COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Canada c. Canada North Group Inc., 2021 CSC 30
Appel entendu : 1er décembre 2020
Jugement rendu : 28 juillet 2021
Dossier : 38871
Entre :
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
Appelante
et
Canada North Group Inc., Canada North Camps Inc., Campcorp Structures Ltd., DJ Catering Ltd., 816956 Alberta Ltd., 1371047 Alberta Ltd., 1919209 Alberta Ltd., Ernst & Young Inc. en sa qualité de contrôleur et Banque de développement du Canada
Intimées
- et -
Institut d’insolvabilité du Canada et Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
Motifs :
(par. 1 à 74)
La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner et du juge Kasirer)
Motifs concordants :
(par. 75 à 182)
La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge Martin)
Motifs conjoints dissidents :
(par. 183 à 253)
Les juges Brown et Rowe (avec l’accord de la juge Abella)
Motifs dissidents :
(par. 254 à 265)
Le juge Moldaver
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
canada c. canada north group inc.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada Appelante
c.
Canada North Group Inc.,
Canada North Camps Inc.,
Campcorp Structures Ltd.,
DJ Catering Ltd.,
816956 Alberta Ltd.,
1371047 Alberta Ltd.,
1919209 Alberta Ltd.,
Ernst & Young Inc. en sa qualité de contrôleur et
Banque de développement du Canada Intimées
et
Institut d’insolvabilité du Canada et
Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation Intervenants
Répertorié : Canada c. Canada North Group Inc.
2021 CSC 30
No du greffe : 38871.
2020 : 1er décembre; 2021 : 28 juillet.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
Faillite et insolvabilité — Priorité — Retenues à la source — Charges super prioritaires — Retenues à la source des employés non versées à la Couronne par les compagnies mises sous séquestre — Juge chargé de surveiller la procédure de restructuration intentée sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ordonnant que les actifs des compagnies soient grevés de charges super prioritaires en faveur du prêteur temporaire, du contrôleur et des administrateurs — Ordonnance accordant aux charges super prioritaires priorité sur les réclamations des créanciers garantis et précisant que ces charges ne doivent pas être limitées ou compromises de quelque façon que ce soit par les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale — Biens des compagnies débitrices assujettis à la fiducie réputée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées en application de la Loi de l’impôt sur le revenu — Le tribunal a‑t‑il le pouvoir d’accorder aux charges super prioritaires priorité de rang sur la fiducie réputée de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées? — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 227(4.1) — Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36, art. 11, 11.2, 11.51, 11.52.
Canada North Group et six sociétés liées ont intenté une procédure de restructuration sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »). Dans la demande initiale qu’elles ont présentée en vertu de la LACC, elles réclamaient une série de mesures, y compris la création de trois charges super prioritaires : une charge visant des frais administratifs constituée en faveur des avocats, du contrôleur et du directeur de la restructuration pour les frais qu’ils ont engagés, une charge de financement en faveur d’un prêteur temporaire, et une charge constituée en faveur des administrateurs en vue de les protéger ainsi que les dirigeants contre les obligations contractées après l’introduction de l’instance. La demande comprenait un affidavit de l’un de leurs administrateurs pour attester l’existence d’une dette envers Sa Majesté la Reine à l’égard de la TPS et de retenues à la source des employés non versées. Le juge chargé d’appliquer la LACC a rendu une ordonnance (« ordonnance initiale ») précisant que les charges super prioritaires devaient avoir « priorité sur tou[tes] les autres [. . .], garanties, [. . .], charges et sûretés, créances de créanciers garantis, d’origine législative ou autre », et ne devaient pas être « autrement limitées ou compromises de quelque façon que ce soit par [. . .] les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale ». La Couronne a par la suite déposé une requête en modification, plaidant que les charges super prioritaires ne pouvaient avoir priorité sur la fiducie réputée créée par le par. 227(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») à l’égard des retenues à la source non versées. La requête en modification a été rejetée, tout comme l’appel de la Couronne à la Cour d’appel.
Arrêt (les juges Abella, Moldaver, Brown et Rowe sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Côté et Kasirer : Les charges super prioritaires l’emportent sur la fiducie réputée. Le paragraphe 227(4.1) ne crée pas un intérêt à titre de propriétaire sur les biens du débiteur. En outre, une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC n’est pas une garantie au sens du par. 224(1.3) de la LIR. Il n’y a donc pas de conflit entre le par. 227(4.1) de la LIR et l’ordonnance initiale rendue en l’espèce, ni entre la LIR et l’art. 11 de la LACC.
En général, les tribunaux chargés de surveiller les restructurations sous le régime de la LACC ont le pouvoir d’ordonner des charges super prioritaires afin de faciliter le processus de restructuration. La caractéristique la plus importante de la LACC est le vaste pouvoir discrétionnaire qu’elle confère au tribunal de surveillance : l’art. 11 de la LACC accorde à ce tribunal le pouvoir de « rendre [. . .] toute ordonnance qu’il estime indiquée ». Ce pouvoir n’est limité que par les restrictions imposées par la LACC elle‑même, ainsi que par la condition requérant que l’ordonnance soit indiquée dans les circonstances — la possibilité de rendre ces ordonnances plus spécifiques en vertu des art. 11.2, 11.4, 11.51 et 11.52 n’a pas pour effet de restreindre la portée des termes généraux qui y sont employés. Comme il faut souvent obtenir l’aide de nombreux professionnels pour restructurer une compagnie sous le régime de la LACC, il est nécessaire de constituer des charges super prioritaires en faveur de ces professionnels pour que les parties prenantes bénéficient d’une valorisation maximale. Il serait contraire à l’équité et au bon sens qu’un contrôleur et des prêteurs s’exposent à des risques afin de restructurer une compagnie et de l’aider à se développer, puis découvrent par la suite qu’une fiducie réputée prévaut sur l’ensemble des créances.
Sa Majesté n’a pas sur les biens du débiteur un intérêt à titre de propriétaire suffisant pour empêcher le juge surveillant d’ordonner des charges super prioritaires en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 11 de la LACC, ou de l’un ou l’autre des articles qui le suivent. Le paragraphe 227(4.1) ne crée pas un droit de bénéficiaire qui peut être considéré comme un intérêt à titre de propriétaire, et il ne confère pas à la Couronne le même droit de propriété qu’une fiducie de common law. N’étant associé à aucun bien précis, ce qui conférerait à son titulaire le droit habituel à la jouissance du bien ou lui imposerait les obligations d’un fiduciaire, l’intérêt créé par le par. 227(4.1) ne possède pas les attributs qui permettent à un tribunal de qualifier le bénéficiaire de propriétaire bénéficiaire.
En outre, en droit civil québécois, il est clair que le par. 227(4.1) ne crée pas de fiducie légale, car il ne satisfait pas aux trois conditions prévues aux art. 1260 et 1261 du Code civil du Québec. Bien que le par. 227(4.1) dispose que les biens soient réputés détenus « séparés des propres biens de la personne » et « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne », on ne retrouve pas l’élément principal d’une fiducie civiliste dans la fiducie réputée créée en application du par. 227(4.1) : aucun bien précis n’est transféré au patrimoine fiduciaire, et il n’existe aucun patrimoine autonome auquel sont transférés des biens précis.
Le paragraphe 227(4.1) précise que le receveur général reçoit le produit découlant des biens du débiteur « par priorité sur une telle garantie », au sens du par. 224(1.3), mais les charges super prioritaires ordonnées par le tribunal en vertu de l’art. 11 de la LACC ou de l’un ou l’autre des articles qui le suivent ne sont pas des garanties au sens du par. 224(1.3). Selon la définition de ce terme au par. 224(1.3), « garantie » s’entend d’un « [i]ntérêt ou, pour l’application du droit civil, [d’un] droit sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement », et « [s]ont en particulier des garanties les intérêts ou, pour l’application du droit civil, les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu’en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs ». La structure grammaticale de cette disposition témoigne de l’intention du législateur de restreindre la portée de l’énumération, si bien que seuls les instruments énumérés ou les instruments de nature similaire répondent à la définition. Les charges super prioritaires d’origine judiciaire sont radicalement différentes de n’importe lequel des intérêts énumérés au par. 227(4.1), puisqu’elles n’ont pas été constituées au seul bénéfice de leur détenteur, ni par accord consensuel ou par application de la loi. Elles ont plutôt été ordonnées par le juge chargé d’appliquer la LACC dans le but de faciliter la restructuration dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. Cette interprétation s’accorde avec la présomption d’absence de tautologie, laquelle donne à penser que le législateur voulait que l’on attribue une valeur interprétative aux exemples, de même qu’avec la règle ejusdem generis, qui limite la portée générale des derniers termes sur la base de l’énumération des exemples précis qui les précède.
Le fait que les fiducies réputées soient protégées par le par. 37(2) de la LACC ne modifie en rien les caractéristiques de ces fiducies. Elles continuent à produire leur effet comme si la compagnie insolvable n’avait pas demandé la protection de la LACC. De même, le fait d’accorder à Sa Majesté le droit d’insister auprès du tribunal afin qu’il refuse d’homologuer une transaction ou un arrangement qui ne pourvoit pas au paiement intégral prévu au par. 6(3) ne modifie d’aucune façon la fiducie présumée créée par le par. 227(4.1). Quoi qu’il en soit, le par. 6(3) ne s’applique qu’à l’issue de la procédure de la LACC, lorsque les parties cherchent à faire homologuer par le tribunal leur arrangement ou leur transaction.
Enfin, que Sa Majesté soit ou non un « créancier garanti » au sens de la LACC, la possibilité de rendre des ordonnances plus spécifiques n’a pas pour effet de restreindre le vaste pouvoir conféré au tribunal de surveillance par l’art. 11. Même si les art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC peuvent se rattacher uniquement aux biens de la compagnie débitrice, aucune restriction de ce genre ne figure à l’art. 11. Cela dit, les tribunaux devraient tout de même reconnaître le caractère distinct de l’intérêt de Sa Majesté et n’accorder une charge ayant priorité sur la fiducie réputée que dans les cas où c’est nécessaire.
Les juges Karakatsanis et Martin : Il n’existe aucun conflit entre les dispositions de la LIR et celles de la LACC en cause dans le présent pourvoi. Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 11 de la LACC permet au tribunal de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées.
Le paragraphe 227(4.1) de la LIR prévoit qu’une fiducie réputée s’attache aux biens de l’employeur jusqu’à concurrence de la valeur des retenues à la source non versées « malgré toute autre garantie sur ces biens » et « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral ». Bien que la disposition indique clairement que le droit de la Couronne s’applique malgré toute autre garantie, la teneur de ce droit dans un contexte d’insolvabilité ne peut être déduite uniquement du texte de la LIR. Le paragraphe 227(4.1) précise que la Couronne a un « droit de bénéficiaire » sur le montant des retenues à la source non versées, mais ce terme n’a pas de signification établie dans la doctrine, et ce paragraphe modifie même les caractéristiques qui sont généralement associées à ce droit de bénéficiaire dans la common law.
Tirant son origine de la législation, la fiducie réputée créée par la loi n’a pas à satisfaire aux exigences ordinaires du droit des fiducies. Dans le cas de la fiducie réputée au par. 227(4.1), les biens de la fiducie ne sont pas identifiables et il n’y a donc aucune certitude quant à sa matière. De plus, sans transfert de biens précis au patrimoine fiduciaire, le par. 227(4.1) ne satisfait pas aux conditions d’un patrimoine autonome prévues aux art. 1260, 1261 et 1278 du Code civil du Québec. Par conséquent, le par. 227(4.1) permet d’établir la valeur des retenues à la source non versées, limitant automatiquement le droit de la Couronne à cette valeur, et les biens précis qui constituent le patrimoine du débiteur ne changent pas, le débiteur en conservant la maîtrise.
La Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») et la LACC donnent chacune à la fiducie réputée le sens qui convient à leurs fins. L’objectif d’une liquidation sous le régime de la LFI est de permettre au débiteur de prendre un nouveau départ et de rembourser ses créanciers dans la mesure du possible. Pour réaliser ces objectifs, la LFI repose strictement sur des règles et elle établit un régime complet pour le processus de liquidation. Dans la LFI, la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source non versées figure au par. 67(3). L’alinéa 67(1)a) exclut du patrimoine attribué aux créanciers du failli les biens détenus par le failli en fiducie. Le paragraphe 67(2) prévoit une exception pour les fiducies réputées qui ne sont pas des fiducies véritables. Le paragraphe 67(3) établit une autre exception en mentionnant que le par. 67(2) ne s’applique pas à la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées prévues par la LIR et par d’autres lois. Il en résulte que le patrimoine du débiteur — jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées — ne fait pas partie des « biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers », comme l’exige le par. 67(1) de la LFI. L’article 67 détermine donc la teneur du droit de bénéficiaire de la Couronne prévu au par. 227(4.1) de la LIR : le montant des retenues à la source non versées est soustrait des fonds qui sont distribués aux créanciers dans le cadre d’une liquidation sous le régime de la LFI.
En revanche, la LACC est de nature réparatrice; elle fournit aux compagnies un moyen d’éviter les effets dévastateurs, tant sur le plan social qu’économique, d’une faillite commerciale. Étant donné son caractère réparateur, la LACC est notoirement schématique par nature, et il n’existe pas de formule stricte de répartition des actifs. Lorsqu’il est question de restructurer les affaires d’un débiteur, l’objectif change, et le financement temporaire est introduit pour faciliter la restructuration. Les droits et les priorités changent du fait de l’entrée en scène d’un acteur essentiel, le prêteur temporaire, lequel ne joue aucun rôle dans la liquidation aux termes de la LFI.
Le droit de la Couronne sur les retenues à la source non versées dans le cadre d’une restructuration sous le régime de la LACC est protégé tant par le par. 37(2) que par le par. 6(3) de la LACC. Le paragraphe 37(2) prévoit que la Couronne conserve un droit de bénéficiaire sur les biens du débiteur jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées, lesquelles sont « assimil[ées] à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté ». Bien que cela indique que, contrairement aux fiducies réputées visées par le par. 37(1), la fiducie réputée de la Couronne est maintenue et confère un droit plus fort, le par. 37(2) n’explique pas quoi faire de ce droit dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime de la LACC. Il ne prévoit pas, par exemple, que les biens de la fiducie devraient être écartés, comme ce serait le cas dans le contexte de la LFI. Le paragraphe 6(3) donne un effet précis au droit de la Couronne en exigeant que le plan de transaction prévoie le paiement intégral des créances de la Couronne visées par la fiducie réputée dans les six mois suivant l’homologation du plan. Par conséquent, la Couronne peut exiger que le plan prévoie le paiement intégral de sa créance par priorité sur toutes les « garanties », y compris les charges super prioritaires. L’objectif réparateur de la LACC joue un rôle de premier plan lorsqu’il s’agit de prévoir la souplesse nécessaire pour protéger le droit que le par. 37(2) confère à la Couronne sur les retenues à la source non versées et pour donner concrètement effet à ce droit prévu au par. 6(3) de la LACC. Le fait que les deux lois traitent différemment le droit que confère à la Couronne le par. 227(4.1) de la LIR est conforme aux régimes et aux objectifs différents de la LFI et de la LACC.
Les articles 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC, aux termes desquels un tribunal peut, par ordonnance, déclarer que les biens d’une compagnie sont grevés de charges super prioritaires, ne confèrent pas au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. Ce pouvoir provient plutôt de l’art. 11 de la LACC. L’article 11 permet au tribunal de rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée, sous réserve du respect par le demandeur des exigences de bonne foi et de diligence voulue. Cette disposition peut, pour deux raisons, être utilisée pour faire passer toute charge super prioritaire devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. Premièrement, le fait de faire passer une charge super prioritaire devant la fiducie réputée de la Couronne n’entre pas en conflit avec la disposition de la LIR. Dès lors que les sommes qui lui sont dues lui sont payées intégralement dans le cadre d’un plan de transaction, le droit que possède la Couronne en vertu du par. 227(4.1) demeure intact « malgré toute autre garantie » sur le montant des retenues à la source non versées. Deuxièmement, selon les circonstances, une telle ordonnance peut favoriser la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC. Le financement temporaire est souvent crucial pour le processus de restructuration. S’il est démontré que le financement temporaire ne peut être obtenu sans que le prêt temporaire prenne rang devant la fiducie réputée de la Couronne, pareille ordonnance pourrait favoriser la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC. En général, les tribunaux devraient disposer de la latitude nécessaire pour ordonner des charges super prioritaires en faveur des parties dont la fonction est de faciliter la proposition d’un plan de transaction qui, dans tous les cas, devra prévoir le paiement intégral des sommes dues à la Couronne.
Les juges Abella, Brown et Rowe (dissidents) : Le pourvoi devrait être accueilli. Le texte, le contexte et l’objectif du par. 227(4.1) de la LIR appuient la conclusion selon laquelle il n’existe qu’une seule interprétation plausible de ce paragraphe et des dispositions connexes concernant la fiducie réputée qui figurent dans la LIR, le RPC et la LAE (collectivement, les « lois fiscales ») : la fiducie réputée de la Couronne a préséance sur toute autre réclamation, y compris sur les charges super prioritaires accordées en vertu de la LACC. Lorsque le législateur a modifié les par. 227(4) et 227(4.1) de la LIR et élargi leur portée, son intention était claire et sans équivoque. Il a accordé cette priorité inattaquable en employant ces termes non équivoques : « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral ». Il s’agit d’une disposition générale attributive de préséance; elle a préséance sur toute autre loi. Aucune disposition dérogatoire semblable ne figure dans la LACC. En fait, c’est tout l’inverse : contrairement à la plupart des fiducies réputées qui sont neutralisées dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC par l’application du par. 37(1) de la LACC, le par. 37(2) préserve la fiducie réputée prévue par les lois fiscales.
Les lois fiscales donnent à la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source priorité absolue sur toute garantie malgré la LACC, et les dispositions relatives aux charges super prioritaires figurant aux par. 11.2(1), 11.51(1) et 11.52(1) de la LACC entrent dans la définition de « garantie », puisqu’elles constituent un « [i]ntérêt [. . .] sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement », par exemple le paiement du contrôleur, du prêteur temporaire et des dirigeants. Comme la définition de « garantie » énoncée dans la LIR englobe les « charges, quelle qu’en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs », il n’y a aucune raison pour laquelle la définition permettrait d’exclure une garantie conçue pour fonctionner au profit de tous les créanciers. Il n’en faut pas davantage pour trancher le pourvoi.
Cette conclusion n’a pas pour effet de créer de conflit entre les dispositions relatives à la fiducie réputée contenues dans les lois fiscales et la LACC. L’article 11 de la LACC confère au tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire de surveillance ainsi que le pouvoir de « rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée », mais les pouvoirs conférés ne sont pas sans limites. Le législateur a évité tout conflit entre la LACC et la LIR en imposant trois restrictions qui importent en l’espèce. Premièrement, même si le par. 37(1) de la LACC précise qu’« aucun des biens de la compagnie débitrice ne peut être considéré comme [un bien détenu en fiducie pour Sa Majesté] par le seul effet d’une telle disposition », le par. 37(2) prévoit le maintien en vigueur de la fiducie réputée créée par les lois fiscales dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime de la LACC. Qui plus est, bien que les fiducies réputées ne soient pas des « fiducie[s] véritable[s] » et que le regroupement des biens rende non identifiable le montant assujetti à la fiducie réputée, le retraçage de l’origine du montant ne s’applique pas au par. 227(4.1). Deuxièmement, les retenues à la source non versées sont réputées ne pas faire partie des biens de la compagnie débitrice. En cas de non‑versement, la Couronne est réputée obtenir un droit de bénéficiaire sur les biens du débiteur fiscal jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées, droit dont elle peut se prévaloir « malgré » tout autre texte législatif ou toute autre garantie. Toutefois, les charges super prioritaires ne peuvent se rattacher qu’aux biens du débiteur, de telle sorte que l’intérêt de la Couronne au titre de la fiducie réputée n’est pas subordonné aux charges super prioritaires. Troisièmement, selon la définition de « créancier garanti » énoncée à l’art. 2 de la LACC, la Couronne n’est pas un « créancier garanti » à l’égard de ses réclamations relatives à une fiducie réputée créée par les lois fiscales. Cette définition de « créancier garanti » inclut donc un « détenteur de quelque obligation d’une compagnie débitrice garantie par [. . .] une fiducie à [l’égard de l’ensemble ou d’une partie des biens de la compagnie débitrice] », ce qui indique de façon tout à fait claire que la Couronne ne peut être considérée comme tel au regard des réclamations relatives à la fiducie réputée que lui accordent les lois fiscales.
Donner effet à l’intention claire du législateur d’accorder la priorité absolue à la fiducie réputée ne rend pas le par. 6(3) ou l’art. 11.09 de la LACC dénué de sens. Au contraire, le par. 6(3) et l’art. 11.09 respectent la priorité absolue de la fiducie réputée en permettant le maintien de la priorité absolue de la réclamation de la Couronne sans contrecarrer l’objet réparateur de la LACC. Le paragraphe 6(3) de la LACC, qui protège les réclamations de la Couronne au titre d’une fiducie réputée ainsi que les réclamations qui ne sont pas assujetties à une fiducie réputée créée par les lois fiscales, s’applique seulement si une transaction ou un arrangement est soumis au tribunal. En revanche, la fiducie réputée s’applique immédiatement et de façon continue à compter du moment où le montant est déduit ou retenu sur le salaire d’un employé, et elle s’applique uniquement aux retenues à la source non versées. En l’absence du par. 6(3), les réclamations de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées seraient garanties une fois que le tribunal aurait homologué une transaction ou un arrangement, mais pas ses autres réclamations visées par le par. 224(1.2) de la LIR, étant donné que la plupart des réclamations de la Couronne prennent rang comme réclamations non garanties en application de l’art. 38 de la LACC. Toutefois, le par. 6(3) n’explique ni la survie de la fiducie réputée ni les droits conférés à la Couronne au titre de la fiducie réputée. Leur survie s’explique par le par. 37(2), qui maintient l’application du par. 227(4.1), ou par le par. 227(4.1), lequel précise que le produit des biens de la fiducie « est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie ». Enfin, le par. 6(3) protège des droits différents de ceux visés par la fiducie réputée, et le droit de ne pas avoir à transiger qu’accorde le par. 6(3) est indépendant du droit de la Couronne au titre de la fiducie réputée.
L’article 11.09 de la LACC, qui permet au tribunal de suspendre l’exercice par la Couronne de ses droits à l’égard de ses réclamations relatives à une fiducie réputée, peut s’appliquer à ces réclamations de la Couronne, mais il n’écarte pas la priorité accordée par la fiducie réputée.
En outre, il n’existe en l’espèce aucune préoccupation concernant la certitude quant à la matière ou le patrimoine autonome. La fiducie réputée n’est pas une fiducie « véritable » et elle ne confère pas à la Couronne un intérêt propriétal ou des droits de bénéficiaire tels qu’on les entend en common law ou au sens du Code civil du Québec. Les conditions des fiducies « véritables » en droit civil et en common law ne sont d’aucune utilité pour déterminer le fonctionnement d’une fiducie réputée créée en application de la loi, puisque la fiducie réputée est une fiction juridique assortie de caractéristiques sui generis décrites aux par. 227(4) et 227(4.1) de la LIR.
Enfin, le fait de conclure que la fiducie réputée créée par les lois fiscales a préséance sur les charges super prioritaires n’entraînerait pas de conséquences absurdes. La conclusion selon laquelle le financement temporaire prendrait tout simplement fin n’était pas étayée par le dossier, et les fonds disponibles suffisent généralement à couvrir la réclamation de la Couronne et les charges super prioritaires ordonnées par le tribunal. Est également sans fondement l’affirmation suivant laquelle le fait de confirmer la priorité de la fiducie réputée introduirait un niveau d’incertitude inacceptable dans le processus de faillite. Les prêteurs temporaires peuvent se fonder sur les états financiers de la compagnie pour évaluer le risque d’offrir un financement.
Le juge Moldaver (dissident) : Il y a accord, pour l’essentiel, avec l’analyse et les conclusions des juges Brown et Rowe. Toutefois, deux points doivent être abordés. En premier lieu, l’examen de la nature du droit de la Couronne devrait être remis à une autre occasion. C’est le cas parce que, correctement interprétées, les dispositions pertinentes de la LACC et de la LIR s’harmonisent de façon à ce que l’intérêt que possède la Couronne en vertu du par. 227(4.1) de la LIR — quel qu’il soit — ait priorité sur les charges super prioritaires d’origine judiciaire. Cette conclusion suffit pour trancher le pourvoi.
En deuxième lieu, bien qu’il y ait accord pour dire que le par. 37(2) de la LACC peut être interprété comme une restriction interne à l’art. 11, si cette interprétation est inexacte, la portée de l’art. 11 est néanmoins restreinte par le par. 227(4.1), étant donné que le législateur a expressément indiqué que ce paragraphe a priorité sur les dispositions de la LACC. La réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie réputée a donc priorité sur toutes les charges super prioritaires d’origine judiciaire, peu importe que celles‑ci aient été créées en vertu des dispositions expresses à cet effet ou en vertu du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Une conséquence nécessaire de la primauté absolue dont jouit la réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie présumée est que le par. 6(3) de la LACC ne permet pas de donner effet à l’intérêt conféré à la Couronne par le par. 227(4.1). À l’inverse du par. 227(4.1), qui vise à accorder priorité à la réclamation de la Couronne, le par. 6(3) établit simplement un délai de six mois pour payer la Couronne au cas où la compagnie débitrice parviendrait à assurer sa viabilité. Par conséquent, si le par. 6(3) donnait effet à l’intérêt de la Couronne, celle‑ci pourrait être reléguée au dernier rang pourvu qu’elle soit payée dans les six mois suivant tout arrangement. Un tel résultat serait de toute évidence incompatible avec la priorité absolue accordée à la réclamation de la Couronne. De plus, puisque le par. 6(3) ne s’applique pas en cas de liquidation sous le régime de la LACC, la Couronne perdrait alors sa priorité au profit d’autres garanties.
Il ne fait aucun doute que le législateur a réfléchi aux conséquences possibles de ses mesures législatives, y compris sur les procédures engagées sous le régime de la LACC. S’il devait arriver que la priorité accordée à la réclamation de la Couronne menace la viabilité d’une restructuration, c’est de toute évidence à la Couronne qu’il appartient de faire preuve de souplesse afin d’éviter toute conséquence qui compromettrait l’objet réparateur de la LACC.
Jurisprudence
Citée par la juge Côté
Distinction d’avec l’arrêt : Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411; arrêts examinés : First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720; Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271; Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., 1989 CanLII 43 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 24; Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94; arrêts mentionnés : Temple City Housing Inc., Re, 2007 ABQB 786, 42 C.B.R. (5th) 274; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; 9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10; Pacific National Lease Holding Corp., Re (1992), 1992 CanLII 427 (BC CA), 72 B.C.L.R. (2d) 368; Grant Forest Products Inc., Re (2009), 2009 CanLII 42046 (ON SC), 57 C.B.R. (5th) 128; Timminco Ltd., Re, 2012 ONSC 506, 85 C.B.R. (5th) 169; In the Matter of a Plan of Compromise or Arrangement of Green Growth Brands Inc., 2020 ONSC 3565, 84 C.B.R. (6th) 146; Ernst & Young Inc. c. Essar Global Fund Ltd., 2017 ONCA 1014, 139 O.R. (3d) 1; First Leaside Wealth Management Inc. (Re), 2012 ONSC 1299; Triton Électronique inc. (Arrangement relatif à), 2009 QCCS 1202; Chef Ready Foods Ltd. c. Hongkong Bank of Can. (1990), 1990 CanLII 529 (BC CA), 51 B.C.L.R. (2d) 84; Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d’Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31; Banque de Nouvelle‑Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758; Valard Construction Ltd. c. Bird Construction Co., 2018 CSC 8, [2018] 1 R.C.S. 224; Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17, [2007] 1 R.C.S. 795; Csak c. Aumon (1990), 1990 CanLII 8070 (ON SC), 69 D.L.R. (4th) 567; Dauphin Plains Credit Union Ltd. c. Xyloid Industries Ltd., 1980 CanLII 186 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 1182; Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, 1990 CanLII 92 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1029; McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 R.C.S. 846; Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715.
Citée par la juge Karakatsanis
Arrêts examinés : First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286; arrêts mentionnés : Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271; Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166; Wotherspoon c. Canadien Pacifique Ltée, 1987 CanLII 2807 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 952; Town of Lunenburg c. Municipality of Lunenburg, 1931 CanLII 391 (NS CA), [1932] 1 D.L.R. 386; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d’Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31; Guarantee Company of North America c. Royal Bank of Canada, 2019 ONCA 9, 144 O.R. (3d) 225; Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., 1989 CanLII 43 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 24; Friends of Toronto Public Cemeteries Inc. c. Public Guardian and Trustee, 2020 ONCA 282, 59 E.T.R. (4th) 174; Banque de Nouvelle‑Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758; Rawluk c. Rawluk, 1990 CanLII 152 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 70; Foskett c. McKeown, [2001] 1 A.C. 102; 9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10; Elan Corp. c. Comiskey (1990), 1990 CanLII 6979 (ON CA), 1 O.R. (3d) 289; Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (Re), 2008 ONCA 587, 92 O.R. (3d) 513; Stelco Inc. (Re) (2005), 2005 CanLII 8671 (ON CA), 75 O.R. (3d) 5; U.S. Steel Canada Inc., Re, 2016 ONCA 662, 402 D.L.R. (4th) 450; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453; Canada (Superintendent of Bankruptcy) c. 407 ETR Concession Company Ltd., 2013 ONCA 769, 118 O.R. (3d) 161; Royal Oak Mines Inc., Re (1999), 1999 CanLII 14843 (ON SC), 7 C.B.R. (4th) 293; Royal Oak Mines Inc., Re (1999), 1999 CanLII 14840 (ON SC), 6 C.B.R. (4th) 314; Urbancorp Cumberland 2 GP Inc. (Re), 2020 ONCA 197, 444 D.L.R. (4th) 273; Temple City Housing Inc., Re, 2007 ABQB 786, 42 C.B.R. (5th) 274.
Citée par les juges Brown et Rowe (dissidents)
Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411; First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720; Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d’Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31; Banque de Nouvelle‑Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758; R. c. Verette, 1978 CanLII 208 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 838; Banque Toronto‑Dominion c. Canada, 2020 CAF 80, [2020] 3 R.C.F. 201; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70, [2005] 3 R.C.S. 425; Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94; DaimlerChrysler Financial Services (Debis) Canada Inc. c. Mega Pets Ltd., 2002 BCCA 242, 1 B.C.L.R. (4th) 237; Minister of National Revenue c. Schwab Construction Ltd., 2002 SKCA 6, 213 Sask. R. 278; Temple City Housing Inc., Re, 2007 ABQB 786, 42 C.B.R. (5th) 274; 9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10; Stelco Inc. (Re) (2005), 2005 CanLII 8671 (ON CA), 75 O.R. (3d) 5; Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., 1989 CanLII 43 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 24; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Baxter Student Housing Ltd. c. College Housing Co‑operative Ltd., 1975 CanLII 164 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 475; R. c. Caron, 2011 CSC 5, [2011] 1 R.C.S. 78; Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, [2007] 1 R.C.S. 591; Elan Corp. c. Comiskey (1990), 1990 CanLII 6979 (ON CA), 1 O.R. (3d) 289; R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 686.
Citée par le juge Moldaver (dissident)
9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10; Stelco Inc. (Re) (2005), 2005 CanLII 8671 (ON CA), 75 O.R. (3d) 5.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, art. 1260, 1261, 1278, 1306, 1313.
Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, art. 8.1, 8.2.
Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97 [auparavant S.C. 1917, c. 28], art. 92(6), (7) [aj. 1942‑1943, c. 28, art. 31].
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 18(5) « garantie », 116, 153(1), partie XII.5, partie XIII, 222, 223(1) à (3), (5), (6), 224(1), (1.2), (1.3) « créancier garanti », « garantie », 227(4), (4.1), (4.2), (9), (9.2), (9.3), (9.4), (10.1), (10.2).
Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, c. 23, art. 23(4), 86(2), (2.1).
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 43(1), 50.4(1), 67, 81.1, 81.2, 86(3).
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15, art. 222(3).
Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36, art. 2(1) « créancier garanti », 3(1), 6(3), 10(2)c), 11, 11.09, 11.2, 11.4, 11.51, 11.52, 36, 37 à 39.
Loi sur les liquidations et les restructurations, L.R.C. 1985, c. W‑11, art. 6(1).
Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, c. C‑8, art. 23(3), (4).
Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C, c. 945, art. 2201.
Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/99‑322, Gazette du Canada, partie II, vol. 133, no 17, 18 août 1999, p. 2041‑2042.
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Rowbotham, Wakeling et Schutz), 2019 ABCA 314, 93 Alta. L.R. (6th) 29, 437 D.L.R. (4th) 122, 72 C.B.R. (6th) 161, 95 B.L.R. (5th) 222, [2019] 12 W.W.R. 635, 11 P.P.S.A.C. (4th) 157, 2019 D.T.C. 5111, [2019] A.J. No. 1154 (QL), 2019 CarswellAlta 1815 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la juge Topolniski, 2017 ABQB 550, 60 Alta. L.R. (6th) 103, 52 C.B.R. (6th) 308, [2018] 2 W.W.R. 731, [2017] A.J. No. 930 (QL), 2017 CarswellAlta 1631 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Abella, Moldaver, Brown et Rowe sont dissidents.
Michael Taylor et Louis L’Heureux, pour l’appelante.
Darren R. Bieganek, c.r., et Brad Angove, pour les intimées Canada North Group Inc., Canada North Camps Inc., Campcorp Structures Ltd., DJ Catering Ltd., 816956 Alberta Ltd., 1371047 Alberta Ltd., 1919209 Alberta Ltd. et Ernst & Young Inc. en sa qualité de contrôleur.
Jeffrey Oliver et Mary I. A. Buttery, c.r., pour l’intimée la Banque de développement du Canada.
Kelly J. Bourassa, pour l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada.
Randal Van de Mosselaer, pour l’intervenante l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation.
Version française des motifs du juge en chef Wagner et des juges Côté et Kasirer rendus par
La juge Côté —
I. Vue d’ensemble
[1] L’histoire de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36 (« LACC »), est longue et mouvementée. Depuis ses origines, à l’époque de la Grande Dépression, jusqu’à sa renaissance et sa métamorphose dans les années 1970 et 1980, la LACC n’a jamais cessé de jouer un rôle important dans l’économie canadienne. De nos jours, elle offre aux compagnies insolvables dont le passif excède cinq millions de dollars la possibilité de restructurer leurs affaires au moyen d’un plan d’arrangement. Le processus qu’elle prévoit a pour but d’éviter la faillite et de maximiser la valeur pour toutes les parties prenantes.
[2] Afin de faciliter le processus de restructuration, les tribunaux chargés de le surveiller peuvent autoriser une compagnie insolvable à effectuer certaines dépenses importantes dans le cadre de ce processus. Ces tribunaux peuvent également garantir le paiement de ces dépenses par la constitution d’une charge super prioritaire grevant l’actif de la compagnie insolvable. Aujourd’hui, la Cour est appelée à décider si le juge surveillant peut grever de charges super prioritaires les actifs qui font l’objet d’une créance de Sa Majesté protégée par une fiducie réputée créée en vertu du par. 227(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »).
[3] La Couronne fait valoir deux arguments en raison desquels un juge surveillant ne devrait pas pouvoir subordonner l’intérêt de Sa Majesté à des charges super prioritaires. En premier lieu, la Couronne affirme que le par. 227(4.1) crée un intérêt à titre de propriétaire dans les biens du débiteur et que le tribunal ne peut pas grever d’une charge super prioritaire les biens faisant l’objet d’un intérêt de Sa Majesté. En second lieu, la Couronne affirme que, même si le par. 227(4.1) ne crée pas d’intérêt à titre de propriétaire, il crée, en vertu de la loi, une garantie qui a priorité sur toutes les autres garanties, y compris les charges super prioritaires.
[4] Ces deux arguments doivent être rejetés. Ainsi que notre Cour l’a déjà jugé, la LACC habilite de façon générale les juges surveillants à ordonner des charges super prioritaires qui ont priorité sur toutes les autres créances, y compris celles qui sont protégées par des fiducies réputées. Chaque fois qu’il est en présence d’une fiducie réputée, le juge surveillant doit déterminer la nature du droit conféré par le texte de loi habilitant, et il ne peut se fonder uniquement sur cette notion de fiducie réputée. En l’espèce, lorsqu’on examine les dispositions pertinentes de la LIR dans leur intégralité, il est évident que la LIR ne crée pas d’intérêt à titre de propriétaire, parce que la créance de Sa Majesté ne se rattache à aucun bien spécifique. De plus, il n’y a pas de conflit entre la LIR et l’ordonnance rendue en vertu de la LACC, étant donné que la fiducie réputée créée en vertu de la LIR n’a priorité que sur un ensemble bien précis de garanties. La charge super prioritaire constituée en vertu de l’art. 11 de la LACC ne répond pas à cette définition. Pour les motifs qui suivent, je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.
II. Contexte
[5] Canada North Group et six sociétés liées (« débitrices ») ont entamé, en vertu du par. 50.4(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »), un processus de restructuration, mais ont rapidement changé de cap pour tenter de se restructurer sous le régime de la LACC. Dans la demande initiale qu’elles ont présentée en vertu de la LACC, elles réclamaient une série de mesures habituellement demandées dans le cadre des instances introduites sous ce régime, y compris les mesures suivantes : une suspension de trente jours de toutes les procédures engagées contre elles, la désignation d’un contrôleur et la création de trois charges super prioritaires. La première charge demandée visait des frais administratifs d’un million de dollars et devait être constituée en faveur des avocats, du contrôleur et du directeur de la restructuration pour les frais qu’ils ont engagés. La deuxième était une charge de financement d’un million de dollars en faveur d’un prêteur temporaire. La troisième était une garantie de 150 000 $ constituée en faveur des administrateurs en vue de les protéger ainsi que les dirigeants contre les obligations contractées après l’introduction de l’instance. Les débitrices ont joint à leur demande initiale un affidavit de l’un de leurs administrateurs pour attester l’existence d’une dette de 1 140 000 $ envers Sa Majesté la Reine pour des retenues à la source et pour la taxe sur les produits et services (« TPS »).
[6] Le juge Nielsen, de la Cour du Banc de la Reine, a instruit la requête, ainsi que la requête incidente présentée par le principal prêteur des débitrices, la Banque canadienne de l’Ouest, en vue d’obtenir la nomination d’un séquestre. Le juge Nielsen a rendu, en faveur des débitrices, une ordonnance initiale conforme aux modalités de leur demande initiale (hormis une réduction de 500 000 $ de la charge au titre des frais administratifs) (B.R. Alb., no 1703‑12327, 5 juillet 2017 (« ordonnance initiale »)). Cette ordonnance prévoyait notamment ce qui suit au sujet de l’ordre de priorité :
[traduction] Chacune des charges relatives à l’administration, aux administrateurs et au prêteur temporaire (constituées et définies aux présentes) grèvent les biens et, sous réserve du paragraphe 34(11) de la LACC, toutes ces charges ont priorité sur tous les autres privilèges, garanties, fiducies, charges et sûretés, créances de créanciers garantis, d’origine législative ou autre (collectivement « les sûretés ») détenus par quiconque. [Caractères gras omis; par. 44.]
Le juge Nielsen a également précisé que les charges en question [traduction] « ne sont pas autrement limitées ou compromises de quelque façon que ce soit par [. . .] (d) les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale » (par. 46).
[7] Trois semaines après le prononcé de l’ordonnance initiale, les débitrices ont demandé des ordonnances supplémentaires pour prolonger la suspension de l’instance et faire passer à 2,5 millions de dollars le financement temporaire. La Banque canadienne de l’Ouest a de nouveau déposé une requête en nomination d’un séquestre. Durant l’instruction de ces trois requêtes, l’avocat de Sa Majesté a comparu afin d’annoncer que celle‑ci s’apprêtait à déposer une requête pour faire modifier l’ordonnance initiale au motif que cette ordonnance ne reconnaissait pas sa priorité sur les retenues à la source non versées (la partie de la rémunération que les employeurs ont l’obligation de retenir auprès de leurs employés et de remettre directement à l’Agence du revenu du Canada (« ARC »)).
[8] La Couronne a déposé sa requête peu de temps après. L’argument qu’elle invoquait pour justifier sa demande de modification de l’ordonnance initiale reposait sur la nature du droit que possédait Sa Majesté sur les biens des débitrices. Elle a fait valoir que la nature du droit de Sa Majesté était déterminée par le par. 227(4.1) de la LIR, qui créait un intérêt à titre de propriétaire :
(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l’absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.
(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l’absence d’une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d’une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
III. Les décisions des juridictions inférieures
A. Cour du Banc de la Reine, 2017 ABQB 550, 60 Alta. L.R. (6th) 103
[9] La juge Topolniski a instruit la requête présentée par Sa Majesté en vue de faire modifier l’ordonnance initiale. Malgré le délai écoulé entre l’ordonnance initiale et la requête en modification, la juge Topolniski a estimé qu’elle avait compétence pour entendre la requête vu le pouvoir discrétionnaire et la marge de manœuvre que lui confère la LACC. Elle a toutefois rejeté la requête au motif que le par. 227(4.1) de la LIR créait une garantie qui pouvait être subordonnée à des charges super prioritaires d’origine judiciaire.
[10] La juge Topolniski s’est appuyée sur les arrêts Temple City Housing Inc., Re, 2007 ABQB 786, 42 C.B.R. (5th) 274, et First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720, pour conclure que la fiducie réputée créée en application du par. 227(4.1) de la LIR ne conférait pas d’intérêt à titre de propriétaire. Selon elle, la LIR crée plutôt une sorte de charge flottante sur l’ensemble des actifs du débiteur, ce qui permet à ce dernier d’aliéner ses biens sous réserve de la fiducie réputée. Ces caractéristiques sont incompatibles avec un intérêt à titre de propriétaire, de sorte que le par. 227(4.1) ne crée pas un tel intérêt.
[11] La juge Topolniski s’est également demandé si le par. 227(4.1) crée une garantie qui exige que l’intérêt détenu par Sa Majesté prenne rang devant les charges d’origine judiciaire. Elle a reconnu que la LACC ne fait pas obstacle à la fiducie réputée, mais elle a estimé que cette loi autorise cependant le tribunal à réaménager l’ordre de priorité par ordonnance. Étant donné que chacune des charges énumérées dans l’ordonnance initiale était essentielle au processus de restructuration, elles étaient indispensables au bon fonctionnement du régime de la LACC.
B. Autorisation d’appel, 2017 ABCA 363, 54 C.B.R. (6th) 5
[12] Suite au rejet de la requête de la Couronne, les débitrices ont déterminé que les actifs du patrimoine étaient suffisants pour payer intégralement Sa Majesté et les bénéficiaires des trois charges super prioritaires d’origine judiciaire. Toutefois, la Couronne a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel afin d’obtenir des directives de la Cour d’appel quant à la nature de la priorité de Sa Majesté.
C. Cour d’appel de l’Alberta, 2019 ABCA 314, 93 Alta. L.R. (6th) 29
[13] La Cour d’appel a rejeté l’appel. Elle était divisée sur la question de savoir si les charges super prioritaires prenaient rang devant la créance de Sa Majesté. La juge Rowbotham a écrit au nom de la majorité et s’est dite d’accord avec le juge de première instance pour affirmer que le par. 227(4.1) de la LIR crée une garantie, conformément à la conclusion tirée par notre Cour dans l’arrêt First Vancouver selon laquelle la fiducie réputée est assimilable à une « charge flottante grevant, jusqu’à concurrence du montant en souffrance, l’ensemble des éléments d’actif du débiteur fiscal » (First Vancouver, par. 40). Elle s’est dite confortée dans son opinion par le fait que la fiducie réputée entre carrément dans la définition que la LIR donne de la « garantie » au par. 224(1.3).
[14] Après avoir conclu que le droit de Sa Majesté sur les biens des débitrices constituait une garantie, la juge Rowbotham s’est penchée sur la question de savoir si la fiducie réputée pouvait être subordonnée à des charges super prioritaires d’origine judiciaire. Elle a conclu que [traduction] « bien que, si l’on s’en tient rigoureusement à leur libellé respectif, il puisse sembler exister un conflit » entre la LIR et la LACC, « la présomption de cohérence entre les lois exige[ait] que l’on interprète ces dispositions en considérant qu’elles s’appliquent de concert » (par. 45). Une fiducie réputée qui ne pourrait être subordonnée à des charges super prioritaires irait à l’encontre de l’objectif des deux lois en question parce qu’il serait plus difficile de mener à bien une restructuration et que cela diminuerait par conséquent les recettes fiscales. L’acceptation de la thèse de la Couronne entraînerait selon elle des conséquences absurdes. Environ 75 pour 100 des compagnies qui se restructurent font appel à des prêteurs temporaires. Sans l’assurance d’être remboursés en priorité, ces prêteurs refuseraient de s’engager, tout comme les contrôleurs et les administrateurs. La réalité est que tous ces services sont fournis sur la foi de l’existence de super priorités. Sans elles, les restructurations effectuées sous le régime de la LACC risqueraient d’être fortement compromises, ou à tout le moins retardées, jusqu’à ce qu’on puisse établir le montant exact de la créance de Sa Majesté, alors que la compagnie se serait peut‑être déjà totalement effondrée.
[15] Le juge Wakeling a exprimé sa dissidence. À son avis, aucun des arguments soulevés par la majorité ne permettait de faire abstraction du texte de la LIR. Selon lui, le libellé du par. 227(4.1) est sans équivoque : Sa Majesté a un droit de bénéficiaire sur les sommes réputées être détenues de façon distincte et séparée des biens du débiteur, et ces sommes doivent être payées à Sa Majesté, peu importe le type de garantie, y compris les charges super prioritaires. À son avis, rien dans le libellé de la LACC ne permettait d’écarter cet intérêt à titre de propriétaire. L’article 11 de la LACC ne saurait permettre au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire sans tenir compte du par. 227(4.1) de la LIR, et les art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC ne sauraient non plus être utilisés à cette fin, car ils permettent uniquement au tribunal de rendre des ordonnances concernant « la totalité ou une partie des biens de la compagnie » (par. 11.2(1)). En conclusion, comme aucune des dispositions de la LACC ne lui permet d’écarter le par. 227(4.1), le tribunal doit donner effet au texte clair du par. 227(4.1) et il ne peut subordonner les créances de Sa Majesté à des charges super prioritaires.
IV. Question en litige
[16] La principale question à trancher dans le présent pourvoi est celle de savoir si la LACC autorise les tribunaux à constituer des charges super prioritaires ayant priorité sur une fiducie réputée créée en vertu du par. 227(4.1) de la LIR. Pour répondre à cette question, je vais procéder en trois étapes. D’abord, je vais examiner la nature du régime de la LACC et le pouvoir des tribunaux de surveillance d’ordonner pareilles charges. Étant donné que les tribunaux de surveillance ont généralement le pouvoir d’ordonner des charges super prioritaires qui ont priorité sur toutes les autres créances, je vais ensuite examiner le par. 227(4.1) de la LIR pour déterminer s’il confère à Sa Majesté un intérêt qui ne peut être subordonné à une charge super prioritaire. Je vais passer en revue les deux arguments invoqués par la Couronne pour affirmer que le par. 227(4.1) prévoit une exception à la règle générale, à savoir que Sa Majesté possède un intérêt à titre de propriétaire dans les actifs de la compagnie insolvable et que, même si elle ne possède pas un tel intérêt, le par. 227(4.1) lui confère une garantie qui a priorité absolue sur toutes les créances. Je vais conclure mon analyse en indiquant comment les tribunaux devraient exercer leur pouvoir d’ordonner des charges super prioritaires lorsque Sa Majesté fait valoir, contre la compagnie insolvable, une réclamation protégée par une fiducie réputée créée en vertu du par. 227(4.1).
V. Analyse
[17] Afin de déterminer si la LACC habilite un tribunal à ordonner des charges super prioritaires sur des biens assujettis à une fiducie réputée au titre du par. 227(4.1) de la LIR, il nous faut comprendre à la fois le régime de la LACC et la nature du droit créé par le par. 227(4.1).
A. Le régime de la LACC
[18] La LACC fait partie de la législation canadienne en matière d’insolvabilité, qui comprend également la LFI et la Loi sur les liquidations et les restructurations, L.R.C. 1985, c. W‑11, par. 6(1), laquelle s’applique aux banques et à d’autres institutions déterminées. Bien que la LACC et la LFI instaurent toutes deux un régime de réorganisation, ce qui distingue le régime de la LACC est le fait qu’il est réservé aux compagnies dont le passif dépasse cinq millions de dollars et qu’il « établit un mécanisme plus souple, dans lequel les tribunaux disposent d’un plus grand pouvoir discrétionnaire, ce qui rend le mécanisme mieux adapté aux réorganisations complexes » (Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, par. 14).
[19] La LACC vise à accorder au débiteur insolvable la latitude nécessaire pour négocier avec ses créanciers afin de trouver une issue à son insolvabilité. À la suite d’une demande initiale, le juge surveillant rend une ordonnance aux termes de laquelle il préserve habituellement le statu quo en suspendant les réclamations qui visent le débiteur tout en permettant à ce dernier de conserver la possession de ses actifs afin de poursuivre ses activités. Dans l’intervalle, on espère que le débiteur négociera un plan d’arrangement avec ses créanciers et les autres parties prenantes. L’objectif est de permettre aux parties de parvenir à un compromis qui donne au débiteur la possibilité de se réorganiser et de poursuivre ses activités à l’issue du processus de la LACC (Century Services, par. 18).
[20] La vision sous‑jacente au régime de la LACC est donc qu’une compagnie débitrice possède une plus grande valeur lorsqu’elle poursuit ses activités que lorsqu’elle est liquidée (Century Services, par. 18). La survie d’une entreprise en activité est généralement le résultat qui présente le plus grand avantage net. Elle permet souvent aux créanciers de maximiser leur rendement, tout en profitant aux actionnaires, aux employés et aux autres entreprises qui font affaire avec la compagnie débitrice (par. 60). Ainsi, notre Cour a récemment jugé que la LACC a « comme objectifs simultanés de maximiser le recouvrement au profit des créanciers, de préserver la valeur d’exploitation dans la mesure du possible, de protéger les emplois et les collectivités touchées par les difficultés financières de l’entreprise [. . .] et d’améliorer le système de crédit de manière générale » (9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, par. 42, citant J. P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act (2e éd. 2013), p. 14).
[21] La caractéristique la plus importante de la LACC — et celle qui la rend assez souple pour s’adapter si aisément à chaque réorganisation — est le vaste pouvoir discrétionnaire qu’elle confère au tribunal de surveillance (Callidus Capital, par. 47‑48). L’article 11 de la LACC accorde au tribunal le pouvoir de « rendre [. . .] toute ordonnance qu’il estime indiquée ». Ce pouvoir est vaste. Comme le juge en chef et le juge Moldaver l’ont récemment fait observer dans leurs motifs conjoints, « [s]elon le libellé clair de la disposition, le pouvoir conféré par l’art. 11 n’est limité que par les restrictions imposées par la LACC elle‑même, ainsi que par l’exigence que l’ordonnance soit “indiquée” dans les circonstances » (Callidus Capital, par. 67). Étant donné le rôle essentiel que le pouvoir discrétionnaire judiciaire joue dans le cadre du régime de la LACC, notre jurisprudence a mis au point les exigences de base encadrant l’exercice de ce pouvoir : l’opportunité, la bonne foi et la diligence. Le juge doit être convaincu que l’ordonnance est indiquée et que le demandeur a agi de bonne foi et avec la diligence voulue (Century Services, par. 69). Le juge doit également être convaincu de l’opportunité de rendre l’ordonnance sollicitée en se demandant si elle favorisera la réalisation des objectifs réparateurs et de politique générale de la LACC (par. 70). Par exemple, étant donné que la LACC a pour objet de faciliter la survie des entreprises en leur permettant de poursuivre leurs activités, lorsqu’il rend son ordonnance initiale, « [l]e tribunal doit d’abord créer les conditions propres à permettre au débiteur de tenter une réorganisation » (par. 60).
[22] Lorsqu’une cour d’appel révise l’ordonnance d’un juge surveillant, elle ne doit pas oublier que ce vaste pouvoir discrétionnaire a été confié aux juges surveillants afin qu’ils assument le rôle difficile de concilier sans cesse des intérêts conflictuels et fluctuants. La cour d’appel doit également reconnaître que les ordonnances ont généralement un caractère temporaire ou provisoire, et que le processus de restructuration évolue constamment. Ces considérations nécessitent non seulement que les juges surveillants soient investis d’un large pouvoir discrétionnaire, mais aussi que les cours d’appel fassent preuve d’une déférence particulière avant de modifier des ordonnances rendues en vertu de ce pouvoir discrétionnaire (Pacific National Lease Holding Corp., Re (1992), 1992 CanLII 427 (BC CA), 72 B.C.L.R. (2d) 368 (C.A.), par. 30‑31).
[23] En plus de l’art. 11, on trouve dans certaines des dispositions qui le suivent des pouvoirs plus spécifiques, dont celui d’ordonner une sûreté ou une charge super prioritaire grevant tout ou partie des actifs de la compagnie débitrice en faveur de prêteurs temporaires (art. 11.2), de fournisseurs essentiels (art. 11.4), du contrôleur et des experts — notamment en finance et en droit — (art. 11.52), ou afin d’indemniser les dirigeants ou administrateurs (art. 11.51). Chacune de ces dispositions habilite le tribunal à « préciser, dans l’ordonnance, que la charge ou sûreté a priorité sur toute réclamation des créanciers garantis de la compagnie » (par. 11.2(2), 11.4(4), 11.51(2) et 11.52(2)).
[24] Ainsi que notre Cour l’a jugé dans l’arrêt Century Services, par. 70, la possibilité pour le tribunal de rendre ces ordonnances plus spécifiques n’a pas pour effet de restreindre la portée des termes généraux employés à l’art. 11. En fait, les tribunaux constituent régulièrement des charges super prioritaires en faveur de personnes qui ne sont pas expressément mentionnées dans les dispositions susmentionnées, y compris au moyen d’ordonnances ayant préséance sur les ordonnances rendues en vertu de ces dispositions. Songeons, par exemple, aux charges relatives aux plans de rétention des employés clés (Grant Forest Products Inc., Re (2009), 2009 CanLII 42046 (ON SC), 57 C.B.R. (5th) 128 (C.S.J. Ont.); Timminco Ltd., Re, 2012 ONSC 506, 85 C.B.R. (5th) 169), et aux charges relatives à la protection des offres (In the Matter of a Plan of Compromise or Arrangement of Green Growth Brands Inc., 2020 ONSC 3565, 84 C.B.R. (6th) 146).
[25] Dans l’arrêt Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271, par. 60, citant l’ordonnance initiale modifiée dans cette affaire, notre Cour a confirmé que la charge de financement d’origine judiciaire qui devait prendre rang devant [traduction] « toutes les autres sûretés, y compris les fiducies, privilèges, charges et grèvements, d’origine législative ou autre » prenait effectivement rang devant la fiducie réputée qui avait été établie par la Loi sur les sûreté mobilières, L.R.O. 1990, c. P.10 (« LSM »), dans le but de protéger les régimes de retraite des employés. La juge Deschamps s’est exprimée sur ce point au nom d’une Cour unanime. Elle a conclu que l’existence d’une fiducie réputée ne faisait pas obstacle au prononcé d’ordonnances accordant une priorité aux bailleurs de fonds : « Ce sera le cas seulement si la priorité de rang accordée par la province aux participants au régime des salariés, au par. 30(7) de la LSM, fait en sorte que leur réclamation a préséance sur la charge [débiteur‑exploitant (« DE »)] » (par. 48).
[26] La juge Deschamps a tout d’abord examiné l’ordonnance du juge surveillant afin de déterminer si celle‑ci était véritablement nécessaire pour que la charge de financement ait priorité sur la fiducie réputée. Même s’il ne s’était pas expressément penché sur la fiducie réputée dans l’ordonnance aux termes de laquelle il avait constitué la charge super prioritaire, le juge surveillant avait conclu qu’il n’avait d’autre choix que de rendre l’ordonnance. Le financement devait être garanti par une super priorité pour que la compagnie demeure en activité (par. 59). La juge Deschamps a rejeté l’idée « que les prêteurs DE auraient accepté que leur réclamation soit subordonnée à celles fondées sur la fiducie réputée », étant donné que « [l]a dure réalité est que l’octroi de prêts est régi par les impératifs commerciaux des prêteurs, et non par les intérêts des participants ou par les considérations de politique générale qui ont incité les législateurs provinciaux à protéger les bénéficiaires de caisses de retraite » (par. 59).
[27] Après avoir décidé que l’ordonnance était nécessaire, la juge Deschamps a examiné la loi accordant la priorité à la fiducie réputée. Le paragraphe 30(7) de la LSM prévoyait que la fiducie réputée prenait rang devant toutes les garanties, ce qui, à son avis, créait un conflit entre la super priorité d’origine judiciaire et la priorité légale accordée à la créance protégée par la fiducie réputée. La super priorité avait donc préséance sur la fiducie réputée en raison de la doctrine de la prépondérance fédérale (par. 60).
[28] Il existe aussi des considérations d’ordre pratique qui expliquent pourquoi les juges surveillants doivent disposer du pouvoir discrétionnaire d’ordonner des charges ayant priorité sur les fiducies réputées. Pour restructurer une compagnie sous le régime de la LACC, il faut souvent obtenir l’aide de nombreux professionnels. Ainsi que le juge en chef Wagner et le juge Moldaver l’ont récemment reconnu au nom d’une Cour unanime, le contrôleur joue un rôle crucial dans une instance introduite sous le régime de la LACC : « Le contrôleur est un expert indépendant et impartial qui agit comme [traduction] “les yeux et les oreilles du tribunal” tout au long de la procédure [. . .] Il a essentiellement pour rôle de donner au tribunal des avis consultatifs sur le caractère équitable de tout plan d’arrangement proposé et sur les ordonnances demandées par les parties, y compris celles portant sur la vente d’actifs et le financement provisoire » (Callidus Capital, par. 52, citant Ernst & Young Inc. c. Essar Global Fund Ltd., 2017 ONCA 1014, 139 O.R. (3d) 1, par. 109). Comme l’a dit le juge Morawetz (maintenant juge en chef de la Cour supérieure de justice de l’Ontario), [traduction] « [o]n ne peut raisonnablement s’attendre à ce que des professionnels prennent le risque de ne pas être payés pour leurs services et à ce que les administrateurs et les dirigeants demeurent en poste s’ils se retrouvent dans une position délicate » (Timminco, par. 66).
[29] Notre Cour a pareillement conclu que le financement est essentiel, étant donné qu’il « a été démontré maintes et maintes fois que [traduction] “la priorité accordée au financement DE constitue un élément clé de la capacité du débiteur de tenter de conclure un arrangement” » (Indalex, par. 59, citant J. P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act (2007), p. 97). Ainsi que les juridictions inférieures l’ont affirmé, [traduction] « Les services professionnels sont fournis et le financement DE est avancé sur la foi des charges super prioritaires contenues dans les ordonnances initiales. Pour assurer l’intégrité, la prévisibilité et l’équité du processus de la LACC, la certitude doit caractériser l’octroi de ces charges super prioritaires » (First Leaside Wealth Management Inc. (Re), 2012 ONSC 1299, par. 51 (CanLII)).
[30] Pour que les parties prenantes bénéficient d’une valorisation maximale, il est nécessaire de constituer des charges super prioritaires en faveur du contrôleur, des bailleurs de fonds et d’autres professionnels. Ces mesures profitent à l’ensemble des créanciers, y compris ceux dont les créances sont protégées par une fiducie réputée. Le fait qu’ils aient besoin d’une super priorité n’est qu’un des aspects de « [l]a dure réalité [. . .] que l’octroi de prêts est régi par les impératifs commerciaux des prêteurs » (Indalex, par. 59). Il n’est pas sensé, au plan commercial, de s’engager en présence d’un risque élevé. Il n’y a rien d’équitable dans la situation où, pour aider une entreprise à se restructurer et à se développer, un contrôleur et des prêteurs s’exposent à des risques, et découvrent par la suite qu’une fiducie réputée prévaut sur l’ensemble des créances. Comme la juge McLachlin (plus tard juge en chef) l’a dit, accorder la priorité absolue à une fiducie réputée — alors qu’elle ne constitue pas une fiducie selon les principes généraux du droit — serait « contrair[e] à l’équité et au bon sens » (Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., 1989 CanLII 43 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 24, p. 33).
[31] Il est donc évident qu’en général, les tribunaux chargés de surveiller les restructurations sous le régime de la LACC ont le pouvoir d’ordonner des charges super prioritaires afin de faciliter le processus de restructuration. Dans la même veine, les tribunaux se sont assurés que la LACC reçoive une interprétation libérale pour être capables d’en réaliser l’objectif général tout en évitant que cet objectif ne soit neutralisé par d’autres lois : « Ce que les tribunaux ont décidé à maintes reprises, c’est que la finalité de la LACC et les ordonnances qui en découlent ne sauraient être affectées, ni neutralisées par une autre loi, fut‑elle d’ordre public ou non » (Triton Électronique inc. (Arrangement relatif à), 2009 QCCS 1202, par. 35 (CanLII)). [traduction] « L’affaire qui nous occupe concerne moins les droits des employés en tant que créanciers que le droit accordé par la [LACC] au tribunal de servir non pas les intérêts spéciaux des dirigeants et administrateurs de la compagnie, mais l’ensemble plus large d’intéressés dont il est question dans Chef Ready Foods Ltd. [c. Hongkong Bank of Can. (1990), 1990 CanLII 529 (BC CA), 51 B.C.L.R. (2d) 84 (C.A.)] [. . .] Pareille décision risque d’entrer en conflit avec la législation provinciale, mais il faut atteindre les objectifs généraux de la [LACC] » (Pacific National Lease Holding, par. 28). Les tribunaux se sont montrés particulièrement vigilants au moment d’interpréter les garanties, pour veiller à ce que l’important objectif de la LACC puisse être réalisé. Par exemple, dans l’arrêt Chef Ready Foods Ltd., le juge d’appel Gibbs a fait remarquer que, s’il fallait considérer que les droits conférés à une banque par la Loi sur les banques, L.C. 1991, c. 46, étaient à l’abri des dispositions de la LACC, les avantages des procédures intentées sous le régime de cette loi seraient [traduction] « en grande partie illusoires » (p. 92). « Il y aura deux groupes de compagnies débitrices : celles qui peuvent se rétablir sous le régime de la [LACC], et celles à l’égard de qui la pertinence de la [LACC] varierait selon le caprice du [créancier] » (p. 92). Il importe de garder à l’esprit que ces procédures sont engagées au bénéfice de l’ensemble des créanciers, et non au bénéfice d’un seul d’entre eux. En l’absence de directives claires et expresses, nous ne saurions supposer que le Parlement ait voulu créer une garantie de nature à suggérer que, sous le régime de la LACC, la perspective de réorganisation et de rétablissement de certaines compagnies sera limitée, voire inexistante. La LACC deviendrait alors lettre morte. En gardant ces principes à l’esprit, je me tourne à présent vers la disposition en litige dans la présente affaire.
B. Nature de l’intérêt créé par le paragraphe 227(4.1) de la LIR
[32] La Couronne soutient que, même si le tribunal de surveillance peut ordonner des charges super prioritaires, la créance de Sa Majesté sur les retenues à la source non versées est protégée par une fiducie réputée, et que la constitution de charges prenant rang devant la fiducie réputée va à l’encontre du par. 227(4.1) de la LIR. Pour déterminer le bien‑fondé de cette position, il faut d’abord comprendre l’origine de la fiducie réputée.
[33] Le paragraphe 153(1) de la LIR oblige les employeurs à retenir l’impôt sur le salaire brut de leurs employés et à transmettre les sommes retenues à l’ARC. L’employeur qui retient l’impôt sur le revenu de ses employés conformément à la LIR devient responsable des sommes dues à ce titre par ses employés (par. 227(9.4)). Par conséquent, Sa Majesté ne peut exercer de recours contre les employés si l’employeur fait défaut de verser les montants qu’il a retenus. L’intérêt de Sa Majesté est protégé par une fiducie réputée. Le paragraphe 227(4) de la LIR prévoit que les montants retenus sont réputés détenus en fiducie pour Sa Majesté, séparément des propres biens de l’employeur. Si l’employeur fait défaut de verser les retenues conformément aux modalités prévues par la LIR, le par. 227(4.1) étend la fiducie à l’ensemble des biens de l’employeur. En l’espèce, les débitrices ont fait défaut de verser les retenues à l’ARC, ce qui a entraîné l’application du par. 227(4.1).
[34] Lorsqu’une compagnie cherche à se prévaloir de la protection de la LACC, le par. 37(1) de cette loi prévoit que la plupart des fiducies réputées de Sa Majesté sont annulées (à moins que les biens en question eussent été assimilés à des biens détenus en fiducie même en l’absence de la disposition législative créant la fiducie réputée). Toutefois, le par. 37(2) de la LACC soustrait les fiducies réputées créées en vertu des par. 227(4) et (4.1) de la LIR à l’annulation prévue au par. 37(1). Ces fiducies réputées continuent de produire leur effet tout au long du processus de la LACC (Century Services, par. 45). À mon avis, le fait que la LACC permet aux fiducies réputées créées par la LIR de continuer à produire leurs effets ne modifie en rien les caractéristiques de ces fiducies. Elles continuent à produire leur effet comme si la compagnie insolvable n’avait pas demandé la protection de la LACC. Par conséquent, il faut examiner les arguments de la Couronne en tenant compte de la nature du droit découlant du par. 227(4.1) de la LIR.
[35] Mais avant de procéder à cet examen, et bien que cela ne soit pas à proprement parler nécessaire vu les motifs que j’expose ci‑dessous, j’ouvre une parenthèse pour clarifier le rôle du par. 6(3) de la LACC, dont voici le texte :
(3) Le tribunal ne peut, sans le consentement de Sa Majesté, homologuer la transaction ou l’arrangement qui ne prévoit pas le paiement intégral à Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province, dans les six mois suivant l’homologation, de toutes les sommes qui étaient dues lors de la demande d’ordonnance visée aux articles 11 ou 11.02 et qui pourraient, de par leur nature, faire l’objet d’une demande aux termes d’une des dispositions suivantes :
a) le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu . . .
[36] Le paragraphe 6(3) accorde simplement à Sa Majesté le droit d’insister auprès du tribunal afin qu’il refuse d’homologuer la transaction ou l’arrangement qui ne prévoit pas le paiement intégral de certaines créances de Sa Majesté dans un délai de six mois suivant l’homologation. Le paragraphe 6(3) ne dit pas qu’il modifie la fiducie présumée créée par le par. 227(4.1) de la LIR de quelque façon que ce soit, et il ne s’applique qu’à l’issue de la procédure de la LACC lorsque les parties cherchent à faire homologuer par le tribunal leur arrangement ou leur transaction. Le paragraphe 6(3) s’applique également à de nombreuses créances qui ne sont pas protégées par la fiducie réputée, y compris les pénalités, les intérêts, les retenues sur les dispositions relatives aux non‑résidents et certaines cotisations de retraite (voir les par. 224(1.2) et 227(10.1) de la LIR, le deuxième faisant état des sommes payables en application de l’art. 116 et des par. 227(9), (9.2), (9.3), (9.4) et (10.2), à la partie XII.5 et à la partie XIII). Assimiler la fiducie réputée au droit prévu au par. 6(3) vide de leur sens le par. 37(2) de la LACC et la fiducie présumée. La démarche que je vais suivre consiste donc, à l’instar de celle suivie par notre Cour dans l’affaire Indalex, à évaluer l’intérêt créé par le par. 227(4.1) de la LIR en faisant abstraction de la LACC (Indalex, par. 48).
[37] Le paragraphe 227(4.1) dispose :
(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non‑versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l’absence d’une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d’une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
(1) Le paragraphe 227(4.1) de la LIR crée‑t‑il un intérêt à titre de propriétaire dans l’actif du débiteur?
[38] Le présent pourvoi — comme certains pourvois précédents devant notre Cour — n’oblige pas la Cour à définir de façon exhaustive la nature et le contenu de l’intérêt créé par le par. 227(4.1) de la LIR (Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411, et First Vancouver). Il suffit de déterminer si le par. 227(4.1) confère à Sa Majesté un intérêt dans les actifs du débiteur de nature à empêcher un tribunal d’ordonner des charges ayant priorité sur la réclamation de Sa Majesté. La Couronne soutient que c’est ce que fait le par. 227(4.1) en accordant à Sa Majesté un intérêt à titre de propriétaire dans les actifs du débiteur, de sorte que [traduction] « ces actifs deviennent des biens de la Couronne » (m.a., par. 46). L’argument de la Couronne repose sur le libellé de la disposition. Premièrement, elle affirme que des biens d’une valeur égale au montant réputé détenu en fiducie par une personne sont réputés détenus « séparés des propres biens de la personne ». Deuxièmement, elle affirme que les biens qui sont réputés détenus en fiducie sont réputés « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne ». Troisièmement, elle fait valoir que les biens qui sont réputés détenus en fiducie « sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ». La Couronne soutient qu’en raison de l’intérêt que possède Sa Majesté à titre de propriétaire, les montants assujettis à la fiducie réputée ne peuvent être considérés comme des actifs du débiteur dans le cadre de procédures intentées sous le régime de la LACC.
[39] Afin de déterminer si le par. 227(4.1) confère à Sa Majesté un intérêt à titre de propriétaire, il nous faut examiner la nature des droits que la fiducie réputée confère à Sa Majesté et comparer ces droits à ceux habituellement accordés à un propriétaire. D’entrée de jeu, il est évident que la loi ne vise pas à transférer à Sa Majesté le titre en common law de quelque bien que ce soit. Au soutien de sa thèse, la Couronne table beaucoup sur le sens que la common law donne aux termes « biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire » et « en fiducie ». La fiducie et la propriété bénéficiaire sont des concepts d’equity qui font partie de la common law. Comme pour tous les cas d’interprétation des lois, le sens de ces termes dépend de l’intention du législateur. Dans l’interprétation d’une loi fédérale qui fait appel à des notions de propriété et de droits civils, il faut se référer aux art. 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21. Ces articles sont ainsi libellés :
8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.
8.2 Sauf règle de droit s’y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d’application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l’un et l’autre de ces systèmes.
[40] En d’autres termes, lorsque le législateur utilise une expression de droit privé et qu’il n’en précise pas le sens, les tribunaux doivent se référer au droit privé provincial applicable. C’est ce qu’on appelle le principe de complémentarité. Toutefois, comme ces deux articles l’indiquent clairement, il est loisible au législateur de déroger au droit privé provincial et de créer une règle uniforme applicable dans toutes les provinces (voir R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 158‑159).
[41] En l’espèce, le législateur a délibérément choisi de se dissocier du droit privé provincial. Le paragraphe 227(4.1) indique qu’il s’applique « [m]algré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit ». Dans l’arrêt Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94, la majorité a conclu que, par ces termes, le législateur a créé un régime autonome d’application uniforme dans toutes les provinces (par. 11‑13). La nature de la fiducie réputée créée par le par. 227(4.1) doit donc être comprise d’après les termes de cette disposition.
[42] Cela dit, il est également clair que le législateur a choisi d’employer des termes qui possèdent une signification juridique bien établie pour constituer la fiducie réputée. Bien que le sens de ces termes ne doive pas être fondé sur le sens précis qu’ils ont selon la common law de l’Alberta, on peut difficilement analyser le par. 227(4.1) sans tenir compte de la façon dont ces concepts opèrent généralement. Malgré les protestations de mes collègues les juges Brown et Rowe, je ne vois pas comment l’on pourrait chercher à comprendre le sens des mots « fiducie réputée », « détenus en fiducie » ou « droit de bénéficiaire » sans tenir compte du droit civil ou de la common law. Le droit des fiducies tant en droit civil qu’en common law fournit donc un contexte essentiel pour comprendre la volonté de législateur. Du point de vue du droit civil, certains tribunaux ont trouvé difficile d’appliquer au Québec le concept de « droit de bénéficiaire » énoncé au par. 227(4.1), « au motif qu’il s’agit d’un concept évidemment issu de la common law » (Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d’Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31, par. 48). Je souscris à la remarque suivante du juge Noël (maintenant juge en chef) :
La question de savoir s’il est opportun pour le législateur fédéral d’utiliser au Québec des concepts de common law (ou d’utiliser ailleurs au Canada des concepts de droit civil) pour donner effet aux lois fédérales ne relève pas du pouvoir judiciaire. La tâche des tribunaux se limite à déceler l’intention du législateur et [à] y donner effet. [par. 49]
[43] En droit civil québécois, il est clair que le par. 227(4.1) ne crée pas de fiducie au sens du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Les articles 1260 et 1261 C.c.Q. prévoient ce qui suit :
1260. La fiducie résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.
1261. Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d’entre eux n’a de droit réel.
Comme l’a statué notre Cour dans Banque de Nouvelle‑Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758, par. 31, « [t]rois conditions sont donc nécessaires pour la constitution d’une fiducie [en droit civil québécois] : le transfert de biens du patrimoine d’une personne à un patrimoine d’affectation, l’affectation des biens à une fin particulière et l’acceptation par un fiduciaire ».
[44] Toutefois, selon le par. 227(4.1) de la LIR, aucun bien précis n’est transféré au patrimoine fiduciaire. L’incertitude demeure quant aux biens assujettis à la fiducie réputée et, partant, quant aux actifs qui ont quitté le patrimoine du constituant pour entrer dans celui de la fiducie. Bien que le par. 227(4.1) dispose que les biens soient réputés détenus « séparés des propres biens de la personne » et « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne », cela ne suffit pas pour constituer un patrimoine autonome tel que celui envisagé par le régime civiliste de fiducie. Il découle du caractère autonome du patrimoine fiduciaire que les actifs détenus en fiducie doivent être des biens sur lesquels ni le constituant, ni le fiduciaire, ni le bénéficiaire n’a de droit de propriété. Cela va toutefois à l’encontre de l’intérêt créé en vertu du par. 227(4.1), parce que rien dans cette disposition ne prive la personne dont les actifs sont sujets à une fiducie réputée de droits de propriété sur ces actifs. Par conséquent, on ne retrouve pas l’élément principal d’une fiducie civiliste dans la fiducie réputée créée en application du par. 227(4.1) : il n’existe aucun patrimoine autonome auquel sont transférés des biens précis.
[45] En outre, selon le par. 227(4.1), la personne dont les actifs sont assujettis à la fiducie réputée agirait comme fiduciaire. Là encore, cela ne cadre pas avec la définition d’un fiduciaire en droit civil. La personne dont les actifs sont assujettis à une fiducie réputée en application du par. 227(4.1) ne « s’oblige [pas], par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer » le patrimoine fiduciaire (art. 1260 C.c.Q.). Mais plus important encore, le fait que les actifs assujettis à la fiducie réputée sont indéterminés empêche carrément le fiduciaire de jouer son rôle. Aux termes du C.c.Q., celui‑ci « a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire » et « exerce tous les droits afférents au patrimoine et peut prendre toute mesure propre à en assurer l’affectation » (art. 1278). Ainsi, le fiduciaire visé au par. 227(4.1) serait tenu d’administrer ses propres biens — ou à tout le moins une partie indéterminée de ceux‑ci — dans l’intérêt de Sa Majesté (art. 1306 C.c.Q.). Le fiduciaire serait assujetti à des obligations impossibles à remplir, comme celle de ne pas confondre les biens administrés avec ses propres biens (art. 1313 C.c.Q.). De toute évidence, une personne ne saurait agir en tant qu’administrateur des biens d’autrui à l’égard de ses propres biens. Il est donc clair que l’intérêt créé en vertu du par. 227(4.1) n’a pas grand‑chose, sinon rien, en commun avec la fiducie en droit civil.
[46] En common law, une fiducie est constituée lorsque la propriété en common law et la propriété bénéficiaire d’un bien en particulier sont dissociées (voir Valard Construction Ltd. c. Bird Construction Co., 2018 CSC 8, [2018] 1 R.C.S. 224, par. 18). « Étant donné que la fiducie divise le titre de propriété en common law et le titre bénéficiaire sur un bien entre un fiduciaire et un bénéficiaire, respectivement, la caractéristique [traduction] “distinctive” d’une fiducie réside dans la relation fiduciaire qui existe entre le fiduciaire et le bénéficiaire et suivant laquelle le premier doit détenir les biens en fiducie uniquement pour que le second puisse en jouir » (par. 17 (note en bas de page omise)). Ainsi que le juge Rothstein l’a écrit, du fait de cette relation fiduciaire, « [l]e propriétaire bénéficiaire d’un bien est [traduction] “le véritable propriétaire du bien même si ce dernier n’est pas à son nom” » (Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17, [2007] 1 R.C.S. 795, par. 4, citant Csak c. Aumon (1990), 1990 CanLII 8070 (ON SC), 69 D.L.R. (4th) 567 (H.C.J. Ont.), p. 570).
[47] Bien que les droits précis conférés au propriétaire bénéficiaire puissent varier selon les modalités de la fiducie et les principes d’equity, je suis d’accord avec la Couronne pour dire que, lorsque la propriété bénéficiaire existe, il n’est généralement pas indiqué que le juge surveillant grève d’une charge super prioritaire les biens faisant l’objet de l’intérêt, encore que le vaste pouvoir conféré au tribunal par l’art. 11 de la LACC lui permettrait de le faire. On ne peut pas dire que les biens détenus en fiducie appartiennent au fiduciaire parce qu’« en equity, ils appartiennent à une autre personne » (Henfrey, p. 31). Toutefois, un examen attentif de la nature de l’intérêt créé par le par. 227(4.1) de la LIR révèle que ce dernier ne crée pas de propriété bénéficiaire parce que [traduction] « [l]’employeur n’est pas réellement tenu de détenir l’argent séparément, les obligations fiduciaires habituelles d’un fiduciaire sont absentes et la fiducie n’est associée à aucun bien spécifique. Le droit de retraçage s’en trouve lui aussi vicié » (R. J. Wood et R. T. G. Reeson, « The Continuing Saga of the Statutory Deemed Trust : Royal Bank v. Tuxedo Transportation Ltd. » (2000), 15 B.F.L.R. 515, p. 532). En d’autres termes, on ne retrouve pas les caractéristiques essentielles qui permettent en common law de qualifier la propriété bénéficiaire d’intérêt à titre de propriétaire.
[48] Selon la conception que l’on se fait de la fiducie en common law, le propriétaire en common law ou le fiduciaire a une obligation fiduciaire envers le propriétaire en equity ou envers le propriétaire bénéficiaire. La relation fiduciaire attribue à la charge de fiduciaire trois devoirs fondamentaux : le fiduciaire doit agir honnêtement et de façon habile et prudente; le fiduciaire ne peut déléguer sa charge à autrui et le fiduciaire ne peut tirer un avantage personnel des opérations qu’il mène à l’égard des biens de la fiducie ou de ses rapports avec ses bénéficiaires (voir Valard, par. 17). Cela limite considérablement la marge de manœuvre du fiduciaire à l’égard des biens visés par la fiducie et crée une relation très différente de celle qui existe entre un débiteur et un créancier. Par exemple, si un débiteur peut chercher à réduire sa dette ou à trouver un compromis, un fiduciaire doit toujours agir dans l’intérêt supérieur du bénéficiaire et ne peut tenir compte de ses propres intérêts. De même, alors que le débiteur est redevable envers le créancier tant qu’il n’a pas remboursé sa dette, le fiduciaire n’est pas redevable envers le propriétaire bénéficiaire en cas de perte des biens, à moins que cette perte ne soit attribuable à l’inobservation de la norme de diligence à laquelle il était tenu (voir E. E. Gillese, The Law of Trusts (3e éd. 2014), p. 14). Dans le cas de la fiducie réputée, cependant, le législateur n’a pas créé une telle relation fiduciaire. Il a expressément envisagé un compromis potentiel entre Sa Majesté et le débiteur au par. 6(3) de la LACC. En outre, le libellé de la LIR n’oblige pas le débiteur à scinder effectivement les biens assujettis à la fiducie réputée et à les utiliser uniquement au profit de Sa Majesté. En fait, Sa Majesté ne bénéficie pas de l’intérêt qu’elle possède dans le bien tant que celui‑ci est détenu par le débiteur. Le législateur a plutôt envisagé que le débiteur continuerait à utiliser et à aliéner les biens assujettis à la fiducie à ses propres fins commerciales (voir First Vancouver, par. 42‑46).
[49] Une autre caractéristique essentielle de la propriété bénéficiaire est la certitude quant aux biens assujettis à la fiducie (voir Gillese, p. 39). Bon nombre de fiducies réputées ne satisfont pas au critère de la certitude quant à l’objet. Par exemple, dans l’affaire Henfrey, la Cour examinait une fiducie réputée créée en vertu de la Social Service Tax Act, R.S.B.C. 1979, c. 388, de la Colombie‑Britannique. À l’instar du par. 227(4.1) de la LIR, la Social Service Tax Act prévoyait que l’impôt perçu, mais non versé, était réputé détenu en fiducie pour Sa Majesté. Elle prévoyait également que les montants non versés étaient réputés détenus séparément et ne pas faire partie du patrimoine ou des biens du percepteur d’impôt. Bien que la juge McLachlin ait conclu que le bien en fiducie était identifiable au moment de la perception de la taxe, elle a souligné que « [l]a difficulté que présente l’espèce, qui est la même que dans la plupart des autres cas, vient de ce que le bien en fiducie cesse bientôt d’être identifiable. Le montant de la taxe est confondu avec d’autres sommes » (p. 34). Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas de fiducie selon les principes généraux de l’equity. La tentative de la législature de résoudre ce problème en déclarant que ce montant serait réputé détenu séparément du patrimoine du débiteur fiscal n’était qu’une reconnaissance tacite du fait qu’« en réalité, après l’affectation de la somme, la fiducie légale ressemble peu à une fiducie véritable. Il n’y a pas de bien qu’on puisse considérer comme sujet à la fiducie » (p. 34).
[50] Dans l’affaire First Vancouver, notre Cour s’est penchée sur la nature de l’intérêt créé par le par. 227(4.1) de la LIR. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a conclu que cette disposition crée une charge « s’apparentant, sur le plan des principes, à une charge flottante grevant, jusqu’à concurrence du montant en souffrance, l’ensemble des éléments d’actif du débiteur fiscal » (par. 40). Il a conclu que le législateur souhaitait expressément créer une charge qui se caractériserait par une certaine fluidité et qui grèverait d’emblée la totalité des biens du débiteur plutôt qu’un bien en particulier (par. 33). L’intention du législateur était de viser tout bien se retrouvant en la possession du débiteur fiscal tout en permettant à ce dernier de se départir de tout bien et d’assujettir à la fiducie réputée le produit de la disposition de ce bien (par. 5).
[51] Cette incertitude quant à l’objet de la fiducie est encore plus frappante en l’espèce que dans l’affaire Henfrey ou dans l’affaire Sparrow Electric, où il y avait certitude quant aux biens jusqu’au moment où ils avaient été confondus avec d’autres biens. Le paragraphe 227(4.1) a vocation de faire entrer dans son champ d’application tous les biens appartenant au débiteur. Malgré le libellé de la disposition, cet intérêt — qui participe de la nature d’une « charge flottante » — n’est associé à aucun bien spécifique. Sans certitude quant à l’objet, l’equity ne peut savoir sur quels biens porte l’obligation fiduciaire du débiteur stipulée au profit du bénéficiaire, de sorte qu’on [traduction] « ne peut tout simplement pas justifier l’idée d’une fiducie qui n’est associée à aucun bien précis » (Wood et Reeson, p. 532‑533 (note en bas de page omise); voir aussi Sparrow Electric, par. 31).
[52] La décision du législateur de dispenser de l’obligation de démontrer la certitude quant à l’objet est une modification intentionnelle qu’il a apportée à la fiducie réputée à la suite de la décision rendue par notre Cour dans Dauphin Plains Credit Union Ltd. c. Xyloid Industries Ltd., 1980 CanLII 186 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 1182. Dans l’arrêt Dauphin Plains, la Cour a refusé de rendre exécutoire la réclamation de Sa Majesté parce que la Couronne n’avait pas établi que les sommes censées être retenues existaient bel et bien ou qu’elles avaient été conservées de façon à pouvoir être retracées (p. 1197). La possibilité de retracer l’origine des biens est un autre aspect essentiel de l’intérêt bénéficiaire puisqu’elle permet au propriétaire bénéficiaire de profiter des avantages de la propriété, comme les revenus tirés du bien. Elle garantit également que le propriétaire bénéficiaire est responsable des coûts de la propriété. En décidant de n’associer la créance de Sa Majesté à aucun bien en particulier, le législateur a protégé Sa Majesté des risques que comporte la propriété d’un bien, y compris l’endommagement, la dépréciation et la perte. Je suis d’accord avec le juge Gonthier, qui (même s’il était dissident), déclarait au sujet du prédécesseur du par. 227(4.1) : « . . . ce paragraphe est à l’opposé du sens traditionnel du mot “retracer”, dans la mesure où il ne nécessite aucun lien entre l’objet de la fiducie et le fonds ou l’actif auquel on rattache cet objet » (Sparrow Electric, par. 37). Mais, si le législateur avait voulu conférer un intérêt de propriété bénéficiaire à Sa Majesté, il lui aurait fallu aussi faire supporter à cette dernière les risques qui y sont associés.
[53] Pour la même raison que dans l’affaire Henfrey, l’énoncé selon lequel des biens sont réputés soustraits au patrimoine du débiteur est tout aussi inefficace pour empêcher un juge de grever les biens du débiteur de charges super prioritaires. Puisque la fiducie réputée n’est associée à aucun bien spécifique, et que le débiteur reste libre d’aliéner n’importe lequel de ses biens, aucun bien n’est soustrait en fait de son patrimoine.
[54] Cette interprétation est appuyée par l’existence du par. 227(4.2) de la LIR, qui prévoit expressément que d’autres intérêts prennent rang devant la fiducie réputée (ce qui serait impossible s’il existait un intérêt à titre de propriétaire). Il dispose que « [p]our l’application des paragraphes (4) et (4.1), n’est pas une garantie celle qui est visée par règlement ». Dans le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945, par. 2201(1), le gouverneur en conseil a défini comme suit la garantie visée par règlement : « . . . hypothèque garantissant l’exécution d’une obligation de la personne qui grève un fonds de terre ou un bâtiment, à condition que l’hypothèque soit enregistrée [. . .] avant le moment où la personne est réputée détenir le montant en fiducie ». Par conséquent, dans certaines situations, les créanciers hypothécaires ont priorité sur Sa Majesté.
[55] Je répète qu’il ne peut y avoir de fiducie si aucun bien précis n’y est associé. Le fait que le par. 227(4.1) prévoit expressément que la nature des biens change avec le temps, et ce, indépendamment des biens que le débiteur choisit de soustraire à la fiducie réputée, démontre que le législateur avait autre chose en tête que la propriété bénéficiaire au sens où l’entend la common law. Je suis portée à souscrire à l’avis du juge Noël sur le par. 227(4.1) : « Le mécanisme de la fiducie réputée, qu’il soit appliqué au Québec ou ailleurs, a comme effet de créer en faveur de la Couronne une garantie . . . » (Caisse populaire d’Amos, par. 46).
[56] D’autres universitaires sont d’accord pour dire que le par. 227(4.1) [traduction] « garantit simplement le paiement ou l’exécution d’une obligation » (R. J. Wood, « Irresistible Force Meets Immovable Object : Canada v. Canada North Group Inc. » (2020), 63 Rev. can. dr. comm. 85, p. 95; voir aussi A. Duggan et J. Ziegel, « Justice Iacobucci and the Canadian Law of Deemed Trusts and Chattel Security » (2007), 57 U.T.L.J. 227, p. 245‑246). Wood et Reeson en arrivent à la conclusion particulièrement accablante que [traduction] « [l]a loi utilise le concept de fiducie, mais à presque tous les égards, les caractéristiques de la fiducie sont absentes », de sorte que « le recours à des concepts juridiques inadaptés » a mené à la création d’une « disposition législative profondément déficiente » (p. 531‑532). Ils [traduction] « soupçonne[nt] que l’intention des rédacteurs était que Revenu Canada se voit conférer une charge grevant l’ensemble du patrimoine du débiteur », et ajoutent que « la fiducie réputée créée par la loi n’est rien de plus qu’un mécanisme législatif visant à créer une garantie non consensuelle grevant les biens de l’employeur » (p. 533).
[57] Néanmoins, pour nos besoins, il n’est pas nécessaire de trancher de façon définitive la question de savoir si l’intérêt créé par le par. 227(4.1) doit être qualifié de garantie. Ce qui est clair, en revanche, c’est que le par. 227(4.1) ne crée pas un droit de bénéficiaire qui peut être considéré comme un intérêt à titre de propriétaire. À l’instar de la fiducie réputée dont il était question dans l’affaire Henfrey, le par. 227(4.1) « ne confère pas [à la Couronne] le même droit de propriété qu’une fiducie de common law » (p. 35-36). N’étant associé à aucun bien précis, ce qui conférerait à son titulaire le droit habituel à la jouissance du bien ou imposerait les obligations d’un fiduciaire, l’intérêt créé par le par. 227(4.1) ne possède pas les attributs qui permettent à un tribunal de qualifier le bénéficiaire de propriétaire bénéficiaire. Par conséquent, je n’accepte pas l’argument de la Couronne selon lequel Sa Majesté a un intérêt à titre de propriétaire dans les biens du débiteur qui suffit à empêcher le juge surveillant d’ordonner des charges super prioritaires en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 11 de la LACC ou l’un ou l’autre des articles qui le suivent.
(2) Le paragraphe 227(4.1) de la LIR crée‑t‑il une super priorité qui entre en conflit avec une charge super prioritaire d’origine judiciaire?
[58] La Couronne s’appuie également sur la partie du par. 227(4.1) suivant laquelle le receveur général reçoit le produit découlant des biens du débiteur « par priorité sur une telle garantie », au sens du par. 224(1.3). De l’avis de la Couronne, les charges super prioritaires ordonnées par le tribunal en vertu de l’art. 11 de la LACC ou de l’un ou l’autre des articles qui le suivent sont des garanties au sens du par. 224(1.3) et, partant, l’intérêt de Sa Majesté a priorité sur elles.
[59] Mes collègues les juges Brown et Rowe invoquent l’historique législatif du par. 227(4.1) comme preuve que le législateur voulait que la fiducie réputée de Sa Majesté ait une « priorité absolue » sur toutes les autres garanties (par. 201). Ils s’appuient en particulier sur le commentaire du juge Iacobucci dans l’arrêt Sparrow Electric selon lequel « il est loisible au législateur d’intervenir et d’accorder la priorité absolue à la fiducie réputée » en employant les mots « doi[vent] être payée[s] au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de ce[s] somme[s] » (motifs des juges Brown et Rowe, par. 202, citant Sparrow Electric, par. 112). Ils s’appuient également sur le communiqué de presse accompagnant les modifications qui indiquait que la fiducie réputée devait avoir priorité absolue.
[60] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. L’affaire Sparrow Electric portait sur un type d’intérêt très différent de celui dont nous avons à traiter aujourd’hui. Dans l’arrêt Sparrow Electric, notre Cour a jugé qu’une charge fixe et spécifique grevant les stocks du débiteur fiscal avait priorité sur la fiducie réputée que la LIR constitue en faveur de Sa Majesté. Les modifications cherchaient donc à « préciser que les fiducies [réputées] relatives aux retenues à la source non versées et à la TPS impayée s’appliquent indépendamment du fait que d’autres garanties aient été consenties à l’égard des stocks ou des comptes clients d’une entreprise » (Ministère des Finances du Canada, Retenues à la source non versées et TPS impayée (7 avril 1997), p. 2). Si le législateur avait voulu que la fiducie réputée ait priorité absolue, il n’aurait pas adopté simultanément le par. 227(4.2). Comme je l’ai mentionné plus haut, le par. 227(4.2) prévoit que « n’est pas une garantie celle qui est visée par règlement », et il envisage donc expressément que la fiducie réputée ne bénéficie pas d’une priorité absolue. À mon avis, en utilisant les mots « par priorité sur une telle garantie » au par. 227(4.1), le législateur voulait que la priorité soit absolue non pas sur toutes les garanties possibles, mais seulement sur les garanties au sens où on l’entend au par. 224(1.3). Il faut donc déterminer si une charge super prioritaire ordonnée par le tribunal en vertu de la LACC répond à cette définition.
[61] Voici la version anglaise du par. 224(1.3) :
security interest means any interest in, or for civil law any right in, property that secures payment or performance of an obligation and includes an interest, or for civil law a right, created by or arising out of a debenture, mortgage, hypothec, lien, pledge, charge, deemed or actual trust, assignment or encumbrance of any kind whatever, however or whenever arising, created, deemed to arise or otherwise provided for . . .
[62] Cette définition est large. Il ressort toutefois de la liste d’exemples de garanties qu’une charge super prioritaire créée en vertu de la LACC n’y répond pas. Les charges super prioritaires d’origine judiciaire sont radicalement différentes de n’importe quel des intérêts énumérés. Ces charges super prioritaires sont constituées non pas au seul bénéfice de leur détenteur, mais pour faciliter la restructuration dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. Elles bénéficient ainsi à l’ensemble des créanciers. Le fait que le législateur a choisi de dresser une liste d’exemples de nature tellement différente d’une charge super prioritaire démontre qu’il avait sûrement à l’esprit une garantie fort différente au moment où il a rédigé le par. 224(1.3). Je suis tout à fait d’accord avec le professeur Wood au sujet du nombre limité de garanties qu’avait en tête le législateur :
[traduction] [Les charges super prioritaires d’origine judiciaire] sont d’une nature radicalement différente de celle des garanties résultant de l’accord intervenu entre les parties ou des garanties non consensuelles découlant de l’application de la loi. Elles se distinguent des garanties consensuelles et non consensuelles classiques en ce qu’elles sont intimement liées aux procédures d’insolvabilité qui se déroulent au profit de l’ensemble des créanciers. Étant donné le caractère radicalement différent des charges d’origine judiciaire, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elles soient expressément mentionnées dans la définition de « garantie » qui figure dans la LIR si elles devaient en faire partie. [Je souligne; p. 98.]
[63] Mes collègues les juges Brown et Rowe soutiennent que l’interprétation exposée ci‑dessus du par. 224(1.3) va à l’encontre de l’arrêt Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond de notre Cour, où le juge Rothstein a écrit que les exemples donnés « n’[ont] pas pour effet de limiter la portée générale de l’expression “[d]roit sur un bien” » (par. 15; voir aussi par. 14). Avec égards, je ne suis pas d’accord avec mes collègues. Comme l’a expliqué le juge Rothstein au par. 40, il a fait ses commentaires en réponse à l’argument selon lequel la liste des exemples de garanties était exhaustive. Je conviens avec lui que la liste des exemples fournis ne l’était pas. Cependant, les exemples illustrent toujours les types de garantie qu’avait à l’esprit le législateur et celles‑ci sont clairement unies par une catégorie ou un thème commun parce que, dans la version anglaise du texte de loi, le législateur a structuré sa définition autour des termes « means [. . .] and includes » : « security interest means any interest in, or for civil law any right in, property that secures payment or performance of an obligation and includes . . . » À mon avis, cette formulation témoigne de l’intention du législateur de restreindre la portée de l’énumération, si bien que seuls les instruments énumérés ou les instruments de nature similaire répondent à la définition. La différence essentielle entre les garanties énumérées et les charges super prioritaires constituées en vertu de l’art. 11 de la LACC ou de l’un ou l’autre des articles qui le suivent explique à la fois leur exclusion de la liste des instruments spécifiques et le fait qu’elles ne sauraient être visées par la définition plus large du terme « charge » à la fin de cette liste. La règle ejusdem generis appuie cette position en limitant la portée générale des derniers termes sur la base de l’énumération des exemples précis qui les précède (Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, 1990 CanLII 92 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1029, p. 1040). Tous les autres instruments sont le résultat d’un accord ou de l’application de la loi. Par conséquent, les charges super prioritaires ordonnées par un tribunal en vertu de l’art. 11 ou de l’un ou l’autre des articles qui le suivent sont d’un type différent de toutes les garanties figurant dans l’énumération.
[64] Recourir à la liste d’exemples précis pour établir l’intention du législateur en l’espèce s’accorde aussi avec la présomption d’absence de tautologie. Dans l’arrêt McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 R.C.S. 846, la juge en chef McLachlin définit ainsi cette présomption :
Le législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain : Sullivan, p. 158. Partant, [traduction] « [c]haque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur » (p. 158). Les tribunaux recourent souvent à ce principe pour résoudre une ambiguïté ou déterminer la portée d’un terme général.
(Par. 36, citant R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 158; voir aussi Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, par. 45.)
[65] On retrouve dans la LIR deux définitions du terme « garantie », au par. 224(1.3) et au par. 18(5). Pour les besoins du calcul des revenus des contribuables, le législateur a choisi de définir au par. 18(5) le mot « garantie » d’une manière presque identique qu’au par. 224(1.3), sans toutefois énumérer les dix mêmes instruments de garantie spécifiques : « garantie Est une garantie relative à un bien tout intérêt ou, pour l’application du droit civil, tout droit sur le bien qui garantit le paiement d’une obligation ». Selon la présomption d’absence de tautologie, il nous faut présumer que le législateur a inséré certains termes précis au par. 224(1.3) parce qu’ils « joue[nt] un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur » (Placer Dome, par. 45, citant R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 159). L’application de la présomption d’absence de tautologie démontre que le législateur voulait que l’on attribue une valeur interprétative aux exemples.
[66] Pour revenir à l’arrêt Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond, je conviens avec le juge Rothstein que la définition de « garantie » figurant au par. 224(1.3) de la LIR est large de sorte qu’elle « n’exige pas que l’entente entre le créancier et le débiteur revête une forme particulière » (par. 15). Mais si large soit‑elle, elle contient à mon sens une limite importante. La définition est axée sur les intérêts créés par accord consensuel ou par application de la loi, et ces types d’intérêts visent habituellement à protéger les droits d’un seul créancier, en général au détriment des autres créanciers. Dans cette affaire, la Cour se demandait si un droit de compensation accordé à un seul créancier au moyen d’une convention intervenue entre ce créancier et la débitrice était une garantie au sens du par. 224(1.3). La situation en cause dans cette affaire était tout à fait différente de celle en l’espèce. En effet, dans la présente affaire, l’intérêt des participants à la restructuration est créé par ordonnance judiciaire, et non par accord ou par application de la loi. Comme je l’ai dit précédemment, lorsqu’un juge ordonne une charge super prioritaire dans une procédure intentée sous le régime de la LACC, il s’agit d’un type d’intérêt très différent, car le processus de restructuration prévu par cette loi bénéficie à tous les créanciers, et non à un seul en particulier.
[67] Enfin, si le législateur avait voulu inclure les charges super prioritaires d’origine judiciaire dans la définition de « garantie », il l’aurait dit expressément. Il faut tenir pour acquis que le législateur a légiféré en tenant compte de l’application de la LACC. Pour citer la professeure Sullivan, [traduction] « [l]e législateur est présumé connaître ses propres lois et rédiger chaque nouvelle disposition en tenant compte des structures, des conventions et des formules d’expression, de même que du droit substantif exprimé dans la législation existante » (Sullivan (2014), p. 422 (note en bas de page omise)). Puisque, dans l’arrêt Indalex, notre Cour a déjà statué que l’octroi d’une charge super prioritaire « constitue un élément clé de la capacité du débiteur de tenter de conclure un arrangement », on s’attendrait à ce que le législateur utilise des termes plus clairs dans les cas où une telle définition pourrait compromettre l’application d’une autre de ses propres lois. Je suis donc en total désaccord avec mes collègues les juges Brown et Rowe quand ils affirment que « rien dans la définition de “garantie” qui figure dans la LIR ne permet d’exclure une garantie conçue pour fonctionner au profit de tous les créanciers » (par. 210). Au contraire, tout tend à démontrer que les charges super prioritaires sont exclues de la définition de « garantie ».
[68] En conclusion, une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC n’est pas une garantie au sens du par. 224(1.3) de la LIR. Il n’y a donc pas de conflit entre le par. 227(4.1) de la LIR et l’ordonnance initiale rendue en l’espèce. Avec égards, je ne souscris pas à l’idée de mon collègue le juge Moldaver suivant laquelle il y a peut‑être un conflit entre l’art. 11 de la LACC et la LIR (par. 258). Les charges super prioritaires constituées aux termes de l’ordonnance initiale l’emportent sur la fiducie réputée.
C. Était‑il nécessaire que l’ordonnance initiale subordonne la réclamation de Sa Majesté protégée par une fiducie réputée en l’espèce?
[69] Enfin, je dois maintenant déterminer sur quelle disposition l’ordonnance initiale devrait reposer. Bien que l’ordonnance examinée dans l’arrêt Indalex était fondée sur la compétence du tribunal en equity, dans la plupart des cas, les ordonnances rendues dans le cadre des procédures engagées sous le régime de la LACC devraient être considérées comme découlant de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi (Century Services, par. 65‑66).
[70] Comme nous l’avons vu plus haut, le pouvoir du tribunal de surveillance d’ordonner des charges super prioritaires est fondé sur le vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 11 de la LACC, ainsi que sur les pouvoirs plus spécifiques que lui accordent les art. 11.2, 11.4, 11.51 et 11.52. Ces dispositions autorisent le tribunal à accorder certaines charges prioritaires qui prennent rang devant les créances de « tout créancier garanti ». Bien que j’aie déjà conclu que Sa Majesté ne possède pas d’intérêt à titre de propriétaire du fait de sa fiducie présumée, il est moins sûr que la Couronne soit un « créancier garanti » au sens de la LACC. Selon le professeur Wood, la fiducie présumée dont bénéficie Sa Majesté ne lui confère pas la qualité de « créancier garanti » au sens de la LACC. Les articles 37 à 39 de la LACC créent plutôt [traduction] « deux approches distinctes : l’une qui s’applique à la fiducie réputée, l’autre qui entre en jeu lorsque la loi reconnaît à la Couronne la qualité de “créancier garanti” » (p. 96). Par conséquent, le fait de faire passer une charge prioritaire devant la fiducie réputée déborderait le cadre des dispositions portant expressément sur les charges prioritaires. Je n’ai pas à trancher de façon définitive la question de savoir si Sa Majesté répond à la définition de « créancier garanti » au sens de la LACC du fait de sa fiducie. Je ferais plutôt reposer le pouvoir du tribunal de surveillance sur l’art. 11, qui « permet aux tribunaux de constituer des charges prioritaires qui ne sont pas expressément prévues par la LACC » (p. 98). Avec égards, je ne suis pas d’accord avec la suggestion de mes collègues les juges Brown et Rowe suivant laquelle le professeur Wood ou d’autres auteurs auraient laissé entendre que la portée de l’art. 11 est limitée par les dispositions spécifiques qui le suivent (par. 228). Au contraire, notre Cour a déclaré aux par. 68-70 de l’arrêt Century Services que la possibilité pour le tribunal de rendre des ordonnances plus spécifiques n’avait pas pour effet de restreindre le vaste pouvoir conféré par l’art. 11.
[71] Mes collègues les juges Brown et Rowe affirment également que « les charges super prioritaires ne peuvent pas prendre rang devant la réclamation de la Couronne au titre de la fiducie réputée puisqu’elles peuvent se rattacher uniquement aux biens de la compagnie débitrice » (par. 223 (en italiques dans l’original)). Avec égards, cet argument ne peut être retenu, car, bien que les art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC renferment cette restriction, aucune restriction de ce genre ne figure à l’art. 11. Tel que l’a reconnu le juge Lalonde, « [e]n exerçant l’autorité conférée par la LACC, incluant les pouvoirs inhérents, les tribunaux n’ont pas hésité à faire usage de cette compétence pour intervenir dans les rapports contractuels entre une débitrice et ses créanciers, voire à rendre des ordonnances ayant pour effet d’affecter les droits de tiers » (Triton Électronique, par. 31). Il peut exister des circonstances dans lesquelles il convient pour le tribunal de grever de charges des biens qui n’appartiennent pas au débiteur si, par exemple, cette fiducie réputée équivalait à un intérêt à titre de propriétaire. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce, car les biens visés par la fiducie réputée de Sa Majesté demeurent la propriété du débiteur, étant donné que la fiducie réputée ne crée pas d’intérêt à titre de propriétaire. Le recours de mes collègues au par. 37(2) de la LACC est également mal fondé. Comme je l’ai déjà expliqué, le par. 37(2) préserve simplement le statu quo. Il ne modifie pas l’intérêt de Sa Majesté. Il ne fait que le maintenir et le soustraire à l’application du par. 37(1), qui ramènerait sinon l’intérêt de la Couronne à celui d’un simple créancier chirographaire.
[72] Cela dit, les tribunaux devraient tout de même reconnaître le caractère distinct de l’intérêt de Sa Majesté et n’accorder une charge ayant priorité sur la fiducie réputée que dans les cas où c’est nécessaire. Lorsqu’il s’agit de constituer une charge super prioritaire, le juge surveillant doit toujours se demander si cette mesure favorisera la réalisation des objectifs de la LACC. Lorsqu’il est possible qu’une créance de Sa Majesté soit protégée par une fiducie réputée, le juge doit également se demander s’il est nécessaire d’accorder une super priorité. Le dossier dont nous disposons ne nous permet pas de connaître les motifs à l’appui de l’ordonnance initiale et il est donc difficile de répondre à la question en l’espèce. Puisque Sa Majesté a été payée et que l’affaire est en fait devenue théorique, il n’est pas essentiel de nous prononcer sur la question de savoir si le juge surveillant croyait qu’il était nécessaire de subordonner la créance de Sa Majesté à des charges super prioritaires. Si l’on se reporte aux motifs exposés par la juge Topolniski pour rejeter la requête présentée par la Couronne en vue de faire modifier l’ordonnance initiale, il est évident qu’elle aurait conclu que les charges super prioritaires méritaient d’avoir priorité sur l’intérêt de Sa Majesté (par. 100‑104). Je tiens toutefois à dire quelques mots au sujet des cas où il peut s’avérer nécessaire pour le juge surveillant de subordonner l’intérêt de Sa Majesté à des charges super prioritaires.
[73] Il peut s’avérer nécessaire de subordonner la fiducie réputée de Sa Majesté à d’autres charges lorsque le juge surveillant estime que, sans la charge super prioritaire, un professionnel ou un prêteur donné refuserait de s’engager, ce qui peut se produire assez souvent. Par contre, je suis d’accord avec le professeur Wood pour dire que, même si la subordination des charges super prioritaires à la créance de Sa Majesté aura souvent pour effet d’augmenter les coûts et la complexité de la restructuration, il existe des situations où ce ne sera pas le cas. Par exemple, lorsque la créance de Sa Majesté est peu élevée ou qu’elle est connue avec une grande certitude, les entités commerciales pourront gérer leurs risques et n’auront pas besoin d’une super priorité. Après tout, il existe un ordre de collocation même parmi les charges super prioritaires et il est donc évident que ces créanciers sont disposés à ce que leurs créances soient assujetties à certains plafonds fixes. Un autre exemple où des considérations différentes peuvent entrer en jeu est celui de la procédure dite de liquidation prévue par la LACC. Ainsi que notre Cour l’a récemment reconnu, les procédures prévues par la LACC dont l’objectif fondamental est la liquidation — et non de porter secours à une entreprise en exploitation — occupent une place légitime au sein du régime de la LACC et ont été acceptées par le législateur par l’adoption de l’art. 36 (Callidus Capital, par. 42‑45). Les procédures de liquidation prévues par la LACC visent souvent à maximiser le rendement au profit des créanciers, de sorte que la subordination de l’intérêt de Sa Majesté s’en trouve moins justifiée, hormis les cas de présumé enrichissement sans cause.
VI. Dispositif
[74] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens devant notre Cour, selon le tarif des honoraires et débours fixé à l’annexe B des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156.
Version française des motifs des juges Karakatsanis et Martin rendus par
La juge Karakatsanis —
I. Aperçu
[75] Lorsqu’une compagnie cherche à restructurer ses affaires afin d’éviter la faillite, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36 (LACC), permet au tribunal d’ordonner des charges en faveur des parties qui sont nécessaires au processus de restructuration : les prêteurs qui fournissent un financement temporaire, le contrôleur qui administre la restructuration de la compagnie, et les dirigeants et administrateurs qui gèrent la compagnie en déroute (entre autres). Ces charges, souvent appelées « charges super prioritaires », visent à encourager les investissements dans la compagnie alors qu’elle procède à sa restructuration. La restructuration d’une compagnie — une solution de rechange aux effets dévastateurs d’une faillite — sert l’intérêt public puisqu’elle profite aux créanciers, aux employés et à la santé de l’économie en général.
[76] En l’espèce, le juge chargé d’appliquer la LACC a grevé le patrimoine de Canada North Group et de six compagnies apparentées (compagnies débitrices) de charges super prioritaires en faveur d’un prêteur temporaire, du contrôleur et des administrateurs. Toutefois, les biens de deux des compagnies débitrices étaient aussi assujettis à une fiducie réputée créée en faveur de la Couronne, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »), à cause du non‑versement de retenues à la source (impôt sur le revenu des employés, cotisations au Régime de pensions du Canada et cotisations d’assurance‑emploi). Bien que le présent pourvoi soit théorique du fait que les actifs sont suffisants pour couvrir à la fois la réclamation de la Couronne au titre de la fiducie réputée et les charges super prioritaires, notre Cour est appelée à déterminer ce qui est prioritaire dans la restructuration : les charges super prioritaires établies sous le régime de la LACC ou la fiducie réputée établie sous le régime de la LIR.
[77] Le paragraphe 227(4.1) de la LIR prévoit que, lorsqu’un employeur omet de verser des retenues à la source à la Couronne, une fiducie réputée s’attache aux biens de l’employeur jusqu’à concurrence de la valeur des retenues à la source non versées. La fiducie réputée fonctionnee « malgré toute autre garantie sur ces biens » et « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral ». Aux termes des art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC, un tribunal peut, par ordonnance, déclarer que les biens d’une compagnie sont grevés de charges super prioritaires en faveur de prêteurs temporaires, de dirigeants et d’administrateurs, et d’administrateurs de patrimoine. Les charges super prioritaires peuvent avoir priorité sur toute autre réclamation garantie. Prises individuellement, ces dispositions semblent accorder une super priorité à différentes parties en cas d’insolvabilité. Cette question d’interprétation législative a été décrite comme le choc entre une force irrésistible et un objet inamovible (R. J. Wood, « Irresistible Force Meets Immovable Object : Canada v. Canada North Group Inc. » (2020), 63 Rev. can. dr. comm. 85).
[78] L’appelante, la Couronne, soutient que le par. 227(4.1) de la LIR lui confère un droit propriétal puisque, par le mécanisme d’une fiducie réputée, il accorde à la Couronne un droit de bénéficiaire sur le montant des retenues à la source non versées. Autrement dit, ce montant est la propriété de la Couronne, et un juge chargé d’appliquer la LACC ne peut donc pas grever ce montant d’une charge; il devrait être soustrait du patrimoine et il ne peut jouer aucun rôle dans le processus de restructuration.
[79] En revanche, les intimées affirment que le par. 227(4.1) confère à la Couronne une garantie nettement visée par les art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC. Elles ajoutent qu’il n’existe aucun conflit entre les dispositions en cause parce que les politiques qui sous‑tendent les deux lois peuvent être harmonisées en faveur de l’application des dispositions de la LACC.
[80] Pour les raisons exposées ci‑dessous, je conclus qu’il n’existe aucun conflit entre les dispositions de la LIR et celles de la LACC. Le « droit de bénéficiaire » prévu au par. 227(4.1) de la LIR doit être interprété dans le contexte législatif précis où il se manifeste. En l’espèce, le droit de la Couronne sur des retenues à la source non versées dans le cadre d’une restructuration sous le régime de la LACC est protégé par l’exigence qu’un plan de transaction prévoie le paiement intégral à la Couronne. Puisque je ne conclus pas que l’intérêt de la Couronne entre dans la définition applicable de « créancier garanti » contenue dans la LACC, il ne relève pas du pouvoir du tribunal d’ordonner des charges super prioritaires en vertu des art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC. Cependant, je suis d’avis que le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 11 de la LACC permet au tribunal de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. Cette conclusion harmonise les objectifs des deux lois fédérales. Je rejetterais le pourvoi.
II. Faits
[81] En juillet 2017, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu une ordonnance accordant aux compagnies débitrices la protection de la LACC (B.R. Alb., no 1703‑12327, 5 juillet 2017 (ordonnance initiale)). L’ordonnance initiale établissait les charges super prioritaires selon l’ordre de priorité suivant : (1) une charge administrative de 500 000 $ en faveur du contrôleur nommé par le tribunal, Ernst & Young Inc.; (2) une charge de 1 000 000 $ en faveur du prêteur temporaire, la Banque de développement du Canada (BDC); (3) une charge de 150 000 $ en faveur des administrateurs (collectivement, les charges super prioritaires). La charge en faveur du prêteur temporaire a par la suite été portée à 3 500 000 $ et la charge administrative, à 950 000 $.
[82] Le paragraphe 44 de l’ordonnance initiale indiquait que les charges super prioritaires prenaient rang devant les réclamations des créanciers garantis :
[traduction] Chacune des charges relatives à l’administration, aux administrateurs et au prêteur temporaire [. . . ] grèvent les biens et, sous réserve du paragraphe 34(11) de la LACC, toutes ces charges ont priorité sur tous les autres privilèges, garanties, fiducies, charges et sûretés, créances de créanciers garantis, d’origine législative ou autre [. . . ] détenus par quiconque.
[83] Le paragraphe 46 de l’ordonnance initiale indiquait que les charges super prioritaires [traduction] « ne sont pas autrement limitées ou compromises de quelque façon que ce soit par [. . .] (d) les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale ».
[84] Au moment où a été rendue l’ordonnance initiale, deux des compagnies débitrices avaient omis de verser les retenues à la source et devaient à la Couronne 685 542,93 $. La Couronne a présenté une demande visant à faire modifier les charges super prioritaires établies dans l’ordonnance initiale au motif que les par. 44 et 46d) ne reconnaissaient pas l’intérêt accordé par la loi à la Couronne dans les retenues à la source non versées. La Couronne a soutenu que le par. 227(4.1) de la LIR, le par. 23(4) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, c. C‑8 (RPC), et le par. 86(2.1) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, c. 23 (LAE), exigent que les réclamations de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées prennent rang devant les réclamations de tout autre créancier d’un débiteur, malgré toute autre loi fédérale, y compris la LACC. Dans les présents motifs, je me reporterai uniquement au par. 227(4.1) de la LIR parce que les dispositions pertinentes de la LIR, du RPC et de la LAE sont identiques et que le RPC et la LAE renvoient à la LIR.
III. Décisions des juridictions inférieures
A. Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2017 ABQB 550, 60 Alta. L.R. (6th) 103 (la juge Topolniski)
[85] La juge de première instance a déclaré que les charges super prioritaires ordonnées par le tribunal en vertu des art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC ont priorité sur la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. En premier lieu, la juge a conclu que la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne en vertu du par. 227(4.1) de la LIR créait une garantie plutôt qu’un intérêt propriétal puisque la définition de « garantie » contenue dans la LIR comprend tout intérêt créé par une fiducie réputée ou véritable, et qu’il serait incohérent d’interpréter l’intérêt de la Couronne au titre du par. 227(4.1) à l’encontre de sa loi habilitante. Elle a également opiné que la fiducie réputée constituait une garantie en raison de l’absence de certitude quant à sa matière; elle ne constituait donc pas une fiducie véritable.
[86] En second lieu, la juge de première instance a conclu que le par. 227(4.1) de la LIR ainsi que les art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC ne sont pas incompatibles puisque tout conflit peut être évité par l’interprétation. Elle a expliqué que les objectifs de politique générale des deux lois doivent être respectés puisque ces dernières ont été édictées par le même gouvernement. D’une part, la perception des retenues à la source sont au cœur de la LIR. D’autre part, la LACC vise à favoriser la survie des entreprises. La juge de première instance a conclu que, si les tribunaux n’avaient pas la capacité d’ordonner des charges super prioritaires, les prêts temporaires [traduction] « disparaîtraient tout simplement », de même que « l’espoir de voir des résultats positifs découler de la LACC » (par. 102). Les objectifs des deux lois ne peuvent toutefois être atteints que si la priorité est accordée [traduction] « aux charges nécessaires à la restructuration », alors que la fiducie réputée prend rang devant toutes les autres réclamations garanties (par. 112).
B. Cour d’appel de l’Alberta, 2019 ABCA 314, 93 Alta. L.R. (6th) 29 (les juges Rowbotham et Schutz, le juge Wakeling, dissident)
[87] La Cour d’appel a rejeté, à la majorité, l’appel de la Couronne. Tout comme la juge de première instance, elle a jugé que la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne en vertu du par. 227(4.1) de la LIR créait une garantie plutôt qu’un intérêt propriétal. Elle a aussi convenu que la position de la Couronne ne conciliait pas les objectifs de la LIR et de la LACC. Enfin, compte tenu de l’importance du financement temporaire, elle a conclu que retenir la thèse de la Couronne pourrait entraîner des conséquences absurdes.
[88] Le juge Wakeling n’était pas de cet avis. Il a conclu que le par. 227(4.1) de la LIR contenait deux déclarations sans équivoque : premièrement, la Couronne a un droit de bénéficiaire sur les biens du débiteur jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées; deuxièmement, ce montant doit être payé à la Couronne malgré les garanties accordées à tout autre créancier garanti, y compris, selon lui, les titulaires d’une charge super prioritaire. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de concilier les objectifs de politique générale. À son avis, la disposition de dérogation du par. 227(4.1) était concluante puisque les dispositions pertinentes de la LACC ne contenaient pas le même libellé. Il n’était donc [traduction] « pas nécessaire d’aller au‑delà des contours du par. 227(4.1) pour déterminer la portée de la priorité inattaquable qu’il établit » (par. 135). Enfin, le juge Wakeling a souligné qu’il existait une corrélation parfaite entre l’objectif de la LIR et le sens ordinaire du par. 227(4.1).
IV. Observations des parties
A. L’appelante, la Couronne
[89] Les arguments présentés par la Couronne devant notre Cour font écho à l’opinion dissidente exprimée en Cour d’appel : le texte du par. 227(4.1) indique sans équivoque que les retenues à la source non versées deviennent la propriété de la Couronne. La Couronne soutient que le sens ordinaire du par. 227(4.1) s’aligne avec son objectif, qui est de protéger la plus grande source de revenus du gouvernement.
[90] La Couronne avance deux arguments principaux. Premièrement, elle affirme que l’intérêt de la Couronne au titre du par. 227(4.1) de la LIR est un intérêt propriétal plutôt qu’une garantie puisque, selon ce paragraphe, les retenues à la source non versées deviennent la propriété de la Couronne. Il n’est pas nécessaire de recourir à la « disposition de dérogation » du par. 227(4.1) puisque les dispositions de la LIR et de la LACC s’appliquent de façon harmonieuse; les charges super prioritaires ne peuvent se rattacher qu’aux biens d’une compagnie, et le par. 227(4.1) prévoit que la Couronne a un droit de bénéficiaire sur les retenues à la source non versées.
[91] Deuxièmement, la Couronne soutient à titre subsidiaire que même si son intérêt est une garantie, il prend rang devant les charges super prioritaires du fait qu’une charge super prioritaire visée par la LACC est une garantie au sens de la LIR et que le par. 227(4.1) prévoit expressément que la fiducie réputée prend rang devant toutes les autres garanties.
B. L’intimée la Banque de développement du Canada
[92] L’intimée BDC exhorte notre Cour à suivre l’approche adoptée par les tribunaux d’instance inférieure. Elle soutient que l’intérêt de la Couronne au titre de la fiducie réputée est une garantie puisque (1) la loi habilitante, la LIR, définit une fiducie réputée comme une garantie; (2) dans l’arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720, notre Cour a qualifié la fiducie réputée de « charge flottante », qui est une garantie; (3) la conclusion opposée, à savoir qu’il s’agit d’un intérêt propriétal, serait incompatible avec la réalité commerciale. Comme la définition de « créancier garanti » figurant dans la LACC englobe le détenteur d’une fiducie réputée, la LACC prévoit qu’une charge super prioritaire peut prendre rang devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne. Ainsi, les art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC prévoient qu’une charge super prioritaire peut prendre rang devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne.
C. L’intimée Ernst & Young, en sa qualité de contrôleur
[93] Tant la BDC qu’Ernst & Young (collectivement, les intimées) font valoir que la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne est une garantie et que l’on peut interpréter les lois de façon harmonieuse afin d’éviter un conflit. Le contrôleur soutient qu’une charge super prioritaire d’origine judiciaire n’est pas une garantie au sens du par. 227(4.1) de la LIR puisqu’elle n’est pas expressément mentionnée dans la définition de garantie contenue dans la LIR, et qu’à titre de loi fiscale, la LIR commande une méthode d’interprétation stricte et textuelle.
[94] De plus, le contrôleur souligne que la Couronne est un créancier unique puisqu’elle dispose d’un accès immédiat aux renseignements concernant les remises et qu’elle peut certifier et percevoir les montants dus immédiatement.
V. Question en litige
[95] La question qui fait l’objet du pourvoi est celle de savoir si les charges super prioritaires ordonnées par un tribunal en vertu de la LACC peuvent prendre rang devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées, laquelle fiducie est établie en application du par. 227(4.1) de la LIR et des dispositions connexes du RPC et de la LAE. Il ressort clairement du libellé du par. 227(4.1) de la LIR qu’en cas de conflit avec une disposition d’une autre loi, le par. 227(4.1) prévaut. En conséquence, le présent pourvoi porte sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, le régime de la LACC entre en conflit avec le par. 227(4.1) de la LIR. Pour répondre à cette question, je procéderai en quatre étapes :
1. Quel droit le par. 227(4.1) de la LIR confère‑t‑il à la Couronne relativement aux retenues à la source non versées?
2. De quelle façon la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées est‑elle traitée dans le régime d’insolvabilité du législateur?
3. Les articles 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC permettent‑ils au tribunal de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées?
4. Dans la négative, l’art. 11 de la LACC autorise‑t‑il le tribunal à faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées?
VI. Analyse
A. Quels droits le par. 227(4.1) de la LIR confère‑t‑il à la Couronne relativement aux retenues à la source non versées?
(1) Économie générale et contexte des par. 227(4) et 227(4.1) de la LIR
[96] Le paragraphe 153(1) de la LIR exige qu’un employeur déduise ou retienne des montants sur les salaires qu’il verse à ses employés (retenues à la source) et qu’il remette ces montants au receveur général au moment fixé par règlement. Une fois les retenues à la source faites, elles sont réputées être détenues, aux termes du par. 227(4), séparées des biens de l’employeur et des biens détenus par son créancier garanti, et ce, malgré toute autre garantie sur ces biens. Les retenues à la source sont réputées être détenues en fiducie pour Sa Majesté en vue de lui être versées au moment fixé par règlement.
[97] Si les retenues à la source ne sont pas versées au moment fixé par règlement, le par. 227(4.1) élargit la portée de la fiducie visée au par. 227(4). Une fiducie est réputée s’appliquer aux biens de l’employeur jusqu’à concurrence de la valeur des retenues à la source non versées. Cette fiducie est réputée exister depuis le moment où les retenues à la source ont été faites et n’avoir pas fait partie du patrimoine ou des biens de l’employeur depuis le moment où les retenues à la source ont été faites (peu importe si les biens de l’employeur sont assujettis à une garantie). Les biens de l’employeur jusqu’à concurrence de la valeur des retenues à la source non versées sont aussi réputés être des biens dans lesquels la Couronne a un « droit de bénéficiaire » malgré toute autre garantie sur ces biens :
(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non‑versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l’absence d’une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d’une valeur égale à ce montant sont réputés :
(a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
(b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
[98] Le paragraphe 224(1.3) de la LIR définit « garantie » ainsi :
garantie Intérêt ou, pour l’application du droit civil, droit sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les intérêts ou, pour l’application du droit civil, les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu’en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.
[99] Comme l’a souligné la Couronne, les par. 227(4) et 227(4.1) ont été modifiés en leur version actuelle — extraits précités — afin d’annuler l’effet de l’arrêt de notre Cour Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411. La Couronne soutient qu’en infirmant expressément l’arrêt Sparrow Electric, le législateur voulait toujours accorder à la Couronne une super priorité dans un cas d’insolvabilité. Je ne suis pas d’avis qu’une conclusion aussi générale puisse être tirée de cet historique législatif. Dans l’arrêt Sparrow Electric, la question était de savoir qui, de la banque prêteuse ou de la Couronne, avait la priorité dans le cadre de la faillite de la débitrice. La banque bénéficiait d’une convention de garantie générale portant sur tous les biens de la débitrice, convention que la banque avait signée plusieurs mois avant que sa requête en faillite contre la débitrice soit accueillie. Si la débitrice devait également à la Couronne 625 990,86 $ en retenues à la source non versées au moment de sa faillite, le premier défaut de versement à la Couronne ne s’était produit qu’après que la banque eut signé sa convention de garantie générale.
[100] Le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a tranché en faveur de la banque. À ce moment‑là, les dispositions relatives à la fiducie réputée étaient formulées différemment, ne s’appliquant qu’en cas de « liquidation, cession, mise sous séquestre ou faillite », et le montant des retenues à la source non versées était seulement considéré comme tenu « séparé et ne formant pas partie du patrimoine visé par la liquidation, cession, mise sous séquestre ou faillite » (par. 13 (je souligne)). La majorité a donc conclu que la fiducie réputée ne s’attachait pas aux biens de la débitrice puisqu’au moment visé, ces biens appartenaient déjà « légalement à [la banque] » (par. 98). Étant donné que la banque bénéficiait d’un privilège fixe et spécifique sur tous les biens de la débitrice, la fiducie ne pouvait s’attacher à rien. La fiducie ne pouvait s’appliquer que s’il existait des éléments d’actifs libres de toute charge qui auraient pu faire l’objet d’une fiducie réputée (par. 99).
[101] À la suite de l’arrêt Sparrow Electric, le législateur a modifié les dispositions relatives à la fiducie réputée de sorte que, dans une affaire comme Sparrow Electric, la fiducie réputée s’applique malgré toute autre garantie grevant les biens du débiteur (First Vancouver, par. 27). Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans l’arrêt First Vancouver, le législateur voulait accorder « la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont par ailleurs grevés d’une garantie, que celle‑ci ait pris effet avant ou après les retenues à la source ou l’application de la fiducie réputée » (par. 28)[1].
[102] Dans le présent pourvoi, la Couronne affirme qu’une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC constitue une garantie pour les besoins de la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne. Je conviens que la définition du terme « garantie » figurant au par. 224(1.3) de la LIR est large et assimile « [un i]ntérêt sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement » et en précisant que « [s]ont en particulier des garanties les intérêts [. . .] droits nés ou découlant de charges, quelle qu’en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs ». Cependant, Wood fait remarquer avec justesse que les charges constituées par un tribunal diffèrent fondamentalement des garanties énumérées au par. 224(1.3) qui prennent leur source dans un accord consensuel ou l’application de la loi, car [traduction] « elles sont intimement liées aux procédures d’insolvabilité qui fonctionnent au profit de l’ensemble des créanciers » (Wood (2020), p. 98). Par conséquent, il opine qu’« il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elles soient expressément mentionnées dans la définition de garantie qui figure dans la LIR si elles devaient en faire partie » (p. 98).
[103] Bien que le par. 227(4.1) s’applique indéniablement en dépit de l’existence de toute garantie — ou charge super prioritaire — grevant les biens du débiteur, l’évolution des textes législatifs depuis le prononcé de l’arrêt Sparrow Electric est muette à propos du droit spécifique de la Couronne sur les retenues à la source non versées, au titre de la fiducie réputée, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une restructuration sous le régime de la LACC. Même si, comme l’affirme avec insistance la Couronne, une charge super prioritaire au titre de la LACC est une garantie pour les besoins de la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne (et je ne tranche pas cette question dans les présents motifs), cela ne définit pas les droits de la Couronne au titre de la fiducie réputée dans le cadre d’une restructuration sous le régime de la LACC. Notre Cour ne s’est jamais penchée sur la façon dont le par. 227(4.1) de la LIR interagit avec le régime de la LACC à la lumière des arrêts de principe en matière d’insolvabilité Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, et Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271. Le présent pourvoi appelle notre Cour à le faire.
(2) Le droit de bénéficiaire prévu au par. 227(4.1) de la LIR
[104] La Couronne soutient que le par. 227(4.1) lui confère un droit propriétal puisqu’il lui accorde un droit de bénéficiaire sur le montant des retenues à la source non versées. Puisqu’il s’agit d’un droit propriétal, le montant des retenues à la source non versées est soustrait du patrimoine du débiteur, accordant ainsi à la Couronne une super priorité. Autrement dit, la Couronne souscrit à l’opinion dissidente exprimée en Cour d’appel : le bien est la propriété de la Couronne, et un juge chargé d’appliquer la LACC ne peut ordonner aucune charge sur ce bien. Les intimées, à l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, font valoir que le par. 227(4.1) crée une garantie et que celle‑ci peut donc être subordonnée à une charge super prioritaire au titre de la LACC.
[105] Ces prétentions sont fondées en grande partie sur la nature de l’intérêt de la Couronne, à savoir « garantie » ou « droit propriétal ». Cependant, je suis d’avis que le fait de qualifier le droit de l’une ou l’autre façon ne permet pas de résoudre les questions en litige dans le pourvoi étant donné que ni l’une ni l’autre des qualifications ne possède de caractéristiques essentielles dans l’abstrait. La nature d’un droit est définie par la disposition législative qui le prévoit. Les concepts généraux de « droit propriétal » et de « garantie » — ou de « bien », de « fiducie » et de « droit de bénéficiaire » — ne sont pas d’une grande utilité dans la présente analyse.
[106] Notre Cour a souligné qu’un bien est souvent interprété comme un « faisceau de droits » et d’obligations (Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166, par. 43). Selon les droits qu’a une personne, son « faisceau de droits » peut être considéré comme un « intérêt propriétal » faible ou fort. Pour cette raison, on a dit que le titulaire d’une garantie a un droit propriétal sur cette garantie. Dans l’arrêt Sparrow Electric, par exemple, le juge Iacobucci, au nom de la majorité, et le juge Gonthier, au nom des juges dissidents, ont expliqué que, dans cette affaire, le créancier garanti avait un droit propriétal sur les biens de la débitrice qui servaient à garantir sa dette et qu’il était effectivement propriétaire de ces biens (par. 42 et 98).
[107] Dans le même ordre d’idées, Ronald C. C. Cuming, Catherine Walsh et Roderick J. Wood affirment que, dans le contexte des lois en matière de sûretés mobilières, un créancier garanti possède un droit propriétal sur les biens donnés en garantie. La raison en est que, pour ces auteurs, [traduction] « [l]a caractéristique déterminante d’un droit propriétal est [. . .] qu’il est [. . .] opposable à tous », et le droit d’un créancier garanti ayant une sûreté parfaite est opposable à tous (Personal Property Security Law (2e éd. 2012), p. 613). Sans une explication de ce que signifient les termes dans un contexte donné, il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit de la qualification. (Bien qu’il existe une nette différence entre un droit réel (opposable à tous) et un droit personnel (opposable à un ensemble déterminé de personnes), la question de savoir si le terme « droit propriétal » s’entend d’un « droit réel » ou si le terme « garantie » s’entend d’un « droit personnel » dépend du contexte législatif. Quoi qu’il en soit, les observations présentées devant notre Cour n’étaient pas formulées en ces termes).
[108] Dans l’arrêt Saulnier, notre Cour a expliqué qu’au moment d’analyser la définition d’un bien contenue dans une loi, il n’est pas utile d’examiner la notion de « bien » dans l’abstrait, ni même dans la common law parce que « le législateur peut, à des fins particulières, créer sa propre nomenclature, et il lui arrive effectivement de le faire » (par. 16; voir aussi Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286, par. 11‑12). En effet, « des droits étrangers à la common law peuvent naître d’une loi » (Wotherspoon c. Canadien Pacifique Ltée, 1987 CanLII 2807 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 952, p. 999, citant le juge Ross dans Town of Lunenburg c. Municipality of Lunenburg, 1931 CanLII 391 (NS CA), [1932] 1 D.L.R. 386 (C.S. N.‑É.), p. 390). Par conséquent, une certaine prudence s’impose avant d’utiliser des définitions tirées d’autres contextes, de s’appuyer sur des déclarations ou des descriptions tirées d’affaires hors contexte et d’employer des concepts généraux comme le « droit propriétal » et la « garantie ». Il est essentiel, dans le présent pourvoi, de ne pas déborder du cadre des dispositions législatives à interpréter.
[109] Aux termes du par. 227(4.1), la Couronne a un « droit de bénéficiaire » sur le montant des retenues à la source non versées. Il ne s’ensuit toutefois pas que ce droit de bénéficiaire est absolu ni qu’il découle de ce terme des droits particuliers. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le législateur a utilisé un terme ayant une signification juridique bien établie — menant à une inférence selon laquelle le législateur a donné cette signification précise au terme dans la loi en question (R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 20). Le concept du droit de bénéficiaire n’a pas de signification doctrinale précise dans la common law canadienne, et il n’existe pas dans le droit civil québécois. Il n’est pas non plus utilisé de façon uniforme dans la LIR. Le sens du terme « droit de bénéficiaire » utilisé au par. 227(4.1) ne peut être saisi que dans le contexte législatif précis et pertinent où il est employé. À cet égard, bien que le par. 227(4.1) prévoit un mécanisme de fiducie et qu’il confère un certain droit de bénéficiaire à la Couronne, il modifie les caractéristiques qui sont généralement associées à ce droit de bénéficiaire dans la common law.
[110] En tant que loi fédérale d’application nationale, la LIR repose sur le droit privé des provinces. Ce rapport de complémentarité est établi à l’art. 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21. La loi fédérale peut cependant déroger au droit privé et s’en dissocier lorsqu’elle porte sur une matière qui relève de sa compétence : voir M. Lamoureux, « L’harmonisation des lois fiscales — La dissociation : Un mécanisme d’exception Partie III » (en ligne). Comme je l’expliquerai, la fiducie créée en vertu du par. 227(4.1) se dissocie des conditions d’une fiducie tant en common law provinciale qu’en droit civil.
[111] Voici de quelle manière je vais procéder : (1) le terme « droit de bénéficiaire » n’a pas de signification établie dans la doctrine et (2) le par. 227(4.1) ne crée pas une fiducie véritable puisqu’il n’existe aucune certitude quant à sa matière. L’absence de certitude à cet égard signifie que la Couronne ne peut pas, au moyen du retraçage de l’origine des biens, réclamer l’appréciation de la valeur de la fiducie, et le fiduciaire (débiteur fiscal) est libre de disposer des biens de la fiducie. Ces caractéristiques font du droit de bénéficiaire de la Couronne un droit plus faible que le sens qui lui est généralement donné en common law. Il en résulte un droit « étrang[er] à la common law [ou au droit civil] ». Nous ne pouvons donc pas nous fier au seul par. 227(4.1) pour définir de quelle façon les biens dans lesquels la Couronne a un « droit de bénéficiaire » au titre du par. 227(4.1) devraient être traités en cas d’insolvabilité — cette précision doit venir, et elle vient effectivement, de la législation du Parlement en matière d’insolvabilité.
(i) Aucune signification établie dans la doctrine
[112] Le concept du droit de bénéficiaire est plus couramment utilisé dans le domaine du droit des fiducies afin d’établir une distinction générale entre celui qui possède un titre en common law sur un bien (le fiduciaire) et celui qui a la jouissance de ce bien (le bénéficiaire). Selon le Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), par exemple, le « beneficial owner » (propriétaire bénéficiaire) est défini comme [traduction] « [l]a personne reconnue en equity comme le propriétaire d’une chose parce que l’utilisation et le titre lui appartiennent, même si le titre juridique appartient peut‑être à quelqu’un d’autre, surtout une personne pour qui des biens sont détenus en fiducie » (p. 1331).
[113] Malgré ce sens couramment donné, il n’existe pas de définition claire des droits qui découlent du « droit de bénéficiaire » en common law (voir, p. ex., C. Brown, « Propriété effective et Loi de l’impôt sur le revenu » (2003), 51 Rev. fisc. can. 454; M. D. Brender, « Propriété effective dans la législation fiscale canadienne : Réforme nécessaire et incidences sur l’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil du Québec » (2003), 51 Rev. fisc. can. 355, p. 360). En outre, le concept de « droit de bénéficiaire » ne figure pas dans le Code civil du Québec (voir Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d’Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31, par. 48‑49).
[114] Également sujet à controverse dans le milieu universitaire, le terme est à l’origine d’un débat houleux sur la question de savoir si le bénéficiaire d’une fiducie devrait être considéré comme un propriétaire (voir. p. ex., D. W. M. Waters, « The Nature of the Trust Beneficiary’s Interest » (1967), 45 R. du B. can. 219; L. D. Smith, « Trust and Patrimony » (2008), 38 R. G. D. 379; B. McFarlane et R. Stevens, « The nature of equitable property » (2010), 4 J. Eq. 1; J. E. Penner, « The (True) Nature of a Beneficiary’s Equitable Proprietary Interest under a Trust » (2014), 27 Can. J.L. & Jur. 473; Brender, p. 360). On estime d’ordinaire que le bénéficiaire d’une fiducie n’a que le droit personnel d’exiger du fiduciaire qu’il exécute les conditions de la fiducie, lequel droit ne constitue pas un droit de propriété sur les biens de la fiducie. Un autre avis est que le bénéficiaire d’une fiducie a un droit de propriété en equity sur les biens de la fiducie, malgré l’existence d’un intermédiaire détenant un titre légal (Brown, p. 468‑469). Certains suggèrent qu’il existe une approche intermédiaire au Canada : selon le contexte, le droit d’un bénéficiaire est soit un droit personnel à l’encontre du fiduciaire, soit un droit de propriété sur les biens de la fiducie (Brender, p. 360).
[115] Dans « Propriété effective et Loi de l’impôt sur le revenu », Brown souligne le débat qui divise les spécialistes du domaine et elle analyse la façon dont les termes « beneficial ownership », « beneficial owner » et « beneficially owned » (« droit de bénéficiaire » et « propriétaire bénéficiaire ») sont utilisés dans la LIR. Après avoir étudié 26 dispositions de la LIR contenant « beneficial ownership », elle en arrive à la conclusion que son sens « n’est plus aussi évident » (p. 512).
[116] Notre Cour n’a pas à résoudre le débat en cours. Toutefois, ce débat fait ressortir que « la vraie question est la suivante : quelle est la nature de l’intérêt du bénéficiaire à l’égard d’une fiducie dans le contexte de la loi applicable [. . .]? » (Brown, p. 474). Dans le contexte de la LIR, Brown conclut que « le sens du concept de propriété effective aux fins d’impôt doit être établi dans le contexte de la LIR » (p. 493). En outre, la question de savoir si les droits d’un bénéficiaire prévus par la LIR sont réels ou personnels (in rem ou in personam) dépendra souvent d’une combinaison de facteurs, comme le libellé des dispositions déterminatives, les concepts de droit privé, la jurisprudence et les politiques fiscales (voir p. 493‑494).
[117] À mon avis, les ouvrages précités contredisent l’idée que le par. 227(4.1) de la LIR, et son recours au concept de droit de bénéficiaire, a un sens sans équivoque. Non seulement il n’existe aucune définition établie du « droit de bénéficiaire » dans la common law, mais il appert également que la LIR ne lui donne pas un sens uniforme. En outre, le concept n’existe pas en droit civil québécois. Le sens du terme « droit de bénéficiaire », lorsqu’il est employé dans une loi, doit toujours être interprété dans le contexte de la disposition où il figure. Il est nécessaire de procéder à un examen minutieux du par. 227(4.1) et, plus particulièrement, du droit de bénéficiaire qu’il confère à la Couronne, notamment dans le cas d’une fiducie réputée créée par la loi sans certitude quant à sa matière.
(ii) Le paragraphe 227(4.1) ne crée pas une fiducie « véritable »
[118] Une fiducie réputée créée par la loi est un mécanisme juridique unique. Contrairement à une fiducie expresse, qui peut être établie par contrat, par testament ou par déclaration orale ou écrite, et contrairement à une fiducie qui découle de l’application de la loi, une fiducie réputée créée par la loi [traduction] « est une fiducie que crée la loi en constituant certains biens en biens de fiducie et en désignant une certaine personne comme fiduciaire de ces biens » (Guarantee Company of North America c. Royal Bank of Canada, 2019 ONCA 9, 144 O.R. (3d) 225, par. 18; voir aussi A. Grenon, « Common Law and Statutory Trusts : In Search of Missing Links » (1995), 15 Est. & Tr. J. 109, p. 110).
[119] Tirant son origine de la législation, la fiducie réputée créée par la loi n’a pas à satisfaire aux exigences ordinaires du droit des fiducies, soit la certitude quant à l’intention, la certitude quant à la matière et la certitude quant à l’objet (Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., 1989 CanLII 43 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 24; voir aussi Friends of Toronto Public Cemeteries Inc. c. Public Guardian and Trustee, 2020 ONCA 282, 59 E.T.R. (4th) 174, par. 163).
[120] Le paragraphe 227(4.1), par exemple, ne satisfait pas aux exigences ordinaires de la common law en matière de fiducies (voir R. J. Wood et R. T. G. Reeson, « The Continuing Saga of the Statutory Deemed Trust : Royal Bank v. Tuxedo Transportation Ltd. » (2000), 15 B.F.L.R. 515, p. 522‑524). Les biens de la fiducie ne sont pas identifiables, et il n’y a donc aucune certitude quant à sa matière (Henfrey, p. 35). Pour reprendre la terminologie utilisée dans l’arrêt Henfrey, le par. 227(4.1) ne crée pas une fiducie « véritable » (p. 34). De plus, sans transfert de biens précis au patrimoine fiduciaire, le par. 227(4.1) ne satisfait pas aux conditions d’un patrimoine autonome prévues aux art. 1260, 1261 et 1278 du Code civil du Québec : voir Banque de Nouvelle‑Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758, par. 31.
[121] Cette dérogation à une exigence normale de la constitution d’une fiducie — la certitude quant à la matière — fait en sorte qu’au moins deux caractéristiques du par. 227(4.1) ne cadrent pas avec le fonctionnement des fiducies ordinaires. Premièrement, grâce aux règles de retraçage des biens en equity, le bénéficiaire d’une fiducie peut réclamer l’appréciation de la valeur de la fiducie, mais cet avantage ne représente rien si les biens de la fiducie ne sont pas identifiables (Rawluk c. Rawluk, 1990 CanLII 152 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 70, p. 79 et 92‑93; Foskett c. McKeown, [2001] 1 A.C. 102 (H.L.), p. 129‑131; L. D. Smith, The Law of Tracing (1997), p. 347‑348). Le mécanisme de retraçage exposé au par. 227(4.1) prévoit que la valeur des retenues à la source non versées subsiste dans les actifs qui demeurent en la possession du débiteur fiscal. Le paragraphe 227(4.1) permet d’établir la valeur des retenues à la source non versées, limitant automatiquement le droit de la Couronne à cette valeur. Dans l’arrêt Sparrow Electric, le juge Gonthier a expliqué qu’un tel mécanisme permettant de retracer l’origine d’un bien était « à l’opposé du sens traditionnel du mot “retracer”, dans la mesure où il ne nécessite aucun lien entre l’objet de la fiducie et le fonds ou l’actif auquel on rattache cet objet » (par. 37; voir aussi Wood et Reeson, p. 518; Smith (1997), p. 310-320 et 347‑348; R. J. Wood, « The Floating Charge in Canada » (1989), 27 Alta. L. Rev. 191, p. 221).
[122] Si le par. 227(4.1) confère à la Couronne un droit de bénéficiaire sur la valeur des retenues à la source non versées, il ne permet pas à la Couronne de réclamer davantage que la valeur de ces retenues. Autrement dit, il confère à la Couronne un droit de bénéficiaire sans certains des avantages qui y sont souvent rattachés.
[123] Deuxièmement, un fiduciaire ne peut généralement pas disposer des biens de la fiducie dans le cours normal de ses activités. Le paragraphe 227(4.1) permet toutefois au débiteur fiscal de disposer de ses biens, traduisant un titre de propriété incontestable sur les biens assujettis à la fiducie.
[124] C’est le raisonnement qu’a exprimé le juge Iacobucci dans l’arrêt First Vancouver quand il a comparé la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) à une charge flottante. Puisqu’une charge flottante est une garantie, les intimées s’appuient sur l’analogie du juge Iacobucci pour soutenir que le par. 227(4.1) crée seulement une garantie et non un droit propriétal. Je ne souscris pas à l’affirmation des intimées — la comparaison restreinte avec une charge flottante faite dans ce contexte ne peut pas être invoquée en l’espèce pour assimiler le droit de la Couronne à une garantie pour l’application de la LACC.
[125] Une des questions soulevées dans l’arrêt First Vancouver était celle de savoir si la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) s’attachait toujours aux biens vendus à titre onéreux à un tiers par le débiteur fiscal. La Cour a conclu que, si le bien est vendu à un tiers, « ce bien [est] alors remplacé par le produit de la vente » (par. 40). Il en est ainsi parce que la fiducie réputée « ne vise pas certains biens en particulier du débiteur fiscal de façon à en empêcher la vente », le débiteur est donc « libre de se départir d’un bien détenu en fiducie dans le cadre normal de ses activités » (par. 40). De cette façon, la fiducie réputée « s’apparent[e], sur le plan des principes, à une charge flottante grevant [. . .] l’ensemble des éléments d’actif du débiteur fiscal » (par. 40). Par conséquent, la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) ne l’emporterait pas sur le respect des droits de l’acquéreur à titre onéreux (par. 44).
[126] En résumé, dans le cas d’une fiducie réputée prévue au par. 227(4.1), « il est [clairement] à prévoir que la nature des biens du débiteur fiscal changera avec le temps » (First Vancouver, par. 41). Le juge Iacobucci n’a toutefois pas assimilé la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) à une charge flottante à toutes les fins. Sinon, la fiducie ne s’appliquerait pas avant la cristallisation du droit, et le par. 227(4.1) indique clairement que la fiducie s’applique dès le moment où les retenues à la source sont faites ou détenues (voir les al. 227(4.1)a) et b); voir aussi A. Duggan et J. Ziegel, « Justice Iacobucci and the Canadian Law of Deemed Trusts and Chattel Security » (2007), 57 U.T.L.J. 227, p. 246; Wood (1989), p. 195).
[127] L’analogie restreinte avec une charge flottante faite par la Cour dans l’arrêt First Vancouver aide à expliquer pourquoi le « droit de bénéficiaire » prévu au par. 227(4.1) a une signification plus étroite dans son contexte législatif qu’en dehors de celui‑ci. Le droit de bénéficiaire de la Couronne n’empêche pas le fiduciaire de disposer des biens de la fiducie jusqu’à ce que l’Agence du revenu du Canada (ARC) fasse exécuter la fiducie réputée (Agence du revenu du Canada, Politiques de recouvrement de l’impôt (en ligne); voir aussi la LIR, art. 222 et par. 223(1) à (3), par. 223 (5) et (6) et par. 224(1)). Disposer librement des biens d’une fiducie, y compris pour ses propres activités commerciales, n’est manifestement pas une chose qu’un fiduciaire peut faire selon les règles de la common law.
[128] C’est à tort, pour des raisons semblables, que la Couronne s’appuie sur l’al. 227(4.1)b) de la LIR. Cette disposition précise que le montant des retenues à la source non versées est réputé « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu ». La Couronne plaide que cette disposition vient renforcer la thèse selon laquelle le juge chargé d’appliquer la LACC ne peut pas ordonner de charge sur ce montant. Une fois de plus, la disposition déterminative de l’al. 227(4.1)b) doit être interprétée dans le contexte d’une fiducie créée sans certitude quant à sa matière. Dire qu’un certain montant ne fait pas partie du patrimoine ou des biens d’un débiteur confirme que la Couronne a un intérêt à l’égard de ce montant; cela confirme également que ce montant est soustrait de l’intérêt du débiteur dans son patrimoine. Cependant, cela ne change rien à la constitution du patrimoine lui‑même — les biens précis qui font partie du patrimoine du débiteur ne changent pas. Tant que ce qui est réputé ne pas faire partie du patrimoine ou des biens du débiteur est un montant d’argent — et non des biens qui ont une matière précise — le patrimoine du débiteur demeure inchangé et le débiteur en conserve la maîtrise.
[129] En conclusion, le droit de bénéficiaire prévu au par. 227(4.1) constitue une manipulation du concept du droit de bénéficiaire selon les principes ordinaires du droit des fiducies. L’incohérence logique du par. 227(4.1) a mené certains auteurs à critiquer la disposition, faisant valoir qu’elle emploie des concepts juridiques inappropriés. Par exemple, Wood et Reeson affirment ce qui suit :
[traduction] . . . nous croyons que la conception du [par. 227(4.1) de la LIR] comporte de graves lacunes [. . .] Dans une large mesure, les lacunes découlent de l’emploi de concepts juridiques inappropriés. On recourt au concept de fiducie, mais à pratiquement tous les égards, les caractéristiques d’une fiducie ne sont pas présentes. L’employeur n’est, en réalité, pas tenu de détenir l’argent séparément de ses propres biens, les obligations qui incombent généralement à un fiduciaire sont absentes, et la fiducie existe sans certitude quant à la matière. En outre, les règles de retraçage des biens ne sont pas respectées. Le retraçage des biens ne vise pas à déterminer une chaîne de substitutions, et une réclamation fondée sur un droit de propriété est possible sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait droit de propriété.
. . .
Le recours erroné au concept de fiducie et le détournement des principes ordinaires d’établissement de l’origine des biens vident ces concepts de leur sens et compromettent la rationalité du droit. [Note en bas de page omise; p. 531‑533.]
[130] D’autres ont également dit qu’en substance, le par. 227(4.1) crée uniquement une garantie (J. S. Ziegel, « Crown Priorities, Deemed Trusts and Floating Charges : First Vancouver Finance v. Minister of National Revenue » (2004), 45 C.B.R. (4e) 244, p. 248; Duggan et Ziegel, p. 239 et 245‑246; M. J. Hanlon, V. Tickle et E. Csiszar, « Conflicting Case Law, Competing Statutes, and the Confounding Priority Battle of the Interim Financing Charge and the Crown’s Deemed Trust for Source Deductions », dans J. P. Sarra et autres, dir., Annual Review of Insolvency Law 2018 (2019), 897).
[131] De la même façon, dans l’arrêt Caisse populaire Desjardins de Montmagny, notre Cour a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel le par. 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15 (LTA), quasi identique au par. 227(4.1) de la LIR, conférait à la Couronne un droit propriétal (par. 20‑27). Dans cette affaire, les compagnies débitrices devaient des montants de taxe sur les produits et services (TPS) au moment de leurs faillites respectives. Puisque les réclamations de la Couronne à l’égard de la TPS ne sont pas garanties en cas de faillite, les autorités fiscales ont soutenu que les montants dus à la date de la faillite appartenaient à la Couronne. Notre Cour a rejeté à l’unanimité cet argument, concluant que le mode et le mécanisme de perception de la TPS ne concordaient pas avec un droit de propriété (par. 21‑23).
[132] Quoi qu’il en soit, considérer que le par. 227(4.1) ne crée en réalité qu’une garantie, sans examiner la façon dont l’intérêt de la Couronne découle de la LACC, ne résoudrait pas les questions en litige dans le présent pourvoi. Comme je l’ai mentionné précédemment, les qualifications générales n’aident pas à définir les attributs précis de la fiducie réputée en cause. Notre Cour doit composer avec le fait que le par. 227(4.1) est structuré comme une garantie (p. ex., une charge), mais qu’il utilise également le mécanisme d’une fiducie réputée.
[133] Ce qu’il faut retenir pour le présent pourvoi, c’est que la structure du par. 227(4.1) ne permet pas à elle seule de faire la lumière sur ce qu’il convient de faire, dans le cadre des régimes d’insolvabilité, avec le droit de bénéficiaire que détient la Couronne sur les retenues à la source non versées. Bien que la disposition indique clairement que le droit de la Couronne s’applique malgré toute autre garantie, la teneur de ce droit dans un contexte d’insolvabilité ne peut être déduite uniquement du texte de la LIR. Le mécanisme unique créé par la loi adapte les concepts de droit privé et ne peut mener à une conclusion logique dans un contexte d’insolvabilité. Pour cette raison, il n’est pas étonnant que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (LFI), et la LACC énoncent précisément la façon dont la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source non versées devrait être traitée.
[134] Je passe maintenant à cette autre moitié de l’équation : le régime d’insolvabilité du législateur.
B. De quelle façon la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées est‑elle traitée dans le régime d’insolvabilité du législateur?
(1) Régime d’insolvabilité du législateur
[135] Le régime d’insolvabilité du législateur comporte trois lois principales : la LACC, qui est en cause dans le présent pourvoi, la LFI et la Loi sur les liquidations et les restructurations, L.R.C. 1985, c. W‑11 (LLR). (La LLR porte sur l’insolvabilité d’institutions financières et d’autres sociétés en particulier, telles les compagnies d’assurance, et elle n’est pas pertinente en l’espèce (par. 6(1); 9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, par. 39)). Dans l’arrêt Century Services, la juge Deschamps, se prononçant au nom de la majorité, a décrit l’insolvabilité ainsi :
la situation de fait qui se présente quand un débiteur n’est pas en mesure de payer ses créanciers [. . .] Certaines procédures judiciaires peuvent être intentées en cas d’insolvabilité. Ainsi, le débiteur peut généralement obtenir une ordonnance judiciaire ayant pour effet de suspendre les mesures d’exécution de ses créanciers, puis tenter de conclure avec eux une transaction à caractère exécutoire contenant des conditions de paiement plus réalistes. Ou alors, les biens du débiteur sont liquidés et ses dettes sont remboursées sur le produit de cette liquidation, selon les règles de priorité établies par la loi. Dans le premier cas, on emploie habituellement les termes de réorganisation ou de restructuration, alors que dans le second, on parle de liquidation. [par. 12]
[136] La LFI comporte à la fois un régime de liquidation et un régime de restructuration (Century Services, par. 13 et 78). Le régime de liquidation contient des dispositions législatives détaillées en matière de distribution selon lesquelles l’actif du débiteur est liquidé et le produit de la liquidation est distribué aux créanciers. À l’inverse, le régime de restructuration permet au débiteur de présenter à ses créanciers des propositions de rajustement et de réorganisation des dettes. Les débiteurs — personnes physiques ou personnes morales — qui doivent 1 000 $ ou plus peuvent recourir à la LFI (par. 43(1)).
[137] La LACC est avant tout une loi de restructuration, et seules les compagnies dont le passif dépasse cinq millions de dollars peuvent s’en prévaloir (par. 3(1)). Comme l’a expliqué la juge Deschamps dans l’arrêt Century Services, la LACC est de nature réparatrice; elle fournit aux compagnies un moyen d’éviter les effets dévastateurs, tant sur le plan social qu’économique, d’une faillite commerciale (par. 15 et 59, citant Elan Corp. c. Comiskey (1990), 1990 CanLII 6979 (ON CA), 1 O.R. (3d) 289 (C.A.), p. 306, le juge Doherty, dissident). Les liquidations nuisent non seulement aux créanciers, mais aussi aux employés et aux autres intéressés. La LACC permet aux compagnies de continuer à exercer leurs activités et de « préserver le statu quo pendant qu’on tente de trouver un terrain d’entente entre les intéressés en vue d’une réorganisation qui soit juste pour tout le monde » (Century Services, par. 77). En édictant une loi de restructuration, le législateur a reconnu que la valeur des compagnies demeure plus grande lorsque celles‑ci peuvent poursuivre leurs activités, surtout puisqu’elles constituent « des volets essentiels d’un réseau complexe de rapports économiques interdépendants » (par. 18).
[138] Étant donné son caractère réparateur, la LACC est notoirement schématique par nature (Century Services, par. 57‑62). Elle ne « contient pas un code complet énonçant tout ce qui est permis et tout ce qui est interdit » (par. 57, citant Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (Re), 2008 ONCA 587, 92 O.R. (3d) 513, par. 44, le juge Blair). En vertu de l’art. 11, par exemple, le tribunal peut rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée, sous réserve des restrictions prévues par la LACC. L’article 11 a été décrit comme étant [traduction] « le moteur de ce régime législatif large et souple » (Stelco Inc. (Re) (2005), 2005 CanLII 8671 (ON CA), 75 O.R. (3d) 5 (C.A.), par. 36; voir aussi 9354‑9186 Québec inc., par. 48). Dans l’arrêt Century Services, la juge Deschamps a fait observer que l’exercice discrétionnaire de ces pouvoirs par les tribunaux a permis à la LACC d’évoluer et de s’adapter aux besoins commerciaux et sociaux contemporains. Bien que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal doive toujours tendre vers la réalisation de l’objectif réparateur de la LACC, il peut prendre plusieurs formes et il s’est avéré souple, novateur et nécessaire (par. 58‑61; U.S. Steel Canada Inc., Re, 2016 ONCA 662, 402 D.L.R. (4th) 450, par. 102).
[139] Ce régime contraste avec le régime de liquidation prévu par la LFI, dont les objectifs diffèrent légèrement. Dans Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453, le juge Gonthier a expliqué que le régime de faillite a deux objectifs : il « assur[e] un partage équitable des biens du débiteur failli entre les créanciers de l’actif [et il assure] la réhabilitation financière de la personne insolvable » (par. 7; voir aussi 9354‑9186 Québec inc., par. 46). Dans le même ordre d’idées, les juges Houlden et Morawetz de même que la professeure Sarra écrivent que la LFI vise à la fois à permettre [traduction] « à l’honnête débiteur, frappé de malchance, de se libérer de toute responsabilité afin de pouvoir prendre un nouveau départ et de réintégrer le milieu des affaires [ainsi qu’à permettre] une distribution ordonnée et équitable des biens du failli entre ses créanciers, pari passu » (The 2020‑2021 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act (2020), p. 2).
[140] Pour réaliser ses objectifs, la LFI repose strictement sur des règles et elle établit un régime complet pour le processus de liquidation (Century Services, par. 13; Husky Oil, par. 85). Elle « peut être appliqué[e] pour répartir de manière ordonnée les biens du débiteur entre les créanciers, en fonction des règles de priorité qui y sont établies » (Century Services, par. 15). Le caractère exhaustif de la LFI garantit, entre autres choses, qu’il existe une procédure unique dans le cadre de laquelle les créanciers sont placés sur un pied d’égalité et connaissent leurs droits. Elle garantit également qu’après la libération, le failli disposera de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins et qu’il pourra prendre un nouveau départ (Canada (Superintendent of Bankruptcy) c. 407 ETR Concession Company Ltd., 2013 ONCA 769, 118 O.R. (3d) 161, par. 41). Les propositions faites en vertu du régime de restructuration de la LFI répondent elles aussi à un objectif réparateur, « mais au moyen d’un mécanisme fondé sur des règles et offrant moins de souplesse » (Century Services, par. 15).
[141] Fait important, les objectifs de restructuration propres à la LACC, contrairement à la liquidation, permettent l’entrée en scène d’un acteur essentiel : le prêteur temporaire. Le financement temporaire, que l’on appelait auparavant le financement du débiteur‑exploitant, est un mécanisme sous supervision judiciaire par lequel des fonds sont prêtés à une compagnie insolvable afin d’être utilisés au cours du processus de restructuration et pour les besoins de celui‑ci. Avant les modifications de 2009, il n’existait pas de dispositions législatives sur le financement temporaire dans la LACC, mais le concept était bien établi dans la jurisprudence (L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. rév. (feuilles mobiles)), vol. 4, N§93; voir aussi Century Services, par. 62). Les modifications apportées en 2009 ont codifié l’essentiel de la jurisprudence existante, et j’examinerai les dispositions législatives en détail ci‑dessous.
[142] Le financement temporaire est essentiel au processus de restructuration. Il permet au débiteur de continuer à exercer ses activités au quotidien pendant qu’un arrangement est mis en place. Un plan de transaction serait vain si, dans les six mois suivants, le débiteur était forcé de cesser ses activités. Pour cette raison, le juge Farley a fait observer dans Royal Oak Mines Inc., Re (1999), 1999 CanLII 14843 (ON SC), 7 C.B.R. (4th) 293 (C.J. Ont. (Div. gén.)), par. 1, citant Royal Oak Mines Inc., Re (1999), 1999 CanLII 14840 (ON SC), 6 C.B.R. (4th) 314 (C.J. Ont. (Div. gén.)), par. 24, que le financement temporaire aide à [traduction] « payer les frais courants ». De même, dans l’arrêt Indalex, la juge Deschamps a expliqué que le fait d’accorder une super priorité aux prêteurs temporaires constituait [traduction] « un élément clé de la capacité du débiteur de tenter de conclure un arrangement » (par. 59, citant J. P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act (2007), p. 97). Sans le financement temporaire et la capacité d’accorder la priorité au prêt du prêteur temporaire, la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC pourrait être compromise (par. 58).
[143] Ayant ce contexte à l’esprit, je me pencherai maintenant sur le traitement de la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées dans le cadre du régime d’insolvabilité du législateur.
(2) La fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source non versées — LFI et LACC
[144] Les lois en cause dans la présente affaire sont toutes fédérales. La LIR, la LFI et la LACC coexistent au sein d’un régime législatif harmonieux, édicté par un seul ordre de gouvernement (voir, p. ex., R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 337, sur la présomption de cohérence). Cette coexistence se manifeste par exemple lorsque, dans le régime d’insolvabilité, le législateur modifie les droits qu’il accorde autrement à la Couronne en dehors de ce régime. Par exemple, au moyen du par. 222(3) de la LTA, le législateur prévoit la création d’une fiducie réputée en faveur de la Couronne à l’égard de la TPS non versée. Le législateur rend aussi cette fiducie réputée, qui est quasi identique à celle prévue au par. 227(4.1) de la LIR, inopérante sous les régimes de la LFI et de la LACC (LFI, par. 67(2) et 86(3); LACC, par. 37(1); Century Services, par. 51‑56). Comme je l’expliquerai, dans la LFI et la LACC, le législateur traite aussi expressément de la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) de la LIR, quoique de manière différente.
[145] Dans la LFI, la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source non versées figure au par. 67(3). L’article 67 figure sous la rubrique « Biens du failli ». L’alinéa 67(1)a) exclut du patrimoine attribué aux créanciers du failli les biens détenus par le failli en fiducie. Le paragraphe 67(2) prévoit que toute fiducie réputée créée en faveur de la Couronne en vertu d’une disposition législative fédérale ou provinciale ne peut être considérée comme une fiducie au sens de l’al. 67(1)a), si elle ne le serait pas en l’absence de la disposition législative en question (autrement dit, à moins qu’elle puisse être considérée comme une fiducie de common law ou une fiducie véritable) (voir Caisse populaire Desjardins de Montmagny, par. 15; Urbancorp Cumberland 2 GP Inc. (Re), 2020 ONCA 197, 444 D.L.R. (4th) 273, par. 32‑33). Le paragraphe 67(3) mentionne que le par. 67(2) ne s’applique pas à la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées en vertu de la LIR, du RPC ou de la LAE. Par conséquent, même si le par. 67(2) prescrit en termes généraux une exception à l’al. 67(1)a), cette exception ne s’applique pas à la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées par application du par. 67(3).
[146] Il en résulte que le patrimoine du débiteur — jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées — ne fait pas partie des « biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers » (LFI, par. 67(1)). Pour les besoins du régime de liquidation prévu par la LFI, ce sont effectivement des biens de la Couronne. Ensemble, l’al. 67(1)a) et le par. 67(3) déterminent la teneur du droit de bénéficiaire de la Couronne prévu au par. 227(4.1) de la LIR : le montant des retenues à la source non versées est soustrait des fonds qui sont distribués aux créanciers dans le cadre d’une liquidation sous le régime de la LFI.
[147] Dans la LACC, il est question de la fiducie réputée de la Couronne aux par. 37(2) et 6(3), qui traitent également d’autres fiducies réputées et d’autres mécanismes. Le paragraphe 37(2) protège explicitement l’application du par. 227(4.1) dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC :
37 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et par dérogation à toute disposition législative fédérale ou provinciale ayant pour effet d’assimiler certains biens à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté, aucun des biens de la compagnie débitrice ne peut être considéré comme tel par le seul effet d’une telle disposition.
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’égard des sommes réputées détenues en fiducie aux termes des paragraphes 227(4) ou (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, des paragraphes 23(3) ou (4) du Régime de pensions du Canada ou des paragraphes 86(2) ou (2.1) de la Loi sur l’assurance-emploi (chacun étant appelé « disposition fédérale » au présent paragraphe) ou à l’égard des sommes réputées détenues en fiducie aux termes de toute loi d’une province créant une fiducie présumée dans le seul but d’assurer à Sa Majesté du chef de cette province la remise de sommes déduites ou retenues aux termes d’une loi de cette province, si, dans ce dernier cas, se réalise l’une des conditions suivantes :
a) la loi de cette province prévoit un impôt semblable, de par sa nature, à celui prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu, et les sommes déduites ou retenues au titre de cette loi provinciale sont de même nature que celles visées aux paragraphes 227(4) ou (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu;
b) cette province est une province instituant un régime général de pensions au sens du paragraphe 3(1) du Régime de pensions du Canada, la loi de cette province institue un régime provincial de pensions au sens de ce paragraphe, et les sommes déduites ou retenues au titre de cette loi provinciale sont de même nature que celles visées aux paragraphes 23(3) ou (4) du Régime de pensions du Canada.
Pour l’application du présent paragraphe, toute disposition de la loi provinciale qui crée une fiducie présumée est réputée avoir, à l’encontre de tout créancier de la compagnie et malgré tout texte législatif fédéral ou provincial et toute règle de droit, la même portée et le même effet que la disposition fédérale correspondante, quelle que soit la garantie dont bénéficie le créancier.
[148] Compte tenu de ce libellé, la Cour, dans l’arrêt Century Services, a notamment dit des fiducies établies en application du par. 227(4.1) qu’elles « survivent » et qu’elles « continuent de s’appliquer » sous le régime de la LACC (voir les par. 38, 45, 49, 53 et 79). La Couronne s’appuie sur ces observations pour faire valoir que la fiducie réputée demeure parfaitement intacte sous le régime de la LACC, ce qui lui confère un droit propriétal ne pouvant être subordonné à aucun autre droit.
[149] À mon avis, la prétention de la Couronne déborde l’analyse faite dans l’arrêt Century Services. Dans cette affaire, la question en litige était celle de savoir si la fiducie réputée créée en vertu du par. 222(3) de la LTA à l’égard de la TPS non versée s’appliquait sous le régime de la LACC. Comme je l’ai mentionné, le libellé du par. 222(3), quasi identique à celui du par. 227(4.1) de la LIR, prévoit que la fiducie réputée s’étend aux biens du débiteur fiscal jusqu’à concurrence du montant de la TPS non versée et aux biens détenus, par ailleurs, par un créancier garanti en vertu d’une garantie. Le paragraphe 222(3) de la LTA prévoit également que la fiducie réputée s’applique malgré tout autre texte législatif fédéral, sauf la LFI. Par conséquent, sous le régime de la LFI, la priorité de la Couronne à l’égard de la TPS non versée n’existe plus. Cependant, sous le régime de la LACC, le par. 37(1) prévoit que les fiducies réputées établies par la loi en faveur de la Couronne ne devraient pas être considérées comme des fiducies à moins qu’elles le soient en l’absence des dispositions déterminatives. Dans l’arrêt Century Services, la Cour s’est attaquée au conflit apparent entre le par. 222(3) de la LTA et le par. 37(1) (alors le par. 18.3(1)) de la LACC.
[150] À la majorité, la Cour a estimé, par une interprétation législative, que le conflit apparent pouvait être résolu en faveur de la LACC (Century Services, par. 44). Le législateur avait tendance à ne pas faire valoir la priorité accordée à la Couronne en situation d’insolvabilité. À la fois dans la LFI et dans la LACC, il avait adopté une règle générale selon laquelle les fiducies réputées créées en faveur de la Couronne ne s’appliquaient pas en situation d’insolvabilité. Il avait aussi explicitement établi une exception à cette règle générale pour les retenues à la source non versées. La logique de la LACC tendait à indiquer que seules les fiducies réputées visant les retenues à la source non versées continuaient de produire leurs effets (par. 45‑46).
[151] Donc, si la Cour a souligné que la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) « survit » sous le régime de la LACC, elle n’a pas précisé comment elle survit. Notre Cour n’a jamais examiné la portée de la fiducie réputée sous le régime de la LACC, plus particulièrement à la lumière des objectifs de la LACC et de la nature équivoque du droit de bénéficiaire conféré au moyen de la disposition déterminative. Pour les besoins du présent pourvoi, il est nécessaire de se pencher sur les par. 37(2) et 6(3) pour déterminer de quelle façon la LACC interprète le droit de la Couronne sur les retenues à la source non versées.
[152] À cette fin, bien que le par. 37(2) de la LACC soit quasi identique au par. 67(3) de la LFI, il n’a pas le même effet puisqu’il n’est pas subordonné à une disposition comme l’al. 67(1)a). Le paragraphe 37(2) de la LACC établit une exception au par. 37(1), une disposition différente de l’al. 67(1)a). Alors que cet alinéa exclut les biens de la fiducie du patrimoine d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, le par. 37(1) prévoit seulement qu’« aucun des biens de la compagnie débitrice ne peut être considéré comme [un bien détenu en fiducie pour Sa Majesté] par le seul effet d’une telle disposition ». Contrairement à la LFI, la LACC est muette à propos de la façon dont les biens de la fiducie devraient être traités de même qu’au sujet de ce qui fait partie des biens du débiteur dans un contexte de restructuration. En effet, la LACC ne contient aucune définition du terme « bien », ce qui est conforme à sa nature plutôt schématique.
[153] Ainsi, le par. 37(2) prévoit que la Couronne conserve un droit de bénéficiaire sur les biens du débiteur jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées, lesquelles sont « assimil[ées] [. . .] à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté ». Toutefois, bien que cela indique que, contrairement aux fiducies réputées visées par le par. 37(1), la fiducie réputée de la Couronne est maintenue et confère un droit plus fort, le par. 37(2) n’explique pas quoi faire de ce droit dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime de la LACC. Il ne prévoit pas, par exemple, que les biens de la fiducie devraient être écartés, comme ce serait le cas dans le contexte de la LFI. Conformément à la souplesse qui caractérise la LACC, le par. 37(2) est peu loquace quant à ce que requiert le droit de bénéficiaire unique que confère à la Couronne le par. 227(4.1) de la LIR. Mais comme je vais l’expliquer, l’art. 11 confère au tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner l’intérêt reconnu à la Couronne par le par. 37(2) et lui donner effet.
[154] En outre, le par. 6(3) de la LACC donne explicitement effet au droit que possède la Couronne en vertu de la fiducie réputée. Aux termes de cette disposition, le tribunal ne peut homologuer un plan de transaction qui ne prévoit pas le paiement intégral à la Couronne des retenues à la source non versées dans les six mois suivant l’homologation (à supposer que la Couronne n’en ait pas convenu autrement) :
(3) Le tribunal ne peut, sans le consentement de Sa Majesté, homologuer la transaction ou l’arrangement qui ne prévoit pas le paiement intégral à Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province, dans les six mois suivant l’homologation, de toutes les sommes qui étaient dues lors de la demande d’ordonnance visée aux articles 11 ou 11.02 et qui pourraient, de par leur nature, faire l’objet d’une demande aux termes d’une des dispositions suivantes :
a) le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu . . .
[155] Donc, selon le par. 6(3), le droit que possède la Couronne en vertu du par. 227(4.1) inclut le droit de ne pas avoir à transiger. La Couronne peut exiger que le plan prévoie le paiement intégral de sa créance « par priorité sur [les] garantie[s] ». Ce droit diffère donc d’une garantie par sa nature. Il y a peut‑être un risque que le plan échoue et que la Couronne ne soit pas payée intégralement si la restructuration se solde par une liquidation et que le patrimoine a été épuisé en cours de route, mais la LACC reconnaît qu’il est bénéfique pour la société d’aider une compagnie à poursuivre ses activités. Cet objectif réparateur joue un rôle de premier plan lorsqu’il s’agit de prévoir la souplesse nécessaire pour protéger le droit que le par. 37(2) confère à la Couronne sur les retenues à la source non versées et pour donner concrètement effet à ce droit au par. 6(3) de la LACC.
[156] À mon avis, la raison de cette différence entre la LFI et la LACC est simple. L’objectif d’une liquidation sous le régime de la LFI est de permettre au débiteur de prendre un nouveau départ et de rembourser ses créanciers dans la mesure du possible. Les biens du débiteur doivent être répartis en fonction de l’ordre de priorité strict établi par la loi. Pour commencer le processus de répartition, il est nécessaire de regrouper les fonds du débiteur et de déterminer ce qui peut, ou ne peut pas, être attribué aux créanciers. Une énumération complète des biens du débiteur est nécessaire, et aucune souplesse n’est requise dans le régime pour faciliter le processus de liquidation. Il n’y a pas non plus d’autre objectif général — comme faciliter la restructuration des activités du débiteur — qui nécessite, par exemple, un financement temporaire ou une modification des droits.
[157] Cependant, dans le cadre d’une restructuration sous le régime de la LACC, il n’existe pas de formule stricte de répartition des actifs. Certaines dettes peuvent être restructurées, d’autres peuvent être remboursées. Lorsqu’il est question de restructurer les affaires d’un débiteur, l’objectif change, et le financement temporaire est introduit pour faciliter la restructuration. Les droits et les priorités changent du fait de l’entrée en scène d’un acteur essentiel, le prêteur temporaire, lequel ne joue aucun rôle dans la liquidation.
[158] Le fait que les deux lois traitent différemment le droit que confère à la Couronne le par. 227(4.1) de la LIR est donc conforme aux régimes et aux objectifs différents de celles‑ci. Il ne s’agit pas d’un cas où le législateur a tenté d’harmoniser les droits conférés par les différents régimes (voir, p. ex., Indalex, par. 51, la juge Deschamps). La LACC donne à la fiducie réputée le sens qui convient à ses fins. Le sens concret donné est qu’un plan de transaction doit prévoir le paiement intégral des sommes dues à la Couronne dans les six mois suivant l’homologation du plan.
C. Les articles 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC confèrent‑ils au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées?
[159] En l’espèce, l’ordonnance initiale subordonnait la fiducie réputée de la Couronne aux charges super prioritaires. Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu que ce pouvoir découlait des art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC, aux termes desquels un tribunal peut, par ordonnance, déclarer que les biens d’une compagnie sont grevés de charges super prioritaires en faveur de prêteurs temporaires, de dirigeants et d’administrateurs, et d’administrateurs de patrimoine. Les charges super prioritaires peuvent avoir préséance sur toute réclamation garantie. Par exemple, les passages pertinents de l’art. 11.2, qui sont à peu près semblables aux passages pertinents des art. 11.51 et 11.52, sont ainsi rédigés :
11.2 (1) Sur demande de la compagnie débitrice, le tribunal peut par ordonnance, sur préavis de la demande aux créanciers garantis qui seront vraisemblablement touchés par la charge ou sûreté, déclarer que tout ou partie des biens de la compagnie sont grevés d’une charge ou sûreté — d’un montant qu’il estime indiqué — en faveur de la personne nommée dans l’ordonnance qui accepte de prêter à la compagnie la somme qu’il approuve compte tenu de l’état de l’évolution de l’encaisse et des besoins de celle‑ci. La charge ou sûreté ne peut garantir qu’une obligation postérieure au prononcé de l’ordonnance.
(2) Le tribunal peut préciser, dans l’ordonnance, que la charge ou sûreté a priorité sur toute réclamation des créanciers garantis de la compagnie.
[160] Comme les charges super prioritaires peuvent avoir « priorité sur toute réclamation des créanciers garantis », la définition de « créancier garanti » au par. 2(1) est primordiale :
créancier garanti Détenteur d’hypothèque, de gage, charge, nantissement ou privilège sur ou contre l’ensemble ou une partie des biens d’une compagnie débitrice, ou tout transport, cession ou transfert de la totalité ou d’une partie de ces biens, à titre de garantie d’une dette de la compagnie débitrice, ou un détenteur de quelque obligation d’une compagnie débitrice garantie par hypothèque, gage, charge, nantissement ou privilège sur ou contre l’ensemble ou une partie des biens de la compagnie débitrice, ou un transport, une cession ou un transfert de tout ou partie de ces biens, ou une fiducie à leur égard, que ce détenteur ou bénéficiaire réside ou soit domicilié au Canada ou à l’étranger. Un fiduciaire en vertu de tout acte de fiducie ou autre instrument garantissant ces obligations est réputé un créancier garanti pour toutes les fins de la présente loi sauf la votation à une assemblée de créanciers relativement à ces obligations…
[161] Les intimées soutiennent, à l’instar des tribunaux d’instance inférieure, que la Couronne est un « créancier garanti » au sens de la LACC à l’égard de son intérêt sur les retenues à la source non versées puisque la loi habilitante, la LIR, dit elle‑même que le détenteur d’une fiducie réputée détient une « garantie » (voir Temple City Housing Inc., Re, 2007 ABQB 786, 42 C.B.R. (5th) 274). En outre, les intimées s’appuient sur l’analogie faite dans l’arrêt First Vancouver, où la fiducie réputée de la Couronne est assimilée à une charge flottante (qui constitue une garantie). Les intimées affirment donc que les art. 11.2, 11.51 et 11.52 confèrent au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée de la Couronne.
[162] La Couronne, à l’instar du juge dissident de la Cour d’appel, soutient qu’elle n’est pas un « créancier garanti » étant donné que la définition de ce terme contenue dans la LACC ne fait pas mention du détenteur d’une fiducie réputée et que les art. 37 à 39 de la LACC établissent clairement une distinction entre la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées, d’une part, et les réclamations garanties et non garanties de la Couronne, d’autre part. Par conséquent, la Couronne affirme que les art. 11.2, 11.51 et 11.52 ne confèrent pas au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée de la Couronne.
[163] Comme je l’explique en détail ci‑dessous, je conclus que les art. 11.2, 11.51 et 11.52 ne confèrent pas au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées.
[164] En premier lieu, je conviens avec les intimées que la définition générale du terme « garantie » contenue dans la LIR comprend le détenteur d’une fiducie réputée ou réelle (par. 224(1.3)). Cependant, le renvoi à une garantie fait au par. 227(4.1) ne concerne pas l’intérêt de la Couronne, mais plutôt l’intérêt d’autres parties à l’égard des biens du débiteur. À mon avis, aucune des définitions du terme « garantie » contenues dans la LIR n’est pertinente pour définir l’intérêt de la Couronne puisqu’elles servent un objectif tout à fait différent. L’important est de savoir si les dispositions de la LACC confèrent au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. On peut répondre à cette question en interprétant le libellé de la LACC et la façon dont la LACC définit créancier garanti.
[165] En deuxième lieu, je conviens avec la Couronne que la définition de « créancier garanti » contenue dans la LACC ne mentionne pas expressément le détenteur d’une fiducie réputée ou réelle. En outre, l’intérêt de la Couronne ne peut pas simplement être qualifié de « charge ». Comme je l’ai expliqué précédemment, bien que la fiducie réputée de la Couronne ait des points communs avec une charge flottante, la disposition renvoie aussi à certains aspects du droit de bénéficiaire. J’hésiterais à établir des analogies avec les autres termes énoncés dans la définition contenue dans la LACC. Les détenteurs de plusieurs de ces instruments sont souvent décrits comme détenant un droit propriétal sur leur garantie. La décision de les assimiler à des créanciers garantis pour l’application de la LACC était celle du législateur. Il est difficile de faire cadrer la fiducie réputée de la Couronne dans la définition de « créancier garanti » contenue dans la LACC, d’autant plus que la LACC fait précisément mention de la fiducie réputée au par. 37(2).
[166] Enfin, je conviens avec la Couronne que les art. 37 à 39 de la LACC traitent la fiducie réputée de la Couronne et les réclamations garanties de la Couronne comme des intérêts distincts. Après l’art. 37 de la LACC, qui porte sur les fiducies réputées, le par. 38(1) prévoit une règle générale selon laquelle les réclamations garanties de la Couronne prennent rang comme réclamations non garanties. Le paragraphe 38(2) soustrait à l’application du par. 38(1) les garanties consensuelles accordées à la Couronne. Le paragraphe 38(3) prévoit une exception pour les demandes péremptoires de paiement renforcées de l’ARC. Enfin, le par. 39(1) protège les réclamations garanties de la Couronne si elles ont été enregistrées avant l’introduction d’une procédure intentée sous le régime de la LACC, et le par. 39(2) subordonne une garantie ou une charge de la Couronne aux garanties parfaites antérieures.
[167] Comme le fait remarquer Wood, [traduction] « [c]es dispositions adoptent deux approches différentes — l’une s’applique à la fiducie réputée, l’autre s’applique lorsqu’une loi donne à la Couronne le statut de créancier garanti » (Wood (2020), p. 96). Si le par. 227(4.1) de la LIR donnait à la Couronne le statut de créancier garanti, l’ARC devrait vraisemblablement se conformer aux art. 38 et 39 en enregistrant sa garantie. Personne ne laisse entendre que la Couronne doit enregistrer sa réclamation à l’égard des retenues à la source non versées. À mon avis, les art. 37 à 39 établissent une distinction entre les fiducies réputées, d’une part, et les réclamations garanties et non garanties, d’autre part. La Couronne n’est donc pas un « créancier garanti » au sens de la LACC pour ce qui est de son droit sur les retenues à la source non versées.
[168] Cela est décisif pour l’application des art. 11.2, 11.51 et 11.52 de la LACC. Ces articles ne confèrent pas au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées.
D. L’article 11 de la LACC confère‑t‑il au tribunal le pouvoir de faire passer les charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées?
[169] Il reste à décider si une autre disposition de la LACC, à savoir l’art. 11, confère ce pouvoir. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’art. 11 permet au tribunal de rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée, sous réserve des restrictions prévues par la loi :
11 Malgré toute disposition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations, le tribunal peut, dans le cas de toute demande sous le régime de la présente loi à l’égard d’une compagnie débitrice, rendre, sur demande d’un intéressé, mais sous réserve des restrictions prévues par la présente loi et avec ou sans avis, toute ordonnance qu’il estime indiquée.
[170] Dans l’arrêt 9354‑9186 Québec inc., notre Cour a expliqué que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’art. 11 est vaste, mais non sans limites (par. 49). Il y a trois « considérations de base » qu’il faut garder à l’esprit : (1) l’ordonnance demandée doit être indiquée; (2) le demandeur doit agir de bonne foi; (3) le demandeur doit faire preuve de la diligence voulue (Century Services, par. 70; 9354‑9186 Québec inc., par. 49). L’opportunité de l’ordonnance demandée est évaluée en déterminant si elle favorisera la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC. Cependant, « [l]a possibilité [. . .] de rendre des ordonnances plus spécifiques n’a pas pour effet de restreindre » la portée des termes généraux utilisés à l’art. 11 (Century Services, par. 70).
[171] Conformément à la portée large de son libellé, l’art. 11 de la LACC a été utilisé pour rendre un vaste éventail d’ordonnances. Plus récemment, par exemple, notre Cour a précisé qu’il pouvait être utilisé pour empêcher un créancier de voter sur un plan d’arrangement lorsqu’il agit dans un but illégitime (9354‑9186 Québec inc., par. 56 et 66).
[172] En l’espèce, la question est de savoir si l’art. 11 peut être utilisé pour faire passer le prêt d’un prêteur temporaire, ou toute autre charge super prioritaire, devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. À mon avis, il peut l’être, et ce, pour deux raisons.
[173] Premièrement, étant donné ma conclusion quant à la teneur du droit que confère le par. 227(4.1) de la LIR à la Couronne pour l’application de la LACC (le droit d’exiger que le plan de transaction prévoie à tout le moins le paiement intégral des sommes dues), le fait de faire passer une charge super prioritaire devant la fiducie réputée de la Couronne n’entre pas en conflit avec la disposition de la LIR. Dès lors que les sommes qui lui sont dues lui sont payées intégralement dans le cadre d’un plan de transaction, le droit que possède la Couronne en vertu du par. 227(4.1) demeure intact « malgré toute autre garantie » sur le montant des retenues à la source non versées. Pour cette raison, il importe peu de savoir si une charge super prioritaire constituée en vertu des art. 11, 11.2, 11.51 ou 11.52 de la LACC est une « garantie » au sens des par. 227(4) et (4.1) de la LIR. L’analyse qui précède n’est pas tributaire de la conclusion selon laquelle une charge super prioritaire n’est pas visée par la définition contenue dans la LIR.
[174] En outre, selon les circonstances, une telle ordonnance peut favoriser la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC. Par exemple, le financement temporaire est souvent crucial pour le processus de restructuration. S’il est démontré que le financement temporaire ne peut être obtenu sans que le prêt temporaire prenne rang devant la fiducie réputée de la Couronne, pareille ordonnance pourrait, là encore selon les circonstances, favoriser la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC. En général, les tribunaux devraient disposer de la latitude nécessaire pour ordonner des charges super prioritaires en faveur des parties dont la fonction est de faciliter la proposition d’un plan de transaction qui, dans tous les cas, devra prévoir le paiement intégral des sommes dues à la Couronne.
[175] Deuxièmement, je n’accepte pas l’argument de la Couronne selon lequel il est impossible de recourir à l’art. 11 parce que d’autres dispositions de la LACC, à savoir les art. 11.2, 11.51 et 11.52, confèrent plus précisément compétence (voir 9354‑9186 Québec inc., par. 67‑68).
[176] Bien que je convienne que la portée de l’art. 11 soit limitée par les dispositions énoncées dans la LACC et que cet article ne puisse être utilisé en contravention d’autres dispositions précises de cette loi, « [l]a possibilité [. . .] de rendre des ordonnances plus spécifiques n’a pas pour effet de restreindre » la portée de l’art. 11. Le fait que des dispositions précises de la LACC permettent au tribunal de faire passer des charges super prioritaires devant les réclamations des créanciers garantis ne signifie pas que le tribunal peut seulement faire passer des charges super prioritaires devant les réclamations des créanciers garantis. Une telle interprétation reviendrait à ajouter aux art. 11.2, 11.51 et 11.52 des mots qui n’existent pas. Une ordonnance accordant à une charge super prioritaire la préséance sur le bénéficiaire de la fiducie réputée est, par sa nature, différente des ordonnances visées par les art. 11.2, 11.51 et 11.52, qui prévoient la subordination des réclamations des créanciers garantis. Aucune disposition de la LACC n’indique ce que le tribunal peut faire avec les biens de la fiducie et aucune disposition de la LACC ne confère plus précisément compétence pour décider si une charge super prioritaire peut prendre rang devant le bénéficiaire de la fiducie réputée. Tant qu’elle n’entre pas en conflit avec d’autres dispositions de la LACC, à savoir les par. 37(2) et 6(3), et tant qu’elle respecte les « considérations de base » que sont l’opportunité, la bonne foi et la diligence voulue, une ordonnance faisant passer une charge super prioritaire devant la fiducie réputée de la Couronne relèverait du pouvoir conféré par l’art. 11 (Century Services, par. 70; 9354‑9186 Québec inc., par. 49). Comme je l’ai expliqué précédemment, il n’y aurait aucun conflit avec les par. 37(2) et 6(3) de la LACC.
[177] Les deux parties ont invoqué des considérations de politique pour faciliter l’exercice d’interprétation. Je n’estime pas nécessaire de recourir à de tels arguments. Cependant, il est loin d’être évident que le financement temporaire prendrait tout simplement fin si une super priorité était accordée à la fiducie réputée de la Couronne dans une affaire qui s’y prête. Il est également loin d’être évident que la Couronne subirait un préjudice important si la préséance était accordée aux charges super prioritaires dans une affaire donnée, compte tenu de l’existence du par. 6(3) de la LACC exigeant le paiement intégral des sommes dues et du traitement favorable de la Couronne dans le régime de liquidation de la LFI en cas d’échec de la restructuration. Chose certaine, le financement temporaire est crucial pour le processus de restructuration, et la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées est cruciale pour le recouvrement des créances fiscales. Il reviendra au juge chargé d’appliquer la LACC de soupeser et de pondérer les différents facteurs.
[178] À cette fin, l’art. 11 de la LACC donne au tribunal le pouvoir discrétionnaire et la latitude nécessaires pour soupeser les diverses considérations pour se prononcer sur l’opportunité de faire passer une charge super prioritaire devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées. Le tribunal doit examiner attentivement les faits propres à l’affaire pour décider si une telle ordonnance est nécessaire et appropriée. Le cas échéant, le tribunal tient compte de l’intérêt que possède la Couronne dans la fiducie réputée en raison du par. 37(2). Pour ce faire, le tribunal peut sans aucun doute s’appuyer, entre autres, sur les facteurs déjà énoncés au par. 11.2(4) — la durée probable des procédures intentées sous le régime de la LACC, les plans d’administration de la compagnie au cours de ces procédures, les opinions des créanciers les plus importants de la compagnie et du contrôleur et la capacité de la compagnie d’obtenir un financement temporaire. Le paragraphe 11.2(4) de la LACC dispose :
(4) Pour décider s’il rend l’ordonnance, le tribunal prend en considération, entre autres, les facteurs suivants :
a) la durée prévue des procédures intentées à l’égard de la compagnie sous le régime de la présente loi;
b) la façon dont les affaires financières et autres de la compagnie seront gérées au cours de ces procédures;
c) la question de savoir si ses dirigeants ont la confiance de ses créanciers les plus importants;
d) la question de savoir si le prêt favorisera la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement viable à l’égard de la compagnie;
e) la nature et la valeur des biens de la compagnie;
f) la question de savoir si la charge ou sûreté causera un préjudice sérieux à l’un ou l’autre des créanciers de la compagnie;
g) le rapport du contrôleur visé à l’alinéa 23(1)b).
[179] De plus, je suis d’avis que le tribunal peut également tenir compte de ce qui suit :
• la question de savoir si le prêteur temporaire a indiqué, de bonne foi, qu’il n’accordera pas de prêt au débiteur à moins que ce prêt prenne rang devant la fiducie réputée de la Couronne;
• les montants relatifs du prêt temporaire et des retenues à la source non versées (si le montant des retenues à la source non versées ne représente qu’une petite fraction du montant du prêt temporaire, le prêteur temporaire ne subirait pas nécessairement de préjudice important si une super priorité ne lui était pas accordée);
• la question de savoir si, et pendant combien de temps, la Couronne a permis le non‑versement des retenues à la source sans prendre de mesures (voir, p. ex., Hanlon, Tickle et Csiszar);
• enfin, les probabilités de succès d’une restructuration et la question de savoir si la LACC est susceptible d’être invoquée pour liquider les actifs du débiteur.
[180] Enfin, différentes considérations entreront en jeu si un tribunal envisage de faire passer la charge d’une autre partie, comme la charge du contrôleur ou des dirigeants, devant la fiducie réputée de la Couronne.
VII. Conclusion
[181] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et je précise que le pouvoir de faire passer des charges super prioritaires devant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées découle de l’art. 11 de la LACC plutôt que des art. 11.2, 11.51 et 11.52. L’intérêt de la Couronne au titre du par. 227(4.1) de la LIR est une fiducie réputée, mais le droit de bénéficiaire sur les biens d’une fiducie réputée constitue une adaptation de concepts de droit privé sans signification établie. Par conséquent, la nature particulière du droit de bénéficiaire sur les biens de la fiducie réputée doit être déterminée dans le contexte pertinent où il est invoqué. En l’espèce, le droit de la Couronne sur les retenues à la source non versées dans le cadre d’une restructuration sous le régime de la LACC est protégé tant par le par. 37(2) que par le par. 6(3). Le premier est souple et exige que l’on tienne compte des biens réputés détenus en fiducie par la Couronne lorsque cela est approprié dans le cadre de la loi; le deuxième exige spécifiquement que le plan de transaction prévoie le paiement intégral des créances de la Couronne visées par la fiducie réputée dans les six mois suivant l’homologation du plan. Le droit de la Couronne diffère sous le régime de la LFI, conformément aux objectifs et aux régimes différents de la liquidation et de la restructuration. Étant donné la teneur du droit de la Couronne sur les retenues à la source non versées dans le cadre d’une restructuration sous le régime de la LACC, il n’y a pas de conflit entre le par. 227(4.1) de la LIR et l’art. 11 de la LACC. Les régimes des deux lois fédérales peuvent être harmonisés et leurs objectifs, réalisés.
[182] Les intimées ont droit à leurs dépens selon le tarif des honoraires et débours fixé à l’annexe B des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156.
Version française des motifs des juges Abella, Brown et Rowe rendus par
Les juges Brown et Rowe —
I. Aperçu
[183] Dans le présent pourvoi, la question est de savoir si la réclamation de la Couronne au titre de la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source non versées en vertu des par. 227(4) et (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »), des par. 23(3) et (4) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, c. C‑8 (« RPC »), et des par. 23(4) et 86(2) et (2.1) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, c. 23 (« LAE ») (collectivement, les « lois fiscales »), a préséance sur les charges super prioritaires ordonnées par un tribunal en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C-36 (« LACC »).
[184] La version actuelle de la disposition concernant la fiducie réputée, soit le par. 227(4.1) de la LIR, est le résultat d’une modification adoptée en 1997 par le législateur en réponse directe à l’interprétation faite par notre Cour de la version antérieure de la disposition dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411 (Ministère des Finances Canada, Retenues à la source non versées et TPS impayée (7 avril 1997)). Cette disposition était elle‑même le résultat de plusieurs modifications, à commencer, en 1942, par celle qui a introduit la fiducie réputée aux par. 92(6) et (7) de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97 (auparavant S.C. 1917, c. 28) (Loi modifiant la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, L.C. 1942‑1943, c. 28, art. 31). La disposition et l’historique des modifications démontrent l’intention du législateur de protéger sa capacité de percevoir les retenues à la source en vertu des lois applicables, par priorité sur toute autre réclamation visant les biens d’un débiteur.
[185] La Couronne se pourvoit contre la décision de la Cour d’appel de l’Alberta qui, comme le juge en cabinet, a conclu que le tribunal chargé d’appliquer la LACC avait le pouvoir de subordonner les réclamations relatives à une fiducie réputée créée par les lois fiscales aux charges super prioritaires (2019 ABCA 314, 93 Alta. L.R. 29, conf. 2017 ABQB 550, 60 Alta. L.R. (6th) 103). Après avoir examiné les dispositions applicables des lois fiscales, et pour les motifs qui suivent, nous ne partageons pas ce point de vue et nous nous rangeons plutôt à l’avis du juge dissident, le juge Wakeling. Les réclamations de la Couronne relatives à une fiducie réputée créée par les lois fiscales ont priorité absolue et ne peuvent pas être subordonnées aux charges super prioritaires.
[186] À notre avis, le libellé des dispositions contestées des lois fiscales est clair : la fiducie réputée de la Couronne produit ses effets « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral » (LIR, par. 227(4.1))[2]. Le législateur a employé des termes non équivoques — les termes mêmes proposés par notre Cour dans l’arrêt Sparrow Electric — pour accorder une priorité absolue à la réclamation de la Couronne. En outre, toujours dans un langage clair et non équivoque, le législateur a imposé des limites aux larges pouvoirs par lesquels un tribunal peut accorder la priorité à des charges super prioritaires, établissant ainsi clairement la supériorité des réclamations relatives à une fiducie réputée. Enfin, cette interprétation ne fait perdre son sens à aucune des dispositions de la LACC. Contrairement à d’autres contextes, comme dans celui du régime législatif régissant la TPS/TVH, le législateur n’a pas ouvert la porte à la subordination de la fiducie réputée créée par les lois fiscales en vue de réaliser d’autres objectifs législatifs. Nous sommes donc d’avis d’accueillir le pourvoi.
II. Analyse
A. Observations générales sur la nature de la fiducie réputée créée par les lois fiscales
[187] La fiducie réputée créée par la LIR est un instrument essentiel à la perception des retenues à la source (First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720, par. 22). La LIR accorde à la Couronne la priorité de rang pour la perception des retenues à la source non versées, étant donné son statut de « créancier involontaire » (First Vancouver, par. 23).
[188] Les paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR prévoient ce qui suit :
(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l’absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.
(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non‑versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l’absence d’une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d’une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
[189] Ces paragraphes décrivent deux événements pertinents. Premièrement, dès le moment où le montant est retenu, une fiducie réputée est créée en faveur de la Couronne, contraignant chaque personne (le « débiteur fiscal ») qui effectue des retenues à la source à retenir le montant en vue de le verser à Sa Majesté (LIR, par. 227(4)). Aux termes du par. 227(4), le débiteur fiscal est réputé détenir le montant des retenues à la source « séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens [du paragraphe 224(1.3)] ».
[190] Le deuxième événement se produit lorsque le débiteur fiscal fait défaut de verser les retenues à la source selon les modalités et dans le délai prévus par la LIR. Le paragraphe 227(4.1) étend la fiducie réputée à tous « les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti [. . .] d’une valeur égale [au montant réputé être détenu en fiducie] ». Ainsi, les retenues à la source sont réputées être détenues « en fiducie pour Sa Majesté » à compter du moment où le montant est « déduit ou retenu », « sépar[ées] des propres biens de la personne ». Le législateur a également prévu que les retenues à la source non versées au titre des lois fiscales sont réputées « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne » à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, et qu’elles constituent des « biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie ».
[191] Notre Cour a jugé que la fiducie réputée « tire son origine de la législation » et qu’elle « n’est pas réelle, étant donné que son objet ne peut être identifié à compter de la date de création de la fiducie » (Sparrow Electric, par. 31, le juge Gonthier, citant D. W. M. Waters, Law of Trusts in Canada (2e éd. 1984), p. 117, et adopté dans First Vancouver, par. 37). Cette déclaration a donné lieu, dans le cadre du présent pourvoi, à un débat sur la question de savoir si la fiducie réputée crée une garantie ou un intérêt propriétal. Les intimées soutiennent que la Couronne ne peut pas détenir un intérêt propriétal sur les biens des débitrices en raison de l’incertitude quant aux biens sujets à la fiducie.
[192] Nous convenons avec chacune de nos collègues les juges Karakatsanis et Côté que la fiducie réputée n’est pas une fiducie « véritable » et qu’elle ne confère pas à la Couronne un intérêt propriétal ou des droits de bénéficiaire tel qu’on les entend en common law ou au sens du Code civil du Québec (motifs de la juge Karakatsanis, par. 119‑120; motifs de la juge Côté, par. 43 et 49). En tout respect, cependant, nos collègues ne saisissent pas le caractère réputé de la fiducie. Les questions de l’intérêt propriétal, de la certitude quant aux biens sujets à la fiducie et du patrimoine autonome qui découlent des tentatives d’expliquer le fonctionnement de la fiducie réputée sont dénuées de toute pertinence et n’aident pas à trancher le présent pourvoi, ni à comprendre l’intention du législateur. La fiducie réputée est une fiction juridique assortie de caractéristiques sui generis décrites aux par. 227(4) et 227(4.1) de la LIR. Comme il a été souligné au par. 34 de l’arrêt First Vancouver, « le législateur peut qualifier la fiducie comme il l’entend; il n’est pas lié par les contraintes découlant des principes habituels du droit des fiducies ». Bien que l’arrêt First Vancouver ait traité du contraste entre une fiducie créée en vertu de la loi et une fiducie en common law, ses enseignements valent pour le renvoi de notre collègue la juge Côté au Code civil (Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d’Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31, par. 49). Ce qui importe en l’espèce n’est pas la qualification de la fiducie réputée en cause, mais son fonctionnement. Comme nous l’expliquerons, elle a pour effet de conférer à la Couronne un droit d’accès aux biens du débiteur jusqu’à concurrence de la masse fiduciaire ainsi que le droit d’être payée par priorité sur toute garantie.
[193] En outre, il n’existe aucune préoccupation concernant la certitude quant à la matière ou le patrimoine autonome en l’espèce. Certes, il est vrai qu’en common law au Canada, la certitude quant à l’intention de créer une fiducie, la certitude quant aux biens sujets à la fiducie et la certitude quant à l’objet sont nécessaires pour qu’une fiducie prenne naissance (D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters’ Law of Trusts in Canada (4e éd. 2012), p. 140; E. E. Gillese, The Law of Trusts (3e éd. 2014), p. 41). De même, en droit civil québécois, « [t]rois conditions sont [. . .] nécessaires pour la constitution d’une fiducie : le transfert de biens du patrimoine d’une personne à un patrimoine d’affectation, l’affectation des biens à une fin particulière et l’acceptation par un fiduciaire » (Banque de Nouvelle‑Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758, par. 31). Par ailleurs, il est également vrai que la matière de la fiducie réputée créée par le par. 227(4.1) ne peut être identifiée à compter de la date de création de la fiducie et qu’elle ne constitue pas un patrimoine autonome auquel sont transférés des biens en particulier.
[194] Mais là encore, rien de ce qui précède n’est d’une quelconque pertinence en l’espèce. C’est le texte législatif, et non les principes habituels du droit des fiducies, qui détermine la nature des fiducies réputées et les droits qu’elles confèrent (First Vancouver, par. 34). De plus, notre Cour a reconnu que le législateur avait, au moyen de la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) de la LIR, « revitalis[é] la fiducie dont l’objet a perdu toute identité » (Sparrow Electric, par. 31, le juge Gonthier, adopté dans First Vancouver, par. 37). Il en est ainsi parce que les biens sujets à la fiducie réputée sont établis après coup; ils correspondent aux biens du débiteur fiscal et aux biens détenus par un créancier garanti d’une valeur équivalente au montant réputé être détenu en fiducie en vertu du par. 227(4) qui, en l’absence de la garantie, seraient ceux du débiteur fiscal. Bref, les biens sujets à la fiducie correspondent à tous les biens, quels qu’ils soient, que l’employeur possède alors et au moyen desquels la fiducie initiale peut être réalisée. C’est pourquoi le juge Iacobucci, dans l’arrêt First Vancouver, a déclaré que la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) « s’apparent[ait] sur le plan des principes à une charge flottante » (par. 4). Le législateur a aussi contourné les conditions classiques établies dans le Code civil pour la constitution d’une fiducie en exigeant que le montant des retenues à la source non versées soit détenu « sépar[é] des propres biens d[u] débiteur » et « ne [fasse pas] partie du patrimoine ou des biens d[u] débiteur » (par. 227(4.1)).
[195] En somme, les conditions des fiducies « véritables » en droit civil et en common law ne sont d’aucune utilité pour déterminer le fonctionnement d’une fiducie réputée créée en application de la loi. Le législateur n’a pas créé une fiducie « véritable ». Il a plutôt adopté une disposition déterminative qui « donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur reconnaît habituellement et qu’il conserve là où on l’utilise » (R. c. Verrette, 1978 CanLII 208 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 838, p. 845).
[196] Sur ce point, et contrairement à l’avis des juges majoritaires de la Cour d’appel, le juge Iacobucci n’a pas jugé que la fiducie réputée constituait une charge flottante — ni qu’elle [traduction] « particip[ait] de la nature d’une “charge flottante” » (motifs de la juge Côté, par. 51) — mais plutôt qu’elle fonctionnait de manière semblable en permettant à un débiteur, dans l’intervalle, de se départir d’un bien détenu en fiducie dans le cadre normal de ses activités. Ce sont là des concepts juridiques distincts; alors que la fiducie réputée a la « priorité de rang sur les garanties actuelles et futures », une charge flottante serait supplantée par une sûreté ultérieure (Banque Toronto‑Dominion c. Canada, 2020 CAF 80, [2020] 3 R.C.F. 201, par. 62; voir aussi First Vancouver, par. 28).
[197] Fait important à signaler, la fiducie réputée prévue au par. 227(4.1) ne comprend pas l’ensemble des biens du débiteur fiscal, mais seulement les biens d’une valeur équivalente au montant réputé être détenu en fiducie en vertu du par. 227(4). Cela ne signifie pas que la Couronne ne peut pas détenir un intérêt propriétal sur les biens du débiteur, mais seulement que cet intérêt se limite à la valeur des retenues à la source non versées, ce qui est logique. La Couronne ne peut percevoir que ce qui lui est dû.
B. La fiducie réputée créée par les lois fiscales a priorité absolue sur toutes les autres réclamations dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC
[198] Le texte, le contexte et l’objectif du par. 227(4.1) de la LIR appuient la conclusion selon laquelle il n’existe qu’une seule interprétation plausible de ce paragraphe et des dispositions connexes concernant la fiducie réputée qui figurent dans les lois fiscales : la fiducie réputée de la Couronne a préséance sur toute autre réclamation, y compris sur les charges super prioritaires accordées en vertu de la LACC. Lorsque le législateur a modifié les par. 227(4) et (4.1) de la LIR et élargi leur portée, son intention était claire et sans équivoque.
(1) La fiducie réputée s’applique malgré les dispositions de la LACC
(a) Texte des lois fiscales
[199] Le libellé du par. 227(4.1) de la LIR est déterminant : la fiducie réputée de la Couronne a priorité absolue sur toutes les « garanties », y compris sur les charges super prioritaires créées sous le régime de la LACC. Le montant sujet à la fiducie réputée est réputé « être déten[u] [. . .] sépar[é] des propres biens de la personne » et « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne ». « Sa Majesté a un droit de bénéficiaire » sur ce montant et « le produit découlant de ces biens est payé [. . .] par priorité sur [toute autre] garantie ». Le droit conféré à la Couronne par la fiducie réputée créée en sa faveur est clair : il s’agit du droit d’être payée par priorité sur toute garantie.
[200] Le législateur a accordé cette priorité inattaquable en employant ces termes non équivoques : « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral ». Il s’agit d’une [traduction] « disposition générale attributive de préséance »; elle a préséance sur toute autre loi (P. Salembier, Legal and Legislative Drafting (2e éd. 2018), p. 385). Il ne figure dans la LACC aucune disposition dérogatoire semblable (« malgré »), subordonnant aux charges super prioritaires les réclamations relatives à une fiducie réputée créée par les lois fiscales. En fait, c’est tout l’inverse : contrairement à la plupart des fiducies réputées qui sont neutralisées dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC par l’application du par. 37(1) de la LACC, le par. 37(2) préserve la fiducie réputée prévue par les lois fiscales. Cela distingue la fiducie réputée en litige dans la présente affaire de celles dont il était question dans l’arrêt Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, qui ont été neutralisées par l’application de ce qui est maintenant le par. 37(1). La juge Deschamps a maintes fois comparé les différentes fiducies réputées et précisé que « la fiducie réputée établie en faveur de la Couronne et la priorité dont celle‑ci jouit de ce fait sur les retenues à la source continuent de s’appliquer autant pendant la réorganisation que pendant la faillite » (par. 38). La LIR et la LACC n’entrent donc pas en conflit.
(b) Dispositions législatives antérieures
[201] Les versions antérieures d’une disposition législative font partie du « contexte global » dans lequel cette disposition doit être interprétée (Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70, [2005] 3 R.C.S. 425, par. 28). En l’espèce, le contexte confirme qu’en édictant le par. 227(4.1) de la LIR, le législateur voulait que la fiducie réputée créée par les lois fiscales jouisse d’une priorité absolue sur tous les créanciers garantis, au sens du par. 224(1.3) de la LIR.
[202] Comme il a déjà été souligné, le législateur a modifié le par. 227(4.1) de la LIR pour adopter son libellé actuel en réponse à l’arrêt Sparrow Electric de notre Cour. Dans l’affaire Sparrow Electric, tant la Banque Royale que Sa Majesté revendiquaient la priorité de rang relativement au produit de la vente des biens de la débitrice fiscale. Notre Cour a jugé que la priorité de rang revenait à la Banque puisque les biens figurant dans l’inventaire étaient assujettis à la garantie de la Banque avant que la fiducie réputée n’ait pris naissance. En tirant cette conclusion, le juge Iacobucci a invité le législateur à accorder la priorité absolue à la Couronne et lui a montré comment y arriver :
. . . [J]e tiens à souligner qu’il est loisible au législateur d’intervenir et d’accorder la priorité absolue à la fiducie réputée. Le paragraphe 224(1.2) LIR illustre clairement comment cela pourrait se faire. Cette disposition attribue à Sa Majesté certaines sommes « malgré toute autre garantie au titre de ce[s] somme[s] », et prévoit qu’elles « doi[vent] être payée[s] au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de ce[s] somme[s] ». Pour obtenir le résultat souhaité, il suffit d’utiliser des termes aussi clairs. En l’absence de pareils termes, l’innovation judiciaire n’est pas souhaitable parce qu’il s’agit d’une question qui regorge de considérations de principe et parce qu’une prescription du législateur est plus susceptible d’être claire qu’une règle dont les limites précises ne seront établies que par suite d’une longue et coûteuse série de poursuites. [Nous soulignons; par. 112.]
[203] C’est exactement ce que le législateur a fait. Il a modifié les lois fiscales afin de renforcer sa priorité. Le communiqué qui accompagnait les modifications mentionnait que celles‑ci avaient pour objectif d’« établir la priorité absolue des droits de l’État [à l’égard des] retenues à la source non versées [et de] minimiser les pertes de recettes fiscales et empêch[er] les contribuables contrevenants et leurs créanciers garantis de tirer profit du non‑versement de retenues à la source et de TPS au détriment de l’État » (Ministère des Finances du Canada, p. 1 (nous soulignons)).
[204] L’objectif de ces modifications a été décrit par le juge Iacobucci au nom de notre Cour dans l’arrêt First Vancouver. Comme il l’a reconnu, l’objectif était d’accorder la priorité de rang à la fiducie réputée et de faire en sorte que la créance de la Couronne ait préséance sur celles des créanciers garantis, peu importe le moment où la garantie a pris naissance (par. 28‑29). « Ces modifications révèlent que le législateur a manifestement voulu consolider la fiducie réputée et en accroître la portée afin de faciliter les opérations de recouvrement du ministre », a‑t‑il ajouté (par. 29). L’intention du législateur n’aurait pas pu être plus claire.
[205] En fait, l’opinion contraire de nos collègues nous amène à nous questionner : si la portée englobante de la disposition de dérogation du par. 227(4.1) de la LIR ne suffit pas à garantir la priorité de rang sur les charges super prioritaires, quel libellé imaginable aurait suffi? Les tribunaux doivent donner dûment effet aux directives législatives claires du législateur et ne pas s’efforcer de les renverser au motif que le libellé sans équivoque ou la « clause omnibus » du législateur ne mentionne pas expressément une garantie en particulier.
(2) Les charges super prioritaires constituent une « garantie » au sens des lois fiscales
[206] Selon les dispositions relatives aux charges super prioritaires figurant aux par. 11.2(1), 11.51(1) et 11.52(1) de la LACC, un juge surveillant « peut par ordonnance [. . .] déclarer que tout ou partie des biens de la compagnie sont grevés d’une charge ou sûreté ». Cette charge ou sûreté n’a toutefois pas préséance sur la fiducie réputée créée par le par. 227(4.1) de la LIR, lequel prévoit que le montant des retenues à la source non versées réputé être détenu en fiducie a priorité sur toute autre « garantie ». Ce terme est ainsi défini au par. 224(1.3) de la LIR :
garantie Intérêt ou, pour l’application du droit civil, droit sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les intérêts ou, pour l’application du droit civil, les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu’en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs. (security interest)
Il est donc clair qu’une « garantie » englobe une « sûreté » et une « charge ». En outre, les par. 11.2(1), 11.51(1) et 11.52(1) de la LACC décrivent les charges super prioritaires comme une « charge ou sûreté ». Par conséquent, il ne fait aucun doute que les charges super prioritaires créées sous le régime de la LACC sont des garanties au sens de la LIR.
[207] Même si cela ne suffisait pas, la définition de « garantie » énoncée au par. 224(1.3) de la LIR est assez large pour comprendre les charges super prioritaires prévues sous le régime de la LACC. La portée de l’expression « sont en particulier » et du passage catégorique « charges, quelle qu’en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs » ne pourrait pas être plus large. Comme l’explique la professeure Sullivan, [traduction] « Une liste d’exemples introduite par le terme “notamment” [ou “sont en particulier” dans le paragraphe qui nous occupe] a généralement pour objectif de souligner la vaste portée des termes généraux et de veiller à ce qu’elle ne soit pas mal interprétée de façon à exclure un élément qui ne doit pas l’être » (Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), par. 4.39).
[208] Notre Cour a déjà reconnu, dans l’arrêt Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94, que le législateur a opté pour « une définition large de la “garantie” afin de maximiser le recouvrement par Sa Majesté » (par. 14), qui englobe tout intérêt sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement :
Il y a garantie aux fins des par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE lorsque le créancier détient un « [d]roit sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement ». La définition de « garantie » au par. 224(1.3) LIR n’exige pas que l’entente entre le créancier et le débiteur revête une forme particulière et elle n’en exclut aucune expressément. Dès lors que le droit du créancier sur le bien du débiteur garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement, il y a « garantie » au sens de cette disposition. L’énumération d’exemples dans la définition légale n’a pas pour effet de limiter la portée générale de l’expression « [d]roit sur un bien » . . . [Nous soulignons; par. 15.]
Dans ce cas, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré qu’un contrat conférant un droit de compensation pouvait constituer une « garantie » au sens du par. 224(1.3) de la LIR même si la compensation n’est pas énumérée dans la définition et même si elle n’est ordinairement pas considérée comme telle (par. 37‑40).
[209] Pour toutes ces raisons, les charges super prioritaires entrent dans la définition de « garantie » puisqu’elles constituent un « intérêt [. . .] sur un bien qui garantit l’exécution d’une obligation, notamment un paiement », par exemple le paiement du contrôleur, du prêteur temporaire et des dirigeants. Par conséquent, l’intérêt de la Couronne au titre de la fiducie réputée créée par le par. 227(4.1) de la LIR prend rang devant les charges super prioritaires.
[210] Notre collègue la juge Côté voit toutefois les choses différemment, mais à notre humble avis, elle fait abstraction de l’exposé du droit faisant autorité de notre Cour dans Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond. Plus précisément, elle conclut que les charges super prioritaires ne sont pas des « garanties » au sens de la LIR parce que « [les charges super prioritaires d’origine judiciaire] se distinguent des garanties consensuelles et non consensuelles classiques en ce qu’elles sont intimement liées aux procédures d’insolvabilité qui se déroulent au profit de l’ensemble des créanciers » (motifs de la juge Côté, par. 62 (soulignement omis), citant R. J. Wood, « Irresistible Force Meets Immovable Object : Canada v. Canada North Group Inc. » (2020), 63 Rev. can. dr. comm. 85, p. 98). Avec égards, rien dans la définition de garantie qui figure dans la LIR ne permet d’exclure une garantie conçue pour fonctionner au profit de tous les créanciers.
[211] Une fois de plus, et quelle que soit la nature des procédures intentées sous le régime de la LACC, la conclusion de notre collègue est inconciliable avec celle de notre Cour dans l’arrêt Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond de même qu’avec la « définition large » retenue par le législateur pour maximiser le recouvrement (Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond, par. 14). Le fait que l’instrument est constitué par un tribunal et qu’il est présumé bénéficier à tous les créanciers n’a aucune importance. Il n’a aucune incidence sur la nature des charges super prioritaires — soit garantir l’exécution d’une obligation, notamment un paiement — qui constitue le seul critère pertinent (par. 15). En ce qui concerne l’inclusion expresse des « charges super prioritaires » dans la définition et leur constitution par ordonnance judiciaire, nous réitérons que les « sûretés » et « charges » sont explicitement incluses « de quelque façon ou à quelque date qu’elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs » (LIR, par. 224(1.3)).
[212] De plus, ni l’observation du professeur Wood ni, par extension, le raisonnement avancé dans DaimlerChrysler Financial Services (Debis) Canada Inc. c. Mega Pets Ltd., 2002 BCCA 242, 1 B.C.L.R. (4th) 237, et Minister of National Revenue c. Schwab Construction Ltd., 2002 SKCA 6, 213 Sask. R. 278, ne sont d’une quelconque utilité pour notre collègue la juge Karakatsanis (par. 102; voir aussi Wood, p. 98, n. 51‑52). Bien qu’il ait été conclu dans ces jugements que les contrats de location‑financement et les contrats de vente conditionnelle n’entraient pas dans la définition énoncée au par. 224(1.3) de la LIR parce qu’ils n’y étaient pas précisément mentionnés, ce raisonnement a par la suite été rejeté sans ambages dans l’arrêt Caisse populaire de l’Est de Drummond. Comme si ce n’était pas suffisant, les affaires Mega Pets et Schwab, contrairement à l’affaire en l’espèce, concernaient des situations où les biens n’avaient pas été transférés au débiteur, lequel fait avait été considéré comme déterminant et avait mené à la conclusion que les instruments en question dans ces affaires ne constituaient pas des « garanties ». Par exemple, aux termes d’un contrat de vente conditionnelle, le vendeur ne dispose d’aucun intérêt sur les biens du débiteur puisque le vendeur demeure propriétaire jusqu’à l’exécution de l’obligation (Mega Pets, par. 32). À l’inverse, les charges super prioritaires garantissent le paiement à partir des biens qui appartiennent toujours au débiteur.
[213] Enfin, l’interprétation que notre Cour donne au terme « garantie » dans Caisse populaire de l’Est de Drummond est confirmée par la version française du texte. « Sont en particulier des garanties » est un passage illustratif, et non limitatif. Le Robert (en ligne) définit « en particulier » comme suit : « particulièrement, notamment, spécialement, surtout » (nous soulignons). Sans surprise, la version française du par. 224(1.3) a été qualifiée d’« aussi large qu’il est possible de l’écrire » (R. P. Simard, « Priorités et droits spéciaux de la couronne », dans JurisClasseur Québec — Collection de droit civil — Sûretés (feuilles mobiles), vol. 1, par P.‑C. Lafond, dir., fasc. 4, par. 20). Il n’y a aucune discordance entre les deux versions du texte. La version française correspond parfaitement à l’emploi du verbe « includes » dans le texte anglais, et confirme le sens clair de la version anglaise.
[214] Avec égards, nos collègues les juges Côté et Karakatsanis contrecarrent la volonté claire du législateur. Un langage clair et englobant devrait être traité comme tel et ne pas être contourné en tentant désespérément de faire des distinctions dénuées de de toute importance sur le plan juridique ou en cherchant ce qui n’est pas expressément mentionné dans le but d’éviter la conclusion, autrement inéluctable, selon laquelle le législateur voulait accorder la priorité absolue à la fiducie réputée.
(3) Conclusion
[215] La conclusion est simple :
1. les lois fiscales donnent à la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source priorité absolue sur toute garantie malgré la LACC;
2. les charges super prioritaires sont des « garanties » au sens des lois fiscales;
3. la LACC n’accorde pas aux charges super prioritaires préséance sur une réclamation au titre d’une fiducie réputée créée par les lois fiscales.
[216] Il n’en faut pas davantage pour trancher le pourvoi : la fiducie réputée créée par les lois fiscales a préséance sur les charges super prioritaires. Cependant, comme les intimées soutiennent que cette conclusion ferait en sorte que les dispositions relatives à la fiducie réputée contenues dans les lois fiscales entrent en conflit avec la LACC et ferait perdre leur sens à certaines dispositions de la LACC, nous nous devons d’expliquer pourquoi ce n’est pas le cas.
C. La LACC et les lois fiscales s’appliquent de façon harmonieuse
(1) Les larges pouvoirs conférés par l’art. 11 de la LACC ne sont pas sans limites
[217] Il n’est pas contesté que l’art. 11 de la LACC confère au tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire de surveillance ainsi que le pouvoir de « rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée » afin de donner effet à ce rôle de surveillance (voir J. P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act (2e éd. 2013), p. 18‑19). Ce sont plutôt les limites de ce vaste pouvoir qui sont contestées.
[218] La LACC n’a pas toujours conféré à un juge surveillant le pouvoir d’accorder des charges super prioritaires. Avant les modifications de 2009, ce pouvoir découlait de la compétence inhérente du tribunal (Temple City Housing Inc., Re, 2007 ABQB 786, 42 C.B.R. (5th) 274, par. 14; motifs de la C.B.R., par. 105). Les modifications visaient, à certains égards, à codifier les pratiques antérieures, mais elles visaient aussi à clarifier le fonctionnement des charges super prioritaires (LACC, art. 11.2, 11.51 et 11.52). Bien que l’art. 11 ait été qualifié de « moteur du régime législatif », le législateur a expressément déclaré que le pouvoir qu’il confère doit être exercé « sous réserve des restrictions prévues par la présente loi » (voir 9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, par. 48‑49, citant Stelco Inc. (Re) (2005), 2005 CanLII 8671 (ON CA), 75 O.R. (3d) 5 (C.A.), par. 36). Trois restrictions de ce genre importent en l’espèce.
(a) Le fonctionnement continu des fiducies réputées créées à l’égard des retenues à la source non versées (par. 37(2))
[219] La première restriction imposée au pouvoir d’accorder des charges super prioritaires est énoncée au par. 37(2) de la LACC, lequel prévoit le maintien en vigueur de la fiducie réputée créée par les lois fiscales dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime de la LACC — un point que notre Cour a souligné maintes fois dans l’arrêt Century Services, par. 78 à 81. À l’audition du présent pourvoi, les intimées ont soutenu que le par. 37(1) a pour effet de neutraliser la priorité de la Couronne en regard de toutes les fiducies réputées sous le régime de la LACC et que le par. 37(2) vise simplement à réintégrer les fiducies réputées créées par les lois fiscales dans les procédures engagées sous le régime de la LACC, mais sans leur priorité absolue. Cette interprétation tortueuse se méprend sur l’effet du par. 37(1).
[220] Le paragraphe 37(1) prévoit que, par dérogation à toute disposition législative fédérale ou provinciale en matière de fiducie réputée, « aucun des biens de la compagnie débitrice ne peut être considéré comme [un bien détenu en fiducie pour Sa Majesté] par le seul effet d’une telle disposition ». Toutefois, cela ne s’applique que « [s]ous réserve du paragraphe (2) ». Au moyen du par. 37(2), le législateur a également protégé l’application de la fiducie réputée créée par les lois fiscales dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC en disposant que « [l]e paragraphe (1) ne s’applique pas à l’égard des sommes réputées détenues en fiducie aux termes des [lois fiscales] ». Étant donné la directive claire du législateur voulant que la fiducie réputée s’applique « malgré » tout autre texte législatif, ainsi que la protection de la fiducie réputée expressément prévue par la LACC, il n’y a tout simplement aucune raison d’interpréter l’art. 37 comme s’il avait pour effet d’invalider les dispositions relatives à la fiducie réputée contenues dans les lois fiscales pour ensuite les rétablir, comme par hasard, avec une priorité de rang inférieure. Une telle interprétation ne trouve aucun appui dans le libellé, le contexte ou l’objectif des régimes législatifs. Tous ces éléments appuient plutôt la thèse selon laquelle, dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC, la fiducie réputée créée par les lois fiscales est préservée, autant dans la forme que sur le fond, tout comme sa priorité absolue.
[221] Avant de nous pencher sur la deuxième restriction, nous soulignons qu’aucune de nos collègues les juges Karakatsanis et Côté ne donne effet à la décision du législateur, exprimée dans un texte législatif clair, de « préserv[er] les fiducies réputées et [d’]établi[r] la priorité de la Couronne seulement à l’égard des retenues à la source » sous le régime de la LACC (Century Services, par. 45). Pour la même raison, l’importance qu’elles accordent à l’arrêt Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., 1989 CanLII 43 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 24, est mal fondée. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que la fiducie réputée créée par la loi provinciale n’était pas une « fiducie véritable » exclue du patrimoine de la débitrice en vertu de ce qui est maintenant l’al. 67(1)a) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »). La présente espèce est différente. Contrairement à la fiducie réputée en question dans l’arrêt Henfrey, la fiducie réputée créée par les lois fiscales reçoit un traitement particulier dans le cadre d’une procédure en matière de faillite et d’insolvabilité parce qu’elle est préservée par le par. 37(2) de la LACC et le par. 67(3) de la LFI. En outre, bien que la Cour ait conclu dans Henfrey que la fiducie réputée était inopérante en cas de faillite du fait que le regroupement des biens rendait non identifiable le montant assujetti à la fiducie réputée, ce raisonnement ne s’applique pas au par. 227(4.1). Dans First Vancouver, notre Cour a souligné que « comme elles prévoient l’application de la fiducie réputée en cas de défaut du débiteur (en anglais, « at any time »), les modifications appuient la conclusion que le ministre n’a pas à rattacher son droit aux biens qui appartenaient au débiteur fiscal lorsque les retenues à la source ont été faites » (par. 37). Encore une fois, aucune conclusion quant à la nature de la fiducie réputée ne découle du fait que l’origine du montant qui y est assujetti n’est pas pertinente au regard du par. 227(4.1) : la fiducie réputée est un instrument législatif et la question qui se pose concerne son fonctionnement, non sa qualification.
(b) Les charges super prioritaires ne grèvent que les biens de la compagnie débitrice
[222] La deuxième restriction imposée au vaste pouvoir de constituer des charges super prioritaires que confère la LACC est que celle‑ci prévoit que les charges super prioritaires ne peuvent se rattacher qu’à « tout ou partie » des biens de la compagnie débitrice (par. 11.2(1); voir aussi les par. 11.51(1) et 11.52(1)). Le législateur exprime ainsi l’intention claire de préserver la priorité absolue accordée à la fiducie réputée créée par les lois fiscales. Effectivement, par application du par. 227(4.1) de la LIR et du par. 37(2) de la LACC, les retenues à la source non versées sont réputées ne pas faire partie des biens de la compagnie débitrice.
[223] Le législateur n’aurait pas pu être plus clair : les retenues à la source sont réputées ne jamais faire partie des biens de la compagnie et, en cas de non‑versement, la Couronne est réputée obtenir un droit de bénéficiaire sur les biens du débiteur fiscal jusqu’à concurrence du montant des retenues à la source non versées, droit dont elle peut se prévaloir « malgré » tout autre texte législatif ou toute autre garantie. Qu’il s’agisse ou non d’un véritable intérêt propriétal, cela importe peu en l’espèce, car selon la législation, la Couronne est réputée détenir un droit de bénéficiaire à ces fins. Il s’ensuit que les charges super prioritaires ne peuvent pas prendre rang devant la réclamation de la Couronne au titre de la fiducie réputée puisqu’elles peuvent se rattacher uniquement aux biens de la compagnie débitrice, dont les retenues à la source sont réputées ne pas faire partie comme s’en est assuré avec soin le législateur. Comme l’explique Michael J. Hanlon :
[traduction] Bien qu’il ait été jugé qu’une charge en faveur d’un prêteur temporaire peut prendre rang devant une fiducie réputée créée en faveur de l’Agence du revenu du Canada à l’égard d’un montant dû au titre de retenues à la source non versées, cette conclusion semble incorrecte. Les biens réputés être détenus en fiducie en vertu des dispositions créant la fiducie réputée sont considérés comme ne faisant pas partie du patrimoine du débiteur, et puisque la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source est préservée sous le régime de la LACC, la charge en faveur d’un prêteur temporaire ne se rattacherait pas à ces biens. [Nous soulignons; notes en bas de page omises.]
(Halsbury’s Laws of Canada ⸺ Bankruptcy and Insolvency (réédition 2017), HBI‑376)
(c) La définition de « créancier garanti » (art. 2)
[224] La troisième restriction imposée au vaste pouvoir de constituer des charges super prioritaires que confère la LACC est que le tribunal « peut préciser, dans l’ordonnance, que la charge ou sûreté a priorité sur toute réclamation des créanciers garantis de la compagnie » (par. 11.2(2), 11.51(2) et 11.52(2)). De plus, selon la définition de « créancier garanti » énoncée au par. 2(1) de la LACC, il est tout à fait clair que la Couronne ne peut être considérée comme tel au regard des réclamations relatives à la fiducie réputée que lui accordent les lois fiscales :
créancier garanti Détenteur d’hypothèque, de gage, charge, nantissement ou privilège sur ou contre l’ensemble ou une partie des biens d’une compagnie débitrice, ou tout transport, cession ou transfert de la totalité ou d’une partie de ces biens, à titre de garantie d’une dette de la compagnie débitrice, ou un détenteur de quelque obligation d’une compagnie débitrice garantie par hypothèque, gage, charge, nantissement ou privilège sur ou contre l’ensemble ou une partie des biens de la compagnie débitrice, ou un transport, une cession ou un transfert de tout ou partie de ces biens, ou une fiducie à leur égard, que ce détenteur ou bénéficiaire réside ou soit domicilié au Canada ou à l’étranger. Un fiduciaire en vertu de tout acte de fiducie ou autre instrument garantissant ces obligations est réputé un créancier garanti pour toutes les fins de la présente loi sauf la votation à une assemblée de créanciers relativement à ces obligations.
Cette définition fait ressortir deux considérations pertinentes. Premièrement, la définition devrait être interprétée comme englobant deux catégories de créanciers. Deuxièmement, il faut attribuer de l’importance, sur le plan juridique, à l’emploi du mot « fiducie ».
[225] En ce qui concerne la première considération, nous acceptons l’argument de la Couronne selon lequel la juste interprétation de la définition de créancier garanti ne renvoie qu’à deux catégories de créanciers garantis : (i) les détenteurs de garanties directes; (ii) les détenteurs d’obligations garanties. Par conséquent, on entend par créancier garanti :
un détenteur d’hypothèque, de gage, charge, nantissement ou privilège sur ou contre l’ensemble ou une partie des biens d’une compagnie débitrice, ou tout transport, cession ou transfert de la totalité ou d’une partie de ces biens à titre de garantie d’une dette de la compagnie débitrice
ou
un détenteur de quelque obligation d’une compagnie débitrice garantie par hypothèque, gage, charge, nantissement ou privilège sur ou contre l’ensemble ou une partie des biens de la compagnie débitrice, ou un transport, une cession ou un transfert de tout ou partie de ces biens, ou une fiducie à leur égard . . .
Le renvoi à la « fiducie » n’est lié qu’à un instrument garantissant une obligation de la compagnie débitrice. La définition de « créancier garanti » inclut donc un « détenteur de quelque obligation d’une compagnie débitrice garantie par [. . .] une fiducie à [l’égard de l’ensemble ou d’une partie des biens de la compagnie débitrice] ». En conséquence, les détenteurs d’un intérêt en vertu d’une fiducie réputée ne forment pas une troisième catégorie de créanciers (A. Prévost, « Que reste‑t‑il de la fiducie réputée en matière de régimes de retraite? » (2016), 75 R. du B. 23, p. 58).
[226] Bien qu’ils aient trouvé cette interprétation [traduction] « intéressante à première vue », les juges majoritaires de la Cour d’appel l’ont ultimement rejetée. Selon eux, indépendamment de la question de savoir si la définition devrait faire mention des « détenteurs de fiducie » comme troisième catégorie, le droit de la Couronne pourrait être qualifié de « charge », faisant ainsi d’elle un membre de la première catégorie des créanciers garantis (motifs de la C.A., par. 42‑43). Avec égards, ce raisonnement est erroné. Le terme « charge » ne vise pas la fiducie réputée. En ce qui concerne la première catégorie de créanciers garantis, conclure que le terme « charge » englobe la « fiducie réputée » alors que les termes « charge » et « fiducie » sont indiqués séparément pour la deuxième catégorie de créanciers garantis (détenteurs d’obligations garanties) serait incohérent et irait à l’encontre des présomptions en matière d’interprétation législative. Pourquoi le législateur ferait‑il expressément mention des fiducies si celles‑ci sont déjà visées par les charges? Le législateur est censé éviter « les termes [et] les phrases [. . .] superflus et dénués de sens » (Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, par. 178). L’emploi délibéré et distinct des termes « fiducie » et « charge » montre que le législateur ne voulait pas que les fiducies réputées soient visées par le terme « charge » et que la Couronne puisse, à titre de détentrice d’une fiducie réputée, être considérée comme un créancier garanti dans cette situation.
[227] De toute façon, s’il n’y avait qu’une seule catégorie de créanciers, la Couronne ne serait pas un créancier garanti au regard de la réclamation relative à la fiducie réputée créée par les lois fiscales. Alors que le législateur a établi une distinction entre les « fiducies réputées ou réelles » au par. 224(1.3) de la LIR, il n’a pas établi la même distinction dans la définition de créancier garanti. Le législateur est présumé légiférer sciemment et choisir ses mots soigneusement. En tant que tribunal, notre rôle en ce qui concerne la législation en est un d’interprétation et non de rédaction. Nous devons attribuer de l’importance, sur le plan juridique, au libellé choisi par le législateur — c’est‑à‑dire aux termes que le législateur a et à ceux qu’il n’a pas choisis.
(d) Les « restrictions » visées à l’art. 11 de la LACC
[228] Notre collègue la juge Karakatsanis souscrit à notre analyse des dispositions relatives aux charges super prioritaires, mais elle ne semble pas les considérer comme des « restrictions » au sens de l’article 11 parce que « “[l]a possibilité [. . .] de rendre des ordonnances plus spécifiques n’a pas pour effet de restreindre” la portée des termes généraux utilisés à l’art. 11 » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 170, citant Century Services, par. 70). À notre humble avis, sur le plan du droit et de l’interprétation législative, notre collègue ne peut tout simplement pas faire valoir ce point de vue. Ni l’art. 11 ni la compétence inhérente du tribunal « n’autorise [un juge] à rendre une ordonnance qui va à l’encontre de la volonté clairement exprimée du législateur » (Baxter Student Housing Ltd. c. College Housing Co-operative Ltd., 1975 CanLII 164 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 475, p. 480; voir aussi R. c. Caron, 2011 CSC 5, [2011] 1 R.C.S. 78, par. 32). Le législateur a imposé des restrictions claires au pouvoir des tribunaux d’accorder préséance à des charges super prioritaires. C’est une chose que de se fonder sur l’art. 11 en guise de source de pouvoir général même lorsque d’autres ordonnances plus spécifiques peuvent être rendues; c’en est une autre que d’interpréter l’art. 11, à tort, comme une source de pouvoir absolu de façon à contourner des restrictions sans équivoque. Bien que les tribunaux puissent utiliser le pouvoir général que leur confère l’art. 11 afin de créer des charges super prioritaires à d’autres fins que celles expressément énumérées (voir Wood, p. 90‑91), le législateur a clairement manifesté son intention de restreindre cette charge de manière importante ⸺ elle ne peut avoir préséance sur la fiducie réputée de la Couronne.
[229] Pour la même raison, nous jugeons, avec égards, insoutenable la proposition de notre collègue le juge Moldaver selon laquelle on ne saurait dire s’il existe des restrictions internes à la LACC elle‑même qui empêcherait un tribunal d’user du pouvoir que lui accorde l’art. 11 pour ordonner qu’une charge super prioritaire ait préséance sur la réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie réputée. Cette affirmation ne tient pas compte de l’intention claire du législateur, consignée au par. 37(2), de préserver le droit de la Couronne d’être payée en priorité absolue aux dépens de tous les créanciers garantis dans une procédure intentée sous le régime de la LACC. Elle rend en outre superflue la limitation du pouvoir du tribunal de primer les charges super prioritaires en vertu des par. 11.2(2), 11.51(2) et 11.52(2) de la LACC.
[230] De plus, notre collègue le juge Moldaver mentionne qu’il n’est pas nécessaire de « définir la nature ou le fonctionnement particulier » de la fiducie réputée sous le régime de la LIR (par. 255), et il s’appuie sur la disposition de dérogation au par. 227(4.1) de la LIR pour décider si la réclamation de la Couronne peut prendre rang devant des charges super prioritaires. Cette interprétation a pour effet de créer un conflit dans les régimes législatifs, en dépit de la directive claire de notre Cour selon laquelle « une interprétation qui donne lieu à un conflit devrait être évitée dans la mesure du possible » (Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, [2007] 1 R.C.S. 591, par. 47). Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un conflit inévitable : il n’y a tout simplement aucun conflit. Le législateur a évité tout conflit entre la LACC et la LIR en restreignant le pouvoir dont le tribunal est investi par l’art. 11 de la LACC.
(e) Structure des réclamations de la Couronne sous le régime de la LACC
[231] Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas d’une « restrictio[n] prévu[e] par la [LACC] », comme le précise l’art. 11, la cohérence du régime législatif dans son ensemble dépend d’une interprétation selon laquelle la Couronne n’est pas un créancier garanti. De fait, qualifier la Couronne de « créancier garanti » aurait pour effet de perturber la structure des réclamations de la Couronne que la LACC définit de façon claire aux art. 37 à 39 (Wood, p. 98). L’article 37 s’applique aux réclamations au titre d’une fiducie réputée. Le paragraphe 37(1) prévoit que les fiducies réputées créées en faveur de la Couronne sont inopérantes sous le régime de la LACC, de façon générale, et le par. 37(2) prévoit une exemption pour les fiducies réputées créées à l’égard des retenues à la source. Le paragraphe 38(1) établit la règle générale selon laquelle les réclamations garanties de la Couronne prennent rang comme réclamations non garanties, sous réserve des exceptions énoncées aux par. 38(2) et (3). Enfin, le par. 39(1) protège la réclamation garantie de la Couronne si elle a été enregistrée avant l’introduction d’une procédure intentée sous le régime de la LACC, mais, suivant le par. 39(2), cette réclamation garantie est subordonnée aux garanties opposables antérieures.
[232] Ce qui précède nous amène à nous demander pourquoi le législateur aurait expressément « protégé » les fiducies réputées créées par les lois fiscales par l’application du par. 37(2), pour ensuite faire de la Couronne un créancier non garanti par l’application du par. 38(1). Contrairement à l’interprétation qui accorde la priorité absolue à la fiducie réputée, le fait de traiter la Couronne comme un créancier non garanti à l’égard de ses réclamations au titre d’une fiducie réputée ferait perdre presque tout son sens au par. 37(2). En outre, cette interprétation exigerait de la Couronne qu’elle enregistre sa réclamation aux termes du par. 39(1) pour protéger son rang puisque la fiducie réputée n’est pas visée par l’exception prévue à l’art. 38. Il serait illogique que le législateur ait accordé aux réclamations garanties visées par les exceptions prévues aux par. 38(2) ou (3) une protection plus grande que celle accordée à la fiducie réputée créée à l’égard des retenues à la source, alors que l’objectif manifeste était de conférer une « priorité absolue » à la fiducie réputée (First Vancouver, par. 26‑28).
[233] Nous soulignons que le professeur Wood n’est pas seul à reconnaître que les [traduction] « articles 38 et 39 de la LACC régissent les conditions dans lesquelles une réclamation de la Couronne peut être considérée comme étant “garantie” pour l’application de la LACC » (F. L. Lamer, Priority of Crown Claims in Insolvency (feuilles mobiles), §79.2). Puisque la fiducie réputée créée par les lois fiscales à l’égard des retenues à la source non versées ne satisfait pas aux conditions de ces articles, la réclamation de la Couronne n’est pas « garantie ».
[234] À notre avis, le sens ordinaire de la définition de créancier garanti dans le contexte du régime législatif général ne peut donner lieu qu’à une seule conclusion inéluctable, à savoir qu’il existe trois catégories de réclamations de la Couronne en vertu de la LACC : (1) les réclamations au titre d’une fiducie réputée maintenue en vigueur sous le régime de la LACC; (2) les réclamations garanties; (3) les réclamations non garanties. Les réclamations à l’égard des retenues à la source non versées entrent dans la première catégorie, soit les réclamations au titre d’une fiducie réputée maintenue sous le régime de la LACC.
(2) Reconnaître la priorité absolue de la fiducie réputée de la Couronne ne va à l’encontre de l’objectif d’aucune disposition de la LACC
[235] Pour deux autres raisons connexes, les juges majoritaires de la Cour d’appel et les intimées refusent de conclure que la fiducie réputée de la Couronne bénéficie d’une priorité absolue.
(a) Protection des réclamations de la Couronne en application du par. 6(3)
[236] Premièrement, les juges majoritaires ont statué que le fait d’accorder une priorité absolue à la fiducie réputée ferait perdre son sens au par. 6(3) de la LACC. Cette disposition interdit au tribunal d’homologuer une transaction ou un arrangement qui ne prévoit pas le paiement intégral à la Couronne, dans les six mois suivant l’homologation, de toutes les sommes qui lui sont dues. Les juges majoritaires ont estimé que si les réclamations de la Couronne au titre d’une fiducie réputée créée par les lois fiscales sont toujours payées en priorité, il n’y a pas lieu de protéger les réclamations de la Couronne visées par le par. 6(3).
[237] Avec égards, cette conclusion est erronée. L’examen de l’objectif et de la portée du par. 6(3) de la LACC est sans équivoque : ce paragraphe s’applique seulement si une transaction ou un arrangement est soumis au tribunal, et il protège l’intégralité de la réclamation de la Couronne au titre du par. 224(1.2) de la LIR et des dispositions semblables des lois fiscales. Sont comprises les réclamations qui ne sont pas assujetties à une fiducie réputée créée par les lois fiscales, comme les retenues d’impôt, les cotisations d’un employeur à l’assurance‑emploi et au RPC, les intérêts et les pénalités. En revanche, la fiducie réputée s’applique immédiatement et de façon continue « à compter du moment où le montant est déduit ou retenu » sur le salaire d’un employé, et elle s’applique uniquement à ces retenues. Par conséquent, en l’absence du par. 6(3), les réclamations de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées seraient garanties une fois que le tribunal aurait homologué une transaction ou un arrangement, mais pas ses autres réclamations visées par le par. 224(1.2) de la LIR. En effet, la plupart des réclamations de la Couronne prennent rang comme réclamations non garanties en application de l’art. 38 de la LACC.
[238] Il importe de souligner que le par. 6(3) ne s’applique pas si aucun arrangement n’est proposé ni dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime de la LACC qui comprend la liquidation des actifs du débiteur. De telles « procédures de liquidation sous le régime de la LACC » sont « maintenant couran[tes] dans le contexte de la LACC » (Callidus Capital Corp., par. 42). La priorité absolue de la fiducie réputée créée par les lois fiscales, et maintenue par le par. 37(2) de la LACC, protège la réclamation de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées dans le cadre de procédures de liquidation sous le régime de la LACC. Nos collègues les juges Karakatsanis et Côté privent toutes deux la Couronne de son droit garanti en pareils cas, alors que le législateur a pourtant clairement accordé la « priorité absolue » aux réclamations à l’égard des retenues à la source non versées (Ministère des Finances du Canada).
[239] Nous soulignons que notre collègue la juge Karakatsanis ne conclut pas que le par. 6(3) est rendu inopérant par notre interprétation. Elle affirme plutôt que, comme le terme « droit de bénéficiaire » utilisé dans le contexte de la fiducie réputée n’a pas la même signification en common law, nous devons nous tourner vers la LACC pour déterminer les droits de la Couronne. Elle ajoute que cette « adaptation de concepts de droit privé sans signification établie » soulève la question de savoir comment la fiducie réputée survit sous le régime de la LACC (par. 181). À son avis, la réponse réside dans le par. 6(3).
[240] Cette conclusion est erronée pour trois raisons. Premièrement, aucune question ne se pose quant à la façon dont la fiducie réputée survit. Le paragraphe 37(2) s’applique de façon à soustraire la fiducie réputée créée par les lois fiscales à tout changement de forme ou de fond sous le régime de la LACC; est ainsi maintenue l’application du par. 227(4.1), lequel confère une priorité absolue à la réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie réputée créée par les lois fiscales. En d’autres mots, la fiducie réputée survit telle qu’elle était en application des lois fiscales. Il n’est donc pas étonnant que notre Cour ne se soit pas prononcée sur la façon dont la fiducie « survit » dans le cadre de procédures engagées sous le régime de la LACC dans l’arrêt Century Services : la réponse est, avec égards, évidente et manifeste.
[241] Deuxièmement, la proposition de notre collègue la juge Karakatsanis, selon laquelle les droits conférés à la Couronne au titre de la fiducie réputée doivent découler de la lecture du par. 6(3) de la LACC passe complètement à côté du texte de la LIR qui énonce expressément ces droits. Après avoir disposé que la Couronne détient un « droit de bénéficiaire » sur la valeur des retenues à la source non versées, la LIR ajoute ce qui suit : « le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie » (par. 227(4.1)). Voilà le droit qui revient à la Couronne au titre de la fiducie réputée, et notre collègue ne donne pas effet à ce droit.
[242] Enfin, comme nous l’avons vu, le par. 6(3) protège des droits différents de ceux visés par la fiducie réputée. Si le par. 6(3) évacue les droits de la Couronne sous le régime de la LACC, notre collègue la juge Karakatsanis fait remarquer à juste titre qu’il « y a peut‑être un risque que le plan échoue et que la Couronne ne soit pas payée intégralement si la restructuration se solde par une liquidation et que le patrimoine a été épuisé en cours de route » (par. 155 (nous soulignons)). Toutefois, cette observation ne fait qu’appuyer notre interprétation. Le droit « de ne pas avoir à transiger » qu’accorde le par. 6(3) est indépendant du droit de la Couronne au titre de la fiducie réputée (par. 155 (italiques supprimés)).
b) Pouvoir de suspendre l’exercice, par la Couronne, de son droit de saisie‑arrêt (art. 11.09)
[243] Ensuite, les juges majoritaires de la Cour d’appel et les intimées soutiennent que donner effet au texte législatif clair irait à l’encontre de l’objectif de l’art. 11.09 de la LACC, lequel confère au tribunal le pouvoir de suspendre le droit de saisie‑arrêt de la Couronne en vertu de la LIR (motifs de la C.A., par. 54). Si l’on en croit cet argument, le législateur voulait permettre au tribunal d’exercer un contrôle sur les droits de la Couronne tout en surveillant le processus de restructuration. Dans cette optique, accorder la priorité absolue à la fiducie réputée créée par les lois fiscales signifie nécessairement que l’art. 11.09 de la LACC ne s’applique pas à la réclamation relative à une fiducie réputée.
[244] Encore avec égards, ce n’est pas le cas. Une ordonnance de suspension de la saisie‑arrêt en vertu de l’art. 11.09 de la LACC peut s’appliquer aux réclamations de la Couronne relatives à la fiducie réputée créée par les lois fiscales, parce que les dispositions en matière de fiducie réputée et l’art. 11.09 servent des fins différentes : la fiducie réputée accorde une priorité à la Couronne, tandis que l’art. 11.09 impose des conditions quant au moment et à la façon dont la Couronne peut exercer son droit de saisie‑arrêt au titre du par. 224(1.2) de la LIR. En d’autres mots, l’art. 11.09 permet au tribunal de suspendre la faculté de la Couronne d’exécuter ses réclamations relatives à une fiducie réputée, mais il n’écarte pas la priorité de la Couronne.
[245] Le point crucial est le suivant : donner effet à l’intention claire du législateur d’accorder la priorité absolue à la fiducie réputée ne rend pas le par. 6(3) ou l’art. 11.09 dénué de sens. Au contraire, le par. 6(3) et l’art. 11.09 respectent la priorité absolue de la fiducie réputée créée par les lois fiscales en permettant le maintien de la priorité absolue de la réclamation de la Couronne sans contrecarrer l’objet réparateur de la LACC.
(3) Conclusion
[246] Comme nous l’avons mentionné au sujet de la priorité absolue de la fiducie réputée, l’application harmonieuse de la LACC et des lois fiscales peut se résumer ainsi :
1. la LACC protège le droit de la Couronne d’être payée par priorité sur toute garantie pour ses réclamations à l’égard de retenues à la source en vertu des lois fiscales;
2. sous le régime de la LACC, la Couronne n’est pas un « créancier garanti » à l’égard de ses réclamations relatives à une fiducie réputée créée par les lois fiscales;
3. comme les charges super prioritaires ne peuvent se rattacher qu’aux biens du débiteur, et le législateur a indiqué clairement que les retenues à la source non versées ne font pas partie des biens du débiteur, l’intérêt de la Couronne au titre de la fiducie réputée n’est pas subordonné aux charges super prioritaires;
4. le paragraphe 6(3) de la LACC, qui s’applique seulement si une transaction ou un arrangement a été soumis au tribunal, protège l’intégralité de la réclamation de la Couronne visée par le par. 224(1.2) de la LIR et les dispositions semblables des lois fiscales;
5. la priorité accordée à la Couronne au titre de la fiducie réputée n’est pas touchée par l’art. 11.09, qui impose plutôt des conditions quant au moment et à la façon dont la Couronne peut exercer son droit de saisie‑arrêt en vertu du par. 224(1.2) de la LIR.
D. Des considérations de politique générale n’appuient pas une interprétation différente
[247] Les juges majoritaires de la Cour d’appel et les intimées accordent une grande importance aux conséquences, qu’ils jugent potentiellement [traduction] « absurdes », qu’aurait le fait de conclure que la fiducie réputée créée par les lois fiscales a préséance sur les charges super prioritaires. Le même avis sous‑tend implicitement les motifs de notre collègue la juge Côté. En effet, les juges majoritaires de la Cour d’appel sont allés jusqu’à affirmer que, suivant cette interprétation, le financement temporaire « prendrait tout simplement fin », une affirmation qui « est presque assurément exagérée » (motifs de la C.A., par. 50; Wood, p. 99). Ils ont ajouté que cette interprétation mènerait à davantage de faillites d’entreprises et, partant, nuirait à la perception des impôts (par. 48 et 50). Nous sommes en désaccord.
[248] Les [traduction] « conséquences absurdes » dont parlent les juges majoritaires de la Cour d’appel reposent sur de fausses prémisses. La conclusion selon laquelle le financement temporaire « prendrait tout simplement fin » n’était pas étayée par le dossier. Les juges majoritaires ont extrapolé à partir de données incomplètes et désuètes sur le financement temporaire tirées d’un ouvrage qui ne fait aucune mention de réclamations relatives à une fiducie réputée. Il s’agit d’une affirmation péremptoire qui élude les cas dans lesquels le débiteur ne reçoit aucun financement temporaire et les cas, comme en l’espèce, dans lesquels les actifs du débiteur sont suffisants pour couvrir à la fois le financement temporaire et la réclamation de la Couronne relative à la fiducie réputée. Cette omission ne peut être facilement ignorée puisque les fonds disponibles suffisent généralement à couvrir la réclamation de la Couronne et les charges super prioritaires ordonnées par le tribunal (Wood, p. 100). Est également sans fondement l’affirmation des juges majoritaires selon laquelle le fait de confirmer la priorité de la fiducie réputée créée par les lois fiscales « introduirait un niveau d’incertitude inacceptable dans le processus de faillite » (motifs de la C.A., par. 51). Une compagnie qui présente une demande sous le régime de la LACC est tenue de fournir ses états financiers (al. 10(2)c)) indiquant les retenues à la source dues à la Couronne. Les prêteurs temporaires peuvent se fonder sur ces renseignements pour évaluer le risque d’offrir un financement.
[249] De plus, les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont pas tenu compte du fait que le législateur peut choisir, et a choisi, d’accorder à l’intégrité du régime fiscal la priorité sur les droits des créanciers garantis. En effet, avec égards, on pourrait soutenir que l’interprétation des juges majoritaires produit elle‑même des résultats absurdes, à savoir que le salaire brut des employés est utilisé comme subvention pour obtenir le financement temporaire et les services des professionnels de l’insolvabilité.
[250] Par conséquent, nous ne croyons absolument pas que les conséquences de notre interprétation constituent une absurdité. Le législateur a, de façon non équivoque, établi l’équilibre qu’il estimait juste au regard du double objectif de recouvrer les retenues à la source non versées, qui ne font pas partie des biens du débiteur, et d’éviter les [traduction] « effets dévastateurs, — tant sur le plan social qu’économique — de la faillite » (Century Services, par. 59, citant Elan Corp. c. Comiskey (1990), 1990 CanLII 6979 (ON CA), 1 O.R. (3d) 289 (C.A.), p. 306, le juge Doherty, dissident). Notre Cour ne dispose ni de la compétence ni de la légitimité nécessaires pour trancher les questions de savoir si le par. 227(4.1) de la LIR constitue un moyen efficace de protéger l’assiette fiscale ou de savoir si [traduction] « la Couronne mord la main qui la nourrit » (motifs de la C.A., par. 48).
[251] De toute façon, même si des éléments de preuve démontraient que la préséance de la fiducie réputée créée par les lois fiscales sur les charges super prioritaires donnait des résultats absurdes, notre conclusion ne serait pas différente. La présomption contre l’absurdité n’est rien de plus qu’une présomption. Des conséquences illogiques découlant de l’application d’une loi ne permettent pas aux tribunaux de faire fi de l’intention claire du législateur. Comme le juge en chef Lamer l’a souligné dans R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 686, par. 41, « le législateur a le droit de légiférer de façon illogique (pourvu que cela ne soulève pas de préoccupations d’ordre constitutionnel). Si le législateur n’est pas satisfait de l’application que les tribunaux accordent aux textes législatifs illogiques, il peut les modifier en conséquence. »
[252] En l’espèce, l’intention du législateur d’accorder la priorité absolue à la fiducie réputée créée par les lois fiscales est sans équivoque. Notre rôle est de donner effet à cette intention.
III. Dispositif
[253] Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi. Les intimées ont droit aux dépens conformément à l’annexe B du règlement (Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156). Il n’y a aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait des dépens majorés. Malgré le caractère théorique du pourvoi, la Couronne a, à bon droit, sollicité une interprétation juste des lois fiscales.
Version française des motifs rendus par
Le juge Moldaver —
[254] J’ai pris connaissance des motifs de mes collègues, soit ceux de la juge Côté, ceux la juge Karakatsanis, ainsi que ceux des juges Brown et Rowe. Bien que je souscrive pour l’essentiel à l’analyse et aux conclusions des juges Brown et Rowe, il y a deux points que je tiens à aborder.
[255] En premier lieu, contrairement aux juges Brown et Rowe, je ne vois aucune raison de définir la nature ou le fonctionnement particulier du droit que le par. 227(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »), confère à la Couronne dans le cadre des procédures intentées sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36 (« LACC »). Bien qu’un futur pourvoi puisse nécessiter que notre Cour précise les circonstances exactes dans lesquelles les intérêts conférés à la Couronne en vertu du par. 227(4.1) « survivent » et s’ils peuvent être assimilés à une certaine forme d’intérêt propriétal sur les biens du débiteur, comme l’affirment les juges Brown et Rowe, à une certaine forme de garantie sur ces biens, ou à quelque chose de complètement différent (p. ex., un droit de ne pas avoir à transiger, comme l’affirme la juge Karakatsanis), une telle analyse n’est pas nécessaire en l’espèce. Correctement interprétées, les dispositions pertinentes de la LACC et de la LIR s’harmonisent de façon à ce que l’intérêt de la Couronne — quel qu’il soit — ait priorité sur les charges super prioritaires d’origine judiciaire. Cette conclusion suffit pour trancher le pourvoi.
[256] À mon avis, dans la mesure où ils estiment que l’intérêt que possède la Couronne en vertu du par. 227(4.1) lui confère un droit de bénéficiaire sur les retenues à la source, de sorte que « les retenues à la source sont réputées ne jamais faire partie des biens de la compagnie », les juges Brown et Rowe ont effectivement tranché le pourvoi par deux voies distinctes : tout d’abord en reconnaissant la priorité absolue dont bénéficie la Couronne en vertu du par. 227(4.1), et, ensuite, en reconnaissant le droit de bénéficiaire qu’elle possède sur les retenues à la source non versées (par. 223). Comme ils le font observer, si l’intérêt de la Couronne équivaut à un intérêt propriétal et les retenues à la source non versées ne font pas partie des biens de l’entreprise débitrice, les charges super prioritaires ne peuvent en aucun cas grever les retenues à la source, qu’elles soient constituées en vertu des dispositions spécifiques relatives aux charges super prioritaires ou en vertu du pouvoir général conféré au tribunal par l’art. 11 de la LACC (par. 222‑223). Si c’est effectivement le cas, il n’est pas évident que se soulève même un problème de priorités concurrentes entre l’intérêt de la Couronne et la charge super prioritaire d’origine judiciaire, puisque personne d’autre que la Couronne n’a accès aux retenues à la source. Comme je ne suis pas nécessairement convaincu que l’intérêt que possède la Couronne en vertu du par. 227(4.1) équivaut à un intérêt propriétal, et comme la priorité absolue de la Couronne ne dépend pas de cette conclusion, je remettrais à une autre occasion l’examen de la nature du droit de la Couronne.
[257] En deuxième lieu, bien que je convienne avec les juges Brown et Rowe que le par. 37(2) de la LACC peut être interprété comme une restriction interne à l’art. 11, j’hésite à accepter cette conclusion, car il me semble que, pour donner un effet approprié à l’intention du législateur de faire de l’art. 11 le « moteur » de la LACC qui confère aux juges surveillants le pouvoir de favoriser la réalisation des objectifs réparateurs de cette loi, toute restriction à ce pouvoir discrétionnaire devrait être explicite et non équivoque (9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, par. 48, citant Stelco Inc. (Re) (2005), 2005 CanLII 8671 (ON CA), 75 O.R. (3d) 5 (C.A.), par. 36). Avec égards, le par. 37(2) ne constitue pas une restriction explicite et non équivoque. Le paragraphe 37(2) est plutôt une simple exception au par. 37(1), qui vise à annuler l’effet de toute disposition législative selon laquelle les biens sont réputés être détenus en faveur de la Couronne :
37 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et par dérogation à toute disposition législative fédérale ou provinciale ayant pour effet d’assimiler certains biens à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté, aucun des biens de la compagnie débitrice ne peut être considéré comme tel par le seul effet d’une telle disposition.
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’égard des sommes réputées détenues en fiducie aux termes des paragraphes 227(4) ou (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu . . .
[258] En réalité, le par. 37(2) vise simplement à empêcher que la fiducie réputée de la Couronne en vertu du par. 227(4.1) soit éteinte par application du par. 37(1). Toutefois, bien qu’il vise à protéger l’intérêt de la Couronne, « le par. 37(2) n’explique pas quoi faire de ce droit dans le cadre d’une procédure engagée sous le régime de la LACC », et il ne renferme aucune disposition qui limiterait le pouvoir que possède le tribunal en vertu de l’art. 11 d’ordonner que des charges super prioritaires prennent rang devant la fiducie réputée de la Couronne (motifs de la juge Karakatsanis, par. 153). D’ailleurs, comme le signale la juge Karakatsanis, « [a]ucune disposition de la LACC n’indique ce que le tribunal peut faire avec les biens de la fiducie et aucune disposition de la LACC ne confère plus précisément compétence pour décider si une charge super prioritaire peut prendre rang devant le bénéficiaire de la fiducie réputée » (par. 176). Au contraire, ce n’est en fait que lorsqu’on examine le par. 227(4.1) que la priorité absolue de l’intérêt de la Couronne — et les limites qui découlent de l’art. 11 — deviennent apparentes. Il n’est donc pas parfaitement clair que le fait d’interpréter le par. 37(2) comme une restriction interne s’accorde avec le rôle que joue le par. 37(2) ou avec la latitude que le législateur souhaitait donner au tribunal dans l’exercice des pouvoirs que lui confère l’art. 11. En d’autres termes, le lien entre l’art. 11 et le par. 37(2) n’est peut‑être pas aussi évident que semblent le suggérer mes collègues. Par conséquent, même si je conviens en fin de compte avec les juges Brown et Rowe que le par. 37(2) peut être interprété comme une restriction interne afin d’éviter un conflit entre la LACC et la LIR, je juge important d’expliquer que, si cette interprétation est inexacte, la portée de l’art. 11 est néanmoins restreinte par le libellé externe du par. 227(4.1).
[259] Si le par. 37(2) n’équivaut pas à une restriction interne à l’art. 11, recourir à l’art. 11 pour faire passer une charge super prioritaire devant la réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie réputée entrerait en conflit direct avec le par. 227(4.1), ce qui, comme mes collègues les juges Brown et Rowe l’expliquent, exige que la réclamation de la Couronne prenne rang avant toutes les garanties, y compris les charges super prioritaires. Ce conflit direct entraînerait l’application de la disposition restrictive du par. 227(4.1), à savoir que « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral », la réclamation de la Couronne doit avoir priorité. Cette disposition impose donc une limite externe au pouvoir que l’art. 11 confère au tribunal. En fait, la primauté du par. 227(4.1) est implicitement reconnue par le texte de l’art. 11 car, contrairement au par. 227(4.1), qui s’applique « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif fédéral », l’art. 11 ne s’applique que « [m]algré toute disposition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations », mais non malgré toute disposition de la LIR. Par conséquent, bien que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 11 au tribunal permette en théorie à celui‑ci de subordonner l’intérêt de la Couronne dans les retenues à la source non versées à d’autres intérêts, ce pouvoir est en définitive restreint par les termes exprès du par. 227(4.1).
[260] En exposant cette position, j’estime important de situer dans son contexte l’affirmation de notre Cour dans l’arrêt Callidus selon laquelle « le pouvoir conféré par l’art. 11 n’est limité que par les restrictions imposées par la LACC elle‑même, ainsi que par l’exigence que l’ordonnance soit “indiquée” dans les circonstances » (par. 67). L’arrêt Callidus mettait l’accent sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge surveillant nommé sous le régime de la LACC à l’intérieur des limites imposées par la LACC elle‑même, et non pas sur la question du pouvoir du juge d’appliquer l’art. 11 malgré une loi fédérale prépondérante. Avec égards, lorsque, comme en l’espèce, le législateur prévoit expressément qu’une loi a priorité sur les dispositions de la LACC, le pouvoir conféré par l’art. 11 au tribunal est restreint en conséquence.
[261] La réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie réputée a donc priorité sur toutes les charges super prioritaires d’origine judiciaire, peu importe que celles‑ci aient été créées en vertu des dispositions expresses à cet effet ou en vertu du pouvoir discrétionnaire du tribunal.
[262] Une conséquence nécessaire de la primauté absolue dont jouit la réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie présumée sur les charges super prioritaires d’origine judiciaire est que le par. 6(3) de la LACC ne permet pas de donner effet à l’intérêt conféré à la Couronne par le par. 227(4.1). Le paragraphe 6(3) de la LACC prévoit ce qui suit :
Le tribunal ne peut, sans le consentement de Sa Majesté, homologuer la transaction ou l’arrangement qui ne prévoit pas le paiement intégral à Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province, dans les six mois suivant l’homologation, de toutes les sommes qui étaient dues lors de la demande d’ordonnance visée aux articles 11 ou 11.02 et qui pourraient, de par leur nature, faire l’objet d’une demande aux termes d’une des dispositions suivantes :
a) le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu . . .
[263] À mon avis, deux raisons expliquent pourquoi le par. 6(3) ne s’applique pas à l’intérêt conféré à la Couronne par le par. 227(4.1). Premièrement, le par. 6(3) vise à établir un délai pour le paiement de certaines créances de la Couronne en souffrance au cas où la compagnie débitrice parviendrait à assurer sa viabilité. À l’inverse, le par. 227(4.1) vise à accorder priorité à la réclamation de la Couronne. La différence essentielle ici est que, par application du par. 6(3), la Couronne pourrait être reléguée au dernier rang à la condition qu’elle soit payée dans les six mois suivant tout arrangement. Un tel résultat serait de toute évidence incompatible avec la priorité absolue que la LACC et la LIR accordent à la réclamation de la Couronne. Deuxièmement, comme le par. 6(3) ne s’applique que si les parties concluent une transaction ou parviennent à un arrangement, la réclamation de la Couronne au titre d’une fiducie réputée ne serait pas opposable en cas de liquidation sous le régime de la LACC; la Couronne perdrait alors sa priorité au profit d’autres garanties. Là encore, cette conséquence possible irait à l’encontre de l’objectif clair de la LACC et de la LIR.
[264] Avant de conclure, je ferai remarquer qu’il ne fait aucun doute que le législateur a réfléchi aux conséquences possibles de ses mesures législatives, y compris sur les procédures engagées sous le régime de la LACC. S’il devait arriver que la priorité accordée à la réclamation de la Couronne menace la viabilité d’une restructuration, c’est de toute évidence à la Couronne qu’il appartient de faire preuve de souplesse afin d’éviter toute conséquence qui compromettrait l’objet réparateur de la LACC.
[265] Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi. Les intimées ont droit aux dépens devant notre Cour conformément à l’annexe B des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Abella, Moldaver, Brown et Rowe sont dissidents.
Procureur de l’appelante : Procureur général du Canada, Vancouver.
Procureurs des intimées Canada North Group Inc., Canada North Camps Inc., Campcorp Structures Ltd., DJ Catering Ltd., 816956 Alberta Ltd., 1371047 Alberta Ltd., 1919209 Alberta Ltd. et Ernst & Young Inc. en sa qualité de contrôleur : Duncan Craig, Edmonton.
Procureurs de l’intimée la Banque de développement du Canada : Cassels Brock & Blackwell, Calgary.
Procureurs de l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada : Blake, Cassels & Graydon, Calgary.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation : Osler, Hoskin & Harcourt, Calgary.
[1] Il convient toutefois de noter que les par. 227(4) et 227(4.1) de la LIR n’accordent pas à la Couronne la priorité sur tous les créanciers. Ils prévoient explicitement une exception pour les droits des fournisseurs impayés (Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 81.1) et les droits des agriculteurs, des pêcheurs et des aquiculteurs (art. 81.2). En outre, le par. 227(4.2) de la LIR prévoit une exception pour les garanties visées par règlement, définies dans le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945, art. 2201. De façon générale, est une garantie visée par règlement une hypothèque qui grève un fond de terre ou un bâtiment, à condition que l’hypothèque ait été enregistrée avant le non‑versement des retenues à la source en cause (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/99‑322, Gazette du Canada, partie II, vol. 133, no 17, 18 août 1999, p. 2041‑2042).
[2] Les dispositions pertinentes des lois fiscales en matière de fiducie réputée ont un libellé sensiblement identique. La présente décision met l’accent sur les fiducies réputées prévues aux par. 227(4) et (4.1) de la LIR. Le raisonnement exposé ici vaut cependant tout autant pour chacune des autres lois.