COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390
Date : 20140709
Dossier : 35390
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Vincent Quesnelle
Intimé
- et -
Procureur général de l'Alberta,
Association canadienne des chefs de police,
Criminal Lawyers' Association of Ontario et
Barbra Schlifer Commemorative Clinic
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement :
(par. 1 à 68)
La juge Karakatsanis (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver et Wagner)
r. c. quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] R.C.S. 390
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Vincent Quesnelle Intimé
et
Procureur général de l'Alberta,
Association canadienne des chefs de police,
Criminal Lawyers' Association of Ontario et
Barbra Schlifer Commemorative Clinic Intervenants
Répertorié : R. c. Quesnelle
2014 CSC 46
N o du greffe : 35390.
2014 : 20 mars; 2014 : 9 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Preuve — Communication — Le rapport de police dressé dans le cadre d'une enquête relative à des incidents sans lien auxquels est mêlé le plaignant ou un témoin constitue-t-il un « dossier » au sens de l'art. 278.1 du Code criminel de sorte qu'il soit soumis au régime de l'arrêt Mills? — L'exception prévue pour le dossier d'enquête ou de poursuite vaut-elle à l'égard de tous les rapports de police ou seulement à l'égard de ceux établis relativement à l'infraction en cause? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 278.1 à 278.91 .
Q a été accusé d'avoir agressé sexuellement les deux plaignantes. Avant le début du procès, il a demandé la communication de certains rapports de police qui avaient trait à l'une d'elles, mais qui n'avaient pas été produits dans le cadre de l'enquête ayant mené aux accusations portées contre lui. La juge du procès a statué que ces rapports constituaient des « dossiers » suivant le régime de l'arrêt Mills , plus précisément l' art. 278.1 du Code criminel . Q a donc demandé leur communication en application de l'art. 278.3 du Code . La juge a rejeté la demande, et Q a finalement été déclaré coupable. La Cour d'appel a accueilli l'appel de Q au motif que les rapports de police ne constituaient pas des « dossiers » pour les besoins du régime de l'arrêt Mills et que le ministère public aurait dû les communiquer conformément à la procédure habituelle suivant l'arrêt R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326. Elle a donc ordonné un nouveau procès.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli. L'ordonnance à l'effet de tenir un nouveau procès est annulée, la déclaration de culpabilité est rétablie et l'appel de la peine est renvoyé à la Cour d'appel.
Dans le cas de certaines infractions à caractère sexuel, les art. 278.1 à 278.91 du Code criminel — le « régime de l'arrêt Mills » — permettent la communication d'un dossier personnel se rapportant au plaignant ou à un témoin seulement lorsque le dossier est vraisemblablement pertinent et que sa communication sert les intérêts de la justice. Le régime traduit l'intention du législateur de concilier le droit de l'accusé à une défense pleine et entière et les droits à la vie privée et à l'égalité du plaignant dans une affaire d'infraction à caractère sexuel. Même si le régime s'applique à la communication d'un « dossier » dans un procès pour infraction à caractère sexuel, l'obligation faite au ministère public d'effectuer des vérifications raisonnables et d'obtenir les renseignements et les éléments de preuve susceptibles d'être pertinents demeure, conformément à R. c. McNeil , 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66.
Un document constitue un « dossier » lorsque, premièrement, il contient des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée et que, deuxièmement, il ne tombe pas sous le coup de l'exception prévue à l'égard du dossier d'enquête ou de poursuite. L' article 278.1 énumère des exemples de dossiers qui confèrent généralement une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée; d'autres documents seront toutefois protégés s' ils suscitent une telle attente. Le juge du procès se prononce habituellement sur l'existence d'une telle attente en fonction de la nature du document en cause. Le rapport de police dressé à l'occasion de l'enquête relative à un incident antérieur auquel a été mêlé le plaignant ou un témoin, et non à l'infraction qui fait l'objet de la procédure, constitue un « dossier » et est soumis au régime de l'arrêt Mills .
Vu la nature délicate des renseignements souvent contenus et les conséquences que peut avoir leur communication sur le droit du plaignant ou du témoin à la vie privée, le rapport de police confère généralement une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Il peut contenir des renseignements de nature très délicate tels que des allégations dont le bien-fondé n'a pas été établi et des déclarations du plaignant. Il peut révéler l'état matrimonial, des renseignements médicaux et d'autres données personnelles. Mais surtout, il peut dévoiler l'existence d'un incident antérieur où le témoin ou le plaignant a été victime d'un acte criminel, y compris une agression sexuelle. La communication de telles données met en jeu le « droit au respect du caractère privé des renseignements personnels » du plaignant ou du témoin, soit le droit de ce dernier de décider lui-même des modalités de leur partage. Leur communication à l'accusé est particulièrement susceptible de porter atteinte à la dignité du plaignant ou du témoin et de décourager une victime d'agression sexuelle de dénoncer son agresseur. Le fait que la police détient déjà les renseignements ne saurait écarter le droit de l'intéressé à ce que leur confidentialité soit assurée. Les gens qui fournissent des renseignements à la police s'attendent à ce que celle-ci ne les communique à autrui que pour un motif valable.
L'exception prévue par l' art. 278.1 à l'égard du dossier d'enquête ou de poursuite ne soustrait pas le rapport de police à la protection du régime de l'arrêt Mills . Au vu du libellé de la disposition dans les deux langues, ainsi que de son objet, de son contexte et des conséquences d'une conclusion différente, la juge du procès statue à bon droit que l'exception s'applique seulement aux rapports établis relativement à l'infraction en cause, et non à ceux rédigés dans le cadre d'enquêtes sans lien avec celle-ci.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. McNeil , 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66; R. c. O'Connor , [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Mills , [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. Esau , [1997] 2 R.C.S. 777; R. c. Ewanchuk , [1999] 1 R.C.S. 330; R. c. Osolin , [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Patrick , 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Edwards , [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Tessling , 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Buhay , 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631; R. c. Dinh , 2001 ABPC 48, 42 C.R. (5th) 318; R. c. Dyment , [1988] 2 R.C.S. 417; Escher c. Brazil (2009), Inter-Am. Ct. H.R. (Ser. C) No. 200; R. c. Fiddler , 2012 ONSC 2539, 258 C.R.R. (2d) 193; R. c. McAdam (2008), 172 C.R.R. (2d) 27; R. c. Daoust , 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 8 .
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 193(1) , 278.1 à 278.91 , 278.2(2) , (3) , 278.3 , 278.5 , 278.7 .
Loi constitutionnelle de 1867 , art. 133 .
Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel) , L.C. 1997, ch. 30, préambule.
Loi sur l'accès à l'information municipale et la protection de la vie privée , L.R.O. 1990, ch. M.56.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes , vol. 134, n o 122, 2 e sess., 35 e lég., 4 février 1997, p. 7664.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes , vol. 134, n o 150, 2 e sess., 35 e lég., 7 avril 1997, p. 9361-9362.
Gotell, Lise. « When Privacy is Not Enough : Sexual Assault Complainants, Sexual History Evidence and the Disclosure of Personal Records » (2006), 43 Alta. L. Rev. 743.
Keen, Peter Carmichael. « Gebrekirstos : Fallout from Quesnelle » (2013), 4 C.R. (7th) 56.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes , 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Rosenberg, Sharpe et MacFarland), 2013 ONCA 180, 114 O.R. (3d) 779, 303 O.A.C. 18, 1 C.R. (7th) 394, 297 C.C.C. (3d) 414, [2013] O.J. No. 1365 (QL), 2013 CarswellOnt 3337, qui a annulé les déclarations de culpabilité d'agression sexuelle et de voies de fait prononcées contre l'accusé et a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli et déclarations de culpabilité rétablies.
Milan Rupic , pour l'appelante.
Najma Jamaldin et Paul Genua , pour l'intimé.
Maureen J. McGuire , pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.
Philip Wright , Vincent Westwick et Christiane Huneault , pour l'intervenante l'Association canadienne des chefs de police.
Jonathan Dawe et Michael Dineen , pour l'intervenante Criminal Lawyers' Association of Ontario.
Susan Chapman et Joanna Birenbaum , pour l'intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La juge Karakatsanis —
I. Aperçu
[1] Dans les affaires d'infraction d'ordre sexuel, le Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , limite la communication d'un dossier personnel se rapportant au plaignant ou à un témoin. Les dispositions pertinentes, soit les art. 278.1 à 278.91 — le « régime de l'arrêt Mills » — ne permettent la communication que lorsque le dossier est vraisemblablement pertinent et que sa communication sert les intérêts de la justice. Le régime s'applique au « dossier » qui contient des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, sauf s'il est produit par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure. Le pourvoi porte sur la question de savoir si ces dispositions s'appliquent au rapport de police dressé à l'occasion de l'enquête relative à des incidents auxquels a été mêlé le plaignant ou un témoin, et non à l'infraction qui fait l'objet de la procédure. Il nous faut décider si ce rapport de police sans lien avec l'infraction constitue un « dossier » au sens de l' art. 278.1 , de telle sorte qu'il soit assujetti aux restrictions légales de communication.
[2] J'arrive à la conclusion que le régime de l'arrêt Mills s'applique au rapport de police qui n'est pas directement lié à l'accusation portée contre l'accusé. Le droit à la vie privée n'est pas un droit de nature absolue. La personne qui est visée par une enquête criminelle ne renonce pas à son droit à la vie privée pour toutes les circonstances ultérieures; elle s'attend raisonnablement à ce que ses renseignements personnels consignés dans le rapport de police ne fassent pas l'objet d'une communication dans une autre affaire. De plus, même si le régime prévoit une exception pour les dossiers d'enquête et de poursuite, cette exception ne vaut que pour les dossiers constitués relativement à l'infraction en cause.
[3] Par conséquent, je conviens avec la juge du procès que chacun des rapports de police considérés en l'espèce constitue un « dossier » au sens de l' art. 278.1 , de sorte qu'il tombe sous le coup du régime de l'arrêt Mills . La juge du procès était en droit de conclure que les rapports ne devaient pas être communiqués. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance à l'effet de tenir un nouveau procès, de rétablir la déclaration de culpabilité et de renvoyer l'appel de la peine à la Cour d'appel.
II. Faits
[4] L'intimé, Vincent Quesnelle, a été accusé d'avoir agressé sexuellement les deux plaignantes, T.R. et L.I. Avant le procès, la chaîne CBC Radio a présenté un documentaire sur la plaignante T.R., une prostituée travaillant dans la rue. L'enquêteuse principale au dossier y affirmait avoir obtenu et examiné quatre ou cinq rapports de police qui avaient trait à T.R., mais qui n'avaient pas été produits dans le cadre de l'enquête ayant débouché sur les accusations portées contre l'intimé. L'enquêteuse n'a pas versé les rapports au dossier d'enquête. .
[5] Les policiers rédigent un rapport afin de documenter une intervention par suite, notamment, d'une infraction à la paix publique, d'une demande d'aide, du signalement d'un crime, voire d'une urgence médicale ou d'un accident de la route. Ils y consignent le déroulement de l'intervention et des précisions sur les faits en cause.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure de justice de l'Ontario
[6] Avant le début du procès, l'intimé a demandé la communication des rapports de police dont l'enquêteuse avait pris connaissance. Appelée à présider le procès, la juge Thorburn a conclu que ces rapports constituaient des « dossiers » suivant le régime de l'arrêt Mills , et ce, pour deux raisons (2009 CanLII 73645). Premièrement, ils contenaient des renseignements personnels qui conféraient une attente raisonnable en matière de vie privée. Deuxièmement, ils ne tombaient pas sous le coup de l'exception prévue à l' art. 278.1 , car ils ne constituaient pas des « dossier[s] qui [sont] produit[s] par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure ». Seuls échappent à l'application du régime les rapports établis relativement à l'infraction faisant l'objet de la poursuite. Conformément au régime de l'arrêt Mills , un « dossier » ne peut être communiqué à l'accusé que si le juge du procès est convaincu qu'il est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige et que sa communication sert les intérêts de la justice.
[7] Comme les rapports étaient assujettis au régime de l'arrêt Mills , l'intimé a demandé leur communication en application de l'art. 278.3 du Code . Il a prétendu qu'ils étaient vraisemblablement pertinents pour l'appréciation de la crédibilité de la plaignante. La défense a choisi de ne pas faire mention du documentaire, car elle ne voulait pas attirer l'attention de la plaignante ― qui était constituée partie à la demande ― sur les raisons pour lesquelles elle jugeait les rapports pertinents. La juge du procès a rejeté la demande parce qu'aucun fondement probant ne permettait de conclure que les documents étaient vraisemblablement pertinents ou que leur communication servait les intérêts de la justice (2010 ONSC 175 (CanLII)).
[8] L'intimé a finalement été reconnu coupable et condamné à six ans et demi d'emprisonnement, moins le temps crédité pour la détention (2010 ONSC 3713 (CanLII)).
B. Cour d'appel de l'Ontario, 2013 ONCA 180, 114 O.R. (3d) 779
[9] L'intimé a interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine devant la Cour d'appel de l'Ontario. Il a prétendu que les rapports de police n'étaient pas des « dossiers » pour les besoins du régime de l'arrêt Mills , de sorte que le ministère public aurait dû les communiquer conformément à la procédure habituelle suivant l'arrêt R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326.
[10] La Cour d'appel accueille l'appel pour ce motif et ordonne la tenue d'un nouveau procès. La juge MacFarland estime en premier lieu que le plaignant ou le témoin qui donne des renseignements à la police n'a aucune attente raisonnable en matière de vie privée à l'égard des documents de police qui consignent ces renseignements. En deuxième lieu, elle conclut que l'exception prévue à l' art. 278.1 vise tous les dossiers produits par le service de police chargé de l'enquête, qu'ils se rapportent ou non à la poursuite. Elle estime donc que les rapports en cause ne sont pas assujettis au régime de l'arrêt Mills . La Cour d'appel explique que les rapports examinés par l'enquêteuse Leaver représentent les fruits de l'enquête et elle ordonne leur communication.
IV. Analyse
A. Les principes applicables à l'obligation de communication du ministère public
(1) Communication dans les affaires criminelles en général
[11] Le ministère public a l'obligation générale de communiquer les éléments de preuve et les renseignements pertinents à la personne qui est accusée d'une infraction criminelle. Selon l'arrêt Stinchcombe , p. 336-340, il est tenu de communiquer tout renseignement pertinent non protégé qui est en sa possession ou sous son contrôle afin de permettre à l'accusé de présenter une défense pleine et entière. Pour les besoins de la communication par la « partie principale », « le ministère public » ne s'entend pas de toutes les composantes de l'État fédéral ou provincial, mais seulement du poursuivant. Toutes les autres composantes de l'État, y compris la police, sont des « tiers ». Exception faite de l'obligation qui incombe à la police de transmettre au ministère public les fruits de l'enquête, les dossiers en la possession de tiers, y compris d'autres composantes de l'État, ne sont habituellement pas assujettis aux règles établies dans l'arrêt Stinchcombe en matière de communication.
[12] Dans l'arrêt R. c. McNeil , 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, notre Cour reconnaît que le ministère public ne peut se contenter de recevoir passivement des renseignements. Des vérifications raisonnables lui incombent lorsqu'il apprend que la police ou d'autres composantes de l'État ont en leur possession des éléments susceptibles d'être utiles à la poursuite ou à la défense. Notre Cour reconnaît aussi l'obligation de la police de communiquer, sans qu'il soit nécessaire de lui en faire la demande, « tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l'accusé » (par. 14), ainsi que les autres renseignements qui « se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l'accusé » (par. 59).
[13] Dans l'arrêt R. c. O'Connor , [1995] 4 R.C.S. 411, par. 15-34, notre Cour établit un régime de communication distinct pour les dossiers qui se trouvent en la possession de « tiers » et qui sont « vraisemblablement pertinents » quant à un point en litige. Le tribunal saisi statue sur la demande de communication à l'issue d'une analyse à deux volets. Le requérant doit d'abord prouver que les renseignements contenus dans le dossier sont d'une pertinence vraisemblable. Le tribunal examine ensuite le dossier pour déterminer s'il doit être communiqué à l'accusé — et, le cas échéant, dans quelle mesure il doit l'être; lorsque les renseignements sont pertinents, le droit à la vie privée cède le pas au droit à une défense pleine et entière.
(2) Communication dans une affaire d'infraction d'ordre sexuel ― le régime de l'arrêt Mills
[14] Dès la fin des années 1980, lors d'un procès pour infraction d'ordre sexuel, il était courant que l'avocat de la défense demande l'accès aux dossiers privés du plaignant afin de miner sa crédibilité de manière attentatoire (et souvent inappropriée) ( Débats de la Chambre des communes , vol. 134, n o 122, 2 e sess., 35 e lég., 4 février 1997). Adopté en 1997, le régime de l'arrêt Mills est venu encadrer cette pratique. Les dispositions qui y correspondent sont reproduites en annexe. Selon le préambule de la loi qui crée le régime, l'idée maîtresse est la suivante :
. . . si la communication de renseignements personnels au tribunal et à l'accusé peut être nécessaire à une défense pleine et entière de l'accusé, elle peut aussi constituer une atteinte au droit à la vie privée et à l'égalité de la personne qu'ils concernent et [. . .], de ce fait, la décision de l'accorder ne devrait être rendue qu'avec prudence,
( Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel) , L.C. 1997, ch. 30)
Le régime traduit l'intention du législateur de concilier le droit de l'accusé à une défense pleine et entière et les droits à l'égalité et à la vie privée du plaignant dans les affaires d'infraction à caractère sexuel. Pour reprendre les termes employés par la professeure Lise Gotell, le régime a vu le jour afin [ traduction ] « de limiter ce que le plaignant — femme ou enfant — doit être contraint de révéler au procès pour se prévaloir du système de justice pénale » (« When Privacy is not Enough : Sexual Assault Complainants, Sexual History Evidence, and the Disclosure of Personal Records » (2006), 43 Alta. L. Rev. 743, p. 745). Notre Cour confirme cette approche dans l'arrêt R. c. Mills , [1999] 3 R.C.S. 668, et sa constitutionnalité n'est pas contestée dans le pourvoi.
[15] Le régime de l'arrêt Mills régit la communication à l'accusé d'un dossier qui renferme des renseignements personnels sur un témoin ou sur le plaignant dans les instances relatives à certaines infractions d'ordre sexuel ( Code criminel , art. 278.1 à 278.91 ). Il établit une démarche à deux volets. Premièrement, le dossier ― qu'il soit en la possession du ministère public, de la police ou d'un tiers ( par. 278.2(2) ) ― n'est communiqué au tribunal que si le juge du procès est convaincu qu'il est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner, et que si la communication du dossier sert les intérêts de la justice ( art. 278.5 ). Deuxièmement, après examen du dossier, le juge n'ordonne sa communication à l'accusé que s'il est vraisemblablement pertinent et que sa communication sert les intérêts de la justice ( art. 278.7 ).
[16] Lorsqu'il obtient un dossier puis détermine qu'il relève du régime de l'arrêt Mills , le ministère public doit en informer l'accusé ( Code criminel , par. 278.2(3) ). Bien qu'il ne puisse communiquer le contenu du dossier, il doit, lorsque les circonstances s'y prêtent, déterminer si le dossier qu'il a en sa possession est vraisemblablement pertinent ou non et, dans l'affirmative, indiquer ce en quoi il est pertinent. Il doit à tout le moins faire connaître son intention d'invoquer contre l'accusé des renseignements contenus dans un dossier relevant du régime de l'arrêt Mills . La conclusion du ministère public selon laquelle le dossier est pertinent pour un motif précis servira vraisemblablement d'assise à la décision du juge d'ordonner sa communication au tribunal.
[17] Le simple fait que le rapport de police concerne un plaignant ou un témoin ne suffit pas à le rendre pertinent dans le cadre d'une poursuite par ailleurs sans lien. L'adoption des dispositions qui constituent le régime de l'arrêt Mills fait suite aux mises en garde répétées de notre Cour contre le recours à des mythes et à des stéréotypes sur les personnes qui portent plainte pour agression sexuelle lorsqu'il s'agit de statuer sur la pertinence d'un élément de preuve dans le cadre d'un procès pour agression sexuelle. Par exemple, le fait que le plaignant a signalé un acte de violence sexuelle dans un passé récent ou lointain, qu'il offre des services sexuels contre de l'argent ou qu'il souffre d'une dépendance ne suffit pas à lui seul à rendre un rapport de police « pertinent » (voir p. ex. R. c. Esau , [1997] 2 R.C.S. 777, par. 82 (la juge McLachlin, dissidente); R. c. Ewanchuk , [1999] 1 R.C.S. 330, par. 86-97 (la juge L'Heureux-Dubé); R. c. Osolin , [1993] 4 R.C.S. 595, p. 670-672 (le juge Cory)). Cependant, le rapport qui soulève des questions légitimes au sujet de la crédibilité du plaignant ou d'un témoin, ou quelque autre question au procès, est tenu pour pertinent.
(3) Les devoirs imposés par l'arrêt McNeil et l'obligation d'informer issue de l'arrêt Mills
[18] Malgré le régime de l'arrêt Mills , demeurent l'obligation que fait McNeil au ministère public d'effectuer des vérifications raisonnables ainsi que l'obligation correspondante de la police de transmettre au ministère public les renseignements et les éléments de preuve pertinents. Le régime s'applique à la communication d'un « dossier » dans le cadre d'un procès pour infraction d'ordre sexuel, mais il ne soustrait pas le ministère public à l'obligation de faire des vérifications raisonnables et d' obtenir les éléments susceptibles d'être pertinents (non plus que la police à l'obligation de transmettre les renseignements au ministère public) suivant l'arrêt McNeil . En qualité d'officier de justice et de ministre de la Justice, le ministère public doit rechercher l'accomplissement de la justice, et non l'obtention de déclarations de culpabilité, et il doit éviter les erreurs judiciaires dans toutes les poursuites, y compris celles pour infractions d'ordre sexuel. Le régime de l'arrêt Mills remplace simplement l'obligation de communiquer les dossiers pertinents par celle d' informer l'accusé de leur existence ( Code criminel , par. 278.2(3) ).
B. Un rapport de police sans lien avec l'affaire constitue-t-il un « dossier »?
[19] La question en litige dans le pourvoi est celle de savoir si le rapport de police dressé dans le cadre de l'enquête relative à des incidents sans lien auxquels est mêlé le plaignant ou un témoin constitue un « dossier » au sens de l' art. 278.1 du Code criminel de sorte qu'il soit soumis au régime de l'arrêt Mills . Voici comment cet article définit le « dossier » :
278.1 Pour l'application des articles 278.2 à 278.9, « dossier » s'entend de toute forme de document contenant des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, notamment : le dossier médical, psychiatrique ou thérapeutique, le dossier tenu par les services d'aide à l'enfance, les services sociaux ou les services de consultation, le dossier relatif aux antécédents professionnels et à l'adoption, le journal intime et le document contenant des renseignements personnels et protégés par une autre loi fédérale ou une loi provinciale. N'est pas visé par la présente définition le dossier qui est produit par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure.
[20] Déterminer si un document constitue un « dossier » appelle deux questions. Premièrement, le document contient-il des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée? Deuxièmement, tombe-t-il sous le coup de l'exception prévue à l'égard des dossiers d'enquête et de poursuite? J'examine ces questions à tour de rôle.
(1) Documents conférant une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée
a) L' article 278.1 commande une approche fondée sur la nature du document
[21] À la première étape de l'application du régime de l'arrêt Mills , le juge du procès décide à titre préliminaire si le document constitue un « dossier » auquel s'applique le régime, mais sans l'avoir sous les yeux. Ce n'est que s'il estime que le document est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner et que sa communication sert les intérêts de la justice qu'il pourra l'examiner. Le juge détermine donc habituellement si un dossier « cont[ie]nt des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée » en fonction de la nature du document en cause.
[22] La définition de « dossier » est large et non exhaustive. L' article 278.1 énumère des exemples de dossiers qui confèrent habituellement une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Cependant, les documents qui ne sont pas visés par ces exemples relèvent tout de même du régime de l'arrêt Mills s' ils contiennent des renseignements qui confèrent une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.
[23] Il nous faut décider en l'espèce si, à l'étape préliminaire, la juge du procès commet une erreur justifiant l'annulation de sa décision lorsqu'elle conclut que le rapport de police ayant trait au plaignant constitue un « dossier » parce qu'il contient généralement des renseignements qui confèrent une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. La Cour d'appel conclut que la juge fait erreur, car selon la définition qui figure à l' art. 278.1 , le « dossier » vise les renseignements personnels communiqués dans le cadre d'une [ traduction ] « relation confidentielle, thérapeutique ou fondée sur la confiance » et que l'intéressé « ne voudrait pas révéler à l'État » (par. 32-33). À mon sens, une interprétation aussi stricte n'est pas justifiée. La juge du procès a raison de voir dans le rapport de police un « dossier » emportant l'application du régime de l'arrêt Mills , car le rapport contient généralement des renseignements pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.
b) Attente raisonnable en matière de protection de la vie privée
[24] Pour qu'un document constitue un « dossier » et relève du régime de l'arrêt Mills , il doit s'agir d'un « document contenant des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée » ( art. 278.1 ).
[25] L'appelant soutient qu'un rapport de police renferme souvent des renseignements extrêmement personnels et susceptibles d'être embarrassants, et que le témoin ou le plaignant conserve son droit à la vie privée en liaison avec un tel document. La personne concernée par un rapport ne s'attend pas à ce qu'il soit communiqué et serve à miner sa crédibilité dans une autre affaire.
[26] L'intimé convient avec la Cour d'appel que le rapport ne [ traduction ] « met pas en jeu un droit à la vie privée de la nature de ceux envisagés à l' art. 278.1 ou dans l'arrêt Mills » (m.i., par. 58, citant les motifs de la Cour d'appel, par. 41). La Cour d'appel fait remarquer que la plaignante ne peut avoir d'attente subjective en matière de protection de la vie privée à l'égard de plaintes antérieures; elle sait, au moment où elle porte plainte à la police, que les renseignements qu'elle donne seront révélés lors du procès. En outre, la victime d'une agression ne s'adresse pas à la police dans le contexte d'une relation confidentielle, thérapeutique ou fondée sur la confiance.
(i) Principes généraux
[27] L'examen qui vise à déterminer s'il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée aux fins de l' art. 278.1 du Code criminel prend appui sur la jurisprudence relative à l'application de l' art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (voir Mills , par. 99). Selon cette jurisprudence, l'existence d'une telle attente s'établit en fonction de « l'ensemble des circonstances » ( R. c. Patrick , 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 26; R. c. Edwards , [1996] 1 R.C.S. 128, par. 45; R. c. Tessling , 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 19). Les circonstances dans lesquelles l'information est partagée ne sont pas décisives, non plus que la nature de la relation entre les intéressés : ce ne sont pas que les relations confidentielles, thérapeutiques ou fondées sur la confiance qui confèrent une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.
[28] Contrairement à celle qui sous-tend bon nombre des arrêts de jurisprudence relatifs à l'application de l' art. 8 de la Charte , l'analyse de l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ne vise pas en l'espèce le droit d'être protégé contre une atteinte abusive de la part de l'État. La question est plutôt de savoir s'il est raisonnable de s'attendre à ce que celui-ci s'abstienne de communiquer à d' autres particuliers des renseignements qu'il a légitimement obtenus.
[29] L'existence ou l'inexistence d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée n'est pas absolue ( Mills , par. 108). Une personne peut s'attendre raisonnablement à ce que l'État n'entre pas dans sa chambre d'hôtel, alors qu'elle sait bien que le personnel de l'hôtel y pénétrera ( R. c. Buhay , 2003 CSC 30 , [2003] 1 R.C.S. 631, par. 22, où la Cour examine R. c. Dinh , 2001 ABPC 48, 42 C.R. (5th) 318). De même, une personne peut donner des renseignements à une autre personne ou à une organisation en pensant qu'ils ne seront utilisés qu'à une fin précise ( R. c. Dyment , [1988] 2 R.C.S. 417, p. 429-430). Il en va de même des renseignements fournis aux policiers.
[30] Il nous faut en l'espèce décider si une personne visée par un rapport de police peut raisonnablement s'attendre à ce que la police protège ses renseignements personnels, sauf si cette dernière est justifiée de les communiquer. Après la teneur du rapport, je me penche ci-après sur le droit à la vie privée que mettent en jeu ces renseignements. J'examinerai ensuite, en dernier lieu, les conséquences de la possession du rapport par la police.
(ii) Les renseignements contenus dans le rapport de police
[31] Le rapport de police consigne les renseignements fournis aux policiers par la personne concernée ou par un tiers, ou ceux obtenus au moyen d'une fouille, d'une perquisition, d'une saisie, d'une opération de surveillance ou d'un échange de renseignements.
[32] Dans McNeil , la Cour fait remarquer ce qui suit au par. 19 :
En effet, les dossiers d'enquête criminelle peuvent contenir des renseignements de nature très délicate tels que des exposés sur des allégations dont le bien-fondé n'a pas été établi, des déclarations de plaignants ou de témoins — parfois à propos de questions très personnelles . . .
[33] Un rapport de police peut révéler l'état matrimonial d'une personne, des renseignements médicaux à son sujet (y compris des déclarations sur sa santé mentale ou sa consommation de drogues ou d'alcool), ainsi que des précisions sur son logement et son emploi. Il peut faire état de conflits personnels ou donner des précisions sur les liens qui unissent des particuliers. Voir P. C. Keen, « Gebrekirstos : Fallout from Quesnelle » (2013), 4 C.R. (7th) 56, p. 60-61. De plus, il dévoile bien souvent les démêlés de l'intéressé avec le système de justice criminelle. Mais surtout, il peut révéler l'existence d'incidents antérieurs où le témoin ou le plaignant a été victime d'un acte criminel, y compris une agression sexuelle.
(iii) Le prix de la communication
[34] La communication de telles données met en jeu le [ traduction ] « droit au respect du caractère privé des renseignements personnels » des plaignants et des témoins, soit [ traduction ] « le droit revendiqué par des particuliers, des groupes ou des institutions de déterminer eux-mêmes le moment, la manière et la mesure dans lesquels des renseignements les concernant sont communiqués » ( Tessling , par. 23, citant A. F. Westin, Privacy and Freedom (1970), p. 7). Comme le fait observer la juge L'Heureux-Dubé dans O'Connor , par. 119 :
Quoiqu'il puisse paraître banal de le dire, je souligne que, lorsqu'un document ou un dossier privé est communiqué, écartant ainsi l'attente raisonnable relativement à son caractère privé, l'intrusion ne se rapporte pas au document ou au dossier particulier en question. Il s'agit plutôt d'une atteinte à la dignité et à la valeur personnelle de l'individu, qui jouit du droit à la protection de sa vie privée, aspect essentiel de sa liberté dans une société libre et démocratique.
La communication d'un rapport contenant des renseignements intimes et personnels, telles des précisions sur des allégations antérieures d'agression sexuelle, est particulièrement susceptible de porter gravement atteinte à la dignité et à la valeur personnelle de l'intéressé.
[35] Le régime de l'arrêt Mills encadre la communication dans le contexte d'un procès au pénal : les renseignements communiqués seront souvent exposés devant le tribunal. Il importe de signaler que même les données qui ne sont pas utilisées au procès sont certainement portées à la connaissance de l'accusé, qui est souvent une personne que connaît l'intéressé et qui, lorsqu'il utilise ces renseignements, n'est assujetti ni à la Charte , ni aux règles d'une loi sur la protection de la vie privée applicables à la transmission de tels renseignements aux autorités chargées de l'application de la loi. Cette communication peut donc porter plus gravement atteinte à la dignité du plaignant que la communication de renseignements à l'État.
[36] Certains préjudices tangibles sont associés à la communication de renseignements personnels dans le cadre d'une poursuite pour infraction d'ordre sexuel, surtout lorsque les renseignements sur le plaignant sont communiqués à la personne accusée de l'avoir agressé. Dans le préambule de la loi qui crée le régime de l'arrêt Mills , le législateur reconnaît « que l'obligation de communiquer des renseignements personnels peut avoir un effet dissuasif sur la dénonciation d'agressions sexuelles ». Les victimes d'agressions sexuelles qui sauront que, si elles portent plainte, leurs démêlés antérieurs avec la police seront communiqués à la personne accusée de les avoir agressées seront moins susceptibles de dénoncer leur agresseur.
(iv) Les conséquences de la communication de renseignements à un tiers sur l'attente en matière de protection de la vie privée
[37] Il convient de rappeler que le droit à la vie privée n'est pas un droit de nature absolue. « Dans une société moderne, le droit à la protection de la vie privée comporte l'attente raisonnable que les renseignements privés ne resteront connus que des personnes à qui ils ont été divulgués et qu'ils ne seront utilisés que dans le but pour lequel ils ont été divulgués » ( Mills , par. 108). Par conséquent, la communication à un tiers de renseignements sur une personne ne supprime pas le droit au respect de la vie privée de celle-ci. La communication du contenu d'un rapport de police dans certaines circonstances n'écarte pas l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée que confère ce document.
[38] La Cour d'appel a tort de conclure que la plaignante ne pouvait avoir d'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée parce que les renseignements n'ont pas été communiqués dans le contexte d'une [ traduction ] « relation confidentielle, thérapeutique ou fondée sur la confiance ». L'existence d'une telle relation peut certes accroître la portée du droit à la protection de la vie privée, mais son inexistence n'est pas décisive. L'analyse qui permet de déterminer si une personne est en droit de s'attendre à ce que des renseignements la concernant demeurent privés est de nature contextuelle.
[39] Lorsqu'un particulier communique de son gré des renseignements délicats à la police ou que celle-ci les découvre au cours d'une enquête, il est raisonnable qu'il s'attende à ce que les renseignements servent dans le but pour lequel ils ont été obtenus, à savoir l'enquête et la poursuite relatives à un acte criminel. De même, il est raisonnable qu'il s'attende à ce que les policiers partagent des renseignements légalement obtenus avec d'autres responsables de l'application de la loi, à condition que leur utilisation soit compatible avec les fins de leur obtention.
[40] Cependant, l'État qui communique des renseignements délicats à un particulier peut porter atteinte à l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Par exemple, il y aurait manifestement atteinte à la vie privée si la police diffusait publiquement l'enregistrement d'une conversation par suite d'écoute électronique (voir Escher c. Brazil , Cour interaméricaine des Droits de l'Homme, jugement du 6 juillet 2009, série C, n o 200, par. 157-158), ainsi que violation du par. 193(1) du Code criminel . Publier indistinctement les données contenues dans un rapport de police entraînerait une atteinte semblable.
[41] Néanmoins, la police ne porte pas déraisonnablement atteinte au droit à la vie privée chaque fois qu'elle communique des renseignements personnels. La communication au tribunal, à l'accusé et au public des renseignements personnels qui sont versés au dossier d'une instance criminelle est à la fois raisonnable et inévitable. Par exemple, le rapport de police dressé lors de l'enquête sur l'infraction qui fait l'objet de la procédure doit être communiqué suivant les règles de l'arrêt Stinchcombe .
[42] Mais qu'en est-il du rapport de police dressé relativement à un incident distinct, et non dans le cadre de l'enquête sur l'infraction qui fait l'objet de la procédure? Il peut certainement arriver que sa communication soit nécessaire à l'équité du procès. Dans ce cas, le régime de l'arrêt Mills confère donc au juge du procès le pouvoir de le communiquer. Le juge doit alors mettre en balance le droit du plaignant ou du témoin à sa vie privée avec la nécessité de la communication pour la défense pleine et entière de l'accusé. Le fait qu'un dossier puisse être communiqué lorsque les circonstances le justifient ne fait toutefois pas disparaître l'attente en matière de protection de la vie privée qui s'y rattache généralement.
[43] Les gens fournissent des renseignements à la police dans le but d'assurer leur propre protection et celle d'autrui. Ils sont en droit de s'attendre à ce que la police ne les communique que pour un motif valable. La possession des renseignements par la police ne saurait écarter le droit à ce que leur confidentialité soit assurée.
c) Conclusion sur l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée
[44] Fondamentalement, l'analyse relative à la protection de la vie privée se ramène à une question normative : devons-nous, en tant que société, nous attendre à ce qu'un rapport de police demeure confidentiel? Vu la nature délicate des renseignements souvent contenus dans ce document et les conséquences que peut avoir leur communication sur le droit du plaignant ou du témoin à la vie privée, le rapport me paraît conférer généralement une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.
d) Renseignements personnels protégés par la loi
[45] Le ministère public appelant prétend qu'un rapport de police constitue un « document contenant des renseignements personnels et protégés par une autre loi fédérale ou une loi provinciale » et qu'il s'agit donc d'un « dossier » au sens de l' art. 278.1 . La juge du procès conclut que le rapport [ traduction ] « renferme des renseignements personnels protégés par une loi provinciale » (2009 CanLII 73645, par. 18). Vu ma conclusion selon laquelle ce document renferme des renseignements pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, il est inutile de décider s'il bénéficie de la protection de la Loi sur l'accès à l'information municipale et la protection de la vie privée , L.R.O. 1990, ch. M.56.
(2) L'exception prévue pour les dossiers d'enquête et de poursuite
[46] Même le dossier qui justifie une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée n'est pas assujetti au régime de l'arrêt Mills s'il est visé par l'exception prévue à l' art. 278.1 :
278.1 . . . N'est pas visé par la présente définition le dossier qui est produit par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure
278.1 . . . “record” . . . does not include records made by persons responsible for the investigation or prosecution of the offence.
[47] La juge du procès conclut que l'exception s'applique seulement aux dossiers établis relativement à l'infraction en cause, et non aux rapports rédigés dans le cadre d'autres enquêtes. D'autres tribunaux arrivent généralement à la même conclusion (voir p. ex. R. c. Fiddler , 2012 ONSC 2539, 258 C.R.R. (2d) 193, par. 36-38; R. c. McAdam (2008), 172 C.R.R. (2d) 27 (C.S.J. Ont.)).
[48] La Cour d'appel conclut toutefois que l'exception vaut pour tous les dossiers produits par le service de police responsable, qu'ils se rapportent ou non à l'infraction en cause. Elle invoque à l'appui le libellé clair de la version anglaise de la disposition, l'improbabilité que ces dossiers mettent en jeu un droit à la vie privée et la définition de l'exception qu'elle reprend de l'arrêt Mills — « à l'exclusion des dossiers d'enquête et ceux de la poursuite » (par. 39, citant Mills , par. 50).
[49] En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec cette interprétation de l'exception. Au vu du libellé de la disposition dans les deux langues, ainsi que de son objet, de son contexte et des conséquences de l'interprétation de la Cour d'appel, j'estime que la juge du procès conclut à juste titre que l'exception exclut seulement les dossiers produits relativement à l'infraction considérée.
a) Le libellé de la disposition
[50] La juge du procès explique que [ traduction ] « [l]a portée de l'énoncé “ records made by persons responsible for the investigation or prosecution of the offence ” est restreinte par l'emploi des mots “ the ” offence », de sorte que seuls sont visés les dossiers produits relativement à l'infraction en cause (2009 CanLII 73645, par. 20). En revanche, la Cour d'appel souligne que l'application de l'exception à un dossier dépend de la personne qui le produit ― la police et le service des poursuites ―, et non de la raison pour laquelle il est produit. À mon avis, considérée isolément, la version anglaise peut s'entendre des deux.
[51] Or, le libellé français ― « le dossier qui est produit par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure » ― ne peut faire bénéficier de l'exception que le dossier produit par la police ou par le poursuivant relativement à l'infraction en cause.
[52] La Cour d'appel ne s'est pas penchée sur la version française de la disposition parce que le ministère public a soutenu devant elle que la version française se prêtait aux deux interprétations. Le ministère public rompt aujourd'hui avec cette position. Étant donné la nature adverbiale du mot « relativement », l'énoncé « relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure » se rattache nécessairement au groupe « qui est produit ». L'adverbe « relativement » ne peut se rapporter aux substantifs « enquête » ou « poursuite ». Si la dernière partie du texte établissant l'exception devait s'appliquer à l'« enquête » et à la « poursuite », la formulation correcte du point de vue grammatical serait « de l'enquête ou de la poursuite relative à l'infraction qui fait l'objet de la procédure ».
[53] Selon l' article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 , le législateur adopte les lois en français et en anglais, de sorte que [ traduction ] « les versions dans l'une et l'autre langues d'une loi ou d'un règlement bilingue sont officielles et originales et font foi du droit applicable » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5 e éd. 2008), p. 95). Une règle d'interprétation législative veut que lorsque l'une des deux versions peut avoir deux sens dont un seul correspond à celui de l'autre version, il convient de retenir le sens commun ( R. c. Daoust , 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, par. 28).
b) L'objet de l'exception prévue à l' article 278.1
[54] Le régime de l'arrêt Mills a deux objectifs : d'abord, protéger la vie privée du plaignant ou du témoin et, ensuite, garantir le droit de l'accusé à un procès équitable.
[55] La définition du mot « dossier » à l' art. 278.1 balise l'application du régime. Le critère de l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée assimile à un dossier tout document qui justifie la protection offerte par le régime de l'arrêt Mills . L'exception ajoute à ce balisage en passant outre à la mise en balance applicable aux dossiers dont le législateur reconnaît qu'ils doivent toujours être communiqués.
[56] On présume que le dossier constitué dans le cadre de l'enquête sur l'infraction se rapporte à une question en litige au procès et qu'il est dans l'intérêt de la justice que la preuve dont dispose la poursuite contre l'accusé soit communiquée à la défense. Il n'y a pas lieu d'examiner ce dossier à la deuxième étape de la démarche établie par l'arrêt Mills puisqu'il doit être communiqué de toute façon; l'application de l'exception est éminemment logique. Cependant, en ce qui concerne les dossiers qui sont sans lien avec l'infraction en cause, la mise en balance sera souvent déterminante. La raison d'être de l'exception ne vaut pas, et il serait contraire aux objectifs du régime de contourner cette pondération pour le seul motif que le document a été produit par le même service de police que celui qui a enquêté sur la plainte.
c) Conséquences absurdes d'une interprétation large de l'exception
[57] Si l'exception prévue à l' art. 278.1 soustrayait à l'application du régime Mills tous les documents produits par la police et le service des poursuites ― même ceux qui ne sont pas liés à l'infraction —, il en résulterait des conséquences illogiques. En effet, les rapports de police sans lien avec l'affaire seraient considérés différemment selon qu'ils ont été produits par le service de police responsable de l'enquête ou par un autre service de police. Si le législateur a voulu soustraire à l'application du régime de l'arrêt Mills les dossiers de police et de poursuite sans lien avec l'affaire, on comprend mal qu'il ait seulement exclu les documents produits par certains services de police et pas ceux produits par d'autres.
[58] Ainsi, un accusé aurait plus facilement accès à un rapport de police lorsque l'enquête a été menée par un service de police aux attributions importantes plutôt que par un service de police aux attributions plus modestes. Par exemple, lorsque la GRC participe à une enquête, le rapport qu'elle rédige où que ce soit au pays échapperait au régime de l'arrêt Mills , selon l'interprétation de l'exception par la Cour d'appel.
d) Application de l'exception aux autres documents de tiers versés au dossier d'enquête
[59] Je rejette la thèse du procureur général de l'Alberta voulant que tous les documents versés au dossier d'enquête — la totalité des fruits de l'enquête — soient visés par l'exception. Ce point n'a pas été abordé devant les tribunaux inférieurs, et il n'a été soulevé qu'en plaidoirie devant notre Cour.
[60] Interprétées isolément, les versions française et anglaise de la disposition appuient dans une certaine mesure la thèse de l'intervenant. Les mots « dossier » et « record » peuvent renvoyer à un document individuel ou à un ensemble de documents, comme le dossier de l'enquêteur. Par conséquent, selon une interprétation purement textuelle, on pourrait penser que l'exception s'applique au « dossier » d'enquête dans sa totalité, et non aux « documents » individuels.
[61] L'économie du régime et son objet vont toutefois à l'encontre d'une telle interprétation. Le paragraphe 278.2(2) du Code criminel dispose que le régime de l'arrêt Mills s'applique aux dossiers qui sont « en la possession ou sous le contrôle du poursuivant ». Ainsi, le régime s'applique en partie de manière à soustraire le ministère public à son obligation de produire les fruits de l'enquête [1] . Si l'exception visait tous les documents que contient le dossier d'enquête, soit tous les fruits de l'enquête, le régime de l'arrêt Mills n'aurait pas cet effet et il ne protégerait pas le droit à la vie privée comme il est censé le faire. Même si les documents versés au dossier d'enquête peuvent généralement être tenus pour pertinents, leur valeur sur le plan de la protection de la vie privée ne sera pas toujours supplantée. Par exemple, lorsque la police obtient un dossier thérapeutique de nature très délicate en l'absence d'une renonciation, soustraire le dossier à l'application du régime de l'arrêt Mills simplement parce qu'il fait partie du dossier d'enquête irait à l'encontre des objectifs du régime. Je suis donc d'avis de rejeter la thèse selon laquelle l'exception soustrait à l'application du régime tous les documents produits par des tiers pour le seul motif qu'ils sont versés au dossier d'enquête ou au dossier de poursuite.
e) L'effet sur l'équité du procès
[62] L'intimé et l'intervenante Criminal Lawyers' Association of Ontario disent craindre l'effet sur l'équité du procès d'une interprétation large du mot « dossier » employé à l' art. 278.1 . Pareille interprétation large de ce mot emporte l'application du régime de l'arrêt Mills à un nombre accru de documents. Même si elle va dans le sens de la réalisation de l'objectif du législateur — protéger la vie privée du plaignant ou du témoin —, elle peut aussi accroître les obligations du défendeur sur le plan procédural et présenter le risque que certains documents utiles soient mis hors de portée de la défense. Cependant, en grande partie pour les motifs exposés dans l'arrêt Mills , je ne pense pas que ces craintes commandent une interprétation stricte de l' art. 278.1 .
[63] Les documents protégés par le régime de l'arrêt Mills ne sont pas rendus inaccessibles à la défense. Le défendeur peut obtenir accès au dossier lorsque l'atteinte à la vie privée est proportionnée compte tenu de l'importance du dossier pour la défense. Dans le cas où le ministère public entend utiliser contre l'accusé les renseignements contenus dans un rapport de police, la communication de ces renseignements sert toujours les intérêts de la justice. Dans Mills , notre Cour conclut que la démarche à accomplir pour obtenir la communication d'un dossier est garante de la constitutionnalité du régime.
[64] Les principes de justice fondamentale et l'équité du procès n'exigent pas que l'avocat de la défense bénéficie exactement des mêmes privilèges et de la même procédure que le ministère public et la police ( Mills , par. 111). Le droit à une défense pleine et entière ne confère pas non plus à la personne accusée d'un acte criminel le droit de recourir à toutes les tactiques possibles pour se défendre. Le droit à une défense pleine et entière connaît certaines limites.
[65] L'avocat du ministère public est un officier de justice entièrement dévoué à la bonne administration de la justice. Il n'a aucun intérêt particulier à défendre et doit se soumettre aux obligations de communication. Les renseignements issus de l'enquête « n'appartiennent pas au ministère public pour qu'il s'en serve afin d'obtenir une déclaration de culpabilité, mais sont plutôt la propriété du public qui doit être utilisée de manière à s'assurer que justice soit rendue » ( Stinchcombe , p. 333). Le paragraphe 278.2(3) du Code criminel fait obligation au ministère public d'informer l'accusé des dossiers relevant du régime de l'arrêt Mills qu'il a en sa possession. En outre, je le rappelle, la common law impose à la police et au ministère public des obligations dont la raison d'être est d'assurer une communication suffisante et qui s'appliquent indépendamment du régime de l'arrêt Mills .
f) Conclusion sur l'exception
[66] Pour ces motifs, je conclus que l' art. 278.1 fait bénéficier d'une exception les dossiers produits relativement à l'infraction faisant l'objet de la procédure, et non les autres dossiers produits par le même service de police ou par le même service des poursuites.
V. Dispositif
[67] Il découle de l'analyse qui précède que les rapports de police mentionnés dans le documentaire diffusé à la radio par la CBC relevaient des règles de l'arrêt Mills , et non des règles de l'arrêt Stinchcombe . La juge du procès a eu raison de statuer qu'il fallait présenter une demande sur le fondement du régime de l'arrêt Mills pour que les rapports puissent être communiqués à la défense, et la Cour d'appel a eu tort de modifier sa décision. L'application du régime de l'arrêt Mills par la juge du procès n'est pas contestée devant notre Cour. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance à l'effet de tenir un nouveau procès, de rétablir la déclaration de culpabilité et de renvoyer l'appel de la peine à la Cour d'appel.
[68] Je suis d'avis d'accueillir la requête visant la radiation du par. 10 du mémoire de l'intimé, mais de rejeter la requête visant la radiation du par. 11. Je suis également d'avis d'accueillir la requête visant la radiation du mémoire en réplique de l'appelante.
ANNEXE
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46
278.1 Pour l'application des articles 278.2 à 278.9, « dossier » s'entend de toute forme de document contenant des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, notamment : le dossier médical, psychiatrique ou thérapeutique, le dossier tenu par les services d'aide à l'enfance, les services sociaux ou les services de consultation, le dossier relatif aux antécédents professionnels et à l'adoption, le journal intime et le document contenant des renseignements personnels et protégés par une autre loi fédérale ou une loi provinciale. N'est pas visé par la présente définition le dossier qui est produit par un responsable de l'enquête ou de la poursuite relativement à l'infraction qui fait l'objet de la procédure.
278.2 (1) Dans les poursuites pour une infraction mentionnée ci-après, ou pour plusieurs infractions dont l'une est une infraction mentionnée ci-après, un dossier se rapportant à un plaignant ou à un témoin ne peut être communiqué à l'accusé que conformément aux articles 278.3 à 278.91 :
a ) une infraction prévue aux articles 151, 152, 153, 153.1, 155, 159, 160, 170, 171, 172, 173, 210, 211, 212, 213, 271, 272 ou 273;
b ) une infraction prévue aux articles 144 , 145 , 149 , 156 , 245 ou 246 du Code criminel , chapitre C-34 des Statuts revisés du Canada de 1970, dans sa version antérieure au 4 janvier 1983;
c ) une infraction prévue aux articles 146 , 151 , 153 , 155 , 157 , 166 ou 167 du Code criminel , chapitre C-34 des Statuts revisés du Canada de 1970, dans sa version antérieure au 1 er janvier 1988.
(2) L' article 278.1 , le présent article et les articles 278.3 à 278.91 s'appliquent même si le dossier est en la possession ou sous le contrôle du poursuivant, sauf si le plaignant ou le témoin auquel il se rapporte a expressément renoncé à l'application de ces articles.
(3) Le poursuivant qui a en sa possession ou sous son contrôle un dossier auquel s'applique le présent article doit en informer l'accusé mais il ne peut, ce faisant, communiquer le contenu du dossier.
278.3 (1) L'accusé qui veut obtenir la communication d'un dossier doit en faire la demande au juge qui préside ou présidera son procès.
(2) Il demeure entendu que la demande visée au paragraphe (1) ne peut être faite au juge ou juge de paix qui préside une autre procédure, y compris une enquête préliminaire.
(3) La demande de communication est formulée par écrit et donne :
a ) les précisions utiles pour reconnaître le dossier en cause et le nom de la personne qui l'a en sa possession ou sous son contrôle;
b ) les motifs qu'invoque l'accusé pour démontrer que le dossier est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner.
(4) Les affirmations ci-après, individuellement ou collectivement, ne suffisent pas en soi à démontrer que le dossier est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner :
a ) le dossier existe;
b ) le dossier se rapporte à un traitement médical ou psychiatrique ou une thérapie suivis par le plaignant ou le témoin ou à des services de consultation auxquels il a recours ou a eu recours;
c ) le dossier porte sur l'événement qui fait l'objet du litige;
d ) le dossier est susceptible de contenir une déclaration antérieure incompatible faite par le plaignant ou le témoin;
e ) le dossier pourrait se rapporter à la crédibilité du plaignant ou du témoin;
f ) le dossier pourrait se rapporter à la véracité du témoignage du plaignant ou du témoin étant donné que celui-ci suit ou a suivi un traitement psychiatrique ou une thérapie, ou a recours ou a eu recours à des services de consultation;
g ) le dossier est susceptible de contenir des allégations quant à des abus sexuels commis contre le plaignant par d'autres personnes que l'accusé;
h ) le dossier se rapporte à l'activité sexuelle du plaignant avec l'accusé ou un tiers;
i ) le dossier se rapporte à l'existence ou à l'absence d'une plainte spontanée;
j ) le dossier se rapporte à la réputation sexuelle du plaignant;
k ) le dossier a été produit peu après la plainte ou l'événement qui fait l'objet du litige.
(5) L'accusé signifie la demande au poursuivant, à la personne qui a le dossier en sa possession ou sous son contrôle, au plaignant ou au témoin, selon le cas, et à toute autre personne à laquelle, à sa connaissance, le dossier se rapporte, au moins sept jours avant l'audience prévue au paragraphe 278.4(1) ou dans le délai inférieur autorisé par le juge dans l'intérêt de la justice. Dans le cas de la personne qui a le dossier en sa possession ou sous son contrôle, une assignation à comparaître, rédigée selon la formule 16.1, doit lui être signifiée, conformément à la partie XXII, en même temps que la demande.
(6) Le juge peut ordonner à tout moment que la demande soit signifiée à toute personne à laquelle, à son avis, le dossier se rapporte.
278.4 (1) Le juge tient une audience à huis clos pour décider si le dossier devrait être communiqué au tribunal pour que lui-même puisse l'examiner.
(2) La personne qui a le dossier en sa possession ou sous son contrôle, le plaignant ou le témoin, selon le cas, et toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte peuvent comparaître et présenter leurs arguments à l'audience mais ne peuvent être contraints à témoigner.
(3) Aucune ordonnance de dépens ne peut être rendue contre une personne visée au paragraphe (2) en raison de sa participation à l'audience.
278.5 (1) Le juge peut ordonner à la personne qui a le dossier en sa possession ou sous son contrôle de le communiquer, en tout ou en partie, au tribunal pour examen par lui-même si, après l'audience, il est convaincu de ce qui suit :
a ) la demande répond aux exigences formulées aux paragraphes 278.3(2) à (6);
b ) l'accusé a démontré que le dossier est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner;
c ) la communication du dossier sert les intérêts de la justice.
(2) Pour décider s'il doit rendre l'ordonnance prévue au paragraphe (1), le juge prend en considération les effets bénéfiques et préjudiciables qu'entraînera sa décision, d'une part, sur le droit de l'accusé à une défense pleine et entière et, d'autre part, sur le droit à la vie privée et à l'égalité du plaignant ou du témoin, selon le cas, et de toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte et, en particulier, tient compte des facteurs suivants :
a ) la mesure dans laquelle le dossier est nécessaire pour permettre à l'accusé de présenter une défense pleine et entière;
b ) sa valeur probante;
c ) la nature et la portée de l'attente raisonnable au respect de son caractère privé;
d ) la question de savoir si sa communication reposerait sur une croyance ou un préjugé discriminatoire;
e ) le préjudice possible à la dignité ou à la vie privée de toute personne à laquelle il se rapporte;
f ) l'intérêt qu'a la société à ce que les infractions d'ordre sexuel soient signalées;
g ) l'intérêt qu'a la société à ce que les plaignants, dans les cas d'infraction d'ordre sexuel, suivent des traitements;
h ) l'effet de la décision sur l'intégrité du processus judiciaire.
278.6 (1) Dans les cas où il a rendu l'ordonnance visée au paragraphe 278.5(1), le juge examine le dossier ou la partie en cause en l'absence des parties pour décider si le dossier devrait, en tout ou en partie, être communiqué à l'accusé.
(2) Le juge peut tenir une audience à huis clos s'il l'estime utile pour en arriver à la décision visée au paragraphe (1).
(3) Les paragraphes 278.4(2) et (3) s'appliquent à toute audience tenue en vertu du paragraphe (2).
278.7 (1) S'il est convaincu que le dossier est en tout ou en partie vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner et que sa communication sert les intérêts de la justice, le juge peut ordonner que le dossier — ou la partie de celui-ci qui est vraisemblablement pertinente — soit, aux conditions qu'il fixe éventuellement en vertu du paragraphe (3), communiqué à l'accusé.
(2) Pour décider s'il doit rendre l'ordonnance prévue au paragraphe (1), le juge prend en considération les effets bénéfiques et préjudiciables qu'entraînera sa décision, d'une part, sur le droit de l'accusé à une défense pleine et entière et, d'autre part, sur le droit à la vie privée et à l'égalité du plaignant ou du témoin, selon le cas, et de toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte et, en particulier, tient compte des facteurs mentionnés aux alinéas 278.5(2) a ) à h ).
(3) Le juge peut assortir l'ordonnance de communication des conditions qu'il estime indiquées pour protéger l'intérêt de la justice et, dans la mesure du possible, les intérêts en matière de droit à la vie privée et d'égalité du plaignant ou du témoin, selon le cas, et de toute personne à laquelle le dossier se rapporte, notamment :
a ) établissement, selon ses instructions, d'une version révisée du dossier;
b ) communication d'une copie, plutôt que de l'original, du dossier;
c ) interdiction pour l'accusé et son avocat de divulguer le contenu du dossier à quiconque, sauf autorisation du tribunal;
d ) interdiction d'examiner le contenu du dossier en dehors du greffe du tribunal;
e ) interdiction de la production d'une copie du dossier ou restriction quant au nombre de copies qui peuvent en être faites;
f ) suppression de renseignements sur toute personne dont le nom figure dans le dossier, tels l'adresse, le numéro de téléphone et le lieu de travail.
(4) Dans les cas où il ordonne la communication d'un dossier en tout ou en partie à l'accusé, le juge ordonne qu'une copie du dossier ou de la partie soit donnée au poursuivant, sauf s'il estime que cette mesure serait contraire aux intérêts de la justice.
(5) Les dossiers — ou parties de dossier — communiqués à l'accusé dans le cadre du paragraphe (1) ne peuvent être utilisés dans une autre procédure.
(6) Sauf ordre contraire d'un tribunal, tout dossier — ou toute partie d'un dossier — dont le juge refuse la communication à l'accusé est scellé et reste en la possession du tribunal jusqu'à l'épuisement des voies de recours dans la procédure contre l'accusé; une fois les voies de recours épuisées, le dossier — ou la partie — est remis à la personne qui a droit à la possession légitime de celui-ci.
278.8 (1) Le juge est tenu de motiver sa décision de rendre ou refuser de rendre l'ordonnance prévue aux paragraphes 278.5(1) ou 278.7(1).
(2) Les motifs de la décision sont à porter dans le procès-verbal des débats ou, à défaut, à donner par écrit.
278.9 (1) Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit :
a ) le contenu de la demande présentée en application de l' article 278.3 ;
b ) tout ce qui a été dit ou présenté en preuve à l'occasion de toute audience tenue en vertu du paragraphe 278.4(1) ou 278.6(2);
c ) la décision rendue sur la demande dans le cadre des paragraphes 278.5(1) ou 278.7(1) et les motifs mentionnés à l'article 278.8, sauf si le juge rend une ordonnance autorisant la publication ou diffusion après avoir pris en considération l'intérêt de la justice et le droit à la vie privée de la personne à laquelle le dossier se rapporte.
(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) commet une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
278.91 Pour l'application des articles 675 et 676, la décision rendue en application des paragraphes 278.5(1) ou 278.7(1) est réputée constituer une question de droit.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l'appelante : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intimé : Najma Jamaldin, Toronto; Paul Genua, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta : Procureur général de l'Alberta, Edmonton.
Procureur de l'intervenante l'Association canadienne des chefs de police : Service de police d'Ottawa, Ottawa.
Procureurs de l'intervenante Criminal Lawyers' Association of Ontario : Dawe & Dineen, Toronto.
Procureurs de l'intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic : Ursel Phillips Fellows Hopkinson, Toronto.
[1] L'historique législatif du régime de l'arrêt Mills confirme en outre l'intention du législateur qu'il s'applique au dossier d'un tiers se trouvant en la possession de la police ou du ministère public (voir p. ex. Débats de la Chambre des communes , vol. 134, n o 122, 2 e sess., 35 e lég., 4 février 1997, p. 7664 (Gordon Kirkby); Débats de la Chambre des communes , vol. 134, n o 150, 2 e sess., 35 e lég., 7 avril 1997, p. 9361-9362 (Shaughnessy Cohen)).