COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Wolfe, 2024 CSC 34
Appel entendu : 26 mars 2024
Jugement rendu : 18 octobre 2024
Dossier : 40558
Entre :
Braydon Wolfe
Appelant
et
Sa Majesté le Roi
Intimé
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau
Motifs de jugement :
(par. 1 à 92)
La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe et O’Bonsawin)
Motifs dissidents :
(par. 93 à 144)
La juge Moreau (avec l’accord des juges Côté, Kasirer et Jamal)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Braydon Wolfe Appelant
c.
Sa Majesté le Roi Intimé
Répertorié : R. c. Wolfe
2024 CSC 34
No du greffe : 40558.
2024 : 26 mars; 2024 : 18 octobre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
Droit criminel — Détermination de la peine — Négligence criminelle — Interdiction de conduire — Imposition d’interdictions de conduire discrétionnaires permise par le Code criminel à titre de peines pour plusieurs infractions énumérées — Conduite dangereuse d’un moyen de transport faisant partie des infractions énumérées, mais non la négligence criminelle causant la mort ou la négligence criminelle causant des lésions corporelles — Accusé condamné pour négligence criminelle causant la mort et des lésions corporelles en raison de son rôle dans une collision frontale — Imposition par le juge du procès d’une interdiction de conduire — Une interdiction de conduire peut-elle être imposée en cas de condamnation pour négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles dans la conduite d’un moyen de transport? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 320.24(4).
L’accusé a conduit un véhicule du mauvais côté d’une autoroute à chaussées séparées et a causé une collision frontale, tuant deux personnes et en blessant une autre grièvement. Il a été déclaré coupable de deux chefs de négligence criminelle causant la mort en contravention de l’art. 220 du Code criminel et d’un chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles en contravention de l’art. 221. Dans ses motifs, le juge du procès a conclu, subsidiairement, que si son analyse des chefs de négligence criminelle figurant dans l’acte d’accusation s’avérait erronée, il déclarerait alors l’accusé coupable de deux chefs de conduite dangereuse causant la mort en contravention du par. 320.13(3) et d’un chef de conduite dangereuse causant des lésions corporelles en contravention du par. 320.13(4). En plus d’infliger à l’accusé des peines d’emprisonnement, le juge du procès a rendu une ordonnance d’interdiction de conduire imposant des interdictions de conduire de 10 ans applicables concurremment pour chacun des chefs de négligence criminelle causant la mort ainsi qu’une interdiction concurrente de 7 ans pour le chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles.
La Cour d’appel a rejeté le pourvoi formé par l’accusé à l’encontre de sa peine. En ce qui a trait à l’applicabilité de l’ordonnance d’interdiction de conduire, la cour a interprété le par. 320.24(4) du Code criminel, disposition qui permet aux juges chargés de la détermination de la peine d’imposer une interdiction de conduire discrétionnaire lorsqu’un contrevenant est « déclaré coupable » d’une des infractions énumérées dans la disposition, comme ayant pour effet d’autoriser le prononcé d’une telle ordonnance, même si les infractions prévues aux art. 220 et 221 ne sont pas des infractions énumérées. Elle a conclu que les condamnations pour négligence criminelle aux termes des art. 220 et 221 emportaient nécessairement une déclaration de culpabilité pour l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse prévue à l’art. 320.13, laquelle est énumérée.
Arrêt (les juges Côté, Kasirer, Jamal et Moreau sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance d’interdiction de conduire est annulée.
Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Rowe, Martin et O’Bonsawin : Les interdictions de conduire imposées à l’accusé étaient illégales. L’accusé a été condamné pour négligence criminelle causant la mort et pour négligence criminelle causant des lésions corporelles, des infractions qui ne sont pas énumérées au par. 320.24(4) du Code criminel. Il n’a pas été « déclaré coupable » d’une infraction énumérée au sens de cette disposition. Par conséquent, les interdictions de conduire discrétionnaires ne constituaient pas des peines applicables.
Le projet de loi C‑46, qui a introduit l’art. 320.24 dans le Code criminel en 2018, proposait une refonte complète des dispositions du Code criminel relatives à la conduite. Les infractions antérieures liées à la conduite ont toutes été abrogées et réadoptées pour former la nouvelle partie VIII.1 du Code criminel afin d’assurer une structure claire et cohérente dans un domaine où les dispositions étaient devenues trop complexes et difficiles à comprendre. Le projet de loi C‑46 a apporté deux changements notables aux ordonnances d’interdiction de conduire discrétionnaires. Premièrement, le nouvel art. 320.24 énumère moins d’infractions susceptibles d’entraîner une peine d’interdiction de conduire. Les infractions générales de négligence criminelle causant la mort, de négligence criminelle causant des lésions corporelles et d’homicide involontaire coupable ont été retirées de la liste qui figurait à l’ancien par. 259(2). Deuxièmement, la description de l’événement qui déclenche l’application de la disposition a été modifiée, passant en anglais de « convicted or discharged » à « found guilty » et, en français, de « déclaré coupable ou absous » à « déclaré coupable ».
Pour décider si le par. 320.24(4) du Code criminel autorise maintenant une interdiction de conduire discrétionnaire en cas de condamnation pour négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles, la Cour doit interpréter le par. 320.24(4) en recourant aux principes de longue date en matière d’interprétation législative. Il faut lire les mots d’une disposition dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
En ce qui a trait au texte du par. 320.24(4), celui‑ci énumère expressément 12 infractions pour lesquelles une interdiction de conduire discrétionnaire est applicable et autorisée; à la lecture cette disposition, il s’agit d’une liste exhaustive qui n’inclut pas l’art. 220 ou l’art. 221. Dans les cas où on s’attendrait à la présence d’une mention expresse, le tribunal peut inférer que le fait qu’une chose n’est pas mentionnée résulte d’une décision délibérée de l’exclure. De plus, la pratique habituelle du Parlement consiste à mentionner expressément les peines applicables. Si le Parlement avait souhaité permettre l’imposition d’interdictions de conduire en cas de condamnations pour négligence criminelle, il aurait expressément mentionné les art. 220 et 221 au par. 320.24(4). En outre, le Parlement a choisi de retirer les art. 220 et 221 de la liste de dispositions énumérées lorsqu’il a édicté le par. 320.24(4). Il est bien établi que les textes de loi antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le Parlement en les abrogeant et les remplaçant. L’évolution du texte en cause en l’espèce est compatible avec l’intention du Parlement d’exclure les infractions générales de négligence criminelle et d’homicide involontaire coupable du champ d’application du par. 320.24(4).
L’applicabilité d’une interdiction de conduire discrétionnaire en cas de condamnation pour négligence criminelle ne ressort pas implicitement de l’emploi par le Parlement de l’expression « déclaré coupable » au par. 324.24(4). Les déclarations de culpabilité et les condamnations sont conceptuellement distinctes. La déclaration de culpabilité est un verdict que rend le tribunal au terme du procès lorsqu’il a été conclu que les éléments essentiels de l’infraction ont été prouvés. Une condamnation est un jugement final au moyen duquel le tribunal inscrit une déclaration de culpabilité. Une déclaration de culpabilité peut mener à plusieurs résultats différents, y compris une condamnation et une peine, un arrêt des procédures ou encore une absolution inconditionnelle ou sous conditions. Toutefois, cette distinction n’aide guère parce que le par. 320.24(4) indique clairement qu’une interdiction de conduire discrétionnaire est applicable lorsque le contrevenant a été « déclaré coupable » d’une infraction énumérée. Ce qu’il faut se demander, c’est si un contrevenant est « déclaré coupable » d’une infraction énumérée au par. 320.24(4) lorsqu’il est condamné pour une infraction qui n’est pas énumérée, mais qui comprend une infraction incluse qui, elle, est énumérée.
La mécanique des infractions incluses à l’art. 662 du Code criminel ne facilite pas l’imposition de peines par voie d’implication. L’article 662 signale que la fonction des dispositions concernant les infractions incluses se limite aux situations où l’infraction imputée n’est pas prouvée. Il indique de façon claire que c’est seulement lorsque la preuve n’établit pas la négligence criminelle ou l’homicide involontaire coupable qu’il devient possible de déclarer l’accusé coupable de l’infraction incluse de conduite dangereuse. Cela fournit un avis raisonnable d’une autre voie pouvant mener à un verdict de culpabilité, mais il n’est pas du tout clair que cela avise du risque de se voir infliger des peines rattachées uniquement aux infractions incluses en cas de condamnation pour l’infraction imputée. Les personnes accusées doivent être informées à l’avance et de manière non ambiguë des peines auxquelles elles s’exposent si elles sont condamnées pour une infraction particulière. En l’absence d’une indication claire du législateur, la mécanique des infractions incluses ne devrait pas s’appliquer au‑delà des situations où l’infraction imputée n’est pas prouvée.
Un indice additionnel de l’intention du Parlement est que, lorsqu’un contrevenant est déclaré coupable d’une infraction énumérée au par. 320.24(4), une interdiction de conduire peut être imposée en plus de toute autre peine applicable « à cette infraction ». La négligence criminelle n’est pas une infraction énumérée; elle ne saurait constituer « cette infraction ». De plus, la version française du par. 320.24(4) a également force de loi et doit être considérée. Par suite du projet de loi C‑46, les mots « convicted or discharged » ont été remplacés par « found guilty » dans la version anglaise, mais l’expression « déclaré coupable » n’a pas changé dans la version française. Cela a pour effet de rendre non persuasif l’argument selon lequel le Parlement a recouru à la distinction entre les concepts de condamnation et de culpabilité afin de créer une nouvelle approche pour l’imposition d’interdictions de conduire. Le texte du par. 320.24(4) dans son ensemble est clair et ne comporte aucune ambiguïté. Les infractions de négligence criminelle n’y sont plus mentionnées en tant qu’infractions pouvant entraîner une interdiction de conduire discrétionnaire et l’emploi de l’expression « déclaré coupable » suggère fortement qu’il doit y avoir une décision judiciaire expresse de culpabilité à l’égard d’une infraction figurant dans le document d’accusation ou d’une infraction incluse lorsque l’infraction imputée n’est pas prouvée.
L’interprétation de dispositions législatives exige également l’examen du contexte, de l’objet et des normes juridiques pertinentes. Plusieurs considérations découlant du contexte législatif environnant et des principes généraux du droit criminel jettent de la lumière sur le par. 320.24(4), par exemple le par. 320.24(1) et l’art. 320.25, de même que le principe de l’arrêt Kienapple. Les interprétations de dispositions qui sont conformes à l’objectif législatif ou qui favorisent sa réalisation devraient être adoptées. Le projet de loi C‑46 a haussé certaines peines maximales, et il importe de souligner que les peines à l’égard des infractions de conduite dangereuse sont maintenant supérieures ou égales à celles pouvant être infligées pour les infractions de négligence criminelle. Ces changements favorisent la réalisation des objectifs du Parlement visant à établir, dans une seule et même partie du Code criminel, un régime simplifié, cohérent et efficace à l’égard des infractions de conduite. Ils signalent que le recours aux infractions de conduite dangereuse prévues à l’art. 320.13 permet de lutter plus efficacement contre la conduite dangereuse, car ces infractions sont devenues plus polyvalentes et conformes aux autres infractions de conduite causant des préjudices similaires. L’exclusion des infractions de négligence criminelle du champ d’application du par. 320.24(4) n’est donc pas incompatible avec l’objectif législatif et ne représente pas une absurdité.
Les juges Côté, Kasirer, Jamal et Moreau (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. Interprété comme il se doit, le par. 320.24(4) du Code criminel autorise une ordonnance d’interdiction de conduire lorsqu’un contrevenant est condamné aux termes des art. 220 ou 221 du Code criminel. Une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale emporte nécessairement une déclaration de culpabilité à l’égard de toute infraction moindre et incluse. Suivant le par. 662(5) du Code criminel, la conduite dangereuse d’un moyen de transport en contravention de l’art. 320.13 constitue une infraction moindre et incluse de négligence criminelle dans la conduite d’un moyen de transport aux termes des art. 220 et 221. Par conséquent, une déclaration de culpabilité pour négligence criminelle dans la conduite d’un moyen de transport emporte nécessairement une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse d’un moyen de transport.
La méthode moderne d’interprétation législative consiste à dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de cette loi. Le sens ordinaire du texte n’est pas déterminant en soi. Pour dégager l’intention du législateur, le texte d’une disposition doit être mis en contexte et considéré au regard d’autres indicateurs du sens de la loi, dont les objectifs législatifs. Les conséquences de l’adoption d’une interprétation particulière constituent un outil important. Celles qui sont compatibles avec l’objet et l’économie de la loi sont présumées avoir été souhaitées, tandis que celles qui sont absurdes ou autrement inacceptables sont présumées ne pas avoir été souhaitées.
Il existe une distinction pertinente entre une déclaration de culpabilité et une condamnation ou une absolution pour l’application du par. 320.24(4) — il s’agit de concepts distincts qui ne sont pas interchangeables. Le remplacement des mots « convicted or discharged », dans l’ancienne version anglaise du par. 259(2), par « found guilty » au par. 320.24(4) indique que, pour qu’une interdiction de conduire valide soit imposée, seulement une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction énumérée est requise, et une ordonnance d’interdiction de conduire peut être rendue avant l’inscription d’une condamnation. Plusieurs exemples dans le Code criminel et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents illustrent qu’une condamnation ne suit pas nécessairement une déclaration de culpabilité. Cependant, lorsqu’une condamnation est inscrite à l’égard d’une infraction, cela signifie toujours que le contrevenant a été déclaré coupable de cette infraction. De plus, une condamnation ou une absolution n’est pas toujours nécessaire pour qu’une peine soit infligée. L’article 320.23 permet de reporter la détermination de la peine pour une infraction découlant de la conduite d’un moyen de transport afin de permettre la participation à un programme de traitement et la présentation d’une demande d’absolution médicale.
L’emploi des mots « déclaré coupable » dans les versions françaises du par. 320.24(4) et de la disposition qui l’a précédé n’aide pas à déterminer si le Parlement entendait créer une nouvelle approche. Le terme « déclaration de culpabilité » peut s’entendre tant d’une déclaration de culpabilité comme telle que d’une condamnation. Le changement apporté au libellé anglais, soit le remplacement des mots « convicted or discharged » par les mots « found guilty », éclaire l’interprétation des mots « déclaré coupable » et tend à indiquer que ceux‑ci s’entendent maintenant d’une déclaration de culpabilité dans le contexte du par. 320.24(4).
Une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale implique nécessairement, par l’effet de la loi, une déclaration de culpabilité à l’égard de chaque infraction moindre et incluse. Par définition, tous les éléments de l’infraction moindre et incluse sont compris dans les éléments de l’infraction principale. De même, un acte d’accusation imputant une infraction impute également toutes les infractions moindres et incluses, car celles‑ci sont nécessairement commises lorsqu’est commise l’infraction principale. Il est donc approprié qu’une peine prévue pour une infraction moindre et incluse se rattache formellement à l’infraction principale. Le paragraphe 662(5) dispose explicitement que la conduite dangereuse d’un moyen de transport en contravention de l’art. 320.13 est une infraction moindre et incluse de négligence criminelle lorsque l’infraction implique la conduite d’un moyen de transport. Cela implique que, si un individu est déclaré coupable aux termes des art. 220 ou 221, il est, de par l’effet de la loi, déclaré coupable de l’infraction prévue à l’art. 320.13. Il est impossible d’agir de manière criminellement négligente en conduisant un moyen de transport sans conduire dangereusement un moyen de transport.
Le choix du Parlement de ne pas mentionner expressément les art. 220 et 221 au par. 320.24(4) signale une intention d’inclure la négligence criminelle par le biais de l’inclusion de la conduite dangereuse en vertu de l’art. 320.13 dans les infractions énumérées. Le Parlement a décidé que seulement une déclaration de culpabilité à l’égard d’une des infractions énumérées est requise pour rendre une ordonnance d’interdiction de conduire. Cela est conforme aux principes du droit criminel, y compris l’obligation de donner un avis raisonnable, la reconnaissance des infractions moindres et incluses ainsi que la règle interdisant les condamnations multiples établie dans l’arrêt Kienapple. Le texte du par. 662(5) et l’acte d’accusation imputant des infractions aux art. 220 ou 221 fournissent un avis adéquat que le tribunal peut rendre une ordonnance d’interdiction de conduire à la suite d’une condamnation pour négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport. Lorsqu’un contrevenant est « déclaré coupable », par application du par. 662(5), de l’infraction moindre et incluse, une ordonnance d’interdiction de conduire est requise aux termes du par. 320.24(4) à titre de peine applicable à « cette infraction », puisqu’il s’agit d’une des infractions énumérées au par. 320.24(4). L’ordonnance d’interdiction de conduire se rattache à la condamnation pour négligence criminelle.
Une interprétation du par. 320.24(4) qui n’autorise pas les ordonnances d’interdiction de conduire à titre de peines pour négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport entraîne une conséquence absurde. Elle crée une distinction irrationnelle en autorisant une sanction à l’égard d’une infraction moindre et incluse, mais non à l’égard de l’infraction principale plus grave. Elle est incompatible avec les objectifs déclarés pour lesquels le Parlement a adopté la partie VIII.1 du Code criminel, notamment réduire le nombre élevé de décès et de blessures causés par la conduite avec capacités affaiblies. Il n’est pas non plus suffisamment clair que le Parlement entendait signaler, au moyen du projet de loi C‑46, que la Couronne devrait opter pour des accusations de conduite dangereuse plutôt que des accusations de négligence criminelle. Enfin, l’absence des infractions prévues aux art. 220 et 221 parmi les infractions énumérées au par. 320.24(4) n’est pas indicative d’une erreur de rédaction ayant créé une lacune législative, car une telle lacune n’existe pas si le par. 320.24(4) est dûment lu en parallèle avec le par. 662(5).
Jurisprudence
Citée par la juge Martin
Arrêts mentionnés : R. c. Boily, 2022 ONCA 611, 163 O.R. (3d) 161; R. c. Francisco, 2023 BCCA 450, 433 C.C.C. (3d) 1; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; R. c. Downes, 2023 CSC 6; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51; Cadieux (Litigation Guardian of) c. Cloutier, 2018 ONCA 903, 143 O.R. (3d) 545; R. c. Poulin, 2019 CSC 47, [2019] 3 R.C.S. 566; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; Gravel c. Cité de St-Léonard, 1977 CanLII 9 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 660; British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795; R. c. Bérubé, 2012 BCCA 345, 326 B.C.A.C. 241; R. c. Senior (1996), 1996 ABCA 71 (CanLII), 181 A.R. 1; Morris c. La Reine, 1978 CanLII 168 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 405; R. c. McInnis (1973), 1973 CanLII 545 (ON CA), 1 O.R. (2d) 1; R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903; R. c. Pearson, 1998 CanLII 776 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 620; Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Provo, 1989 CanLII 71 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 3; R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371; R. c. Ronald, 2019 ONCA 971; R. c. Wong (2006), 2006 CanLII 18516 (ON CA), 209 C.C.C. (3d) 520; R. c. Savage, 2023 ONCA 240; R. c. Pawluk, 2017 ONCA 863, 357 C.C.C. (3d) 86; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22; R. c. Summers, 2014 CSC 26, [2014] 1 R.C.S. 575; R. c. T. (V.), 1992 CanLII 88 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 749; R. c. Basque, 2023 CSC 18; R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; R. c. Prince, 1986 CanLII 40 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 480; R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215; R. c. Doliente, 1997 CanLII 341 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 11, inf. (1996), 1996 CanLII 17942 (AB CA), 108 C.C.C. (3d) 137; R. c. Lights, 2017 ONSC 5153, 18 M.V.R. (7th) 110, conf. par 2020 ONCA 102, 60 M.V.R. (7th) 47; R. c. Bhangal, 2016 ONCA 857, 100 M.V.R. (6th) 173; R. c. Mowlai, 2017 ONSC 4815, 15 M.V.R. (7th) 38; R. c. K. (R.) (2005), 2005 CanLII 21092 (ON CA), 198 C.C.C. (3d) 232.
Citée par la juge Moreau (dissidente)
R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, [2020] 2 R.C.S. 763; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Wang c. British Columbia (Securities Commission), 2023 BCCA 101, 480 D.L.R. (4th) 1; R. c. Francisco, 2023 BCCA 450, 433 C.C.C. (3d) 1; R. c. Boily, 2022 ONCA 611, 163 O.R. (3d) 161; R. c. Pearson, 1998 CanLII 776 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 620; R. c. Ahmad, 2020 CSC 11, [2020] 1 R.C.S. 577; R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903; R. c. Basque, 2023 CSC 18; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371; R. c. Harmer and Miller (1976), 1976 CanLII 570 (ON CA), 33 C.C.C. (2d) 17; R. c. Al-Kassem, 2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183; R. c. Abau-Jabeen, 2019 ONSC 5399, 58 M.V.R. (7th) 304; R. c. Gardner and Fraser, 2021 NSCA 52, 406 C.C.C. (3d) 156; Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Heaney, 2013 BCCA 177, 337 B.C.A.C. 43; Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065; R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215; R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3; R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49; R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 2.2(2), 9, 15, partie VIII, 220, 221, 236, 249 [abr. 2018, c. 21, art. 14], 249.1 [idem], 250 [idem], 251 [idem], 252 [idem], 255(2) [idem], (2.1) [idem], (2.2) [idem], (3) [idem], (3.1) [idem], (3.2) [idem], 259(2) [idem], (4) [idem], 261(1) [idem], 284, partie VIII.1 [aj. idem, art. 15], 320.12, 320.13 à 320.18, 320.19, 320.2, 320.21, 320.23, 320.24, 320.25, 570, 606(1.1)b), 662, 667(1), 720(1), 730.
Code criminel, S.C. 1953-1954, c. 51, art. 221(1).
Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, art. 253.
Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21, art. 45(2).
Loi de 1985 modifiant le droit pénal, L.R.C. 1985, c. 27 (1er suppl.), art. 36.
Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1921, c. 25, art. 3.
Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1938, c. 44, art. 16.
Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2018, c. 21, préambule, art. 14, 15.
Loi sur le cannabis, L.C. 2018, c. 16.
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, art. 42, 82.
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Kalmakoff, Schwann et McCreary), 2022 SKCA 132, 420 C.C.C. (3d) 290, [2023] 3 W.W.R. 574, [2022] S.J. No. 405 (Lexis), 2022 CarswellSask 531 (WL), qui a confirmé une décision du juge Danyliuk, 2021 SKQB 141, 84 M.V.R. (7th) 257, [2021] S.J. No. 247 (Lexis), 2021 CarswellSask 314 (WL). Pourvoi accueilli et ordonnance d’interdiction de conduire annulée, les juges Côté, Kasirer, Jamal et Moreau sont dissidents.
Brent D. Little et Katherine Pocha, pour l’appelant.
Pouria Tabrizi-Reardigan, pour l’intimé.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin et O’Bonsawin rendu par
La juge Martin —
I. Survol
[1] La Cour est appelée à statuer sur deux interprétations opposées du par. 320.24(4) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Cette disposition, qui est entrée en vigueur en 2018 à la suite de l’adoption du projet de loi C‑46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2018, c. 21, permet aux juges chargés de la détermination de la peine d’imposer une interdiction de conduire discrétionnaire lorsqu’un contrevenant est « déclaré coupable » (« found guilty » dans la version anglaise) d’une des infractions énumérées dans la disposition, lesquelles forment une liste expresse d’infractions spécifiques à la conduite qui comprend le fait de conduire un moyen de transport de façon dangereuse en contravention de l’art. 320.13. L’ancien par. 259(2) du Code criminel permettait d’imposer une telle interdiction à un contrevenant « déclaré coupable ou absous » (« convicted or discharged » dans la version anglaise) d’une infraction énumérée dans la plus longue liste que prévoyait cette disposition. Trois infractions générales applicables également à d’autres types de poursuites qu’en matière de conduite ne font plus partie de la liste des infractions susceptibles d’entraîner une interdiction de conduire en vertu du nouveau par. 320.24(4) : la négligence criminelle causant la mort (art. 220), la négligence criminelle causant des lésions corporelles (art. 221) et l’homicide involontaire coupable (art. 236).
[2] L’appelant, Braydon Wolfe, a été condamné pour des infractions criminelles générales fondées sur la négligence, lesquelles ne sont plus expressément énumérées en tant qu’infractions pouvant entraîner une interdiction de conduire discrétionnaire en vertu de la nouvelle disposition du Code criminel. La question soumise à la Cour est de savoir s’il demeure légal de lui imposer, en plus de sa peine d’emprisonnement, une interdiction de conduire à titre de peine additionnelle.
[3] L’interprétation donnée au par. 320.24(4) du Code criminel par la Cour d’appel de la Saskatchewan maintient la capacité des juges chargés de la détermination de la peine d’imposer une interdiction de conduire aux contrevenants condamnés pour négligence criminelle liée à la conduite. La Cour d’appel a confirmé l’interdiction de conduire imposée à l’appelant au motif que ses condamnations pour négligence criminelle dans ce contexte emportaient nécessairement des déclarations de culpabilité pour l’infraction incluse de conduite dangereuse, qui est énumérée au par. 320.24(4) du Code criminel.
[4] À l’inverse, dans d’autres affaires, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont rejeté le raisonnement qu’a suivi le tribunal de la Saskatchewan et le résultat auquel il est arrivé (R. c. Boily, 2022 ONCA 611, 163 O.R. (3d) 161; R. c. Francisco, 2023 BCCA 450, 433 C.C.C. (3d) 1).
[5] Je conclus que les interdictions de conduire imposées à l’appelant étaient illégales. Les infractions de négligence criminelle ne sont plus énumérées au par. 320.24(4) en tant qu’infractions pouvant entraîner une interdiction de conduire. L’interprétation proposée par la Couronne est tributaire de la proposition selon laquelle, depuis l’édiction du projet de loi C‑46, l’emploi par le Parlement de l’expression « déclaré coupable » permet d’imposer une peine par implication et de façon indirecte plutôt qu’expressément et directement. Cette interprétation n’est pas plausible; elle entre en conflit avec le texte du par. 320.24(4), elle cadre difficilement avec le contexte et l’objet des dispositions législatives qui l’entourent, et elle ne s’accorde pas entièrement avec les principes du droit criminel.
[6] Par le projet de loi C‑46, le Parlement s’est efforcé de créer un régime clair, cohérent et complet pour les infractions relatives à la conduite. Les infractions spécifiques à la conduite ont été réorganisées dans une nouvelle partie du Code criminel, elles ont été rendues plus versatiles en leur conférant un caractère hybride, et les peines maximales applicables à leur égard ont été augmentées. Il n’est ni absurde ni incompatible avec l’objectif législatif d’exclure la négligence criminelle et l’homicide involontaire coupable — des infractions générales ne se limitant pas aux poursuites en matière de conduite — du champ d’application du par. 320.24(4). Il n’a pas non plus été démontré que le Parlement a commis une erreur dans la rédaction de la disposition en omettant peut-être par inadvertance d’inclure dans la liste expresse des infractions visées par la nouvelle disposition les infractions qui y étaient énumérées antérieurement. Le Parlement a plutôt indiqué de façon générale par le projet de loi C‑46 qu’il est préférable de recourir aux infractions spécifiques à la conduite plutôt qu’aux infractions générales de négligence criminelle dans les affaires de conduite. Les changements quant à l’applicabilité des interdictions de conduire discrétionnaires reflètent un choix logique et délibéré de limiter les peines spécifiques à la conduite aux infractions spécifiques à la conduite. Il s’agit d’un choix que le Parlement était libre de faire.
[7] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.
II. Contexte
A. Les dispositions législatives en litige dans le présent pourvoi
[8] Les dispositions du Code criminel relatives à la conduite, qui sont au cœur du présent pourvoi, ont été élaborées graduellement et de façon intermittente durant plus d’un siècle. Le Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, contenait l’une des premières infractions de conduite : causer des lésions corporelles en « ayant la charge d’une voiture ou véhicule » et « en donnant à son attelage un train désordonné ou le faisant entrer en course avec un autre, ou par son incurie », une infraction qui était passible d’un emprisonnement maximal de deux ans (art. 253). La conduite avec capacités affaiblies a été érigée en infraction pour la première fois en 1921 avec l’édiction d’une interdiction de conduire en état d’ivresse (S.C. 1921, c. 25, art. 3). En 1938, le Parlement a criminalisé la conduite dangereuse — définie comme étant le fait de conduire un véhicule à moteur « insensément, ou d’une manière dangereuse pour le public, [. . .] eu égard à toutes les circonstances du cas » — sans égard à la question de savoir si cela avait entraîné ou non la mort ou des blessures (S.C. 1938, c. 44, art. 16). Les contrevenants étaient passibles d’un emprisonnement maximal de deux ans, d’une amende maximale de 1000 $ et d’une interdiction de conduire maximale de trois ans.
[9] Tant avant qu’après l’introduction des premières infractions de conduite dangereuse et de conduite avec capacités affaiblies, la Couronne pouvait intenter des poursuites pour méfait grave lié à la conduite ayant causé la mort ou des lésions corporelles en recourant aux infractions d’homicide involontaire coupable et de négligence criminelle (voir K. Jokinen et P. Keen, Impaired Driving and Other Criminal Code Driving Offences (2e éd. 2023), p. 7). Ces infractions étaient passibles de peines d’emprisonnement maximales sévères, y compris l’emprisonnement à perpétuité (dans les cas où le conducteur avait causé la mort).
[10] Au fil du temps, des réformes législatives ont été apportées graduellement aux infractions de conduite dangereuse et de conduite avec capacités affaiblies en raison du consensus grandissant sur ce qui constitue un affaiblissement des capacités, d’avancées scientifiques dans l’analyse d’échantillons d’haleine et d’une meilleure compréhension des préjudices causés par les méfaits liés à la conduite (voir Jokinen et Keen, p. 8‑12; ministère de la Justice du Canada, Contexte législatif : réformes des dispositions du Code criminel relatives aux moyens de transport (Projet de loi C‑46) (2017), p. 4‑5). Le Parlement a haussé les peines maximales. En 1954, il a fusionné les infractions de conduite à folle allure et de conduite dangereuse pour créer l’infraction de négligence criminelle liée à la conduite d’un véhicule à moteur, faisant du même coup passer la peine d’emprisonnement maximale à cinq ans (Code criminel, S.C. 1953‑1954, c. 51, par. 221(1)). L’édiction de la Loi de 1985 modifiant le droit pénal, L.R.C. 1985, c. 27 (1er suppl.), art. 36, est venue hausser une fois de plus les peines et subdiviser cette infraction en trois infractions distinctes de conduite dangereuse : la conduite dangereuse simpliciter (une infraction hybride qui, lorsque poursuivie par voie de mise en accusation, était passible d’un emprisonnement maximal de 5 ans), la conduite dangereuse causant des lésions corporelles (emprisonnement maximal de 10 ans) et la conduite dangereuse causant la mort (emprisonnement maximal de 14 ans) (art. 249).
[11] Plus de 30 ans plus tard, le gouvernement a déposé le projet de loi C‑46 — une révision exhaustive des dispositions du Code criminel relatives à la conduite. Le texte de loi proposait des changements majeurs (1) concernant le dépistage et les poursuites pour conduite avec capacités affaiblies par la drogue, lesquels devaient coïncider avec l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, L.C. 2018, c. 16; et (2) autorisant les alcootests obligatoires lors des contrôles routiers. Ces deux propositions ont monopolisé une bonne partie des débats législatifs.
[12] Cependant, le projet de loi C‑46 proposait également une refonte complète des dispositions du Code criminel relatives à la conduite. Les infractions antérieures liées à la conduite allaient toutes être abrogées et réadoptées pour former la nouvelle partie VIII.1 du Code criminel (« Infractions relatives aux moyens de transport »). La ministre de la Justice a expliqué que cette partie du projet de loi avait pour but d’assurer une « structure claire et cohérente » dans un domaine où les dispositions « sont devenues trop complexes et difficiles à comprendre » (Débats de la Chambre des communes, vol. 148, no 181, 1re sess., 42e lég., 19 mai 2017, p. 11459 (l’hon. J. Wilson‑Raybould)). La ministre a fait remarquer ce qui suit au sujet du régime sur la conduite avec capacités affaiblies en particulier :
Ce domaine du droit criminel laisse perplexes même les criminalistes les plus chevronnés. Il s’est développé par bribes depuis l’entrée en vigueur de la première infraction, en 1921. Il n’a jamais été réformé en profondeur et, selon un rapport de l’ancienne Commission de réforme du droit publié en 1991, ses dispositions sont « devenues carrément illisibles ».
Cette situation ne peut plus durer, en particulier dans un domaine du droit criminel qui compte parmi ceux qui font l’objet du plus de litiges. Le projet de loi C‑46 propose de créer un cadre législatif clair, simplifié et modernisé pour faire en sorte que la population puisse mieux comprendre la loi et que la police puisse mieux la mettre en application.
(Débats de la Chambre des communes, vol. 148, no 224, 1re sess., 42e lég., 27 octobre 2017, p. 14616 (l’hon. J. Wilson‑Raybould); voir aussi Commission de réforme du droit du Canada, Rapport pour une nouvelle codification de la procédure pénale, vol. 1, Les pouvoirs de la police (1991), p. 89; Contexte législatif : réformes des dispositions du Code criminel relatives aux moyens de transport (Projet de loi C‑46), p. 12.)
[13] Le Parlement a adopté le projet de loi C‑46, puis la nouvelle partie VIII.1 du Code criminel est entrée en vigueur le 18 décembre 2018. Le texte de loi a augmenté diverses peines minimales et maximales. Par exemple, la peine maximale pour l’acte criminel de conduite dangereuse causant la mort (en contravention du par. 320.13(3)) est passée de 14 ans d’emprisonnement à l’emprisonnement à perpétuité — conformément aux peines maximales applicables pour conduite avec capacités affaiblies causant la mort (par. 320.14(3)) et négligence criminelle causant la mort (art. 220). L’infraction de conduite dangereuse causant des lésions corporelles (en contravention du par. 320.13(2)) est devenue une infraction hybride dont la peine maximale, lorsque poursuivie par voie de mise en accusation, a été portée à 14 ans d’emprisonnement (le maximum était auparavant de 10 ans). Ce maximum de 14 ans correspond maintenant à la peine maximale pour conduite avec capacités affaiblies causant des lésions corporelles (par. 320.14(2)) et excède la peine maximale pour négligence criminelle causant des lésions corporelles (art. 221).
[14] Le projet de loi C‑46 a aussi apporté des changements aux ordonnances d’interdiction de conduire. Le nouvel art. 320.24 prévoit les cas où de telles ordonnances peuvent être rendues. Les contrevenants qui sont déclarés coupables de conduite avec capacités affaiblies simpliciter (par. 320.14(1)) ou d’omission d’obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d’haleine simpliciter (par. 320.15(1)) sont assujettis à une ordonnance d’interdiction obligatoire en application du par. 320.24(1). Pour ce qui est des autres infractions de conduite, le juge chargé de la détermination de la peine peut, à sa discrétion, imposer une ordonnance en vertu du par. 320.24(4), dont voici le texte :
(4) Le tribunal qui inflige une peine au contrevenant déclaré coupable d’une infraction prévue à l’article 320.13, aux paragraphes 320.14(2) ou (3) ou 320.15(2) ou (3), ou à l’un des articles 320.16 à 320.18 peut rendre, en plus de toute autre peine applicable à cette infraction, une ordonnance lui interdisant de conduire le moyen de transport en cause durant la période établie conformément au paragraphe (5).
(4) If an offender is found guilty of an offence under section 320.13, subsection 320.14(2) or (3), 320.15(2) or (3) or under any of sections 320.16 to 320.18, the court that sentences the offender may, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, make an order prohibiting the offender from operating the type of conveyance in question during a period to be determined in accordance with subsection (5).
Antérieurement au projet de loi C‑46, les interdictions de conduire discrétionnaires faisaient partie des outils de détermination de la peine en vertu du par. 259(2) :
(2) Lorsqu’un contrevenant est déclaré coupable ou absous sous le régime de l’article 730 d’une infraction prévue aux articles 220, 221, 236, 249, 249.1, 250, 251 ou 252 ou à l’un des paragraphes 255(2) à (3.2) commise au moyen d’un véhicule à moteur, d’un bateau, d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, le tribunal qui lui inflige une peine peut, en plus de toute autre peine applicable en l’espèce, rendre une ordonnance lui interdisant de conduire un véhicule à moteur dans une rue, sur un chemin ou une grande route ou dans tout autre lieu public, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire . . .
(2) If an offender is convicted or discharged under section 730 of an offence under section 220, 221, 236, 249, 249.1, 250, 251 or 252 or any of subsections 255(2) to (3.2) committed by means of a motor vehicle, a vessel, an aircraft or railway equipment, the court that sentences the offender may, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, make an order prohibiting the offender from operating a motor vehicle on any street, road, highway or other public place, or from operating a vessel, an aircraft or railway equipment, as the case may be . . .
Le Parlement a abrogé l’ancien par. 259(2) lorsqu’il a adopté le projet de loi C‑46 (art. 14).
[15] On voit bien, en comparant les versions de la disposition, que le projet de loi C‑46 a apporté deux changements notables aux ordonnances d’interdiction de conduire discrétionnaires. Premièrement, la nouvelle disposition énumère moins d’infractions susceptibles d’entraîner la peine d’interdiction. Les juges chargés de la détermination de la peine peuvent imposer des interdictions de conduire discrétionnaires pour les infractions spécifiques que sont la conduite dangereuse (art. 320.13, anciennement l’art. 249), la conduite avec capacités affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort (par. 320.14(2) et (3), anciennement les par. 255(2), (2.1), (3) et (3.1)), l’omission ou le refus d’obtempérer à un ordre tout en se sachant impliqué dans un accident ayant causé des lésions corporelles ou la mort, ou en ne s’en souciant pas (par. 320.15(2) et (3), anciennement les par. 255(2.2) et (3.2)), l’omission de s’arrêter à la suite d’un accident (art. 320.16, anciennement l’art. 252), la fuite (art. 320.17, anciennement l’art. 249.1) et la conduite durant une interdiction (art. 320.18, anciennement le par. 259(4)). Les infractions générales de négligence criminelle causant la mort (art. 220), de négligence criminelle causant des lésions corporelles (art. 221) et d’homicide involontaire coupable (art. 236) ont été retirées de la liste et ne sont plus énumérées, tout comme les infractions maintenant abrogées d’omission de surveiller la personne remorquée (anciennement l’art. 250) et d’envoi ou de conduite d’un bateau innavigable ou d’un aéronef en mauvais état (anciennement l’art. 251).
[16] Deuxièmement, la description de l’événement qui déclenche l’application de la disposition a été modifiée. Dans la version anglaise de la disposition, une interdiction de conduire pouvait antérieurement être imposée relativement à une infraction énumérée lorsque le contrevenant était condamné ou absous sous le régime de l’article 730 (« convicted or discharged under section 730 »). Avec le projet de loi C‑46, l’événement déclencheur, dans la version anglaise, est devenu la déclaration de culpabilité (« found guilty »). Cependant, le projet de loi C‑46 a apporté un changement plus mineur à la version française de la disposition. L’ancien par. 259(2) permettait d’imposer des interdictions de conduire relativement aux infractions énumérées lorsque le contrevenant était « déclaré coupable ou absous sous le régime de l’article 730 ». Suivant le projet de loi C‑46, une interdiction peut dorénavant être ordonnée lorsque le contrevenant a été « déclaré coupable ».
B. Les infractions et procédures sous-jacentes
(1) Circonstances des infractions
[17] Le 21 août 2017, l’appelant a conduit un véhicule du mauvais côté d’une autoroute à chaussées séparées près de Langham, en Saskatchewan. Il a causé une collision frontale, tuant deux personnes et en blessant une autre grièvement.
[18] D’après l’acte d’accusation, l’appelant a commis deux chefs de négligence criminelle causant la mort (en contravention de l’art. 220 du Code criminel) et un chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles (en contravention de l’art. 221 du Code criminel).
(2) Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (le juge Danyliuk)
[19] En Cour du Banc de la Reine, l’appelant a été déclaré coupable des trois chefs de négligence criminelle énoncés dans l’acte d’accusation. Vers la fin de ses motifs de jugement, le juge du procès a déclaré ce qui suit :
[traduction] Les déclarations de culpabilité relativement aux chefs de négligence criminelle mettent en fait un terme à mon examen. Cependant, j’ai poussé plus loin mon analyse. Subsidiairement, advenant que je me sois trompé dans mon analyse de la négligence criminelle, j’ai poussé la question plus loin pour savoir si la preuve équivaut à une preuve de conduite dangereuse hors de tout doute raisonnable.
(2020 SKQB 324, 73 M.V.R. (7th) 242 (« motifs du juge du procès »), par. 171)
Le juge du procès a ensuite considéré les faits en cause au regard des éléments des infractions de conduite dangereuse. Subsidiairement, il s’est dit [traduction] « entièrement convaincu que la Couronne a[vait] satisfait à toutes les exigences permettant de prouver la conduite dangereuse hors de tout doute raisonnable » et, par conséquent, « [s]i [s]on analyse des trois chefs de négligence criminelle s’av[érait] erronée, [il] déclarerai[t] alors l’accusé coupable de trois chefs de conduite dangereuse causant la mort et des blessures » (par. 180).
[20] Le juge du procès a par la suite infligé à l’appelant des peines d’emprisonnement de six ans pour chacun des chefs de négligence criminelle causant la mort et de trois ans pour le chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles, à purger concurremment (2021 SKQB 141, 84 M.V.R. (7th) 257). Il a en outre imposé deux interdictions de conduire de 10 ans pour les chefs de négligence criminelle causant la mort et une interdiction de 7 ans pour le chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles, toutes trois applicables concurremment. Il n’a fait allusion dans ses motifs à aucune question concernant l’applicabilité de cette sanction.
[21] Le compte rendu formel de la condamnation, daté du 13 mai 2021 et préparé en vertu de l’art. 570 du Code criminel, indique que l’appelant a été condamné relativement à deux chefs de négligence criminelle causant la mort (en contravention de l’art. 220) et d’un chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles (en contravention de l’art. 221), et il précise également les peines imposées pour ces infractions. L’ordonnance formelle d’interdiction de conduire, datée du même jour, indique que l’appelant a été condamné relativement à des chefs de négligence criminelle et lui interdit de conduire un véhicule à moteur compte tenu de ces condamnations.
(3) Cour d’appel de la Saskatchewan, 2022 SKCA 132, [2023] 3 W.W.R. 574 (le juge Kalmakoff, avec l’accord des juges Schwann et McCreary)
[22] La Cour d’appel a rejeté le pourvoi formé par l’appelant à l’encontre de sa peine, ayant examiné la durée de la peine d’emprisonnement ainsi que l’applicabilité de l’ordonnance d’interdiction de conduire. Seul le dernier aspect est contesté devant notre Cour. S’exprimant au nom d’une formation unanime, le juge Kalmakoff a fait observer que le projet de loi C‑46 était guidé par deux thèmes clés : [traduction] « . . . (i) la cohérence, l’efficacité, la simplification et la modernisation des dispositions du Code criminel visant les infractions de conduite; et (ii) l’augmentation des peines en vue de dissuader les gens de conduire de façon dangereuse et avec les capacités affaiblies » (par. 57). Selon le juge Kalmakoff, le Parlement entendait que le projet de loi C‑46 [traduction] « augment[e] ou, à tout le moins, maint[ienne] les peines applicables auparavant pour toutes les infractions criminelles de conduite » (par. 58). À première vue, le retrait d’une interdiction de conduire de la liste des sanctions applicables en cas de négligence criminelle au volant causant la mort ou des lésions corporelles est incompatible avec une telle intention.
[23] Le juge Kalmakoff a ensuite examiné un certain nombre de dispositions du Code criminel et de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, ainsi que des règles de common law, afin d’illustrer la distinction juridique qui existe entre les déclarations de culpabilité et les condamnations. Le paragraphe 662(5) du Code criminel prévoit que l’infraction de conduite dangereuse est une infraction comprise pour les infractions de négligence criminelle prévues aux art. 220 et 221. Par application du par. 662(5), il est impossible selon lui d’être condamné pour négligence criminelle dans la conduite sans être également coupable de l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse. Une condamnation pour négligence criminelle emporte nécessairement une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse. De plus, bien qu’il ne fût pas obligé de le faire, le juge du procès a aussi conclu expressément que la Couronne avait prouvé tous les éléments des infractions de conduite dangereuse.
[24] En conséquence, a raisonné le juge Kalmakoff, tout comme il faut supposer que le Parlement comprenait la différence entre une déclaration de culpabilité et une condamnation, il faut également supposer qu’il était conscient, en rédigeant le par. 320.24(4) du Code criminel, que la conduite dangereuse est une infraction moindre et incluse d’une infraction de négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport. Considérer que le par. 320.24(4) autorise le juge chargé de la détermination de la peine à rendre une ordonnance d’interdiction de conduire à la suite d’une condamnation pour négligence criminelle est la seule interprétation qui est compatible avec l’objectif déclaré du projet de loi C‑46. L’interprétation contraire mènerait à un résultat absurde : un contrevenant serait assujetti à des conséquences moins sévères à la suite d’une condamnation pour l’infraction plus grave de négligence criminelle, comparativement à l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse.
[25] Par conséquent, la Cour d’appel a jugé que les ordonnances d’interdiction de conduire visant l’appelant étaient légales.
III. Question en litige
[26] La seule question en litige devant notre Cour est de savoir si le par. 320.24(4) du Code criminel permet l’imposition d’une interdiction de conduire en cas de condamnation relativement à une infraction de négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles au moyen d’un véhicule à moteur.
IV. Positions des parties
A. L’appelant (M. Wolfe)
[27] L’appelant soutient que les interdictions de conduire étaient illégales étant donné que le par. 320.24(4) ne mentionne pas les infractions de négligence criminelle causant la mort (art. 220) et de négligence criminelle causant des lésions corporelles (art. 221) en tant qu’infractions susceptibles d’entraîner une telle peine. En ce qui concerne l’interprétation de la Cour d’appel, l’appelant recense des exemples où les termes « findings of guilt » (« déclarations de culpabilité ») et « convictions » (« condamnations ») sont employés de façon interchangeable selon le contexte à différents endroits dans le Code criminel. Il plaide que notre Cour ne devrait donc pas supposer que le Parlement a agi délibérément dans la rédaction du par. 320.24(4) du Code criminel et utilisé l’expression « found guilty » (« déclaré coupable ») dans le but de préserver la capacité des juges chargés de la détermination de la peine d’imposer des interdictions de conduire pour les infractions incluses. Dans les faits, l’interprétation de la Cour d’appel crée une situation où des peines peuvent être imposées par implication plutôt qu’en vertu de dispositions expresses.
B. L’intimé (Sa Majesté le Roi)
[28] Sous le régime des anciennes dispositions, une interdiction de conduire pouvait être imposée lorsqu’une personne était condamnée pour une infraction énumérée. Conformément aux objectifs de protection publique qui sous‑tendent les modifications législatives, la nouvelle approche ratisse plus large : une interdiction de conduire peut être imposée pourvu qu’une condamnation pour l’infraction plus grave emporte une déclaration de culpabilité à l’égard de l’une des infractions de base énumérées.
[29] La Couronne soutient que la distinction entre une déclaration de culpabilité et une condamnation est profondément ancrée en droit et qu’il faut supposer que le Parlement comprenait la différence entre les deux. Une déclaration de culpabilité représente la preuve des éléments essentiels d’une infraction et constitue une condition préalable tant à une condamnation qu’à une absolution. Au mieux, les exemples apportés par l’appelant de dispositions du Code criminel qui emploient les deux termes montrent uniquement que « conviction » (« condamnation ») peut parfois désigner son élément constitutif, la culpabilité, ce que ne conteste pas la Couronne. Mais l’appelant ne parvient pas à démontrer que le Code criminel emploie le concept étroit de culpabilité à la place du concept de condamnation en tant que résultat ultime.
[30] La conduite dangereuse constitue une infraction incluse dans celle de négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles lors de la conduite d’un véhicule à moteur. En conséquence, prétend la Couronne, la condamnation de l’appelant pour négligence criminelle prouvait la culpabilité de celui‑ci à l’égard de l’une des « infractions de conduite de base » énumérées au par. 320.24(4). Les ordonnances d’interdiction de conduire étaient donc légales.
V. Analyse
A. Les principes directeurs d’interprétation législative
[31] Pour décider si le Code criminel autorise une interdiction de conduire discrétionnaire en cas de condamnation pour négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles, la Cour doit interpréter le par. 320.24(4) en recourant aux principes de longue date en matière d’interprétation législative.
[32] Il faut lire les mots d’une disposition [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Bien qu’il s’agisse d’un bon point de départ, le sens ordinaire des mots n’est pas déterminant (R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 3.01[3]). L’interprétation de dispositions législatives est incomplète sans l’examen du contexte, de l’objet et des normes juridiques pertinentes (R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967, par. 31; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 43; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10; R. c. Downes, 2023 CSC 6, par. 24‑25; Sullivan, § 2.01[4]).
[33] Dans l’analyse qui suit, le texte, le contexte et l’objectif législatif seront examinés tour à tour dans des sections distinctes, mais ils ne doivent pas être considérés comme des compartiments étanches. Les facteurs d’interprétation législative sont « étroitement liés et interdépendants » (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 31). D’autres principes d’interprétation législative s’appliquent également, et ils seront mentionnés au besoin.
B. Interprétation du par. 320.24(4)
(1) Le texte
[34] Par souci de commodité, je reproduis ci‑dessous le par. 320.24(4) :
(4) Le tribunal qui inflige une peine au contrevenant déclaré coupable d’une infraction prévue à l’article 320.13, aux paragraphes 320.14(2) ou (3) ou 320.15(2) ou (3), ou à l’un des articles 320.16 à 320.18 peut rendre, en plus de toute autre peine applicable à cette infraction, une ordonnance lui interdisant de conduire le moyen de transport en cause durant la période établie conformément au paragraphe (5).
(4) If an offender is found guilty of an offence under section 320.13, subsection 320.14(2) or (3), 320.15(2) or (3) or under any of sections 320.16 to 320.18, the court that sentences the offender may, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, make an order prohibiting the offender from operating the type of conveyance in question during a period to be determined in accordance with subsection (5).
a) Les infractions de négligence criminelle ne sont pas énumérées au par. 320.24(4)
[35] Le paragraphe 320.24(4) énumère expressément 12 infractions pour lesquelles une interdiction de conduire discrétionnaire est applicable et autorisée. À la lecture de la disposition, il s’agit d’une liste exhaustive. Un fait très significatif dans l’interprétation de cette disposition afin de décider si une interdiction de conduire peut être imposée en cas de condamnation relativement à une infraction de négligence criminelle est que ni l’art. 220 (négligence criminelle causant la mort) ni l’art. 221 (négligence criminelle causant des lésions corporelles) ne sont expressément mentionnées dans la liste des infractions pouvant entraîner cette peine. À mon avis, la maxime expressio unius est exclusio alterius (« la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre ») est pertinente pour les besoins de l’interprétation en l’espèce. Ruth Sullivan explique qu’un [traduction] « argument en faveur de l’exclusion implicite peut être invoqué lorsqu’il y a des raisons de croire que, si le législateur avait voulu inclure une chose en particulier dans sa loi, il l’aurait mentionnée expressément » (§ 8.09[1]; voir aussi Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, par. 59; Cadieux (Litigation Guardian of) c. Cloutier, 2018 ONCA 903, 143 O.R. (3d) 545, par. 114). Dans les cas où on s’attendrait à la présence d’une mention expresse, le tribunal peut inférer que le fait qu’une chose n’est pas mentionnée résulte d’une décision délibérée de l’exclure.
[36] Une interdiction de conduire est une peine (voir R. c. Poulin, 2019 CSC 47, [2019] 3 R.C.S. 566, par. 38). La pratique habituelle du Parlement consiste à mentionner expressément les peines applicables. Dans la partie VIII.1 du Code criminel, les dispositions autorisant des peines — qu’il s’agisse d’amendes, de peines d’emprisonnement ou d’interdictions de conduire — énumèrent expressément les infractions auxquelles ces peines s’appliquent directement (voir les art. 320.19, 320.2, 320.21 et 320.24). C’est le cas également dans d’autres parties du Code criminel, où la technique de rédaction habituelle consiste soit à préciser la peine à laquelle le contrevenant s’expose dans la disposition créant l’infraction, soit à énumérer les infractions auxquelles une peine particulière peut être rattachée.
[37] Il y a donc de fortes raisons de croire que, si le Parlement avait souhaité permettre l’imposition d’interdictions de conduire en cas de condamnations pour négligence criminelle, il aurait expressément mentionné les art. 220 et 221 au par. 320.24(4). Le fait que le Parlement n’a pas mentionné ces dispositions indique que son intention était d’exclure la négligence criminelle du champ d’application du par. 320.24(4).
[38] Non seulement les infractions de négligence criminelle sont‑elles absentes de la liste d’infractions pouvant entraîner une interdiction de conduire discrétionnaire, mais ces infractions étaient énumérées dans l’ancien par. 259(2), et le Parlement a choisi de les retirer lorsqu’il a abrogé la disposition antérieure puis réédicté une disposition différente, le par. 320.24(4).
[39] Il est bien établi que « [l]es textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant » (R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, par. 33; voir aussi Gravel c. Cité de St-Léonard, 1977 CanLII 9 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 660, p. 667; British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795, par. 60; Sullivan, § 23.02[2]). Les tribunaux doivent présumer que [traduction] « les modifications apportées au libellé d’une disposition législative répondent à quelque objectif intelligible » (Sullivan, § 23.02[3]). Cela demeure vrai lorsque les modifications prennent la forme d’une abrogation suivie d’une réédiction, ce qui est « considéré généralement comme une [. . .] modification du droit antérieur » sur le plan du fond (P.‑A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 123). Dans le cas qui nous occupe, le Parlement a délibérément choisi d’abroger l’ancienne disposition qui mentionnait les infractions de négligence criminelle et de la remplacer par une nouvelle disposition qui ne les mentionne pas. L’évolution du texte de la disposition portant sur l’interdiction de conduire discrétionnaire est compatible avec l’intention du législateur de limiter l’application de cette sanction aux infractions spécifiques à la conduite dans la partie VIII.1 du Code criminel, en excluant les infractions générales de négligence criminelle et d’homicide involontaire coupable.
[40] En résumé, les infractions de négligence criminelle ne sont pas mentionnées à titre d’infractions pouvant entraîner une interdiction de conduire discrétionnaire. Elles l’étaient auparavant, mais elles ne le sont plus. Le Parlement a envoyé un message législatif fort en abrogeant la disposition qui énonçait ces infractions de négligence criminelle et en édictant une autre disposition qui les exclut. Cette situation constitue un obstacle considérable pour l’argument de la Couronne selon lequel l’interdiction de conduire demeure une peine applicable à un contrevenant condamné pour une infraction de négligence criminelle.
b) La distinction entre les déclarations de culpabilité et les condamnations
[41] Pour contourner l’absence de mention expresse des infractions de négligence criminelle au par. 320.24(4), la Couronne soutient que le fait que les interdictions de conduire discrétionnaires en cas de condamnation pour négligence criminelle continuent d’être applicables ressort implicitement de l’emploi par le Parlement de l’expression « found guilty » dans la disposition. Comme je l’ai indiqué précédemment, comparativement à ce qui était le cas dans l’ancienne version anglaise de la disposition législative, le projet de loi C‑46 a changé l’événement qui déclenche l’applicabilité d’une interdiction de conduire discrétionnaire en substituant aux situations où le contrevenant est « convicted or discharged under section 730 » les situations où il est « found guilty ».
[42] Je vais maintenant examiner la question de savoir si l’expression « déclaré coupable » (« found guilty ») au par. 320.24(4) peut remplir la fonction qu’avance la Couronne et reflète l’introduction par le Parlement dans le Code criminel d’une nouvelle technique de rédaction indirecte.
[43] Les déclarations de culpabilité et les condamnations sont conceptuellement distinctes dans le contexte d’un procès criminel. La déclaration de culpabilité est un verdict que rend le tribunal au terme du procès. Elle survient lorsqu’il a été conclu que les éléments essentiels de l’infraction ont été prouvés hors de tout doute raisonnable (voir Quigley’s Criminal Procedure in Canada (feuilles mobiles), par D. Rose, dir., § 22:7; Boily, par. 55; voir aussi, à propos du concept connexe de plaidoyer de culpabilité, l’al. 606(1.1)b) du Code criminel; Ontario Courtroom Procedure (5e éd. 2020), par M. Fuerst, M. A. Sanderson et S. Firestone, dir., avec l’aide de R. N. Beaudoin et autres, p. 586). Une condamnation, en revanche, est [traduction] « un jugement final au moyen duquel le tribunal inscrit une déclaration de culpabilité » (R. c. Bérubé, 2012 BCCA 345, 326 B.C.A.C. 241, par. 44 et 49; voir aussi Boily, par. 55; R. c. Senior (1996), 1996 ABCA 71 (CanLII), 181 A.R. 1 (C.A.), par. 19). Il existe de la jurisprudence indiquant que le sens du terme anglais « conviction » peut varier selon le contexte (voir Morris c. La Reine, 1978 CanLII 168 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 405, p. 429; R. c. McInnis (1973), 1973 CanLII 545 (ON CA), 1 O.R. (2d) 1 (C.A.)). Il ne fait toutefois aucun doute que la déclaration de culpabilité constitue une étape distincte et antérieure du procès par rapport à l’inscription de la condamnation (voir R. E. Salhany, Canadian Criminal Procedure (6e éd. (feuilles mobiles)), § 6:88; Fuerst, Sanderson et Firestone, p. 586). L’article 570 du Code criminel décrit le processus par lequel prend fin un procès portant sur une infraction poursuivie par voie de mise en accusation et le jugement du tribunal est inscrit :
570 (1) Lorsque la culpabilité d’un prévenu qui subit son procès en vertu de la présente partie est déterminée soit par acceptation de son plaidoyer de culpabilité, soit par une déclaration de culpabilité, le juge ou le juge de la cour provinciale, selon le cas, inscrit sur la dénonciation une mention en ce sens et inflige une peine au prévenu ou autrement le traite de la manière autorisée par la loi et, sur demande du prévenu, du poursuivant, d’un agent de la paix ou de toute autre personne, une déclaration de culpabilité est rédigée selon la formule 35 et une copie certifiée conforme de cette déclaration de culpabilité est établie ou une ordonnance selon la formule 36 est rédigée et une copie certifiée conforme de celle‑ci est établie, et la copie certifiée est remise à la personne ayant fait la demande.
570 (1) If an accused who is tried under this Part is determined by a judge or provincial court judge to be guilty of an offence on acceptance of a plea of guilty or on a finding of guilt, the judge or provincial court judge, as the case may be, shall endorse the information accordingly and shall sentence the accused or otherwise deal with the accused in the manner authorized by law and, on request by the accused, the prosecutor, a peace officer or any other person, a conviction in Form 35 and a certified copy of it, or an order in Form 36 and a certified copy of it, shall be drawn up and the certified copy shall be delivered to the person making the request.
[44] Une déclaration de culpabilité peut mener à plusieurs résultats différents, y compris à une condamnation et à la détermination de la peine. Certaines des questions qui se posent dans le cadre des procès criminels — comme celle de savoir s’il y a lieu d’arrêter les procédures en raison d’une défense de provocation policière ou de la règle interdisant les condamnations multiples — sont examinées par le juge du procès à la suite d’une déclaration de culpabilité, mais avant l’inscription d’une condamnation (voir R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903, p. 972; R. c. Pearson, 1998 CanLII 776 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 620, par. 10, 13 et 16; Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Provo, 1989 CanLII 71 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 3; voir aussi Salhany, § 6:88). Les tribunaux doivent, « [d]ans les meilleurs délais possibles suivant la déclaration de culpabilité, [. . .] proc[éder] à la détermination de la peine à infliger au délinquant » (par. 720(1)). Pour certaines infractions, lorsque l’accusé « plaide coupable ou est reconnu coupable », le tribunal peut prescrire que ce dernier soit absous inconditionnellement ou à certaines conditions « au lieu de le condamner » (par. 730(1)).
[45] En somme, déclaration de culpabilité et condamnation ne sont pas synonymes. De fait, la première est un préalable à la seconde.
[46] Les observations écrites des parties (voir m.a., par. 46‑87; m.i., par. 31‑53), de même qu’une bonne partie de l’analyse de la Cour d’appel (voir les motifs de la C.A., par. 59‑74), s’attachent à la question de savoir si les concepts de déclaration de culpabilité et de condamnation sont employés de façon interchangeable dans le Code criminel et la common law, et si cela accentue ou affaiblit l’importance du choix du Parlement (dans la version anglaise de la disposition) de changer de « convicted or discharged » à « found guilty » l’événement qui déclenche l’application du par. 320.24(4). Selon le juge Kalmakoff, il faut [traduction] « considérer que le Parlement a agi intentionnellement lorsqu’il a modifié la description de l’événement qui déclenche l’application de la disposition [. . .] et qu’il l’a fait en ayant à l’esprit la différence entre ces concepts » (par. 74 (italique omis)).
[47] Toutefois, j’estime qu’en dépit de l’importance que les parties ont accordée à cette question dans leurs observations, l’issue du présent pourvoi ne dépend pas de la question de savoir si les concepts de déclaration de culpabilité et de condamnation sont utilisés de façon interchangeable ou non dans différentes parties du Code criminel. Dans l’ensemble du Code criminel, il est possible de trouver des dispositions indiquant que le Parlement était conscient de la distinction conceptuelle entre les déclarations de culpabilité et les condamnations (par exemple les par. 570(1), 570(4) et 730(1) mentionnés plus haut) ainsi que d’autres où la distinction n’est pas aussi claire. Cette opération n’aide guère à trancher le présent pourvoi. La question en litige dans la présente affaire n’est pas de savoir si c’est la condamnation ou la déclaration de culpabilité qui mène à une interdiction de conduire en vertu du par. 320.24(4); le texte de la disposition indique clairement qu’il s’agit d’une peine applicable lorsque le contrevenant a été « déclaré coupable » d’une infraction énumérée. Notre Cour doit plutôt se demander si, comme le prétend la Couronne et comme l’a accepté la Cour d’appel, un contrevenant est « déclaré coupable » d’une infraction énumérée au par. 320.24(4) — ce qui déclenche l’applicabilité d’une interdiction de conduire discrétionnaire — lorsqu’il est condamné pour une infraction qui n’est pas énumérée, mais qui comprend une infraction incluse qui, elle, est énumérée. L’argument de la Couronne fondé sur l’incorporation par implication dépend en partie du sens qu’il convient de donner à l’expression « déclaré coupable » dans le contexte de la disposition.
c) Les infractions incluses
[48] La Couronne soutient que les condamnations de l’appelant pour les chefs de négligence criminelle [traduction] « prouvent qu’il est coupable » de conduite dangereuse. En outre, elle indique que le juge du procès a effectué dans ses motifs une analyse distincte de l’infraction de conduite dangereuse et qu’il [traduction] « a explicitement déclaré [l’appelant] coupable de cette infraction incluse » (m.i., par. 54 et 86‑87).
[49] L’article 662 du Code criminel régit les infractions incluses. Il prévoit en partie ce qui suit :
662 (1) Un chef dans un acte d’accusation est divisible et lorsque l’accomplissement de l’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, comprend la perpétration d’une autre infraction, que celle‑ci soit punissable sur acte d’accusation ou sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, l’accusé peut être déclaré coupable :
a) ou bien d’une infraction ainsi comprise qui est prouvée, bien que ne soit pas prouvée toute l’infraction imputée;
b) ou bien d’une tentative de commettre une infraction ainsi comprise.
. . .
(5) Il est entendu que lorsqu’un chef d’accusation vise une infraction prévue aux articles 220, 221 ou 236 et découle de la conduite d’un moyen de transport, et que la preuve n’établit pas la commission de cette infraction, mais plutôt celle d’une infraction prévue à l’article 320.13, l’accusé peut être déclaré coupable de cette dernière.
Bref, on peut dire qu’une « infraction est “incluse” si ses éléments constitutifs sont compris dans l’infraction imputée (telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation) ou si le Code criminel la qualifie expressément d’infraction comprise ou incluse » (R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371, par. 25).
[50] Les termes employés dans les dispositions des infractions incluses signalent que leur fonction se limite aux situations où l’infraction imputée n’est pas prouvée. Les dispositions fournissent un avis raisonnable d’une autre voie pouvant mener à un verdict de culpabilité. Le paragraphe 662(5) indique clairement que l’infraction de conduite dangereuse (en contravention de l’art. 320.13) est une infraction incluse en ce qui a trait aux infractions de négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport (art. 220 et 221). Mais le par. 662(5) indique également de façon claire que c’est seulement lorsque la preuve n’établit pas l’infraction imputée qu’il devient possible que l’accusé soit déclaré coupable de l’infraction incluse de conduite dangereuse (comme le montrent les expressions « n’établit pas la commission de cette infraction » et « peut être déclaré coupable » que le Parlement a employées). En l’espèce, le juge du procès a reconnu cela lorsqu’il a affirmé qu’il était convaincu que l’appelant était coupable de conduite dangereuse [traduction] « subsidiairement » et « au cas où [il aurait fait] erreur dans [s]on analyse de la négligence criminelle » (par. 171 et 183). Similairement, dans les procès avec jury, le juge ne doit pas instruire le jury sur la responsabilité potentielle à l’égard d’une infraction incluse lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le contrevenant soit acquitté relativement à l’infraction imputée et condamné pour l’infraction incluse (voir R. c. Ronald, 2019 ONCA 971, par. 42; R. c. Wong (2006), 2006 CanLII 18516 (ON CA), 209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12; R. c. Savage, 2023 ONCA 240, par. 42). Cela reflète le rôle des infractions incluses à titre de fondement subsidiaire d’une déclaration de culpabilité.
[51] L’argument de la Couronne saute du principe incontesté selon lequel l’accusé peut, subsidiairement, être condamné (ou absous) à l’égard d’une infraction incluse, au principe inédit voulant qu’un accusé puisse se voir infliger une peine pour une infraction incluse même s’il n’est pas condamné ou absous à l’égard de cette infraction. Les mots employés à l’art. 662 appuient clairement le premier volet de l’argument, mais non le second. La position de la Couronne élargit l’application des règles relatives aux infractions incluses au‑delà de la façon dont celles‑ci sont comprises en droit actuellement, et elle équivaut à une méthode inédite d’interprétation législative des infractions criminelles et des peines qui s’y rattachent.
[52] La jurisprudence sur les infractions incluses est généralement axée sur la notion d’avis raisonnable (voir, p. ex., G.R., par. 11‑12). Dans R. c. Pawluk, 2017 ONCA 863, 357 C.C.C. (3d) 86, le juge Paciocco a expliqué que [traduction] « le concept même d’infraction incluse repose sur le fait qu’il n’est pas injuste de juger un accusé pour une infraction incluse, étant donné que l’accusation reprochée avise la personne accusée que ce qui est allégué contre elle satisfait à tous les éléments de l’infraction incluse, de même qu’à ceux de l’infraction imputée » (par. 28; voir aussi G.R., par. 30). Dans G.R., le juge Binnie a défini trois catégories d’infractions incluses : (1) les infractions incluses par la loi; (2) les infractions incluses dans la loi qui crée l’infraction imputée; et (3) les infractions qui deviennent incluses par l’ajout de mots appropriés dans la description de l’accusation principale (par. 29‑33). Chacune de ces catégories répond au critère de l’avis raisonnable — l’accusé est avisé des risques qu’il court soit par les termes du Code criminel, soit par les mots employés dans l’acte d’accusation (voir aussi Rose, § 22:8).
[53] Par conséquent, la personne accusée n’a pas de raison de se plaindre si, subsidiairement, elle est déclarée coupable par le tribunal d’une infraction incluse, même si cette infraction n’est pas mentionnée dans le document d’accusation. Il n’est pas du tout clair, cependant, qu’une personne accusée a été raisonnablement avisée du risque de se voir infliger des peines rattachées uniquement aux infractions incluses dans les cas où elle est condamnée pour l’infraction imputée. Les personnes accusées doivent être informées à l’avance et de manière non ambiguë des peines auxquelles elles s’exposent si elles sont condamnées pour une infraction particulière. Il s’agit d’un impératif particulièrement important lorsque l’accusé plaide coupable à une infraction, vu l’exigence requérant qu’il soit au courant des conséquences pénales de son plaidoyer de culpabilité (voir R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, par. 4). Je ne crois pas que les contrevenants qui ont plaidé coupables à une infraction de négligence criminelle causant la mort — comme dans Boily par exemple — auraient raisonnablement compris, sur la base de la disposition législative, qu’ils s’exposaient à une interdiction de conduire pour cette infraction au moment de leur plaidoyer.
[54] Je comprends la logique de l’argument de la Couronne, mais je ne suis pas convaincue que l’utilité pratique de la mécanique des infractions incluses, qui fournit un avis raisonnable de l’existence d’un fondement subsidiaire sur la base duquel l’accusé pourrait être déclaré coupable et ensuite condamné, devrait s’appliquer au‑delà des situations où l’infraction imputée n’est pas prouvée. Il est bien établi qu’« [e]n l’absence d’une intention contraire exprimée clairement par le législateur, une loi ne devrait pas être interprétée de façon à modifier substantiellement le droit » (R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 21; voir aussi La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 59; R. c. Summers, 2014 CSC 26, [2014] 1 R.C.S. 575, par. 55‑56; R. c. T. (V.), 1992 CanLII 88 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 749, p. 763‑764; R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 49; Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, par. 45(2)). À mon avis, l’emploi de l’expression « déclaré coupable » (« found guilty ») par le Parlement au par. 320.24(4) n’équivaut pas à un message législatif clair que la mécanique des infractions incluses devrait jouer un nouveau rôle et faciliter l’imposition de peines par voie d’implication plutôt qu’en vertu de mentions expresses. Il s’agirait d’une manière subtile et singulière d’exprimer l’intention du législateur.
[55] J’ajoute que le choix du juge du procès d’effectuer une analyse distincte des infractions incluses de conduite dangereuse n’a aucune incidence en l’espèce (par. 171‑180). Il n’était pas inapproprié pour le juge du procès de procéder à une analyse subsidiaire des infractions incluses. Mais l’applicabilité d’une interdiction de conduire ne devrait pas dépendre du fait que le juge du procès a choisi ou non d’analyser les éléments d’une infraction incluse dans des circonstances où il n’était pas tenu de le faire.
[56] Selon moi, l’emploi de l’expression « déclaré coupable » (« found guilty ») au par. 320.24(4) suggère une décision judiciaire expresse, émanant soit du jury annonçant son verdict, soit d’un juge. Le juriste Kevin McGuinness définit le terme anglais « finding » comme étant une [traduction] « décision rendue par un décideur au cours d’une instance sur une question de fait donnée » (K. P. McGuinness, The Encyclopedic Dictionary of Canadian Law (2021)). Le Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019) définit ainsi le mot « find »: [traduction] « [t]rancher un fait en litige par un verdict ou une décision », et donne en exemple l’expression « find guilty ». Je suis d’accord avec le juge d’appel Skolrood pour dire que le sens ordinaire et naturel véhiculé par l’expression « found guilty » est qu’une déclaration de culpabilité spécifique a été prononcée (Francisco, par. 42). Compte tenu de la façon dont j’ai décrit précédemment la fonction usuelle des infractions incluses, je ne peux accepter qu’une déclaration de culpabilité au sens du par. 320.24(4) puisse être le résultat implicite d’une autre décision judiciaire (c.‑à‑d. une condamnation pour une infraction non énumérée au par. 320.24(4)).
d) Un indice additionnel dans le texte du par. 320.24(4)
[57] Un autre élément faisant obstacle à l’interprétation proposée par la Couronne est le fait que le par. 320.24(4) prévoit que, lorsqu’un contrevenant est « déclaré coupable » d’une infraction énumérée, une interdiction de conduire peut être imposée « en plus de toute autre peine applicable à cette infraction ». En d’autres termes, la disposition envisage l’infliction de peines — dont une interdiction de conduire et une « autre peine » comme l’emprisonnement — lorsqu’une infraction énumérée a été commise (voir Francisco, par. 43). La négligence criminelle n’est pas une infraction énumérée; elle ne saurait constituer « cette infraction ». L’interprétation proposée par la Couronne envisage une forme de bifurcation qui entre en conflit avec cette limite : une interdiction de conduire serait imposée pour l’infraction énumérée de conduite dangereuse, et une « autre peine » (dans le cas de l’appelant, l’emprisonnement) serait imposée pour l’infraction non énumérée de négligence criminelle. Autrement dit, la deuxième moitié du texte du par. 320.24(4) indique qu’une interdiction de conduire peut être ordonnée en plus de l’autre peine imposée à l’égard d’une infraction énumérée — et non en plus de la peine imposée à l’égard d’une autre infraction.
e) Comparaison des changements apportés au par. 320.24(4) en anglais et en français
[58] La version anglaise et la version française du par. 320.24(4) ont également force de loi et doivent toutes deux être considérées (voir R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390, par. 53; Sullivan, § 5.02[3]‑5.02[5]). Comme je l’ai expliqué, ce qui ouvre la porte à une interdiction de conduire discrétionnaire en tant qu’autre peine applicable en vertu du par. 320.24(4) est le fait pour un contrevenant d’être « déclaré coupable » (dans la version française) ou « found guilty » (dans la version anglaise) d’une infraction énumérée. Le terme « convicted » qui était employé dans la version anglaise de l’ancien par. 259(2) a été supprimé dans le projet de loi C‑46 et remplacé par « found guilty », mais la version française de l’ancien par. 259(2) permettait les interdictions de conduire lorsque le contrevenant était « déclaré coupable ou absous sous le régime de l’article 730 ». Alors que les mots « convicted or discharged » ont été remplacés par « found guilty » dans la version anglaise, l’expression « déclaré coupable » n’a pas changé dans la version française.
[59] Pour cette raison, l’argument de la Couronne selon lequel le Parlement [traduction] « a recouru à la distinction notoire entre les concepts de condamnation et de culpabilité afin de créer une nouvelle approche pour l’imposition d’interdictions de conduire » n’est pas persuasif (m.i., par. 3 (je souligne)). Bien que l’existence d’une distinction entre une condamnation et une déclaration de culpabilité ne fasse aucun doute, la force de l’argument de la Couronne repose sur un changement apporté à la version anglaise, soit la suppression du mot « convicted » et l’introduction de l’expression « found guilty » — alors que le terme correspondant n’a pas été changé dans la version française, laquelle fait également force de loi.
f) Conclusion concernant le texte du par. 320.24(4)
[60] À mon avis, le texte du par. 320.24(4) dans son ensemble est clair et ne comporte aucune ambiguïté. Les infractions de négligence criminelle n’y sont plus mentionnées en tant qu’infractions pouvant entraîner une interdiction de conduire discrétionnaire. De plus, le fait que le Parlement a employé l’expression « déclaré coupable » suggère fortement qu’il doit y avoir une décision judiciaire expresse de culpabilité à l’égard d’une infraction figurant dans le document d’accusation, ou comprise dans une infraction y figurant (dans les situations où l’infraction imputée n’est pas prouvée). La Couronne n’a pas réussi à me convaincre qu’une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction incluse — suffisante pour entraîner une peine en vertu du par. 320.24(4) — découle nécessairement d’une condamnation pour l’infraction imputée. Il s’agit d’une assise très faible pour soutenir que le texte inclut implicitement un élément qui a été abrogé et n’a pas été repris dans un régime relatif aux infractions de conduite fondamentalement modifié.
[61] Dans de telles circonstances, le texte de la disposition est habituellement l’élément prédominant de l’opération d’interprétation, mais la jurisprudence pertinente exige que la Cour poursuive l’analyse pour examiner le contexte et l’objet de la disposition (voir Hypothèques Trustco Canada, par. 10; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 48).
(2) Le contexte du texte de loi et du droit criminel en général
[62] Plusieurs considérations découlant du contexte législatif environnant et des principes généraux du droit criminel jettent de la lumière sur le par. 320.24(4).
a) Les autres dispositions de la partie VIII.1 du Code criminel
[63] Le résultat de la position adoptée par la Couronne serait que lorsqu’une personne est condamnée à l’égard d’une infraction, cela emporterait aussi, par implication nécessaire, une déclaration de culpabilité à l’égard de toute infraction incluse. Et la Couronne rattache des conséquences juridiques à cette déclaration de culpabilité implicite. La Cour doit évaluer les implications d’une telle position.
[64] L’examen des dispositions du Code criminel qui se trouvent à proximité du par. 320.24(4) s’avère instructif. Le paragraphe 320.24(1) prévoit une ordonnance d’interdiction de conduire obligatoire dans certaines situations et comporte des formulations semblables à celles figurant au par. 320.24(4) :
320.24 (1) Le tribunal qui inflige une peine au contrevenant déclaré coupable d’une infraction prévue aux paragraphes 320.14(1) ou 320.15(1) rend, en plus de toute autre peine applicable à cette infraction, une ordonnance lui interdisant de conduire le moyen de transport en cause durant la période établie conformément au paragraphe (2).
De par ses termes mêmes, la disposition exige l’imposition d’une interdiction de conduire lorsque le contrevenant a été déclaré coupable de conduite avec capacités affaiblies simpliciter (en contravention du par. 320.14(1)) ou d’omission ou de refus d’obtempérer à un ordre simpliciter (par. 320.15(1)). S’agissant d’une première infraction, l’interdiction doit être « d’une durée maximale de trois ans, la durée minimale étant d’un an, en plus de la durée de la peine d’emprisonnement à laquelle le contrevenant est condamné » (par. 320.24(2)).
[65] L’interprétation du par. 320.24(4) proposée par la Couronne cadre difficilement avec la disposition qui prévoit l’interdiction de conduire obligatoire. Je note que les infractions plus graves de conduite avec capacités affaiblies causant des lésions corporelles (par. 320.14(2)) et de conduite avec capacités affaiblies causant la mort (par. 320.14(3)), de même que les infractions équivalentes à l’art. 320.15, tombent sous le coup de la disposition prévoyant une interdiction de conduire discrétionnaire au par. 320.24(4). Prenons le cas d’un contrevenant qui serait condamné pour une première fois pour l’infraction de conduite avec capacités affaiblies causant la mort, qui prévoit ce qui suit : « Commet une infraction quiconque commet une infraction prévue au paragraphe (1) et, pendant qu’il conduit le moyen de transport, cause la mort d’une autre personne » (par. 320.14(3)). Étant donné que cette infraction englobe complètement celle de conduite avec capacités affaiblies simpliciter en tant qu’élément constitutif, l’effet de la position de la Couronne dans un tel cas serait qu’il y aurait condamnation pour l’infraction prévue au par. 320.14(3) ainsi qu’une déclaration de culpabilité pour l’infraction incluse prévue au par. 320.14(1). Est‑ce que le contrevenant pourrait faire l’objet tant d’une interdiction de conduire discrétionnaire « de la durée que le tribunal estime appropriée » pour la première infraction que d’une interdiction obligatoire « d’une durée maximale de trois ans, la durée minimale étant d’un an » (en plus de la durée de toute peine d’emprisonnement) pour la seconde infraction (par. 320.24(2) et (5))? Faudrait‑il que toute interdiction de conduire discrétionnaire imposée pour conduite avec capacités affaiblies causant la mort respecte les périodes minimales et maximales prévues au par. 320.24(2) — lesquelles sont manifestement obligatoires en cas de déclaration de culpabilité pour conduite avec capacités affaiblies simpliciter? Le fait que les implications de la position de la Couronne ne sont pas claires en ce qui concerne son application à une disposition législative très rapprochée enlève à sa plausibilité relativement au par. 320.24(4).
[66] Je considère aussi l’art. 320.25, qui régit la suspension des ordonnances d’interdiction de conduire jusqu’à l’issue d’un appel :
320.25 (1) Sous réserve du paragraphe (2), dans les cas où la condamnation à l’égard d’une infraction prévue à l’un des articles 320.13 à 320.18 ou la peine infligée pour cette infraction fait l’objet d’un appel, le juge du tribunal qui en est saisi peut ordonner la suspension de l’ordonnance d’interdiction prévue à l’article 320.24 et résultant de cette condamnation, aux conditions qu’il impose, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur l’appel ou jusqu’à ce que le tribunal en décide autrement.
320.25 (1) Subject to subsection (2), if an appeal is taken against a conviction or sentence for an offence under any of sections 320.13 to 320.18, a judge of the court to which the appeal is taken may direct that the prohibition order under section 320.24 arising out of the conviction shall, on any conditions that the judge imposes, be stayed pending the final disposition of the appeal or until otherwise ordered by that court.
Cette disposition envisage la suspension d’une ordonnance d’interdiction de conduire en cas d’appel d’une condamnation à l’égard d’une infraction prévue aux art. 320.13 à 320.18 ou de la peine infligée pour cette infraction. En anglais, le mot « conviction » qui figurait à l’ancien par. 261(1) du Code criminel a été conservé lors de l’édiction du projet de loi C‑46. En français, le Parlement a remplacé « déclaration de culpabilité » (« finding of guilt ») par « condamnation » (« conviction »). Alors que les infractions de négligence criminelle étaient énoncées à l’ancien par. 261(1), dans le projet de loi C‑46, elles ont été supprimées de la disposition qui prévoit la suspension des ordonnances d’interdiction de conduire jusqu’à l’issue d’un appel.
[67] Il n’est pas clair que le par. 320.25(1) pourrait s’appliquer et permettre la suspension des interdictions de conduire imposées à l’appelant jusqu’à l’issue d’un appel si l’on accepte l’interprétation de la Couronne, étant donné que ce dernier n’a pas été condamné à l’égard de quelque infraction mentionnée dans cette disposition. Peut‑être serait‑il possible de prétendre que l’effet de l’interprétation proposée par la Couronne est que l’appelant s’est vu infliger comme peine une interdiction de conduire pour l’infraction incluse prévue à l’art. 320.13, mais le procureur de la Couronne a précisé de vive voix à l’audience que, selon lui, une peine se rattache à l’infraction pour laquelle un contrevenant est condamné — et non à la déclaration de culpabilité (transcription, p. 60‑61). Quoi qu’il en soit, le par. 320.25(1) parle d’une ordonnance d’interdiction de conduire « résultant de cette condamnation » — c’est‑à‑dire de la condamnation qui est mentionnée dans les mots introductifs de la disposition et qui se limite aux infractions prévues aux art. 320.13 à 320.18. L’argument selon lequel le par. 320.24(4) permet d’imposer des interdictions de conduire à l’égard de condamnations pour négligence criminelle (aux termes des art. 220 et 221) cadre plutôt mal avec le par. 320.25(1), dont le texte ne paraît pas envisager de suspension durant l’appel dans cette situation. En outre, le fait que le projet de loi C‑46 a supprimé toute mention des infractions de négligence criminelle dans ce qui constitue maintenant le par. 320.25(1) étaye également la conclusion que les interdictions de conduire ne sont plus envisagées dans le cas des condamnations pour négligence criminelle.
[68] Enfin, la Couronne invoque le nouvel art. 320.23 pour démontrer que le Parlement était conscient de [traduction] « l’espace liminal entre une “déclaration de culpabilité” et une “condamnation ou absolution” en vue de la création d’une solution de traitement particulière, postérieure à la déclaration de culpabilité, mais antérieure à la détermination de la peine » (m.i., par. 68). L’article 320.23 emploie lui aussi l’expression « déclaré coupable » et prévoit ce qui suit :
320.23 (1) Si le poursuivant et le contrevenant y consentent et en tenant compte de l’intérêt de la justice, le tribunal peut reporter la détermination de la peine d’un contrevenant déclaré coupable d’une infraction prévue aux paragraphes 320.14(1) ou 320.15(1) pour permettre à ce dernier de participer à un programme de traitement approuvé par la province où il réside. Le cas échéant, le tribunal rend une ordonnance interdisant au contrevenant de conduire le moyen de transport en cause jusqu’à la détermination de la peine, auquel cas les paragraphes 320.24(6) à (9) s’appliquent.
(2) Si le contrevenant termine avec succès un tel programme, le tribunal n’est pas tenu de lui infliger la peine minimale prévue à l’article 320.19 ni de rendre une ordonnance d’interdiction au titre de l’article 320.24, mais il ne peut l’absoudre sous le régime de l’article 730.
Ce mécanisme s’applique uniquement aux contrevenants déclarés coupables des infractions simpliciter de conduite avec capacités affaiblies et de refus ou d’omission d’obtempérer prévues aux par. 320.14(1) et 320.15(1). Généralement, ces contrevenants se verraient imposer une interdiction de conduire obligatoire en application du par. 320.24(1), mais le par. 320.23(2) permet une exception lorsque le contrevenant termine avec succès un programme de traitement. Dans les cas où la détermination de la peine est reportée dans le but de permettre au contrevenant de participer à un tel programme, le tribunal est tenu de rendre une ordonnance d’interdiction de conduire temporaire en vertu de l’art. 320.23 (et non de l’art. 320.24).
[69] Le contexte antérieur à la détermination de la peine de cette disposition diffère de celui du par. 320.24(4), qui autorise l’infliction d’une peine particulière à l’étape de la détermination de la peine. Reporter la détermination de la peine pour permettre au contrevenant de participer à un programme de traitement est conditionnel au consentement de la Couronne et du contrevenant, ce qui distingue les interdictions de conduire provisoires autorisées par le par. 320.23(1) des peines qu’autorise l’art. 320.24 dans le contexte de la détermination de la peine. Le mieux qu’on puisse dire au sujet de l’art. 320.23 en tant qu’élément appuyant la position de la Couronne en l’espèce est qu’il démontre qu’une déclaration de culpabilité n’est pas synonyme de condamnation, ce dont je conviens.
b) La règle interdisant les condamnations multiples
[70] L’interprétation du par. 320.24(4) proposée par la Couronne permettrait d’infliger à l’appelant une peine d’emprisonnement par suite de ses condamnations pour négligence criminelle ayant causé la mort et des lésions corporelles, de même que des interdictions de conduire parce qu’il a été « déclaré coupable » de conduite dangereuse causant la mort et des lésions corporelles. Dans Boily, la juge en chef adjointe Fairburn a dit craindre que [traduction] « si [le contrevenant] est accusé de l’infraction incluse, l’interprétation de [la Couronne] a pour effet de créer une peine à l’égard d’un crime qui, par application des principes de l’arrêt Kienapple, entraînerait nécessairement un arrêt conditionnel des procédures étant donné que nul ne peut être puni deux fois pour la même infraction » (par. 57; voir aussi le par. 58).
[71] La règle de l’arrêt Kienapple empêche qu’un accusé soit condamné pour de multiples infractions lorsqu’il existe un lien factuel et juridique entre ces infractions (Kienapple; R. c. Prince, 1986 CanLII 40 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 480). Un lien factuel existe lorsque le même acte sert de fondement à plus d’une accusation (Prince, p. 492‑493). Un lien juridique existe lorsque « l’infraction à l’égard de laquelle on tente d’éviter une déclaration de culpabilité en invoquant le principe de l’arrêt Kienapple ne comporte pas d’éléments supplémentaires et distinctifs qui touchent à la culpabilité » (p. 498‑499; voir aussi S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶14.33). Bref, la règle interdit plus d’une condamnation découlant du même délit (Kienapple, p. 748; Prince, p. 488‑490).
[72] Dans les situations où il y a eu de multiple déclarations de culpabilité et où il est jugé que l’arrêt Kienapple s’applique, la condamnation du contrevenant et la détermination de sa peine devraient être fondées sur l’infraction la plus grave, et un arrêt conditionnel des procédures devrait être ordonné relativement à l’infraction la moins grave (Provo, p. 16; R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215, par. 13 et 15).
[73] La règle peut s’appliquer pour empêcher les condamnations multiples dans le cas de deux accusations découlant d’un même délit lorsque l’une des accusations est incluse dans l’autre (voir, p. ex., R. c. Doliente, 1997 CanLII 341 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 11). Cela pourrait certainement être le cas lorsqu’un contrevenant a été déclaré coupable à la fois d’une infraction de négligence criminelle et d’une infraction de conduite dangereuse ayant fait l’objet d’une accusation distincte (voir, p. ex., R. c. Lights, 2017 ONSC 5153, 18 M.V.R. (7th) 110, par. 1, conf. par 2020 ONCA 102, 60 M.V.R. (7th) 47; R. c. Bhangal, 2016 ONCA 857, 100 M.V.R. (6th) 173, par. 3; R. c. Mowlai, 2017 ONSC 4815, 15 M.V.R. (7th) 38). Que l’interdiction visant les condamnations multiples dans le cas d’infractions incluses résulte de l’application de la règle de l’arrêt Kienapple ou d’une règle de nature similaire spécifique aux infractions incluses (voir R. c. Doliente (1996), 1996 CanLII 17942 (AB CA), 108 C.C.C. (3d) 137 (C.A. Alb.), p. 152‑154, le juge Harradence, dissident, inf. par [1997] 2 R.C.S. 11; R. c. K. (R.) (2005), 2005 CanLII 21092 (ON CA), 198 C.C.C. (3d) 232 (C.A. Ont.), par. 35), il ne fait aucun doute que les condamnations multiples sont interdites dans ce contexte.
[74] En l’espèce, rien n’indique que la règle de l’arrêt Kienapple s’applique directement, car l’appelant n’a pas été condamné à l’égard d’infractions multiples découlant du même délit. Il a seulement été condamné pour les infractions de négligence criminelle. Mais si l’acte d’accusation avait comporté des chefs distincts imputant la conduite dangereuse, l’appelant n’aurait pas pu être condamné relativement à tous les chefs. Le juge du procès aurait été tenu de déterminer quels chefs feraient l’objet d’un arrêt des procédures par application de la règle de l’arrêt Kienapple. À mon sens, accepter l’argument de la Couronne concernant le par. 320.24(4) aurait néanmoins pour effet de permettre l’infliction d’une peine à l’égard des infractions visées par l’arrêt des procédures.
[75] J’ai pris bonne note de la clarification qu’a apportée à l’audience le procureur de la Couronne selon laquelle, suivant l’argument de la Couronne, les interdictions de conduire s’attacheraient formellement aux condamnations pour négligence criminelle et non aux déclarations de culpabilité implicites à l’égard des infractions incluses de conduite dangereuse (transcription, p. 60‑61). Cette clarification pourrait permettre de répondre à la préoccupation d’ordre pratique soulevée par la juge en chef adjointe Fairburn en ce qui a trait à [traduction] « la façon de faire état dans le casier judiciaire d’un individu de la peine infligée à l’égard d’une infraction visée par un arrêt des procédures » (Boily, par. 58). Mais le par. 320.24(4) prévoit néanmoins une peine — une interdiction de conduire discrétionnaire — relativement à la conduite dangereuse, et non à la négligence criminelle.
[76] Selon moi, la règle bien établie contre les condamnations multiples constitue un principe juridique pertinent qui influe sur l’interprétation du par. 320.24(4). L’idée voulant qu’une condamnation pour une infraction donnée ouvre la porte à des peines non expressément prévues pour cette infraction, mais basées par implication sur celles applicables à l’égard d’une infraction incluse, s’accorde mal avec la règle interdisant les condamnations multiples. Cela découle du fait que l’application de la règle aurait pour effet d’empêcher l’infliction d’une peine pour l’infraction incluse si celle‑ci a fait l’objet d’un chef distinct sur l’acte d’accusation.
(3) L’objectif législatif
[77] Comme l’explique Ruth Sullivan, [traduction] « [d]ans la mesure où le libellé du texte le permet, les interprétations qui sont conformes à l’objectif législatif ou qui favorisent sa réalisation devraient être adoptées, tandis que les interprétations qui contrecarrent l’objectif législatif ou minent sa réalisation devraient être évitées » (§ 9.01[1]; voir aussi Côté, Beaulac et Devinat, p. 455‑457).
[78] Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le projet de loi C‑46 favorisait la réalisation des objectifs que sont « la cohérence, l’efficacité, la simplification et la modernisation des dispositions du Code criminel visant les infractions de conduite » (par. 57; voir aussi Boily, par. 11). Par ce texte de loi, le Parlement a abrogé les dispositions du Code criminel relatives à la conduite et les a réédictées dans une partie nouvelle et complète, la partie VIII.1 (« Infractions relatives aux moyens de transport »). Cette nouvelle partie contient une déclaration de principe, énonce les infractions de conduite et les peines applicables, et comporte diverses dispositions sur la détermination de la peine, les enquêtes et les règles de preuve. Plusieurs infractions qui pouvaient uniquement être poursuivies par voie de mise en accusation ont été transformées en infractions hybrides, donnant ainsi plus de latitude aux poursuivants dans les cas les moins graves (par. 320.13(2), 320.14(2), 320.15(2) et 320.16(2)). Les comptes rendus du Hansard révèlent que les parlementaires étaient au fait de ce changement (Débats de la Chambre des communes, 19 mai 2017, p. 11491‑11492 (P. Damoff); Débats du Sénat, vol. 150, no 156, 1re sess., 42e lég., 7 novembre 2017, p. 4103 (l’hon. G. Boniface)).
[79] Le projet de loi C‑46 a également haussé certaines peines maximales, ce qui, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, constituait un autre thème clé du texte de loi (par. 57). À mon avis, bien que ces modifications favorisent indubitablement l’objectif législatif consistant à « dissuader quiconque de conduire un moyen de transport de façon dangereuse ou avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue » (al. 320.12b)), elles servent principalement à favoriser la réalisation des objectifs de simplification, de cohérence et d’efficacité du projet de loi C‑46. La nouvelle peine d’emprisonnement maximale de 14 ans pour conduite dangereuse causant des lésions corporelles (par. 320.13(2)), lorsque l’infraction est poursuivie par voie de mise en accusation, concorde avec la peine prévue pour les autres infractions de conduite lorsque des lésions corporelles s’ensuivent (par. 320.14(2), 320.15(2) et 320.16(2)). Il en va de même pour la conduite dangereuse causant la mort (par. 320.13(3)), dont la peine maximale est passée à l’emprisonnement à perpétuité — comme pour les autres infractions relatives à la conduite qui entraînent la mort. Ici encore, les parlementaires ont reconnu que le projet de loi C‑46 apportait de l’uniformité au régime des peines (Débats de la Chambre des communes, 19 mai 2017, p. 11492 (P. Damoff); Débats du Sénat, 7 novembre 2017, p. 4103 (l’hon. G. Boniface).
[80] Il importe de souligner que les peines plus sévères expressément édictées par le projet de loi C‑46 à l’égard des infractions de conduite dangereuse sont supérieures ou égales à celles pouvant être infligées pour les infractions de négligence criminelle. La peine maximale pour conduite dangereuse causant la mort (par. 320.13(3)) est maintenant égale à celle pour négligence criminelle causant la mort (art. 220) : l’emprisonnement à perpétuité, soit la peine d’incarcération la plus lourde prévue au Code criminel. La peine maximale de 14 ans pour conduite dangereuse causant des lésions corporelles (par. 320.13(2)) excède maintenant la peine maximale de 10 ans applicable en cas de négligence criminelle causant des lésions corporelles (art. 221).
[81] Selon moi, ces changements favorisent la réalisation des objectifs du Parlement visant à établir, dans une seule et même partie du Code criminel, un régime simplifié, cohérent et efficace à l’égard des infractions de conduite. Ils signalent que le recours aux infractions de conduite dangereuse prévues à l’art. 320.13 permet de lutter plus efficacement contre la conduite dangereuse, car ces infractions sont devenues plus polyvalentes (vu leur nature hybride) et conformes aux autres infractions de conduite causant des préjudices similaires (du point de vue des peines). Ainsi que l’a fait remarquer une parlementaire durant les débats : « En ayant des peines plus sévères dans les cas de conduite dangereuse causant la mort, il ne serait plus nécessaire de déposer plus d’un chef d’accusation pour obtenir la peine d’emprisonnement à perpétuité » (Débats de la Chambre des communes, 19 mai 2017, p. 11492 (P. Damoff) (je souligne)).
[82] Je note que des praticiens et des tribunaux ont reconnu les avantages que présentent pour la poursuite le fait de recourir aux dispositions de conduite dangereuse plutôt qu’à celles de négligence criminelle depuis l’édiction du projet de loi C‑46. Dans leur ouvrage Impaired Driving and Other Criminal Code Driving Offences, Jokinen et Keen disent [traduction] « prédire que la négligence criminelle tombera en désuétude dans les poursuites en matière de conduite, étant donné qu’il s’agit d’une infraction plus difficile à prouver, et que d’autres infractions, telle la conduite dangereuse, sont dorénavant passibles de peines plus sévères » (p. 531). Ils énumèrent plusieurs avantages que présentent, du point de vue de la Couronne, le fait d’engager des poursuites fondées sur les infractions de conduite dangereuse : les peines maximales accrues, la nature hybride de l’infraction de conduite dangereuse causant des lésions corporelles, ainsi que les amendes et peines d’emprisonnement minimales qui ne s’appliquent pas dans le cas de la négligence criminelle (p. 157). Dans l’arrêt Boily, la juge en chef adjointe Fairburn a fait une observation similaire au sujet de la parité entre les peines maximales d’emprisonnement applicables aux infractions de conduite dangereuse causant la mort et de négligence criminelle causant la mort, à savoir l’emprisonnement à perpétuité (par. 73).
[83] En l’espèce, la Cour d’appel a estimé qu’il serait absurde que le par. 320.24(4) ne permette pas d’imposer des interdictions de conduire en cas de condamnations pour négligence criminelle, car [traduction] « en étant condamnés pour l’infraction plus grave — la négligence criminelle —, les contrevenants seraient assujettis à des conséquences moins graves que s’ils étaient condamnés pour une infraction moindre et incluse » (par. 79; voir aussi Boily, par. 50). La Couronne soutient que l’effet de l’interprétation du par. 320.24(4) proposée par l’appelant consisterait en une [traduction] « inversion de la relation entre la peine et la gravité de l’infraction » (m.i., par. 81; voir aussi le par. 93).
[84] Compte tenu des objectifs visés par le projet de loi C‑46, je ne saurais accepter que l’exclusion des infractions de négligence criminelle du champ d’application du par. 320.24(4) serait incompatible avec l’objectif législatif ou représenterait une absurdité. Au contraire, cette interprétation est parfaitement compatible avec l’objet déclaré du projet de loi C‑46 et ce qu’a effectivement édicté le Parlement. Au fil du temps, le Parlement en est venu à insister de plus en plus sur la gravité de la conduite dangereuse en haussant progressivement les peines rattachées à l’infraction de conduite dangereuse. Le projet de loi C‑46 a constitué le point où ces peines ont rejoint ou surpassé celles applicables à l’égard de la négligence criminelle — une infraction de nature plus générale qui n’est pas unique au contexte de la conduite. Les auteurs Jokinen et Keen ont fait remarquer qu’en conséquence [traduction] « la négligence criminelle n’est plus l’infraction pénale la plus grave » dans les poursuites en matière de conduite (Impaired Driving and Other Criminal Code Driving Offences : A Practitioner’s Handbook (2019), p. 137). Je reconnais que la conduite dangereuse constitue néanmoins une infraction incluse de l’infraction de négligence criminelle en vertu du par. 662(5). Mais les modifications législatives apportées au régime des peines affaiblissent sérieusement l’argument d’absurdité avancé par la Couronne. Il faudra peut‑être, à la suite de l’édiction du projet de loi C‑46, revoir le postulat selon lequel la négligence criminelle est relativement plus grave que la conduite dangereuse.
[85] Selon ma collègue, bien que « des peines plus longues puissent être infligées pour l’infraction de conduite dangereuse d’un moyen de transport, l’infraction de négligence criminelle constitue une infraction au moins tout aussi grave [que la conduite dangereuse] » (motifs de la juge Moreau, par. 140 (je souligne)). À mon avis, pour que l’argument d’absurdité ait quelque valeur, il faut démontrer que les infractions de négligence criminelle sont plus graves que la conduite dangereuse. L’existence de considérations faisant contrepoids qui appuient d’autres points de vue quant à la gravité relative de ces infractions vient contrecarrer l’argument d’absurdité de la Couronne. Il était loisible au Parlement de modifier le régime de détermination de la peine pour les infractions de conduite; l’exclusion des infractions de négligence criminelle du champ d’application du par. 320.24(4) est seulement absurde si on applique le droit antérieur au droit actuel et si on fait abstraction de ce qu’a fait le Parlement en réformant le régime des peines dans le projet de loi C‑46.
[86] Je conclus que l’exclusion des infractions de négligence criminelle de la liste des infractions énumérées pouvant entraîner une interdiction de conduire discrétionnaire en vertu du par. 320.24(4) n’est pas absurde ou incompatible avec l’objectif législatif. Il est par conséquent inutile de donner à l’expression « déclaré coupable » (« found guilty ») figurant dans cette disposition le sens préconisé par la Couronne afin d’éviter un tel résultat.
[87] En outre, le fait de changer l’événement qui déclenche l’application du par. 320.24(4) de « déclaré coupable ou absous sous le régime de l’article 730 » à « déclaré coupable » dans la version française, et de « convicted or discharged under section 730 » à « found guilty » dans la version anglaise, est un changement logique au regard des objectifs législatifs de simplicité, de cohérence et d’efficacité. Comme je l’ai expliqué, une déclaration de culpabilité relativement à une accusation en particulier peut mener à plusieurs résultats distincts, notamment une condamnation, une absolution ou un arrêt des procédures. Toutefois, le par. 320.24(4) concerne le contexte de la détermination de la peine (compte tenu des mots « [l]e tribunal qui inflige une peine au contrevenant »). Comme le souligne la Couronne, [traduction] « [s]eules deux solutions sont possibles à ce stade : une condamnation et une peine, ou une absolution » (m.i., par. 49). L’utilisation de l’expression « déclaré coupable » (« found guilty ») favorise la simplicité et l’économie de mots, puisque cette expression couvre les deux situations, c’est‑à‑dire la condamnation et l’absolution (voir Boily, par. 61). Le changement semble aussi refléter une tentative d’harmonisation des versions française et anglaise de la disposition, compte tenu du fait que tant dans la version française de l’ancien par. 259(2) que dans celle du nouveau par. 320.24(4), les mots « déclaré coupable » sont utilisés. Une telle harmonisation serait tout à fait compatible avec l’objectif du projet de loi C‑46 qui, comme l’a exprimé la ministre de la Justice, consiste à réédicter le régime des infractions de conduite d’une façon qui est « plus claire et mieux structurée » (Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, no 34, 1re sess., 42e lég., 31 janvier 2018, p. 34:10 (l’hon. J. Wilson‑Raybould)).
(4) Conclusion sur l’interprétation du par. 320.24(4)
[88] Une interdiction de conduire peut être imposée en vertu du par. 320.24(4) lorsque le contrevenant a été déclaré coupable d’une infraction énumérée à ce paragraphe. Cela exige une déclaration judiciaire expresse à l’égard d’une infraction mentionnée dans le document d’accusation ou incluse dans une infraction y figurant (lorsque l’infraction imputée n’est pas prouvée). Cette interprétation trouve appui dans le texte clair et simple du par. 320.24(4), les dispositions législatives qui l’entourent et l’objectif législatif, ainsi que les principes du droit criminel — dont on ne peut supposer que le Parlement se soit écarté à la légère.
[89] La Couronne fait valoir que, lorsqu’un contrevenant est condamné pour une infraction de négligence criminelle, il est nécessairement « déclaré coupable », au sens du par. 320.24(4), de l’infraction incluse de conduite dangereuse. Elle reconnaît qu’il s’agirait d’une [traduction] « nouvelle approche relativement à l’imposition des interdictions de conduire » (m.i., par. 3). Toutefois, à l’instar de la juge en chef adjointe Fairburn dans Boily, je suis d’avis que si [traduction] « le Parlement avait eu l’intention d’emprunter une voie aussi inédite [. . .] en droit criminel, on peut penser que la clarté aurait été de mise » (par. 59). Le fait que le Parlement aurait employé une nouvelle technique de rédaction, comme le prétend la Couronne, est tout sauf évident. La mécanique des infractions incluses, qui fournit un avis raisonnable d’une voie subsidiaire menant à un verdict de culpabilité, ne constitue pas un fondement persuasif pour l’idée qu’une déclaration de culpabilité (ouvrant la porte à l’infliction d’une peine) puisse être implicitée. L’interprétation que propose la Couronne cadre mal avec les dispositions législatives contenues dans la nouvelle partie VIII.1 du Code criminel ainsi qu’avec la règle interdisant les condamnations multiples.
[90] Enfin, je ne suis pas convaincue qu’il est nécessaire d’accepter l’interprétation du par. 320.24(4) proposée par la Couronne pour éviter une absurdité ou une incompatibilité avec l’objectif législatif. En édictant le projet de loi C‑46, le Parlement a choisi de regrouper les infractions spécifiques à la conduite dans une partie autonome du Code criminel, de les rendre plus polyvalentes, de hausser les peines applicables à leur égard et de prévoir des solutions uniques et spécifiques à la conduite en matière de détermination de la peine. La logique ayant amené le Parlement à exclure les infractions générales que sont la négligence criminelle et l’homicide involontaire coupable — qui ne sont pas spécifiques au contexte de la conduite — du champ d’application du par. 320.24(4) est manifeste compte tenu de l’accent mis sur le renforcement de l’utilité des dispositions du Code criminel spécifiques à la conduite. Les réformes concordent avec les objectifs du projet de loi C‑46 et les buts déclarés de la ministre de la Justice, soit clarifier et simplifier les dispositions criminelles relatives à la conduite.
VI. Conclusion
[91] L’appelant a été condamné pour négligence criminelle causant la mort et négligence criminelle causant des lésions corporelles, des infractions qui ne sont pas énumérées au par. 320.24(4). Il n’a pas été « déclaré coupable » d’une infraction énumérée au sens de cette disposition. Par conséquent, les interdictions de conduire discrétionnaires ne constituaient pas des peines applicables.
[92] Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’ordonnance d’interdiction de conduire visant M. Wolfe.
Version française des motifs des juges Côté, Kasirer, Jamal et Moreau rendus par
La juge Moreau —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Survol
93
II. Contexte
100
III. Question en litige
104
IV. Analyse
105
A. La méthode moderne d’interprétation législative
105
B. Une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale emporte nécessairement une déclaration de culpabilité à l’égard d’infractions moindres et incluses
108
(1) Le concept de déclaration de culpabilité au par. 320.24(4) est distinct du concept de condamnation ou absolution
109
(2) Une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale emporte nécessairement des déclarations de culpabilité à l’égard des infractions moindres et incluses prévues au Code criminel
118
(3) Une déclaration de culpabilité pour négligence criminelle aux termes des art. 220 ou 221, lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport, emporte une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse aux termes de l’art. 320.13
121
(4) L’applicabilité d’une ordonnance d’interdiction de conduire à titre de peine pour négligence criminelle est conforme aux principes du droit criminel
123
C. Les conséquences des interprétations opposées du par. 320.24(4)
131
(1) L’applicabilité d’une ordonnance d’interdiction de conduire à titre de peine pour négligence criminelle est conforme aux objectifs déclarés du par. 320.24(4)
134
(2) La négligence criminelle est une infraction au moins aussi grave que la conduite dangereuse d’un moyen de transport
140
D. Conclusion
143
V. Dispositif
144
I. Survol
[93] Il s’agit en l’espèce de décider si le par. 320.24(4) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, autorise le tribunal à rendre une ordonnance d’interdiction de conduire à la suite de condamnations pour négligence criminelle causant la mort ou pour négligence criminelle causant des lésions corporelles aux termes de l’al. 220b) ou de l’art. 221 du Code criminel respectivement. Le paragraphe 320.24(4) est entré en vigueur le 18 décembre 2018, par l’adoption du projet de loi C‑46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2018, c. 21.
[94] Le projet de loi C‑46 prévoyait des modifications concernant les infractions liées à la conduite dans le Code criminel. L’article 15 du projet de loi C‑46 est devenu la partie VIII.1 du Code criminel, intitulée « Infractions relatives aux moyens de transport », et il a remplacé bon nombre des anciennes dispositions de la partie VIII portant sur les infractions de conduite. Les modifications du projet de loi C‑46 comprenaient le remplacement du par. 259(2) par le par. 320.24(4). Deux modifications notables différencient le nouveau par. 320.24(4) de l’ancien par. 259(2). Premièrement, aux termes de la version anglaise de l’ancien par. 259(2) le tribunal était autorisé à rendre une ordonnance d’interdiction de conduire lorsqu’un contrevenant était « convicted or discharged » (« condamné ou absous ») d’une infraction énumérée. C’est‑à‑dire qu’une ordonnance d’interdiction de conduire pouvait uniquement être rendue à la suite d’une condamnation ou absolution sous le régime de l’art. 730 du Code criminel à l’égard d’une infraction énumérée à l’ancien par. 259(2). Le nouveau par. 320.24(4) trouve quant à lui application lorsqu’un contrevenant est « found guilty » (« déclaré coupable ») d’une infraction énumérée. Deuxièmement, l’ancien par. 259(2) mentionnait expressément les infractions de négligence criminelle causant la mort (art. 220) ou des lésions corporelles (art. 221). Le paragraphe 320.24(4) ne fait toutefois aucunement mention de ces dispositions, et les infractions énumérées comprennent uniquement des infractions spécifiques à la conduite, notamment la conduite dangereuse causant la mort ou des lésions corporelles (art. 320.13).
[95] Voici le texte du par. 320.24(4) :
(4) If an offender is found guilty of an offence under section 320.13, subsection 320.14(2) or (3), 320.15(2) or (3) or under any of sections 320.16 to 320.18, the court that sentences the offender may, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, make an order prohibiting the offender from operating the type of conveyance in question during a period to be determined in accordance with subsection (5).
(4) Le tribunal qui inflige une peine au contrevenant déclaré coupable d’une infraction prévue à l’article 320.13, aux paragraphes 320.14(2) ou (3) ou 320.15(2) ou (3), ou à l’un des articles 320.16 à 320.18 peut rendre, en plus de toute autre peine applicable à cette infraction, une ordonnance lui interdisant de conduire le moyen de transport en cause durant la période établie conformément au paragraphe (5).
[96] L’introduction des mots « found guilty » dans la version anglaise de la disposition constitue un changement clair par rapport à la version anglaise de l’ancien par. 259(2), qui énonçait ce qui suit :
(2) If an offender is convicted or discharged under section 730 of an offence under section 220, 221, 236, 249, 249.1, 250, 251 or 252 or any of subsections 255(2) to (3.2) committed by means of a motor vehicle, a vessel, an aircraft or railway equipment, the court that sentences the offender may, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, make an order prohibiting the offender from operating a motor vehicle on any street, road, highway or other public place, or from operating a vessel, an aircraft or railway equipment, as the case may be . . .
(2) Lorsqu’un contrevenant est déclaré coupable ou absous sous le régime de l’article 730 d’une infraction prévue aux articles 220, 221, 236, 249, 249.1, 250, 251 ou 252 ou à l’un des paragraphes 255(2) à (3.2) commise au moyen d’un véhicule à moteur, d’un bateau, d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, le tribunal qui lui inflige une peine peut, en plus de toute autre peine applicable en l’espèce, rendre une ordonnance lui interdisant de conduire un véhicule à moteur dans une rue, sur un chemin ou une grande route ou dans tout autre lieu public, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire . . .
[97] Je conclus que, interprété comme il se doit, le par. 320.24(4) autorise bel et bien les juges chargés de la détermination de la peine à rendre une ordonnance d’interdiction de conduire lorsqu’un contrevenant est condamné pour une infraction prévue aux art. 220 ou 221 du Code criminel. Je suis en désaccord avec les juges majoritaires sur deux points principaux. Premièrement, une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale emporte nécessairement une déclaration de culpabilité à l’égard de toute infraction moindre et incluse. Aux termes du par. 662(5) du Code criminel, lorsque la négligence criminelle prévue aux art. 220 et 221 découle de la conduite d’un moyen de transport, la conduite dangereuse de celui‑ci en contravention de l’art. 320.13 constitue une infraction moindre et incluse de négligence criminelle. Par conséquent, lorsque la négligence criminelle découle de la conduite d’un moyen de transport, une déclaration de culpabilité pour négligence criminelle emporte nécessairement une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse d’un moyen de transport.
[98] Deuxièmement, l’interprétation que font les juges majoritaires du par. 320.24(4) entraîne la conséquence absurde qu’un tribunal peut rendre une ordonnance d’interdiction de conduire pour une infraction moindre et incluse, mais non pour l’infraction principale, laquelle requiert une mens rea plus élevée. Leur interprétation est incompatible avec les objectifs de la partie VIII.1 du Code criminel (« Infractions relatives aux moyens de transport »), notamment au chapitre de la cohérence, de la sécurité publique et de la dissuasion à l’égard des infractions liées à la conduite. Vu la gravité de la négligence criminelle et les préoccupations du Parlement en matière de sécurité publique, il serait absurde de prétendre que le Parlement entendait que des ordonnances d’interdiction de conduire ne puissent être rendues à la suite d’une condamnation pour négligence criminelle.
[99] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le pourvoi.
II. Contexte
[100] L’appelant, Braydon Wolfe, a conduit son véhicule en sens contraire à la circulation et a percuté de plein fouet un véhicule dans lequel se trouvait une famille. La collision a blessé grièvement une femme et tué son mari et leur enfant. Au terme de son procès, l’appelant a été condamné le 8 décembre 2020 à l’égard de deux chefs de négligence criminelle causant la mort et d’un chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention de l’al. 220b) et de l’art. 221 du Code criminel respectivement. Dans ses motifs de jugement, le juge du procès a indiqué que s’il se trompait quant aux éléments de l’infraction de négligence criminelle, la Couronne avait néanmoins prouvé tous les éléments des infractions de conduite dangereuse d’un moyen de transport causant la mort et de conduite dangereuse d’un moyen de transport causant des lésions corporelles en contravention de l’art. 320.13 du Code criminel (2020 SKQB 324, 73 M.V.R. (7th) 242).
[101] Le juge du procès a infligé à l’appelant une peine d’emprisonnement globale de 6 ans, puis il a rendu des ordonnances d’interdiction de conduire de 10 ans pour chacun des chefs de négligence criminelle causant la mort, et une autre de 7 ans pour le chef de négligence criminelle causant des lésions corporelles, en plus d’une ordonnance de prélèvement d’un échantillon d’ADN (2021 SKQB 141, 84 M.V.R. (7th) 257).
[102] L’appelant a interjeté appel de la durée de sa peine d’emprisonnement à la Cour d’appel de la Saskatchewan. La Cour d’appel a soulevé la question de savoir si la loi autorisait les ordonnances d’interdiction de conduire rendues en l’espèce, et elle a invité les parties à présenter des observations à ce sujet. La Cour d’appel a ultimement rejeté l’appel et maintenu les ordonnances d’interdiction de conduire (2022 SKCA 132, [2023] 3 W.W.R. 574).
[103] L’appelant interjette maintenant appel des ordonnances d’interdiction de conduire devant notre Cour. Il soutient que le juge chargé de la détermination de la peine n’avait pas le pouvoir de rendre les ordonnances d’interdiction de conduire en vertu du par. 320.24(4) du Code criminel, parce que cette disposition n’inclut pas les art. 220 et 221 du Code criminel parmi les infractions énumérées permettant de rendre de telles ordonnances.
III. Question en litige
[104] Il s’agit en l’espèce de décider si le par. 320.24(4) du Code criminel permet aux juges chargés de la détermination de la peine de rendre des ordonnances d’interdiction de conduire à la suite de condamnations pour négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles, aux termes de l’al. 220b) et de l’art. 221 du Code criminel respectivement, lorsque ces infractions découlent de la conduite d’un moyen de transport.
IV. Analyse
A. La méthode moderne d’interprétation législative
[105] Le paragraphe 320.24(4) doit être interprété conformément à la méthode moderne d’interprétation législative. Cette méthode exige de lire les mots d’une disposition [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967, par. 24, citant Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). L’interprétation législative consiste à « dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de cette loi » (Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, [2020] 2 R.C.S. 763, par. 21; voir aussi La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 22; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 et 27). Le sens ordinaire du texte n’est pas déterminant en soi. Pour dégager l’intention du législateur, le texte d’une disposition doit être mis en contexte et considéré au regard d’autres indicateurs du sens de la loi, dont les objectifs législatifs (La Presse, par. 23; Alex, par. 31).
[106] Les conséquences de l’adoption d’une interprétation particulière constituent un outil important dans la méthode moderne d’interprétation législative. Celles qui sont compatibles avec l’objet et l’économie de la loi sont présumées avoir été souhaitées. À l’inverse, les conséquences qui sont absurdes ou autrement inacceptables sont présumées ne pas avoir été souhaitées (Rizzo, par. 27; Wang c. British Columbia (Securities Commission), 2023 BCCA 101, 480 D.L.R. (4th) 1, par. 42‑43, cité dans R. c. Francisco, 2023 BCCA 450, 433 C.C.C. (3d) 1, par. 34; R. Sullivan, « Statutory Interpretation in a New Nutshell » (2003), 82 R. du B. can. 51, p. 63). Plus grande est l’absurdité qui découle d’une interprétation particulière, plus l’interprète est justifié de la rejeter, pourvu que les mots de la disposition puissent raisonnablement étayer l’interprétation retenue au bout du compte (Wang, par. 42‑43; Sullivan, p. 64).
[107] L’issue de la présente affaire dépend en grande partie de l’interprétation des mots « déclaré coupable » au par. 320.24(4). En interprétant ce paragraphe, j’examine d’abord la mécanique des déclarations de culpabilité en ce qui a trait aux infractions moindres et incluses, et ensuite les conséquences des interprétations opposées pouvant être données à cette disposition.
B. Une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale emporte nécessairement une déclaration de culpabilité à l’égard d’infractions moindres et incluses
[108] Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire qu’il existe une distinction pertinente entre une déclaration de culpabilité et une condamnation ou une absolution pour l’application du par. 320.24(4). Cependant, comme je suis d’avis qu’une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction donnée emporte nécessairement une déclaration de culpabilité à l’égard d’infractions moindres et incluses, il s’ensuit qu’une déclaration de culpabilité pour négligence criminelle, lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport, constitue également une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse.
(1) Le concept de déclaration de culpabilité au par. 320.24(4) est distinct du concept de condamnation ou absolution
[109] Les concepts de déclaration de culpabilité et de condamnation ou absolution sont distincts et ne sont pas interchangeables. Le remplacement des mots « convicted or discharged » par « found guilty » dans la version anglaise du par. 320.24(4) indique qu’une condamnation ou une absolution à l’égard d’une des infractions énumérées à ce paragraphe n’est pas essentielle pour qu’une ordonnance d’interdiction de conduire valide soit imposée. Au contraire, seulement une déclaration de culpabilité à l’égard d’une des infractions énumérées est requise. La présence des mots « found guilty » au lieu de « convicted or discharged » permet que soit rendue une ordonnance d’interdiction de conduire avant l’inscription d’une condamnation (R. c. Boily, 2022 ONCA 611, 163 O.R. (3d) 161, par. 62).
[110] La Cour d’appel de la Saskatchewan a recensé plusieurs exemples dans le Code criminel et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), qui illustrent la distinction entre une déclaration de culpabilité et une condamnation. Par exemple, les dispositions portant sur l’absolution en vertu des par. 730(1) et 667(1) du Code criminel indiquent clairement que d’autres issues que la condamnation sont possibles à la suite d’une déclaration de culpabilité. De manière analogue, les art. 42 et 82 de la LSJPA établissent clairement que les jeunes contrevenants sont déclarés coupables sans pour autant faire l’objet de condamnations.
[111] Un autre exemple est la défense de provocation policière, laquelle peut uniquement être examinée après une déclaration de culpabilité, mais avant l’inscription d’une condamnation (R. c. Pearson, 1998 CanLII 776 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 620, par. 5; R. c. Ahmad, 2020 CSC 11, [2020] 1 R.C.S. 577). Bien que la provocation policière puisse constituer une défense pour les personnes déclarées coupables d’une infraction en particulier, elle fonctionne différemment des autres moyens de défense prévus au Code criminel sous trois rapports. Premièrement, une conclusion de provocation policière n’enlève rien aux éléments constitutifs de l’infraction. En d’autres termes, lorsqu’un tribunal détermine que les policiers ont amené un individu à commettre une infraction par provocation policière, ce tribunal reconnaît que chacun des éléments essentiels de l’infraction a été prouvé (voir R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903, p. 972; Ahmad, par. 17). Deuxièmement, lorsque la provocation policière est établie selon la prépondérance des probabilités, le tribunal prononce un arrêt des procédures, mais, contrairement aux autres moyens de défense, l’accusé n’est pas acquitté pour autant à l’égard de toute accusation connexe. Troisièmement, la défense de provocation policière, contrairement à la plupart des autres défenses, doit être examinée après une déclaration de culpabilité, mais avant l’inscription formelle d’une condamnation, afin de maintenir la possibilité de prononcer un arrêt des procédures (voir Pearson, par. 5).
[112] La différence de libellé entre la version anglaise du par. 259(2) et celle du par. 320.24(4), considérée en corrélation avec les exemples de dispositions du Code criminel et de la LSJPA mentionnés plus haut, appuie la conclusion selon laquelle les concepts de condamnation et déclaration de culpabilité ne sont pas interchangeables. Comme l’illustrent ces exemples, une condamnation ne suit pas nécessairement une déclaration de culpabilité. Cependant, lorsqu’une condamnation est inscrite à l’égard d’une infraction, cela signifie toujours que le contrevenant a été déclaré coupable de cette infraction.
[113] Une condamnation ou une absolution n’est pas toujours nécessaire pour qu’une peine soit infligée. L’article 320.23, une autre modification apportée par le projet de loi C‑46, permet au tribunal de reporter la détermination de la peine d’une personne déclarée coupable d’une infraction découlant de la conduite d’un moyen de transport afin qu’elle puisse participer à un programme de traitement et demander une absolution médicale. Dans de telles circonstances, puisque le contrevenant a été « déclaré coupable », le tribunal peut rendre une ordonnance d’interdiction de conduire en vertu du par. 320.24(4) et ainsi lui retirer ses privilèges de conduite avant l’inscription d’une condamnation.
[114] Ma collègue souligne à juste titre que les mots utilisés dans la version française de l’ancien par. 259(2) — « déclaré coupable » — n’ont pas changé, alors que dans la version anglaise du par. 320.24(4) le terme « convicted » a été remplacé par « found guilty », et que les versions anglaise et française du Code criminel ont également force de loi. Toutefois, le terme « déclaration de culpabilité » peut s’entendre tant d’une déclaration de culpabilité comme telle que d’une condamnation, bien qu’il existe une distinction importante entre les deux (voir, p. ex., R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 57‑58). Les mots « déclaré coupable » sont employés ailleurs dans le Code criminel, indépendamment du fait que la version anglaise emploie les mots « convicted » ou « found guilty » (voir, p. ex., le par. 2.2(2) et les art. 9, 15 et 284). Par conséquent, en l’espèce, l’emploi des mots « déclaré coupable » dans la version française du par. 259(2) et celle du par. 320.24(4) n’aide pas à déterminer si le Parlement entendait créer une nouvelle approche concernant l’imposition d’ordonnances d’interdiction de conduire en faisant une distinction entre la déclaration de culpabilité et la condamnation ou l’absolution.
[115] L’évolution d’une disposition législative est utile pour déterminer la signification qu’on entendait lui donner (R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, par. 33; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 43‑44; R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 23.02[2]). Si le législateur avait voulu que les concepts de déclaration de culpabilité et de condamnation ou d’absolution soient interchangeables, il n’y aurait eu aucune raison d’effectuer le changement dans la version anglaise du par. 320.24(4). Les versions anglaise et française du par. 320.24(4) doivent être lues ensemble. Le changement apporté au libellé anglais, soit le remplacement des mots « convicted or discharged » qui figuraient au par. 259(2) par les mots « found guilty » au par. 320.24(4), éclaire l’interprétation des mots « déclaré coupable » dans la version française et tend à indiquer que ceux‑ci s’entendent maintenant d’une déclaration de culpabilité dans le contexte du par. 320.24(4).
[116] Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel au par. 74 de sa décision :
[traduction] . . . tout comme il faut considérer que le Parlement a agi intentionnellement lorsqu’il a supprimé la mention explicite des art. 220 et 221 au par. 320.24(4), il faut aussi considérer que le Parlement a agi intentionnellement lorsqu’il a modifié la description de l’événement qui déclenche l’application de la disposition en remplaçant « convicted or discharged under section 730 » relativement à une infraction énumérée par « found guilty » relativement à une infraction énumérée, et qu’il a fait cela en ayant à l’esprit la différence entre ces concepts. [En italique dans l’original.]
[117] Pour trancher le présent pourvoi, cependant, nous devons statuer sur la question additionnelle de savoir si une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale constitue également une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse.
(2) Une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale emporte nécessairement des déclarations de culpabilité à l’égard des infractions moindres et incluses prévues au Code criminel
[118] Une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction principale implique nécessairement, par l’effet de la loi, une déclaration de culpabilité à l’égard de chaque infraction moindre et incluse.
[119] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec ma collègue pour dire que l’emploi de l’expression « déclaré coupable » au par. 320.24(4) suggère une décision judiciaire expresse, émanant soit du jury annonçant son verdict, soit d’un juge (motifs majoritaires, par. 56). Un jugement ou verdict de culpabilité exprès n’est pas nécessaire, car une déclaration de culpabilité est constituée par la preuve hors de tout doute raisonnable de chacun des éléments de l’infraction et par le rejet de tout moyen de défense applicable (Quigley’s Criminal Procedure in Canada (feuilles mobiles), par D. Rose, dir., § 22:7). Cela peut prendre la forme d’une seule déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction, ou de déclarations individuelles portant que chacun des éléments de l’infraction a été prouvé.
[120] Une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse est établie au moyen d’une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale étant donné que, par définition, tous les éléments de l’infraction moindre et incluse sont compris dans les éléments de l’infraction principale (R. E. Salhany, Canadian Criminal Procedure (6e éd. (feuilles mobiles)), § 6:89). Une déclaration de culpabilité signifie que la Couronne a prouvé ses allégations hors de tout doute raisonnable. De plus, comme l’a déjà conclu notre Cour, [traduction] « un acte d’accusation imputant une infraction impute également toutes les infractions qui, en droit, sont nécessairement commises lorsqu’est commise l’infraction principale » (R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371, par. 30 (souligné dans l’original), citant R. c. Harmer and Miller (1976), 1976 CanLII 570 (ON CA), 33 C.C.C. (2d) 17 (C.A. Ont.), p. 19). Comme un acte d’accusation imputant une infraction principale vise toutes les infractions moindres et incluses, il est approprié qu’une peine prévue pour une infraction moindre et incluse se rattache formellement à l’infraction principale.
(3) Une déclaration de culpabilité pour négligence criminelle aux termes des art. 220 ou 221, lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport, emporte une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse aux termes de l’art. 320.13
[121] Le texte du par. 662(5), lu en parallèle avec le par. 320.24(4), est suffisant pour autoriser une ordonnance d’interdiction de conduire dans le cas d’une déclaration de culpabilité pour négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport. Le paragraphe 662(5) dispose explicitement que la conduite dangereuse d’un moyen de transport en contravention de l’art. 320.13 est une infraction moindre et incluse de négligence criminelle lorsque l’infraction implique la conduite d’un moyen de transport :
(5) Il est entendu que lorsqu’un chef d’accusation vise une infraction prévue aux articles 220, 221 ou 236 et découle de la conduite d’un moyen de transport, et que la preuve n’établit pas la commission de cette infraction, mais plutôt celle d’une infraction prévue à l’article 320.13, l’accusé peut être déclaré coupable de cette dernière.
(5) For greater certainty, when a count charges an offence under section 220, 221 or 236 arising out of the operation of a conveyance, and the evidence does not prove that offence but proves an offence under section 320.13, the accused may be convicted of an offence under that section.
[122] L’application du par. 662(5) implique que, si un individu est déclaré coupable de négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport aux termes des art. 220 ou 221, il est, de par l’effet de la loi, déclaré coupable de l’infraction prévue à l’art. 320.13. Les éléments de l’infraction de conduite dangereuse d’un moyen de transport prévus à l’art. 320.13 sont compris dans ceux de la négligence criminelle prévus aux art. 220, 221 ou 236 lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport (voir R. c. Al-Kassem, 2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183, par. 8 (jugement rendu avant l’entrée en vigueur du projet de loi C‑46); R. c. Abau-Jabeen, 2019 ONSC 5399, 58 M.V.R. (7th) 304, par. 60‑61; R. c. Gardner and Fraser, 2021 NSCA 52, 406 C.C.C. (3d) 156, par. 20). Par conséquent, il est impossible d’agir de manière criminellement négligente en conduisant un moyen de transport en contravention de l’art. 220 ou 221 sans conduire dangereusement un moyen de transport en contravention de l’art. 320.13.
(4) L’applicabilité d’une ordonnance d’interdiction de conduire à titre de peine pour négligence criminelle est conforme aux principes du droit criminel
[123] À la lumière de la relation qui existe entre les infractions principales et les infractions moindres et incluses, ainsi que des objectifs du régime des infractions liées à la conduite, le choix du Parlement de ne pas mentionner expressément les art. 220 et 221 au par. 320.24(4) signale une intention d’inclure la négligence criminelle par le biais de l’inclusion de la conduite dangereuse en vertu de l’art. 320.13 dans les infractions énumérées au par. 320.24(4).
[124] Il revient au Parlement de déterminer ce qui est requis sur le plan procédural pour imposer une peine, pourvu que cela soit constitutionnellement permis. Dans le cas du par. 320.24(4), le Parlement a décidé que seule une déclaration de culpabilité à l’égard d’une des infractions énumérées au par. 320.24(4) est requise pour rendre une ordonnance d’interdiction de conduire, et non tout autre acte procédural qui suit normalement la déclaration de culpabilité (Salhany, § 6:88). Une telle approche relative aux ordonnances d’interdiction de conduire est conforme aux principes du droit criminel en vigueur, y compris l’obligation d’en donner un avis raisonnable aux accusés et au public, la reconnaissance des infractions moindres et incluses et la règle interdisant les condamnations multiples.
[125] Le texte du par. 662(5) avise adéquatement l’accusé et le public que le tribunal peut rendre une ordonnance d’interdiction de conduire à la suite d’une condamnation pour négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport. Les accusés et le public sont adéquatement avisés du fait que les infractions moindres et incluses sont comprises dans les infractions principales. De plus, l’acte d’accusation qui impute une infraction à un accusé lui fournit un avis raisonnable des risques juridiques qu’il court en ce qui concerne les infractions incluses dans celle qui lui est imputée (G.R., par. 30).
[126] Le contrevenant qui est déclaré coupable d’au moins une des infractions prévues à l’art. 220 ou à l’art. 221 est aussi « déclaré coupable », par application du par. 662(5), de l’infraction moindre et incluse prévue à l’art. 320.13. Par conséquent, une ordonnance d’interdiction de conduire est, comme l’exige le texte du par. 320.24(4), une peine applicable à « cette infraction » — « cette infraction » étant l’une de celles énumérées au par. 320.24(4). L’ordonnance d’interdiction de conduire se rattache à la condamnation pour négligence criminelle. Cependant, pour qu’un juge puisse rendre une ordonnance d’interdiction de conduire, l’accusé doit simplement être « déclaré coupable » de « cette infraction », ce qui se produit lorsqu’il est nécessairement déclaré coupable de l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse au moment où il est déclaré coupable de négligence criminelle.
[127] Cette interprétation du par. 320.24(4) — laquelle autorise les juges à rendre des ordonnances d’interdiction de conduire pour autant qu’une des infractions énumérées constitue une infraction moindre et incluse de celle dont le contrevenant a été déclaré coupable — est par ailleurs conforme à la décision de notre Cour dans Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729. Le « principe de l’arrêt Kienapple » s’applique pour empêcher les condamnations multiples à l’égard d’infractions qui [traduction] « décrivent non pas des méfaits criminels différents, mais plutôt des manières différentes de commettre le même méfait criminel » (voir R. c. Heaney, 2013 BCCA 177, 337 B.C.A.C. 43, par. 25, la juge Bennett; voir aussi Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065, par. 28, le juge Healy).
[128] Dans Kienapple, notre Cour a conclu qu’un arrêt des procédures doit être inscrit pour éviter des condamnations multiples à l’égard d’une seule et même conduite criminelle sous‑jacente. Cependant, le par. 320.24(4) ne viole pas la règle interdisant les condamnations multiples, car aucune condamnation n’est nécessaire pour rendre une ordonnance d’interdiction de conduire. Comme l’a noté la Cour dans R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215, par. 14, « [c]ette règle ne s’applique, évidemment, qu’aux déclarations de culpabilité multiples — ce qui n’est pas le cas en l’espèce » (en italique dans l’original). En conséquence, aucune double peine ne résulte de la conclusion selon laquelle il est possible de rendre une ordonnance d’interdiction de conduire dans le cas d’une condamnation aux termes des art. 220 et 221.
[129] Ma collègue se demande si un contrevenant pourrait être assujetti à une ordonnance d’interdiction de conduire discrétionnaire en plus de la peine d’emprisonnement totale pour une infraction, de même qu’à une ordonnance d’interdiction de conduire obligatoire en plus de la peine d’emprisonnement totale pour une autre infraction (motifs majoritaires, par. 65). Or, le principe de l’arrêt Kienapple garantit que le contrevenant n’est pas puni deux fois pour ce qui constitue essentiellement la même conduite criminelle.
[130] En résumé, une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse découle nécessairement d’une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale. Étant donné que le par. 662(5) fait de la conduite dangereuse en contravention de l’art. 320.13 une infraction moindre et incluse de la négligence criminelle prévue aux art. 220 et 221, une condamnation pour négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport est suffisante pour autoriser une ordonnance en vertu du par. 320.24(4). L’approche du Parlement qui consiste à incorporer indirectement les infractions principales de négligence criminelle par renvoi aux infractions moindres et incluses de conduite dangereuse à l’art. 320.13 est compatible avec la manière dont fonctionnent les infractions moindres et incluses dans notre système juridique ainsi qu’avec l’objectif du Parlement de simplifier son approche à l’égard des infractions liées à la conduite.
C. Les conséquences des interprétations opposées du par. 320.24(4)
[131] Une interprétation du par. 320.24(4) qui n’autorise pas les ordonnances d’interdiction de conduire à titre de peines pour négligence criminelle aux termes des art. 220 et 221 lorsque la négligence découle de la conduite d’un moyen de transport entraîne une conséquence absurde. On peut juger une interprétation absurde si, par exemple, elle crée des distinctions illogiques, va à l’encontre de l’objet de la législation, donne lieu à des incohérences, nuit à l’efficacité de l’administration de la justice ou enfreint d’importantes normes de justice ou d’équité (Sullivan (2003), p. 64; La Presse, par. 54).
[132] L’interprétation de l’appelant crée une distinction illogique en autorisant une sanction à l’égard d’une infraction moindre et incluse, mais non à l’égard de l’infraction principale plus grave, et elle est incompatible avec les objectifs déclarés pour lesquels le Parlement a adopté la partie VIII.1 du Code criminel. L’interprétation de l’appelant produit une conséquence absurde parce qu’elle autorise les tribunaux à rendre des ordonnances d’interdiction de conduire pour l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse, mais non pour l’infraction principale plus grave de négligence criminelle, et elle va par ailleurs à l’encontre de l’objectif de politique générale du Parlement de réduire le nombre élevé de décès et de blessures causés par la conduite avec capacités affaiblies.
[133] L’interprétation qui permet aux tribunaux de rendre des ordonnances d’interdiction de conduire dans de telles circonstances devrait être privilégiée, car elle évite l’absurdité qu’entraîne l’interprétation des juges majoritaires (voir Sullivan (2022), § 10.01). L’interprétation qui ouvre la porte aux ordonnances d’interdiction de conduire lorsqu’un contrevenant a été condamné aux termes de l’art. 220 ou de l’art. 221 pour une infraction découlant de la conduite d’un moyen de transport devrait être privilégiée notamment parce qu’elle concorde avec l’objet du par. 320.24(4) ainsi qu’avec le régime au sein duquel il opère. Je réitère que cette interprétation est étayée par le texte du par. 320.24(4), considéré à la lumière du texte du par. 662(5) et de la distinction qui existe entre une déclaration de culpabilité et une condamnation ou une absolution.
(1) L’applicabilité d’une ordonnance d’interdiction de conduire à titre de peine pour négligence criminelle est conforme aux objectifs déclarés du par. 320.24(4)
[134] L’applicabilité d’une ordonnance d’interdiction de conduire pour négligence criminelle lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport est conforme aux objectifs du projet de loi C‑46. Comme l’a expliqué la ministre de la Justice à l’époque, l’honorable Jody Wilson‑Raybould, lors du dépôt au Parlement du projet de loi C‑46, les modifications de 2018 avaient pour but et objet de « réduire le nombre considérable de décès et de blessures causés par la conduite avec facultés affaiblies » (Débats de la Chambre des communes, vol. 148, no 181, 1re sess., 42e lég., 19 mai 2017, p. 11459). La ministre a précisé que « les rédacteurs du projet de loi avaient en tête toutes les victimes de la conduite avec facultés affaiblies lorsqu’ils ont effectué leur travail » et qu’elle avait « bon espoir que les effets combinés des nombreuses réformes proposées dans le projet de loi C‑46 contribuer[aient] beaucoup à décourager la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue » (p. 11459 et 11461).
[135] Le préambule du projet de loi C‑46 énonce neuf considérations et objectifs liés aux modifications, notamment : « la conduite dangereuse et la conduite avec capacités affaiblies tuent ou blessent chaque année des milliers de personnes »; « la conduite dangereuse et la conduite avec capacités affaiblies sont inadmissibles en tout temps et en toutes circonstances »; et « le Parlement du Canada est résolu à [. . .] prévenir la perpétration des infractions relatives à la conduite de moyens de transport, notamment la conduite dangereuse et la conduite avec capacités affaiblies ».
[136] La Cour d’appel a fait remarquer que l’intention du législateur à la base du projet de loi C‑46 reflétait deux thèmes clés : [traduction] « . . . (i) la cohérence, l’efficacité, la simplification et la modernisation des dispositions du Code criminel liées aux infractions de conduite; et (ii) des peines plus lourdes dans l’optique de dissuader la conduite dangereuse et la conduite avec capacités affaiblies » (par. 57). Le préambule du projet de loi C‑46 concorde avec l’art. 320.12 du Code criminel, lequel énonce ce qui suit :
320.12 Il est reconnu et déclaré que :
a) la conduite d’un moyen de transport est un privilège assujetti à certaines contraintes dans l’intérêt de la sécurité publique, comme celles d’être titulaire d’un permis, de respecter des règles et d’être sobre;
b) la protection de la société est favorisée par des mesures visant à dissuader quiconque de conduire un moyen de transport de façon dangereuse ou avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, car ce type de comportement représente une menace pour la vie, la sécurité et la santé des Canadiens;
c) l’analyse d’échantillons d’haleine à l’aide d’un éthylomètre approuvé indique l’alcoolémie avec fiabilité et exactitude;
d) l’évaluation effectuée par un agent évaluateur constitue un moyen fiable d’établir si la capacité de conduire d’une personne est affaiblie par l’effet d’une drogue ou l’effet combiné de l’alcool et d’une drogue.
[137] Préserver le pouvoir des juges chargés de la détermination de la peine de rendre une ordonnance d’interdiction de conduire lorsque le contrevenant a été condamné, et donc déclaré coupable, pour négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport est conforme aux objectifs consistant à protéger la société et à assurer la cohérence des dispositions du Code criminel visant les infractions liées à la conduite. Cela comprend la reconnaissance, à l’al. 320.12b), que « la protection de la société est favorisée par des mesures visant à dissuader quiconque de conduire un moyen de transport de façon dangereuse ».
[138] Je ne peux accepter que le Parlement ait voulu exclure la négligence criminelle du régime relatif aux infractions liées à la conduite. Ma collègue note que le Parlement « a plutôt indiqué de façon générale par le projet de loi C‑46 qu’il est préférable de recourir aux infractions spécifiques à la conduite plutôt qu’aux infractions générales de négligence criminelle dans les affaires de conduite » (motifs majoritaires, par. 6). Or, le Parlement voulait clairement inclure la négligence criminelle dans le champ d’application des infractions liées à la conduite, ayant expressément envisagé la négligence criminelle découlant de la conduite d’un moyen de transport au par. 662(5). En apportant des modifications considérables au régime des infractions liées à la conduite dans le Code criminel, le Parlement a choisi de garder le par. 662(5) intact, au lieu de l’abroger ou d’en limiter la portée.
[139] Avec égards, il n’est pas suffisamment clair selon moi que le Parlement entendait signaler, au moyen du projet de loi C‑46, que la Couronne devrait opter pour des accusations de conduite dangereuse plutôt que des accusations de négligence criminelle. Si le Parlement avait eu l’intention de modifier ainsi le régime législatif, on se serait attendu à ce qu’il le fasse explicitement, et il n’aurait pas fait de l’art. 320.13 une infraction moindre et incluse des art. 220 et 221.
(2) La négligence criminelle est une infraction au moins aussi grave que la conduite dangereuse d’un moyen de transport
[140] L’applicabilité d’une ordonnance d’interdiction de conduire à l’égard de l’infraction moindre et incluse de conduite dangereuse, mais pas à l’égard de l’infraction principale de négligence criminelle, crée une situation irrationnelle. Bien que des peines plus longues puissent être infligées pour l’infraction de conduite dangereuse d’un moyen de transport, l’infraction de négligence criminelle constitue une infraction au moins tout aussi grave. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, le par. 662(5) indique en termes exprès que la conduite dangereuse est une infraction moindre et incluse de négligence criminelle. Deuxièmement, comme l’a soutenu la Couronne à l’audience, la mens rea requise est plus élevée dans le cas de la négligence criminelle, ce qui en fait une infraction normativement plus grave. Les articles 220 et 221 exigent une mens rea plus élevée correspondant à un « écart marqué et important » par rapport à la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable (R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3, par. 23 (italique ajouté)). Cela contraste avec la mens rea requise pour l’infraction de conduite dangereuse, dont le critère est uniquement celui de l’écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable (R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49 (appliquant l’ancien par. 249(4) du Code criminel); voir aussi R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, par. 33‑36).
[141] En somme, une interprétation du par. 320.24(4) qui ne permet pas aux juges chargés de la détermination de la peine de rendre des ordonnances d’interdiction de conduire lorsque les contrevenants sont condamnés pour négligence criminelle aux termes de l’art. 220 ou de l’art. 221 est absurde, car elle empêche de manière irrationnelle l’imposition d’une peine pour l’infraction exigeant une mens rea plus élevée alors que cette peine peut clairement être imposée pour l’infraction ayant une mens rea moins exigeante. Comme l’a indiqué le juge Kalmakoff, en étant condamnés pour négligence criminelle, [traduction] « les contrevenants seraient assujettis à des conséquences moins graves que s’ils étaient condamnés pour une infraction moindre et incluse. Cela ne saurait être ce que le Parlement entendait faire » (décision de la C.A., par. 79). En outre, une telle interprétation va à l’encontre des objectifs du régime, notamment en ce qui concerne la « cohérence » et les « peines plus lourdes ».
[142] Enfin, je ne suis pas convaincue que l’absence des infractions prévues aux art. 220 et 221 parmi les infractions énumérées est le résultat d’une erreur de rédaction ayant créé la lacune législative à laquelle a conclu la Cour d’appel de l’Ontario dans Boily, car une telle conclusion ne tient pas compte de l’application du par. 662(5). Je suis d’accord avec le juge Kalmakoff pour dire que, lorsque le par. 320.24(4) est dûment interprété, une telle lacune n’existe pas (décision de la C.A., par. 58). Lu en parallèle avec le par. 662(5), le par. 320.24(4) confère aux juges chargés de la détermination de la peine le pouvoir de rendre des ordonnances d’interdiction de conduire aux contrevenants déclarés coupables de négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles lorsque l’infraction découle de la conduite d’un moyen de transport.
D. Conclusion
[143] L’omission de la négligence criminelle au par. 320.24(4) et le remplacement des mots « convicted or discharged » par « found guilty » ont eu pour effet d’écarter l’exigence qu’il y ait condamnation ou absolution pour que soit imposée une interdiction de conduire. Le paragraphe 662(5) fait de l’infraction prévue à l’art. 320.13 une infraction moindre et incluse de la négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles aux termes des art. 220 ou 221. Une condamnation en vertu des art. 220 ou 221 (lorsqu’elle découle d’un comportement criminel impliquant la conduite d’un moyen de transport) emporte nécessairement, par application du par. 662(5), une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse causant la mort ou des lésions corporelles, ce qui sert de fondement au prononcé d’une ordonnance d’interdiction de conduire en vertu du par. 320.24(4). Cette interprétation est celle qui s’harmonise le mieux avec le texte du par. 320.24(4), son contexte élargi ainsi que les objectifs de la loi au regard de l’ensemble du régime législatif, et elle évite les conséquences absurdes qui sont présumées ne pas avoir été souhaitées par le Parlement.
V. Dispositif
[144] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi accueilli, les juges Côté, Kasirer, Jamal et Moreau sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Little & Company, Saskatoon.
Procureur de l’intimé : Office of the Attorney General for Saskatchewan, Regina.
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