COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Basque, 2023 CSC 18
Appel entendu : 8 novembre 2022
Jugement rendu : 30 juin 2023
Dossier : 39997
Entre :
Jennifer Basque
Appelante
et
Sa Majesté le Roi
Intimé
- et -
Procureur général de l’Alberta
Intervenant
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
Motifs de jugement :
(par. 1 à 78)
Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.
Jennifer Basque Appelante
c.
Sa Majesté le Roi Intimé
et
Procureur général de l’Alberta Intervenant
Répertorié : R. c. Basque
2023 CSC 18
No du greffe : 39997.
2022 : 8 novembre; 2023 : 30 juin.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick
Droit criminel — Détermination de la peine — Peines minimales obligatoires — Crédit pour interdiction présentencielle de conduire — Contrevenante accusée de conduite avec facultés affaiblies remise en liberté sous promesse de ne pas conduire un véhicule à moteur dans l’attente de son procès — Infraction assortie d’une interdiction obligatoire de conduire un véhicule à moteur durant une période minimale d’un an — Le juge chargé de la détermination de la peine pouvait‑il octroyer un crédit pour la période d’interdiction de conduire déjà purgée par la contrevenante dans l’attente du procès? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 259(1)a), 719(1).
Accusée de conduite avec facultés affaiblies par voie d’infraction punissable par procédure sommaire, la contrevenante a été remise en liberté sous promesse de ne pas conduire un véhicule à moteur dans l’attente de son procès. Elle est demeurée sous le coup de cette interdiction jusqu’au prononcé de sa peine, 21 mois plus tard. Au moment des faits reprochés, l’al. 259(1)a) du Code criminel (« C. cr. ») exigeait du tribunal qu’il rende à l’égard d’un contrevenant accusé d’une première infraction de conduite avec facultés affaiblies une ordonnance lui interdisant de conduire un véhicule à moteur durant une période minimale d’un an. Le juge chargé de la détermination de la peine impose à la contrevenante une période d’interdiction de conduire d’un an, et choisit d’antidater l’ordonnance au premier jour de l’interdiction présentencielle, de telle sorte que la période prévue par la loi est entièrement complétée en date de sa décision.
Le juge d’appel en matière de poursuites sommaires rejette l’appel du ministère public. Tout en soulignant que le premier juge a eu tort d’antidater l’interdiction, il conclut que le premier juge pouvait néanmoins accorder un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire, dans la mesure où une telle interdiction constitue une condition de remise en liberté et fait également partie de la peine ultérieurement infligée. Toutefois, la Cour d’appel accueille à la majorité l’appel subséquent du ministère public, déterminant qu’il n’existe aucune autorité permettant d’octroyer un crédit de façon à écarter la peine minimale obligatoire prévue par la loi.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Il était loisible au juge chargé de la détermination de la peine de tenir compte de la période de 21 mois déjà purgée par la contrevenante puisque cela ne contrecarrerait pas la volonté du législateur en adoptant la peine minimale obligatoire. Aucun conflit ne résulte de l’application concomitante de l’al. 259(1)a) C. cr. et de la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit. Au moment du prononcé de la sentence, le tribunal est tenu d’infliger la peine minimale obligatoire d’un an, mais rien dans la loi ne l’empêche d’octroyer ensuite un crédit. De même, l’octroi d’un crédit ne contrevient pas à la règle prévue au par. 719(1) C. cr. exigeant que la peine commence au moment où elle est infligée. Seule la sentence doit commencer au moment où elle est prononcée, et non la peine minimale obligatoire d’un an purgée en application de l’al. 259(1)a). Par conséquent, ces dispositions législatives n’écartent pas le pouvoir discrétionnaire fondé sur la common law, reconnu aux juges des peines dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, permettant au tribunal d’octroyer un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire.
Le droit criminel canadien se compose à la fois du droit établi par le législateur et de principes de common law. Cette coexistence de la législation et de la common law anime le droit relatif à la détermination de la peine. Alors que le Code criminel codifie les principes fondamentaux de la détermination de la peine, les tribunaux peuvent aussi tenir compte d’autres principes et facteurs découlant de la common law. Bien que la législation puisse être prépondérante sur la common law, cette dernière demeure applicable dans la mesure où elle n’est pas écartée explicitement ou par implication nécessaire, principe justifié par l’importance de la stabilité du droit. Le cadre d’analyse en deux étapes relatif à l’interaction entre la législation et la common law est bien établi. Dans un premier temps, il s’agit d’analyser, identifier et énoncer la common law applicable puis, dans un second temps, de préciser l’effet du droit statutaire sur la common law.
Quant à la première étape de l’analyse, la common law permet aux tribunaux d’accorder un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire subie par un contrevenant. Ce pouvoir discrétionnaire de common law est l’extension naturelle d’un principe analogue en matière de détention présentencielle. Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu qu’il est possible de tenir compte, dans l’infliction de la peine, de toute période d’incarcération que le contrevenant a déjà purgée entre la date de son arrestation et celle du prononcé de sa sentence. L’octroi d’un crédit pour la période de détention présentencielle purgée par le contrevenant fait partie des principes centraux de la détermination de la peine, bien qu’il ne soit pas exprimé législativement. Le principe autorisant l’octroi d’un crédit en matière de détention présentencielle permet de pallier certaines injustices découlant de l’application du principe interdisant d’antidater une sentence, aujourd’hui codifié au par. 719(1). Bien que le droit canadien ne permette pas aux tribunaux d’antidater une sentence afin de la réduire, ceux‑ci peuvent néanmoins considérer le temps passé en détention présentencielle dans le calcul de la période devant être purgée par le contrevenant de façon prospective. L’application de cette règle de common law permettant l’octroi d’un crédit n’équivaut donc pas à antidater la sentence.
De plus, l’absence, en matière d’interdictions présentencielles de conduire, d’une disposition législative équivalente au par. 719(3) C. cr., qui codifie l’octroi d’un crédit en matière de détention présentencielle, n’a pas pour effet d’écarter ou de limiter la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit. En l’absence d’une intention contraire exprimée clairement par le législateur, une loi ne devrait pas être interprétée de façon à modifier substantiellement le droit, y compris la common law. Le paragraphe 719(3) a été édicté dans le contexte spécifique de la détention présentencielle, et les débats parlementaires tendent à indiquer que l’intention du Parlement était de s’assurer que l’octroi d’un crédit demeurait possible dans le cas d’une peine minimale obligatoire de détention. Rien n’indique que le Parlement se soit penché sur la possibilité d’accorder un crédit pour les interdictions présentencielles de conduire. De même, les débats parlementaires n’offrent aucune indication étayant la thèse suivant laquelle le législateur aurait cherché à écarter, que ce soit explicitement ou par implication nécessaire, la règle de common law applicable à l’égard de ces interdictions. Il ne s’agit pas d’un cas de figure où le Parlement aurait fait clairement état de son intention d’écarter ou de limiter la common law applicable.
Relativement à la deuxième étape de l’analyse, l’al. 259(1)a) ne limite pas la portée de la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire. L’octroi discrétionnaire d’un crédit fondé sur la common law peut coexister harmonieusement avec le respect par les juges de la peine minimale obligatoire édictée par la loi. Cette coexistence repose sur la distinction connue entre les concepts de « peine » au sens de punition ou de privation (en anglais « punishment »), et de « peine » au sens de décision de justice ou de sentence (en anglais « sentence »). Alors que le terme « peine », employé au sens de punition, renvoie à la punition totale subie par le contrevenant, le même mot, employé au sens de sentence, réfère à la décision de justice rendue par le tribunal, laquelle est toujours prospective, afin d’empêcher la pratique judiciaire d’antidater les sentences.
Conformément à la méthode moderne d’interprétation des lois, la portée de l’al. 259(1)a) C. cr. doit être cernée en examinant son texte, son contexte et son objet. Correctement interprété, l’al. 259(1)a) prévoit une punition minimale, et non une sentence minimale. L’interprétation selon laquelle l’al. 259(1)a) C. cr. prévoit l’infliction d’une peine d’un an au sens d’une punition globale satisfait parfaitement aux objectifs de dissuasion et de punition qui sous‑tendent la disposition. L’intention du Parlement est respectée, que la punition soit purgée avant ou après le prononcé de la sentence, puisque dans un cas comme dans l’autre l’effet sur le contrevenant est identique. Bien que silencieuse quant au crédit, la disposition ne souffre d’aucune ambiguïté : elle n’admet qu’une seule interprétation, soit l’infliction d’une peine minimale obligatoire au sens de punition. Si l’al. 259(1)a) C. cr. exigeait le prononcé d’une sentence minimale, l’écart approprié entre les peines infligées aux contrevenants les plus dangereux et les moins dangereux risquerait indûment de s’effriter, et la gradation méticuleuse des interdictions minimales établie par le Parlement au par. 259(1) serait minée. En l’absence d’une intention claire à cet effet, il faut présumer que le Parlement n’avait pas l’intention de produire de tels résultats absurdes. Cette interprétation de l’al. 259(1)a) C. cr., en plus de laisser place à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal d’octroyer un crédit, est compatible avec les principes généraux de la détermination de la peine et ne porte pas atteinte à l’intégrité du système de justice criminelle.
En l’espèce, l’imposition d’une punition additionnelle d’un an équivaudrait à une sorte de double punition, contrairement aux exigences les plus fondamentales de justice et d’équité. Au moment où le jugement de détermination de la peine a été rendu, la contrevenante avait essentiellement commencé à purger sa peine depuis 21 mois. Conscient de cette réalité, le juge chargé de la détermination de la peine a ordonné une interdiction de conduire d’un an, mais a considéré que la contrevenante avait déjà satisfait à cette condition. Cependant, il a antidaté la sentence de la contrevenante pour arriver à ce résultat, ce qui était une erreur. Il aurait pu, à bon droit, infliger la peine minimale obligatoire d’un an prescrite par l’al. 259(1)a) C. cr., préciser que la sentence commence au moment où elle est prononcée aux termes du par. 719(1) C. cr. et, ensuite, octroyer un crédit pour la période présentencielle d’interdiction de conduire en application du pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît la common law, pouvoir qui n’est nullement écarté par le Code criminel.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; arrêt examiné : R. c. Wust, 2000 CSC 18, [2000] 1 R.C.S. 455; arrêts mentionnés : R. c. McDonald (1998), 1998 CanLII 13327 (ON CA), 40 O.R. (3d) 641; R. c. Sharma, 1992 CanLII 90 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 814; Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, [2016] 2 R.C.S. 521; R. c. Bland, 2016 YKSC 61, 3 M.V.R. (7th) 112; R. c. Edwards (2016), 382 Nfld. & P.E.I.R. 225; R. c. Hilbach, 2023 CSC 3; R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 686; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; R. c. Tim, 2022 CSC 12; R. c. Jobidon, 1991 CanLII 77 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 714; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Skolnick, 1982 CanLII 54 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 47; R. c. Pham, 2013 ONCJ 635, 296 C.R.R. (2d) 178; 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), 1996 CanLII 153 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 919; Zaidan Group Ltd. c. London (Ville), 1991 CanLII 53 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 593; Frame c. Smith, 1987 CanLII 74 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 99; Urban Mechanical Contracting Ltd. c. Zurich Insurance Co., 2022 ONCA 589, 163 O.R. (3d) 652; R. c. Goulding (1987), 1987 CanLII 6784 (NS CA), 81 N.S.R. (2d) 158; R. c. Pellicore, [1997] O.J. No. 226 (QL), 1997 CarswellOnt 246 (WL); R. c. Williams, 2009 NBCP 16, 346 R.N.‑B. (2e) 164; Bilodeau c. R., 2013 QCCA 980; R. c. Sloan (1947), 1947 CanLII 364 (ON CA), 87 C.C.C. 198; R. c. Patterson (1946), 1946 CanLII 383 (ON CA), 87 C.C.C. 86; R. c. Wells (1969), 1969 CanLII 1129 (BC CA), 4 C.C.C. 25; McClurg c. Canada, 1990 CanLII 28 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1020; Turgeon c. Dominion Bank, 1929 CanLII 47 (SCC), [1930] R.C.S. 67; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Mathieu, 2008 CSC 21, [2008] 1 R.C.S. 723; R. c. Fice, 2005 CSC 32, [2005] 1 R.C.S. 742; R. c. Walker, 2017 ONCA 39, 345 C.C.C. (3d) 497; R. c. Severight, 2014 ABCA 25, 566 A.R. 344; R. c. LeBlanc, 2005 NBCA 6, 279 R.N.‑B. (2e) 121; R. c. Hills, 2023 CSC 2; Schwartz c. Canada, 1996 CanLII 217 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 254; R. c. Sohal, 2019 ABCA 293, 91 Alta. L.R. (6th) 48; R. c. Fox, 2022 ABQB 132, 89 M.V.R. (7th) 23; R. c. Froese, 2020 MBQB 11, 461 C.R.R. (2d) 1; R. c. Osnach, 2019 MBPC 1, 38 M.V.R. (7th) 257; R. c. Bryden, 2007 NBBR 316, 323 R.N.‑B. (2e) 119; R. c. Panday, 2007 ONCA 598, 87 O.R. (3d) 1; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906; R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554; Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2019 CSC 43, [2019] 3 R.C.S. 418; Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, 1974 CanLII 1 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 108; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 8(3), 9a), 109(2)a), 253(1)b) [abr. L.C. 2018, c. 21, art. 14], 255(5) [idem], 259(1) [idem], 320.24(2) [aj. idem, art. 15], partie XXIII, 718.3(2), 719(1), (3).
Doctrine et autres documents cités
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Canada. Commission canadienne sur la détermination de la peine. Structure de la détermination de la peine au Canada : perspectives historiques, par Martin Friedland, Ottawa, 1988.
Cornu, Gérard. Linguistique juridique, 3e éd., Paris, Montchrestien, 2005.
Côté, Pierre‑André, et Mathieu Devinat. Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021.
Crouse, George H. « A Critique of Canadian Criminal Legislation : Part One » (1934), 12 R. du B. can. 545.
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Fortin, Jacques, et Louise Viau. Traité de droit pénal général, Montréal, Thémis, 1982.
Manson, Allan. « Pre‑Sentence Custody and the Determination of a Sentence (Or How to Make a Mole Hill out of a Mountain) » (2004), 49 C.L.Q. 292.
Mayrand, Albert. Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007, « expressio unius est (ou fit) exclusio alterius ».
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Picotte, Jacques. Juridictionnaire : Recueil des difficultés et des ressources du français juridique, 15 octobre 2018 (en ligne), « peine/sentence ».
Québec. Cour d’appel. Lexique en droit pénal (en ligne).
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Vauclair, Martin, et Tristan Desjardins, avec la collaboration de Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales 2022, 29e éd., Montréal, Yvon Blais, 2022.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (le juge en chef Richard et les juges Baird et French), 2021 NBCA 50, 410 C.C.C. (3d) 228, 84 M.V.R. (7th) 54, [2021] A.N.‑B. no 288 (QL), 2021 CarswellNB 565 (WL), qui a écarté une décision du juge Dysart, 2020 NBBR 130, 65 M.V.R. (7th) 208, [2020] A.N.‑B. no 194 (QL), 2020 CarswellNB 386 (WL), qui avait confirmé la peine imposée à la contrevenante par le juge McCarroll de la Cour provinciale. Pourvoi accueilli.
Robert K. McKee, pour l’appelante.
Patrick McGuinty et Pierre Gionet, pour l’intimé.
Elisa Frank, pour l’intervenant.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge Kasirer —
I. Survol
[1] Accusée de conduite avec facultés affaiblies en 2017 par voie d’infraction punissable par procédure sommaire, l’appelante, Jennifer Basque, a été remise en liberté sous promesse de ne pas conduire un véhicule à moteur dans l’attente de son procès. Elle est demeurée sous le coup de cette interdiction jusqu’au prononcé de sa peine, 21 mois plus tard. Au moment des faits reprochés, l’al. 259(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »), exigeait du tribunal qu’il rende à l’égard du contrevenant une « ordonnance lui interdisant de conduire un véhicule à moteur [. . .] durant une période minimale d’un an »[1].
[2] Le juge chargé de la détermination de la peine pouvait-il octroyer à Mme Basque un crédit pour la période d’interdiction de conduire déjà purgée, malgré l’effet combiné de cette interdiction minimale obligatoire d’un an et de la directive — codifiée au par. 719(1) C. cr. — portant que, sauf exception, la peine commence au moment où elle est infligée?
[3] N’eût été l’exigence de l’al. 259(1)a), il ne fait aucun doute que l’octroi d’un crédit serait possible. En effet, dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089 — une affaire qui ne concernait pas une interdiction minimale obligatoire — notre Cour a confirmé l’existence d’un pouvoir discrétionnaire, fondé sur la common law, permettant au tribunal d’octroyer un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire. Ce pouvoir est l’extension naturelle d’une pratique de longue date autorisant l’octroi d’un crédit pour des périodes de détention présentencielle.
[4] Dans la mesure où il respecte les balises constitutionnelles pertinentes, le Parlement peut certes adopter une loi qui écarterait la règle de common law permettant d’octroyer un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire. Madame Basque n’attaque pas la constitutionnalité de l’al. 259(1)a), mais soutient que sa demande de crédit n’est nullement limitée par l’imposition de l’interdiction minimale obligatoire. Or, prenant appui sur les motifs majoritaires de la Cour d’appel, l’intimé, le ministère public, affirme que l’octroi d’un crédit en l’espèce entrerait en conflit avec l’application de l’interdiction minimale d’un an, même si la disposition législative en jeu est silencieuse à cet égard.
[5] Soit dit en tout respect, j’estime que l’intimé a tort. À mon avis, l’octroi d’un crédit fondé sur le pouvoir discrétionnaire de common law reconnu dans l’arrêt Lacasse s’accorde parfaitement avec l’application de l’interdiction minimale à l’al. 259(1)a) C. cr. et avec la règle exigeant que la peine commence au moment où elle est infligée au par. 719(1) C. cr. Par conséquent, il était loisible au juge de première instance de tenir compte de la période de 21 mois déjà purgée par Mme Basque, puisque cela ne contrecarrerait pas la volonté du législateur.
[6] L’octroi discrétionnaire d’un crédit fondé sur la common law peut coexister harmonieusement avec le respect par les juges de la peine minimale obligatoire édictée par la loi. Cette coexistence repose sur la distinction connue entre les concepts de « peine » au sens de punition ou de privation (en anglais, « punishment »), et de « peine » au sens de décision de justice ou de sentence (en anglais, « sentence »). Cette distinction, discutée par le juge d’appel Rosenberg dans le contexte du crédit pour détention présentencielle dans l’arrêt R. c. McDonald (1998), 1998 CanLII 13327 (ON CA), 40 O.R. (3d) 641 (C.A.), a été reprise par la juge Arbour de notre Cour, avec une attention particulière aux sens multiples du terme français « peine », dans l’arrêt R. c. Wust, 2000 CSC 18, [2000] 1 R.C.S. 455, par. 35‑37. Dans cette optique, explique la juge Arbour, alors que le terme peine, employé au sens de punition, renvoie à la punition totale subie par le contrevenant, le même mot, employé au sens de sentence, réfère à la décision de justice rendue par le tribunal. On notera que la sentence, elle, est toujours prospective, afin d’empêcher la pratique judiciaire d’antidater les sentences (voir par. 719(1) C. cr.).
[7] En règle générale, le but d’une peine minimale obligatoire est d’infliger au contrevenant une punition effective d’une durée minimale précise. Il en est ainsi puisque les objectifs qui sous-tendent une peine minimale sont aussi bien servis que celle‑ci soit purgée avant ou après le prononcé de la sentence. En l’occurrence, la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 259(1)a) ne fait pas exception à cette règle.
[8] Correctement interprété, l’al. 259(1)a) prescrit l’infliction d’une punition totale d’un an à purger, et non le prononcé d’une sentence condamnant ce dernier à une interdiction d’un an devant nécessairement être purgée de façon prospective. Comme le souligne le juge d’appel Rosenberg dans l’arrêt McDonald, l’intention du Parlement est respectée, que la punition soit purgée avant ou après le prononcé de la sentence, puisque dans un cas comme dans l’autre l’effet sur le contrevenant est identique. Ainsi interprété, l’al. 259(1)a) n’interdisait pas au juge de première instance de « réduire » la sentence par l’octroi d’un crédit tenant compte de la période présentencielle d’interdiction de conduire, dans la mesure où la punition totale respectait toujours le minimum prescrit par le Parlement.
[9] En l’espèce, au moment où le jugement de première instance a été rendu, Mme Basque avait essentiellement « commencé à purger sa peine » depuis 21 mois (voir R. c. Sharma, 1992 CanLII 90 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 814, p. 818, cité avec approbation par le juge Wagner, maintenant juge en chef, dans l’arrêt Lacasse, par. 113). Selon cette perspective, les objectifs visés par la peine minimale prévue à l’al. 259(1)a) étaient déjà réalisés — et même dépassés. En pareil contexte, l’octroi d’un crédit pour « réduire » la durée de l’interdiction imposée à Mme Basque n’entre pas en conflit avec l’al. 259(1)a), étant donné qu’elle a déjà purgé une période de prohibition de conduire excédant la durée minimale d’un an prescrite par cette disposition. En outre, l’octroi d’un crédit répond aux considérations d’équité et de justice évoquées dans l’arrêt Wust, dont celle que le juge Paciocco a utilement appelée, dans un article de doctrine, [traduction] « l’aversion pour la double punition » (D. M. Paciocco, « The Law of Minimum Sentences : Judicial Responses and Responsibility » (2015), 19 Rev. can. D.P. 173, p. 211).
[10] En somme, aucun conflit ne résulte de l’application concomitante de l’al. 259(1)a) et de la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit. Au moment du prononcé de la sentence, le tribunal est tenu d’infliger la peine minimale obligatoire d’un an, mais rien dans la loi ne l’empêche d’octroyer ensuite un crédit. De même, l’octroi d’un crédit ne contrevient pas à l’exigence prévue au par. 719(1) C. cr. En effet, seule la sentence doit commencer au moment où elle est prononcée, et non la punition minimale d’un an purgée en application de l’al. 259(1)a). Par conséquent, ces dispositions législatives n’écartent pas le pouvoir discrétionnaire reconnu aux juges des peines dans l’arrêt Lacasse. Bien entendu, le Parlement demeure libre, à l’intérieur des balises imposées par la Constitution, de limiter ce pouvoir discrétionnaire, mais il doit alors le faire au moyen d’une « disposition claire à cet effet » (Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, [2016] 2 R.C.S. 521, par. 56). Il n’y a rien de tel en l’espèce, l’al. 259(1)a) étant silencieux sur la question de l’octroi d’un crédit.
[11] Par ailleurs, la codification au par. 719(3) C. cr. du pouvoir discrétionnaire d’accorder un crédit en matière de détention présentencielle n’a aucune incidence sur le présent pourvoi. Tout comme l’al. 259(1)a), le par. 719(3) ne souffre d’aucune ambiguïté et est tout aussi silencieux sur l’interdiction de conduire. En l’espèce, l’absence d’une disposition analogue en matière de prohibition de conduire ne dénote pas une intention positive du Parlement d’éliminer le pouvoir discrétionnaire reconnu dans l’arrêt Lacasse, d’ailleurs rendu postérieurement à l’adoption du par. 719(3).
[12] Au vu de ce qui précède, et puisque Mme Basque a déjà été soumise à une interdiction de conduire d’une durée de 21 mois, l’imposition d’une période additionnelle d’un an équivaudrait à une sorte de double punition, contrairement aux exigences les plus fondamentales de justice et d’équité. Conscient de cette réalité, le juge de première instance a ordonné une interdiction de conduire d’un an, mais a considéré que Mme Basque avait déjà satisfait à cette condition. Cependant, il a antidaté la sentence de Mme Basque pour arriver à ce résultat. Avec égards, il s’agit d’une erreur. En effet, il aurait pu, à bon droit, infliger la peine minimale obligatoire d’un an prescrite par l’al. 259(1)a) C. cr., préciser que la sentence commence au moment où elle est prononcée aux termes du par. 719(1) C. cr. et, ensuite, octroyer un crédit pour la période présentencielle d’interdiction de conduire en application du pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît la common law, pouvoir qui n’est nullement écarté par le Code criminel.
[13] Pour les motifs qui suivent, je propose d’accueillir l’appel et d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick. Je rétablirais le jugement de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires et je rétablirais en partie, pour des motifs distincts, les conclusions du juge de première instance, en précisant que l’appelante a déjà purgé l’interdiction minimale obligatoire prévue à l’al. 259(1)a) C. cr.
II. Faits
[14] Dans la nuit du 7 octobre 2017, l’appelante conduit son véhicule dans le centre‑ville de Moncton, au Nouveau‑Brunswick. Le constable Richard, qui patrouille dans cette zone, remarque la conduite erratique du véhicule et procède à son interception. L’interaction entre l’appelante et l’agent se déroule en français, suivant la préférence exprimée par Mme Basque. Le constable lui fait subir un alcootest, qui révèle une alcoolémie supérieure à la limite légale. Madame Basque est alors arrêtée pour avoir conduit un véhicule à moteur alors que son alcoolémie excédait 80 mg d’alcool pour 100 ml de sang.
[15] Le 30 novembre, Mme Basque est remise en liberté sous promesse de ne pas conduire de véhicule à moteur. Elle sera accusée de conduite avec facultés affaiblies en violation de l’ancien al. 253(1)b) C. cr.
[16] Madame Basque inscrit d’abord un plaidoyer de non‑culpabilité à l’égard de l’accusation portée contre elle. Le procès est alors fixé à juin 2018, mais ensuite ajourné à sa demande. En octobre de la même année, Mme Basque plaide coupable et exprime son intention de demander une absolution conditionnelle en vertu du par. 255(5) C. cr. (maintenant abrogé).
[17] Lors de l’audience relative à la détermination de la peine en Cour provinciale — retardée par des ajournements —, Mme Basque renonce à son droit de procéder en français et abandonne sa demande d’absolution conditionnelle. Après discussion de ses antécédents judiciaires, il est déterminé que Mme Basque doit se voir imposer, aux termes de l’al. 259(1)a), une interdiction applicable en cas de première infraction. Le ministère public ne demande pas de peine d’emprisonnement, et les parties arrivent à un accord quant au montant de l’amende à fixer dans son cas.
[18] Entre sa comparution initiale et le prononcé de sa peine, Mme Basque a été assujettie à une interdiction de conduire d’une durée de 21 mois.
III. Historique des procédures judiciaires
A. Cour provinciale du Nouveau-Brunswick (le juge McCarroll)
[19] Le juge chargé de la détermination de la peine prend acte du passé difficile de Mme Basque, lequel inclut une enfance marquée par de nombreux abus. Il note également l’importance que revêt pour elle la conduite de son véhicule. En effet, elle a besoin de se rendre à Fredericton afin de participer aux audiences relatives à la garde de ses enfants, et l’utilisation du transport en commun à cette fin la place dans une situation de précarité financière. Sensible à cette réalité et tenant compte du fait que Mme Basque a été assujettie à une interdiction présentencielle de conduire de 21 mois, le juge accède à sa demande non contestée de ne pas imposer une interdiction additionnelle.
[20] À l’audience, le juge commente ainsi les possibles modalités de l’ordonnance qu’il doit rendre : [traduction] « . . . je ne suis pas certain si je devrais écrire, période d’interdiction de conduire pendant un an qui est terminée en raison des deux années pendant lesquelles – il lui a été interdit de conduire [par suite de l’interdiction présentencielle], ou simplement, aucune interdiction de conduire. Je suis enclin à retenir la première approche parce que la loi m’oblige à – à ordonner [l’interdiction] – mais j’estime qu’il est plus prudent de – de l’ordonner puis de l’antidater et de dire, vous savez, elle est déjà privée de son permis par ordonnance du tribunal depuis – depuis plus de deux ans » (d.a., vol. I, p. 16). Finalement, le juge choisit d’antidater l’ordonnance interdisant à Mme Basque de conduire un véhicule au 30 novembre 2017 — c’est‑à‑dire le premier jour de l’interdiction présentencielle — de telle sorte que cette prohibition est entièrement complétée en date de la décision. Il impose également l’amende minimale de 1 000 $.
B. Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, 2020 NBBR 130 (le juge Dysart)
[21] Le juge d’appel en matière de poursuites sommaires est saisi d’un appel interjeté par le ministère public, qui soutient que le premier juge a erré en droit en antidatant la sentence. Or, s’appuyant sur les enseignements de notre Cour dans les arrêts Lacasse et Wust, il rejette l’appel, concluant que le premier juge pouvait accorder un crédit pour une prohibition présentencielle de conduire, dans la mesure où une telle prohibition constitue une condition de remise en liberté et fait également partie de la peine ultérieurement infligée (par. 28 (CanLII)).
[22] Illustrant son propos à l’aide de deux décisions prenant appui sur l’arrêt Lacasse — R. c. Bland, 2016 YKSC 61, 3 M.V.R. (7th) 112, et R. c. Edwards (2016), 382 Nfld. & P.E.I.R. 225 (C. prov. T.‑N.‑L.) —, le juge d’appel souligne que le premier juge n’a pas imposé une interdiction d’une durée inférieure au minimum prévu par le Code criminel. La décision du premier juge a eu pour effet d’imposer à Mme Basque une prohibition de conduire d’une durée totale d’un an, conformément à l’al. 259(1)a) C. cr., puis de lui accorder un crédit pour la prohibition présentencielle à laquelle elle a été soumise (par. 29). En cela, il n’a pas erré en droit. Enfin, le juge d’appel souligne que l’erreur ayant consisté à antidater la sentence n’a eu aucun impact sur la décision rendue, puisqu’aucune interdiction additionnelle de conduire n’était indiquée en l’espèce (par. 30).
C. Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, 2021 NBCA 50, 84 M.V.R. (7th) 54 (le juge en chef Richard, avec l’accord de la juge Baird; le juge French, dissident)
[23] Devant la Cour d’appel, la question en litige est formulée ainsi : [traduction] « Le juge de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires a‑t‑il confirmé erronément que le juge de la Cour provinciale avait compétence pour réduire la période de l’interdiction de conduire obligatoire prescrite [à l’al. 259(1)a)] (maintenant l’al. 320.24(2)a)) sous le seuil minimal d’un an, en créditant à l’intimée (Mme Basque) la période pendant laquelle elle avait subi l’interdiction présentencielle comme condition de sa mise en liberté sur remise d’une promesse? » (par. 10). Le juge en chef Richard précise que la question n’est pas celle de savoir si la période d’interdiction présentencielle écoulée peut réduire la période d’interdiction postérieure au procès, « mais bien si elle peut réduire cette période sous le seuil minimal d’un an » (par. 12 (en italique dans l’original)).
[24] La Cour d’appel se divise sur cette question. La majorité, sous la plume du juge en chef, fait droit à la demande d’autorisation d’appel présentée par le ministère public et accueille l’appel. Bien qu’il soit effectivement possible d’accorder un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire dans certaines circonstances, écrit la majorité, il n’existe aucune autorité permettant d’octroyer un tel crédit de façon à écarter une peine minimale obligatoire prévue par la loi. La majorité mentionne que l’arrêt Lacasse ne peut servir de guide en l’espèce, puisque cet arrêt porte sur une interdiction « discrétionnaire » de conduire n’impliquant pas une peine minimale obligatoire (par. 18-19). Les peines minimales obligatoires ont précisément pour objet de limiter le pouvoir discrétionnaire dont jouissent les tribunaux. De plus, le pourvoi dont la Cour d’appel est saisie diffère fondamentalement de l’arrêt Wust, lequel portait sur la possibilité d’accorder un crédit pour détention présentencielle en vertu du par. 719(3). Or, il n’existe pas d’équivalent au par. 719(3) en matière d’interdiction de conduire.
[25] Interprété selon la méthode moderne d’interprétation des lois, l’al. 259(1)a) n’est pas ambigu, disent les juges majoritaires, et aucun crédit ne peut être accordé afin de permettre que soit imposée une interdiction qui serait d’une durée inférieure au minimum prescrit par cette disposition. Par ailleurs, l’interprétation proposée par Mme Basque viderait de son sens le par. 719(3), car l’exception qu’il établit s’appliquerait alors à toutes les peines minimales obligatoires et non plus seulement, comme le prévoit ce texte, aux peines d’emprisonnement (par. 27). La majorité rejette l’argument suivant lequel la non‑disponibilité d’un crédit entraînerait des résultats absurdes, notant que « [s]i les peines minimales obligatoires sont parfois inéquitables, il n’appartient pas à la Cour de les qualifier d’absurdes » (par. 31). Puisqu’une peine commence à courir à la date où elle est infligée, un tel crédit ne peut être accordé « en l’absence d’une contestation constitutionnelle couronnée de succès ou d’indications claires de la Cour suprême » (par. 39). Dans les circonstances, le juge d’appel en matière de poursuites sommaires a eu tort de créditer à Mme Basque la durée de son interdiction présentencielle de conduire, faisant ainsi défaut d’imposer la peine minimale obligatoire.
[26] Le juge French, dissident, écrit qu’il n’y a aucun doute que la loi exige l’infliction d’une interdiction de conduire pendant une période correspondant au moins à la peine minimale applicable. Toutefois, il est d’avis que l’interdiction peut être réduite « sous le seuil de la peine minimale applicable » par l’octroi d’un crédit pour la période d’interdiction présentencielle, dans la mesure où la période totale de l’interdiction demeure supérieure à la peine minimale obligatoire (par. 58).
[27] Bien que le texte de l’al. 259(1)a) soit généralement clair, le juge dissident considère qu’il est ambigu quant à la possibilité d’accorder un crédit. Citant l’arrêt McDonald, et procédant par analogie avec l’arrêt Wust, il souligne que des résultats absurdes s’ensuivraient si l’al. 259(1)a) était interprété de façon à empêcher l’octroi d’un crédit. En outre, l’absence d’une disposition équivalente au par. 719(3) C. cr. en matière d’interdiction de conduire ne signifie pas que le Parlement a eu l’intention de prohiber l’octroi d’un tel crédit. De fait, dans l’arrêt Lacasse, la Cour a explicitement reconnu la possibilité qu’un tel crédit soit accordé dans le contexte d’une interdiction présentencielle de conduire et que ce principe « est d’application générale » (par. 121).
[28] Enfin, tant les juges majoritaires que le juge dissident s’accordent sur l’opportunité de suspendre l’exécution de l’ordonnance prononcée à l’égard de Mme Basque. En l’espèce, bien que cette dernière n’ait pas initialement contesté ses conditions de remise en liberté, celles‑ci étaient déraisonnables. Cette interdiction présentencielle a fait en sorte que Mme Basque a dans les faits été traitée plus sévèrement avant le prononcé de sa sentence qu’après celui‑ci. Compte tenu des circonstances particulières de cette affaire, et afin d’éviter la perpétration d’une injustice et l’infliction d’une « peine disproportionnée », la Cour d’appel conclut qu’il y a lieu de suspendre l’exécution de toute interdiction additionnelle (motifs de la majorité, par. 54; voir aussi les motifs du juge dissident, par. 132).
IV. Question en litige
[29] Madame Basque soulève plusieurs questions devant la Cour. Celles‑ci se résument dans l’énoncé suivant : La période présentencielle d’interdiction de conduire purgée par l’appelante peut-elle lui être créditée malgré la période d’interdiction minimale obligatoire d’un an prévue à l’al. 259(1)a) C. c.r.?
V. Analyse
A. Principales dispositions législatives
[30] L’ancien par. 259(1) C. cr. prévoyait à l’époque des faits des ordonnances d’interdiction de conduire obligatoires à l’égard de certaines infractions de conduite avec facultés affaiblies, dont l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité pertinente en l’espèce (de manière similaire, voir l’actuel par. 320.24(2) C. cr., adopté par L.C. 2018, c. 21). Les alinéas 259(1)a), b) et c) établissaient une gradation d’interdictions minimales obligatoires tenant compte des antécédents du contrevenant en la matière :
Mandatory order of prohibition
259 (1) When an offender is convicted of an offence committed under section 253 or 254 [. . .], the court that sentences the offender shall, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, make an order prohibiting the offender from operating a motor vehicle on any street, road, highway or other public place, or from operating a vessel or an aircraft or railway equipment, as the case may be,
Ordonnance d’interdiction obligatoire
259 (1) Lorsqu’un contrevenant est déclaré coupable d’une infraction prévue aux articles 253 ou 254 [. . .], le tribunal qui lui inflige une peine doit, en plus de toute autre peine applicable à cette infraction, rendre une ordonnance lui interdisant de conduire un véhicule à moteur dans une rue, sur un chemin ou une grande route ou dans tout autre lieu public, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire :
(a) for a first offence, during a period of not more than three years plus any period to which the offender is sentenced to imprisonment, and not less than one year;
a) pour une première infraction, durant une période minimale d’un an et maximale de trois ans, en plus de la période d’emprisonnement à laquelle il est condamné;
(b) for a second offence, during a period of not more than five years plus any period to which the offender is sentenced to imprisonment, and not less than two years; and
b) pour une deuxième infraction, durant une période minimale de deux ans et maximale de cinq ans, en plus de la période d’emprisonnement à laquelle il est condamné;
(c) for each subsequent offence, during a period of not less than three years plus any period to which the offender is sentenced to imprisonment.
c) pour chaque infraction subséquente, durant une période minimale de trois ans, en plus de la période d’emprisonnement à laquelle il est condamné.
[31] Faisant partie de la section du Code criminel ayant trait aux « Peines en général », le par. 718.3(2) C. cr. prévoit que la peine à infliger (en anglais « punishment to be imposed ») est laissée à l’appréciation du tribunal, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition prescrivant la peine en question :
Discretion respecting punishment
[718.3](2) Where an enactment prescribes a punishment in respect of an offence, the punishment to be imposed is, subject to the limitations prescribed in the enactment, in the discretion of the court that convicts a person who commits the offence, but no punishment is a minimum punishment unless it is declared to be a minimum punishment.
Appréciation du tribunal
[718.3](2) Lorsqu’une disposition prescrit une peine à l’égard d’une infraction, la peine à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, laissée à l’appréciation du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction, mais nulle peine n’est une peine minimale à moins qu’elle ne soit déclarée telle.
[32] L’article 719 a également retenu l’attention des parties. Son premier paragraphe est intitulé « Début de la peine » (en anglais, le mot « sentence » est utilisé dans ce contexte comme équivalent de « peine »). Le paragraphe 719(3) porte le titre « Infliction de la peine » (en anglais « Determination of sentence »). Ces dispositions sont rédigées ainsi :
Commencement of sentence
719 (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.
. . .
Determination of sentence
(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence but the court shall limit any credit for that time to a maximum of one day for each day spent in custody.
Début de la peine
719 (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.
. . .
Infliction de la peine
(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde.
[33] Avant toute chose, il est utile de souligner que l’usage linguistique dans ce domaine de la pénologie manque souvent d’uniformité, tant dans la législation que dans la jurisprudence et la doctrine. Dans l’intitulé du par. 259(1) C. cr., le Parlement faisait référence à l’« ordonnance d’interdiction obligatoire » / « mandatory order of prohibition ». Dans les motifs rédigés en anglais de la Cour d’appel dans la présente affaire, on emploie tantôt « mandatory minimum », tantôt « mandatory minimum sentence » ou « mandatory driving prohibition ». Dans la version française des mêmes motifs, les expressions « peine minimale obligatoire » et « période minimale d’interdiction » prédominent. Plus généralement, dans le Code criminel, les termes « peine minimale » / « minimum punishment » sont souvent employés à titre d’équivalents (voir, p. ex., R. c. Hilbach, 2023 CSC 3, par. 2 et 12, interprétant l’art. 344(1) C. cr. et employant tant « peine minimale obligatoire » / « mandatory minimum sentence » que « peine minimale obligatoire » / « mandatory minimum punishment »). Cela dit, pour reprendre le propos de la juge Arbour dans l’arrêt Wust, « [c]e n’est pas tant les mots utilisés dans les versions française et anglaise qui importent, mais plutôt les concepts qu’ils désignent » (par. 36).
B. Moyens d’appel
[34] Devant notre Cour, l’appelante concède que le juge de première instance a commis une erreur en antidatant sa sentence; il aurait dû, reconnaît‑elle, faire commencer la peine au moment où elle a été infligée aux termes du par. 719(1) C. cr. Elle reconnaît aussi que l’al. 259(1)a) prévoit que l’interdiction de conduire doit être imposée pour une période d’au moins un an. Or, en adoptant pour l’essentiel la position du juge d’appel en matière de poursuites sommaires, l’appelante prétend que l’interdiction imposée par le premier juge n’était pas inférieure à la peine minimale obligatoire. Suivant les enseignements de notre Cour dans l’arrêt Lacasse, elle est d’avis qu’un crédit pour la période d’interdiction présentencielle pouvait être accordé en l’espèce.
[35] Le principal moyen de l’appelante en est un d’interprétation législative. Elle soutient que l’al. 259(1)a) est silencieux quant à la possibilité d’accorder un crédit pour la période d’interdiction de conduire présentencielle. En outre, le pouvoir discrétionnaire du tribunal d’appliquer un tel crédit, pouvoir fondé sur la common law, n’a pas été écarté par les textes de loi pertinents. Par ailleurs, dit‑elle, l’interprétation préconisée par les juges majoritaires de la Cour d’appel entraîne des résultats absurdes, dont l’imposition de périodes d’interdiction ne tenant pas compte de la gradation établie au par. 259(1), ce que ne peut avoir voulu le législateur.
[36] Le ministère public intimé s’appuie notamment sur l’arrêt R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 686, pour soutenir que les tribunaux doivent mettre en œuvre l’intention claire du Parlement, même si cela donne lieu à des [traduction] « résultat[s] absurde[s] ou embarrassant[s] » (recueil condensé de l’intimé, p. 1). À son avis, l’al. 259(1)a) et le par. 719(1) ne sont nullement ambigus : le Parlement dicte aux juges qu’ils doivent infliger au contrevenant une période d’interdiction minimale d’un an devant commencer au moment du prononcé de la sentence. En l’absence de contestation constitutionnelle des dispositions applicables, les tribunaux doivent donner effet à cette intention du législateur.
[37] De plus, l’intimé rappelle que le législateur est présumé connaître les éléments contextuels nécessaires à la mise en œuvre de sa loi. En l’occurrence, il y a lieu de présumer que le Parlement n’ignorait pas que certains accusés sont assujettis à une interdiction présentencielle de conduire. Selon l’intimé, tout porte à croire qu’en adoptant l’al. 259(1)a), le Parlement a choisi de ne pas édicter, en matière d’interdictions de conduire, de disposition équivalente au par. 719(3). Dans ce contexte, poursuit l’intimé, il faudrait rejeter l’argument voulant que le silence du législateur implique que le pouvoir discrétionnaire de common law demeure intact. La lecture de l’al. 259(1)a), ainsi que des par. 718.3(2), 719(1) et 719(3), révèle que ce pouvoir de common law a été écarté par l’effet conjugué de la peine minimale obligatoire et de la règle prescrivant que la peine commence le jour où elle est infligée.
[38] Sans se prononcer sur le sort de l’appel, le procureur général de l’Alberta intervient au soutien de l’interprétation proposée par l’intimé. L’intervenant avance que le silence du Parlement quant à la possibilité d’accorder un crédit ne saurait contrecarrer l’intention claire du législateur d’imposer la peine minimale obligatoire commençant le jour du prononcé de la sentence. L’arrêt Lacasse ne serait d’aucune utilité en l’espèce, puisque cette affaire ne concernait pas une peine minimale obligatoire.
C. Cadre d’analyse : la coexistence de la common law et de la législation en matière de détermination de la peine
[39] Les deux parties s’entendent sur l’existence d’un pouvoir discrétionnaire permettant au juge de la peine d’accorder un crédit pour une période d’interdiction de conduire présentencielle. Or, contrairement à l’appelante, le ministère public soutient que ce pouvoir fondé sur la common law a été limité ou écarté par le Parlement par l’adoption de la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 259(1)a) C. cr. Ce pourvoi soulève donc la question de savoir si la règle de common law peut, comme le prétend l’appelante, coexister harmonieusement avec la peine minimale obligatoire prévue par le Code criminel.
[40] Cette question amène la Cour à se pencher sur les interactions parfois complexes qui caractérisent la relation entre la common law et la législation. Bien que la législation puisse être prépondérante sur la common law, cette dernière demeure applicable dans la mesure où elle n’est pas écartée explicitement ou par implication nécessaire, principe souvent justifié par l’importance de la « stabilité du droit » (R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 21, le juge Cromwell). Au nom d’une Cour unanime dans l’arrêt Lizotte, le juge Gascon rappelle le principe général relatif à la mise à l’écart par voie législative de règles de common law : « La jurisprudence veut que l’on doive présumer qu’un législateur n’a pas l’intention de modifier les règles de common law existantes à moins d’une disposition claire à cet effet . . . » (par. 56). La professeure Ruth Sullivan a écrit que cette présomption [traduction] « permet aux tribunaux d’insister sur la présence de directives précises et explicites du législateur avant d’accepter tout changement. De cette façon, la common law est protégée contre les empiétements découlant d’imprécisions ou d’inadvertances législatives » (The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 17.01.Pt1[2]; voir aussi P.‑A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois (5e éd. 2021), nos 180‑192).
[41] Le droit criminel canadien se compose à la fois du droit établi par le législateur et de principes de common law (M. Vauclair et T. Desjardins, avec la collaboration de P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2022 (29e éd. 2022), nos 1.17‑1.24, citant notamment D.L.W., par. 3, 15 et 57‑59). L’adoption au pays d’un code criminel en 1892 n’a pas eu pour effet d’écarter systématiquement la common law en tant que source du droit (D. H. Brown, The Genesis of the Canadian Criminal Code of 1892 (1989), p. 126; G. H. Crouse, « A Critique of Canadian Criminal Legislation : Part One » (1934), 12 R. du B. can. 545, p. 565 : [traduction] « Un principe fondamental de la codification canadienne est que la common law n’est pas écartée. »). Aujourd’hui, le Code criminel dispose qu’en règle générale, la common law n’est plus une source d’infractions au Canada (al. 9a)). Il prévoit par contre que les moyens de défense prévus par la common law demeurent en vigueur, sauf dans la mesure où ils sont modifiés par la loi (par. 8(3); R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 27; voir aussi J. Fortin et L. Viau, Traité de droit pénal général (1982), p. 18). Comme l’enseignent les auteurs Vauclair et Desjardins, on peut se référer à la common law pour interpréter le texte d’incrimination qui codifie une infraction de common law (no 3.20, citant R. c. Jobidon, 1991 CanLII 77 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 714).
[42] Cette coexistence de la législation et de la common law anime le droit relatif à la détermination de la peine (voir Commission canadienne sur la détermination de la peine, Structure de la détermination de la peine au Canada : perspectives historiques (1988), p. 42). Alors que la partie XXIII du Code criminel codifie « les principes fondamentaux de la détermination de la peine » (R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 1), les tribunaux peuvent aussi tenir compte [traduction] « d’autres principes et facteurs découlant de la common law » (D. Rose, Quigley’s Criminal Procedure in Canada (feuilles mobiles), § 23:6). La législation a également prépondérance sur la common law en cette matière dans la mesure où le législateur l’écarte explicitement ou par implication nécessaire (voir, p. ex., R. c. Skolnick, 1982 CanLII 54 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 47, p. 58).
[43] Dans l’arrêt Lacasse, la Cour a réitéré que les tribunaux doivent tenir compte de la période présentencielle de l’interdiction de conduire dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’accorder un crédit (par. 111‑114, le juge Wagner; voir aussi par. 176‑178, le juge Gascon, dissident, mais pas sur ce point). Il est vrai que l’arrêt Lacasse ne concernait pas une peine minimale obligatoire et que, conformément à l’al. 259(2)a.1) C. cr., la sentence avait commencé au terme de l’incarcération du contrevenant. Toutefois, cet arrêt peut nous guider en l’espèce, avec les adaptations nécessaires.
[44] L’octroi d’un tel crédit est ancré dans la common law; il s’agit d’une manifestation, dans le contexte de l’interdiction de conduire, de ce que la juge Arbour a qualifié de « pratique bien établie qu’appliquaient les juges déterminant la peine et qui consistait à prendre en compte la période passée sous garde par le délinquant » (Wust, par. 31). Pour reprendre la description du juge Paciocco, maintenant juge de la Cour d’appel, cette règle fait partie des [traduction] « principes centraux de la détermination de la peine non exprimés législativement mais toujours bien vivants au titre de “principes généraux de la détermination de la peine” » (R. c. Pham, 2013 ONCJ 635, 296 C.R.R. (2d) 178, par. 18). Comme l’a souligné subséquemment le juge Wagner dans l’arrêt Lacasse, ce principe n’a pas fait l’objet d’une codification. Alors que le principe permettant l’octroi d’un crédit a été codifié au par. 719(3) C. cr. en matière de détention présentencielle, cette disposition n’a aucun équivalent législatif en matière de prohibition présentencielle de conduire. L’intimé soutient ici que le principe auquel la Cour fait référence dans l’arrêt Lacasse a été écarté par l’adoption par le Parlement de la peine minimale obligatoire, une considération étrangère aux faits de cette dernière affaire.
[45] L’interaction entre la législation et la common law en matière de peine est donc au cœur du présent pourvoi. Le cadre d’analyse en deux étapes relatif à cette interaction est bien établi. Dans un premier temps, il s’agit d’« analyser, identifier et énoncer la common law applicable » puis, dans un second temps, de « préciser l’effet du droit statutaire sur la common law » (2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), 1996 CanLII 153 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 97, la juge L’Heureux‑Dubé, citant Zaidan Group Ltd. c. London (Ville), 1991 CanLII 53 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 593, et Frame c. Smith, 1987 CanLII 74 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 99; voir aussi Urban Mechanical Contracting Ltd. c. Zurich Insurance Co., 2022 ONCA 589, 163 O.R. (3d) 652, par. 45). Ainsi, il s’agit d’abord de déterminer le contenu de la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit dans le cas d’une interdiction présentencielle de conduire. Ensuite, il y a lieu d’interpréter l’al. 259(1)a) C. cr., tout en tenant compte du par. 719(3), afin de déterminer si celui‑ci a pour effet de limiter, voire d’écarter la règle de common law, que ce soit explicitement ou par implication nécessaire.
(1) La common law permet d’accorder un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire
[46] Il est bien établi que la common law permet aux tribunaux d’accorder un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire subie par un contrevenant (voir, p. ex., R. c. Goulding (1987), 1987 CanLII 6784 (NS CA), 81 N.S.R. (2d) 158 (C.S. (Div. app.)); R. c. Pellicore, [1997] O.J. No. 226 (QL), 1997 CarswellOnt 246 (WL) (C.A.); R. c. Williams, 2009 NBCP 16, 346 R.N.‑B. (2e) 164; Bilodeau c. R., 2013 QCCA 980; Lacasse). Ce pouvoir discrétionnaire fondé sur la common law est l’extension naturelle d’un principe analogue en matière de détention présentencielle. Les tribunaux ont reconnu de longue date qu’il est possible de [traduction] « tenir compte, dans l’infliction de la peine, de toute période d’incarcération que l’accusé a déjà purgée entre la date de son arrestation et celle du prononcé de sa sentence » (R. c. Sloan (1947), 1947 CanLII 364 (ON CA), 87 C.C.C. 198 (C.A. Ont.), p. 198‑199, citant R. c. Patterson (1946), 1946 CanLII 383 (ON CA), 87 C.C.C. 86 (C.A. Ont.)).
[47] Le principe autorisant l’octroi d’un crédit en matière de détention présentencielle permet de pallier certaines injustices découlant de l’application du principe interdisant d’antidater une sentence, aujourd’hui codifié au par. 719(1). En effet, bien que le droit canadien ne permette pas aux tribunaux d’antidater une sentence afin de la réduire, ceux-ci peuvent néanmoins considérer le temps passé en détention présentencielle dans le calcul de la période devant être purgée par le contrevenant de façon prospective (Sloan, p. 198‑199; voir aussi Patterson; R. c. Wells (1969), 1969 CanLII 1129 (BC CA), 4 C.C.C. 25 (C.A. C.-B.), p. 36‑37, le juge Bull, dissident; A. Manson, « Pre-Sentence Custody and the Determination of a Sentence (Or How to Make a Mole Hill out of a Mountain) » (2004), 49 C.L.Q. 292). L’application de cette règle de common law permettant l’octroi d’un crédit n’équivaut donc pas à antidater la sentence.
[48] S’il est vrai que la règle permettant l’octroi d’un crédit en matière de détention présentencielle est maintenant codifiée, il n’existe pas de disposition législative équivalente au par. 719(3) en ce qui concerne les interdictions présentencielles de conduire. L’intimé soutient que l’omission du Parlement d’adopter une disposition équivalente au par. 719(3) en matière de prohibition présentencielle de conduire est délibérée et traduit son intention d’écarter la règle de common law autorisant l’octroi d’un crédit dans ce contexte. Plus précisément, selon lui, le Parlement aurait [traduction] « envisagé » la possibilité de reconnaître une exception analogue pour la conduite, et l’aurait implicitement rejetée (transcription, p. 28). Avec égards, je ne partage pas son avis. L’absence d’une disposition législative équivalente au par. 719(3) en matière d’interdictions présentencielles n’a pas pour effet d’écarter ou de limiter la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit en pareil contexte.
[49] L’opinion voulant que le Parlement puisse codifier une règle de common law en vue d’en exclure implicitement une autre rappelle la maxime d’interprétation expressio unius est exclusio alterius, c’est-à-dire « la mention de l’un est (ou implique) l’exclusion de l’autre » (A. Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit (4e éd. 2007), p. 170; voir aussi Sullivan (2022), § 8.09; McClurg c. Canada, 1990 CanLII 28 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1020). Or, les tribunaux font preuve de prudence avant d’accepter de tels arguments fondés sur l’intention du Parlement d’exclure implicitement une règle de common law, le contexte ne permettant pas toujours de présumer la pensée non exprimée d’un législateur (Sullivan (2022), § 17.01.Pt1[2]). Dans l’arrêt Turgeon c. Dominion Bank, 1929 CanLII 47 (SCC), [1930] R.C.S. 67, le juge Newcombe a formulé la mise en garde selon laquelle cette règle, si elle est considérée comme un principe d’application générale, peut être [traduction] « un dangereux maître à suivre » puisque son utilité dépend du contexte et que « le rédacteur ne l’a pas toujours à l’esprit » (p. 71). Ainsi, le juge Cromwell a écrit qu’« [e]n l’absence d’une intention contraire exprimée clairement par le législateur, une loi ne devrait pas être interprétée de façon à modifier substantiellement le droit, y compris la common law » (D.L.W., par. 21). Cela évoque les enseignements du professeur C. K. Allen : [traduction] « . . . les tribunaux, si cela leur est possible, ne permettront pas qu’un texte de loi écarte une règle de common law existante simplement par voie d’inférence » et, de poursuivre l’auteur, « [l]a situation est très différente lorsque la disposition législative est explicite, ou qu’il se dégage une intention générale claire de modifier le droit » (Law in the Making (1992), p. 258‑259 (en italique dans l’original)).
[50] En l’espèce, le par. 719(3) a été édicté dans le contexte spécifique de la détention présentencielle. Les débats parlementaires tendent à indiquer que l’intention du Parlement, en adoptant cette disposition, était de s’assurer que l’octroi d’un crédit demeurait possible dans le cas d’une peine minimale obligatoire de détention (Wust, par. 31, citant Débats de la Chambre des communes, vol. 3, 3e sess., 28e lég., 5 février 1971, p. 3118). Rien n’indique que le Parlement se soit penché sur la possibilité d’accorder un crédit pour les interdictions présentencielles de conduire. De même, les débats parlementaires n’offrent aucune indication étayant la thèse suivant laquelle le législateur aurait cherché à écarter, que ce soit explicitement ou par implication nécessaire, la règle de common law applicable à l’égard de ces interdictions. En somme, il ne s’agit pas d’un cas de figure où le Parlement aurait fait clairement état de son intention d’écarter ou de limiter la common law applicable.
[51] À la lumière de ce qui précède, j’estime que l’adoption du par. 719(3) C. cr. n’a pas pour effet de limiter la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire. Cette règle fait donc toujours partie du droit positif en matière de détermination de la peine. Cela étant, il reste à déterminer si elle a été écartée ou limitée par le par. 259(1) C. cr., lequel établit, comme nous le rappelle l’intimé, des périodes d’interdictions maximales et minimales obligatoires.
(2) L’alinéa 259(1)a) C. cr. ne limite pas la portée de la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit pour interdiction présentencielle de conduire
[52] Une fois la règle de common law identifiée, la seconde étape de l’analyse consiste à examiner l’effet de la disposition législative pertinente sur celle-ci (2747‑3174 Québec Inc., par. 97). Ce faisant, il convient de cerner la portée de l’al. 259(1)a) C. cr. suivant la méthode moderne d’interprétation (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559), puis de déterminer si cette disposition a pour effet de limiter, voire d’écarter la règle de common law.
[53] Avant de procéder à cette analyse, il importe de bien comprendre la distinction entre les notions de punition et de sentence, entérinée pour la première fois par la Cour dans l’arrêt Wust. Cette distinction, qui touche au cœur du présent pourvoi, est essentielle à une juste interprétation de la portée de l’al. 259(1)a).
a) La distinction entre les notions de punition et de sentence
[54] Dans l’arrêt Wust, la Cour devait trancher la question de savoir s’il était possible d’accorder au contrevenant un crédit pour détention présentencielle, dans la mesure où, du fait de ce crédit, la sentence prononcée serait inférieure à la durée de la peine minimale obligatoire prévue à l’ancien al. 344a) (aujourd’hui, l’al. 344(1)a)). La juge Arbour, écrivant pour une Cour unanime, a répondu à cette question par l’affirmative. D’entrée de jeu, elle a souligné que le par. 719(3) avait été adopté précisément dans le but d’autoriser un tel crédit en cas de peine minimale obligatoire. De surcroît, et de façon significative, elle a affirmé qu’aucun conflit ne résultait de l’application concomitante du par. 719(3) et de l’al. 344a). La juge Arbour a expliqué que cette absence de conflit découle de la distinction conceptuelle entre une peine au sens de punition et une peine au sens de sentence.
[55] Cette distinction a été examinée sous l’angle des termes anglais « punishment » et « sentence » par le juge Rosenberg dans l’arrêt McDonald, en s’appuyant sur les travaux de la Commission canadienne sur la détermination de la peine. La Commission a clarifié que le terme « punishment » renvoie à « l’imposition d’une privation sévère à une personne jugée coupable d’un acte répréhensible » (Réformer la sentence : une approche canadienne (1987), p. 119). Elle a ensuite précisé que le terme « sentence » — qui vient du mot latin sententia signifiant « opinion ou expression d’une opinion » — s’entend de la déclaration du tribunal ordonnant l’infliction d’une sanction et déterminant ce qu’elle sera (p. 121).
[56] On peut donc dire que la notion de punition diffère fondamentalement de celle de sentence, en ce que la première reflète la punition globale infligée au contrevenant, alors que la seconde n’a trait qu’à la partie de cette punition que celui‑ci doit purger après le prononcé du jugement. Rien dans la jurisprudence ne s’oppose à l’application de cette distinction en l’espèce. Je prends note du fait que, dans l’arrêt R. c. Mathieu, 2008 CSC 21, [2008] 1 R.C.S. 723, une affaire portant sur l’admissibilité à la libération conditionnelle suivant une période présentencielle de détention provisoire, la Cour a conclu que la « peine » à considérer à cette fin se limite à la période qui suit le prononcé de la sentence, tout en reconnaissant qu’elle a traité la question différemment dans l’arrêt Wust (par. 7). Par ailleurs, aux fins de l’emprisonnement avec sursis, la « peine » à considérer s’entend plutôt de la punition globale subie par le contrevenant, incluant la période présentencielle (R. c. Fice, 2005 CSC 32, [2005] 1 R.C.S. 742). De même, lorsque les tribunaux ont été appelés à trancher l’effet d’une période de détention présentencielle en présence d’une peine maximale prévue par la loi, certaines cours d’appel provinciales ont considéré, à l’instar de notre Cour dans les arrêts Wust et Fice, que la notion de « peine » désigne la punition globale et non la sentence (R. c. Walker, 2017 ONCA 39, 345 C.C.C. (3d) 497, par. 20‑26; R. c. Severight, 2014 ABCA 25, 566 A.R. 344, par. 32; R. c. LeBlanc, 2005 NBCA 6, 279 R.N.‑B. (2e) 121, par. 63).
[57] La distinction entre « peine » au sens de punition et « peine » au sens de sentence est consacrée dans le lexique français du droit canadien, en tenant compte de la polysémie du terme « peine » (Commission canadienne sur la détermination de la peine (1987), p. 118 et 121). On notera que, selon le contexte, le terme « peine » peut renvoyer soit à la punition globale subie par le contrevenant (en anglais « punishment »), soit à la sentence prononcée à l’égard de celui-ci (en anglais « sentence ») (voir le Lexique en droit pénal de la Cour d’appel du Québec (en ligne)). C’est ce qui a conduit la Commission à écrire que la peine au sens de « punition » diffère fondamentalement de la sentence. Le Juridictionnaire, ouvrage canadien de jurilinguistique publié par le Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’Université de Moncton, reprend cette distinction, soulignant que « [l]a peine [au sens de « punition »] est la sanction encourue, alors que la sentence est la décision de justice qui condamne à une peine » (J. Picotte, Juridictionnaire : Recueil des difficultés et des ressources du français juridique, 15 octobre 2018 (en ligne), p. 2035, par. 24 (en italique dans l’original)). Autrement dit, alors que la sentence commence le jour où elle est prononcée par le tribunal, la punition englobe « [t]oute sanction infligée par une autorité judiciaire dans l’application d’une loi pénale » (H. Dumont, Pénologie : Le droit canadien relatif aux peines et aux sentences (1993), p. 47).
[58] Le double sens du terme « peine » est illustré à plusieurs endroits dans le Code criminel. Par exemple, le par. 718.3(2), qui limite le pouvoir discrétionnaire du tribunal en présence d’une peine minimale obligatoire, utilise le terme « peine » comme équivalent du terme anglais « punishment ». Par contraste, le par. 719(1), qui prévoit que « [l]a peine commence au moment où elle est infligée », emploie également le terme « peine », mais cette fois à titre d’équivalent du terme anglais « sentence ». L’identification de l’équivalent exact en anglais du terme « peine » (soit « punishment », soit « sentence ») varie selon le contexte; ce doublet peut donc soulever des difficultés interprétatives en droit criminel canadien, où les règles applicables à l’interprétation du lexique législatif bilingue donnent à chaque texte linguistique une vocation égale à dire le droit. Bien entendu, cela ne signifie pas que le terme anglais « sentence » est exclusivement employé pour référer à la décision de justice imposant une punition. À titre d’exemple, l’expression « fit sentence » (souvent rendue par « peine juste » en français) renvoie généralement à l’idée de la punition globale appropriée (voir, p. ex., R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 45).
[59] Devant cette réalité, et au‑delà de la terminologie utilisée, il y a lieu de porter une attention particulière à l’objet et au contexte des dispositions pertinentes (Wust, par. 36). Certes, on peut s’attendre à ce que, règle générale, le législateur s’astreigne dans le discours législatif à une « discipline » consistant à ne pas employer le même mot dans des sens différents au sein d’une même loi (G. Cornu, Linguistique juridique (3e éd. 2005), p. 105). Dans le même ordre d’idées, les professeurs Côté et Devinat font état du « principe de l’uniformité d’expression » que le législateur s’efforce de respecter et qui justifie l’existence, en matière d’interprétation législative, d’une présomption selon laquelle, dans une même loi, « le même terme a partout le même sens » (nos 1142‑1143). Or, constatent-ils, cette présomption « doit céder le pas lorsqu’il ressort des circonstances que telle n’était pas l’intention du législateur » (no 1146, citant Schwartz c. Canada, 1996 CanLII 217 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 254, par. 61). J’estime que nous sommes en présence d’un tel cas ici. Le mot « peine » est utilisé dans des sens différents dans le Code criminel, tantôt pour désigner la sentence, c’est-à-dire la décision de justice, tantôt la punition. Je précise que la plupart des affaires n’impliquant pas de période d’interdiction ou de détention présentencielle ne reposent pas sur la distinction conceptuelle entre les notions de sentence et de punition.
[60] Ayant ici cette distinction à l’esprit, je souligne que l’approche préconisée par l’appelante dans son mémoire risque de prêter à confusion. En effet, l’appelante suggère que l’octroi d’un crédit entraîne l’imposition d’une interdiction inférieure au minimum prévu par la loi. Cette approche fait écho à un courant jurisprudentiel exemplifié par l’arrêt R. c. Sohal, 2019 ABCA 293, 91 Alta. L.R. (6th) 48, lequel ne semble pas distinguer les notions de punition et de sentence. Cette approche suggère, à tort à mon humble avis, que l’adoption par le Parlement d’une peine minimale obligatoire oblige le tribunal à prononcer une sentence minimale (voir aussi R. c. Fox, 2022 ABQB 132, 89 M.V.R. (7th) 23; R. c. Froese, 2020 MBQB 11, 461 C.R.R. (2d) 1; R. c. Osnach, 2019 MBPC 1, 38 M.V.R. (7th) 257; R. c. Bryden, 2007 NBBR 316, 323 R.N.‑B. (2e) 119). Selon cette approche, aucune assise juridique ne permet de réduire la sentence minimale obligatoire, puisque [traduction] « [l]e pouvoir discrétionnaire inhérent du tribunal doit céder devant le libellé de la loi » (Sohal, par. 15).
[61] Or, lorsque l’appelante a précisé sa pensée à l’audience, elle a reconnu — à bon droit et à l’instar du juge dissident en l’espèce — que le tribunal est contraint d’imposer l’interdiction minimale obligatoire prévue expressément à l’al. 259(1)a). Toutefois, l’infliction de la peine minimale n’exclut pas la prise en compte, en application de la règle de common law, de la période d’interdiction présentencielle, laquelle peut, selon les circonstances et à l’appréciation du premier juge, faire partie intégrante de la punition, si l’effet de l’interdiction est « identique » avant et après le prononcé de la sentence (Lacasse, par. 113). Autrement, si l’effet n’est pas identique, le tribunal ne peut en tenir compte qu’à titre de facteur atténuant, et non à titre de période pouvant être créditée en vertu du pouvoir de common law à cet effet (voir les explications du juge MacPherson sur ce point dans R. c. Panday, 2007 ONCA 598, 87 O.R. (3d) 1, par. 32‑35).
[62] En l’espèce, à la lumière de la distinction réitérée par la juge Arbour dans l’arrêt Wust, il importe dès lors de déterminer si l’al. 259(1)a) exige l’infliction d’une punition minimale ou le prononcé d’une sentence minimale. Cet exercice interprétatif est décisif quant au sort du présent pourvoi. En effet, si l’interdiction de conduire minimale prévue à l’al. 259(1)a) constitue une peine minimale, au sens de punition, cet alinéa n’aura aucune incidence sur l’applicabilité de la règle de common law. Le cas échéant, l’interdiction présentencielle de conduire à laquelle Mme Basque a été assujettie pourra « réduire » la durée ultime de sa sentence, tout en respectant la directive du législateur portant que la punition minimale doit être d’une durée minimale d’un an. Au contraire, si l’al. 259(1)a) prévoit une sentence minimale d’un an, Mme Basque devra purger une période de prohibition de conduire additionnelle d’un an, cette sentence obligatoire ayant nécessairement un caractère prospectif (par. 719(1) C. cr.).
b) L’alinéa 259(1)a) prévoit l’infliction d’une punition minimale et non le prononcé d’une sentence minimale
[63] Conformément à la méthode moderne d’interprétation, le sens de l’al. 259(1)a) C. cr. doit être cerné en examinant son texte, son contexte et son objet (Rizzo, par. 21; Bell ExpressVu, par. 26; Côté et Devinat, nos 165‑170; E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Je propose de procéder comme l’a fait la Cour dans l’arrêt Bell ExpressVu, soit en débutant par l’analyse du sens ordinaire et grammatical des termes de l’al. 259(1)a), avant de me pencher sur son contexte et son objet.
[64] Tout d’abord, le texte de l’al. 259(1)a) est silencieux quant à la possibilité de tenir compte de la période présentencielle de prohibition de conduire (Bland, par. 22). De surcroît, il n’indique pas clairement si l’interdiction de conduire minimale qu’il prévoit constitue une punition ou une sentence. À cet égard, soulignons que le terme « ordonnance » employé au par. 259(1) est défini comme étant une « [d]écision émanant d’un juge » (Le Petit Robert (nouv. éd. 2022), p. 1755), ou comme étant une « [d]écision d’un tribunal » (Multidictionnaire de la langue française (7e éd. 2021), p. 1245). A priori, cette distinction peut sembler opérer un rapprochement entre le terme « ordonnance » et le concept de « sentence » (Pham, par. 9).
[65] Toutefois, il convient de signaler que le terme « peine » figure au par. 259(1), qui prévoit que « le tribunal qui [. . .] inflige une peine [au contrevenant] doit, en plus de toute autre peine applicable à cette infraction, rendre une ordonnance lui interdisant de conduire un véhicule à moteur ». Rappelons que la version anglaise utilise le terme « punishment » comme équivalent du terme « peine » dans ce contexte. Le libellé des deux textes linguistiques suggère donc que l’ordonnance devant être imposée suivant les termes de l’al. 259(1)a) est une punition et non une sentence.
[66] À tout événement, la démarche interprétative moderne ne saurait s’attacher uniquement au libellé de la disposition (Rizzo, par. 21; Bell ExpressVu, par. 26). Pour reprendre les propos des professeurs Côté et Devinat, le texte « doit être confronté aux indications fournies par les autres facteurs pertinents à l’interprétation » (no 167). Je me tourne maintenant vers l’analyse du contexte et de l’objet de l’al. 259(1)a).
[67] Au regard du contexte de cet alinéa, je note le langage différent utilisé par le Parlement à l’al. 109(2)a) C. cr., lequel concerne une interdiction de possession d’armes à feu. Cette disposition prévoit que « l’ordonnance interdit au contrevenant d’avoir en sa possession [. . .] des armes à feu [. . .] pour une période commençant à la date de l’ordonnance et se terminant au plus tôt dix ans après sa libération ou, s’il n’est pas emprisonné ni passible d’emprisonnement, après sa déclaration de culpabilité ou son absolution » (je souligne). Or, en édictant l’al. 109(2)a), le Parlement a choisi de préciser en toutes lettres la date à laquelle l’ordonnance prendra fin, limitant ainsi le pouvoir discrétionnaire du tribunal de « réduire » la période prospective d’interdiction en deçà de la période minimale prévue à l’al. 109(2)a). En outre, le passage souligné démontre que, lorsque le Parlement désire imposer une interdiction prospective d’une durée précise, il exprime cette volonté en termes clairs. On ne trouve toutefois rien de tel à l’al. 259(1)a), qui ne prévoit ni date de début, ni date de fin de l’interdiction de conduire d’une durée minimale d’un an.
[68] L’objet de l’al. 259(1)a) C. cr. renforce également l’idée que cette disposition prévoit une punition minimale, et non une sentence minimale. En règle générale, en adoptant des peines minimales obligatoires, le Parlement poursuit des buts essentiellement dissuasifs et punitifs (voir H. Parent et J. Desrosiers, Traité de droit criminel, t. III, La peine (3e éd. 2020), p. 507‑508; voir aussi Paciocco, p. 177). Après avoir exposé une typologie détaillée des peines en droit criminel canadien, la professeure Dumont affirme que « toute mesure coercitive portant atteinte à la vie, à l’intégrité, à la sécurité, à la liberté, à la réputation d’une personne ou constituant une atteinte à ses biens et à ses droits [. . .] est apte à [être une peine au sens de punition] dans l’ordre juridique pénal » (p. 489). Suivant l’arrêt R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, pour qu’une mesure coercitive s’élève au rang de punition, elle doit notamment avoir « une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité » et être « une conséquence d’une déclaration de culpabilité » (par. 41). Cette typologie inclut des mesures telles que « le dédommagement de la victime pour certains crimes, l’interdiction de conduire ou de posséder une arme à feu [et] l’incapacité d’occuper une fonction ou de contracter avec l’État » (Dumont, p. 489 (je souligne)). Je partage l’opinion formulée par le juge Paciocco dans l’arrêt Pham à cet égard : l’interdiction de conduire est une forme de punition puisqu’elle [traduction] « fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée » (par. 22, renvoyant à R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554, par. 62‑63).
[69] Bien qu’une détention présentencielle ou une interdiction présentencielle de conduire puisse avoir reposé initialement sur une volonté de protéger le public, à la suite d’une déclaration de culpabilité, cette sanction peut néanmoins avoir ultimement un effet punitif et dissuasif sur le contrevenant et ainsi faire partie de sa peine. Sur ce point, la juge Arbour a écrit dans l’arrêt Wust que « [p]rétendre que la détention présentencielle ne peut jamais être réputée constituer une peine après la déclaration de culpabilité — parce que le système judiciaire ne punit pas des personnes innocentes — est un exercice de sémantique qui ne tient pas compte de la réalité de cette détention » (par. 41 (souligné dans l’original)). Elle conclut que « bien que la détention avant le procès ne se veuille pas une sanction lorsqu’elle est infligée, elle est, de fait, réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant » (par. 41).
[70] Ces réflexions font écho aux propos du juge en chef Lamer dans l’arrêt Sharma, lorsqu’il a affirmé que l’interdiction présentencielle de conduire à laquelle avait été assujetti le contrevenant constituait une atteinte à sa liberté, de telle sorte que celui-ci avait essentiellement déjà commencé à purger sa peine (p. 817‑818; voir aussi Lacasse, par. 113). En réalité, dans le cas de Mme Basque, l’interdiction présentencielle de conduire a eu les mêmes effets punitifs et dissuasifs que si cette prohibition avait été purgée postérieurement au prononcé de la sentence. Par conséquent, considérer que l’al. 259(1)a) C. cr. exige l’infliction d’une peine d’un an — au sens d’une punition globale incluant la période présentencielle — satisfait parfaitement aux objectifs de dissuasion et de punition qui sous-tendent cette disposition (voir sur ce point l’arrêt Pham, par. 10 et 28). Je souligne par ailleurs qu’en balisant l’appréciation discrétionnaire du tribunal au par. 718.3(2) C. cr., le législateur emploie le terme « punishment » dans la version anglaise de cette disposition.
[71] Si l’al. 259(1)a) C. cr. exigeait le prononcé d’une sentence minimale, cela risquerait d’entraîner des résultats contre‑intuitifs, voire absurdes. Par exemple, l’infliction d’une interdiction additionnelle de conduire d’une durée minimale d’un an équivaudrait à une double punition pour le contrevenant ayant déjà purgé, dans l’attente de son procès, tout ou partie de la durée minimale de la prohibition de conduire. Un tel résultat serait contraire aux intérêts les plus fondamentaux de la justice, faisant poindre le spectre d’une double punition [traduction] « sans aucune indication claire que c’est ce que le Parlement cherchait à réaliser » (Pham, par. 10).
[72] De surcroît, par analogie avec les enseignements de la juge Arbour dans l’arrêt Wust, l’écart approprié entre les peines infligées aux contrevenants les plus dangereux et les moins dangereux risquerait indûment de s’effriter. En effet, les délinquants endurcis, « du fait qu’ils reçoivent des peines supérieures au minimum prévu, profiteraient d’une réduction de peine fondée sur la période de détention présentencielle, alors que les délinquants qui n’en sont qu’à leur première infraction et qui se voient infliger la peine minimale ne bénéficieraient pas de cette réduction » (par. 42). En m’inspirant des propos de la juge Arbour, je suis d’avis qu’il faut, en l’espèce, écarter toute interprétation « qui aurait pour effet de profiter aux délinquants les plus dangereux et de pénaliser les délinquants les moins dangereux » (par. 42). Enfin, si l’al. 259(1)a) C. cr. exigeait le prononcé d’une sentence minimale, cela minerait la gradation méticuleuse des interdictions minimales établie par le Parlement aux al. 259(1)a), b) et c) et exposée par le juge French, dissident (voir les par. 93-94 et 129 des motifs de la Cour d’appel). En effet, un contrevenant ne méritant que la peine minimale d’un an pour une première infraction risquerait, à l’instar de Mme Basque, d’être sujet à la même privation de liberté qu’un récidiviste multiple n’ayant pas été sous le coup d’une prohibition de conduire dans l’attente de son procès.
[73] Conformément aux enseignements de notre Cour, il faut présumer qu’en l’absence d’une intention claire à cet effet, le Parlement n’avait pas l’intention de produire de tels résultats absurdes (Rizzo, par. 27, citant R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 88; Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2019 CSC 43, [2019] 3 R.C.S. 418, par. 96, les juges Côté et Brown, motifs concordants).
c) L’alinéa 259(1)a) ne limite pas la règle de common law permettant l’octroi d’un crédit pour interdiction présentencielle de conduire
[74] Tout porte à croire que l’al. 259(1)a) prévoit une punition minimale, et non une sentence minimale. Cette disposition, silencieuse quant au crédit, ne souffre d’aucune ambiguïté. En effet, dans l’arrêt Bell ExpressVu, la Cour a réitéré que l’ambiguïté se doit d’être « réelle », en ce que la disposition doit être raisonnablement susceptible de plus d’une interprétation (par. 29, citant Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, 1974 CanLII 1 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 108, p. 115). Pour tirer cette conclusion, il est nécessaire de tenir compte du contexte global de la disposition afin de déterminer s’il existe « deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur » (CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14). Or, en l’espèce, l’al. 259(1)a) n’admet qu’une seule interprétation : l’infliction d’une peine minimale obligatoire au sens de punition (en anglais « punishment »).
[75] Non seulement cette interprétation de l’al. 259 (1)a) C. cr. laisse‑t‑elle place à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal d’octroyer un crédit, mais elle s’aligne sur la recommandation formulée par la juge Arbour dans l’arrêt Wust selon laquelle « il est important que les dispositions législatives qui portent [. . .] sur des peines minimales obligatoires soient interprétées d’une manière qui soit compatible avec les principes généraux de la détermination de la peine et qui ne porte pas atteinte à l’intégrité du système de justice criminelle » (par. 22).
[76] Comme l’al. 259(1)a) exige le prononcé d’une ordonnance interdisant au contrevenant de conduire pendant une durée minimale d’un an, le juge chargé de la détermination de la peine pouvait satisfaire à cette exigence en rendant une ordonnance imposant une punition d’une durée totale d’un an. L’octroi d’un crédit ne fait nullement échec à l’imposition de la punition minimale prévue par cette disposition. En l’espèce, puisque celle-ci avait déjà été purgée dans son entièreté au moment de son prononcé, aucune interdiction additionnelle n’était requise.
D. La suspension d’exécution de la peine accordée par la Cour d’appel
[77] Quoique cela ne soit pas nécessaire pour trancher le pourvoi, je prends acte de la concession du ministère public selon laquelle il n’était pas indiqué de demander que la mise en liberté de Mme Basque soit assortie d’une interdiction de conduire. C’est à juste titre que la Cour d’appel a considéré, à l’unanimité, que les conditions de remise en liberté imposées à Mme Basque étaient déraisonnables. En effet, cette dernière a ultimement été soumise à une interdiction de conduire d’une durée de 21 mois, étant ainsi traitée plus sévèrement que l’aurait été un autre contrevenant non assujetti à une interdiction présentencielle de conduire, dans des circonstances par ailleurs similaires ou plus graves. On comprend donc le souci de justice et d’équité qui animait la Cour d’appel lorsqu’elle a ordonné la suspension de l’exécution de la peine infligée à Mme Basque, préoccupation que l’on retrouve également dans les jugements des juridictions inférieures, même si elles ont tranché l’affaire autrement. Ce même souci rejoint, en substance mais pas en droit, la solution proposée ici. Mais, avec égards pour l’opinion contraire, il n’y a pas lieu, pour y arriver, de suspendre l’exécution de la peine de Mme Basque. Juridiquement, elle a purgé la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 259(1)a).
VI. Dispositif
[78] Je propose d’accueillir l’appel et d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel. Je rétablirais le jugement de la cour d’appel en matière de poursuites sommaires et je rétablirais en partie les conclusions de la Cour provinciale, en précisant qu’il n’y a pas lieu d’antidater la sentence prononcée à l’égard de Mme Basque. Au moment du prononcé de sa sentence, cette dernière avait déjà purgé de façon présentencielle l’interdiction de conduire minimale prévue à l’al. 259(1)a). Par conséquent, aucune interdiction additionnelle n’est indiquée en l’espèce.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelante : Fowler Law P.C. Inc., Moncton.
Procureur de l’intimé : Service des poursuites pénales du Nouveau‑Brunswick, Cabinet du procureur général, Fredericton.
Procureur de l’intervenant : Alberta Crown Prosecution Service, Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.
* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.
[1] Cette disposition a été abrogée et remplacée par l’al. 320.24(2)a) C. cr. (L.C. 2018, c. 21), lequel demeure « presque identique » à l’al. 259(1)a), comme le soulignent les juges majoritaires de la Cour d’appel (2021 NBCA 50, 84 M.V.R. (7th) 54, par. 13).