COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., [2007] 1 R.C.S. 591, 2007 CSC 14
Date : 20070322
Dossier : 31103
Entre :
Ville de Lévis
Appelante
et
Fraternité des policiers de Lévis Inc. et Danny Belleau
Intimés
‑ et ‑
Association des policières et policiers provinciaux du Québec
Intervenante
Traduction française officielle : Motifs du juge Bastarache et motifs de la juge Abella
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 81)
Motifs conjoints concordants :
(par. 82 à 105)
Motifs concordants :
(par. 106 à 117)
Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie et Charron)
Les juges Deschamps et Fish
La juge Abella
______________________________
Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., [2007] 1 R.C.S. 591, 2007 CSC 14
Ville de Lévis Appelante
c.
Fraternité des policiers de Lévis Inc. et Danny Belleau Intimés
et
Association des policières et policiers provinciaux du Québec Intervenante
Répertorié : Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc.
Référence neutre : 2007 CSC 14.
No du greffe : 31103.
2006 : 7 novembre; 2007 : 22 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Pelletier, Morin et Bich), [2005] J.Q. no 8450 (QL), J.E. 2005‑1271, 2005 QCCA 639, qui a infirmé une décision du juge Lemelin, [2003] J.Q. no 13008 (QL). Pourvoi accueilli.
Richard Ramsay, Sarto Veilleux et François LeBel, pour l’appelante.
Serge Gagné et Maude Gagné, pour les intimés.
Gino Castiglio et André Fiset, pour l’intervenante.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie et Charron rendu par
1 Le juge Bastarache — Le présent pourvoi porte sur les conséquences qu’entraîne la conduite criminelle des policiers municipaux au Québec et sur les sanctions applicables en pareil cas, celles prévues par les textes législatifs régissant la police ou celles prévues par le droit municipal. Plus particulièrement, notre Cour est appelée à décider si l’art. 119, al. 2 de la Loi sur la police, L.R.Q., ch. P‑13.1 (« L.P. »), et le par. 116(6) de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19 (« L.C.V. »), peuvent s’appliquer concurremment à un policier municipal et, si tel n’est pas le cas, nous devons déterminer celle de ces dispositions qui prévaut. Notre Cour doit également déterminer si l’arbitre a commis une erreur donnant ouverture à la révision dans son interprétation et son application de l’exception limitée prévue à l’art. 119, al. 2 L.P. Cette disposition prévoit la destitution de tout policier reconnu coupable d’une infraction criminelle grave, à moins que ce dernier ne démontre que des circonstances particulières justifient une autre sanction. Par ailleurs, selon le par. 116(6) L.C.V., toute personne déclarée coupable d’une infraction semblable est inhabile à une charge d’employé de la municipalité, sans exception.
2 La municipalité appelante a destitué l’intimé, Danny Belleau (« M. Belleau »), après que celui‑ci eut reconnu sa culpabilité à plusieurs infractions criminelles, toutes visées au par. 116(6) L.C.V. et à l’art. 119, al. 2 L.P. L’arbitre de griefs a statué que le par. 116(6) L.C.V. ne s’appliquait pas aux policiers municipaux du fait de l’art. 119, al. 2 L.P. En outre, il a conclu que des circonstances particulières justifiaient une autre sanction au titre de l’art. 119, al. 2 L.P. et, par conséquent, il a annulé la destitution et a ordonné la réintégration de M. Belleau. Il ne fait aucun doute qu’en cas d’application du par. 116(6) L.C.V. seulement, M. Belleau n’aurait pu contester avec succès sa destitution.
3 La sentence arbitrale a été annulée par la Cour supérieure ([2003] J.Q. no 13008 (QL)), mais rétablie par la Cour d’appel ([2005] J.Q. no 8450 (QL), 2005 QCCA 639). Devant notre Cour, l’appelante fait valoir que le par. 116(6) L.C.V. continue de s’appliquer à M. Belleau malgré l’adoption de l’art. 119, al. 2 L.P., et que, selon l’application correcte de ces dispositions, sa décision de destituer M. Belleau doit être maintenue.
1. Contexte
4 Avant sa destitution, M. Belleau était membre du corps policier de la municipalité appelante depuis 15 ans. Les actes criminels qui ont entraîné sa destitution ont été commis les 29 et 30 décembre 2000. Il semble que le soir du 29 décembre, M. Belleau, qui était alors en congé, ait eu une violente dispute avec sa conjointe, Johanne Robitaille. Il avait consommé beaucoup d’alcool et a plus tard reconnu qu’il était en état d’ébriété. La dispute s’est envenimée et M. Belleau est devenu violent. À leur arrivée, les policiers ont trouvé Mme Robitaille errant dehors sans manteau, avec son chien dans ses bras. Ils ont arrêté M. Belleau et ont fouillé la maison. Au sous‑sol, ils ont trouvé trois armes à feu qui n’étaient pas entreposées de manière sécuritaire. Le lendemain matin, M. Belleau a été remis en liberté à la condition qu’il n’entre pas en communication de quelque façon avec Mme Robitaille. Moins de deux heures après sa remise en liberté, il a violé cette condition en se présentant au domicile des parents de Mme Robitaille, où cette dernière se trouvait. M. Belleau a été arrêté de nouveau. Le 2 février 2001, il a reconnu sa culpabilité relativement à des accusations de menace de causer la mort ou des lésions corporelles, de voies de fait, trois chefs d’accusation pour entreposage d’une arme à feu de manière négligente ou sans prendre suffisamment de précaution, et d’omission de se conformer à une condition d’un engagement. Il importe de noter dans le cadre du présent pourvoi que toutes les infractions étaient des infractions mixtes punissables, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire, d’un emprisonnement de plus d’un an.
5 M. Belleau a été destitué de ses fonctions à la suite d’une enquête disciplinaire menée par le directeur de la Sécurité publique de l’appelante, Gilles Drolet (« le directeur »). Dans son rapport, le directeur a conclu que M. Belleau n’avait pas fait la preuve de circonstances particulières justifiant une autre sanction au titre de l’art. 119, al. 2 L.P. Même si dans son rapport il a fait mention du par. 116(6) L.C.V., le directeur n’en a pas parlé dans son analyse ni dans le formulaire résumant sa recommandation finale. Le conseil de la municipalité appelante a accepté la recommandation et a adopté la résolution prononçant la destitution de M. Belleau le 18 juin 2001. Les intimés ont contesté cette décision par voie de grief déposé le 28 juin 2001.
6 J’estime utile d’énoncer les dispositions législatives pertinentes avant d’examiner les décisions des tribunaux d’instance inférieure relatives au grief des intimés.
2. Dispositions législatives pertinentes
7 Loi sur la police, L.R.Q., ch. P‑13.1
115. Les conditions minimales pour être embauché comme policier sont les suivantes :
1— être citoyen canadien;
2— être de bonnes mœurs;
3— ne pas avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit, d’un acte ou d’une omission que le Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C--‑46) décrit comme une infraction, ni d’une des infractions visées à l’article 183 de ce Code, créées par l’une des lois qui y sont énumérées;
4— être diplômé de l’École nationale de police du Québec ou satisfaire aux normes d’équivalence établies par règlement de l’École.
. . .
Les conditions d’embauche ne s’appliquent pas dans le cas d’une intégration, d’une fusion ou de toute autre forme de regroupement de services policiers aux membres de ces services.
. . .
119. Est automatiquement destitué tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un acte ou d’une omission visé au paragraphe 3— de l’article 115, poursuivable uniquement par voie de mise en accusation.
Doit faire l’objet d’une sanction disciplinaire de destitution tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un tel acte ou d’une telle omission, poursuivable soit sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, soit par voie de mise en accusation, à moins qu’il ne démontre que des circonstances particulières justifient une autre sanction.
Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19
116. Les personnes suivantes ne peuvent être nommées à une charge de fonctionnaire ou d’employé de la municipalité, ni l’occuper :
. . .
6— Toute personne déclarée coupable de trahison ou d’un acte punissable en vertu d’une loi du Parlement du Canada ou de la Législature du Québec, d’un an d’emprisonnement ou plus.
Cette inhabilité subsiste durant cinq années après le terme d’emprisonnement fixé par la sentence, et, s’il y a condamnation à une amende seulement ou si la sentence est suspendue, durant cinq années de la date de cette condamnation, à moins que la personne ait obtenu un pardon;
. . .
L’inhabilité à une charge de fonctionnaire ou d’employé prévue au paragraphe 6— ou 7— du premier alinéa n’existe que si l’infraction a un lien avec cette charge.
Code du travail, L.R.Q., ch. C‑27
100.12. Dans l’exercice de ses fonctions l’arbitre peut :
a) interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief;
. . .
f) en matière disciplinaire, confirmer, modifier ou annuler la décision de l’employeur et, le cas échéant, y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Toutefois, lorsque la convention collective prévoit une sanction déterminée pour la faute reprochée au salarié dans le cas soumis à l’arbitrage, l’arbitre ne peut que confirmer ou annuler la décision de l’employeur ou, le cas échéant, la modifier pour la rendre conforme à la sanction prévue à la convention collective;
. . .
101. La sentence arbitrale est sans appel, lie les parties et, le cas échéant, tout salarié concerné. L’article 129 s’applique à la sentence arbitrale, compte tenu des adaptations nécessaires; l’autorisation de la Commission prévue à cet article n’est toutefois pas requise.
3. Historique des procédures judiciaires et arbitrales
3.1 Sentence arbitrale (2 octobre 2002)
8 L’arbitre a annulé la décision de la municipalité et a ordonné la réintégration de M. Belleau sans indemnisation, ce qui équivalait finalement à une suspension de 16 mois sans traitement. Il a conclu que l’art. 119, al. 2 L.P. avait rendu inapplicable le par. 116(6) L.C.V. à un policier municipal accusé d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire au motif que les dispositions législatives spéciales l’emportent sur les dispositions législatives générales. Il a conclu qu’en vertu de l’art. 119, al. 2 L.P., il disposait des mêmes pouvoirs en matière disciplinaire qu’aux termes de l’al. 100.12f) du Code du travail du Québec, L.R.Q., ch. C‑27 (« C.T. »). À son avis, l’art. 119, al. 2 L.P. lui conférait le pouvoir de tenir compte des circonstances entourant la perpétration des infractions criminelles ainsi que de la situation personnelle du policier.
9 Quant aux infractions relatives à l’entreposage d’armes à feu de manière négligente, l’arbitre était d’avis que ces infractions revêtaient un caractère « technique ». Il a tenu compte du fait que M. Belleau venait tout juste d’emménager dans la maison et qu’il y faisait des rénovations importantes. Il a conclu qu’il n’y avait pas dans la maison d’endroit où les armes à feu auraient pu être entreposées de manière sécuritaire.
10 Pour ce qui est des voies de fait commises par M. Belleau contre sa conjointe et de la violation de son engagement de ne pas entrer en communication avec elle, l’arbitre a estimé qu’il s’agissait d’infractions graves, mais que M. Belleau avait démontré que des circonstances particulières justifiaient une sanction autre que la destitution. L’arbitre a accepté la preuve médicale présentée par M. Belleau, à savoir qu’il était dans un état psychologique morbide les 29 et 30 décembre en raison de ses problèmes familiaux. L’arbitre a également pris en compte l’état d’ébriété dans lequel se trouvait M. Belleau le 29 décembre, ce qui, combiné à son état psychologique, démontrait qu’il « n’avait pas toute sa tête ». En outre, l’arbitre a tenu compte d’un certain nombre de facteurs atténuants : M. Belleau avait de longs états de service à la municipalité, il n’avait pas d’antécédents en matière de discipline, ses ex‑conjointes ont témoigné qu’il n’était pas un homme violent de nature, il n’était pas en devoir au moment de la perpétration des infractions, sa victime n’avait pas été blessée et il n’y avait pas de preuve de violence physique.
11 Enfin, l’arbitre a rejeté les objections à la réintégration de M. Belleau. Il a conclu que ce dernier s’était remis de ses problèmes familiaux, qu’il avait traité son alcoolisme et qu’il représentait un faible risque de récidive. Quant à la perception du public, l’arbitre a jugé que le public avait été mal informé par les médias des circonstances se rapportant au cas de M. Belleau. Il a estimé que les supérieurs et les collègues de M. Belleau reprendraient confiance en lui après avoir été informés de ces circonstances.
3.2 Cour supérieure du Québec, [2003] J.Q. no 13008 (QL)
12 De l’avis du juge Lemelin, le litige portait essentiellement sur l’interprétation de la convention collective eu égard aux questions de discipline et, de ce fait, relevait de la compétence spécialisée exclusive de l’arbitre de griefs. Il a conclu qu’il ne convenait pas de modifier la décision de l’arbitre à moins qu’elle ne soit manifestement déraisonnable.
13 Le juge Lemelin a néanmoins conclu que la décision de l’arbitre comportait deux erreurs manifestement déraisonnables. Premièrement, il a jugé que l’arbitre avait commis une erreur donnant ouverture à la révision lorsqu’il a décidé que le par. 116(6) L.C.V. était inapplicable à M. Belleau. Selon le juge Lemelin, rien n’indiquait que le législateur avait voulu exclure l’application du par. 116(6) L.C.V. à l’égard des policiers municipaux. En l’absence d’une indication précise de l’intention contraire du législateur, le par. 116(6) s’appliquait à M. Belleau en sa qualité d’employé municipal et commandait son congédiement.
14 Le juge Lemelin a également conclu que la décision de l’arbitre relativement à l’application de l’art. 119, al. 2 L.P. était elle aussi manifestement déraisonnable. La preuve d’expert présentée par M. Belleau relativement à son alcoolisme n’était pas convaincante et, de l’avis du juge Lemelin, elle n’aurait pas dû être acceptée. En raison du caractère déterminant de la conclusion de l’arbitre sur ce point, cette conclusion avait rendu l’ensemble de sa décision manifestement déraisonnable.
3.3 Cour d’appel du Québec, [2005] J.Q. no 8450 (QL), 2005 QCCA 639
15 La Cour d’appel a jugé que la décision de l’arbitre soulevait des questions distinctes et que, partant, deux normes de contrôle judiciaire devaient s’appliquer. S’exprimant au nom de la cour, la juge Bich a accepté la décision du juge Lemelin selon laquelle la norme de la décision manifestement déraisonnable devait servir au contrôle de la décision de l’arbitre eu égard à l’art. 119, al. 2 L.P. Toutefois, elle a estimé que la compatibilité de l’art. 119, al. 2 L.P. et du par. 116(6) L.C.V. devait être traitée comme une question distincte aux fins de l’analyse pragmatique et fonctionnelle et a conclu qu’il convenait d’adopter à cet égard la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.
16 Relativement à la question de la compatibilité des dispositions, la juge Bich a déclaré que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur. Selon elle, bien que le par. 116(6) L.C.V. et l’art. 119, al. 2 L.P. puissent coexister, dans certaines situations, ces deux dispositions sont nécessairement en conflit. Appliquant la présomption que le législateur voulait, en cas de conflit, que la nouvelle loi l’emporte sur l’ancienne et que la loi spéciale écarte la loi plus générale, la juge Bich a conclu que l’art. 119, al. 2 L.P. devait prévaloir.
17 Quant à l’application de l’art. 119, al. 2 L.P. à la conduite de M. Belleau, la juge Bich a statué que l’arbitre n’avait pas commis une erreur manifestement déraisonnable ni même déraisonnable. L’arbitre pouvait, dans son évaluation des circonstances particulières, tenir compte du caractère technique des infractions relatives aux armes à feu et de la tragédie familiale qui frappait M. Belleau. En outre, contrairement au juge Lemelin, la juge Bich a estimé que la conclusion de l’arbitre concernant l’alcoolisme de M. Belleau était manifestement déraisonnable. Même dans ce cas, cette conclusion ne constituait pas un élément charnière de la décision de l’arbitre. Pour ces motifs, la Cour d’appel a rétabli la sentence arbitrale.
4. Questions en litige
18 Le présent pourvoi soulève trois questions principales. Quelles normes convient‑il d’appliquer au contrôle de la décision de l’arbitre? L’arbitre a‑t‑il eu tort de conclure que le par. 116(6) L.C.V. ne s’appliquait pas à M. Belleau? L’arbitre a‑t‑il eu tort de conclure que M. Belleau avait démontré que des circonstances particulières justifiaient une sanction autre que la destitution, suivant l’art. 119, al. 2 L.P.?
5. Analyse
5.1 Normes de contrôle
5.1.1 Normes de contrôle multiples
19 Il est évident que l’analyse pragmatique et fonctionnelle peut entraîner l’application de normes de contrôle différentes à des conclusions distinctes tirées par l’arbitre dans sa décision : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63, par. 14; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727, 2004 CSC 28, par. 15. Il en sera ainsi le plus souvent lorsqu’un arbitre est appelé à interpréter des dispositions législatives. L’interprétation par l’arbitre d’une disposition législative — une question de droit — peut être assujettie à une norme de contrôle différente de celle applicable au reste de la décision : voir par exemple Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 (« SRC »), par. 49; Newfoundland Association of Public Employees c. Terre‑Neuve (Green Bay Health Care Centre), [1996] 2 R.C.S. 3, par. 14. Si la norme de la décision correcte sera généralement la norme de contrôle applicable à l’interprétation d’une loi générale d’intérêt public ou d’une loi autre que la loi constitutive d’un tribunal administratif, il n’en est pas toujours ainsi : SRC, par. 48. Dans chaque cas, la réponse dépendra de l’analyse pragmatique et fonctionnelle suivant laquelle il est nécessaire de tenir compte de plusieurs facteurs, dont la présence ou l’absence d’une clause privative, l’expertise du décideur, l’objet de la loi applicable et la nature de la question faisant l’objet du contrôle (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 29 à 38). La question de la présence ou de l’absence d’une clause privative sera vraisemblablement la même relativement à tous les aspects d’une décision administrative; ainsi, pour décider si plus d’une norme de contrôle s’applique dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, il faut déterminer s’il existe des questions de nature différente et si ces questions font intervenir de différentes manières les connaissances spécialisées du décideur et l’objet de la loi. Bien entendu, il pourrait ne pas toujours être facile ou nécessaire d’isoler les questions particulières à analyser séparément de la décision dans son ensemble. La possibilité d’appliquer plus d’une norme de contrôle ne donne pas l’autorisation de décortiquer une décision administrative en d’innombrables parties dans le but de la scruter à la loupe. Toutefois, les tribunaux saisis du contrôle judiciaire doivent veiller à ne pas subsumer les questions distinctes sous une norme générale de contrôle. Il convient d’adopter des normes de contrôle multiples lorsque des questions clairement définies font intervenir des intérêts différents dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle.
20 La question de savoir s’il existe un conflit entre l’art. 119, al. 2 L.P. et le par. 116(6) L.C.V. et, le cas échéant, quelle disposition a préséance soulève manifestement des préoccupations autres que la question de savoir si l’arbitre a bien interprété et appliqué l’art. 119, al. 2 L.P. Dans les deux cas, on note la présence d’une clause privative. Selon l’art. 101 C.T., la sentence arbitrale est sans appel. Combiné aux art. 139, 139.1 et 140 C.T., l’art. 101 constitue une clause privative relativement rigoureuse. Toutefois, l’existence d’une clause privative n’est pas déterminante et, il convient de tenir compte des autres facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle : ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), [2006] 1 R.C.S. 140, 2006 CSC 4, par. 25. En l’espèce, la présence d’une clause privative semble commander en général un degré plus élevé de retenue mais n’indique pas si la norme à appliquer doit être différente pour chaque question.
5.1.2 Compatibilité de l’art. 119, al. 2 L.P. et du par. 116(6) L.C.V.
21 Quant à la question de la compatibilité, la nature de la question et l’expertise relative de l’arbitre donnent à penser qu’un contrôle plus rigoureux est nécessaire. Contrairement aux autres conclusions tirées par l’arbitre, la question de la compatibilité de l’art. 119, al. 2 L.P. et du par. 116(6) L.C.V. est une pure question de droit. Ainsi, elle ne fait pas intervenir l’expertise relative de l’arbitre par rapport à celle des tribunaux judiciaires et commande une moins grande retenue de ces derniers (Pushpanathan, par. 37; Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 152, 2004 CSC 54, par. 8). Les tribunaux d’instance inférieure ont insisté sur le fait que l’art. 119, al. 2 L.P. et le par. 116(6) L.C.V. portaient tous les deux sur les mesures disciplinaires applicables aux policiers, une question qui relevait manifestement en l’espèce de la compétence de l’arbitre du fait de la convention collective et du Code du travail. Certes, une certaine retenue peut être indiquée lorsque le tribunal administratif interprète une loi non constitutive qui se rapporte à son mandat : SRC, par. 48. Toutefois, la question de la compatibilité de ces deux lois ne porte pas sur les sanctions disciplinaires applicables. Elle ne fait pas intervenir les connaissances spécialisées de l’arbitre en matière de droit du travail. En outre, la question de savoir si l’art. 119, al. 2 L.P. prévaut sur le par. 116(6) L.C.V. est une question d’importance générale qui a valeur de précédent, une considération qui signale une retenue moindre (Lethbridge, par. 19; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 34).
22 Quant à l’objet de la loi, le but de l’arbitrage des griefs est « d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends concernant l’interprétation ou l’application d’une convention collective, ainsi que les mesures disciplinaires prises par les employeurs » (Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42, par. 17). À cette fin, l’art. 100.12 C.T. confère aux arbitres de vastes pouvoirs en matière disciplinaire. Plus particulièrement, l’al. 100.12a) C.T. accorde aux arbitres le pouvoir d’interpréter et d’appliquer toute loi ou tout règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour trancher un grief. Même si le Code du travail prévoit manifestement que les arbitres seront appelés à interpréter et à appliquer la loi afin d’assurer le règlement rapide, définitif et exécutoire de griefs, il ne s’ensuit pas que la question de la conciliation de dispositions législatives en conflit devait relever de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs ni que cette fonction est un aspect fondamental de l’objet de l’arbitrage des griefs. Ce qui donne à penser que l’évaluation de l’application concurrente des deux dispositions devrait commander une norme de retenue moins élevée.
23 Somme toute, les facteurs à prendre en considération dans l’analyse pragmatique et fonctionnelle semblent indiquer que la question de la compatibilité doit être assujettie à la norme de contrôle la plus rigoureuse, soit la norme de la décision correcte.
5.1.3 Interprétation et application de l’art. 119, al. 2 L.P.
24 La question de savoir si l’arbitre a correctement interprété l’art. 119, al. 2 L.P. et l’a correctement appliqué à la conduite de M. Belleau soulève des problèmes autres que la compatibilité. Il ne s’agit pas d’une pure question de droit, mais plutôt d’une question mixte de droit et de fait. L’arbitre devait décider si la portée de l’art. 119, al. 2 L.P. s’étendait aux circonstances particulières soulevées par M. Belleau et si la preuve de ces circonstances avait été faite. Il devait aussi décider de la sanction à appliquer une fois qu’avait été faite la preuve des circonstances particulières. Cette analyse relève davantage des fonctions normalement exercées par un arbitre de griefs aux termes de l’al. 100.12f) C.T. De plus, cette décision doit être prise en tenant compte d’intérêts opposés : les intérêts du policier menacé de destitution, les intérêts de la municipalité, en sa qualité d’employeur et d’organisme public responsable de la sécurité du public, ainsi que les intérêts de l’ensemble de la collectivité, à qui les policiers doivent inspirer respect et confiance. Ainsi, la décision de l’arbitre comporte certains éléments de la prise de décisions polycentriques, ce qui semblerait inviter à un degré plus élevé de retenue : Pushpanathan, par. 36.
25 Toutefois, les facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne militent pas tous en faveur du degré le plus élevé de retenue. Premièrement, la question comporte toujours un élément de droit important. L’arbitre devait décider ce qui constitue des circonstances particulières justifiant une autre sanction aux termes de l’art. 119, al. 2 L.P. C’est une question importante qui a, dans une certaine mesure, valeur de précédent : Lethbridge, par. 19.
26 Deuxièmement, aux termes de l’art. 119, al. 2 L.P., l’arbitre n’est pas investi du même pouvoir discrétionnaire qu’aux termes de l’art. 100.12 C.T. L’article 119 L.P. est impératif et, lorsqu’il s’applique, entraîne la destitution du policier, exception faite du cas limité prévu au deuxième alinéa. Ainsi, aux termes de l’art. 119, al. 2 L.P., l’arbitre dispose en matière disciplinaire d’un pouvoir discrétionnaire beaucoup plus restreint que le pouvoir que lui confèrent les al. 100.12a) et f) C.T. Le fait pour l’arbitre d’interpréter et d’appliquer l’art. 119, al. 2 L.P. s’inscrit certes dans l’objet plus général de l’arbitrage des griefs, mais il s’agit d’un exercice beaucoup plus limité de ce pouvoir décisionnel, ce qui porte à croire que l’intention législative de confier le règlement des questions disciplinaires aux arbitres n’est pas aussi ferme dans le cas d’activités criminelles faisant intervenir l’art. 119 L.P.
27 Troisièmement, la Loi sur la police n’est pas une loi constitutive. Elle ne fait pas partie de la convention collective ni du Code du travail. En outre, la compétence de la Cour du Québec est limitée eu égard à l’application de l’art. 119, al. 2 L.P. aux directeurs, gestionnaires ou autres policiers qui ne sont pas des employés au sens du Code du travail (art. 87 à 89 L.P.). L’expertise relative de l’arbitre en ce qui a trait à l’art. 119 ne commande pas le degré le plus élevé de retenue.
28 Ainsi, lorsqu’ils sont pris en compte, ces facteurs invitent à l’application d’une norme de contrôle ne comportant pas la plus grande retenue. En raison de sa nature même, la norme de la décision manifestement déraisonnable est rarement appliquée : Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, 2004 CSC 23, par. 18. Les considérations opposées en l’espèce militent en faveur du contrôle de l’interprétation et de l’application de l’art. 119, al. 2 L.P. suivant la norme de la décision raisonnable.
5.2 Compatibilité de l’art. 119, al. 2 L.P. et du par. 116(6) L.C.V.
29 Avant d’examiner si la décision de l’arbitre concernant l’incompatibilité de l’art. 119, al. 2 L.P. et du par. 116(6) L.C.V. était correcte, j’estime utile de passer brièvement en revue le cadre législatif applicable aux policiers municipaux.
5.2.1 Contexte législatif
30 Les policiers municipaux, comme tous les policiers, sont assujettis à la Loi sur la police. En 2000, la Loi sur la police a remplacé l’ancienne Loi de police, L.R.Q., ch. P‑13, et la Loi sur l’organisation policière, L.R.Q., ch. O‑8.1. La nouvelle loi est exhaustive, comportant des dispositions sur la formation des policiers (art. 1 à 47), la composition des corps de police, leur organisation et la réglementation de leurs activités (art. 48 à 111), les conditions minimales d’exercice de la profession (art. 115 et 116) ainsi que les restrictions imposées aux policiers en ce qui a trait à leurs activités et à leurs intérêts (art. 117 à 125). C’est dans le contexte de ces dispositions que l’art. 119 prévoit la destitution des policiers reconnus coupables d’actes criminels ou d’infractions mixtes (c’est‑à‑dire des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire). La nouvelle Loi sur la police incorpore également les dispositions de la Loi sur l’organisation policière se rapportant à l’éthique professionnelle. Elle proroge le Code de déontologie des policiers du Québec, (1990) 122 G.O. II, 2531 (« Code de déontologie ») (art. 127) et maintient la fonction de commissaire à la déontologie policière (art. 128 à 193) et le Comité de déontologie policière, qui est chargé d’imposer des sanctions aux policiers qui ont adopté une conduite dérogatoire au Code de déontologie (art. 194 à 255.11).
31 La Loi (art. 69 à 89) réglemente largement les activités des corps de police municipaux. Plus particulièrement, chaque municipalité doit prendre un règlement relatif à la discipline interne des membres de son corps de police (art. 256). Le règlement impose aux policiers des devoirs et des normes de conduite, établit une procédure disciplinaire et prévoit les sanctions à imposer en cas de manquement au règlement (art. 258).
32 Ainsi, trois sources distinctes émanant de la Loi sur la police régissent la conduite des policiers municipaux. La première est le règlement interne relatif à la discipline qui, pour la municipalité appelante, s’intitule le Règlement numéro 756 relatif à l’éthique professionnelle et à la discipline interne des policiers‑pompiers de la Ville de Lévis (« Règlement no 756 »). Suivant l’art. 13.10, il est interdit aux policiers de la municipalité de « contrevenir à toute loi ou à tout règlement que la Sécurité publique de Lévis est chargée de faire respecter » (art. 13.10) ou de « contrevenir à toute loi ou à tout règlement édicté par une autorité légalement constituée d’une manière susceptible de compromettre l’efficacité, la crédibilité ou la qualité du Service » (art. 13.11). Un certain nombre de sanctions, dont la destitution, peuvent être imposées pour tout manquement à l’une des dispositions du Règlement no 756 (art. 22).
33 La deuxième source, le Code de déontologie, « détermine les devoirs et normes de conduite des policiers dans leurs rapports avec le public dans l’exercice de leurs fonctions » (art. 1). Les policiers doivent notamment « se comporter de manière à préserver la confiance et la considération que requiert [leur] fonction » (art. 5). Toute conduite dérogatoire au Code peut entraîner la destitution (par. 234(6) L.P.).
34 Enfin, la conduite des policiers est dans une certaine mesure régie par la Loi sur la police elle‑même. L’article 117 interdit aux policiers de se livrer à certaines activités ou d’avoir des intérêts financiers reliés à ces activités. Comme nous l’avons vu, l’art. 119 porte sur la conduite criminelle des policiers.
35 Il importe de signaler que l’art. 119 a été ajouté récemment au cadre législatif régissant la police, une indication de l’importance accordée par le législateur à la nécessité d’imposer des conséquences sévères à la conduite criminelle des policiers. Cette préoccupation du législateur ressort de l’ensemble des dispositions de la Loi qui, comme l’art. 119, ne faisaient pas partie de l’ancienne loi. Aux termes du par. 3(3) de l’ancienne Loi de police, seules les personnes reconnues coupables d’une infraction criminelle punissable par voie de mise en accusation ne pouvaient devenir policiers. Or, le par. 115(3) L.P. précise comme condition d’embauche l’absence de déclaration de culpabilité antérieure, quelle qu’elle soit. Suivant d’autres nouvelles dispositions, toute enquête portant sur un policier qui fait l’objet d’une allégation relative à une infraction criminelle doit être menée avec objectivité et minutie : art. 70, al. 5, art. 260, 264, 286 et 289.
36 La destitution en tant que sanction générale prévue à l’art. 119 L.P. constitue un changement majeur par rapport à l’ancienne loi. Auparavant, les policiers pouvaient faire l’objet de mesures disciplinaires et même être destitués — ce qui est encore le cas — pour un acte dérogatoire au Code de déontologie ou au règlement de discipline interne, notamment s’ils commettaient une infraction criminelle, mais ce résultat n’était pas assuré : voir Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal Inc. c. Communauté urbaine de Montréal, [1985] 2 R.C.S. 74, p. 83. Il en était ainsi parce que l’ancienne Loi de police était muette sur la question de la conduite criminelle des policiers en titre. Le paragraphe 3(3) de cette Loi empêchait l’embauche comme policier de toute personne reconnue coupable d’une infraction criminelle punissable par voie de mise en accusation, mais cette restriction ne s’étendait pas aux policiers pendant leur période d’emploi : Péloquin c. Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, [2000] R.J.Q. 2215 (C.A.). Selon la nouvelle Loi et son art. 119, la destitution est la sanction généralement imposée à tout policier reconnu coupable d’une infraction criminelle grave, ce qui a permis d’harmoniser, quoique de manière imparfaite, les attentes à l’égard des policiers en titre et celles visant les candidats à l’exercice de la profession.
37 Sur le plan pratique, l’art. 119 L.P. a comme principal effet de retirer aux directeurs des services de police, au commissaire à la déontologie policière et au Comité de déontologie policière une partie importante de leur pouvoir discrétionnaire antérieur de décider de la sanction disciplinaire, le cas échéant, qui doit être imposée à un policier reconnu coupable d’un acte criminel ou d’une infraction mixte. Le directeur d’un service de police qui apprend qu’un membre de son corps de police a commis une infraction visée à l’art. 119, al. 2 L.P. est tenu de le destituer. Cette sanction est imposée dans tous les cas, à moins que le policier ne puisse démontrer que des circonstances particulières justifient une autre sanction.
38 Il va sans dire que le règlement de discipline et le Code de déontologie continuent de s’appliquer aux policiers et peuvent entraîner l’imposition de sanctions autres que celles prévues à l’art. 119 L.P. La destitution peut, dans certaines circonstances, constituer la sanction imposée en cas de perpétration d’infractions criminelles qui ne sont pas visées à l’art. 119 L.P. : voir par exemple Lévis (Ville de) c. Syndicat des policiers et pompiers de Lévis, D.T.E. 89T‑344 (T.A.). Toutefois, si l’infraction est prévue à l’art. 119, l’art. 258 L.P. précise qu’en général, la destitution demeure obligatoire, malgré toute autre sanction disciplinaire imposée en vertu d’un règlement municipal relatif à la discipline.
39 De même, un arbitre de griefs ne peut plus invoquer le pouvoir discrétionnaire absolu que prévoit l’al. 100.12f) C.T. afin de réviser le caractère raisonnable de la décision de la municipalité et d’y substituer la décision qui lui paraît juste compte tenu des circonstances de l’affaire. En l’absence de circonstances particulières, dont la preuve doit être faite par le policier, l’arbitre peut uniquement imposer la destitution en application de l’art. 119, al. 2 L.P.
40 Ayant énoncé le cadre législatif régissant la conduite des policiers, je dois maintenant examiner la portée du droit municipal. Les policiers municipaux, contrairement à d’autres policiers, sont également assujettis aux lois municipales comme tout employé de la municipalité. Plus particulièrement, l’art. 116 L.C.V., qui s’applique à la municipalité appelante, énonce les conditions de nomination « à une charge de fonctionnaire ou d’employé de la municipalité » et d’exercice d’une telle charge. Une disposition quasi identique s’applique aux policiers municipaux à l’emploi des municipalités régies par le Code municipal du Québec, L.R.Q., ch. C‑27.1, art. 269. Aux termes du par. 116(6) L.C.V., aucune personne déclarée coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement d’un an ou plus ne peut être nommée à une charge ni l’occuper. Ainsi, lorsque l’infraction est commise, ce paragraphe rend l’auteur de l’infraction inhabile à occuper un emploi municipal. La période d’inhabilité subsiste pendant cinq ans après le terme d’emprisonnement ou, si aucune peine n’a été infligée, pendant les cinq années suivant la date de la condamnation.
41 Toutefois, l’art. 116 L.C.V. prévoit une restriction importante à l’inhabilité visée à son par. 6. Selon l’avant‑dernier paragraphe de l’art. 116, l’inhabilité n’existe que si l’infraction a « un lien avec » la charge ou l’emploi. Cette précision a été ajoutée en 1986 afin d’harmoniser les par. 116(6) et (7) L.C.V. avec l’art. 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C‑12, aux termes duquel les employés ne peuvent être congédiés ni autrement pénalisés dans le cadre de leur emploi du seul fait qu’ils ont été déclarés coupables d’une infraction pénale ou criminelle (Loi modifiant diverses dispositions législatives eu égard à la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 1986, ch. 95, art. 46). Suivant l’art. 18.2 de la Charte québécoise, il doit y avoir un lien objectif entre l’infraction et l’emploi pour que le congédiement ne soit pas considéré comme une mesure discriminatoire : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec Inc., [2003] 3 R.C.S. 228, 2003 CSC 68, par. 30.
42 Je le signale parce que l’exigence relative au lien ne semble pas s’appliquer uniformément aux policiers municipaux et aux autres employés municipaux. Une infraction criminelle commise par un policier aura plus vraisemblablement un lien avec son emploi que celle commise par un autre employé de la municipalité. Ainsi par exemple, il a été possible pour un employé municipal de démontrer qu’une agression sexuelle perpétrée pendant les heures de travail n’avait pas de lien avec son emploi et que par conséquent, il ne devrait pas être congédié en application du par. 116(6) L.C.V. (Syndicat des employés municipaux de Beauce (C.S.D.) c. St‑Georges (Ville de), J.E. 2000‑540, SOQUIJ AZ‑00019015 (C.A.)). De même, un tribunal d’arbitrage a conclu qu’un pompier municipal qui avait fraudé la caisse d’économie des employés de la municipalité n’avait pas commis une infraction ayant un lien avec son emploi (Association des pompiers de Laval c. Ville de Laval, [1985] T.A. 446).
43 Il ne serait pas possible d’obtenir les mêmes résultats dans le cas de policiers municipaux aux termes du par. 116(6) L.C.V., parce que la plupart, voire toutes les infractions criminelles commises par un policier municipal auront un lien avec son emploi en raison de la grande confiance que doit inspirer au sein du public la capacité du policier de s’acquitter de ses fonctions. Dans Fraternité des policiers de Deux‑Montagnes/Ste‑Marthe‑sur‑le‑Lac c. Deux‑Montagnes (Ville de), J.E. 2001‑524, SOQUIJ AZ‑50083424, un arrêt rendu avant l’entrée en vigueur de l’art. 119 L.P., la Cour d’appel du Québec a jugé que l’arbitre avait commis une erreur manifestement déraisonnable en ne confirmant pas la décision, rendue en application du par. 116(6) L.C.V., de congédier le policier reconnu coupable de recel d’une automobile. La Cour d’appel a fait remarquer que l’arbitre avait conclu que, même si l’infraction avait été commise alors que le policier n’était pas en devoir, elle était de nature à compromettre l’image d’intégrité et de respect de la loi que l’employeur et le public étaient en droit d’attendre d’un policier (par. 18). Dans ce contexte, la Cour a jugé qu’il avait été satisfait aux conditions énoncées au par. 116(6) L.C.V. et que le policier aurait dû être destitué.
44 Un principe semblable se dégage de l’application, par les tribunaux, de l’art. 18.2 de la Charte québécoise aux policiers congédiés du fait de leur conduite criminelle. Dans Pelland c. St‑Antoine (Ville de), J.E. 94-499, 1994 CarswellQue 1900 (C.Q.), un directeur de police avait été destitué après avoir été reconnu coupable d’avoir fait de fausses déclarations dans le but d’obtenir des prêts bancaires. La cour a conclu qu’il avait été satisfait au lien exigé à l’art. 18.2 : « [v]u la nature de la fonction qu’occupait le requérant, le fait d’être reconnu coupable d’un acte criminel est incompatible avec l’exercice même de cette fonction et cette incompatibilité a nécessairement un lien avec son emploi » (par. 38 (je souligne)).
45 Il ne sera généralement pas possible d’invoquer l’art. 18.2 de la Charte québécoise en cas de congédiement résultant d’une sanction disciplinaire, parce que cette mesure n’aura pas été prise du seul fait de l’infraction criminelle : Maksteel, par. 31. Il en sera souvent ainsi dans le cas de policiers municipaux qui, contrairement aux autres employés municipaux, s’exposent à des sanctions disciplinaires lorsqu’ils violent la loi. Par exemple, l’art. 13.11 du règlement de discipline de la municipalité appelante interdit aux policiers de contrevenir à toute loi d’une manière susceptible de compromettre l’efficacité, la crédibilité ou la qualité du service de sécurité publique. Bref, les policiers municipaux pourront rarement, voire jamais, bénéficier de la protection que l’avant‑dernier paragraphe de l’art. 116 offre aux autres employés de la municipalité s’ils commettent des infractions criminelles.
46 Il ressort de ce bref examen du cadre législatif régissant la conduite criminelle des policiers municipaux que l’effet du par. 116(6) L.C.V. est semblable à celui de l’art. 119, al. 2 L.P. On ne peut toutefois affirmer clairement que les conséquences sévères de la conduite criminelle prévues au par. 116(6) L.C.V. devaient continuer de s’appliquer aux policiers municipaux dont la conduite tombe également sous le coup de l’art. 119, al. 2 L.P. C’est cette question que j’aborde maintenant.
5.2.2 Le paragraphe 116(6) L.C.V. et l’art. 119, al. 2 L.P. sont‑ils incompatibles?
47 Le point de départ de toute analyse d’un conflit de lois est qu’il existe une présomption de cohérence législative, et une interprétation qui donne lieu à un conflit devrait être évitée dans la mesure du possible. Le critère à appliquer pour déterminer si un conflit est inévitable est clairement énoncé par le professeur Côté dans son traité d’interprétation des lois :
Selon la jurisprudence, deux lois ne sont pas en conflit du simple fait qu’elles s’appliquent à la même matière : il faut que l’application de l’une exclue, explicitement ou implicitement, celle de l’autre.
(P.-A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 443)
Ainsi, une loi prévoyant que le passager d’un train qui ne paye pas son passage doit être expulsé n’est pas en conflit avec une autre loi prévoyant uniquement l’imposition d’une amende, parce que l’application d’une loi n’exclut pas l’application de l’autre loi (Toronto Railway Co. c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488). Par contre, il y a conflit inévitable lorsque deux lois sont directement contradictoires ou que leur application concurrente donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou absurde. Par exemple, la loi qui autorise la prorogation du délai de dépôt d’un appel uniquement avant l’expiration du délai est en conflit direct avec une autre loi qui autorise l’acceptation d’une demande de prorogation après l’expiration du délai (Massicotte c. Boutin, [1969] R.C.S. 818).
48 L’arbitre et la Cour d’appel ont tous les deux conclu à l’incompatibilité du par. 116(6) L.C.V. et de l’art. 119, al. 2 L.P. et à l’impossibilité de concilier ces dispositions au moyen d’une interprétation raisonnable. Je partage leur avis. Selon l’art. 119, al. 2 L.P., le policier reconnu coupable d’une infraction mixte doit être destitué, à moins qu’il ne démontre que des circonstances particulières justifient une autre sanction. Selon le par. 116(6) L.C.V., la personne reconnue coupable d’une infraction pénale ou criminelle punissable d’un emprisonnement d’un an ou plus est inhabile à occuper une charge d’employé de la municipalité dans tous les cas où l’infraction a un lien avec cette charge. Il y a clairement chevauchement et incompatibilité d’un élément de ces dispositions législatives. La plupart, voire toutes les infractions mixtes prévues au Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, qui sont visées par l’art. 119, al. 2 L.P., sont punissables d’un emprisonnement d’au moins douze mois. En raison de la gravité de la conduite criminelle des policiers, il sera presque toujours possible d’établir le lien exigé à l’avant‑dernier paragraphe de l’art. 116 L.C.V., notamment dans le cas d’infractions mixtes, qui sont plus graves que les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. L’inhabilité prévue à l’art. 116 L.C.V. entraîne forcément le congédiement du policier municipal, sans toutefois que ce dernier puisse faire la preuve de circonstances particulières, comme il en a la possibilité en vertu de l’art. 119, al. 2 L.P.
49 Quoi qu’il en soit, la conduite de M. Belleau en l’espèce tombe manifestement sous le coup des deux dispositions. Toutes les infractions qu’il a commises sont punissables d’un emprisonnement de plus d’un an. Il ne fait aucun doute non plus que les infractions ont un lien avec sa charge de policier. Par conséquent, M. Belleau se retrouve dans une situation où une loi lui permet de conserver son emploi auprès de la municipalité appelante s’il peut démontrer l’existence de circonstances particulières, tandis que l’autre loi ne le lui permet pas. L’application du par. 116(6) L.C.V. empêcherait nécessairement l’application du régime d’exception prévu à l’art. 119, al. 2 L.P. Il s’agit d’un cas où « une loi dit “oui” et [. . .] l’autre dit “non” » (Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191).
50 L’appelante fait valoir que les deux dispositions sont complémentaires parce que l’art. 119 L.P. prévoit une sanction disciplinaire, tandis que l’art. 116 L.C.V. constitue une mesure purement administrative établissant les conditions d’admissibilité à une charge d’employé municipal. Il est vrai qu’il est question de « destitution » à l’art. 119 L.P. et d’« inhabilité » à l’art. 116 L.C.V. Toutefois, il ne faut pas laisser cette différence de terminologie embrouiller l’incidence pratique de ces deux dispositions. Dans les deux cas, le résultat est la rupture du lien d’emploi. L’inhabilité prévue au par. 116(6) L.C.V. a une incidence un peu plus grande dans la mesure où elle empêche une personne d’occuper toute charge d’employé de la municipalité pendant une période de cinq ans, mais il n’en demeure pas moins que l’inhabilité entraîne d’abord et avant tout le congédiement de l’employé de la municipalité. Si un employé est inhabile à occuper une charge, il doit donc être congédié. À mon sens, l’inhabilité à occuper une charge a nécessairement pour corollaire le congédiement.
51 Cette interprétation du par. 116(6) L.C.V. est également celle qu’en donne la jurisprudence. Dans les cas se rapportant à des employés municipaux déclarés coupables d’infractions criminelles, il est reconnu que si le par. 116(6) L.C.V. s’appliquait, il servirait de fondement au congédiement de l’employé : Beauce; Association des pompiers de Laval. En effet, le congédiement a été maintenu dans les cas où l’on a jugé que l’infraction comportait un lien suffisant avec l’emploi : L’Île-Perrot (Ville de) et Union des employés de service, section locale 800, D.T.E. 2000T‑619 (T.A.); Duguay et Paspébiac (Ville de), D.T.E. 2003T‑47, SOQUIJ AZ‑50152875 (C.T.). C’est également ainsi que le par. 116(6) L.C.V. a été appliqué aux policiers municipaux avant l’adoption de l’art. 119 L.P. (voir par exemple Deux‑Montagnes). Le paragraphe 116(6) L.C.V. n’est peut‑être pas libellé de manière à imposer le congédiement, mais c’est sans conteste l’effet qu’il produit.
52 En outre, il est difficile de concevoir la décision de l’appelante d’invoquer le par. 116(6) L.C.V. comme autre chose qu’une tentative de donner effet à une mesure disciplinaire. L’appelante souhaite utiliser le par. 116(6) L.C.V. comme fondement législatif de sa décision de donner suite à la recommandation de son directeur de la sécurité publique de congédier M. Belleau, une recommandation faite à la suite d’une enquête disciplinaire tenue en conformité avec la convention collective et le Règlement no 756 de l’appelante. Je ne vois pas comment l’application du par. 116(6) L.C.V. pourrait en l’espèce être qualifiée de mesure administrative.
53 À l’instar de la Cour d’appel, je ne crois pas non plus qu’il serait possible de résoudre le conflit en interprétant le par. 116(6) L.C.V. comme imposant, dans les faits, non pas un congédiement pur et simple mais une suspension de cinq ans suivant laquelle le policier pourrait réintégrer son poste. Une telle approche serait manifestement contraire à la jurisprudence relative au par. 116(6) L.C.V. qui, comme nous l’avons vu, a toujours été interprété de manière à entraîner la cessation d’emploi de l’employé municipal.
54 Ce qui est plus important, une telle approche ne réglerait pas réellement le conflit en l’espèce. À l’article 119, al. 2 L.P., le législateur a prévu une exception limitée à la destitution. Dans les cas où cette exception s’applique, le lien d’emploi entre le policier et le corps de police est maintenu. Il s’agit d’un élément d’une importance primordiale. L’exception prévue à l’art. 119, al. 2 L.P. a pour but de permettre au policier ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires de réintégrer son poste. L’interprétation selon laquelle le par. 116(6) L.C.V. impose une suspension de cinq ans neutraliserait cet objectif important de l’art. 119, al. 2 L.P. Comme l’ont reconnu les juges Deschamps et Fish, une suspension d’une aussi longue durée, si elle peut réellement être qualifiée de « suspension », obligerait le policier à trouver un poste équivalent ailleurs comme policier de la Sûreté du Québec ou comme constable spécial, ou même à abandonner entièrement le travail de policier et à tenter d’obtenir un emploi de fonctionnaire municipal. Ces possibilités, même si elles peuvent être jugées viables, s’écartent considérablement de ce que prévoit l’exception à l’art. 119, al. 2 L.P., soit le maintien du lien d’emploi entre le policier et le corps policier. En toute déférence, l’interprétation proposée par mes collègues créerait deux catégories de policiers, ceux qui bénéficient du régime d’exception prévu à l’art. 119, al. 2 L.P. et ceux qui n’en bénéficient pas.
55 De plus, il est peu probable qu’un policier municipal qui a été suspendu de ses fonctions pour cinq ans, en application du par. 116(6) L.C.V., soit admissible à une mutation à la Sûreté du Québec ou à un emploi comme constable spécial. L’article 115 L.P., qui exige notamment au par. 115(3) que les candidats à un poste de policier n’aient jamais été reconnus coupables d’un acte criminel, s’applique dans tous les cas d’embauche d’un policier. Les conditions d’embauche s’appliquent également aux candidats à l’embauche comme policier ainsi qu’aux policiers en titre qui aimeraient être embauchés par un autre corps de police, peu importe la raison. C’est ce qu’indique clairement le dernier alinéa de l’art. 115 L.P., en précisant que les conditions d’embauche ne s’appliquent pas dans le cas d’une intégration, d’une fusion ou de toute autre forme de regroupement de services policiers. Cette exception particulière n’aurait pas vraiment sa raison d’être si les exigences prévues à l’art. 115 ne s’appliquaient pas aussi aux policiers en titre. Bref, un policier municipal qui a été « suspendu » en application du par. 116(6) L.C.V. ne pourrait pas être réembauché par la Sûreté du Québec ou comme constable spécial, suivant le par. 115(3). Il y a donc peu de raisons de croire que l’application du par. 116(6) L.C.V. permettrait éventuellement à un policier municipal de continuer de travailler comme policier.
56 L’appelante prétend également qu’il n’y a pas d’incohérence à obliger M. Belleau à se conformer à deux ensembles d’obligations, celles d’un policier et celles d’un employé de la municipalité. Il est tout à fait acceptable qu’un policier municipal doive respecter des normes plus élevées en sa qualité de policier ou d’employé de la municipalité. Toutefois, lorsque ces normes sont incompatibles, on ne peut donner comme explication plus ou moins ingénieuse le fait que les deux normes émanent de sources différentes. En l’espèce, les deux lois prévoient des conséquences à la conduite criminelle. L’une comporte un régime d’exception à la règle de la destitution, mais pas l’autre. En pratique, le par. 116(6) L.C.V., lorsqu’il s’applique aux policiers municipaux, a pour effet de neutraliser l’exception limitée prévue par le législateur à l’art. 119, al. 2 L.P. Dans ce contexte, il n’est pas question d’un régime législatif qui impose une norme plus élevée qu’un autre. Il s’agit plutôt d’un cas où une loi retire implicitement ce qu’une autre loi autorise explicitement. C’est pourquoi j’estime que le conflit en l’espèce ne peut être évité, peu importe la position retenue concernant la disposition qui devrait prévaloir.
57 Je m’empresse d’ajouter, comme la juge Bich l’a signalé, que le par. 116(6) L.C.V. et l’art. 119 L.P. ne sont pas entièrement incompatibles. Les deux dispositions continuent de s’appliquer sans problème dans les situations qui ne visent pas des policiers municipaux. Dans le cas d’un policier municipal reconnu coupable d’un acte criminel, les deux dispositions ne sont également pas incompatibles puisque le premier alinéa de l’art. 119 L.P. prévoit la destitution sans exception. Le paragraphe 116(6) L.C.V. s’applique également dans le cas d’infractions pénales non visées à l’art. 119 L.P. Certaines infractions pénales à des lois fédérales sont punissables d’un emprisonnement d’au moins un an et pourraient entraîner le congédiement d’un policier en sa qualité d’employé de la municipalité : Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.), art. 160.1; Loi sur l’importation des boissons enivrantes, L.R.C. 1985, ch. I‑3, al. 5c); Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), par. 238(1); Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, L.C. 2002, ch. 9, par. 62(2).
5.2.3 Quelle est la façon de résoudre le conflit entre le par. 116(6) L.C.V. et l’art. 119, al. 2 L.P.?
58 S’il existe effectivement un conflit et qu’il est impossible de le résoudre au moyen d’une interprétation qui éliminerait l’incohérence, il faut alors décider laquelle des dispositions doit prévaloir. L’objectif est de cerner l’intention du législateur. En l’absence d’indication expresse de la loi qui doit prévaloir, il convient de faire appel à deux principes qui se dégagent de la jurisprudence. Selon ces principes, la loi plus récente prévaut sur la loi plus ancienne, et la loi spéciale prévaut sur la loi générale (Côté, p. 453 à 459). Dans le premier cas, le législateur est réputé bien connaître l’existence des lois en vigueur lorsqu’il adopte une nouvelle loi. Si une nouvelle loi entre en conflit avec une loi existante, il faut conclure que la nouvelle loi a préséance. Dans le deuxième cas, le législateur est réputé avoir voulu que la loi spéciale l’emporte sur la loi générale, car toute autre interprétation rendrait caduque la loi spéciale. Ces principes n’ont toutefois pas un caractère absolu. Ils ne donnent qu’une indication de la volonté du législateur et peuvent être réfutés si d’autres considérations révèlent une intention législative différente (Côté, p. 453 et 454).
59 En l’espèce, les deux principes donnent à penser que la Loi sur la police devrait primer la Loi sur les cités et villes. L’article 116 L.C.V. existe sous une forme ou une autre au moins depuis l’adoption de la Loi concernant les cités et les villes, S.Q. 1922, 13 Geo. V, ch. 65, par. 123(12), alors que l’art. 119 L.P. est beaucoup plus récent. L’article 116 et la Loi sur les cités et villes en général ont été modifiés depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la police, mais aucune de ces modifications ne visait le par. 116(6) L.C.V. L’article 119 L.P. est donc la disposition postérieure, ce qui donne à penser que le législateur voulait qu’il l’emporte sur l’art. 116 L.C.V. en cas de conflit.
60 En outre, la Loi sur la police et son art. 119 en particulier sont de nature spéciale par rapport à la Loi sur les cités et villes eu égard aux questions de discipline. La Loi sur la police s’applique à la formation dispensée aux policiers municipaux, à leurs conditions d’embauche et, de façon générale à l’organisation du corps de police de la municipalité. Les mesures disciplinaires applicables aux policiers municipaux sont régies soit par les règles d’éthique professionnelle établies dans la Loi, soit par le règlement de discipline interne que les municipalités doivent prendre en application de la Loi sur la police. En outre, l’art. 119 L.P. exige que les municipalités imposent la destitution automatique comme sanction à la conduite criminelle. Par contre la Loi sur les cités et villes est une loi de nature générale qui prévoit l’organisation et le fonctionnement des municipalités en général. L’article 116 ne vise pas exclusivement les mesures disciplinaires et permet aussi d’empêcher certaines personnes d’occuper un emploi dans la municipalité.
61 L’article 119 L.P. satisfait ainsi aux exigences des deux principes, puisqu’il est plus récent et plus spécifique que l’art. 116 L.C.V. Mais il y a un autre motif de conclure à la préséance de l’art. 119, al. 2 L.P., à savoir les raisons pour lesquelles il a été décidé d’inclure dans cette disposition un régime d’exception. Plus précisément, il a été décidé d’inclure le régime d’exception des circonstances particulières en raison des observations faites par les associations de policiers inquiètes du fait qu’il pourrait ne pas toujours être juste de destituer un policier en titre reconnu coupable d’une infraction mixte (Journal des débats de la Commission permanente des institutions, 1re sess., 36e lég., 26 mai 2000, p. 2 à 4). Il ressort des débats portant sur l’art. 119, al. 2 L.P. que cette disposition a été rédigée, comme la plupart des lois, dans le but de satisfaire à divers intérêts. Le ministre de la Sécurité publique a décrit ainsi les intérêts pris en compte lors de la rédaction de l’art. 119 :
Dans [le cas d’une infraction mixte], la règle, c’est encore la destitution. Sauf qu’un comité de discipline sera convoqué et que le policier, s’il peut faire valoir que l’acte a été commis dans des circonstances exceptionnelles ou particulières qui justifient une autre sanction que la destitution, il pourra se faire entendre et obtenir un résultat.
. . . Ça vient satisfaire aussi les représentations qui nous ont été faites par les associations de policiers, qui disent : Écoutez, c’est terrible, quelqu’un, après 20 ans de carrière, par exemple, peut, dans des circonstances exceptionnelles, comme il peut être dépressif parce qu’un membre de sa famille est gravement malade et puis commettre une infraction qu’il n’aurait jamais commise autrement, une infraction minime comme un vol à l’étalage ou même une conduite avec facultés affaiblies, etc. Bon. Dans ces circonstances‑là, il pourra faire valoir ces circonstances particulières qui justifieraient une autre sanction. Donc, je pense que ça satisfait à la fois les critiques justifiées qui étaient faites.
. . .
Je crois aussi que ça satisfait le public. [. . .] On s’aperçoit que, dans le public en général, les gens pensent effectivement, comme nous, qu’un policier ne doit pas avoir de dossier judiciaire. Mais je pense que, si on leur exposait certains cas exceptionnels, comme l’a fait la Fraternité des policiers de Montréal, ils seraient peut‑être ouverts à ce qu’ils en aient. Alors, ça va dans ce sens‑là. [Je souligne; p. 2 et 3.]
62 La conclusion que le par. 116(6) L.C.V. doit primer l’art. 119, al. 2 L.P. irait à l’encontre de l’objectif déclaré de la loi d’établir un régime d’exception bien précis accessible à tous les policiers ayant commis une infraction mixte pendant leur carrière. Suivant le par. 116(6) L.C.V. (ou l’art. 269 du Code municipal du Québec), les policiers municipaux sont congédiés sans avoir la possibilité de démontrer que des circonstances particulières justifient une autre sanction. Rien dans les débats n’indique que le régime d’exception prévu à l’art. 119, al. 2 L.P. ne devait pas s’appliquer aux policiers municipaux. En fait, les débats donnent plutôt à penser qu’une décision de principe a été prise avec lucidité, après examen de tous les intérêts en cause, afin de prévoir un régime d’exception bien précis accessible à tous les policiers. À mon avis, les tribunaux devraient éviter toute interprétation qui irait à l’encontre d’un tel objectif clairement déclaré de la loi. Ces considérations renforcent la conclusion que l’art. 119, al. 2 L.P. devrait avoir préséance sur le par. 116(6) L.C.V. en cas de conflit.
63 À l’instar de la Cour d’appel, j’estime que l’argument de l’appelante, selon lequel le par. 116(6) L.C.V. devrait l’emporter sur l’art. 119, al. 2 L.P. parce que rien n’exclut spécifiquement son application aux policiers municipaux, n’est pas convaincant. L’appelante souligne, comme l’a fait le juge Lemelin, que la Loi sur les cités et villes a été modifiée à maintes reprises après l’adoption de la nouvelle Loi sur la police. Certaines dispositions de la Loi sur les cités et villes ayant trait aux mesures disciplinaires ont même été modifiées par la Loi sur la police elle‑même (art. 71 et 72 L.C.V. mod. par les art. 316 et 317 L.P.). Le législateur n’a pas cru bon, à aucune de ces occasions, de soustraire les policiers municipaux à l’application du par. 116(6) L.C.V. ni de modifier l’application de cette disposition à leur égard. En l’absence d’une indication claire de la volonté du législateur, cette argumentation n’est d’aucun secours. Il serait tout aussi facile de soutenir qu’en édictant l’art. 119 L.P., sans exclure expressément les policiers municipaux de son application, le législateur voulait qu’il s’applique à tous les policiers sans distinction. En fait, cet argument est plus logique puisqu’il sauvegarde les intérêts pris en compte lors de la rédaction de l’art. 119 L.P., sans influer sur l’application du par. 116(6) L.C.V. aux autres employés municipaux. En outre, comme la juge Bich l’a fait remarquer, les modifications apportées à la Loi sur les cités et villes visaient des renvois à l’ancienne Loi de police, ce qui ne constitue certainement pas une preuve de l’intention du législateur de donner au par. 116(6) L.C.V. préséance sur l’art. 119, al. 2 L.P.
64 Pour des motifs semblables, j’estime que l’absence de mention du par. 116(6) L.C.V. lors des débats de l’Assemblée nationale portant sur l’art. 119, al. 2 L.P. n’est pas déterminante. Au contraire, il s’agirait plutôt d’une preuve supplémentaire que le législateur voulait que cette disposition s’applique également à tous les policiers. Si l’on avait voulu accorder un traitement différent aux policiers municipaux, le cas échéant, ce fait aurait probablement été soulevé pendant les débats.
65 Comme dernier argument, l’appelante a fait valoir qu’en concluant à la préséance de l’art. 119, al. 2 L.P. sur le par. 116(6) L.C.V., on créerait deux catégories d’employés municipaux. On laisse entendre que les policiers municipaux pourraient bénéficier d’un régime plus clément que les autres employés municipaux. La Cour d’appel a rejeté cet argument au motif que l’on pourrait en dire autant si le par. 116(6) L.C.V. devrait prévaloir. On créerait effectivement ainsi deux catégories de policiers, contrairement aux intentions déclarées relativement à l’art. 119 L.P. L’inquiétude de l’appelante n’est pas fondée pour une autre raison. Comme nous l’avons vu, les policiers municipaux et les autres employés de la municipalité n’étaient pas traités de la même façon avant l’adoption de l’art. 119, al. 2 L.P. en raison de l’incidence, sur les policiers municipaux, du lien exigé au par. 116(6) L.C.V. Par conséquent, la crainte de créer des distinctions entre les policiers municipaux et les autres employés municipaux est sans fondement. Qui plus est, en imposant la destitution comme sanction sauf sur preuve de circonstances particulières, l’art. 119, al. 2 L.P. continue d’imposer des normes de comportement plus sévères aux policiers municipaux. Donner la préséance à cette disposition plutôt qu’au par. 116(6) L.C.V. ne modifierait pas considérablement le traitement réservé aux policiers municipaux par rapport à celui réservé aux employés de la municipalité. A fortiori, les policiers municipaux ne bénéficieraient pas d’un régime plus clément que les autres employés de la municipalité.
66 Enfin, il semble que la préséance est déjà donnée à l’art. 119, al. 2 L.P. et que cette approche ne s’écarte pas substantiellement de la pratique actuellement en cours. Par exemple, dans son rapport recommandant la destitution de M. Belleau, le directeur de la sécurité publique de l’appelante a fondé sa décision sur les manquements au règlement de discipline de la municipalité et à l’art. 119, al. 2 L.P. ainsi que sur l’absence, à son avis, de circonstances particulières plutôt que sur la Loi sur les cités et villes. Sa position n’est pas surprenante étant donné la nature exhaustive de la nouvelle Loi sur la police eu égard aux questions de discipline, dont la conduite criminelle, mais elle confirme, avec le recul, que les perturbations qu’entraînerait la décision de soustraire à l’application du par. 116(6) L.C.V. les policiers municipaux reconnus coupables d’infractions criminelles mixtes ne sont pas aussi sérieuses que le soutient l’appelante.
67 En résumé, le conflit entre le par. 116(6) L.C.V. et l’art. 119, al. 2 L.P. devrait être résolu en donnant la préséance à cette dernière disposition puisque celle‑ci est plus récente et de nature plus spécifique. Cette solution serait conforme à l’intention du législateur qui se dégage des principes et, plus particulièrement, des débats entourant l’adoption de l’art. 119 al. 2 L.P. Cette disposition visait à satisfaire à un certain nombre d’intérêts opposés et à reconnaître que la destitution pourrait ne pas être la sanction qui convient dans tous les cas. Donner la préséance à l’art. 119, al. 2 L.P. en cas de conflit ne porte pas atteinte au droit municipal ni ne crée une inégalité de traitement eu égard aux employés municipaux. Ces derniers demeurent assujettis au par. 116(6) L.C.V. et continuent de bénéficier de son application moins restrictive (comparativement aux policiers municipaux). Les policiers municipaux continuent de s’exposer aux conséquences prévues au par. 116(6) L.C.V. en cas de perpétration des infractions qui ne sont pas visées à l’art. 119, al. 2 L.P. et ils demeurent assujettis à l’application de l’art. 119, al. 2 L.P. qui prévoit, en règle générale, la destitution en cas de perpétration d’une infraction mixte. Une autre sanction pourra être imposée uniquement dans les cas très restreints où un policier pourra faire la preuve de circonstances particulières.
5.3 Application de l’art. 119, al. 2 L.P.
68 La dernière question qui se pose est de savoir si l’arbitre a commis une erreur donnant ouverture à la révision lorsqu’il a conclu que M. Belleau avait fait la preuve de circonstances particulières justifiant une sanction autre que la destitution, conformément à l’art. 119, al. 2 L.P. J’estime que la décision de l’arbitre à cet égard était déraisonnable, mais pour des motifs autres que ceux donnés par la Cour supérieure.
69 Tout d’abord, la décision de l’arbitre pose problème dans la mesure où l’arbitre se croyait investi, aux termes de l’art. 119, al. 2 L.P., du pouvoir qu’il exercerait normalement au titre de l’al. 100.12f) C.T. L’arbitrage de griefs qui fait intervenir l’art. 119, al. 2 L.P. est différent de celui qui ne porte que sur l’al. 100.12f) C.T. Sous le régime de l’art. 119, al. 2 L.P., il n’incombe pas à la municipalité de démontrer que la destitution était la sanction adéquate. Il appartient plutôt au policier de démontrer que des circonstances particulières justifient une sanction autre que la destitution. L’arbitre n’a pas non plus le loisir de substituer à la décision de l’employeur la décision qui lui paraît juste et raisonnable. À moins que le policier ne lui fasse la preuve de l’existence de circonstances particulières, l’arbitre doit confirmer la destitution. La convention collective et le Code du travail continuent de s’appliquer à l’arbitrage, mais l’arbitre ne jouit pas en matière disciplinaire du même pouvoir discrétionnaire qu’aux termes de l’al. 100.12f). C’est ce qui ressort, par implication nécessaire, de l’art. 119 L.P., dont l’objet était de faire de la destitution la sanction généralement appliquée dans les cas de conduite criminelle. Si les arbitres conservaient la compétence absolue que leur confère l’al. 100.12f), une disposition qui impose la destitution n’aurait pas d’utilité. Selon l’interprétation raisonnable de l’art. 119, al. 2 L.P., le pouvoir de l’arbitre se limite à l’examen de la question de savoir si le policier a fait la preuve de l’existence de circonstances particulières et, le cas échéant, à déterminer la sanction qui devrait être imposée.
70 Lorsqu’il se prononce sur la question des circonstances particulières, l’arbitre ne doit pas perdre de vue le rôle spécial que jouent les policiers et l’incidence d’une déclaration de culpabilité sur leur capacité d’exercer leurs fonctions. Une déclaration de culpabilité pour un acte posé par un policier, qu’il ait ou non été en devoir au moment de cet acte, remet en cause l’autorité morale et l’intégrité du policier dans l’exercice de ses responsabilités en matière d’application de la loi et de protection du public. Du point de vue du public, il y a rupture du lien de confiance nécessaire à l’exercice, par le policier, de ses fonctions : Deux‑Montagnes; Ville de Lévis. C’est ce qui ressort du Code de déontologie, des règlements de discipline comme le Règlement no 756 de l’appelante et, il convient de le noter, du par. 115(3) et de l’art. 119 L.P.
71 La destitution est la sanction la plus sévère qui puisse être imposée, mais les infractions criminelles visées aux deux alinéas de l’art. 119 L.P. sont, rappelons‑le, des infractions graves pour lesquelles le législateur a jugé nécessaire de prévoir la possibilité de lourdes peines d’emprisonnement. Une condamnation pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire n’entraîne pas la destitution dans tous les cas. La Loi impose la destitution uniquement dans le cas d’actes criminels et d’infractions mixtes punissables, sur déclaration de culpabilité, par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire.
72 L’exception limitée prévue au deuxième alinéa de l’art. 119 L.P. doit être envisagée sous cet angle. En règle générale, un policier reconnu coupable d’un acte criminel ou d’une infraction mixte est destitué. La possibilité d’invoquer les « circonstances particulières » justifiant une sanction moins sévère assure une protection importante contre l’iniquité; toutefois, les arbitres ne doivent pas y voir une autorisation générale d’imposer la sanction qu’ils jugent indiquée.
73 Les dispositions législatives ne précisent pas en quoi consistent les « circonstances particulières ». Toutefois, lors des débats portant sur le régime d’exception prévu à l’art. 119, al. 2 L.P., le ministre a donné des exemples de circonstances particulières qui pourraient être prises en compte :
Écoutez, c’est terrible, quelqu’un, après 20 ans de carrière, par exemple, peut, dans des circonstances exceptionnelles, comme il peut être dépressif parce qu’un membre de sa famille est gravement malade et puis commettre une infraction qu’il n’aurait jamais commise autrement, une infraction minime comme un vol à l’étalage ou même une conduite avec facultés affaiblies, etc. Bon. Dans ces circonstances‑là, il pourra faire valoir ces circonstances particulières qui justifieraient une autre sanction.
. . .
Si on regarde les exemples que nous ont donnés les associations représentatives des policiers, je pense qu’on voit que [les circonstances particulières] se démontrent ou ne se démontrent pas. Je veux dire, si quelqu’un, par exemple, c’est à la suite d’une dépression grave, il travaillait encore ou bien même il était en congé sans solde à cause d’un événement malheureux qui s’est produit, bien, je veux dire, il s’est produit ou il ne s’est pas produit, et puis, je veux dire, je crois que ces choses‑là, qui sont établies sur sentence. . . Généralement, je ne crois pas que le fardeau de preuve ait une si grande. . . Quand ces choses‑là arrivent, elles sont facilement démontrables par une prépondérance de preuve plutôt que de soulever un doute.
(Journal des débats de la Commission permanente des institutions, 26 mai 2000, p. 3 et 4)
Il va sans dire que le ministre n’a pas soulevé toutes les considérations possibles dans ses observations. En effet, en l’absence d’une indication contraire du législateur, il ne conviendrait pas de limiter les circonstances particulières à certaines considérations. Pour l’essentiel, un arbitre peut tenir compte de toute circonstance relative à l’infraction qui se rapporte à la capacité future du policier de servir le public avec efficacité et crédibilité. Il peut parfois être utile de faire des renvois aux circonstances atténuantes ou aggravantes dont il est question dans d’autres situations relevant du droit du travail, mais il faut tenir compte, à cet égard, des questions uniques que soulève la conduite criminelle des policiers.
74 À la lumière de ces commentaires, l’arbitre pouvait tenir compte des circonstances particulières comme il l’a fait. Les problèmes familiaux de M. Belleau étaient vraisemblablement reliés à sa conduite le soir du 29 décembre et le matin du 30 décembre. De même étaient pertinents les faits que M. Belleau avait de longs états de service, qu’il n’avait pas d’antécédents en matière disciplinaire et que, selon la preuve, il n’était pas considéré de manière générale comme un homme violent.
75 Il importe également de tenir compte, bien entendu, de la gravité et de la nature des infractions. Le ministre a parlé d’une « infraction minime » mais, comme je l’ai déjà dit, il ne peut s’agir d’un élément déterminant. L’article 119, al. 2 L.P. prévoit la destitution dans tous les cas d’infractions mixtes, mais cela ne veut pas dire que la nature des infractions et les circonstances s’y rapportant ne pourront servir à déterminer s’il existe des circonstances particulières dans un cas donné. Il en est tout particulièrement ainsi puisqu’il existe diverses infractions mixtes et que les infractions ne sont manifestement pas toutes commises de la même façon. À mon avis, l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en l’espèce principalement parce qu’il n’a pas établi les liens nécessaires entre les facteurs examinés et le rôle particulier d’un policier. Par exemple, il était peut‑être raisonnable que l’arbitre tienne compte de l’absence de traces de violence ou de préjudice physique, mais il n’était pas raisonnable qu’il accorde beaucoup d’importance à ce fait sans prendre en compte la nature violente de la conduite du policier. Malgré l’absence de conclusions de fait définitives concernant des actes de violence en particulier, il convient de noter qu’il est question en l’espèce de violence conjugale et que le policier a reconnu sa culpabilité à une accusation de voies de fait contre sa conjointe; il s’agit d’une considération très importante puisque le public s’en remet aux interventions des policiers dans de tels cas, une considération que l’arbitre ne pouvait raisonnablement écarter.
76 De plus, il n’est pas possible de mettre les infractions relatives aux armes à feu sur le compte des problèmes personnels de M. Belleau, ni de les justifier en les qualifiant d’infractions à caractère technique, comme l’arbitre a tenté de le faire. Les armes à feu sont dangereuses. C’est pourquoi le Code criminel interdit leur entreposage de manière négligente. En sa qualité de policier, M. Belleau était au courant de l’importance des mesures de sécurité à prendre relativement aux armes à feu. Les rénovations à sa maison n’expliquent pas de manière raisonnable pourquoi les armes à feu n’étaient pas entreposées de manière sécuritaire. Il connaissait l’importance de l’entreposage sécuritaire des armes à feu et l’état de sa maison ne lui permettait pas de se soustraire aux exigences prévues par la loi. Il aurait très bien pu apporter les armes à feu à un endroit où elles auraient pu être entreposées en toute légalité et de manière sécuritaire.
77 Je juge plus sérieuse encore la décision consciente de M. Belleau de ne pas se conformer à l’engagement qu’il avait pris envers le tribunal de ne pas communiquer avec sa conjointe. En sa qualité de policier, M. Belleau connaissait l’importance des engagements au tribunal. Le manquement à un engagement par un policier est particulièrement grave étant donné le rôle du policier dans l’administration de la justice. Un tel comportement dénote un manque de respect pour le système judiciaire dont le policier fait partie intégrante. En outre, l’obligation de ne pas communiquer avec sa conjointe était l’obligation la plus importante de l’engagement. D’ailleurs, le ministère public a décidé de poursuivre M. Belleau par voie de mise en accusation, ce qui constitue une autre preuve de la gravité de ce manquement.
78 L’arbitre a excusé le manquement de M. Belleau à son engagement, estimant qu’il fallait considérer son comportement les 29 et 30 décembre comme une suite logique. Toutefois, il est difficile de comprendre comment l’état psychologique de M. Belleau et son état d’ébriété de la veille pouvaient raisonnablement expliquer sa conduite le lendemain, plusieurs heures après l’incident et deux heures après la prise de son engagement envers le tribunal. Il ne fait aucun doute que M. Belleau avait bien compris les conditions de sa remise en liberté. En effet, son interpellation le jour même lui aurait fait comprendre la gravité des actes qu’il avait commis la veille. Par conséquent, je ne vois pas comment il serait raisonnable de conclure que la conduite de M. Belleau était justifiée parce qu’il n’était pas pleinement conscient de ce qu’il faisait lorsqu’il a violé son engagement.
79 Comme nous l’avons vu, l’arbitre n’a pas apprécié adéquatement les répercussions de la conduite criminelle de M. Belleau sur sa capacité d’exercer ses fonctions de policier, ce qui a influé sur la rationalité de sa décision. La question de la confiance du public ne devrait pas être abordée uniquement du point de vue des reportages des médias, mais il n’est pas non plus raisonnable de laisser entendre que le public continuerait de faire confiance à M. Belleau en sa qualité de policier s’il avait été bien informé des circonstances particulières. Malheureusement, qu’ils soient exacts ou non, les reportages des médias sur la conduite criminelle des policiers ont des répercussions sur la confiance du public, et cette confiance est très difficile à regagner une fois qu’elle a été perdue. En outre, il est tout à fait possible que certains membres du public, même s’ils avaient été bien informés des circonstances particulières de l’affaire, n’auraient toujours pas confiance en la capacité de M. Belleau d’exercer ses fonctions. Il suffit de penser par exemple à une victime de violence conjugale pour se rendre compte que certaines personnes auraient avec raison beaucoup de mal à faire confiance à M. Belleau. Je ne dis pas que de telles considérations devraient nécessairement faire échec à toutes les circonstances particulières dont l’existence a été démontrée. J’estime plutôt que la confiance du public doit figurer au nombre des éléments importants qui sont pris en compte au moment de déterminer s’il existe des circonstances particulières justifiant une sanction autre que la destitution. Or, en limitant son examen de la question à la justesse de l’information communiquée au public, l’arbitre a omis de tenir compte de la gravité des infractions commises par M. Belleau et de leur incidence possible sur la confiance du public.
80 À la lumière de tous les éléments examinés ci‑dessus, considérés cumulativement, il n’était pas raisonnable que l’arbitre conclue que les circonstances particulières soulevées par M. Belleau permettaient de satisfaire à l’exception prévue à l’art. 119 L.P. Une telle conclusion a pour effet de diminuer la grande importance accordée à la conduite criminelle des policiers à l’art. 119 L.P.
6. Conclusion
81 Le présent pourvoi doit être tranché en conformité avec les textes législatifs régissant la police et non selon le droit municipal. L’article 119, al. 2 L.P. prévoit une exception limitée à la sanction de destitution dans les cas où le policier peut démontrer que des circonstances particulières justifient une autre sanction, mais la justification dans de tels cas doit elle‑même être raisonnable. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir la sanction de la destitution avec dépens en faveur de l’appelante en Cour d’appel et dans cette Cour.
Les motifs suivants ont été rendus par
82 Les juges Deschamps et Fish — Nous partageons la conclusion du juge Bastarache concernant l’application de l’art. 119, al. 2 de la Loi sur la police, L.R.Q., ch. P‑13.1 (« L.P. »), en l’espèce. Avec égards, par ailleurs, nous sommes d’avis que l’art. 119, al. 2 L.P. est compatible avec le par. 116(6) de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C-19 (« L.C.V. »).
83 Depuis près de cent ans, la Cour tient que deux normes peuvent s’appliquer de façon concomitante si elles ne sont pas contradictoires. Le simple fait qu’une norme soit plus contraignante que l’autre, impose des conditions différentes ou s’applique à la même personne et à la même situation de faits ne suffit pas pour conclure à l’abrogation ou à l’inapplicabilité partielle de l’une ou l’autre de ces normes. En l’espèce, l’inhabilité à travailler dans la municipalité pendant la période de cinq ans prévue par l’art. 116 L.C.V. n’est pas incompatible avec l’application de l’exception au congédiement prévue à l’al. 2 de l’art. 119 L.P. Pour reprendre l’expression utilisée par le juge Bastarache, il ne s’agit pas d’un cas où une loi dit « oui » et l’autre loi dit « non ». Nous sommes en conséquence d’accord avec les principes exposés par notre collègue sur ce point, mais estimons que l’application qu’il en fait élargit la notion de conflit au-delà de la portée que le droit reconnaît à celle-ci.
1. Les dispositions en cause
84 Le juge Bastarache est d’avis que l’art. 116 L.C.V. est inapplicable lorsqu’un arbitre conclut, en vertu de l’al. 2 de l’art. 119 L.P., à l’existence de circonstances particulières justifiant une sanction autre que la destitution. Dans son interprétation des dispositions en cause, notre collègue s’appuie, entre autres, sur l’art. 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C-12, et sur l’art. 115 L.P. À notre avis, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à l’art. 18.2 de la Charte québécoise pour résoudre le présent litige. Nous estimons qu’il est préférable d’attendre pour interpréter cette disposition un dossier où la question se posera. L’article 115 L.P. est cependant très pertinent et il est utile d’en discuter, parce que notre interprétation diffère de celle suggérée par le juge Bastarache. Voici le texte des dispositions auxquelles nous nous référerons :
Loi sur la police
Conditions d’embauche.
115. Les conditions minimales pour être embauché comme policier sont les suivantes :
. . .
3º ne pas avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit, d’un acte ou d’une omission que le Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C‑46) décrit comme une infraction, ni d’une des infractions visées à l’article 183 de ce Code, créées par l’une des lois qui y sont énumérées;
. . .
Constables spéciaux.
Les exigences prévues aux paragraphes 1º à 3º du premier alinéa s’appliquent également aux constables spéciaux.
Conditions supplémentaires.
Le gouvernement peut, par règlement, prescrire des conditions supplémentaires d’embauche pour les policiers et les constables spéciaux.
Conditions supplémentaires.
Les municipalités peuvent faire de même à l’égard des membres de leur corps de police et des constables spéciaux municipaux. Ces conditions supplémentaires peuvent être différentes selon qu’elles s’appliquent à un policier ou à un constable spécial.
Application.
Les conditions d’embauche ne s’appliquent pas dans le cas d’une intégration, d’une fusion ou de toute autre forme de regroupement de services policiers aux membres de ces services.
Destitution.
119. Est automatiquement destitué tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un acte ou d’une omission visé au paragraphe 3º de l’article 115, poursuivable uniquement par voie de mise en accusation.
Sanction disciplinaire de destitution.
Doit faire l’objet d’une sanction disciplinaire de destitution tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un tel acte ou d’une telle omission, poursuivable soit sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, soit par voie de mise en accusation, à moins qu’il ne démontre que des circonstances particulières justifient une autre sanction.
Loi sur les cités et villes
Inhabilité.
116. Les personnes suivantes ne peuvent être nommées à une charge de fonctionnaire ou d’employé de la municipalité, ni l’occuper :
. . .
Acte criminel;
6º Toute personne déclarée coupable de trahison ou d’un acte punissable en vertu d’une loi du Parlement du Canada ou de la Législature du Québec, d’un an d’emprisonnement ou plus.
Cette inhabilité subsiste durant cinq années après le terme d’emprisonnement fixé par la sentence, et, s’il y a condamnation à une amende seulement ou si la sentence est suspendue, durant cinq années de la date de cette condamnation, à moins que la personne ait obtenu un pardon;
. . .
Inhabilité.
L’inhabilité à une charge de fonctionnaire ou d’employé prévue au paragraphe 6º ou 7º du premier alinéa n’existe que si l’infraction a un lien avec cette charge.
2. La règle d’or en matière de conflit
85 Suivant la règle d’or en matière de conflit de lois, si une interprétation raisonnable permet de concilier deux lois, cette interprétation doit prévaloir. Le professeur Pierre‑André Côté écrit :
Or, il y a une présomption forte contre l’abrogation tacite d’un texte par un autre : elle ne doit jamais être encouragée. À l’inverse, toute interprétation qui permet d’éviter les conflits de lois doit être favorisée, car on présume qu’elle a plus de chances de refléter la volonté du législateur . . .
(Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 442)
86 Cette formulation de la règle s’appuie sur un énoncé de la Cour du Banc du Roi du Québec, qui n’a jamais été remis en question :
[traduction] L’abrogation implicite n’est pas considérée avec faveur. Il est raisonnable de présumer que le législateur n’a pas voulu maintenir en vigueur des dispositions vraiment contradictoires ni, par contre, prendre une mesure aussi importante que l’abrogation sans en exprimer l’intention. Il ne faut pas adopter une telle interprétation à moins qu’elle ne soit inévitable. Toute interprétation raisonnable qui permet d’éviter ce résultat a de bonnes chances d’être conforme à l’intention véritable.
(Duval c. Le Roi (1938), 64 B.R. 270, p. 273)
87 De même, dans Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517, p. 526, le juge Judson approuve une formulation de la règle tout aussi claire et restrictive tirée de Halsbury’s Laws of England (3e éd. 1961), vol. 36, p. 466 : il y a conflit entre deux lois [traduction] « si et seulement si elles sont à ce point incompatibles ou contraires qu’elles ne puissent coexister » (au même effet, R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 178). Dans la mesure du possible, les tribunaux restreignent le sens du mot « conflit » à sa portée la plus étroite.
88 Certains auteurs incorporent implicitement à l’analyse des conflits de lois ou de règlements les principes constitutionnels de la doctrine de la prépondérance : Sullivan, p. 178-179. Cette “ressemblance doctrinale” a d’ailleurs été notée par le juge La Forest dans Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 38-39. Le rapprochement est évident. Ainsi, dans Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191, un conflit est défini comme étant une situation où « une loi dit “oui” et [où] l’autre dit “non”; “on demande aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles”; l’observa[tion] de l’une entraîne l’inobserva[tion] de l’autre ».
89 À notre avis, si le droit constitutionnel, pour des motifs liés en grande partie à l’équilibre des compétences législatives à l’intérieur de la confédération, a adopté une approche restrictive en matière de conflit, c’est avec plus de rigueur encore que la règle doit être appliquée dans les cas où les lois conflictuelles émanent du même législateur. Comme celui-ci est censé connaître ses propres lois et vouloir qu’elles soient appliquées de façon cohérente, la règle favorisant l’interprétation qui permet d’éviter les conflits est pleinement justifiée.
90 Le tribunal qui conclut à l’existence d’un conflit tient nécessairement pour acquis que le législateur a été incohérent dans l’adoption de ses lois. Ce n’est donc que dans les cas de conflit inévitable que le tribunal doit faire appel aux règles d’interprétation qui font primer une loi sur l’autre, ce qui entraîne l’abrogation tacite ou l’inapplicabilité partielle du texte qui est écarté.
3. Les deux dispositions en cause sont conciliables
91 Les intimés plaident que ni l’appelante ni le juge de la Cour supérieure n’ont expliqué la façon dont, en pratique, les deux dispositions s’appliquent de façon concomitante. À notre avis, les scénarios suivants répondent de façon complète à ce commentaire :
(1) Un policier municipal commet un acte criminel. Dans un tel cas, le premier alinéa de l’art. 119 L.P. impose la destitution automatique du policier. L’article 116 L.C.V. prévoit l’inhabilité à occuper un emploi auprès de la municipalité pendant une période de cinq ans, sauf dans les cas où l’infraction n’a pas de lien avec la charge ou l’emploi. (Implicitement, cette exception ne s’applique pas à l’égard des policiers, parce qu’il existera généralement un lien entre la perpétration d’un acte criminel et l’emploi de policier.) À l’expiration de la période de cinq ans, le policier qui a été destitué ne peut encore être réembauché comme policier en raison de l’art. 115 L.P., mais il peut être embauché à tout autre titre par une municipalité. Suivant ce scénario, il n’y a pas de conflit et les deux lois peuvent s’appliquer de façon concomitante.
(2) Un policier municipal commet une infraction mixte punissable d’un emprisonnement d’un an ou plus et il n’existe pas de circonstances particulières justifiant une sanction autre que la destitution. Les deux textes de loi peuvent s’appliquer de façon concomitante tout comme dans le scénario (1).
(3) Un policier municipal commet une infraction mixte punissable d’un emprisonnement d’un an ou plus, mais il existe des circonstances particulières justifiant une sanction autre que la destitution. Dans un tel cas, le policier n’est pas congédié de son poste au sein de la police municipale, mais, du fait de l’art. 116 L.C.V., il est néanmoins inhabile à occuper quelque emploi que ce soit au sein de la municipalité pendant une période de cinq ans. À l’expiration de cette période, le policier redevient habile à occuper un poste d’employé de la municipalité. Pendant la période d’inhabilité de cinq ans, le policier peut travailler comme policier à la Sûreté du Québec ou comme constable spécial, ou encore exercer toute autre fonction au sein d’une municipalité, si l’infraction qu’il a commise n’a pas de lien avec cette charge ou cet emploi. Les deux textes de loi peuvent s’appliquer de façon concomitante.
À notre avis, les deux dispositions sont donc parfaitement conciliables. Le fait que, selon le troisième scénario, leur application concomitante prive le policier de son emploi comme fonctionnaire municipal pour une période de cinq ans, alors qu’il n’a pas perdu le droit d’occuper la fonction de policier, n’est pas source d’incompatibilité : c’est la conséquence de la disposition pertinente de la L.C.V. La L.C.V. exprime clairement la volonté du législateur à cet égard.
92 Bien que la règle paraisse impliquer un test purement littéral, il est maintenant admis que, outre la situation de conflit exprès entre deux lois, le tribunal appelé à vérifier la compatibilité des lois examine aussi leur objet respectif pour s’assurer que la réalisation du but poursuivi par le législateur n’est pas empêchée par l’application concomitante des lois en question : Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, 2005 CSC 13, par. 12. Il y a donc lieu de s’assurer que l’interprétation proposée ne fait pas obstacle à l’objet des dispositions en question.
4. Objet des dispositions en cause
93 Le juge Bastarache signale des éléments qu’il dit de nature à mettre en relief l’incompatibilité des dispositions. Nous estimons qu’une analyse fondée sur une lecture corrélative de toutes les dispositions en cause démontre plutôt que cette incompatibilité n’est qu’apparente.
94 L’article 119 L.P. s’inscrit dans le contexte disciplinaire. La sanction du congédiement a cependant des répercussions sur l’habilité de la personne à agir comme policier selon les termes de la L.P. L’usage des mots destitution en français et dismissal en anglais révèle clairement le chevauchement. Un arbitre n’a pas le droit de réviser la décision d’un employeur de mettre fin à l’emploi d’un policier déclaré coupable d’un acte criminel. Ce policier est non seulement congédié, mais il n’est plus admissible à la fonction de policier suivant l’art. 115 L.P. Cependant, lorsque le policier est reconnu coupable d’une infraction mixte, l’employeur ou l’arbitre bénéficient d’un pouvoir discrétionnaire dont l’exercice peut avoir des conséquences déterminantes tant sur l’emploi de l’intéressé que sur son habilité à exercer la fonction de policier. En effet, lorsque le policier fait la preuve de circonstances particulières, l’employeur ou l’arbitre peuvent alors substituer au congédiement une sanction moins sévère. Dans un tel cas, cela signifie aussi qu’il ne perd pas son habilité à exercer la fonction de policier en vertu de la L.P.
95 Le fait que le policier qui bénéficie de l’exception prévue par l’art. 119 L.P. continue d’être habilité à exercer la fonction de policier a des conséquences évidentes sur l’interprétation de l’art. 115 L.P. En effet, si le policier est jugé apte pour l’application de l’art. 119, cela vaut également pour les autres emplois de policier qu’il pourrait postuler dans le futur. Ainsi, on peut imaginer qu’un policier soit licencié parce qu’une municipalité, dûment autorisée à le faire, décide de démanteler son service de police et de mettre fin à l’emploi de tous ses policiers. Le policier qui a bénéficié de l’exception prévue à l’art. 119 L.P. pourra postuler dans un autre corps de police, puisqu’il sera toujours habilité à exercer cette fonction selon la L.P. De même, un policier qui voudrait solliciter un emploi dans un autre service de police pour des motifs personnels, par exemple en raison d’un déménagement ou d’une possibilité d’avancement, ne pourrait se voir reprocher, sur la seule base de l’art. 115 L.P., qu’il n’est pas admissible parce qu’il a été reconnu coupable d’une infraction mixte. Cet article doit nécessairement être lu en corrélation avec l’art. 119 L.P. L’exception dont peut bénéficier le policier en vertu de l’art. 119 L.P. doit se refléter dans l’interprétation de l’art. 115 L.P. Autrement, l’exception qu’a expressément établie le législateur pourrait difficilement réaliser son objectif manifeste — c’est-à-dire permettre à l’intéressé de poursuivre sa carrière comme policier.
96 Nous sommes d’avis, tout comme le juge Bastarache, que l’exception doit être interprétée de façon très étroite. Cependant, si le policier est en mesure de faire valoir des circonstances particulières, il doit pouvoir bénéficier de la conclusion de l’employeur ou de l’arbitre, selon le cas, pour tous les emplois qui nécessitent d’être habilité selon la L.P. Une interprétation qui limiterait le bénéfice de l’exception au seul emploi que le policier occupe au moment de la décision de lui permettre de conserver son poste ferait dépendre le maintien de l’habilitation de circonstances qui n’ont rien à voir avec le comportement ou la compétence du policier. Tels ne sauraient être l’esprit et le but de l’exception.
97 En conséquence, nous sommes d’avis que le policier qui bénéficie de l’exception profite aussi de la mobilité d’emploi. À l’occasion d’une cessation d’emploi, pour quelque motif que ce soit, le policier peut demander un emploi dans un autre service de police. Cette précision est pertinente en ce qui concerne la compatibilité de l’art. 119 L.P. avec l’art. 116 L.C.V., car le policier qui conserve son habilitation n’est pas empêché de travailler à ce titre pour la Sûreté du Québec ou encore comme constable spécial.
98 La lecture corrélative de la L.P. et de la L.C.V. permet de constater que la première régit la capacité d’agir comme policier et les sanctions qui sont attachées aux violations des conditions d’admissibilité à cette fonction et que la deuxième régit les conditions d’admissibilité à une charge ou à un emploi municipal. Dans le cas où une personne cumule les deux habilitations, elle doit satisfaire aux conditions prescrites par les deux lois. Ce double effet sur l’emploi de l’intéressé n’est pas un motif d’inapplicabilité d’une des normes.
5. Les exemples jurisprudentiels
99 Le droit pénal a donné lieu à des débats similaires devant la Cour, à l’occasion de litiges où les faits s’apparentaient clairement à ceux de la présente espèce. Dans Provincial Secretary of Prince Edward Island c. Egan, [1941] R.C.S. 396, la Cour devait statuer sur la possibilité d’appliquer de façon concomitante deux dispositions législatives. La première, figurant dans le Code criminel, autorisait l’imposition de restrictions en matière de conduite automobile. La deuxième, prévue par une loi provinciale sur la sécurité routière, imposait la suspension ou révocation automatique du permis d’un contrevenant déclaré coupable d’une infraction au Code criminel. Le problème est survenu lorsque, en déterminant la peine, le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire et décidé, selon la loi fédérale, que le contrevenant ne serait soumis à aucune restriction en matière de conduite. La Cour a jugé que l’application concomitante des deux normes ne soulevait aucun problème. Le fait que le juge saisi de l’accusation criminelle n’avait pas imposé de suspension ne rendait pas inopérante celle, automatique, prévue par le droit provincial. Voir au même effet : Ross c. Régistraire des véhicules automobiles, [1975] 1 R.C.S. 5; Bell c. Procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1975] 1 R.C.S. 25.
100 Le parallèle avec l’affaire qui nous occupe nous semble évident. Dans un cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas suspendre le permis de conduire ne rendait pas inapplicable la disposition prévoyant la suspension du même permis en vertu de la loi provinciale. Dans l’autre cas, celui qui nous intéresse, le fait que l’arbitre conclue en vertu de l’art. 119, al. 2 L.P. que des circonstances particulières justifient l’imposition d’une sanction autre que la destitution n’aurait pas rendu inapplicable la sanction d’inhabilité temporaire prévue par l’art. 116 L.C.V.
101 Dans les deux cas, il s’agit de l’exercice d’une activité : d’une part la conduite automobile; d’autre part le travail. Dans les deux situations, l’activité peut être continuée en vertu d’une disposition, alors qu’elle est suspendue en vertu de l’autre. Ces décisions font ressortir avec acuité le fait que le conflit est interprété de façon restrictive.
102 Le droit municipal, domaine dans lequel s’inscrivent les faits, donne plusieurs exemples d’application concomitante de deux normes de sévérité différente. Qu’il suffise de mentionner, pour les besoins de la présente affaire, que les fonctionnaires municipaux sont souvent assujettis à des normes qui s’ajoutent à celles par ailleurs prévues par la L.C.V. Les professionnels ou autres fonctionnaires ou employés qui exercent par ailleurs des fonctions régies par des lois distinctes ne sont pas automatiquement exemptés de l’une ou de l’autre. Par exemple, les tribunaux ont reconnu qu’une loi établissant une mesure administrative ayant uniquement pour but de régler les conditions d’admissibilité à une charge municipale et d’occupation d’une telle charge était tout à fait compatible avec une disposition pénale s’appliquant à la même personne et à la même situation de faits : Ricard c. Lord, [1941] R.C.S. 1; Beaudoin c. Roy, [1984] R.L. 315 (C.S.); Roy c. Mailloux, [1966] B.R. 468. Ces dispositions sont complémentaires. Dans le cas des policiers, l’art. 115 L.P. prévoit d’ailleurs explicitement la possibilité que ceux-ci soient assujettis à des conditions supplémentaires.
103 L’argument selon lequel un policier ne peut voir le bénéfice de l’exception prévue à l’art. 119 être écarté par une suspension fondée sur l’art. 116 L.C.V. ne trouve donc appui ni dans la règle d’interprétation des conflits de lois ni dans la jurisprudence. Le fait de devoir se conformer à deux règles, l’une plus contraignante que l’autre, n’est pas suffisant pour conclure à l’existence d’un conflit.
6. Conclusion
104 En l’espèce, les intimés n’ont pas réussi à démontrer que les deux dispositions étaient incompatibles. Au contraire, les deux dispositions se complètent, en ce qu’elles traitent de deux aspects différents d’une même situation de faits.
105 Pour ces motifs, nous arrivons à la même conclusion que le juge Bastarache sur le caractère déraisonnable de la décision de l’arbitre, mais ajoutons toutefois que les deux dispositions en cause ne sont pas incompatibles.
Version française des motifs rendus par
106 La juge Abella — Je suis d’accord avec le juge Bastarache pour ce qui est de son analyse de l’art. 119, al. 2 de la Loi sur la police, L.R.Q., ch. P‑13.1, et de sa conclusion que cette disposition est en conflit avec le par. 116(6) de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19, et devrait prévaloir. J’accepte également sa conclusion que la décision de l’arbitre d’appliquer l’art. 119, al. 2 à M. Belleau était déraisonnable. En toute déférence cependant, je ne partage pas son avis sur la question des normes de contrôle.
107 Ma principale réserve a trait à sa conclusion selon laquelle il faut assujettir à des normes de contrôle différentes la décision de l’arbitre concernant l’opportunité d’appliquer l’art. 119, al. 2 et sa décision concernant la façon de l’appliquer. À mon sens, il ressort de l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, que la législation appelle manifestement à la retenue eu égard à l’ensemble de la décision de l’arbitre.
108 Tout d’abord, l’art. 101 du Code du travail du Québec, L.R.Q., ch. C‑27, comporte une clause privative non équivoque en précisant que la sentence arbitrale est « sans appel » et qu’elle « lie les parties ». Ensuite, l’al. 100.12a) du Code du travail autorise l’arbitre à « interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief ».
109 La clause privative est le moyen retenu par le législateur pour protéger la compétence exclusive de l’arbitre en matière d’arbitrage de griefs, et l’al. 100.12a) lui confère le pouvoir de décider de quelle manière toute disposition législative pertinente devrait s’y appliquer. L’appréciation du degré de retenue que commande la décision de l’arbitre doit tenir compte de ces directives claires du législateur. Compte tenu en outre de l’expertise de l’arbitre en matière de conflits de travail et de l’objet de la loi qui est d’assurer un règlement rapide et définitif de ces différends, il semble se dégager, à mon sens, un argument solide à l’appui d’une norme intégrée d’évaluation de l’interprétation par l’arbitre de sa compétence et de la façon de l’exercer.
110 Suivant la décision de notre Cour dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 39, l’interprétation d’une loi, extrinsèque ou non, qui « est intimement liée au mandat du tribunal et où celui‑ci est souvent appelé à l’examiner » commande la retenue. (Voir également Canada Post Corp. c. Smith (1998), 40 O.R. (3d) 97 (C.A.).) En se prononçant sur l’applicabilité de l’art. 119, al. 2 de la Loi sur la police et du par. 116(6) de la Loi sur les cités et villes, l’arbitre interprétait et appliquait des dispositions législatives portant sur les questions de discipline et de sanctions à imposer aux policiers, deux questions qui relèvent nettement du mandat que lui confèrent la convention collective et le Code du travail en matière d’arbitrage de griefs.
111 Le fractionnement systématique de tels mandats risque d’entraîner l’application d’une approche indûment interventionniste, qui rappelle davantage les théories de « la mauvaise question » ou de « la question préalable ou auxiliaire » énoncées notamment dans Anisminic Ltd. c. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 W.L.R. 163 (H.L.), et Metropolitan Life Insurance Co. c. International Union of Operating Engineers, Local 796, [1970] R.C.S. 425, plutôt que le recours à l’approche fondée sur la retenue adoptée par le juge Dickson dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, p. 233. La mise en garde du juge Dickson dans cet arrêt demeure utile :
Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence. À mon avis, les tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard.
112 De même, il ne convient pas d’affirmer que des questions de droit peuvent facilement être isolées lorsqu’elles sont légitimement et nécessairement liées au mandat et à la compétence spécialisée de l’arbitre. Dans de telles circonstances, il y a lieu de procéder au contrôle de la décision dans son ensemble plutôt qu’au contrôle d’éléments fractionnés pouvant faire l’objet d’un examen plus minutieux et d’une intervention accrue. Le juge LeBel a fait la remarque suivante dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63, par. 76 :
Les divers éléments qui sous‑tendent une décision ont plus de chance d’être inextricablement liés les uns aux autres, en particulier dans un domaine complexe comme celui des relations de travail, de sorte que la cour de justice chargée du contrôle doit considérer que la décision du tribunal forme un tout.
113 Le juge Iacobucci a fait ressortir l’importance de cette approche intégrée dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, par. 56, lorsqu’il a souligné que « [c]ela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. »
114 De même, dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, 2006 CSC 22, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité, a refusé d’isoler la question de droit, à savoir l’interprétation de l’art. 6 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, de l’ensemble de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce, soulignant au par. 39 que la « question de droit ne peut être clairement isolée de son contexte factuel, mais commande une interprétation qui relève de l’expertise de la Commission ».
115 Si, par contre, la question de droit ne relève réellement pas du mandat ou de la compétence spécialisée de l’arbitre et peut facilement être distinguée des autres questions en litige dans l’affaire, il est tout à fait justifié de procéder à un examen plus minutieux : Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157.
116 En l’espèce, le mandat et la compétence spécialisée de l’arbitre de griefs s’allient de manière à permettre l’application d’une seule norme de contrôle fondée sur la retenue relativement à ses décisions concernant la portée de la loi applicable et son application en l’espèce.
117 Néanmoins, je conviens avec le juge Bastarache, pour les motifs qu’il a donnés, que la décision de l’arbitre eu égard à la sanction à imposer est insoutenable, même suivant cette norme.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Langlois Kronström Desjardins, Lévis.
Procureurs des intimés : Trudel, Nadeau, Anjou.
Procureurs de l’intervenante : Castiglio & Associés, Montréal.