COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Caron, 2011 CSC 5, [2011] 1 R.C.S. 78
Date : 20110204
Dossier : 33092
Entre :
Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Alberta
Appelante
et
Gilles Caron
Intimé
- et -
Commissaire aux langues officielles du Canada, Association canadienne des
libertés civiles, Conseil des Canadiens avec déficiences, Comité de la Charte et des questions de pauvreté, Poverty and Human Rights Centre, Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, Association canadienne-française de l’Alberta et
David Asper Centre for Constitutional Rights
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 49)
Motifs concordants :
(par. 50 à 55)
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell)
La juge Abella
R. c. Caron, 2011 CSC 5, [2011] 1 R.C.S. 78
Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Alberta Appelante
c.
Gilles Caron Intimé
et
Commissaire aux langues officielles du Canada,
Association canadienne des libertés civiles,
Conseil des Canadiens avec déficiences,
Comité de la Charte et des questions de pauvreté,
Poverty and Human Rights Centre,
Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes,
Association canadienne‑française de l’Alberta et
David Asper Centre for Constitutional Rights Intervenants
Répertorié : R. c. Caron
No du greffe : 33092.
2010 : 13 avril; 2011 : 4 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Hunt, Ritter et Rowbotham), 2009 ABCA 34, 1 Alta. L.R. (5th) 199, 446 A.R. 362, [2009] 6 W.W.R. 438, 241 C.C.C. (3d) 296, 185 C.R.R. (2d) 9, 71 C.P.C. (6th) 319, [2009] A.J. No. 71 (QL), 2009 CarswellAlta 95, qui a confirmé un jugement du juge Ouellette, 2007 ABQB 632, 84 Alta. L.R. (4th) 146, 424 A.R. 377, [2008] 3 W.W.R. 628, [2007] A.J. No. 1166 (QL), 2007 CarswellAlta 1414. Pourvoi rejeté.
Margaret Unsworth, c.r., et Teresa Haykowsky, pour l’appelante.
Rupert Baudais, pour l’intimé.
Amélie Lavictoire et Kevin Shaar, pour l’intervenant le commissaire aux langues officielles du Canada.
Benjamin L. Berger, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Argumentation écrite seulement par Gwen Brodsky et Melina Buckley, pour les intervenants le Conseil des Canadiens avec déficiences, le Comité de la Charte et des questions de pauvreté, Poverty and Human Rights Centre et le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes.
Argumentation écrite seulement par Michel Doucet, c.r., Mark Power et François Larocque, pour l’intervenante l’Association canadienne‑française de l’Alberta.
Argumentation écrite seulement par Cheryl Milne et Lorne Sossin, pour l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par
[1] Le juge Binnie — Le présent pourvoi soulève de nouveau l’épineuse question de savoir si et dans quelle mesure les tribunaux peuvent (ou devraient) ordonner à l’État de financer ce que l’on peut généralement qualifier de litige d’intérêt public. L’affaire présente une dimension nouvelle en ce que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta — une cour supérieure — a ordonné le versement d’une provision pour frais à un accusé poursuivi pour une infraction réglementaire devant la Cour provinciale de l’Alberta. Le ministère public appelant affirme que la cour supérieure n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance de provision pour frais et que, même si elle possédait la compétence requise, cette ordonnance était, de toute façon, irrégulière.
[2] Voici le contexte du présent pourvoi.
[3] Au cours d’une poursuite de routine relative à une infraction mineure au code de la route — un virage à gauche illicite — l’accusé, M. Caron, a prétendu que la procédure était entachée de nullité parce que les documents de la cour étaient rédigés uniquement en anglais. Il a soutenu avec insistance qu’il avait le droit d’utiliser le français dans « les procédures devant les cours » de l’Alberta, droit qui lui est garanti depuis 1886 par l’Acte des territoires du Nord‑Ouest, S.R.C. 1886, ch. 50, et par la Proclamation royale de 1869. Selon lui, la province ne peut maintenant abroger les droits linguistiques de la minorité francophone, et la Loi linguistique de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. L‑6, qui vise à abolir ces droits, est par conséquent inconstitutionnelle.
[4] Notre Cour n’est actuellement saisie que de deux ordonnances de provision pour frais de la Cour du Banc de la Reine. M. Caron a déposé sa demande de provision pour frais à une étape tardive du procès devant la Cour provinciale, au moment où, après une série d’audiences qui se sont échelonnées sur environ 18 mois, le ministère public a déposé en contre‑preuve ce que l’avocat de M. Caron a qualifié de montagne d’éléments de preuve historique. M. Caron — qui n’avait plus d’argent — a convaincu la Cour provinciale qu’il était incapable d’assumer les frais de la contre‑preuve, nécessaire au dénouement du procès, à moins qu’on ne lui accorde une provision pour frais. La Cour provinciale a prononcé l’ordonnance sollicitée. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a annulé l’ordonnance de la Cour provinciale au motif qu’elle avait été rendue sans compétence, mais a néanmoins conclu qu’elle pouvait elle‑même accorder une provision pour frais — ce qu’elle a d’ailleurs fait. La validité des ordonnances de la Cour du Banc de la Reine accordant des provisions pour frais pour financer la défense de M. Caron devant la Cour provinciale fait maintenant l’objet du présent pourvoi.
[5] Selon le ministère public, bien que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ait jugé que la Cour provinciale se heurtait à un résultat inacceptable dans le contexte d’une contestation constitutionnelle d’une grande importance pour le public, la Cour du Banc de la Reine n’avait pas compétence, en tant que cour supérieure, pour intervenir en prononçant une ordonnance de financement pour s’assurer que la procédure devant la Cour provinciale suive son cours. Je conviens que ces ordonnances doivent être tout à fait exceptionnelles et prononcées uniquement lorsque l’absence de fonds publics entraînerait une grave injustice pour l’intérêt public, mais je n’accepte pas l’argument du ministère public selon lequel la Cour du Banc de la Reine, devant cette situation exceptionnelle, ne pouvait invoquer son pouvoir inhérent de corriger l’injustice perçue par les tribunaux inférieurs. Quant à savoir si ce pouvoir discrétionnaire aurait dû être exercé en faveur de M. Caron au vu des faits de l’espèce, je m’en remets à la réponse affirmative de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta qui a été approuvée à l’unanimité par la Cour d’appel (2009 ABCA 34, 1 Alta. L.R. (5th) 199). Il incombe au premier chef à ces deux cours de répondre de l’administration de la justice dans la province et, à mon avis, elles n’ont commis aucune erreur de droit dans l’exercice de leur pouvoir. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Aperçu
[6] En règle générale, évidemment, il revient au Parlement et aux législatures provinciales de décider si, et dans quelle mesure, des fonds publics serviront à financer les poursuites engagées contre l’État, mais les tribunaux ont parfois eu à prendre ces décisions. Par exemple, pour favoriser l’équité du procès dans des poursuites criminelles, les tribunaux ont accepté, dans certains cas, de suspendre l’instance lorsque le ministère public n’a pas financé, en totalité ou en partie, la défense de l’accusé : R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.); R. c. Rain (1998), 223 A.R. 359 (C.A.). En matière civile, dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, notre Cour a élargi la catégorie des causes civiles dans lesquelles on pouvait avoir recours à des provisions pour frais à même les fonds publics, notamment dans des « circonstances suffisamment spéciales pour que le tribunal soit convaincu que la cause appartient à cette catégorie restreinte de causes justifiant l’exercice exceptionnel de ses pouvoirs » (par. 36). L’arrêt Okanagan était fondé sur l’intérêt important du public à obtenir une décision sur une question de droit exceptionnellement importante qui non seulement transcendait l’intérêt des parties, mais qui n’aurait pu être tranchée en l’absence de fonds publics, ce qui aurait entraîné une injustice. Dans Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38 (« Little Sisters (no 2) »), les juges majoritaires ont affirmé ce qui suit :
. . . l’injustice qui découlerait du rejet de la demande doit concerner à la fois le demandeur personnellement et le public en général. Cela signifie que le plaideur dont l’affaire, aussi impérieuse qu’elle puisse être, n’intéresse que lui se verra refuser la provision pour frais. Toutefois, cela ne signifie pas que toute affaire d’intérêt public satisfera à ce critère. [par. 39]
Ni Okanagan ni Little Sisters (no 2) ne concernait l’attribution de provisions pour frais pour des instances devant une cour inférieure. Les tribunaux de l’Alberta étaient néanmoins saisis en l’espèce d’une contestation constitutionnelle d’une grande importance.
[7] La question en litige concernait (et concerne toujours) un aspect fondamental de la primauté du droit en Alberta. Bien que le ministère public fasse valoir que la question des droits linguistiques de la minorité francophone dans cette province a été tranchée par notre Cour dans R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, et R. c. Paquette, [1990] 2 R.C.S. 1103, M. Caron est parvenu à établir, à la satisfaction de la Cour provinciale de l’Alberta, une distinction entre ces arrêts et l’espèce (voir R. c. Caron, 2008 ABPC 232, 95 Alta. L.R. (4th) 307). Cette décision sur le fond a été annulée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans R. c. Caron, 2009 ABQB 745, 2009 CarswellAlta 2189. Toutefois, même si elle a donné raison au ministère public, la Cour du Banc de la Reine a déclaré que « l’arrêt Mercure de la Cour suprême ne règle pas la question qui a été soumise en première instance et dans le présent appel » (par. 143). La Cour d’appel de l’Alberta a accueilli en partie la demande d’autorisation d’appel sur le fond présentée par M. Caron (2010 ABCA 343, [2010] A.J. No. 1303 (QL)).
[8] Comme je l’ai indiqué, la Loi linguistique de l’Alberta, édictée à la suite de l’arrêt Mercure de notre Cour, vise à abolir les droits linguistiques de la minorité francophone dans la province. La contestation de M. Caron, si elle est finalement accueillie, pourrait avoir des conséquences graves et généralisées, notamment, selon M. Caron, obliger l’Alberta à adopter à nouveau la plupart, voire la totalité, de ses lois en français et en anglais. En résumé, l’affaire pourrait (si M. Caron a gain de cause) devenir la version albertaine du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, et [1992] 1 R.C.S. 212. C’est ce qui rend l’espèce « suffisamment particulière » au sens des arrêts Okanagan et Little Sisters (no 2).
[9] Les tribunaux de l’Alberta ont estimé que l’argument juridique de M. Caron était suffisamment fondé pour justifier qu’il soit tranché dans l’intérêt général du public. M. Caron ne disposait pas des ressources financières nécessaires à cette fin, et les tribunaux de l’Alberta n’étaient pas disposés à permettre que la question ne soit pas réglée faute de défenseur bien nanti. L’exercice par la cour supérieure de son pouvoir inhérent d’accorder une réparation exceptionnelle afin de s’adapter à une situation extrêmement inhabituelle doit être considéré dans cette optique.
II. Faits
[10] Le 4 décembre 2003, M. Caron a été accusé d’avoir commis une infraction réglementaire en négligeant de faire un virage à gauche en toute sécurité. Il était passible d’une amende de 100 $ s’il était reconnu coupable. Cinq jours plus tard, il a avisé la Cour provinciale que sa défense consisterait en une contestation constitutionnelle fondée sur ses droits linguistiques. En effet, M. Caron n’a pas contesté les faits de l’infraction et a avisé le ministère public qu’il présenterait des éléments de preuve uniquement sur la question de la langue. En adoptant cette position, il a suivi une voie souvent empruntée par d’autres défenseurs des minorités linguistiques, comme Georges Forest dans Procureur général du Manitoba c. Forest, [1979] 2 R.C.S. 1032 (contravention de stationnement uniquement en anglais); Roger Bilodeau au Manitoba dans Bilodeau c. Procureur général du Manitoba, [1986] 1 R.C.S. 449, et Duncan Cross MacDonald au Québec dans MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460 (sommations unilingues pour infraction au code de la route); André Mercure dans Mercure (procès uniquement en anglais); et Marie‑Claire Paulin dans Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Canada, 2008 CSC 15, [2008] 1 R.C.S. 383 (services de police unilingues). Voir également Lefebvre c. Alberta (1993), 135 A.R. 338 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [1993] 3 R.C.S. vii, et R. c. Rémillard, 2009 MBCA 112, 249 C.C.C. (3d) 44.
[11] M. Caron a pris les mesures nécessaires pour couvrir sa part des frais d’un procès qui, selon ses avocats, pouvait durer de 2 à 5 jours (on peut soutenir qu’il s’agit d’une estimation irréaliste). Il a notamment mobilisé ses propres fonds, par ailleurs limités, demandé du financement auprès de l’Association canadienne‑française de l’Alberta (bien que l’Association ait refusé de financer sa cause, il a obtenu deux prêts de 15 000 $ chacun de ses sympathisants), et reçu des dons supplémentaires ainsi que 70 000 $ du Programme de contestation judiciaire du gouvernement fédéral (versés par tranches puisque le procès se prolongeait de mois en mois). Il a également demandé de l’aide sur Internet. Il n’a pas pu avoir recours à l’aide juridique.
[12] Après la présentation de la preuve de la défense en mars 2006, le ministère public a demandé un ajournement pour préparer sa contre‑preuve provenant de témoins experts. Comme le procès se prolongeait, M. Caron a demandé du financement supplémentaire dans le cadre du Programme de contestation judiciaire, mais ce programme a été aboli par le gouvernement fédéral le 25 septembre 2006 avant qu’on ne puisse examiner sa demande. Il a subséquemment présenté des demandes d’aide juridique, qui ont également été rejetées.
[13] L’audition des témoins du ministère public a débuté en octobre 2006, à la reprise du procès. On a pu mesurer l’ampleur de la bataille des experts, et M. Caron manquait de fonds pour poursuivre l’instance. Le juge de la Cour provinciale avait refusé de rendre une ordonnance fondée sur l’arrêt Okanagan (2006 ABPC 278, 416 A.R. 63, par. 160), mais il a subséquemment ordonné au ministère public, en application du par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, de payer à partir de cette date les honoraires de l’avocat et des experts de M. Caron. Par la suite, la Cour du Banc de la Reine a annulé l’ordonnance du juge de première instance fondée sur le par. 24(1). Le bien-fondé de la demande reposant sur Okanagan n’a cependant pas été examiné plus à fond en appel parce que, de l’avis du juge de la Cour du Banc de la Reine, [traduction] « le juge de la cour provinciale n’avait de toute façon pas compétence pour attribuer une provision pour frais fondée sur Okanagan » (R. c. Caron, 2007 ABQB 262, 75 Alta. L.R. (4th) 287, par. 131). Aucun appel n’a été interjeté de cette décision (sur laquelle notre Cour n’est donc pas appelée à se prononcer) parce que le 16 mai 2007, la cour supérieure a elle‑même ordonné que les honoraires d’experts soient payés pour la continuation du procès qui devait avoir lieu du 22 mai au 15 juin 2007. Le 19 octobre 2007, elle a également ordonné au ministère public de payer les frais que M. Caron avait engagés pour répliquer à la contre-preuve (2007 ABQB 632, [2007] A.J. No. 1166 (QL), le juge Ouellette).
[14] Le ministère public a demandé un ajournement à une date postérieure au procès pour débattre de la question des honoraires de l’avocat de la défense, étant entendu que ce délai ne porterait pas préjudice à la demande de la défense.
[15] Le procès s’est terminé le 15 juin 2007. Le dossier historique constitué en première instance est imposant. Y figuraient les témoignages de 12 témoins, dont 8 experts, 9 164 pages de transcription et 93 pièces à conviction (2008 ABPC 232, [2008] A.J. No. 855 (QL), par. 14 et 16). Comme je l’ai indiqué, ce dossier a convaincu la Cour provinciale de déclarer nulle la poursuite engagée uniquement en anglais.
[16] Le ministère public prie maintenant notre Cour d’annuler les ordonnances de provisions pour frais datées du 16 mai et du 19 octobre 2007. Il sollicite également une ordonnance obligeant M. Caron à rembourser les quelque 120 000 $ qu’il a reçus conformément à ces ordonnances au titre des honoraires et débours des avocats et des experts, lesquels ont sans doute été versés depuis longtemps aux destinataires visés.
III. Questions en litige
[17] L’affaire soulève principalement deux questions :
1. La Cour du Banc de la Reine a‑t‑elle la compétence inhérente nécessaire pour accorder une mesure corrective intérimaire dans un litige devant la Cour provinciale?
2. Dans l’affirmative, les conditions auxquelles est assujettie l’attribution d’une provision pour frais ont‑elles été remplies?
IV. Analyse
[18] Les parties divergent fondamentalement d’opinion sur la nature de l’enjeu en l’espèce. Le ministère public estime que le litige porte sur une infraction au code de la route comportant un volet constitutionnel, à l’instar de nombreuses instances criminelles et quasi criminelles. Selon M. Caron, l’infraction au code de la route sert uniquement de toile de fond de sa contestation constitutionnelle. Il affirme donc que les règles habituellement applicables en matière de dépens devant les tribunaux chargés d’instruire des procédures relatives à la circulation routière n’ont aucune incidence sur l’issue du présent pourvoi. Les tribunaux de l’Alberta ont pour l’essentiel accepté le point de vue de M. Caron à cet égard et je crois qu’ils avaient raison.
[19] Cela dit, l’historique des procédures judiciaires — les nombreux ajournements, les récriminations mutuelles concernant le « recours à des pièges » et les présences périodiques devant les cours d’appel — montre encore une fois qu’une poursuite devant une cour provinciale ne fournit généralement pas, sur le plan procédural, un cadre institutionnel efficace pour résoudre des litiges constitutionnels importants de la nature de celui en l’espèce : R. c. Marshall, 2005 CSC 43, [2005] 2 R.C.S. 220, par. 142‑144. Il n’y a aucune réciprocité entre la poursuite et la défense en ce qui a trait à la communication des documents et à la divulgation préalable au procès. Les pouvoirs de la Cour provinciale en matière de procédure sont limités (mais, comme il est mentionné au par. 13 ci‑dessus, aucun appel n’a été formé contre l’annulation, pour absence de compétence, de l’ordonnance de provision pour frais rendue par la Cour provinciale, et nous nous abstenons donc d’exprimer une opinion sur la validité de cette ordonnance). Toutefois, bien que M. Caron ait exprimé son intention d’utiliser la poursuite comme tremplin de sa contestation de la validité constitutionnelle de la Loi linguistique de l’Alberta, le ministère public a choisi de maintenir la poursuite devant la Cour provinciale plutôt que d’évoquer la question constitutionnelle devant la cour supérieure (et non l’infraction mineure au code de la route).
[20] Le ministère public convient que, si l’on avait débattu de la question linguistique devant la cour supérieure (peut‑être en contestant directement la validité de la Loi linguistique de l’Alberta), celle‑ci aurait eu compétence pour accorder une ordonnance de provision pour frais de la nature de celle actuellement en litige.
[21] La Cour provinciale se heurtait à un éventuel déni de justice une fois les ressources financières de M. Caron épuisées en raison de la durée inattendue du procès. À ce stade, le procès avait déjà absorbé beaucoup de temps et de dépenses, notamment la somme d’argent considérable provenant du Programme de contestation judiciaire. Au milieu du procès, la Cour provinciale, pour ainsi dire, n’était plus maître de la situation. Le ministère public tenait à ce que la poursuite suive son cours devant la Cour provinciale, et M. Caron tenait à faire valoir sa défense fondée sur ses droits linguistiques. Ni l’une ni l’autre des parties ne souhaitait une suspension d’instance.
[22] Les tribunaux de l’Alberta craignaient de toute évidence que le ministère public obtienne, en persistant à continuer la poursuite devant la Cour provinciale, un avantage indu (ce que le juge Ritter a appelé « une inégalité marquée ») par rapport à l’accusé en ce qui concerne la constitution d’un dossier factuel crucial en vue de trancher une importante question constitutionnelle. Un procès marqué par l’inégalité n’aurait pas permis de trancher la question linguistique de façon définitive. Les tribunaux d’instance inférieure ont jugé valable la contestation de M. Caron et, selon eux, il était dans l’intérêt de tous les Albertains qu’elle fasse l’objet d’un examen adéquat.
[23] Je tiens à préciser que la présente affaire n’ouvre généralement pas la voie à des demandes de fonds pour financer la défense des accusés dans des affaires pénales ordinaires soulevant de façon incidente des questions constitutionnelles (y compris des questions liées à la Charte). Dans de tels cas, l’élément essentiel est réellement l’infraction. En l’espèce, la poursuite relative à une infraction au code de la route ne constitue que la toile de fond de la bataille constitutionnelle. Comme nous le verrons, le paradigme proposé dans Okanagan et Little Sisters (no 2) en ce qui concerne le financement pour des raisons d’intérêt public dans une affaire civile constitue une meilleure analogie.
A. La compétence inhérente de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta s’étend‑elle aux ordonnances de provisions pour frais dans une instance devant la Cour provinciale?
[24] La compétence inhérente des cours supérieures provinciales est largement définie comme étant [traduction] « une source résiduelle de pouvoirs, à laquelle la Cour peut puiser au besoin lorsqu’il est juste ou équitable de le faire » : I. H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 Curr. Legal Probs. 23, p. 51. Ces pouvoirs émanent « non pas d’une loi ou d’une règle de droit, mais de la nature même de la cour en tant que cour supérieure de justice » (Jacob, p. 27) pour permettre « de maintenir, protéger et remplir leur fonction qui est de rendre justice, dans le respect de la loi, d’une manière régulière, ordonnée et efficace » (p. 28). S’exprimant en des termes tout aussi larges, le juge en chef Lamer qui se référait, en l’approuvant, à l’analyse de Jacob (MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, par. 29‑30), parle des « pouvoirs qui sont essentiels à l’administration de la justice et au maintien de la primauté du droit », par. 38. Voir également R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, le juge Rothstein, qui se réfère à l’analyse de Jacob, au par. 18, et Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, par. 29-32.
[25] Dans les premiers temps, les cours supérieures ont exercé leurs pouvoirs inhérents notamment afin de désigner un avocat pour représenter des plaideurs impécunieux in forma pauperis (W. S. Holdsworth, A History of English Law, vol. IV (3e éd. 1945), p. 538, et G. O. Morgan et H. Davey, A Treatise on Costs in Chancery (1865), p. 268).
[26] Le ministère public fait valoir que, quelle que soit l’étendue de la compétence inhérente conférée à une cour supérieure à l’égard d’une affaire qui lui est soumise, la compétence inhérente ne saurait s’étendre à une ordonnance de provision pour frais dans une affaire dont est saisie la Cour provinciale. Toutefois, comme le souligne Jacob, les cours supérieures possèdent effectivement le pouvoir inhérent de [traduction] « venir en aide aux tribunaux d’instance inférieure en vue de leur permettre de s’acquitter intégralement et efficacement de leur mandat d’administrer la justice » (p. 48). À titre d’exemple, les cours supérieures interviennent depuis longtemps dans les cas d’outrage au tribunal qui ne sont pas commis « devant » un tribunal d’instance inférieure parce que « les tribunaux d’instance inférieure ne possèdent pas les pouvoirs nécessaires pour assurer leur propre protection » (p. 48). Voir notamment R. c. Peel Regional Police Service (2000), 149 C.C.C. (3d) 356 (C.S.J. Ont.), et United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901. Dans le même ordre d’idées, M. Keith Mason, c.r., un ancien président de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Galles du Sud, a écrit ce qui suit dans un article intitulé « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1983), 57 Austl. L.J. 449 :
[traduction] Il n’est pas surprenant que le souci général de veiller à la « bonne administration de la justice » ait été invoqué pour justifier que la Cour suprême crée ou fasse respecter des droits procéduraux susceptibles d’être exercés devant d’autres tribunaux. Une intervention en ce sens a été permise lorsque l’autre instance décisionnelle a été jugée dépourvue des pouvoirs nécessaires pour intervenir ou lorsque le fait de forcer les parties de s’adresser à celle‑ci entraînerait des coûts ou des délais indus.
. . .
Plusieurs des changements les plus récents en droit administratif ont un lien avec la compétence générale inhérente que s’attribuent les cours supérieures de recourir à leurs procédures pour contribuer à la bonne administration de la justice . . . [Je souligne; p. 456.]
L’article de Mason a aussi été cité avec approbation par le juge en chef Lamer dans MacMillan Bloedel (par. 33).
[27] Il est arrivé aux cours de justice canadiennes d’exercer leur compétence inhérente pour venir en aide aux tribunaux d’instance inférieure lorsque les circonstances s’y prêtaient. Le caractère inédit d’une situation n’a pas empêché les cours supérieures de prendre les mesures qui s’imposaient. Dans l’affaire Peel Regional Police, la Cour supérieure de justice a assigné le corps de police régional et la commission de police pour outrage au tribunal en raison des nombreux retards dans le transfert des détenus aux salles d’audience. Des journées entières d’audience avaient été perdues en raison de cette situation qui avait aussi causé des inconvénients aux avocats, aux témoins et aux membres du public (par. 20‑28). La Cour supérieure a estimé que les retards sapaient la primauté du droit. Se référant à MacMillan Bloedel, elle explique ainsi les raisons ayant motivé son intervention :
[traduction] La Cour est intervenue afin de mettre un terme aux retards qui surviennent systématiquement lorsque les détenus sont amenés dans les salles d’audience du Palais de justice de Peel. La Cour souhaitait prévenir la multiplicité des procédures coercitives. De plus, la cour supérieure était consciente du devoir qui lui incombait de venir en aide aux cours provinciales pour rétablir la primauté du droit. [Je souligne; par. 68.]
[28] Dans United Nurses of Alberta, notre Cour a maintenu une condamnation pour outrage criminel rendue par la cour supérieure contre un syndicat qui avait désobéi à une ordonnance de la commission des relations de travail de la province. La cour supérieure s’est appuyée sur sa compétence inhérente pour venir en aide au tribunal administratif.
[29] Bien que la procédure pour outrage soit le moyen le mieux connu pour venir [traduction] « en aide aux tribunaux d’instance inférieure », la compétence inhérente de la cour supérieure ne se limite pas à ce moyen. D’autres exemples comprennent « l’assignation à comparaître et l’exercice du pouvoir général de surveillance sur les procédures des cours d’instance inférieure, notamment la mise en liberté sous caution » (Jacob, p. 48‑49). En bref, Jacob dit ce qui suit : « La compétence inhérente de la cour peut être invoquée dans un nombre apparemment infini de circonstances et peut être exercée de différentes façons » (p. 23 (je souligne)). Je souscris à cette analyse. Il n’est pas opportun d’adopter une approche fondée sur des « catégories ».
[30] Bien sûr, vu son ampleur, la compétence inhérente doit être exercée avec circonspection. Lorsque des tribunaux d’instance inférieure sont visés, la cour supérieure peut leur venir en « aide » (sans s’ingérer) et intervenir dans les seuls cas où ils n’ont pas les pouvoirs nécessaires pour intervenir et où il est essentiel de prévenir une injustice. Comme nous le verrons plus loin, cette exigence est compatible avec le critère des circonstances « suffisamment particulières » appliqué en matière d’ordonnances de provision pour frais dans Little Sisters (no 2), par. 37.
[31] Je suis donc d’avis de rejeter l’argument voulant que l’ordonnance de provision pour frais outrepasse la compétence inhérente de la Cour du Banc de la Reine en raison du caractère inédit qu’elle revêt en l’espèce.
[32] Le ministère public soutient que, même s’il est possible en théorie qu’une ordonnance de provision pour frais relève de la compétence inhérente de la cour supérieure, l’adoption de dispositions législatives en matière de dépens a eu pour effet de lui retirer ce pouvoir. À cet égard, le ministère public s’appuie sur la Provincial Offences Procedure Act, R.S.A. 2000, ch. P‑34, et le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 809 et 840, qui prévoient notamment le versement de 4 $ aux témoins pour chaque jour de présence au procès. Le ministère public soutient que si ces dispositions ne limitent pas expressément la compétence inhérente de la Cour du Banc de la Reine, elles l’écartent implicitement. Toutefois, sur ce point également, il est utile de se reporter à l’analyse de Jacob :
[traduction] . . . la cour peut exercer sa compétence inhérente même à l’égard de questions qui sont régies par une loi ou par une règle de la cour, à condition qu’elle puisse le faire sans enfreindre une disposition législative. [Je souligne; p. 24.]
Je suis d’accord avec Jacob sur ce point également.
[33] Cet argument et d’autres aspects de l’argumentation du ministère public supposent qu’il s’agit d’une procédure relative à une infraction réglementaire banale, du genre de celles qui sont censées être visées par les dispositions susmentionnées applicables à la Cour provinciale en matière de dépens. Il s’agit d’une prémisse que je ne puis accepter. La Cour provinciale était aux prises avec un litige relatif aux droits linguistiques qui revêtait une grande importance et qui, après des mois de procès, risquait fort de ne pas aboutir. L’intervention de la cour supérieure n’était pas une intervention habituelle. Elle s’inscrivait dans une opération de sauvetage visant à éviter que des mois d’efforts ainsi que les frais engagés et les ressources judiciaires mises à contribution à ce jour soient gaspillés.
[34] Le ministère public s’appuie également sur diverses lois traitant de l’attribution des dépens dans des affaires soumises à la Cour du Banc de la Reine elle‑même, y compris la Court of Queen’s Bench Act, R.S.A. 2000, ch. C‑31, art. 21, la Judicature Act, R.S.A. 2000, ch. J‑2, art. 8, et les Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, règles 600 et 601. Ces dispositions autorisent certainement l’attribution de dépens dans diverses circonstances, mais un texte autorisant ces mesures ne devrait pas être interprété comme limitant la compétence inhérente de la cour de faire ce qui est nécessaire pour [traduction] « remplir sa fonction qui est de rendre justice, dans le respect de la loi, d’une manière régulière, ordonnée et efficace » (Jacob, p. 28). Il serait contraire à la jurisprudence et à la doctrine de tirer, à partir d’une « déduction » ou de conjectures quant à l’intention du législateur, une inférence négative écartant la compétence inhérente de la cour supérieure : Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437.
[35] J’estime que le rôle de surveillance des cours supérieures vis‑à‑vis des cours provinciales en Alberta englobe le pouvoir d’accorder une provision pour frais devant un tribunal d’instance inférieure lorsqu’il s’agit d’une mesure « essentiel[le] à l’administration de la justice et au maintien de la primauté du droit » (MacMillan Bloedel, par. 38 (je souligne)). Bien entendu, il reste à établir les conditions de l’exercice de cette compétence en l’espèce. À mon avis, les conditions fixées dans Okanagan et Little Sisters (no 2) sont utiles à cette fin.
B. Conditions relatives à l’octroi d’une ordonnance de provision pour frais pour des raisons d’intérêt public
[36] Bien que M. Caron cherche à obtenir ce qu’il appelle une ordonnance fondée sur l’arrêt Okanagan, le ministère public fait observer que cette affaire se distingue à bien des égards de la présente espèce. Okanagan était une affaire civile alors qu’en l’espèce, une procédure quasi criminelle est à l’origine du litige, et de façon générale, comme le souligne le ministère public, les dépens sont régis par des règles fort différentes selon qu’il s’agit d’affaires civiles ou criminelles. Deuxièmement, l’arrêt Okanagan ne concernait pas l’exercice de la compétence inhérente de la cour, mais plutôt l’exercice, en equity, d’un pouvoir conféré par la loi en matière de dépens. Troisièmement, l’ordonnance initiale dans Okanagan visait des procédures devant la cour ayant rendu l’ordonnance de provision pour frais, soit la cour supérieure de la Colombie‑Britannique. L’arrêt concernait l’octroi d’une provision pour frais à une partie demanderesse et non à un accusé. Ces observations valent tout autant à l’égard de Little Sisters (no 2).
[37] Le ministère public fait valoir que les tribunaux ne peuvent pas créer un autre régime d’aide juridique par décision judiciaire. Il ajoute que les tribunaux ne peuvent non plus réinstaurer le Programme de contestation judiciaire. Ces points sont en soi valides, mais à mon avis, ils ne dictent pas l’issue du pourvoi.
[38] Il est clair que les circonstances du présent pourvoi ne sont pas les mêmes que celles de l’arrêt Okanagan où notre Cour a considéré la question du financement dans le contexte d’un recours civil non encore engagé. Nous sommes saisis de la question du financement pour des raisons d’intérêt public dans une situation différente. Les arrêts Okanagan et Little Sisters (no 2) fournissent néanmoins des indications importantes en ce qui concerne le paradigme relatif aux provisions pour frais octroyées pour des raisons d’intérêt public. Dans ces arrêts, comme il ressort de l’examen ci‑dessus portant sur la compétence inhérente, l’objet fondamental de l’intervention judiciaire (et du même coup sa limite) consiste à faire uniquement ce qui est nécessaire pour éviter une injustice.
[39] Formulées par le juge LeBel au par. 40 de l’arrêt Okanagan, les trois conditions régissant l’octroi discrétionnaire de provisions pour frais sont les suivantes :
1. La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal — bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.
2. La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est‑à‑dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.
3. Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées.
Même le respect de ces trois conditions ne confère pas le « droit » d’obtenir une provision pour frais. Comme l’ont dit les juges Bastarache et LeBel, au nom de la majorité, dans Little Sisters (no 2) :
En analysant ces conditions, le tribunal doit décider, eu égard à toutes les circonstances, si l’affaire est si particulière qu’il serait contraire aux intérêts de la justice de rejeter la demande de provision pour frais, ou s’il devrait envisager d’autres moyens de faciliter l’audition de l’affaire. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal lui permet de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui émanent des faits. [Je souligne; par. 37.]
Bien que ces conditions aient été énoncées dans le contexte fort différent des arrêts Okanagan et Little Sisters (no 2), je suis d’avis qu’elles s’appliquent aussi lorsqu’il s’agit de décider si l’ordonnance de provision pour frais de la Cour du Banc de la Reine était nécessaire pour permettre à la cour provinciale de [traduction] « s’acquitter intégralement et efficacement de son mandat d’administrer la justice », et si, en conséquence, la cour supérieure avait le pouvoir inhérent d’intervenir comme elle l’a fait.
C. Application aux faits de l’espèce du critère relatif à la provision pour frais octroyée pour des raisons d’intérêt public
[40] Les juridictions inférieures ont appliqué chacune des conditions susmentionnées.
(1) Plaideur impécunieux
[41] En ce qui concerne la situation financière de M. Caron, le juge de la cour supérieure a conclu que, bien qu’il ait été prêt à dépenser, jusqu’à la limite, ses fonds personnels et les sommes qu’il avait empruntées (ainsi que l’argent provenant du Programme de contestation judiciaire) — ce qu’il a d’ailleurs fait — , M. Caron avait épuisé ses ressources au moment où il a présenté ses demandes de provision pour frais. Il n’était pas en mesure de financer la dernière étape de son long procès. Le ministère public soutient que M. Caron aurait dû faire une campagne de financement plus musclée, particulièrement au sein de la communauté francophone de l’Alberta. Le juge de la Cour du Banc de la Reine a au contraire été impressionné par la « façon responsable » dont M. Caron s’y est pris pour rassembler des fonds en vue de ce qui risquait d’être un long procès, ponctué de remises imprévues. Toutefois, au fur et à mesure que la preuve d’expert a pris de l’ampleur, une collecte de fonds officielle n’était plus « vraiment possible » étant donné l’échéancier et les exigences du procès (2007 ABQB 632, [2007] A.J. No. 1166 (QL), par. 30). Le juge de la Cour du Banc de la Reine s’est dit « satisfait que M. Caron n’[avait] véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par ce litige et que toutes autres possibilités de financement [avaient] été étudiées, mais en vain » (par. 31). L’objection du ministère public à cet égard n’a pas été acceptée par les juridictions inférieures, et ces dernières n’ont commis aucune erreur manifeste en concluant comme elles l’ont fait.
(2) L’affaire vaut prima facie d’être instruite
[42] L’ordonnance de provision pour frais en l’espèce ne préjugeait pas de l’issue du litige. M. Caron a toutefois convaincu les tribunaux albertains que sa contestation était différente des contestations soulevées dans Mercure, Paquette et Lefebvre. On se souviendra que, dans Mercure, les droits linguistiques des minorités des Prairies étaient visés par l’Acte des Territoires du Nord‑Ouest, 1875, S.C. 1875, ch. 49. La disposition clé, qui est pour ainsi dire identique à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, figure dans la codification de 1886 où elle est devenue l’art. 110 (abr. et rempl. par 1891, ch. 22, art. 18) :
110. Toute personne pourra faire usage soit de la langue anglaise, soit de la langue française, dans les débats de l’Assemblée législative des territoires, ainsi que dans les procédures devant les cours de justice; et ces deux langues seront employées pour la rédaction des procès‑verbaux et journaux de l’Assemblée; et toutes les ordonnances rendues sous l’empire du présent acte seront imprimées dans ces deux langues; néanmoins, après la prochaine élection générale de l’Assemblée législative, cette Assemblée pourra, par ordonnance ou autrement, réglementer ses délibérations et la manière d’en tenir procès‑verbal et de les publier; et les règlements ainsi faits seront incorporés dans une proclamation qui sera immédiatement promulguée et publiée par le lieutenant‑gouverneur en conformité de la loi, et ils auront ensuite plein effet et vigueur.
Dans l’arrêt Mercure lui‑même, notre Cour a statué qu’en Saskatchewan, cette disposition pouvait être abrogée en vertu de l’art. 14 et du par. 16(1) de la Loi sur la Saskatchewan et de l’art. 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 (p. 271).
[43] M. Caron soutient qu’une large part de la preuve historique pertinente n’a pas été examinée dans Mercure, y compris, notamment, la Proclamation royale du 6 décembre 1869, par laquelle les territoires alors appelés les Territoires du Nord‑Ouest ont été annexés au Canada, et qui, selon le juge de la Cour provinciale, a eu l’effet suivant :
En conséquence, à mon avis, il était nécessaire que la proclamation soit constitutionnelle pour apaiser les Métis, en leur donnant plus de certitude. Une garantie politique peut être annulée plus facilement qu’une garantie constitutionnelle. [. . .] Selon moi, étant donné le contexte historique, la proclamation est un document constitutionnel. Par conséquent, « all your civil [. . .] rights » mentionnés dans la proclamation bénéficient d’une protection constitutionnelle. J’ai déjà statué que, en se fondant sur la preuve historique, « civil rights » était une expression assez large pour comprendre les droits linguistiques, donc les droits linguistiques jouissent de la même protection.
(2008 ABPC 232, 95 Alta. L.R. (4th) 307, par. 561)
Bien sûr, il ne s’agit pas en l’espèce de savoir si ce point de vue sur la Proclamation de 1869 sera ultimement maintenu, une fois les appels épuisés. Tous les tribunaux d’instance inférieure ont reconnu que la prétention de M. Caron était valable à première vue (R. c. Caron, 2006 ABPC 278, 416 A.R. 63, par. 149; 2007 ABQB 632, [2007] A.J. No. 1166 (QL), par. 32-36 et 40; 2009 ABCA 34, [2009] A.J. No. 71 (QL), par. 58‑61). Il serait, suivant l’arrêt Okanagan, contraire à l’intérêt de la justice que le litige ne soit pas tranché de façon adéquate sur le fond parce que M. Caron — le porte‑étendard présumé des Franco‑Albertains dans la présente affaire — ne disposait pas des ressources financières nécessaires pour terminer ce qu’il a commencé.
(3) L’importance pour le public
[44] Suivant le critère établi dans Okanagan, la condition relative à l’importance que le litige revêt pour le public comporte trois aspects : « [l]es questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées » (par. 40). Les litiges constitutionnels ne répondent pas tous à cette condition, étant donné qu’on ne peut dire dans tous les cas que « l’affaire est si particulière qu’il serait contraire aux intérêts de la justice de rejeter la demande de provision pour frais » (Little Sisters (no 2), par. 37). Ce qui est « si particuli[er] » en l’espèce, c’est que l’affaire vaut prima facie d’être instruite (suivant la terminologie utilisée dans Okanagan) en tant que contestation visant tout le corpus des textes juridiques unilingues de l’Alberta. Les répercussions d’une issue favorable à M. Caron sur la législation de l’Alberta pourraient être extrêmement graves et les difficultés qui en résulteraient devraient, si cela devenait nécessaire, être résolues sans tarder. Une contestation marquée par l’inégalité, où l’auteur de la contestation, faute de moyens financiers, aurait eu à abandonner sa défense en cours de procès laisserait irrésolue la question. L’abandon par M. Caron à la dernière étape du procès ferait simplement en sorte que les frais engagés et les ressources judiciaires mises à contribution jusqu’à présent par le public ainsi que par M. Caron pour régler cette question soient gaspillés.
[45] Le préjudice découlant de l’incertitude persistante concernant les droits linguistiques de la minorité francophone en Alberta transcende la situation particulière de M. Caron et risque de porter atteinte à l’intérêt public général des Albertains. Selon les tribunaux de l’Alberta, la question du statut et de l’effet de la Proclamation de 1869 n’a pas été entièrement réglée dans le cadre du litige précédent. Il est dans l’intérêt public que cette question soit examinée dès maintenant. À mon avis, c’est ce qui rend l’affaire « suffisamment particulière » au sens des arrêts Okanagan et Little Sisters (no 2).
D. L’exercice de la compétence inhérente de la cour supérieure
[46] En l’espèce, il convient (comme l’a d’ailleurs fait la Cour du Banc de la Reine) de se placer dans la situation du juge de la Cour provinciale qui, à la dernière étape d’un procès complexe ayant occasionné des frais substantiels et des mois d’audience, se heurtait à la possibilité que — en dépit de l’importance du litige sur le plan constitutionnel — tous les efforts déployés et les frais engagés soient gaspillés en raison du manque de ressources financières de M. Caron. J’estime que, dans ces circonstances exceptionnelles, le juge de la Cour du Banc de la Reine pouvait décider, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, s’il y avait lieu de venir en aide à la Cour provinciale en rendant une ordonnance de provision pour frais et qu’une telle ordonnance était, suivant les termes employés dans MacMillan Bloedel, « essentiel[le] à l’administration de la justice et au maintien de la primauté du droit » (par. 38). Bien que le juge ne se soit pas exprimé en ces termes, cet extrait reflète selon moi la teneur de son jugement.
[47] De telles ordonnances de provision pour frais, si elles sont rendues, « doivent être formulées avec soin et révisées en cours d’instance de façon à assurer l’équilibre entre les préoccupations concernant l’accès à la justice et la nécessité de favoriser le déroulement raisonnable et efficace de la poursuite, qui est également l’un des objectifs de l’attribution de dépens » (Okanagan, par. 41). En l’espèce, les juges étaient appelés à intervenir dans le cadre d’un procès en cours. Quoi qu’il en soit, dans son ordonnance, le juge Ouellette, de la Cour du Banc de la Reine, prévoit un nombre maximal d’heures pour les témoins experts et il a refusé le paiement d’une somme de 3 504,60 $ pour que M. Caron ait recours aux services d’une « assistante temporaire ». Il semble que le juge Wenden, de la Cour provinciale, ait eu accès à des factures qui ne figurent pas au dossier de notre Cour. Dans son ordonnance du 18 octobre 2006 (d.a., vol. 1, p. 2‑13), le juge Wenden a clairement refusé d’émettre, à l’avance, un chèque en blanc. Le 2 août 2006, il a ordonné au ministère public de payer les frais juridiques déjà engagés (et donc chiffrés) par M. Caron. Somme toute, j’accepte la conclusion de la Cour d’appel que les contrôles financiers en place étaient adéquats et répondaient à la norme établie dans l’arrêt Okanagan.
V. Conclusion
[48] J’estime que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta possède la compétence inhérente de rendre l’ordonnance de provision pour frais qu’elle a prononcée en l’espèce relativement à une instance devant la Cour provinciale. Dans l’exercice de cette compétence inhérente, elle n’a commis aucune erreur de principe en tenant compte des critères des arrêts Okanagan et Little Sisters (no 2). Sur le fond, je m’en remets à ce qui me semble être l’exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire du juge de la Cour du Banc de la Reine. Je suis donc d’avis de confirmer la décision de la Cour d’appel de l’Alberta et de rejeter le pourvoi.
[49] Il n’est généralement pas possible d’obtenir les dépens dans une instance quasi criminelle (sauf dans des circonstances particulières, notamment une inconduite du ministère public, ce qui n’est pas le cas en l’espèce), mais la présente affaire constitue davantage un litige constitutionnel ordinaire qui a été engagé (comme je l’ai dit) par un plaideur impécunieux au profit de la communauté franco‑albertaine dans son ensemble. Dans ces circonstances inhabituelles, M. Caron devrait avoir droit aux dépens devant cette Cour sur la base partie‑partie.
Version française des motifs rendus par
[50] La juge Abella — Je suis d’accord avec le juge Binnie pour dire que les circonstances exceptionnelles de la présente affaire justifient à bon droit l’octroi d’une provision pour frais dans l’intérêt public en fonction des principes établis par cette Cour dans Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, et Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38. Je crains toutefois que les motifs du juge Binnie puissent être perçus comme élargissant indûment la portée du pouvoir que la common law accorde à une cour supérieure dans l’exercice de sa compétence inhérente.
[51] Plus précisément, il importe de ne pas voir ces motifs comme favorisant l’élargissement indu de la compétence inhérente d’une cour supérieure sur des questions que cette Cour considère de plus en plus comme relevant du pouvoir implicite d’une cour d’origine législative de faire ce qui est nécessaire, dans l’exécution de son mandat, pour « administrer pleinement et efficacement la justice » (voir ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 70 et 71 (« Dunedin »); R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 19; Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722; voir aussi Interprovincial Pipe Line Ltd. c. Office national de l’énergie, [1978] 1 C.F. 601 (C.A.); Commission d’énergie électrique du Nouveau‑Brunswick c. Maritime Electric Co., [1985] 2 C.F. 13 (C.A.); Ligue de la radiodiffusion canadienne c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1983] 1 C.F. 182 (C.A.), conf. par [1985] 1 R.C.S. 174; Re Dow Chemical Canada Inc. and Union Gas Ltd. (1982), 141 D.L.R. (3d) 641 (C. div. Ont.), conf. par (1983), 42 O.R. (2d) 731 (C.A.); Children’s Aid Society of Huron County c. P. (C.), 2002 CanLII 45644 (C.S.J. Ont.); Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394; R. W. Macaulay et J. L. H. Sprague, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals (feuilles mobiles), vol. 3, p. 29‑1; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (2008), p. 290 et 291).
[52] À mon avis, il ne faut pas voir la compétence inhérente d’une cour supérieure comme un plein pouvoir « d’assistance »; il faut plutôt l’interpréter conformément à l’évolution de la jurisprudence de cette Cour au sujet du rôle, du pouvoir et du mandat des cours de justice d’origine législative et des tribunaux administratifs. Pour ce faire, il faut notamment tenir compte de la nécessité d’éviter le fractionnement des recours à moins de circonstances exceptionnelles (voir Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 29; R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765, par. 79). Comme le souligne le juge Binnie, la cour supérieure ne doit intervenir ainsi que dans le but fondamental de faire « ce qui est nécessaire pour éviter une injustice » (par. 38). C’est en l’espèce qu’on a interprété pour la première fois cette compétence inhérente comme emportant le pouvoir d’ordonner le versement d’une provision pour frais dans une procédure instruite par une cour de justice d’origine législative ou un tribunal administratif.
[53] Il convient de se rappeler, comme l’a admis le juge Binnie, que l’exercice de cette compétence inhérente reposait sur la prémisse que la cour provinciale n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance en question. Hélas, nous ne sommes pas saisis, à proprement parler, de cette pièce du casse‑tête juridictionnel. M. Caron avait demandé sans succès à la cour provinciale de lui accorder une provision pour frais fondée sur l’arrêt Okanagan. La cour provinciale a conclu que, bien que les critères établis dans l’arrêt Okanagan étaient satisfaits, il lui était impossible d’accéder à la demande de M. Caron. Confirmée pour l’essentiel par la Cour du Banc de la Reine (2007 ABQB 262, 75 Alta. L.R. (4th) 287, le juge Marceau), la décision de la cour provinciale n’a pas été portée en appel par M. Caron. Il a plutôt décidé d’obtenir du financement en présentant une nouvelle demande à la Cour du Banc de la Reine, priant celle‑ci d’exercer son pouvoir inhérent, à titre de cour supérieure, de rendre une ordonnance de provision pour frais. Il faudra donc attendre une autre occasion de trancher la question de savoir si une cour de justice d’origine législative ou un tribunal administratif a compétence pour ordonner le versement d’une provision pour frais fondée sur l’arrêt Okanagan.
[54] Cela nous place dans la situation peu enviable d’avoir à établir la possibilité pour M. Caron d’obtenir du financement et de poursuivre le présent litige comme s’il ne pouvait s’adresser à une autre juridiction. Je veux simplement faire une mise en garde : il se peut fort bien que l’évolution de la reconnaissance, par la Cour, de l’indépendance, de l’intégrité et de l’expertise des cours de justice d’origine législative et des tribunaux administratifs soit incompatible avec une approche qui a pour effet d’élargir la compétence inhérente dont jouit une cour supérieure en common law sur les questions soumises à ces tribunaux. Lors de l’examen des limites dont devrait être assortie la compétence inhérente d’une cour supérieure, il faut concilier la portée de cette compétence en common law et le mandat que la loi confie implicitement à une cour de justice d’origine législative ou à un tribunal administratif de faire respecter sa propre procédure dans la mesure nécessaire pour éviter une injustice et atteindre les objectifs fixés par la loi à son égard (voir Cunningham, par. 19; ATCO, par. 51; Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, par. 37; R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 35). L’impossibilité pour les cours provinciales et les tribunaux administratifs d’ordonner le versement de fonds dans les circonstances exceptionnelles visées par les arrêts Okanagan et Little Sisters pourrait fort bien les empêcher de continuer à instruire des affaires dignes d’intérêt et susceptibles de revêtir une importance pour le public. Comme la juge en chef McLachlin l’a souligné dans Dunedin, l’adjudication de dépens constitue une mesure de réparation très utile et « est intimement liée à la maîtrise que le tribunal exerce sur sa procédure » (par. 81).
[55] Compte tenu de cette mise en garde et des circonstances exceptionnelles de la présente affaire, je conviens avec le juge Binnie qu’il y a lieu de confirmer la provision pour frais fondée sur l’arrêt Okanagan et de rejeter l’appel.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureur de l’appelant : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
Procureurs de l’intimé : Balfour Moss, Regina.
Procureur de l’intervenant le commissaire aux langues officielles du Canada : Commissariat aux langues officielles, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Arvay Finlay, Vancouver.
Procureurs des intervenants le Conseil des Canadiens avec déficiences, le Comité de la Charte et des questions de pauvreté, Poverty and Human Rights Centre et le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes : Camp Fiorante Matthews, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne‑française de l’Alberta : Heenan Blaikie, Ottawa.
Procureur de l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights : Université de Toronto, Toronto.