COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Caisse populaire Desjardins de l'Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94
Date : 20090619
Dossier : 31787
Entre :
Caisse populaire Desjardins de l'Est de Drummond, aux droits
de la Caisse populaire du Bon Conseil
Appelante
et
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
Intimée
Traduction française officielle : Motifs du juge Rothstein
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 64)
Motifs dissidents :
(par. 65 à 158)
Le juge Rothstein (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Fish et Charron)
La juge Deschamps (avec l'accord du juge LeBel)
______________________________
Caisse populaire Desjardins de l'Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94
Caisse populaire Desjardins de l'Est de Drummond, aux droits
de la Caisse populaire du Bon Conseil Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimée
Répertorié : Caisse populaire Desjardins de l'Est de Drummond c. Canada
Référence neutre : 2009 CSC 29.
No du greffe : 31787.
2008 : 29 février; 2009 : 19 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d'appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale (les juges Desjardins, Létourneau et Pelletier), 2006 CAF 366, 361 N.R. 77 (sub nom. Ministre du Revenu national c. Caisse populaire du Bon Conseil), [2007] 3 C.T.C. 70, 2007 D.T.C. 5220, [2006] A.C.F. no 1775 (QL), 2006 CarswellNat 3891, qui a confirmé une décision du juge Pinard, 2005 CF 1563, [2007] 2 C.T.C. 44, 2005 D.T.C. 5723, [2005] A.C.F. no 1933 (QL), confirmant une décision de la protonotaire Mireille Tabib, 2005 CF 731, 293 F.T.R. 166, 2005 D.T.C. 5268, [2005] A.C.F. no 900 (QL). Pourvoi rejeté, les juges LeBel et Deschamps sont dissidents.
Reynald Auger et Jean‑Patrick Dallaire, pour l'appelante.
Pierre Cossette et Guy Laperrière, pour l'intimée.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Fish, Charron et Rothstein rendu par
[1] Le juge Rothstein — Le présent pourvoi porte principalement sur la question de savoir si les conventions intervenues entre la Caisse populaire (« Caisse ») et sa cliente, Entreprises Camvrac inc. (« Camvrac »), ont fait naître une « garantie » au sens du par. 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« LIR »). La définition de « garantie » que renferme cette disposition est par ailleurs incorporée par renvoi au par. 86(2.1) de la Loi sur l'assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (« LAE »). Si les conventions liant la Caisse et Camvrac sont visées par cette définition, le bien de Camvrac formant la garantie de la Caisse est réputé détenu en fiducie pour Sa Majesté suivant les par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE par suite de l'omission de Camvrac de verser à Sa Majesté les retenues à la source effectuées au titre de l'impôt sur le revenu et de l'assurance‑emploi.
[2] Je suis d'avis que les conventions intervenues entre la Caisse et Camvrac ont fait naître une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR, que le bien de Camvrac formant la garantie était assujetti à la fiducie réputée de Sa Majesté et qu'il y a donc lieu de rejeter le pourvoi.
I. Faits
[3] Le 18 septembre 2000, la Caisse a ouvert à Camvrac un crédit de 277 000 $. Le 25 septembre suivant, Camvrac a déposé 200 000 $ à la Caisse conformément à une convention d'épargne à terme stipulant que le dépôt venait à échéance le 16 octobre 2005. La convention précise les conditions du droit de Camvrac à la somme déposée et l'obligation de la Caisse de payer les 200 000 $ à Camvrac. En voici les passages pertinents :
Date d'échéance : 16 octobre 2005
. . .
CONDITIONS RELATIVES AU CAPITAL
2. Le membre [Camvrac] consent à effectuer, en date des présentes, un dépôt de 200 000 $, appelé « montant initial du dépôt ».
3. À la date d'émission relative au terme applicable (« date d'émission »), le montant initial du dépôt et les intérêts accumulés sur ce montant à cette date seront réinvestis sous la forme d'un dépôt échéant à la date d'échéance relative au terme applicable (« date d'échéance »).
4. Le présent dépôt n'est ni négociable ni transférable. Aucune somme en capital ou intérêt n'est remboursable ni payable avant la date d'échéance.
5. Le présent dépôt ne peut être hypothéqué ou donné en garantie qu'en faveur de la caisse émettrice.
. . .
[4] La Caisse et Camvrac ont également conclu une convention de mise en garantie d'épargne, dont voici les clauses les plus pertinentes :
1. DROIT DE RÉTENTION ET DE COMPENSATION
Pour garantir le remboursement, en capital, intérêts, frais et accessoires, de toutes sommes dues ou pouvant être dues à la caisse :
☒ par le déposant [Camvrac]
. . .
en vertu :
☒ a) d'un contrat d'ouverture de crédit de 277 000,00 $ qui lui a été consenti(e) le 2000‑09‑18;
. . .
☒ et en vertu de toutes dettes ou obligations présentes ou futures, directes ou indirectes
☒ du déposant
. . .
(ci‑après appelé[s] « le ou les contrats de crédit »)
le déposant s'engage à maintenir et consent à ce que la caisse retienne, dans le ou les comptes ou sur le ou les certificats de dépôt mentionnés ci‑après, la somme de 200 000,00 $ se répartissant comme suit :
Identification du ou des Somme retenue par la caisse
comptes ou certificats de dépôt
(pour les certificats de dépôt, indiquer
la date d'émission, le montant et le
numéro du certificat)
ÉPARGNE À TERME À
GESTION ACTIVE 5 ANS AU
MONTANT DE 200 000,00 200 000,00 $
___________________________ _______________________$
. . .
La caisse pourra retenir les sommes indiquées ci‑dessus . . . tant que la totalité des sommes dues en vertu du ou des contrats de crédit n'auront pas été entièrement remboursées et, dans le cas d'une ouverture de crédit, tant qu'elle n'aura pas été annulée. Dans les cas de défaut prévus ci‑après, il y aura compensation entre le ou les contrats de crédit et le ou les certificats de dépôt ou sommes d'argent indiqués ci‑dessus, tel qu'il est prévu à l'article 7.
2. GARDE DES CERTIFICATS
Pendant la durée de la présente convention, le ou les certificats de dépôt mentionnés précédemment seront conservés par la caisse.
3. HYPOTHÈQUE
Pour garantir davantage le remboursement des sommes dues ou pouvant être dues en vertu du ou des contrats de crédit, le déposant hypothèque et donne en gage le ou les certificats de dépôt et les sommes d'argent indiqués ci‑dessus, pour un montant égal au montant total des sommes retenues. Les parties conviennent également que la clause paraissant au(x) certificat(s) de dépôt à l'effet que le ou les certificats ne sont ni négociables ni transférables est réputée annulée à compter des présentes.
. . .
7. DÉFAUT
Le déposant sera en défaut dans les cas suivants :
a) si l'une ou l'autre des obligations prévues au(x) contrat(s) de crédit ou aux présentes n'est pas respectée;
b) si le déposant ou l'emprunteur deviennent insolvables ou en faillite ou s'ils font une proposition concordataire et que celle‑ci est rejetée ou annulée;
. . .
En cas de défaut :
a) toutes les sommes dues en vertu des contrats de crédit deviendront immédiatement exigibles;
b) il y aura compensation entre le ou les contrats de crédit et le ou les certificats de dépôt ou sommes d'argent indiqués ci‑dessus, que ceux‑ci soient échus ou non;
. . .
Les conséquences d'un défaut sont au bénéfice exclusif de la caisse et celle‑ci peut y renoncer expressément. Elle peut notamment, sans préjudice de ses droits, attendre l'échéance du ou des certificats de dépôt avant d'exercer les droits prévus aux paragraphes b) et c) ci‑dessus.
8. RÉSERVE DE RECOURS
. . . En outre, le fait que la caisse ne se prévale pas de ses droits en cas de défaut ne doit pas être interprété comme une renonciation à ceux‑ci.
[5] Le 25 novembre 2000, Camvrac a omis de payer l'intérêt exigible sur son ouverture de crédit, de sorte qu'elle était dès lors techniquement en défaut. Toutefois, la Caisse n'a alors pris aucune mesure et, suivant les relevés de compte, elle a continué de comptabiliser l'intérêt jusqu'au 31 janvier 2001. Le 7 février 2001, Camvrac a fait cession de ses biens. Le 21 février, la Caisse a inscrit la mention suivante sur son exemplaire de la convention d'épargne à terme : « Fermer le 21/2/2001 pour réalisation de garantie. » Enfin, le 12 juin de la même année, Sa Majesté a mis la Caisse en demeure de lui payer, par prélèvement sur le dépôt à terme dont le montant était, selon elle, assujetti à la fiducie réputée établie en sa faveur, les cotisations d'assurance‑emploi et l'impôt sur le revenu retenus à la source mais non versés par Camvrac.
[6] La protonotaire Tabib et le juge Pinard, de la Cour fédérale, puis le juge Létourneau, au nom de la Cour d'appel fédérale, ont tous donné raison à Sa Majesté : 2005 CF 731, 2005 D.T.C. 5268, conf. par 2005 CF 1563, 2005 D.T.C. 5723, conf. par 2006 CAF 366, 361 N.R. 77. La Caisse se pourvoit maintenant devant notre Cour.
II. Principale question en litige
[7] La convention de mise en garantie d'épargne stipule que la Caisse peut, advenant le non‑respect par Camvrac des conditions du contrat de crédit, opérer compensation jusqu'à concurrence de la somme due. La Caisse s'est prévalue de son droit. Il s'agit de déterminer si, en raison de la fiducie réputée établie par application des par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, Sa Majesté a droit au dépôt à terme de Camvrac jusqu'à concurrence du montant de l'impôt sur le revenu et des cotisations d'assurance‑emploi retenus à la source mais non versés par Camvrac.
III. Analyse
A. La définition de « garantie » au par. 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu
[8] Le législateur fédéral définit comme suit le mot « garantie » au par. 224(1.3) LIR :
« garantie » Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.
[9] Les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE établissent une fiducie réputée en faveur de Sa Majesté à l'égard des biens de l'employeur qui déduit à la source de l'impôt sur le revenu et des cotisations d'assurance‑emploi. Sont assujettis à la fiducie les biens de l'employeur et ceux détenus par son créancier garanti qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de l'employeur. Les biens tombent sous le coup de la fiducie réputée dès la déduction à la source des sommes non versées par l'employeur. Le paragraphe 227(4.1) LIR dispose :
Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non‑versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
Le paragraphe 86(2.1) LAE prévoit la même chose pour les cotisations d'assurance‑emploi retenues à la source par l'employeur.
[10] Bien que la définition de « garantie » du par. 224(1.3) LIR emploie des termes juridiques qui s'apparentent à ceux que l'on retrouve dans les lois provinciales, notamment en matière de sûretés mobilières, elle est la seule applicable pour les besoins des par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, qui tous deux l'incorporent par renvoi et s'appliquent
[m]algré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit . . . [par. 227(4.1) LIR]
[m]algré la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit . . . [par. 86(2.1) LAE]
Ce libellé indique clairement que l'étendue de la fiducie réputée créée par ces dispositions à l'égard des biens du débiteur fiscal doit être déterminée en fonction de la définition de « garantie » que l'on trouve au par. 224(1.3) LIR et non de l'emploi du même terme dans les lois provinciales.
[11] Comme l'a récemment signalé le juge Binnie dans l'arrêt Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166, au par. 16, « le législateur peut, à des fins particulières, créer sa propre nomenclature, et il lui arrive effectivement de le faire ». Dans l'arrêt Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, notre Cour a examiné, dans le contexte de la faillite, le pouvoir du législateur fédéral de recourir à ses propres définitions, sans égard au droit provincial, dans les domaines relevant de sa compétence. Au nom des juges majoritaires, le juge Gonthier a dit au par. 32 :
. . . des expressions comme « créancier garanti », lorsqu'elles sont définies dans la Loi sur la faillite, doivent être interprétées selon la définition que leur donne le législateur fédéral et non celle que leur donnent les législatures provinciales. Les provinces ne peuvent modifier la façon dont ces expressions sont définies aux fins de la Loi sur la faillite.
[12] Le législateur fédéral peut donc définir un terme dans un domaine relevant de sa compétence législative (Loi constitutionnelle de 1867, par. 91(2A) (assurance‑chômage) et par. 91(3) (prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation)), comme il l'a fait dans le cas qui nous intéresse, pour assurer l'application d'une même règle dans toutes les provinces. Si on recourait au droit provincial pour déterminer la portée du mot « garantie » employé au par. 224(1.3) LIR et, partant, celle de la fiducie réputée établie au par. 227(4.1) LIR et au par. 86(2.1) LAE, il ne pourrait y avoir d'uniformité. En effet, ce qui s'entendrait d'une « garantie » pour les besoins du par. 224(1.3) LIR pourrait varier d'une province à l'autre. Dès lors, le pouvoir du ministre de recouvrer les retenues non versées varierait en fonction du lieu où est établi l'employeur.
[13] De plus, si on faisait appel au droit provincial pour déterminer le sens de la « garantie » visée au par. 224(1.3) LIR, la modification de la législation provinciale sur les sûretés pourrait se répercuter sur l'étendue de la fiducie créée aux par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE. Le législateur ne peut avoir voulu que le sens des mots « [d]roit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation » employés au par. 224(1.3) LIR fasse l'objet d'une telle incertitude. Cette définition est incorporée par renvoi aux par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, qui établissent une fiducie réputée au bénéfice de Sa Majesté « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif [. . .] provincial ».
[14] En l'espèce, au par. 224(1.3) LIR, le législateur fédéral a opté pour une définition large de la « garantie » afin de maximiser le recouvrement par Sa Majesté, grâce au mécanisme de la fiducie réputée, de l'impôt sur le revenu et des cotisations d'assurance‑emploi retenus à la source par l'employeur mais non versés à l'État. Il l'a fait en partie pour donner suite à l'arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, où notre Cour a interprété strictement les anciennes dispositions de la LIR sur la fiducie réputée.
[15] Il y a garantie aux fins des par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE lorsque le créancier détient un « [d]roit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement ». La définition de « garantie » au par. 224(1.3) LIR n'exige pas que l'entente entre le créancier et le débiteur revête une forme particulière et elle n'en exclut aucune expressément. Dès lors que le droit du créancier sur le bien du débiteur garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement, il y a « garantie » au sens de cette disposition. L'énumération d'exemples dans la définition légale n'a pas pour effet de limiter la portée générale de l'expression « [d]roit sur un bien » : voir l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, par. 68, et R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 61‑68.
[16] Je conviens avec la juge Deschamps que le sens commun du mot « garantie » défini au par. 224(1.3) LIR est celui du « security interest » de la version anglaise. Il s'agit d'un droit sur un bien (« any interest in property ») qui garantit l'exécution d'une obligation.
[17] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la définition de « garantie » prévue au par. 224(1.3) LIR s'applique aux faits de la présente affaire.
B. Le lien entre la compensation conventionnelle et la garantie
[18] La « compensation » est une notion technique que je n'entends pas définir de façon exhaustive dans les présents motifs. Le mécanisme est semblable au Québec et dans les provinces de common law. La compensation intervient dans diverses circonstances et elle revêt différentes formes. La compensation légale est définie aux art. 1672 et suiv. du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »). Les articles 1672 et 1673 énoncent notamment ce qui suit :
1672. Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l'une de l'autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s'éteignent par compensation jusqu'à concurrence de la moindre.
. . .
1673. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.
[19] Dans les provinces de common law, la loi définit la compensation légale de manière analogue. Par exemple, la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43, en donne la définition suivante à l'art. 111 :
111 (1) Le défendeur dans une action en paiement d'une créance peut opposer au demandeur le droit de compensation d'une créance qu'il a sur le demandeur.
(2) La compensation peut s'opérer entre deux dettes réciproques, même si elles ne sont pas de même nature.
(3) Le défendeur qui oppose le droit de compensation, si le montant que lui doit le demandeur est supérieur au montant qu'il doit à celui‑ci, peut obtenir jugement pour la différence.
[20] Dans l'arrêt Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193, la juge Wilson a comparé et distingué les notions de compensation en common law et en equity. À propos de la seconde, elle a indiqué aux p. 205-206 :
La distinction entre la compensation en common law et la compensation en equity a été étudiée par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt C.I.B.C. v. Tuckerr Indust. Inc., précité, à la p. 605 :
[traduction] Cette compensation tire son origine de l'equity et ne découle pas de la loi de 1728. Elle peut s'appliquer là où la réciprocité a disparu ou n'a jamais existé. Elle peut s'appliquer en outre lorsque les obligations réciproques ne sont pas des dettes.
Comme la compensation en common law, la compensation en equity peut aussi être invoqué par voie de demande reconventionnelle (Holt, p. 212-213).
[21] Certaines différences peuvent se présenter entre la compensation légale au Québec et la compensation en common law ou en equity dans les provinces de common law, mais elles ne jouent pas en l'espèce, car le droit de compensation de la Caisse est issu d'un contrat intervenu avec Camvrac (la convention de mise en garantie d'épargne). La Caisse et ma collègue la juge Deschamps parlent de « compensation conventionnelle ».
[22] La compensation conventionnelle produit un résultat analogue à celui de la compensation légale ou de la compensation en common law ou en equity : l'extinction de dettes réciproques. Elle le fait toutefois du consentement des deux parties contractantes, auxquelles elle offre une voie de droit extrajudiciaire qui les soustrait aux exigences techniques de la compensation légale ou de la compensation en common law ou en equity : voir J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (5e éd. 1998), par. 981, et K. R. Palmer, The Law of Set‑Off in Canada (1993), p. 263‑264). Tant le contrat prévoyant un droit de compensation au Québec que le contrat conférant un droit de compensation dans les provinces de common law doivent être interprétés par une cour de justice de manière à donner effet à l'intention des parties au vu du libellé employé.
[23] À mon avis, on ne saurait affirmer de façon générale qu'un droit conventionnel de compensation ne peut jamais être associé à une « garantie » ou qu'il y est toujours associé. Pour déterminer si un contrat conférant un droit de compensation fait naître une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR, il faut en examiner attentivement les clauses et se demander si l'une des parties a voulu conférer à l'autre un « [d]roit sur un bien [appartenant à la première] qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement ».
[24] Dans son ouvrage intitulé The Law of Set‑Off (3e éd. 2003), le professeur S. R. Derham fait valoir — de manière convaincante, selon moi — qu'il faut voir dans certains contrats prévoyant un droit de compensation la stipulation d'une garantie en sus, et il donne l'exemple d'une situation qui s'apparente beaucoup à celle considérée en l'espèce (par. 16.82) :
[traduction] . . . une banque peut accorder une facilité en contrepartie du dépôt d'une somme qui ne sera accessible qu'une fois la dette entièrement acquittée, étant entendu que la banque pourra affecter la somme à l'extinction de la créance en cas de défaut de paiement. Cet arrangement fait essentiellement en sorte que le bien du déposant, à savoir le compte créditeur, tienne lieu de garantie. En cas de contrepassation où un débit est expressément inscrit, le recours prévu est de fait la compensation conventionnelle . . . [Je souligne.]
[25] La nature de la compensation conventionnelle veut que les clauses de la convention reflètent l'intention réciproque des parties : voir Derham, par. 16.86. Lorsque cette intention réciproque consiste à créer une garantie pour faire en sorte que le droit de compensation constitue une véritable voie de recours, rien ne permet de conclure qu'il n'y a pas de garantie du seul fait que les parties ont opté pour un mode de réalisation de la garantie plutôt qu'un autre. C'est la teneur de la convention qui importe, et lorsqu'il appert de cette teneur que les parties ont voulu conférer un droit sur un bien pour garantir le paiement d'une dette, il y a garantie au sens du par. 224(1.3) LIR.
C. Application des dispositions relatives à la fiducie réputée
[26] La Caisse soutient en l'espèce que son droit contractuel d'opérer compensation avec Camvrac ne constitue pas une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR. Elle affirme que ce droit contractuel ne lui conférait pas un droit sur un bien de Camvrac dans l'optique de garantir l'ouverture de crédit consentie à celle-ci. Elle fait valoir que le droit contractuel lui permettait plutôt d'éteindre simplement sa propre dette envers Camvrac.
[27] Sa Majesté soutient pour sa part que le terme « garantie » défini au par. 224(1.3) LIR est suffisamment général pour englober le droit contractuel de la Caisse d'opérer compensation conformément à la convention de mise en garantie d'épargne intervenue entre la Caisse et Camvrac. Elle allègue que la fiducie réputée issue de l'application des par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE protégeait son droit sur le montant du dépôt à terme de Camvrac, car grâce à ce mécanisme, elle avait droit au bien de Camvrac formant la garantie de la Caisse jusqu'à concurrence du montant des retenues à la source non versées.
[28] La question est donc de savoir si, dans les conventions qui prévoyaient le droit de la Caisse de recourir à la compensation, la Caisse et Camvrac ont voulu créer une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR. J'estime que telle était leur intention.
[29] Les faits pertinents sont les suivants. Camvrac a déposé 200 000 $ à la Caisse. Les deux parties ont conclu une convention d'épargne à terme dans laquelle elles convenaient que :
a) la durée du dépôt était de cinq ans;
b) Camvrac ne pouvait négocier ou transférer le dépôt;
c) le dépôt à terme ne pouvait être hypothéqué ou donné en garantie qu'en faveur de la Caisse.
Camvrac et la Caisse ont également convenu de conclure une convention de mise en garantie d'épargne, qui stipulait ce qui suit :
a) « Pour garantir le remboursement [. . .] de toutes sommes dues ou pouvant être dues à la caisse » par Camvrac en vertu du contrat d'ouverture de crédit,
i) Camvrac laissait 200 000 $ en dépôt;
ii) Camvrac consentait à ce que la Caisse retienne la somme tant que l'ouverture de crédit ne serait pas annulée.
b) en cas de défaut, il y aurait compensation entre l'ouverture de crédit et le dépôt de 200 000 $.
Ces conventions conféraient expressément à la Caisse un droit sur le bien de Camvrac (le dépôt) pour garantir le remboursement de la dette contractée par Camvrac envers la Caisse.
[30] C'est le terme de cinq ans, le maintien du dépôt et la retenue de la somme de 200 000 $, ainsi que l'engagement de Camvrac de ne pas transférer ou négocier le dépôt et le fait que la somme ne pouvait servir de garantie que vis‑à‑vis de la Caisse qui ont fait naître le droit de la Caisse sur un bien de Camvrac pour les besoins du par. 224(1.3) LIR. Sans ces restrictions, Camvrac aurait pu encaisser la somme à tout moment. Si elle l'avait fait alors qu'elle était toujours endettée envers la Caisse, le droit de compensation de la Caisse n'aurait pu être exercé, car la Caisse n'aurait plus eu d'obligation envers Camvrac au moment où elle aurait voulu recourir au mécanisme. Or, en l'espèce, les conventions stipulaient que Camvrac acceptait les restrictions applicables au dépôt de 200 000 $ de telle sorte que la Caisse soit toujours endettée envers elle et qu'en cas de défaut, elle puisse effectivement opérer compensation. Il y a eu création d'une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR en ce que les conventions garantissaient le droit de compensation en conférant à la Caisse un droit sur un bien de Camvrac.
[31] Il appert d'ailleurs du libellé des conventions que la Caisse elle‑même considérait que leurs stipulations créaient une « garantie » à l'égard de l'ouverture de crédit. La convention d'épargne à terme disposait que le dépôt à terme « ne peut être hypothéqué ou donné en garantie qu'en faveur de la caisse émettrice » (je souligne). Dans la convention de mise en garantie d'épargne, le dépôt à terme de Camvrac servait à « garantir le remboursement » de l'ouverture de crédit (je souligne). Dans la même convention, la constitution d'une hypothèque visait à « garantir davantage le remboursement ». Ainsi, même sans la constitution d'une hypothèque, les conventions accordaient à la Caisse des droits sur le dépôt de Camvrac pour qu'elle puisse dans les faits opérer compensation. Les droits et les obligations faisant en sorte qu'il puisse effectivement y avoir compensation constituaient la garantie principale de la Caisse puisque l'hypothèque consentie visait à garantir « davantage » le remboursement.
[32] Même si le mécanisme grâce auquel la Caisse pouvait réaliser sa garantie était la compensation, il demeure que le dépôt était assorti de conditions acceptées par Camvrac et imposées par la Caisse pour préserver la possibilité d'opérer compensation. En outre, même si la Caisse pouvait réaliser sa garantie par voie d'inscription comptable, le dépôt garantissait l'obligation de Camvrac envers elle. N'eût été les restrictions imposées par la Caisse, le droit de Camvrac au remboursement des 200 000 $ déposés aurait pu être grevé d'une charge ou cédé à un tiers en garantie : art. 1637 et 2710 C.c.Q. et B. Crawford, The Law of Banking and Payment in Canada (feuilles mobiles), vol. 2, § 9.30.20. Une garantie demeure une garantie pour les besoins du par. 224(1.3) LIR même lorsque le créancier (la Caisse) est également le débiteur (de la somme de 200 000 $ déposée par Camvrac à son propre bénéfice).
[33] La situation se distingue en l'espèce de celle où une convention de dépôt renferme une sorte de clause type stipulant que la banque peut affecter toute somme portée au crédit du client à l'extinction d'une dette de ce dernier envers elle. Dans ce cas, le client n'est pas tenu de conserver un montant précis dans le compte ni même d'y déposer la moindre somme en garantie d'un prêt existant ou non. Aucun droit sur un bien du client ne protège la banque en permanence contre un défaut éventuel. Le client peut à son gré retirer la totalité ou une partie du solde du compte. Le remboursement n'est garanti par aucun bien particulier. Vu la nature d'une telle convention de dépôt, on ne peut alors considérer que le bien du client — son droit au montant du dépôt — garantit sa dette envers la banque. Il ne s'agit que d'un droit conventionnel de compensation non assorti d'une garantie, contrairement au droit considéré en l'espèce.
D. Réponses aux motifs de la juge Deschamps
[34] J'estime que la différence entre les résultats auxquels la juge Deschamps et moi arrivons quant à l'issue du pourvoi tient à nos approches respectives. Si je saisis bien son raisonnement, ma collègue met l'accent sur le mécanisme de la compensation pour arriver à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'une garantie. J'estime pour ma part qu'il faut prendre en considération tous les éléments pertinents des conventions intervenues entre Camvrac et la Caisse, et non seulement les stipulations permettant à la Caisse de recourir à la compensation. À mon sens, la question n'est pas de savoir si la seule compensation peut être assimilée à une garantie, mais plutôt si les stipulations liant les parties — dont le droit contractuel de la Caisse d'opérer compensation — ont fait naître une « garantie » pour faire en sorte que la compensation puisse effectivement avoir lieu.
[35] Pour la juge Deschamps, le droit d'opérer compensation et celui de réaliser une garantie permettent au créancier d'atteindre un objectif analogue. Elle estime cependant que le créancier qui exerce son droit de compensation ne réalise pas une garantie sur un bien du débiteur, mais éteint simplement des obligations réciproques.
[36] Je conviens avec ma collègue que la compensation emporte l'extinction d'obligations réciproques. Toutefois, de telles obligations doivent exister pour que la compensation offre un véritable recours. Lorsque le débiteur peut à son gré supprimer l'obligation du créancier à son égard (en retirant la somme déposée), le créancier peut bien disposer d'un droit de compensation, mais celui‑ci n'est plus susceptible d'exercice. Ce sont les restrictions imposées à l'exercice du droit du débiteur contre le créancier qui font en sorte que le créancier demeure l'obligé du débiteur et que la compensation peut s'opérer.
[37] La juge Deschamps signale par ailleurs que la compensation n'est pas expressément mentionnée au par. 224(1.3) LIR, ce qui lui paraît important pour deux raisons. Premièrement, certains auteurs estiment que le droit de compensation d'origine contractuelle ne peut créer de garantie parce qu'il ne confère au créancier aucun droit sur un bien du débiteur. Deuxièmement, il faudrait que la compensation figure nommément au par. 224(1.3) LIR parce que les lois provinciales sur les sûretés mobilières n'en font pas mention. La compensation légale n'est pas visée par les dispositions du Code civil du Québec relatives à l'hypothèque. Ma collègue ajoute que les lois des provinces de common law sur les sûretés mobilières, qui renferment toutes une définition analogue à celle du par. 224(1.3) LIR, ne font pas non plus mention de la compensation. Étant donné que la compensation conventionnelle n'est pas mentionnée dans la législation provinciale relative aux garanties visant des biens et qu'elle ne confère pas au créancier un droit sur un bien du débiteur, le fait qu'elle ne figure pas parmi les exemples de garantie énumérés au par. 224(1.3) LIR atteste l'intention du législateur fédéral de ne pas l'inclure dans la définition de « garantie ».
[38] En ce qui concerne les auteurs cités par ma collègue et selon lesquels un droit conventionnel de compensation n'a pas pour effet d'accorder au créancier un droit sur un bien du débiteur, j'interprète leurs propos différemment. Le professeur Derham explique qu'un contrat conférant un droit de compensation comme celui considéré en l'espèce peut aussi conférer au créancier un droit sur un bien du débiteur (par. 16.82). Or, la doctrine citée par la juge Deschamps ne porte pas sur la question précise que doit trancher la Cour. Par exemple, R. C. C. Cuming, C. Walsh et R. J. Wood affirment dans Personal Property Security Law (2005):
[traduction] La compensation d'origine contractuelle ou procédurale ne confère pas de sûreté (security interest), car aucune des parties n'acquiert de droit sur le bien. [p. 87]
Le professeur R. M. Goode dit pour sa part dans Goode on Legal Problems of Credit and Security (4e éd. 2008) :
[traduction] La partie qui l'exerce [le droit de compensation] n'acquiert jamais de droit sur la créance de l'autre partie : elle opère simplement compensation jusqu'à l'extinction de l'obligation pécuniaire de l'autre partie. [par. 1-19]
Or, en l'espèce, la Caisse a acquis des droits sur un bien de Camvrac en assujettissant le dépôt à des restrictions. Les droits ainsi obtenus garantissaient l'existence du droit de Camvrac de réclamer à la Caisse le paiement de la somme déposée de telle sorte que la possibilité d'opérer compensation demeure. Ma collègue cite le professeur Wood :
[traduction] [Concernant la compensation] [. . .] un déposant ne cède pas à la banque le droit au paiement de la somme déposée en garantie d'un prêt qu'elle lui consent.
(Set‑Off and Netting, Derivatives, Clearing Systems (2e éd. 2007), par. 1‑008)
Pourtant, dans la présente affaire, Camvrac a accordé à la Caisse un droit permanent sur son dépôt.
[39] Ces auteurs paraissent avoir en tête le simple droit conventionnel de compensation non assorti d'une garantie prévu par le contrat type de dépôt dont j'ai fait état précédemment. Ils disent selon moi que le mécanisme de la compensation n'opère aucun transfert de biens du débiteur au créancier. Il y a seulement extinction d'obligations réciproques. Ces auteurs ne se prononcent pas sur la période antérieure à la compensation où, comme en l'espèce, le créancier prend des mesures pour assujettir le bien du débiteur à des restrictions de telle sorte qu'il demeure toujours son obligé et puisse opérer compensation.
[40] Je conviens avec ma collègue que la compensation légale n'est pas regroupée avec les hypothèques dans le Code civil du Québec. Or, la question n'est pas de savoir si la compensation constitue une garantie. Le fait que le terme « compensation conventionnelle » ne figure pas expressément parmi les exemples de « garantie » donnés au par. 224(1.3) LIR ne signifie pas qu'une convention qui prévoit la compensation et qui satisfait en outre aux exigences d'une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR n'est pas visée par la définition. Il ne s'agit pas d'une énumération exhaustive. Même lorsque le recours prévu est la compensation, dans la mesure où la convention confère au créancier un droit sur un bien pour garantir l'exécution d'une obligation, notamment un paiement, par voie de compensation, elle constitue une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR.
[41] Bien que je n'aie pas à me prononcer sur ce point pour trancher les questions en litige, je ne puis convenir avec ma collègue que toute convention prévoyant la compensation conventionnelle est catégoriquement exclue du champ d'application des lois des provinces de common law sur les sûretés mobilières. Dans ces provinces, le législateur considère l'arrangement relatif à une sûreté mobilière sous l'angle fonctionnel, et non formaliste. Par exemple, la Personal Property Security Act, R.S.A. 2000, ch. P-7, de l'Alberta précise au par. 3(1) qu'elle s'applique :
[traduction]
a) à l'opération qui, quels que soient sa forme et le propriétaire du bien grevé, constitue dans son essence une sûreté, notamment :
b) une hypothèque mobilière, une vente conditionnelle, une charge flottante, un gage, un acte de fiducie, une quittance de fiducie, une cession, une consignation, un bail, une fiducie ou la cession d'un acte mobilier qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement.
Voir aussi les lois sur les sûretés mobilières des autres provinces et des territoires (Nouveau-Brunswick (L.N.-B. 1993, ch. P-7.1), Île-du-Prince-Édouard (R.S.P.E.I. 1988, ch. P-3.1), Manitoba (C.P.L.M., ch. P35) et Saskatchewan (S.S. 1993, ch. P-6.2) : par. 3(1); Colombie‑Britannique (R.S.B.C. 1996, ch. 359), Territoires du Nord‑Ouest et Nunavut (L.T.N.-O. 1994, ch. 8) : par. 2(1); Nouvelle-Écosse (S.N.S. 1995-96, ch. 13) et Terre‑Neuve-et-Labrador (S.N.L. 1998, ch. P-7.1) : par. 4(1); Ontario (L.R.O. 1990, ch. P.10) : al. 2a); et Yukon (L.R.Y. 2002, ch. 169) : art. 2).
[42] Étant donné l'approche fonctionnelle qui sous‑tend ces lois, il m'est difficile de concevoir qu'une opération conférant au créancier un droit sur le bien du débiteur pour garantir l'exécution d'une obligation puisse être catégoriquement exclue, sauf lorsque la loi en cause la définit et l'exclut expressément. Pour autant que je sache, aucune des lois sur les sûretés mobilières des ressorts de common law n'exclut expressément la convention qui prévoit à la fois une garantie et un droit de compensation pour réaliser cette garantie. Pour leur application, il faut déterminer si le contrat ou la convention a l'effet d'une garantie.
[43] La juge Deschamps affirme que la Caisse ne s'est pas prévalue de son hypothèque. Pour ma collègue, la seule obligation de Camvrac de laisser la somme en dépôt et le droit de la Caisse de la retenir ne font pas naître le droit réel requis pour qu'il y ait « garantie ». Elle fait une distinction entre « droit de rétention », qui ne s'appliquerait qu'aux biens corporels et aurait certains des attributs du droit réel, et « droit de retenue », qui ne viserait que la somme d'argent, n'aurait aucun des attributs du droit réel et correspondrait à la compensation.
[44] En droit civil et en common law, une créance, tel un dépôt, peut être grevée d'un droit réel ou faire l'objet d'un droit d'un créancier sur le bien. Par exemple, les comptes créditeurs sont souvent cédés aux établissements de crédit pour garantir des prêts. Effectivement, une somme déposée à la banque ou à la caisse constitue un compte créditeur pour le client. Dans le cas d'un dépôt à terme, à défaut de restrictions imposées par l'établissement de crédit, la somme peut être cédée comme tout autre compte créditeur. Le cessionnaire a sur le compte créditeur un intérêt ou un droit réel qui grève le droit du créancier au paiement du compte créditeur par les clients ou l'institution financière du débiteur.
[45] Au paragraphe 224(1.3) LIR, le mot « droit » est rendu en anglais par « interest ». Comme le fait observer Marc Cuerrier dans « L'harmonisation de la législation fiscale fédérale » (section 2.3), fascicule 7 publié dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien (2001), cette différence d'ordre terminologique entre les versions française et anglaise reflète les différences entre les deux grandes traditions juridiques au Canada. Alors qu'en common law, un bien fait l'objet d'un « droit » ou d'un « intérêt », dans la tradition civiliste, il fait l'objet d'un « droit ». Martin Lamoureux signale dans son article intitulé « Rapport sur l'harmonisation du terme "Interest" », publié dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien — Recueil d'études en fiscalité 2001 (2002), 7.1, que le mot « interest » employé en anglais en common law correspond le plus souvent au mot « droit » employé en français en droit civil.
[46] En l'espèce, la question n'est pas de savoir si le droit de la Caisse sur le bien de Camvrac satisfait ou non aux exigences des lois provinciales sur les sûretés mobilières. Il en est ainsi parce que la fiducie réputée établie aux par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, qui incorporent par renvoi la définition de « garantie » figurant au par. 224(1.3) LIR, s'applique « [m]algré [. . .] tout autre texte législatif [. . .] provincial » (voir également l'arrêt DaimlerChrysler Financial Services (debis) Canada Inc. c. Mega Pets Ltd., 2002 BCCA 242, 212 D.L.R. (4th) 41, par. 31). Signalons cependant que les conventions signées par la Caisse et Camvrac satisfaisaient aux conditions auxquelles une hypothèque mobilière avec dépossession peut, selon la Cour, constituer un droit réel au regard du Code civil du Québec (Caisse populaire Desjardins de Val‑Brillant c. Blouin, 2003 CSC 31, [2003] 1 R.C.S. 666).
[47] Le Code civil du Québec définit l'hypothèque comme un droit réel (art. 2660 C.c.Q.). Ma collègue fait remarquer qu'une créance — tel un compte créditeur — peut être hypothéquée avec ou sans dépossession (art. 2710 C.c.Q.). Dans l'arrêt Val‑Brillant, l'auteur des motifs majoritaires, le juge Gonthier, s'est penché sur les conditions auxquelles une créance non négociable comme celle considérée en l'espèce pouvait être grevée d'une hypothèque mobilière avec dépossession. Voici ce qu'il a conclu au par. 28 :
Ainsi, une hypothèque mobilière avec dépossession portant sur une créance non négociable est validement constituée et publiée lorsque (i) le débiteur a cédé au créancier la maîtrise effective de la créance en lui consentant le droit de la percevoir directement en cas de défaut, sans autorisation supplémentaire de sa part; (ii) lorsqu'un titre non négociable constate la créance et que sa remise est possible, ce titre a été remis au créancier; et (iii) l'hypothèque a été rendue opposable au débiteur de la créance en conformité avec l'art. 1641 C.c.Q.
[48] Dans la présente affaire, les conventions intervenues entre les parties satisfaisaient à ces conditions. Premièrement, la Caisse avait la maîtrise effective de la créance de Camvrac. Le terme de cinq ans et les conditions de la convention de mise en garantie d'épargne lui assuraient la maîtrise effective du dépôt de Camvrac et lui permettait, en cas de défaut, d'opérer compensation entre l'ouverture de crédit et le dépôt sans autorisation supplémentaire de Camvrac. Deuxièmement, le dossier n'indique pas clairement si un certificat de dépôt a été délivré ou non en l'espèce. La deuxième clause de la convention de mise en garantie d'épargne et l'inscription par la Caisse sur son exemplaire de la convention d'épargne à terme de la mention « Fermer le 21/2/2001 pour réalisation de garantie » donnent à penser que si un certificat de dépôt a été délivré, la Caisse l'a conservé. Or, la question de savoir si le dépôt à terme est constaté ou non par un certificat n'a pas d'importance en l'espèce. Le deuxième critère énoncé par le juge Gonthier pour qu'une hypothèque mobilière avec dépossession puisse grever une créance non négociable ne vaut que lorsque le titre non négociable existe, sinon il est inapplicable. Troisièmement, une hypothèque mobilière avec dépossession est rendue opposable au débiteur du compte et aux autres créanciers conformément à l'art. 1641 C.c.Q., lequel prévoit que la cession est opposable au débiteur du compte et aux autres créanciers dès que le premier y a acquiescé. En ce qui concerne le dépôt de Camvrac, la Caisse est à la fois débiteur du compte et cessionnaire. À titre de débiteur du compte, la Caisse a manifestement acquiescé à la cession de sa dette à elle‑même à titre de cessionnaire. À mon avis, puisque les conventions liant la Caisse et Camvrac respectaient les critères applicables à l'hypothèque mobilière avec dépossession grevant une créance non négociable et que l'hypothèque est considérée comme un droit réel dans le Code civil du Québec, la Caisse doit avoir été titulaire d'un droit réel sur le bien de Camvrac.
[49] Comme le relève ma collègue au par. 129 de ses motifs, l'art. 2702 C.c.Q. a été modifié, et son nouveau libellé est entré en vigueur après l'audience. Point n'est besoin d'interpréter cette modification. Toutefois, elle me permet de rappeler que si la portée de la « garantie » définie au par. 224(1.3) LIR devait être déterminée en fonction du droit provincial, l'étendue de la fiducie réputée établie aux par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE varierait au gré des modifications apportées à la législation provinciale sur les sûretés. À mon sens, telle n'est pas l'intention qui ressort du texte des par. 224(1.3) et 227(4.1) LIR et du par. 86(2.1) LAE.
[50] La juge Deschamps estime que l'obligation de Camvrac de laisser la somme en dépôt et le droit de la Caisse de la retenir « [ne sont que des mécanismes] d'application résiduelle » (par. 120). Pendant la durée du dépôt, avant l'expiration du terme, la Caisse n'avait pas à payer la somme.
[51] Même si l'obligation de laisser la somme en dépôt et le droit de la retenir revêtent un caractère « résiduel » et ne valent qu'à l'expiration du terme de cinq ans, ils constituent néanmoins des restrictions susceptibles de modifier l'utilisation de son bien par Camvrac. En effet, comme l'affirme la juge Deschamps, ce sont des mécanismes prévus pour « assurer l'efficacité de la compensation légale ou conventionnelle » (par. 120). Tel est précisément mon propos. Les conventions conclues par Camvrac et la Caisse ont créé des droits et des obligations, dont le droit de retenue de la Caisse et l'obligation de Camvrac de laisser la somme en dépôt, afin que la Caisse demeure l'obligée de Camvrac pour pouvoir recourir à la compensation au besoin.
[52] Enfin, la juge Deschamps opine que le droit de la Caisse de retenir la somme de 200 000 $ déposée par Camvrac ne lui confère pas de droit réel sur le dépôt à terme. Voici ce qu'elle dit au par. 121 :
L'élément le plus important à signaler est qu'aucune des clauses [. . .] ne crée de droit réel ou de [. . .] security interest [. . .] Le terme est un délai établi pour le remboursement. Le droit de retenue est simplement le droit d'un créancier de ne pas exécuter son obligation de payer tant qu'une dette lui est due. Il s'agit, en quelque sorte, d'un délai additionnel accordé pour le paiement. Quant à l'obligation de maintenir, il s'agit clairement de l'engagement d'une personne envers une autre à exécuter une obligation. La limite au droit de céder, d'hypothéquer ou de négocier constitue une obligation de ne pas faire.
[53] Elle ajoute au par. 124 que mon approche pourrait aller à l'encontre de la manière dont on considère la sûreté négative (en anglais, « negative pledge ») suivant l'interprétation fonctionnelle des sûretés mobilières qui a cours dans les provinces de common law. Elle cite à l'appui les professeurs Cuming, Walsh et Wood (p. 86) :
[traduction] Dans un contrat de prêt, la clause de « sûreté négative » ou l'engagement de ne pas faire par lequel l'emprunteur s'engage à ne pas grever ses biens mobiliers d'une charge ni les aliéner, en totalité ou en partie, avant le remboursement du prêt, ne fait pas naître de sûreté puisque, à lui seul, l'engagement ne confère pas de droit sur le bien de l'emprunteur. Dans une convention conférant une sûreté, une clause de sûreté négative ne peut empêcher l'auteur de l'engagement de consentir à un tiers une sûreté opposable sur un bien. [Je souligne.]
[54] Les paragraphes 121 et 124 de ses motifs mettent notre désaccord en évidence. Je conviens volontiers avec ma collègue qu'aucune garantie (ou security interest) n'a été établie si le droit conventionnel de compensation fait seulement en sorte qu'en cas de défaut de la part du débiteur, le créancier peut conserver les sommes dues au débiteur, s'il en est. Je conviens aussi qu'« à elle seule », une sûreté négative ne saurait « empêcher l'auteur de l'engagement de consentir à un tiers une sûreté opposable sur un bien ».
[55] Or, le droit conféré en l'espèce est bien plus large. Dès le départ, la Caisse a exigé de Camvrac qu'elle effectue un dépôt à terme soumis à des restrictions de façon que la Caisse demeure l'obligée de Camvrac pour le cas où elle devrait recourir à la compensation par suite d'un défaut. Le droit de retenue, l'obligation de maintien du dépôt et l'engagement de Camvrac à ne pas hypothéquer ou donner en garantie le dépôt à terme en faveur d'une autre personne que la Caisse constituaient trois des restrictions ayant fait naître le droit de la Caisse sur le bien de Camvrac afin que la compensation demeure opposable.
E. Quelles déductions à la source non versées à l'État sont assujetties à la fiducie réputée?
[56] Puisque j'ai conclu que les conventions intervenues entre la Caisse et Camvrac ont établi une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR, il me faut maintenant déterminer si la fiducie réputée s'applique à toutes les retenues à la source dont Sa Majesté réclame à la Caisse le versement.
[57] En l'espèce, avant de conclure la convention d'épargne à terme avec la Caisse, Camvrac devait déjà à Sa Majesté une partie des cotisations d'assurance‑emploi et de l'impôt sur le revenu déduits à la source. On peut donc se demander si les par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, établissant la fiducie réputée, peuvent conférer à Sa Majesté un droit sur un bien acquis subséquemment par Camvrac (le dépôt à terme).
[58] Se pose également la question de savoir à quel moment la Caisse a réalisé, en opérant compensation, la garantie que constituait le dépôt à terme. La Caisse prétend que c'est le jour du défaut, le 25 novembre 2000, et Sa Majesté, le 21 février 2001. Les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE disposent que les biens de Camvrac tombent sous le coup de la fiducie réputée de Sa Majesté dès la déduction à la source de l'impôt sur le revenu et des cotisations d'assurance‑emploi par Camvrac. La date à laquelle la Caisse a opéré compensation importe, car jusqu'à la fin de janvier 2001, Camvrac a déduit à la source des cotisations d'assurance‑emploi et de l'impôt sur le revenu qui n'ont pas été versés à Sa Majesté. Si on retient la thèse de la Caisse, Sa Majesté n'a aucun droit sur le dépôt à terme pour les retenues à la source effectuées après le 25 novembre 2000, puisque le dépôt à terme n'appartenait plus à Camvrac une fois effectuée la compensation et ne pouvait donc pas être assujetti à la fiducie réputée établie par les par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE. Si on donne raison à Sa Majesté, le dépôt est assujetti à la fiducie réputée quant au total des retenues à la source non versées en date du 21 février 2001 (date à laquelle la Caisse a opéré compensation).
[59] Dans l'arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720, appelée à déterminer si la fiducie réputée englobait un bien acquis subséquemment, notre Cour a interprété largement le par. 227(4.1) LIR, concluant qu'elle visait à la fois les biens se trouvant en la possession du débiteur fiscal et ceux acquis postérieurement. Le juge Iacobucci a statué au nom de la Cour (par. 38) :
. . . vu le libellé clair des par. 227(4) et (4.1), appuyé par leur objectif et par l'intention du législateur, la fiducie réputée qu'ils créent englobe les biens qui se retrouvent en la possession du débiteur fiscal à compter de sa matérialisation.
La fiducie créée aux par. 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE est réputée exister « [dès le] non‑versement ». Il est sans importance que le dépôt à terme ne soit devenu la propriété de Camvrac qu'après la déduction à la source d'une partie des sommes non versées puisque la fiducie réputée « englobe les biens qui se retrouvent en la possession du débiteur fiscal à compter de sa matérialisation ». Le dépôt à terme pouvait donc être affecté au paiement de la totalité des cotisations d'assurance‑emploi et de l'impôt sur le revenu déduits à la source et non versés par Camvrac avant ou après la signature de la convention d'épargne à terme par Camvrac, jusqu'à la réalisation de sa garantie par la Caisse.
[60] Pour ce qui est de la date à laquelle la Caisse a exercé son droit de compensation, je retiens la thèse de Sa Majesté pour deux raisons. Premièrement, le 21 février 2001, la Caisse a elle‑même inscrit sur son exemplaire de la convention d'épargne à terme la mention « Fermer le 21/2/2001 pour réalisation de garantie », ce qui montre qu'elle croyait que la compensation avait lieu à ce moment et pas avant. Deuxièmement, il appert des relevés de compte que malgré le défaut de Camvrac survenu le 25 novembre 2000 par suite du non‑paiement des intérêts alors exigibles, la Caisse a continué de comptabiliser l'intérêt exigible sur l'ouverture de crédit jusqu'au 31 janvier 2001. La convention de mise en garantie d'épargne stipulait d'ailleurs :
7. DÉFAUT
. . .
Les conséquences d'un défaut sont au bénéfice exclusif de la caisse et celle‑ci peut y renoncer expressément. Elle peut notamment, sans préjudice de ses droits, attendre l'échéance du ou des certificats de dépôt avant d'exercer les droits prévus aux paragraphes b) et c) ci‑dessus.
8. RÉSERVE DE RECOURS
. . . En outre, le fait que la caisse ne se prévale pas de ses droits en cas de défaut ne doit pas être interprété comme une renonciation à ceux‑ci.
[61] Il ressort de ces stipulations que la Caisse pouvait décider du moment où s'opérerait la compensation. Elle pouvait — comme elle l'a fait — ne pas se prévaloir de son droit de compensation le jour du défaut et ne pas bloquer l'accès au crédit. Elle n'a exercé son droit de compensation que le 21 février 2001. La Caisse doit verser à Sa Majesté le montant des cotisations d'assurance‑emploi et de l'impôt sur le revenu retenus à la source mais non versés par Camvrac en date du 21 février 2001.
F. Calcul de l'intérêt
[62] La question est assez simple à résoudre. La Caisse prétend que si elle est tenue de verser les sommes en cause à Sa Majesté, c'est le droit du Québec, et non les par. 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, qui régit l'intérêt avant jugement. Je ne puis en convenir. L'arrêt Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94, est clair sur ce point. La dette contractée en application de la LIR et de la LAE donne lieu à un fait générateur survenu ailleurs que dans une province, de sorte que les règles applicables à l'intérêt avant jugement sont les par. 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales : voir Markevich, par. 39-40. Le fait générateur est celui de Sa Majesté contre la Caisse pour les retenues à la source non versées, il est fondé sur sa fiducie réputée et il a résulté du prélèvement par la Caisse de fonds appartenant à Camvrac qui tombaient sous le coup de la fiducie réputée de l'État.
IV. Conclusion
[63] En conséquence, je conclus que le libellé de la convention d'épargne à terme et de la convention de mise en garantie d'épargne intervenues entre la Caisse et Camvrac a créé une « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR. La Caisse devait payer à Sa Majesté les cotisations d'assurance‑emploi et l'impôt sur le revenu retenus à la source, mais non versés par Camvrac, jusqu'au 21 février 2001. L'intérêt est calculé conformément aux par. 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales du 21 février 2001, date à laquelle la Caisse a opéré compensation, jusqu'à la date du paiement.
[64] Le pourvoi est rejeté avec dépens devant notre Cour seulement.
Les motifs des juges LeBel et Deschamps ont été rendus par
[65] La juge Deschamps (dissidente) — Une fois de plus, la Cour est appelée à évaluer l'étendue des droits que confère la fiducie réputée, mesure créée par le Parlement pour assurer la remise au Receveur général du Canada des retenues faites par les employeurs sur les salaires de leurs employés au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations à l'assurance‑emploi. Pour les motifs qui suivent, j'estime que la compensation ne constitue pas une garantie au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« LIR »), et de la Loi sur l'assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (« LAE »), et que le droit contractuel dont bénéficie l'appelante est opposable à l'intimée, puisque cette dernière ne saurait posséder plus de droits que l'employeur n'en avait lui-même. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir l'appel et de renvoyer le dossier au juge de première instance pour qu'il établisse le montant des retenues non remises au moment de la conclusion de la convention de compensation.
1. Questions en litige
[66] La principale question que soulève le présent pourvoi concerne l'effet de la fiducie réputée prévue par la LIR et la LAE sur des biens sujets à compensation en vertu d'une convention conclue entre la Caisse populaire Desjardins du Bon Conseil aux droits de laquelle est l'appelante (« Caisse ») et l'employeur, Entreprises Camvrac inc. (« Camvrac »). La Caisse soulève une question additionnelle touchant le calcul des intérêts. Elle soutient qu'ils auraient dû être calculés suivant la règle qui s'applique au Québec en raison des par. 36(1) et 37(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Pour sa part, l'intimée prétend que ce sont plutôt les par. 36(2) et 37(2) de cette loi qui s'appliquent, puisque le fait générateur du litige est survenu ailleurs qu'au Québec. Je traiterai d'abord de la question de la fiducie réputée, puis de la question des intérêts.
2. Faits
[67] De mai 2000 à janvier 2001, Camvrac, un employeur faisant affaire au Québec, a fait défaut de remettre au Receveur général du Canada la somme de 26 863,53 $ retenue sur les salaires de ses employés au titre de l'impôt sur le revenu et de l'assurance-emploi. La preuve ne précise pas la somme que devait Camvrac au 25 septembre 2000, mais, selon la protonotaire de la Cour fédérale qui a entendu l'affaire en première instance, les retenues non remises totalisaient 5 558,72 $ en octobre 2000.
[68] Le 18 septembre 2000, la Caisse et Camvrac signent un contrat de crédit variable par lequel la Caisse consent à Camvrac un crédit de 277 000 $. Quelques jours plus tard, soit le 25 septembre 2000, deux conventions additionnelles sont signées : une convention d'épargne à terme suivant laquelle Camvrac fait un dépôt de 200 000 $ échéant le 16 octobre 2005, et une convention de mise en garantie d'épargne pour garantir le remboursement de toute somme due à la Caisse et dans laquelle Camvrac consent à la Caisse un droit de rétention et de compensation, de même qu'une hypothèque. Seul le droit de compensation est en cause dans le présent pourvoi : ni l'hypothèque ni le droit de rétention n'ont été invoqués, exercés ou opposés à l'intimé. Bien que les extraits des clauses pertinentes figurent également en annexe, j'ai reproduit ci-après un extrait dont je discuterai de façon plus particulière :
1. DROIT DE RÉTENTION ET DE COMPENSATION
Pour garantir le remboursement, en capital, intérêts, frais et accessoires, de toutes sommes dues ou pouvant être dues à la caisse par le déposant en vertu d'un contrat d'ouverture de crédit de 277 000,00 $ qui lui a été consenti le 2000‑09‑18; et en vertu de toutes dettes ou obligations présentes ou futures, directes ou indirectes du déposant, le déposant s'engage à maintenir et consent à ce que la caisse retienne, dans le ou les comptes [. . .] la somme de 200 000,00 $ se répartissant comme suit : [. . .] Épargne à terme à gestion active 5 ans au montant de 200 000,00 $ . . .
La caisse pourra retenir les sommes indiquées ci‑dessus, ainsi que les intérêts provenant des certificats de dépôt le cas échéant, tant que la totalité des sommes dues en vertu du ou des contrats de crédit n'auront pas été entièrement remboursées et, dans le cas d'une ouverture de crédit, tant qu'elle n'aura pas été annulée. Dans les cas de défaut prévus ci‑après, il y aura compensation entre le ou les contrats de crédit et le ou les certificats de dépôt ou sommes d'argent indiqués ci-dessus, tel qu'il est prévu à l'article 7.
[69] Je note que les parties et les tribunaux inférieurs ont, à l'occasion, désigné le dépôt à terme sous le vocable de « certificat de dépôt ». À mon avis, tel que l'indique la convention d'épargne à terme, il s'agit d'un simple dépôt à terme. Cette désignation n'a toutefois aucune conséquence, vu les mécanismes qui sont en jeu en l'espèce.
[70] Le 25 novembre 2000, Camvrac fait défaut de payer les intérêts sur l'emprunt. Le 1er décembre suivant, ces intérêts sont payés par virement manuel fait par la Caisse. Le relevé du 31 décembre 2000 fait état d'une dette de Camvrac envers la Caisse de 277 000 $; il indique aussi que les intérêts mensuels, calculés sur le montant total du prêt, sont portés au compte de Camvrac. Le relevé du compte d'épargne et de placement du 31 janvier 2001 indique un solde de 200 578 $ attribuable au dépôt. Le 5 février 2001, Camvrac fait cession de ses biens. Sur sa copie de la convention de dépôt, la Caisse note : « Fermer le 21/2/2001 pour réalisation de garantie. »
[71] Le 12 juin 2001, l'intimée enjoint à la Caisse de lui payer la somme de 26 863,53 $ due par Camvrac au titre des retenues sur les salaires. L'intimée soutient que cette somme est protégée par la fiducie réputée résultant des dispositions de la LIR et de la LAE. La Caisse réplique que la note inscrite à la convention de dépôt le 21 février 2001 n'avait qu'une fonction administrative et que sa dette envers Camvrac a été éteinte par compensation.
3. Historique des procédures judiciaires
[72] Devant la protonotaire de la Cour fédérale, l'intimée a soutenu que le dépôt était un bien de Camvrac visé par la fiducie réputée et que, en exerçant sa garantie le 21 février 2001, la Caisse avait réalisé ce certificat et devait verser à l'intimée le montant des retenues non remises par Camvrac. Pour sa part, la Caisse a prétendu que, aux termes de la convention conclue avec Camvrac, le défaut rendait exigibles les dettes mutuelles — la sienne et celle de Camvrac — et que celles-ci étaient éteintes par compensation. Pour la protonotaire, il ne faisait aucun doute que le dépôt était détenu à titre de garantie, que son encaissement constituait la réalisation d'une garantie et que le dépôt était visé par la fiducie réputée. Elle donc a conclu que « [l]a valeur du bénéfice conféré à la [Caisse] en raison de la réalisation de sa garantie sur le certificat de dépôt constitue [. . .] le produit découlant du certificat de dépôt, et doit être payé au receveur général » (2005 CF 731, 2005 D.T.C. 5268, par. 22). Selon la protonotaire, la compensation légale ne pouvait pas être invoquée, parce que le terme du dépôt n'était pas échu. Par ailleurs, la protonotaire a jugé que, si la Caisse voulait se prévaloir des contrats la liant à Camvrac, elle devait manifester son intention de leur donner effet, ce qu'elle n'a pas fait avant le 21 février 2001, date à laquelle le droit de l'intimée l'emportait. Elle donc a ordonné à la Caisse de payer la somme réclamée par l'intimée. La protonotaire a fixé les intérêts au taux prévu aux par. 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales.
[73] La Cour fédérale a confirmé le jugement de la protonotaire (2005 CF 1563, 2005 D.T.C. 5723). En réponse à l'argument de la Caisse selon lequel la protonotaire avait omis de considérer la clause de déchéance du terme que contenait la convention d'épargne à terme, la cour a précisé que, même si les dispositions du contrat permettaient d'invoquer la compensation conventionnelle avant l'échéance du dépôt, la Caisse ne s'en était prévalue que le 21 février 2001, moment où la fiducie réputée affectait déjà le dépôt. La Cour fédérale n'a pas accepté l'argument de la Caisse suivant lequel la compensation n'est pas une garantie. Elle s'est plutôt appuyée sur la version française de la définition de « garantie » au par. 224(1.3) LIR pour conclure que, même si la compensation était jugée constituer un paiement, elle serait tout de même considérée comme une garantie au sens de la LIR.
[74] La Cour d'appel fédérale a conclu elle aussi que la définition de « garantie » à la LIR est suffisamment large pour inclure le droit de compensation de la Caisse à l'égard du dépôt de Camvrac, et que les dispositions concernant la fiducie réputée permettaient à l'intimée de recouvrer auprès de la Caisse les sommes dues par Camvrac (2006 CAF 366, 361 N.R. 77). Relativement à la question des intérêts, la Cour d'appel s'est appuyée sur les arrêts Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94, et Canada (Procureur général) c. Caisse populaire d'Amos, 2004 CAF 92, 324 N.R. 31, et a confirmé le jugement de première instance.
4. Les arguments des parties concernant la fiducie réputée
[75] La Caisse invoque trois arguments : (1) les juridictions inférieures ont fait erreur en concluant que le mécanisme dont elle veut se prévaloir est une garantie aux termes des par. 224(1.3) et 227(4.1); (2) la compensation n'est pas un mécanisme d'exécution des obligations; (3) le fait de qualifier la compensation de légale ou de conventionnelle ne modifie pas le moment où l'extinction de la dette serait survenue, mais, subsidiairement, s'il faut qualifier le mécanisme, il faudrait plutôt parler d'aménagement conventionnel d'une compensation future. Ce dernier argument ne semble pas avoir été plaidé avec la même vigueur devant les tribunaux inférieurs, mais les faits et les concepts juridiques invoqués restent les mêmes.
[76] Pour sa part, l'intimée plaide que la fiducie réputée crée une priorité absolue et que, peu importe que la compensation soit conventionnelle ou légale ou encore qu'elle constitue une garantie ou non, le produit découlant de l'encaissement du dépôt doit lui être versé jusqu'à concurrence du montant des retenues à la source dues par l'employeur.
[77] Comme les juridictions inférieures ont conclu que la compensation constituait une garantie au sens du par. 224(1.3) LIR, j'examinerai d'abord cette question. Je me pencherai ensuite sur la question de l'opposabilité à l'intimée du droit conventionnel de compensation.
5. La notion de « garantie » au sens du par. 224(1.3) LIR
[78] Il y a plus de dix ans, dans Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, par. 22, le juge Gonthier notait que l'affrontement entre des objectifs législatifs conflictuels donnait lieu à une concurrence pour la priorité de rang entre les fiducies réputées et les garanties consensuelles. En 1998, le Parlement a légiféré (L.C. 1998, ch. 19, par. 226(1)) et a élargi la portée de la fiducie réputée pour lui donner priorité sur toute garantie au sens du par. 224(1.3). Dans ce contexte, il importe de bien cerner la notion particulière de garantie énoncée à ce paragraphe.
[79] Les dispositions invoquées dans le présent pourvoi sont citées en annexe, soit les par. 224(1.3), 227(4) et 227(4.1) LIR, et les paragraphes correspondants de la LAE. Toutefois, par souci de commodité, j'en reproduis ici les passages plus pertinents. Au paragraphe 224(1.3), la LIR définit le terme « garantie » pour l'application de la notion de « fiducie réputée ». La version française de la définition est rédigée ainsi :
« garantie » Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.
[80] La version anglaise utilise une terminologie différente. D'une part, le mot « garantie » y est rendu par l'expression security interest. D'autre part, alors que le mot « droit » est utilisé dans l'expression française « droit sur un bien », c'est plutôt le mot interest qui est utilisé dans l'expression interest in property en anglais :
"security interest" means any interest in property that secures payment or performance of an obligation and includes an interest created by or arising out of a debenture, mortgage, hypothec, lien, pledge, charge, deemed or actual trust, assignment or encumbrance of any kind whatever, however or whenever arising, created, deemed to arise or otherwise provided for;
[81] Or, la notion de garantie peut varier selon le contexte dans laquelle elle s'insère. Il est donc important de lire les deux textes en corrélation et d'harmoniser la portée des termes « garantie » et security interest utilisées dans le contexte du par. 224(1.3) LIR. Il convient de rappeler qu'il n'existe pas de common law fédérale autonome : Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, et P. Denault, La recherche d'unité dans l'interprétation du droit privé fédéral (2008), p. 38. S'il faut recourir au droit supplétif pour interpréter un concept incorporé dans une règle fédérale, le droit provincial constitue la source applicable : Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, art. 8, modifiant la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21. Par conséquent, sauf disposition expresse à l'effet contraire, un texte de loi fédéral doit être interprété en respectant les concepts et institutions propres au système juridique de la province dans laquelle il s'applique : A. Morel, « La rédaction de lois bilingues harmonisées avec le droit civil », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien — Recueil d'études (1997), 309, p. 313.
[82] Par ailleurs, non seulement doit-on — lorsque cela est nécessaire pour interpréter un texte de loi fédéral — se reporter au droit de la province dans laquelle il doit être appliqué, mais il faut aussi tenir compte des versions anglaise et française : M. Bastarache et autres, The Law of Bilingual Interpretation (2008), p. 42 et suiv. Je vais d'abord analyser les versions française et anglaise pour déterminer si un sens commun peut être trouvé. En l'espèce, cette analyse permet de dégager une notion commune au droit civil et à la common law, notion qui permet d'harmoniser l'application de la disposition fiscale dans les deux systèmes de droit.
[83] Dans la mesure où l'expression security interest du texte anglais et le terme « garantie » du texte français n'ont pas la même portée, il faut rechercher le sens commun des versions française et anglaise de la définition en utilisant les principes d'interprétation bilingue réitérés récemment dans R. c. S.A.C., 2008 CSC 47, [2008] 2 R.C.S. 675, par. 14-16 (voir aussi Bastarache et autres, et P.‑A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 413).
[84] Cette analyse comporte deux étapes : la détermination du sens commun et la recherche de l'intention du législateur. À la première étape, trois hypothèses peuvent se présenter (S.A.C., par. 15) :
Premièrement, les versions française et anglaise peuvent être inconciliables. [. . .] Deuxièmement, une version peut être ambiguë alors que l'autre est claire et non équivoque. Le sens commun est alors celui de la version claire et non équivoque : Daoust, par. 28; Côté, p. 413. Troisièmement, une version peut avoir un sens plus large que l'autre. Selon le juge LeBel dans l'arrêt Schreiber, au par. 56, « lorsqu'une des deux versions possède un sens plus large que l'autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité ».
[85] La première hypothèse est exclue. En effet, les deux versions ne sont pas irréconciliables. En anglais, l'expression security interest a un sens bien établi, alors que le mot français « garantie » est plus général. Un security interest est nécessairement une garantie, alors que l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Par exemple, une caution personnelle constitue une garantie mais ne confère pas un security interest dans les biens de la caution. Le terme anglais est donc plus précis que celui utilisé en français. Toutefois, en raison de la vaste portée de la notion de security interest, je ne crois pas qu'il soit approprié de qualifier d'étroite la version anglaise et de large la version française. En conséquence, s'il fallait choisir entre la deuxième et la troisième catégorie, la difficulté devrait être classée dans la deuxième, version non équivoque/version ambiguë. En l'espèce, ce choix ne modifie pas le résultat de l'analyse, puisque dans l'un ou l'autre cas, le sens commun est celui du terme utilisé dans la version anglaise, security interest.
[86] La deuxième étape dans l'interprétation de lois bilingues consiste à vérifier si le sens commun des deux versions correspond à l'intention du législateur (S.A.C., par. 16). Il est certain que les modifications successives apportées à la LIR et à la LAE relativement à la fiducie réputée avaient pour but de mieux protéger le créancier fiscal. Cependant, au-delà de cet objectif immédiat, je ne peux conclure que le Parlement ait voulu donner une portée imprécise à la priorité conférée au fisc. En effet, si cette conclusion était retenue, cela impliquerait que les créanciers du débiteur fiscal ne pourraient pas déterminer à l'avance quels sont leurs droits. Dans la mesure où les concepts de common law et du droit civil sont compatibles, le Parlement peut uniquement avoir eu pour intention de réserver un traitement analogue à tous les contribuables canadiens et avoir voulu permettre aux deux communautés d'être en mesure de prédire l'interprétation qui serait donnée aux mécanismes juridiques utilisés pour organiser leurs affaires. Seule la version commune permet d'atteindre cet objectif. En conséquence, je conclus que l'intention du législateur correspond à la notion bien établie de security interest plutôt qu'à celle, plus équivoque, de garantie (voir : art. 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation, introduits par la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil; Denault, p. 117).
[87] Si, en l'espèce, le sens commun correspond à la notion non équivoque de security interest, c'est qu'un concept commun se retrouve tant dans la notion de garantie comprise au sens de droit sur un bien que dans celle de security interest au sens de interest in property. C'est ce concept qu'il faut identifier. Dans le « Rapport sur l'harmonisation du terme "Interest" », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien (2002), publié dans le Recueil d'études en fiscalité 2001, Me Martin Lamoureux souligne qu'un terme comme interest se révèle impossible à définir sans en préciser le contexte. Ainsi, selon Me Lamoureux, « le concept interest in property semble pouvoir s'opposer à la notion de propriété absolue, selon le contexte » (p. 7:9). En conséquence, selon cette interprétation, le security interest — droit visé au par. 224(1.3) LIR — est un droit distinct d'un droit de propriété absolu.
[88] De plus, après avoir analysé l'utilisation de la notion d'interest dans la LIR et dans la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (« LTA »), cet auteur propose le concept de droit réel pour harmoniser les notions d'interest et de « droit ». Il justifie sa proposition ainsi :
Comme nous l'avons mentionné à la troisième étape, nous proposons d'harmoniser la notion d'« intérêt » (interest) avec son pendant québécois qui est le « droit réel » (real right). Ce résultat de recherche fait suite à une analyse comparative qui démontre une grande similitude entre ces deux concepts juridiques. En effet, plusieurs attributs généraux sont similaires si on superpose les deux concepts ensemble. Nous n'avons qu'à penser au droit de suite, à l'opposabilité à l'encontre de tous, à un droit direct sur le bien et au démembrement des biens dans le temps. [p. 7:23]
[89] La proposition trouve application au par. 224(1.3), car les mots interest en anglais et « droit » en français y sont utilisés. L'auteur signale toutefois certaines différences entre les concepts « interest » et « droit réel », par exemple le beneficial ownership, l'equity et l'intérêt futur, qui peuvent conférer un interest in property et qui n'ont pas nécessairement d'équivalent en droit civil. Pour cette raison, le législateur fédéral devrait selon lui définir l'expression « droit réel » dans la LIR et à la LTA et y inclure les notions de common law requises pour certaines fins particulières. Je suis d'accord pour retenir la notion de droit réel afin d'harmoniser les notions de « droit sur un bien » et « interest in property ». En droit civil classique, un droit sur un bien est un droit réel, non un droit personnel. Les droits réels accessoires qui font partie intégrante des sûretés sont aussi souvent appelés « droits réels de garantie » : P.‑C. Lafond, Précis de droit des biens (2e éd. 2007), par. 422‑423 et 440-447; Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : les obligations (2003), « droit réel accessoire » et « droit réel de garantie », p. 133-134; D.-C. Lamontagne, Biens et propriété (6e éd. 2009), par. 103-104.
[90] En common law, le terme « real right » et ses proches cousins « right in rem » et « jus in re » sont moins usités mais tout aussi reconnus. Le professeur Royston Miles Goode, Goode on Legal Problems of Credit and Security (4e éd. 2008), par. 1-17, écrit qu'[traduction] « [u]ne sûreté (security interest) est un droit sur la chose ». Dans l'ouvrage Personal Property Security Law (2005), les professeurs Ronald C. C. Cuming, Catherine Walsh et Roderick J. Wood utilisent eux aussi la notion de « real right » et « right in rem » :
[traduction] Le créancier qui obtient une sûreté (security interest) sur un bien du débiteur possède dès lors un droit propriétal sur le bien en cause. La caractéristique fondamentale du droit propriétal (aussi appelé droit réel ou in rem) veut qu'il s'agisse d'un droit sur la chose généralement opposable à tous. [p. 511]
Voir aussi R. A. Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property: Universalities, Interests and Other Heresies » (1994), 39 R.D. McGill 761; J. Austin, Lectures on Jurisprudence, or, The Philosophy of Positive Law (5e éd. 1885), p. 381‑391; T. E. Holland, The Elements of Jurisprudence (12e éd. 1916), p. 146‑147; W. N. Hohfeld, « Fundamental Legal Conceptions as Applied in Judicial Reasoning » (1917), 26 Yale L.J. 710, p. 714-715; J. W. Salmond, Jurisprudence (10e éd. 1947), p. 252‑256; G. W. Paton, A Text-Book of Jurisprudence (2e éd. 1951), p. 232‑236; Reagan c. Murphy, 105 So.2d 210 (La. 1958); Harwood Oil & Mining Co. c. Black, 124 So.2d 764 (La. 1960).
[91] De plus, tout comme l'expression interest in property peut être considérée comme similaire à plusieurs égards au terme « droit réel », la notion de real right est reconnue comme un élément essentiel à la reconnaissance d'un security interest en ce qui concerne les sûretés mobilières en common law. Il est maintenant bien établi qu'une approche fonctionnelle est adoptée dans les provinces de common law et que la forme ne détermine pas si une sûreté a ou non été créée. Il n'en demeure pas moins que le fondement d'un security interest demeure un droit réel. Les professeurs Cuming, Walsh et Wood expriment clairement cette idée :
[traduction] La suppression de la forme comme condition de l'existence d'une sûreté exige que l'on examine de près certains types d'opération qui, de prime abord, paraissent échapper à l'application des lois sur les sûretés mobilières, mais qui peuvent conférer à la fois des intérêts (droits) assujettis et d'autres non assujettis, selon qu'une caractéristique existe ou non. Il faut déterminer dans chaque cas si les caractéristiques essentielles d'une sûreté sont présentes. La question est donc de savoir si l'opération comporte la reconnaissance ou la création contractuelles d'un « intérêt » sur le bien personnel d'une personne qui garantit l'exécution d'une obligation envers une autre personne. [. . .] L'« intérêt » en question doit être un droit réel sur un bien personnel en ce qu'il peut être exercé non seulement contre le débiteur, mais aussi contre un tiers acquérant subséquemment un intérêt sur le bien. [p. 85-86]
De même, le professeur Goode dit ceci (par. 1-17) :
[traduction] Même lorsque le créancier obtient un droit à l'égard d'un bien, il faut distinguer le droit réel du droit personnel. [. . .] [U]ne sûreté (security interest) est un droit sur la chose, et le créancier ainsi garanti peut en principe soustraire le bien à l'ensemble des créanciers.
[92] La notion de security interest en common law correspond donc, non pas à un droit personnel, mais plutôt à un droit réel. Bref, bien que la common law n'utilise pas une expression unique, le sens qui se dégage est l'emprise du détenteur du droit sur le bien lui-même par opposition au droit de réclamer d'une personne l'exécution d'une obligation qui est le propre d'un droit personnel. Le droit réel est donc une notion commune aux deux traditions juridiques. Cette notion de droit réel ressort également, de façon littérale, de l'expression française « droit sur un bien » et de l'expression anglaise « interest in property » utilisées au par. 224(1.3).
[93] La notion de droit réel ressort également des mécanismes énumérés au par. 224(1.3). Considérée sous l'angle du droit civil, l'énumération figurant dans cette disposition comprend des formes de garanties qui, reconnues auparavant par le Code civil du Bas‑Canada et certaines lois spéciales telle la Loi sur les pouvoirs spéciaux des personnes morales, L.R.Q., ch. P-16, ont été regroupées dans le Code civil du Québec sous la notion d'hypothèque. Ces garanties conféraient au créancier un droit réel. Certains des mécanismes mentionnés dans l'énumération du par. 224(1.3) LIR appellent des commentaires.
[94] Par exemple, le terme « cession » s'entend d'une cession en garantie et non d'une cession absolue (Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, par. 22; First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720, par. 39). Dans le Code civil du Québec, une cession en garantie prend la forme d'une hypothèque mobilière (J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (6e éd. 2005), par P.‑G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, no 942).
[95] Pour ce qui est de la fiducie, il est vrai qu'en droit civil, par ce mécanisme, le bien est transmis à un patrimoine d'affectation (art. 1261 C.c.Q.). Cependant, le droit transféré porte sur le « bien » (art. 1260 C.c.Q.). De plus, le créancier bénéficiaire d'une fiducie-sûreté n'est pas un créancier ordinaire, le droit qui lui est conféré peut être qualifié de droit mixte ou sui generis et revêt certaines caractéristiques du droit réel (R. A. Macdonald, « The Security Trust : Origins, Principles and Perspectives », dans Les sociétés, les fiducies et les entités hybrides en droit commercial contemporain (1997), Conférence Meredith, 155, p. 203-204; J. B. Claxton, Studies on the Quebec Law of Trust (2005), p. 553-555; J. E. C. Brierley, « Titre sixième : De certains patrimoines d'affectation — Les articles 1256-1298 », dans La réforme du Code civil (1993), t. 1, 735, p. 767). D'ailleurs, un législateur peut inclure expressément dans la définition technique d'un terme des mécanismes qui ne font pas partie de la définition habituelle de celui-ci.
[96] Le même raisonnement s'applique aux mécanismes énumérés dans la disposition, mais vus cette fois sous l'angle de la common law. Certains (mortgage, trust, assignment) ont pour effet de transférer le titre en common law ou en equity au créancier garanti. D'autres comme le pledge ou le charge s'apparentent à l'hypothèque de droit civil, avec ou sans dépossession. Le lien peut quant à lui prendre plusieurs formes et s'apparente parfois au pledge lorsqu'il inclut le droit de vendre le bien (Goode, par. 1-49), parfois à l'hypothèque légale lorsqu'il est non possessoire. Finalement, encumbrance est un terme très large, qui est défini dans le Black's Law Dictionary (6e éd. 1990), comme [traduction] « [u]n droit ou un intérêt pouvant grever un bien‑fonds au bénéfice d'autrui et en diminuer la valeur » (p. 527). Bien que ce mot puisse correspondre à une servitude, il importe de signaler que, lorsqu'il est utilisé pour désigner une garantie, les exemples généralement donnés sont mortgage, lien et trust (D. A. Dukelow, The Dictionary of Canadian Law (3e éd. 2004), p. 408). Les mécanismes mentionnés ci-dessus confèrent donc au créancier un droit qu'on peut qualifier de réel ou de « real right », suivant le sens commun de ces expressions dans les deux traditions juridiques.
[97] Dans l'énumération figurant au par. 224(1.3) LIR, seules les débentures ne créent pas de droit réel. Ce cas est cependant particulier. Les débentures ont historiquement été au centre d'opérations d'emprunts garantis (L. Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec (2e éd. 2001), p. 387-389 et 815-820; B. A. Garner, A Dictionary of Modern Legal Usage (2e éd. 1995), p. 250; et The Dictionary of Canadian Law, p. 318‑319; H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (3e éd. 2004), p. 162). Le plus souvent, la débenture est émise et garantie au sein d'un même instrument. Un tel instrument a d'ailleurs été examiné par notre Cour dans Banque Royale du Canada c. First Pioneer Investments Ltd., [1984] 2 R.C.S. 125. Pour cerner la portée du mécanisme visé par l'expression « débenture » au par. 224(1.3) LIR, il est utile de se reporter au commentaire suivant de P. L. Davies : [traduction] « Le terme "débenture" s'entend indifféremment de l'instrument qui crée ou qui constate la dette, de la dette elle-même et de l'ensemble des droits conférés au titulaire pour garantir le paiement » (Gower and Davies' Principles of Modern Company Law (7e éd. 2003), p. 809). La débenture est également mentionnée comme exemple d'opération créant un security interest à l'al. 2a) de la Loi sur les sûretés mobilières de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. P.10. Les auteurs Cuming, Walsh et Wood expliquent ainsi sa présence : [traduction] « . . . on peut supposer, dans ce contexte, que le terme vise l'obligation d'une personne morale garantie par une sûreté sur un bien personnel » (p. 62, n. 21). En somme, même si, sur le plan technique, la débenture peut être vue comme un simple titre de créance (P. Martel, Business Corporations in Canada (2005), p. 32-14 et 32-15), il faut interpréter ce terme eu égard à son contexte commercial et historique et conclure que son inclusion dans l'énumération du par. 224(1.3) LIR indique l'intention du Parlement d'englober les types de garanties le plus souvent utilisées pour conférer un droit réel sur un bien.
[98] À mon avis, vu l'absence du mécanisme de la compensation dans l'énumération, pour être en mesure de conclure que le droit de la Caisse constitue une garantie (« security interest »), il faut que celui-ci comporte un droit réel. Le fait de limiter la portée de la notion de garantie au par. 224(1.3) LIR aux droits qui ont un caractère réel correspond au sens commun des deux versions de la disposition (« garantie » et « security interest »), en plus d'être compatible avec l'objectif du Parlement qui est de donner à la fiducie réputée priorité sur les garanties visées au par. 224(1.3) LIR : First Vancouver Finance.
[99] Il faut maintenant se demander si la compensation constitue une garantie au sens du par. 224(1.3) LIR.
6. Droit de compensation et garantie
[100] Pour déterminer si la compensation constitue une garantie au sens du par. 224(1.3) LIR, il convient d'entrée de jeu de souligner que de nombreux commentateurs québécois ont associé la compensation à une forme ou à une sorte de garantie. Il est important de noter ici l'utilisation de l'expression française « garantie » qui, comme nous l'avons vu précédemment, a un sens moins précis que celle de security interest. Ainsi, pour Baudouin, Jobin et Vézina, à la p. 1053, la compensation « sert de garantie en permettant d'éviter les risques d'insolvabilité du débiteur ». Pour eux, la compensation accorde « une certaine priorité à un créancier ordinaire, en ne l'obligeant pas au concours avec les autres créanciers » (voir aussi : D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2006), p. 1548; V. Karim, Les obligations (2e éd. 2002), vol. 2, art. 1497 à 1707 C.c.Q., p. 749‑750; J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (4e éd. 2001), p. 612). Par ailleurs, la compensation demeure un mécanisme d'extinction des obligations qui agit différemment selon le contexte dans lequel il est appelé à jouer : A. Bélanger, Essai d'une théorie juridique de la compensation en droit civil québécois (2004), p. 299.
[101] Bien que pertinentes pour décrire le mécanisme de la compensation et ses effets, ces observations ne permettent pas de conclure que cette opération constitue un security interest au sens du par. 224(1.3) LIR. En effet, bien que la compensation puisse avoir l'effet d'une garantie, il faut se garder de se reporter à l'acception malléable de cette notion qui peut être dégagée uniquement de la version française. Pour l'application du par. 224(1.3) LIR, il ne suffit pas que la compensation procure une protection semblable à une « garantie », encore faut-il qu'elle confère un « droit sur un bien », un droit réel.
[102] Quoique je reconnaisse qu'un rapprochement puisse être fait entre la compensation et une « garantie », il n'y a pas équivalence avec le sens qui doit être donné à cette notion dans le contexte du par. 224(1.3) LIR. S'il est certain que, lorsque deux créances sont susceptibles de compensation, l'effet est analogue à celui d'une garantie au sens large, il demeure tout de même que le droit positif québécois et des provinces de common law ne reconnaît pas à la compensation les caractéristiques d'un droit réel. L'extinction automatique des dettes réciproques est un effet de la compensation, mais elle ne constitue pas la mise en uvre d'un droit réel sur le bien concerné. Vu l'absence de mention expresse de ce mécanisme dans la définition de « garantie » au par. 224(1.3) LIR, je considère qu'il ne constitue pas une garantie au sens de cette disposition.
[103] Suivant un auteur français, Guy Duboc, La compensation et les droits des tiers (1989), p. 244-247, nos 360-364, les conventions de compensation devraient être reconnues comme des conventions de gage, auxquelles s'appliqueraient les mêmes conditions et les mêmes effets que le gage. Cet auteur fait cependant cavalier seul et reconnaît lui-même l'audace de sa thèse. À mon avis, cette thèse ne saurait être intégrée au droit québécois, surtout au regard du regroupement de toutes les sûretés effectué lors de la réforme du Code civil du Québec. Il faut plutôt conclure que, du fait de leur classement dans le chapitre portant sur l'extinction des obligations, les dispositions sur la compensation ne permettent pas d'affirmer que ce mécanisme constitue un gage qui serait reconnu dans le Code civil du Québec comme une hypothèque. En effet, conclure comme le fait Duboc irait à l'encontre de l'objectif d'unification que poursuivait le codificateur en 1991 à l'égard des sûretés.
[104] Un motif additionnel m'incite à écarter le mécanisme de la compensation du champ d'application du par. 224(1.3) LIR. J'ai mentionné plus tôt que la version anglaise utilise l'expression security interest. Or, cette expression est largement utilisée dans les provinces de common law, plus particulièrement dans le contexte des sûretés mobilières. Par exemple, la Loi sur les sûretés mobilières de l'Ontario définit ainsi l'expression security interest dans la version anglaise :
"security interest" means an interest in personal property that secures payment or performance of an obligation, and includes . . .
On remarquera que cette définition est très semblable à celle du texte anglais du par. 224(1.3) LIR :
"security interest" means any interest in property that secures payment or performance of an obligation and includes an interest created by or arising out of . . .
[105] Par ailleurs, je remarque que dans la plupart des lois des provinces de common law, la version française de cette disposition ne soulève pas les mêmes difficultés que la version française de la loi fédérale (par exemple, outre la loi ontarienne, voir celles du Nouveau-Brunswick (Loi sur les sûretés relatives aux biens personnels, L.N.‑B. 1993, ch. P‑7.1) et du Manitoba (Loi sur les sûretés relatives aux biens personnels, C.P.L.M., ch. P35)). La disposition de la loi ontarienne est rédigée ainsi :
« sûreté » Intérêt sur des biens meubles qui garantit le paiement ou l'exécution d'une obligation, notamment les intérêts suivants . . .
On constate que l'expression security interest est rendue par le mot « sûreté » dans la loi ontarienne, plutôt que par le terme « garantie » utilisé dans la loi fédérale, terme qui nécessite une interprétation en raison de son caractère imprécis.
[106] Or, les lois sur les sûretés mobilières des provinces de common law comportent toutes des définitions larges et fonctionnelles de la notion de « sûreté » (voir par exemple l'art. 1 (« sûreté ») de la Loi sur les sûretés mobilières de l'Ontario, et l'art. 1 (« sûreté ») de la Loi sur les sûretés relatives aux biens personnels du Nouveau-Brunswick). Malgré cette approche libérale, toutes ces lois — sauf celle de l'Ontario — donnent priorité aux droits contractuels nés avant la connaissance d'une cession à un autre créancier. En ce qui a trait à la loi ontarienne, elle était au même effet jusqu'en 2006, date à laquelle la cristallisation du droit a été fixée au moment où la dette devient payable. La nouvelle disposition ontarienne ne paraît pas avoir été examinée par les tribunaux. Cependant, peu importe le moment de la cristallisation, ces droits sont toujours traités de façon distincte de la notion de security interest (p. ex. : Loi sur les sûretés mobilières de l'Ontario, art. 40; Loi sur les sûretés relatives aux biens personnels du Nouveau-Brunswick, art. 41, toutes les autres lois sont pratiquement identiques), ce qui montre que les législateurs ne considéraient pas que le set-off était couvert par la définition de « sûreté ». Dans la seule affaire où le libellé le plus courant des dispositions qui créent ce type de droit a été interprété, 518718 Alberta Ltd. c. Canadian Forest Products Ltd., 1998 ABQB 619, 63 Alta. L.R. (3d) 371, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a conclu que le créancier bénéficiant d'un droit à la compensation contractuelle a priorité sur un cessionnaire dans la mesure où son droit naît avant la cession (par. 54, 55 et 63) (dans cette affaire, en raison de la préclusion, le résultat a été modifié, argument qui n'est pas pertinent pour notre propos).
[107] Conclure que la compensation constitue un security interest aux termes de la loi fédérale irait donc à l'encontre du sens donné à ce terme dans les lois provinciales sur les sûretés mobilières, lequel exclut la compensation. Cette interprétation irait aussi à l'encontre de la notion de set-off en common law, sur laquelle reposent de nombreuses opérations commerciales. Ainsi, Cuming, Walsh et Wood sont d'avis que (p. 87) :
[traduction] La compensation d'origine contractuelle ou procédurale ne confère pas de sûreté (security interest), car aucune des parties n'acquiert de droit sur le bien.
De même, le professeur Goode écrit ceci, au par. 1-19 :
[traduction] Le droit de compensation, même lorsqu'il est accordé par contrat, est un droit purement personnel de compenser sa dette et une autre. La partie qui l'exerce n'acquiert jamais de droit sur la créance de l'autre partie : elle opère simplement compensation jusqu'à l'extinction de l'obligation pécuniaire de l'autre partie. La compensation conventionnelle ne crée donc pas de garantie.
P. Wood, dans Set-Off and Netting, Derivatives, Clearing Systems (2e éd. 2007), est du même avis (par. 1-008) :
[traduction] Malgré son effet commercial analogue, le droit de compensation n'est pas une sûreté (security interest) parce que le créancier n'accorde pas au débiteur un droit de propriété sur sa propre créance pour garantir le paiement de la dette qu'il a envers lui. Par exemple, un déposant ne cède pas à la banque le droit au paiement de la somme déposée en garantie d'un prêt qu'elle lui consent. Le droit de compensation n'est pas non plus un droit de rétention comme celui que confère le privilège, car la banque ne conserve pas les espèces déposées, la propriété du compte de dépôt demeurant celle du déposant et la banque ne disposant d'aucun bien pouvant être retenu.
Par conséquent, le droit de compensation n'est habituellement pas incompatible avec l'engagement à ne pas faire que prévoit généralement le contrat de prêt bancaire non garanti dans lequel l'emprunteur s'engage à ne grever ses éléments d'actif d'aucune sûreté. L'engagement à ne pas faire, qui est suffisamment large pour englober l'opération apparentée à une sûreté (security interest), ne devrait pas non plus écarter la compensation, car la sûreté (security interest) et l'opération connexe de financement avec incidence sur le droit de propriété (vente et cession-bail, affacturage, vente et rachat) comporte habituellement le transfert d'un bien, alors que la compensation n'en suppose aucun. L'engagement à ne pas faire qui écarterait la compensation empêcherait la réciprocité des obligations du débiteur et de l'autre partie — ce qui est normalement impossible.
Lorsqu'on a demandé au professeur Grant Gilmore — l'un des concepteurs de l'article 9 du Uniform Commercial Code américain — d'exclure le droit de compensation de la définition de security interest, il a rétorqué : [traduction] « On pourrait aussi bien exclure les mécanismes les plus farfelus ». Il a toutefois cédé à contrecur, de sorte que l'article 9 ne s'applique pas au [traduction] « droit de recouvrement ou de compensation » : al. 9‑109d)(10). En Nouvelle-Zélande, la Personal Property Security Act — l'équivalent du code — ne s'applique pas au droit de compensation, y compris le « netting » et la combinaison des comptes : voir l'al. 23c).
[108] Bien que je commente plus loin l'opinion du juge Rothstein, je tiens dès maintenant à attirer l'attention sur un aspect de son raisonnement. S'appuyant sur un extrait de l'ouvrage de S. R. Derham, The Law of Set-Off (3e éd. 2003), il conclut que si l'intention des parties est de créer un security interest, il faut en déduire qu'il s'agit d'un droit couvert par le par. 224(1.3) LIR. Avec égards pour l'opinion exprimée par mon collègue, il y a lieu de rappeler que, selon Derham, [traduction] « la thèse prédominante veut que la convention de compensation ne constitue pas une charge » (par. 16.80). Les passages cités par mon collègue doivent donc être replacés dans le contexte d'une réflexion sur les arguments qui favoriseraient une approche différente de celle qui a cours généralement. Tout comme j'ai écarté l'interprétation originale de Duboc en droit français, j'estime qu'il serait difficilement acceptable d'incorporer à la loi fédérale une notion qui n'est pas reconnue en common law et qui est totalement étrangère au droit civil. Il est, à mon avis, tout à fait hasardeux d'affirmer qu'un droit réel dans un bien peut résulter de l'intention des parties sans prendre appui sur un mécanisme reconnu en droit.
[109] Par conséquent, cette revue de la doctrine m'amène à conclure que, dans l'état actuel du droit, la common law exclut la compensation du champ des sûretés mobilières. Le fait qu'un mécanisme juridique permette à un créancier d'obtenir un effet semblable à celui d'une garantie au sens générique de ce terme ne fait pas de ce mécanisme un security interest.
[110] Malgré les arguments présentés devant toutes les instances, mon collègue le juge Rothstein est d'avis que la question qu'il faut trancher n'est pas de savoir si la compensation est un security interest. Selon lui, il s'agit plutôt de déterminer si l'entente a conféré un security interest au sens du par. 224(1.3) LIR. Il conclut que la juxtaposition de certains droits de la Caisse et obligations de Camvrac ont cet effet.
[111] Selon cette approche, la compensation ne serait qu'une réparation (par. 30). Les engagements qui constitueraient un interest in property au sens du par. 224(1.3) LIR seraient les suivants : le terme fixé pour le remboursement du dépôt, l'obligation de maintenir le dépôt, le droit de retenue et la limite à la possibilité de céder, négocier et hypothéquer le dépôt (par. 30). Le juge Rothstein ne cherche pas à déterminer si ces droits constituent, individuellement ou collectivement, un droit réel. Cependant, même si mon collègue n'accepte pas formellement qu'un security interest implique un droit réel, il estime que la Caisse bénéficiait en l'espèce d'une hypothèque mobilière avec dépossession selon le raisonnement tenu par la majorité dans Caisse populaire Desjardins de Val-Brillant c. Blouin, 2003 CSC 31, [2003] 1 R.C.S. 666. Pour plusieurs raisons, je ne puis accepter son interprétation de la notion de security interest et son recours à l'hypothèque pour conclure à la priorité de la fiducie réputée. Je vais regrouper mes objections sous deux rubriques.
Approche nouvelle à l'égard de la notion de « security interest »
[112] Je dois dire que l'approche retenue par le juge Rothstein à l'égard de la notion de security interest est nouvelle. Il dit accepter que le sens commun se trouve dans la version anglaise. Cela implique que l'utilisation de cette expression correspond à un concept commun reconnu en droit. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il n'existe pas de common law fédérale. Pour dégager le but recherché par le Parlement lorsqu'il choisit le concept de security interest, il faut se reporter à la common law, qui est le droit provincial. On ne saurait donc faire abstraction du droit provincial dans l'analyse. L'interprétation de mon collègue a pourtant pour effet d'élargir la portée de la notion de security interest bien au-delà de ce qui est reconnu en droit commercial canadien. Comme son approche ne correspond nullement au sens commun, elle a pour effet de mettre de côté tant les principes d'interprétation des lois bilingues que ceux qui guident l'harmonisation du droit fédéral et des droits provinciaux.
[113] Le juge Rothstein se fonde sur des droits accessoires incomplets pour conclure qu'un interest in property a été conféré, en d'autres mots un security interest au sens du par. 224(1.3) LIR (par. 30) :
C'est le terme de cinq ans, le maintien du dépôt et la retenue de la somme de 200 000 $, ainsi que l'engagement de Camvrac de ne pas transférer ou négocier le dépôt et le fait que la somme ne pouvait servir de garantie que vis-à-vis de la Caisse qui ont fait naître le droit de la Caisse sur un bien de Camvrac pour les besoins du par. 224(1.3) LIR.
Ce qu'omet mon collègue dans son analyse est que, selon le par. 224(1.3) LIR, l'intérêt dans le bien doit permettre la réalisation de la sûreté. Un intérêt décontextualisé à l'égard d'un bien ne suffit pas.
[114] En common law, un security interest confère typiquement trois droits fondamentaux—: (1) le droit de réalisation de la sûreté sur le bien donné en garantie; (2) un droit de préférence sur le produit de réalisation; (3) le droit de suivre le bien dans les mains d'un tiers à qui il a pu être transféré (Cuming, Walsh, Wood, p. 1). Aucun des droits mentionnés par le juge Rothstein ne permet à l'intéressé de s'approprier le bien. En effet, ni le terme fixé pour le remboursement, ni l'obligation de maintien, ni le droit de retenue, ni la limite au droit de céder, d'hypothéquer ou de négocier ne permettent à la Caisse de réaliser le dépôt ou de se l'approprier pour satisfaire l'obligation garantie. Je ne peux concevoir que le législateur fédéral ait voulu couvrir quelqu'autre mécanisme que celui, connu en common law, qui permet l'appropriation du bien faisant l'objet du droit. Selon le par. 224(1.3) LIR, il faut identifier un security interest et non pas simplement un interest.
[115] Même si, dans l'énumération citée ci-dessus, mon collègue n'a pas recours à la compensation pour conclure à la constitution d'un interest in property, il s'y reporte éventuellement pour la décrire comme une réparation. J'en conclus que, à son avis, la compensation ne constitue pas un interest in property et que seuls les droits mentionnés confèrent, selon son interprétation, un tel intérêt. J'estime utile de faire quelques commentaires concernant chacun de ces droits.
[116] Quel que soit l'angle sous lequel on examine l'obligation de la Caisse quant au terme, cette clause ne peut être considérée autrement que comme un délai fixé pour le remboursement du dépôt. Il est reconnu que, dans le contexte du contrat bancaire, le dépôt d'une somme auprès d'une institution financière constitue un prêt. L'institution devient propriétaire de la somme prêtée à charge de la rendre avec les intérêts convenus (art. 2330 C.c.Q.). Il s'agit en quelque sorte d'un simple prêt (art. 2329 C.c.Q.). La clause établissant le terme ne fait que fixer le moment de la remise de la somme prêtée. Dans ses rapports avec la Caisse, pour ce qui est du dépôt, Camvrac n'a qu'une relation de créancier à débiteur, qu'un droit au remboursement à terme. Le fait qu'un terme soit fixé ne modifie pas la nature de la relation juridique entre la Caisse et Camvrac. Il ne s'agit pas d'un droit réel, mais d'un simple droit personnel.
[117] Les engagements de faire ou de ne pas faire de Camvrac peuvent être analysés de la même façon. Ils portent sur le droit de créance que Camvrac peut faire valoir contre la Caisse. Les engagements à maintenir et à ne pas céder, négocier ou hypothéquer la créance ne confèrent à la Caisse aucun droit sur la créance que Camvrac peut exercer contre elle. En cas de défaut, ces droits ne seraient d'aucune utilité si ce n'est que, si enfreints, ils pourraient donner ouverture à un recours pour inexécution de contrat. Dans tous les cas, il s'agit de droits personnels et non de droits réels. Le droit de retenue requiert quelques commentaires plus précis.
[118] Le contexte est essentiel pour déterminer le sens à donner aux expressions « droit de retenue/droit de rétention » ainsi que la nature du droit conféré. Le droit civil reconnaît le droit de rétention d'un bien corporel (p. ex. aux art. 875, 974, 1250 et 2543 C.c.Q.), et le droit de retenue (voir art. 2111, al. 2, 2123 C.c.Q.). Le droit de retenue est différent du droit de rétention : il s'exerce sur une somme d'argent et non sur un bien corporel. Il n'est donc pas question de droit de suite. De plus, aucune priorité n'est accordée au créancier qui en bénéficie. Le droit de retenue ne comporte aucune des caractéristiques permettant de faire un rapprochement entre un droit de rétention et un droit réel.
[119] En l'espèce, la convention de mise en garantie d'épargne comporte, comme l'indique l'intitulé de la clause 1, l'inscription suivante : Droit de rétention et de compensation. Dans la description des obligations, on y précise que le déposant « consent à ce que la caisse retienne, dans le ou les comptes [. . .] mentionnés ci-après, la somme de . . . », et aussi que « La caisse pourra retenir les sommes [. . .] dans le cas d'une ouverture de crédit, tant qu'elle n'aura pas été annulée ». En dépit du vocable « droit de rétention » employé à l'intitulé de la clause, comme l'objet du droit consiste à retenir une somme d'argent et non un bien corporel, nous sommes ici en présence d'un droit de retenue et non d'un droit de rétention au sens où l'entend le Code civil du Québec.
[120] Le droit de retenue ne peut être utile à la Caisse pendant le terme du dépôt. En effet, la Caisse n'a pas à remettre la somme déposée avant l'échéance du terme et ne bénéficie alors d'aucune protection additionnelle du fait de cette stipulation. Étant donné que, conformément à la clause 11 de la convention d'épargne à terme, le terme est renouvelé automatiquement si aucun avis n'est donné, le droit de retenue n'est utile que si Camvrac a donné un avis de non‑renouvellement. Un tel avis peut être donné au plus tard sept jours suivant l'échéance du dépôt. Sur réception de cet avis, la Caisse a alors le loisir de demander le remboursement conformément à la clause 5 de la Convention de crédit variable. Dans cette situation, la compensation légale peut s'opérer de plein droit à l'échéance du terme, et le droit de retenue ainsi que l'obligation de maintien n'ont aucun rôle à jouer. Cependant, si la Caisse n'annulait pas immédiatement l'ouverture de crédit alors que le dépôt est échu pour cause de non‑renouvellement, Camvrac serait empêchée de demander le remboursement de cette somme en raison de son engagement à la maintenir en dépôt et du droit de la Caisse de la retenir. La Caisse conserverait alors le pouvoir d'annuler en tout temps, à sa discrétion, l'ouverture de crédit de façon à provoquer la compensation légale ou, en cas de défaut, d'opérer compensation conventionnelle. Ces hypothèses démontrent que le droit de retenue de la Caisse et l'obligation de maintien de Camvrac sont des mécanismes prévus par la convention qui permettent d'assurer l'efficacité de la compensation légale ou conventionnelle. Ils ne confèrent aucun droit autonome permettant de réaliser la créance et, au surplus, ils sont d'application résiduelle.
[121] L'élément le plus important à signaler est qu'aucune des clauses sur lesquelles se fonde le juge Rothstein ne crée de droit réel ou de interest in property (security interest) au sens du par. 224(1.3) LIR). Le terme est un délai établi pour le remboursement. Le droit de retenue est simplement le droit d'un créancier de ne pas exécuter son obligation de payer tant qu'une dette lui est due. Il s'agit, en quelque sorte, d'un délai additionnel accordé pour le paiement. Quant à l'obligation de maintenir, il s'agit clairement de l'engagement d'une personne envers une autre à exécuter une obligation. La limite au droit de céder, d'hypothéquer ou de négocier constitue une obligation de ne pas faire.
[122] Je ne peux donc concevoir que, pris isolément ou considérés dans leur ensemble, ces droits puissent constituer un security interest au sens du par. 224(1.3) LIR. Aucun ne permet d'utiliser le bien pour l'exécution de l'obligation et aucun ne constitue un droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation.
[123] Comme le signalent les professeurs Cuming, Walsh et Wood, il ne découle pas de l'élimination du formalisme comme facteur déterminant dans la constitution des sûretés que n'importe quel engagement contractuel peut être considéré comme une sûreté mobilière. On peut comparer les limites sur lesquelles le juge Rothstein se fonde à celles qui régissent les biens réservés (« flawed assets »). Selon cette technique, un bien — par exemple un dépôt bancaire — est sujet à des limites quant à son retrait, jusqu'à ce que le déposant ait remboursé sa dette à la banque. Il est reconnu que cette technique ne crée pas de « security interest ». Le professeur Goode donne l'explication suivante (par. 1-21) :
[traduction] [La technique des biens réservés] ne constitue pas en soi une sûreté (security interest), car la banque n'obtient pas de droits sur le dépôt, seulement le droit de retenir la somme.
[124] Les professeurs Cuming, Walsh et Wood donnent aussi des exemples d'engagements conférant au créancier des droits à l'égard d'un bien qui ne sauraient être qualifiés de security interest. Un de ces exemples, l'engagement à ne pas céder ou hypothéquer, est intéressant, parce qu'il est analogue à l'un des engagements invoqués par le juge Rothstein :
[traduction] Dans un contrat de prêt, la clause de « sûreté négative » ou l'engagement de ne pas faire par lequel l'emprunteur s'engage à ne pas grever ses biens mobiliers d'une charge ni les aliéner, en totalité ou en partie, avant le remboursement du prêt, ne fait pas naître de sûreté puisque, à lui seul, l'engagement ne confère pas de droit sur le bien de l'emprunteur. Dans une convention conférant une sûreté, une clause de sûreté négative ne peut empêcher l'auteur de l'engagement de consentir à un tiers une sûreté opposable sur un bien. [p. 86]
L'ajout d'un ou de plusieurs droits personnels n'a pas pour effet de créer un droit réel, élément essentiel d'un security interest selon ces auteurs, comme on l'a vu plus tôt. Si c'est l'approche fonctionnelle qui permet au juge Rothstein de conclure que les engagements contractuels confèrent un droit dans le bien, il faudra alors voir comment sera dorénavant qualifié le negative pledge, accompagné ou non d'un autre droit personnel, telle la compensation.
[125] Par conséquent, je suis d'avis que, non seulement l'analyse que fait le juge Rothstein de l'expression interest in property ou « droit sur un bien » souffre de ce qu'elle ne tient pas compte du fait que l'utilité première d'un security interest doit être de permettre la réalisation du bien donné en garantie, mais qu'elle n'est pas non plus conciliable avec la qualification donnée aux techniques similaires à celles adoptées en l'espèce — ces techniques ne constituent pas des security interests.
Constitution d'une hypothèque mobilière de créance avec dépossession
[126] Je tiens aussi à commenter l'argument suivant lequel une hypothèque aurait été constituée suivant le raisonnement appliqué dans l'arrêt Val-Brillant. D'entrée de jeu, je souligne qu'aucune preuve n'a été faite concernant une hypothèque et qu'aucun argument n'a été soulevé à ce sujet, que ce soit devant la protonotaire, la Cour fédérale ou la Cour d'appel fédérale. Un tel argument me surprend un peu vu l'absence de preuve et d'arguments des parties à cet égard. Par ailleurs, il convient de replacer l'arrêt mentionné ci-dessus dans son contexte et de faire quelques commentaires au sujet de l'utilisation de l'hypothèque pour confirmer l'assujettissement du droit de la Caisse à la fiducie réputée.
[127] Dans l'affaire Val-Brillant, la question était de savoir si un certificat de dépôt non négociable pouvait faire l'objet d'un gage (art. 2702 C.c.Q.). Deux thèses s'opposaient, la matérialisation du gage et sa dématérialisation : Payette, p. 380-391; P. Ciotola et A. Leduc, « Arrêt Val-Brillant : évolution ou régression de l'hypothèque mobilière avec dépossession, en droit civil québécois? », dans S. Normand, dir., Mélanges offerts au professeur François Frenette : études portant sur le droit patrimonial (2006), p. 361. En acceptant la thèse de la dématérialisation du gage, la majorité a jugé que le gage pouvait porter sur un titre non négociable. Le juge Gonthier, qui s'exprimait pour la majorité, a conclu que la maîtrise effective d'un titre non négociable aux termes des art. 2702 et 2703 C.c.Q. pouvait être acquise par le mécanisme de la cession de créances auquel renvoie l'art. 2710 C.c.Q.
[128] La constitution d'une hypothèque mobilière avec dépossession suivant les modalités énoncées dans l'arrêt Val-Brillant a été critiquée par la doctrine : Ciotola et Leduc; D. Pratte, « L'hypothèque avec dépossession de créances non représentées par un titre négociable ou le retour à une fiction accommodante », dans Mélanges offerts au professeur François Frenette : études portant sur le droit patrimonial, p. 421.
[129] Le texte de l'art. 2702 C.c.Q. a été modifié le 1er janvier 2009. Le Code civil du Québec mentionne maintenant explicitement que la remise matérielle du bien ou du titre est essentielle à la constitution du gage. Cette modification du Code civil du Québec est une précision apportée par le législateur à la suite de l'arrêt Val-Brillant (voir : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 11 juin 2008, 1re sess., 38e lég., vol. 40, no 46, p. 1, Projet de loi no 47, Loi sur le transfert de valeurs mobilières et d'autres actifs financiers; M. Deschamps, « Le nouveau régime québécois des sûretés sur des valeurs mobilières », conférence donnée le 19 mars 2009 à la Chaire du notariat de l'Université de Montréal, p. 4, note 12 (en ligne—: //www.chairedunotariat.qc.ca/fr/conferences/mois/032009/Deschamps.pdf). Il est clair désormais que le titre remis doit conférer la maîtrise effective sur la créance sans avoir recours au mécanisme de la cession de créance, comme le suggérait le juge Gonthier. En précisant qu'il doit y avoir remise matérielle, le législateur a indiqué que la thèse de la matérialisation du gage était retenue : le titre doit donc être négociable. Cette exigence de négociabilité du titre ne souffre qu'une seule exception visant certaines valeurs mobilières (art. 2714.7 C.c.Q.). Par la même occasion, et pour répondre à une préoccupation exprimée par la majorité dans Val-Brillant, le Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers a été modifié de façon à permettre aux particuliers n'exploitant pas une entreprise d'hypothéquer sans dépossession des biens incorporels et des créances, notamment des créances représentées par des titres non négociables: décret 30-2009, (2009) 141 G.O. 2A, p. 23A; art. 2683 C.c.Q. Il s'agit d'un assouplissement des conditions permettant aux particuliers de consentir une hypothèque sans dépossession. En ce qui a trait aux dépôts, comme en l'espèce, ils ne peuvent pas faire l'objet d'un gage.
[130] Cela dit, je saisis mal le rôle du recours à l'hypothèque dans le raisonnement appliqué par le juge Rothstein pour conclure que les droits conférés à la Caisse constituent un security interest. Deux interprétations sont possibles. Est-ce que mon collègue conclut que le droit de l'intimée a priorité sur celui de la Caisse du seul fait du contrôle exercé sur la créance en raison du terme, de l'obligation de maintien, du droit de rétention et des limites assortissant les droits de céder, d'hypothéquer et de négocier? Ou s'appuie-t-il sur le fait que, en plus de ces droits, Camvrac aurait accordé droit de compensation qui permettrait la réalisation d'une hypothèque? Si l'on retient la première interprétation, l'argument reposant sur l'hypothèque n'est pas utile. Si l'on retient la deuxième, le droit de compensation devient déterminant, mais par ailleurs mon collègue ne l'inclut pas dans les éléments constituant le « interest in property ». Dans la mesure où l'hypothèque constitue l'assise de la conclusion du juge Rothstein concernant la priorité de la fiducie réputée, son raisonnement se heurte à la clarification apportée par le législateur québécois.
[131] Par ailleurs, je ne peux accepter l'utilisation par la Cour d'un argument qui n'a été ni invoqué par la Caisse ni soulevé par l'intimée. Rappelons que le contrat de mise en garantie d'épargne prévoyait la constitution d'une hypothèque, d'un droit de rétention et du droit de compensation, mais que seul le droit de compensation a été plaidé et débattu. La Caisse n'était pas limitée dans le choix des droits qu'elle pouvait exercer. Par exemple, si, en plus de l'hypothèque et du droit de compensation, la créance avait été garantie par un autre droit personnel, tel un cautionnement, l'intimée n'aurait pas pu réclamer à la Caisse le montant reçu de la caution. Il aurait été clair que le choix du droit à exercer était laissé à la Caisse. En l'espèce, cette dernière pouvait choisir d'exercer son droit de compensation, tout comme elle aurait pu se prévaloir du cautionnement si ce droit avait été prévu au contrat, et ce, indépendamment de l'hypothèque aussi prévue au contrat. Le Code civil du Québec prévoit, d'une part, la compensation et, d'autre part, l'hypothèque sur les créances. Il ne faut pas, je crois, confondre les deux. Des motifs factuels expliquent peut-être le choix des parties. À mon avis, il ne s'agit pas d'un pur argument de droit. En toute justice pour les parties, je ne crois donc pas qu'il soit approprié, à ce stade, d'intervenir à l'égard du « contrat judiciaire » et de modifier les bases du pourvoi dont la Cour est saisie.
[132] Avec égards pour l'opinion contraire, j'estime par conséquent que, pour ce qui concerne le terme, l'obligation de maintien, le droit de retenue et les limites au droit de céder, d'hypothéquer ou de négocier, seules des obligations personnelles ont été créées. De plus, comme les parties n'ont pas invoqué l'hypothèque devant nous, nous ne pouvons pas selon moi fonder la conclusion sur un argument qui n'a fait l'objet d'aucune preuve et qui ne correspond pas à l'état du droit. L'appelante a choisi d'exercer son droit de compensation et c'est ce droit qu'il importe d'étudier.
[133] J'en conclus donc que l'appelante a raison de prétendre que le mécanisme de la compensation ne constitue pas une garantie au sens du par. 224(1.3) LIR. Une réponse favorable au premier argument de la Caisse ne permet cependant pas de trancher le débat. En effet, même si la Cour d'appel fédérale a eu tort de conclure que l'intimée avait priorité parce que la compensation constituait une garantie en faveur de la Caisse, le débat n'est pas clos pour autant. En effet, il reste à décider si le droit de compensation est opposable à l'intimée, laquelle, grâce à la fiducie réputée, bénéficie non seulement d'une priorité sur les créanciers garantis au sens du par. 224(1.3) LIR, mais aussi d'un droit sur les biens du débiteur fiscal. À ce sujet, il sera pertinent de déterminer si le droit de l'intimée peut être exercé tant pour les remises non effectuées au moment où le droit de compensation a été accordé à la Caisse que pour celles qui n'ont pas été faites par la suite. On se souviendra qu'au 25 septembre 2000, moment où la convention de compensation a été signée, Camvrac avait déjà fait défaut de remettre certaines sommes retenues sur les salaires de ses employés. Ces sommes s'élevaient à environ 5 000 $.
7. L'opposabilité de la convention de compensation
[134] Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'expliquer longuement que, avant l'échéance du terme du dépôt, le droit de la Caisse ne constitue pas un droit de compensation légale. En effet, le droit de la Caisse ne peut pas être dissocié du contrat qui le confère, ne serait-ce que parce qu'une des conditions de la compensation légale était absente : la créance de Camvrac n'était pas exigible, car le dépôt n'était remboursable qu'en octobre 2005. Il faut donc se reporter aux conventions liant Camvrac à la Caisse.
[135] Le Code civil du Québec ne traite pas de la compensation contractuelle. Rien ne la prohibe cependant. En fait, la compensation contractuelle n'est qu'un aménagement conventionnel du mécanisme prévu au Code. La doctrine reconnaît d'ailleurs depuis longtemps la validité des conventions de compensation (voir : Baudouin, Jobin et Vézina, no 1057; Lluelles et Moore, no 2701).
[136] La question qui se pose en l'espèce est de savoir si la convention de compensation dont bénéficie la Caisse est opposable à l'intimée. Le droit de cette dernière est décrit au par. 227(4.1) LIR. Si j'exclus les passages qui concernent la priorité sur les créances garanties dont j'ai déjà traité ci-dessus, le droit de l'intimée sur les biens de Camvrac est formulé comme suit :
227. . . .
(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée [. . .] le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens [. . .] et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.
(4.1) . . . en cas de non‑versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne [. . .] d'une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne . . .
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu . . .
[137] Le mécanisme législatif opère un transfert en fiducie des biens du débiteur fiscal. Dans l'arrêt First Vancouver Finance, la Cour a fait un rapprochement avec une charge flottante grevant, jusqu'à concurrence de la somme due, l'ensemble des éléments d'actifs du débiteur fiscal, en ce sens que la fiducie ne s'attache à aucun bien en particulier et les activités normales du débiteur peuvent ainsi se poursuivre.
[138] Toutes les sûretés — y compris celle autrefois désignée sous le vocable de charge flottante — sont maintenant regroupées au sein d'un mécanisme unique dans le Code civil, l'hypothèque. Le transfert en fiducie peut également être rapproché de celui de la saisie-arrêt, puisqu'il s'agit de la procédure prévue au par. 224(1) LIR pour permettre à l'intimée de s'approprier les créances du débiteur fiscal qui sont sujettes à la fiducie réputée : Alberta (Treasury Branches). Que le transfert en fiducie soit rapproché d'une hypothèque, d'une saisie-arrêt ou d'une simple cession, les règles demeurent les mêmes. Le Code civil du Québec et le Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, prévoient que les règles régissant les cessions de créances sont applicables. Voici le texte de ces dispositions :
Code civil du Québec
1680. Le débiteur qui acquiesce purement et simplement à la cession ou à l'hypothèque de créance consentie par son créancier à un tiers, ne peut plus opposer à ce tiers la compensation qu'il eût pu opposer au créancier originaire avant son acquiescement.
La cession ou l'hypothèque à laquelle le débiteur n'a pas acquiescé, mais qui lui est devenue opposable, n'empêche que la compensation des dettes du créancier originaire qui sont postérieures au moment où la cession ou l'hypothèque lui est ainsi devenue opposable.
Code de procédure civile
637. Si la déclaration affirmative du tiers‑saisi n'est pas contestée et qu'elle ne révèle pas l'existence d'une autre saisie‑arrêt pratiquée entre ses mains, le greffier, sur inscription par l'une ou l'autre des parties, ordonne au tiers‑saisi de payer au saisissant les sommes qu'il doit au débiteur‑saisi, jusqu'à concurrence du montant du jugement, en capital, intérêts et frais. Dans cette mesure, l'ordonnance du greffier opère cession de la créance du saisi en faveur du saisissant, et à compter du jour de la saisie. Cette ordonnance doit être signifiée au tiers‑saisi et devient exécutoire 10 jours plus tard.
[139] L'opposabilité au cessionnaire des moyens que le cédé pouvait invoquer découle de la règle générale suivant laquelle le cessionnaire ne saurait posséder plus de droits à l'égard du cédé que ceux dont bénéficiait le cédant. Cette règle est consacrée à l'art. 1637 C.c.Q. :
1637. Le créancier peut céder à un tiers, tout ou partie d'une créance ou d'un droit d'action qu'il a contre son débiteur.
Cette cession ne peut, cependant, porter atteinte aux droits du débiteur, ni rendre son obligation plus onéreuse.
[140] Cette disposition est complétée par l'art. 1643 C.c.Q., qui précise que le débiteur peut invoquer les causes d'extinction survenues avant que la cession ne lui soit devenue opposable. Le premier paragraphe de cet article est rédigé ainsi :
1643. Le débiteur peut opposer au cessionnaire tout paiement fait au cédant avant que la cession ne lui ait été rendue opposable, ainsi que toute autre cause d'extinction de l'obligation survenue avant ce moment.
[141] Auteurs et tribunaux ont donc reconnu que les moyens de défense et d'inexécution qui existaient avant la cession sont opposables au cessionnaire par un débiteur qui n'a pas acquiescé à la cession. Ceci vaut tout autant pour le mécanisme d'extinction des obligations que constitue la compensation : Karim, p. 773; Baudouin, Jobin et Vézina, no 962; Lluelles et Moore, no 3176; Bélanger, p. 189.
[142] Par ailleurs, lorsque le droit à la compensation naît d'une convention conclue avant que la cession ne soit devenue opposable au cédé, les droits découlant de cette convention peuvent être opposés au cessionnaire : A. L. Green Ltd. c. Michaud, [1975] C.A. 432, cité avec approbation dans Banque Royale du Canada c. Béliveau, [1976] C.A. 539, et Bandera Investment Co. c. Société immobilière du Québec, J.E. 98-1667 (C.S.), SOQUIJ AZ-98021774. Dans ces affaires, il s'agissait de créances de loyer assujetties à un droit de retenue ou de compensation en faveur du locataire. Comme le droit conventionnel de compensation était antérieur à la cession, son exercice a été autorisé pour la période postérieure à celle-ci. Dans ces circonstances, les tribunaux ont jugé que la convention pouvait être opposée au tiers concerné, parce qu'il avait acquis son droit après la conclusion de la convention de compensation. Même si les jugements n'en font pas état explicitement, il paraît clair que cette conclusion repose sur la prémisse que l'art. 1681 C.c.Q. ne s'appliquait pas dans ces circonstances, étant donné que le cessionnaire n'avait pas de droits acquis lors de la conclusion de la convention de compensation. L'auteur Vincent Karim souligne d'ailleurs ce qui suit :
Cependant, une entente de compensation concomitante à la conclusion du contrat ayant donné naissance à la créance de la partie insolvable, sera difficilement attaquable par les créanciers de celle-ci qui pourront avoir de la difficulté à prouver le préjudice causé par cette entente. [p. 750]
[143] Cette approche est la même que celle adoptée à l'égard de la cession d'une créance conditionnelle : Seigneur c. Immeubles Beneficial Ltée, [1994] R.J.Q. 1535 (C.A.); Banque Nationale du Canada c. Notre-Dame-du-Lac (Ville) (1990), 31 Q.A.C. 45, et Banque de Montréal c. Walsh & Brais Inc., [1990] R.L. 119 (C.A.).
[144] La compensation conventionnelle défie toute catégorisation, puisqu'elle peut prendre autant de formes que le permet le contrat dans lequel elle est insérée : Derham, par. 16.85. Il est cependant indéniable que le droit de compensation revêt des caractéristiques communes avec des notions telles que l'obligation conditionnelle, l'exception d'inexécution ou même le droit de retenue ou de rétention. Par exemple, dans D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 52, [2005] 2 R.C.S. 564, par. 28-29, la Cour a assimilé un droit de retenue d'origine législative au mécanisme de la compensation. Le droit de retenue est d'ailleurs l'une des toutes premières justifications invoquées en France pour conclure que la dette réellement due à un cessionnaire est le montant net : Duboc, p. 169, no 239, commentant Ch. civ., 13 mai 1833, S. 1833.1.668. S'il n'est pas étonnant que les règles québécoises permettent d'arriver aux mêmes conclusions que celles du droit français, il est intéressant de constater qu'auteurs et tribunaux de common law reconnaissent eux aussi l'opposabilité aux tiers du droit de compensation.
[145] En ce qui a trait aux règles françaises, il faut cependant souligner que la reconnaissance de l'opposabilité de la compensation repose sur une notion qui ne fait pas partie du droit positif québécois de façon autonome. En France, lorsque deux dettes sont suffisamment connexes, elles peuvent être compensées malgré une cession de créance ou une procédure de recouvrement collectif : D. R. Martin, « Contrats et obligations », Juris-classeur civil, art. 1289 à 1293, fasc. 108 à 111, no 75. Comme une convention de compensation crée un lien de connexité suffisant, l'opposabilité d'une telle convention (sauf celles conclues en période de solvabilité suspecte) n'est pas controversée : Cass. civ., 13 juillet 1942, J.C.P. 1943.II.2157 (note Houin); Cass. com., 3 juin 1997, D. 1998.Jur.61 (note François). (Voir cependant l'arrêt Cass. com., 9 décembre 1997, Bull. civ. IV, no 327, et la critique de cette décision par A. Honorat, « Redressement et liquidation judiciaires », D. 1998.Somm.325.) Certains auteurs font une nuance lorsqu'un tiers procède à une saisie-arrêt, puisque la saisie rendrait le bien non disponible : Didier Martin, « Des techniques d'affectation en garantie des soldes de comptes bancaires », D. 1987.Chron.229, et Thierry Bonneau, Droit bancaire (7e éd. 2007), no 395. Cependant, Duboc ainsi que Jean-Louis Rives-Lange et Monique Contamine-Raynaud (Droit bancaire (6e éd. 1995)) sont d'avis contraire. Selon les deux derniers auteurs, « [i]l n'y a aucune raison de décider différemment que la saisie soit collective ou individuelle » (p. 183, renvoi 6). Le débat français sur l'indisponibilité du bien saisi devrait, au Québec, être résolu en faveur des tenants de l'opposabilité de la convention de compensation conclue avant la saisie. En effet, ainsi que je l'ai mentionné précédemment, comme l'art. 637 du Code de procédure civile prévoit que la saisie opère cession de créance, les principes dont j'ai discuté plus tôt en matière de cession de créances s'appliquent en matière de saisie-arrêt.
[146] On trouve peu de décisions de tribunaux de common law qui traitent de compensation conventionnelle. Cependant, les quelques décisions publiées sur le sujet sont favorables à la reconnaissance de l'opposabilité d'une telle convention. Par exemple, j'ai déjà mentionné l'affaire 518718 Alberta dans laquelle la cour a reconnu que le droit de compensation contractuel avait priorité sur les droits du cessionnaire. De même, dans Ching c. Jeffery (1885), 12 O.A.R. 432, la Cour d'appel de l'Ontario reconnaissait que le cessionnaire d'un billet promissoire devait respecter les moyens dont bénéficiait le débiteur, dont celui de réduire sa dette de la somme due par le cédant. Dans Canadian Admiral Corp. c. L. F. Dommerich & Co., [1964] R.C.S. 238, le bénéficiaire d'un contrat d'affacturage s'est vu imposer l'obligation de respecter les moyens que le débiteur pouvait opposer au cédant. Enfin, dans Toronto-Dominion Bank c. Block Bros. Contractors Ltd. (1980), 118 D.L.R. (3d) 311 (B.R. Alb.), le droit de compensation conventionnel (qualifié par les parties de droit de compensation future) a pu être opposé au cessionnaire d'une sûreté sur le fondement d'arrêts qui appliquaient la règle générale suivant laquelle le cessionnaire ne possède pas un droit supérieur à celui du cédant (p. 318).
[147] En somme, en common law, tout comme en droit civil québécois, la règle de l'opposabilité de droits contractuels aux tiers cessionnaires repose sur les principes généraux régissant les obligations. On peut inférer des décisions susmentionnées que le droit de compensation contractuel est évalué au moment où le droit est conféré et non au moment où il est exercé. La protection des tiers, cristallisée en droit québécois à l'art. 1681 C.c.Q., vaut pour les droits acquis avant la conclusion de la convention de compensation. Un commentaire du professeur Jacques Ghestin, Traité de droit civil — Les obligations : les effets du contrat (1992), no 602, p. 589, exprime d'ailleurs bien l'effet des transferts de créances. Il permet de comprendre la justification juridique de l'opposabilité aux tiers d'un droit conventionnel de compensation :
La créance n'est pas seulement une valeur patrimoniale, c'est également un lien de droit. Lorsqu'on aliène une créance on ne transfère donc pas seulement une valeur mais également une situation contractuelle active.
L'opposabilité des contrats ayant pour objet un transfert de créance présente ainsi nécessairement un certain particularisme que le droit positif prend en considération en admettant qu'ils produisent des effets à l'égard de certains tiers.
[148] Ainsi, dans le cas où la fiducie réputée s'applique à une créance, elle grève un lien de droit qui correspond à une situation contractuelle active, ce qui explique pourquoi le bénéficiaire de la fiducie ne peut se prévaloir que des droits dont jouissait le débiteur fiscal au moment de la prise d'effet de la fiducie.
[149] Il est d'ailleurs utile de revenir au texte du par. 227(4.1) LIR et d'examiner à nouveau les arrêts qui ont étudié la portée de la fiducie réputée. Avant que le Parlement ne précise la priorité de l'intimée sur les créanciers garantis, les tribunaux reconnaissaient que les droits antérieurs ne pouvaient être écartés que dans la mesure expressément prévue par la disposition pertinente. Par exemple, dans Commission des relations de travail c. Avco Financial Services Realty Ltd., [1979] 2 R.C.S. 699, le juge Martland a écrit ceci :
En l'absence d'une disposition statutaire en ce sens, l'art. 5A ne doit pas être interprété de façon à dépouiller les tiers de leurs droits antérieurs sur ces biens. [p. 706]
(Voir aussi Dauphin Plains Credit Union Ltd. c. Xyloid Industries Ltd., [1980] 1 R.C.S. 1182, p. 1199.)
[150] Cette approche invite à la prudence dans l'évaluation de la portée de la fiducie réputée sur les biens du débiteur fiscal. Lorsque le Parlement a voulu donner plus de mordant à la fiducie réputée, il s'est attaché à conférer à l'intimée priorité sur les créanciers garantis. Il n'a pas modifié les règles générales régissant les droits que le débiteur pouvait opposer à son créancier originaire. Lorsqu'on évalue les conséquences de cette décision, en particulier en matière de compensation, on ne peut qu'être conforté par une interprétation fondée sur les règles juridiques normalement applicables.
[151] Le mécanisme de la compensation est utilisé dans de nombreuses opérations commerciales et dans la comptabilisation des actifs de nombreuses entreprises. Ainsi, M. E. Grottenthaler et P. J. Henderson, The Law of Financial Derivatives in Canada (feuilles mobiles), affirment que le [traduction] « le Canada peut être qualifié de ressort favorable au "netting" », tant dans le contexte de l'insolvabilité qu'en matière contractuelle hors du contexte de l'insolvabilité (p. 5-3). Le netting, qui est une forme de compensation, est, selon ces auteurs, crucial dans le contexte d'opérations portant sur des produits dérivés et ayant une incidence sur les règles de capitalisation des banques. Ces auteurs décrivent ainsi l'importance de ce mécanisme :
[traduction] Il est de la plus haute importance que chacune des parties puisse faire respecter par l'autre les dispositions sur la résiliation et sur la compensation par liquidation. Contrairement à ce qui est le cas pour de nombreuses opérations commerciales, les parties ne sont pas disposées à courir le risque que ces dispositions ne soient pas pleinement applicables advenant une situation d'insolvabilité. Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, bon nombre de participants au marché des produits dérivés doivent, conformément à la réglementation, assurer un niveau d'actif donné en relation avec leur passif (suffisance des fonds propres). C'est pourquoi il est souhaitable qu'ils comptabilisent sur une base nette leurs opérations avec leurs divers homologues. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a établi un nouveau cadre (Bâle II) pour les fonds propres prudentiels et la gestion des risques. Les lignes directrices pour la mise en uvre des normes de suffisance des fonds propres publiées par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) à l'intention des banques constituées au Canada permettent la compensation des contrats conformément aux dispositions pertinentes de ceux-ci lorsque la banque peut convaincre le BSIF que certaines conditions sont remplies, notamment qu'elle a obtenu par écrit un avis juridique motivé selon lequel, en cas de contestation judiciaire, le tribunal compétent conclura que l'exposition découlant de l'entente de compensation correspond au montant net prescrit par les lois de tous les ressorts en cause (dont celles du ressort de l'homologue, ainsi que le droit régissant l'opération et l'entente de compensation). L'avis juridique doit porter sur la validité et l'applicabilité des ententes de compensation dans le contexte de procédures liées à l'insolvabilité.
Deuxièmement, comme le marché des produits dérivés est mondialisé et hautement concurrentiel, les entités régies par des lois qui ne reconnaissent pas l'applicabilité des dispositions sur la résiliation et sur la compensation par liquidation en cas d'insolvabilité sont sérieusement désavantagées. [p. 5-2 et 5-3]
[152] Il ne s'agit là que d'un exemple montrant que la compensation est utilisée dans un contexte dont est absente la notion de security interest et que ce mécanisme revêt une grande importance, tant en droit canadien qu'en matière de relations économiques internationales. Cela tend à indiquer que le Parlement avait des raisons d'agir comme il l'a fait en ne modifiant la fiducie réputée que pour en faire un mécanisme donnant à l'intimée priorité sur les créanciers qui détiennent un security interest. J'ai conclu que la fiducie réputée ne confère pas à l'intimée plus de droits que n'en avait le débiteur fiscal et que, dans la mesure où les retenues n'avaient pas été effectuées au moment de la conclusion de la convention, le droit de la Caisse est opposable à l'intimée. Il faut maintenant dégager les conséquences pratiques de cette conclusion.
[153] En l'espèce, le droit de Camvrac de recouvrer sa créance était assujetti au droit de compensation consenti à la Caisse par la convention de mise en garantie d'épargne. Dans le contexte de cette convention, le droit de compensation constitue un droit dont bénéficiait la Caisse et qui ne peut être annulé par la seule prise d'effet de la fiducie réputée. En tant que tiers, l'intimée ne peut exiger de la Caisse qu'elle s'acquitte de sa dette envers Camvrac si les conditions de remboursement ne sont pas remplies. Le droit de la Caisse doit être respecté par les tiers dont les droits sont postérieurs à la convention. En conséquence, l'intimée doit respecter la convention de compensation dans la mesure où son droit est postérieur à celle-ci.
[154] Comme je l'ai mentionné précédemment, Camvrac n'avait pas fait ses remises à l'intimée depuis mai 2000. La convention de compensation ayant été conclue en septembre 2000, on peut se demander si l'intimée peut réclamer de la Caisse les sommes dues avant cette date. C'est cette question qui reste à trancher.
[155] Dans certaines circonstances, la dette elle-même ne peut être constituée que du solde net dû par le débiteur. Ainsi, dans une cession de loyer dont la quotité n'est établie qu'après ajustements, comme dans l'affaire Bandera, le montant du loyer correspond au solde net payable au propriétaire. Dans un tel cas, peu importe le moment où naît le droit du cessionnaire, sa réclamation ne peut être supérieure au montant réel de la dette du cédé, c'est-à-dire le montant établi après compensation. Dans d'autres situations, par exemple lorsque les créances respectives ne résultent pas d'une même source, la date à laquelle a pris naissance le droit du créancier peut être pertinente. C'est le cas en l'espèce.
[156] Les créances respectives de la Caisse et de Camvrac ont des sources distinctes : l'une découle du contrat de crédit variable, l'autre de la convention d'épargne à terme. La créance de la Caisse envers Camvrac date du 18 septembre 2000 et celle de Camvrac du 25 septembre 2000. À cette dernière date, Camvrac s'est d'abord engagée par la convention d'épargne à terme « à effectuer, en date des présentes, un dépôt de 200 000 $ », puis ultérieurement, par la convention de mise en garantie d'épargne, à « maintenir » en dépôt la somme de 200 000 $. Ces engagements illustrent le caractère distinct des créances respectives de la Caisse et de Camvrac. Pour que Camvrac ait pu, dans la convention de mise en garantie d'épargne, s'engager à « maintenir » le montant en dépôt, il faut que, ne serait-ce que l'instant du dépôt, son droit de créance résultant de la convention d'épargne à terme ait acquis une autonomie. Comme le dépôt a été fait avant que le droit de compensation ne soit conféré, la fiducie réputée pouvait avoir pris effet sur le droit de créance de Camvrac jusqu'à concurrence des sommes dues à l'intimée au 25 septembre 2000. Il ne s'agit pas d'un cas où les dettes respectives ont une même source et où la créance naît sujette au droit de compensation. Tout comme l'intimée voit ses droits subordonnés au droit de compensation pour les retenues postérieures à la conclusion de la convention, le droit de la Caisse doit céder devant le droit antérieur de l'intimée. Ainsi que je l'ai indiqué au début des présents motifs, la preuve au dossier ne permet pas de déterminer avec précision le montant des remises non effectuées et, pour cette raison, à défaut d'entente entre les parties, l'affaire doit être renvoyée au tribunal de première instance pour détermination de ce montant.
8. La question des intérêts
[157] Pour ce qui est des intérêts, la Cour d'appel a eu raison d'approuver l'application de Markevich, et il n'y a pas lieu d'intervenir.
9. Conclusion
[158] Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel, de casser le jugement de la Cour d'appel et d'autoriser compensation pour l'excédent des sommes retenues au 25 septembre 2000 et, à défaut d'entente entre les parties, de renvoyer l'affaire au tribunal de première instance pour détermination du montant devant être payé par la Caisse à l'intimée, le tout avec dépens dans toutes les cours.
ANNEXE
A. Les dispositions contractuelles
a) Contrat de crédit variable
1. OUVERTURE DE CRÉDIT
La caisse consent à l'emprunteur, qui accepte, une ouverture de crédit de 277 000,00 $. . .
. . .
Il est convenu que la caisse pourra, en tout temps, informer l'emprunteur qu'aucune avance ne pourra lui être consentie à l'avenir en vertu de la présente convention.
. . .
3. INTÉRÊTS
. . .
L'intérêt doit être payé le vingt‑cinquième jour de chaque mois. Il sera débité automatiquement du compte . . .
L'emprunteur s'engage de plus à payer, sur tout paiement échu et non effectué, un intérêt additionnel [. . .] les arrérages d'intérêt étant considérés comme du capital.
. . .
5. DEMANDE DE REMBOURSEMENT
La caisse se réserve le privilège d'exiger, en tout temps, le remboursement immédiat de tout solde dû en capital, intérêts, frais et accessoires. La caisse aura alors la faculté de ne plus donner suite au contrat, sous réserve de tous ses autres droits et recours.
. . .
7. DÉFAUT
Si l'emprunteur tire un chèque qui porte le solde de l'ouverture de crédit à un montant supérieur à celui qu'autorise le présent contrat, s'il fait faillite, s'il cède ses biens ou devient insolvable ou encore s'il n'observe pas l'une ou l'autre des conditions et obligations convenues aux présentes, tout solde alors dû en capital, intérêts, frais et accessoires deviendra immédiatement exigible.
b) Convention d'épargne à terme
Date d'échéance : 16 octobre 2005
. . .
CONDITIONS RELATIVES AU CAPITAL
2. Le membre consent à effectuer, en date des présentes, un dépôt de 200 000 $, appelé « montant initial du dépôt ».
3. À la date d'émission relative au terme applicable (« date d'émission »), le montant initial du dépôt et les intérêts accumulés sur ce montant à cette date seront réinvestis sous la forme d'un dépôt échéant à la date d'échéance relative au terme applicable (« date d'échéance »).
4. Le présent dépôt n'est ni négociable ni transférable. Aucune somme en capital ou intérêt n'est remboursable ni payable avant la date d'échéance.
5. Le présent dépôt ne peut être hypothéqué ou donné en garantie qu'en faveur de la caisse émettrice.
. . .
CONDITIONS RELATIVES AU TRAITEMENT À L'ÉCHÉANCE
11. À l'échéance, à moins d'un avis à l'effet contraire reçu à la caisse au plus tard le septième jour suivant la date d'échéance, le capital et les intérêts seront déposés (dans un compte d'épargne à terme) pour un terme égal à celui du présent dépôt. Le taux d'intérêt sera celui alors en vigueur à la caisse pour un tel dépôt, selon le terme applicable. L'intérêt sera calculé sur une base quotidienne et capitalisé annuellement.
. . .
CECI EST UN DÉPÔT AU SENS DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-DÉPÔTS.
c) Convention de mise en garantie d'épargne
1. DROIT DE RÉTENTION ET DE COMPENSATION
Pour garantir le remboursement, en capital, intérêts, frais et accessoires, de toutes sommes dues ou pouvant être dues à la caisse :
☒ par le déposant
☐ par (Nom de l'emprunteur [si autre que le déposant])
en vertu :
☒ a) d'un contrat d'ouverture de crédit de 277 000,00 $ qui lui a été consenti(e) le 2000‑09‑18;
☐ b) d'un contrat de (Prêt, ouverture de crédit, etc.) de $ qui lui a été consenti(e) le ;
☐ c) des contrats identifiés ci-dessous :
☒ et en vertu de toutes dettes ou obligations présentes ou futures, directes ou indirectes
☒ du déposant
☐ de (Nom de l'emprunteur [si autre que le déposant]) envers la caisse,
(ci-après appelé[s] « le ou les contrats de crédit »)
le déposant s'engage à maintenir et consent à ce que la caisse retienne, dans le ou les comptes ou sur le ou les certificats de dépôt mentionnés ci‑après, la somme de 200 000,00 $ se répartissant comme suit:
Identification du ou des comptes Somme retenue par la caisse
ou certificats de dépôt
(pour les certificats de dépôt,
indiquer la date d'émission,
le montant et le numéro du certificat)
ÉPARGNE À TERME À
GESTION ACTIVE 5 ANS AU
MONTANT DE 200 000,00 200 000,00 $
$
La caisse pourra retenir les sommes indiquées ci‑dessus, ☐ ainsi que les intérêts provenant des certificats de dépôt le cas échéant, tant que la totalité des sommes dues en vertu du ou des contrats de crédit n'auront pas été entièrement remboursées et, dans le cas d'une ouverture de crédit, tant qu'elle n'aura pas été annulée. Dans les cas de défaut prévus ci‑après, il y aura compensation entre le ou les contrats de crédit et le ou les certificats de dépôt ou sommes d'argent indiqués ci-dessus, tel qu'il est prévu à l'article 7.
2. GARDE DES CERTIFICATS
. . .
3. HYPOTHÈQUE
Pour garantir davantage le remboursement des sommes dues ou pouvant être dues en vertu du ou des contrats de crédit, le déposant hypothèque et donne en gage le ou les certificats de dépôt et les sommes d'argent indiqués ci-dessus, pour un montant égal au montant total des sommes retenues. Les parties conviennent également que la clause paraissant au(x) certificat(s) de dépôt à l'effet que le ou les certificats ne sont ni négociables ni transférables est réputée annulée à compter des présentes.
4. RETRAITS ET CHÈQUES
. . .
5. REMBOURSEMENT D'UN CERTIFICAT DE DÉPÔT AVANT ÉCHÉANCE
. . .
6. ÉCHÉANCE ET RENOUVELLEMENT D'UN CERTIFICAT DE DÉPÔT
. . .
7. DÉFAUT
Le déposant sera en défaut dans les cas suivants :
a) si l'une ou l'autre des obligations prévues au(x) contrat(s) de crédit ou aux présentes n'est pas respectée;
b) si le déposant ou l'emprunteur deviennent insolvables ou en faillite ou s'ils font une proposition concordataire et que celle‑ci est rejetée ou annulée;
. . .
En cas de défaut :
a) toutes les sommes dues en vertu des contrats de crédit deviendront immédiatement exigibles;
b) il y aura compensation entre le ou les contrats de crédit et le ou les certificats de dépôt ou sommes d'argent indiqués ci‑dessus, que ceux‑ci soient échus ou non;
. . .
Les conséquences d'un défaut sont au bénéfice exclusif de la caisse et celle‑ci peut y renoncer expressément. Elle peut notamment, sans préjudice de ses droits, attendre l'échéance du ou des certificats de dépôt avant d'exercer les droits prévus aux paragraphes b) et c) ci‑dessus.
8. RÉSERVE DE RECOURS
. . . En outre, le fait que la caisse ne se prévale pas de ses droits en cas de défaut ne doit pas être interprété comme une renonciation à ceux‑ci.
B. Les dispositions législatives
a) Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)
224. . . .
(1.3) Les définitions qui suivent s'appliquent au paragraphe (1.2).
. . .
« garantie » Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.
227. . . .
(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.
(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non‑versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
b) Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23
86. (1) Les cotisations, intérêts, pénalités et autres sommes payables par un employeur en vertu de la présente loi constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre soit devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, soit selon toute autre modalité prévue par la présente loi.
(2) L'employeur qui a retenu une somme sur la rétribution d'un assuré au titre des cotisations ouvrières que l'assuré doit payer, mais n'a pas versé cette somme au receveur général est réputé, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu la concernant, la détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparée de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de l'employeur, et en vue de la verser à Sa Majesté selon les modalités et au moment prévus par la présente loi.
(2.1) Malgré la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et au moment prévus par la présente loi, d'une somme qu'un employeur est réputé par le paragraphe (2) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de l'employeur, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de l'employeur, d'une valeur égale à cette somme sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où la somme est retenue, séparés des propres biens de l'employeur, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de l'employeur à compter du moment où la somme est retenue, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.
(2.2) Pour l'application des paragraphes (2) et (2.1), n'est pas une garantie celle qui est visée par règlement.
c) Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64
1637. Le créancier peut céder à un tiers, tout ou partie d'une créance ou d'un droit d'action qu'il a contre son débiteur.
Cette cession ne peut, cependant, porter atteinte aux droits du débiteur, ni rendre son obligation plus onéreuse.
. . .
1643. Le débiteur peut opposer au cessionnaire tout paiement fait au cédant avant que la cession ne lui ait été rendue opposable, ainsi que toute autre cause d'extinction de l'obligation survenue avant ce moment.
. . .
1671. Outre les autres causes d'extinction prévues ailleurs dans ce code, tels le paiement, l'arrivée d'un terme extinctif, la novation ou la prescription, l'obligation est éteinte par la compensation, par la confusion, par la remise, par l'impossibilité de l'exécuter ou, encore, par la libération du débiteur.
1672. Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l'une de l'autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s'éteignent par compensation jusqu'à concurrence de la moindre.
La compensation ne peut être invoquée contre l'État, mais celui‑ci peut s'en prévaloir.
1673. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.
Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation.
. . .
1680. Le débiteur qui acquiesce purement et simplement à la cession ou à l'hypothèque de créance consentie par son créancier à un tiers, ne peut plus opposer à ce tiers la compensation qu'il eût pu opposer au créancier originaire avant son acquiescement.
La cession ou l'hypothèque à laquelle le débiteur n'a pas acquiescé, mais qui lui est devenue opposable, n'empêche que la compensation des dettes du créancier originaire qui sont postérieures au moment où la cession ou l'hypothèque lui est ainsi devenue opposable.
1681. La compensation n'a pas lieu, et on ne peut non plus y renoncer, au préjudice des droits acquis à un tiers.
d) Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25
637. Si la déclaration affirmative du tiers‑saisi n'est pas contestée et qu'elle ne révèle pas l'existence d'une autre saisie‑arrêt pratiquée entre ses mains, le greffier, sur inscription par l'une ou l'autre des parties, ordonne au tiers‑saisi de payer au saisissant les sommes qu'il doit au débiteur‑saisi, jusqu'à concurrence du montant du jugement, en capital, intérêts et frais. Dans cette mesure, l'ordonnance du greffier opère cession de la créance du saisi en faveur du saisissant, et à compter du jour de la saisie. Cette ordonnance doit être signifiée au tiers‑saisi et devient exécutoire 10 jours plus tard.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges LeBel et Deschamps sont dissidents.
Procureurs de l'appelante : Langlois Kronström Desjardins, Lévis.
Procureur de l'intimée : Ministère de la Justice du Canada, Montréal.