ACTION PUBLIQUE ETEINTE ET REJET des pourvois formés par :
- X... Marcelino,
- Y... Maurice,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 11 février 1988, qui a condamné le premier pour présentation d'un bilan inexact à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende, et le second pour confirmation d'informations mensongères à 30 000 francs d'amende et a prononcé sur les réparations civiles.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I.- Sur l'action publique à l'égard de Marcelino X... :
Attendu que Marcelino X... est décédé le 1er juillet 1989 ;
Qu'il s'ensuit qu'à son égard l'action publique exercée du chef de présentation d'un bilan inexact est éteinte ;
Qu'il convient en ce qui concerne Marcelino X... d'examiner le pourvoi au regard de l'action civile seulement ;
II.- Sur l'action publique à l'égard de Maurice Y... et sur l'action civile exercée par les consorts E... et F... :
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen additionnel de cassation de X... : (sans intérêt) ;
Sur le premier moyen de cassation de Y... : (sans intérêt) ;
Sur le moyen unique de cassation, en faveur de X..., pris de la violation des articles 437, 457 et 464 de la loi du 24 juillet 1966, 463 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et défaut de réponse à conclusions :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir, en sa qualité de président-directeur général de la société E..., sciemment présenté aux actionnaires, en vue de dissimuler la véritable situation de la société, des comptes annuels ne donnant pas, pour l'exercice clos le 31 mars 1983, une image fidèle, au résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine, à l'expiration de cette période ;
" aux motifs que Michel Z..., chef comptable licencié de la société E..., avait établi, courant avril et mai 1983, le bilan et le compte d'exploitation de la SA E..., pour l'exercice clos le 31 mars 1983, lesquels faisaient apparaître un bénéfice d'exploitation de 1 159 844 francs et que, dans le bilan présenté à l'assemblée générale des actionnaires du 23 septembre 1983, ce bénéfice ressortait à 343 418 francs ; que, si une partie de la différence s'expliquait par la déduction régulière de la prime de bilan fixée à 364 000 francs, le solde correspondait à des manipulations comptables, X... ayant demandé à Z... de jouer sur les stocks ; que X... avait déclaré n'avoir jamais eu connaissance de ces manipulations, ni du premier bilan établi par Z..., mais que ce premier bilan avait été retrouvé chez X... qui l'avait qualifié de simple " brouillon " ; que C... avait confirmé les déclarations de Z... selon lesquelles X... avait donné des instructions à ce dernier afin de minorer les résultats de l'exercice en jouant sur les stocks ;
" alors, d'une part, sur l'élément matériel de l'infraction, que, dans ses conclusions demeurées sans réponse, X... avait fait valoir qu'il résultait des déclarations d'Elisabeth A... " que les chiffres incriminés étaient de la main de C... " (p. 4 in fine), et de celles de Martine B..., que c'était C... qui lui avait demandé de rectifier les fiches et qu'elle avait, sur les indications que celui-ci lui avait données, gommé tout un ensemble de fiches pour diminuer le montant quantitatif des produits et, par conséquent, leur valeur ; qu'enfin, Mme D... avait démenti avoir été témoin de la discussion entre Z..., C... et Mme B... au sujet des stocks ; que X... avait aussi souligné que c'était C... qui avait la responsabilité de la préparation des bilans présentés aux actionnaires et notamment de celui de 1982 et que les différences entre les valeurs des stocks, entre celui de 1983 et ceux des années précédentes, étaient trop importantes pour être justifiées compte tenu de la progression du chiffre d'affaires dans le même temps ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans s'expliquer sur ces moyens péremptoires des conclusions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;
" alors, d'autre part, s'agissant du projet de bilan établi par Z... en avril-mai 1983, qualifié par lui " brouillon ", X... avait fait valoir que le comptable n'avait tenu compte ni de certains frais et charges tels l'impôt sur les sociétés et les primes versées au personnel à concurrence de 841 626 francs, ni de la dépréciation du stock à concurrence de 348 240 francs selon les usages en la matière (conclusions p. 7, paragraphe 6 et suivants) ; qu'en omettant de rechercher si le surplus de la différence entre le bénéfice arrêté dans le projet de bilan présenté aux actionnaires ne s'expliquait pas par l'impôt sur les sociétés et la dépréciation du stock dont le comptable Z... et son supérieur C... auraient dû tenir compte, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, en faveur de Y..., pris de la violation des articles 437. 2 et 457 de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré constituée l'infraction de présentation de bilan inexact reprochée au dirigeant de la société E..., infraction à l'occasion de laquelle le demandeur, commissaire aux comptes, a été lui-même prévenu et condamné pour confirmation d'informations mensongères et non-révélation au procureur de la République de faits délictueux ;
" aux motifs qu'il est établi par les pièces de l'information et par les débats que Z..., alors responsable de la comptabilité de la société E..., a établi, courant avril et mai 1983, le bilan et le compte d'exploitation de cette société pour l'exercice clos le 31 mars 1983, faisant apparaître un bénéfice d'exploitation de 1 159 844 francs ; que, dans le bilan effectivement présenté lors de l'assemblée générale des actionnaires du 23 septembre 1983, le bénéfice ressortait à 343 418 francs ; que, si une partie de la différence entre ces deux bénéfices s'explique par la déduction régulière de la prime de bilan, fixée à 364 000 francs, le solde correspond à des manipulations comptables ;
" alors que le bénéfice d'exploitation ne tient pas compte de certaines charges et de l'impôt sur les sociétés, contrairement au bénéfice comptable établi à partir du bénéfice d'exploitation, après déduction de ces charges et de l'impôt sur les sociétés ; qu'en comparant un bénéfice d'exploitation de 1 159 844 francs (donnant un bénéfice comptable de 353 283 francs après les déductions nécessaires) et un bénéfice comptable de 343 418 francs pour en déduire que la différence entre leurs montants respectifs laissait apparaître l'existence de manipulations comptables, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Marcelino X..., président du conseil d'administration de la société anonyme E..., a été poursuivi pour avoir soumis à l'approbation des actionnaires, lors de l'assemblée générale du 23 septembre 1983, les comptes annuels de l'exercice clos le 31 mars 1983 ne présentant pas une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine de la société et Maurice Y..., commissaire aux comptes, pour avoir, dans les mêmes circonstances, confirmé ces informations mensongères ;
Attendu que, pour déclarer établie la prévention, la cour d'appel relève que plusieurs employés de la société, dont le chef-comptable et le responsable financier et administratif, ont déclaré avoir reçu de X... des instructions pour diminuer la valeur des stocks et pour soustraire les fiches de stocks établies dans les divers secteurs d'activité de l'entreprise et ainsi réduire les résultats bénéficiaires apparus dans la comptabilité de la société, qu'au domicile de X... un document sur lequel figurait la véritable situation financière de la société a été saisi et qu'il a été ainsi constaté que la valeur des stocks était supérieure de 430 000 francs à celle figurant sur le livre d'inventaire ; qu'un contrôle des services fiscaux avait confirmé la manipulation des fiches de stocks et avait abouti à un redressement ; qu'ainsi l'ensemble des témoignages et des éléments recueillis au cours de l'information établissait la réalité de la falsification des comptes de l'entreprise qui, de ce fait, ne pouvaient donner une image fidèle des opérations de l'exercice considéré de la situation financière et du patrimoine de l'entreprise pendant cette période ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite d'un motif inopérant, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que la cour d'appel a caractérisé l'élément matériel, seul remis en cause, des infractions dont les prévenus ont été reconnus coupables et ainsi justifié les dommages-intérêts alloués ;
Que les moyens qui reviennent à discuter, sous couvert d'un défaut de réponse à conclusions, d'insuffisance et de contradiction de motifs, l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus ne sauraient être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation en faveur de Y..., pris de la violation de l'article 457 de la loi du 24 juillet 1966, et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré le demandeur coupable des infractions reprochées, en ayant confirmé sciemment des informations mensongères lors de l'assemblée générale des actionnaires de la SA E... du 23 septembre 1983, et en n'ayant pas révélé les faits délictueux reprochés au dirigeant social, au procureur de la République, et d'avoir en répression condamné le demandeur à 30 000 francs d'amende ;
" aux motifs que, d'une façon générale, les commissaires aux comptes ont pour mission permanente de certifier la sincérité des informations données sur les comptes de la société dans le rapport du conseil d'administration et du directoire ; qu'ils doivent certifier, dans leur rapport à l'assemblée générale des actionnaires, la régularité et la sincérité de l'inventaire, du bilan, du compte d'exploitation générale et du compte des pertes et profits, que, garants vis-à-vis des actionnaires de la régularité des comptes de l'entreprise, ils doivent également révéler au procureur de la République les faits délictueux dont ils peuvent avoir connaissance dans l'exercice de leur mission ; que, s'il est admis que le commissaire aux comptes, dans les sociétés bien gérées, peut limiter ses vérifications à de simples sondages, ainsi que l'a fait Y..., il doit cependant examiner plus soigneusement les comptes qui présentent un aspect anormal ; qu'en l'espèce, les contrôles réalisés sur les stocks ne se sont pas opérés dans des conditions normales eu égard au caractère incomplet du livre d'inventaire et à l'absence des récapitulatifs de stocks que, dès lors, même si, selon lui, cet incident ne l'a pas empêché d'effectuer ses diligences, Y... ne pouvait pas ne pas établir un lien étroit entre cette situation et la dénonciation faite dès le 25 août 1983, lendemain du terme de sa mission, par Michel Z... faisant état de l'existence d'anomalies comptables importantes ; en effet, cette dénonciation faite par le chef comptable de l'entreprise, même en instance de licenciement, présentait d'autant plus de crédibilité que l'intéressé avait travaillé près de 20 ans en qualité de collaborateur de Maurice Y..., connaissait parfaitement le dossier E..., et était considéré comme un bon technicien dans l'entreprise que par suite, et quel que soit le degré de précision de la dénonciation verbale, ces anomalies comptables volontaires ne pouvaient plus faire de doute dans l'esprit du commissaire aux comptes à la réception de la lettre de Z... du 15 septembre 1983, qui, sans ambiguïté, insistait sur les anomalies affectant le livre d'inventaire et les valeurs d'exploitation et dénonçait clairement l'existence de la fraude ; qu'il apparaît enfin que la lettre du conseil de Mme E..., dont Maurice Y... a pris connaissance avant l'assemblée générale des actionnaires du 23 septembre 1983, comportait des éléments précis sur les anomalies dénoncées puisqu'elle visait expressément la manipulation des stocks ;
" que dès lors, face à ces différents indices et informations dont l'accumulation était d'autant plus révélatrice que Y... ne pouvait ignorer, de par son expérience professionnelle d'une part, que le poste stock est un des plus facilement falsifiables et d'autre part, que la SA E... avait, en 1981, fait l'objet d'un redressement fiscal pour infraction sur les stocks et travaux en cours, le prévenu se devait de reprendre ses opérations, d'approfondir ses vérifications alors que la fraude pouvait encore être mise au jour avant le grattage effectué fin septembre ; qu'il a ainsi démontré une méconnaissance de sa mission, surprenante compte tenu de sa longue expérience professionnelle ; que si le commissaire aux comptes n'a pas pour rôle de se transformer en policier, il dénature sa mission en se laissant aveugler par un excès de confiance ou de défiance vis-à-vis des membres de l'entreprise contrôlée ; qu'en effet, si les rapports antérieurs entre Maurice Y... et Michel Z... ainsi que sa personnalité ont pu entamer la lucidité du commissaire aux comptes, ce dernier restait lié par ses obligations légales et ne les a pas respectées ; que les agissements de Y... sont au-delà d'une simple négligence et qu'ayant eu connaissance des anomalies affectant la comptabilité et le bilan et constituant par là même des infractions pénales, il ne peut prétendre n'avoir pas suffisamment été informé par le seul fait qu'il s'est refusé à la contrôler ;
" alors que, d'une part, un commissaire aux comptes ne peut être condamné pour les infractions de confirmation d'informations mensongères et de non-révélation au procureur de la République de faits délictueux que s'il est établi qu'il a eu une connaissance précise et certaine du caractère mensonger des informations, et des faits délictueux en cause, sa seule négligence dans l'exercice de sa mission de vérification et de contrôle ne pouvant à elle seule caractériser l'infraction ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à reprocher à Y... de n'avoir pas repris ses opérations de contrôle et approfondi ses vérifications concernant des anomalies comptables invoquées dans des lettres de dénonciation, sans qu'il résulte d'aucune des énonciations de son arrêt, lesquelles se limitaient essentiellement à reproduire les termes du réquisitoire définitif, que le prévenu ait réellement eu connaissance des malversations reprochées au dirigeant social, avant l'ouverture de toute information, n'a pas caractérisé les éléments constitutifs du délit retenu et n'a, par conséquent, pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;
" alors que, d'autre part, l'appréciation par les juges du fond du caractère délictueux des circonstances de la cause doit être déduite sans contradiction des faits constatés ; qu'en relevant que " la fraude pouvait encore être mise au jour avant le grattage effectué fin septembre " et admettant par là même que précisément Y... n'avait pas eu connaissance de cette " fraude " avant l'ouverture d'une information, puis en déclarant que ce dernier aurait confirmé sciemment des informations mensongères et n'aurait pas révélé les faits en cause au procureur de la République, la cour d'appel s'est contredite et a donc violé l'article 593 du Code de procédure pénale " ;
Attendu que, pour déclarer Maurice Y... coupable d'avoir confirmé des informations mensongères et omis de dénoncer au Parquet des faits délictueux, la cour d'appel, après avoir exposé les circonstances dans lesquelles les stocks de la société avaient été sous-évalués pour faire apparaître finalement des bénéfices inférieurs à la réalité, relève que le prévenu qui avait procédé à sa mission de contrôle des comptes dans des conditions anormales avait disposé d'un livre d'inventaire incomplet et n'avait pu obtenir communication de l'état récapitulatif des stocks et des travaux en cours ; qu'il avait néanmoins certifié sans réserve la régularité des comptes annuels de la société E... lors de l'assemblée générale des actionnaires le 23 septembre 1983 ; qu'elle ajoute que, quelques jours avant cette réunion, Y... avait été informé par le chef comptable de la société et le conseil de l'un des actionnaires que les comptes étaient faux ; qu'elle conclut de ces constatations que les agissements de Y... ne constituaient pas simplement de la négligence, que l'intéressé avait eu connaissance des anomalies affectant la comptabilité et le bilan de la société et qu'il ne pouvait prétendre ne pas en avoir été informé ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a caractérisé sans insuffisance ni contradiction en tous leurs éléments, notamment intentionnel, les délits prévus et réprimés par l'article 457 de la loi du 24 juillet 1966 et a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen qui ne peut ainsi qu'être rejeté ;
Que dès lors le moyen ne peut être accueilli ;
Par ces motifs :
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
1° DECLARE l'action publique éteinte en ce qui concerne Marcelino X... ;
2° REJETTE le pourvoi de Marcelino X... en ce qu'il a statué sur l'action civile ;
3° REJETTE le pourvoi de Maurice Y...