LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Jean-Paul,
- LA SOCIÉTÉ NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO-FRANCE, civilement responsable,
- LA SOCIÉTÉ SYNERGIE TRAVAIL TEMPORAIRE,
- A... Daniel, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 25 juin 2008, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie du chef de diffamation contre le premier, a prononcé sur les intérêts civils et a constaté le caractère définitif du jugement prononçant la nullité de la citation du même chef délivrée par les parties civiles à Rodolphe Y..., Philippe Z... et à la société LE PARISIEN ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Daniel A..., président de la société Synergie et cette dernière, ont, par deux actes, fait citer directement devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier, d'une part, Philippe Z..., directeur de publication du journal " le Parisien ", Rodolphe Y..., journaliste, et, d'autre part, Jean-Paul X..., directeur de publication de la société Radio-France, Rodolphe Y..., journaliste, à la suite de propos les mettant en cause, diffusés dans un article de ce journal, et sur les ondes de la station France bleue Loire océan ; que le tribunal a annulé la citation délivrée à Philippe Z... et Rodolphe Y..., mais a condamné Jean-Paul X... et Rodolphe Y... pour les propos tenus sur les ondes ; que la cour d'appel, par arrêt en date du 14 décembre 2006, a relaxé les prévenus de l'ensemble des poursuites et débouté les parties civiles de leurs demandes ; que, sur le seul pourvoi de ces dernières, cet arrêt a été cassé et annulé en toutes ses dispositions le 20 novembre 2007 ; que Philippe Z... est décédé le 23 mai 2006 et Rodolphe Y... le 31 mars 2007 ;
En cet état ;
I-Sur les pourvois de la société Synergie travail temporaire et Daniel A... ;
Sur le moyen unique de cassation, commun aux demandeurs, pris de la violation des articles 609, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la cour d'appel a constaté le caractère définitif du jugement du 12 octobre 2005, qui avait annulé la citation délivrée le 30 novembre 2004 à Rodolphe Y... et Philippe Z... ainsi qu'à la SNC le Parisien, à la requête de Daniel A... et de Synergie travail temporaire ;
" aux motifs que, liminairement, la cour constatera que du fait de la cassation en toutes ses dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 14 décembre 2006, le jugement du tribunal correctionnel de Nantes du 12 octobre 2005 est devenu définitif ; que ce jugement avait annulé la citation délivrée le 30 novembre 2004 à Rodolphe Y... et Philippe Z... ainsi qu'à la SNC le Parisien, à la requête de Daniel A... et de Synergie travail temporaire ; il n'y a donc plus rien de ce chef " ;
" alors que la juridiction de renvoi est saisie du litige tel qu'il se présentait devant la juridiction dont la décision a été cassée ; qu'elle est donc tenue de statuer sur le litige tel qu'il avait été soumis à cette dernière juridiction ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel de Rennes, dont l'arrêt a été cassé dans toutes ses dispositions, avait été saisie à la fois d'un appel dirigé contre le jugement du tribunal correctionnel de Nantes du 12 octobre 2005 qui avait annulé la citation délivrée à Rodolphe Y... et Philippe Z... et à la SNC le Parisien, et d'un appel dirigé contre le jugement du tribunal correctionnel de Nantes du 18 janvier 2006 ayant déclaré Rodolphe Y... et Jean-Paul X... coupables de diffamation, et avait statué sur ces deux appels par l'arrêt cassé ; que la cour d'appel d'Angers, désignée comme juridiction de renvoi, et donc tenue de statuer sur ces deux appels, en décidant cependant que la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 14 décembre 2006 conférait un caractère définitif au jugement du tribunal de commerce de Nantes du 12 octobre 2005, dont la société Synergie travail temporaire et Daniel A... sollicitaient la réformation, a violé les textes visés au moyen ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, lorsqu'un arrêt est annulé par la Cour de cassation, la juridiction de renvoi se trouve saisie de la cause dans l'état qui était le sien lorsqu'elle a été soumise aux juges dont la décision a été cassée ; que l'affaire est dévolue à la cour d'appel de renvoi dans les limites fixées par l'acte de pourvoi ;
Attendu que, l'arrêt retient que du fait de la cassation en toutes ses dispositions de l'arrêt, en date du 14 décembre 2006, le jugement qui avait annulé la citation est devenu définitif et qu'il n'y a plus rien à juger de ce chef ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle était saisie de l'appel des jugements des 12 octobre 2005 et 18 janvier 2006, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
II-Sur les pourvois de Jean-Paul X... et de la Société nationale de radiodiffusion ;
Sur le premier moyen de cassation, commun aux demandeurs, pris de la violation des articles 49 de la loi du 29 juillet 1881, 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a estimé qu'il restait saisi des poursuites contre Jean-Paul X... et la Société nationale de radiodiffusion Radio-France, en dépit du désistement de Daniel A... et de la société Synergie travail temporaire de leur action civile contre les héritiers de Rodolphe Y..., décédé, en l'absence de reprise d'instance à leur égard ;
" aux motifs que Rodolphe Y... est décédé le 31 mars 2007 ; que le constat de ce décès revêt un caractère relatif dans la mesure où, suite à l'arrêt de cassation, la cour d'appel d'Angers est saisie des seuls intérêts civils ; qu'il reste les dispositions civiles du jugement du tribunal correctionnel de Nantes du 18 janvier 2006 et qu'il appartient à la cour de dire si Jean-Paul X... a eu un comportement fautif préjudiciable et mérite d'être condamné avec son civilement responsable ; que nonobstant le décès de Rodolphe Y..., les poursuites engagées par les parties civiles contre Jean-Paul X..., qui est bien vivant, et Radio-France, qui n'est pas dissoute, sont bien valables et rien ne permet de constater un désistement des parties civiles, désistement qui ne se présume pas ;
" alors que, la poursuite, ayant été introduite par un acte unique, incriminant, sous les mêmes qualifications, des propos tenus sur le même sujet sur les ondes de Radio-France Bleue Loire Océan le même jour et mettant en cause Jean-Paul X..., Rodolphe Y... et la société Radio-France en qualité de civilement responsable, était indivisible, en sorte que l'action se trouvait éteinte à l'égard de tous les auteurs, coauteurs ou complices des faits poursuivis et des civilement responsables, en l'état d'un désistement à l'encontre de l'un d'entre eux ; que l'arrêt, qui constatait l'extinction des poursuites dirigées contre Rodolphe Y..., aujourd'hui décédé, du fait de l'absence de reprise d'instance, équivalant à un désistement des parties civiles à son égard, devait donc constater l'extinction des poursuites à l'égard de toutes les parties à la procédure indivisible et ne pouvait se borner à confirmer les dispositions civiles du jugement entrepris sauf à préciser qu'elles ne concernent plus Rodolphe Y..., sans violer les textes susvisés " ;
Attendu que, pour dire qu'elle restait saisie de l'action civile contre Jean-Paul X... et la Société nationale de radiodiffusion Radio France, la cour d'appel retient que les parties civiles ne se sont pas désistées de cette action, malgré la non-reprise d'instance contre les héritiers de Rodolphe Y... et que le désistement ne se présume pas ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la juridiction répressive reste compétente pour prononcer sur l'action civile après le décès de la personne poursuivie à condition qu'une décision sur le fond concernant l'action publique ait été rendue au moment du décès, comme c'est le cas en l'espèce, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 49 de la loi du 29 juillet 1881 ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 32, 42 de la loi du 29 juillet 1881, 93-3 et 93-4 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé les dispositions civiles du jugement du 18 janvier 2006, ayant retenu la responsabilité de Jean-Paul X..., directeur de la publication, du fait des propos diffusés en direct dans le journal du 30 août 2004, sur les ondes de Radio-France, et de la société Radio-France en tant que civilement responsable, les condamnant à des dommages-intérêts au profit de la partie civile et en ordonnant la lecture d'un communiqué sur les ondes de Radio-France ;
" aux motifs que, sur le fond, il résulte du dossier que Radio-France (Radio-France Bleue Loire Océan) dont Jean-Paul X... était le directeur, a diffusé tout au long de la journée du 30 août 2004 (voici bientôt quatre ans) plusieurs bulletins d'information, comportant des allégations particulières à l'encontre de Synergie travail temporaire dont le dirigeant était Daniel A... ; que la matérialité des faits n'est pas sérieusement discutée et elle est exposée dans le jugement du 18 janvier 2006, page 5, paragraphe 4 ; qu'elle peut être résumée ainsi : il est question du renvoi devant le tribunal correctionnel de Nantes, soit à la demande du juge d'instruction, soit à la demande du parquet, de la société Synergie travail temporaire et de quatre de ses dirigeants dont le président directeur général Daniel A... pour vol et recel de documents confidentiels de l'URSSAF, ainsi que pour faux et usage ; une autre information en fin de journée, vers 18 heures, faisait état d'une perte en bourse de l'ordre de 21 % ramenée à 12 % pour le titre de Synergie ; or à la date du 30 août 2004 ni Synergie ni ses dirigeants n'étaient renvoyés en correctionnelle puisque ce n'est que le 9 septembre 2004 qu'interviendra un réquisitoire du parquet en ce sens, suivi d'une ordonnance du juge d'instruction du 1er octobre suivant ; qu'ainsi, la présentation tout au long de la journée du 30 août 2004, de faits peu flatteurs et vérifiables, présentés comme vrais alors qu'ils ne l'étaient pas, est bien constitutive, dans les termes de l'infraction d'un comportement fautif et préjudiciable de nature à ouvrir droit à réparation ; que, compte tenu de la nature des faits, de leur ancienneté, et de la personnalité de l'auteur, la cour confirmera les dispositions civiles du jugement du 18 janvier 2006, sauf à constater le décès de Rodolphe Y... ;
1°) " alors que, si la juridiction de renvoi saisie des seuls intérêts civils ne peut prononcer de peine, elle doit, cependant, apprécier si l'infraction reprochée au prévenu était ou non constituée, pour statuer sur le bien-fondé de l'action civile ; que, lorsque l'infraction dénoncée à l'origine relève des qualifications de la loi du 29 juillet 1881, les règles spécifiques de saisine interdisent à la juridiction statuant sur l'action civile de retenir une autre qualification que celle choisie à l'origine ; qu'il appartenait donc, en la cause, à la cour d'appel, de rechercher si les faits reprochés étaient constitutifs de l'infraction de diffamation publique dénoncée par les parties civiles, pour statuer sur l'action civile et allouer réparation à la partie civile ; qu'en ne caractérisant pas l'infraction fondant les poursuites et en ne s'expliquant pas davantage sur le fait justificatif de la bonne foi alléguée par Jean-Paul X... et la société Radio-France, la cour d'appel n'a pu justifier légalement sa décision ;
2°) " alors que, la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'en étendant la présomption édictée par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 faisant du directeur de la publication l'auteur de l'infraction dans l'hypothèse où le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public à des faits de présentation en direct de plusieurs bulletins d'information différents tout au long de la journée du 30 août 2004, faisant état de faits considérés peu flatteurs, matériels et vérifiables, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°) " alors que, dans leurs conclusions, les demandeurs demandaient, précisément, à la cour d'appel de constater l'irrecevabilité des poursuites dirigées contre les prévenus à raison de propos diffusés sur les ondes de Radio-France Bleue Loire Océan qui n'avaient pas fait l'objet d'un préenregistrement au sens de l'article 93-3, 1er, de la loi du 29 juillet 1982 ; qu'en déclarant, néanmoins, Jean-Paul X..., directeur de la publication de la société nationale de Radiodiffusion Radio-France, responsable des faits dont s'agit, en qualité d'auteur principal desdits faits, sans s'expliquer sur l'inexistence d'une fixation préalable des messages incriminés avant leur communication au public, ni sur les conditions dans lesquelles le directeur de la publication pouvait exercer un contrôle sur le contenu de l'information avant sa diffusion à l'antenne, la cour d'appel a privé sa décision de motifs " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour dire caractérisés les faits de diffamation reprochés à Jean-Paul X..., directeur de publication de la société Radio-France, la cour d'appel prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions du prévenu qui faisait valoir, au regard de l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, l'irrecevabilité des poursuites à son encontre, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen additionnel proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 25 juin 2008, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, Mme Palisse conseiller rapporteur, Mmes Anzani, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Monfort, Castel, Mme Ferrari conseillers de la chambre, Mme Degorce conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;