R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Ulybel Enterprises Limited Intimée
Répertorié : R. c. Ulybel Enterprises Ltd.
Référence neutre : 2001 CSC 56.
No du greffe : 27543.
2001 : 16 janvier; 2001 : 27 septembre.
Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de terre-neuve
Tribunaux — Compétence — Cours supérieures -- La Cour fédérale du Canada a ordonné la vente d’un navire et a détenu le produit de la vente dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté -- La cour supérieure d’une province peut‑elle ordonner la confiscation du produit de la vente d’un navire en vertu de l’art. 72(1) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14?
Pêche — Confiscation du produit de la vente d’un bateau de pêche — Étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente -- La rétention continue d’un bateau saisi constitue‑t‑elle une condition préalable au prononcé d’une ordonnance de confiscation en vertu de l’art. 72(1) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14?
L’intimée est le propriétaire inscrit d’un navire canadien à bord duquel des personnes ont été vues en train de pêcher dans la zone régie par la convention de l’OPANO en l’absence du permis et du certificat d’enregistrement requis par le Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985. Le navire et sa cargaison de poisson ont été saisis et la Couronne a pris matériellement possession du navire. En 1994 et 1995, des actions dans lesquelles on prétendait avoir un droit dans le navire ont été intentées devant la Cour fédérale du Canada, qui a délivré des ordonnances de saisie à l’égard du navire. L’intimée a ensuite été mise en accusation relativement à des chefs d’accusation qui devaient être instruits par la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve. Entre‑temps, la Couronne a conservé la possession du navire et a engagé des frais pour sa garde et son entretien. En 1996, elle est intervenue dans l’une des actions intentées devant la Cour fédérale et a réussi à obtenir une ordonnance autorisant la vente du navire. Le produit de la vente a été déposé auprès du receveur général au profit de la Cour fédérale. En 1997, l’intimée a été déclarée coupable relativement aux accusations portées contre elle et on lui a infligé une peine incluant la confiscation d’une somme de 50 000 $ sur le produit de la vente du navire. La Cour d’appel de Terre‑Neuve a confirmé la déclaration de culpabilité et a jugé que la peine n’était pas excessive. Elle a cependant conclu que la Section de première instance de la Cour suprême n’avait ni la compétence ni le pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente et elle a infirmé l’ordonnance de confiscation, estimant que la rétention matérielle d’un objet saisi en vertu de la Loi sur les pêches est une condition préalable nécessaire au prononcé d’une ordonnance de confiscation.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance de confiscation rendue par la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve est rétablie.
La cour supérieure d’une province peut ordonner la confiscation du produit de la vente d’un navire en vertu du par. 72(1) de la Loi sur les pêches, même lorsque c’est la Cour fédérale qui a ordonné la vente du navire et qu’elle détient le produit de la vente dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté.
Si on interprète les termes utilisés au par. 72(1) de la Loi sur les pêches dans leur sens ordinaire et grammatical, en tenant compte du type de biens susceptibles de saisie aux termes de l’art. 51, il est clair que la portée du par. 72(1) s’étend au prononcé d’une ordonnance de confiscation du produit de l’aliénation d’un navire saisi en vertu de la Loi. L’historique législatif appuie aussi une interprétation plus large du par. 72(1). Une ancienne version du par. 72(1) limitait l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation au produit de la vente de marchandises périssables. En 1991, les termes limitatifs ont été supprimés pour être remplacés par la mention générale du produit de « tout objet saisi ». Il existe une présomption selon laquelle les modifications poursuivent un but intelligible et, en l’espèce, la modification apportée en 1991 au par. 72(1) a eu pour effet d’élargir la portée de la disposition relative à la confiscation en y intégrant le pouvoir de confisquer le produit de la vente d’un navire. Cet effet est conforme à l’intention du législateur, qui consiste à accroître la souplesse et la sévérité des peines applicables aux infractions prévues dans la Loi sur les pêches.
Le fait que la Loi sur les pêches préserve les biens de l’accusé n’empêche pas l’interprétation large du pouvoir d’ordonner la confiscation. Cela reflète la présomption d’innocence et le principe selon lequel il faut préserver les biens de l’accusé jusqu’à ce qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée. La personne accusée d’une infraction à la Loi sur les pêches ne peut toutefois pas invoquer la présomption d’innocence pour empêcher une personne ayant une demande in rem à faire valoir relativement à ses biens d’obtenir réparation ou pour retarder l’obtention de cette réparation. De même, une décision définitive qui établit la culpabilité met fin à la présomption d’innocence et rien dans la Loi n’empêche la confiscation du produit d’une vente effectuée en matière civile. Le régime établi par la Loi est suffisamment strict pour préserver les biens saisis de l’accusé et suffisamment souple pour préserver le pouvoir d’imposer les peines nécessaires à la réalisation de l’objet de la Loi.
Quant au contexte législatif, si le législateur avait voulu que les expressions « le produit de leur aliénation » et « le produit de son aliénation » se limitent au produit de la vente de marchandises périssables, il aurait pu le dire explicitement, comme il l’a fait au par. 70(3) ainsi qu’aux par. 72(2) et 72(3). En outre, il ne ressort pas expressément du par. 72(1) que la rétention matérielle continue constitue une condition préalable au prononcé d’une ordonnance de confiscation et il n’a pas lieu de conclure qu’il s’agit d’une condition préalable. Le processus par lequel le dépôt d’une garantie permet la mainlevée de la saisie des biens en vertu du par. 71(2) profite aux parties et aux créanciers, et il ne faut pas décourager le recours à celui‑ci. Ce processus serait moins intéressant si une ordonnance de confiscation était assujettie à une condition préalable de rétention matérielle continue. Le paragraphe 72(1) doit donc être interprété comme prévoyant le prononcé d’une ordonnance de confiscation contre un navire ayant fait l’objet d’une mainlevée de saisie et restitué sur dépôt d’une garantie. Il s’ensuit que le par. 72(1) autorise la confiscation d’objets qui ont été saisis antérieurement, mais qui ont fait l’objet d’une mainlevée. De plus, il ressort clairement de l’art. 75 que la Loi prévoit la possibilité d’instances parallèles, in personam et in rem, touchant le même navire. Cette conclusion renforce l’opinion que le par. 72(1) autorise la confiscation du produit de la vente obtenu en vertu d’un autre texte législatif que la Loi sur les pêches. Enfin, on doit interpréter les dispositions en matière d’amirauté de la Loi sur la Cour fédérale et de la Loi sur les pêches comme des régimes cohérents et harmonieux de réglementation des questions maritimes. Les bateaux de pêche et leur utilisation sont au cœur des activités que régit chacun de ces systèmes. Si on adoptait l’interprétation restrictive de la Cour d’appel, une ordonnance de vente de la Cour fédérale mettrait fin au pouvoir de la Cour suprême de Terre‑Neuve d’ordonner la confiscation. Un tel résultat n’est pas conforme au principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Savory (1992), 108 N.S.R. (2d) 245; R. c. Corcoran (1997), 153 Nfld. & P.E.I.R. 318; R. c. Vautour (2000), 226 R.N-B. (2e) 226; R. c. Chute (1997), 160 N.S.R. (2d) 378; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660; Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405; Bathurst Paper Ltd. c. Ministre des Affaires municipales du Nouveau-Brunswick, [1972] R.C.S. 471.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 489.1.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7.
Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 [mod. 1991, ch. 1], art. 50, 51, 70, 71, 71.1, 72, 73.1, 75.
Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86-21, art. 13(1)a), b).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663, règles 1007, 1008, 1010.
Doctrine citée
Black’s Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990, « forfeiture ».
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. by Ruth Sullivan. Toronto : Butterworths, 1994.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve (1999), 178 Nfld. & P.E.I.R. 321, 544 A.P.R. 321, [1999] N.J. No. 232 (QL), qui a annulé une ordonnance de confiscation rendue par la Cour suprême, Section de première instance (1997), 150 Nfld. & P.E.I.R. 308, 470 A.P.R. 308, [1997] N.J. No. 114 (QL). Pourvoi accueilli.
Graham Garton, c.r., et Gordon S. Campbell, pour l’appelante.
John R. Sinnott, c.r., pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Iacobucci — Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la cour supérieure d’une province peut ordonner la confiscation du produit de la vente d’un navire en vertu du par. 72(1) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14, modifiée par L.C. 1991, ch. 1, même lorsque c’est la Cour fédérale du Canada qui a ordonné la vente du navire et qu’elle détient le produit de la vente dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté.
I. Les faits
A. Le navire et sa saisie
2 Le « Kristina Logos » (le « navire ») est un chalutier‑usine congélateur construit en 1976 et immatriculé au Canada en 1981. Le 3 février 1992, José Pratas a acheté le navire par acte de vente de Pêches Nordiques Inc., auparavant connue sous le nom de Kosmos P/F Fishery Canada Ltd. Le même jour, M. Pratas a inscrit trois documents au Registre des navires immatriculés au Canada : l’acte de vente par lequel la propriété du navire lui a été cédée, l’hypothèque qu’il a consentie à Pêches Nordiques Inc. (cédée plus tard à Hillsdown International Ltd. et finalement à Clearwater Atlantic Seafoods Inc.) et une déclaration de propriété énonçant qu’il avait le droit d’être inscrit comme propriétaire.
3 Le 16 octobre 1992, M. Pratas a vendu le navire à Ulybel Enterprises Limited (l’« intimée »). M. Pratas était le seul administrateur et actionnaire de l’intimée, qui a été constituée en personne morale le 22 novembre 1989 en Nouvelle‑Écosse. L’acte de vente cédant la propriété du navire à l’intimée et une déclaration de propriété indiquant que l’intimée réunissait les conditions voulues pour être propriétaire d’un navire canadien ont été déposés le 9 décembre 1992 au Registre des navires immatriculés au Canada. Le même jour, le bureau du Registre a appris que M. Pratas avait été nommé gestionnaire. En conséquence, pendant toute la période pertinente, le navire était un navire canadien grevé d’une hypothèque enregistrée, dont l’intimée était le propriétaire inscrit.
4 En 1993, l’intimée a conclu un contrat d’affrètement à coque nue avec une société portugaise du nom de Marqueirapesca Lda. Les actionnaires de cette société sont M. Pratas, qui détient 51 pour 100 de ses actions en circulation, et Carlos et Mario Neves (les « frères Neves »), qui en détiennent 49 pour 100. Il n’a pas été contesté qu’en 1993 et 1994, Marqueirapesca Lda. a utilisé le navire pour pêcher au large de la côte de Terre‑Neuve et dans les divisions 3M, 3N et 3O de la zone régie par la convention de l’OPANO.
5 L’OPANO est un organisme international qui a pour but d’optimiser l’utilisation, la gestion et la conservation des stocks de poisson de l’Atlantique nord‑ouest dans un quadrant des eaux côtières et océaniques dont la frontière nord s’étend du détroit d’Hudson, au sud de l’île de Baffin, jusqu’au Groenland, et dont la frontière ouest s’étend de l’île de Baffin jusqu’au nord de la Caroline du Nord. Les divisions 3M, 3N et 3O se situent au sud et à l’ouest de Terre‑Neuve. Deux de ces divisions comprennent des parties importantes des Grands Bancs de Terre‑Neuve.
6 Le 2 avril 1994, on a vu des personnes à bord du navire pêcher dans la zone régie par la convention de l’OPANO en l’absence du permis et du certificat d’enregistrement requis par les al. 13(1)a) et b) du Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86-21 (le « Règlement »). Des fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans ont saisi le navire et sa cargaison de poisson en application de l’art. 51 de la Loi sur les pêches et ont escorté le navire à St. John’s (Terre‑Neuve). C’est ainsi que la Couronne du chef du Canada a pris matériellement possession du navire.
B. Le litige : un navire et deux tribunaux
7 Les 4 et 5 avril 1994, deux dénonciations ont été faites sous serment, comportant quatre chefs d’accusation contre l’intimée, dont deux étaient liés au fait d’avoir permis l’utilisation du navire pour la pêche en l’absence de certificat d’enregistrement et deux autres à celui d’avoir permis l’utilisation du navire pour la pêche en l’absence de permis, en contravention des al. 13(1)a) et 13(1)b) du Règlement.
8 Trois jours après la saisie du navire en vertu de la Loi sur les pêches, soit le 5 avril 1994, le créancier titulaire de l’hypothèque grevant le navire, Clearwater Atlantic Seafoods Inc., a intenté une action devant la Cour fédérale du Canada pour réclamer la somme de 125 000 $, qui correspondrait au solde du prix de la vente du navire à M. Pratas et à l’intimée. Le même jour, la Cour fédérale du Canada a délivré une ordonnance de saisie à l’égard du navire qui se trouvait en la possession de la Couronne. Le 23 mai 1995, une deuxième action a été intentée devant la Cour fédérale; dans celle‑ci, les frères Neves revendiquaient un droit de propriété sur le navire, droit qu’ils évaluaient à 512 750 $. La Cour fédérale a délivré une deuxième ordonnance de saisie le jour même.
9 Le 28 septembre 1995, l’intimée a été mise en accusation relativement aux mêmes chefs d’accusations que ceux figurant dans les dénonciations faites sous serment les 4 et 5 avril 1994. Le début du procès devant la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve a été fixé au 28 novembre 1996.
10 Entre‑temps, la Couronne a conservé la possession du navire et a commencé à engager des frais pour sa garde et son entretien. Le 12 novembre 1996, environ 19 mois après la première saisie du navire, la Couronne a présenté une demande d’intervention dans l’action intentée par les frères Neves devant la Cour fédérale du Canada en tant que personne prétendant avoir un droit afférent aux biens en question conformément à la règle 1010 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663. La demande d’intervention de la Couronne s’appuyait sur sa réclamation concernant les frais et les déboursés relatifs à l’entretien et à la conservation du navire qui s’élevaient à plus de 500 000 $. Ce montant représentait les frais que la Couronne avait engagés pour saisir le navire en vertu de la Loi sur les pêches ainsi que les frais généraux d’entretien de ce dernier (environ 60 000 $ par année). D’autre part, la Couronne a présenté une requête en vue d’obtenir la mainlevée de la saisie et une ordonnance de vente du navire en vertu de la règle 1007(3) des Règles de la Cour fédérale. Cette disposition prévoit que la Cour peut, avant le jugement, ordonner que les biens saisis soient vendus s’ils perdent de leur valeur.
11 L’intimée a présenté une requête devant la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que la Couronne n’avait pas le droit de s’adresser à un autre tribunal pour solliciter la vente du navire et une ordonnance de mainlevée de la saisie de celui‑ci. Cette requête a été rejetée le 6 décembre 1996.
12 Le 9 décembre 1996, un protonotaire de la Cour fédérale a conclu que la Couronne avait l’intérêt requis pour intervenir dans l’action étant donné qu’elle avait engagé des dépenses après la saisie du navire, dépenses qualifiées de dépenses in custodia legis. Le protonotaire a estimé qu’il convenait en l’espèce que la Cour fédérale délivre une ordonnance de vente puisque les frais et déboursés continueraient d’augmenter jusqu’à la vente. De plus, le certificat de classification du navire devait expirer sous peu, ce qui réduirait de façon importante la valeur de celui‑ci. Le protonotaire a donc conclu que le critère figurant à la règle 1007(3) des Règles de la Cour fédérale était respecté. En conséquence, la Cour fédérale a ordonné la vente du navire le 18 décembre 1996 ([1996] A.C.F. no 1683 (QL); (1996), 124 F.T.R. 167).
13 L’intimée a présenté une demande de sursis de l’ordonnance de vente jusqu’à ce qu’il soit statué sur son appel, mais la Section de première instance de la Cour fédérale a confirmé l’ordonnance ([1997] A.C.F. no 200 (QL)). Le navire a été vendu le 15 mai 1997 pour la somme de 605 000 $ et, conformément à l’ordonnance de vente, le produit de la vente a été déposé auprès du receveur général dans un compte portant intérêt, au profit de la Cour fédérale. L’intimée a ensuite interjeté appel de l’ordonnance de vente auprès de la Cour d’appel fédérale, mais, comme le navire avait déjà été vendu, l’appel a été rejeté au motif qu’il était devenu théorique ([1998] A.C.F. no 362 (QL)).
14 Le 21 mai 1997, la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve a déclaré l’intimée coupable relativement aux accusations portées contre elle ((1997), 150 Nfld. & P.E.I.R. 308). Le 2 juillet 1997, elle lui a infligé une peine incluant des amendes s’élevant à 120 000 $, la confiscation du produit de la vente de la cargaison de poisson (58 989,34 $) et la confiscation d’une somme de 50 000 $ sur le produit de la vente du navire.
15 L’intimée a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et de sa peine auprès de la Cour d’appel de Terre‑Neuve. Avant l’audition de cet appel, un protonotaire de la Cour fédérale du Canada a déterminé, le 11 août 1999, le rang des réclamations des parties aux actions intentées devant cette Cour, notamment le rang des réclamations du créancier hypothécaire, des frères Neves et de la Couronne, la réclamation de celle-ci visant les amendes, la confiscation et les frais. Le rang des réclamations était conditionnel à l’issue de l’appel interjeté par l’intimée contre sa peine ([1999] A.C.F. no 1295 (QL)).
16 Les défendeurs à l’action en Cour fédérale, dont Ulybel et Pratas, ont eux aussi interjeté appel pour contester le rang des réclamations établi par le protonotaire. Le juge McKay de la Section de première instance de la Cour fédérale a entendu cet appel et a différé le prononcé de son jugement.
17 Le 17 août 1999, la Cour d’appel de Terre‑Neuve a confirmé la déclaration de culpabilité de l’intimée et a jugé que la peine infligée n’était pas excessive ((1999), 178 Nfld. & P.E.I.R. 321). La Cour d’appel a cependant conclu que la Loi sur les pêches ne conférait pas à la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve la compétence ou le pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente d’un navire. Selon la Cour d’appel, la rétention matérielle d’un objet saisi en vertu de la Loi sur les pêches est une condition préalable nécessaire au prononcé d’une ordonnance de confiscation. La Cour d’appel a statué que la vente ordonnée par la Cour fédérale avait nécessairement entraîné la mainlevée de la saisie du navire, ce qui empêchait le prononcé ultérieur d’une ordonnance de confiscation en application de la Loi sur les pêches. Par conséquent, la Cour d’appel a infirmé l’ordonnance de confiscation rendue en première instance.
18 Notre Cour a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi qu’a présentée l’intimée contre sa déclaration de culpabilité et sa peine. Elle a accueilli la demande d’autorisation de pourvoi de la Couronne contre la décision de la Cour d’appel.
19 Il est important de se rappeler que les décisions de la Cour fédérale du Canada ne font l’objet d’aucun pourvoi devant notre Cour. En fait, rien dans les présents motifs ne devrait être interprété comme constituant une observation sur ces instances. La seule décision dont notre Cour est saisie est celle par laquelle la Cour d’appel de Terre‑Neuve a infirmé l’ordonnance de confiscation émanant du tribunal chargé de déterminer la peine.
II. Les dispositions législatives pertinentes
20 Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14 (modifiée par L.C. 1991, ch. 1)
50. Les agents des pêches, gardes-pêche ou agents de la paix peuvent arrêter sans mandat toute personne dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu’elle a commis une infraction à la présente loi ou à ses règlements ou qu’ils prennent en flagrant délit d’infraction ou se préparant à commettre une infraction à la présente loi ou à ses règlements.
70. (1) L’agent des pêches ou le garde-pêche qui saisit du poisson ou un objet en vertu de la présente loi peut s’en réserver la garde ou l’attribuer à toute personne qu’il estime compétente.
. . .
(3) L’agent des pêches ou le garde-pêche qui a la garde de marchandises périssables saisies peut en disposer de la façon qu’il estime indiquée, le produit de l’aliénation étant versé au receveur général.
71. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le poisson ou les objets saisis en vertu de la présente loi ou le produit de leur aliénation peuvent être retenus jusqu’à ce que leur confiscation soit prononcée ou qu’une décision définitive soit rendue lors des poursuites intentées à leur égard.
(2) Sous réserve du paragraphe 72(4), le tribunal peut ordonner la restitution au saisi du poisson ou des objets saisis, sur fourniture à Sa Majesté d’une garantie que le ministre juge acceptable quant au montant et à la forme.
. . .
71.1 (1) Le tribunal qui déclare une personne coupable d’une infraction à la présente loi peut, en sus de toute autre peine infligée, ordonner au contrevenant d’indemniser le ministre des frais engagés dans le cadre de la saisie, de la garde ou de l’aliénation du poisson ou des objets saisis qui ont servi ou donné lieu à la perpétration de l’infraction.
(2) L’indemnisation visée au paragraphe (1) et les intérêts afférents constituent une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant toute juridiction compétente.
72. (1) Le tribunal qui déclare une personne coupable d’une infraction à la présente loi peut, en sus de toute autre peine infligée, ordonner que tout objet saisi qui a servi ou donné lieu à la perpétration de l’infraction — ou le produit de son aliénation — soit confisqué au profit de Sa Majesté.
(2) Le tribunal qui déclare une personne coupable d’avoir commis une infraction à la présente loi relativement à du poisson saisi en vertu de l’alinéa 51a) est tenu, en sus de toute autre peine infligée, d’ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté du poisson ou du produit de son aliénation.
(3) Le tribunal qui acquitte une personne accusée d’une infraction à la présente loi relativement à du poisson saisi en vertu de l’alinéa 51a) peut ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté du poisson ou du produit de son aliénation s’il est prouvé que ce poisson a été pêché en contravention avec cette loi ou ses règlements.
. . .
73.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), lorsque, à l’issue des procédures portant sur le poisson ou les objets saisis, le tribunal n’a pas ordonné leur confiscation ou celle du produit de leur aliénation, les objets ou le produit sont remis au saisi.
(2) Sous réserve du paragraphe 72(4), les règles qui suivent s’appliquent lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction portant sur le poisson ou les objets saisis et que le tribunal inflige une amende mais n’ordonne pas la confiscation :
a) le poisson ou les objets peuvent être retenus jusqu’à l’acquittement de l’amende;
b) ils peuvent être vendus par adjudication forcée pour paiement de l’amende;
c) le produit de toute aliénation peut être affecté au paiement de l’amende.
. . .
75. (1) Sauf lorsqu’il s’agit de poisson confisqué, toute personne — autre que celle qui a été déclarée coupable de l’infraction ayant entraîné la confiscation, ou que le saisi — qui prétend avoir un droit sur un objet confisqué en vertu des paragraphes 72(1) ou (4), à titre de propriétaire, de créancier hypothécaire ou de titulaire de privilège ou de tout droit semblable, peut, dans les trente jours qui suivent la confiscation, demander par écrit à un juge de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (4).
. . .
(4) Le juge fait droit à la requête en rendant une ordonnance déclarant que la confiscation ne porte pas atteinte au droit du demandeur et précisant la nature et l’étendue de ce droit si, à l’audition de la demande, il constate la réunion des conditions suivantes :
a) il n’y a eu, à l’égard de l’infraction, réelle ou présumée, qui a entraîné la confiscation, aucune complicité ou collusion entre le demandeur et, selon le cas, la personne déclarée coupable ou tout auteur potentiel de l’infraction;
b) le demandeur a pris bien soin de s’assurer que l’objet ou le poisson visé par la demande ne servirait pas à la perpétration d’un acte contraire à la présente loi ou à ses règlements par la personne qui s’en est vue attribuer la possession ou, dans le cas d’un créancier hypothécaire ou d’un titulaire de privilège ou de droit semblable, le débiteur hypothécaire ou le débiteur assujetti au privilège ou droit en question.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663
Règle 1007. (1) La Cour pourra, avant ou après le jugement final, ordonner que des biens saisis sur son ordre soient évalués, ou soient vendus, après avoir été évalués ou non, soit aux enchères publiques, soit par contrat privé, et elle peut prescrire quel avis doit être donné à ce sujet sur publicité ou autrement, ou peut dispenser de donner avis.
(2) Sous réserve de l’alinéa (1), la Cour pourra, avant ou après le jugement final, ordonner que,
a) lorsqu’un bien est sous la saisie de la Cour, il soit mis en vente par des annonces selon les instructions contenues dans l’ordonnance qui peuvent comprendre l’une ou toutes les modalités suivantes :
. . .
(vi) pourront être émises toutes autres instructions appropriées aux circonstances; ou
b) qu’un agent ou courtier soit utilisé pour la vente de ces biens, avec l’autorisation de vendre aux conditions mentionnées dans l’ordonnance ou sous réserve d’une approbation subséquente de la Cour et selon un dédommagement pour les services de l’agent ou du courtier fixé dans l’ordonnance.
(3) Si les biens perdent de leur valeur, la Cour pourra ordonner de les vendre immédiatement.
. . .
(7) Dès que possible après l’exécution d’une commission de vente, le prévôt doit consigner à la Cour le produit brut de la vente, et il doit déposer, avec la commission, ses comptes et pièces à l’appui.
. . .
Règle 1008. (1) En cas de demande de versement par prélèvement sur de l’argent consigné au tribunal en vertu de la Règle 1007(7), la Cour aura le pouvoir de déterminer les droits de tous les réclamants sur cet argent et elle pourra rendre l’ordonnance et donner les instructions qui lui permettront de statuer sur les droits que possèdent tous les réclamants sur cet argent, et elle a également le pouvoir d’ordonner le versement à une personne de tout ou partie de cet argent selon ses conclusions.
. . .
Règle 1010. (1) Lorsque des biens visés par une action in rem sous saisie ou que l’argent représentant le produit de la vente des biens visés par une telle action se trouve consigné à la Cour, une personne qui prétend avoir un droit afférent aux biens ou à l’argent mais qui n’est pas défenderesse à l’action peut, avec la permission de la Cour, intervenir dans l’action.
III. La question en litige et les principaux arguments des parties
21 La question fondamentale dans le présent pourvoi est celle de savoir si la Cour d’appel de Terre‑Neuve a commis une erreur en infirmant l’ordonnance de confiscation du produit de la vente du navire rendue par le juge chargé de déterminer la peine. Les arguments portent surtout sur l’interprétation juste de l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente que confère le par. 72(1) de la Loi sur les pêches : ce pouvoir peut-il viser le produit de la vente d’un navire ou se limite‑t‑il au produit de la vente de marchandises périssables sous le régime du par. 70(3) de la Loi?
22 L’appelante soutient que la Cour d’appel a commis une erreur en interprétant de façon trop restrictive le pouvoir de rendre une ordonnance de confiscation prévu au par. 72(1) de la Loi sur les pêches. Elle prétend que le sens ordinaire du par. 72(1) appuie une interprétation plus large permettant au tribunal de rendre une ordonnance de confiscation du produit de la vente d’un navire même lorsque la vente du navire a été ordonnée par un autre tribunal. L’appelante affirme qu’une telle interprétation est nécessaire pour harmoniser la Loi sur les pêches avec la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et les Règles de la Cour fédérale.
23 L’intimée adopte la position de la Cour d’appel de Terre‑Neuve en l’espèce. D’après elle, le seul produit susceptible de confiscation en vertu de la Loi sur les pêches est le produit de l’aliénation des marchandises périssables prévue au par. 70(3). Elle affirme qu’il faut interpréter la Loi sur les pêches comme prévoyant que la rétention matérielle continue du bien saisi constitue une condition préalable nécessaire au prononcé d’une ordonnance de confiscation de ce bien. En l’espèce, la vente du navire ordonnée par la Cour fédérale empêchait donc le tribunal chargé de déterminer la peine d’imposer une ordonnance valide de confiscation du produit de la vente du navire comme l’un des éléments de la peine. L’intimée affirme que cette interprétation est compatible avec l’économie de la Loi et la présomption d’innocence.
IV. Analyse
A. Historique : La Loi sur les pêches et le pouvoir de confiscation
24 Il convient à ce stade‑ci de fournir certaines données historiques sur la Loi sur les pêches et les dispositions particulières en cause dans le présent pourvoi. Un certain nombre de tribunaux d’appel ont jugé que l’objet principal de la Loi sur les pêches correspondait à celui que la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a résumé dans l’arrêt R. c. Savory (1992), 108 N.S.R. (2d) 245, par. 14 :
[traduction] La Loi et son Règlement ont été adoptés afin de réglementer les pêches, et les mesures de réglementation devraient s’interpréter de façon large. Un objectif important de la Loi et du Règlement est de régir et de surveiller convenablement la pêche commerciale.
Voir également R. c. Corcoran (1997), 153 Nfld. & P.E.I.R. 318, par. 22-25; R. c. Vautour (2000), 226 R.N.-B. (2e) 226 (B.R.), par. 10, 11 et 13; R. c. Chute (1997), 160 N.S.R. (2d) (C.A.).
25 Comme l’a souligné le juge chargé de déterminer la peine en l’espèce, l’industrie de la pêche de l’Atlantique éprouve de graves problèmes :
[traduction] Le grave déclin des stocks de poisson dans les Grands Bancs de Terre‑Neuve et ailleurs dans les zones de pêche canadiennes de l’Atlantique est un fait notoire.
Le Canada a adopté certaines lois lui permettant de prendre des mesures de conservation appropriées. L’OPANO a été mise sur pied pour favoriser la conservation des stocks de poisson par l’établissement de différents quotas et de différentes dispositions réglementaires. Ces dernières visent à réglementer l’industrie de la pêche et à préserver les ressources halieutiques, vitales pour l’exploitation et la survie d’une importante industrie canadienne.
Pour recueillir des appuis à l’égard de ses préoccupations concernant la pêche excessive sur le nez et la queue des Grands Bancs, le Canada doit démontrer sa capacité de contrôler ses propres navires.
26 L’une des façons dont le législateur a jugé bon de favoriser la gestion et le contrôle appropriés de la pêche commerciale consiste à conférer aux tribunaux le pouvoir d’infliger des peines très sévères en cas de déclaration de culpabilité pour des infractions prévues à la Loi sur les pêches. Les plus récentes modifications à la Loi sur les pêches, édictées en 1991, visaient principalement à accroître la sévérité des peines afin de dissuader l’utilisation abusive des ressources halieutiques et de faire en sorte qu’il ne soit pas rentable pour les pêcheurs malhonnêtes de faire fi de la Loi sur les pêches et du Règlement. Par exemple, le législateur a augmenté et fixé à 500 000 $ le montant maximal des amendes dont sont passibles les personnes qui contreviennent au Règlement dans la zone régie par la convention.
27 Le législateur a aussi modifié le pouvoir d’ordonner la confiscation des biens saisis en vertu de la Loi sur les pêches et du produit de leur vente. Le pouvoir de confiscation est l’une des peines dont disposent depuis longtemps les tribunaux lorsqu’ils déterminent la peine de personnes déclarées coupables d’une infraction prévue à la Loi sur les pêches. Ce pouvoir est énoncé à l’art. 72, soit la disposition en cause dans le présent pourvoi. Avant les modifications de 1991, cette disposition limitait le pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente au produit de la vente de marchandises périssables que prévoyait le par. 71(3) (maintenant le par. 70(3)). Voici le libellé de l’ancienne disposition :
72. (1) Le tribunal ou le juge peuvent, en sus de toute autre peine imposée à la personne déclarée coupable d’une infraction à la présente loi ou à ses règlements, ordonner la confiscation de tout objet ou poisson saisi, ou du produit, en tout ou en partie, de la vente. Le cas échéant, la confiscation s’opère au profit de Sa Majesté du chef du Canada dès que l’ordonnance est rendue.
Quant au par. 71(3), il prévoyait :
71. . . .
(3) Si elle estime que des marchandises saisies en vertu du paragraphe (1) risquent de se détériorer, la personne qui en a la garde peut les vendre selon les modalités et aux prix qu’elle détermine.
Toutefois, depuis les modifications de 1991, l’art. 72 prévoit, et prévoyait pendant toute la période pertinente :
72. (1) Le tribunal qui déclare une personne coupable d’une infraction à la présente loi peut, en sus de toute autre peine infligée, ordonner que tout objet saisi qui a servi ou donné lieu à la perpétration de l’infraction — ou le produit de son aliénation — soit confisqué au profit de Sa Majesté.
B. Les principes d’interprétation des lois
28 Dans de nombreux arrêts, notre Cour a retenu le principe d’interprétation des lois contenu dans l’extrait suivant de Driedger, à la p. 87 de son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
29 Cet extrait célèbre de Driedger « résume le mieux » la méthode que privilégie notre Cour en matière d’interprétation des lois : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 et 23. Notre Cour a cité avec approbation ce passage de Driedger à de nombreuses occasions et dans différents contextes d’interprétation qu’il n’y a pas lieu de mentionner en l’espèce.
30 Compte tenu de l’interaction, en l’espèce, entre la compétence in personam dont la Cour suprême de Terre‑Neuve est investie en application de la Loi sur les pêches et de la compétence in rem en matière d’amirauté que la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour fédérale, il est important de garder à l’esprit les principes d’harmonisation des lois en examinant le « contexte global » du par. 72(1) et l’intention du législateur. Le professeur Ruth Sullivan a exprimé ainsi ces principes dans son ouvrage intitulé Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 288 :
[traduction] Le sens des mots dans un texte législatif ne dépend pas seulement de leur contexte immédiat, mais aussi d’un contexte plus large, qui comprend l’ensemble de la Loi et l’ensemble des lois en vigueur. Les présomptions de cohérence et d’uniformité d’expression s’appliquent non seulement aux lois traitant d’une même matière, mais aussi quoique avec moins de force à l’ensemble des lois adoptées par le législateur. [. . .] Par conséquent, toutes choses étant égales par ailleurs, on retiendra les interprétations qui réduisent la possibilité de contradiction ou d’incohérence parmi les différentes lois.
C. L’application des principes d’interprétation des lois : L’article 72 et l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation
1. Le sens ordinaire et grammatical
31 Dans l’interprétation de l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente que confère la Loi sur les pêches, il est normal de commencer par l’examen du sens ordinaire et grammatical du libellé du par. 72(1). Comme nous l’avons vu, cette disposition prévoit :
72. (1) Le tribunal qui déclare une personne coupable d’une infraction à la présente loi peut, en sus de toute autre peine infligée, ordonner que tout objet saisi qui a servi ou donné lieu à la perpétration de l’infraction — ou le produit de son aliénation — soit confisqué au profit de Sa Majesté. [Je souligne.]
32 Le pronom possessif figurant dans l’expression « le produit de son aliénation » renvoie manifestement à l’antécédent « tout objet saisi » figurant dans la proposition qui précède. L’article 51 constitue l’unique source du pouvoir de saisir des biens prévu par la Loi sur les pêches. Cette disposition permet de saisir « les bateaux de pêche, les véhicules, le poisson et tous autres objets dont [l’agent des pêches ou le garde‑pêche] a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par la perpétration d’une infraction à la présente loi . . .». En conséquence, si on interprète les termes utilisés au par. 72(1) dans leur sens ordinaire et grammatical, en tenant compte du type de biens susceptibles de saisie aux termes de l’art. 51, il est clair que la portée du par. 72(1) s’étend au prononcé d’une ordonnance de confiscation du produit de l’aliénation d’un navire saisi en vertu de la Loi. Il faut en outre souligner que le produit susceptible de confiscation n’est pas uniquement le produit d’une aliénation faite en vertu de la Loi sur les pêches.
2. L’historique de la Loi et l’intention du législateur
33 Pour comprendre la portée du par. 72(1), il est utile d’examiner son évolution sur le plan législatif. Les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant : Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 667, le juge Pigeon, cité avec approbation par le juge Major dans l’arrêt Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405, par. 13. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ancienne disposition prévoyant la confiscation limitait l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation au produit de la vente de marchandises périssables effectuée en vertu du par. 71(3) de la Loi (maintenant le par. 70(3)). Toutefois, en 1991, le par. 72(1) a été modifié et les termes limitant l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation du produit de la vente ont été supprimés. Il s’agit d’ailleurs du seul changement important apporté au par. 72(1). L’examen des Procès‑verbaux du Comité législatif et des Débats parlementaires publiés dans le Hansard ne nous éclaire pas beaucoup sur l’intention qu’avait le législateur en apportant cette modification à la disposition relative à la confiscation. En fait, le par. 72(1) n’a pas été mentionné dans le cadre des audiences du comité et des débats parlementaires qui ont précédé sa modification. Il est toutefois clair que, dans l’ensemble, les modifications apportées en 1991 à la Loi sur les pêches visaient à moderniser cette loi et à accroître la souplesse et la sévérité des peines reliées aux infractions prévues dans la Loi sur les pêches.
34 En supprimant la mention du produit de la vente de marchandises périssables pour la remplacer par la mention générale du produit de « tout objet saisi », les rédacteurs visaient peut‑être uniquement à simplifier le libellé de l’article, et non pas à élargir l’étendue de la confiscation en ce qui a trait au produit. Il existe toutefois une présomption selon laquelle les modifications du libellé d’une disposition législative poursuivent un but intelligible, comme préciser le sens, corriger une erreur ou modifier la loi : voir Sullivan, op. cit., p. 450. Le juge Laskin (plus tard Juge en chef) a appliqué cette présomption dans l’arrêt Bathurst Paper Ltd. c. Ministre des Affaires municipales du Nouveau‑Brunswick, [1972] R.C.S. 471, p. 477-478. S’exprimant au nom de notre Cour, il a statué qu’« [i]l est raisonnable de croire que les modifications aux lois ont un but, à moins que des indices intrinsèques, ou des indices extrinsèques recevables, démontrent qu’on n’ait voulu qu’en polir le style ». Compte tenu de la suppression totale des termes restrictifs, la modification apportée en 1991 au par. 72(1) a pour effet d’élargir la portée de la disposition relative à la confiscation en y intégrant le pouvoir de confisquer le produit de la vente d’un navire. Cet effet est conforme à l’intention du législateur, consignée dans le Hansard, qui consiste à accroître la souplesse et la sévérité des peines applicables aux infractions prévues dans la Loi sur les pêches.
35 À l’origine, les avocats n’ont pas porté l’historique législatif de la disposition relative à la confiscation à l’attention de notre Cour. La Cour d’appel n’a pas eu l’avantage d’entendre des arguments concernant l’effet des modifications de 1991 sur l’interprétation juste de l’étendue du pouvoir d’ordonner la confiscation. Quoi qu’il en soit, le sens ordinaire et grammatical du libellé du par. 72(1) et l’intention du législateur qui ressort de l’historique législatif de cette disposition appuient, ensemble, une interprétation de l’étendue du pouvoir de confiscation plus large que celle retenue par la Cour d’appel.
3. Le régime établi par la Loi
36 Comme je l’ai mentionné précédemment, la Loi sur les pêches crée des infractions et impose des peines dans le but de favoriser la réalisation de son objet, savoir la gestion et le contrôle appropriés de l’industrie de la pêche commerciale. Dans le présent pourvoi, nous nous intéressons en particulier à l’économie de la partie de la Loi sur les pêches intitulée « Aliénation des objets saisis ». Les dispositions figurant dans cette partie confèrent le pouvoir de disposer des biens de la personne accusée d’une infraction prévue par la Loi sur les pêches. Les agents des pêches ont le pouvoir de saisir les biens dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par la perpétration d’une infraction à la Loi sur les pêches (art. 51). Les biens saisis peuvent être retenus jusqu’à ce que leur confiscation soit prononcée ou jusqu’à l’issue des poursuites intentées à leur égard (par. 71(1)), ou restitués à leur propriétaire sur fourniture d’une garantie (par. 71(2)). Les personnes déclarées coupables d’une infraction peuvent être tenues d’indemniser la Couronne des frais engagés dans le cadre de la saisie, de la garde ou de l’aliénation des biens saisis (art. 71.1). Sauf dans le cas des marchandises périssables (par. 70(3)), rien ne permet l’aliénation ou la confiscation des biens avant le prononcé d’une déclaration de culpabilité et l’issue des poursuites intentées en application de la Loi sur les pêches. Dans les cas où il y a déclaration de culpabilité, le tribunal peut ordonner que les biens soient confisqués au profit de Sa Majesté (art. 72) ou soient affectés au paiement des amendes (par. 73.1(2)). La partie innocente qui prétend avoir un droit sur un bien confisqué peut solliciter une ordonnance déclarant que la confiscation ne porte pas atteinte à son droit (par. 75(1)).
37 Il est logique que la Loi sur les pêches traite de façon exhaustive des biens saisis en vertu de la Loi sur les pêches compte tenu de la nature particulière du type de biens en question : du poisson, des bateaux de pêche et du matériel. L’intimée soutient que l’art. 489.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, s’applique également aux biens saisis d’une personne accusée d’une infraction à la Loi sur les pêches. Or, cet article commence par les mots suivants : « Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale . . .». En conséquence, comme la Loi sur les pêches fédérale porte aussi sur les biens d’une personne accusée d’une infraction à cette Loi, je suis d’avis que l’art. 489.1 du Code criminel ne s’applique pas en l’espèce.
38 De façon générale, la Loi ne confère pas le pouvoir d’aliéner les biens saisis avant l’issue des poursuites intentées. Le régime établi par la Loi sur les pêches reflète donc comme il se doit la présomption d’innocence et le principe connexe selon lequel il faut préserver les biens de l’accusé jusqu’à ce qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée dans une décision définitive. Le motif pour lequel les marchandises périssables saisies sont soustraites à l’application de ces principes est évident : la qualité et la valeur des marchandises périssables diminuent lors de la garde, de sorte qu’il est dans l’intérêt de l’accusé que la Loi sur les pêches permette l’aliénation de ces marchandises en temps opportun (voir le par. 70(3)). Toutefois, le fait que la Loi sur les pêches préserve par ailleurs les biens de l’accusé n’empêche pas l’interprétation large du pouvoir d’ordonner la confiscation qu’a préconisée l’appelante. La Loi sur les pêches protège les biens de l’accusé dans le cadre de la procédure quasi pénale qu’elle prévoit, mais rien dans le régime établi par cette loi n’étend cette protection en matière civile. En d’autres termes, la personne accusée d’une infraction à la Loi sur les pêches ne peut invoquer la présomption d’innocence pour empêcher une personne ayant une demande in rem à faire valoir relativement à ses biens d’obtenir réparation ou pour retarder l’obtention de cette réparation. De même, une décision définitive qui établit la culpabilité d’une personne accusée d’une infraction à la Loi sur les pêches met fin à la présomption d’innocence et rien dans la Loi sur les pêches n’empêche la confiscation du produit d’une vente effectuée en matière civile. Ainsi, le régime établi par la Loi sur les pêches est à la fois suffisamment strict pour préserver les biens saisis d’une personne poursuivie en vertu de la Loi sur les pêches et suffisamment souple pour préserver le pouvoir d’imposer les peines nécessaires à la réalisation de l’objet de la Loi sur les pêches.
4. Le contexte législatif
a) Le traitement du produit de la vente prescrit par la Loi sur les pêches
39 Le dernier facteur à examiner est le contexte législatif du par. 72(1). Pour interpréter de façon restrictive le pouvoir d’ordonner la confiscation que confère le par. 72(1), la Cour d’appel s’est fondée en partie sur le traitement du produit de la vente prévu dans les paragraphes consécutifs qui précèdent cette disposition, soit les par. 70(3) et 71(1). Considérés ensemble, ces paragraphes prévoient :
70. . . .
(3) L’agent des pêches ou le garde‑pêche qui a la garde de marchandises périssables saisies peut en disposer de la façon qu’il estime indiquée, le produit de l’aliénation étant versé au receveur général.
71. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le poisson ou les objets saisis en vertu de la présente loi ou le produit de leur aliénation peuvent être retenus jusqu’à ce que leur confiscation soit prononcée ou qu’une décision définitive soit rendue lors des poursuites intentées à leur égard.
40 On a prétendu qu’étant donné que l’expression « le produit de l’aliénation » apparaît pour la première fois au par. 70(3) et qu’elle se limite dans ce contexte aux marchandises périssables, elle doit continuer d’être interprétée en ce sens lorsqu’elle figure dans les dispositions suivantes de la Loi sur les pêches. Pour illustrer la proposition qui précède, on prétend en outre que le par. 71(1) est plus logique si l’expression « le produit de leur aliénation », qui figure dans cette disposition, renvoie uniquement au produit dont il est fait mention au par. 70(3). Il serait inusité que le par. 71(1) de la Loi sur les pêches vise à autoriser la rétention du produit de l’aliénation d’un navire effectuée en vertu d’un autre texte législatif que la Loi sur les pêches. Normalement, la juridiction qui a ordonné la vente devrait conserver le produit de la vente. Par exemple, le receveur général conserve actuellement le produit de la vente du Kristina Logos au profit de la Cour fédérale, dont émane l’ordonnance de vente. Ce raisonnement, prétend‑on, justifie l’application à tous les paragraphes qui suivent, notamment au par. 72(1), de l’interprétation restrictive de l’expression « le produit » figurant au par. 70(3).
41 Toutefois, même s’il est possible de soutenir que le par. 71(1) est plus logique si l’on attribue une interprétation restrictive à l’expression « le produit », il ne perd pas sa raison d’être et ne devient pas absurde si on interprète cette expression selon son sens purement grammatical. Comme je l’ai mentionné précédemment relativement au par. 72(1), selon son sens ordinaire et grammatical, l’expression « le produit de leur aliénation » figurant à l’art. 71 englobe le produit de la vente des navires saisis en vertu de la Loi sur les pêches. Ainsi, l’art. 71 confère simplement un pouvoir de rétention du produit de la vente qui est en partie superflu, puisque ce n’est qu’exceptionnellement que ce pouvoir peut être exercé en pratique à l’égard du produit d’une vente effectuée en vertu d’un autre texte législatif que la Loi sur les pêches. Ce pourrait être le cas si la Cour fédérale statuait, dans une ordonnance fondée sur la règle 1007 des Règles de la Cour fédérale, que le produit de la vente doit être consigné à la Cour et retenu aux fins de l’exécution d’ordonnances émanant d’autres tribunaux. De plus, bien que rien ne permette l’aliénation des biens saisis avant l’issue des poursuites à leur égard, le par. 71(1) de la Loi sur les pêches prévoit la rétention du produit de la vente des « objets saisis en vertu de la présente loi ». En outre, selon la règle 1008 des Règles de la Cour fédérale, la Cour fédérale a le pouvoir de déterminer les droits de tous les réclamants sur l’argent consigné à la cour en vertu de la règle 1007(7). Il est donc difficile de faire la distinction, sur le plan des principes, entre le cas où la Couronne établit devant le tribunal provincial une réclamation exécutée par la suite en Cour fédérale et la situation en l’espèce où le tribunal provincial ordonne la confiscation de l’argent consigné à la Cour fédérale. En conséquence, ces considérations n’amènent pas nécessairement à conclure, comme l’a fait la Cour d’appel, que les par. 70(3) et 71(1), interprétés ensemble, limitent le pouvoir d’ordonner la confiscation conféré par le par. 72(1).
42 D’ailleurs, si le législateur avait voulu que les expressions « le produit de leur aliénation » et « le produit de son aliénation » figurant respectivement aux par. 71(1) et 72(1) se limitent au produit de la vente de marchandises périssables, il aurait pu le dire explicitement, comme il l’a fait au par. 70(3) ainsi qu’aux par. 72(2) et 72(3). Au contraire, un modèle se dessine clairement quant à l’utilisation des expressions en cause : dans certains articles, elles sont expressément limitées au produit de la vente des marchandises périssables, alors que dans d’autres dispositions, elles renvoient de façon plus générale à tous les genres de biens saisis en vertu de la Loi et au produit de leur vente.
43 Il faut aussi souligner que les par. 70(3) et 71(1) visent les biens d’une personne à l’étape des procédures où celle‑ci est seulement accusée d’une infraction. Par contre, le par. 72(1) se rapporte aux biens d’une personne déclarée coupable d’une infraction. Les paragraphes 70(3) et 71(1) diffèrent donc du par. 72(1) : les premiers traitent de questions de procédure tandis que le dernier constitue en fait une disposition relative à la détermination de la peine. En ce sens, il faut prendre l’art. 72 isolément et le considérer séparément des articles qui le précèdent immédiatement. Cette distinction semble réfuter l’argument selon lequel il faut lire les par. 70(3), 71(1) et 72(1) conjointement pour interpréter les expressions « le produit de leur aliénation » et « le produit de son aliénation ».
b) La rétention matérielle continue
44 Selon l’appelante, la Cour d’appel a commis une erreur en concluant que la rétention matérielle continue des biens saisis constituait une condition préalable au prononcé d’une ordonnance de confiscation sous le régime du par. 72(1). La seule condition préalable claire et explicite au prononcé d’une telle ordonnance est la déclaration de culpabilité de l’accusé. Pour le reste, le libellé du par. 72(1) est équivoque sur cette question. L’existence d’une condition préalable de rétention matérielle continue pourrait être logique si le mot « saisi » était interprété uniquement au présent. Ce terme peut toutefois être interprété au passé et viser les objets saisis antérieurement en vertu de la Loi. En outre, la définition juridique du terme « confiscation » (« forfeiture ») est [traduction] « le retranchement d’un bien ou droit de propriété particulière sans indemnité » (« a divestiture of specific property without compensation ») : voir Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), p. 650. Il se pourrait qu’après le simple retranchement des droits de propriété du propriétaire, sans plus, le titre de propriété des biens soit nécessairement dévolu à la partie qui en a la possession, c’est-à-dire la Couronne, lorsqu’elle les retient dans l’exercice de ses pouvoirs jusqu’à la confiscation. Le paragraphe 72(1) indique toutefois que « [l]e tribunal [. . .] peut [. . .] ordonner que tout objet [. . .] ou le produit [. . .] soit confisqué au profit de Sa Majesté ». Par conséquent, une fois la confiscation ordonnée en vertu du par. 72(1), tous les droits de propriété des biens sont dévolus à Sa Majesté, peu importe qui en a la possession au moment de la confiscation. En d’autres termes, il ne ressort pas expressément du par. 72(1) que la rétention matérielle continue constitue une condition préalable au prononcé d’une ordonnance de confiscation.
45 Toutefois, après avoir examiné les pouvoirs de saisie, de garde et de rétention prévus aux art. 51, 70 et 71, la Cour d’appel a conclu que la rétention matérielle continue était une condition préalable nécessaire à la confiscation. Selon la Cour d’appel (au par. 34) :
[traduction] Il y a deux possibilités à la suite d’une saisie : le navire ou l’autre objet saisi sera soit retenu par l’agent des pêches ou son représentant, soit remis à son propriétaire, ce qui met fin à la saisie.
Malheureusement, la Cour d’appel n’a pas poussé son analyse assez loin à cet égard. Premièrement, elle n’a pas traité de la possibilité que les biens en question fassent l’objet d’une mainlevée de saisie sans être restitués à leur propriétaire parce qu’un autre tribunal en aurait ordonné la saisie ou la vente. Cet élément est important puisque, comme je l’ai mentionné précédemment, le législateur a modifié la Loi sur les pêches en 1991 pour supprimer la restriction selon laquelle seul le produit d’une vente effectuée en vertu de la Loi sur les pêches était susceptible de confiscation. Deuxièmement, la Cour d’appel n’a pas tenu compte de l’effet qu’aurait la condition préalable de rétention matérielle continue sur le processus par lequel un navire peut être restitué à son propriétaire sur dépôt d’une garantie en vertu du par. 71(2).
46 Le processus par lequel le dépôt d’une garantie permet la mainlevée de la saisie des biens en vertu du par. 71(2) de la Loi sur les pêches est un genre de cautionnement. Cette disposition confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la restitution des biens au saisi si une garantie, que le ministre juge acceptable quant au montant et à la forme, est fournie à Sa Majesté. Il y a donc formation d’un contrat entre la Couronne et la personne qui demande la restitution des biens, par lequel cette dernière donne en gage à la Couronne un objet de valeur, généralement un montant d’argent égal ou supérieur à la valeur marchande des biens saisis, pour garantir l’exécution de l’obligation principale. Cette entente profite aux deux parties parce que le saisi peut récupérer les biens et les utiliser à bon escient et que la Couronne n’a pas à engager des dépenses pour leur garde et leur entretien. De cette manière, les deux parties, de même que les créanciers, sont protégés contre la diminution de valeur résultant de l’accumulation des frais de garde au cours de la rétention des biens. Il existe donc des raisons valables et impérieuses d’interpréter cette loi de façon à harmoniser les droits de l’accusé, de la Couronne, des employés et des créanciers, qui ont intérêt à obtenir la remise en circulation des biens productifs qui génèrent des revenus. Compte tenu de la possibilité d’une longue période de rétention avant le procès, la restitution des biens sur fourniture d’une garantie comporte d’importants avantages et il ne faut pas décourager le recours à ce processus.
47 Toutefois, pour les motifs qui suivent, il serait moins intéressant de recourir à ce processus si une ordonnance de confiscation était assujettie à une condition préalable de rétention matérielle continue. La Loi ne semble pas conférer le pouvoir d’ordonner la confiscation d’un dépôt de garantie; seul le navire ou les autres biens contre lesquels la garantie est échangée peuvent être confisqués. Le droit de réclamer le dépôt de garantie est contractuel et découle de l’inexécution des obligations qu’a contractées le saisi lors de la restitution des biens. Il devrait être loisible aux parties de prévoir dans un tel contrat l’obligation de restituer le navire si celui‑ci fait l’objet d’une ordonnance de confiscation. Rien dans la Loi ne fait ressortir l’intention d’empêcher les parties de stipuler ce genre de clause.
48 De plus, si la rétention matérielle continue était une condition préalable au prononcé d’une ordonnance de confiscation, il faudrait, pour que cette peine puisse être appliquée, que la Couronne refuse le dépôt de garantie ou que le tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire et refuse d’ordonner la restitution des biens. Rien dans la Loi sur les pêches n’indique que la mesure provisoire et interlocutoire que constitue la restitution des biens sur dépôt d’une garantie devrait écarter ou rendre inapplicable la réparation de la confiscation. Une telle interprétation est incompatible avec les avantages mutuels que comporte ce processus, l’harmonisation des droits des parties et des tiers innocents, l’intention du législateur d’accroître la sévérité et la souplesse des peines prévues par la Loi sur les pêches et l’effet dissuasif du pouvoir de confiscation. Après avoir pris tous ces éléments en considération, j’estime que le par. 72(1) prévoit le prononcé d’une ordonnance de confiscation contre un navire ayant fait l’objet d’une mainlevée de saisie et restitué sur dépôt d’une garantie. En outre, l’autorisation de confisquer « tout objet saisi » accordée par le par. 72(1) vise les objets qui ont été saisis antérieurement en vertu de la Loi sur les pêches, mais qui ont fait l’objet d’une mainlevée.
c) Le recours en cas de confiscation
49 En outre, la Cour d’appel n’a pas examiné les répercussions de l’art. 75 de la Loi sur les pêches. L’article 75 permet aux parties innocentes détenant un droit sur des biens de solliciter auprès de la cour supérieure d’une province une ordonnance déclarant que la confiscation ne porte pas atteinte à leurs droits et précisant l’étendue de ceux‑ci. Une partie innocente peut faire valoir son droit sur le navire sous la forme d’une demande in rem présentée devant la Cour fédérale, exerçant alors sa compétence en matière d’amirauté. Malgré l’argument de l’intimée selon lequel les tribunaux de Terre‑Neuve ont conservé intacte leur compétence en matière d’amirauté, une telle procédure est normale, surtout dans les ressorts où la compétence des cours supérieures en matière d’amirauté a été cédée à la Cour fédérale du Canada. Il serait d’ailleurs abusif d’obliger la partie faisant valoir un droit réel sur un navire saisi à attendre la délivrance d’une ordonnance de confiscation en application de la Loi sur les pêches pour qu’un tribunal compétent en matière d’amirauté détermine l’étendue de son droit. Par conséquent, il ressort clairement de l’art. 75 que la Loi sur les pêches prévoit la possibilité d’instances parallèles, in personam et in rem, touchant le même navire. Cette conclusion renforce l’opinion que le par. 72(1) autorise la confiscation du produit de la vente obtenu en vertu d’un autre texte législatif que la Loi sur les pêches.
d) L’harmonisation des lois
50 Comme je l’ai mentionné précédemment, en raison de l’interaction entre la compétence in personam dont la Cour suprême de Terre‑Neuve est investie en application de la Loi sur les pêches et de la compétence in rem en matière d’amirauté que la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour fédérale, il est important d’appliquer en l’espèce les principes d’harmonisation des lois dans le cadre de l’examen du « contexte global » du par. 72(1) et de l’intention du législateur.
51 On peut et on doit interpréter les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale en matière d’amirauté et les dispositions de la Loi sur les pêches comme des régimes cohérents et harmonieux de réglementation des questions maritimes. Les bateaux de pêche et leur utilisation sont au cœur des activités que régit chacun de ces systèmes, et les dispositions de l’un influenceront inévitablement les dispositions de l’autre. Par exemple, il est probable que de nombreux bateaux de pêche sont grevés d’une hypothèque et qu’ils doivent être exploités et générer des revenus pour permettre le remboursement de l’emprunt hypothécaire. La saisie d’un tel navire en application de la Loi sur les pêches peut donner lieu à une longue rétention avant le procès. Si le propriétaire est incapable d’obtenir la restitution du navire en fournissant une garantie, il est vraisemblable qu’une période de rétention empêchant son utilisation dans l’océan et faisant obstacle à ses activités lucratives entraîne une poursuite civile contre le navire devant un tribunal compétent en matière d’amirauté comme la Cour fédérale du Canada. Les modifications apportées en 1991 au par. 72(1) s’expliquent donc raisonnablement et manifestement de la façon suivante : le législateur a anticipé ce scénario et, afin de préserver la compétence des tribunaux d’imposer la confiscation comme peine, il a élargi le pouvoir d’ordonner la confiscation au produit de la vente d’un navire saisi effectuée en vertu d’un texte législatif autre que la Loi sur les pêches, donnant ainsi effet à l’intention du législateur d’augmenter les peines reliées aux infractions en matière de pêche tout en protégeant l’application de la présomption d’innocence à l’égard de la procédure quasi pénale de la Loi sur les pêches.
52 Si on adoptait l’interprétation restrictive qu’a donnée la Cour d’appel au par. 72(1), une ordonnance de vente de la Cour fédérale mettrait fin au pouvoir de la Cour suprême de Terre‑Neuve d’ordonner la confiscation. En ce qui a trait à l’interaction entre la Loi sur les pêches et la compétence en matière d’amirauté prévue dans la Loi sur la Cour fédérale, un tel résultat n’est pas conforme au principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet.
V. Conclusion
53 Compte tenu des différentes questions en cause dans le présent pourvoi, des questions de compétence qu’elles soulèvent et de la conciliation des compétences in rem et in personam, criminelle et commerciale, maritime et pénale, ainsi que de la compétence de la Cour fédérale et du tribunal provincial, je conclus que le par. 72(1) autorise le tribunal chargé de la détermination de la peine à rendre une ordonnance de confiscation du produit de l’aliénation d’un navire saisi à l’origine en application de la Loi sur les pêches, mais vendu dans l’exercice de la compétence de la Cour fédérale du Canada. La Loi sur les pêches prévoyait la vente du navire, mais ce n’est pas en application de cette loi que la vente a été effectuée. En outre, la Couronne n’a pas introduit d’instance en Cour fédérale dans la présente affaire, et sa demande d’intervention et sa requête visant l’obtention d’une ordonnance de vente ne visaient pas à contourner les restrictions de la Loi sur les pêches.
54 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel et de rétablir l’ordonnance de confiscation qu’a rendue le juge chargé de la détermination de la peine.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelante : Le sous-procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intimée : Lewis, Sinnott, Shorthall & Hurley, St. John’s.