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28/05/2021 | CANADA | N°2021CSC23

Canada | Canada, Cour suprême, 28 mai 2021, MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23


COUR SUPRÊME DU CANADA


Référence : MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23

 

Appel entendu : 12 novembre 2020
Jugement rendu : 28 mai 2021
Dossier : 38755

 


 
Entre :
MédiaQMI inc.
Appelante
 
et
 
Magdi Kamel et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux
de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal
Intimés
 
- et -
 
Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Société Radio-Canada,
La Presse Inc. et Ad IDEM/Canadian Media Lawyer Association
Intervenantes
 
 


 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 73)
 
Motifs...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23

 

Appel entendu : 12 novembre 2020
Jugement rendu : 28 mai 2021
Dossier : 38755

 

 
Entre :
MédiaQMI inc.
Appelante
 
et
 
Magdi Kamel et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux
de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal
Intimés
 
- et -
 
Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Société Radio-Canada,
La Presse Inc. et Ad IDEM/Canadian Media Lawyer Association
Intervenantes
 
 
 

 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 73)
 
Motifs conjoints dissidents :
(par. 74 à 143)

La juge Côté (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Brown)
 
Le juge en chef Wagner et le juge Kasirer (avec l’accord des juges Rowe et Martin)

 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

médiaqmi inc. c. kamel
MédiaQMI inc.                                                                                               Appelante
c.
Magdi Kamel et
Centre intégré universitaire de santé et de
services sociaux de l’Ouest‑de‑l’Île‑de‑Montréal                                            Intimés
et
Fédération professionnelle des journalistes du Québec,
Société Radio-Canada,
La Presse Inc. et
Ad IDEM/Canadian Media Lawyer Association                                 Intervenantes
Répertorié : MédiaQMI inc. c. Kamel
2021 CSC 23
No du greffe : 38755.
2020 : 12 novembre; 2021 : 28 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Procédure civile — Publicité des débats judiciaires — Droit d’accès au dossier du tribunal — Désistement — Retrait des pièces — Action intentée par un organisme public contre un ancien cadre alléguant le détournement de fonds publics — Requête sollicitant l’accès aux pièces se trouvant sous scellés au dossier du tribunal déposée par une entreprise de publication de journaux — Retrait des pièces autorisé par le tribunal en raison du désistement de l’organisme public avant l’audition de la requête — Le juge de première instance avait‑il l’obligation de trancher la demande d’accès au dossier du tribunal avant d’autoriser le retrait des pièces? — Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 11, 108.
                    Le 6 octobre 2016, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest‑de‑l’Île‑de‑Montréal (« CIUSSS ») a entrepris une action en justice contre un ancien cadre, alléguant un détournement de fonds publics. L’action était assortie d’une demande d’ordonnance de type Norwich destinée à obtenir l’identité du détenteur des quatre comptes bancaires au profit desquels les sommes d’argent auraient été détournées. Le 7 octobre 2016, la Cour supérieure a rendu l’ordonnance de type Norwich et ordonné la mise sous scellés de l’ensemble du dossier, dont les quatre pièces déposées par le CIUSSS au soutien de ses allégations. MédiaQMI, une entreprise de publication de journaux, a déposé le 29 mars 2017 une requête pour mettre fin aux scellés fondée sur l’art. 11 du Code de procédure civile (« C.p.c. ») et l’art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise ») dans le but de prendre connaissance du dossier du tribunal, y compris les pièces qui pouvaient s’y trouver. L’audition de la requête, prévue pour le 5 avril 2017, a été remise au 25 avril 2017. Entre‑temps, le 19 avril 2017, le CIUSSS s’est désisté de son action en justice. Il a tenté de reprendre possession des pièces qu’il avait déposées, mais le personnel du greffe n’a pas réussi à les retrouver. Lors de l’audition de la requête le 25 avril, le CIUSSS a formulé une demande verbale afin de reprendre possession des pièces déposées au dossier du tribunal. MédiaQMI s’est opposée à cette demande.
                    La Cour supérieure a ordonné la levée des scellés suivant le test énoncé dans les arrêts Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442, au motif que la preuve était insuffisante pour déroger au principe du caractère public des débats judiciaires. Elle a toutefois autorisé la demande de retrait des pièces formulée par le CIUSSS, conformément à l’art. 108 C.p.c., en raison du désistement ayant mis fin à l’instance. Le lendemain du prononcé du jugement, le CIUSSS a repris possession de ses pièces. La Cour d’appel a rejeté l’appel de MédiaQMI formulé à l’encontre de la conclusion relative au retrait des pièces.
                    Arrêt (le juge en chef Wagner et les juges Rowe, Martin et Kasirer sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.
                    Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté et Brown : MédiaQMI ne peut obtenir une copie des pièces qui se trouvaient au dossier de la Cour supérieure au moment du dépôt de sa requête. Le droit de prendre connaissance des dossiers des tribunaux énoncé à l’art. 11 C.p.c. ne s’étend pas au‑delà de ce qui se trouve dans ces dossiers au moment de la consultation. Lorsqu’à la fin d’une instance les parties reprennent possession de leurs pièces conformément à l’art. 108 C.p.c., les membres du public pourront toujours consulter le dossier mais n’auront plus accès aux pièces qui en ont été retirées.
                    L’article 11 C.p.c., qui énonce le principe de la publicité des débats, ne confère pas un droit spécifique d’accéder aux pièces qui ont un jour fait partie des dossiers des tribunaux. Cette disposition donne accès au dossier du tribunal dont le contenu est en partie régi par l’art. 108 C.p.c. Ainsi, le fait de retirer des pièces du dossier dans les circonstances décrites à l’art. 108 C.p.c., alors qu’une demande de consultation du dossier est pendante, ne constitue pas une atteinte à une règle d’ordre public; ce n’est que l’exercice d’un droit prévu par le Code de procédure civile. La position selon laquelle la portée du principe de la publicité des débats devrait s’interpréter à la lumière des chartes doit être rejetée. Quelle que soit la protection que les chartes accordent à ce principe, le législateur demeure libre d’en fixer la portée dans les règles qu’il édicte et il n’appartient pas aux tribunaux de le faire à sa place. En contexte civiliste, la création de règles de droit demeure la prérogative du législateur, de telle sorte qu’en l’absence de contestation constitutionnelle, ce sont les règles clairement énoncées au Code de procédure civile qui s’appliquent. En outre, en l’absence d’ambiguïté qui persisterait malgré l’application de la méthode d’interprétation contextuelle, les tribunaux n’ont pas à interpréter les lois de façon à les rendre conformes aux principes et valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette approche s’accorde par ailleurs avec les dispositions interprétatives de la Charte québécoise.
                    Le nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur en 2016, prévoit, à ses art. 11 à 16, le régime général de la publicité de la justice civile et édicte, à l’art. 11, deux droits distincts: le droit d’assister aux audiences des tribunaux où qu’elles se tiennent et le droit de prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux. L’article 108 C.p.c. se réfère explicitement à ce régime général; cela ressort tout autant des termes employés par le législateur que de la lecture holistique du Code de procédure civile préconisée par sa disposition préliminaire et par l’art. 41.1 de la Loi d’interprétation québécoise. Ainsi, il paraît indiscutable que l’art. 108 C.p.c. concerne le contenu des dossiers dont il est question aux art. 11 à 16 C.p.c., à savoir ceux dont le tribunal a la surveillance et le contrôle. Cette disposition régit donc le maintien, le retrait et la conservation des pièces produites au dossier auquel l’art. 11 C.p.c. donne accès.
                    On ne saurait restreindre la portée de l’art. 108, al. 2 C.p.c. en s’appuyant sur des passages des débats parlementaires d’après lesquels l’objectif du législateur aurait été de réduire les coûts associés au système judiciaire. Le recours aux travaux préparatoires ne saurait servir à justifier de ne pas appliquer une règle claire, minant ainsi la confiance que le lecteur doit pouvoir mettre dans le libellé du texte interprété à la lumière de son contexte. Les tribunaux n’ont pas à interpréter ni à appliquer l’objectif sous‑jacent à une disposition ou à un régime législatif, mais plutôt le texte au moyen duquel le législateur entend atteindre cet objectif.
                    En l’occurrence, le texte de l’art. 108, al. 2 C.p.c. autorise les parties à retirer leurs pièces de façon consensuelle en cours d’instance et les oblige à les récupérer une fois l’instance terminée. Il reprend, à quelques modifications près, les deux règles énoncées aux art. 83 et 331.9 de l’ancien Code de procédure civile intégrées à l’occasion d’une réforme relative au régime général de la communication et de la production de pièces. Cette réforme, survenue en 1994, visait à encourager les parties à s’échanger les informations en lien avec leurs preuves respectives et à se communiquer directement leurs pièces sans passer par la production au dossier du tribunal. Elle envisageait la production et la conservation des pièces sous l’angle de l’utilité et de la nécessité. Héritier de ce régime, l’art. 108 C.p.c. refond et unifie les règles liées au maintien, au retrait et à la conservation des pièces produites au dossier du tribunal. Dans la mesure où il régit le contenu de ces dossiers, il entraîne des conséquences immédiates sur les informations dont le public peut prendre connaissance en vertu de l’art. 11 C.p.c.
                    L’article 11 C.p.c. confère au public le droit de prendre connaissance des dossiers du tribunal, sous réserve des exceptions relatives à la confidentialité. Ce droit s’applique pendant et après l’instance. Même après la fin de l’instance, les pièces peuvent être consultées tant qu’elles restent au dossier, mais dès que les parties les reprennent ou que le greffier les détruit, elles cessent de faire partie du dossier dont le public peut prendre connaissance. Cette conclusion s’accorde avec l’intention du législateur exprimée dans le texte des art. 11 et 108 C.p.c., avec les objectifs législatifs sous‑jacents à ces dispositions, avec l’économie générale du Code de procédure civile et avec les principes d’interprétation civilistes. Elle évite par ailleurs de donner au principe de la publicité de la justice civile énoncé à l’art. 11 C.p.c. une étendue susceptible de le dénaturer, de même qu’elle évite de compromettre d’autres objectifs importants visés par le Code de procédure civile comme la prévention et le règlement des différends. En effet, l’objectif de favoriser le règlement des différends serait assurément compromis si les parties désireuses de s’entendre après avoir saisi les tribunaux ne pouvaient rapatrier dans la sphère privée les documents qu’elles y ont produits.
                    Comme les art. 11 et 108 C.p.c. ne font intervenir aucune discrétion judiciaire, il n’y a pas lieu d’appliquer le test des arrêts Dagenais et Mentuck  en l’espèce. En effet, ce test établit que le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance limitant la publicité des débats doit être exercé dans les limites prescrites par la Charte canadienne en tenant compte des droits et des intérêts qui militent dans des directions opposées. Or, lorsque la loi fixe la portée d’application du principe de publicité sans attribuer de discrétion au juge, la recherche d’un juste équilibre entre des droits et intérêts opposés qui respecterait les limites prescrites par la Charte canadienne n’a aucune raison d’être.
                    En l’espèce, le droit reconnu à MédiaQMI par l’art. 11 du C.p.c. de prendre connaissance des dossiers des tribunaux n’a jamais été compromis. En effet, l’ordonnance de mise sous scellés qui avait assuré jusque‑là la confidentialité du dossier a pris fin avec le prononcé du jugement de première instance. MédiaQMI aurait pu consulter les pièces litigieuses si elle avait demandé à prendre connaissance du dossier pendant l’intervalle où elles étaient disponibles, puisqu’aucune mesure conservatoire n’avait été demandée par les parties. Elle ne l’a pas fait. Seules les modalités d’accès au dossier du tribunal et le contenu de ce dossier ont changé entre le dépôt de la requête pour mettre fin aux scellés et le retrait des pièces. Il s’agit là cependant d’une situation qui échappe à l’emprise de l’art. 11 puisqu’elle relève de l’art. 108 C.p.c. Le fait que MédiaQMI a déposé sa requête fondée sur l’art. 11 C.p.c. avant le désistement du CIUSSS n’est pas déterminant. Il ne lui confère aucun droit acquis à en débattre. De même, il ne lui accorde aucun droit d’exiger le maintien, de façon statique, du contenu du dossier judiciaire jusqu’à ce que la requête soit tranchée.
                    La conséquence juridique que l’art. 213 du C.p.c. attache au désistement, c’est la fin de l’instance. Or, la fin de l’instance habilite les parties à retirer leurs pièces suivant l’art. 108 C.p.c. En l’espèce, si MédiaQMI souhaitait prévenir l’exercice de cette faculté, elle devait contester le désistement qui emportait extinction de l’instance. Elle ne l’a pas fait. Dès lors, rien n’interdisait au CIUSSS de reprendre possession de ses pièces.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Rowe, Martin et Kasirer (dissidents): L’appel devrait être accueilli. Le dossier devrait être retourné à la Cour supérieure afin qu’elle tranche la demande d’accès aux pièces suivant le cadre d’analyse établi dans les arrêts Dagenais et Mentuck dont l’application en matière civile a été confirmée dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522, et qu’elle rende les ordonnances qu’elle juge nécessaire.
                    La maîtrise par les parties de leur dossier est un principe directeur consacré à l’art. 19 C.p.c., qui englobe la faculté des parties de choisir, à tout moment de l’instance, de régler leur litige ou de mettre autrement fin à l’instance (al. 3). Ce principe ne permet pas aux parties d’écarter le pouvoir discrétionnaire du juge de veiller au respect de la règle d’ordre public découlant du principe de la publicité des débats ou d’exercer leurs pouvoirs au détriment des intérêts nés et légitimes que possèdent des tiers d’en revendiquer l’application. En effet, lorsque les parties décident d’avoir recours à la justice civile, un service public, elles le font en sachant que le public peut exercer son droit fondamental à l’information concernant les procédures judiciaires. Le règlement d’un différend par voie privée ne peut à lui seul supplanter ipso facto le principe de la publicité des débats lorsque celui‑ci est invoqué dans le respect des règles procédurales alors que l’instance est toujours en cours. Ceci est d’autant plus vrai dans le cadre d’un litige où, dès le dépôt du recours en justice, un juge a émis une ordonnance limitant le principe du caractère public des débats judiciaires, comme en l’espèce.
                    Le principe fondamental de la publicité des débats judiciaires, caractéristique d’une société libre et démocratique, est consacré à l’art. 11 C.p.c., qui prévoit que tous peuvent assister aux audiences des tribunaux et prendre connaissance des dossiers. Le public et, en particulier, les médias d’information, possèdent l’intérêt requis pour en revendiquer l’application. Le législateur prévoit deux exceptions précises à ce principe fondamental. Premièrement, lorsque la loi prévoit le huis clos (art. 15 C.p.c.) ou restreint l’accès aux dossiers (art. 16 C.p.c.), ce qui est notamment le cas en matière familiale. Deuxièmement, en accordant au tribunal un pouvoir discrétionnaire lui permettant de faire exception au principe fondamental de la publicité des débats s’il considère que l’ordre public ou la protection d’intérêts légitimes importants l’exigent (art. 12 C.p.c.). Le tribunal qui est saisi d’une demande visant à limiter la publicité des procédures judiciaires doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément au cadre d’analyse élaboré dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club, et ce, même si personne ne s’y oppose.
                    Le régime du désistement découle du principe voulant que les parties aient la maîtrise de leur dossier (art. 19 al. 3 C.p.c.). Pour être opposable aux autres parties, il suffit que le désistement unilatéral leur soit notifié aux termes de l’art. 213 C.p.c. Il existe cependant un tempérament au principe de la maîtrise par les parties de leur dossier, lequel a été développé et appliqué par une jurisprudence constante : le désistement ne peut porter préjudice aux droits des autres parties ou des tiers, y compris le droit de faire juger d’une demande antérieure au désistement. Comme le désistement constitue une renonciation volontaire à un droit, à une prétention, ses effets se limitent aux droits du renonçant, soit la partie qui se désiste. Il peut donc être valide, sans être opposable aux droits des tiers. En conséquence, le désistement d’une partie ne peut avoir pour objet ou effet de lui permettre d’échapper à une demande déjà formulée contre elle.
                    Si un désistement d’instance ne peut être invoqué au préjudice des intérêts nés et légitimes des tiers et à l’encontre des règles d’ordre public, les parties ne peuvent se prévaloir de l’art. 108 al. 2 C.p.c. afin de retirer des pièces du dossier, à la suite d’une demande fondée sur l’art. 11 C.p.c. La maîtrise dont jouissent les parties à l’égard de leur dossier doit s’exercer dans le respect des principes de la procédure civile (art. 19 C.p.c.). Les parties ne peuvent écarter une règle d’ordre public, et ce, même par consentement mutuel. Appliquer le principe de la maîtrise du dossier comme s’il constituait une fin en soi serait non seulement contraire à la jurisprudence québécoise, mais irait également à l’encontre de l’économie générale du Code de procédure civile et du principe bien établi voulant qu’il faille interpréter ses dispositions en harmonie avec la Charte québécoise et les principes généraux du droit. Par conséquent, le principe de la maîtrise du dossier ne peut porter atteinte aux intérêts nés et légitimes de MédiaQMI de revendiquer l’application de la règle d’ordre public de la publicité des débats judiciaires.
                    Dès le moment où MédiaQMI a demandé la levée des scellés et l’accès aux pièces, un nouveau débat s’est engagé qui dépasse le strict intérêt privé des parties au litige principal. Le désistement produit à la suite de la demande déposée en vertu de l’art. 11 C.p.c. ne peut faire échec à ce nouveau débat, distinct du litige principal, qui porte sur le bon fonctionnement de l’institution judiciaire dont la légitimité dépend de sa transparence et en partie du regard des médias. MédiaQMI cherchait ainsi à jouer son rôle de suppléant du public et à informer les lecteurs des activités se déroulant devant les tribunaux, un rôle crucial dans un contexte d’allégations de fraude au sein d’un organisme public responsable d’assurer le bon fonctionnement des établissements de santé régionaux. Le tribunal devait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’art. 12 C.p.c. Le désistement aurait toutefois produit ses pleins effets si MédiaQMI avait déposé sa demande après le désistement du CIUSSS et qu’elle avait demandé l’accès aux pièces alors que celles‑ci ne se trouvaient plus au dossier. Son pourvoi aurait échoué sur cette base en l’absence de contestation de la validité constitutionnelle de l’art. 108 C.p.c.
Jurisprudence
Citée par la juge Côté
                    Arrêts mentionnés : Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442; Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858‑0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743; Cie Immobilière Viger Ltée c. Giguère Inc., 1976 CanLII 4 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 67; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48, [2006] 2 R.C.S. 513; R. c. Clarke, 2014 CSC 28, [2014] 1 R.C.S. 612; Michel c. Graydon, 2020 CSC 24; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, 1997 CanLII 352 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 299; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Canada 3000 Inc. (Re), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865; Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287; Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (Protonotaire), 1991 CanLII 90 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 671; Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623; CTV Television Inc. c. Ontario Superior Court of Justice (Toronto Region) (2002), 2002 CanLII 41398 (ON CA), 59 O.R. (3d) 18; Hong c. Lavy, 2019 NSSC 271, 46 C.P.C. (8th) 327; Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, 1982 CanLII 14 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 175; Société Radio‑Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 480; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522; Société Radio‑Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19; Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Provincial Court Judges’ Association of British Columbia, 2020 CSC 20; Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), 1992 CanLII 1135 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 952; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592; Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253; Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, [2011] 1 R.C.S. 65; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Classic Fabrics Corp. c. B. Rawe GMBH & Co., 2001 CanLII 7221; L’Espérance c. Atkins, [1956] B.R. 62; 175809 Canada inc. c. 2740478 Canada inc., 2000 CanLII 9254; Droit de la famille — 092038, 2009 QCCS 3822, [2009] R.D.F. 646.
Citée par le juge en chef Wagner et le juge Kasirer (dissidents)
                    Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522; Charland c. Lessard, 2015 QCCA 14; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287; Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35, [2014] 1 R.C.S. 800; Homans c. Gestion Paroi inc., 2017 QCCA 480; J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167; Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858‑0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; B. (B.) c. Québec (Procureur général), 1997 CanLII 10220 (QC CA), [1998] R.J.Q. 317; Rosei c. Benesty, 2020 QCCS 1795; Marcovitz c. Bruker, 2005 QCCA 835, [2005] R.J.Q. 2482, inf. sur un autre point par 2007 CSC 54, [2007] 3 R.C.S. 607; Sirius Services conseils en technologie de l’information inc. c. Boisvert, 2017 QCCA 518; Horic c. Nepveu, 2016 QCCS 3921; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), 1989 CanLII 20 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1326; Richmond Newspapers, Inc. c. Virginia, 448 U.S. 555 (1980); 3834310 Canada Inc. c. R.C., 2004 CanLII 4122; Société Radio‑Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, [2011] 1 R.C.S. 65; Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 480; Georgiadis c. Angelopoulos, 2008 QCCS 6890; Classic Fabrics Corp. c. B. Rawe GMBH & Co., 2001 CanLII 7221; 175809 Canada inc. c. 2740478 Canada inc., 2000 CanLII 9254; L’Espérance c. Atkins, [1956] B.R. 62; Graham‑Albulet c. Albulet, [1977] C.A. 323; Barzelex Inc. c. M.E.C.S. International Inc. (1989), 29 Q.A.C. 63; Constructions Panthéon inc. c. Clinique Altermed inc., 2015 QCCA 50; Fourrures Taran (Mtl) inc. c. Tuac, local 501, 2005 CanLII 11669; 7006098 Canada inc. c. Sobeys Canada inc., 2020 QCCS 897; Berenbaum c. Berenbaum Reichson, 2014 QCCA 1630; Entreprises de béton Fern Leclerc Ltée c. Bourassa, 1990 CanLII 2757 (QC CA), [1990] R.D.J. 558; Droit de la famille — 092038, 2009 QCCS 3822, [2009] R.D.F. 646; Wetherall c. Macdonald (1903), 9 R. de J. 381; 9163‑5771 Québec inc. c. Bonifier inc., 2017 QCCA 1316; Ditomene c. Syndicat des enseignants du Cégep de l’Outaouais (SECO), 2012 QCCA 1296; Byer c. Québec (Inspecteur général des institutions financières), 1999 CanLII 11542 (QC CS), [2000] R.L. 615; Fers et métaux américains, s.e.c. c. Picard, 2013 QCCA 2255; Banque Commerciale Italienne du Canada c. Magas Development Corp., [1992] R.D.I. 246; Portnoff (Syndic de), 2000 CanLII 19147 (QC CS), [2000] R.J.Q. 1290.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b), 11d).
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 3, 9.1, 23, 51, 53.
Code civil du Québec, art. 33.
Code de procédure civile (France), 1806, art. 87.
Code de procédure civile, S.Q. 1897, c. 48, art. 16.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25, art. 13, 47, 83 [mod. 1994, c. 28, art. 3], 331.7, 331.9 [aj. idem, art. 20].
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, disposition préliminaire, art. 1 à 7, 8 à 28, 49, 107, 108, 205, 206, 213, 214, 220, 246 à 252.
Loi d’interprétation, RLRQ, c. I‑16, art. 41.1.
Loi modifiant le Code de procédure civile, projet de loi 24, 3e sess., 34e lég., Québec, 1994.
Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, RLRQ, c. O‑7.2, art. 38.
Loi sur la procédure civile du canton de Genève, 1837, art. 84.
Nouveau Code de procédure civile (France), art. 394, 395, 396.
Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C‑25, r. 4, art. 3, 4, 18, 19.
Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec en matières civiles, R.R.Q. 1981, c. C‑25, r. 8, règles 2, 3.
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Marcotte et Schrager et le juge Samson (ad hoc)), 2019 QCCA 814, [2019] AZ-51434213, [2019] J.Q. no 3707, 2019 CarswellQue 3871 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Gagnon, 2017 QCCS 4691, [2017] AZ-51434213, [2017] J.Q. no 14219 (QL), 2017 CarswellQue 9231 (WL Can.). Pourvoi rejeté, le juge en chef Wagner et les juges Rowe, Martin et Kasirer sont dissidents.
                    Mathieu Quenneville et Marc‑André Nadon, pour l’appelante.
                    Jonathan Pierre‑Étienne et Antoun Al‑Saoub, pour l’intimé Magdi Kamel.
                    Dominique Vallières, pour l’intimé le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest‑de‑l’Île‑de‑Montréal.
                    Mark Bantey, pour l’intervenante la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
                    Christian Leblanc, pour les intervenantes la Société Radio‑Canada, La Presse Inc. et Ad IDEM/Canadian Media Lawyer Association.
 
Le jugement des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté et Brown a été rendu par
 
                    La juge Côté —
I.               Aperçu
[1]                              L’importance du principe de la publicité des débats judiciaires ne suscite plus aujourd’hui de controverse. On conviendra aisément, suivant la formule élégante d’un auteur ancien, que la justice est « un ouvrage de lumière et non de ténèbres » : J. Frain du Tremblay, Essais sur l’idée du parfait magistrat où l’on fait voir une partie des obligations des Juges (1701), p. 139-140. Cela n’est pas remis en question ici. Mais si important soit-il, un principe n’est pas sans limites. Le présent pourvoi nous invite en l’occurrence à clarifier celles de la publicité des débats judiciaires. Il s’agit en somme de savoir jusqu’où doit porter l’aspiration vers la transparence du processus judiciaire, et à partir de quel moment le secret peut reprendre ses droits.
[2]                              Au Québec, le Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 (« C.p.c. »), reconnaît aux membres du public le droit de prendre connaissance des dossiers des tribunaux : art. 11 C.p.c.[1] Aucune autorisation préalable n’est requise : n’importe qui peut en examiner le contenu. Le Code contient par ailleurs une disposition relative au retrait des pièces produites au dossier du tribunal : art. 108 C.p.c. En cours d’instance, les parties sont autorisées à reprendre possession de leurs pièces si toutes y consentent; une fois l’instance terminée, elles sont obligées de le faire, faute de quoi ces pièces pourront être détruites par le greffier après une année. La question au cœur de ce pourvoi consiste à déterminer si l’art. 11 C.p.c. permet aux membres du public de consulter des pièces qui ont été retirées par les parties conformément à l’art. 108 C.p.c. À mon avis, le droit de prendre connaissance des dossiers des tribunaux énoncé à l’art. 11 C.p.c. ne s’étend pas au-delà de ce qui se trouve dans ces dossiers au moment de la consultation. Ainsi, lorsqu’à la fin d’une instance les parties reprennent possession de leurs pièces, les membres du public pourront toujours consulter le dossier mais n’auront plus accès aux pièces qui en ont été retirées.
II.            Contexte
[3]                              Le 6 octobre 2016, l’intimé Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal (« CIUSSS ») intentait des procédures judiciaires contre l’un de ses anciens cadres, l’intimé M. Magdi Kamel. La demande introductive d’instance alléguait un détournement de fonds de 410 266 $ et en réclamait le remboursement, de même que le paiement de 100 000 $ de dommages-intérêts. Elle était assortie d’une demande d’ordonnance de type Norwich destinée à obtenir l’identité du détenteur des quatre comptes bancaires au profit desquels ces sommes auraient été détournées entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2015. Le CIUSSS a déposé quatre pièces au soutien de ses demandes, dont un rapport d’expertise juricomptable réalisé par la firme PwC. Le 7 octobre 2016, la Cour supérieure rendait l’ordonnance de type Norwich et ordonnait la mise sous scellés de l’ensemble du dossier.
[4]                              Des saisies avant jugement ont été effectuées chez M. Kamel les 17 octobre et 22 novembre 2016. Le Journal de Montréal, une publication de l’appelante MédiaQMI, y consacrait deux articles les 31 octobre et 13 décembre 2016. Désireuse de s’informer des tenants et aboutissants de ces procédures judiciaires, MédiaQMI déposait le 29 mars 2017 sa « Requête pour mettre fin aux scellés » dans le but de prendre connaissance du dossier judiciaire et des pièces qui pouvaient s’y trouver. Dans cette requête fondée sur l’art. 11 C.p.c. et l’art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12 (« Charte québécoise »), MédiaQMI ne recherchait qu’une seule et unique conclusion :
METTRE FIN à toute ordonnance visant à restreindre l’accès du public et de la Requérante au dossier de Cour relativement au dossier 500-17-095861-160.
[5]                              L’audition de la requête, fixée au 5 avril 2017, a été remise au 25 avril 2017. Dans l’intervalle, le CIUSSS s’est désisté de sa demande introductive d’instance. Il a déposé un acte de désistement le 19 avril 2017 et a tenté, dans les jours suivants, de reprendre possession des quatre pièces déposées au soutien de sa demande. Le personnel du greffe n’est toutefois pas parvenu à retrouver le dossier.
[6]                              Le 21 avril 2017, M. Kamel s’adressait à la Cour supérieure pour obtenir l’autorisation de retirer la demande introductive d’instance du dossier du tribunal ou, subsidiairement, une ordonnance empêchant le public d’y avoir accès. Le CIUSSS ne s’est pas opposé à cette demande. MédiaQMI a cependant signalé son opposition le 24 avril 2017.
[7]                              Le 25 avril 2017, le juge Gagnon entendait, à huis clos, la requête de MédiaQMI. À l’audience, l’avocat du CIUSSS formulait une demande verbale afin de reprendre possession des pièces déposées au dossier du tribunal, en insistant sur le caractère privé du rapport d’expertise juricomptable réalisé par PwC. MédiaQMI s’est opposée à cette demande de retrait des pièces. Le juge Gagnon a pris la cause en délibéré après avoir prolongé l’ordonnance de mise sous scellés jusqu’au prononcé de son jugement. Aucune autre mesure conservatoire n’a été demandée par l’une ou l’autre des parties.
III.         Historique judiciaire
A.           Cour supérieure du Québec, 2017 QCCS 4691 (le juge Gagnon)
[8]                              Le juge Gagnon rend sa décision le 20 juillet 2017. Soulignant que MédiaQMI n’est ni une partie au litige ni une intervenante à proprement parler, il tranche la requête pour mettre fin aux scellés en appliquant le test énoncé dans les arrêts Dagenais c. Société Radio-Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442 (« le test Dagenais/Mentuck »). Considérant la preuve insuffisante pour déroger au principe de la publicité des débats judiciaires, il fait remarquer que le simple désir d’éviter l’embarras à M. Kamel et la publicité négative envers le CIUSSS ne justifient pas le maintien de la confidentialité du dossier. Il ordonne en conséquence la levée des scellés.
[9]                              Quant à la demande verbale de retrait des pièces, le juge Gagnon affirme que les droits des journalistes et des médias ne supplantent pas l’application des règles ordinaires du Code de procédure civile. Il ajoute que l’efficacité de la procédure civile repose, entre autres choses, sur les règlements hors cour et les désistements. Dès que l’instance se termine, écrit-il, les parties ont pleine marge de manœuvre pour retirer toutes les pièces du dossier et les soustraire au regard du public; l’art. 108 C.p.c. leur impose d’ailleurs une obligation en ce sens. Puisqu’un désistement a mis fin à l’instance en l’espèce, le juge Gagnon autorise le CIUSSS à retirer ses pièces du dossier du tribunal. L’avocat du CIUSSS les récupère dès le lendemain du prononcé du jugement, le 21 juillet 2017. Ayant pris connaissance de la déclaration d’appel de MédiaQMI, il transmet aux avocats de cette dernière un courriel rédigé « [s]ous toutes réserves » dans lequel il confirme, « sans admission aucune, conserver une copie des pièces [. . .] jusqu’à ce [que] l’appel soit tranché ou réglé » : d.a., p. 82.
B.            Cour d’appel du Québec, 2019 QCCA 814 (les juges Marcotte et Schrager et le juge Samson (ad hoc))
[10]                          Les trois juges de la Cour d’appel du Québec ont rédigé des motifs distincts pour trancher le pourvoi formé par MédiaQMI à l’encontre de la conclusion relative au retrait des pièces.
[11]                          Citant l’arrêt Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, le juge Samson rappelle que les tribunaux québécois ne peuvent établir des règles positives de procédure civile, à plus forte raison des règles qui iraient à l’encontre du Code de procédure civile. Selon lui, la requête de MédiaQMI était accessoire au litige opposant M. Kamel au CIUSSS. En mettant fin à l’instance, le désistement a entraîné, par la même occasion, la perte de la juridiction sur cette requête accessoire. Les parties étant maîtres de leur dossier, le CIUSSS pouvait retirer ses pièces dès le dépôt du désistement. Le test Dagenais/Mentuck ne s’applique pas, puisque celui-ci suppose un pouvoir discrétionnaire qui n’existe pas en l’espèce. D’une part, il n’y a plus de litige entre les parties; d’autre part, l’art. 108 C.p.c. ne confère aucune discrétion. Le juge Samson est donc d’avis de rejeter l’appel.
[12]                          Le juge Schrager parvient au même résultat, mais pour d’autres motifs. D’après lui, le désistement crée une fiction juridique qui replace les parties dans la situation où elles se trouvaient avant les procédures judiciaires; le désistement sort les pièces du domaine public et les réintroduit dans la sphère privée. C’est l’absence de procédures judiciaires en cours et le caractère privé des documents qui justifie le rejet de la demande formulée par MédiaQMI; ce n’est pas l’art. 108 C.p.c. Le juge Schrager qualifie de purement procédurale cette disposition qu’il dit destinée à réduire les coûts associés aux archives judiciaires; aussi n’y voit-il pas de fondement valable à une décision de refuser l’accès aux pièces. Le test Dagenais/Mentuck ne saurait trouver application en l’absence de procédures judiciaires en cours. Le juge Schrager fait néanmoins observer, en obiter, que ce test pourrait permettre d’accéder à des documents relatifs à un litige révolu dans l’hypothèse restreinte où la requête viserait à examiner le processus judiciaire en tant que tel, mais ce n’est pas le cas en l’espèce : MédiaQMI cherche à obtenir de l’information sur les parties elles-mêmes, et non sur le processus judiciaire qui a mené au désistement.
[13]                          Dans ses motifs dissidents, la juge Marcotte considère, à l’instar de son collègue le juge Schrager, que l’art. 108 C.p.c. énonce une règle à caractère administratif dans le but de désengorger les archives des tribunaux; une telle règle ne saurait permettre de contourner le principe fondamental de la publicité des débats judiciaires. À son avis, le juge de première instance a erré en faisant abstraction du fait que la requête pour mettre fin aux scellés a été déposée avant le désistement du CIUSSS, c’est-à-dire avant la fin de l’instance. Étant donné l’importance du principe de la publicité des débats et le contexte particulier de cette requête, qui se rattache à un litige concernant la gestion de fonds publics, la juge Marcotte conclut que le juge de première instance devait se prononcer sur la question du caractère confidentiel des pièces avant d’autoriser le CIUSSS à les retirer. Elle propose donc de retourner le dossier à la Cour supérieure afin que celle-ci tranche ce débat à la lumière du test Dagenais/Mentuck.
IV.         Prétentions des parties
[14]                          Il importe de souligner d’entrée de jeu que MédiaQMI ne conteste pas la constitutionnalité des art. 11 ou 108 C.p.c. Elle ne conteste pas non plus le désistement du CIUSSS. Devant notre Cour, elle plaide essentiellement que la portée du principe de la publicité des débats doit s’analyser à la lumière de l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et des garanties analogues prévues par la Charte québécoise, de sorte que sa demande d’accès aux pièces devrait être tranchée dans le cadre du test Dagenais/Mentuck. Elle invoque l’historique législatif de l’art. 108 C.p.c. pour soutenir que cette disposition n’a pas pour effet d’écarter l’exercice de ses droits constitutionnels. Elle prétend que le désistement du CIUSSS et le retrait subséquent des pièces litigieuses ne rendent pas obsolète sa demande d’accès aux pièces : le dépôt de sa requête pour mettre fin aux scellés aurait cristallisé ses droits en lui conférant un droit acquis à débattre de sa demande. L’article 11 C.p.c. garantirait un droit d’accès aux pièces qui ne se limite pas, selon elle, à ce qui figure au dossier du tribunal concerné. Dans sa plaidoirie, elle apporte une nuance à l’argument des droits acquis, en affirmant que le principe de la publicité des débats protège le droit de faire trancher des demandes d’accès aux pièces même plusieurs années après la fin d’une instance (transcription, p. 21-22). Appliquant le test Dagenais/Mentuck aux faits de l’espèce, MédiaQMI se dit d’avis que rien ne justifie la confidentialité des pièces litigieuses et demande en conséquence à la Cour de déclarer ces pièces publiques et d’ordonner au CIUSSS de lui en communiquer copie.
[15]                          Selon le CIUSSS, le caractère public du dossier du tribunal ne signifie pas nécessairement que les pièces continueront d’en faire partie. Le droit de consulter les dossiers se limite au contenu de ces dossiers, tel qu’il est au moment de la consultation. Ce contenu est balisé par le principe directeur de la procédure selon lequel les parties sont maîtres de leur dossier et par l’art. 108 C.p.c. Le CIUSSS se dit d’avis que l’art. 108 C.p.c. fait exception au principe de la publicité des débats dans la mesure où il s’agit d’un cas où « la loi [. . .] restreint l’accès [. . .] à certains documents versés à un dossier » (art. 11 al. 2 C.p.c.). Comme l’art. 108 C.p.c. ne confère aucun pouvoir discrétionnaire au juge, il s’ensuit que le test Dagenais/Mentuck ne s’applique pas.
[16]                          Monsieur Kamel prétend que la position prise par MédiaQMI suppose la création d’une nouvelle règle de procédure qui irait à l’encontre des règles prévues au Code de procédure civile. D’après lui, la disposition préliminaire du Code et les principes d’interprétation des lois s’opposent à ce que l’art. 108 C.p.c. soit réduit à une disposition de nature purement administrative; les termes de cet article sont clairs et le législateur se serait exprimé autrement s’il avait voulu limiter la marge de manœuvre des parties quant au retrait de leurs pièces. M. Kamel ajoute que, n’ayant jamais été une partie à l’instance, MédiaQMI ne saurait contester le désistement ni les conséquences que celui-ci a pu avoir sur ses droits à elle. Comme le CIUSSS, il soutient que l’art. 108 C.p.c. règle le sort de la demande d’accès aux pièces et entraîne l’inapplication du test Dagenais/Mentuck.
V.           Questions en litige
[17]                          Le présent pourvoi soulève deux questions :
A.   Jusqu’où s’étend le droit conféré par le Code de procédure civile de prendre connaissance du contenu des dossiers du tribunal?
B.     MédiaQMI est-elle en droit d’avoir accès aux pièces qui se trouvaient au dossier du tribunal au moment où elle a déposé sa requête?
VI.         Analyse
A.           Jusqu’où s’étend le droit conféré par le Code de procédure civile de prendre connaissance du contenu des dossiers du tribunal?
[18]                          L’article 11 C.p.c. énonce le principe de la publicité des débats judiciaires et reconnaît aux membres du public le droit de « prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux ». Cette disposition garantit l’accès aux dossiers des tribunaux et à ce qu’ils contiennent au moment où ils sont consultés, à l’exception des éléments confidentiels. Lorsqu’une pièce en est retirée en vertu de l’art. 108 C.p.c., elle retourne généralement dans la sphère privée. L’article 11 C.p.c. ne confère donc pas un droit spécifique d’accéder aux pièces qui ont un jour fait partie des dossiers des tribunaux. Plusieurs considérations militent en faveur de cette interprétation : le texte, l’objet et l’économie du Code de procédure civile, l’historique législatif, les principes directeurs de la procédure civile et des considérations d’ordre pratique liées au règlement des différends.
[19]                          Dans leurs motifs, mes collègues suggèrent que la solution à laquelle je parviens permettrait aux parties de contourner le principe de la publicité des débats judiciaires qu’ils qualifient d’ordre public. Cette critique est infondée. L’article 11 C.p.c. donne accès à un dossier dont le contenu est en partie régi par l’art. 108 C.p.c. Le fait d’en retirer des pièces dans les circonstances décrites à l’art. 108 C.p.c., alors qu’une demande de consultation du dossier est pendante, ne constitue pas une « atteinte à une règle d’ordre public » (motifs du juge en chef et du juge Kasirer, par. 123); ce n’est que l’exercice d’un droit prévu par le Code de procédure civile. Avec beaucoup d’égards pour l’opinion de mes collègues, il ne suffit pas d’insister sur l’importance du principe de la publicité des débats pour étendre ses ramifications au-delà de ce qu’autorise la loi. Aussi fondamental soit-il, ce principe demeure circonscrit par les limites prévues au Code de procédure civile. En l’occurrence, il ne confère pas aux membres du public le droit de prendre connaissance des pièces qui ont été retirées du dossier du tribunal conformément à l’art. 108 C.p.c.
[20]                          Dans le contexte de la procédure civile québécoise, il est donc impossible, à mon avis, de donner au principe de la publicité des débats la portée interprétative que lui donnent MédiaQMI et mes collègues sans, du même coup, réécrire plusieurs règles explicitement prévues au Code de procédure civile. Or, comme l’écrivait le juge Fauteux (autrefois juge en chef de notre Cour), « [l]a Constitution n’envisage qu’un seul système pour faire les lois et non deux systèmes susceptibles de fonctionner simultanément, de façon divergente » : Le livre du magistrat (1980), p. 125. Quelle que soit la protection que les chartes accordent au principe de la publicité des débats, le législateur demeure libre d’en fixer la portée dans les règles qu’il édicte. Il n’appartient pas aux tribunaux de faire cet exercice à sa place, de telle sorte qu’en l’absence de contestation constitutionnelle, ce sont les règles clairement énoncées au Code de procédure civile qui s’appliquent.
(1)         L’interprétation du Code de procédure civile
[21]                          Dans l’arrêt Lac d’Amiante, la Cour rappelle qu’au Québec, « [l]e droit fondamental en matière de procédure civile demeure celui qu’édicte l’Assemblée nationale [. . .] dans un code rédigé en termes généraux » : par. 35. En contexte civiliste, la création des règles de droit demeure la prérogative du législateur : ibid. Les tribunaux ne remplissent à cet égard « qu’une fonction subsidiaire ou interstitielle » par le biais de l’adoption de règles de pratique ou l’exercice des pouvoirs inhérents ou accessoires prévus aux art. 25 et 49 C.p.c. : par. 36-38.
[22]                          Pareille délimitation du rôle du juge reflète une conception proprement civiliste de la séparation des fonctions judiciaire et législative : Lac d’Amiante, par. 37‑39; L. LeBel, « La méthode d’interprétation moderne : le juge devant lui-même et en lui-même », dans S. Beaulac et M. Devinat, dir., Interpretatio non cessat — Mélanges en l’honneur de Pierre-André Côté (2011), 103, p. 112; Fauteux, p. 123-126. Cette conception remonte au moins à Montesquieu, qui définissait le juge comme « la bouche qui prononce les paroles de la Loi » : De l’Esprit des Lois (1748), t. 1, p. 256. Formule éloquente, encore que trop rigide; on serait plutôt enclin aujourd’hui à le concevoir comme celui qui vivifie la lettre morte de la loi : P. B. Mignault, « Le Code Civil de la Province de Québec et son Interprétation » (1935), 1 U.T.L.J. 104, p. 111. Hormis les situations exceptionnelles où le juge civiliste est appelé à dire le droit qui surgit des interstices du Code, son activité créatrice consiste à « découvrir les potentialités du texte [de loi] » et à « parach[ever] ainsi l’œuvre législative » : L. LeBel, « La loi et le droit : la nature de la fonction créatrice du juge dans le système de droit québécois » (2015), 56 C. de D. 87, p. 92-93 ; Cie Immobilière Viger Ltée c. Giguère Inc., 1976 CanLII 4 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 67, p. 75-77. Ce faisant, il doit se garder de deux écueils en sens contraire : « combat[tre] la lettre par l’esprit, et l’esprit par la lettre » (H. F. d’Aguesseau, Discours de M. le chancelier d’Aguesseau (nouv. éd. 1822), t. 1, p. 287, cité dans G. Fauteux, p. 14).
[23]                          Le législateur québécois a réitéré ces principes relatifs au rôle du juge dans une disposition préliminaire dont la valeur normative est désormais acquise : Lac d’Amiante, par. 40; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 30; L. Chamberland, dir., Le grand collectif : Code de procédure civile — Commentaires et annotations, vol. 1, Articles 1 à 390 (5e éd. 2020), p. 1‑5. À son troisième alinéa, cette disposition énonce le cadre à l’intérieur duquel le Code de procédure civile doit s’interpréter :
Enfin, le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il énonce s’interprètent à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet.
[24]                          Elle précise en outre que le Code de procédure civile « régit » la procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire « en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne ». Dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789, notre Cour a commenté une disposition similaire du Code civil du Québec en affirmant que « [l]’interprétation de la législation doit s’inspirer [des] principes » énoncés dans cette Charte : par. 20. Mais il y a une différence — et elle est de taille — entre une interprétation qui s’inspire de certains principes et une interprétation qui déroge, au nom de ces principes, à l’intention du législateur clairement exprimée dans le libellé d’une règle de droit.
[25]                          Les chartes sont des instruments de protection des droits et libertés; ce ne sont pas de grands lits de Procuste conçus pour étirer les lois jusqu’à la taille désirée. Elles préservent au contraire l’autonomie du législateur grâce à des dispositions justificatives telles que l’art. 1 de la Charte canadienne : T. A. Cromwell, S. Anstis et T. Touchie, « Revisiting the Role of Presumptions of Legislative Intent in Statutory Interpretation » (2017), 95 R. du B. can. 297, p. 322. Au Québec, le législateur a été très clair à cet égard en adoptant les art. 9.1 et 51 de la Charte québécoise :
9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
 
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.
 
51. La Charte ne doit pas être interprétée de manière à augmenter, restreindre ou modifier la portée d’une disposition de la loi, sauf dans la mesure prévue par l’article 52.
[26]                          Il importe par ailleurs de rappeler que, dans Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, notre Cour a rejeté la théorie selon laquelle les tribunaux devraient interpréter les lois de manière à les rendre conformes aux principes ou aux valeurs de la Charte canadienne, sauf pour trancher une ambiguïté qui persisterait à la suite de l’application de la méthode d’interprétation contextuelle :
. . . appliquer une présomption générale de conformité à la Charte pourrait parfois contrecarrer le respect de l’intention véritable du législateur, contrairement à ce que prescrit la démarche privilégiée en matière d’interprétation législative . . .
 
. . .
 
Pour rappeler ce qui a été dit dans les arrêts Symes et Willick, précités, si les tribunaux devaient interpréter toutes les lois de manière à faire en sorte qu’elles soient conformes à la Charte, cela perturberait à tort l’équilibre dialogique. Chaque fois que ce principe serait appliqué, il préviendrait tout contrôle judiciaire fondé sur des motifs prévus par la Charte, recours qui permet de profiter des mécanismes internes de pondération que comporte l’article premier. Ainsi, les législateurs seraient en grande partie dépouillés du pouvoir que leur reconnaît la Constitution d’apporter, par voie législative, des restrictions raisonnables aux droits et libertés garantis par la Charte, lesquels possèderaient dès lors un caractère quasi absolu. En fait, le législateur qui ne voudrait pas se retrouver dans une telle situation devrait, d’une manière ou d’une autre, justifier expressément dans le texte législatif la limitation du droit garanti par la Charte, sans bénéficier des avantages d’un débat devant les tribunaux relativement aux restrictions qui sont acceptables dans une société libre et démocratique. Avant longtemps, les tribunaux seraient appelés à interpréter ce genre de texte de loi à la lumière des principes consacrés par la Charte. Le caractère manifestement impraticable d’une telle façon de faire met en évidence l’importance de maintenir le dialogue entre les pouvoirs composant l’État. Par conséquent, lorsqu’une loi n’est pas ambiguë, les tribunaux doivent donner effet à l’intention clairement exprimée par le législateur et éviter d’utiliser la Charte pour arriver à un résultat différent. [Soulignement omis; par. 64 et 66.]
 
(Voir aussi Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48, [2006] 2 R.C.S. 513, par. 29; R. c. Clarke, 2014 CSC 28, [2014] 1 R.C.S. 612, par. 12-15.)
[27]                          Cette approche s’accorde avec les dispositions interprétatives enchâssées dans la Charte québécoise, dont l’art. 53 :
53. Si un doute surgit dans l’interprétation d’une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte.
Assurément donc, la Charte québécoise peut servir à interpréter le Code de procédure civile quand les circonstances s’y prêtent. Mais cette possibilité n’est pas une invitation à négliger le texte de la loi et l’intention qui s’y trouve exprimée.
(2)         Le principe de la publicité des débats judiciaires dans la procédure civile québécoise
[28]                          Le Québec a connu quatre codes de procédure civile : ceux de 1867, 1897, 1965 et de 2016. La codification du principe de la publicité des débats judiciaires remonte au Code de procédure civile, S.Q. 1897, c. 48. La publicité ne concernait alors que les « audiences d’un tribunal » et les « séances d’un juge », sous réserve de cas exceptionnels où le secret s’imposait : art. 16. Les codificateurs de 1897 s’étaient inspirés de dispositions similaires contenues aux codes de procédure civile français et genevois : O. P. Dorais et A. P. Dorais, Code de procédure civile de la province de Québec, comprenant les observations spéciales des commissaires chargés de la révision et modification du Code de procédure civile du Bas-Canada (1897), p. 97. Fait à signaler, ces dispositions insistaient surtout sur le caractère public des plaidoiries : Code de procédure civile (France), 1806, art. 87; Loi sur la procédure civile du canton de Genève, 1837, art. 84. Comme son prédécesseur, le Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25, adopté en 1965 (« ancien Code de procédure civile » ou « a.C.p.c. »), énonçait le caractère public des « audiences des tribunaux » : art. 13. L’article 23 de la Charte québécoise, adopté en 1975, allait dans le même sens, bien qu’il étendît le champ d’application du principe au-delà des tribunaux de l’ordre judiciaire.
[29]                          À l’origine, l’extension du principe de la publicité aux dossiers des tribunaux provient non pas de la loi, mais des règles de pratique adoptées en vertu du pouvoir conféré aux tribunaux par l’art. 47 de l’ancien Code de procédure civile. En effet, la Cour supérieure du Québec avait adopté des règles autorisant le public à accéder à ses dossiers et à ses registres pendant les heures ouvrables, sous réserve d’exceptions concernant les documents de nature confidentielle : Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec en matières civiles, R.R.Q. 1981, c. C-25, r. 8, règles 2 et 3. La Cour du Québec s’était dotée de règles de pratique au même effet : Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C-25, r. 4, art. 3, 4, 18 et 19. Il était clair, à l’époque, que ce droit d’accès visait les dossiers physiques du tribunal où les parties versaient leurs pièces et d’où elles les retiraient une fois l’instance terminée.
[30]                          Dans son rapport paru en 2001, le Comité de révision de la procédure civile prend note de l’évolution du principe de la publicité amorcée par les règles de pratique des tribunaux :
L’importance du principe de la publicité dans l’administration de la justice, tant pour les parties que pour les citoyens, justifie qu’il demeure codifié et que son application soit aménagée, notamment pour préciser les critères permettant de le limiter ou de l’écarter. Il y a également lieu que toutes les règles sur le sujet soient harmonisées, y compris celles adoptées par divers tribunaux sur l’accessibilité à leurs dossiers, leur conservation et leur consultation, notamment l’article 3 des Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec en matière civile. Ces questions fondamentales dans l’administration de la justice devraient être réglées par le code. À cet égard, il y a lieu ici de s’inspirer des règles de pratique en vigueur en les actualisant pour tenir compte des technologies de l’information ou en les complétant pour assurer une meilleure protection de l’information.
 
Dans un autre ordre d’idées, la rédaction actuelle de l’article 13 du Code concernant la publicité des débats est imprécise dans la mesure où, selon une jurisprudence majoritaire, le terme « audiences » ne viserait que l’instruction. Or, le caractère public de la justice couvre l’ensemble de l’instance et du dossier. [Je souligne.]
 
(Une nouvelle culture judiciaire (2001), p. 42-43)
Le Comité recommande en conséquence « [d]’affirmer que la justice civile est publique, tant en ce qui concerne l’instance que le dossier » : p. 43.
[31]                          En 2016, un nouveau Code de procédure civile entre en vigueur. Celui-ci prévoit, à ses art. 11 à 16, le régime général de la publicité de la justice civile. L’article 11 incorpore la recommandation du Comité et décline le principe de la publicité en deux volets prenant la forme de deux droits distincts. En effet, il confère aux membres du public le droit d’« assister aux audiences des tribunaux où qu’elles se tiennent » et le droit de « prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux ». Le législateur emboîte donc le pas aux tribunaux en intégrant à l’art. 11 C.p.c. un droit d’accès aux dossiers semblable à celui prévu par les règles de pratique, mais il ne va pas jusqu’à créer un droit d’accès spécifique aux pièces déposées au cours d’une instance.
[32]                          Le Code de procédure civile indique par ailleurs que la loi peut « restrein[dre] l’accès aux dossiers ou à certains documents versés à un dossier » : art. 11 al. 2 C.p.c. Ainsi, l’art. 12 C.p.c. dispose que le tribunal peut faire exception au principe de la publicité si « l’ordre public [. . .] exige [. . .] que soit interdit ou restreint l’accès à un document ». De même, des exceptions au principe s’appliquent à des dossiers relevant de matières sensibles ou à certains documents déposés sous pli cacheté : art. 16 C.p.c.
[33]                          Cette dernière précision, relative à la forme sous laquelle les documents doivent être déposés, trouve écho à l’art. 108 al. 1 C.p.c., qui demande aux parties de produire les pièces et autres documents contenant des renseignements personnels et confidentiels sous une forme propre à assurer la confidentialité de l’information. La référence explicite au régime général de la publicité de la justice civile énoncé aux art. 11 à 16 C.p.c. ressort clairement à la lecture du texte de l’art. 108 C.p.c. Les travaux parlementaires et les commentaires de la ministre de la Justice le confirment : Assemblée nationale du Québec, Commission permanente des institutions, « Étude détaillée du projet de loi no 28 — Loi instituant le nouveau Code de procédure civile », Journal des débats, vol. 43, no 79, 1re sess., 40e lég., 29 octobre 2013, p. 73-77; Ministère de la Justice, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C‑25.01 (2015), p. 106‑108.
[34]                          Cette référence au régime général ressort tout autant du vocabulaire employé à l’art. 108 que de la lecture holistique du Code de procédure civile préconisée par le troisième alinéa de sa disposition préliminaire et par l’art. 41.1 de la Loi d’interprétation, RLRQ, c. I‑16. Le terme « dossier » est utilisé à plusieurs reprises et désigne généralement le dossier du tribunal, sauf dans les cas où il est employé par métonymie pour désigner l’instance judiciaire relative à ce dossier : voir, par exemple, l’art. 19 C.p.c. (les parties ont la maîtrise de leur dossier) ou encore l’art. 205 C.p.c. (le juge qui accueille une demande de récusation doit se retirer du dossier). L’article 108 al. 2 C.p.c. réfère à des « document[s] [. . .] produit[s] au dossier ». Or, dans ce cas précis, le dossier en question ne peut être que le dossier du tribunal évoqué à l’art. 107 C.p.c. et dont le régime général est prévu aux art. 11 à 16 C.p.c.
[35]                          Ainsi, il paraît indiscutable que l’art. 108 C.p.c. concerne le contenu des dossiers dont il est question aux art. 11 à 16 C.p.c., à savoir ceux dont le tribunal a la surveillance et le contrôle. Comme je l’expliquerai, l’art. 108 C.p.c. régit le maintien, le retrait et la conservation des pièces produites au dossier auquel l’art. 11 C.p.c. donne accès.
(3)         Les règles énoncées à l’art. 108 C.p.c.
[36]                          Les juges Schrager et Marcotte de la Cour d’appel acceptent l’argument de MédiaQMI qui restreint considérablement la portée de l’art. 108 C.p.c. en invoquant certains passages des débats parlementaires, dont des déclarations spontanées faites en réponse à des questions en commission plénière et des déclarations de députés de l’opposition. Dans ses motifs dissidents, la juge Marcotte écrit :
. . . la portée de l’article 108 C.p.c. doit être ramenée dans son contexte, à savoir que cet article reprend la règle préalablement énoncée à l’article 331.9 de l’ancien Code de procédure civile, qui avait été édictée dans le but de réduire les coûts du système judiciaire et d’alléger les archives. Il s’agit certes d’un objectif louable, mais il ne saurait pour autant justifier de contourner le principe fondamental du caractère public du débat judiciaire. [par. 54]
 
(Voir aussi les motifs du juge Schrager, par. 42.)
[37]                          Avec égards, quelques nuances s’imposent. Aucune règle d’interprétation législative ne justifie d’émasculer une règle de droit énoncée en termes clairs sur la base de déclarations faites dans le cadre de débats parlementaires. Autrement, on accorderait plus de poids à des déclarations individuelles faites de manière spontanée qu’au texte adopté par le législateur dont on doit présumer que chaque mot a été choisi avec soin. Notre Cour a maintes fois répété que « l’interprétation des lois consiste à dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de cette loi » : Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, par. 21; voir aussi Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21. Les débats parlementaires peuvent certes nous renseigner à cet égard, mais ils ne doivent pas faire oublier les réserves avec lesquelles ce type de preuve extrinsèque a été admise dans la jurisprudence de notre Cour : Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, 1997 CanLII 352 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 299, par. 20; Rizzo Shoes, par. 35; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135, par. 47.
[38]                          Les informations fournies par les débats parlementaires révèlent surtout leur utilité lorsqu’elles « confirm[ent] la justesse de l’interprétation donnée » : Construction Gilles Paquette, par. 20; voir aussi Canada 3000 Inc. (Re), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865, par. 57, et P.-A. Côté, en collaboration avec S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 506-507. Il en va en effet de la prévisibilité du droit. Comme l’écrit un auteur, « il ne faudrait pas que le recours aux travaux préparatoires serve à justifier de ne pas appliquer une règle claire, trompant ainsi la confiance que le lecteur doit pouvoir mettre dans le libellé du texte interprété à la lumière de son juste contexte » : Côté, p. 507. Avec égards, l’approche préconisée par MédiaQMI, et retenue par les juges Schrager et Marcotte, prend l’exact contre‑pied de cette recommandation.
[39]                          Dans ces circonstances, il me paraît opportun de souligner que les tribunaux n’ont pas à interpréter — et encore moins à appliquer — l’objectif sous-jacent à une disposition ou à un régime législatif; ce qu’ils doivent interpréter, c’est le texte au moyen duquel le législateur entend atteindre cet objectif. Celui-ci peut se définir à différents niveaux d’abstraction : il faut donc se garder de le définir de façon trop générale en se rappelant que l’exercice d’interprétation recherche une harmonie entre le texte de la loi et l’objectif visé, et non l’atteinte de cet objectif « à n’importe quel prix » : Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271, par. 174 (le juge Cromwell). De plus, cet exercice fait parfois intervenir simultanément plusieurs objectifs qui doivent tous être pris en compte : TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 82-83; R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, par. 29-30. À mon avis, c’est le cas de l’art. 108 C.p.c. Je m’explique.
[40]                          Il est inexact d’affirmer que l’art. 108 C.p.c. ne fait que « reprend[re] la règle préalablement énoncée à l’article 331.9 de l’ancien Code de procédure civile » : motifs de la C.A., par. 54. Il fait bien plus que cela. Les premier et troisième alinéas de l’art. 108 C.p.c. sont de droit nouveau : Commentaires de la ministre de la Justice, p. 107. Le deuxième alinéa, lui, reprend non pas une mais deux règles complémentaires : celles des art. 83 et 331.9 a.C.p.c.
[41]                          Suivant l’art. 83 a.C.p.c., les pièces devaient rester au dossier jusqu’à la fin de l’instance, mais il était possible de les retirer « avec le consentement de la partie adverse ou l’autorisation du greffier ». Le retrait avec autorisation du greffier n’a pas fait son chemin dans le nouveau Code de procédure civile. Quant au retrait consensuel, le consentement de toutes les parties est désormais exigé. Pour le reste, la règle n’a pas changé : les pièces doivent demeurer au dossier jusqu’à la fin de l’instance. A contrario, une fois l’instance terminée, il n’est plus nécessaire que les pièces demeurent au dossier. L’article 331.9 a.C.p.c., lui, énonçait une deuxième règle : il obligeait les parties à reprendre possession de leurs pièces dans un délai d’un an après la fin de l’instance, faute de quoi ces pièces seraient détruites. Cette deuxième règle se retrouve presque telle quelle à l’art. 108 C.p.c.
[42]                          L’article 331.9 a.C.p.c. a été édicté en 1994 dans le cadre du projet de loi 24, Loi modifiant le Code de procédure civile, 3e sess., 34e lég. Ce projet de loi, qui touchait aussi l’art. 83 a.C.p.c., a réformé le régime général de la communication et de la production des pièces et introduit des mécanismes de retrait et de destruction des pièces. D’un côté, il encourageait les parties à s’échanger les informations en lien avec leurs preuves respectives et à se communiquer directement leurs pièces sans passer par la production au dossier du tribunal. D’un autre côté, il envisageait désormais la production et la conservation des pièces sous l’angle de l’utilité et de la nécessité. Aussi retardait-il le dépôt des pièces jusqu’au moment le plus rapproché du début du procès où le tribunal en aurait besoin, de même qu’il prévoyait l’allègement des dossiers lorsque la conservation des pièces n’avait plus d’utilité pour l’instance : art. 331.7 et 331.9 a.C.p.c.; voir aussi Assemblée nationale du Québec, « Adoption du principe — Projet de loi 24 — Loi modifiant le Code de procédure civile », Journal des débats, vol. 33, no 30, 3e sess., 34e lég., 1er juin 1994.
[43]                          Ce régime, dont les art. 83 et 331.9 a.C.p.c. sont deux composantes importantes, a été repris en substance dans le nouveau Code de procédure civile. Il a eu pour effet de retirer au greffe et au dossier du tribunal leur rôle d’intermédiaire entre les parties pour l’acheminement de leurs pièces respectives. Ce faisant, il responsabilisait les parties et leurs avocats quant au déroulement de l’instance et à la tenue d’un débat loyal : Comité de révision de la procédure civile, p. 138; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 26. Il mettait ainsi en œuvre deux principes qui ont été par la suite érigés au rang de principes directeurs de la procédure civile : la maîtrise des parties à l’égard de leur dossier (art. 19 C.p.c.) et le devoir de coopération et d’information (art. 20 C.p.c.).
[44]                          Il n’y a pas lieu de restreindre la portée des art. 83 et 331.9 a.C.p.c. au motif que l’objectif sous‑jacent du législateur aurait été de réduire les coûts associés au système judiciaire. Un objectif défini à un tel degré de généralité s’avère d’ailleurs d’une utilité assez limitée pour les besoins de l’interprétation législative : on pourrait dire d’une très grande partie de la procédure civile qu’elle vise à réduire les coûts du système judiciaire. Bien que des considérations économiques liées à l’archivage judiciaire aient pu motiver l’adoption de l’art. 331.9 a.C.p.c., il n’en demeure pas moins que le législateur a enchâssé cette disposition dans un régime général destiné à accroître la responsabilité des parties et à diminuer celle du tribunal dans la communication, la production et la conservation des pièces.
[45]                          Héritier du régime instauré par le projet de loi 24 de 1994, l’art. 108 C.p.c. n’a rien d’une mesure [traduction] « purement procédurale (voire mécanique) » susceptible d’être écartée par le principe de publicité : motifs de la C.A., par. 42 (le juge Schrager). Bien au contraire, il refond et unifie les règles liées au maintien, au retrait et à la conservation des pièces produites au dossier du tribunal auquel l’art. 11 C.p.c. donne accès. Il porte aussi, encore que de façon accessoire, sur la production des pièces, bien que la majeure partie des règles y afférentes aient été regroupées aux art. 246 à 252 C.p.c. Dans la mesure où il régit le contenu des dossiers du tribunal, l’art. 108 C.p.c. entraîne des conséquences immédiates sur les informations dont le public peut prendre connaissance en vertu de l’art. 11 C.p.c.
[46]                          Je note, au passage, que le Comité de révision de la procédure civile recommandait la mise en place d’un système informatique d’archivage des dossiers et des documents de la cour : p. 107. Eût-elle été implantée, cette recommandation aurait peut-être permis au public de prendre connaissance de documents qui ont été retirés des dossiers du tribunal en application de l’art. 108 C.p.c. Elle n’a cependant jamais connu de suite. Ce serait usurper le domaine du législateur que d’implanter cette recommandation de façon indirecte, en ordonnant à une partie à une instance révolue de communiquer une copie des pièces dont elle a repris possession à un membre du public désireux de les consulter.
(4)         La portée respective des art. 11 et 108 C.p.c.
[47]                          Les pièces produites au dossier du tribunal sont intrinsèquement liées à la preuve que les parties entendent présenter au soutien de leurs allégations : H. Reid, avec S. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (5e éd. 2015), p. 474, « pièce »; S. Guillemard et S. Menétrey, Comprendre la procédure civile québécoise (2e éd. 2017), p. XVIII, « pièce », et 234. Maîtres de leur dossier, maîtres de leur preuve, les parties sont aussi et nécessairement maîtres de leurs pièces : art. 19 C.p.c.; Pétrolière Impériale, par. 25. Aussi peuvent-elles en reprendre possession à tout moment de l’instance, sous réserve du consentement des autres parties; le Code de procédure civile n’assujettit cette faculté à aucune autorisation préalable du tribunal. L’article 108 C.p.c. reconnaît donc implicitement que les pièces, même après leur production au dossier du tribunal, demeurent la propriété des parties. En effet, si le dépôt des pièces opérait un transfert de propriété en faveur du tribunal, le Code ne permettrait pas aux parties de les retirer à tout moment, et il ne leur imposerait certainement pas l’obligation de les récupérer une fois l’instance terminée. Dans l’intervalle où il a possession des pièces, le tribunal n’agit qu’à titre de « dépositaire » : Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire), 1991 CanLII 90 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 671, p. 681-682. C’est pourquoi il ne conserve pas indéfiniment les pièces contenues dans ses dossiers.
[48]                          L’article 11 C.p.c. reconnaît au public le droit de prendre connaissance des dossiers des tribunaux avec les documents et les pièces qu’ils contiennent au moment où ils sont consultés, sous réserve des exceptions relatives aux éléments confidentiels. Il ne donne « accès aux pièces » que dans la mesure où celles-ci se trouvent au dossier. Si à la fin d’une instance les parties tardent à récupérer leurs pièces, celles-ci demeureront accessibles au public jusqu’à ce qu’elles soient retirées du dossier ou détruites par le greffier. Mais une fois que les pièces ont été retirées ou détruites, le public n’y a plus accès.
[49]                          La conclusion à laquelle j’arrive s’accorde avec l’intention du législateur exprimée dans le texte des art. 11 et 108 C.p.c., avec les objectifs législatifs sous-jacents à ces dispositions, avec l’économie générale du Code de procédure civile et avec les principes d’interprétation civilistes. Elle évite par ailleurs de donner au principe de la publicité de la justice civile énoncé à l’art. 11 C.p.c. une étendue susceptible de le dénaturer, de même qu’elle évite de compromettre d’autres objectifs importants visés par le Code de procédure civile comme la prévention et le règlement des différends : disposition préliminaire, al. 2, art. 1, 9 al. 2 et 19 al. 3 C.p.c.
[50]                          En matière civile, les parties saisissent généralement les tribunaux parce qu’elles ont besoin de « l’intervention de la contrainte sociale » pour faire sanctionner leurs droits et résoudre leur conflit : H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé (La théorie des éléments générateurs des droits subjectifs) (1948), p. 35 (italique omis). Mais le Code de procédure civile n’enchaîne pas les parties aux procédures qu’elles ont initiées; il leur rappelle, au contraire, qu’elles peuvent à tout moment régler leur litige à l’amiable et ainsi mettre fin à l’instance : art. 19 al. 3 C.p.c. Il subordonne ainsi la résolution judiciaire des différends au rétablissement de la paix sociale : disposition préliminaire, al. 2; S. Guillemard, « Réflexions autour des sept premiers articles du Code de procédure civile », dans S. Guillemard, dir., Le Code de procédure civile : quelles nouveautés? (2016), 123, p. 128-129.
[51]                          Plusieurs considérations peuvent entraîner le règlement d’un différend dont un tribunal a été saisi. La recherche de confidentialité en est une : motifs de première instance, par. 119. Comme l’a déjà souligné ma collègue la juge Abella, un climat de confidentialité « favorise la conclusion de règlements » : Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623, par. 12. L’article 4 C.p.c. le reconnaît lui aussi. L’objectif de favoriser le règlement des différends serait assurément compromis si les parties désireuses de s’entendre après avoir saisi les tribunaux ne pouvaient rapatrier dans la sphère privée les documents qu’elles y ont produits. Lorsqu’elles ont décidé de mettre fin à une instance, elles doivent être libres de reprendre possession de leurs pièces, d’autant que le Code de procédure civile leur en fait l’obligation.
[52]                          Les pièces produites au dossier du tribunal peuvent révéler différents aspects de la vie privée des parties; elles n’en demeurent pas moins accessibles au public. En effet, la publicité de la justice civile exige de ceux qui s’adressent aux tribunaux une renonciation partielle à la protection de leur vie privée : Lac d’Amiante, par. 42. Mais cette renonciation est temporaire. En plaidant que toute demande d’accès à des pièces retirées d’un dossier devrait être tranchée dans le cadre du test Dagenais/Mentuck, même lorsque les pièces en question ont été retirées depuis plusieurs années, MédiaQMI tend plutôt à lui donner un caractère permanent[2]. Elle imposerait un fardeau aussi lourd qu’injustifié à ceux qui ont été parties à un litige désormais terminé, et qui souhaiteraient préserver la confidentialité des pièces dont ils ont repris possession. Si d’aventure un journaliste ou un membre du public formulait une demande d’accès à ces pièces, il leur incomberait en effet de démontrer que la confidentialité est « nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque », et — car les deux volets du test sont cumulatifs — que les effets bénéfiques de la confidentialité surpassent ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression et l’intérêt du public dans la publicité des débats : Mentuck, par. 32; voir aussi Dagenais, p. 878.
[53]                          Cette position est incompatible avec l’intention législative qui se dégage de l’art. 11 C.p.c., avec l’économie générale du Code de procédure civile et avec l’objectif de favoriser le règlement des différends. Elle me paraît aussi impraticable au regard de la situation envisagée par l’art. 108 al. 2 C.p.c. où le greffier peut détruire les pièces qui ne sont pas récupérées après un an. Le principe de la publicité aurait alors une portée variable, selon que les pièces ont été détruites ou non. 
[54]                          À mon avis, la position avancée par MédiaQMI doit être rejetée. Le droit de prendre connaissance des dossiers judiciaires énoncé à l’art. 11 C.p.c. n’a pas pour vocation de pérenniser l’accès à des pièces qui ont à un certain moment transité par le dossier d’un tribunal. La transparence, telle que le conçoit le Code de procédure civile, n’est pas relative aux parties et aux pièces privées au moyen desquelles elles entendent faire la preuve de leurs prétentions. C’est d’abord et avant tout une garantie du « respect des formes, de l’impartialité des juges et de la conduite régulière des débats » : R. Perrot, Institutions judiciaires (1978), p. 366, cité dans N. Fricero, « Audience et débats », dans JurisClasseur France — Procédure civile, par P. Carillon et R. Perrot, dir., 2020, fasc. 800‑50, no 17 (disponible sur Lexis/Nexis). À cet égard, elle est intimement liée à la responsabilité judiciaire : Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, 1982 CanLII 14 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 175, p. 183-184.
[55]                          Certes, avec l’avènement de la Charte canadienne, la jurisprudence a donné à la publicité des débats une nouvelle dimension liée à l’accès du public à l’information détenue par les tribunaux, par le biais de la liberté d’expression et de la liberté de la presse : Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 480, par. 18-26; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522, par. 36 et 52; S. Menétrey, « L’évolution des fondements de la publicité des procédures judiciaires internes et son impact sur certaines procédures arbitrales internationales » (2008), 40 R.D. Ottawa 117, p. 130-139. Mais quelle que soit son étendue, le principe de la publicité des débats judiciaires a des limites. Notre Cour a reconnu, par exemple, le caractère confidentiel des interrogatoires préalables à l’instruction (Lac d’Amiante, par. 75-77), ainsi que la constitutionnalité des limites à la prise d’images dans les palais de justice et à l’usage des enregistrements sonores des débats judiciaires : Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19. De même, le secret des délibérations judiciaires est acquis : Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Provincial Court Judges’ Association of British Columbia, 2020 CSC 20, par. 66; Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), 1992 CanLII 1135 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 952, p. 966. Comme l’écrivent trois auteurs :
Il est juste de reconnaître que le principe de la publicité ne s’impose pas de façon évidente à toutes les phases du procès. Lorsque, par exemple, les parties rédigent leur demande ou encore lorsque les juges délibèrent, on ne voit pas la garantie que pourrait offrir une large publicité. On en arrive même à penser qu’à certains moments du procès, le secret est de loin préférable si l’on veut que la justice y gagne en sérénité. Sur ce point, tout le monde est bien d’accord pour admettre que, dans ses différentes phases, la justice peut s’accommoder d’une certaine absence de publicité et comporter même une part de secret.
 
(R. Perrot, B. Beignier et L. Miniato, Institutions judiciaires (18e éd. 2020), p. 442)
[56]                          Pour résumer, l’art. 11 C.p.c. confère au public le droit de prendre connaissance des dossiers du tribunal, sous réserve des exceptions relatives à la confidentialité. Ce droit s’applique pendant et après l’instance. Il permet de consulter les pièces produites au dossier, mais seulement dans la mesure où elles s’y trouvent au moment de la consultation. Le contenu auquel il donne accès est régi en partie par l’art. 108 C.p.c. Cette disposition autorise les parties à retirer leurs pièces de façon consensuelle en cours d’instance et les oblige à les récupérer une fois l’instance terminée. Même après la fin de celle‑ci, les pièces peuvent être consultées tant qu’elles restent au dossier. Mais dès que les parties les reprennent ou que le greffier les détruit, elles cessent de faire partie du dossier dont le public peut prendre connaissance.
[57]                          Les art. 11 et 108 C.p.c. ne font intervenir aucune discrétion judiciaire. C’est pourquoi il n’y a pas lieu d’appliquer le test Dagenais/Mentuck pour trancher une demande fondée sur l’art. 11 C.p.c. Ce test a été élaboré dans un contexte fort différent de celui dont il est question ici, où le législateur a encadré le principe de la publicité dans un régime complet. L’arrêt Dagenais établit que le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance limitant la publicité des débats doit être exercé dans les limites prescrites par la Charte canadienne : p. 875. Pour déterminer le juste équilibre entre les droits constitutionnels opposés que met en jeu ce type d’ordonnance — il s’agissait en l’occurrence des al. 2b) et 11d) de la Charte canadienne —, il propose un test en deux volets conçu pour refléter l’essence du test de l’arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103 : Dagenais, p. 878. La jurisprudence subséquente a développé ce test sans pour autant changer le contexte dans lequel celui-ci trouve application, à savoir lorsqu’un pouvoir discrétionnaire doit être exercé et que le tribunal doit rechercher un juste équilibre entre des droits et des intérêts qui militent dans des directions opposées : Mentuck; Sierra Club; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592. En l’absence d’un tel pouvoir discrétionnaire, le test ne s’applique tout simplement pas : Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253, par. 35-36; Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, [2011] 1 R.C.S. 65, par. 13. En effet, si la loi fixe la portée d’application du principe de publicité sans attribuer de discrétion au juge, la recherche d’un juste équilibre entre des droits et intérêts opposés qui respecterait les limites prescrites par la Charte canadienne n’a aucune raison d’être. La constitutionnalité des art. 11 et 108 C.p.c. n’ayant pas été remise en question, il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur le sujet.
[58]                          Cela dit, j’ajoute que la préoccupation exprimée par le juge Schrager me paraît tout à fait légitime : motifs de la C.A., par. 43-44. Je suis d’avis que si une requête, appuyée par une preuve convaincante, mettait directement en cause l’intégrité même du processus judiciaire dans un contexte où des pièces ont été retirées d’un dossier, une conclusion différente pourrait s’imposer à l’égard de l’application du test Dagenais/Mentuck. Mais une telle requête ne saurait s’appuyer uniquement sur l’art. 11 C.p.c.; elle devrait se fonder sur des dispositions attributives de discrétion comme celles relatives aux pouvoirs inhérents du tribunal : art. 25 et 49 C.p.c.; Lac d’Amiante, par. 37. Comme cette question ne se soulève pas en l’espèce, je m’abstiendrai cependant d’y apporter une réponse définitive. Qu’il suffise de rappeler que la procédure civile est « souple » : Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, par. 63. Elle n’est pas donc sans ressources face à des situations qui heurtent les principes fondamentaux de notre système de justice.
[59]                          Ayant défini la portée respective des art. 11 et 108 C.p.c., il convient à présent d’appliquer ces dispositions aux faits de l’espèce.
B.            MédiaQMI est-elle en droit d’avoir accès aux pièces qui se trouvaient au dossier du tribunal au moment où elle a déposé sa requête?
[60]                          MédiaQMI a déposé sa « Requête pour mettre fin aux scellés » le 29 mars 2017. À cette époque, elle ignorait le contenu du dossier relatif au litige entre M. Kamel et le CIUSSS; elle ignorait aussi l’existence des pièces dont elle veut aujourd’hui obtenir copie en raison, précisément, des scellés dont elle demandait la levée. Sa requête n’a été entendue que le 25 avril 2017. Entre-temps, le CIUSSS s’est désisté et a tenté de reprendre possession de ses pièces. La seule raison pour laquelle il n’a pas été en mesure de le faire, c’est que le personnel du greffe n’a pas réussi à retrouver le dossier.
[61]                          Ce concours de circonstances a amené le CIUSSS à présenter à l’audience du 25 avril 2017 la demande verbale à l’origine du présent pourvoi. Le jugement de première instance « autorise le CIUSSS à retirer du dossier les pièces P-1 à P-4 » : par. 137. Cette conclusion avait certes le mérite de clarifier la situation en cours, mais elle n’était pas, à proprement parler, nécessaire en droit. Comme je l’ai expliqué, les règles énoncées à l’art. 108 al. 2 C.p.c. ne requièrent aucune autorisation du tribunal.
[62]                          Le désistement du CIUSSS a entraîné la fin de l’instance et la remise des choses dans l’état où elles se trouvaient avant l’introduction de la demande : art. 213 C.p.c. Cela signifie que « [l]es droits des parties sont tels qu’ils étaient, comme si aucune procédure judiciaire n’avait eu lieu » : H. Maillette, « Incidents qui mettent fin à l’instance », dans JurisClasseur Québec — Collection droit civil — Procédure civile I (2e éd. (feuilles mobiles)), par P.‑C. Lafond, dir., fasc. 21, no 9. L’instance étant terminée, il n’était plus nécessaire que les documents et éléments matériels de preuve produits à titre de pièces demeurent au dossier de la Cour supérieure : c’est ce qui découle d’une lecture a contrario de la première des deux règles énoncées à l’art. 108 al. 2 C.p.c. La deuxième de ces règles oblige les parties à reprendre possession de leurs pièces dans un délai d’un an. Le CIUSSS n’a pas attendu jusque-là. N’ayant pu récupérer ses pièces au moment de son désistement, il l’a fait dès le lendemain du prononcé du jugement de première instance.
[63]                          Comme le reconnaît l’avocat du CIUSSS dans sa plaidoirie, le dossier et les pièces qui s’y trouvaient ont été accessibles au public dans l’intervalle entre le moment où le jugement du juge Gagnon a été rendu et le moment où le CIUSSS a repris possession de ses pièces (transcription, p. 55). En effet, l’ordonnance de mise sous scellés qui avait assuré jusque-là la confidentialité du dossier a pris fin avec le prononcé du jugement de première instance. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec le juge Schrager lorsqu’il affirme que le désistement aurait eu pour effet de ramener, par la fiction juridique de la remise en état, les pièces du CIUSSS dans la sphère privée : motifs de la C.A., par. 37. Cette thèse est contredite par le fait non contesté que, malgré le désistement, les pièces sont demeurées accessibles au public entre le prononcé du jugement de première instance et le moment où elles ont été retirées du dossier; elle occasionnerait par ailleurs un déséquilibre indésirable entre les effets des différents moyens de mettre fin à l’instance sur la publicité des dossiers et de leur contenu. On ne voit pas pourquoi les pièces relatives à une instance qui s’est terminée par un désistement revêtiraient un caractère confidentiel avant même que les parties n’en reprennent possession, alors que les pièces relatives à une instance qui s’est terminée dans un contexte où n’intervient pas la fiction juridique de la remise en état, tel que le contexte d’un règlement en vertu de l’art. 220 C.p.c., demeureraient quant à elles publiques jusqu’à ce qu’elles soient récupérées par les parties.
[64]                          En l’espèce donc, MédiaQMI aurait pu consulter les pièces litigieuses si elle avait demandé à prendre connaissance du dossier pendant l’intervalle où elles étaient disponibles, puisqu’aucune mesure conservatoire n’avait été demandée par les parties. Elle ne l’a pas fait. Je conviens que ces circonstances assez inusitées paraissent donner à cette affaire des allures de course contre la montre. Mais cela n’est pas une conséquence de la célérité dont les parties ont fait montre en se présentant au greffe de la Cour supérieure. C’est une conséquence des règles du Code de procédure civile. La situation aurait été identique si le CIUSSS avait attendu des semaines avant de récupérer ses pièces et que MédiaQMI s’était présenté au greffe pour consulter le dossier à un moment où elles ne s’y trouvaient déjà plus. En effet, le droit de « prendre connaissance des dossiers [. . .] des tribunaux » énoncé à l’art. 11 C.p.c. donne accès au contenu public de ces dossiers et aux pièces qui s’y trouvent au moment de la consultation; il ne donne pas un accès général à tout ce qui, un jour ou l’autre, a fait partie de ce dossier.
[65]                          Le droit reconnu à MédiaQMI de « prendre connaissance des dossiers [. . .] des tribunaux » n’a jamais été compromis. Seules les modalités d’accès au dossier du tribunal et le contenu de ce dossier ont changé entre le dépôt de la « Requête pour mettre fin aux scellés » et le retrait des pièces. Il s’agit là cependant d’une situation qui échappe à l’emprise de l’art. 11 puisqu’elle relève de l’art. 108 C.p.c.
[66]                          Comme MédiaQMI, mes collègues qualifient la « Requête pour mettre fin aux scellés » de « demande d’accès aux pièces ». Selon eux, le fait qu’une telle demande a été déposée avant le désistement du CIUSSS serait déterminant dans l’analyse. Je ne suis pas d’accord. Cela seul ne saurait conférer à MédiaQMI un quelconque « droit acquis à débattre [de] sa demande »[3] (m.a., p. 17) à l’intérieur du cadre Dagenais/Mentuck. Je note par ailleurs que cette demande a déjà été débattue, bien qu’elle ne l’ait pas été à l’intérieur du cadre juridique souhaité par MédiaQMI. Mais la seule raison pour laquelle il en a été ainsi, c’est parce que le test de Dagenais/Mentuck ne s’appliquait pas en l’absence d’un pouvoir discrétionnaire de la part du juge.
[67]                          Il ne suffit pas d’invoquer un droit acquis pour en faire apparaître un comme par magie. Le dépôt d’une requête en vertu de l’art. 11 C.p.c. n’accorde à son auteur aucun droit d’exiger le maintien, de façon statique, du contenu du dossier judiciaire jusqu’à ce que cette requête soit tranchée. Bien qu’ils souscrivent aux prétentions de MédiaQMI sur ce point, mes collègues ne font état d’aucune situation juridique concrète et individualisée qui lui aurait permis d’acquérir un droit de débattre de sa demande dans le cadre du test de Dagenais/Mentuck, et corrélativement un droit d’exiger que le contenu du dossier judiciaire soit figé au jour du dépôt de la demande. Selon ma compréhension de leurs motifs, ils soutiennent plutôt qu’en raison de cette demande pendante, le désistement du CIUSSS ne serait pas opposable au tiers à l’instance qu’est MédiaQMI, de telle sorte que l’instance n’aurait pas pris fin à l’égard de celle-ci et que les parties ne pourraient pas faire jouer contre elle les effets de l’art. 108 C.p.c.
[68]                          Avec égards, la position de mes collègues me paraît prendre des libertés inquiétantes avec le texte de la loi. Elle emprunte en effet une voie oblique pour éviter la conséquence juridique que le Code de procédure civile attache à un acte de désistement déposé au greffe et notifié aux parties. Cette conséquence juridique, qui n’est pas conditionnelle à l’absence de demandes pendantes, c’est la fin de l’instance : art. 213 C.p.c. Or, la fin de l’instance habilite — voire oblige — les parties à retirer leurs pièces : art. 108 C.p.c. Pour éviter la conséquence juridique d’où naît la faculté de retirer les pièces au dossier, il faut donc contester le désistement lui-même.
[69]                          Toujours avec égards, mes collègues suivent un raisonnement qui s’appuie pour l’essentiel sur des citations décontextualisées tirées de décisions contraires à la position qu’ils adoptent : motifs du juge en chef et du juge Kasirer, par. 109‑115 et 139. Ils écartent la conséquence juridique d’un désistement dont MédiaQMI n’a pourtant jamais demandé l’annulation au motif qu’un acte unilatéral de renonciation ne saurait porter atteinte aux droits d’autrui. Or, les sources dont s’autorise cette proposition inédite établissent plutôt que l’annulation du désistement peut être demandée s’il y a atteinte aux droits d’autrui. S’il suffisait d’invoquer un préjudice quelconque pour écarter l’effet extinctif d’instance, il n’aurait pas été nécessaire que les désistements préjudiciables soient contestés dans ces affaires. À mon avis, le raisonnement de mes collègues rend superfétatoire toute cette jurisprudence issue de l’arrêt L’Espérance c. Atkins, [1956] B.R. 62, en même temps qu’il réécrit l’art. 213 C.p.c. pour dissocier l’acte de désistement de ses conséquences juridiques sur l’instance en cours. Je constate qu’il va aussi à l’encontre du droit français, en vertu duquel les tiers à l’instance doivent poursuivre l’annulation d’un désistement s’ils veulent éviter l’effet extinctif de l’instance[4] : N. Fricero, « Désistement », dans JurisClasseur France — Procédure civile, par P. Carillon et R. Perrot, dir., 2018, fasc. 800-40, no 105 (disponible sur Lexis/Nexis). Enfin, même si l’on supposait que MédiaQMI pouvait justifier d’une atteinte à ses droits du fait qu’elle n’a pas pu consulter les pièces en litige, cette atteinte ne proviendrait pas du désistement lui-même : celui-ci n’a eu aucun effet sur les droits conférés à MédiaQMI par l’art. 11 C.p.c. L’atteinte proviendrait plutôt du retrait des pièces consécutif au désistement. C’est pourquoi même si l’on acceptait pour les besoins de la discussion de suivre le raisonnement de mes collègues, ce raisonnement ne mènerait guère à la conclusion que le désistement du CIUSSS préjudicie aux droits de MédiaQMI.
[70]                          En somme, le désistement d’instance n’est pas un acte unilatéral de renonciation comme un autre. S’agissant d’un moyen de renoncer au procès, il anéantit le rapport juridique d’instance que la demande en justice a fait naître entre les parties. Cela explique qu’un défendeur ou un intervenant puisse le contester s’il lui cause un préjudice. La situation est différente à l’égard d’un tiers dont les droits et les intérêts ne sont nullement touchés par les prétentions des parties sur le fond. À première vue, l’extinction du rapport juridique d’instance ne le concerne en aucune manière. Si pour une raison quelconque elle lui cause un préjudice, ce tiers peut demander l’annulation du désistement. En l’espèce, si MédiaQMI souhaitait prévenir l’exercice de la faculté que l’art. 108 C.p.c. reconnaît aux parties à une instance terminée, elle devait contester le désistement qui emportait extinction de l’instance. Elle ne l’a pas fait. Dès lors, rien n’interdisait au CIUSSS de reprendre possession de ses pièces.
[71]                          Je constate par ailleurs que mes collègues n’expliquent pas comment le fait de retourner le dossier à la Cour supérieure « pour qu’elle puisse trancher la demande d’accès aux pièces conformément au droit applicable » (c’est-à-dire, selon eux, conformément au test Dagenais/Mentuck) aiderait MédiaQMI à accéder à des pièces qui ont été retirées du dossier au lendemain du prononcé du jugement de première instance : par. 143. À la lumière du Code de procédure civile, je vois mal comment la requête de MédiaQMI, étant fondée sur une disposition qui lui confère le droit de prendre connaissance d’un dossier judiciaire, l’habiliterait à consulter des pièces qui, précisément, ont déjà été retirées du dossier conformément à l’art. 108 C.p.c. Bien que l’avocat du CIUSSS ait accepté par courtoisie de conserver une copie des pièces jusqu’à ce que l’affaire soit terminée, il l’a fait « [s]ous toutes réserves » et « sans admission aucune » (d.a., p. 82 et 85) : cela ne crée pas de fiction juridique qui permettrait de faire comme si le retrait des pièces n’avait jamais eu lieu. Je note enfin que la position de mes collègues s’écarte de ce que MédiaQMI a demandé à notre Cour, c’est-à-dire de déclarer publiques les pièces qui ont transité par le dossier et d’ordonner au CIUSSS de lui en communiquer copie. À l’instar du juge Schrager, je suis d’avis que MédiaQMI confond les mécanismes d’accès à l’information et le principe de la publicité des débats : motifs de la C.A., par. 44.
[72]                          J’en viens donc à la conclusion que MédiaQMI ne peut obtenir une copie des pièces qui se trouvaient au dossier de la Cour supérieure au moment du dépôt de sa « Requête pour mettre fin aux scellés ».
VII.      Conclusion
[73]                          Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi avec dépens.
 
Les motifs du juge en chef Wagner et des juges Rowe, Martin et Kasirer ont été rendus par
 
                    Le juge en chef et le juge Kasirer —
I.               Introduction
[74]                        Nous avons pris connaissance des motifs de notre collègue, la juge Côté. Nous convenons avec elle que le droit d’accès aux dossiers des tribunaux découlant du principe de la publicité des débats judiciaires, consacré à l’art. 11 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01 (« C.p.c. »), ne confère pas un droit d’accéder aux pièces lorsqu’elles ont été validement retirées par les parties ou détruites par le greffier. Cependant, avec égards, nous ne partageons pas son avis quant au sort de cet appel. Notre désaccord porte sur le moment où il convient de déterminer si les pièces sont au dossier du tribunal. Nous sommes d’avis qu’il faut apprécier l’état du dossier au moment où l’appelante a revendiqué son droit d’accès aux pièces.
[75]                        En l’espèce, l’intimé le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal (« CIUSSS ») — le demandeur au litige principal — a déposé une demande en justice alléguant contre l’intimé M. Magdi Kamel un détournement de fonds publics. Par procédure ex parte, c’est-à-dire en l’absence de l’autre partie, le CIUSSS a obtenu la délivrance d’une ordonnance de mise sous scellés de sa demande et des pièces produites au soutien de celle-ci devant un juge. L’appelante, qui publie des journaux quotidiens et qui est un tiers au litige principal, a demandé l’accès aux pièces en vertu de l’art. 11 C.p.c. et de la liberté de presse. Elle l’a fait alors que les pièces se trouvaient au dossier du tribunal. Par la suite, le CIUSSS a déposé un désistement de sa demande en justice.
[76]                        Or, même si un demandeur est autorisé par la loi à se désister de son recours en tout temps, nous sommes d’avis qu’une telle procédure ne peut lui permettre de se soustraire à une demande d’accès à des pièces sous scellés déjà formulée contre lui. À partir du moment où l’appelante demande la levée des scellés et l’accès aux pièces, le litige prend une autre couleur. Il se crée un second débat, connexe mais distinct du litige principal. Il intéresse non seulement le demandeur et le défendeur et leur mésentente privée, mais aussi le public et, faut-il le souligner, l’institution judiciaire elle-même. Si le désistement du demandeur avait pour effet d’empêcher l’appelante d’avoir accès au dossier du tribunal, il porterait atteinte au bon fonctionnement de l’institution judiciaire dont la légitimité dépend de sa transparence et, comme on le sait, du regard des médias. Dès le moment où l’appelante a demandé la levée des scellés, les pièces visées par sa demande faisaient nécessairement partie de ce nouveau débat, de sorte que les parties n’en avaient plus la maîtrise, pendant que la question soit débattue.
[77]                        Soit dit en tout respect, le présent pourvoi ne peut être réduit à une banale application d’une règle prévue par le Code de procédure civile; il dépasse largement le strict cadre d’application de l’art. 108 C.p.c. lequel permet aux parties à un litige, à certaines conditions, de retirer leurs pièces du dossier du tribunal. Le différend met en évidence le besoin de concilier des principes opposant, d’une part, la publicité des débats judiciaires (art. 11 C.p.c.), une règle d’ordre public à laquelle les tribunaux peuvent faire exception (art. 12 C.p.c.) et, d’autre part, la maîtrise par les parties de leur dossier, y compris la faculté de mettre fin à l’instance à tout moment (art. 19 C.p.c.). Lorsqu’un membre du public — en l’occurrence, responsable de la publication des journaux quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec — conteste une ordonnance de mise sous scellés et demande l’accès à un dossier, avant que ne survienne un désistement et alors que les pièces sont encore au dossier du tribunal, ces deux principes doivent être conciliés. À notre avis, la faculté qu’a le demandeur de se désister d’une demande en justice ne saurait, dans les circonstances de l’espèce, faire perdre à l’appelante son droit de débattre de sa demande d’accès aux pièces au dossier et, dans l’hypothèse où le tribunal ferait droit à cette demande, son droit d’accès au dossier. La maîtrise par les parties de leur dossier ne peut s’exercer en violation des intérêts nés et légitimes d’un tiers, et, a fortiori, d’une règle d’ordre public selon laquelle la justice civile administrée par les tribunaux de l’ordre judiciaire doit être publique.
[78]                        En conséquence, pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de renvoyer le dossier à la Cour supérieure afin qu’elle tranche au fond la demande d’accès aux pièces de MédiaQMI suivant le cadre d’analyse établi dans les arrêts Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442, dont l’application en matière civile a été confirmé dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522.
II.            Le contexte
[79]                        Le 6 octobre 2016, le CIUSSS dépose une action en justice dans laquelle il demande que l’un de ses anciens cadres, M. Kamel, soit condamné à lui payer une somme de 510 266 $, reprochant à ce dernier d’avoir détourné des fonds publics affectés aux services de santé. Dans sa demande en justice, le CIUSSS allègue que M. Kamel utilisait un « stratagème » visant à dérober au CIUSSS, ainsi qu’à l’hôpital dirigé par celui-ci, des fonds publics destinés aux soins de santé. Entre autres, le CIUSSS précise que :
         Kamel, de par la position qu’il occupait et la confiance qui lui était portée, s’est frauduleusement fait rembourser des dépenses personnelles non liées aux activités du [Centre hospitalier de St. Mary], détournant ainsi des sommes totalisant 410 266 $ durant la période allant du 1er avril 2009 au 31 mars 2015 (la « Période »), en exploitant des failles dans l’application des politiques de remboursement des dépenses du CIUSSS/CHSM, tel qu’il appert plus amplement du rapport PwC (voir la section 4 pour un sommaire des constatations du PwC);
 
         Deux modus operandi principaux ont été employés par Kamel : (A) des demandes de remboursements de dépenses auxquelles aucun justificatif n’était attaché, et (B) des demandes de remboursement de dépenses auxquelles étaient joints certains justificatifs qui, après analyse, s’avèrent non fondés;
 
(d.a., p. 37)
[80]                        Dans sa demande, le CIUSSS expose qu’il avait mandaté la firme PwC pour faire la lumière sur les irrégularités reprochées à M. Kamel. Réclamant le remboursement des sommes qu’aurait dérobées M. Kamel, le CIUSSS dépose quatre pièces au soutien de sa demande, dont un rapport d’enquête juricomptable confidentielle préparé par PwC.
[81]                        Il convient de noter que M. Kamel a d’abord été suspendu et qu’il a finalement démissionné de son poste de cadre employé par le CIUSSS, et ce, avant le dépôt des procédures. Sa lettre de démission est elle aussi une pièce déposée au soutien de la demande du CIUSSS.
[82]                        Le CIUSSS y joint une demande d’ordonnance de type Norwich à l’encontre d’une institution financière afin d’obtenir des documents bancaires concernant M. Kamel. Le fondement principal des allégations de fraude formulées à l’endroit de M. Kamel repose sur le rapport d’enquête juricomptable préparé par PwC. Soulignons que le CIUSSS est une personne morale de droit public « responsable d’assurer le développement et le bon fonctionnement de[s] réseaux locaux de services de santé et de services sociaux » (Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, RLRQ, c. O-7.2, art. 38) ― des services cruciaux destinés à la population québécoise.
[83]                        Le 7 octobre 2016, la Cour supérieure rend une ordonnance de type Norwich. Elle ordonne la mise sous scellés de l’ensemble du dossier pour une période de 120 jours, laquelle sera prolongée jusqu’au 18 avril 2017.
[84]                        Le 29 mars 2017, l’appelante dépose une demande d’accès au dossier du tribunal intitulée « Requête pour mettre fin aux scellés », s’appuyant entre autres sur l’art. 11 C.p.c. Rappelant qu’elle publie des quotidiens à Montréal et à Québec, l’appelante précise à sa requête qu’elle est « en droit d’accéder au dossier de la Cour, selon les art. 11 du Code de procédure civile et 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, [RLRQ, c. C‑12 (« Charte québécoise »)] en [vertu] du principe d’accessibilité aux dossiers de la Cour, de la publicité des procédures judiciaires ainsi que de la liberté de presse et de son corollaire, la collecte d’informations » (d.a., p. 50).
[85]                        Dans l’énoncé des conclusions qu’elle recherche, on trouve ce qui suit :
ACCUEILLIR la présente Requête;
 
METTRE FIN à toute ordonnance visant à restreindre l’accès du public et de la Requérante au dossier de Cour relativement au dossier 500-17-095861-160.
 
LE TOUT SANS FRAIS DE JUSTICE, sauf en cas de contestation. [Nous soulignons.]
 
(d.a., p. 51)
[86]                        L’appelante précise, au par. 7 de sa requête, qu’elle sollicite l’accès au dossier, notamment les pièces qui y étaient versées :
. . . obtenir l’accès au dossier de la Cour, incluant mais non limité à la Demande introductive d’instance, aux diverses procédures qui ont suivi, de même qu’aux pièces qui ont pu être déposées par les parties. [Nous soulignons.]
 
(d.a., p. 50)
On comprend dès lors l’objectif des conclusions recherchées.
[87]                        L’avis de présentation indique que la requête devait être entendue le 5 avril 2017. Ce jour‑là, devant la Cour supérieure, l’avocat du CIUSSS demande une remise au 18 avril, date à laquelle l’ordonnance de mise sous scellés et de confidentialité du dossier devait prendre fin. L’avocat de l’appelante n’étant pas disponible à ce moment, les intimés et l’appelante s’entendent alors pour que l’affaire soit débattue le 25 avril et l’ordonnance est renouvelée jusqu’à cette date.
[88]                        Le 19 avril 2017 — soit plus de trois semaines après la date du dépôt par MédiaQMI de sa requête en vue de mettre fin aux scellés et d’obtenir les actes de procédure et les pièces — le CIUSSS se désiste de sa demande en justice. Dans les jours suivants, le CIUSSS tente en vain de retirer les pièces versées au dossier du tribunal : ce dernier est cependant introuvable.
[89]                        Deux jours plus tard, le 21 avril 2017, M. Kamel demande le retrait de la demande introductive d’instance ou, subsidiairement, la mise sous scellés de cette dernière. Cette procédure n’est pas contestée par le CIUSSS, alors que MédiaQMI s’y oppose, invoquant à nouveau au soutien de son opposition, le principe de la publicité des débats judiciaires et la liberté de presse.
[90]                        Le 25 avril 2017, l’affaire est entendue. Le CIUSSS demande alors à reprendre possession des pièces, notamment la pièce P-1, le rapport d’enquête juricomptable préparé par PwC. L’appelante s’y oppose, soulignant que sa requête visait non seulement la levée des scellés, mais aussi l’obtention des pièces qui étaient alors au dossier. À l’audience, l’avocat de cette dernière réitère expressément sa demande d’accès aux pièces :
Ce que je vous dis respectueusement [. . .] c’est qu’un droit a été cristallisé. Les pièces sont au dossier. Nous étions là, [nous avons] fait la demande en temps opportun alors que les pièces étaient au dossier. Aujourd’hui, il serait inéquitable de se retourner, dire : « Tiens, je retire les pièces » alors que nous avions . . . nous avons un droit constitutionnel à l’accès.
 
(d.a., p. 165)
[91]                        Le 20 juillet 2017, le juge de première instance ordonne la levée des scellés. Il ne tranche cependant pas la demande d’accès aux pièces de l’appelante, puisqu’il conclut que les parties ont la « pleine marge de manœuvre de retirer toutes les pièces du dossier, et de les soustraire au regard public » lorsque l’instance se termine par désistement (2017 QCCS 4691, par. 119 (CanLII)). Il autorise donc le CIUSSS à retirer les pièces produites au dossier, mais décide que, selon le Code de procédure civile, la demande introductive d’instance doit cependant y rester (par. 121). Le 21 juillet 2017, le CIUSSS retire les pièces du dossier du tribunal. Une copie de ces pièces a été conservée par les avocats du CIUSSS jusqu’à ce que le pourvoi de l’appelante soit tranché ou réglé (d.a., p. 82‑85).
[92]                        Par un arrêt majoritaire, la Cour d’appel rejette l’appel de MédiaQMI (2019 QCCA 814). La juge Marcotte, dissidente, aurait accueilli l’appel, infirmé le jugement de première instance et retourné le dossier en Cour supérieure pour qu’elle tranche la demande d’accès aux pièces.
III.         Le cadre juridique applicable
A.           La maîtrise du dossier par les parties et la publicité des débats
[93]                        Le présent pourvoi est l’occasion pour notre Cour de se pencher sur l’interaction entre certains principes généraux de la procédure civile québécoise. Les principes visés en l’espèce sont les suivants : d’une part, le principe voulant que les parties aient la maîtrise de leur dossier, y compris la faculté essentielle de régler leurs litiges en privé, à l’abri du regard du public; d’autre part, le principe de la publicité des débats judiciaires, un principe d’ordre public fondé sur la transparence de la justice et corrélativement sur l’accès du public aux procédures se déroulant devant les tribunaux. Lorsque, comme en l’espèce, ces principes entrent en tension, il sera bien sûr important de dégager une manière de les concilier.
[94]                        Le Code de procédure civile contient des principes qui encadrent l’application et l’interprétation des règles qu’il énonce. Dès 2001, le Comité de révision de la procédure civile proposait ainsi de regrouper ces principes « [a]fin de les mettre en évidence et d’en assurer la primauté » : la préséance du droit substantiel sur la procédure, le débat contradictoire, la maîtrise du dossier et de l’instance, l’intervention judiciaire pour assurer le bon déroulement de l’instance, la publicité des débats et la proportionnalité des procédures (Une nouvelle culture judiciaire (2001), p. 38, cité dans Charland c. Lessard, 2015 QCCA 14, par. 169 (CanLII)). Ces principes sont désormais rassemblés sous le titre « Les principes de la procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire » aux art. 8 à 28 C.p.c., en quatre chapitres : la mission des tribunaux, le caractère public de la procédure devant les tribunaux judiciaires, les principes directeurs de la procédure, et les règles d’interprétation et d’application du Code.
[95]                        La maîtrise par les parties de leur dossier est un principe directeur consacré à l’art. 19 C.p.c. Les parties jouissent ainsi d’une liberté « encadr[ée] » quant au choix des procédures appropriées et des moyens de fait et de droit qu’elles avancent (Ministère de la Justice, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C-25.01 (2015), art. 19; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 25). Ce principe englobe la faculté des parties de choisir, « à tout moment de l’instance », de régler leur litige ou de mettre autrement fin à l’instance (al. 3). Ainsi, les parties peuvent décider de retirer leur litige de l’arène judiciaire en vue de le régler en privé.
[96]                        Cette faculté de dessaisir le tribunal s’harmonise avec l’orientation générale du Code de procédure civile, qui valorise la justice civile privée « de façon spectaculaire » (C. Piché, « La disposition préliminaire du Code de procédure civile » (2014), 73 R. du B. 135, p. 152). Comme l’indique sa disposition préliminaire, le Code de procédure civile « vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends » et énonce des principes généraux en la matière aux art. 1 à 7. Ce faisant, le législateur reconnaît expressément que, lorsque les parties s’y engagent d’un commun accord, la justice civile est possible, voire souhaitable, sans l’intervention des tribunaux judiciaires. Favoriser le règlement des différends constitue un objectif public d’une importance indéniable, autant pour les parties que pour notre système judiciaire surchargé (Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35, [2014] 1 R.C.S. 800, par. 32; L. Chamberland, dir., Le grand collectif : Code de procédure civile — Commentaires et annotations, vol. 1, Articles 1 à 390 (5e éd. 2020), p. 9). Les règlements privés des différends comportent plusieurs avantages, dont « leur confidentialité, leur caractère plus informel, leur flexibilité, une meilleure gestion du conflit par les parties, des coûts moindres et la possibilité d’en arriver à des solutions individualisées » (P.‑C. Lafond, « Introduction », dans P.‑C. Lafond, dir., Régler autrement les différends (2e éd. 2018), 1, p. 20; voir aussi M. Thériault, « Le défi du passage vers la nouvelle culture juridique de la justice participative » (2015), 74 R. du B. 1, p. 9‑12).
[97]                        Cependant, la maîtrise par les parties de leur dossier n’est pas absolue : elle ne peut s’exercer à l’encontre de règles d’ordre public et des intérêts nés et légitimes que possèdent des tiers. Ce pouvoir doit être exercé « dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure » (art. 19 al. 1 C.p.c.). La latitude laissée aux parties dans la conduite de l’instance est, en conséquence, limitée par les principes généraux de la procédure civile, dont les règles contenues au Code de procédure civile, qui confèrent aux juges un rôle de « protecteurs du processus judiciaire et des droits des diverses parties » (J. Plamondon, « Les principes directeurs et le nouveau Code de procédure civile (art. 17 à 24 C.p.c.) », dans S. Guillemard, dir., Le Code de procédure civile : quelles nouveautés ? (2016), 27, p. 38‑39). Comme le signale la professeure Piché, le Code de procédure civile « donne priorité aux devoirs du juge sur les droits des parties » (p. 166). Ayant choisi la voie judiciaire, les parties doivent alors se conformer aux règles et principes établis.
[98]                        À titre d’exemple, la maîtrise par les parties de leur dossier est assujettie au « devoir des tribunaux d’assurer la saine gestion des instances et de veiller à leur bon déroulement » (art. 19 al. 1 C.p.c.). Les tribunaux doivent donc jouer un rôle actif dans la gestion des instances, limitant ainsi de manière incidente le contrôle des parties sur le déroulement de l’instance (F. Bachand, « Les principes généraux de la justice civile et le nouveau Code de procédure civile » (2015), 61 R.D. McGill 447, p. 458; Homans c. Gestion Paroi inc., 2017 QCCA 480, par. 92‑93 (CanLII)). Le principe de proportionnalité que consacre l’art. 18 C.p.c. offre également un bon exemple de restriction à « la liberté des parties de mener leur cause comme bon leur semble » (J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 40 (CanLII); voir aussi Y.‑M. Morissette, « Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions » (2009), 50 C. de D. 381, p. 412). Somme toute, la maîtrise du dossier ne peut être que « relative » eu égard à ses interactions avec les principes concurrents et divergents énoncés au Code de procédure civile (voir D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec (6e éd. 2020), vol. 1, no 1‑164). Les autrices S. Guillemard et S. Menétrey en concluent que l’on peut observer, surtout depuis l’adoption du nouveau Code de procédure civile de 2016, « une sorte de dilution » du pouvoir qui est donné aux parties comme maîtres de leur dossier, par rapport au « premier rôle » qui était le leur avant la refonte (Comprendre la procédure civile québécoise (2e éd. 2017), no 100).
[99]                        De même, la maîtrise par les parties de leur dossier ne leur permet pas d’écarter le pouvoir discrétionnaire du juge de veiller au respect de la règle d’ordre public découlant du principe de la publicité des débats ou d’exercer leurs pouvoirs au détriment des intérêts nés et légitimes que possèdent des tiers d’en revendiquer l’application. Ce principe fondamental est consacré à l’art. 11 C.p.c., qui prévoit que tous peuvent assister aux audiences des tribunaux et prendre connaissance des dossiers. Ce principe garantit également des droits protégés aux art. 3 et 23 de la Charte québécoise et à l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (voir, p. ex., Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 62; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, par. 87). Comme l’a réitéré notre Cour dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33, la publicité des débats judiciaires est une caractéristique importante d’une société libre et démocratique comme la nôtre (par. 24).
[100]                     Au chapitre portant sur « Le caractère public de la procédure devant les tribunaux judiciaires », le législateur prévoit deux exceptions précises à ce principe fondamental. Premièrement, l’art. 11 al. 2 C.p.c. énonce qu’il est fait exception à ce principe lorsque la loi prévoit le huis clos (art. 15 C.p.c.) ou restreint l’accès aux dossiers (art. 16 C.p.c.), ce qui est notamment le cas en matière familiale (voir Ferland et Emery, nos 1‑108 et 1‑109). À défaut de contestation constitutionnelle, ces limites à la publicité en matière familiale ne peuvent être ébranlées. Deuxièmement, l’art. 12 C.p.c. prévoit une exception dite « judiciaire » en codifiant les principes établis par notre Cour dans l’arrêt Sierra Club, accordant ainsi au tribunal un pouvoir discrétionnaire lui permettant de faire exception au principe fondamental de la publicité des débats « s’il considère que l’ordre public [. . .] ou la protection d’intérêts légitimes importants [l’]exige » (voir Commentaires de la ministre de la Justice, art. 12).
[101]                     Aussi importante soit-elle, la maîtrise par les parties de leur dossier ne va pas jusqu’à leur permettre de dérober directement ou indirectement au regard public le contenu de leur dossier, et éluder ainsi le principe fondamental de la publicité des débats. Comme l’explique le juge Baudouin dans l’arrêt B. (B.) c. Québec (Procureur général), 1997 CanLII 10220 (QC CA), [1998] R.J.Q. 317 (C.A.), ce principe est d’ordre public et « les tribunaux, gardiens de celui-ci, ont non seulement le droit, mais le strict devoir d’intervenir proprio motu pour l[e] faire respecter » (p. 320). C’est pourquoi les parties ne peuvent s’entendre pour ester en justice sous le couvert de l’anonymat ou pour faire mettre le dossier sous scellés. Une telle entente ne saurait lier le tribunal et l’obliger à écarter une règle d’ordre public (voir, p. ex., Rosei c. Benesty, 2020 QCCS 1795, par. 97‑100 (CanLII); Marcovitz c. Bruker, 2005 QCCA 835, [2005] R.J.Q. 2482, par. 109‑110, inf. sur un autre point par 2007 CSC 54, [2007] 3 R.C.S. 607). Le tribunal qui est saisi, sur le fondement de l’art. 12 C.p.c., d’une demande visant à limiter la publicité des procédures judiciaires, doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément au cadre d’analyse élaboré dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club, et ce, même si personne ne s’y oppose (voir, p. ex., Mentuck, par. 38; Sirius Services conseils en technologie de l’information inc. c. Boisvert, 2017 QCCA 518, par. 4 (CanLII); Horic c. Nepveu, 2016 QCCS 3921, par. 166 (CanLII)).
[102]                     Le public, et en particulier, les médias d’information, possèdent l’intérêt requis pour revendiquer l’application du principe de la publicité des débats consacré à l’art. 11 C.p.c., et mettent ainsi en jeu les droits garantis par les chartes québécoise et canadienne. Comme le souligne le juge Cory dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), 1989 CanLII 20 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1326, « le public a le droit d’être informé de ce qui se rapporte aux institutions publiques et particulièrement aux tribunaux » (p. 1339). À titre de « suppléants du public », les médias jouent en conséquence un rôle primordial dans l’exercice de ce droit (p. 1360, la juge Wilson, citant Richmond Newspapers, Inc. c. Virginia, 448 U.S. 555 (1980), p. 573). À titre d’exemple, dans l’arrêt 3834310 Canada Inc. c. R.C., 2004 CanLII 4122 (C.A. Qc), la Cour d’appel a reconnu que les intérêts de la presse sont touchés par un jugement autorisant une partie à intenter sa procédure anonymement. L’appelante, qui publie un journal quotidien, a pu se prévaloir du régime de la rétractation de jugement à la demande d’un tiers (art. 349 C.p.c.) puisque le jugement attaqué portait atteinte à ses intérêts relatifs à la publicité des débats et au droit du public à l’information (par. 13, 18 et 33).
[103]                     Lorsque les parties décident d’avoir recours à la justice civile, un service public, elles le font en sachant que le public peut exercer son droit fondamental à l’information concernant les procédures judiciaires. Certes, le regard du public peut encourager les parties à prévenir ou régler un différend, y compris en dessaisissant le tribunal. Toutefois, cette forme d’incitatif ne peut à elle seule supplanter ipso facto le principe de la publicité des débats lorsque celui-ci est invoqué dans le respect des règles procédurales alors que l’instance est toujours en cours. Par contre, si les parties optent pour un mode privé de règlement, la publicité des débats ne s’applique pas et, en principe, la confidentialité « de ce qui est dit, écrit ou fait dans le cours du processus » s’impose (art. 4 C.p.c.).
[104]                     Il importe de souligner que le principe fondamental de la publicité des débats ne vise pas uniquement l’examen de l’agir judiciaire, comme le prétendent les intimés, mais englobe aussi l’objet des différends. L’article 11 C.p.c. prévoit expressément que « [t]ous peuvent [. . .] prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux ». Dans l’arrêt Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, [2011] 1 R.C.S. 65, notre Cour a d’ailleurs expliqué que « [l]’accès aux pièces est un corollaire du caractère public des débats » (par. 12). Les médias et les membres du public n’ont pas à justifier leur présence aux audiences d’un tribunal ou leur désir de consulter un dossier de celui-ci. Il incombe à la partie qui demande une ordonnance visant à restreindre le principe de la publicité des débats de satisfaire aux critères énoncés dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club (Société Radio-Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 480, par. 71).
[105]                     En somme, il est vrai que les parties ont la maîtrise de leur dossier et qu’elles peuvent mettre fin à l’instance à tout moment. Cependant, cette faculté s’inscrit dans le contexte où la justice civile devant les tribunaux est, en principe, publique et où le public et les médias peuvent revendiquer l’application de ce principe fondamental lorsque l’instance est en cours.
B.            L’article 213 C.p.c. : le désistement et ses limites
[106]                     Le principe selon lequel la maîtrise par les parties de leur dossier ne peut s’exercer en violation des règles d’ordre public et des intérêts nés et légitimes des tiers s’appuie également sur la jurisprudence portant précisément sur l’effet d’un désistement, une procédure régie par le Code à titre d’incident qui met fin à l’instance.
[107]                     L’article 213 C.p.c. prévoit en effet qu’un demandeur qui se désiste de sa demande met fin à l’instance et que ce désistement « remet les choses en état ». En principe, l’art. 213 C.p.c. confère donc à une partie le droit de se désister unilatéralement de sa demande en justice à tout moment (voir, p. ex., Georgiadis c. Angelopoulos, 2008 QCCS 6890, par. 8 (CanLII), le juge Gascon). Le régime du désistement découle du principe voulant que les parties aient la maîtrise de leur dossier (art. 19 al. 3 C.p.c.). Pour être opposable aux autres parties, il suffit que le désistement unilatéral leur soit notifié aux termes de l’art. 213.
[108]                     Cela étant, on dit souvent, et à juste titre, que le droit au désistement n’est pas absolu (voir, p. ex., Classic Fabrics Corp. c. B. Rawe GMBH & Co., 2001 CanLII 7221 (C.A. Qc), par. 38). D’abord, lorsque le demandeur se désiste de sa demande, il ne le fait que pour lui-même; dans le cas d’une demande conjointe, l’art. 214 C.p.c. prévoit que l’autre demandeur peut poursuivre l’instance. Ajoutons que le désistement n’a pas, en règle générale, d’effet sur une demande reconventionnelle formulée par le défendeur. Comme l’a expliqué la Cour d’appel dans l’arrêt 175809 Canada inc. c. 2740478 Canada inc., 2000 CanLII 9254, avant la réforme récente de la procédure civile :
Techniquement, « le désistement remet les choses dans l’état où elles auraient été si la demande à laquelle il se rapporte n’avait pas été faite ». (264 C.p.c.) Voilà un résultat qui ne peu[t] être atteint lorsque la procédure dont on veut se désister est elle-même source de dommages. Si un plaideur peut être autorisé à se désister en tout temps, il ne peut utiliser cette procédure pour échapper à une demande déjà formulée contre lui. La demande de dommages et intérêts est analogue à une demande reconventionnelle. Elle subsiste malgré le désistement du recours principal. [Nous soulignons; par. 6.]
[109]                     Il existe donc un tempérament au principe de la maîtrise par les parties de leur dossier, lequel a été développé et appliqué par une jurisprudence constante : le désistement ne peut porter préjudice aux droits des autres parties ou des tiers, y compris le droit de faire juger d’une demande antérieure au désistement. Dans l’arrêt L’Espérance c. Atkins, [1956] B.R. 62, le juge Pratte explique ce tempérament par le fait que le désistement implique une renonciation par le demandeur à ses propres droits. Il ne peut donc pas être fait au préjudice des droits des tiers :
Le mot « désistement » exprime l’idée de renonciation, soit à un droit quelconque, soit à une instance, soit à un acte de procédure. Mais comme on ne peut renoncer qu’à ses propres droits, il ne doit pas être permis de se désister d’un acte de procédure qui a fait naître des droits en faveur d’autrui : le désistement ne peut être fait au préjudice des droits des tiers. [Nous soulignons; p. 66.]
[110]                     Dans Graham‑Albulet c. Albulet, [1977] C.A. 323, à la p. 324, la Cour d’appel confirme l’existence de cette limite intrinsèque aux effets d’un désistement :
Le désistement est donc une renonciation à un droit, à un avantage, ce qui présuppose que ce droit, cet avantage, est propre à celui qui prétend y renoncer, car on ne peut par son acte unilatéral renoncer pour autrui et faire perdre à celui-ci un droit ou un avantage qu’il possède. [Nous soulignons.]
[111]                     Ce tempérament aux effets du désistement tombe sous le sens. Le désistement constitue une « renonciation volontaire à un droit, à une prétention » (H. Reid, avec S. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (5e éd. 2015), p. 206, « désistement »). La renonciation permet au titulaire d’un droit de s’en départir s’il n’en veut plus, ce qui suppose la pleine disposition du droit que le titulaire entend abandonner (voir, généralement, M. Lamothe, La renonciation à l’exercice des droits et libertés garantis par les chartes (2007), p. 10). Comme il s’agit d’un acte unilatéral par le renonçant, seule la volonté de ce dernier est nécessaire pour que cet acte produise des effets juridiques (Lamothe, p. 10; D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 256). Si l’art. 213 C.p.c. semble prévoir que le demandeur peut librement se désister de sa demande, il en est ainsi car, en principe, « celui qui veut se débarrasser d’un droit peut le faire sans avoir besoin de l’approbation de quiconque, puisqu’il ne nuit qu’à lui-même » (voir, sur la notion de renonciation, P. Raynaud, « La renonciation à un droit : Sa nature et son domaine en Droit civil » (1936), 35 R.T.D. civ. 763, p. 773).
[112]                     Cette notion de renonciation démontre que les effets d’un désistement se limitent aux droits du renonçant, soit la partie qui se désiste. Étant donné qu’on ne peut renoncer aux droits d’autrui, le renonçant « n’affecte par son acte que sa propre sphère juridique, sans aucunement affecter celle des autres » (Lamothe, p. 11, note 47, citant G. Grammatikas, Théorie générale de la renonciation en droit civil (1971), p. 11; voir aussi F. Dreifuss‑Netter, Les manifestations de volonté abdicatives (1985), p. 31 et 103). En d’autres termes, une partie peut validement renoncer à un droit ou une prétention, mais cet acte unilatéral n’affecte pas les droits des tiers. Un désistement peut donc être valide, sans être opposable aux droits des tiers (Barzelex Inc. c. M.E.C.S. International Inc. (1989), 29 Q.A.C. 63, par. 22; Constructions Panthéon inc. c. Clinique Altermed inc., 2015 QCCA 50, par. 4, 12 et 15‑16 (CanLII); Fourrures Taran (Mtl) inc. c. Tuac, local 501, 2005 CanLII 11669 (C.S. Qc), par. 30‑32 et 59‑60, le juge Gascon).
[113]                     À diverses reprises, ce principe a été appliqué afin de reconnaître que les tribunaux demeurent saisis de demandes incidentes pendantes, dont des demandes reconventionnelles, en dommages‑intérêts, en irrecevabilité et en déclaration d’abus, même si l’auteur de la demande initiale s’en désiste subséquemment (voir, p. ex., 175809 Canada inc., par. 6; Constructions Panthéon, par. 10‑12; Fourrures Taran; 7006098 Canada inc. c. Sobeys Canada inc., 2020 QCCS 897, par. 37 et 43 (CanLII)). Dans un tel cas, le désistement ne peut porter atteinte au droit de débattre d’une demande devant le tribunal et de la faire trancher par celui‑ci. Comme l’expliquait le juge Louis‑Philippe Pigeon dans un texte doctrinal, « [m]ême dans le domaine de la procédure, il y a des droits acquis. Ainsi, on a un droit acquis à la compétence du tribunal quand on y a intenté une procédure » (Rédaction et interprétation des lois (3e éd. 1986), p. 129).
[114]                     L’affaire Classic Fabrics constitue un exemple éclairant de cette limite au droit au désistement. La défenderesse avait déposé une requête en vue de modifier sa défense et d’introduire une demande reconventionnelle. La demanderesse s’était alors désistée de sa réclamation et prétendait avoir mis fin à l’instance. La Cour d’appel a annulé le désistement et a conclu, aux par. 38‑39, qu’il ne peut porter atteinte au droit acquis de la défenderesse de débattre de sa demande :
Le droit au désistement n’est cependant pas absolu. Une partie ne peut y avoir recours pour préjudicier à des droits ou avantages qu’une autre partie a pu acquérir en vertu de la loi ou du fait de procédures intentées.
 
Au moment où l’appelante a signifié à l’intimée sa requête pour amender son plaidoyer afin d’y introduire une demande reconventionnelle, l’état des procédures lui permettait de présenter cette requête. L’appelante avait un droit acquis à débattre sa demande, auquel l’intimée ne pouvait préjudicier au moyen d’un désistement de son action. [Nous soulignons.]
 
(Sur le droit acquis à débattre d’une demande, voir aussi Berenbaum c. Berenbaum Reichson, 2014 QCCA 1630, par. 15 (CanLII); Constructions Panthéon, par. 12.)
[115]                     En conséquence, le désistement d’une partie ne peut avoir pour objet ou effet de lui permettre « d’échapper à une demande déjà formulée contre [elle] » (175809 Canada inc., par. 6). Dans de telles circonstances, le tribunal peut prendre acte du désistement tout en déclarant qu’il ne peut faire perdre des droits revendiqués au moyen d’une requête antérieure pendante (voir, p. ex., Fourrures Taran, par. 30‑32 et 59‑60).
[116]                     Il est d’ailleurs tout à fait cohérent qu’un désistement ne puisse faire obstacle à une demande déposée préalablement puisqu’une renonciation n’a pas, en principe, d’effets rétroactifs. Elle « produit ses effets à partir du moment où elle s’est réalisée. En d’autres mots, les effets de la renonciation se produisent ex nunc et ne remontent pas dans le passé » (Grammatikas, p. 147).
C.            L’article 108 C.p.c. : le retrait des pièces et ses limites
[117]                     Le deuxième alinéa de l’art. 108 C.p.c. précise que les pièces produites au dossier doivent y rester jusqu’à la fin de l’instance. Elles peuvent être retirées dans deux situations : (1) à la fin de l’instance, par les parties les ayant produites; et (2) de consentement de toutes les parties.
[118]                     En l’espèce, les parties et les tribunaux inférieurs ont accordé une grande importance à la nature de cette règle. À la lecture du jugement entrepris, nous prenons acte de la conclusion de deux juges de la Cour d’appel selon laquelle l’art. 108 al. 2 C.p.c. énonce une règle de nature administrative (par. 42, le juge Schrager; par. 54, la juge Marcotte). Il est vrai que le texte de cet alinéa ainsi que les débats parlementaires qui ont précédé son adoption confirment qu’il vise à réduire les coûts du système judiciaire (Assemblée nationale, « Adoption du principe — Projet de loi 24 — Loi modifiant le Code de procédure civile », Journal des débats, vol. 33, no 30, 3e sess., 34e lég., 1er juin 1994, p. 1573‑1579, M. le ministre de la Justice Roger Lefebvre). Nous prenons bonne note de la lecture divergente de l’art. 108 C.p.c. que propose notre collègue. Pour les besoins de ce pourvoi, il n’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question. Même en tenant pour acquis que l’art. 108 al. 2 C.p.c. énonce une règle substantive, les parties ne peuvent recourir à cette disposition d’une manière à porter atteinte à des droits acquis compte tenu des circonstances du désistement, lequel est survenu après le dépôt de la demande de MédiaQMI sollicitant la levée des scellés et l’accès au dossier de la Cour supérieure.
[119]                     Il s’ensuit que, dans ces circonstances, la logique du tempérament au principe de la maîtrise du dossier s’applique également, par voie de conséquence, au retrait de pièces en vertu de l’art. 108 al. 2 C.p.c. En effet, si un désistement d’instance ne peut être invoqué au préjudice des intérêts nés et légitimes des tiers et à l’encontre des règles d’ordre public, notamment la publicité des débats judiciaires, les parties ne peuvent se prévaloir de l’art. 108 al. 2 C.p.c. afin de retirer des pièces du dossier, à la suite d’une demande fondée sur l’art. 11 C.p.c. Comme le prévoit l’art. 19 C.p.c., la maîtrise dont jouissent les parties à l’égard de leur dossier doit s’exercer dans le respect des principes de la procédure civile.
[120]                     Ainsi que le démontre la jurisprudence examinée précédemment, les parties ne peuvent porter atteinte à des règles d’ordre public comme celle de la publicité des débats, et ce, même par consentement (voir, p. ex., Marcovitz). Les parties ne sont certes pas « maîtres de leur dossier » au point de pouvoir contourner une règle d’ordre public, y compris par les actes qu’elles peuvent accomplir à l’égard des pièces suivant l’art. 108 al. 2 C.p.c. La procédure judiciaire ne saurait cautionner une forme de justice privée où les parties décideraient entre elles du déroulement de l’instance devant les tribunaux au mépris de la règle de la publicité des débats judiciaires. Bref, les parties ne peuvent par consentement mutuel écarter une règle d’ordre public (voir, p. ex., Berenbaum, par. 16, citant Entreprises de béton Fern Leclerc Ltée c. Bourassa, 1990 CanLII 2757 (QC CA), [1990] R.D.J. 558 (C.A.), p. 561).
[121]                     Le droit de retirer les pièces figurant dans le dossier du tribunal du consentement de toutes les parties doit lui aussi être interprété de la même manière que le droit unilatéral de se désister d’une demande : il ne peut porter atteinte aux intérêts nés et légitimes des tiers. À titre d’exemple, dans une affaire en matière familiale, la Cour supérieure a reconnu qu’un désistement de la part de la demanderesse ayant pour effet de porter atteinte aux droits d’un enfant pouvait être rejeté, même si le défendeur y avait consenti (Droit de la famille — 092038, 2009 QCCS 3822, [2009] R.D.F. 646, par. 14‑15 et 34). En d’autres mots, puisqu’on ne peut renoncer aux droits d’autrui, un désistement, qu’il soit unilatéral ou de consentement mutuel, ne peut faire échec aux droits d’un tiers.
[122]                     Si l’art. 108 al. 2 C.p.c. assujettit le droit de retrait des pièces au dossier du tribunal au consentement de toutes les parties, c’est parce que le retrait n’affecte, en principe, que les parties, ces dernières pouvant alors être privées de pièces pertinentes afin de soutenir leurs prétentions. Lorsque seules les parties ont un intérêt légitime dans les pièces, leur décision de les retirer par consentement mutuel ne cause aucun préjudice à quiconque. Elles ont dans un tel cas l’entière faculté de retirer les pièces du dossier, notamment afin de protéger la confidentialité des documents en jeu (Sirius, par. 4). L’exigence relative au consentement vise alors à éviter que le retrait des pièces ne produise des effets préjudiciables. D’ailleurs, dans la mesure où le retrait unilatéral d’une pièce ne cause aucun préjudice aux autres parties, cette contravention à l’obligation d’obtenir le consentement de toutes les parties ne saurait être fatale (Wetherall c. Macdonald (1903), 9 R. de J. 381 (C.S.), p. 383).
[123]                     La situation est tout autre lorsque le retrait des pièces même effectué de consentement mutuel porte atteinte à une règle d’ordre public ou à un intérêt né et légitime de tiers. Si le désistement d’une partie ne peut unilatéralement éteindre le droit d’autrui de faire valoir sa demande, il serait incohérent que des parties, même de consentement mutuel, puissent « renoncer pour autrui et faire perdre à celui-ci un droit ou un avantage qu’il possède » (Graham‑Albulet, p. 324).
[124]                     Qui plus est, la Cour d’appel a reconnu que le principe selon lequel les actes procéduraux ne peuvent préjudicier aux droits d’une partie ou d’un tiers ayant formulé préalablement une demande s’appliquait également en cas de retrait ou de modification d’un acte de procédure en vertu de l’art. 206 C.p.c. (9163-5771 Québec inc. c. Bonifier inc., 2017 QCCA 1316, par. 43 (CanLII)). Ce principe transversal du Code de procédure civile précise en conséquence la portée du droit de retrait des pièces par consentement mutuel prévu à l’art. 108 al. 2 C.p.c.
[125]                     Appliquer le principe de la maîtrise du dossier comme s’il constituait une fin en soi serait non seulement contraire à la jurisprudence québécoise, mais irait également à l’encontre de l’économie générale du Code de procédure civile et du principe bien établi voulant qu’il faille interpréter ses dispositions en harmonie avec la Charte québécoise et les principes généraux du droit (disposition préliminaire du C.p.c.; Lac d’Amiante, par. 40; Globe and Mail, par. 45). Agir ainsi occulterait le principe selon lequel la maîtrise du dossier a un caractère relatif et doit s’exercer « dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure » (art. 19 al. 1 C.p.c.), ce qui inclut les règles d’ordre public et les intérêts nés et légitimes des tiers.
IV.         Application du droit aux faits
[126]                     D’entrée de jeu, il convient de souligner que la demande présentée par MédiaQMI survient dans un litige où, dès le dépôt du recours en justice, un juge a rendu une ordonnance limitant le principe du caractère public des débats judiciaires. À la demande de l’intimé CIUSSS, un juge a exercé un pouvoir discrétionnaire pour délivrer ex parte une ordonnance de type Norwich et a ordonné la mise sous scellés de la demande en justice et des pièces déposées à son soutien. Nous ne sommes donc pas dans une sphère purement privée du litige; la justice s’est mise en marche, à la demande de l’intimé CIUSSS, pour soustraire le dossier du regard du public. Au départ, il y a lieu de considérer que la demande présentée par l’appelante en vertu de l’art. 11 C.p.c., afin de savoir si l’exception au principe de la publicité des débats a été respectée est, à première vue, légitime.
[127]                     On comprend que la position du CIUSSS et de M. Kamel repose, en partie, sur l’idée que le caractère des modes privés de règlement des différends doit être respecté et qu’en conséquence ils peuvent, au nom du principe de la maîtrise par les parties de leur dossier, régler leur litige privé loin du regard du public. Sur ce point, les intimés n’ont pas complétement tort. Maîtres de leur dossier, les parties peuvent, en principe, convenir de mettre fin au litige qui les oppose, par désistement négocié ou autrement, et dans bien des cas, de retirer leurs pièces. Toutefois, cette liberté de se retirer du processus judiciaire une fois que le différend est né, comme dans le cas qui nous occupe, ne peut produire d’effets qu’à l’encontre du litige principal.
[128]                     En l’espèce, le dossier judiciaire a été mis sous scellés au départ, y compris les pièces déposées par l’intimé CIUSSS au soutien de sa demande. Dès le moment où l’appelante MédiaQMI a demandé la levée des scellés et l’accès aux pièces, un nouveau débat s’est engagé. Ce second débat dépasse le strict intérêt privé des parties au litige principal : il intéresse le public et la légitimité de l’institution judiciaire et interpelle le fonctionnement de la justice elle-même. Le désistement produit à la suite de la demande déposée en vertu de l’art. 11 C.p.c. ne peut faire échec à ce nouveau débat, distinct du litige principal, qui porte sur le bon fonctionnement de l’institution judiciaire dont la légitimité dépend de sa transparence et en partie, comme on le sait, du regard des médias. Dès lors que l’appelante demandait la levée des scellés et l’accès aux pièces, ces dernières sont visées par ce second débat et, doit-on conclure, les parties n’en avaient plus la maîtrise complète.
[129]                     La demande de MédiaQMI en vue d’obtenir l’accès aux pièces était notamment fondée sur l’art. 11 C.p.c., lequel lui confère le droit de « prendre connaissance des dossiers [. . .] des tribunaux ». Bien qu’intitulée « Requête pour mettre fin aux scellés », la demande visait explicitement l’accès aux pièces. Il est bien établi que le titre d’un acte juridique n’est pas l’élément qui en détermine ou en définit la nature (Ditomene c. Syndicat des enseignants du Cégep de l’Outaouais (SECO), 2012 QCCA 1296, par. 43 (CanLII)). MédiaQMI sollicitait l’accès à des pièces qui étaient alors bel et bien au dossier du tribunal.
[130]                     Saisi d’une demande d’accès aux pièces validement formulée en vertu de l’art. 11 C.p.c., le tribunal devait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’art. 12 C.p.c. vu l’opposition des intimés. MédiaQMI cherchait ainsi à jouer son rôle de « suppléan[t] du public » et à informer les lecteurs des activités se déroulant devant les tribunaux (Edmonton Journal, p. 1339‑1340 et 1360), un rôle crucial dans un contexte d’allégations de fraude au sein d’un organisme public responsable d’assurer le bon fonctionnement des établissements de santé régionaux. Le public a un intérêt légitime à obtenir de l’information sur une instance judiciaire soulevant des allégations de détournement de deniers publics par un cadre œuvrant au sein de cet organisme public.
[131]                     N’eût été le désistement du CIUSSS, la Cour supérieure aurait eu à trancher la demande de MédiaQMI et à exercer son pouvoir discrétionnaire en appliquant la grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club. Le désistement ne peut être opposé à MédiaQMI de manière à lui faire perdre son droit de débattre de sa demande et, dans l’hypothèse où le tribunal avait fait droit à sa demande, de lui faire perdre son droit d’accès aux pièces se trouvant au dossier. Ce droit est né lors du dépôt de sa demande, soit plusieurs semaines avant le désistement du CIUSSS. MédiaQMI avait donc [traduction] « le droit à ce que le tribunal se prononce sur les questions de droit ainsi soulevées, droit que même [un] désistement ne peut à ce stade‑ci écarter » (Byer c. Québec (Inspecteur général des institutions financières), 1999 CanLII 11542 (QC CS), [2000] R.L. 615 (C.S.), p. 623; voir aussi Sobeys, par. 37).
[132]                     En conséquence, le tribunal a conservé sa compétence en vertu de l’art. 11 C.p.c. pour se prononcer sur la demande de MédiaQMI. L’appelante possédait « un droit acquis à débattre sa demande, auquel l’intimée ne pouvait préjudicier au moyen d’un désistement de son action » (Classic Fabrics, par. 39). Le principe de la maîtrise du dossier ne peut porter atteinte aux intérêts nés et légitimes de MédiaQMI de revendiquer l’application d’une règle d’ordre public comme la publicité des débats.
[133]                     Soulignons également que la requête de MédiaQMI devait initialement être débattue le 5 avril 2017, soit avant le désistement du CIUSSS. L’audience a été reportée en raison d’une demande de remise du CIUSSS. Si l’audience avait eu lieu à cette date, la demande d’accès aux pièces de MédiaQMI aurait été soumise au pouvoir discrétionnaire de la Cour supérieure, qui aurait dû appliquer la grille d’analyse élaborée dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club. Il serait pour le moins incongru de conclure que l’appelante puisse perdre son droit de débattre de sa demande uniquement en raison de la date fixée pour l’audition de celle‑ci. De toute évidence, la grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club aurait été applicable si l’audience avait eu lieu avant le désistement. Ce dernier moyen procédural ne peut porter atteinte au droit de faire trancher une demande déposée antérieurement.
[134]                     Il convient de rappeler que les ordonnances de type Norwich peuvent être rendues à huis clos ex parte, et faire l’objet de mises sous scellés, comme ce fut le cas en l’espèce (voir, p. ex., Fers et métaux américains, s.e.c. c. Picard, 2013 QCCA 2255, par. 3 et 7 (CanLII); M. Piché‑Messier et A. Bussières McNicoll, « Développements récents en matière de propriété intellectuelle dans le cadre des ordonnances de type Anton Piller, Mareva et Norwich », dans Service de la qualité de la profession du Barreau du Québec, vol. 464, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (2019), 89, p. 127 et 129). Si un désistement pouvait faire échec à une demande d’accès au dossier, des ordonnances de type Norwich pourraient être obtenues dans un système de justice qui serait, à plusieurs égards, privé. Le principe de la publicité des débats pourrait ainsi être contourné, malgré le caractère exceptionnel et draconien de ces ordonnances.
[135]                     Contrairement à la prétention de l’intimé CIUSSS, MédiaQMI n’avait donc pas l’obligation de présenter une demande en rejet du désistement afin d’être entendue. Bien qu’il soit valide et produise ses effets envers le CIUSSS et M. Kamel, le désistement ne pouvait éteindre les droits que MédiaQMI revendiquait par l’entremise d’une demande déposée antérieurement. En d’autres mots, le désistement n’était tout simplement pas opposable à MédiaQMI. Quoi qu’il en soit, l’avocat de MédiaQMI s’est explicitement opposé au retrait des pièces à l’audience et a affirmé que le désistement n’avait pas d’effet sur sa demande d’accès aux pièces, puisque son droit d’avoir sa demande tranchée s’était « cristallisé ».
[136]                     D’ailleurs, le CIUSSS concède que le tribunal était toujours compétent pour trancher la demande de MédiaQMI sollicitant la levée des scellés, même si l’instance a pris fin par l’effet du désistement. Il reconnaît ainsi qu’un désistement n’a pas d’impact sur le droit de débattre d’une demande antérieure. De ce fait, le CIUSSS confirme implicitement que le désistement ne peut porter atteinte au droit de MédiaQMI de faire trancher sa demande au fond, c’est‑à‑dire, entre autres choses, une demande d’accès aux pièces, ce que le juge de première instance a omis de faire. La Cour supérieure a donc commis une erreur de droit en concluant que le désistement était opposable à MédiaQMI et en permettant au CIUSSS de retirer les pièces.
[137]                     Le CIUSSS soutient que la requête de MédiaQMI ne visait pas l’accès aux pièces, mais uniquement la levée des scellés et que le juge de première instance a fait droit à sa requête. Cet argument est dénué de fondement : l’objectif d’une requête de levée des scellés est d’avoir accès au contenu du dossier tel qu’il était constitué au moment du dépôt de la requête. En d’autres termes, MédiaQMI demandait la levée des scellés afin d’avoir accès aux pièces qui étaient alors au dossier de la Cour supérieure. Quoi qu’il en soit, la requête indiquait explicitement que MédiaQMI sollicitait l’accès aux pièces, et l’avocat de l’appelante a réitéré cette demande lors de l’audience du 25 avril 2017. La Cour supérieure n’en a pas traité.
[138]                     Les intimés soutiennent que le désistement peut produire ses effets à l’encontre de la demande de l’appelante, étant donné que cette dernière n’est pas une partie au litige principal. Il ressort clairement de l’art. 11 C.p.c. et de la jurisprudence applicable que le statut de l’appelante est sans incidence sur le présent pourvoi. La partie qui se désiste renonce à des droits dont elle est titulaire, le désistement étant, comme nous l’avons vu, un acte unilatéral. Considérant qu’on ne peut renoncer aux droits d’autrui, il serait incongru que le principe de la maîtrise du dossier puisse porter préjudice à des droits dont le renonçant n’est pas titulaire, simplement du fait que les droits des tiers plutôt que ceux d’une partie seraient en cause.
[139]                     Le juge Pratte expliquait dans Atkins que « le désistement ne peut être fait au préjudice des droits des tiers » (p. 66). C’est d’autant plus vrai devant l’enjeu d’ordre public que soulève la demande en l’espèce. Une jurisprudence constante rappelle que cette règle s’applique à la fois aux droits des parties et aux droits nés et légitimes des tiers (Barzelex, par. 18; Georgiadis, par. 9; Banque Commerciale Italienne du Canada c. Magas Development Corp., [1992] R.D.I. 246 (C.S. Qc), p. 248; 9163-5771 Québec inc., par. 33; Portnoff (Syndic de), 2000 CanLII 19147 (QC CS), [2000] R.J.Q. 1290 (C.S.); voir aussi Ferland et Emery, nos 1‑1702 et 1‑1703). Si les médias possèdent un intérêt pour déposer un pourvoi en rétractation de jugement qui porte atteinte au principe de la publicité des débats (3834310 Canada Inc., par. 13, 18 et 33), ils ont, à plus forte raison, un intérêt à faire trancher une demande d’accès aux pièces déposée avant un désistement même s’ils sont des « tiers » au débat.
[140]                     Notre conclusion selon laquelle le juge de première instance aurait dû trancher la demande de MédiaQMI repose sur le fait qu’il en était saisi avant le désistement du CIUSSS. En revanche, le désistement aurait produit ses pleins effets à l’égard d’une demande déposée postérieurement. Si MédiaQMI avait déposé sa demande après le désistement du CIUSSS et qu’elle avait demandé l’accès aux pièces alors que celles‑ci ne se trouvaient plus au dossier, son pourvoi aurait échoué sur cette base en l’absence de contestation de la validité constitutionnelle de l’art. 108 C.p.c. En conséquence, à l’instar de notre collègue, nous rejetons la prétention de l’appelante selon laquelle le principe de la publicité des débats protège le droit de faire trancher des demandes d’accès aux pièces même plusieurs années après la fin d’une instance et le retrait des pièces.
[141]                     Bref, le CIUSSS et M. Kamel ne peuvent, même de consentement mutuel, empêcher MédiaQMI de faire trancher sa demande d’accès aux pièces, faire échec au principe de la publicité des débats et éteindre un droit dont ils ne sont pas titulaires. Avec égards pour l’opinion contraire, nous estimons que conclure autrement permettrait aux parties de retirer leurs pièces, et ce, même en cours d’instance, malgré le fait qu’une demande préalable ait été formulée. Ceci risquerait de saper le principe fondamental permettant au public d’avoir accès aux dossiers des tribunaux consacré par le législateur à l’art. 11 C.p.c. Dans les circonstances de l’espèce, l’art. 108 C.p.c. ne saurait avoir cet effet.
V.           Conclusion
[142]                     Pour les motifs qui précèdent, l’appel devrait être accueilli avec dépens.
[143]                     Cependant, nous ne pouvons faire droit à la demande de l’appelante sollicitant l’accès aux pièces. En effet, les intimés n’ont pas eu l’occasion de faire valoir leurs arguments sur ce point. Qui plus est, les pièces ne sont pas au dossier du tribunal et il est donc impossible d’appliquer dans l’abstrait la grille d’analyse élaborée dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club. Comme la juge Marcotte, nous sommes d’avis qu’il faut retourner le dossier à la Cour supérieure pour qu’elle puisse trancher la demande d’accès aux pièces conformément au droit applicable et qu’elle rende les ordonnances qu’elle juge nécessaires, étant donné que selon nous, et ce, soit dit en tout respect, le tribunal de première instance a erronément permis au CIUSSS de retirer les pièces du dossier.

 
Annexe — Dispositions législatives pertinentes
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 :
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
 
Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25 :
83. Avant que l’instance ne soit terminée, les pièces produites ne peuvent être retirées du dossier, si ce n’est avec le consentement de la partie adverse ou l’autorisation du greffier, et contre récépissé; les parties peuvent toutefois s’en faire expédier des copies par le greffier.
 
 
331.9. Les parties doivent reprendre possession des pièces qu’elles ont produites, une fois l’instance terminée. À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l’acte mettant fin à l’instance, à moins que le juge en chef n’en décide autrement.
 
Lorsqu’une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n’ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l’acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n’en décide autrement.
 
Font cependant exception à ces règles les formulaires de fixation des pensions alimentaires pour enfants joints au jugement suivant l’article 825.13.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 :
DISPOSITION PRÉLIMINAIRE
 
Le Code de procédure civile établit les principes de la justice civile et régit, avec le Code civil et en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, la procédure applicable aux modes privés de prévention et de règlement des différends lorsque celle-ci n’est pas autrement fixée par les parties, la procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire de même que la procédure d’exécution des jugements et de vente du bien d’autrui.
 
Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.
 
Enfin, le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il énonce s’interprètent à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet.
 
 
11. La justice civile administrée par les tribunaux de l’ordre judiciaire est publique. Tous peuvent assister aux audiences des tribunaux où qu’elles se tiennent et prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux.
 
Il est fait exception à ce principe lorsque la loi prévoit le huis clos ou restreint l’accès aux dossiers ou à certains documents versés à un dossier.
 
Les exceptions à la règle de la publicité prévues au présent chapitre s’appliquent malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12).
 
 
16. En matière familiale ou de changement de la mention du sexe figurant à l’acte de naissance d’un enfant mineur, l’accès aux dossiers est restreint. En toutes autres matières, notamment celles relatives à l’intégrité ou à la capacité de la personne, l’accès aux documents portant sur la santé ou la situation psychosociale d’une personne est restreint si ces documents sont déposés sous pli cacheté.
 
Lorsque l’accès aux dossiers ou à des documents est restreint, seuls peuvent les consulter ou en prendre copie les parties, leurs représentants, les avocats et les notaires, les personnes désignées par la loi et les personnes, dont les journalistes, qui, ayant justifié d’un intérêt légitime, sont autorisées par le tribunal selon les conditions et modalités d’accès que celui-ci fixe.
 
Lorsqu’il s’agit d’un dossier ayant trait à l’adoption, seuls les parties, leurs représentants ou toute personne ayant justifié d’un intérêt légitime peuvent y avoir accès si le tribunal les y autorise et selon les conditions et modalités qu’il fixe.
 
Le ministre de la Justice est considéré, d’office, avoir un intérêt légitime pour accéder aux dossiers ou aux documents à des fins de recherche, de réforme ou d’évaluation d’une procédure.
 
Les personnes ayant eu accès à un dossier en matière familiale ou de changement de la mention du sexe figurant à l’acte de naissance d’un enfant mineur ne peuvent divulguer ou diffuser aucun renseignement permettant d’identifier une partie à une instance ou un enfant dont l’intérêt est en jeu dans une instance, à moins que le tribunal ou la loi ne l’autorise ou que cette divulgation ou diffusion ne soit nécessaire pour permettre l’application d’une loi.
 
 
19. Les parties à une instance ont, sous réserve du devoir des tribunaux d’assurer la saine gestion des instances et de veiller à leur bon déroulement, la maîtrise de leur dossier dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure et des délais établis.
 
Elles doivent veiller à limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige et elles ne doivent pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
 
Elles peuvent, à tout moment de l’instance, sans pour autant qu’il y ait lieu d’en arrêter le cours, choisir de régler leur litige en ayant recours à un mode privé de prévention et de règlement des différends ou à la conciliation judiciaire; elles peuvent aussi mettre autrement fin à l’instance.
 
 
20. Les parties se doivent de coopérer notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.
 
Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l’instance, s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire.
 
 
108. Les parties, ainsi que les avocats ou, dans les procédures non contentieuses, les notaires qui les représentent, doivent veiller à ce que les pièces et autres documents qui comportent des éléments d’identification généralement tenus pour confidentiels soient produits sous une forme propre à assurer le caractère confidentiel de l’information.
 
Tout document ou élément matériel de preuve produit au dossier à titre de pièce doit y demeurer jusqu’à la fin de l’instance, à moins que toutes les parties ne consentent à son retrait. Les parties doivent, une fois l’instance terminée, reprendre possession des pièces qu’elles ont produites; à défaut, le greffier, un an après la date du jugement passé en force de chose jugée ou de l’acte qui met fin à l’instance, peut les détruire. Dans l’un et l’autre cas, le juge en chef du tribunal concerné peut surseoir à la destruction des pièces s’il considère qu’elles peuvent encore être utiles.
 
Toutefois, dans les matières susceptibles de révision ou de réévaluation ainsi que, dans les affaires non contentieuses, les avis, les procès-verbaux, les inventaires, les preuves médicales et psychosociales, les déclarations et les documents rendus exécutoires par le prononcé d’un jugement, y compris le cas échéant le formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants qui y est joint, ne doivent être ni retirés ni détruits.
 
 
213. Le demandeur qui se désiste en totalité de sa demande en justice met fin à l’instance dès que l’acte de désistement est notifié aux autres parties et déposé au greffe. Le désistement remet les choses en état; il a effet immédiatement s’il est fait devant le tribunal en présence des parties. Les frais de justice sont à la charge du demandeur, sous réserve d’une entente convenue entre les parties ou d’une décision du tribunal.
 
                    Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef Wagner et les juges Rowe, Martin et Kasirer sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelante : Prévost Fortin D’Aoust, Boisbriand (Qc).
                    Procureurs de l’intimé Magdi Kamel : Grondin Savarese Legal Inc., Montréal.
                    Procureurs de l’intimé le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest‑de‑l’Île‑de‑Montréal : Lavery, de Billy, Montréal.
                    Procureurs de l’intervenante la Fédération professionnelle des journalistes du Québec : Gowling WLG (Canada), Montréal.
                    Procureurs des intervenantes la Société Radio‑Canada, La Presse Inc. et Ad IDEM/Canadian Media Lawyer Association : Fasken Martineau DuMoulin, Montréal.

[1] Le texte des dispositions législatives pertinentes est reproduit en annexe.
[2]  Au soutien de leur position, MédiaQMI et les intervenantes ont attiré notre attention sur quelques affaires issues de juridictions de common law, dont CTV Television Inc. c. Ontario Superior Court of Justice (Toronto Region) (2002), 2002 CanLII 41398 (ON CA), 59 O.R. (3d) 18 (C.A.), et Hong c. Lavy, 2019 NSSC 271, 46 C.P.C. (8th) 327. Sans me prononcer sur leur bien-fondé, je souligne que ces décisions se distinguent aisément de l’espèce. L’une et l’autre ont été rendues dans des contextes où aucune disposition législative ou réglementaire n’encadrait l’accès aux pièces et le contenu des dossiers judiciaires, comme le font les art. 11 et 108 C.p.c.
[3]  Cette expression, que mes collègues reprennent à leur compte, provient du contexte très particulier de l’arrêt Classic Fabrics Corp. c. B. Rawe GMBH & Co., 2001 CanLII 7221 (C.A. Qc). Dans cette affaire de nature commerciale, une société québécoise avait tenté de poursuivre une société allemande, mais les tribunaux québécois avaient décliné compétence en raison des règles du droit international privé. La société allemande avait répliqué en poursuivant la société québécoise au Québec, mais elle s’était désistée après que cette dernière eut tenté d’amender sa défense pour y introduire une demande reconventionnelle. Ce désistement aurait eu pour effet d’empêcher la société québécoise de faire trancher sa réclamation par les tribunaux québécois. Comme cela causait un préjudice indéniable aux droits et avantages que l’état des procédures avait fait naître en sa faveur, elle a demandé l’annulation du désistement. La Cour d’appel lui a donné raison; elle a annulé le désistement et permis l’ajout de la demande reconventionnelle. Ce sont ces circonstances pour le moins inusitées qui l’ont amenée à parler d’un « droit acquis à débattre sa demande, auquel [la société allemande] ne pouvait préjudicier au moyen d’un désistement de son action » (par. 39). Je ne vois rien dans cet arrêt qui établirait que toute demande incidente, fût-elle d’un tiers à l’instance et sans rapport avec les prétentions des parties au fond, confère un véritable droit acquis à en débattre malgré la survenance d’un désistement.
[4]  Le droit français conçoit le désistement comme « l’offre faite par le demandeur au défendeur, qui l’accepte, d’arrêter le procès sans attendre le jugement » : J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile (27e éd. 2003), p. 878 (italique omis). En principe, le demandeur est libre de se désister « en toute matière » : art. 394 du Nouveau Code de procédure civile français. Mais sa manifestation unilatérale de volonté ne suffit pas à éteindre le rapport juridique d’instance que sa demande en justice a créé entre les parties; encore faut-il que le désistement soit « parfait » par l’acceptation du défendeur. Celle-ci n’est toutefois « pas nécessaire si le défendeur n’a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste » : art. 395. Dans les cas où elle est requise, elle ne peut être refusée que pour un motif légitime : art. 396. Lorsqu’il y a plusieurs parties ou intervenants, le rapport juridique d’instance ne s’éteint qu’entre ceux qui ont accepté le désistement : Fricero, « Désistement », no 106. Les personnes qui ne participent pas à l’instance, et dont l’acceptation n’est donc pas requise par le Code de procédure civile français, ne peuvent empêcher l’effet extinctif du rapport juridique d’instance qui accompagne le désistement parfait. Mais si celui-ci porte atteinte à leurs droits, ils peuvent en rechercher l’annulation : ibid., no 105. À la différence de la procédure civile française, la procédure civile québécoise ne distingue pas entre le désistement « imparfait » et le désistement « parfait ». Elle considère que le désistement anéantit l’instance, mais elle en permet l’annulation quand il y a préjudice aux droits d’une partie (Atkins; 175809 Canada inc. c. 2740478 Canada inc., 2000 CanLII 9254 (C.A. Qc)) ou d’un tiers (tel le cas d’un enfant dans l’intérêt duquel le juge doit statuer en vertu de l’art. 33 du Code civil du Québec : Droit de la famille — 092038, 2009 QCCS 3822, [2009] R.D.F. 646).


Synthèse
Référence neutre : 2021CSC23 ?
Date de la décision : 28/05/2021

Analyses

parties ; instances ; procédure civile ; tribunaux ; principes ; demandes ; MédiaQMI ; publicité des débats ; Cour supérieure ; désistement du CIUSSS ; règlements ; ordonnances ; possession ; application ; ordre public ; dispositions


Parties
Demandeurs : MédiaQMI inc.
Défendeurs : Kamel
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 28 mai 2021, MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2021-05-28;2021csc23 ?

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