Répertorié : TELUS Communications Inc contre W
No du greffe : 37722
2018 : 6 novembre; 2019 : 4 avril.
en appel de la cour d’appel de l’Ontario
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin
Motifs de jugement (par. 1 à 105) : Le juge Moldaver (avec l’accord des juges Gascon, Côté, Brown et Rowe)
Motifs dissidents (par. 106 à 172) : Les juges Abella et Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et de la juge Martin)
Procureur général de la Colombie-Britannique, ADR Chambers Inc., Chambre de commerce du Canada, Centre pour la défense de l’intérêt public, Consumers Council of Canada, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko et Association des consommateurs du Canada, Intervenants
Arrêt (le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis et Martin sont dissidents) : L’appel est accueilli et le sursis des réclamations des clients commerciaux est ordonné.
Les juges Moldaver, Gascon, Côté, Brown et Rowe : Le paragraphe 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage ne confère pas aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner le sursis des réclamations qui sont visées par une convention d’arbitrage. Les mesures de protection prévues par la Loi sur la protection du consommateur permettent aux consommateurs de présenter leurs réclamations devant les tribunaux, mais les clients commerciaux restent liés par les conventions d’arbitrage dont ils ont convenu. Ils sont donc exposés au sursis prévu au par. 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. Puisque la seule exception potentielle à la règle générale énoncée au par. 7(1) sur laquelle s’est fondé W ne s’applique pas, il y a lieu de surseoir aux réclamations des clients commerciaux.
Conformément à l’approche moderne, selon laquelle l’arbitrage est un processus autonome par lequel les parties conviennent de régler leurs différends en les soumettant à un arbitre et non à un tribunal, l’art. 6 de la Loi de 1991 sur l’arbitrage indique que les tribunaux doivent généralement adopter une politique de non‑intervention à l’égard des questions régies par cette loi. Le paragraphe 7(1) de cette dernière établit la règle générale selon laquelle, si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question traitée dans la convention, le tribunal doit, sur la motion d’une autre partie à la convention, surseoir à l’instance au profit de l’arbitrage. Cette règle générale confirme le concept de l’autonomie des parties et la politique sous‑jacente de la Loi de 1991 sur l’arbitrage selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue. Le paragraphe 7(2) énumère cinq exceptions à la règle générale prévue au par. 7(1), soit des cas où il serait injuste ou peu pratique de renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Le paragraphe 7(5) prévoit une autre exception à la règle générale prévue au par. 7(1), une exception qui comprend deux éléments principaux. Premièrement, les alinéas 7(5)a) et b) énoncent deux conditions préalables. Il est satisfait à la première si la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite. Autrement dit, l’instance doit porter sur au moins une question qui est traitée dans la convention d’arbitrage et une question qui n’est pas traitée dans la convention d’arbitrage. Il est satisfait à la deuxième condition préalable s’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions. Deuxièmement, s’il est satisfait aux deux conditions préalables, au lieu d’ordonner un sursis complet, le tribunal peut autoriser que les questions qui ne sont pas traitées dans la convention d’arbitrage soient soumises au tribunal. Il est toutefois tenu de surseoir à l’instance malgré tout en ce qui touche les questions qui sont traitées dans la convention d’arbitrage. S’il n’est pas satisfait aux conditions préalables, l’exception discrétionnaire prévue au par. 7(5) n’entre pas en jeu, puisque celui‑ci ne prend effet que si les deux conditions préalables sont remplies. Dans ce cas, à moins qu’une des exceptions énumérées au par. 7(2) ne s’applique, c’est la règle générale prévue au par. 7(1) qui prévaut et le tribunal doit ordonner le sursis de l’instance.
Des considérations de nature politique ne doivent pas servir à déformer le libellé de la loi, interprété d’une façon qui s’harmonise avec l’économie et l’objet du texte législatif en cause ainsi qu’avec l’intention du législateur, pour donner à l’art. 7(5) un sens qu’il n’a pas. L’analyse des considérations de politique générale joue un rôle légitime dans le processus d’interprétation des lois, mais le choix des politiques dans une démocratie parlementaire demeure la responsabilité du législateur et non celle des tribunaux. Il en est particulièrement ainsi du fait que, en adoptant la Loi sur la protection du consommateur, la législature de l’Ontario a déjà traité de certaines de ces préoccupations de nature politique en protégeant les consommateurs des conséquences possiblement sévères de l’application des conventions d’arbitrage prévues dans les conventions de consommation, qui prennent souvent la forme de contrats types. Le législateur a pris avec soin la décision politique d’exempter les consommateurs — et seulement les consommateurs — de l’application ordinaire des conventions d’arbitrage. Il faut respecter ce choix, et non pas le miner en interprétant le par. 7(5) comme permettant aux tribunaux de traiter les consommateurs et les non‑consommateurs sur un pied d’égalité.
L’importance de promouvoir l’accès à la justice ne fait aucun doute. On ne saurait pour autant permettre, à moins d’une directive du législateur, que cet objectif prenne le dessus sur les autres objectifs importants visés par la Loi de 1991 sur l’arbitrage. Adopter cette approche minerait l’objectif déclaré du législateur de s’assurer que les parties à une convention d’arbitrage valide la respectent et réduirait le degré de certitude et de prévisibilité associé aux conventions d’arbitrage en plus d’affaiblir le concept d’autonomie des parties dans le contexte commercial. Cela augmenterait les occasions pour les parties à une convention d’arbitrage valide de se soustraire aux obligations qui y sont prévues et d’exiger réparation devant les tribunaux. En outre, cette affaire n’a pas pour but de débattre des avantages et des inconvénients de l’application de clauses d’arbitrage contenues dans des contrats types. Elle concerne plutôt l’interprétation qu’il convient de donner au par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. Bien que différencier les consommateurs et les non‑consommateurs puisse s’avérer difficile dans certains cas, cette difficulté n’a aucune incidence sur l’interprétation qu’il convient de donner au par. 7(5). De plus, même s’il peut s’avérer encombrant dans certains cas de procéder à cette distinction, cet inconvénient n’autorise pas le tribunal à reformuler la loi comme bon lui semble pour éviter de telles difficultés. Permettre aux non‑consommateurs de se joindre aux consommateurs parce qu’il serait encombrant de les distinguer les uns des autres permettrait aussi aux entités commerciales de se retrouver devant les tribunaux judiciaires en dépit de leur consentement à recourir à l’arbitrage, même lorsque la convention d’arbitrage est le fruit d’une négociation en bonne et due forme. Cela réduirait le degré de certitude et de prévisibilité associé aux conventions d’arbitrage et permettrait aux parties à ces conventions de greffer leurs réclamations à celles d’autres parties. Enfin, si l’application d’une loi ontarienne, interprétée correctement, mène à la multiplicité des instances, les tribunaux doivent donner effet à l’intention du législateur. Le paragraphe 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage prévoit expressément la tenue possible de recours parallèles, car il permet au tribunal d’ordonner un sursis partiel — ce qui pourrait donner lieu à deux procédures concurrentes, soit une procédure d’arbitrage et une procédure judiciaire.
La seule question en litige dans le recours intenté par W est celle de la surfacturation alléguée. Or, les conventions d’arbitrage qu’ont signé les consommateurs et les clients commerciaux traitent de cette question. Comme l’instance porte sur au moins une question qui est traitée dans les conventions d’arbitrage, la règle générale prévue au par. 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage exigerait normalement qu’il soit sursis aux procédures dans leur ensemble, ce qui empêcherait tant les consommateurs que les clients commerciaux de recourir aux tribunaux. Or, le par. 7(5) de la Loi sur la protection au consommateur invalide les conventions d’arbitrage dont ont convenu les consommateurs, dans la mesure où elles empêchent par ailleurs ces derniers d’exercer leur droit d’introduire un recours collectif du type de celui déposé par W, ou de se joindre à un tel recours. Les clients commerciaux, par contre, ne sont pas des consommateurs, et ils ne peuvent donc pas se prévaloir des mesures de protection dont profitent ces derniers.
La seule exception potentielle au par. 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage qu’on cherche à invoquer au nom des clients commerciaux en l’espèce, soit la disposition relative au sursis partiel prévue au par. 7(5), ne leur est d’aucun secours. Il en est ainsi parce que la seule question en litige dans le recours est visée par les conventions d’arbitrage qu’ont signées tant les consommateurs que les clients commerciaux, de sorte qu’il n’est pas satisfait à la première condition préalable énoncée à l’al. 7(5)a). La règle générale prévue au par. 7(1) reste donc intacte en ce qui a trait aux clients commerciaux et il faut surseoir à l’instance. Toutefois, ce sursis doit être limité aux parties qui sont liées légalement par une convention d’arbitrage — à savoir TELUS et les clients commerciaux. En somme, la juge des motions et la Cour d’appel ont commis une erreur de droit en interprétant incorrectement le par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage et en refusant d’ordonner un sursis qui, suivant le par. 7(1), était obligatoire. Le paragraphe 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage ne permet pas au tribunal d’écarter une convention d’arbitrage valide et exécutoire.
Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis et Martin (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. Lorsque l’instance porte à la fois sur des questions visées par une convention d’arbitrage et d’autres questions qui ne le sont pas, le par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage investit le juge du pouvoir discrétionnaire de permettre que toute l’instance se poursuive devant le tribunal, même si certaines parties sont par ailleurs assujetties à une clause d’arbitrage.
Le paragraphe 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage révèle l’intention explicite du législateur d’écarter la clause d’arbitrage par ailleurs applicable. La disposition prévoit que « [l]e tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions », ce qui signifie que le tribunal peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions arbitrables qui lui sont soumises ou permettre qu’elle se poursuive. Logiquement, le pouvoir discrétionnaire d’accorder un sursis partiel comprend également le pouvoir de refuser d’accorder un sursis partiel. La seule interprétation qui donne véritablement effet au libellé discrétionnaire du par. 7(5) est celle qui confère aux juges le pouvoir de permettre que les différends arbitrables ainsi que les différends non arbitrables soient portés devant le tribunal. L’affirmation selon laquelle le tribunal ne peut jamais surseoir aux questions arbitrables en vertu du par. 7(5) rend superflue la première phrase de cette disposition — « peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage ». Si on interprète la disposition comme s’appliquant seulement aux questions non arbitrables, le par. 7(5) n’ajoute rien au pouvoir discrétionnaire existant du juge.
La Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario a été adoptée afin de permettre aux parties d’élaborer leurs propres processus de règlement et de résoudre leurs différends à l’extérieur des tribunaux. Elle prévoyait que deux ou plusieurs parties peuvent négocier librement leur processus d’arbitrage. Afin d’assurer le règlement opportun des différends et de diminuer les frais de justice, la Loi de 1991 sur l’arbitrage a limité l’intervention judiciaire à l’égard des différends arbitrables. Mais elle a aussi investi les juges du pouvoir discrétionnaire d’autoriser les instances judiciaires dans certaines circonstances précises, par exemple lorsque la convention d’arbitrage était manifestement inéquitable. Lorsque l’instance porte à la fois sur des questions visées par une convention d’arbitrage et d’autres questions qui ne le sont pas, le par. 7(5) investit le juge du pouvoir discrétionnaire de permettre que toute l’instance se poursuive devant le tribunal, même si certaines parties sont par ailleurs assujetties à une clause d’arbitrage. Depuis 2002, la Cour d’appel de l’Ontario a interprété le par. 7(5) comme conférant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de surseoir aux questions qui seraient par ailleurs soumises à l’arbitrage. De même, depuis une dizaine d’années, la Cour d’appel de l’Ontario a interprété le par. 7(5) comme permettant que des questions par ailleurs arbitrables soient jointes aux recours collectifs afin d’éviter, dans l’intérêt public, le dédoublement des instances, des coûts plus élevés et le risque de résultats incohérents. Cette interprétation s’accorde avec le texte des dispositions et le régime créé par celles‑ci et est conforme non seulement aux objets ayant motivé l’adoption de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, mais aussi à l’objet du par. 7(5) lui‑même.
L’objet général de la Loi de 1991 sur l’arbitrage était de promouvoir l’accès à la justice. Le moyen choisi pour atteindre cet objectif consistait à favoriser l’accessibilité en donnant aux parties le choix de régler leurs différends en dehors du système judiciaire. Cette possibilité a été offerte en reconnaissance du fait que le système judiciaire peut être lent et coûteux. Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’intervenir dans les affaires arbitrables a donc été restreint afin de favoriser la réalisation des objectifs du règlement opportun des différends.
L’arbitrage se voulait un moyen permettant à des parties relativement égales en situation de négociation de choisir de créer un mécanisme extrajudiciaire de règlement des différends. On ne peut pas parler de « pouvoir de négociation égal » et d’« autonomie des parties » si la nature même du contrat révèle qu’une partie possède le pouvoir exclusif de décider du contenu du contrat. On ne saurait donc raisonnablement affirmer que les parties aux conventions d’arbitrage individuel obligatoire ont « pris place à la table » et négocié, car il n’y a pas de table de négociation. La signature de ces contrats par les particuliers et les sociétés est fonction non pas de choix négociés, mais d’une absence de choix. Tous les clients de TELUS — tant les clients commerciaux que les clients consommateurs — ont signé le même contrat type non négociable. La clause d’arbitrage individuel de TELUS empêche en fait les clients commerciaux d’avoir accès à la justice lorsqu’une réclamation de faible valeur ne justifie pas la dépense. Son caractère obligatoire, en outre, indique que les principes sous‑jacents de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle brillent par leur absence.
En insérant l’exigence du caractère raisonnable dans l’al. 7(5)b) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, le législateur provincial a manifestement prévu que, dans certains cas, il ne serait pas raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention d’arbitrage des autres questions. La possibilité d’avoir recours au pouvoir discrétionnaire prévu au par. 7(5) n’a pas pour effet d’obliger les juges à permettre que l’instance relative à un recours collectif comportant des réclamations arbitrables se poursuive : ils peuvent simplement décider quand il est raisonnable de le faire. L’élimination de ce pouvoir discrétionnaire, par contre, réduit à néant l’accès à la justice. Dans ce contexte, le par. 7(5) doit être interprété de façon à conférer aux juges le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir aux réclamations arbitrables s’il n’est pas raisonnable de les dissocier des réclamations non arbitrables. Cette interprétation s’applique tout autant lorsque l’instance oppose deux parties désignées ou plus que lorsqu’il s’agit d’un recours collectif. Une interprétation du par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage qui permet que des questions par ailleurs arbitrables soient jointes aux recours collectifs afin d’éviter, dans l’intérêt public, le dédoublement des instances, des coûts plus élevés et le risque de résultats incohérents s’accorde avec le texte des dispositions et le régime créé par celles‑ci et est conforme non seulement aux objets ayant motivé l’adoption de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, mais aussi à l’objet du par. 7(5) lui‑même.
L’interprétation préconisée par TELUS donnerait lieu à des examens des faits longs et coûteux quant à la façon dont les réclamations arbitrables seraient dissociées de celles qui ne le sont pas, même lorsque le fond des réclamations est identique, comme en l’espèce. Les deux parties ont reconnu les difficultés éventuelles que peut susciter le fait d’établir une distinction entre le « consommateur » au sens de la Loi sur la protection du consommateur, qui échappe à l’arbitrage, et le client commercial, qui n’y échappe pas. Cette distinction pourrait être particulièrement difficile à établir pour les personnes qui utilisent leur téléphone cellulaire tant à des fins personnelles que dans le cadre de leur entreprise. Établir si ces personnes tombent sous le coup de l’exception prévue dans la Loi sur la protection du consommateur rendrait l’analyse inutilement plus complexe.
L’objet de la Loi de 1991 sur l’arbitrage était d’accroître la capacité des parties de négocier leur propre processus de règlement extrajudiciaire des différends, en partant du principe que l’accès à la justice avait autant à voir avec l’accès à un résultat qu’avec l’accès à un juge. Imposer l’arbitrage à des parties qui n’en veulent pas va à l’encontre de l’esprit de la Loi de 1991 sur l’arbitrage et du processus arbitral. Cela tient lieu de barrière invisible, mais énorme, à la réparation et fait en sorte que les auteurs d’actes répréhensibles sont présumés soustraits à leur responsabilité, contrairement à nos notions les plus fondamentales de justice civile. L’alinéa 7(5)b) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage conférait à la juge des requêtes le pouvoir discrétionnaire de décider s’il était raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention (les réclamations des clients commerciaux) des autres questions (les réclamations des consommateurs). Le pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire a été correctement exercé pour permettre la jonction des réclamations des clients commerciaux au recours collectif intenté par des consommateurs et traitant des mêmes questions.
Jurisprudence
Citée par le juge Moldaver
Arrêts examinés : Griffin c. Dell Canada Inc., 2010 ONCA 29, 98 O.R. (3d) 481; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; arrêts mentionnés : Corless c. Bell Mobility Inc., 2015 ONSC 7682; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Radewych c. Brookfield Homes (Ontario) Ltd., 2007 CanLII 23358, conf. par 2007 ONCA 721; Johnston c. Goudie (2006), 212 O.A.C. 79; Penn‑Co Construction Canada (2003) Ltd. c. Constance Lake First Nation (2007), 66 C.L.R. (3d) 78, conf. par 2008 ONCA 768, 76 C.L.R. (3d) 1; Frambordeaux Developments Inc. c. Romandale Farms Ltd., 2007 CanLII 55364; New Era Nutrition Inc. c. Balance Bar Co., 2004 ABCA 280, 357 A.R. 184; Griffin c. Dell Canada Inc. (2009), 72 C.P.C. (6th) 158; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Rogers Sans‑fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921; GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401; Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Re Rootes Motors (Canada) Ltd. and Wm. Halliday Contracting Co., [1952] 4 D.L.R. 300; Ontario Hydro c. Denison Mines Ltd., 1992 CarswellOnt 3497; Astoria Medical Group c. Health Insurance Plan of Greater New York, 182 N.E.2d 85 (1962); Re Arbitration Act (1964), 47 W.W.R. 544; Haas c. Gunasekaram, 2016 ONCA 744, 62 B.L.R. (5th) 1; Inforica Inc. c. CGI Information Systems and Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642, 97 O.R. (3d) 161; Alberici Western Constructors Ltd. c. Saskatchewan Power Corp., 2016 SKCA 46, 476 Sask. R. 255; Briones c. National Money Mart Co., 2013 MBQB 168, 295 Man. R. (2d) 101, conf. par 2014 MBCA 57, 306 Man. R. (2d) 129; MDG Kingston Inc. c. MDG Computers Canada Inc., 2008 ONCA 656, 92 O.R. (3d) 4; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Heller c. Uber Technologies Inc., 2019 ONCA 1.
Citée par les juges Abella et Karakatsanis (dissidentes)
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Griffin c. Dell Canada Inc., 2010 ONCA 29, 98 O.R. (3d) 483; Griffin c. Dell Canada Inc. (2009), 72 C.P.C. (6th) 158; Radewych c. Brookfield Homes (Ontario) Ltd., [2007] O.J. No. 2483, 158 A.C.W.S. (3d) 523, conf. par 2007 ONCA 721; Johnston c. Goudie (2006), 212 O.A.C. 79; Penn‑Co Construction Canada (2003) Ltd. c. Constance Lake First Nation (2007), 66 C.L.R. (3d) 78, conf. par 2008 ONCA 768, 76 C.L.R. (3d) 1; Frambordeaux Developments Inc. c. Romandale Farms Ltd., [2007] O.J. No. 4917, 162 A.C.W.S. (3d) 711; New Era Nutrition Inc. c. Balance Bar Co., 2004 ABCA 280, 245 D.L.R. (4th) 107; R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967; Rosedale Motors Inc. c. Petro‑Canada Inc. (1998), 42 O.R. (3d) 776; Brown c. Murphy (2002), 59 O.R. (3d) 404; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531.
Lois et règlements cités
Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, art. 1 « convention d’arbitrage », 6, 7.
Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6.
Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann. A., art. 1 . « consommateur », « convention de consommation », « fournisseur », 7, 8.
Loi d’interprétation, L.R.O. 1990, c. I.11, art. 10.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, art. , 138.
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 1.03(1) « instance ».
Doctrine et autres documents cités
Alberta. Institute of Law Research and Reform. Report No. 51. Proposals for a New Alberta Arbitration Act, Edmonton, Institute of Law Research and Reform, 1988.
Alberta Law Reform Institute. Final Report No. 103. Arbitration Act : Stay and Appeal Issues, Edmonton, Alberta Law Reform Institute, 2013.
Casey, J. Brian. Arbitration Law of Canada : Practice and Procedure, 3rd ed., Huntington (N.Y.), Juris, 2017.
Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada. Loi uniforme sur l’arbitrage (1990) (en ligne : https://www.ulcc.ca/images/stories/Uniform_Acts_FR/Arbitrat_Fr.pdf; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2019SCC-CSC19_1_fra.pdf).
Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada. Loi de 2002 modifiant la loi sur l’arbitrage (en ligne : https://www.ulcc.ca/fr/lois‑uniformes‑nouvelle‑structure/lois‑uniformes‑moins‑courantes/118‑josetta‑1‑fr‑fr/lois‑uniformes/loi‑sur‑larbitrage/1109‑larbitrage‑loi‑modifiant; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2019SCC-CSC19_2_fra.pdf).
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
Estlund, Cynthia. « The Black Hole of Mandatory Arbitration » (2018), 96 N.C. L. Rev. 679.
McEwan, J. Kenneth, and Ludmila B. Herbst. Commercial Arbitration in Canada : A Guide to Domestic and International Arbitrations, Aurora (Ont.) : Canada Law Book, 2004 (loose‑leaf updated December 2018, release 16).
McGill, Shelley. « The Conflict Between Consumer Class Actions and Contractual Arbitration Clauses » (2006), 43 Rev. can. dr. comm. 359.
Ontario. Assemblée législative. Journal des débats (Hansard), 1re sess., 35e lég., 27 mars 1991, p. 245, 256.
Ontario. Assemblée législative. Journal des débats (Hansard), 1re sess., 35e lég., 5 novembre 1991, p. 3384.
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Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Weiler, Blair et van Rensburg), 2017 ONCA 433, 138 O.R. (3d) 413, 413 D.L.R. (4th) 684, 100 C.P.C. (7th) 1, [2017] O.J. No. 2800 (QL), 2017 CarswellOnt 8100 (WL Can.), [2017] AZ‑51397363, qui a confirmé une décision de la juge Conway, 2014 ONSC 3318, 63 C.P.C. (7th) 50, [2014] O.J. No. 5613 (QL), 2014 CarswellOnt 16562 (WL Can.). Pourvoi accueilli, le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis et Martin sont dissidents.
D. Geoffrey G. Cowper, c.r., Andrew D. Borrell, Alexandra Mitretodis et Alan Dabb, pour l’appelante.
Joel P. Rochon, Peter R. Jervis, Golnaz Nayerahmadi et Eli Karp, pour l’intimé.
Jonathan Eades et James L. Maxwell, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Michael Eizenga, Andrew Little, Ranjan Agarwal et Charlotte Harman, pour l’intervenante ADR Chambers Inc.
Breton Kain, Adam Goldenberg et Ljiljana Stanić, pour l’intervenante la Chambre de commerce du Canada.
Mohsen Seddigh et Daniel Hamson, pour les intervenants le Centre pour la défense de l’intérêt public et Consumers Council of Canada.
Anthony Daimsis, pour l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.
Marina Pavlović et Cynthia Khoo, pour l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko.
Daniel E.H. Bach, Tyler J. Planeta et Michael Sobkin, pour l’intervenante l’Association des consommateurs du Canada.
Version française du jugement des juges Moldaver, Gascon, Côté, Brown et Rowe rendu par
Le juge Moldaver —
I. Aperçu
[1] La Cour est appelée à déterminer ce qui arrive lorsqu’une série de conventions d’arbitrage, la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17 (« Loi sur l’arbitrage »)[1], la Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann. A (« Loi sur la protection du consommateur ») et un recours collectif visant à la fois des consommateurs et des non-consommateurs entrent en conflit.
[2] C’est ce qui est survenu lorsque l’intimé, Avraham Wellman, a déposé un recours collectif projeté en Ontario contre l’appelante, TELUS Communications Inc. (« TELUS »), au nom d’environ deux millions de résidents ontariens ayant conclu un contrat de service de téléphonie cellulaire avec la société pendant une période donnée. Le groupe en cause est composé de consommateurs et de non‑consommateurs, ces derniers étant des clients commerciaux. L’action porte sur l’allégation selon laquelle TELUS s’est livrée à une pratique non divulguée consistant à « arrondir » la durée des appels à la minute suivante, de sorte que les services étaient surfacturés aux clients et que ceux‑ci ne recevaient pas le nombre de minutes auquel ils avaient droit.
[3] Les contrats en question, qui n’ont pas été négociés, renferment des conditions types rédigées par TELUS, dont une clause d’arbitrage qui stipule, en gros, que toutes les réclamations découlant du contrat ou s’y rapportant, sauf en ce qui concerne le recouvrement de créances par TELUS, doivent faire l’objet d’une médiation ou, à défaut de règlement, d’un arbitrage.
[4] Aux termes de la Loi sur la protection du consommateur, cette clause d’arbitrage est toutefois invalide dans la mesure où elle empêche les membres du groupe qui sont des « consommateurs » d’introduire un recours collectif ou de participer à un tel recours comme celui qu’a intenté M. Wellman. En effet, comme nous le verrons, la Loi sur la protection du consommateur protège expressément les consommateurs contre le sursis de l’instance qui serait prononcé en application de la Loi sur l’arbitrage. Ces membres du groupe peuvent donc présenter leurs réclamations devant les tribunaux. Par contre, les clients commerciaux ne bénéficient pas de ces mesures de protection. Dans quelle situation cela les place‑t‑il?
[5] Selon M. Wellman, la réponse se trouve au par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage qui, lu conjointement avec le par. 7(1), prévoit :
Sursis
7 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
. . .
Convention s’appliquant à une partie du différend
(5) Le tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions, s’il constate :
a) d’une part, que la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite;
b) d’autre part, qu’il est raisonnable de dissocier les questions
traitées dans la convention des autres questions.
[6] Dans ses observations, M. Wellman fait valoir que le par. 7(5) confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de permettre à tous les membres du groupe, qu’il s’agisse de consommateurs ou de clients commerciaux, de présenter ensemble leurs réclamations devant les tribunaux, pourvu qu’il ne soit pas raisonnable de dissocier leurs réclamations. Selon M. Wellman, il en est ainsi en dépit du fait que les clients commerciaux ont convenu par contrat de soumettre leurs réclamations à l’arbitrage et qu’ils sont par ailleurs liés par ce contrat. Les tribunaux d’instances inférieures ont souscrit à l’argument de M. Wellman, sur le fondement de la décision Griffin c. Dell Canada Inc., 2010 ONCA 29, 98 O.R. (3d) 481, demande d’autorisation de pourvoi refusée, [2010] 1 R.C.S. viii.
[7] TELUS n’est pas du même avis. Selon elle, le paragraphe 7(5) ne confère pas aux tribunaux le pouvoir de refuser d’ordonner le sursis des réclamations qui sont visées par une convention d’arbitrage par ailleurs valide et exécutoire. Elle est plutôt d’avis que les seules exceptions possibles à la règle générale relative au sursis prévue au par. 7(1) sont énoncées au par. 7(2) et que, si aucune de ces exceptions ne s’applique, les réclamations qui sont assujetties à l’arbitrage doivent être suspendues, point. Toujours selon TELUS, comme ni l’une ni l’autre de ces exceptions ne s’appliquent, le tribunal doit ordonner le sursis des réclamations des clients commerciaux.
[8] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage ne confère pas aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner le sursis des réclamations qui sont visées par une convention d’arbitrage. Pour reprendre les propos de la Cour dans l’arrêt Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531, il ne s’agit pas d’une « dérogation législative à la liberté des parties de choisir l’arbitrage » (par. 40). Comme je l’expliquerai plus en détail ultérieurement, lorsque l’art. 7 est envisagé conjointement avec les protections conférées par la Loi sur la protection du consommateur, il devient évident que si les consommateurs sont libres de présenter leurs réclamations devant les tribunaux, les clients commerciaux ne le sont pas. Ces derniers restent plutôt liés par les conventions d’arbitrage dont ils ont convenu, ce qui les expose au sursis prévu au par. 7(1) de la Loi sur l’arbitrage. La seule exception potentielle à cette disposition, qu’on cherche à invoquer au nom des clients commerciaux en l’espèce, soit la disposition relative au sursis partiel prévue au par. 7(5), ne leur est d’aucun secours. Il en est ainsi parce que la seule « question » en litige dans la présente affaire — soit la prétendue surfacturation — est visée par les conventions d’arbitrage qu’ont signées tant les consommateurs que les clients commerciaux, de sorte qu’il n’est pas satisfait à la première condition préalable énoncée à l’al. 7(5)a). La règle générale prévue au par. 7(1) reste donc intacte en ce qui a trait aux clients commerciaux.
[9] Je suis donc d’avis d’accueillir l’appel et d’ordonner le sursis des réclamations des clients commerciaux.
II. Le contexte
A. Les contrats de service de téléphonie cellulaire de TELUS
[10] Des services de téléphonie cellulaire sont offerts au Canada depuis le milieu des années 1980. Pendant environ une dizaine d’années, les principaux fournisseurs de services, dont TELUS, facturaient les services aux clients à la minute. TELUS a ensuite commencé à facturer à la seconde, mais elle est revenue à la facturation à la minute en 2002.
[11] Tout au long de la période en cause, les plans mensuels de TELUS offraient un nombre fixe de minutes pour un prix donné, et prévoyaient des frais additionnels pour toute utilisation excédentaire. Par exemple, TELUS offrait un plan qui donnait aux clients 50 minutes de service plus 50 minutes d’appels locaux pour 30 $, et des frais de 30 cents s’appliquaient pour chaque minute locale additionnelle. L’utilisation était calculée en arrondissant la durée de chaque appel à la minute suivante. Par exemple, la durée d’un appel d’une minute et une seconde était arrondie à deux minutes.
[12] Tous les clients qui ont souscrit à un plan de service de téléphonie à la minute ont conclu un contrat écrit comprenant les conditions types de TELUS, dont une clause d’arbitrage. Celle‑ci prévoit, en gros, que toute réclamation découlant du contrat ou s’y rapportant, sauf en ce qui concerne le recouvrement de créances par TELUS, doit faire l’objet d’une médiation privée et confidentielle ou, à défaut de règlement, d’un arbitrage privé, confidentiel et final.
B. Le recours collectif introduit par M. Wellman
[13] En 2006, M. Wellman a souscrit à un plan à la minute avec TELUS. Des années plus tard, il a déposé un recours collectif projeté en Ontario contre TELUS[2], alléguant que, entre 2002 et 2010, les conditions types de TELUS ne mentionnaient pas la pratique consistant à arrondir la durée des appels. L’action vise quelque deux millions de résidents ontariens qui ont souscrit à un plan à la minute avec TELUS entre août 2006 et juillet 2010. Soixante‑dix pour cent des membres du groupe (soit environ 1 400 000 membres) sont des consommateurs qui ont acheté des plans pour leur usage personnel, et 30 pour cent des membres (soit environ 600 000 membres) sont des non‑consommateurs qui ont acheté des plans pour un usage commercial.
[14] M. Wellman, qui soutient être un consommateur, allègue que la pratique non divulguée de TELUS consistant à arrondir la durée des appels a fait en sorte que les membres du groupe ont épuisé plus rapidement le nombre fixe de minutes qu’ils avaient acheté et que des frais d’utilisation excédentaire leur ont été facturés de façon prématurément. Il affirme que les membres du groupe ont donc fait l’objet d’une surfacturation et n’ont pas reçu le nombre de minutes auquel ils avaient droit. Sur ce fondement, il fait valoir trois causes d’action : la rupture de contrat, la violation de la Loi sur la protection du consommateur et l’enrichissement injustifié. Il réclame des dommages‑intérêts de 500 millions de dollars et des dommages‑intérêts punitifs de 20 millions de dollars au nom du groupe.
[15] M. Wellman a présenté une motion en vue de faire certifier le recours collectif sous le régime de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6 (« Loi sur les recours collectifs »)[3]. En réponse, TELUS a présenté une motion en sursis de l’instance relativement aux réclamations des non-consommateurs, invoquant la clause d’arbitrage énoncée dans les conditions types de ses contrats.
III. Les dispositions législatives applicables
[16] Deux lois sont au cœur du présent appel : la Loi sur l’arbitrage et la Loi sur la protection du consommateur. Les articles clés de ces deux textes législatifs sont reproduits ci‑après. Il se trouve que les numéros des dispositions en cause sont partiellement les mêmes; lorsque je réfère à un article dans les présents motifs, il importe donc de garder à l’esprit de quelle loi il est question.
Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17
Définitions
1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« convention d’arbitrage » Convention par laquelle plusieurs personnes conviennent de soumettre à l’arbitrage un différend survenu ou susceptible de survenir entre elles.
. . .
Intervention du tribunal judiciaire
Intervention limitée du tribunal judiciaire
6 Aucun tribunal judiciaire ne doit intervenir dans les questions régies par la présente loi, sauf dans les cas prévus par celle‑ci et pour les objets suivants :
1. Faciliter la conduite des arbitrages.
2. Veiller à ce que les arbitrages soient effectués conformément aux conventions d’arbitrage.
3. Empêcher que des parties aux conventions d’arbitrage soient traitées autrement que sur un pied d’égalité et avec équité.
4. Exécuter les sentences.
Sursis
7 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
Exceptions
(2) Cependant, le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants :
1. Une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique.
2. La convention d’arbitrage est nulle.
3. L’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario.
4. La motion a été présentée avec un retard indu.
5. La question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire.
Poursuite de l’arbitrage
(3) L’arbitrage du différend peut être engagé et poursuivi pendant que la motion est devant le tribunal judiciaire.
Conséquences du refus de surseoir
(4) Si le tribunal judiciaire refuse de surseoir à l’instance :
a) d’une part, aucun arbitrage du différend ne peut être engagé;
b) d’autre part, l’arbitrage qui a été engagé ne peut être poursuivi, et tout ce qui a été fait dans le cadre de l’arbitrage avant que le tribunal judiciaire ne rende sa décision est sans effet.
Convention s’appliquant à une partie du différend
(5) Le tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions, s’il constate :
a) d’une part, que la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite;
b) d’autre part, qu’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions.
Décision sans appel
(6) La décision du tribunal judiciaire n’est pas susceptible d’appel.
Loi de 2002 sur la protection des consommateurs, L.O. 2002, c. 30, ann. A
Aucune renonciation aux droits substantiels et procéduraux
7 (1) Les droits substantiels et procéduraux accordés en application de la présente loi s’appliquent malgré toute convention ou renonciation à l’effet contraire.
Restriction de l’effet d’une condition exigeant l’arbitrage
(2) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), est invalide, dans la mesure où elle empêche le consommateur d’exercer son droit d’introduire une action devant la Cour supérieure de justice en vertu de la présente loi, la condition ou la reconnaissance, énoncée dans une convention de consommation ou une convention connexe, qui exige ou a pour effet d’exiger que les différends relatifs à la convention de consommation soient soumis à l’arbitrage.
. . .
Non‑application de la Loi de 1991 sur l’arbitrage
(5) Le paragraphe 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage ne s’applique pas à l’instance visée au paragraphe (2), sauf si, après la naissance du différend, le consommateur consent à le soumettre à l’arbitrage.
Recours collectif
8 (1) Le consommateur peut, en vertu de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, introduire une instance au nom des membres d’un groupe ou devenir membre d’un groupe dans une telle instance à l’égard d’un différend relatif à une convention de consommation malgré toute condition ou reconnaissance, énoncée dans la convention de consommation ou une convention connexe, qui aurait ou a pour effet de l’empêcher d’introduire un recours collectif ou de devenir membre d’un tel groupe.
IV. Les décisions des juridictions d’instances inférieures
A. Cour supérieure de justice de l’Ontario (la juge Conway), 2014 ONSC 3318, 63 C.P.C. (7th) 50
[17] Devant la juge des motions, à savoir la juge Conway, TELUS a admis que le par. 7(2) de la Loi sur la protection du consommateur protégeait les consommateurs contre les effets de la clause d’arbitrage. Elle a toutefois fait valoir qu’il fallait surseoir aux réclamations des clients commerciaux, qui ne bénéficient d’aucune protection sous le régime de la Loi sur la protection du consommateur, parce qu’elles étaient visées par une convention d’arbitrage valide et exécutoire.
[18] La juge des motions n’était pas d’accord. Sur le fondement de la décision Griffin de la Cour d’appel de l’Ontario, elle a affirmé que le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder un sursis dans les cas où il ne serait pas raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention d’arbitrage des autres questions, de manière à ce que toutes les questions puissent être soumises au tribunal. Elle a ajouté que, suivant la décision Griffin, [traduction] « ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé pour que les réclamations des non‑consommateurs (qui sont autrement visées par une clause d’arbitrage) puissent être présentées dans le cadre d’un recours collectif, lorsqu’il est raisonnable de le faire » (par. 89). Elle a rejeté la prétention de TELUS selon laquelle la décision Griffin aurait été supplantée par l’arrêt Seidel, rendu par la Cour.
[19] La juge des motions s’est ensuite penchée sur l’application du par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage. Elle a conclu qu’il ne serait pas raisonnable de dissocier les réclamations des consommateurs de celles des clients commerciaux. Elle a souligné que :
• les réclamations des consommateurs représentaient 70 pour cent de l’ensemble des réclamations;
• les questions de la responsabilité et des dommages étaient les mêmes pour les consommateurs et les clients commerciaux;
• les réclamations des clients commerciaux ne pouvaient pas être soumises à un arbitrage collectif;
• la dissociation des deux instances pourrait créer de l’inefficacité, mener à des résultats incohérents et entraîner la multiplicité des instances.
[20] Vu sa conclusion selon laquelle il ne serait pas raisonnable de dissocier les réclamations des consommateurs de celles des clients commerciaux, la juge des motions a refusé d’ordonner le sursis des réclamations des clients commerciaux. De plus, elle a appliqué le critère à cinq volets en vue de la certification et a conclu qu’il y était satisfait. Elle a donc certifié le recours. TELUS a interjeté appel de ce rejet de la demande de sursis[4].
B. Cour d’appel de l’Ontario (les juges Weiler, Blair et van Rensburg), 2017 ONCA 433, 138 O.R. (3d) 413
(1) Les motifs des juges majoritaires (la juge van Rensburg, avec l’accord de la juge Weiler)
[21] S’exprimant en son nom et en celui de la juge Weiler, la juge van Rensburg a affirmé que la [traduction] « seule question » en appel était celle de savoir si la décision Griffin avait été supplantée par l’arrêt Seidel (par. 97). Elle y a répondu par la négative. Selon elle, la décision Griffin est « compatible sur le plan des principes avec l’arrêt Seidel, mais a été rendue dans un contexte législatif différent » (par. 59). Elle a ajouté que « [l]’issue de ces deux affaires a été dictée non pas par des points de vue divergents à l’égard de l’arbitrage en tant que mécanisme de résolution des différends, mais plutôt par le cadre législatif propre à chaque juridiction en matière d’arbitrage et de protection des consommateurs » (par. 60). Selon la juge van Rensburg, l’arrêt Seidel reconnaît bel et bien l’utilité et l’importance de l’arbitrage privé et confirme que les clauses d’arbitrage sont généralement maintenues, mais la décision Griffin « ne contredit pas le principe général selon lequel il faut présumer que les clauses d’arbitrage contractuelles seront appliquées » (par. 62).
[22] Ayant jugé que la décision Griffin demeurait un précédent valable, la juge van Rensburg a décrit ainsi le régime prescrit par l’art. 7 :
[traduction] Bien que le paragraphe 7(1) de la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario prévoie qu’un tribunal « doit » surseoir à l’instance introduite par une partie à une convention d’arbitrage, sur la motion d’une autre partie à la convention, cette règle est assujettie aux exceptions énoncées au par. 7(2). Ces exceptions confèrent au tribunal le pouvoir discrétionnaire d’intervenir dans les cas où : (1) une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique, (2) la convention d’arbitrage est nulle, (3) l’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario, (4) la motion a été présentée avec un retard indu, et (5) la question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire . . .
Le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage élargit le pouvoir discrétionnaire du tribunal. Il s’applique lorsqu’une action a été introduite et que la convention d’arbitrage ne traite que de certaines des réclamations. Dans ce cas, le tribunal peut accorder un sursis partiel, mais seulement s’il est « raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions ». Le paragraphe 7(5) prévoit que lorsqu’une action concerne des réclamations visées par une convention d’arbitrage et des réclamations qui ne le sont pas, l’instance est scindée s’il est raisonnable d’accorder un sursis partiel et vice versa.
Par conséquent, en Ontario, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer une clause d’arbitrage qui vise certaines des réclamations à l’égard desquelles l’action a été introduite lorsque certaines autres réclamations ne sont pas soumises à un arbitrage interne. C’est ce choix législatif qui dicte l’analyse . . . [par. 71‑73]
[23] La juge van Rensburg a ensuite examiné deux autres arguments avancés par TELUS. Premièrement, en s’appuyant sur l’arrêt de la Cour dans Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, TELUS a soutenu que le mécanisme procédural du recours collectif ne modifie pas le droit substantiel des parties de choisir d’avoir recours à l’arbitrage. Deuxièmement, elle a fait valoir que le par. 7(5) ne doit pas être interprété comme attribuant aux tribunaux la compétence de statuer sur des réclamations que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage et que ces réclamations sont donc visées par le sursis obligatoire prévu au par. 7(1).
[24] La juge van Rensburg a rejeté ces deux arguments. À son avis, TELUS avait mal interprété l’arrêt Seidel et n’avait pas tenu compte du principe le plus important qui découle de cet arrêt, soit que : [traduction] « . . . l’applicabilité d’une clause d’arbitrage dépend du contexte législatif et de la question de savoir si le législateur avait eu l’intention de limiter la liberté des parties d’avoir recours à l’arbitrage » (par. 81). Elle a ajouté que l’arrêt Seidel ne qualifie pas le sujet de question de compétence et qu’il ne parle pas non plus de droits procéduraux ou substantiels qu’il faudrait traiter distinctement. Selon elle, cet arrêt porte plutôt sur une question d’interprétation législative. La juge van Rensburg a par ailleurs ajouté que rien dans la Loi sur l’arbitrage ne donne à penser qu’une clause d’arbitrage retire ou écarte la compétence du tribunal à l’égard d’un différend, ajoutant que « l’introduction de la notion de compétence dans l’analyse de la question de savoir si un sursis partiel peut être accordé en application de la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario est inutile et trompeuse » (par. 86).
[25] En conséquence, la Cour d’appel a rejeté l’appel et confirmé la décision de la juge des motions de refuser de surseoir à l’instance.
(2) Les motifs concordants (le juge Blair)
[26] Dans ses brefs motifs concordants, le juge Blair est parvenu au même résultat, mais [traduction] « de façon plus restrictive » (par. 100). Il a convenu que la décision Griffin n’avait pas été supplantée par l’arrêt Seidel et qu’elle était déterminante en ce qui concerne la question en litige dont la cour était saisie. Cependant, il a indiqué avoir des « réserves quant à la justesse de la décision Griffin en ce qui a trait au sursis partiel des réclamations présentées par les non-consommateurs » (par. 101). Il a traité plus particulièrement de deux questions qui, selon lui, n’ont pas été abordées dans la décision Griffin, mais qui « mériteraient peut‑être qu’on s’y attarde davantage » (par. 103).
[27] Il a d’abord posé la question suivante : [traduction] « compte tenu des principes d’interprétation législative, l’expression “autres questions” employée au par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage — dans le contexte de l’art. 7 dans son ensemble et de l’objet de la Loi — peut‑elle être interprétée comme signifiant que le pouvoir d’accorder un sursis partiel dans le contexte d’une convention d’arbitrage s’applique aussi dans le contexte d’autres conventions d’arbitrage conclues par des parties différentes et contenant des clauses d’arbitrage par ailleurs valides et exécutoires, ou renvoie‑t‑elle plutôt à d’autres questions visant les mêmes parties contractantes, mais non traitées dans la convention d’arbitrage conclue par elles? » (par. 104). À son avis, l’article 7 de la Loi sur l’arbitrage « semble traiter de circonstances se rapportant à une convention d’arbitrage particulière et non de liens entre différentes conventions conclues par des parties différentes » (par. 104).
[28] Le juge Blair a aussi posé la question suivante : [traduction] « de façon plus générale, les parties à un litige devraient-elles avoir le droit de contourner les obstacles par ailleurs substantiels et législatifs liés à la présentation devant le tribunal d’une réclamation devant être soumise à l’arbitrage en ajoutant tout simplement les réclamations de consommateurs (qui ne peuvent faire l’objet d’un sursis, en application de la Loi sur la protection du consommateur) aux réclamations des non-consommateurs (qui font généralement l’objet d’un sursis obligatoire) et en regroupant toutes les réclamations dans un seul recours collectif? Autrement dit, la Loi sur les recours collectifs (une loi portant sur un droit procédural) peut‑elle être invoquée pour déroger aux dispositions de la Loi de 1991 sur l’arbitrage qui accordent aux parties contractantes le droit de convenir du recours à l’arbitrage exécutoire (un droit substantiel)? » (par. 105).
V. La question en litige
[29] Dans le contexte d’un recours collectif projeté mettant en jeu des consommateurs et des non‑consommateurs, lorsque seules les réclamations présentées par les non‑consommateurs sont visées par une convention d’arbitrage par ailleurs valide et exécutoire, le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage confère‑t‑il au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder un sursis à l’égard des réclamations de ces derniers?
VI. Analyse
A. La norme de contrôle
[30] La question en appel est une question d’interprétation législative et est par conséquent proprement qualifiée de question de droit (voir Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135, par. 33). Ainsi, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 135, par. 8).
B. Les précédents clés
[31] Les deux piliers jurisprudentiels sur lesquels reposent les arguments des parties sont la décision Griffin et l’arrêt Seidel. Le lien entre ces deux jugements a été au cœur des décisions rendues par les tribunaux d’instances inférieures. Il est donc utile, à titre préliminaire, de donner un aperçu de ces deux décisions clés.
(1) La décision Griffin
[32] L’affaire Griffin portait sur un recours collectif projeté intenté en Ontario au nom d’acheteurs — consommateurs et non‑consommateurs[5] — ayant acheté des ordinateurs Dell qui auraient été défectueux. Le contrat d’adhésion type de Dell contenait une clause d’arbitrage obligatoire. Le demandeur a présenté une motion en vue de faire certifier le recours collectif. En réponse, Dell a présenté une motion en sursis en application de l’art. 7 de la Loi sur l’arbitrage. La juge des motions a rejeté la demande de sursis et certifié l’action comme recours collectif. Dell a interjeté appel.
[33] S’exprimant au nom d’une formation de cinq juges unanimes, le juge Sharpe a rejeté l’appel. Il a tout d’abord statué que le par. 7(2) de la Loi sur la protection du consommateur s’appliquait, de sorte que la clause d’arbitrage n’empêchait pas que les réclamations des consommateurs soient portées devant le tribunal. Il s’est ensuite demandé s’il convenait d’ordonner le sursis des réclamations des non-consommateurs et énoncé comme suit l’approche générale relative au caractère exécutoire des conventions d’arbitrage :
[traduction] Les parties contractantes précisent souvent que tout différend qui pourrait découler de leur relation doit être soumis à un arbitrage, plutôt qu’à un examen par les tribunaux. Dans ce cas, elles ont normalement droit à ce que les tribunaux respectent le mode de règlement des différends qu’elles ont choisi. L’approche moderne, énoncée dans [Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801], consiste à exiger que les parties respectent leur choix et à considérer l’arbitrage comme un processus autonome, qu’il faut présumer à l’abri du contrôle judiciaire : [Inforica Inc. c. CGI Information Systems and Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642, 97 O.R. (3d) 161], par. 14. [par. 28]
[34] Le juge Sharpe a par ailleurs interprété le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage [traduction] comme « conférant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’accorder un sursis partiel lorsqu’une action porte sur des réclamations qui doivent être soumises à l’arbitrage et des réclamations qui n’ont pas à l’être » (par. 45). Il a affirmé qu’une ordonnance peut être rendue en ce sens lorsqu’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention d’arbitrage des autres questions. Il a également mentionné une série de décisions dans lesquelles les tribunaux ont refusé d’accorder un sursis et autorisé que l’action se poursuive, parce que seules certaines parties au litige étaient liées par une clause d’arbitrage et parce que les réclamations étaient à ce point semblables qu’il n’aurait pas été raisonnable de les dissocier (voir Radewych c. Brookfield Homes (Ontario) Ltd., 2007 CanLII 23358 (C.S.J), conf. par 2007 ONCA 721; Johnston c. Goudie (2006), 212 O.A.C. 79; Penn‑Co Construction Canada (2003) Ltd. c. Constance Lake First Nation (2007), 66 C.L.R. (3d) 78 (C.S.J. Ont.), conf. 2008 ONCA 768, 76 C.L.R. (3d) 1; Frambordeaux Developments Inc. c. Romandale Farms Ltd., 2007 CanLII 55364 (C.S.J. Ont.); New Era Nutrition Inc. c. Balance Bar Co., 2004 ABCA 280, 357 A.R. 184 (qui portait sur la disposition équivalente de la loi albertaine au par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage)).
[35] Compte tenu des faits, le juge Sharpe a conclu qu’il ne serait pas raisonnable de dissocier les réclamations des consommateurs de celles des non-consommateurs. Il a fait remarquer (entre autres) que : (1) 70 pour cent des réclamations avaient été présentées par des consommateurs et seraient examinées dans le cadre du recours collectif; (2) les questions de la responsabilité et des dommages étaient les mêmes pour les consommateurs que pour les non-consommateurs; et (3) l’arbitrage collectif n’était pas permis, de sorte que les réclamations des non-consommateurs devaient être soumises à l’arbitrage de façon individuelle. Il était d’avis que l’octroi d’un sursis créerait de l’inefficacité, pourrait entraîner la multiplicité des instances et accroîtrait les coûts et les retards. À son avis, le dossier illustrait aussi clairement que le fait de surseoir aux réclamations ne signifiait pas que celles‑ci seraient soumises à l’arbitrage, puisque, comme l’avait précisé la juge des motions, il était [traduction] « illusoire de penser qu’un demandeur pourrait présenter une réclamation individuelle dans une affaire complexe de responsabilité du fabricant » (par. 1, citant Griffin c. Dell Canada Inc. (2009), 72 C.P.C. (6th) 158 (C.S.J. Ont.), par. 92). Le juge Sharpe a donc affirmé que : [traduction] « [l]e choix qui s’offre à nous n’est pas un choix entre l’arbitrage et le recours collectif. En réalité, il s’agit d’un choix entre exonérer Dell de toute responsabilité à l’égard des produits défectueux vendus à des non‑consommateurs ou accorder à ces acheteurs la même possibilité qu’aux consommateurs de se faire entendre devant le tribunal par la voie d’un recours collectif » (par. 57).
[36] Par conséquent, la Cour d’appel a rejeté l’appel. Notre Cour a ensuite rejeté la demande d’autorisation de pourvoi présentée par Dell.
(2) L’arrêt Seidel
[37] L’arrêt Seidel, qui a été rendu peu de temps après la décision Griffin, portait sur un recours collectif projeté déposé en Colombie‑Britannique contre TELUS. Comme en l’espèce, le différend découlait de contrats de service de téléphonie cellulaire contenant une clause d’arbitrage. La demanderesse-représentante, une consommatrice, a invoqué diverses causes d’action, notamment un recours prévu par la Business Practices and Consumer Protection Act, S.B.C. 2004, c. 2 de la Colombie‑Britannique (« BPCPA »), prétendant que TELUS lui avait faussement indiqué, ainsi qu’à d’autres consommateurs, la façon dont elle calculait le temps d’antenne à des fins de facturation. L’article 172 de la BPCPA prévoit un recours suivant lequel une personne autre qu’un fournisseur peut intenter une action en vue de faire respecter les normes relatives à la protection des consommateurs prévues par la loi. L’article 3 consacre par ailleurs la nullité de toute entente entre les parties qui comporte une renonciation aux protections prévues par la BPCPA.
[38] La demanderesse a présenté une demande en vue de faire certifier l’action comme recours collectif. En réponse, TELUS a cherché à obtenir le sursis de l’instance, en invoquant la clause d’arbitrage, mais aussi l’art. 15 de la Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55 de la Colombie-Britannique (aujourd’hui intitulée Arbitration Act), qui prévoit que si une partie à une convention d’arbitrage intente contre une autre partie à la convention une action relative à une question qui devait être soumise à l’arbitrage, une partie à l’instance peut demander le sursis de cette dernière, et le tribunal doit accueillir cette demande à moins que la convention d’arbitrage soit nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.
[39] Le juge des motions a rejeté la demande de sursis de TELUS. Selon lui, il était prématuré de décider s’il fallait surseoir à l’action tant qu’il n’avait pas été statué sur la demande de certification. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a accueilli l’appel de TELUS et ordonné le sursis de l’action dans sa totalité. La demanderesse a interjeté appel.
[40] Le juge Binnie, s’exprimant au nom des cinq juges majoritaires, a accueilli le pourvoi en partie et levé le sursis relativement aux réclamations de la demanderesse fondées sur l’art. 172 de la BPCPA. Au début de ses motifs, le juge Binnie a décrit l’approche qu’il convient d’appliquer pour juger de la validité et du caractère exécutoire des clauses d’arbitrage figurant dans les contrats commerciaux :
La décision de restreindre ou non les clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation revient à la législature. En l’absence d’intervention de la législature, les tribunaux donnent généralement effet aux clauses d’un contrat commercial librement conclu dans lequel figure une clause d’arbitrage, et ce, même s’il s’agit d’un contrat d’adhésion. Le présent pourvoi soulève la question importante de savoir si la législature a exprimé, dans la BPCPA, la volonté d’intervenir dans les rapports commerciaux pour libérer les consommateurs de leur engagement contractuel de soumettre leur éventuel litige à une médiation ou à un arbitrage « priv[é] et confidenti[el] » et, si oui, dans quelles circonstances.
. . . Avec égards, j’estime qu’il ne revient pas à la Cour de promouvoir ou de critiquer l’arbitrage privé et confidentiel; il revient à la Cour de donner effet à l’intention exprimée par la législature dans les dispositions de ses lois. [par. 2‑3]
[41] Le juge Binnie a reconnu que « [l]es avantages de l’arbitrage commercial ont été reconnus et accueillis favorablement par la Cour » (par. 23, citant Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Rogers Sans‑fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921; Bisaillon; GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401; Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178). Il a toutefois fait remarquer que, du point de vue de la BPCPA, « il ne fait guère de doute que » l’arbitrage privé, confidentiel et final « freinera au lieu de favoriser la publicité à grande échelle visant les pratiques de commerce trompeuses ou abusives (et, par conséquent, la prévention de celles‑ci) » (par. 24). Il a ajouté que plusieurs provinces sont intervenues en assujettissant les clauses d’arbitrage figurant dans les contrats de consommation à des restrictions. Ainsi, comme le juge Binnie l’a indiqué, la question de fond dans cet appel consistait à savoir « si, selon les règles d’interprétation législative, l’art. 172 de la BPCPA contient une restriction de cette nature et, dans l’affirmative, quelle en est la portée et l’effet sur l’action de Mme Seidel » (par. 26).
[42] Après avoir interprété l’article 172 de la BPCPA de manière textuelle, contextuelle et téléologique, le juge Binnie a conclu que cette disposition « constitue une dérogation législative à la liberté des parties de choisir l’arbitrage » (par. 40), et il a précisé qu’il s’agit d’une « mesure d’intérêt public » (par. 36). Il a toutefois fait remarquer que cette « dérogation législative » était incomplète. En effet, contrairement à ceux d’autres provinces, « le législateur de la C.‑B. a choisi de faire en sorte que seuls certains types de réclamations soient réservés aux tribunaux, et de laisser les parties s’entendre sur la manière de régler les autres » (par. 40). Il a souligné que « les tribunaux sont tenus de donner effet à ce choix législatif » (par. 40).
[43] Le juge Binnie a précisé que ce résultat n’était pas incompatible avec les arrêts Dell et Rogers, où la Cour avait rejeté, en raison de clauses d’arbitrage, la tentative de certains consommateurs d’engager des recours collectifs au Québec dans des litiges relatifs à des contrats de fourniture de produits. Il a expliqué que « [l]’issue de ces arrêts se fonde sur la législation québécoise » (par. 41); or, celle de la Colombie‑Britannique était différente et justifiait un résultat différent. À son avis il « [fallait] simplement retenir de Dell et de Rogers Sans‑fil que, pour déterminer si et dans quelle mesure la liberté des parties de soumettre un litige à l’arbitrage est restreinte par la loi, il faut procéder à un examen attentif de la loi de l’instance où les consommateurs mécontents ont intenté leur action. Dell et Rogers Sans‑fil posent le principe [. . .] selon lequel il y a lieu d’appliquer la clause d’arbitrage en l’absence de disposition contraire de la loi » (par. 42 (italique dans l’original)).
[44] En définitive, les juges majoritaires ont accueilli l’appel en partie et permis à la demanderesse de poursuivre l’instance en ce qui concerne ses réclamations fondées sur l’art. 172 de la BPCPA. Ils ont toutefois confirmé le sursis en ce qui concerne ses autres réclamations fondées sur l’art. 15 de la Commercial Arbitration Act. Le juge Binnie a reconnu que, certes, ce dispositif pourrait donner lieu à des recours parallèles si les réclamations non fondées sur l’art. 172 étaient soumises à l’arbitrage. Il a toutefois fait remarquer qu’une « telle issue s’accorde avec le choix du législateur de la Colombie‑Britannique d’assortir l’art. 172 de limites aussi étroites » (par. 50).
[45] Les juges LeBel et Deschamps, s’exprimant au nom des quatre juges dissidents, n’étaient pas convaincus que l’art. 172 de la BPCPA constituait une dérogation législative à la liberté des parties de choisir l’arbitrage (par. 161).
[46] Ce qui ressort de l’arrêt Seidel, comme des arrêts Dell et Rogers qui l’ont précédé, c’est que les clauses d’arbitrage, même celles qui figurent dans un contrat d’adhésion (par. 2), sont généralement appliquées « en l’absence de disposition contraire de la loi » (par. 42 (italique omis)). La Cour a donc pour tâche d’appliquer les principes d’interprétation législative pertinents et de décider si le libellé du par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage, qui n’a pas d’équivalent dans la loi de la Colombie‑Britannique en jeu dans l’arrêt Seidel, permet de déroger au principe selon lequel les clauses d’arbitrage sont généralement appliquées.
C. L’interprétation de l’article 7 de la Loi sur l’arbitrage
[47] Pour interpréter l’art. 7 de la Loi sur l’arbitrage correctement, il faut appliquer la méthode moderne d’interprétation législative, soit en : « lire les termes [. . .] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur» (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26). Je précise que je m’inscris en faux contre le point de vue de mes collègues les juges Abella et Karakatsanis selon lesquelles l’analyse qui suit « représente en réalité un retour au textualisme » (par. 109). L’approche décrite plus loin préconise de commencer l’analyse par l’examen de l’objet et de l’économie de la Loi sur l’arbitrage et interprète le libellé de l’art. 7 à la lumière de l’ensemble de son contexte, d’une manière qui à la fois tient compte des choix de politique du législateur que reflètent tant la Loi sur l’arbitrage elle‑même que d’autres lois pertinentes comme la Loi sur la protection du consommateur et la Loi sur les recours collectif et est compatible avec eux. Il ne s’agit pas d’un « retour au textualisme »; il s’agit plutôt d’une interprétation minutieuse de la loi, envisagée dans son contexte global. Gardant cela à l’esprit, je vais maintenant examiner l’objet et l’économie de la Loi.
(1) L’objet et l’économie de la Loi sur l’arbitrage
[48] Pendant la majeure partie du 20e siècle, les tribunaux canadiens se sont montrés « ouvertement hostiles » à l’arbitrage, qu’ils considéraient comme « un mécanisme de résolution des différends de deuxième ordre » (Seidel, par. 89, les juges LeBel et Deschamps, dissidents (mais non sur ce point)). Les tribunaux protégeaient jalousement leur compétence et « n’accueillaient pas [traduction] “favorablement les efforts des parties visant à l’écarter par contrat” » (voir Seidel, par. 93, citant Re Rootes Motors (Canada) Ltd. and Wm. Halliday Contracting Co., [1952] 4 D.L.R. 300 (H.C.J. Ont.), p. 304). Selon l’opinion prépondérante, seuls les tribunaux judiciaires pouvaient prononcer les ordonnances requises pour régler des litiges d’ordre juridique. En conséquence, ils estimaient que tout contrat conclu par les parties pour écarter leur compétence violait l’ordre public, sans égard à la nature des questions de droit substantiel en jeu (voir Seidel, par. 96). Cette hostilité judiciaire ainsi que l’absence de législation moderne favorisant l’arbitrage ont freiné l’évolution de ce dernier au Canada (voir Seidel, par. 89, citant J. B. Casey et J. Mills, Arbitration Law of Canada: Practice and Procedure (2005), p. 2‑3).
[49] C’est dans ce contexte que le législateur ontarien a adopté la Loi sur l’arbitrage en 1991, en se basant sur la Loi uniforme sur l’arbitrage adoptée un an plus tôt par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada (en ligne) (voir J. K. McEwan et L. B. Herbst, Commercial Arbitration in Canada: A Guide to Domestic and International Arbitrations (feuilles mobiles), p. 1‑9 à 1‑15). L’objet et la philosophie qui sous‑tend la Loi sur l’arbitrage ont été examinés par le juge Blair (alors juge puîné) dans la décision Ontario Hydro c. Denison Mines Ltd., 1992 Carswell Ont 3497 (WL Can.) (Div. gén.) :
[traduction] La Loi de 1991 sur l’arbitrage est entrée en vigueur le 1er janvier 1992. Elle a remplacé la loi intitulée Loi sur l’arbitrage, L.R.O. 1980, c. 25, et promulgué un nouveau régime relatif à la conduite de l’arbitrage en Ontario. [. . .] Ce nouveau régime est conçu, à mon avis, en vue d’encourager les parties à recourir à l’arbitrage pour régler les différends liés à des questions commerciales et autres, et pour les obliger à respecter leurs engagements, une fois qu’ils ont convenu de procéder par arbitrage.
À cet égard, la nouvelle Loi consacre la primauté de la procédure d’arbitrage par rapport à la procédure judiciaire dans le cas où les parties ont conclu une convention d’arbitrage, en enjoignant aux tribunaux de ne pas intervenir, en général, et en prévoyant le sursis « présumé » de l’instance judiciaire pour favoriser l’arbitrage. [par. 8‑9]
[50] Lors des débats législatifs sur le projet de loi qui ont précédé l’adoption de la Loi sur l’arbitrage, le procureur général de l’Ontario a affirmé que l’un des [traduction] « principes directeurs » de ce texte législatif est que « les parties à une convention d’arbitrage valide doivent respecter l’entente qu’elles ont conclue » (Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats (Hansard), 1er sess., 35e Parl., 27 mars 1991, p. 256). Il a plus tard souligné que [traduction] « la [nouvelle] loi et les tribunaux permettront de veiller à ce que les parties respectent la convention d’arbitrage qu’elles ont conclue » (Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats (Hansard), 1er sess., 35e Parl., 5 novembre 1991, p. 3384).
[51] Ordonner le sursis de l’instance judiciaire est un des moyens dont disposent les tribunaux pour donner effet à la politique portant que les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue. Comme les auteurs de l’ouvrage Commercial Arbitration in Canada: A Guide to Domestic and International Arbitrations l’ont expliqué, le sursis de l’instance est tout simplement [traduction] « un moyen indirect d’appliquer une convention d’arbitrage » (McEwan et Herbst, p. 3‑29). Ils ont ajouté :
Traditionnellement, il a été dit que les tribunaux n’ordonneront pas l’exécution en nature des conventions d’arbitrage, en ce sens qu’ils n’ordonneront pas aux parties de recourir à l’arbitrage. Les tribunaux n’imposent pas l’arbitrage, ils sursoient plutôt à l’instance judiciaire dans certaines circonstances. [. . .] On enlève à une partie l’option de soumettre le différend à un tribunal judiciaire, c.‑à‑d. que cette partie n’a d’autre choix que de soumettre l’affaire à l’arbitrage. [Notes de bas de page omises; p. 3‑29.]
[52] La politique selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue donne effet au concept de l’autonomie des parties — ce qui, dans le contexte de l’arbitrage, signifie qu’elles devraient généralement avoir le droit de choisir comment régler leurs différends au moyen d’un accord consensuel (voir J. B. Casey, Arbitration Law of Canada: Practice and Procedure (3e éd. 2017), p. 49, 51 et 195; Alberta Law Reform Institute, Final Report No. 103, Arbitration Act: Stay and Appeal Issues (2013), par. 10). L’arbitrage consensuel et l’autonomie des parties sont indissociables — la convention d’arbitrage est [traduction] « le produit de l’autonomie des parties [. . .] [et] cristallise leur consentement » à l’égard du règlement privé de différends (M. Pavlović et A. Daimsis, « Arbitration », dans J. C. Kleefeld et al. eds., Dispute Resolution: Readings and Case Studies, (4e éd. 2015), p. 485). Elle [traduction] « est essentiellement une création contractuelle, un contrat par lequel les parties chargent elles‑mêmes un tribunal privé de résoudre leurs différends » (Astoria Medical Group c. Health Insurance Plan of Greater New York, 182 N.E.2d 85 (N.Y. 1962), p. 87, cité dans Re Arbitration Act (1964), 47 W.W.R. 544 (C.S. Alb.), p. 555).
[53] Bien entendu, le concept d’autonomie des parties, qui est toujours en jeu — à tout le moins dans une certaine mesure — lorsqu’il est question de conventions d’arbitrage, a plus ou moins de poids selon le contexte. Par exemple, il en a moins dans le contexte des contrats non négociés, « à prendre ou à laisser », que dans le contexte des accords entièrement négociés. Il n’est donc pas surprenant que les législatures canadiennes aient adopté diverses lois de protection des consommateurs — les parties contractantes les plus faibles et les plus vulnérables (Dell, par. 90) — contre les résultats potentiellement sévères de l’application des conventions d’arbitrage contenues dans les conventions de consommation, qui prennent souvent la forme de contrats types.
[54] Cela dit, depuis l’adoption de la Loi sur l’arbitrage, la jurisprudence — tant celle de la Cour que celle des cours ontariennes — a établi de façon constante que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard des conventions d’arbitrage et de l’arbitrage en général, particulièrement dans le contexte commercial. Par exemple, dans l’arrêt Desputeaux, le juge LeBel a noté l’existence d’un « mouvement jurisprudentiel et législatif qui [. . .] accepte et même favorise le recours à l’arbitrage civil et commercial » (par. 38). Dans l’arrêt Seidel, le juge Binnie a affirmé que « [l]es avantages de l’arbitrage commercial ont été reconnus et accueillis favorablement par la Cour » (par. 23) et que, « [e]n l’absence de disposition contraire de la loi » (par. 42 (italique omis)), « les tribunaux donnent généralement effet aux clauses d’un contrat commercial librement conclu dans lequel figure une clause d’arbitrage, et ce, même s’il s’agit d’un contrat d’adhésion » (par. 2). Plus récemment, la Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que [traduction] « [l]e droit préconise qu’il soit donné effet aux conventions d’arbitrage. Cela ressort clairement tant de la loi que de la jurisprudence » (Haas c. Gunasekaram, 2016 ONCA 744, 62 B.L.R. (5th) 1, par. 10).
[55] La politique selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue va de pair avec le principe de l’intervention limitée des tribunaux dans le contexte de l’arbitrage. Ce principe est exprimé à maintes reprises dans la législation canadienne moderne en matière d’arbitrage (voir McEwan et Herbst, p. 10‑7 à 10‑11; Casey, p. 319) et a été décrit comme étant un [traduction] « principe fondamental qui sous‑tend la législation en matière d’arbitrage » (Alberta Law Reform Institute, par. 19). Il est consacré le plus visiblement aux art. 6 et 7 de la Loi sur l’arbitrage, qui se trouvent tous les deux dans la section intitulée « Intervention du tribunal judiciaire ». L’article 6 est ainsi libellé :
Intervention limitée du tribunal judiciaire
6 Aucun tribunal judiciaire ne doit intervenir dans les questions régies par la présente loi, sauf dans les cas prévus par celle‑ci et pour les objets suivants :
1. Faciliter la conduite des arbitrages.
2. Veiller à ce que les arbitrages soient effectués conformément aux conventions d’arbitrage.
3. Empêcher que les parties aux conventions d’arbitrage soient traitées autrement que sur un pied d’égalité et avec équité.
4. Exécuter les sentences.
[56] En résumé, l’article 6 indique que les tribunaux doivent généralement adopter une politique de « non‑intervention » à l’égard des questions régies par la Loi sur l’arbitrage. Cette façon de faire est [traduction] « conforme à l’approche moderne, selon laquelle l’arbitrage est un processus autonome par lequel les parties conviennent de régler leurs différends en les soumettant à un arbitre et non à un tribunal » (Inforica Inc. c. CGI Information Systems and Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642, 97 O.R. (3d) 161, par. 14).
[57] Cela nous amène au cœur du présent appel : l’art. 7 de la Loi sur l’arbitrage.
(2) L’article 7 de la Loi sur l’arbitrage
a) Le libellé
[58] Le libellé de l’article 7 de la Loi sur l’arbitrage, qui régit le sursis, a été reproduit précédemment sous la rubrique « dispositions législatives » des présents motifs. Il vaut également la peine de noter que le terme « convention d’arbitrage » est défini ainsi à l’article premier : « [c]onvention par laquelle plusieurs personnes conviennent de soumettre à l’arbitrage un différend survenu ou susceptible de survenir entre elles ». Les termes « question » et « instance » ne sont pas définis dans la Loi sur l’arbitrage, mais le second est défini au par. 1.03(1) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, comme une « [a]ction ou requête ».
b) La position des parties
[59] TELUS fait valoir que le par. 7(1) établit une règle générale : si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une ou de plusieurs questions qui sont traitées dans la convention d’arbitrage, le tribunal doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance. TELUS fait également valoir que, bien que le par. 7(5) autorise le tribunal à permettre que des questions qui ne sont pas traitées dans la convention d’arbitrage soient soumises au tribunal, il ne lui confère pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir aux questions qui sont traitées dans la convention — le sursis est obligatoire dans ce cas. À l’appui de son interprétation, TELUS se fonde principalement (mais non exclusivement) sur l’arrêt Seidel et sur la décision Alberici Western Constructors Ltd. c. Saskatchewan Power Corp., 2016 SKCA 46, 476 Sask. R. 255 (qui porte sur l’interprétation d’une disposition équivalente de la loi de la Saskatchewan).
[60] En revanche, M. Wellman fait valoir que si la convention d’arbitrage en cause ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite et qu’il ne serait pas raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions, le par. 7(5) accorde au tribunal le pouvoir discrétionnaire indépendant, totalement distinct des par. 7(1) et (2), de refuser d’ordonner le sursis des questions qui sont traitées dans la convention d’arbitrage. En un mot, M. Wellman soutient que le par. 7(5) permet d’ordonner le sursis de certaines des questions (c.‑à‑d. d’ordonner un sursis partiel) ou de ne l’ordonner pour aucune des questions (c.‑à‑d. de refuser d’ordonner un sursis). À l’appui de son interprétation, il se fonde principalement (mais non exclusivement) sur les décisions Griffin, New Era Nutrition (cette dernière portant sur l’interprétation d’une disposition équivalente dans la loi de l’Alberta) et Briones c. National Money Mart Co., 2013 MBQB 168, 295 Man. R. (2d) 101, conf. par 2014 MBCA 57, 306 Man. R. (2d) 129, demande d’autorisation de pourvoi refusée, [2014] 3 R.C.S. ix (qui porte sur l’interprétation d’une disposition équivalente de la loi du Manitoba).
[61] Bien que les parties ne s’entendent pas quant à la question de savoir si le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir aux réclamations qui sont par ailleurs assujetties à une convention d’arbitrage valide et exécutoire, elles s’entendent sur plusieurs autres points importants, notamment sur ce qui suit :
(1) les clauses d’arbitrage contenues dans les ententes commerciales sont généralement appliquées en l’absence de dérogation législative;
(2) les réclamations des clients commerciaux sont traitées dans une convention d’arbitrage;
(3) en application de la Loi sur la protection du consommateur, les consommateurs ont le droit de présenter leurs réclamations devant les tribunaux;
(4) s’il est satisfait aux deux conditions énoncées au par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage, le tribunal peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions.
[62] Ce terrain d’entente permet de mieux délimiter le présent pourvoi, qui porte entièrement sur la question suivante : le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage confère‑t‑il au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir aux réclamations des clients commerciaux? Dans cette optique, voici comment j’interpréterais l’art. 7.
c) Le cadre de l’analyse relative à l’article 7
(i) Le paragraphe 7(1) — la règle générale
[63] Tout d’abord, le paragraphe 7(1) établit une règle générale : si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question traitée dans la convention — autrement dit, si la convention d’arbitrage traite d’au moins une des questions soulevées dans le cadre de l’instance — le tribunal « doit », sur la motion d’une autre partie à la convention, surseoir à l’instance au profit de l’arbitrage. L’impératif « doit » au par. 7(1) indique qu’il s’agit d’une obligation (voir Haas, par. 10‑12; voir également R. Sullivan, Statutory Interpretation (3e éd. 2016), p. 90). Cette règle générale confirme le concept de l’autonomie des parties et la politique sous‑jacente de la Loi sur l’arbitrage, selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue.
[64] Toutefois, comme je l’expliquerai, cette règle générale n’est pas absolue.
(ii) Le paragraphe 7(2) — les cinq exceptions
[65] Le paragraphe 7(2) énumère cinq exceptions à la règle générale prévue au par. 7(1). Le tribunal « peut » refuser de surseoir à l’instance si l’une des situations suivantes s’applique : (1) une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique; (2) la convention d’arbitrage est nulle; (3) l’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario; (4) la motion a été présentée avec un retard indu; (5) la question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire. Il s’agit [traduction] « dans tous les cas de situations dans lesquelles il serait injuste ou peu pratique de renvoyer l’affaire à l’arbitrage » (MDG Kingston Inc. c. MDG Computers Canada Inc., 2008 ONCA 656, 92 O.R. (3d) 4, par. 36).
(iii) Le paragraphe 7(5) — Disposition relative à un sursis partiel
[66] Le paragraphe 7(5) prévoit une autre exception à la règle générale prévue au par. 7(1). Sur le plan structural, le paragraphe 7(5) comprend deux éléments principaux :
(1) Des conditions préalables — Les alinéas 7(5)a) et b) énoncent deux conditions préalables : a) « la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite » et b) « il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions ».
(2) Une exception discrétionnaire — S’il est satisfait à ces deux conditions préalables, le tribunal « peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions ».
[67] Examinons dans un premier temps les deux conditions préalables. Il est satisfait à la première si « la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite ». Autrement dit, l’instance doit porter sur (1) au moins une question qui est traitée dans la convention d’arbitrage et (2) au moins une question qui n’est pas traitée dans la convention d’arbitrage.
[68] La deuxième condition préalable est remplie s’il « est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions ». Naturellement, les « autres questions » sont celles qui ne sont pas traitées dans la convention d’arbitrage, car le par. 7(5) ne prévoit que deux catégories de « questions » : celles qui sont traitées dans la convention d’arbitrage et celles qui ne le sont pas.
[69] S’il est satisfait aux deux conditions préalables, au lieu d’ordonner un sursis complet, le tribunal « peut » autoriser que les questions qui ne sont pas traitées dans la convention d’arbitrage soient soumises au tribunal. Il doit toutefois surseoir à l’instance malgré tout en ce qui touche les questions qui sont traitées dans la convention d’arbitrage. Par exemple, si les parties à une convention d’arbitrage ont choisi d’inclure « A », mais non « B », dans la convention, le par. 7(5) permet au tribunal, lorsqu’il est satisfait aux deux conditions préalables, d’instruire une instance à l’égard de « B », même s’il doit surseoir à l’instance à l’égard de « A ». Puisqu’elle donne effet à l’entente que les parties ont conclue de soumettre seulement certains types de différends à l’arbitrage, cette interprétation confirme le concept de l’autonomie des parties ainsi que la politique sous‑jacente de la Loi sur l’arbitrage selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue.
[70] Cependant, s’il n’est pas satisfait aux conditions préalables, l’exception discrétionnaire prévue au par. 7(5) n’entre pas en jeu. Cela est logique : le paragraphe 7(5) ne prend effet que « si » les deux conditions préalables sont remplies; si elles ne le sont pas, le par. 7(5) ne s’applique pas. Dans ce cas, à moins qu’une des cinq exceptions énumérées au par. 7(2) s’applique, c’est la règle générale prévue au par. 7(1) qui prévaut et le tribunal doit ordonner le sursis de l’instance.
[71] Cette interprétation est étayée par la doctrine. Dans l’ouvrage Arbitration Law of Canada: Practice and Procedure, J. B. Casey a formulé les commentaires suivants au sujet des dispositions équivalentes de la loi de l’Alberta :
[traduction] Le paragraphe 7(1) énonce la règle générale selon laquelle, si une partie introduit une action en justice à l’égard de questions régies par une convention d’arbitrage, le tribunal « doit » surseoir à l’instance. Le paragraphe 7(5) énonce ensuite une exception partielle à cette règle générale. Il prévoit que le tribunal peut autoriser la poursuite d’une instance à l’égard de questions qui ne sont pas visées par la convention d’arbitrage, pourvu qu’il soit raisonnable de les dissocier de celles qui sont visées par la convention en question. Rien dans le libellé du paragraphe 7(5) ne semble conférer au tribunal la compétence d’autoriser que toute l’action soit instruite lorsqu’il n’est pas raisonnable de dissocier les questions en litige, et d’affirmer que le paragraphe 7(4) permet de surseoir à la procédure d’arbitrage.
Le paragraphe 7(5) prévoit que le tribunal peut autoriser la poursuite de l’instance à l’égard des questions qui ne sont pas visées par la convention d’arbitrage s’il est raisonnable de les dissocier des questions qui sont soumises à l’arbitrage. Il ne traite pas de la situation inverse, c’est‑à‑dire de celle où le tribunal conclut qu’il n’est pas raisonnable de dissocier les questions. Dans ce cas, à notre avis, le tribunal suspendrait l’instance en attendant l’issue de l’arbitrage, puis déciderait s’il est nécessaire de poursuivre l’action en justice. [p. 349‑350]
[72] L’auteur affirme par la suite que [traduction] « [l]e paragraphe 7(5) ne permet pas d’autoriser l’instruction d’une action et la suspension d’une convention d’arbitrage valide simplement parce qu’il semble y avoir un chevauchement entre les réclamations soumises au tribunal et celles soumises à l’arbitrage et qu’il n’est pas raisonnable de les dissocier ». Il ajoute que « [l]e paragraphe 7(5) porte sur la question de savoir si le tribunal peut autoriser ou non que des réclamations distinctes qui ne sont pas visées par la convention d’arbitrage soient soumises au tribunal par voie d’action. Il ne porte pas sur la question de savoir si les réclamations visées par la convention d’arbitrage devraient ou non être suspendues » (pp. 352‑353).
[73] M. Wellman n’est pas d’accord. Essentiellement, il fait valoir que le par. 7(5) doit être interprété comme signifiant que le tribunal « peut surseoir[, ou refuser de surseoir,] à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions », et que l’al. 7(5)b) doit être interprété comme autorisant le tribunal à refuser de surseoir à l’instance lorsqu’il « [n’est pas] raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions ». Avec égards, je ne peux pas accepter cette prétention. L’interprétation du paragraphe 7(5) proposée par M. Wellman se fonde sur des termes qui ne figurent tout simplement pas dans la disposition. Qui plus est, ces termes figurent ailleurs dans la loi, à savoir au par. 7(2), qui prévoit que « le tribunal peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants ». Le paragraphe 7(2) illustre donc que, dans les cas où le législateur a voulu autoriser le tribunal à refuser d’accorder un sursis, il a utilisé l’expression « peut refuser de surseoir ».
[74] En outre, soit dit en tout respect, je suis d’avis que l’argument de M. Wellman selon lequel le par. 7(5) est une disposition autonome qui doit être interprétée indépendamment des par. 7(1) et (2) ne peut pas être retenu. Le paragraphe 7(5) emploie l’article défini devant les termes « instance », « questions » et « convention d’arbitrage ». La seule façon de définir « l’instance », « les questions » et « la convention d’arbitrage » visées au par. 7(5) est par renvoi au par. 7(1), qui emploie l’article indéfini devant ces mêmes termes. Il y a donc un lien logique et nécessaire entre les deux dispositions, ce qui contredit l’argument selon lequel le par. 7(5) est une disposition indépendante.
[75] Par ailleurs, bien que je convienne que le par. 7(5) devrait être lu dans le contexte du régime législatif dans son ensemble et que l’art. 6‑3 permet au tribunal d’intervenir pour « [e]mpêcher que des parties aux conventions d’arbitrage soient traitées autrement que sur un pied d’égalité et avec équité », je constate aussi que l’art. 6 limite l’intervention du tribunal aux « cas prévus par [la Loi] ». Ainsi, même si l’interprétation que donne M. Wellman au par. 7(5) donnerait manifestement au tribunal une plus grande marge de manœuvre pour intervenir afin d’empêcher la perception que des parties à des conventions d’arbitrage sont traitées autrement que sur un pied d’égalité et avec équité, l’expression « dans les cas prévus par [la Loi] » indique que l’art. 6 ne vise pas à écarter ou à modifier le sens des autres dispositions de la Loi sur l’arbitrage.
[76] Plus fondamentalement, l’interprétation proposée par M. Wellman va à l’encontre de la politique qui sous‑tend la Loi sur l’arbitrage selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue. Si elle était acceptée, cette interprétation réduirait le degré de certitude et de prévisibilité associé aux conventions d’arbitrage, et permettrait à des personnes qui sont parties à une entente de ce type de « se greffer » aux réclamations présentées par d’autres. Au bout du compte, cela minerait la confiance dans le fait que les conventions d’arbitrage seront appliquées et pourrait décourager les parties d’utiliser l’arbitrage comme moyen efficace et économique pour régler leurs différends. Manifestement, ce n’est pas ce que le législateur avait à l’esprit quand il a adopté la Loi sur l’arbitrage.
[77] M. Wellman et divers intervenants soulèvent également un certain nombre de considérations de nature politique énoncées ci‑après qui, selon eux, appuient l’interprétation qu’ils proposent :
• Accès à la justice et aux tribunaux — La décision Griffin facilite l’accès à la justice en éliminant les obstacles liés à l’obtention d’une réparation devant les tribunaux.
• Abus des clauses d’arbitrage dans les contrats d’adhésion — Les grandes entreprises dotées d’un important pouvoir de négociation ne devraient pas avoir le droit d’inclure des clauses d’arbitrage injustes dans les contrats types qu’ils font signer à leurs clients et de se dégager ainsi de toute responsabilité en exigeant que tout différend soit soumis à un arbitrage privé et individuel, même les réclamations de faible valeur qu’il ne serait pas économique de soumettre à une procédure d’arbitrage.
• Réduction du groupe — Selon l’interprétation du par. 7(5) énoncée précédemment, les non‑consommateurs seraient exclus des recours collectifs mettant en jeu à la fois des consommateurs et des non‑consommateurs dans les cas où les parties ont conclu une convention d’arbitrage. Le groupe visé serait donc réduit, ce qui rendrait les recours collectifs moins viables sur le plan économique et diminuerait la probabilité qu’ils soient introduits.
• Multiplicité des instances — La décision Griffin renforce la capacité des tribunaux d’éviter la multiplicité des instances, laquelle augmente le risque de résultats contradictoires, réduit l’efficacité et augmente les coûts globaux. En outre, l’article 138 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. C. 43, prévoit que les tribunaux doivent éviter, dans la mesure du possible, la multiplicité des instances.
• Difficulté à distinguer les consommateurs des non-consommateurs — La distinction entre les consommateurs et les non-consommateurs peut être difficile à faire, en particulier compte tenu de l’apparition de « consommateurs hybrides » et de « quasi‑consommateurs », de sorte qu’il est préférable de traiter les consommateurs et les non-consommateurs de la même façon.
[78] Dans leur interprétation du paragraphe 7(5), mes collègues les juges Abella et Karakatsanis se fondent sur plusieurs de ces considérations de nature politique, en insistant particulièrement sur l’importance de promouvoir l’accès à la justice, sur la difficulté d’établir une distinction entre les consommateurs et les non-consommateurs et sur l’injustice que risquerait d’entraîner l’application des clauses d’arbitrage qui figurent dans des contrats types.
[79] Je suis conscient de ces considérations. Soit dit avec respect, je suis toutefois d’avis qu’elles ne doivent pas servir à déformer le libellé de la loi, interprété d’une façon qui s’harmonise avec l’économie et l’objet du texte législatif en question ainsi qu’avec l’intention du législateur, pour donner à la disposition un sens qu’elle n’a pas. L’analyse des considérations de politique générale joue un rôle légitime dans le processus d’interprétation des lois (voir Sullivan, pp. 223‑250), mais le choix des politiques dans une démocratie parlementaire demeure la responsabilité du législateur et non celle des tribunaux. Selon moi, le rôle principal des tribunaux consiste à interpréter et à appliquer ces lois en fonction de leur libellé, pourvu qu’elles aient été édictées légalement. La Cour n’a pas pour rôle de récrire la loi.
[80] Il en est particulièrement ainsi du fait que la législature de l’Ontario a déjà traité de certaines de ces préoccupations de nature politique en protégeant les consommateurs des conséquences possiblement sévères de l’application des conventions d’arbitrage prévues dans les conventions de consommation, qui prennent souvent la forme de contrats types. Le législateur a pris avec soin la décision politique d’exempter les consommateurs — et seulement les consommateurs — de l’application ordinaire des conventions d’arbitrage. Il faut respecter ce choix, et non pas le miner en interprétant le par. 7(5) comme permettant aux tribunaux de traiter les consommateurs et les non-consommateurs sur un pied d’égalité.
[81] Qui plus est, comme je l’expliquerai, je ne saurais souscrire à plusieurs des points précis soulevés par mes collègues en ce qui concerne les considérations de nature politique énoncées précédemment.
[82] Premièrement, bien que mes collègues considèrent que l’« objet général » de la Loi sur l’arbitrage est de « promouvoir l’accès à la justice » (par. 137), il convient de réitérer que cet objectif était loin d’être le seul que poursuivait le législateur lorsqu’il a adopté cette Loi. Comme je l’ai déjà dit, un certain nombre de « principes directeurs » servent de base à la Loi sur l’arbitrage, dont l’un prévoit que [traduction] « les parties à une convention d’arbitrage valide doivent respecter l’entente qu’elles ont conclue » (Assemblée législative de l’Ontario, 27 mars 1991, p. 256). De même, comme l’a affirmé le juge Blair dans la décision Denison Mines, la Loi sur l’arbitrage a été conçue [traduction] « en vue d’encourager les parties à recourir à l’arbitrage pour régler les différends liés à des questions commerciales et autres, et pour les obliger à respecter leurs engagements une fois qu’ils ont convenu de procéder par arbitrage » (par. 8).
[83] Certes, l’importance de promouvoir l’accès à la justice ne fait aucun doute (voir Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 1). On ne saurait pour autant permettre, à moins d’une directive du législateur, que cet objectif prenne le dessus sur les autres objectifs importants visés par la Loi sur l’arbitrage, y compris celui de veiller à ce que les parties à une convention d’arbitrage valide respectent l’entente qu’elles ont conclue. Soit dit avec respect, l’approche adoptée par mes collègues minerait l’objectif déclaré du législateur de s’assurer que les parties à une convention d’arbitrage valide la respectent et réduirait le degré de certitude et de prévisibilité associé aux conventions de ce type en plus d’affaiblir le concept d’autonomie des parties dans le contexte commercial. Cette approche augmenterait les occasions pour les parties à une convention d’arbitrage valide — même une convention durement négociée entre des entités commerciales averties — de se soustraire aux obligations qui y sont prévues et d’exiger réparation devant les tribunaux. En retour, cela éloignerait les parties d’une [traduction] « bonne méthode accessible pour parvenir à régler un grand nombre de différends », laquelle « peut s’avérer plus efficace et moins coûteuse que de recourir aux tribunaux » (Assemblée législative de l’Ontario, 27 mars 1991, p. 245).
[84] Deuxièmement, mes collègues insistent sur le fait que la Loi sur l’arbitrage a été conçue dans une optique de convention d’arbitrage « négoci[ée] librement » (par. 131), que le « contrat type [de TELUS] ne représente guère un accord librement conclu » (par. 160), et qu’« [i]mposer l’arbitrage à des parties qui n’en veulent pas va à l’encontre de l’esprit de la Loi de 1991 sur l’arbitrage et du processus arbitral » (par. 167). Or, à mon avis, mes collègues perdent de vue la question dont est réellement saisie la Cour. En effet, la présente espèce n’a pas pour but de débattre des avantages et des inconvénients de l’application de clauses d’arbitrage contenues dans des contrats types. Elle concerne plutôt l’interprétation qu’il convient de donner au par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage. De plus, tandis que mes collègues affirment que la Loi a été conçue dans une optique de convention d’arbitrage « négoci[ée] librement », rien dans la Loi sur l’arbitrage ne donne à penser que les conventions d’arbitrage types, qui se caractérisent par une absence de négociation véritable, sont en soi inexécutoires. En effet, l’arrêt Seidel de la Cour — de même que ses prédécesseurs Dell, Rogers et Desputeaux — confirme que la présomption initiale est l’inverse.
[85] Qui plus est, M. Wellman n’a pas invoqué, ni devant la Cour ni devant les tribunaux de juridictions inférieures, que le contrat d’arbitrage type en question était inéquitable. Cet argument, s’il s’avérait fondé, rendrait le contrat invalide et permettrait au tribunal de refuser de surseoir à l’instance en application de l’al. 7(2)2 de la Loi sur l’arbitrage. À mon sens, les arguments relatifs à l’injustice que risquerait d’entraîner l’application des clauses d’arbitrage qui figurent dans des contrats types devraient plutôt être tranchés directement par application du principe de l’iniquité, soit l’approche adoptée dans la décision Heller c. Uber Technologies Inc., 2019 ONCA 1, plutôt qu’indirectement en tentant d’élargir la portée du par. 7(5) en vue de régler un problème perçu qu’il n’a jamais eu pour but de régler.
[86] Troisièmement, mes collègues insistent sur la difficulté d’établir une distinction entre les consommateurs et les non‑consommateurs, insistant sur le fait que l’interprétation que donne TELUS au par. 7(5) rendrait la procédure d’autorisation des recours collectifs « encombrant » et risquerait de faire de l’étape de l’autorisation « une recherche par le défendeur du statut précis de chaque membre du groupe » (par. 158).
[87] Bien que différencier les consommateurs et les non‑consommateurs puisse s’avérer difficile dans certains cas, cette difficulté, à mon sens, n’a aucune incidence sur l’interprétation qu’il convient de donner au par. 7(5). La difficulté relevée par mes collègues résulte de deux facteurs : (1) l’exigence prévue dans la Loi sur les recours collectifs voulant que toute personne souhaitant participer à un recours collectif doit correspondre à une définition objective du groupe; et (2) la décision du législateur d’accorder des protections supplémentaires uniquement aux « consommateurs », qu’il a choisi de définir de façon particulière dans la Loi sur la protection du consommateur — comme étant un « particulier qui agit à des fins personnelles, familiales ou domestiques, mais non commerciales » (art. 1). Bien que différencier les consommateurs et les non-consommateurs puisse s’avérer « encombrant » dans certains cas, cet inconvénient n’autorise pas le tribunal à reformuler la loi comme bon lui semble pour contourner de telles difficultés. Les tribunaux doivent plutôt respecter le cadre établi par le législateur, y compris à l’étape de la certification du recours collectif.
[88] En outre, interpréter le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage comme autorisant les non-consommateurs à « se joindre » aux consommateurs parce qu’il serait « encombrant » de les distinguer les uns des autres permettrait aux entités commerciales de se retrouver devant les tribunaux judiciaires en dépit de leur consentement à recourir à l’arbitrage, même lorsque la convention d’arbitrage est le fruit d’une négociation en bonne et due forme. Je le répète, cela réduirait le degré de certitude et de prévisibilité associé aux conventions d’arbitrage et permettrait aux parties à ces conventions de « greffer » leurs réclamations à celles d’autres parties.
[89] Bien entendu, le législateur ontarien pourrait répondre aux préoccupations de nature politique énoncées précédemment s’il jugeait qu’il est indiqué de le faire. Bien que je ne formule aucun commentaire sur la pertinence de quelque réforme que ce soit, je note que, en théorie, diverses réponses sont possibles. Pour ne donner qu’un exemple, le législateur pourrait modifier la Loi sur l’arbitrage pour accorder aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir à l’instance lorsque la convention d’arbitrage ne traite que de certaines des questions en litige. À cet égard, je fais remarquer que la loi type sur laquelle la Loi sur l’arbitrage est basée, à savoir la Loi uniforme sur l’arbitrage de 1990[6], a été modifiée comme suit en 2002 :
7 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
. . .
(3) Malgré le paragraphe (1), si une convention d’arbitrage ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite, le tribunal judiciaire peut :
a) soit refuser de surseoir à l’instance;
b) soit surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions.
(4) Lorsqu’il rend une décision en vertu du paragraphe (3), le tribunal judiciaire :
a) tient compte de l’importance de veiller à l’exécution des conventions d’arbitrage;
b) détermine s’il est raisonnable de séparer les questions en litige dont il est traité dans la convention d’arbitrage des autres questions en litige. [Je souligne.]
(Conférence sur l’harmonisation des lois au Canada, Loi de 2002 modifiant la Loi sur l’arbitrage (en ligne))
[90] Enfin, bien que l’article 138 de la Loi sur les tribunaux judiciaires prévoie qu’il « faut » éviter la multiplicité des instances, cette obligation est tempérée par l’emploi de l’expression « dans la mesure du possible ». En conséquence, si l’application d’une loi ontarienne, interprétée correctement, mène à la multiplicité des instances, les tribunaux doivent malgré tout donner effet à l’intention du législateur. Cette façon de faire est conforme à l’arrêt Seidel, où la Cour a reconnu que les tribunaux doivent donner effet au « choix du législateur » reflété dans la loi en cause, même si cela pouvait mener à la multiplicité des instances (par. 50). En l’espèce, le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage prévoit expressément la tenue possible de recours parallèles, car il permet au tribunal d’ordonner un sursis partiel — ce qui peut donner lieu à deux procédures concurrentes, soit une procédure d’arbitrage et une procédure judiciaire — lorsqu’il est satisfait aux deux conditions préalables énoncées aux al. 7(5)a) et b). En théorie, la Loi sur l’arbitrage pourrait être modifiée pour accorder aux tribunaux un vaste pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder un sursis dans les cas où, s’ils ne le faisaient pas, il pourrait y avoir multiplicité des instances; or, le législateur n’a pris aucune mesure en ce sens. Pour les raisons qui précèdent, bien que la multiplicité des instances puisse causer certaines difficultés sur le plan pratique, on ne peut pas s’appuyer sur cette réalité pour faire fi du libellé de la loi.
(iv) Le paragraphe 7(6) — l’interdiction d’interjeter appel
[91] Enfin, le paragraphe 7(6) prévoit tout simplement que « [l]a décision du tribunal judiciaire n’est pas susceptible d’appel ». Étant donné l’absence de termes restrictifs, il faut considérer que ce paragraphe renvoie à une « décision » rendue aux termes de l’un ou l’autre des paragraphes de l’art. 7. Le paragraphe 7(6) viserait donc, par exemple, la décision de surseoir à l’instance au titre du par. 7(1), la décision de refuser de surseoir à l’instance au titre du par. 7(2) et la décision d’ordonner un sursis partiel au titre du par. 7(5).
[92] J’aborde maintenant l’application de ce cadre d’analyse.
D. Application
(1) L’instance
[93] En l’espèce, l’« instance » est tout simplement le recours collectif intenté par M. Wellman, qui soutient être un « consommateur » au sens de la Loi sur la protection du consommateur. Cette instance sert de véhicule procédural au moyen duquel de multiples parties peuvent faire valoir ensemble leur réclamation (voir Bisaillon, par. 17). Comme je l’ai déjà précisé, certaines de ces parties sont des consommateurs, tandis que d’autres n’en sont pas.
(2) Les conventions d’arbitrage
[94] La présente instance met en jeu non pas une « convention » d’arbitrage, mais une constellation de « conventions » qui prennent chacune la forme d’une clause d’arbitrage type figurant dans tous les contrats de service de téléphonie cellulaire conclus entre TELUS et ses clients, qu’ils soient des consommateurs ou non. Chaque convention contient des clauses identiques quant aux types de questions qu’elle vise. En gros, elles stipulent que toutes les réclamations découlant du contrat ou s’y rapportant, sauf en ce qui concerne le recouvrement de créances par TELUS, doivent faire l’objet d’une médiation ou, à défaut de règlement, d’un arbitrage. Ainsi, les stipulations d’arbitrage précisent les « questions » à l’égard desquelles l’arbitrage est obligatoire, ainsi que les « questions » à l’égard desquelles il ne l’est pas : les différends concernant le recouvrement ne sont pas assujettis à l’arbitrage obligatoire, tandis que les différends concernant toute autre question découlant du contrat ou s’y rapportant le sont.
[95] Cela nous amène à l’art. 7 de la Loi sur l’arbitrage.
(3) L’article 7 de la Loi sur l’arbitrage
[96] Examinons d’abord le paragraphe 7(1) de la Loi sur l’arbitrage. La seule « question » en litige dans le recours intenté par M. Wellman, une partie à une convention d’arbitrage, est celle de la surfacturation alléguée. Or, les conventions d’arbitrage qu’ont signé les consommateurs et les clients commerciaux traitent de cette question. Comme l’instance porte sur au moins une question qui est traitée dans les conventions d’arbitrage, la règle générale prévue au par. 7(1) exigerait donc normalement qu’il soit sursis aux procédures dans leur ensemble, ce qui empêcherait tant les consommateurs que les clients commerciaux de recourir aux tribunaux.
[97] Or, la Loi sur la protection au consommateur donne la clé de la salle d’audience aux consommateurs. Le paragraphe 7(2) de cette loi prévoit en effet que toute clause d’arbitrage énoncée dans une « convention de consommation », définie à l’article premier comme une convention entre un « consommateur » et un « fournisseur »[7] selon laquelle « le fournisseur convient de fournir des marchandises ou des services moyennant paiement », « est invalide, dans la mesure où elle empêche le consommateur d’exercer son droit d’introduire une action devant la Cour supérieure de justice en vertu de la présente loi ». De plus, le paragraphe 8(1) donne aux consommateurs le droit d’intenter un recours collectif ou de devenir membres d’un groupe dans le cadre d’un recours collectif à l’égard d’un différend relatif à une convention de consommation. Lues conjointement, ces deux dispositions invalident les conventions d’arbitrage auxquelles ont adhéré les consommateurs dans la mesure où celles‑ci empêchent ces derniers d’intenter un recours collectif ou de participer à un recours collectif comme celui qu’a introduit M. Wellman. À cet égard, les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur constituent une « dérogation législative » à la clause d’arbitrage à l’égard des consommateurs (Seidel, par. 40). En outre, puisque le paragraphe 7(2) de la Loi sur la protection du consommateur s’applique, le par. 7(5) entre en jeu. Cette disposition prévoit que « [l]e paragraphe 7 (1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage ne s’applique pas à l’instance visée au paragraphe (2), sauf si, après la naissance du différend, le consommateur consent à le soumettre à l’arbitrage ». Ainsi, le paragraphe 7(5) de la Loi sur la protection du consommateur protège les consommateurs dans la présente affaire du sursis visé au par. 7(1) de la Loi sur l’arbitrage.
[98] Les clients commerciaux, par contre, ne sont pas des « consommateurs » au sens de la Loi sur la protection du consommateur; ils ne peuvent donc pas se prévaloir des mesures de protections qu’offrent aux consommateurs les par. 7(2) et 7(5) ainsi que l’art. 8 de cette loi. En termes clairs, même si le par. 7(5) de la Loi sur la protection du consommateur renvoie « à l’instance visée au paragraphe (2) », je ne suis pas convaincu que l’emploi du terme « instance » met les non‑consommateurs visés par l’instance à l’abri du sursis obligatoire prévu au par. 7(1) de la Loi sur l’arbitrage. Si c’était le cas, les mesures de protection offertes par la Loi sur la protection du consommateur s’étendraient à des personnes qui ne sont pas des « consommateurs », ce qui éroderait la politique qui sous‑tend la Loi sur l’arbitrage, selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue. Si des non‑consommateurs qui sont liés par une convention d’arbitrage valide pouvaient court‑circuiter le par. 7(1) de la Loi sur l’arbitrage simplement en joignant leur réclamation à celle d’un consommateur et en invoquant le par. 7(5) de la Loi sur la protection du consommateur, cette disposition deviendrait un moyen pour que les réclamations des non‑consommateurs « se greffent » à celles de consommateurs. En effet, s’il fallait adopter une telle interprétation, un recours collectif intenté au nom de millions de non‑consommateurs chacun lié par une convention d’arbitrage, s’il était certifié, pourrait être entendu par un tribunal dans son entièreté à condition qu’un seul consommateur se joigne au recours. Ainsi, l’inclusion d’un seul consommateur suffirait pour que tous aient accès au tribunal. En revanche, donner au paragraphe 7(5) de la Loi sur la protection du consommateur une interprétation qui limite son application aux consommateurs mène à un résultat valable, qui concorde avec les objectifs sous‑jascents des deux lois : soit préserver les mesures de protection prévues uniquement pour les « consommateurs » dans la Loi sur la protection du consommateur et donner effet à la politique qui sous‑tend la Loi sur l’arbitrage, selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue.
[99] Puisque j’ai conclu que les clients commerciaux ne peuvent pas éviter le sursis prévu au par. 7(1) de la Loi sur l’arbitrage en invoquant la Loi sur la protection du consommateur, ils ne leur restent que deux avenues possibles pour arriver à leur fin : les par. 7(2) et (5) de la Loi sur l’arbitrage. Cela dit, comme M. Wellman n’a pas fait valoir qu’une des cinq exceptions énoncées au par. 7(2) s’applique, seul le par. 7(5) pourrait ouvrir la voie du tribunal aux clients commerciaux. Or, comme je l’expliquerai, cette disposition ne s’applique pas eu égard aux faits de l’espèce.
[100] Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage ne s’applique que lorsqu’il est satisfait aux deux conditions préalables énoncées aux al. 7(5)a) et b). La première condition exige que l’instance porte sur (1) au moins une question qui est traitée dans la convention d’arbitrage et (2) au moins une question qui ne l’est pas. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Comme je l’ai déjà expliqué, l’instance porte plutôt sur une seule question — celle de la surfacturation alléguée —, dont traitent les conventions d’arbitrage qu’ont signées les consommateurs et les clients commerciaux. Il n’est donc pas satisfait à la première condition préalable, et le par. 7(5) ne s’applique pas.
[101] Pour illustrer comment le paragraphe 7(5) pourrait s’appliquer à un différend entre TELUS et ses clients commerciaux, imaginons un scénario où l’instance porte à la fois sur (1) une réclamation présentée par les clients commerciaux concernant la surfacturation alléguée et (2) une réclamation présentée par TELUS pour le recouvrement de créances. La première question est visée par la convention d’arbitrage; la seconde ne l’est pas. Cette instance fictive satisferait à la première condition préalable. Si le tribunal jugeait qu’il est raisonnable de dissocier les deux questions, de sorte que la deuxième condition préalable serait aussi remplie, le par. 7(5) permettrait donc au tribunal de surseoir à l’instance en ce qui touche la question traitée dans les conventions d’arbitrage (c.‑à‑d. la question de la surfacturation alléguée) et de permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche la question qui n’est pas traitée dans les conventions d’arbitrage (c.‑à‑d. la question du recouvrement des créances). Subsidiairement, si le tribunal jugeait qu’il n’était pas raisonnable de dissocier les deux questions, de sorte que la deuxième condition préalable ne serait pas remplie, la règle générale prévue au par. 7(1) s’appliquerait et le tribunal serait tenu de surseoir à l’instance.
[102] Puisque le paragraphe 7(5) ne s’applique pas en l’espèce, il faut donc surseoir à l’instance en application de la règle générale prévue au par. 7(1). En outre même si le terme « instance » est utilisé sans autre précision au par. 7(1), vraisemblablement dans le sens d’« instance dans son ensemble », je suis d’avis que le sursis en l’espèce doit être limité aux parties qui sont liées légalement par une convention d’arbitrage — à savoir TELUS et les clients commerciaux. Comme je l’ai déjà précisé, la Loi sur la protection du consommateur confère aux consommateurs le droit d’intenter un recours judiciaire et la Loi sur l’arbitrage ne peut pas leur enlever ce droit. De plus, d’un point de vue téléologique, le cadre d’analyse de l’art. 7 vise principalement à garantir que les parties à une convention d’arbitrage valide respectent l’entente qu’elles ont conclue; il ne vise pas à faire en sorte que les parties qui n’ont jamais convenu d’être liées par une convention d’arbitrage ou qui ne sont pas liées par une telle convention se voient refuser l’accès aux tribunaux. La Loi sur l’arbitrage ne peut pas interférer avec les droits procéduraux ou substantifs de ces parties, et elle ne peut certainement pas les priver de leur droit de demander une réparation devant les tribunaux uniquement parce qu’ils s’adonnent à être indirectement liés à d’autres qui, eux, ont conclu une convention d’arbitrage et à laquelle ils sont liés.
[103] En somme, je conclus que la juge des motions et la Cour d’appel ont commis une erreur de droit en interprétant incorrectement le par. 7(5) de la Loi sur l’arbitrage et en refusant d’ordonner un sursis qui, suivant le par. 7(1) de cette même loi, était obligatoire. En définitive, selon moi, le paragraphe 7(5) ne permet pas au tribunal d’écarter une convention d’arbitrage valide et exécutoire.
(4) Le paragraphe 7(6) — l’interdiction d’interjeter appel
[104] Enfin, je remarque que la cour d’instance inférieure n’a pas examiné l’application possible du par. 7(6) de la Loi sur l’arbitrage et que la question n’a été abordée que brièvement durant les plaidoiries orales devant la Cour. Ni l’une ni l’autre des parties n’a suggéré que l’interdiction d’interjeter appel prévue à l’article 7(6) s’applique. En l’absence d’observations complètes, j’estime qu’il ne convient pas de rendre une décision définitive sur la question.
VII. Conclusion
[105] En définitive, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner le sursis des réclamations des clients commerciaux. En conséquence, TELUS a droit à ses dépens devant la Cour et devant la Cour d’appel. Toutefois, comme la motion en vue d’un sursis de TELUS a été entendue en même temps que la demande de certification de M. Wellman qui a été accueillie, j’estime qu’il ne serait pas approprié d’accorder à TELUS les dépens en Cour supérieure. Je suis donc d’avis d’annuler l’ordonnance quant aux dépens rendue par la Cour supérieure et d’ordonner que chaque partie assume ses propres dépens devant cette cour.
Version française des motifs du juge en chef Wagner et des juges Abella, Karakatsanis et Martin rendus par
Les juges Abella et Karakatsanis —
[106] Le présent pourvoi concerne un recours collectif contre TELUS Communications Inc. Le contrat obligatoire et non négociable que doivent signer tous les acheteurs de forfaits de téléphonie cellulaire TELUS exige l’arbitrage individuel pour toutes les réclamations, et empêche la formation de recours judiciaires comme le recours collectif. La loi ontarienne soustrait les consommateurs à l’application de ces clauses d’arbitrage obligatoire. Cependant, les entreprises, peu importe leur taille, et même si elles présentent des réclamations identiques à celles des consommateurs, peuvent être assujetties à l’application de la clause d’arbitrage prévue dans le contrat. Les tribunaux de l’Ontario ont toutefois reconnu le déni d’accès à la justice que créait cette disparité et ont interprété la Loi de 1991 sur l’arbitrage de manière à ce que les tribunaux aient le pouvoir discrétionnaire de corriger cette anomalie et de permettre aux deux catégories de demandeurs d’exercer un recours collectif.
[107] L’interprétation législative est l’art de déduire le sens des mots. Celui‑ci est parfois évident, que ce soit en raison de la clarté du libellé ou de son lien avec le contexte législatif. Parfois, cependant, l’interprétation littérale des mots pris isolément compromet les objectifs de politique générale du régime législatif. La Cour suprême a réglé, en 1998, le débat au Canada entre les « textualistes » et les « intentionnalistes » lorsqu’elle a décidé qu’« il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur[8] ». Nous ne faisons pas qu’observer les mots. De plus, en Ontario, toutes les lois doivent être interprétées conformément à l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.O. 1990, c. I. 11, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et qu’elles doivent donc « s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables ».
[108] Autrement dit, les mots comptent, les objectifs de politique générale comptent et les conséquences comptent.
[109] Soit dit en tout respect, l’approche des juges majoritaires représente en réalité le retour du textualisme. Les mots ont dominé et supprimé les objectifs contextuels de politique générale à la fois de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, et de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6, créant de cette façon un univers de règlement des différends qui a pour effet de contraindre les parties à un litige à dépenser des milliers de dollars en vue de régler un différend qui ne vaut qu’une fraction de ce coût; de priver d’autres personnes d’un accès concret à un recours si elles ne sont pas préparées ou ne peuvent se permettre de prendre part à une affaire où elles perdraient sur le plan des coûts et des bénéfices; et de susciter la multiplication d’instances, ce que le recours collectif visait justement à éviter. Ces facteurs dissuasifs ont pour résultat que les clients commerciaux ne feront tout simplement pas valoir leurs droits.
[110] C’est pourquoi la Cour d’appel de l’Ontario a toujours interprété le libellé du par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage de façon à éviter les conséquences inacceptables tout en renforçant les objets et le fonctionnement efficace des régimes législatifs pertinents. Cette façon de faire est conforme à la méthode moderne d’interprétation législative de notre Cour, et devrait, en conséquence, être entérinée par celle‑ci.
[111] Le législateur ontarien a adopté la Loi de 1991 sur l’arbitrage pour permettre aux parties qui le souhaitent de recourir à l’arbitrage comme autre forme de règlement des différends. Afin d’assurer le règlement opportun des différends et de diminuer les frais de justice, la Loi de 1991 sur l’arbitrage a limité l’intervention judiciaire à l’égard des différends arbitrables. Mais elle a aussi investi les juges du pouvoir discrétionnaire d’autoriser les instances judiciaires dans certaines circonstances précises, par exemple lorsque la convention d’arbitrage était manifestement inéquitable.
[112] La question qui se pose dans le présent pourvoi est de savoir jusqu’où peut aller ce pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. Il s’agit plus précisément d’établir si le par. 7(5) investit les juges du pouvoir discrétionnaire d’entendre les parties visées par une convention d’arbitrage lorsque la même question fait l’objet d’un litige devant les tribunaux. Le paragraphe 7(5) est ainsi libellé :
Convention s’appliquant à une partie du différend
(5) Le tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions, s’il constate :
a) d’une part, que la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite;
b) d’autre part, qu’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions.
[113] Depuis 2002, la Cour d’appel de l’Ontario a interprété le par. 7(5) comme conférant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de surseoir aux questions qui seraient par ailleurs soumises à l’arbitrage. De même, depuis une dizaine d’années, la Cour d’appel de l’Ontario a interprété le par. 7(5) comme permettant que des questions par ailleurs arbitrables soient jointes aux recours collectifs afin d’éviter, dans l’intérêt public, le dédoublement des instances, des coûts plus élevés et le risque de résultats incohérents.
[114] Cette interprétation, à notre avis, s’accorde avec le texte des dispositions et le régime créé par celles‑ci et est conforme non seulement aux objets ayant motivé l’adoption de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, mais aussi à l’objet du par. 7(5) lui‑même.
[115] À notre avis, lorsque l’instance porte à la fois sur des questions visées par une convention d’arbitrage et d’autres questions qui ne le sont pas, le par. 7(5) investit le juge du pouvoir discrétionnaire de permettre que toute l’instance se poursuive devant le tribunal, même si certaines parties sont par ailleurs assujetties à une clause d’arbitrage.
Contexte
[116] Il est allégué que TELUS, un fournisseur de services de téléphonie cellulaire canadien, a pendant un certain nombre d’années, et sans en aviser ses clients, arrondi à la minute suivante la durée des appels faits au moyen d’un téléphone cellulaire. Cette pratique a donné lieu à une facturation excessive de petits montants sur les factures mensuelles des clients.
[117] TELUS utilisait le même contrat type pour les clients commerciaux et les clients consommateurs, qui ont intenté ensemble un recours collectif contre elle. Le demandeur désigné dans le présent pourvoi, Avraham Wellman, est un consommateur et représente le groupe.
[118] Le contrat type de TELUS est non négociable. Il contient une clause de règlement des différends exigeant la médiation ou, à défaut de règlement, l’arbitrage de tous les différends, sauf en ce qui concerne le recouvrement de créances par TELUS. Cette clause d’arbitrage ne s’applique pas aux consommateurs parce que la loi sur la protection du consommateur de l’Ontario invalide les clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation dans la mesure où celles‑ci empêchent le consommateur d’introduire une instance judiciaire (Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, Ann. A, art. 7).
[119] À première vue, la clause d’arbitrage est valide pour les clients commerciaux. C’est pourquoi TELUS a demandé au tribunal de surseoir aux réclamations des clients commerciaux et de les radier du recours collectif, au motif que ces réclamations devaient être soumises à l’arbitrage.
[120] Les dispositions de la Loi de 1991 sur l’arbitrage traitant du sursis figurent à l’art. 7, qui est ainsi rédigé :
Sursis
7 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
Exceptions
(2) Cependant, le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants :
1. Une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique.
2. La convention d’arbitrage est nulle.
3. L’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario.
4. La motion a été présentée avec un retard indu.
5. La question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire.
Poursuite de l’arbitrage
(3) L’arbitrage du différend peut être engagé et poursuivi pendant que la motion est devant le tribunal judiciaire.
Conséquences du refus de surseoir
(4) Si le tribunal judiciaire refuse de surseoir à l’instance :
a) d’une part, aucun arbitrage du différend ne peut être engagé;
b) d’autre part, l’arbitrage qui a été engagé ne peut être poursuivi, et tout ce qui a été fait dans le cadre de l’arbitrage avant que le tribunal judiciaire ne rende sa décision est sans effet.
Convention s’appliquant à une partie du différend
(5) Le tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions, s’il constate :
a) d’une part, que la convention ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite;
b) d’autre part, qu’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions.
[121] Comme il a déjà été mentionné, la disposition en cause dans le présent pourvoi est le par. 7(5), que les tribunaux ontariens ont interprété comme permettant aux clients commerciaux qui seraient par ailleurs liés par une convention d’arbitrage de participer à des recours collectifs avec les consommateurs.
[122] Tant la juge des requêtes que les juges majoritaires de la Cour d’appel en l’espèce se sont fondés sur l’arrêt Griffin c. Dell Canada Inc., 2010 ONCA 29, 98 O.R. (3d) 483, qui a été rendu par une formation de cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario. Thaddeus Griffin, qui avait acheté un ordinateur bloc‑notes Dell par l’intermédiaire de son entreprise personnelle, a participé avec des consommateurs à un recours collectif dans lequel ceux‑ci soutenaient que les produits Dell étaient défectueux. Le contrat de vente type de Dell contenait une clause exigeant que tous les différends soient soumis à l’arbitrage.
[123] À l’étape de la certification, Dell a soutenu que les clients commerciaux ne devraient pas être autorisés à participer au recours collectif avec les consommateurs, et que leurs réclamations devraient faire l’objet d’un sursis et être renvoyées à l’arbitrage individuel. La juge Lax a estimé qu’il était [traduction] « fantaisiste de croire qu’un demandeur pourrait présenter une réclamation individuelle dans une affaire complexe de responsabilité du fabricant » et que l’application de la clause d’arbitrage de Dell aurait pour effet que celle‑ci serait immunisée contre l’obligation de [traduction] « rendre des comptes aux membres du groupe concernant le tort qu’elle a pu causer » (Griffin c. Dell Canada Inc. (2009) 72 C.P.C. (6th) 158 (C.S.J.), par. 92‑93).
[124] La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision selon laquelle la réclamation de M. Griffin pouvait être portée devant le tribunal. Elle a conclu que le par. 7(5) investit le juge des requêtes du pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder un sursis partiel lorsque l’action porte sur des réclamations qui sont visées par une convention d’arbitrage et d’autres qui ne le sont pas, parce que
[traduction] . . . il ne serait pas raisonnable de dissocier les réclamations présentées par des consommateurs de celles qui sont présentées par des non‑consommateurs. Nous devrions, par conséquent, refuser d’accorder un sursis partiel et permettre que toutes les réclamations soient examinées dans le cadre du recours collectif.
Accorder un sursis pour les réclamations présentées par des non‑consommateurs créerait de l’inefficacité et entraînerait un risque de multiplicité des instances et des coûts et des retards supplémentaires. Cela serait contraire à l’art. 138 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qui dispose qu’« [i]l faut éviter, dans la mesure du possible, la multiplicité des instances », et contraire à la jurisprudence sur le caractère raisonnable des sursis partiels ordonnés aux termes du par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. [par. 46‑47]
[125] Plusieurs décisions ont été invoquées à l’appui de cette interprétation (Radewych c. Brookfield Homes (Ontario) Ltd., [2007] O.J. no 2483 (QL), 158 A.C.W.S. (3d) 523 (C.S.J.), conf. par 2007 ONCA 721; Johnston c. Goudie, (2006), 212 O.A.C. 79, par. 18; Penn‑Co Construction Canada (2003) Ltd. c. Constance Lake First Nation (2007), 66 C.L.R. (3d) 78 (C.S.J.), par. 31, conf. par 2008 ONCA 768, 76 C.L.R. (3d) 1; Frambordeaux Developments Inc. c. Romandale Farms Ltd., [2007] O.J. no 4917 (QL), 162 A.C.W.S. (3d) 711 (C.S.J.), par. 34; New Era Nutrition Inc. c. Balance Bar Co., 2004 ABCA 280, 245 D.L.R. (4th) 107, par. 37‑38.)
[126] Dans l’affaire qui nous occupe, TELUS a présenté une demande de sursis similaire à l’égard des réclamations des clients commerciaux. La juge Conway s’est fondée sur l’arrêt Griffin de la Cour d’appel de l’Ontario pour conclure que le par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage confère expressément à la cour le pouvoir discrétionnaire de décider s’il est raisonnable de dissocier les questions traitées dans une convention d’arbitrage des autres questions en litige. Si la cour estime qu’il n’est pas raisonnable de les dissocier et refuse d’accorder un sursis partiel, toutes les questions peuvent être soumises au tribunal, nonobstant la clause d’arbitrage. Conformément à l’arrêt Griffin, elle a conclu que ce pouvoir discrétionnaire pouvait être exercé pour permettre la jonction des réclamations présentées par des non‑consommateurs à un recours collectif intenté par des consommateurs, lorsqu’il est raisonnable de le faire. Étant donné que les réclamations présentées par des non‑consommateurs ne peuvent pas être soumises à un arbitrage collectif, la dissociation des deux instances pourrait créer de l’inefficacité, mener à des résultats incohérents et entraîner la multiplicité des instances.
[127] TELUS a interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel de l’Ontario. La juge van Rensburg, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a souscrit à l’opinion de la juge des requêtes.
[128] TELUS a porté cette décision en appel, faisant valoir que l’arrêt Griffin est erroné.
[129] Contrairement à nos collègues, nous partageons l’opinion de la juge van Rensburg et sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
Analyse
[130] Une disposition doit être appréciée sous toutes ses textures — libellé, objet et effet — pour que son sens ne soit pas étouffé par une interprétation littérale et formaliste de ses termes. Comme l’a souligné le juge Moldaver dans R. c. Alex, [2017] 1 R.C.S. 967 : « [l]a Cour signale dans maints arrêts que le sens ordinaire n’est pas en soi déterminant et qu’une entreprise d’interprétation législative demeure incomplète sans l’examen du contexte, de l’objet et des normes juridiques pertinentes » (par. 31). Ce qu’il faut, c’est une interprétation qui ancrée dans l’intention du législateur, le libellé de la loi, la jurisprudence et les pratiques (Rizzo & Rizzo Shoes, par. 20‑41). Autrement dit, l’interprétation doit être [traduction] « raisonnable et juste » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), § 2.9).
[131] La Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario a été adoptée afin de permettre aux parties d’élaborer leurs propres processus de règlement et de résoudre leurs différends à l’extérieur des tribunaux. Elle prévoyait que deux ou plusieurs parties peuvent négocier librement leur processus d’arbitrage. Avant l’adoption de la loi de 1991, les juges pouvaient surseoir aux procédures d’arbitrage en vertu de leur large pouvoir discrétionnaire — même lorsque toutes les parties avaient convenu de soumettre leur différend à l’arbitrage. L’exercice de ce pouvoir par les tribunaux prêtait à controverse parce qu’on le voyait comme une ingérence judiciaire à l’égard de la liberté contractuelle des parties.
[132] La Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario s’inspirait de la Loi uniforme sur l’arbitrage (1990) adoptée par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada (en ligne), qui découlait du rapport de 1989 sur l’adoption d’une législation uniforme en matière d’arbitrage de l’Alberta Law Commission. Elle prenait modèle, en partie, sur le rapport de 1988 de l’Alberta Institute of Law Research and Reform intitulé Proposals for a New Alberta Arbitration Act (Rapport no 51). Dans ce rapport, l’Institut recommandait une refonte importante de la loi existante. Plus précisément, l’Institut proposait de limiter le pouvoir des tribunaux de refuser de surseoir à l’instance lorsque les parties avaient convenu de recourir à l’arbitrage. Cette proposition a trouvé son expression dans le par. 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, qui prévoit que, si une partie à une convention d’arbitrage tente de former un recours judiciaire à l’égard d’un différend arbitrable, le juge doit surseoir à l’instance. Le par. 7(2) prévoit des exceptions limitées à cette règle générale.
[133] La proposition contenait également une disposition, sans commentaire, conférant au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir à l’instance si la [traduction] « convention d’arbitrage sur laquelle est fondée la demande [. . .] ne s’applique pas au différend [. . .] ou ne lie pas toutes les parties au différend » (par. 8(2) (italiques ajoutés)). Cette disposition est l’ancêtre du par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage actuelle.
[134] Cette deuxième disposition proposée semblait indiquer que les tribunaux peuvent, en vertu de leur pouvoir discrétionnaire, permettre que les instances judiciaires se poursuivent dans deux cas : 1) lorsque l’arbitrage ne s’applique pas à toutes les questions soulevées dans le cadre du différend, et 2) lorsque des parties et des non‑parties à une convention d’arbitrage engagent une poursuite contre le même défendeur.
[135] Les raisons de principe à la base de ces exceptions étaient les mêmes que celles qui sous‑tendaient la Loi de 1991 sur l’arbitrage, à savoir l’accès à la justice, l’opportunité et la limitation du rôle des tribunaux aux circonstances où leur participation améliorerait l’efficacité et réduirait les retards. Lors de la présentation de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, Howard Hampton, le procureur général de l’époque, a dit ceci :
[traduction]
L’un des engagements qu’a pris le présent gouvernement envers les Ontariens est d’améliorer l’accès à la justice dans la province. L’exécution de cet engagement comportera la mise en œuvre de toute une série de programmes et de politiques. Elle comprendra également des mesures de réforme du droit visant à simplifier le système judiciaire souvent intimidant pour l’usage du public.
Dans ce contexte, je présente aujourd’hui en première lecture la Loi de 1991 sur l’arbitrage. L’arbitrage est un bon moyen accessible de tenter d’obtenir le règlement de plusieurs types de différends. Il peut être plus opportun et moins coûteux que de s’adresser aux tribunaux. Les parties peuvent élaborer leurs propres procédures et choisir des arbitres compétents.
[. . .]
La nouvelle loi permettra aux gens de soumettre plus facilement leurs différends privés à l’arbitrage en vue d’un règlement, et ce, de plusieurs façons :
D’abord, lorsque les gens auront convenu d’aller en arbitrage, la loi fera en sorte que toutes les parties respectent cette convention.
Ensuite, le pouvoir des tribunaux d’intervenir dans les arbitrages est énoncé précisément et, par conséquent, les tribunaux joueront un rôle constructif et seront moins susceptibles d’être utilisés par des parties réticentes pour retarder les instances.
(Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats (Hansard), 1re sess., 35e lég., 27 mars 1991, p. 245 (italiques ajoutés).)
[136] Lors de la première lecture du projet de loi, le même jour, le procureur général a en outre expliqué ceci :
[traduction] Les principes directeurs de la nouvelle Loi sur l’arbitrage sont que les parties à une convention d’arbitrage valide doivent respecter l’entente qu’elles ont conclue, qu’elles doivent être libres d’élaborer comme elles l’entendent leur propre processus d’arbitrage dans les limites de l’équité générale, que les possibilités d’occasionner un retard doivent être réduites au minimum et, enfin, que les sentences arbitrales doivent être faciles à exécuter et susceptibles de contrôle judiciaire seulement en ce qui concerne des irrégularités précises.
(Assemblée législative de l’Ontario, p. 256 (italiques ajoutés).)
[137] Ces déclarations donnent un aperçu des raisons d’être de la loi ainsi que des moyens par lesquels elles étaient censées être mises en œuvre. L’objet général de la Loi de 1991 sur l’arbitrage était de promouvoir l’accès à la justice. Le moyen choisi pour atteindre cet objectif consistait à favoriser l’accessibilité en donnant aux parties le choix de régler leurs différends en dehors du système judiciaire. Cette possibilité a été offerte en reconnaissance du fait que le système judiciaire peut être lent et coûteux. Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’intervenir dans les affaires arbitrables a donc été restreint afin de favoriser la réalisation des objectifs du règlement opportun des différends.
[138] La Loi de 1991 sur l’arbitrage instaure un régime permettant l’arbitrage privé efficace des différends visés par une convention d’arbitrage. Elle établit des règles applicables par défaut qui régissent les arbitrages et le rôle des tribunaux relativement aux arbitrages privés. Diverses dispositions prévoient les situations où l’intervention des tribunaux est justifiée, où l’appui des tribunaux est nécessaire pour donner effet aux processus et aux sentences d’arbitrage privé et où les appels devant les tribunaux sont nécessaires. D’une manière générale, la Loi de 1991 sur l’arbitrage vise à faciliter le règlement efficace et opportun des différends.
[139] Depuis 1998, les tribunaux ontariens ont invariablement mis l’accent sur les objets de la Loi de 1991 sur l’arbitrage lorsqu’ils ont interprété le par. 7(5) comme conférant le pouvoir discrétionnaire d’écarter la convention d’arbitrage lorsqu’il serait déraisonnable de dissocier les questions arbitrables de celles qui ne le sont pas. Dans l’affaire Rosedale Motors Inc. c. Petro‑Canada Inc. (1998), 42 O.R. (3d) 776 (C.S.J.), Rosedale Motors a tenté de porter devant le tribunal plusieurs questions, dont certaines étaient régies par une convention d’arbitrage et d’autres non. Petro‑Canada Inc. a demandé un sursis à l’égard des questions arbitrables. Le juge Sharpe a conclu que [traduction] « [l]e libellé du par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, étaye l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder un sursis lorsqu’il n’est pas raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention des autres questions opposant les parties » (p. 783‑784).
[140] La Cour d’appel de l’Ontario a adopté cette interprétation dans l’arrêt Brown c. Murphy (2002), 59 O.R. (3d) 404 (C.A.), et y a souscrit dans le contexte des instances multipartites dans l’arrêt Radewych.
[141] L’année suivante, dans l’arrêt Penn‑Co Construction, la Cour d’appel a souligné la nécessité pratique de permettre aux tribunaux d’instruire les réclamations générales, dont certaines seraient par ailleurs visées par des procédures d’arbitrage. Dans cette affaire, Penn‑Co avait présenté contre Constance Lake First Nation une réclamation allant au‑delà des questions indiquées dans la convention comme étant arbitrables. Elle avait également présenté une réclamation contre plusieurs autres parties qui n’étaient pas liées contractuellement par la clause d’arbitrage. Penn‑Co avait par la suite tenté de faire exécuter la convention d’arbitrage contre certaines parties. La Cour d’appel a confirmé la décision de la juge des requêtes selon laquelle le fait de permettre l’arbitrage de certaines réclamations et d’accorder un sursis à l’égard des autres entraînerait un dédoublement des efforts ainsi que des frais et inconvénients supplémentaires, et risquerait de donner lieu à des résultats incohérents (par. 5).
[142] Cette décision a été suivie de l’arrêt Griffin, analysé précédemment dans les présents motifs, où la Cour d’appel a estimé que le dédoublement des efforts, l’inefficacité du processus judiciaire et les frais plus élevés en découlant — les problèmes mêmes que la Loi de 1991 sur l’arbitrage visait à régler — étaient des éléments essentiels pour déterminer quand le pouvoir discrétionnaire s’appliquait. La cour a expliqué en quoi il serait encombrant et inefficace de dissocier les instances, soulignant qu’un recours collectif intenté par des consommateurs aurait lieu, que les réclamations des clients commerciaux y soient jointes ou non. Les questions relatives à la responsabilité et aux dommages‑intérêts seraient identiques. L’exclusion des réclamations des clients commerciaux entraînerait un dédoublement des efforts et des frais inutiles. De plus, l’arbitrage individuel serait inefficace, car :
[traduction] un sursis partiel exigerait que l’on examine chaque réclamation et que l’on détermine s’il s’agit d’une réclamation présentée par un consommateur ou un non‑consommateur, ce qui pourrait constituer un point litigieux pour de nombreux acheteurs, car les ordinateurs bloc‑notes sont portatifs et fréquemment utilisés à des fins diverses. Le fait de dissocier les réclamations pouvant être portées devant le tribunal de celles devant être soumises à l’arbitrage coûterait cher et prendrait beaucoup de temps. [par. 51]
[143] Les tribunaux de l’Ontario appliquent cette interprétation du par. 7(5) depuis l’arrêt Griffin de la Cour d’appel rendu en 2010.
[144] Devant la Cour, M. Wellman soutient que les tribunaux de l’Ontario ont eu raison de conclure que le par. 7(5) s’applique chaque fois qu’une instance judiciaire touche des questions arbitrables et des questions non arbitrables — dans les cas où la convention d’arbitrage ne s’applique pas à toutes les questions soumises au tribunal, ou lorsque de multiples parties introduisent une instance et que certaines de ces parties sont liées par une convention d’arbitrage et d’autres non. M. Wellman affirme que, dans les deux cas, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de permettre que toutes les questions soient soumises au tribunal ou d’ordonner un sursis à l’égard des questions arbitrables afin qu’elles puissent être tranchées par l’arbitre. Pour décider s’il y a lieu d’accorder un sursis partiel à l’égard des questions arbitrables en vertu du par. 7(5), le juge doit établir s’il est raisonnable de dissocier les réclamations arbitrables des réclamations non arbitrables.
[145] Par contre, TELUS cherche à faire infirmer l’arrêt Griffin, faisant valoir que le par. 7(5) s’applique uniquement lorsque des parties qui sont liées par une convention d’arbitrage tentent d’engager une poursuite devant les tribunaux et que certaines questions ne sont pas mentionnées expressément dans la convention d’arbitrage. Le juge peut permettre que l’instance se poursuive en ce qui touche ces questions non arbitrables précises, ou encore ordonner un sursis à leur égard en attendant l’issue de l’arbitrage. TELUS soutient que le par. 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage empêche absolument le tribunal d’instruire toute question visée par une convention d’arbitrage, et que le par. 7(5) ne confère au tribunal que le pouvoir discrétionnaire de décider quoi faire avec les questions non arbitrables : il peut y surseoir en attendant l’issue de l’arbitrage ou permettre qu’elles soient soumises au tribunal. Selon l’interprétation que donne TELUS à cette disposition, le par. 7(5) ne s’applique donc pas aux questions arbitrables, mais confère plutôt aux tribunaux uniquement le pouvoir discrétionnaire de décider de surseoir ou non aux questions non arbitrables.
[146] Comme il a été mentionné précédemment, l’art. 7 de la Loi de 1991 sur l’arbitrage énonce les règles en ce qui a trait au sursis. Suivant la règle applicable par défaut énoncée au par. (1), sur demande d’une autre partie à la convention d’arbitrage, toute instance ayant trait à une question arbitrable doit faire l’objet d’un sursis. Cette règle est assortie des exceptions énoncées au par. (2), qui comprennent les motifs liés au retard indu et à l’évaluation du bien‑fondé par le juge. Si le tribunal refuse de surseoir à l’instance, le par. (4) rend tout arbitrage sans effet.
[147] Le paragraphe 7(5) traite des situations où l’instance touche à la fois des questions visées par une convention d’arbitrage et d’« autres questions » non arbitrables, qui ont été à juste titre soumises au tribunal. Dans de tels cas, le par. (5) permet au juge d’ordonner un sursis partiel à l’égard des questions arbitrables tout en permettant que l’instance se poursuive en ce qui touche les questions non arbitrables si le tribunal est convaincu a) que l’instance est « hybride »; et b) qu’il est raisonnable de dissocier les questions. La question de savoir s’il est raisonnable de dissocier les questions régit cet exercice du pouvoir discrétionnaire.
[148] Rien dans le libellé de la disposition n’oblige le tribunal à interpréter le par. 7(5) (ou l’art. 7 dans son ensemble) sur la base partie‑partie, comme TELUS invite la Cour à le faire. Cette disposition est plutôt axée sur les « questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite ». Le paragraphe (5) emploie les termes « instance » et « autres questions » d’une manière générale et sans réserve. Le juge des requêtes doit par conséquent considérer « l’instance » dans son ensemble. TELUS a raison de souligner que le terme « autres questions » employé au par. 7(5) peut, dans certaines circonstances, désigner les différends entre les mêmes parties qui échappent à leur convention d’arbitrage. Mais il ne s’ensuit pas que ce terme doive recevoir une interprétation restrictive. Le terme « autres questions » s’entend simplement des différends non arbitrables, qu’ils concernent ou non les parties à la convention d’arbitrage en cause ou des personnes qui ne sont pas visées par la convention d’arbitrage.
[149] Le régime de la loi de l’Ontario est très différent de celui de la loi de la Colombie‑Britannique qui était en cause dans l’affaire Seidel c. TELUS Communications, [2011] 1 R.C.S. 531, décision que TELUS a invoquée. Dans cette affaire, Michelle Seidel cherchait à faire autoriser un recours collectif contre TELUS pour la surfacturation relativement à des contrats de services de téléphonie cellulaire. TELUS a demandé un sursis d’instance parce que le contrat type exigeait que les différends soient soumis à l’arbitrage individuel. Dans Seidel, la Cour a affirmé que « [e]n l’absence d’intervention de la législature, les tribunaux donnent généralement effet aux clauses d’un contrat commercial librement conclu dans lequel figure une clause d’arbitrage, et ce, même s’il s’agit d’un contrat d’adhésion » (par. 2). Par conséquent, pour que le tribunal puisse instruire des questions par ailleurs arbitrables, le législateur doit avoir exprimé une intention claire en ce sens.
[150] Le fait que l’arrêt Seidel portait sur un cadre législatif complètement différent empêche son application directe à l’espèce. Deux lois de la Colombie‑Britannique étaient en cause, la Business Practices and Consumer Protection Act, S.B.C. 2004, c. 2, et la Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55. La Cour a permis qu’une réclamation présentée par un consommateur soit portée devant le tribunal en vertu de l’art. 172 de la Business Practices and Consumer Protection Act, même si elle était visée par une convention d’arbitrage. Un sursis a été accordé à l’égard de toutes les autres réclamations arbitrables, compte tenu du libellé impératif de l’art. 15 de la Commercial Arbitration Act de la Colombie‑Britannique, qui prévoyait ceci :
[traduction]
15 (2) Le tribunal saisi de la demande visée au paragraphe (1) sursoit à l’instance à moins qu’il ne constate que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.
[151] La question en litige dans l’affaire Seidel était de savoir si l’art. 172 de la loi sur la protection du consommateur de la Colombie‑Britannique constituait une dérogation législative à la clause d’arbitrage en cause. La Cour a souligné que la loi provinciale applicable était déterminante quant à savoir si le tribunal doit accorder un sursis à l’égard des questions visées par une convention d’arbitrage.
[152] Il convient de souligner que la loi en cause dans Seidel ne contenait aucune disposition analogue au par. 7(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario permettant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. En fait, contrairement à la loi sur l’arbitrage de la Colombie‑Britannique, la loi ontarienne permet expressément la dérogation judiciaire discrétionnaire aux clauses d’arbitrage dans plusieurs cas. Le paragraphe 7(2) contient des exceptions semblables à celles de la loi de la Colombie‑Britannique, mais prévoit aussi des évaluations discrétionnaires visant à déterminer si la demande de sursis « a été présentée avec un retard indu » et si « [l]a question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire ». En vertu de ces deux dernières exceptions, et contrairement à la loi de la Colombie‑Britannique, le tribunal peut écarter une clause d’arbitrage pour des motifs n’ayant rien à voir avec la validité contractuelle de la clause.
[153] De la même façon, le par. 7(5) de la loi ontarienne révèle l’intention explicite du législateur d’écarter la clause d’arbitrage par ailleurs applicable. La disposition prévoit que « [l]e tribunal judiciaire peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre qu’elle se poursuive en ce qui touche les autres questions. . . », ce qui signifie que le tribunal peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions arbitrables qui lui sont soumises ou permettre qu’elle se poursuive. Logiquement, le pouvoir discrétionnaire d’accorder un sursis partiel comprend également le pouvoir de refuser d’accorder un sursis partiel. Autrement dit, le terme « peut » signifie « peut ».
[154] Les différends non arbitrables, par définition, ne relèvent pas de la compétence d’un arbitre. Sauf si les parties conviennent de recourir à l’arbitrage après que le différend est survenu, les réclamations non arbitrables ne peuvent faire l’objet d’un arbitrage. De plus, le tribunal n’a pas besoin d’un texte législatif pour continuer à instruire une question non arbitrable qui lui a été soumise à juste titre. Par conséquent, la seule interprétation qui donne véritablement effet au libellé discrétionnaire du par. 7(5) est celle qui confère aux juges le pouvoir de permettre que les différends arbitrables ainsi que les différends non arbitrables soient portés devant le tribunal.
[155] L’affirmation de TELUS selon laquelle le tribunal ne peut jamais surseoir aux questions arbitrables en vertu du par. 7(5) rend superflue la première phrase de cette disposition — « peut surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage ». Et si on l’interprète comme s’appliquant seulement aux questions non arbitrables, le par. 7(5) n’ajoute rien au pouvoir discrétionnaire existant du juge : le tribunal peut déjà « de son propre chef ou sur motion présentée par une personne qui est partie ou non au litige, surseoir à une instance aux conditions qu’il estime justes » (Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, art. 106).
[156] En insérant l’exigence du caractère raisonnable dans l’al. 7(5)b), le législateur ontarien a manifestement prévu que, dans certains cas, il ne serait pas raisonnable « de dissocier les questions traitées dans la convention [d’arbitrage] des autres questions ». Or, selon l’interprétation préconisée par TELUS, les questions arbitrables seraient toujours dissociées des questions non arbitrables, et elles ne pourraient jamais être instruites ensemble — ce qui ne constitue guère un résultat efficace ou qui favorise l’accès à la justice.
[157] Enfin, l’interprétation préconisée par TELUS donnerait lieu à des examens des faits longs et coûteux quant à la façon dont les réclamations arbitrables seraient dissociées de celles qui ne le sont pas, même lorsque le fond des réclamations est identique, comme en l’espèce. Les deux parties ont reconnu les difficultés éventuelles que peut susciter le fait d’établir une distinction entre le « consommateur » au sens de la Loi sur la protection du consommateur, qui échappe à l’arbitrage, et le client commercial, qui n’y échappe pas. Cette distinction pourrait être particulièrement difficile à établir pour les personnes qui utilisent leur téléphone cellulaire tant à des fins personnelles que dans le cadre de leur entreprise. Établir si ces personnes tombent sous le coup de l’exception prévue dans la Loi sur la protection du consommateur rendrait l’analyse inutilement plus complexe.
[158] Dans les recours collectifs, la dissociation de toutes les questions visées par une clause d’arbitrage pourrait bien avoir pour effet concret de transformer l’étape de la certification en une recherche par le défendeur du statut précis de chaque membre du groupe, dans le but d’établir s’il s’agit en fait de clients commerciaux ou de clients consommateurs. Comme l’ont souligné dans leur mémoire les intervenants Centre pour la défense de l’intérêt public et Consumers Council of Canada, cette évaluation pourrait déclencher [traduction] « un processus individuel de constatation des faits », donnant lieu à une certaine « confusion [qui] minerait encore davantage le régime de recours collectifs de l’Ontario en tant que mécanisme procédural viable d’accès à la justice pour les consommateurs » (par. 25). En somme, l’interprétation que préconise TELUS vide non seulement le par. 7(5) de tout son sens, mais affaiblit aussi la Loi de 1992 sur les recours collectifs en rendant trop encombrant le processus de certification des recours collectifs.
[159] Par conséquent, lorsqu’on considère l’art. 7 dans son ensemble, il devient évident que les par. (1) et (5) sont complémentaires, et non incompatibles. Les deux dispositions sont conformes aux objets de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. Elles empêchent toutes deux les tribunaux de miner les conventions d’arbitrage. Parallèlement, le législateur a jugé bon d’inclure plusieurs exceptions à l’art. 7, lesquelles permettent aux tribunaux d’écarter les clauses d’arbitrage dans les circonstances prescrites lorsqu’ils peuvent ainsi favoriser l’accès à la justice et le règlement efficace des différends.
[160] TELUS fait valoir que s’il peut y avoir des conséquences négatives liées à l’arbitrage individuel obligatoire, ces conséquences sont les résultats prévisibles des accords que ses clients ont librement conclus. Elle soutient que la liberté contractuelle commande que les parties respectent l’entente qu’elles ont conclue et que les tribunaux s’abstiennent de réécrire les accords. Cet argument se trouve toutefois amoindri par le fait que son contrat type ne représente guère un accord librement conclu — il s’agissait de clauses non négociables obligatoires constituant des conditions préalables à l’achat de produits TELUS.
[161] L’arbitrage se voulait un moyen permettant à des parties relativement égales en situation de négociation de choisir de créer un mécanisme extrajudiciaire de règlement des différends. Le respect de l’autonomie des parties était un objectif essentiel de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. Comme le souligne la professeure Shelley McGill :
[traduction] La nouvelle politique sur l’arbitrage [. . .] était fondée sur l’hypothèse que des parties averties jouissant d’un pouvoir de négociation relativement égal collaboreraient en vue de créer leur propre processus de règlement. De pair avec cette politique allait l’objectif de donner des moyens d’agir aux parties et de leur permettre d’exercer un plus grand contrôle sur le règlement de leur différend tout en facilitant le commerce international.
(Shelley McGill, « The Conflict Between Consumer Class Actions and Contractual Arbitration Clauses » (2006), 43 Can. Bus. L. J. 359, p. 365 (italiques ajoutés).)
[162] Les clauses types du contrat de TELUS ne permettaient pas l’arbitrage collectif, mais exigeaient l’arbitrage individuel pour chaque plainte. Dans l’arrêt Griffin, la Cour d’appel a analysé l’incidence du fait de ne pas permettre les procédures collectives :
[traduction] Il importe de souligner [. . .] que la clause d’arbitrage de Dell exige non seulement que toutes les réclamations soient soumises à l’arbitrage, mais prévoit aussi que « [l’]arbitrage se limitera uniquement aux conflits ou aux désaccords entre le client et Dell », écartant ainsi la possibilité qu’il y ait un arbitrage collectif. J’aurais trouvé la thèse de Dell beaucoup plus convaincante si elle avait été disposée à se soumettre à un arbitrage permettant que soient tranchées efficacement les réclamations sur une base collective. [. . .] À mon avis, cet élément constitue une preuve supplémentaire [. . .] que Dell ne cherche pas véritablement à faire trancher par voie d’arbitrage les réclamations présentées contre elle. Dell cherche simplement à tirer parti de l’inefficacité de l’arbitrage individuel des réclamations. [Italiques ajoutés; par. 60.]
[163] La réalité empirique est que les clauses d’arbitrage obligatoire ont pour effet d’entraver l’accès à la justice dans le contexte des petites réclamations. Comme le souligne la professeure Cynthia Estlund :
[traduction] la plupart des différends qui sont visés par des conventions d’arbitrage obligatoire [. . .] disparaissent simplement avant même d’être déposés. C’est une chose de savoir que l’arbitrage obligatoire tire un épais voile de secret sur les affaires qui font l’objet de ce processus, c’en est une autre de constater qu’il n’y a presque rien derrière ce voile. L’arbitrage obligatoire n’est pas tant un mécanisme de « règlement extrajudiciaire des différends » qu’un tour de magie ou un mirage. Plusieurs métaphores me viennent à l’esprit, mais j’ai choisi celle du trou noir dans lequel s’engouffrent les affaires et d’où ne s’échappe aucune lumière.
(Cynthia Estlund, « The Black Hole of Mandatory Arbitration » (2018), 96 N.C. L. Rev. 679, p. 682)
[164] Dans l’arrêt Griffin, la Cour d’appel a reconnu cette réalité lorsqu’elle a fait remarquer ce qui suit :
[traduction] La préférence déclarée du vendeur pour l’arbitrage n’est souvent rien de plus qu’une façon d’éviter d’être tenu responsable de fautes multiples donnant lieu à de petites pertes pécuniaires, qui ne peuvent faire l’objet de poursuites individuelles, mais qui, ensemble, peuvent faire l’objet d’un recours collectif viable : voir Theodore Eisenberg, Geoffrey P. Miller et Emily Sherwin, « Mandatory Arbitration for Customers but not for Peers: A Study of Arbitration Clauses in Consumer and Non‑Consumer Contracts » (2008), 92 Judicature 118. [par. 30]
[165] Tous les clients de TELUS — tant les clients commerciaux que les clients consommateurs — ont signé le même contrat type non négociable. La clause d’arbitrage individuel de TELUS empêche en fait les clients commerciaux d’avoir accès à la justice lorsqu’une réclamation de faible valeur ne justifie pas la dépense. Son caractère obligatoire, en outre, indique que les principes sous‑jacents de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle brillent par leur absence. Comme l’a affirmé la cour dans l’arrêt Griffin :
[traduction] La retenue à l’égard de l’arbitrage est fondée en grande partie sur la liberté contractuelle et la valeur de l’autonomie personnelle. Comment ces valeurs peuvent‑elles entrer en jeu dans les contrats d’adhésion où l’autonomie n’est exercée que par l’une des parties? Il n’y a aucune raison de faire preuve de déférence envers des entreprises qui ne cherchent qu’à faire valoir leurs propres intérêts et à se soustraire aux lois qui ne leur plaisent pas.
(par. 30, citant Jonnette Watson Hamilton, « Pre‑Dispute Consumer Arbitration Clauses: Denying Access to Justice? » (2006), 51 R.D. McGill 693, p. 734.)
[166] On ne peut pas parler de « pouvoir de négociation égal » et d’« autonomie des parties » si la nature même du contrat révèle qu’une partie possède le pouvoir exclusif de décider du contenu du contrat. On ne saurait donc raisonnablement affirmer que les parties aux conventions d’arbitrage individuel obligatoire ont [traduction] « pris place à la table » et négocié, car il n’y a pas de table de négociation. La signature de ces contrats par les particuliers et les sociétés est fonction non pas de choix négociés, mais d’une absence de choix.
[167] La contradiction sans doute la plus ironique qui découle du refus de reconnaître le pouvoir discrétionnaire que prévoit le par. 7(5) est son effet corrosif sur l’accès à la justice. L’objet de la Loi de 1991 sur l’arbitrage était d’accroître la capacité des parties de négocier leur propre processus de règlement extrajudiciaire des différends, en partant du principe que l’accès à la justice avait autant à voir avec l’accès à un résultat qu’avec l’accès à un juge. Imposer l’arbitrage à des parties qui n’en veulent pas va à l’encontre de l’esprit de la Loi de 1991 sur l’arbitrage et du processus arbitral. Cela tient lieu de barrière invisible, mais énorme, à la réparation et fait en sorte que les auteurs d’actes répréhensibles sont présumés soustraits à leur responsabilité, contrairement à nos notions les plus fondamentales de justice civile.
[168] La juge qui a rédigé des motifs concordants en Cour d’appel a dit craindre que le recours au par. 7(5) pour écarter des clauses d’arbitrage par ailleurs valides fasse en sorte que des parties averties puissent échapper aux conventions d’arbitrage en incluant quelques consommateurs parmi de nombreux clients commerciaux dans un recours collectif. Cependant, l’expérience nous enseigne qu’il s’agit d’une crainte sans fondement. Nul n’a jamais eu recours à pareil subterfuge devant les tribunaux canadiens, ce qui ne signifie pas que cela n’arrivera jamais, mais une hypothèse aussi diaphane ne saurait dicter l’interprétation des lois.
[169] Quoi qu’il en soit, de telles craintes sont atténuées par le fait que la possibilité d’avoir recours au pouvoir discrétionnaire prévu au par. 7(5) n’a pas pour effet d’obliger les juges à permettre que l’instance relative à un recours collectif comportant des réclamations arbitrables se poursuive : ils peuvent simplement décider quand il est raisonnable de le faire. L’élimination de ce pouvoir discrétionnaire, par contre, réduit à néant l’accès à la justice.
[170] Dans ce contexte, le par. 7(5) doit être interprété de façon à conférer aux juges le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir aux réclamations arbitrables s’il n’est pas raisonnable de les dissocier des réclamations non arbitrables. Cette interprétation s’applique tout autant lorsque l’instance oppose deux parties désignées ou plus que lorsqu’il s’agit d’un recours collectif.
[171] La convention d’arbitrage de TELUS « ne traite que de certaines des questions à l’égard desquelles l’instance a été introduite », c’est‑à‑dire les réclamations des clients commerciaux. Les réclamations des consommateurs constituent d’« autres questions » qui ne sont pas visées par l’arbitrage. L’alinéa 7(5)b) conférait donc à la juge des requêtes le pouvoir discrétionnaire de décider s’il était « raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention [les réclamations des clients commerciaux] des autres questions [les réclamations des consommateurs] ».
[172] Nous estimons que le pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire a été correctement exercé pour permettre la jonction des réclamations des clients commerciaux au recours collectif intenté par des consommateurs et traitant des mêmes questions. Nous sommes donc d’avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi accueilli, le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis et Martin sont dissidents.
Procureurs de l’appelante : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver; TELUS Communications Inc., Vancouver.
Procureurs de l’intimé : Rochon, Genova, Toronto; Morganti & Co., Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique :
Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureurs de l’intervenante ADR Chambers Inc. : Bennett Jones, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Chambre de commerce du Canada : McCarthy Tétrault, Toronto.
Procureurs des intervenants le Centre pour la défense de l’intérêt public et Consumers Council of Canada : Sotos, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Ottawa.
Procureur de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Université d’Ottawa, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante l’Association des consommateurs du Canada : Siskinds, Toronto; Michael Sobkin, Ottawa.
[1] Sauf indication contraire, tous les renvois à des dispositions législatives se rapportent à la Loi sur l’arbitrage.
[2] En fait, M. Wellman a nommé trois défenderesses — TELUS, TELUS Communications Company et Tele-Mobile Company — mais TELUS est la seule demanderesse qui reste, car les deux autres ont cessé leurs activités; leurs actifs et leurs passifs ont été transférés à TELUS.
[3] Des allégations similaires ont été faites contre Bell Mobilité Inc. dans le cadre d’un autre recours collectif projeté, introduit par Jason Corless. La demande de certification dans cette affaire a été entendue en même temps que la demande présentée dans l’affaire TELUS. Le présent pourvoi ne concerne pas l’action contre Bell.
[4] TELUS a aussi demandé l’autorisation d’interjeter appel de l’ordonnance de certification devant la Cour divisionnaire. Cette motion a été rejetée (voir Corless c. Bell Mobility Inc., 2015 ONSC 7682). La décision rendue par la Cour divisionnaire n’est pas contestée dans le cadre du présent pourvoi — le bien-fondé des allégations de M. Wellman dans le recours collectif sous-jacent ne l’est pas non plus.
[5] Le représentant demandeur, qui était un « consommateur », avait été ajouté seulement après que l’instance a été certifiée (voir Griffin, par. 2).
[6] Comme l’Alberta Law Reform Institute l’a fait remarquer, [traduction] « les documents de la [Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada] ne comportent aucune analyse de l’objet, du sens et de l’effet prévus du paragraphe 7(5); ils n’en font même pas mention » (par. 34, citant la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, Proceedings of the Seventy-first Annual Meeting (août 1989), p. 77-78 et ann. B; Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, Proceedings of the Seventy-Second Annual Meeting (août 1990), p. 36 et ann. A).
[7] Selon l’article 1, le terme « fournisseur » s’entend de « [q]uiconque exerce l’activité de fournir des marchandises ou des services, notamment en les vendant, en les louant ou en en faisant le commerce ».
[8] Elmer Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21.