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28/10/2005 | CANADA | N°2005_CSC_61

Canada | R. c. R.C., 2005 CSC 61 (28 octobre 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. R.C., [2005] 3 R.C.S. 99, 2005 CSC 61

Date : 20051028

Dossier : 30302

Entre:

R.W.C. (un adolescent au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents)

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario, procureur général

de la Colombie-Britannique, procureur général

de l’Alberta et Canadian Foundation for

Children, Youth and the Law

Intervenants

Traduction française officieller>
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 71)

Motifs diss...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. R.C., [2005] 3 R.C.S. 99, 2005 CSC 61

Date : 20051028

Dossier : 30302

Entre:

R.W.C. (un adolescent au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents)

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario, procureur général

de la Colombie-Britannique, procureur général

de l’Alberta et Canadian Foundation for

Children, Youth and the Law

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 71)

Motifs dissidents :

(par. 72 à 101)

Motifs dissidents :

(par. 102 à 112)

Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie et Deschamps)

La juge Abella (avec l’accord des juges LeBel et Charron)

Le juge Bastarache

______________________________

R. c. R.C., [2005] 3 R.C.S. 99, 2005 CSC 61

R.W.C. (un adolescent au sens de la Loi sur le système de justice

pénale pour les adolescents) Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, procureur général

de la Colombie‑Britannique, procureur général

de l’Alberta et Canadian Foundation for

Children, Youth and the Law Intervenants

Répertorié : R. c. R.C.

Référence neutre : 2005 CSC 61.

No du greffe : 30302.

2005 : 20 avril; 2005 : 28 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Roscoe, Bateman et Hamilton) (2004), 222 N.S.R. (2d) 41, 701 A.P.R. 41, 183 C.C.C. (3d) 347 (sub nom. R. c. C. (R.W.)), [2004] N.S.J. No. 53 (QL), 2004 NSCA 30, qui a accueilli l’appel interjeté contre un jugement de la juge Gass (2003), 215 N.S.R. (2d) 164, 675 A.P.R. 164, [2003] N.S.J. No. 243 (QL), 2003 NSSF 31, qui avait refusé la demande du ministère public visant à obtenir une ordonnance autorisant le prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique. Pourvoi accueilli, les juges Bastarache, LeBel, Abella et Charron sont dissidents.

Chandra Gosine, pour l’appelant.

Peter P. Rosinski et William D. Delaney, pour l’intimée.

John S. McInnes, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Kathleen M. Ker, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

James C. Robb, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

Lee Ann Chapman et Martha Mackinnon, pour l’intervenante Canadian Foundation for Children, Youth and the Law.

Version fran—aise du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, Deschamps et Fish rendu par

Le juge Fish —

I

1 R.W.C. a planté un stylo qui traînait sur le plancher, près de son lit, dans le pied de sa mère, laquelle avait déversé du linge sale sur lui parce qu’il refusait de se lever et s’habiller pour aller à l’école. Il a été accusé d’« agression armée » et de non‑respect d’une promesse. Il n’avait pas de casier judiciaire et il a reconnu sa culpabilité aux deux infractions. Il avait alors 13 ans.

2 L’agression armée fait partie des infractions pour lesquelles une déclaration de culpabilité oblige le juge du procès à rendre une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons d’ADN sur le contrevenant, à moins que celui‑ci n’établisse que l’effet d’une telle ordonnance serait « nettement démesuré par rapport à l’intérêt public », au sens du par. 487.051(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46.

3 La Cour doit déterminer en l’espèce si la juge Gass, de la Division de la famille de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, a eu tort de conclure que l’appelant s’était acquitté de cette charge de preuve. À cette fin, elle doit établir si la juge Gass a mal interprété ou appliqué les dispositions législatives en cause. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu par l’affirmative et ce, pour trois motifs. En toute déférence, j’estime que les motifs invoqués par la Cour d’appel sont tous les trois mal fondés.

4 Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer le jugement de la Cour d’appel et de rétablir la décision de la juge Gass.

II

5 Comme je l’ai déjà mentionné, R.W.C. était âgé de 13 ans quand il a commis l’infraction en cause. Il était donc un « adolescent » au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1 (« LSJPA »).

6 Ce matin‑là, sa mère, D.C., criait vainement près de son lit pour le faire lever et aller à l’école. De toute évidence irritée par l’attitude récalcitrante de son fils, elle est allée chercher un panier de linge sale dans le couloir et en a vidé le contenu sur lui en lui disant, selon l’avocat du ministère public, que [traduction] « s’il n’allait pas aller à l’école il pouvait bien rester là dans son linge sale ». C’est alors que R.W.C. a pris un stylo sur le plancher, près de son lit, et l’a planté dans le pied de sa mère.

7 Sa mère est ensuite sortie de la chambre pour prendre un répit et elle y est retournée peu après pour tenter encore une fois de faire lever son fils. R.W.C. s’est bien levé, mais pas du bon pied. Au contraire, les bras ballants, il a attaqué sa mère à coups de poing, l’atteignant à l’œil et à la mâchoire, et a continué à frapper jusqu’à ce que son oncle entre dans la chambre et les sépare.

8 R.W.C. a reconnu sa culpabilité aux accusations d’agression armée (l’arme étant le stylo) et de non‑respect d’une promesse. Un rapport prédécisionnel a été préparé à l’intention de la juge du procès. Les avocats des deux parties l’ont cité dans leur argumentation relative à la peine et de nouveau dans leur argumentation concernant la nécessité de l’ordonnance de prélèvement génétique. Ni l’une ni l’autre partie n’a contesté les observations et conclusions du rapport. Naturellement, la juge du procès s’est fondée, explicitement et implicitement, sur ce document pour élaborer une peine sur mesure et pour refuser de rendre une ordonnance de prélèvement.

9 Vu son importance primordiale pour la juste appréciation des motifs de la juge du procès, je reviendrai sur cet aspect de la question. Pour le moment, je crois suffisant de souligner que tous les intéressés ont considéré le rapport prédécisionnel et l’argumentation des avocats relative à la peine comme faisant partie du dossier de la demande d’ordonnance de prélèvement génétique présentée par le ministère public.

10 Dans ce contexte, il me paraît utile de reproduire ici deux passages du rapport prédécisionnel qui sont, à mon avis, particulièrement pertinents :

[traduction]

PROFIL DU DÉLINQUANT

Le sujet s’est dûment présenté à l’entrevue destinée à la préparation du rapport prédécisionnel, accompagné de son père. Pendant l’entrevue, il s’est comporté de façon réfléchie, coopérative et polie. Il s’est décrit comme « pas mal intelligent, amusant et généralement heureux ». Il a expliqué qu’il avait eu avec sa mère une querelle, qui avait provoqué sa colère et son comportement incontrôlé et, finalement, les gestes pour lesquels il avait été traduit en justice. Il a reconnu avoir mal agi et a déclaré : « Je le regrette vraiment [parce qu’] il ne faut pas frapper ses parents, surtout pas sa mère ». Il a affirmé être reconnaissant de tout ce que sa mère faisait pour lui et qu’« elle a toujours été présente », indiquant qu’il était arrivé à son père de quitter la maison. Il a déclaré qu’il était disposé à accepter les conséquences imposées par la Cour et à participer à un programme de gestion de la colère.

. . .

ÉVALUATION DES SOLUTIONS/RESSOURCES COMMUNAUTAIRES

[R.W.C.] est âgé de 13 ans et en est à sa première infraction. L’information recueillie au cours de la préparation du rapport prédécisionnel révèle un cycle de violence. Le délinquant a besoin de suivre un programme de gestion de la colère afin de régler ses problèmes de victime et d’auteur d’actes de violence. Les services visant à répondre à ses besoins peuvent être évalués dans la collectivité. Dans l’ensemble, à la maison et à l’école, le délinquant semble se plier aux règles, sauf les occasionnels débordements de colère, où il s’emporte. Il semble que, s’il bénéficie d’un soutien et de programmes adaptés à ses besoins, il sera un bon candidat pour une surveillance communautaire.

11 Après examen du rapport prédécisionnel et des plaidoiries des avocats, la juge Gass a imposé à R.W.C. une période de probation de quatre mois assortie de conditions, dont celle d’accepter de suivre un programme de gestion de la colère ou de réduction de la violence pour les jeunes qui lui serait prescrit. Elle a cependant refusé d’autoriser le prélèvement, pour analyse génétique, d’échantillons de substances corporelles de R.W.C. : (2003), 215 N.S.R. (2d) 164, 2003 NSSF 31.

12 La juge Gass a reconnu que R.W.C. avait commis une infraction primaire — agression armée — pour laquelle l’al. 487.051(1)a) prévoit l’obligation de rendre une ordonnance de prélèvement génétique à moins que l’exception prévue au par. 487.051(2) ne s’applique. Selon le par. 487.051(2), le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance s’il est convaincu que le contrevenant a établi que cette mesure aurait sur lui un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public qui serait ainsi servi.

13 Pour conclure que les conditions prévues au par. 487.051(2) étaient remplies, la juge Gass a examiné les faits et circonstances de l’affaire en tenant compte des principes et objectifs énoncés dans la LSJPA. La Cour d’appel a statué que la juge n’avait pas à prendre ces éléments en considération, car les principes et objectifs de la législation relative à la justice pénale pour les jeunes n’entrent pas en ligne de compte pour l’application aux jeunes contrevenants des dispositions du Code criminel relatives à l’analyse génétique et n’ont aucun effet sur cette application.

14 La Cour d’appel a également conclu que la juge Gass n’avait pas tenu compte de renseignements pertinents pour l’analyse exigée par le par. 487.051(2) et que son refus de rendre l’ordonnance ne reposait sur aucun élément de preuve.

15 La Cour d’appel a accueilli l’appel du ministère public, prononcé une ordonnance de prélèvement génétique et renvoyé l’affaire à la Division de la famille pour qu’elle établisse la teneur de l’ordonnance : (2004), 222 N.S.R. (2d) 41, 2004 NSCA 30.

III

16 Depuis 1995, le Parlement a adopté deux ensembles de mesures législatives complémentaires régissant le prélèvement et l’utilisation de matériel génétique par le système de justice pénale, l’un portant sur les mandats de prélèvement génétique et l’autre sur la banque de données génétiques.

17 La Cour a examiné la constitutionnalité des mandats de prélèvement génétique dans l’affaire R. c. S.A.B., [2003] 2 R.C.S. 678, 2003 CSC 60, et elle les a jugés constitutionnels. C’est le second ensemble de mesures législatives qui est en cause ici, c’est‑à‑dire celui régissant la banque de données génétiques, à savoir les art. 487.051 à 487.055 du Code criminel et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, L.C. 1998, ch. 37 (« LIEG »). Le Code criminel autorise le tribunal à ordonner le prélèvement de substances corporelles de certains contrevenants condamnés, pour dépôt à la banque de données. La LIEG, quant à elle, régit l’utilisation de ces substances après leur prélèvement.

18 Lorsqu’une ordonnance de prélèvement génétique est rendue, un échantillon d’une ou de plusieurs substances corporelles — sang, cheveu ou cellules épithéliales — est recueilli et envoyé à la Banque nationale de données génétiques du Canada, où on lui assigne un code à barres et on le sépare des renseignements permettant d’identifier le contrevenant. L’échantillon biologique est analysé et un profil est créé à partir des fragments non codants de la séquence d’ADN. Le profil est ensuite versé dans une base de données appelée Fichier des condamnés. Un autre fichier, le Fichier de criminalistique, renferme les profils d’identification génétique établis à partir d’échantillons prélevés sur les lieux des crimes non résolus. Les deux fichiers sont régulièrement comparés et, lorsqu’il y a correspondance, les enquêteurs en sont avertis.

19 Les ordonnances de prélèvement génétique sont rendues en vertu des art. 487.051 ou 487.052 du Code criminel. L’article 487.052 s’applique aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la LIEG. La disposition applicable en l’espèce, l’art. 487.051, est ainsi libellé :

487.051 (1) Sous réserve de l’article 487.053, lorsqu’il déclare une personne coupable ou, en vertu de l’article 730, l’absout ou déclare un adolescent coupable sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y‑1 des Lois révisées du Canada (1985), ou de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents d’une infraction désignée, le tribunal, selon le cas :

a) doit, sous réserve du paragraphe (2), dans le cas d’une infraction primaire, rendre une ordonnance — rédigée selon la formule 5.03 — autorisant le prélèvement, pour analyse génétique, du nombre d’échantillons de substances corporelles de l’intéressé jugé nécessaire à cette fin;

b) peut, dans le cas d’une infraction secondaire, rendre une ordonnance au même effet — rédigée selon la formule 5.04 — , s’il est convaincu que cela servirait au mieux l’administration de la justice.

(2) Le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance en question dans le cas d’une infraction primaire s’il est convaincu que l’intéressé a établi qu’elle aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, que visent à assurer la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants.

(3) Pour décider s’il rend ou non l’ordonnance dans le cas d’une infraction secondaire, le tribunal prend en compte l’effet qu’elle aurait sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration. Il est tenu de motiver sa décision.

20 Le législateur a donc établi une distinction nette entre les infractions « primaires » et « secondaires », lesquelles sont définies à l’art. 487.04 du Code criminel. Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction secondaire, c’est au ministère public qu’il incombe de démontrer qu’il est dans l’intérêt de l’administration de la justice de rendre une ordonnance de prélèvement génétique. Toutefois, lorsque la déclaration de culpabilité porte sur une infraction primaire, en raison de l’effet combiné de l’al. 487.051(1)a) et du par. 487.051(2) le juge doit rendre l’ordonnance à moins d’être convaincu que le contrevenant a établi qu’il y a lieu d’appliquer le par. 487.051(2).

21 Le paragraphe 487.051(2), tout comme la disposition en cause dans R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, peut être qualifié de « compromis constitutionnel » visant à maintenir un juste équilibre entre les droits individuels et les intérêts sociétaux. Les tribunaux appelés à appliquer cette disposition doivent se demander si l’ordonnance de prélèvement génétique porterait atteinte aux droits de l’intéressé à la vie privée et à la sécurité de sa personne de façon nettement démesurée par rapport à l’intérêt public. La Cour n’a pas été invitée à se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition et elle n’a pas à le faire.

22 Le libellé même du par. 487.051(2) indique que l’intérêt public servi par l’ordonnance de prélèvement génétique réside dans la protection de la société au moyen de la découverte, de l’arrestation et de la condamnation rapides des contrevenants. L’article 3 de la LIEG énonce, par exemple, que cette loi a pour objet d’aider à l’identification des auteurs présumés d’infractions désignées.

23 D’autres buts sont aussi visés, notamment la dissuasion de la récidive possible, la découverte de criminels en série, la simplification des enquêtes, la résolution de « vieux crimes » et la protection des innocents par l’exclusion de suspects et l’exonération de personnes condamnées à tort : voir R. c. Briggs (2001), 157 C.C.C. (3d) 38 (C.A. Ont.), par. 22, autorisation d’appel refusée, [2001] 2 R.C.S. xii; R. c. Jordan (2002), 162 C.C.C. (3d) 385, 2002 NSCA 11, par. 32‑39, et R. c. T. (T.N.) (2004), 186 C.C.C. (3d) 543, 2004 ABCA 238, par. 2.

24 Ces objectifs, si louables soient‑ils, peuvent paraître entrer en conflit avec les droits à la vie privée et à la sécurité de sa personne qui doivent recevoir protection judiciaire. Bien que l’intérêt public soit censé avoir priorité sur le droit à la vie privée dans le cas des infractions primaires, l’exception prévue au par. 487.051(2) reconnaît qu’il s’agit là d’une présomption réfutable.

25 L’ordonnance de prélèvement génétique touche indéniablement deux aspects du droit à la vie privée protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Le premier se rapporte à la personne et le second à ce qui a été qualifié de « contexte informationnel » : S.A.B., par. 40; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, p. 428‑430.

26 L’atteinte à l’intégrité physique causée par le prélèvement d’échantillons d’ADN est minimale. À cet égard, les commentaires de la juge Arbour dans S.A.B. se révèlent pertinents :

Pour ce qui est des aspects de la vie privée ayant trait à la personne, le prélèvement d’échantillons de substances corporelles en vertu d’un mandat ADN constitue clairement une atteinte à l’intégrité physique. Toutefois, lorsqu’il s’effectue en vertu d’un mandat ADN régulièrement délivré, l’importance de l’atteinte à l’intégrité physique de la personne est relativement faible (R. c. F. (S.) (2000), 141 C.C.C. (3d) 225 (C.A. Ont.), par. 27). Un prélèvement de cellules épithéliales est une procédure rapide et peu envahissante. Des échantillons de sang sont obtenus au moyen d’une piqûre à la surface de la peau — procédure qui, de l’aveu de l’appelant (par. 32 de son mémoire), n’est pas particulièrement envahissante au sens physique. Sauf pour ce qui est des poils pubiens, le prélèvement de poils ne devrait pas constituer une atteinte particulièrement importante à la vie privée ou à la dignité.

Fait important, le par. 487.07(3) de la loi exige que la personne autorisée à prélever des échantillons le fasse de manière à respecter « autant que faire se peut » la vie privée du contrevenant. Ainsi, comme le juge Weiler l’affirme dans R. c. Briggs [. . .] par. 35, [traduction] « normalement, une personne ne devrait pas être obligée de montrer une partie de son corps qui n’est pas habituellement exposée à la vue ».

. . .

À mon avis, le cadre législatif dissipe toute crainte que le prélèvement d’échantillons d’ADN en application d’un mandat de perquisition décerné sous le régime des art. 487.04 à 487.09 du Code criminel constitue une atteinte intolérable à l’intégrité physique de la personne. [par. 44‑45 et 47]

Il en va de même du prélèvement d’échantillons en exécution d’une ordonnance rendue en vertu de l’al. 487.051(1)a).

27 Toutefois, ce qui est plus préoccupant, c’est l’effet de l’ordonnance de prélèvement génétique sur le droit de l’individu à la vie privée en ce qui touche les renseignements personnels. Dans R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, p. 293, la Cour a statué que l’art. 8 de la Charte protégeait des « renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État ». L’ADN d’une personne renferme, « au plus haut degré, des renseignements personnels et privés » : S.A.B., par. 48. Contrairement à une empreinte digitale, il peut révéler les détails les plus intimes de la composition biologique d’une personne.

28 Si l’on n’impose aucune restriction au genre de renseignements qui peuvent être recueillis à partir de substances corporelles, le caractère potentiellement attentatoire de l’analyse génétique est pratiquement infini. C’est pourquoi un ensemble complet de garanties régissant l’utilisation de ces substances et de l’information contenue dans les profils a été mis en place : voir S.A.B., par. 49‑50; voir également Briggs, par. 39.

29 Le tribunal doit prendre en compte l’effet qu’aurait l’ordonnance de prélèvement génétique sur chacune de ces considérations pour décider si l’atteinte aux droits de l’intéressé à la vie privée et à la sécurité de sa personne est nettement démesurée. Cet examen comporte une importante dimension contextuelle, compte tenu non seulement du fait qu’il s’agit d’une infraction primaire, mais aussi de ses circonstances particulières ainsi que du caractère et du profil du contrevenant.

30 Certains facteurs pouvant être pertinents pour cet examen sont énoncés au par. 487.051(3) : l’effet de l’ordonnance sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration (Jordan, par. 62).

31 Cette énumération n’est nullement exhaustive. L’examen est nécessairement personnalisé, et le juge du procès doit prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire. Ce que le contrevenant doit démontrer, c’est que ses droits à la vie privée et à la sécurité de sa personne l’emportent clairement et largement sur l’intérêt public.

32 En l’espèce, le litige porte essentiellement sur la question de savoir si le juge d’un tribunal pour adolescents peut, pour décider s’il rend ou non une ordonnance de prélèvement génétique à l’égard d’un adolescent, prendre en compte les principes sous‑jacents et les caractéristiques déterminantes des mesures législatives en matière de justice pénale visant spécifiquement les adolescents.

33 L’alinéa 487.051(1)a) s’applique expressément à une « personne » ou à un « adolescent ». Par conséquent, il ne s’agit pas de savoir si les mesures législatives en matière de justice pénale pour les adolescents prévalent sur les ordonnances de prélèvement génétique ou les remplacent, ou si elles régissent l’octroi ou le rejet de telles ordonnances prises sous leur régime. Il s’agit plutôt de déterminer s’il convient de prendre en considération une loi visant spécifiquement et exclusivement les adolescents qui ont commis des infractions criminelles, lorsqu’il s’agit de leur appliquer les dispositions du Code criminel régissant les ordonnances de prélèvement génétique.

34 En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si, pour répondre à cette question, il faudrait se fonder sur la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y‑1 (« LJC »), maintenant abrogée, ou sur la nouvelle LSJPA, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2003, c’est‑à‑dire après le plaidoyer de culpabilité de R.W.C. Les dispositions transitoires de la LSJPA prévoient que les poursuites intentées sous le régime de la LJC continuent d’être régies par cette loi (art. 159 LSJPA), sauf quant à la détermination de la peine (art. 161). Le ministère public prétend que c’est la LJC qui s’applique en l’espèce.

35 À mon avis, la question de la loi applicable est sans incidence sur l’issue du présent pourvoi. Les deux lois partagent les mêmes postulats fondamentaux et principes directeurs relativement à tous les éléments significatifs. Simplement, la LSJPA énonce certains d’entre eux de façon plus détaillée.

36 En particulier, les deux lois confèrent aux tribunaux pour adolescents compétence exclusive à l’égard des infractions qu’auraient commises des adolescents et prévoient que, malgré toute autre loi fédérale, ils bénéficient de ces lois (art. 14 LSJPA; par. 5(1) LJC). Elles incorporent les dispositions du Code criminel, « avec les adaptations nécessaires » (art. 140 LSJPA; même libellé à l’art. 51 LJC). Bien qu’aucune disposition de l’une ou l’autre loi ne modifie l’al. 487.051(1)a) ou le par. 487.051(2) du Code, il est clair que le législateur voulait que leurs principes communs soient respectés lorsque des adolescents sont aux prises avec le système canadien de justice pénale.

37 Le législateur a notamment veillé à ce que les conséquences découlant d’une condamnation d’adolescents soient imposées d’une manière qui favorise la réalisation des objectifs de la législation sur le système de justice pénale pour les adolescents. Cette politique législative ressort des deux lois. Ne pas en tenir compte contrecarre la volonté du législateur.

38 La LJC, par exemple, déclarait à l’al. 3(1)a.1) que « les adolescents ne sauraient, dans tous les cas, être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité et aux conséquences de leurs actes »; elle reconnaissait à l’al. 3(1)c) leur « état de dépendance » et leur « degré de développement et de maturité », et elle affirmait à l’al. 3(1)f) que leur droit à la liberté « ne peut souffrir que d’un minimum d’entraves commandées par la protection de la société ». De même, la LSJPA énonce à l’art. 3 que le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct du système pour les adultes et doit « mettre l’accent sur [. . .] la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée ».

39 L’ordonnance de prélèvement génétique, bien qu’elle ne soit pas une peine, constitue incontestablement une conséquence grave de la déclaration de culpabilité. Cela ressort clairement du régime complet de protection procédurale prévu lors de la création de la banque de données génétiques. Le prélèvement et la conservation d’un échantillon d’ADN ne sont pas anodins et, en l’absence d’un intérêt public impérieux, ils constitueraient foncièrement une grave atteinte au droit à la vie privée en ce qui concerne tant l’intimité de la personne que ses renseignements personnels.

40 Tant la LJC que la LSJPA protègent l’identité des adolescents. Les deux lois mettent l’accent sur la réadaptation plutôt que sur le châtiment. Elles exigent aussi toutes deux la destruction des dossiers après une période déterminée.

41 En créant un système de justice pénale distinct pour les adolescents, le législateur a reconnu leurs plus grandes vulnérabilité et immaturité. Il a cherché également, pour se conformer à ses obligations internationales, à accorder une protection procédurale accrue aux jeunes contrevenants et à porter le moins possible atteinte à leur liberté et à leur vie privée : voir la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, R.T. Can. 1992 no 3, incorporée par renvoi à la LSJPA.

42 Le législateur n’a pas considéré que la protection du droit à la vie privée des adolescents reconnus coupables d’infractions criminelles compromettait, et encore moins, sacrifiait l’intérêt public. En fait, comme l’a souligné le juge Binnie dans F.N. (Re), [2000] 1 R.C.S. 880, 2000 CSC 35, la protection du droit à la vie privée des adolescents sert les objectifs de réadaptation et contribue ainsi, à long terme, à la protection de la société :

Le système de justice pour les adolescents sait bien que la stigmatisation ou « l’étiquetage » prématuré d’un adolescent en période de développement est un problème. Il arrive que l’adolescent, une fois stigmatisé comme étant un malfaiteur, fasse en sorte que le stigmate devienne réalité, à moins de recevoir de l’aide et de la réorientation. [par. 14]

43 En outre, en édictant des lois relatives au système de justice pénale pour les adolescents le législateur a reconnu que [traduction] « la plupart des jeunes contrevenants ne commettent qu’une infraction et que moins le système de justice pénale leur cause préjudice, moins ils sont susceptibles de commettre d’autres actes criminels » (Re Southam Inc. and The Queen (1984), 48 O.R. (2d) 678 (H.C.), p. 697, le juge J. Holland, conf. par (1986), 53 O.R. (2d) 663 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [1986] 1 R.C.S. xiv).

44 Il n’est donc pas surprenant que la Cour d’appel de l’Ontario ait statué que les facteurs à prendre en considération pour rendre la décision discrétionnaire visée à l’al. 487.051(1)b) doivent inclure l’âge des intéressés et les principes de la législation relative à la justice pénale pour les jeunes. La Cour d’appel (les juges Catzman, Abella et Gillese) a expliqué dans R. c. B. (K.) (2003), 179 C.C.C. (3d) 413 :

[traduction] Le Code [. . .] ne fait aucune distinction entre les contrevenants adultes et les contrevenants adolescents pour ce qui est des trois facteurs dont le tribunal doit tenir compte pour décider s’il rend ou non l’ordonnance de prélèvement génétique.

Toutefois, ces facteurs vont nécessairement s’appliquer de façon différente selon que le contrevenant est un adulte ou un adolescent. Dans [R. c. Hendry (2001), 161 C.C.C. (3d) 275], la cour a statué (par. 25) que « dans la vaste majorité des cas, le prononcé de l’ordonnance servira l’administration de la justice ». Cette présomption ne s’applique pas, toutefois, dans le cas des jeunes contrevenants. Toutes les lois concernant les contrevenants adolescents, en particulier la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y‑1, reconnaissent qu’il faut les traiter différemment parce qu’ils diffèrent sur le plan de la vulnérabilité, de la maturité, de l’expérience et d’autres facteurs tenant à leur jeunesse. Le titre Déclaration de principes précédant les par. 3(1) et (2) de la LJC et les principes énoncés dans ces deux dispositions permettent d’affirmer que les adolescents doivent en principe être traités différemment des adultes poursuivis en vertu du Code criminel. Par exemple, nous ne pouvons présumer, comme on le ferait pour un adulte, que l’atteinte à leurs droits à la vie privée et à la sécurité de leur personne sera minimale.

Le juge appelé à trancher doit, conformément aux principes régissant les décisions énoncées dans la législation relative aux jeunes contrevenants, examiner chacun des trois facteurs en tenant compte des buts poursuivis par cette législation. [Je souligne; par. 7‑9.]

45 Il en va de même des décisions prises en vertu de l’al. 487.051(1)a) et du par. 487.051(2). Le juge statuant sur la peine doit, pour déterminer si l’adolescent a établi que ses droits à la vie privée et à la sécurité de sa personne l’emportent nettement et amplement sur l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, examiner les deux membres de l’équation en tenant compte des dispositions législatives applicables en matière de justice pénale pour les adolescents.

IV

46 La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a jugé qu’il n’y avait pas lieu en l’espèce de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la juge Gass, car elle reposait sur une disposition impérative du Code criminel.

47 En toute déférence, la position prise sur ce point par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Briggs me paraît préférable. La juge Weiler y a reconnu (les juges Austin et Borins souscrivant à ses motifs) que [traduction] « le juge dispose du pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance autorisant le prélèvement d’un échantillon d’ADN dans le cas d’infractions primaires et d’infractions secondaires, bien que ce pouvoir soit plus circonscrit dans le cas des infractions primaires » (par. 3).

48 L’alinéa 487.051(1)a) du Code criminel, qui énonce une obligation, ne peut être considéré isolément du par. (2). Prises ensemble, ces deux dispositions rendent obligatoire l’ordonnance de prélèvement génétique uniquement (1) lorsqu’un accusé, adulte ou adolescent, a été déclaré coupable d’une infraction primaire et (2) qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui est imposé par le par. 487.051(2). Autrement dit, le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance s’il est convaincu que l’intéressé, adulte ou adolescent, a démontré l’existence d’une nette démesure. Ce qu’on vient de décrire est un pouvoir discrétionnaire.

49 Par conséquent, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la décision de rendre ou non une ordonnance de prélèvement pour dépôt à la banque de données génétiques que si la décision est manifestement déraisonnable : voir, dans le contexte de la détermination de la peine, R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500.

V

50 L’intervention de la Cour d’appel en l’espèce reposait sur trois motifs.

51 Premièrement, la Cour d’appel a estimé que la juge Gass avait conclu à tort que [traduction] « les principes et les objets de la [LSJPA] entrent en ligne de compte dans l’application de l’al. 487.051(1)a) et du par. 487.051(2) ou la modulent » (par. 17). En toute déférence, j’estime que la juge Gass n’a commis aucune erreur sur ce point. J’ai déjà expliqué pourquoi il n’est pas erroné dans les affaires concernant des jeunes contrevenants de tenir compte des principes et des objectifs des lois sur le système de justice pénale pour les adolescents comme la LJC ou la LSJPA dans la pondération des facteurs visés au par. 487.051(2).

52 Deuxièmement, la Cour d’appel a conclu que la juge Gass n’avait pas tenu compte de circonstances qu’il fallait prendre en considération dans la pondération des facteurs visés au par. 487.051(2). Dans l’examen de ce point, il ne faut surtout pas oublier que toutes les circonstances pertinentes ont été présentées par les avocats et examinées par la juge cumulativement à l’étape de la décision sur l’ordonnance de prélèvement génétique. C’est‑à‑dire que l’audience sur la détermination de la peine a été incorporée par renvoi à l’audience sur l’ordonnance de prélèvement qui l’a immédiatement suivie. Il n’y a eu aucune confusion au sujet des différentes considérations juridiques applicables à chacune de ces décisions distinctes, portant, l’une, sur la peine et l’autre, sur l’ordonnance de prélèvement. Cependant, les faits n’ont pas été contestés, pas plus que ne l’a été le rapport prédécisionnel, lequel était pertinent aux deux étapes.

53 C’est donc avec raison que l’avocat du ministère public a reconnu devant la Cour qu’au procès le débat et la décision sur la peine ainsi que l’audience et la décision relatives à l’ordonnance de prélèvement génétique se sont déroulés plus ou moins simultanément, sans que cela suscite d’objection.

54 Il ne faut pas oublier non plus que, lorsque l’avocat de la défense a demandé à la juge du procès si elle avait besoin d’autres faits pour rendre sa décision sur l’ordonnance de prélèvement, elle a répondu :

[traduction] Je suis certainement convaincue qu’avec les faits qui lui ont été présentés avant la décision ou avant l’audience sur la détermination de la peine et les renseignements contenus dans le rapport prédécisionnel et dans l’argumentation des avocats, la Cour dispose d’amplement de faits.

55 Par conséquent, je ne puis conclure que la juge du procès n’a pas pris en considération des faits dont elle fait ainsi abondamment état. Je ne puis non plus faire grief à l’avocat de l’appelant d’avoir pris la juge au mot.

56 La Cour d’appel a reproché plus particulièrement à la juge Gass de s’être fondée uniquement sur l’âge du contrevenant, l’absence de casier judiciaire et la nature de l’infraction pour refuser l’ordonnance de prélèvement génétique. Selon la cour, la juge n’a pas pris en considération les renseignements suivants qui figuraient au dossier :

[traduction]

— lorsqu’il a commis cette agression, l’adolescent était lié par la promesse de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite;

— la seule preuve des remords du jeune contrevenant provient des déclarations de son père lors de l’entrevue destinée à la préparation du rapport prédécisionnel;

— l’absentéisme scolaire du jeune contrevenant était un problème persistant et il avait déclenché l’agression;

— son dernier bulletin scolaire laissait à désirer;

— il a des antécédents de consommation de drogues illicites et d’alcool, même s’il affirmait que c’était du passé;

— il a du mal à maîtriser sa colère et a tendance à s’emporter, comme le démontre l’infraction;

— il vivait dans une famille où sévissait la violence;

— l’agression contre sa mère avait continué après le coup de stylo, jusqu’à ce que l’oncle du jeune contrevenant y mette un terme. [par. 23]

57 La conclusion de la Cour d’appel que la juge Gass n’a pas tenu compte de ces [traduction] « renseignements pertinents » ne se concilie pas avec le dossier dont nous disposons. En fait, c’est tout le contraire. La juge Gass a spécifiquement mentionné que R.W.C. était lié par une promesse au moment de l’infraction. Elle a également fait état du problème de maîtrise de la colère dans ses motifs relatifs à l’ordonnance de prélèvement génétique et à trois différentes occasions, au moins, dans ses motifs concernant la peine. Elle a déclaré qu’elle ne voulait pas le minimiser mais que les conditions imposées dans l’ordonnance de probation y répondaient adéquatement, selon elle. Le ministère public n’a pas contesté cette conclusion.

58 De même, la juge Gass a expressément examiné le problème de la violence familiale, dans ses motifs relatifs à l’ordonnance de prélèvement génétique et dans ses motifs relatifs à la peine. Et elle a indiqué à au moins deux reprises qu’une querelle au sujet de la fréquentation scolaire de l’adolescent était à l’origine de l’agression.

59 La Cour d’appel a également fait erreur lorsqu’elle a déclaré que la seule preuve des remords de R.W.C. émanait de l’entrevue de son père menée dans le cadre de la préparation du rapport prédécisionnel. Il ressort de l’extrait du rapport de probation précédemment cité que R.W.C. a personnellement indiqué à l’agent de probation qu’il regrettait ce qu’il avait fait et qu’il était prêt à accepter les conséquences qui lui seraient imposées pour ses actes. De plus, dans son argumentation sur la détermination de la peine, l’avocate du ministère public a reconnu les remords de R.W.C. en ces termes :

[traduction] En fait, le défendeur semble certainement accepter la responsabilité de ses gestes dans cette affaire et explique que, parce qu’il a des liens étroits avec sa mère, il estime qu’il n’est pas tolérable de frapper ses parents ou de leur manifester physiquement de l’agressivité. Il dit regretter véritablement l’incident parce que personne ne doit frapper ses parents, en particulier sa mère. Nous devons donc certainement tenir ces déclarations pour sincères. [Je souligne.]

60 La Cour d’appel reproche aussi à la juge Gass de ne pas avoir fait mention du « problème persistant » d’« absentéisme scolaire » et d’un bulletin scolaire qui « laissait à désirer ». Ces prétendues omissions n’ont rien de surprenant puisque l’avocate du ministère public avait explicitement fait sienne, dans ses observations au sujet de la peine, la position de l’agent de probation selon laquelle [traduction] « [d]ans l’ensemble, à la maison et à l’école, le délinquant semble se plier aux règles » (je souligne).

61 D’autres éléments dont la Cour d’appel reproche l’omission à la juge Gass figuraient dans le rapport prédécisionnel, que la juge a dit avoir examiné, ou avaient été portés plus tôt à son attention, lors des observations des avocats, ou avaient été mentionnés par la juge Gass dans sa sentence.

62 En toute déférence, j’estime, pour toutes ces raisons, que la Cour d’appel a conclu à tort que la juge Gass a omis de prendre en considération des renseignements pertinents lorsqu’elle a refusé de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique. J’aborde maintenant le troisième motif pour lequel la Cour d’appel a infirmé la décision de la juge du procès.

63 La Cour d’appel a estimé que la juge Gass n’avait pas explicité sa décision. Selon la cour, elle avait [traduction] « semblé conclure que le prélèvement d’un échantillon d’ADN sur un jeune contrevenant est de prime abord une atteinte inacceptable aux droits de l’adolescent à la vie privée et à la sécurité de sa personne » (par. 16) et [traduction] « la preuve ne permettait pas à la juge de refuser de rendre une ordonnance présumée obligatoire » (par. 13).

64 À mon avis, ce reproche est également injustifié.

65 À plusieurs reprises, la juge a énoncé de façon irréprochable les principes de droit pertinents. Celle‑ci a fait observer que l’adolescent avait été déclaré coupable d’une infraction primaire et qu’en conséquence l’ordonnance de prélèvement génétique ne pouvait être refusée que si R.W.C. satisfaisait aux conditions prévues au par. 487.051(2). La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse dans Jordan, fait‑elle observer, a conclu que [traduction] « les cas o— une demande d’ordonnance remplissant les conditions prévues [à l’al. 487.051(1)a)] pourra être refusée sont effectivement très rares » (par. 5) et qu’[traduction] « il incombe à l’adolescent [. . .] de convaincre la cour que cette exception lui est applicable, au moyen d’éléments de preuve versés au dossier » (par. 21).

66 La juge Gass a ensuite analysé en détail les circonstances de l’affaire. Elle a signalé que R.W.C. était âgé de 13 ans, qu’il n’avait pas de casier judiciaire et que c’est à la suite d’une querelle avec sa mère qu’il lui a planté un stylo dans le pied. Elle n’a pas conclu que le prélèvement d’un échantillon d’ADN sur des adolescents constituait de prime abord une atteinte inacceptable à leurs droits; elle a plutôt pris la peine d’expliquer que dans le cas de R.W.C. la situation [traduction] « s’écarte nettement de l’atteinte minimale que constitue le prélèvement d’un échantillon sur un sujet de 35 ans au casier judiciaire bien garni ou même sur un adolescent de 17 ans ayant un lourd casier judiciaire » (par. 31).

67 La juge Gass a tenu compte des principes de la LSJPA, du niveau de développement atteint au début de l’adolescence et de la situation de l’intéressé décrite dans le rapport prédécisionnel. Bien que l’avocat de R.W.C. ait proposé de faire témoigner l’adolescent, la juge a déclaré que les faits dont la cour disposait étaient suffisants. Je ne suis pas prêt à dire qu’elle a commis une erreur à cet égard.

68 Dans les circonstances, l’infraction commise par R.W.C. figurait clairement au bas de l’échelle des infractions primaires. Je ne cherche pas par là à en minimiser la gravité; R.W.C. a perpétré une agression répréhensible sur la personne de sa mère, mais il l’a fait au cours d’une querelle entre un adolescent de 13 ans et sa mère, qui voulait l’envoyer à l’école et en réponse instinctive à l’humiliation causée par le déversement de linge sale sur lui pendant qu’il était au lit. La juge Gass a pris des mesures adéquates à l’égard de la nécessité pour lui de maîtriser sa colère, nécessité démontrée par cette attaque inacceptable.

69 Il s’agissait de la première infraction de R.W.C. La juge Gass a mis en balance l’intérêt du public à ce que soit rendue l’ordonnance autorisant le prélèvement d’un échantillon d’ADN sur ce contrevenant et que l’échantillon soit conservé dans la banque de données génétiques, d’une part, et l’effet d’une telle ordonnance sur les droits de l’intéressé à la vie privée et à la sécurité de sa personne, d’autre part. Elle a procédé à cet examen en tenant compte des principes et objets de la législation relative à la justice pénale pour les jeunes, et elle a conclu que l’effet d’une telle ordonnance serait nettement démesuré.

70 Sa conclusion est raisonnable dans les circonstances, et la Cour d’appel n’aurait pas dû l’infirmer.

VI

71 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’ordonnance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (Division de la famille).

Version française des motifs des juges LeBel, Abella et Charron rendus par

72 La juge Abella (dissidente) — J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Fish. Je regrette de ne pouvoir souscrire à sa conclusion que la juge du procès a eu raison de refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique prévue à l’al. 487.051(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46.

73 Selon l’al. 487.051(1)a), le tribunal est tenu de rendre une ordonnance de prélèvement génétique lorsqu’il déclare une personne coupable d’une infraction primaire, comme c’est le cas en l’espèce, à moins que le contrevenant n’établisse que cette mesure aurait un effet nettement démesuré sur « sa vie privée et la sécurité de sa personne ». La loi impose au contrevenant la charge de réfuter la présomption que l’ordonnance de prélèvement génétique doit être rendue.

74 Les dispositions relatives à la banque de données génétiques visent explicitement les adolescents déclarés coupables d’une infraction désignée prévue par la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y‑1, ou la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1. Je conviens avec le juge Fish de la pertinence théorique des principes de ces deux lois pour l’analyse menant à la décision, mais je ne vois pas comment on peut les appliquer de façon à neutraliser le libellé clair du Code.

Les faits

75 Le 26 novembre 2002, R.W.C., alors âgé de 13 ans, a frappé sa mère au visage à coups de poing et lui a planté un stylo dans le pied au cours d’une querelle. La police a été appelée, et R.W.C. a été inculpé sous quatre chefs d’accusation : deux d’agression armée (l’arme étant un stylo et un verre), un d’omission de se conformer à la promesse de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite et un d’omission de se conformer à la promesse de ne pas posséder d’arme.

76 Devant la Division de la famille de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, R.W.C. a reconnu sa culpabilité à l’accusation d’agression armée et de non‑respect d’une promesse. La présentation suivante des faits par le ministère public illustre son comportement violent :

[traduction] [L]es faits en cause sont que le 26 novembre 2002, la police régionale de Halifax a reçu un appel relatif à — initialement, une dispute — une mère qui se faisait battre par son fils de 13 ans, l’accusé, M. R.W.C.

À son arrivée sur les lieux, vers 9 h ce mardi‑là, le policier a trouvé la mère en larmes et très agitée. Elle se plaignait que son fils, c’est‑à‑dire R.W.C., l’avait attaquée dans la chambre de celui‑ci, à l’étage.

Elle appliquait un sac de fraises congelées sur son œil droit, qui était enflé et présentait une importante ecchymose. Elle a aussi montré au policier, l’agent McDonald, une grosse marque rouge sur sa jambe gauche, dans la région du péroné. L’agent a également constaté une blessure faite par un coup de stylo porté au pied droit, près de l’orteil.

La plaignante, victime et mère de l’accusé, Mme [C.], a indiqué qu’à 7 h 20 ce matin‑là, elle avait voulu faire lever son fils, dont la chambre se trouvait à l’étage du duplex. Elle essayait de le faire sortir du lit, mais sans succès.

Son absentéisme scolaire était un sujet de préoccupation et elle voulait qu’il aille à l’école. Elle lui criait après, à côté de son lit, essayant de le faire lever. Mais il refusait.

La plaignante a fini par sortir dans le couloir, elle y a pris un panier de linge sale, est retournée dans la chambre et a vidé le panier sur l’accusé en lui disant que s’il n’allait pas aller à l’école il pouvait bien rester là dans son linge sale. L’accusé lui a alors planté un stylo qui traînait sur le plancher. Il s’en est emparé et le lui a planté dans le pied.

Mme [C.], la plaignante, est allée s’étendre quelques instants, puis elle est retournée pour tenter encore une fois de faire lever M. R.W.C. pour qu’il aille à l’école. C’est alors qu’il s’est levé et a commencé à frapper. Il lui a donné un coup de poing dans l’œil et a continué à la frapper à la tête, l’atteignant à la mâchoire et à l’œil et lui égratignant la figure.

L’altercation s’est poursuivie jusqu’à ce que le frère de la plaignante arrive dans la chambre et les sépare. À ce moment, l’accusé ne voulait pas s’arrêter et continuait à frapper sa mère.

En fait, l’accusé avait remis une promesse à un fonctionnaire responsable, le 6 juillet 2003 [sic]. Les conditions fixées dans la promesse étaient de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite — excusez‑moi, de ne pas avoir d’arme ou de munitions en sa possession.

Madame la Juge, comme il en a été fait état, l’accusé a plaidé coupable à l’accusation fondée sur l’al. 267a), c’est‑à‑dire agression avec un stylo sur la personne de [Mme C.], ainsi qu’à l’accusation fondée sur le par. 145(5.1), c’est‑à‑dire omission de se conformer à une promesse remise à un fonctionnaire responsable, dont les conditions étaient de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite.

Je crois que cela devrait suffire pour l’établissement des faits.

LA COUR Quelqu’un a‑t‑il des commentaires sur les faits?

M. GOSINE Simplement que M. R.W.C. reconnaît avoir frappé sa mère avec un stylo et être en liberté sur la foi d’une promesse. S’il est déclaré coupable de cette accusation, il n’aura pas respecté la condition de ne pas troubler l’ordre public.

LA COUR Les faits exposés par le ministère public étayent l’accusation d’agression à l’aide d’une arme ou imitation d’arme, infraction prévue à l’al. 267a) du Code criminel. Par conséquent, je rends un verdict de culpabilité.

En l’espèce, je crois que c’est toujours l’art. 19 de la Loi sur les jeunes contrevenants qui s’applique. En ce qui concerne l’accusation fondée sur le par. 145(5.1), les faits étayent l’accusation de non‑respect de la promesse de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, et (inaudible) coupable en vertu de l’art. (inaudible). [Je souligne.]

77 R.W.C. n’a pas contesté la description que le ministère public a donnée des circonstances de la perpétration des infractions.

78 La juge du procès a aussi reçu un rapport prédécisionnel, selon lequel R.W.C. avait admis avoir des antécédents de consommation de drogues et d’alcool et des problèmes d’absentéisme scolaire, mais il s’était montré coopératif et poli et avait dit regretter son comportement.

79 Fait révélateur, le rapport citait également des propos du directeur adjoint de l’école secondaire de premier cycle fréquentée par R.W.C. Le directeur a décrit l’adolescent comme un [traduction] « garçon brillant et gentil », mais il a reconnu qu’il était arrivé à ce dernier de [traduction] « piquer des crises » à quelques occasions. L’auteur du rapport signale qu’on a vainement essayé de joindre la mère du garçon à plusieurs reprises. Il conclut que R.W.C. a besoin de suivre un programme de gestion de la colère afin de régler son problème de violence.

80 Selon la juge du procès, la violence familiale est profondément ancrée et peut entraîner d’autres actes de violence plus tard si aucune mesure n’est prise pour traiter le problème. Elle a imposé à R.W.C. une période de probation de quatre mois assortie de conditions, dont celle d’accepter de suivre le programme de gestion de la colère ou de réduction de la violence qui lui serait prescrit.

81 L’agression armée étant une infraction primaire, il existe à l’al. 487.051(1)a) du Code la présomption qu’il y a lieu de rendre une ordonnance de prélèvement génétique. La juge du procès, toutefois, se fondant sur le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le par. 487.051(2), a estimé que l’ordonnance de prélèvement génétique aurait sur R.W.C. un effet nettement démesuré par rapport à « l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice », concluant que, dans les circonstances, l’intérêt public ne souffrait pas la comparaison avec les conséquences que la mesure entraînerait sur les droits d’un adolescent de 13 ans à la vie privée et à la sécurité de sa personne.

82 Dans un passage révélateur de ses motifs, la juge du procès a comparé les conséquences d’un prélèvement génétique sur un sujet de 13 ans et sur un sujet de 35 ans :

[traduction] En ce qui concerne l’intégrité physique d’un adolescent de 13 ans, il me semble que la situation, compte tenu de l’âge de l’intéressé, de son niveau de développement et de la compréhension et la perception qu’il a de l’infraction commise ainsi que des conséquences du prélèvement d’un échantillon d’ADN, s’écarte nettement de l’atteinte minimale que constitue le prélèvement d’un échantillon sur un sujet de 35 ans au casier judiciaire bien garni ou même sur un adolescent de 17 ans ayant un lourd casier judiciaire.

((2003), 215 N.S.R. (2d) 164, 2003 NSSF 31, par. 31)

83 En l’espèce, il faut déterminer si, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la juge du procès a commis une erreur en concluant que R.W.C. avait réfuté la présomption. Pour les motifs qui suivent, je partage l’opinion du juge Bateman que la preuve ne permettait pas à la juge du procès de refuser de rendre l’ordonnance présumée obligatoire.

Analyse

84 Comme le signale le juge Fish (par. 20), l’art. 487.051 du Code établit une « distinction nette » entre les ordonnances de prélèvement génétique visant les auteurs d’infractions primaires, comme c’est le cas en l’espèce, et celles qui visent les auteurs d’infractions secondaires. Voici les dispositions applicables :

487.051 (1) Sous réserve de l’article 487.053, lorsqu’il déclare une personne coupable ou, en vertu de l’article 730, l’absout ou déclare un adolescent coupable sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985), ou de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents d’une infraction désignée, le tribunal, selon le cas :

a) doit, sous réserve du paragraphe (2), dans le cas d’une infraction primaire, rendre une ordonnance — rédigée selon la formule 5.03 — autorisant le prélèvement, pour analyse génétique, du nombre d’échantillons de substances corporelles de l’intéressé jugé nécessaire à cette fin;

b) peut, dans le cas d’une infraction secondaire, rendre une ordonnance au même effet — rédigée selon la formule 5.04 — , s’il est convaincu que cela servirait au mieux l’administration de la justice.

(2) Le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance en question dans le cas d’une infraction primaire s’il est convaincu que l’intéressé a établi qu’elle aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, que visent à assurer la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants.

(3) Pour décider s’il rend ou non l’ordonnance dans le cas d’une infraction secondaire, le tribunal prend en compte l’effet qu’elle aurait sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration. Il est tenu de motiver sa décision.

85 Selon l’al. 487.051(1)a) et le par. 487.051(2), lorsque le tribunal déclare une personne coupable d’une infraction primaire, il doit rendre une ordonnance de prélèvement génétique à moins d’être convaincu que le contrevenant a établi qu’elle aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui concerne la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. D’après le libellé de la disposition, l’ordonnance ne serait refusée que dans des cas exceptionnels.

86 Trois points méritent d’être soulignés : la charge de convaincre le tribunal qu’il n’y a pas lieu de rendre l’ordonnance incombe au contrevenant; pour s’acquitter de cette charge, il lui faut établir l’existence d’une nette démesure; les contrevenants adolescents, comme les contrevenants adultes, sont expressément assujettis à ces dispositions.

87 L’alinéa 487.051(1)b) du Code porte sur les infractions secondaires. Cette disposition également énonce qu’elle s’applique aux adolescents. Le critère, cependant, est tout à fait différent. S’il s’agit d’une infraction secondaire, l’ordonnance de prélèvement génétique n’est pas présumée obligatoire. Le juge du procès jouit alors d’un pouvoir discrétionnaire, et il peut rendre l’ordonnance s’il est convaincu que cela servirait au mieux l’administration de la justice, compte tenu des facteurs énoncés au par. 487.051(3) : l’effet que l’ordonnance aurait sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration. Autrement dit, l’intérêt de l’administration de la justice se détermine par la pondération de ces facteurs.

88 Par contre, le critère applicable aux infractions primaires ne fait appel à aucun de ces facteurs et il laisse beaucoup moins de place à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il ne vise pas non plus à déterminer ce qui servirait au mieux l’administration de la justice, comme c’est le cas pour les infractions secondaires. Pour ce qui est des infractions plus graves, le législateur a déjà établi qu’il est dans l’intérêt public et dans l’intérêt de la bonne administration de la justice de rendre une ordonnance de prélèvement génétique afin de parvenir à la découverte, à l’arrestation et à la condamnation rapides des contrevenants. Ce sont les raisons énoncées pour la création d’un régime particulier pour les infractions plus graves, qui rend obligatoires par présomption les ordonnances de prélèvement génétique et impose au contrevenant qui veut échapper à cette mesure une charge de preuve plus exigeante. En effet, ce n’est que si ce dernier, adolescent ou adulte, peut démontrer qu’une telle ordonnance aura sur sa vie privée et la sécurité de sa personne un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société que le tribunal pourra refuser de rendre l’ordonnance.

89 Il s’agit là d’une question de preuve. Le contrevenant peut inclure dans sa preuve des facteurs comme son âge, son casier judiciaire et des circonstances personnelles s’ils se rapportent à la question de l’effet sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, mais, contrairement à ce qui se passe dans le cas des infractions secondaires, ce n’est pas sur eux que porte principalement l’analyse. Le tribunal examine plutôt si le contrevenant s’est acquitté du fardeau qui lui incombe de démontrer que l’effet de l’ordonnance sur sa vie privée et la sécurité de sa personne est si accablant qu’il est nettement démesuré par rapport à l’intérêt qu’a la société d’assurer sa protection.

90 Le fardeau de preuve est‑il différent pour les jeunes contrevenants? Comme nous l’avons vu, non seulement le par. 487.051(1) n’établit aucune distinction entre les contrevenants adultes et les contrevenants adolescents, mais il inclut spécifiquement les adolescents. En élargissant aux adolescents l’application de la disposition sans l’assortir de restrictions, le législateur a indiqué qu’il considérait que les ordonnances de prélèvement génétique pouvaient ou devaient être rendues même si le contrevenant n’est pas un adulte. Dans le cas des infractions moins graves, il a élaboré un critère de pondération et, pour les infractions graves, un critère extrêmement exigeant. Tous deux s’appliquent aux adolescents comme aux adultes.

91 Cela ne veut pas dire que le législateur n’a pas pris en considération les besoins particuliers des adolescents en matière de vie privée et de sécurité. Au contraire, tant dans la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, L.C. 1998, ch. 37, que dans le Code, il a inclus des dispositions reconnaissant explicitement ces besoins. Par exemple, l’art. 9.1 de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques énonce que « [t]out renseignement contenu dans le fichier des condamnés [. . .] doit être rendu définitivement inaccessible », une fois que le dossier de l’adolescent est détruit conformément à la Loi sur les jeunes contrevenants. De même, l’art. 10.1 de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques prévoit la destruction des substances corporelles d’un jeune contrevenant « au moment où les derniers éléments du dossier de l’adolescent qui ont trait à cette infraction [sont] détruits ». Quant au par. 487.07(4) du Code, il prévoit que l’adolescent visé par un mandat de prélèvement génétique a, en plus des droits relatifs à sa détention pour l’exécution du mandat, le droit de se voir donner la possibilité de consulter un avocat et soit son père ou sa mère, soit un parent adulte, soit tout autre adulte idoine, et d’exiger que le mandat soit exécuté en présence d’une telle personne.

92 Cela signifie que, comme pour les contrevenants adultes, en cas d’infraction primaire, le tribunal ne peut refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique que si la preuve démontre que la mesure aura sur la vie privée de l’adolescent et la sécurité de sa personne un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui concerne la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. Il ne peut pas simplement se fonder sur le fait que le contrevenant est un adolescent pour inférer un effet démesuré. Une telle approche irait dans le sens exactement inverse de la présomption.

93 La législation visant les jeunes contrevenants énonce des principes et garanties dont ils peuvent tous se réclamer, mais je peux difficilement voir en quoi ils sont utiles en l’espèce. La question est de savoir si l’ordonnance avait sur la vie privée de l’adolescent et la sécurité de sa personne un effet si accablant qu’il était nettement démesuré par rapport à l’intérêt du public à se protéger contre les contrevenants potentiellement violents. Le critère est le même pour les adultes et les adolescents, car le souci de la détection des criminels et de la protection du public qui animait le législateur est le même dans les deux cas — tant les adolescents que les adultes peuvent être injustement condamnés ou accusés, comme ils peuvent présenter des risques de récidive.

94 L’avocat de R.W.C. a admis qu’il n’avait soumis aucun élément de preuve relativement à l’effet de l’ordonnance sur son client. Il avait plutôt exhorté la juge du procès à prendre connaissance d’office de l’effet probable d’une telle mesure sur les adolescents en général. Il a soutenu qu’en raison de l’âge du contrevenant, de son casier judiciaire vierge et du caractère familial de l’infraction, la mesure aurait un effet nettement démesuré sur R.W.C.

95 La juge du procès a conclu que le cas de R.W.C. [traduction] « s’écartait tellement des situations normales envisagées par les dispositions législatives » (par. 40) que le prélèvement d’échantillons ne pouvait être raisonnablement justifié. Rien dans la preuve n’étayait cette conclusion ni toute autre conclusion sur l’effet d’une telle ordonnance sur R.W.C.

96 La juge du procès a formulé de judicieuses considérations sur la possibilité qu’une ordonnance de prélèvement génétique ait un effet nettement démesuré sur un adolescent. C’est une réalité à laquelle un juge ayant affaire à de jeunes contrevenants doit se montrer sensible, mais elle ne doit pas faire perdre de vue la réalité législative, à savoir que le législateur a considéré que l’intérêt public en ce qui concerne la protection de la société et la bonne administration de la justice l’emportait sur les droits des adolescents déclarés coupables d’une infraction primaire à la vie privée et à la sécurité de leur personne.

97 L’erreur de la juge du procès a consisté, à mon avis, à fonder sa conclusion sur des considérations générales au sujet de l’effet, plutôt que sur la preuve établissant à quel point l’effet sur le jeune contrevenant est démesuré en l’espèce. La juge a essentiellement fusionné le critère applicable aux infractions primaires et le critère applicable aux infractions secondaires et a fait de l’ordonnance que le législateur a voulue obligatoire par présomption une ordonnance présumée inapplicable aux jeunes contrevenants, en remplaçant l’exigence relative à la preuve de l’effet nettement démesuré par une présomption de nette proportionnalité.

98 Il s’agit ici d’un incident de violence familiale comportant l’utilisation d’une arme. Même si l’arme est un stylo, il n’en demeure pas moins que le crime commis constitue une infraction primaire, donc régie par l’al. 487.051(1)a). L’agression a eu lieu au cours d’une querelle qui s’intensifiait et qui a atteint son paroxysme lorsque R.W.C. a asséné à sa mère des coups de poing répétés à la tête. Sans l’intervention d’un membre de la famille, la mère de R.W.C. aurait pu subir des blessures bien plus graves.

99 La juge du procès a conclu expressément qu’il y avait possibilité de violence plus tard si l’on ne prenait pas de mesures correctrices. Le dossier étaye largement cette conclusion. C’est exactement cette possibilité que les ordonnances de prélèvement génétique visent à enrayer dans le cas des infractions primaires.

100 Le refus de rendre une ordonnance obligatoire doit reposer sur des faits. Je partage l’opinion du juge Bateman, de la Cour d’appel, que la décision de la juge du tribunal pour adolescents ne s’appuyait pas sur un tel fondement :

[traduction] À mon avis, la preuve ne permettait pas à la juge de refuser de rendre une ordonnance présumée obligatoire. La juge a refusé d’ordonner le prélèvement de l’échantillon parce qu’il s’agissait de la première infraction du contrevenant, commise alors qu’il n’avait que 13 ans, que frapper sa mère avec un stylo ne correspondait pas aux infractions primaires habituelles et qu’il n’existait pas de risque prévisible de récidive. À mon avis, la juge a commis une erreur en émettant des hypothèses au sujet de l’effet d’un prélèvement sur l’état psychique du jeune contrevenant en cause, sans disposer d’éléments de preuve . . .

Il n’existait aucune preuve relative à la santé psychologique, émotionnelle ou mentale de R.W.C., à son niveau de développement ou à sa compréhension ou perception de l’infraction commise. En particulier, la cour ne disposait d’aucun élément de preuve concernant la réaction ou les impressions du jeune contrevenant en cause devant l’éventualité du prélèvement. . .

((2004), 222 N.S.R. (2d) 41, 2004 NSCA 30, par. 13-14)

101 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

102 Le juge Bastarache (dissident) — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mes collègues les juges Fish et Abella et je conviens avec la juge Abella que le critère formulé au par. 487.051(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, doit s’appliquer de la même façon aux adultes et aux adolescents. Selon ce critère, dans le cas des infractions primaires, le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique s’il est convaincu que le contrevenant a établi qu’elle aurait sur sa vie privée et la sécurité de sa personne un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, que visent à assurer la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. Toutefois, je diffère d’avis avec elle sur un point : j’estime que le casier judiciaire n’entre pas dans les facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer l’effet de l’ordonnance de prélèvement génétique sur la vie privée d’un contrevenant et la sécurité de sa personne sous le régime du par. 487.051(2). Trois raisons fondent ma conclusion à cet égard.

103 Premièrement, à l’art. 487.051, le casier judiciaire n’est mentionné qu’au par. (3), lequel énonce que, pour décider s’il rend ou non l’ordonnance de prélèvement génétique dans le cas d’une infraction secondaire, le tribunal prend en compte « l’effet qu’elle aurait sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration ». Le fait que le législateur ait explicitement prescrit au tribunal de prendre en compte le casier judiciaire dans le cas d’une infraction secondaire, mais qu’il n’ait pas précisé s’il fallait également tenir compte de ce facteur pour décider de l’application de l’exception prévue au par. 487.051(2) quant à l’ordonnance de prélèvement autrement obligatoire dans le cas des infractions primaires m’amène à penser qu’il voulait que le casier judiciaire du contrevenant soit pris en considération seulement dans le premier cas et non dans le second.

104 Bien sûr, on peut faire valoir que, même si le par. 487.051(3) dispose que le tribunal, pour décider s’il rend ou non l’ordonnance de prélèvement génétique dans le cas d’une infraction secondaire, doit prendre en compte le casier judiciaire de l’intéressé, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration, ainsi que l’effet de l’ordonnance sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, le régime législatif ne précise nulle part que le tribunal ne peut pas prendre en compte les trois premiers facteurs pour décider de l’application de l’exception prévue au par. 487.051(2) quant à l’ordonnance de prélèvement autrement obligatoire dans le cas des infractions primaires (clairement, le facteur de l’effet de l’ordonnance sur la vie privée du contrevenant et la sécurité de sa personne mentionné au par. 487.051(3) ne peut constituer un facteur à « prendre en compte » dans l’application du critère formulé au par. 487.051(2) puisqu’il fait déjà partie intégrante du critère lui‑même). Il est vrai que le Code n’interdit pas expressément au tribunal de prendre en considération les trois facteurs énumérés au par. 487.051(3) dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2), mais la formulation de l’art. 487.051 me porte à conclure que cette interdiction existe en fait. Voici pourquoi.

105 Le paragraphe 487.051(2) dispose que, dans le cas d’une infraction primaire, le tribunal n’est pas tenu de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique s’il est convaincu que l’intéressé a établi qu’elle aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, que visent à assurer la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. Par contre, le par. 487.051(3) prévoit que, pour décider s’il rend ou non l’ordonnance dans le cas d’une infraction secondaire, le tribunal doit prendre en compte le casier judiciaire de l’intéressé, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration, ainsi que l’effet qu’aurait l’ordonnance sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne. Cette formulation nous amène à la question suivante : s’il faut supposer que, pour l’évaluation prévue au par. 487.051(2), le législateur a voulu que le tribunal tienne compte du casier judiciaire, de la nature de l’infraction et des circonstances de sa perpétration en plus de l’effet que l’ordonnance aurait sur la vie privée de l’intéressé ou la sécurité de sa personne, pourquoi n’a‑t‑il mentionné expressément ce dernier facteur que dans la disposition elle‑même? L’omission est d’autant plus curieuse que dans la disposition qui suit immédiatement (le par. 487.051(3)), il énumère effectivement tous ces éléments, y compris l’effet que l’ordonnance aurait sur la vie privée de l’intéressé ou la sécurité de sa personne, comme facteurs à prendre en compte pour décider s’il y a lieu ou non de rendre l’ordonnance de prélèvement dans le cas d’une infraction secondaire. Le libellé de ces deux dispositions consécutives me fait conclure que le législateur voulait que le casier judiciaire du contrevenant de même que la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration ne soient pris en considération à l’égard de l’ordonnance de prélèvement que dans le cas d’une infraction secondaire. Interpréter autrement l’art. 487.051 équivaudrait, à mon avis, à récrire cette disposition législative claire.

106 En outre, au par. 487.051(3), le législateur énumère l’effet que l’ordonnance de prélèvement génétique aurait sur la vie privée de l’intéressé et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration comme étant des facteurs distincts, sans aucun lien entre eux. Il signifie par là, selon moi, que ces facteurs doivent être examinés indépendamment les uns des autres. En conséquence, puisqu’un seul des facteurs du par. 487.051(3) est mentionné au par. 487.051(2) — à savoir l’effet de l’ordonnance de prélèvement sur la vie privée de l’intéressé ou la sécurité de sa personne — j’estime que le législateur voulait que l’évaluation prévue au par. 487.051(2) ne fasse intervenir que ce facteur, et aucun des autres. À mon avis, affirmer, comme le fait la juge Abella au par. 89, que le casier judiciaire du contrevenant peut « se rapporte[r] à la question de l’effet [de l’ordonnance de prélèvement génétique] sur sa vie privée et la sécurité de sa personne » et, par conséquent, être pris en compte dans l’évaluation visée au par. 487.051(2) même s’il n’est pas expressément mentionné, c’est faire abstraction de l’intention du législateur voulant que le casier judiciaire du contrevenant et l’effet de l’ordonnance de prélèvement sur sa vie privée ou sur la sécurité de sa personne ainsi que la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration soient traités comme des facteurs distincts.

107 La deuxième raison pour laquelle j’estime que le casier judiciaire ne doit pas entrer dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2) est que l’introduction de ce facteur tendrait à estomper la « distinction nette » — pour reprendre le terme du juge Fish (par. 20) — entre les critères applicables aux infractions primaires et ceux applicables aux infractions secondaires en matière d’ordonnance de prélèvement. Dans le cas des infractions secondaires, le tribunal ne peut rendre l’ordonnance que s’il est convaincu que cela servirait au mieux l’administration de la justice, après avoir pris en considération l’effet que l’ordonnance aurait sur la vie privée du contrevenant et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration. De toute évidence, le critère est de nature éminemment contextuelle et discrétionnaire. Il est logique de le concevoir dans cette optique, car les infractions secondaires sont généralement moins graves que les infractions primaires; une ordonnance de prélèvement génétique ne serait donc pas toujours appropriée, que le contrevenant soit un adolescent ou un adulte.

108 Par contre les infractions primaires, dont le meurtre et les infractions sexuelles, sont les plus graves du Code criminel : voir R. c. Briggs (2001), 157 C.C.C. (3d) 38 (C.A. Ont.), par. 3, autorisation d’appel refusée, [2001] 2 R.C.S. xii. Dans sa sagesse, le législateur a décidé que la personne, qu’il s’agisse d’un adulte ou d’un adolescent, qui commet l’une de ces infractions fera obligatoirement l’objet d’une ordonnance de prélèvement génétique à moins d’établir à la satisfaction du tribunal que cette mesure aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice, que visent à assurer la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. Ce critère laisse manifestement beaucoup moins de latitude aux tribunaux. En outre, il ne donne pas lieu, comme dans le cas des infractions secondaires, à un examen global qui prend en compte les circonstances de la perpétration de l’infraction et la situation du contrevenant, mais comporte simplement la mise en balance de l’effet de l’ordonnance de prélèvement sur la vie privée du contrevenant et la sécurité de sa personne et de l’intérêt du public en ce qui concerne la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants. Comme l’a judicieusement signalé le juge Krueger dans R. c. B.V.C. (2003), 233 Sask. R. 270, 2003 SKQB 219, l’intérêt public en la matière est très élevé et il [traduction] « ne varie pas en fonction de l’âge ou du casier judiciaire du contrevenant, pas plus qu’il ne change d’après les circonstances de l’infraction. Qu’il s’agisse d’infractions primaires ou d’infractions secondaires, il reste le même » (par. 10). Par conséquent, pour ce qui est des infractions primaires, le seul facteur qui peut varier d’un cas à l’autre est celui de l’effet de l’ordonnance sur la vie privée du contrevenant et la sécurité de sa personne, et ce n’est que lorsque cet effet est nettement démesuré par rapport à l’intérêt public très élevé en ce qui concerne la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants que le tribunal peut éviter de rendre l’ordonnance de prélèvement.

109 Cependant, si le tribunal était autorisé à tenir compte du casier judiciaire du contrevenant dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2), ce critère permettant d’échapper à l’ordonnance de prélèvement génétique obligatoire en cas d’infraction primaire ressemblerait trop au critère applicable aux infractions secondaires en matière d’ordonnance de prélèvement parce qu’il passerait de la simple pondération entre deux facteurs (à savoir, l’effet de l’ordonnance sur la vie privée du contrevenant et la sécurité de sa personne, d’une part, et l’intérêt public en ce qui concerne la découverte, l’arrestation et la condamnation rapides des contrevenants, d’autre part) à un examen un peu plus contextuel. Selon moi, ce changement contrecarrerait la tentative du législateur d’établir une distinction claire entre les critères applicables aux infractions primaires et ceux applicables aux infractions secondaires pour ce qui est de l’ordonnance de prélèvement. Au paragraphe 87, la juge Abella reconnaît que ces critères sont « tout à fait différent[s] »; je partage cet avis, mais j’estime également qu’ils doivent le rester. En conséquence, je suis opposé à ce que l’évaluation effectuée sous le régime du par. 487.051(2) fasse intervenir l’examen du casier judiciaire d’un contrevenant.

110 La troisième raison pour laquelle j’estime qu’il ne doit pas être tenu compte du casier judiciaire dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2) est que ce facteur ne se rapporte d’aucune manière à la vie privée du contrevenant ou à la sécurité de sa personne et qu’il ne revêt donc aucune pertinence. Par exemple, si le contrevenant est atteint d’une affection rare rendant tout prélèvement d’ADN extrêmement dangereux ou douloureux, le fait qu’il ait aussi un casier judiciaire ne changerait rien.

111 En résumé, pour les raisons exposées ci‑dessus, j’estime que le libellé clair de l’art. 487.051 indique que le casier judiciaire d’un contrevenant ne doit être pris en considération que pour décider s’il y a lieu ou non de rendre une ordonnance de prélèvement génétique dans le cas d’une infraction secondaire. Il ne joue aucun rôle dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2).

112 À part cette divergence d’opinion, je souscris à la conclusion de la juge Abella que le critère prévu au par. 487.051(2) du Code criminel doit s’appliquer de la même façon aux adultes et aux adolescents malgré le principe particulier énoncé dans la législation concernant les jeunes contrevenants et la protection qu’elle leur offre.

Pourvoi accueilli, les juges Bastarache, LeBel, Abella et Charron sont dissidents.

Procureur de l’appelant : Nova Scotia Legal Aid, Halifax.

Procureur de l’intimée : Public Prosecution Service, Halifax.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Ministère du Procureur général, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Justice, Edmonton.

Procureur général de l’intervenante Canadian Foundation for Children, Youth and the Law : Justice for Children and Youth, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Analyse génétique - Ordonnance autorisant le prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique - Exception - La juge du procès a‑t‑elle eu tort d’appliquer l’exception et de refuser de rendre une ordonnance de prélèvement génétique à l’égard d’un adolescent reconnu coupable d’une infraction primaire? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 487.051.

L’accusé de 13 ans a planté un stylo dans le pied de sa mère après qu’elle eut déversé du linge sale sur lui au cours d’une querelle à propos du fait qu’il doit se lever pour aller à l’école. Il lui a ensuite donné des coups de poing au visage et a continué à frapper jusqu’à ce que son oncle intervienne. Il a reconnu sa culpabilité aux accusations d’agression armée et de non‑respect d’une promesse. L’agression armée est une infraction primaire. Selon l’al. 487.051(1)a) du Code criminel, le tribunal est tenu de rendre une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons d’ADN d’un accusé reconnu coupable d’une infraction primaire, à moins d’être convaincu, conformément au par. 487.051(2), que l’accusé a établi qu’elle aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet « nettement démesuré par rapport à l’intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice ». La juge du procès a appliqué l’exception et a refusé de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique. La Cour d’appel a accueilli le pourvoi du ministère public et a prononcé une ordonnance de prélèvement génétique.

Arrêt (les juges Bastarache, LeBel, Abella et Charron sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Deschamps et Fish : L’ordonnance de la juge du procès doit être rétablie. En appliquant le par. 487.051(2), le tribunal doit déterminer si une ordonnance de prélèvement génétique porterait atteinte aux droits de l’intéressé à la vie privée et à la sécurité de sa personne d’une manière nettement démesurée par rapport à l’intérêt public. L’examen prévu au par. 487.051(2) est hautement contextuel et nécessairement personnalisé. Certains facteurs pouvant être pertinents pour cet examen sont énoncés au par. 487.051(3) : l’effet de l’ordonnance sur la vie privée du contrevenant et la sécurité de sa personne, son casier judiciaire, la nature de l’infraction et les circonstances de sa perpétration. Le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre une ordonnance de prélèvement génétique pour des infractions primaires et des infractions secondaires, mais ce pouvoir semble plus limité dans le cas des infractions primaires. Sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir que si la décision du juge du procès est manifestement déraisonnable. [21] [29-31] [47] [49]

En l’espèce, la juge du procès a eu raison de tenir compte des principes et objectifs des lois sur le système de justice pénale pour les adolescents dans la pondération des facteurs visés au par. 487.051(2). Le prélèvement et la conservation d’un échantillon d’ADN constituent une grave atteinte au droit à la vie privée en ce qui concerne tant l’intimité de la personne que ses renseignements personnels. Bien qu’aucune disposition des lois sur le système de justice pénale pour les adolescents ne modifie l’art. 487.051, il est clair que le législateur voulait que ces lois soient respectées lorsque des adolescents sont aux prises avec le système canadien de justice pénale. En créant un système de justice pénale distinct pour les adolescents, le législateur a reconnu leur plus grande vulnérabilité et a cherché à leur accorder une protection procédurale accrue et à porter le moins possible atteinte à leur liberté personnelle. [36] [39] [41] [51]

Le dossier n’appuie pas la conclusion de la Cour d’appel que la juge du procès n’a pas tenu compte des renseignements pertinents pour refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique. Tous les intéressés ont considéré le rapport prédécisionnel et l’argumentation des avocats relative à la peine comme faisant partie du dossier de la demande d’ordonnance de prélèvement génétique présentée par le ministère public. Les soi‑disant omissions figuraient dans le rapport prédécisionnel examiné par la juge du procès ou avaient été portées à son attention à l’audience sur la détermination de la peine. [9] [57] [61-62]

Enfin, la juge du procès a explicité sa décision et elle n’a pas conclu que le prélèvement d’un échantillon d’ADN sur des adolescents est de prime abord une atteinte inacceptable à leurs droits. Elle a énoncé de façon irréprochable les principes de droit pertinents et a traité en des termes très précis des circonstances de l’affaire. Ses conclusions sont raisonnables dans les circonstances et la Cour d’appel n’aurait pas dû les infirmer. [63-66] [70]

Les juges LeBel, Abella et Charron (dissidents) : La preuve ne permettait pas à la juge du procès de refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique; la juge aurait donc dû rendre l’ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons d’ADN de l’accusé. Contrairement au critère énoncé à l’al. 487.051(1)b) pour les infractions secondaires, le critère applicable aux infractions primaires prévu à l’al. 487.051(1)a) ne fait appel à aucun des facteurs énumérés au par. 487.051(3) et il laisse donc beaucoup moins de place à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement. Selon le par. 487.051(2), le contrevenant a la charge de réfuter la présomption à l’al. 487.051(1)a) et de convaincre le tribunal qu’il n’y a pas lieu de rendre l’ordonnance. La charge qui est imposée constitue une nette démesure. La question de savoir si l’effet d’une ordonnance de prélèvement génétique sur la vie privée de l’accusé et la sécurité de sa personne est nettement démesuré par rapport à l’intérêt public relève de la preuve. Le critère est le même pour les adultes et les adolescents et le tribunal ne peut pas simplement se fonder uniquement sur l’âge pour inférer un effet démesuré. On peut invoquer les facteurs énumérés au par. 487.051(3) s’ils se rapportent à l’effet de l’ordonnance de prélèvement génétique, mais ce n’est pas sur eux que porte principalement le critère dans le cas des infractions primaires. [73] [83] [86-93]

En l’espèce, la juge du procès, compte tenu de la preuve dont elle disposait, a commis une erreur en concluant que l’accusé avait réfuté la présomption. La législation visant les jeunes contrevenants énonce des principes et garanties dont ils peuvent tous se réclamer, mais on ne peut pas les appliquer, comme l’a fait la juge du procès, de façon à neutraliser le libellé clair du Code. La défense a admis qu’elle n’avait soumis aucun élément de preuve relativement à l’effet qu’aurait sur l’accusé l’ordonnance de prélèvement génétique. Elle avait plutôt exhorté la juge du procès à prendre connaissance d’office de l’effet probable d’une telle mesure sur les adolescents en général. La juge du procès a eu tort de fonder sa conclusion sur des considérations générales, en remplaçant en fait une ordonnance présumée obligatoire par une ordonnance présumée inapplicable aux jeunes contrevenants. Il s’agit ici d’un incident de violence familiale comportant l’utilisation d’une arme et la possibilité de violence plus tard. C’est exactement cette possibilité que les ordonnances de prélèvement génétique visent à enrayer et une ordonnance de prélèvement aurait dû être rendue. [74] [83] [93-94] [97] [99]

Le juge Bastarache (dissident) : La juge du procès a eu tort de refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement génétique. Malgré le principe particulier énoncé dans la législation concernant les jeunes contrevenants et la protection qu’elle leur offre, le critère prévu au par. 487.051(2) du Code criminel doit s’appliquer de la même façon aux adultes et aux adolescents. [102] [112]

Il ne devrait pas être tenu compte du casier judiciaire du contrevenant dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2). Premièrement, le fait que le législateur ait, au par. 487.051(3), explicitement prescrit au tribunal de prendre en compte ce facteur dans le cas d’une infraction secondaire, mais qu’il ne l’ait pas précisé pour les infractions primaires indique que ce facteur ne doit pas entrer en ligne de compte dans le cas des infractions primaires. Deuxièmement, la prise en compte de ce facteur dans l’évaluation prévue au par. 487.051(2) contrecarrerait la tentative du législateur d’établir une distinction claire entre les critères applicables aux infractions primaires et ceux applicables aux infractions secondaires pour ce qui est de l’ordonnance de prélèvement génétique. Troisièmement, le casier judiciaire de l’accusé ne rapporte d’aucune manière à sa vie privée ou à la sécurité de sa personne et il ne revêt donc aucune pertinence. [102-103] [107] [109-110]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : R.C.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Fish
Arrêts mentionnés : R. c. S.A.B., [2003] 2 R.C.S. 678, 2003 CSC 60
R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65
R. c. Briggs (2001), 157 C.C.C. (3d) 38, autorisation d’appel refusée, [2001] 2 R.C.S. xii
R. c. Jordan (2002), 162 C.C.C. (3d) 385, 2002 NSCA 11
R. c. T. (T.N.) (2004), 186 C.C.C. (3d) 543, 2004 ABCA 238
R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417
R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281
F.N. (Re), [2000] 1 R.C.S. 880, 2000 CSC 35
Re Southam Inc. and The Queen (1984), 48 O.R. (2d) 678, conf. par (1986), 53 O.R. (2d) 663, autorisation d’appel refusée, [1986] 1 R.C.S. xiv
R. c. B. (K.) (2003), 179 C.C.C. (3d) 413
R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500.
Citée par le juge Bastarache
R. c. Briggs (2001), 157 C.C.C. (3d) 38, autorisation d’appel refusée, [2001] 2 R.C.S. xii
R. c. B.V.C. (2003), 233 Sask. R. 270, 2003 SKQB 219.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 487.04 « infraction primaire », « infraction secondaire », 487.051 à 487.055, 487.07(4).
Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, L.C. 1998, ch. 37, art. 3, 9.1, 10.1.
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 3, 14, 140, 159, 161.
Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y‑1 [abr. 2002, ch. 1, art. 199], art. 3(1)a.1), c), f), 5(1), 51.
Traités et autres instruments internationaux
Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3.

Proposition de citation de la décision: R. c. R.C., 2005 CSC 61 (28 octobre 2005)


Origine de la décision
Date de la décision : 28/10/2005
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2005 CSC 61 ?
Numéro d'affaire : 30302
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-10-28;2005.csc.61 ?
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