COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Saulnier c. Banque Royale du Canada,
[2008] 3 R.C.S. 166, 2008 CSC 58
Date : 20081024
Dossier : 31622
Entre :
Benoit Joseph Saulnier et
Bingo Queen Fisheries Limited
Appelants
et
Banque royale du Canada, WBLI Inc., en sa
qualité de séquestre de Benoit Joseph Saulnier
et Bingo Queen Fisheries Limited, et
Goodman Rosen Inc., en sa qualité de syndic
à la faillite de Benoit Joseph Saulnier
Intimés
‑ et ‑
Procureur général du Canada, Association des
producteurs de fruits de mer de la Nouvelle‑Écosse,
Conseil des allocations aux entreprises d’exploitation
du poisson de fond, BC Seafood Alliance,
Association canadienne des producteurs de crevettes
et Conseil canadien des pêches
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 53)
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)
* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.
______________________________
Saulnier c. Banque Royale du Canada, [2008] 3 R.C.S. 166, 2008 CSC 58
Benoit Joseph Saulnier et
Bingo Queen Fisheries Limited Appelants
c.
Banque Royale du Canada, WBLI Inc., en sa
qualité de séquestre de Benoit Joseph Saulnier
et de Bingo Queen Fisheries Limited, et
Goodman Rosen Inc., en sa qualité de syndic
à la faillite de Benoit Joseph Saulnier Intimées
et
Procureur général du Canada, Association des
producteurs de fruits de mer de la Nouvelle‑Écosse,
Conseil des allocations aux entreprises d’exploitation
du poisson de fond, BC Seafood Alliance,
Association canadienne des producteurs de crevettes
et Conseil canadien des pêches Intervenants
Répertorié : Saulnier c. Banque Royale du Canada
Référence neutre : 2008 CSC 58.
No du greffe : 31622.
2008 : 23 janvier; 2008 : 24 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Bateman, Hamilton et Fichaud) (2006), 246 N.S.R. (2d) 239, 780 A.P.R. 239, 271 D.L.R. (4th) 34, 21 B.L.R. (4th) 1, 22 C.B.R. (5th) 38, 10 P.P.S.A.C. (3d) 221, [2006] N.S.J. No. 307 (QL), 2006 CarswellNS 323, 2006 NSCA 91, qui a accueilli en partie un appel contre une décision du juge en chef Kennedy (2006), 241 N.S.R. (2d) 96, 767 A.P.R. 96, 17 C.B.R. (5th) 182, [2006] N.S.J. No. 38 (QL), 2006 CarswellNS 41, 2006 NSSC 34. Pourvoi rejeté.
Andrew S. Nickerson, c.r., pour les appelants.
Carl A. Holm, c.r., et Christian Weisenburger, pour les intimées.
Peter M. Southey et Christine Mohr, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Richard F. Southcott et Andrea F. Baldwin, pour les intervenants l’Association des producteurs de fruits de mer de la Nouvelle‑Écosse, le Conseil des allocations aux entreprises d’exploitation du poisson de fond, BC Seafood Alliance, l’Association canadienne des producteurs de crevettes et le Conseil canadien des pêches.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Binnie — Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à décider si un permis de pêche commerciale, autorisant un pêcheur à exercer une activité réglementée — interdite à défaut de détenir un tel permis — , constitue un « bien » dont peut se réclamer un syndic, sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3 (« LFI »), ou un créancier, ayant enregistré un contrat de garantie générale (« CGG ») en vertu de la Personal Property Security Act de la Nouvelle‑Écosse, S.N.S. 1995‑96, ch. 13 (« PPSA »).
[2] L’appelant, un pêcheur commercial ayant fait faillite, et sa société en propriété exclusive, l’appelante Bingo Queen Fisheries Limited, font valoir qu’un permis de pêche ne constitue qu’un « privilège » d’exercer une activité qui, autrement, serait illégale. En tant que tel, ce permis ne saurait donc être dévolu à l’intimée, la Banque Royale du Canada, en vertu du CGG que les appelants ont signé, ni au syndic de faillite intimé. En conséquence, affirment‑ils, l’appelant Saulnier, qui détient les quatre permis de pêche en cause en l’espèce, est en droit de continuer à pêcher malgré la faillite, de sorte que les créanciers n’ont que le reste de l’actif à se partager. Sans les permis, la valeur des biens est loin d’être suffisante pour acquitter l’ensemble des dettes.
[3] Les appelants n’ont pas eu gain de cause devant les tribunaux de la Nouvelle‑Écosse. Le juge de première instance a fondé sa décision sur la notion de [traduction] « réalité commerciale ». La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a souscrit au résultat, refusant toutefois de fonder sa propre décision sur cette notion de « réalité commerciale ». Elle a plutôt tenu compte du fait que les permis de pêche confèrent à leur titulaire le droit de toucher les revenus provenant de la pêche et des principes de droit administratif qui, selon elle, régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre à l’égard de toute demande de renouvellement ou de transfert de permis sous le régime du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53 (« Règlement »). La Cour d’appel a exprimé l’avis que, collectivement, les divers éléments de ce [traduction] « faisceau de droits » conféraient au titulaire des permis suffisamment de droits présentant des similarités avec des droits de propriété pour que les permis soient visés par le régime applicable en matière de faillite et par la PPSA.
[4] Pour des motifs différents, et sur une base plus limitée, je suis également d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Faits
[5] L’appelant Saulnier détient quatre permis de pêche (homard, hareng, espadon et maquereau). Comme la plupart des pêcheurs, il a dû s’endetter pour financer ses activités. Ainsi, en avril 1999, il a conclu un CGG avec la Banque Royale. En janvier 2003, il s’est porté caution (jusqu’à concurrence de 215 000 $) envers la Banque Royale à l’égard de prêts consentis à l’appelante Bingo Queen, une société dont il avait la propriété exclusive. À cette époque, Bingo Queen a également conclu un CGG. Suivant le formulaire de garantie utilisé, la banque a obtenu une sûreté grevant [traduction] « tous [. . .] les biens personnels, actuels et acquis par la suite, y compris [. . .] les biens immatériels [. . .] et tous les produits et renouvellements y afférents ». Le contrat précisait de plus que le terme « bien immatériel » devait s’interpréter suivant la définition qu’en donne la PPSA. Il est prévu, dans le CGG, que certains biens seront énumérés à l’annexe C, mais dans les deux CGG en litige, cette annexe a été laissée en blanc.
[6] En 2004, l’entreprise de pêche de l’appelant était en défaut. Le 6 juillet, M. Saulnier devait 120 449 $ à la banque et Bingo Queen avait accumulé des dettes de 177 282 $. Le 8 juillet, M. Saulnier a fait cession de ses biens. Le bilan qu’il a soumis sous le régime de la LFI faisait état de dettes totalisant 400 330 $, dont une dette d’environ 250 000 $ envers la Banque Royale. Le juge du procès a conclu que, selon la preuve, les quatre permis de pêche de M. Saulnier avaient une valeur marchande de plus de 600 000 $. Si elle était mise à la disposition des créanciers, cette somme suffirait à couvrir toutes les dettes et permettrait de dégager un excédent.
[7] Le 18 novembre 2004, quatre mois après la faillite, M. Saulnier a voulu louer son permis de pêche au homard à Horizon Fisheries Limited, dont sa conjointe de fait était la principale propriétaire. En mars 2005, le séquestre et le syndic de faillite ont conclu une entente concernant la vente des permis de pêche de M. Saulnier et d’autres éléments d’actif à un tiers pour la somme de 630 000 $ (la vente était conditionnelle à ce que le syndic puisse transférer les permis). Monsieur Saulnier a refusé de signer les documents nécessaires. Le syndic de faillite et la Banque Royale ont présenté la demande de jugement déclaratoire qui nous occupe en l’espèce.
II. Dispositions législatives pertinentes
[8] Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14
7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi — , indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.
. . .
9. Le ministre peut suspendre ou révoquer tous baux, permis ou licences consentis en vertu de la présente loi si :
a) d’une part, il constate un manquement à leurs dispositions;
b) d’autre part, aucune procédure prévue à la présente loi n’a été engagée à l’égard des opérations qu’ils visent.
Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53
2. . . .
« document » Permis, carte d’enregistrement de pêcheur ou carte d’enregistrement de bateau accordant le privilège légal de pratiquer la pêche ou des activités relatives à la pêche et aux pêches en général.
. . .
16. (1) Tout document appartient à la Couronne et est incessible.
(2) La délivrance d’un document quelconque à une personne n’implique ou ne lui confère aucun droit ou privilège futur quant à l’obtention d’un document du même type ou non.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3
2. . . .
« bien » Bien de toute nature, qu’il soit situé au Canada ou ailleurs. Sont compris parmi les biens les biens personnels et réels, en droit ou en equity, les sommes d’argent, marchandises, choses non possessoires et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de domaines, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant.
. . .
67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants :
a) les biens détenus par le failli en fiducie pour toute autre personne;
b) les biens qui, à l’encontre du failli, sont exempts d’exécution ou de saisie sous le régime des lois applicables dans la province dans laquelle sont situés ces biens et où réside le failli;
b.1) dans les circonstances prescrites, les paiements au titre de crédits de la taxe sur les produits et services et les paiements prescrits qui sont faits à des personnes physiques relativement à leurs besoins essentiels et qui ne sont pas visés aux alinéas a) et b),
mais ils comprennent :
c) tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération;
d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.
Personal Property Security Act, S.N.S. 1995‑96, ch. 13
[traduction]
2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
w) « bien immatériel » Bien personnel qui n’est pas un objet, un titre, un titre de créance garanti, une valeur mobilière, un effet ou une somme d’argent;
. . .
ad) « bien personnel » Objet, titre, titre de créance garanti, valeur mobilière, effet, somme d’argent ou bien immatériel;
III. Historique des procédures judiciaires
A. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (2006), 241 N.S.R. (2d) 96, 2006 NSSC 34
[9] Le juge en chef Kennedy a conclu que [traduction] « l’approche juste et appropriée consiste à définir la nature des permis de pêche fédéraux en fonction de la réalité commerciale » (par. 49). Il a ajouté que « [l]e fait d’accepter l’argument [. . .] selon lequel ces permis ne sauraient constituer un bien de leur titulaire, en raison du contrôle exercé par le ministre à leur égard, aurait pour effet [. . .] de créer une situation juridique irréaliste, fondée sur une définition historique de la notion de “bien” qui ne tient pas compte de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde des affaires, que le droit doit servir » (par. 53). À son avis, le faisceau de droits conférés par les permis « constitue un bien négociable pouvant être cédé en garantie » (par. 54) ainsi qu’un « bien au sens de la LFI » (par. 57).
B. Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Bateman, Hamilton et Fichaud) (2006), 246 N.S.R. (2d) 239, 2006 NSCA 91
[10]Le juge Fichaud, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel, a conclu que, bien que la réalité commerciale et la valeur marchande des permis [traduction] « puissent être des facteurs déterminants en matière de comptabilité ou d’évaluation » (par. 17), la question de droit devrait être tranchée en tenant compte des définitions des termes « bien » et « bien personnel » figurant dans la LFI et dans la PPSA.
[11]Après avoir examiné l’art. 2 et le par. 16(1) du Règlement, le juge Fichaud a statué que le permis lui‑même appartient à l’État et non à son titulaire. Toutefois, [traduction] « pendant la durée de validité d’un permis, le titulaire possède un intérêt bénéficiaire dans les revenus tirés de l’utilisation du permis. Cet intérêt bénéficiaire, ainsi que le droit à ces revenus, sont transmis au syndic de faillite du titulaire du permis » (par. 38). Selon le juge, il était important de déterminer, d’une part, si M. Saulnier avait des droits quelconques quant au renouvellement ou à la redélivrance de ses permis et, d’autre part, si ces droits étaient transmis au syndic. Il a accordé de l’importance au fait que le titulaire d’un permis de pêche a non seulement le droit d’en demander le renouvellement, mais aussi celui de ne pas se le voir refuser arbitrairement. Dans ces circonstances,
[traduction] [l]e titulaire du permis possède un droit légalement reconnu — aussi limité qu’il puisse être — , qui constitue un bien personnel immatériel. [. . .] Le droit limité du titulaire du permis ou son intérêt bénéficiaire est transmis au créancier garanti ou au syndic de faillite. [Il] est dévolu à ces derniers sous réserve de tous les risques de non‑renouvellement applicables au titulaire — c.‑à‑d. la possibilité que, pour des motifs non arbitraires, le permis ne soit pas renouvelé. Ainsi, l’intérêt du créancier garanti ou du syndic de faillite n’affaiblit pas le régime réglementaire établi par la législation [sur les pêches] . . . [par. 49]
[12] Le juge Fichaud a cité de la jurisprudence concernant des décisions ministérielles prises de mauvaise foi et ayant entraîné une condamnation à des dommages‑intérêts ou ayant fait l’objet d’un contrôle judiciaire, dont l’arrêt St. Anthony Seafoods Limited Partnership c. Newfoundland and Labrador (Minister of Fisheries and Aquaculture) (2004), 245 D.L.R. (4th) 597, 2004 NLCA 59. S’appuyant sur ces arrêts, il a conclu : « Le droit d’obtenir des dommages‑intérêts ou de faire annuler une décision ministérielle constitue, selon moi, un bien personnel immatériel au sens de la définition large donnée au mot “bien” à l’art. 2 de la LFI » (par. 52). De plus, à son avis, même si [traduction] « [l]e cadre de la PPSA permettant de définir la notion de “bien immatériel” n’est pas aussi substantiel que celui de la LFI », cela ne modifie en rien le résultat en ce qui concerne les permis de pêche (par. 61). En effet, pour lui, les droits que le permis de pêche confère à son titulaire constituent également des biens personnels (« immatériels ») pour l’application de la PPSA.
IV. Analyse
[13]Le pêcheur commercial qui possède un vieux rafiot et un permis de pêche est dans une bien meilleure situation financière que le pêcheur sans permis, dont le luxueux bateau reste amarré au quai. Les institutions financières désireuses d’obtenir des garanties facilement réalisables cherchent à mettre la main sur les permis délivrés en vertu du Règlement fédéral, dont la valeur marchande peut atteindre un demi‑million de dollars ou plus dans le cas de la pêche au homard. Les pêcheurs souhaitent offrir les garanties les plus considérables possible afin de pouvoir emprunter les sommes nécessaires à l’acquisition du matériel dont ils ont besoin pour prendre la mer.
[14]La prétention du ministre selon laquelle il dispose d’un pouvoir discrétionnaire plus ou moins absolu pour renouveler ou non chaque année les permis de pêche repose sur la loi, telle qu’elle a été interprétée dans Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12. Dans cet arrêt, le juge Major, qui s’exprimait au nom de la Cour, a écrit ceci :
Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l’arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches. [par. 37]
Néanmoins, le fait est que la stabilité du secteur de la pêche dépend du renouvellement prévisible des permis par le ministre année après année. Peu de pêcheurs s’attendent à rembourser leurs emprunts grâce aux revenus d’une seule année de pêche. Dans un secteur où la possession de l’un des rares permis disponibles constitue un préalable à la participation aux activités, la valeur des autres actifs liés à la pêche est tributaire de la détention d’un permis.
[15]Par contre, les appelants ont raison de dire que le seul fait qu’un « droit » ou un « pouvoir » de pêcher possède une valeur commerciale ne fait pas pour autant du permis un bien au sens de la LFI ou de la PPSA. Dans le passé, des tribunaux de première instance de la Nouvelle‑Écosse ont statué que les permis de pêche ne constituent pas des biens et que les syndics ne peuvent demander qu’ils leur soient dévolus. Voir, à titre d’exemple, Jenkins, Re (1997), 32 C.B.R. (4th) 262 (C.S.N.‑É.), et Townsend, Re (2002), 32 C.B.R. (4th) 318 (C.S.N.‑É.). On ne saurait faire abstraction du texte de la loi, aussi valables que puissent être les conclusions des juridictions inférieures sur le plan pratique.
A. Une question d’interprétation législative
[16]Les questions soumises à la Cour sont essentiellement des questions d’interprétation législative. Nous ne sommes pas appelés à examiner la notion de « bien » dans l’abstrait. Ce terme correspond de toute façon à une notion plutôt élastique, qui tire son sens du contexte. En conséquence, il s’agit de donner aux définitions pertinentes de la LFI et la PPSA une interprétation téléologique tenant compte de [traduction] « leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 1). Ce n’est pas parce qu’un permis de pêche ne peut être considéré comme un « bien » en common law en général qu’il est d’office exclu du champ d’application des lois. En effet, le législateur peut, à des fins particulières, créer sa propre nomenclature, et il lui arrive effectivement de le faire.
[17]Pour déterminer la portée de la définition d’un « bien » dans le contexte législatif qui nous occupe, il faut examiner l’objet général de la LFI, qui consiste à assurer la bonne administration des affaires du failli en maintenant un juste équilibre entre les droits des créanciers et l’opportunité de permettre au failli de repartir à neuf : Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, par. 7. Le paragraphe 67(1) exclut certains types de biens du patrimoine attribué aux créanciers afin de permettre au failli de subsister jusqu’à sa libération et de repartir ensuite à neuf. Ces exclusions ne s’apparentent guère, selon moi, à l’exclusion proposée d’un élément d’actif de grande valeur comme un permis de pêche commerciale. Si M. Saulnier avait « vendu » ses permis avant sa libération, le produit de la vente aurait, semble‑t‑il, été considéré comme un bien acquis après la faillite et faisant partie du patrimoine attribué à ses créanciers en vertu de l’al. 67(1)c) de la LFI.
[18]C’est au regard de ce contexte général qu’il faut déterminer le sens qu’il convient de donner à la définition d’un « bien » à l’art. 2 de la LFI, qui est reproduit ci‑dessous :
« bien » Bien de toute nature, qu’il soit situé au Canada ou ailleurs. Sont compris parmi les biens les biens personnels et réels, en droit ou en equity, les sommes d’argent, marchandises, choses non possessoires et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de domaines, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant.
[19]Quant à elle, la PPSA vise à faciliter la création de sûretés permettant aux détenteurs de biens personnels de les offrir en garantie et aux prêteurs de connaître avec précision le rang de leur réclamation à l’égard des biens en question.
[traduction] Partant du principe que tous les contrats de garantie visent le même objectif et que les emprunteurs ont généralement un faible pouvoir de négociation, la PPSA établit un système détaillé régissant les droits et recours en cas de défaut, dans le but de garantir l’uniformité et l’équité dans l’exécution des sûretés.
(J. S. Ziegel, B. Geva et R. C. C. Cuming, Commercial and Consumer Transactions : Cases, Text and Materials (3e éd. 1995), vol. III, p. 18)
Au même effet, voir C.I.B.C. c. Marathon Realty Co., [1987] 5 W.W.R. 236 (C.A. Sask.), p. 247, et Credit Suisse Canada c. 1133 Yonge Street Holdings Ltd. (1998), 41 O.R. (3d) 632 (C.A.).
[20]Il nous faut, dans le cadre de cet objectif général, donner un sens aux définitions plutôt circulaires figurant à l’art. 2 de la PPSA :
[traduction]
w) « bien immatériel » Bien personnel qui n’est pas un objet, un titre, un titre de créance garanti, une valeur mobilière, un effet ou une somme d’argent;
. . .
ad) « bien personnel » Objet, titre, titre de créance garanti, valeur mobilière, effet, somme d’argent ou bien immatériel;
[21]Certes, un créancier prêteur ayant conclu un contrat de garantie qui n’est pas enregistrable sous le régime de la PPSA peut quand même avoir des droits contractuels à exercer contre l’emprunteur. Toutefois, l’objectif de chaque prêteur est d’obtenir priorité sur les réclamations des autres créanciers (ou de savoir à l’avance quel rang pourra prendre sa créance). Autrement, un mécréant pourrait signer une série de contrats de financement non enregistrés cédant apparemment tous en garantie le même bateau et le même permis.
B. L’intérêt conféré par un permis de pêche
[22]Les ressources halieutiques constituent une ressource publique. Le permis de pêche autorise son titulaire à participer à l’exploitation de cette ressource pendant une période limitée. Une fois capturé, le poisson devient la propriété du titulaire du permis. En conséquence, le permis de pêche représente davantage qu’un « simple permis » d’exercer une activité qui autrement serait illégale. Il constitue un permis auquel se rattache un intérêt propriétal sur le fruit des efforts de pêche, à condition bien sûr de capturer quelque chose.
[23]Il est extrêmement douteux qu’un simple permis puisse en soi être considéré comme un bien en common law. Voir, de façon générale, A. M. Honoré, « Ownership », dans A. G. Guest, dir., Oxford Essays in Jurisprudence (1961). Par contre, si un permis de pêche n’est pas un bien au sens de la common law, il constitue indiscutablement un élément d’actif commercial très important.
[24]Les ministres qui se sont succédé à Pêches et Océans Canada ont établi des politiques témoignant de leur souci de soutenir la stabilité du secteur de la pêche, ce qui nécessite une continuité dans les rangs des titulaires de permis. Malgré une orientation favorable à la stabilité et à la continuité, la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’est du Canada, 1996 émanant du ministre tente d’écarter l’idée que ces permis devraient être interprétés comme conférant un intérêt de propriété à leurs titulaires, ce qui pourrait limiter l’exercice du pouvoir du ministre de les délivrer « à discrétion ». Ainsi, l’alinéa 5(a) de cette politique précise :
Un « permis » autorise une activité qui autrement est interdite. Un permis ne confère donc aucun droit de propriété ou aucun autre droit pouvant être légalement vendu, échangé ou légué. Il s’agit essentiellement du privilège de mener une activité, mais sous réserve des conditions liées au permis.
L’énoncé de politique du ministre exprime une position du ministère qui n’a aucune valeur réglementaire et qui, en droit, n’ajoute ni ne retranche rien au pouvoir du ministre de délivrer des permis « à discrétion » en vertu du par. 7(1) de la Loi sur les pêches. Cette politique informelle ne détermine pas non plus si le permis peut être considéré comme un « bien » pour l’application de la LFI et de la PPSA. En réalité, comme l’ont constaté les juridictions inférieures, le secteur de la pêche commerciale présume, à juste titre, que les permis peuvent être transférés sur demande au ministre, avec le consentement du titulaire de permis actuel, que les permis seront renouvelés, d’une année à l’autre, et que la politique ministérielle ne sera pas modifiée au détriment de ceux qui détiennent déjà un permis. Ainsi, malgré les protestations du ministre, le marché attribue une valeur marchande élevée à ce qui pourrait autrement être considéré comme un droit [traduction] « transitoire et éphémère », pour reprendre les termes utilisés dans certaines décisions.
[25]La jurisprudence propose plusieurs approches.
(i) L’approche fondée sur la définition traditionnelle d’un « bien »
[26]Les appelants s’appuient sur l’arrêt Re National Trust Co. and Bouckhuyt (1987), 61 O.R. (2d) 640, dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’argument de la société de fiducie selon lequel un contingent de tabac de grande valeur inclus dans un acte d’hypothèque mobilière pouvait faire l’objet d’un enregistrement sous le régime de la loi ontarienne sur les sûretés mobilières. Le juge Cory, plus tard juge de notre Cour, a mentionné certains indices traditionnels de l’existence d’un droit de propriété et a conclu que le renouvellement d’un contingent de tabac année après année était assujetti au [traduction] « pouvoir discrétionnaire absolu de la commission [du tabac] » et que le contingent lui-même était « transitoire et éphémère » (p. 647‑648). Par conséquent, le contingent ne « constitu[ait] pas un bien personnel immatériel au sens de la Loi sur les sûretés mobilières » de l’Ontario (p. 649). La Cour d’appel du Québec a tiré une conclusion similaire relativement à un permis de pêche pour l’application de la LFI dans Noël (Syndic) (Re), [1994] J.Q. no 978 (QL).
[27]L’approche adoptée dans Bouckhuyt a été appliquée dans certaines décisions mettant en cause la loi ontarienne sur les sûretés mobilières; voir, à titre d’exemple, Canadian Imperial Bank of Commerce c. Hallahan (1990), 69 D.L.R. (4th) 449 (C.A. Ont.), et Bank of Montreal c. Bale (1992), 4 P.P.S.A.C. (2d) 114 (C.A. Ont.). Certains estiment toutefois que cette approche ne tient pas suffisamment compte du contexte particulier de la législation sur les sûretés mobilières, qui commande une conception plus large de la notion de biens immatériels, laquelle serait essentielle, selon les critiques, à la réalisation de ses objectifs. Voir J. S. Ziegel et D. L. Denomme, The Ontario Personal Property Security Act : Commentary and Analysis (1994), p. 41‑42. Comme je l’explique plus loin, la jurisprudence plus récente tend à restreindre la portée de l’arrêt Bouckhuyt aux faits qui lui sont propres. Même dans les décisions axées sur l’approche « réglementaire », les tribunaux adoptent maintenant une interprétation plus téléologique des définitions de la LFI et des lois sur les sûretés mobilières, et ils considèrent la notion traditionnelle de bien en common law comme un moins grand obstacle à la reconnaissance des permis et des contingents comme des « biens » pour l’application de ces lois. Je souscris à ce courant.
[28]Quoi qu’il en soit, il y a une grande différence entre un contingent (comme dans Bouckhuyt) et un permis de pêche, qui s’apparente davantage à un profit à prendre en common law, lequel constitue sans conteste un droit de propriété. Un profit à prendre permet à celui qui en est titulaire d’accéder au bien‑fonds d’une autre personne pour en extraire une partie des produits naturels, comme les récoltes ou le gibier à plumes (B. Ziff, Principles of Property Law (2e éd. 1996), p. 333‑334; La Reine du chef de la Colombie‑Britannique c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533; M. J. Mossman et W. F. Flanagan, Property Law : Cases and Commentary (2e éd. 2004), p. 545). De même, un « profit de pêche » (un type de profit à prendre) est reconnu comme un droit de propriété sur le poisson qui se trouve dans des eaux privées appartenant à une autre personne.
[29]Le juge Fichaud a mentionné, dans l’arrêt dont appel, de nombreuses décisions portant que [traduction] « pendant la durée de validité d’un permis, son titulaire a un intérêt bénéficiaire dans les revenus qu’il génère » (par. 37). Voir également : Waryk c. Bank of Montreal (1991), 85 D.L.R. (4th) 514 (C.A.C.‑B.), p. 521‑524; British Columbia Packers Ltd. c. Sparrow, [1989] 4 C.N.L.R. 63 (C.A.C.‑B.), p. 68, et Buston c. Canada, [1993] A.C.I. no 426 (QL) (C.C.I.), par. 45-51. C’est une autre façon d’exprimer essentiellement la même idée. Les revenus proviennent des poissons dont la prise de possession, en droit, coïncide avec le moment de leur capture, comme dans le cas d’un profit à prendre.
[30]Les observations formulées par R. Megarry et H. W. R. Wade dans The Law of Real Property (4e éd. 1975), p. 779, supportent cette analyse dans une certaine mesure :
[traduction] Un permis peut être assorti d’un intérêt propriétal sur un autre bien. Ainsi, le droit d’accéder au bien‑fonds d’une autre personne pour chasser le cerf et d’emporter l’animal abattu, ou d’accéder au bien‑fonds, d’y couper un arbre et de l’emporter, comporte deux éléments : la permission d’accéder au bien‑fonds et la concession d’un droit (un profit à prendre) sur le cerf ou l’arbre.
Et à la p. 822 :
Le droit « de chasser au faucon, de chasser le gros et le petit gibier et de pêcher » peut donc constituer un profit à prendre, étant donné que ce droit confère celui de prendre, sur le bien‑fonds, des êtres vivants qui, une fois tués, deviennent susceptibles d’appropriation.
(Voir également Kelly c. Kelly (1990), 92 A.L.R. 74 (H.C.); Pennington c. McGovern (1987), 45 S.A.S.R. 27 (C.S.).)
[31]L’analogie entre un permis de pêche commerciale et le profit à prendre a déjà été mentionnée par la Haute Cour d’Australie dans Harper c. Minister for Sea Fisheries (1989), 168 C.L.R. 314. Dans cette affaire, on contestait l’autorité du gouvernement tasmanien de délivrer un permis de pêche à l’ormeau, notamment, dans la zone de pêche australienne, au‑delà des eaux côtières de l’État de Tasmanie. Le contexte factuel et le régime législatif en cause étaient très différents de ceux qui nous occupent, mais les observations du juge Brennan, auxquelles ont souscrit les juges Dawson, Toohey et McHugh, sont néanmoins pertinentes :
[traduction] Les droits versés pour obtenir un tel privilège s’apparentent au prix à payer pour acquérir un profit à prendre; il s’agit de frais payables pour acquérir un droit analogue à un droit de propriété. On peut distinguer ces droits des droits exigés pour obtenir un permis conférant simplement le droit de faire quelque chose qui autrement serait interdit (par exemple, les droits versés en vue d’obtenir un permis pour la vente de boissons alcooliques), et dont le versement ne confère pas de droit d’accès à une ressource. [p. 335]
[32]Dans leurs motifs concordants, le juge en chef Mason et les juges Deane et Gaudron soulignent que, bien qu’il ressemble à certains égards à un profit à prendre, le permis de pêche est néanmoins une création de la loi :
[traduction] Ce qui faisait autrefois partie du domaine public est maintenant réservé de façon exclusive, mais à certaines conditions, aux titulaires de permis. Le droit d’exploiter une ressource publique à des fins commerciales pour son profit personnel est devenu un privilège réservé à ceux qui détiennent un permis commercial. Ce privilège peut se comparer à un profit à prendre. En vérité, toutefois, il s’agit d’une nouvelle sorte de droit faisant partie d’un système visant à préserver une ressource naturelle publique qui n’est pas illimitée . . . [p. 325]
[33]À mon avis, ces observations sont utiles. Il ne fait pas de doute qu’un permis de pêche est une création de la Loi sur les pêches et du Règlement. Dans Comeau’s Sea Foods, notre Cour a déjà souligné la grande latitude et le vaste pouvoir discrétionnaire dont jouit le ministre en ce qui concerne ces permis. Il n’en demeure pas moins qu’il existe d’importantes similitudes entre les permis de pêche délivrés à l’appelant Saulnier et le droit de propriété appelé profit à prendre en common law, qui inclut un profit de pêche. S’il s’agissait de déterminer si un permis de pêche est un profit à prendre, il faudrait sans doute répondre par la négative. Mais là n’est pas la question. Il s’agit plutôt de déterminer si, vus sous cet angle, les permis de pêche répondent aux définitions énoncées dans la LFI et la PPSA, interprétées en fonction de leur objet.
[34]Je veux simplement souligner que l’objet du permis (c.‑à‑d. le droit de participer à une pêche réservée aux titulaires de permis), assorti d’un intérêt propriétal sur les prises effectuées conformément au permis, s’apparente raisonnablement à des droits que la common law considère traditionnellement comme de nature propriétale. Il peut donc raisonnablement être inclus dans la définition du terme « bien » énoncée à l’art. 2 de la LFI, qui fait mention des « profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant ». Dans ce contexte, les biens en cause sont les poissons capturés.
[35]Bien sûr, la Loi sur les pêches et le Règlement limitent les droits du titulaire d’un permis de pêche quant à la durée, au lieu et aux modalités de leur exercice. Dire que le permis de pêche est assorti d’un intérêt propriétal n’a pas pour effet de soumettre le pouvoir discrétionnaire du ministre à des contraintes liées au droit propriétal. L’analogie utilisée dans les présents motifs n’a pas préséance sur la loi. Le permis est tel que la législation applicable le décrit — sans plus, ni moins. Néanmoins, pendant sa durée, si incertaine soit‑elle, le permis de pêche confère manifestement plus qu’une « simple » permission de faire quelque chose qui autrement serait illégal.
(ii) L’approche réglementaire
[36]L’arrêt Bouckhuyt a produit une série de décisions dans lesquelles des permis et des contingents ont été considérés ou non comme des biens immatériels, selon l’étendue du pouvoir discrétionnaire des autorités responsables de leur renouvellement. Dans Sugarman (in trust) c. Duca Community Credit Union Ltd. (1999), 44 O.R. (3d) 257 (C.A.), la cour a établi une distinction d’avec l’affaire Bouckhuyt, parce que l’autorité chargée de délivrer des permis aux maisons de soins infirmiers était tenue d’accorder un permis aux exploitants admissibles, son pouvoir discrétionnaire de leur refuser un permis était limité et son refus, le cas échéant, de délivrer ou de renouveler le permis pouvait faire l’objet d’un appel administratif. Voir également Foster (Re) (1992), 89 D.L.R. (4th) 555 (C. Ont. (Div. gén.)), p. 564-565. Dans l’affaire qui nous occupe, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a adopté une variante de l’approche « réglementaire » en statuant que la capacité d’un titulaire de permis d’en demander le renouvellement, ou la redélivrance à la personne qu’il désigne, et de contester un refus arbitraire du ministre fait partie d’un « faisceau de droits » qui constituent, collectivement, un type de bien susceptible d’être grevé d’une sûreté. Une approche semblable a été appliquée dans l’arrêt britannique Re Rae, [1995] B.C.C. 102, où la Cour de la Chancellerie a statué que la politique de renouvellement des permis émanant d’un ministre (analogue à la politique applicable au Canada) créait ce que la ministre, elle‑même, décrivait comme un « droit » suffisant pour que le permis de pêche soit inclus dans l’actif du failli. Il faut toutefois noter que, contrairement à la législation canadienne, la loi britannique prévoit la délivrance de permis [traduction] « à l’égard d’un bateau déterminé », ce qui a permis à la cour de conclure que le permis en cause constituait un intérêt [traduction] « accessoire à des biens, à savoir ses bateaux » (p. 113).
[37]À mon avis, le débat sur l’étendue du caractère « transitoire et éphémère » des permis se révèle d’une utilité limitée. Un bail foncier d’une journée ou d’une heure constitue sans conteste un intérêt de propriété, tout comme un bail résiliable en tout temps. Un tiers peut être prêt à payer un « pas de porte » pour obtenir la cession du bail d’un magasin peu avant qu’il expire en s’attendant (raisonnablement ou non) à ce qu’il soit renouvelé incessamment. Le fait que le renouvellement ne soit pas garanti ne diminue en rien l’intérêt que possède le titulaire du permis, mais la perspective du renouvellement d’un permis conformément à une politique du ministre qui pourrait en tout temps être modifiée, ne transforme pas non plus un permis en intérêt de propriété.
[38]L’« approche réglementaire » pose problème notamment parce qu’elle ne comporte aucun critère clair pour déterminer dans quelle mesure le pouvoir discrétionnaire de l’autorité chargée d’accorder le permis doit être « limité » pour qu’un « simple permis » se transforme en un intérêt suffisant pour répondre aux définitions énoncées dans la LFI et la PPSA. Dans Bouckhuyt, les limites imposées à l’autorité chargée de délivrer un contingent de tabac ont été jugées trop faibles, son pouvoir discrétionnaire trop large, pour que le contingent de tabac puisse être considéré comme un « bien » au sens de la loi ontarienne sur les sûretés mobilières. Dans Sugarman et Foster, les « limites » imposées à l’autorité chargée de délivrer respectivement des permis de maisons de soins infirmiers et des permis de taxi ont été jugées suffisantes pour conférer un intérêt propriétal au sens de la loi ontarienne sur les sûretés mobilières. Certes, ces trois arrêts mettaient en cause des régimes réglementaires différents, mais il y a lieu de se demander à quelles conditions un permis inadmissible pour l’application d’une loi sur les sûretés mobilières peut devenir admissible. Voir, de façon générale, T. Johnson, « Security Interests in Discretionary Licences Under the Ontario Personal Property Security Act » (1993), 8 B.F.L.R. 123, p. 240; J. S. Ziegel, « Regulated Licences and the OPPSA : No End in Sight to the Judicial Imbroglio » (1998), 30 Rev. can. dr. comm. 284, p. 284. La jurisprudence ne répond pas à cette question. Des critères plus nets ressortiront sans doute graduellement des décisions qui s’appuieront sur l’approche réglementaire. Je ne crois toutefois pas que le paradigme de « contrôle judiciaire » proposé par la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse en l’espèce soit utile à cet égard. Le Règlement permet à quiconque de présenter une demande de permis de pêche et chacun a droit à une décision ministérielle qui respecte l’équité procédurale. Je ne peux être d’accord pour dire que ces éléments peuvent, en eux‑mêmes, faire en sorte qu’un permis constitue un « bien » de son titulaire.
[39]Quoi qu’il en soit, je souscris à la remarque que le juge Major a fait sienne dans Comeau’s Sea Foods, selon laquelle il lui était impossible de trouver dans la législation sur les pêcheries un fondement juridique à l’« octroi » d’un intérêt dans un permis « au‑delà des droits qui sont accordés pour l’année pour laquelle il est délivré » (para. 33). Voir également Joliffe c. La Reine, [1986] 1 C.F. 511 (1re inst.), p. 520; Bennett, Re (1988), 67 C.B.R. (N.S.) 314 (C.S.C.‑B.); Ward (Bankrupt), Re (2000), 229 R.N.‑B. (2e) 121 (B.R.), et Dugas, Re (2004), 50 C.B.R. (4th) 200, 2004 NBQB 200. Dans la mesure où les arrêts fondés sur l’approche réglementaire sont pertinents en l’espèce, j’estime qu’ils ne sont d’aucune utilité pour les appelants. Le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches prévoit que le ministre peut octroyer des permis de pêche « à discrétion ».
[40]Toutefois, je ne crois pas que la perspective d’un renouvellement, assujetti ou non à un pouvoir discrétionnaire « illimité », soit déterminante. En l’occurrence, les appelants ne sont pas tenus de prouver un renouvellement ni même la perspective raisonnable d’un renouvellement. La question qui se pose dans le contexte de la PPSA est de savoir si le titulaire du permis (en l’espèce, l’appelant Saulnier) avait un intérêt admissible dans le permis au moment où il a conclu un CGG avec la Banque Royale en avril 1999, ou au moment où la banque a voulu réaliser sa sûreté sur les biens acquis ultérieurement par M. Saulnier, et celle qui se pose dans le contexte de la LFI est de savoir s’il avait un intérêt admissible au sens de cette loi lorsqu’il a fait cession de ses biens le 8 juillet 2004.
(iii) L’approche fondée sur la « réalité commerciale »
[41]La décision de première instance du juge en chef Kennedy, qui résume l’argument comme suit, illustre bien cette approche :
[traduction] Cette preuve confirme que, comme je l’ai compris, sur la côte est du Canada, les pêcheurs s’échangent couramment les permis de pêche, particulièrement les permis de pêche au homard, pour des sommes d’argent considérables.
Certains paient le prix fort pour des bateaux de pêche de valeur douteuse en raison des permis qu’ils s’attendent à obtenir du même coup.
. . .
Faire abstraction de la réalité commerciale équivaudrait à nier aux créanciers l’accès à un bien de grande valeur du failli, ce qui serait à la fois artificiel et potentiellement inéquitable. [par. 51-52 et 58]
Des points de vue semblables sur les permis ont été exprimés dans des contextes différents : voir Saskatoon Auction Mart Ltd. c. Finesse Holsteins (1992), 4 P.P.S.A.C. (2d) 67 (B.R. Sask.); G. Slocombe & Associates Inc. c. Gold River Lodges Ltd. (2001), 2 P.P.S.A.C. (3d) 324, 2001 BCSC 840, par. 8; et dans les décisions britanniques Re Celtic Extraction Ltd., [2000] 2 W.L.R. 991 (C.A.), p. 1000, et Swift c. Dairywise Farms Ltd., [2000] 1 W.L.R. 1177 (Ch.).
[42]On a critiqué cette approche en soulignant que bien des choses ayant de la valeur sur le plan commercial ne constituent pas des biens, alors que certains biens ont très peu de valeur. Il n’y a pas nécessairement de lien entre la qualité de bien et la valeur commerciale. Voir, de façon générale, T. G. W. Telfer, « Statutory Licences and the Search for Property : The End of the Imbroglio? » (2007), 45 Rev. can. dr. comm. 224, p. 238. À l’instar de la Cour d’appel, je crois que la « réalité commerciale » ne saurait légitimer une perception de la notion de « bien » qui relève de la pensée magique dans le contexte de la LFI et de la PPSA, quoiqu’elle fournisse un contexte approprié pour l’interprétation des dispositions législatives en cause. Après tout, la LFI et la PPSA sont des lois à caractère en grande partie commercial, qui devraient être interprétées de manière à favoriser la réalisation de leurs objectifs commerciaux respectifs.
(iv) L’approche à privilégier
[43]Comme je l’ai déjà expliqué, le titulaire d’un permis visé au par. 7(1) acquiert bien davantage que la simple permission de faire ce qui autrement serait illégal. Le titulaire acquiert le droit de participer à des activités de pêche exclusive en conformité avec les conditions fixées par le permis et, ce qui est de toute première importance, un droit propriétal dans les poissons sauvages capturés en vertu de ce permis et dans les revenus tirés de leur vente. Bien que ces éléments ne correspondent pas entièrement à la totalité des droits nécessaires pour que quelque chose soit considéré comme un « bien » en common law, la question à résoudre est celle de savoir (même sans tenir compte du débat sur les perspectives de renouvellement) s’ils suffisent pour que le « faisceau de droits » que l’appelant Saulnier possédait effectivement soit considéré comme un bien pour l’application des lois.
a) Les permis de pêche constituent des biens au sens de l’art. 2 de la LFI
[44] Par souci de commodité, je reproduis ci‑dessous l’extrait pertinent de l’art. 2 :
« bien » Bien de toute nature, qu’il soit situé au Canada ou ailleurs. Sont compris parmi les biens les biens personnels et réels, en droit ou en equity, les sommes d’argent, marchandises, choses non possessoires et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de domaines, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant;
Cette définition est très générale. Le législateur a clairement manifesté son intention d’englober un large éventail d’éléments d’actif du failli qui, en common law, ne sont pas habituellement considérés comme des « biens ». Pour assurer la réalisation des objectifs de la LFI, il faut respecter la volonté du législateur à cet égard.
[45] L’article 16 du Règlement, qui prévoit qu’un permis de pêche est un « document » qui « appartient à la Couronne et est incessible » a été invoqué. D’où l’inférence que le Règlement consacre le permis, dans sa dimension commerciale, comme un droit de propriété de la Couronne. Selon moi, l’art. 16 dit simplement que, suivant le Règlement, le document écrit attestant la délivrance du permis (par opposition au permis proprement dit) appartient à la Couronne, de la même manière qu’il est prévu qu’un passeport canadien appartient à la Couronne, et non à son détenteur : Veffer c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [2008] 1 R.C.F. 641, 2007 CAF 247, par. 6. Un pêcheur dont le permis est suspendu ou révoqué ne peut refuser de retourner le document au ministre sous prétexte que ce dernier le lui a donné et qu’il lui appartient maintenant.
[46] Je préfère examiner l’essence de ce qui a été conféré, à savoir le permis de participer à la pêche auquel se rattache un intérêt propriétal sur les poissons capturés en conformité avec les conditions du permis et sous réserve des règlements pris par le ministre. Comme je l’ai mentionné antérieurement, la LFI vise la réalisation de certains objectifs en cas de faillite qui exigent que, règle générale, les créanciers aient accès aux éléments d’actif non exclus. La définition d’un bien énoncée à l’art. 2 doit être interprétée en conséquence de façon à inclure un permis de pêche visé au par. 7(1).
[47] Il est vrai que, pour bénéficier d’un intérêt propriétal sur les poissons, il faut d’abord les capturer, mais l’existence de cette condition se reflète dans la définition de la LFI et n’exclut pas davantage un intérêt propriétal pour l’application de la LFI que ne l’exclut la condition équivalente propre au profit à prendre, qui constitue indéniablement un intérêt de propriété.
[48] L’avocat du procureur général du Canada s’est beaucoup inquiété de la possibilité qu’une éventuelle conclusion portant que le permis de pêche est un bien de son titulaire, même aux fins limitées prévues par la loi, soit invoquée dans d’autres litiges pour limiter le pouvoir discrétionnaire du ministre, mais j’estime que cette préoccupation n’est pas fondée. Le permis est une création du régime réglementaire. Le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches autorise le ministre à octroyer un permis « à discrétion ». Le ministre octroie les permis et il a le pouvoir de les révoquer (dans l’exercice régulier de sa compétence en application de l’art. 9) selon ce qu’exige sa gestion des pêches. La loi définit la nature de l’intérêt du titulaire du permis, et notre conclusion qu’un permis de pêche constitue un « bien » à certaines fins législatives n’élargit pas la portée de cet intérêt.
[49] Il s’ensuit, à mon avis, que le syndic était en droit d’exiger que l’appelant Saulnier signe les documents requis pour que les permis de pêche soient transférés au tiers acheteur.
[50] Il se peut fort bien qu’un permis de pêche expire ou ait déjà expiré avant la libération du failli. Si tel est le cas, le syndic aura, au même titre que le titulaire initial du permis expiré, le droit de demander au ministre de le remplacer et, en cas de refus, le droit d’exercer les mêmes recours que le titulaire initial (ou de n’en exercer aucun si celui‑ci ne peut en exercer aucun). Le failli ne peut transférer des droits plus étendus que ceux qu’il possède. Le syndic prend simplement la place de l’appelant Saulnier et il prend possession du permis « avec tous ses défauts ».
b) Le permis de pêche constitue également un « bien personnel » au sens de l’art. 2 de la PPSA
[51] Par souci de commodité, je reproduis à nouveau les définitions pertinentes de la PPSA :
[traduction]
w) « bien immatériel » Bien personnel qui n’est pas un objet, un titre, un titre de créance garanti, une valeur mobilière, un effet ou une somme d’argent;
. . .
ad) « bien personnel » Objet, titre, titre de créance garanti, valeur mobilière, effet, somme d’argent ou bien immatériel;
Suivant la définition qui en est donnée, un « bien immatériel » est simplement ce qui constitue autrement un « bien personnel », mais qui ne fait pas partie des biens personnels matériels énumérés. La notion de « bien immatériel » engloberait un intérêt d’origine législative, ayant les caractéristiques d’un permis assorti d’un intérêt en common law, comme dans le cas d’un profit à prendre. Je tiens à préciser encore une fois que je ne prétends pas qu’un permis de pêche constitue un profit à prendre en common law, car de nombreuses objections conceptuelles s’opposeraient à pareille qualification. Notre examen se limite aux définitions élargies de la notion de « bien personnel » dans le contexte d’une loi visant à faciliter l’obtention de financement et à protéger les créanciers. À mon avis, l’octroi par le ministre des Pêches et des Océans d’un permis assorti d’un intérêt propriétal semblable à celui que nous venons de décrire répond à la définition énoncée dans la PPSA.
[52] À cet égard, l’enregistrement inclut donc valablement le permis de pêche visé au par. 7(1) et, comme aucun autre moyen de défense fondé sur la PPSA n’a été invoqué, la banque intimée est en droit d’exercer les recours qui y sont prévus.
V. Dispositif
[53] Pour ces motifs, je suis d’avis de confirmer le résultat des décisions des juridictions inférieures et de rejeter le pourvoi avec dépens devant notre Cour en faveur des intimées.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelants : Nickerson Jacquard, Yarmouth.
Procureurs des intimées : Wickwire Holm, Halifax.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.
Procureurs des intervenants l’Association des producteurs de fruits de mer de la Nouvelle‑Écosse, le Conseil des allocations aux entreprises d’exploitation du poisson de fond, BC Seafood Alliance, l’Association canadienne des producteurs de crevettes et le Conseil canadien des pêches : Stewart McKelvey, Halifax.
* Le juge Bastarache n’a pas participé au jugement.