie des juges Abella et Brown lorsqu’ils concluent que le cadre d’analyse défini dans l’arrêt Jordan exige qu’on adopte un plafond présumé distinct dans le contexte de la LSJPA. À mon avis, il n’est ni justifié ni nécessaire d’établir un plafond distinct pour tenir compte des caractéristiques propres aux inculpés adolescents et du système de justice pénale créé pour eux. Je souscris plutôt à la conclusion du juge Moldaver suivant laquelle les plafonds présumés établis dans l’arrêt Jordan s’appliquent aussi dans le contexte du système de justice pénale pour les adolescents. La protection des droits des inculpés adolescents garantis par l’al. 11b) est assurée par l’adoption d’une approche plus rigoureuse lors de l’analyse du caractère raisonnable des délais inférieurs au plafond présumé. J’en arrive à cette conclusion pour plusieurs motifs.
[210]                     Tout d’abord, l’établissement d’un plafond présumé inférieur pour les inculpés adolescents ne serait pas cohérent avec les motifs exposés par la Cour dans l’arrêt Jordan. En effet, celle‑ci y a reconnu l’échec des tentatives antérieures des tribunaux pour dégager le sens du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Malgré les décisions de la Cour dans les arrêts R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, et R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771, la « culture de complaisance vis‑à‑vis [d]es délais » était devenue systémique (Jordan, par. 40). Il était évident pour la Cour, dans l’affaire Jordan, qu’il fallait prendre des mesures extraordinaires afin de donner effet aux droits garantis par l’al. 11b) de la Charte.
[211]                     La décision d’établir un plafond présumé n’a pas été prise à la légère. D’ailleurs, la Cour a expressément souligné qu’un « plafond présumé est nécessaire pour donner des directives valables à l’État sur ses obligations constitutionnelles ainsi qu’aux personnes qui jouent un rôle important pour garantir que le procès se conclut dans un délai raisonnable » (Jordan, par. 50 (je souligne)). Dans le cas qui nous occupe, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui permettrait de conclure que le système de justice pénale pour les adolescents souffre lui-même d’un problème de délais endémiques qui justifierait le recours à la mesure judiciaire exceptionnelle que constituerait la création d’un nouveau plafond présumé. L’établissement d’un plafond distinct pour les adolescents ne serait pas justifié au vu du dossier dont la Cour est saisie.
[212]                     De plus, je ne suis pas d’accord pour dire que le refus d’établir un plafond inférieur place les inculpés adolescents dans une situation désavantageuse par rapport aux accusés adultes et les prive des avantages que l’arrêt Jordan a conférés en établissant des plafonds présumés en ce qui a trait aux délais. Les inculpés adolescents bénéficient du plafond présumé de 18 mois établi dans l’arrêt Jordan dans les affaires faisant l’objet d’un procès devant les cours provinciales dont relèvent généralement les tribunaux pour adolescents[5]. De plus, il est raisonnable de présumer que l’ensemble du système de justice pénale, y compris celui pour les adolescents, bénéficiera ultimement des mesures favorables qui seront prises en réponse aux plafonds présumés établis dans l’arrêt Jordan.
[213]                     Je rejette aussi l’argument selon lequel il est nécessaire d’établir un plafond présumé inférieur pour tenir compte du préjudice particulier que subissent les adolescents du fait d’un délai. À mon avis, recourir au test applicable aux délais inférieurs au plafond établi dans l’arrêt Jordan constitue la meilleure façon de tenir compte du préjudice plus important que subissent les adolescents ainsi que des facteurs particuliers qui s’appliquent à eux et qui sont codifiés par la LSJPA. D’ailleurs, bien qu’il souligne l’importance du plafond présumé, l’arrêt Jordan ajoute qu’il ne marque pas « la fin de l’exercice » et que « les facteurs déterminants et propres à l’affaire demeurent pertinents pour apprécier le caractère raisonnable tant du délai supérieur au plafond que de celui inférieur à ce dernier » (par. 51).
II.            Adaptation du test applicable aux délais « inférieurs au plafond »
[214]                     Le test applicable aux délais inférieurs au plafond a été énoncé comme suit dans l’arrêt Jordan :
     Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins le délai imputable à la défense et la période découlant de circonstances exceptionnelles) se situe en deçà du plafond présumé, il incombe à la défense de démontrer le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit prouver (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. [En italique dans l’original; par. 48.]
[215]                     En adaptant l’arrêt Jordan au contexte du système de justice pénale pour les adolescents au moyen du test applicable aux délais inférieurs au plafond, on donne effet aux droits garantis aux inculpés adolescents par l’al. 11b), et ce, de deux façons. Tout d’abord, on leur permet de bénéficier des plafonds présumés, comme le prescrit l’arrêt Jordan. Ensuite, le test applicable aux délais inférieurs au plafond est suffisamment souple pour qu’on puisse tenir compte des facteurs généraux quant aux effets particuliers des délais sur les inculpés adolescents et quant à la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant ces derniers en cause dans le système de justice pénale qui leur est propre.
[216]                     Pour ce faire, il faut, lorsqu’on applique le test applicable aux délais inférieurs au plafond, reconnaître le principe fondamental selon lequel le système de justice pénale pour les adolescents est distinct du système de justice pénale général. Le préambule de la LSJPA exige que « la société canadienne [ait] un système de justice pénale pour les adolescents qui [. . .] favorise la responsabilité par la prise de mesures offrant des perspectives positives, ainsi que la réadaptation et la réinsertion sociale ». La nécessité d’agir rapidement fait partie intégrante de cette mission législative, comme le précisent les sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v) de la LSJPA.
[217]                     La nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents et, notamment, l’effet préjudiciable particulier des délais sur ceux‑ci ne sont pas de simples « facteurs propres à l’affaire » — au même titre que les traits personnels ou la situation de l’inculpé adolescent — dont on se sert pour déterminer si le délai dans un cas donné est « nettement plus long » que ce qu’il aurait dû raisonnablement être. Ces facteurs jouent de fait un rôle plus important : ils doivent imprégner et guider toute l’analyse pour donner effet à la mission législative exprimée par la LSJPA. Ainsi, les deux volets du test applicable aux délais inférieurs au plafond doivent tenir compte de la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires régies par le système de justice pénale pour les adolescents et être modulés de manière à ce qu’on puisse l’y intégrer.
[218]                     J’ajouterais donc ce qui suit. Dans l’arrêt Jordan, la Cour songeait au système de justice pénale dans son ensemble lorsqu’elle a expliqué qu’elle s’attendait « à ce que les arrêts de procédures prononcés dans des cas où le délai est inférieur au plafond soient rares, et limités aux cas manifestes » (par. 48). Cet énoncé ne vaut pas pour le système de justice pénale pour les adolescents. La plupart des adolescents accusés d’une infraction invoquent l’al. 11b) de la Charte avant que le délai dans leur cause atteigne le plafond présumé de 18 mois (voir, par exemple, R. c. M. (G.C.) (1991), 1991 CanLII 7057 (ON CA), 3 O.R. (3d) 223 (C.A.), p. 236 : [traduction] « En général, les affaires portées devant les tribunaux pour adolescents devraient être jugées dans un délai de cinq ou six mois »; voir également R. c. L.B., 2014 ONCA 748, 325 O.A.C. 371, par. 14). D’ailleurs, compte tenu de la nécessité accrue reconnue par la loi de traiter rapidement les causes régies par le système de justice pénale pour les adolescents, il s’ensuit nécessairement que le délai dans une instance contre un inculpé adolescent deviendra « nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être » plus tôt, et possiblement beaucoup plus tôt, que dans une instance concernant un adulte.
[219]                     Par conséquent, dans les affaires mettant en cause des adolescents, les arrêts de procédures dans les cas où le délai est inférieur au plafond ne seront ni « rares » ni limités aux « cas manifestes ». Dans les faits, l’incorporation de ces termes rendrait inefficaces les mesures prises pour tenir compte de la situation particulière des adolescents au moment d’appliquer le test relatif aux délais inférieurs au plafond. Au contraire, un grand nombre d’affaires mettant en cause des adolescents sont — et doivent être — résolues avant que n’approche le plafond présumé de 18 mois.
A.           Premier volet du test : la défense a pris des mesures utiles et fait la preuve d’un effort soutenu pour accélérer la procédure
[220]                     Il est particulièrement important d’examiner le comportement de la défense de façon large et généreuse lorsqu’il s’agit d’inculpés adolescents. Au lieu de cela, le juge Moldaver applique une norme plus exigeante que celle énoncée dans l’arrêt Jordan en ce qui concerne l’initiative dont la défense doit faire preuve. Bien que je convienne avec lui qu’il faut plus qu’un « acquiescement résigné », je ne suis pas d’accord avec lui pour dire que la défense « doit agir de manière proactive durant toute l’instance et démontrer que l’accusé est résolu à faire instruire son procès aussi rapidement que possible » (par. 83). À mon avis, un tel critère exige trop de la défense et risque par conséquent de compromettre l’obligation générale que l’al. 11b) impose à l’État de juger tous les accusés sans délai indu. L’arrêt Jordan n’exige pas de la défense qu’elle agisse de manière « proactive » ou qu’elle prenne des mesures pour faire instruire l’affaire « le plus rapidement possible ». Elle est plutôt tenue d’agir « de manière raisonnable et expéditive » tout au long de la procédure et de prendre « des mesures utiles et soutenues pour accélérer la procédure » (Jordan, par. 84‑85).
[221]                     Suivant la LSJPA, il incombe effectivement à l’État d’accélérer la procédure dans le système de justice pénale pour les adolescents (sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v)). Cette obligation a nécessairement une incidence sur le genre de « mesures utiles » que la défense devrait prendre pour accélérer la procédure. J’estime donc que l’initiative dont la défense doit faire preuve selon le premier volet du test est nécessairement moins exigeante dans le contexte de la justice pour adolescents que dans celui de la justice pour adultes. Elle ne constituera normalement pas un obstacle de taille à l’obtention d’un arrêt des procédures lorsque le délai est inférieur au plafond.
B.            Second volet du test : la défense doit démontrer que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être
[222]                     Pour déterminer si le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être, on tient compte d’« une panoplie de facteurs, y compris la complexité du dossier, des considérations de nature locale, et la question de savoir si le ministère public a pris des mesures raisonnables pour accélérer l’instance » (Jordan, par. 87 (je souligne)). Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive.
[223]                     Le second volet du test applicable aux délais inférieurs au plafond peut donc servir dans de nombreux cas à tenir effectivement compte du préjudice plus sérieux subi par un inculpé du fait du délai. Par exemple, la réponse à la question de savoir si un délai d’une durée déterminée « a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être » sera probablement différente selon que l’accusé est en détention, en attente de son procès en étant soumis à des conditions strictes de mise en liberté sous caution, ou assujetti à des restrictions relativement minimales de sa liberté en attendant son procès. De toute évidence, les circonstances particulières de l’adolescent et sa situation individuelle, y compris son âge, auront une incidence sur cette analyse.
[224]                     Cela dit, pour les adolescents qui font l’objet de poursuites dans le système de justice pénale qui leur est propre, le test applicable aux délais inférieurs au plafond permet aussi à la cour de tenir compte du caractère raisonnable du délai en se fondant sur les facteurs particuliers qui sont prescrits par la LSJPA et qui y sont codifiés. Le fait que les inculpés adolescents soient justiciables d’un système de justice pénale distinct, au sein duquel la loi reconnaît (aux sous‑al. 3(1)b)(iv) et (v)) qu’ils subissent des effets préjudiciables plus importants du fait du délai et qu’il est d’autant plus nécessaire dans leur cas de traiter rapidement les affaires les mettant en cause signifie que le délai qui devrait s’écouler pour rendre une décision finale sera nécessairement plus court. La prise en compte de ces facteurs justifie donc une évaluation différente et nuancée de la question de savoir si un délai est « nettement plus long » qu’il aurait dû l’être dans le contexte de la justice pour les adolescents.
III.         Quelques observations sur l’imputation des délais par suite de l’échec de programmes de sanctions extrajudiciaires
[225]                     Pour terminer, je vais aborder le sujet des programmes prévoyant des mesures de rechange ou des sanctions extrajudiciaires. À mon avis, il n’est ni nécessaire ni prudent d’examiner cette question en l’espèce. Il n’est fait mention de programmes de sanctions extrajudiciaires ni dans les faits ni dans les observations des parties ni, en fait, nulle part ailleurs, sauf dans les observations d’un seul intervenant, qui a demandé à la Cour de se pencher sur cette question. Selon moi, la Cour devrait faire preuve de retenue judiciaire et, à défaut d’observations complètes et d’un contexte factuel permettant d’analyser correctement cette question, elle devrait s’abstenir de l’aborder en l’espèce.
[226]                     Il m’importe toutefois d’exprimer mon profond désaccord avec l’affirmation de mon collègue selon laquelle « on peut raisonnablement s’attendre à ce que [les délais découlant des tentatives infructueuses visant à appliquer des sanctions extrajudiciaires] soient déduits à titre de délai imputable à la défense » (motifs du juge Moldaver, par. 89). Rien dans la jurisprudence antérieure ou postérieure à l’arrêt Jordan ne permet de penser que de tels délais devraient être imputés à la défense.
[227]                     Le juge Moldaver laisse entendre que son raisonnement est fondé sur des « raisons de principe valables », et notamment sur la réduction du « risque que les autorités s’abstiennent d’avoir recours en premier lieu aux sanctions extrajudiciaires de crainte d’augmenter la probabilité qu’un arrêt des procédures soit prononcé advenant l’échec de ces mesures » (par. 89). Ce raisonnement repose selon moi sur une prémisse dénuée de tout fondement. En effet, dans les affaires où les éventuels délais causés par le recours à un programme de sanctions extrajudiciaires risqueraient de dépasser le plafond présumé de 18 mois, le ministère public peut choisir de demander à la défense de renoncer à invoquer tout délai entraîné par le fait que l’inculpé adolescent n’achèverait pas le programme.
[228]                     Je tiens à ajouter que, selon moi, on aurait tort de mettre sur le compte de l’accusé le délai attribuable à l’échec d’un programme de sanctions extrajudiciaires. Comme le législateur encourage fortement le recours à ces programmes à l’art. 4 de la LSJPA, on y recourt abondamment dans le système de justice pénale pour les adolescents. Attribuer à l’accusé le délai causé par l’échec d’un tel programme se traduirait en pratique par le prolongement du plafond présumé pour les inculpés adolescents au‑delà du plafond présumé de 18 mois fixé par l’arrêt Jordan. Or, cela réduirait l’importance que l’on doit accorder au traitement rapide des affaires dans l’application du test relatif aux délais inférieurs au plafond pour les causes régies par le système de justice pénale pour les adolescents.
[229]                     De plus, il est injuste d’attribuer à l’accusé les délais découlant de l’échec d’un programme de sanctions extrajudiciaires. La prise de mesures extrajudiciaires par le biais de ces programmes « permet d’intervenir rapidement et efficacement » et est « présumé[e] [. . .] suffi[re] pour faire répondre les adolescents de leurs actes délictueux » (LSJPA, al. 4b) et c)). La participation à un programme de sanctions extrajudiciaires n’est pas une activité passive et elle contribue probablement fort peu à atténuer le stress et l’incertitude causés par le fait d’être traduit devant le système de justice pénale. Étant donné que ces programmes reçoivent l’appui de l’État, le préjudice entraîné par le délai résultant de leur application n’est pas différent de celui résultant de tout autre délai causé par des acteurs étatiques. Dans le même ordre d’idées, il est injuste d’imputer ce retard uniquement à la défense alors que, en fait, une multitude de facteurs — dont possiblement l’inefficacité du système judiciaire lui‑même — pourrait être à l’origine de l’inefficacité et de l’échec ultime du programme de sanctions extrajudiciaires.
IV.         Application
[230]                     Je suis d’accord avec le calcul que font les juges Abella et Brown, qui arrivent en l’espèce à un délai total de 18 mois et 28 jours.
[231]                     Je suis également d’accord avec eux pour dire que rien ne permet de penser que l’arrivée tardive de l’appelant à l’une de ses comparutions devant le tribunal a causé le délai de deux à trois mois que le juge Moldaver impute à la défense. Bien que j’admette qu’un certain délai peut être imputable au manque de ponctualité de l’appelant, on ne sait pas avec certitude dans quelle mesure son retard a réellement eu une incidence sur la difficulté à trouver une date pour la reprise de l’audience. Je crains que le fait de se contenter d’appliquer un ratio de mois de retard par rapport au nombre d’heures d’audience ne soit arbitraire et ne crée un dangereux précédent, susceptible d’aboutir à des résultats disproportionnés. De plus, comme l’admet le juge Moldaver, le rôle que les facteurs administratifs ont joué dans ce retard n’est que le reflet des délais systémiques qui existaient dans l’ensemble du système de justice pénale et ne devrait pas être mis entièrement sur le compte de la défense.
[232]                     Compte tenu de la difficulté de chiffrer les délais causés par le retard de l’appelant, je suis d’accord avec les juges Abella et Brown pour dire que nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments de preuve pour lui imputer une partie des délais pour ce motif. Je suis également d’accord avec mes collègues pour dire que l’erreur entourant la transcription a été « causé[e] par une erreur administrative [. . .] que le système judiciaire “[aurait] raisonnablement [pu] atténu[er]” » (motifs des juges Abella et Brown, par. 176), étant donné qu’elle était directement liée à l’administration de la justice.
[233]                     Je ne considère donc aucun des 18 mois et 28 jours du délai total comme un délai imputable à la défense ou comme un délai découlant d’événements exceptionnels distincts. Le délai subi par l’appelant en l’espèce dépasse donc le plafond présumé de 18 mois établi dans l’arrêt Jordan.
[234]                     Toutefois, comme 80 pour cent de l’instance s’est déroulée avant que l’affaire Jordan soit tranchée, la mesure transitoire exceptionnelle s’applique. Nous devons donc déterminer si « le temps qui s’est écoulé [avant que l’inculpé soit jugé] est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable » (Jordan, par. 96). À l’instar des juges Abella et Brown, je ne puis accepter que, en l’espèce, le délai puisse se justifier par l’application de la mesure transitoire exceptionnelle. Je souscris à leur analyse suivant laquelle le ministère public n’a pas démontré, vu l’ensemble de la preuve, que le délai qui s’est écoulé en l’espèce était raisonnable du fait que les parties se seraient conformées au droit tel qu’il existait auparavant.
[235]                     Par conséquent, même si nos démarches sont différentes, j’en arrive à la même conclusion que les juges Abella et Brown. Le délai subi par l’appelant en l’espèce était déraisonnable et il y a lieu de prononcer l’arrêt des procédures. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.
                    Pourvoi rejeté, les juges Abella, Karakatsanis, Brown et Martin sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelant : Dawson Duckett Garcia & Johnson, Edmonton.
                    Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Québec.
                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Abergel Goldstein & Partners, Ottawa.
                    Procureur de l’intervenante Legal Aid Society of Alberta : Legal Aid Society of Alberta, Edmonton.
                    Procureur de l’intervenante Justice for Children and Youth : Justice for Children and Youth, Toronto.

[1] L’appelant a promis de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, de s’abstenir de tout contact avec le plaignant, de ne pas posséder d’armes, de se présenter en personne lorsqu’on le lui demande, de ne pas se trouver dans des établissements où l’on vend des boissons alcoolisées et d’informer son surveillant de liberté sous caution de tout changement de résidence.
[2] Le ministère public n’a pas fait valoir que le temps requis pour que la cour rende un jugement en délibéré ou une décision interlocutoire (c.‑à‑d. la « décision sur le délai ») devrait être déduit du calcul du délai. Cette question a été examinée à plusieurs reprises (voir, p. ex., R. c. Ashraf, 2016 ONCJ 584, 367 C.R.R. (2d) 30; R. c. Zilney, 2017 ONCJ 610, 390 C.R.R. (2d) 209; R. c. Lavoie, 2017 ABQB 66; R. c. Mamouni, 2017 ABCA 347, 58 Alta. L.R. (6th) 283; R. c. King, 2018 NLCA 66, 369 C.C.C. (3d) 1; R. c. K.G.K., 2019 MBCA 9, 373 C.C.C. (3d) 1 (appel entendu le 25 septembre 2019, jugement en délibéré); R. c. Vader, 2019 ABCA 191). Comme les parties n’ont présenté aucune observation sur la question, j’estime qu’il convient d’en remettre l’examen à une autre occasion.
[3] Ce calcul comprend les délais suivants :
 
•         du 30 juin 2015 au 16 septembre 2015 (soit de la date à laquelle les parties étaient prêtes pour le procès à la première date de procès disponible) (délai institutionnel de deux mois et demi);
 
•         du 17 septembre 2015 au 2 mars 2016 (soit de la première date de procès au début du voir‑dire découlant de la décision tardive du ministère public de demander l’admission en preuve de la déclaration faite par l’appelant à la police) (délai attribuable au ministère public de cinq mois et demi); et
 
•         du 3 mars 2016 au 28 juillet 2016 (moins une portion de deux à trois mois du délai imputable à la défense) (soit du début du voir-dire à la date de la reprise et de la conclusion de l’audience) (délai institutionnel d’un mois et trois quarts à deux mois et trois quarts).
[4] Selon la définition qu’en donne le par. 2(1) de la LSJPA, le terme « adolescent » désigne généralement « [t]oute personne qui, étant âgée d’au moins douze ans, n’a pas atteint l’âge de dix‑huit ans ou qui, en l’absence de preuve contraire, paraît avoir un âge compris entre ces limites ». La définition législative vise également « toute personne qui, sous le régime de la [LSJPA], est [. . .] accusée d’avoir commis une infraction durant son adolescence ».
[5] Les paragraphes 13(2) et (3) de la LSJPA prévoient que la cour supérieure de juridiction criminelle est réputée constituer un tribunal pour adolescents lorsque l’accusé choisit ou est réputé avoir choisi d’être jugé par un juge et un jury ou par un juge sans jury.


Synthèse
Référence neutre : 2019CSC55 ?
Date de la décision : 15/11/2019

Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : K.J.M.
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 15 novembre 2019, R. c. K.J.M., 2019 CSC 55


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2019-11-15;2019csc55 ?

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