LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 411-46 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le preneur a droit au renouvellement du bail, nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires, que ce droit est également reconnu au copreneur qui poursuit l'exploitation en cas de départ de son conjoint et qu'à défaut de congé le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 19 novembre 2014), rendu sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 1er octobre 2013, pourvoi n° 12-21. 539), que, par acte du 23 janvier 1995, M. et Mme X... ont donné à bail à M. et Mme Y... diverses parcelles de terre pour neuf ans à compter du 29 septembre 1994 ; que, par acte du 13 décembre 1999, les bailleurs ont procédé à une donation-partage avec leurs enfants en conservant l'usufruit de leurs biens ; que, par acte du 11 mars 2004, M. et Mme X... ont consenti à Mme Y..., dont le mari avait fait valoir ses droits à la retraite, un bail rural sur les mêmes terres, pour une durée de neuf ans à compter du 29 septembre 2003 ; que, par acte du 17 juillet 2010, Mme X..., seule usufruitière après le décès de son mari, a donné son accord à la cession du bail à Mme Z..., fille du preneur ; que Mme A..., nue-propriétaire, s'y est opposée et a saisi le tribunal paritaire en annulation du bail et expulsion ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt retient que l'acte du 11 mars 2004, conclu par les bailleurs avec le conjoint resté en activité, ne s'analyse pas en un renouvellement en ce qu'il est distinct du précédent bail, auquel il ne renvoie pas, et constitue un nouveau bail nécessitant, pour sa validité, l'accord du nu-propriétaire qui n'y a pas concouru ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'absence de congé mettant fin à la relation contractuelle, le conjoint copreneur qui poursuit seul l'exploitation a droit, nonobstant tout arrangement contraire, au renouvellement du bail rural par le seul effet de la loi, ce que l'acte du 11 mars 2004 se bornait à mettre en oeuvre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne Mme A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme A... ; la condamne à payer à Mme Z... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme Z....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'acte souscrit le 11 mars 2004 s'analyse en un nouveau bail, nul faute pour Brigitte X... épouse A..., nue-propriétaire en vertu d'un acte de donation partage du 13 décembre 2009 en réalité 1999, d'y être intervenue et d'avoir, en conséquence, ordonné à Mme Carole Z... de cesser l'occupation des terres et celle de tout occupant de son chef avec l'assistance de la force publique si besoin est,
AUX MOTIFS PROPRES QUE « les parties s'opposent sur la qualification à donner à l'acte du 11 mars 2004, Brigitte X... épouse A... le qualifiant de nouveau contrat de bail et Carole Y... épouse Z... faisant, au contraire, valoir qu'il ne s'agit que d'un renouvellement de bail ; en l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que le bail rural du 23 janvier 1995 avait été conclu entre Jacques X... et Thérèse B... épouse X... (les époux X..., d'une part, et Joël Y... et Marie Claude C... épouse Y... (les époux Y...), d'autre part ; en application des dispositions de l'alinéa deux de l'article L. 411-46 du Code rural ci-dessus mentionné, en cas d'arrêt de son activité par Joël Y..., le conjoint, Marie-Claude C... époux Y..., copreneur, bénéficiait du droit au renouvellement automatique, sans qu'il y ait lieu, dès lors, à la rédaction et la signature d'un nouvel acte ; or, le 11 mars 2004, les mêmes terres ont été données à bail par Jacques X... et Thérèse B... épouse X... (les époux X...), d'une part, à Marie Claude C... épouse Y..., seule, d'autre part ; cet acte est différent du précédent bail dans la mesure où il y a absence de parfaite identité entre les parties dans ces deux actes ; au surplus, l'acte du 11 mars 2004 ne se réfère à aucun moment au précédent acte du 23 janvier 1995, de telle sorte qu'il ne peut, par conséquent, s'analyser comme un renouvellement dudit bail rural et constitue, dès lors, un nouveau bail rural ; la nue-propriétaire, Brigitte X... épouse A..., invoque la nullité de l'acte du 11 mars 2004, dans la mesure où, bien qu'étant nue-propriétaire, elle n'a pas donné son consentement à un tel acte ; Carole Y... épouse Z... fait alors valoir qu'il s'agirait d'une demande nouvelle puisqu'il n'aurait été demandé au tribunal paritaire des baux ruraux que de constater l'irrégularité de la cession ; dans l'exposé du litige repris dans le jugement déféré, il est mentionné que Brigitte X... épouse A... a saisi le tribunal « afin qu'il soit constaté qu'aucun bail régulier n'existe qui aurait pu autoriser la cession » ; la prohibition des prétentions nouvelles en appel, prévue par l'article 564 du Code de procédure civile, est toutefois tempérée par les dispositions de l'article 565 du même code, autorisant une partie à exprimer une prétention tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; l'article 566 du Code de procédure civile dispose enfin que les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément. Il en ressort que, dans la présente espèce, la demande en nullité de l'acte du 11 mars 2004 formée par Brigitte X... épouse A... en appel n'est pas une demande nouvelle ; en application du dernier alinéa de l'article 595 du Code civil « l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal » ; la sanction légale de cette irrégularité est la nullité du bail ainsi conclu, à la demande du nu-propriétaire ; aussi, en l'absence de Brigitte X... épouse A..., nue-propriétaire, à l'acte du 11 mars 2004, il sera en conséquence fait droit à sa demande de nullité du nouveau bail ; à titre subsidiaire, Carole Y... épouse Z... demande à la cour de dire que le bail du 23 janvier 1995, qui n'a pas été résilié et n'a pas fait l'objet d'un congé, s'est régulièrement poursuivi en application de l'article L. 411-46 du Code rural ; en application des dispositions de l'article L. 411-46 du Code rural : « Le preneur a droit au renouvellement du bail, nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires, à moins que le bailleur ne justifie de l'un des motifs graves et légitimes mentionnés à l'article L. 411-31 ou n'invoque le droit de reprise dans les conditions prévues aux articles L. 411-57 à L. 411-63, L. 411-66 et L. 411-67 ; en cas de départ de l'un des conjoints ou partenaires d'un pacte civil de solidarité copreneurs du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l'exploitation a droit au renouvellement du bail ; le preneur et le copreneur visés à l'alinéa précédent doivent réunir les mêmes conditions d'exploitation et d'habitation que celles exigées du bénéficiaire du droit de reprise en fin de bail à l'article L. 411-59 » ; en l'espèce, les parties, différentes du premier contrat du 23 janvier 1995, ont entendu conclure le 11 mars 2004 un nouveau bail sans aucune mention du précédent, ainsi qu'il a été ci-dessus jugé ; la conclusion de ce nouveau contrat s'oppose dès lors au renouvellement automatique du précédent contrat du 23 janvier 1995 qui a, en conséquence, pris fin à son échéance ; la demande subsidiaire de Carole Y... épouse Z... sera en conséquence rejetée ; dès lors, compte tenu de la nullité de l'acte du 11 mars 2004, la cession des terres au profit de Carole Y... épouse Z... n'a pu intervenir et il y a lieu d'ordonner que Carole Y... épouse Z... cesse l'occupation des terres et celle de tout occupant de son chef, avec l'assistance de la force publique si besoin est ; faute pour Brigitte X... épouse A... d'établir les faits de nature à établir l'existence d'une faute, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ; en revanche, il lui sera alloué une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; en conséquence, le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux sera confirmé en toutes ses dispositions, sauf à préciser que l'acte du 11 mars 2004 est nul et non irrégulier ; Carole Y... épouse Z..., qui succombe en son recours, en supportera les dépens » (arrêt, p. 6 et 7)
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Les parties s'opposent sur l'analyse de l'acte du 11 mars 2004 conclu entre d'une part Monsieur et Madame Jacques X... et d'autre part Madame Marie-Claude Y... née C..., Madame Brigitte X... indiquant qu'il s'agit d'un nouveau bail, Madame Carole Y... épouse Z... l'analysant comme un renouvellement ; il reste que le bail de 1995 a été souscrit entre d'une part Monsieur et Madame Jacques et Thérèse X... et d'autre part Monsieur et Madame Joël Y... tandis que l'acte du 11 mars 2004 a été conclu entre d'une part Monsieur et Madame Jacques X... et d'autre part Madame Marie-Claude Y... née C... ; le tribunal note l'absence de parfaite identité entre les parties dans ces deux actes ; par ailleurs il considère qu'en raison de l'existence de la donation-partage de 1999, la nue propriétaire aurait dû intervenir à l'acte du 11 mars 2004 ; qu'en tout état de cause, l'acte du 11 mars 2004 doit s'analyser comme un nouveau bail et non comme le renouvellement de celui de 1995 ; en l'absence de Madame Brigitte X..., épouse A... à l'acte du 11 mars 2004, il y a lieu de considérer le bail rural comme irrégulier, qu'il s'agit en conséquence d'une occupation précaire et que dès lors la cession du 17 juillet 2010 des terres au profit de Madame Carole Y... épouse Z... ne peut intervenir si la nue propriétaire y est opposée, ce qui est le cas en l'espèce » (jugement, p. 4) ;
1) ALORS QU'un contrat de bail rural issu du renouvellement automatique peut, comme le bail initial, être rédigé par écrit ; qu'en jugeant que l'acte du 11 mars 2004 était un nouveau bail par la considération que la rédaction et la signature d'un nouvel acte excluaient tout renouvellement automatique, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles L. 411-4, L. 411-46 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime ;
2) ALORS QUE la référence au bail initial n'est pas une mention obligatoire du bail renouvelé ; qu'en jugeant que l'acte du 11 mars 2004 était un nouveau bail parce qu'il ne se référait à aucun moment au précédent acte du 23 janvier 1995, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles L. 411-4 et L. 411-46 du code rural et de la pêche maritime ;
3) ALORS QU'en cas de départ de l'un des conjoints copreneurs d'un bail rural, le conjoint qui poursuit l'exploitation a droit au renouvellement du bail ; qu'en jugeant que l'absence d'identité parfaite entre les parties dans les deux actes impliquait nécessairement que l'acte du 11 mars 2004 soit un nouveau bail cependant que Mme Y..., partie à l'acte du 11 mars 2004, était copreneur avec son mari du bail initial conclu le 23 janvier 1995, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 411-46 du code rural et de la pêche maritime ;
4) ALORS QUE la renonciation à un droit ne se présume pas, elle doit être expresse et sans équivoque ; qu'en jugeant qu'en rédigeant l'acte du 11 mars 2004 par écrit sans faire référence au bail initial Mme Y... avait entendu conclure un nouveau bail, sans caractériser une renonciation expresse et sans équivoque de sa part au droit au renouvellement du bail initial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1108 et 1134 du code civil, ensemble de l'article L. 411-46 du code rural et de la pêche maritime ;
5) ALORS QUE le renouvellement du bail rural s'opère par le seul effet de la loi ; qu'en considérant que le bail renouvelé, formalisé dans l'acte du 11 mars 2004, était nul faute d'intervention à l'acte de Mme A..., nue-propriétaire depuis un acte de donation partage du 13 décembre 1999, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 595 al. 4 du code civil et les articles L. 411-46 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime ;
6) ALORS QUE, subsidiairement, en l'absence de congé du bail initial, l'annulation du nouveau bail conclu entre le preneur et l'usufruitier seul entraîne la survivance du bail antérieur tacitement renouvelé entre le preneur et le bailleur ; qu'en jugeant que, bien que nul, la conclusion de l'acte du 11 mars 2004 s'opposait au renouvellement automatique du bail initial, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 595 al. 4 du code civil et les articles L. 411-46 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime.