Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, art. 15(2)b).
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S‑26, art. 2(1) « appel ».
REQUÊTE sollicitant la production de pièces. Requête accordée.
James Lockyer et Philip Campbell, pour le demandeur/requérant à la requête.
Susan L. Reid, pour l'intimée/intimée à la requête.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Cromwell — Le demandeur et Gary Eunick ont été reconnus coupables du meurtre au premier degré de Collin Moore et de tentative de meurtre à l'endroit de Roger Moore à la suite d'une fusillade survenue dans une boîte de nuit à l'été 2002. La Cour d'appel de l'Ontario a rejeté leur appel conjoint de ces déclarations de culpabilité (R. c. Hay, 2009 ONCA 398, 249 O.A.C. 24), et le demandeur sollicite l'autorisation de se pourvoir devant notre Cour. Il désire déterminer s'il existe de nouveaux éléments de preuve qui pourraient servir à étayer sa demande d'autorisation pendante, relativement à son argument selon lequel le verdict était déraisonnable. À cette fin, il a sollicité une ordonnance visant la production de deux pièces déposées au procès et leur remise pour examen au Centre des sciences judiciaires. Le ministère public intimé s'oppose à cette demande. Je suis d'accord avec les avocats des deux parties pour dire que la Cour a compétence pour rendre l'ordonnance demandée. J'estime également qu'il est dans l'intérêt de la justice qu'une telle ordonnance soit rendue.
[2] Commençons d'abord par la question de la compétence. Je souscris à la thèse de l'avocate de l'intimée selon laquelle le par. 695(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, lu en corrélation avec l'al. 683(1)a) de cette loi, autorise une formation de la Cour saisie d'une demande d'autorisation d'appel à rendre l'ordonnance que sollicite le demandeur. Suivant le par. 695(1), la Cour peut, « sur un appel aux termes de la présente partie », rendre toute ordonnance que la cour d'appel aurait pu rendre. Quoiqu'il soit permis de se demander si ce pouvoir s'étend à la Cour lorsqu'elle examine une demande d'autorisation d'appel, trois facteurs me convainquent que la réponse est oui.
[3] Premièrement, bien qu'elles figurent sous la rubrique « Appels à la Cour suprême du Canada », les dispositions du Code criminel conférant à la Cour compétence en matière d'appel prévoient des situations où l'appel est formé soit de plein droit soit sur autorisation. En outre, à certains égards au moins, la demande d'autorisation d'appel et l'appel lui-même (si l'autorisation est accordée) sont considérés comme deux étapes d'un appel à la Cour. Par exemple, l'al. 694.2(2)a) vient préciser le par. 694.2(1) -- lequel accorde à l'appelant qui est sous garde le droit d'être présent « à l'audition de l'appel devant la Cour suprême du Canada » -- en indiquant clairement qu'une personne qui est sous garde et qui est représentée par un avocat n'a pas le droit d'être présente devant la Cour suprême « lors de la demande d'autorisation d'appel ». Cette précision serait inutile si le droit, prévu au par. 694.2(1), d'être présent lors de l'audition d'un appel n'emportait pas celui d'assister à l'audition d'une demande d'autorisation d'appel.
[4] Deuxièmement, le terme « appel » n'est pas défini dans le Code criminel, mais il l'est dans la Loi sur la Cour suprême, où il s'entend de « toute procédure visant [ ] l'infirmation ou la rectification d'un jugement d'une juridiction inférieure » : Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, par. 2(1). Cette définition est suffisamment large, dans le contexte qui nous occupe, pour englober une demande d'autorisation d'appel. Aux termes de l'al. 15(2)b) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, il faut considérer que cette définition « s'appliqu[e], sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique ». Par conséquent, la définition large d'« appel » qui figure dans la Loi sur la Cour suprême doit être appliquée à ce terme lorsqu'il est utilisé dans les dispositions du Code criminel conférant à notre Cour sa compétence en matière d'appel, sauf indication à l'effet contraire. Or, je ne peux trouver aucune indication de cette nature.
[5] Enfin, comme l'a souligné l'avocate de l'intimée dans sa plaidoirie, une interprétation contraire risquerait de limiter considérablement le pouvoir de la Cour d'examiner à fond les demandes d'autorisation d'appel.
[6] J'en viens à la conclusion qu'une formation de la Cour saisie d'une demande d'autorisation est compétente pour rendre l'ordonnance sollicitée en l'espèce. Je vais maintenant examiner les raisons pour lesquelles il est dans l'intérêt de la justice, à mon avis, que nous rendions une telle ordonnance.
[7] La question de savoir si le demandeur était le deuxième des deux hommes armés ayant participé au meurtre a été vigoureusement débattue au procès. L'identification faite par les témoins oculaires sur les lieux était quelque peu équivoque, mais il existait une abondante preuve circonstancielle tendant à démontrer que le demandeur avait pris part à la fusillade. Au procès, le ministère public a dit au jury que la manière dont s'était comporté le demandeur après l'infraction étayait une inférence de culpabilité. On a soutenu que, peu de temps après le meurtre, le demandeur s'est rendu chez lui avec le coaccusé et a changé son apparence en se rasant la tête. Le ministère public a notamment déposé en preuve des bouts de cheveux emballés dans du papier journal qui avaient été découverts dans la poubelle des toilettes adjacentes à la chambre à coucher du demandeur, ainsi qu'une tondeuse ou un rasoir à cheveux trouvé dans le tiroir d'une table de nuit dans la chambre à coucher. Dans sa décision, la Cour d'appel a conclu que, conjugués à d'autres éléments de preuve relatifs à l'apparence du demandeur avant la fusillade, ces bouts de cheveux permettaient de tirer [traduction] « une solide inférence » que ce dernier s'était rasé la tête après le meurtre pour changer d'apparence (par. 36). La Cour d'appel a conclu que cette « solide inférence », ajoutée à ces autres éléments de preuve, suffisait pour élever le verdict au-dessus du [traduction] « seuil sous lequel un verdict est déraisonnable » (par. 36).
[8] Le demandeur sollicite la production des bouts de cheveux pour que l'on détermine, par analyse scientifique, s'il s'agit de poils faciaux ou de cheveux. D'après la preuve dont nous disposons dans le cadre de la demande, le Centre des sciences judiciaires possède l'expertise requise pour effectuer une telle analyse et que celle-ci peut être réalisée dans un délai de trois semaines après avoir reçu les objets en question. Aucune analyse de ce genre n'a été effectuée par le ministère public en vue du procès et on n'en a demandé une, pour le compte de la défense, que plusieurs mois après le rejet de l'appel par la Cour d'appel. Dans son affidavit, l'avocat qui a occupé pour la défense au procès dit qu'il ne savait pas que des analyses scientifiques permettaient de distinguer les cheveux des poils faciaux. Une lettre au dossier indique que l'avocat ayant représenté le demandeur devant la Cour d'appel n'était pas non plus au courant de la possibilité de telles analyses. Rien ne prouve que le ministère public était au fait de cette possibilité. Puisqu'il semble que personne n'a demandé pareille analyse et, vu l'importance que pourraient avoir les résultats susceptibles d'être obtenus grâce à celle-ci, j'en déduis qu'il n'est tout simplement pas venu à l'esprit de l'un ou l'autre des criminalistes d'expérience concernés que pareilles analyses existaient.
[9] En raison de l'importance qu'a accordée l'avocat du ministère public, au procès, à la preuve selon laquelle le demandeur s'était rasé la tête, et du poids que l'inférence de culpabilité tirée de cette preuve semble avoir eu dans la conclusion de la Cour d'appel que le verdict de culpabilité n'était pas déraisonnable, il est selon moi dans l'intérêt de la justice que le demandeur dispose de l'information pertinente pour préparer sa demande d'autorisation d'appel à notre Cour. Bien entendu, nous n'en sommes pas à l'examen d'une demande sollicitant l'autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve, demande qui serait examinée lors de sa présentation, si effectivement une telle demande est présentée. Pour l'instant, le demandeur désire simplement recourir à une mesure d'expertise qui pourrait ou non produire des éléments de preuve susceptibles d'étayer la présentation d'une demande de ce genre.
[10] Il est fait droit à la demande et ordonné aux avocats de soumettre à la Cour un projet d'ordonnance supplémentaire précisant les arrangements devant être pris en vue de la production, du transport et de l'analyse des pièces en question, ainsi que de leur remise après les analyses. Si les avocats ne parviennent pas à s'entendre sur ce projet d'ordonnance commune dans un délai de 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, chaque partie doit alors présenter un projet d'ordonnance à la Cour, pour examen, dans les 21 jours qui suivent la date de la présente décision.
Requête accordée.
Procureurs du demandeur/requérant à la requête : Lockyer Campbell Posner, Toronto.
Procureur de l'intimée/intimée à la requête : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Date de l'import : 06/04/2012 Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2010-11-18;2010.csc.54
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