Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42
Bell ExpressVu Limited Partnership Appelante
c.
Richard Rex, Richard Rex, faisant affaire sous les dénominations
sociales ‘Can‑Am Satellites’, ‘Can Am Satellites’, ‘CanAm Satellites’,
‘Can Am Satellite’, ‘Can Am Sat’, ‘Can‑Am Satellites Digital
Media Group’, ‘Can‑Am Digital Media Group’ et
‘Digital Media Group’, Anne Marie Halley, alias Anne Marie Rex,
Michael Rex, alias Mike Rex, Rodney Kibler, alias Rod Kibler,
Lee‑Anne Patterson, Michelle Lee, Jay Raymond, Jason Anthony,
M. Untel 1 à 20, Mme Unetelle 1 à 20 et toute autre personne
qui a été vue travaillant dans les locaux situés au 22409,
avenue McIntosh, Maple Ridge, Colombie‑Britannique,
ou identifiée comme étant une telle personne, qui exploite
des entreprises, ou l’une ou plusieurs de celles‑ci,
faisant affaire sous les dénominations sociales
‘Can‑Am Satellites’, ‘Can Am Satellites’, ‘CanAm Satellites’,
‘Can Am Satellite’, ‘Can Am Sat’, ‘Can‑Am Satellites
Digital Media Group’, ‘Can‑Am Digital Media Group’,
‘Digital Media Group’, ou qui travaille pour ces entreprises
ou pour l’une ou plusieurs de celles‑ci Intimés
et
Le procureur général du Canada, l’Association canadienne
des distributeurs de films, DIRECTV, Inc., la Canadian Alliance
for Freedom of Information and Ideas et le Congres
Iberoamericain du Canada Intervenants
Répertorié : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex
Référence neutre : 2002 CSC 42.
No du greffe : 28227.
2001 : 4 décembre; 2002 : 26 avril.
Présents : Les juges L’Heureux‑Dubé, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2000), 191 D.L.R. (4th) 662, 9 W.W.R. 205, 142 B.C.A.C. 230, 233 W.A.C. 230, 79 B.C.L.R. (3d) 250, [2000] B.C.J. No. 1803 (QL), 2000 BCCA 493, qui a rejeté l’appel formé contre une décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, [1999] B.C.J. No. 3092 (QL). Pourvoi accueilli.
K. William McKenzie, Eugene Meehan, c.r., et Jessica Duncan, pour l’appelante.
Alan D. Gold et Maureen McGuire, pour tous les intimés, à l’exception de Michelle Lee.
Graham R. Garton, c.r., et Christopher Rupar, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Roger T. Hughes, c.r., pour l’intervenante l’Association canadienne des distributeurs de films.
Christopher D. Bredt, Jeffrey D. Vallis et Davit D. Akman, pour l’intervenante DIRECTV, Inc.
Ian W. M. Angus, pour l’intervenante la Canadian Alliance for Freedom of Information and Ideas.
Alan Riddell, pour l’intervenant le Congres Iberoamericain du Canada.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Iacobucci —
I. Introduction
1 Le présent pourvoi porte sur une question qui divise les tribunaux du pays, en l’occurrence l’interprétation qu’il convient de donner à l’al. 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R‑2 (mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 83). Plus concrètement, il s’agit de décider si l’al. 9(1)c) interdit le décodage de tous les signaux encodés transmis par satellite, sous réserve d’une exception limitée, ou s’il interdit seulement le décodage non autorisé des signaux émanant de distributeurs canadiens titulaires d’une licence.
2 Les intimés facilitent ce que l’on appelle généralement le « marché gris » de la radiodiffusion des signaux étrangers. Quoique cette expression suscite de nombreux débats — de fait une polémique — il n’est pas nécessaire d’y prendre part dans les présents motifs. En effet, la question fondamentale est plus restreinte et touche à l’interprétation de la disposition en cause : Eu égard aux faits de l’espèce, l’al. 9(1)c) a-t-il pour effet d’interdire le décodage des signaux encodés émanant de radiodiffuseurs américains? Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que cette disposition produit cet effet. En conséquence, j’accueillerais le pourvoi.
II. Contexte
3 L’appelante, une société en commandite, est une entreprise de distribution d’émissions de télévision par satellite de radiodiffusion directe (ci-après « entreprise de distribution SRD » ou « radiodiffuseur SRD »). Elle est l’un des deux fournisseurs qui exploitent actuellement la licence d’entreprise de distribution SRD que leur a accordée le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC ») en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11. Il existe deux distributeurs dans la même situation aux États-Unis, mais aucun n’est titulaire d’une licence du CRTC. Le marché de la radiodiffusion réglementée au Canada est effectivement fermé aux non-Canadiens depuis avril 1996, par suite de la décision du gouverneur en conseil ordonnant au CRTC de ne pas délivrer de licences de radiodiffusion ni d’accorder de modification ou de renouvellement de telles licences aux demandeurs qui sont des non‑Canadiens (DORS/96-192). Cependant, les entreprises américaines sont titulaires de licences délivrées par la Federal Communications Commission des États‑Unis qui les autorisent à diffuser leurs signaux dans ce pays. L’intervenante DIRECTV est la plus importante des deux sociétés américaines.
4 Les fournisseurs de services de radiodiffusion directe transmettent leurs signaux aux téléspectateurs au moyen de satellites. Ils possèdent tous un ou plusieurs satellites en orbite géosynchrone, ou ont accès à de tels appareils. Seulement quelques degrés de longitude terrestre séparent habituellement les satellites, qui occupent les créneaux orbitaux attribués par convention internationale à chacun des différents pays signataires. À partir de stations terrestres de transmission sens terre-satellite, les fournisseurs de services de radiodiffusion directe transmettent leurs signaux aux satellites, qui les rediffusent sur une large portion de la surface terrestre, qu’on appelle l’« empreinte » du satellite. Les signaux relayés par satellite ont une portée qui ne respecte pas les frontières internationales et s’étend souvent à de nombreux pays. Toute personne qui se trouve à l’intérieur de l’empreinte et dispose du matériel requis (en général une petite antenne parabolique de réception, un amplificateur et un récepteur) peut capter les signaux.
5 L’appelante utilise les satellites d’une entreprise canadienne, Telesat Canada. De plus, comme tous les autres radiodiffuseurs SRD au Canada et aux États‑Unis, l’appelante encode ses signaux pour en circonscrire la réception. Pour décoder ou débrouiller les signaux de l’appelante et obtenir leur réception en clair, le client doit être muni d’un dispositif supplémentaire propre à l’appelante, les décodeurs des différents distributeurs n’étant pas compatibles entre eux. L’élément fonctionnel du décodeur est constitué d’une carte à puce à code unique que l’appelante active à distance. Grâce à ce dispositif, une fois que le client a choisi un bloc d’émissions et payé les frais d’abonnement, l’appelante peut transmettre au décodeur le message indiquant que le client est autorisé à décoder ses signaux. Le décodeur est ensuite activé et le client a accès à la programmation débrouillée.
6 L’intimé Richard Rex exploite une entreprise connue sous le nom Can‑Am Satellites. Les autres intimés sont soit des employés de Can-Am Satellites soit des entrepreneurs indépendants retenus par celle-ci. Les intimés vendent des décodeurs américains de signaux SRD aux clients canadiens qui désirent s’abonner aux services offerts par les radiodiffuseurs SRD américains, lesquels utilisent des satellites qui appartiennent à des sociétés américaines et qui sont exploités par celles-ci et occupent des créneaux orbitaux ayant été attribués aux États‑Unis. Les empreintes des radiodiffuseurs SRD américains sont suffisamment larges pour que leurs signaux puissent être captés presque partout au Canada. Mais comme ces radiodiffuseurs n’autorisent pas sciemment le décodage de leurs signaux par des personnes se trouvant à l’extérieur des États‑Unis, les intimés fournissent en outre une adresse postale aux États‑Unis à ceux de leurs clients qui n’en possèdent pas déjà une. Les intimés communiquent ensuite avec les radiodiffuseurs SRD américains pour le compte de leurs clients, fournissant les noms, adresse postale aux États‑Unis et numéro de carte de crédit de chacun de ceux-ci. Il semble que cela soit suffisant pour convaincre les radiodiffuseurs américains que l’abonné est un résidant des États‑Unis. La carte à puce du client est ensuite activée.
7 Dans le passé, les intimés offraient des services analogues à des résidants des États‑Unis, de façon à pouvoir obtenir l’autorisation de décoder les signaux de l’appelante. Les intimés étaient des vendeurs autorisés de l’appelante à l’époque, mais comme cette pratique constituait un manquement à la convention de mandat, l’appelante a mis fin unilatéralement à leurs relations.
8 Le présent pourvoi fait suite à une action intentée par l’appelante devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. L’appelante, à titre d’entreprise de distribution titulaire d’une licence, a pris action en vertu de l’al. 9(1)c) et du par. 18(1) de la Loi sur la radiocommunication. Elle a notamment demandé une injonction interdisant aux intimés d’aider des résidants canadiens à s’abonner aux émissions transmises par des services SRD américains et à décoder les signaux pertinents. Le juge siégeant en chambre qui a été saisi de la demande a refusé l’injonction demandée et a ordonné que l’affaire soit entendue promptement. En appel de cette décision, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a débouté l’appelante, madame le juge Huddart rédigeant des motifs de dissidence.
9 L’appelante a sollicité l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour, qui a fait droit à sa demande le 19 avril 2001, avec dépens en faveur de la demanderesse quelle que soit l’issue de l’appel ([2001] 1 R.C.S. vi). Le 4 septembre 2001, le Juge en chef a accueilli la requête présentée subséquemment par les intimés afin d’obtenir la formulation de questions constitutionnelles.
III. Dispositions législatives applicables
10 La Loi sur la radiocommunication est l’un des piliers législatifs du système canadien de radiodiffusion. Cette loi, ainsi qu’une autre tout aussi importante, la Loi sur la radiodiffusion, établissent le contexte crucial pour juger le présent pourvoi. Les dispositions les plus pertinentes sont reproduites ci‑après, mais j’en citerai d’autres au besoin dans l’exposé de mes motifs.
11 Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R‑2
2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« distributeur légitime » La personne légitimement autorisée, au Canada, à transmettre un signal d’abonnement ou une alimentation réseau, en situation d’encodage, et à en permettre le décodage.
« encodage » Traitement électronique ou autre visant à empêcher la réception en clair.
. . .
« radiocommunication » ou « radio » Toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature, au moyen d’ondes électromagnétiques de fréquences inférieures à 3 000 GHz transmises dans l’espace sans guide artificiel.
« radiodiffusion » Toute radiocommunication dont les émissions sont destinées à être reçues directement par le public en général.
. . .
« signal d’abonnement » Radiocommunication destinée à être reçue, directement ou non, par le public au Canada ou ailleurs moyennant paiement d’un prix d’abonnement ou de toute autre forme de redevance.
9. (1) Il est interdit :
. . .
c) de décoder, sans l’autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celle‑ci, un signal d’abonnement ou une alimentation réseau;
. . .
10. (1) Commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, dans le cas d’une personne physique, une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines, ou, dans le cas d’une personne morale, une amende maximale de vingt-cinq mille dollars quiconque, selon le cas :
. . .
b) sans excuse légitime, fabrique, importe, distribue, loue, met en vente, vend, installe, modifie, exploite ou possède tout matériel ou dispositif, ou composante de celui-ci, dans des circonstances donnant à penser que l’un ou l’autre est utilisé en vue d’enfreindre l’article 9, l’a été ou est destiné à l’être;
. . .
(2.1) Quiconque contrevient aux alinéas 9(1)c) ou d) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, dans le cas d’une personne physique, une amende maximale de dix mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines, dans le cas d’une personne morale, une amende maximale de vingt-cinq mille dollars.
. . .
(2.5) Nul ne peut être déclaré coupable de l’infraction visée aux alinéas 9(1)c), d) ou e) s’il a pris les mesures nécessaires pour l’empêcher.
18. (1) Peut former, devant tout tribunal compétent, un recours civil à l’encontre du contrevenant quiconque a subi une perte ou des dommages par suite d’une contravention aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) et :
a) soit détient, à titre de titulaire du droit d’auteur ou d’une licence accordée par ce dernier, un droit dans le contenu d’un signal d’abonnement ou d’une alimentation réseau;
. . .
c) soit est titulaire d’une licence attribuée, au titre de la Loi sur la radiodiffusion, par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l’autorisant à exploiter une entreprise de radiodiffusion;
. . .
Cette personne est admise à exercer tous recours, notamment par voie de dommages‑intérêts, d’injonction ou de reddition de compte, selon ce que le tribunal estime indiqué.
. . .
(6) Le présent article ne porte pas atteinte aux droits et aux recours prévus par la Loi sur le droit d’auteur.
Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« entreprise de distribution » Entreprise de réception de radiodiffusion pour retransmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou d’un autre moyen de télécommunication, en vue de sa réception dans plusieurs résidences permanentes ou temporaires ou locaux d’habitation, ou en vue de sa réception par une autre entreprise semblable.
. . .
« entreprise de radiodiffusion » S’entend notamment d’une entreprise de distribution ou de programmation, ou d’un réseau.
. . .
« radiodiffusion » Transmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions encodées ou non et destinées à être reçues par le public à l’aide d’un récepteur, à l’exception de celle qui est destinée à la présentation dans un lieu public seulement.
. . .
(2) Pour l’application de la présente loi, sont inclus dans les moyens de télécommunication les systèmes électromagnétiques — notamment les fils, les câbles et les systèmes radio ou optiques — , ainsi que les autres procédés techniques semblables.
(3) L’interprétation et l’application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion.
3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :
a) le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle;
b) le système canadien de radiodiffusion, composé d’éléments publics, privés et communautaires, utilise des fréquences qui sont du domaine public et offre, par sa programmation essentiellement en français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle;
. . .
d) le système canadien de radiodiffusion devrait :
(i) servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,
(ii) favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, qui mette en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien,
(iii) par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l’égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones,
(iv) demeurer aisément adaptable aux progrès scientifiques et techniques;
. . .
t) les entreprises de distribution :
(i) devraient donner priorité à la fourniture des services de programmation canadienne, et ce en particulier par les stations locales canadiennes,
(ii) devraient assurer efficacement, à l’aide des techniques les plus efficientes, la fourniture de la programmation à des tarifs abordables,
(iii) devraient offrir des conditions acceptables relativement à la fourniture, la combinaison et la vente des services de programmation qui leur sont fournis, aux termes d’un contrat, par les entreprises de radiodiffusion,
(iv) peuvent, si le Conseil le juge opportun, créer une programmation — locale ou autre — de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, et en particulier à permettre aux minorités linguistiques et culturelles mal desservies d’avoir accès aux services de radiodiffusion.
(2) Il est déclaré en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42
21. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le radiodiffuseur a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard du signal de communication qu’il émet ou de toute partie importante de celui‑ci :
a) de le fixer;
b) d’en reproduire toute fixation faite sans son autorisation;
c) d’autoriser un autre radiodiffuseur à le retransmettre au public simultanément à son émission;
d) d’exécuter en public un signal de communication télévisuel en un lieu accessible au public moyennant droit d’entrée.
Il a aussi le droit d’autoriser les actes visés aux alinéas a), b) et d).
31. . . .
(2) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur la communication au public, par télécommunication, d’une œuvre, lorsqu’elle consiste en la retransmission d’un signal local ou éloigné, selon le cas, celle‑ci étant licite en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, que le signal est retransmis, sauf obligation ou permission légale ou réglementaire, intégralement et simultanément et que, dans le cas de la retransmission d’un signal éloigné, le retransmetteur a acquitté les redevances et respecté les modalités fixées sous le régime de la présente loi.
IV. Les décisions des juridictions inférieures
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, [1999] B.C.J. No. 3092 (QL)
12 Dans un jugement prononcé de vive voix dans son cabinet, le juge Brenner (maintenant juge en chef de la C.S.C.‑B.) a souligné l’existence de décisions ayant interprété de façon contradictoire l’al. 9(1)c). À son avis, cependant, cette disposition n’est ni ambiguë ni incompatible avec les autres dispositions de la Loi sur la radiocommunication. Selon lui, l’al. 9(1)c) ne s’applique qu’au vol de signaux commis contre un « distributeur légitime » au Canada, et non aux [traduction] « abonnements pris et payés par des Canadiens afin de recevoir des signaux transmis par des distributeurs de l’extérieur du Canada » (par. 20). Le juge Brenner a fait le raisonnement suivant (aux par. 18-19) :
[traduction] Dans cette disposition, l’infraction créée par le législateur au moyen de libellé qu’il a choisi d’utiliser est le vol de signaux encodés aux distributeurs situés au Canada. À mon sens, si, comme le prétend [l’appelante], le législateur avait voulu que l’infraction soit le décodage, au Canada, d’un signal émanant de l’extérieur du Canada, il l’aurait dit. Le législateur aurait pu, à l’al. 9(1)c), interdire expressément le décodage non autorisé de tout signal d’abonnement. Or il a décidé de ne pas le faire.
L’interprétation de l’al. 9(1)c) préconisée par [l’appelante] ne fait aucune distinction entre la personne qui s’abonne, moyennant paiement, aux services d’un distributeur non résidant et la personne qui vole les signaux d’un distributeur légitime au Canada. Suivant une telle interprétation, une personne résidant au Canada pourrait commettre un vol, même si elle paie les services qu’elle reçoit. Si le législateur avait voulu que l’al. 9(1)c) s’applique à cette situation, il l’aurait dit clairement. Selon moi, les dispositions quasi pénales de la Loi sur la radiocommunication ne doivent pas être interprétées ainsi en l’absence d’une disposition législative claire à cet effet.
13 Le juge Brenner a en conséquence refusé à l’appelante l’injonction qu’elle demandait et il a ordonné que l’affaire soit entendue promptement.
B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2000), 79 B.C.L.R. (3d) 250, 2000 BCCA 493
14 S’exprimant pour les juges majoritaires de la Cour d’appel, le juge Finch (maintenant juge en chef de la Colombie‑Britannique) a relevé deux courants jurisprudentiels divergents concernant l’interprétation qu’il convient de donner à l’al. 9(1)c). Les juges majoritaires ont également souligné que, dans des jugements de chacun de ces courants, on a jugé que la disposition n’était pas ambiguë, mais, de l’avis des juges de la majorité, [traduction] « [u]ne disposition dont on peut raisonnablement dire qu’elle se prête à deux interprétations non ambiguës mais contradictoires doit à tout le moins être considérée comme ambiguë » (par. 35). Pour cette raison et parce que l’al. 9(1)c) entraîne des conséquences du point de vue pénal, les juges majoritaires ont conclu que [traduction] « l’interprétation restrictive du juge siégeant en chambre [. . .] doit [. . .] être retenue » (par. 35). Toutefois, indépendamment de la jurisprudence contradictoire, la majorité était disposée à aboutir au même résultat par l’application des principes d’interprétation législative.
15 Aux termes du texte anglais de l’al. 9(1)c), il est interdit de décoder un signal d’abonnement ou une alimentation réseau sans l’autorisation du « lawful distributor of the signal or feed » (je souligne). La majorité a considéré que le fait que le législateur ait choisi d’utiliser l’article défini « the » — qui est souligné dans l’extrait qui précède — signifie que l’interdiction ne s’applique qu’aux [traduction] « signaux radiodiffusés par les distributeurs légitimes titulaires d’une licence les autorisant à permettre le décodage du signal en question » (par. 36). En d’autres termes, [traduction] « [s]i un signal d’abonnement n’a pas de distributeur légitime au Canada, personne ne saurait être autorisé à en permettre le décodage » (par. 36). Par conséquent, la majorité a conclu que la personne qui décode des signaux non visés par la réglementation, tels ceux diffusés par les entreprises SRD américaines, ne contrevient pas à l’al. 9(1)c).
16 La majorité a jugé que l’al. 9(1)c) visait clairement la personne qui reçoit le signal et non celle qui le distribue, mais elle a ajouté que le législateur ne s’était pas exprimé d’une manière qui aurait pour effet d’interdire le décodage de tout signal encodé, indépendamment de son origine. Au contraire, de l’avis de la majorité, le législateur a plutôt décidé de réglementer uniquement les signaux transmis par des personnes légalement autorisées par le droit canadien à le faire. Rejetant la thèse de l’appelante concernant les mots « or elsewhere » (« ou ailleurs » en français) employés dans la définition de « signal d’abonnement », la majorité a conclu que [traduction] « le fait qu’un signal d’abonnement émanant de l’extérieur du Canada soit destiné à être capté à l’extérieur du Canada n’empêche pas que, suivant l’al. 9(1)c), le décodage d’un tel signal n’est illégal que s’il a lieu sans la permission d’un distributeur légitime » (par. 40).
17 S’appuyant sur ces considérations, la majorité a estimé qu’il était inutile d’examiner [traduction] « les questions de principe plus générales » ou les questions touchant à l’application de la Charte canadienne des droits et libertés (par. 44). Ne relevant aucune erreur dans l’interprétation du juge siégeant en chambre, la majorité a rejeté l’appel.
18 Dissidente, madame le juge Huddart a examiné le texte de l’al. 9(1)c) à la lumière des définitions figurant à l’art. 2 et elle a estimé que l’intention du législateur était évidente : la disposition [traduction] « a tout simplement pour effet de frapper d’illégalité le décodage au Canada de tous les signaux d’abonnement encodés [. . .] indépendamment de leur source ou de leur destination », sauf dans les cas où la personne légitimement autorisée au Canada à transmettre le signal concerné et à en permettre le décodage accorde la permission de le faire (par. 48). Elle a souligné que les décisions invoquées par le juge siégeant en chambre [traduction] « [t]out au plus [. . .] appuient une interprétation de l’al. 9(1)c) lui reconnaissant une portée moins exhaustive que celle suggérée par son libellé, en raison des conséquences qu’il emporte du point de vue pénal » (par. 54), puis elle énonce un certain nombre de raisons pour lesquelles ces décisions ne devraient pas être suivies.
19 Tout d’abord, [traduction] « on n’amorce pas l’interprétation d’une disposition législative en la qualifiant de pénale. L’interprétation consiste à dégager l’intention du législateur » (par. 55). De plus, l’interprétation restrictive de l’al. 9(1)c) [traduction] « ne tient pas compte de l’objectif directeur plus général » du cadre réglementaire applicable, savoir « l’existence d’un système de radiodiffusion véritablement canadien dans un pays au vaste territoire mais faiblement peuplé, et ce à l’intérieur de l’empreinte de transmission d’un pays à la population dix fois plus grande et qui, peut-on prétendre, est celui qui répand le plus sa culture aux quatre coins du monde » (par. 49). Le juge Huddart a également fait état de la question des droits d’auteur et affirmé qu’[traduction] « [i]l est raisonnablement possible d’inférer que, indépendamment des lois canadiennes, les distributeurs américains ont des motifs commerciaux ou juridiques de ne pas s’attaquer au marché canadien. [. . .] Néanmoins, seul le Canada peut régir la réception de signaux étrangers au Canada » (par. 50).
20 S’appuyant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, madame le juge Huddart a refusé de donner à l’al. 9(1)c) une interprétation [traduction] « respect[ant] l’al. 2b) de la Charte » (par. 57), comme l’invitaient à le faire les intimés. Elle a ensuite conclu ainsi (au par. 58) :
[traduction] En résumé, je ne suis pas persuadée que la jurisprudence sur laquelle s’est fondé le juge siégeant en chambre établit que la disposition est ambiguë ou susceptible d’interprétations contradictoires. Je n’estime pas que les tribunaux ont dégagé deux interprétations tout à fait différentes mais non équivoques. Considéré isolément, le texte de l’al. 9(1)c) permet de dégager clairement l’intention du législateur. Cette interprétation est compatible avec l’objet de l’ensemble du cadre réglementaire dans le contexte des conventions internationales sur le droit d’auteur, avec l’objet de la Loi à l’intérieur de ce cadre et avec le régime établi par la Loi elle‑même. Les juges et les tribunaux qui ont interprété la disposition différemment l’ont fait pour limiter son application de manière à éviter les conséquences d’ordre pénal, alors que le législateur a manifestement voulu que les actes en question produisent de telles conséquences, comme au moins un des juges souscrivant à cette thèse l’a reconnu expressément dans ses motifs. À mon avis, il faut donner une interprétation alambiquée à cette disposition pour arriver à la conclusion tirée dans R. c. Love [(1997), 117 Man. R. (2d) 123 (B.R.)] et dans les décisions qui l’ont suivie.
Le juge Huddart aurait accueilli le pourvoi et rendu le jugement déclaratoire demandé par l’appelante.
V. Les questions en litige
21 Le présent pourvoi soulève trois questions :
1. L’alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication interdit‑il le décodage de manière absolue, sous réserve d’une exception limitée, ou autorise‑t‑il le décodage de tous les signaux, sauf ceux pour lesquels il existe un distributeur légitime qui n’a pas donné l’autorisation de le faire?
2. L’alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication est‑il incompatible avec l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?
3. Dans l’affirmative, la disposition législative peut‑elle être justifiée au regard de l’article premier de la Charte?
VI. L’analyse
A. Introduction
22 On peut, sans exagérer, affirmer que l’al. 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication, une loi fédérale, n’a pas été appliqué de manière uniforme par les tribunaux du pays. D’une part, dans certaines décisions les tribunaux ont interprété cette disposition (ou suggéré qu’elle pouvait l’être) d’une manière ayant pour effet de créer une interdiction absolue, assortie d’une exception limitée, savoir les cas où le distributeur canadien légitime accorde l’autorisation prévue : R. c. Open Sky Inc., [1994] M.J. No. 734 (QL) (C. prov.), par. 36, conf. par (1995), 106 Man. R. (2d) 37 (B.R.) (sub nom. R. c. O’Connor), par. 10, demande d’autorisation d’appel à la Cour d’appel refusée pour d’autres motifs (1996), 110 Man. R. (2d) 153 (C.A.); R. c. King, [1996] N.B.J. No. 449 (QL) (B.R.), par. 19-20, inf. pour d’autres motifs par (1997), 187 R.N.‑B. (2d) 185 (C.A.) (sub nom. King c. Canada (Attorney General)); R. c. Knibb (1997), 198 A.R. 161 (C. prov.), conf. par [1998] A.J. No. 628 (QL) (B.R.) (sub nom. R. c. Quality Electronics (Taber) Ltd.); ExpressVu Inc. c. NII Norsat International Inc., [1998] 1 C.F. 245 (1re inst.), conf. par [1997] A.C.F. no 1563 (QL) (C.A.); WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp. (2000), 272 A.R. 201, 2000 ABQB 628, par. 72; Canada (Procureure générale) c. Pearlman, [2001] R.J.Q. 2026 (C.Q.), p. 2034.
23 D’autre part, on relève un certain nombre de décisions à l’effet contraire, où les tribunaux ont adhéré à l’interprétation plus restrictive retenue en l’espèce par les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique : R. c. Love (1997), 117 Man. R. (2d) 123 (B.R.); R. c. Ereiser (1997), 156 Sask. R. 71 (B.R.); R. c. LeBlanc, [1997] N.S.J. No. 476 (QL) (C.S.); Ryan c. 361779 Alberta Ltd. (1997), 208 A.R. 396 (C. prov.), par. 12; R. c. Thériault, [2000] R.J.Q. 2736 (C.Q.), conf. par C.S. Drummondville, no 405‑36‑000044‑003, 13 juin 2001 (sub nom. R. c. D’Argy); R. c. Gregory Électronique Inc., [2000] J.Q. no 4923 (QL) (C.Q.), conf. par [2001] J.Q. no 4925 (QL) (C.S.); R. c. S.D.S. Satellite Inc., C.Q. Laval, no 540‑73‑000055‑980, 31 octobre 2000; R. c. Scullion, [2001] R.J.Q. 2018 (C.Q.); R. c. Branton (2001), 53 O.R. (3d) 737 (C.A.).
24 Comme on peut le constater, cette divergence d’interprétations ne s’explique pas seulement par le fait que différentes juridictions dans diverses provinces ont adopté des démarches distinctes. Bien que les tribunaux de dernier ressort de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario se soient prononcés en faveur de l’interprétation restrictive et que ces décisions lient les tribunaux inférieurs de ces provinces, et que la Cour d’appel fédérale ait rendu une décision à l’effet contraire liant la Section de première instance de cette cour, les tribunaux de première instance de l’Alberta, du Manitoba et du Québec ont rendu des décisions inconciliables et il n’y a pas encore, dans ces provinces, d’arrêt contraignant sur la question. Le présent pourvoi offre donc à notre Cour l’occasion d’harmoniser les interprétations discordantes qui existent dans l’ensemble du Canada.
25 En toute déférence, j’estime que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a mal interprété l’al. 9(1)c) en tentant de trouver son chemin dans ce dédale de décisions contradictoires. À mon avis, cinq aspects de la décision des juges majoritaires requièrent examen. Premièrement, les juges majoritaires ont commencé leur analyse en tenant pour acquis qu’il y avait ambiguïté. Deuxièmement, ils ont accordé une importance excessive au seul fait qu’un grand nombre de juges avaient divergé d’opinions quant à l’interprétation de l’al. 9(1)c). Troisièmement, ils ne se sont pas arrêtés suffisamment à la place de la Loi sur la radiocommunication au sein du régime de réglementation de la radiodiffusion au Canada ni pris en considération les objectifs de ce régime, estimant plutôt qu’il était inutile d’examiner ces [traduction] « questions de principe plus générales ». Quatrièmement, les juges majoritaires n’ont pas interprété le texte anglais de la disposition conformément à sa structure grammaticale, à savoir une interdiction suivie d’une exception limitée. Enfin, ils ont dans les faits inversé les éléments du texte de la disposition, de telle sorte que les signaux dont un distributeur légitime pouvait permettre le décodage (c’est-à-dire l’exception) se trouvaient à définir l’étendue même de l’interdiction.
B. L’alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication interdit‑il le décodage de manière absolue, sous réserve d’une exception limitée, ou autorise‑t‑il le décodage de tous les signaux, sauf ceux pour lesquels il existe un distributeur légitime qui n’a pas donné l’autorisation de le faire?
(1) Principes d’interprétation législative
26 Voici comment, à la p. 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), Elmer Driedger a énoncé le principe applicable, de la manière qui fait maintenant autorité :
[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d’interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes : voir, par exemple, Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, le juge Estey; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre‑Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, p. 17; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 25; R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, par. 26; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33, le juge en chef McLachlin; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27. Je tiens également à souligner que, pour ce qui est de la législation fédérale, le bien-fondé de la méthode privilégiée par notre Cour est renforcé par l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, qui dispose que tout texte « est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».
27 Cette méthode reconnaît le rôle important que joue inévitablement le contexte dans l’interprétation par les tribunaux du texte d’une loi. Comme l’a fait remarquer avec perspicacité le professeur John Willis dans son influent article intitulé « Statute Interpretation in a Nutshell » (1938), 16 R. du B. can. 1, p. 6, [traduction] « les mots, comme les gens, prennent la couleur de leur environnement ». Cela étant, lorsque la disposition litigieuse fait partie d’une loi qui est elle‑même un élément d’un cadre législatif plus large, l’environnement qui colore les mots employés dans la loi et le cadre dans lequel celle-ci s’inscrit sont plus vastes. En pareil cas, l’application du principe énoncé par Driedger fait naître ce que notre Cour a qualifié, dans R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56, par. 52, de « principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet ». (Voir également Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069, p. 1079; Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, par. 61, le juge en chef Lamer.)
28 D’autres principes d’interprétation — telles l’interprétation stricte des lois pénales et la présomption de respect des « valeurs de la Charte » — ne s’appliquent que si le sens d’une disposition est ambigu*. (Voir, relativement à l’interprétation stricte : Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 108, p. 115, le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada); R. c. Goulis (1981), 33 O.R. (2d) 55 (C.A.), p. 59-60; R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398, p. 413, et R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, 2001 CSC 53, par. 46. Je vais examiner plus loin le principe du respect des « valeurs de la Charte ».)
29 Qu’est‑ce donc qu’une ambiguïté en droit? Une ambiguïté doit être « réelle » (Marcotte, précité, p. 115). Le texte de la disposition doit être [traduction] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation » (Westminster Bank Ltd. c. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.), p. 222, lord Reid). Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations. Sont pertinents à cet égard les propos suivants, prononcés par le juge Major dans l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14 : « C’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes » (je souligne), propos auxquels j’ajouterais ce qui suit : « y compris d’autres principes d’interprétation ».
30 Voila pourquoi on ne saurait conclure à l’existence d’une ambiguïté du seul fait que plusieurs tribunaux — et d’ailleurs plusieurs auteurs — ont interprété différemment une même disposition. Autant il serait inapproprié de faire le décompte des décisions appuyant les diverses interprétations divergentes et d’appliquer celle qui recueille le « plus haut total », autant il est inapproprié de partir du principe que l’existence d’interprétations divergentes révèle la présence d’une ambiguïté. Il est donc nécessaire, dans chaque cas, que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l’analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [traduction] « le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes » (Willis, loc. cit., p. 4-5).
(2) Application aux faits de l’espèce
31 Il n’est pas nécessaire, dans chaque cas, d’analyser séparément les divers facteurs d’interprétation énumérés par Driedger et, quoi qu’il en soit, ils sont étroitement liés et interdépendants (Chieu, précité, par. 28). Dans le contexte du présent pourvoi, mon analyse est divisée en deux grandes rubriques. Toutefois, avant de l’amorcer, je tiens à mettre en relief un certain nombre d’éléments propres à la présente affaire. Premièrement, nul ne conteste le fait que les signaux des radiodiffuseurs SRD américains sont « encodés » au sens de la Loi, non plus que le fait que ces radiodiffuseurs ne sont pas des « distributeurs légitimes » au sens de la Loi. Deuxièmement, tous les radiodiffuseurs SRD au Canada et aux États‑Unis exigent le paiement « d’un prix d’abonnement ou de toute autre forme de redevance » pour l’accès à leurs signaux débrouillés. Enfin, je précise que les mots « alimentation réseau » figurant à l’al. 9(1)c) ne sont pas pertinents en l’espèce et qu’on peut en faire abstraction dans l’analyse.
a) Sens ordinaire et grammatical
32 Fondamentalement, l’al. 9(1)c) se présente comme une interdiction assortie d’une exception limitée. Je reproduis à nouveau le texte de cette disposition en en soulignant les passages pertinents :
Il est interdit :
. . .
c) de décoder, sans l’autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celle-ci, un signal d’abonnement ou une alimentation réseau;
No person shall
. . .
(c) decode an encrypted subscription programming signal or encrypted network feed otherwise than under and in accordance with an authorization from the lawful distributor of the signal or feed; [Je souligne.]
La disposition énonce une interdiction générale (« Il est interdit »), qu’elle précise en en indiquant la nature (« décoder ») et l’objet (« un signal d’abonnement ou une alimentation réseau ») et qu’elle assortit d’une exception (« sans l’autorisation de leur distributeur légitime ») : voir Pearlman, précité, p. 2031. La version anglaise énonce elle aussi ces quatre éléments, quoique dans un ordre légèrement différent.
33 L’activité interdite est le décodage. Par conséquent, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, l’interdiction prévue à l’al. 9(1)c) vise l’aspect réception de la radiodiffusion. Indépendamment de la provenance des signaux, lorsque le décodage reproché a lieu au Canada, la question de la possible portée extraterritoriale de la Loi ne se soulève pas. Dans la présente affaire, la réception dont l’appelante demande l’interdiction se produit entièrement au Canada.
34 L’objet de l’interdiction revêt une importance cruciale dans le présent pourvoi. Aux termes de l’al. 9(1)c), il est interdit de décoder « un signal d’abonnement » (en anglais « an encrypted subscription programming signal ») (je souligne). L’emploi de l’article indéfini est révélateur. Le mot « un » a notamment le sens suivant : « . . . 2 (Avec une valeur générale au sens de “tous les”) . . . » (Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 2001), t. 6, p. 1607). La loi interdit donc de décoder tous les signaux d’abonnement, sous réserve de l’exception prévue.
35 La définition de « signal d’abonnement » tend à indiquer que l’interdiction frappe également les signaux émanant d’autres pays. Cette expression est définie ainsi à l’art. 2 de la Loi : « Radiocommunication destinée à être reçue, directement ou non, par le public au Canada ou ailleurs [“or elsewhere” dans la version anglaise] moyennant paiement d’un prix d’abonnement ou de toute autre forme de redevance » (je souligne). En toute déférence, je ne souscris ni à la thèse des intimés ni à l’opinion exprimée par madame le juge Weiler de la Cour d’appel dans l’affaire Branton, précitée, par. 26, selon laquelle [traduction] « les termes “or elsewhere” ne visent que le genre de situations envisagées au par. 3(3) » de la Loi, dont voici le texte :
3. . . .
(3) La présente loi s’applique au Canada et à bord :
a) d’un navire, bâtiment ou aéronef soit immatriculé ou faisant l’objet d’un permis aux termes d’une loi fédérale, soit appartenant à Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province, ou placé sous sa responsabilité;
b) d’un véhicule spatial placé sous la responsabilité de Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province, ou de celle d’un citoyen canadien, d’un résident du Canada ou d’une personne morale constituée ou résidant au Canada;
c) d’une plate‑forme, installation, construction ou formation fixée au plateau continental canadien.
36 Cette disposition vise une situation tout à fait différente de celle visée par la définition de « signal d’abonnement ». Le paragraphe 3(3) précise la portée géographique de la Loi sur la radiocommunication et de toutes les dispositions qui la composent, comme le confirme la note marginale « Application géographique ». Si l’on reformule cette explication dans le contexte du présent pourvoi, cela signifie que quiconque se trouve au Canada ou à bord de l’une des choses énumérées aux al. 3(3)a) à c) est susceptible de se voir reprocher l’infraction de décodage illégal prévue à l’al. 9(1)c); en ce sens, le par. 3(3) aide à répondre à la question de savoir « où » s’applique la loi. Par ailleurs, la définition de « signal d’abonnement » précise dans quel cas une personne engage sa responsabilité au titre de l’al. 9(1)c) en indiquant la catégorie de signaux dont le décodage non autorisé déclenche l’application de cette disposition; cela permet de répondre à la question de l’objet de l’interdiction, la question du « quoi ». Il s’agit de deux questions tout à fait distinctes.
37 En outre, le législateur n’aurait pas eu besoin d’inclure les mots « ou ailleurs » en français à la définition de « signal d’abonnement » à l’art. 2 (et « or elsewhere » en anglais) s’il avait seulement voulu que cette expression s’entende d’une radiocommunication destinée à être reçue directement ou non par le public à bord des bâtiments, véhicules spatiaux ou installations visés au par. 3(3). À mon avis, l’emploi de ces mots ne se voulait pas tautologique. On affirme parfois, lorsqu’un tribunal se penche sur le sens ordinaire et grammatical d’une disposition, que « [l]e législateur ne parle pas pour ne rien dire » (Québec (Procureur général) c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, p. 838). Le législateur l’a confirmé expressément en édictant l’art. 10 de la Loi d’interprétation, qui précise notamment que « [l]a règle de droit a vocation permanente ». Quoi qu’il en soit, l’expression « ou ailleurs » en français (« or elsewhere » en anglais) évoque un champ d’application beaucoup plus vaste que celui correspondant aux exemples restreints énumérés au par. 3(3), et je serais réticent à établir une équivalence entre les deux.
38 Par conséquent, je suis d’avis que la définition de « signal d’abonnement » vise les signaux émanant de distributeurs étrangers et destinés à être déçus par un public étranger. Rappelons que, puisque la Loi sur la radiocommunication n’interdit pas la radiodiffusion de signaux d’abonnement (exception faite de l’al. 9(1)e) qui interdit la retransmission non autorisée au Canada de tels signaux) et ne s’applique qu’au décodage survenant aux endroits prévus au par. 3(3), la présente affaire ne soulève aucune question touchant à l’exercice extraterritorial de certains pouvoirs. À ce stade-ci de l’analyse, cela signifie, contrairement à la conclusion du juge siégeant en chambre et à celle des juges majoritaires de la Cour d’appel, que le législateur a en fait choisi, à l’al. 9(1)c), un libellé interdisant le décodage de tous les signaux d’abonnement, indépendamment de leur origine, « sans l’autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celle‑ci ». Je vais maintenant examiner cette exception.
39 La Cour d’appel a invoqué la présence de l’article défini à la fin du texte anglais de l’al. 9(1)c) (« the signal ») au soutien de son interprétation restrictive de cette disposition. Devant notre Cour, l’avocat des intimés a également fait valoir que la présence de l’article défini « the » qui précède les mots « lawful distributor » confirme que la disposition [traduction] « n’est censée s’appliquer que lorsqu’il existe un distributeur légitime ». Enfin, les intimés ont attiré notre attention sur le texte de la version française de la disposition et, en particulier, sur la présence du déterminant possessif « leur » avant les mots « distributeur légitime » : dans un certain nombre d’affaires où l’on a analysé la version française de l’al. 9(1)c), le tribunal a fondé son interprétation restrictive sur l’emploi de ce mot (voir les décisions suivantes de la Cour du Québec : Thériault, précitée, p. 2739; Gregory Électronique, précitée, par. 24-26, et S.D.S. Satellite, précitée, p. 7. Voir également l’affaire Branton, précitée, par. 25).
40 Je ne partage pas ces opinions. L’adjectif possessif « leur » et l’article défini « the » ne font qu’identifier la partie qui peut autoriser le décodage conformément à l’exception prévue (voir Pearlman, précité, p. 2032). En conséquence, bien que je souscrive à l’opinion de la majorité de la Cour d’appel selon laquelle, [traduction] « [s]i un signal d’abonnement n’a pas de distributeur légitime au Canada, personne ne saurait être autorisé à en permettre le décodage », je ne vois pas comment il s’ensuit nécessairement que le décodage de signaux non assujettis à la réglementation « ne peut de ce fait contrevenir à la Loi sur la radiocommunication » (par. 36). Pareille conclusion exigerait que l’on intègre à l’interdiction certains mots de l’exception, ce qui constituerait une démarche circulaire et erronée. Je vais me référer à nouveau à la décision du juge Provost, de la Cour du Québec, dans l’affaire Pearlman, précitée, p. 2031 : « Rechercher d’abord l’exception et définir ensuite le principe par rapport à l’exception risquent de fausser le sens du texte et de trahir l’intention de son rédacteur. »
41 À mon avis, les articles définis employés dans la version anglaise de l’exception prévue à l’al. 9(1)c) servent à identifier, parmi le genre de signaux touchés par l’interdiction (tous les signaux d’abonnement), ceux pour lesquels la règle cède le pas à l’exception. Du point de vue grammatical, donc, le choix d’articles définis et indéfinis donne essentiellement lieu à l’interprétation suivante : Il est interdit à quiconque de décoder quelque (indéfini) signal d’abonnement que ce soit à moins d’avoir obtenu, pour le (défini) signal en cause, l’autorisation du (défini) distributeur légitime. Par conséquent, comme cela peut arriver, s’il n’existe aucun distributeur légitime susceptible d’accorder cette autorisation, l’interdiction générale doit continuer à produire ses effets.
42 Bien que j’aie déjà indiqué que, dans la présente affaire, les distributeurs SRD américains ne sont pas des « distributeurs légitimes » au sens de la Loi, il convient d’analyser cette expression, car elle est importante dans le processus d’interprétation. Aux termes de l’art. 2, « distributeur légitime » s’entend de « [l]a personne légitimement autorisée, au Canada, à transmettre un signal d’abonnement [. . .] et à en permettre le décodage ». À cet égard, le seul fait qu’une personne soit autorisée dans un autre pays à transmettre des signaux n’a pas pour effet de faire de celle-ci le distributeur légitimement autorisé de ces signaux au Canada. En outre l’expression « légitimement autorisée » (« lawful right ») suppose le respect d’autres conditions que la seule obtention d’une licence du CRTC. En définissant ce terme, le législateur aurait pu mentionner expressément qu’il s’agit d’une personne titulaire d’une licence délivrée par le CRTC (comme il l’a fait à l’al. 18(1)c)) ou par le ministre (al. 5(1)a)). Il a plutôt opté pour une formulation plus générale. En conséquence, je partage l’opinion suivante, exprimée par le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Norsat, précitée, par. 4 :
La personne « légitimement autorisée » est celle qui possède les droits réglementaires en vertu de la licence qui lui est régulièrement délivrée conformément à la Loi, l’autorisation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ainsi que les droits contractuels et les droits d’auteur se rapportant nécessairement au contenu qu’implique la transmission d’un signal d’abonnement ou d’une alimentation réseau.
Comme l’a fait remarquer le procureur général du Canada, cette interprétation signifie que, même lorsque la transmission du signal d’abonnement n’est pas visée par la définition de « radiodiffusion » au sens de la Loi sur la radiodiffusion (c’est‑à‑dire lorsque la transmission d’émissions est « destinée à la présentation dans un lieu public seulement ») et qu’aucune licence de radiodiffusion n’est donc requise, d’autres facteurs doivent être pris en considération pour déterminer si le transmetteur du signal est un « distributeur légitime » pour l’application de la Loi sur la radiocommunication.
43 En fin de compte, j’arrive à la conclusion que, lorsqu’on interprète les mots utilisés à l’al. 9(1)c) suivant leur sens ordinaire et grammatical et en tenant compte des définitions de l’art. 2, cette disposition a pour effet d’interdire à quiconque de décoder au Canada tout signal d’abonnement brouillé — quelle que soit son origine — à moins d’avoir obtenu la permission de le faire de la personne légitimement autorisée, suivant le droit canadien, à transmettre le signal concerné et à en permettre le décodage.
b) Contexte élargi
44 Bien que la Loi sur la radiocommunication ne comporte malheureusement pas de disposition précisant son objet, elle s’inscrit dans un cadre plus large. Elle établit principalement les règles relatives à l’attribution de fréquences de radiocommunication définies, aux autorisations de posséder et d’utiliser des appareils radio et à la réglementation technique du spectre des radiofréquences. La Loi établit également des restrictions applicables en matière de réception et de brouillage des radiocommunications, y compris le type de signaux d’abonnement en litige dans le présent pourvoi. S. Handa et autres, dans Communications Law in Canada (feuilles mobiles), p. 3.8, disent de la Loi sur la radiocommunication qu’elle est l’un [traduction] « des trois piliers législatifs régissant la distribution au Canada ». Ils ajoutent ce qui suit, à la p. 3.17 :
[traduction] La Loi sur la radiocommunication régit toutes les utilisations privées et publiques du spectre des radiofréquences. Le lien étroit unissant cette loi et celles relatives aux télécommunications et à la radiodiffusion tient au fait que les télécommunications et la radiodiffusion sont les deux principaux domaines d’utilisation du spectre des radiofréquences.
45 Entrée en vigueur en 1991, la Loi sur la radiodiffusion est une loi omnibus qui a également apporté des modifications substantielles à la Loi sur la radiocommunication, notamment par l’ajout de l’al. 9(1)c). Elle a pour objet général de réglementer et de surveiller la transmission d’émissions au public canadien. Un aspect important à signaler dans le cadre du présent pourvoi est le fait que la transmission d’émissions encodées dont il est question en l’espèce est visée par la définition de « radiodiffusion » dans la Loi sur la radiodiffusion et que les radiodiffuseurs SRD, telle l’appelante, sont assujettis à cette loi et obtiennent leur licence sous son régime. Sont énoncés, aux al. 3(1)a) à t) de la Loi sur la radiodiffusion, 20 objectifs généraux de la politique canadienne de radiodiffusion. Toutefois, la loi met l’accent sur la radiodiffusion, et non sur la réception.
46 En fin de compte, ces lois s’appliquent en tandem. À cet égard, je souscris aux propos suivants du juge LeGrandeur de la Cour provinciale de l’Alberta dans l’affaire Knibb, précitée, par. 38-39, qu’a fait siens le juge Gibson de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Norsat, précité, par. 35 :
[traduction] La Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication doivent être considérées comme fonctionnant dans le cadre d’un seul régime réglementaire. Les dispositions de chaque loi doivent donc être lues en tenant compte de leurs contextes réciproques et il faut tenir compte du rôle de chaque loi dans le régime général. [Renvoi à R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 286.]
Selon moi, l’ajout des al. 9(1)c), d) et e) et d’autres dispositions à la Loi sur la radiocommunication, par l’intermédiaire des dispositions de la Loi sur la radiodiffusion de 1991, appuie cette méthode d’interprétation. Les alinéas 9(1)c), d) et e) de la Loi sur la radiocommunication doivent être considérés comme faisant partie du mécanisme par lequel doit être mise en œuvre la politique de réglementation de la radiodiffusion au Canada qui y est énoncée.
47 La politique canadienne de radiodiffusion possède un certain nombre de caractéristiques propres et elle établit une orientation incontestablement axée sur la culture. Il y est déclaré qu’au Canada les radiofréquences sont du domaine public, qu’il est fondamental que le système de radiodiffusion soit la propriété des Canadiens et sous leur contrôle et que la programmation offerte par le système de radiodiffusion est « un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle ». Les alinéas 3(1)d) et t) énoncent un certain nombre d’objectifs de mise en œuvre précis à l’intention du système de radiodiffusion en général, et des entreprises de distribution en particulier (y compris les entreprises de distribution SRD). Enfin, le par. 3(2) dispose que « le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique » dont il convient de confier la réglementation et la surveillance « à un seul organisme public autonome ».
48 Dans ce contexte, peu d’éléments appuient une interprétation restrictive de l’al. 9(1)c). En effet, comme l’a soutenu devant nous l’avocat du procureur général du Canada, après examen de la politique canadienne de radiodiffusion adoptée par le législateur, l’on peut à juste titre poser les questions suivantes :
[traduction] Pourquoi le législateur aurait-il adopté une disposition correspondant à l’interprétation restrictive préconisée en l’espèce? Pourquoi le législateur aurait‑il précisé que le système doit être la propriété des Canadiens et pourvu à la production canadienne et au contenu canadien de la radiodiffusion, puis tout bonnement laisser les radiodiffuseurs étrangers non assujettis à la réglementation s’amener sur le marché et faire fi de toutes ces exigences? Quelle fin aurait alors été servie?
49 Par contre, l’interprétation de l’al. 9(1)c) qui, à mon avis, découle du sens ordinaire et grammatical des mots utilisés dans cette disposition s’accorde bien avec les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. Le fait que les radiodiffuseurs SRD encodent leurs signaux, permettant ainsi la concentration des mesures de réglementation sur les aspects réception et décodage du système, contribue d’ailleurs à la réalisation des objectifs de la politique de radiodiffusion établis par la loi, ainsi qu’à la réglementation et à la surveillance du système canadien de radiodiffusion en tant que système unique. Dans ces circonstances, il est logique que le législateur ait voulu inciter les radiodiffuseurs à se plier au processus réglementaire en disposant qu’ils ne peuvent autoriser le décodage de leurs signaux et percevoir en contrepartie un prix d’abonnement qu’après avoir obtenu les approbations requises des autorités compétentes.
50 Il existe un autre facteur contextuel qui, bien qu’il ne soit en aucune manière déterminant, confirme l’interprétation selon laquelle l’al. 9(1)c) établit une interdiction absolue assortie d’une exception limitée. Comme je l’ai souligné précédemment, l’expression « légitimement autorisée » figurant dans la définition de « distributeur légitime » intègre des aspects touchant au droit des contrats et au droit d’auteur. Selon la preuve versée au dossier, les accords commerciaux liant l’appelante et ses divers fournisseurs d’émissions stipulent que l’appelante doit respecter les droits accordés à ces fournisseurs par les titulaires du droit d’auteur sur le contenu des émissions. Les droits qu’acquièrent ainsi les fournisseurs permettent la radiodiffusion des émissions dans des régions données, que ce soit à la grandeur du Canada ou dans une partie du pays. En conséquence, l’appelante n’est pas légitimement autorisée à permettre le décodage de ses signaux d’abonnement à l’extérieur du champ d’application géographique du droit de présenter sa programmation que lui accorde le contrat.
51 Ainsi, le titulaire du droit d’auteur sur la programmation peut conclure des contrats de licence distincts dans des régions différentes ou dans des pays différents (par exemple au Canada et aux États‑Unis). Il semble d’ailleurs que de tels arrangements soient monnaie courante dans ce secteur d’activité. Dans la présente affaire, le radiodiffuseur SRD américain DIRECTV a plaidé la même interprétation de l’al. 9(1)c) que celle préconisée par l’appelante, en partie à cause de la responsabilité à laquelle il s’expose tant vis‑à‑vis des titulaires du droit d’auteur aux États‑Unis que des titulaires de licence au Canada du fait que ses signaux débordent la frontière et sont décodés au Canada.
52 J’estime également que le fait de considérer que l’al. 9(1)c) établit une interdiction absolue assortie d’une exception limitée complète le régime établi par la Loi sur le droit d’auteur. Les alinéas 21(1)c) et d) de cette loi confèrent au radiodiffuseur, à l’égard du signal de communication qu’il émet, un droit d’auteur comportant le droit exclusif de le retransmettre (sous réserve des exceptions prévues au par. 31(2)) et, dans le cas d’un signal de communication télévisuel, de l’exécuter en public moyennant droit d’entrée. Si l’on considère que l’al. 9(1)c) a pour effet d’interdire absolument tout décodage, sauf avec la permission de la personne légitimement autorisée à transmettre le signal concerné et à en permettre le décodage, la protection de cette disposition s’étend également aux titulaires des droits d’auteur sur la programmation elle-même, puisqu’il interdit la réception non autorisée de tout signal violant le droit d’auteur, même s’il n’y a ni retransmission ni reproduction : voir F. P. Eliadis et S. C. McCormack, « Vanquishing Wizards, Pirates and Musketeers : The Regulation of Encrypted Satellite TV Signals » (1993), 3 M.C.L.R. 211, p. 213-218. Enfin, je signale que les recours civils prévus à l’al. 18(1)a) et au par. 18(6) de la Loi sur la radiocommunication indiquent que les questions touchant au droit d’auteur sont pertinentes pour l’application de celle-ci, facteur qui appuie la conclusion selon laquelle il existe un lien entre cette loi et celle sur le droit d’auteur.
c) L’alinéa 9(1)c) en tant que disposition « quasi pénale »
53 Je tiens à commenter l’argument des intimés relatif aux conséquences pénales qu’entraînerait l’interprétation voulant que la disposition en cause constitue une « interdiction absolue ». Bien que la présente affaire découle d’un recours civil exercé par l’appelante en vertu du par. 18(1) de la Loi (en qualité de personne qui « a subi une perte ou des dommages par suite d’une contravention [à l’]aliné[a] 9(1)c) ») et ne fasse donc pas intervenir directement les aspects pénaux de cette loi, les intimés invitent notre Cour à se pencher sur l’al. 10(1)b) et le par. 10(2.1) de la Loi sur la radiocommunication. Suivant chacune de ces dispositions, commet une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque fournit du matériel en vue d’enfreindre l’art. 9 et quiconque contrevient dans les faits à l’al. 9(1)c). Devant nous, l’avocat des intimés a plaidé que, si l’al. 9(1)c) est interprété de la manière suggérée par l’appelante, [traduction] « des centaines de milliers de canadiens peuvent s’attendre à recevoir de la visite, puisqu’ils enfreindront la loi » et que « les arguments [de l’appelante] ont pour effet de transformer les abonnés en criminels, et ce même s’ils paient jusqu’au dernier cent les sommes auxquelles a droit DIRECTV ». Essentiellement, l’intimé prétend que la présence de l’al. 10(1)b) et du par. 10(2.1) dans la Loi sur la radiocommunication constitue un élément contextuel important pour l’interprétation de l’al. 9(1)c) et que cet élément milite en faveur de sa thèse.
54 L’alinéa 9(1)c) a effectivement un « caractère hybride », dans la mesure où son application emporte des sanctions civiles et des sanctions pénales. Cependant, je ne suis pas convaincu que ce facteur joue un rôle important dans le processus d’interprétation en l’espèce. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’il soit exact d’insinuer que la décision rendue dans le présent pourvoi aura pour effet de transformer sur-le-champ en criminels les résidants canadiens qui sont abonnés à des services SRD américains et paient leur abonnement. L’infraction d’ordre pénal créée par l’al. 10(1)b) doit être commise dans des circonstances « donnant à penser que [tout matériel ou dispositif, ou composante de celui-ci] est utilisé en vue d’enfreindre l’article 9, l’a été ou est destiné à l’être » (je souligne). De plus, l’alinéa 10(1)b) permet à la personne à qui on reproche cette infraction de plaider l’« excuse légitime » en défense. En outre, le par. 10(2.5) dispose que « [n]ul ne peut être déclaré coupable de l’infraction visée [à l’alinéa] 9(1)c) [. . .] s’il a pris les mesures nécessaires pour l’empêcher ». Comme il n’est ni nécessaire ni opportun de s’interroger sur le sens de ces dispositions en l’absence du contexte factuel approprié, je m’abstiendrai de le faire.
d) Conclusion
55 Après examen du contexte global de l’al. 9(1)c) et interprétation des mots qui le composent suivant leur sens ordinaire et grammatical, en conformité avec le cadre législatif dans lequel s’inscrit cette disposition, j’arrive à la conclusion que celle-ci ne recèle aucune ambiguïté. Je ne peux que conclure que le législateur entendait interdire de manière absolue aux résidants du Canada de décoder des signaux d’abonnement encodés. La seule exception à cette interdiction est le cas où l’intéressé a obtenu l’autorisation de le faire du distributeur détenant au Canada les droits requis pour transmettre le signal concerné et en permettre le décodage. Il n’est pas nécessaire, dans les circonstances, de recourir à l’un ou l’autre des principes subsidiaires d’interprétation législative.
C. Les questions constitutionnelles
56 Comme je vais le préciser ci‑après, je n’entends pas répondre aux questions constitutionnelles formulées dans le cadre du présent pourvoi.
57 L’article 32 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/83‑74, requiert la formulation de questions constitutionnelles dans tout pourvoi où la validité ou l’applicabilité constitutionnelle d’une loi est contestée, en plus d’établir les exigences procédurales à respecter à cette fin. Comme l’a reconnu notre Cour, la règle 32 vise à faire en sorte que le procureur général du Canada, les procureurs généraux des provinces et les ministres de la Justice des territoires soient informés de toute contestation constitutionnelle et puissent décider s’il y a lieu ou non qu’ils interviennent : Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 49, le juge L’Heureux‑Dubé; voir également B. A. Crane et H. S. Brown, Supreme Court of Canada Practice 2000 (1999), p. 253. La règle 32 a également pour objet d’informer les parties et d’éventuels intervenants des questions constitutionnelles soumises à la Cour.
58 De façon générale, le Juge en chef ou un autre juge de notre Cour accorde aux parties à un pourvoi une « grande latitude » dans la formulation des questions constitutionnelles : Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, p. 71; Corbiere, précité, par. 48. Cette grande latitude est particulièrement pertinente dans une affaire comme celle qui nous occupe, où ce sont les intimés qui ont présenté la requête sollicitant la formulation des questions constitutionnelles. Généralement, l’intimé peut avancer, en appel, tout argument tendant à justifier la décision du tribunal d’instance inférieure (Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, p. 240; Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, p. 643-644, le juge Cory). Toutefois, comme bien d’autres règles d’ordre général, cette règle souffre une exception. L’intimé, comme toute autre partie d’ailleurs, ne peut invoquer un argument entièrement nouveau qui aurait nécessité la production d’éléments de preuve additionnels au procès : Perka, précité; Idziak, précité; R. c. Gayle (2001), 54 O.R. (3d) 36 (C.A.), par. 69, autorisation de pourvoi refusée le 24 janvier 2002, [2002] 1 R.C.S. vii.
59 Par ailleurs, même lorsque des questions constitutionnelles sont formulées conformément à la règle 32, il peut en bout de ligne arriver que le dossier factuel constitué en appel soit insuffisant pour permettre de trancher ces questions. En pareil cas, notre Cour n’est pas tenue de répondre aux questions formulées : Bisaillon, précité; Crane et Brown, op. cit., p. 254. En fait, il existe des raisons impérieuses de ne pas répondre à de telles questions : bien que notre Cour s’abstienne généralement de se prononcer sur des questions abstraites, « [c]ette politique [. . .] revêt une importance particulière dans les affaires constitutionnelles » (Moysa c. Alberta (Labour Relations Board), [1989] 1 R.C.S. 1572, p. 1580; voir également Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, p. 1099; Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, p. 452; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, par. 38, les juges McLachlin et Iacobucci). En conséquence, comme l’a dit le juge Sopinka au nom de notre Cour dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 357 : « La procédure établie par l’art. 32 des Règles de la Cour suprême ne vise pas à introduire de nouvelles questions, mais à définir avec précision les questions constitutionnelles litigieuses qui ressortent du dossier » (je souligne).
60 Au cours des plaidoiries, l’avocat des intimés a à juste titre concédé que le dossier ne renferme pas d’éléments relatifs à la Charte propres à permettre à notre Cour de se prononcer sur les questions formulées. Il a plutôt fait valoir que les « valeurs de la Charte » devaient éclairer l’interprétation de la Loi sur la radiocommunication. Dans la mesure où cet argument est présenté comme une proposition indépendante, il doit être rejeté. Bien que j’aie déjà exposé la démarche à privilégier en matière d’interprétation législative, il y a lieu d’y revenir, étant donné la manière dont les intimés voudraient que notre Cour tienne compte de la Charte et l’applique.
61 Il est depuis longtemps admis que, lorsqu’il leur est possible de le faire sans perturber le juste équilibre entre l’action judiciaire et l’action législative, les tribunaux doivent appliquer et faire évoluer les règles de la common law en conformité avec les valeurs et principes consacrés par la Charte : SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, p. 603, le juge McIntyre; Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158, p. 184; R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, p. 675; R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, 2001 CSC 83, par. 86, les juges Iacobucci et Arbour; S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi‑Cola Canada Beverages (West) Ltd., [2002] 1 R.C.S. 156, 2002 CSC 8, par. 18-19. Il faut évidemment se rappeler que la common law ressortit au pouvoir judiciaire. En effet les tribunaux sont chargés d’appliquer la common law et de veiller à ce qu’elle continue de refléter les valeurs fondamentales de la société. Cependant, ils ne jouent pas le même rôle vis‑à‑vis du droit d’origine législative.
62 Les textes législatifs sont l’expression de la volonté du législateur. Ils complètent, modifient ou remplacent la common law. Plus précisément, lorsqu’une loi est en jeu dans une instance judiciaire, il incombe au tribunal (sauf contestation fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel) de l’interpréter et de l’appliquer conformément à l’intention souveraine du législateur. À cet égard, bien qu’on affirme parfois qu’[traduction] « il convient que les tribunaux privilégient les interprétations tendant à favoriser les principes et les valeurs consacrés par la Charte plutôt que celles qui n’ont pas cet effet » (Sullivan, op. cit., p. 325), il importe de souligner le fait que, dans la mesure où notre Cour a reconnu un principe d’interprétation fondé sur le respect des « valeurs de la Charte », ce principe ne s’applique uniquement qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est‑à‑dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre.
63 Notre Cour s’est efforcée d’exprimer clairement ce principe à de nombreuses reprises : voir, par exemple, Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, p. 558, le juge L’Heureux‑Dubé; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078, le juge Lamer (plus tard Juge en chef); R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, p. 771, le juge McLachlin (maintenant Juge en chef); R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 660; Mossop, précité, p. 581-582, le juge en chef Lamer; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, par. 66, le juge Cory; Mills, précité, par. 22 et 56; Sharpe, précité, par. 33.
64 Dans ces arrêts, notre Cour reconnaît qu’appliquer une présomption générale de conformité à la Charte pourrait parfois contrecarrer le respect de l’intention véritable du législateur, contrairement à ce que prescrit la démarche privilégiée en matière d’interprétation législative. Dans l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, p. 752, la Cour a énoncé une raison supplémentaire justifiant de limiter l’application de la règle d’interprétation fondée sur le respect des « valeurs de la Charte » :
[C]onsulter la Charte en l’absence d’une telle ambiguïté la prive d’un objet plus important, la détermination de la constitutionnalité d’une loi. Si les dispositions législatives devaient être rendues compatibles avec la Charte même en l’absence d’ambiguïté, alors il ne serait jamais possible d’appliquer, plutôt que de simplement consulter, les valeurs de la Charte. En outre, le gouvernement ne pourrait jamais justifier une atteinte à la Charte comme une limite raisonnable en vertu de l’article premier puisque le processus d’interprétation empêcherait initialement de conclure à l’existence d’une atteinte à la Charte. [Souligné dans l’original.]
(Voir également Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670, p. 679-680, le juge Sopinka.)
65 Fondamentalement, ce dernier point évoque la question du rôle que doivent jouer les tribunaux au sein de la démocratie canadienne. Dans l’arrêt Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 136-142, notre Cour a dit que dialogue et respect mutuels devaient être au cœur des rapports entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Elle a ajouté que le contrôle judiciaire fondé sur des motifs prévus par la Charte confère une certaine vitalité au processus démocratique en ce qu’il favorise à la fois l’interaction dynamique et la responsabilité entre ces divers pouvoirs. « Les tribunaux examinent le travail du législateur, et le législateur réagit aux décisions des tribunaux en adoptant d’autres textes de loi (ou même en se prévalant de l’art. 33 de la Charte pour les soustraire à la Charte) » (Vriend, précité, par. 139).
66 Pour rappeler ce qui a été dit dans les arrêts Symes et Willick, précités, si les tribunaux devaient interpréter toutes les lois de manière à faire en sorte qu’elles soient conformes à la Charte, cela perturberait à tort l’équilibre dialogique. Chaque fois que ce principe serait appliqué, il préviendrait tout contrôle judiciaire fondé sur des motifs prévus par la Charte, recours qui permet de profiter des mécanismes internes de pondération que comporte l’article premier. Ainsi, les législateurs seraient en grande partie dépouillés du pouvoir que leur reconnaît la Constitution d’apporter, par voie législative, des restrictions raisonnables aux droits et libertés garantis par la Charte, lesquels possèderaient dès lors un caractère quasi absolu. En fait, le législateur qui ne voudrait pas se retrouver dans une telle situation devrait, d’une manière ou d’une autre, justifier expressément dans le texte législatif la limitation du droit garanti par la Charte, sans bénéficier des avantages d’un débat devant les tribunaux relativement aux restrictions qui sont acceptables dans une société libre et démocratique. Avant longtemps, les tribunaux seraient appelés à interpréter ce genre de texte de loi à la lumière des principes consacrés par la Charte. Le caractère manifestement impraticable d’une telle façon de faire met en évidence l’importance de maintenir le dialogue entre les pouvoirs composant l’État. Par conséquent, lorsqu’une loi n’est pas ambiguë, les tribunaux doivent donner effet à l’intention clairement exprimée par le législateur et éviter d’utiliser la Charte pour arriver à un résultat différent.
67 Il est fort possible, lorsque l’affaire retournera à procès, que l’avocat des intimés demande que l’al. 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication soit déclaré inconstitutionnel au motif qu’il porte atteinte à la Charte. À ce moment, il sera nécessaire d’examiner la preuve relative à l’identité des titulaires des droits à la liberté d’expression en cause, et de se demander si l’al. 9(1)c) porte atteinte à ces droits et, dans l’affirmative, si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier.
VII. Dispositif
68 Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens devant toutes les cours, d’annuler le jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et de déclarer que l’al. 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication a pour effet de créer une interdiction prohibant tout décodage de signaux d’abonnement, sous réserve d’une exception, savoir le cas où l’intéressé a obtenu la permission de le faire de la personne légitimement autorisée au Canada à transmettre le signal concerné et à en permettre le décodage. Aucune réponse n’est donnée à l’égard des questions constitutionnelles formulées sur ordonnance du Juge en chef.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Crawford, McKenzie, McLean & Wilford, Orillia et Lang Michener, Ottawa.
Procureurs de tous les intimés, à l’exception de Michelle Lee : Gold & Fuerst, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Le ministère de la Justice, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des distributeurs de films : Sim, Hughes, Ashton & McKay, Toronto.
Procureurs de l’intervenante DIRECTV, Inc. : Borden Ladner Gervais, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Canadian Alliance for Freedom of Information and Ideas : Ian W. M. Angus, Port Hope.
Procureurs de l’intervenant le Congres Iberoamericain du Canada : Soloway, Wright, Ottawa.
* Voir Erratum [2003] 3 R.C.S.