LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu que Mme X... a été hospitalisée d'office au centre hospitalier Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois du 18 juillet 2001 au 21 février 2002, en exécution d'un arrêté de l'adjoint au maire de Livry-Gargan du 18 juillet 2001 et d'arrêtés du préfet de Seine-Saint-Denis en date des 20 juillet, 20 août et 20 novembre 2001 ; que, le 19 janvier 2006, un tribunal administratif a annulé ces mesures successives de placement ; que le 12 décembre 2007, Mme X... a saisi le juge des référés d'une demande en paiement, à titre provisionnel, d'une somme en réparation du préjudice subi du fait de son hospitalisation d'office déclarée illégale ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 24 octobre 2008) de l'avoir condamné à payer à Mme X... une somme à titre provisionnel à valoir sur les dommages-intérêts auxquels elle peut prétendre, alors, selon le moyen, que s'il appartient aux juridictions de l'ordre administratif d'apprécier la régularité de la décision administrative de placement d'office en application de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est seule compétente pour apprécier la nécessité de cette mesure ; d'où il résulte, en déduisant que l'annulation des arrêtés préfectoraux ordonnant l'hospitalisation d'office par le juge administratif privait de tout fondement légal cette hospitalisation, de telle sorte qu'elle n'avait pas à rechercher si cette mesure était médicalement justifiée pour en déduire que Mme X... avait droit à une provision sur l'indemnisation de son entier préjudice du fait du placement d'office, peu important la fin de non-recevoir tirée de la prescription quadriennale, la cour d'appel, à qui il appartenait d'apprécier la nécessité de cette mesure, a méconnu son office au regard de l'article susvisé du code de la santé publique, ensemble l'article 66 de la Constitution, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que, par application de l'article 5-1 et 5-5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les décisions d'annulation du 19 janvier 2006 constituaient le fait générateur de l'obligation à indemnisation de Mme X..., dont l'atteinte à la liberté individuelle résultant de l'hospitalisation d'office se trouvait privée de tout fondement légal, de sorte que lors de la saisine du juge des référés le 12 décembre 2007, la prescription quadriennale n'était pas acquise ; qu'elle en a exactement déduit que la créance de l'intéressée contre l'Etat du chef des conséquences dommageables des irrégularités ayant entaché les mesures de placement n'était pas sérieusement contestable ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'agent judiciaire du Trésor aux dépens ;
Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne l'agent judiciaire du Trésor à payer à Me de Nervo la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat aux Conseils pour l'agent judiciaire du Trésor
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné l'Agent judiciaire du Trésor à payer à Mme X... la somme de 10.000 euros à titre provisionnel à valoir sur les dommages et intérêts auxquels elle peut prétendre ;
AUX MOTIFS QUE il ressort des pièces produites aux débats et des écritures des parties que le 18 juillet 2001, l'adjoint au maire de Livry Gargan a pris à l'encontre de Madame Yvonne X... une mesure d'hospitalisation d'office provisoire à l'établissement public de santé Robert Ballanger ;
Que le 20 juillet 2001, le Préfet de Seine Saint Denis a ordonné son hospitalisation d'office, a maintenu cette mesure le 20 août 2001 pour une durée de trois mois et le 20 novembre 2001 pour une durée de six mois et y a mis fin par arrêté du 21 février 2002 ;
Que par jugement du 19 janvier 2006, le Tribunal administratif de Cergy Pontoise a annulé ces décisions attaquées par Mme Yvonne X... qui, le 12 décembre 2007, a saisi le juge des référés en payement provisionnel d'une somme de 20.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette hospitalisation d'office dont l'irrégularité a été reconnue judiciairement ; que c'est dans ces conditions qu'a été rendue l'ordonnance entreprise ;
Que pour faire droit à la demande de provision, le premier juge a dit qu'il n'y a pas lieu de rechercher si la mesure de placement d'office était ou non justifiée sur le plan médical, que le seul fait que l'atteinte à la liberté résultant de ce placement d'office se trouve privée de toute base légale ouvre droit à réparation, que les annulations des arrêtés prononcées par le juge administratif le 19 janvier 2006 constituent le fait générateur de l'obligation à indemnisation et qu'ainsi la prescription n'est pas acquise ;
Qu'il a ensuite relevé que si l'internement de Mme Yvonne X... en milieu hospitalier a duré 14 jours du 18 au 31 juillet 2001, il n'a été mis fin à l'hospitalisation d'office que par arrêté du 21 février 2002, les sorties autorisées chaque semaine représentant une contrainte entrant incontestablement dans l'appréciation du préjudice ; qu'ainsi, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu à distinguer selon les chefs du préjudice subi mais qu'il fallait l'apprécier dans son intégralité ;
Qu'au soutien de son appel, l'Agent judiciaire du Trésor soulève l'existence d'une contestation sérieuse du fait de l'extinction de la créance ; qu'il fait valoir que seul le préjudice moral né de l'annulation des arrêtés est susceptible d'être indemnisé, que si Mme X... a agi dans les délais pour solliciter réparation de ce préjudice, sa demande formée par voie d'assignation le 12 décembre 2007 en réparation des préjudices résultant de l'hospitalisation d'office à laquelle il a été mis fin par arrêté du 21 février 2002 est prescrite depuis le 1er janvier 2007 pour ne pas avoir été initiée en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 dans le délai de 4 ans « à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis », soit à compter de la fin de la mesure d'hospitalisation d'office ;
Que l'appelant invoque, à titre subsidiaire, l'existence d'une contestation sérieuse dans la mesure où l'hospitalisation d'office était selon lui médicalement justifiée et plus subsidiairement, l'absence de preuve d'un quelconque préjudice ;
Que l'annulation des décisions administratives – réputées n'avoir en conséquence jamais été prises – ce qui prive de tout fondement légal l'hospitalisation d'office de Mme X... est suffisante à consacrer l'atteinte à la liberté individuelle, et ce, sans qu'il y ait lieu, ni de distinguer selon les chefs de préjudice résultant de ce placement d'office, ôtant ainsi toute pertinence à la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l'Agent judiciaire du Trésor, ni de rechercher si la mesure de placement d'office était médicalement justifiée ;
Que dès lors, la créance de Mme X... contre l'Etat du chef des conséquences dommageables des irrégularités ayant entaché la mesure de placement d'office n'est pas sérieusement contestable ;
Que c'est par une exacte appréciation des éléments de la cause et par des motifs pertinents que le premier juge a alloué à Mme Yvonne X... une provision de 10.000 euros à valoir sur l'indemnisation de l'entier préjudice subi du fait du placement d'office du 18 juillet 2001 au 21 février 2002 ; que l'appel incident doit en conséquence être rejeté ;
Qu'au vu de ce qui précède, l'ordonnance entreprise doit être confirmée en toutes ses dispositions ;
ALORS QUE s'il appartient aux juridictions de l'ordre administratif d'apprécier la régularité de la décision administrative de placement d'office en application de l'article L 3213-1 du Code de la santé publique, l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est seule compétente pour apprécier la nécessité de cette mesure ;
D'où il résulte, en déduisant que l'annulation des arrêtés préfectoraux ordonnant l'hospitalisation d'office par le juge administratif privait de tout fondement légal cette hospitalisation, de telle sorte qu'elle n'avait pas à rechercher si cette mesure était médicalement justifiée pour en déduire que Mme X... avait droit à une provision sur l'indemnisation de son entier préjudice du fait du placement d'office, peu important la fin de nonrecevoir tirée de la prescription quadriennale, la Cour d'appel, à qui il appartenait d'apprécier la nécessité de cette mesure, a méconnu son office au regard de l'article susvisé du Code de la santé publique, ensemble l'article 66 de la Constitution, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;