COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique,
[2007] 2 R.C.S. 391, 2007 CSC 27
Date : 20070608
Dossier : 30554
Entre :
Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Association,
Health Services and Support — Community Subsector Bargaining Association,
Nurses’ Bargaining Association, Hospital Employees’ Union, B.C. Government
and Service Employees’ Union, British Columbia Nurses’ Union,
Heather Caroline Birkett, Janine Brooker, Amaljeet Kaur Jhand,
Leona Mary Fraser, Pamela Jean Sankey‑Kilduff,
Sally Lorraine Stevenson, Sharleen G. V. Decillia et Harjeet Dhami
Appelants
et
Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique
Intimée
‑ et ‑
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Nouveau-Brunswick,
procureur général de l’Alberta, Confédération des syndicats nationaux,
Congrès du travail du Canada, Michael J. Fraser, en son propre nom et
au nom de United Food and Commercial Workers Union Canada, et
British Columbia Teachers’ Federation
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella
Motifs de jugement conjoints :
(par. 1 à 168)
Motifs dissidents en partie :
(par. 169 à 252)
La juge en chef McLachlin et le juge LeBel (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, Fish et Abella)
La juge Deschamps
______________________________
health services and support c. c.‑b.
Health Services and Support — Facilities Subsector
Bargaining Association, Health Services
and Support — Community Subsector Bargaining Association,
Nurses’ Bargaining Association, Hospital
Employees’ Union, B.C. Government and
Service Employees’ Union, British Columbia
Nurses’ Union, Heather Caroline Birkett,
Janine Brooker, Amaljeet Kaur Jhand,
Leona Mary Fraser, Pamela Jean Sankey‑Kilduff,
Sally Lorraine Stevenson, Sharleen G. V. Decillia
et Harjeet Dhami Appelants
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la province de la
Colombie‑Britannique Intimée
et
Procureur général de l’Ontario,
procureur général du Nouveau‑Brunswick,
procureur général de l’Alberta,
Confédération des syndicats nationaux,
Congrès du travail du Canada,
Michael J. Fraser, en son propre nom et
au nom de United Food and Commercial
Workers Union Canada, et
British Columbia Teachers’ Federation Intervenants
Répertorié: Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique
Référence neutre : 2007 CSC 27.
No du greffe: 30554.
2006 : 8 février; 2007: 8 juin.
Présents: La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Esson, Low et Thackray) (2004), 30 B.C.L.R. (4th) 219, 243 D.L.R. (4th) 175, [2004] 11 W.W.R. 64, 201 B.C.A.C. 255, 120 C.R.R. (2d) 266, [2004] B.C.J. No. 1354 (QL), 2004 BCCA 377, qui a confirmé un jugement de la juge Garson (2003), 19 B.C.L.R. (4th) 37, 110 C.R.R. (2d) 320, [2003] B.C.J. No. 2107 (QL), 2003 BCSC 1379. Pourvoi accueilli en partie, la juge Deschamps est dissidente en partie.
Joseph J. Arvay, c.r., et Catherine J. Boies Parker, pour les appelants.
Peter A. Gall, c.r., Nitya Iyer et Neena Sharma, pour l’intimée.
Robin K. Basu et Shannon Chace‑Hall, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Argumentation écrite seulement par Gaétan Migneault pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Roderick S. Wiltshire, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Mario Évangéliste, pour l’intervenante la Confédération des syndicats nationaux.
Steven M. Barrett et Ethan Poskanzer, pour l’intervenant le Congrès du travail du Canada.
Paul J. J. Cavalluzzo et Fay C. Faraday, pour l’intervenant Michael J. Fraser en son propre nom et au nom de United Food and Commercial Workers Union Canada.
John Baigent et David Yorke, pour l’intervenante British Columbia Teachers’ Federation.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish et Abella rendu par
La juge en chef et le juge LeBel —
1. Introduction
A. Aperçu des faits
1 Les appelants contestent la constitutionnalité de la partie 2 de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2 (la « Loi ») au motif qu’elle porte atteinte à la liberté d’association (al. 2d)) et aux droits à l’égalité (art. 15) garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
2 Nous concluons que la liberté d’association garantie par l’al. 2d) protège la capacité des syndiqués d’engager des négociations collectives sur des problèmes reliés au milieu de travail. Bien que certaines des dispositions contestées de la Loi respectent cette garantie, les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 y portent atteinte et il n’a pas été démontré cette atteinte est justifiée au sens de l’article premier de la Charte. Nous concluons de plus que la Loi ne viole pas le droit à l’égalité de traitement prévu à l’art. 15 de la Charte. En conséquence, le pourvoi est accueilli en partie.
B. Contexte
3 Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à trouver un juste équilibre entre le devoir des gouvernements de fournir efficacement des services sociaux essentiels et la nécessité de reconnaître les droits garantis par la Charte aux employés visés par la Loi, qui travaillaient pour des employeurs du secteur de la santé et des services sociaux. Le gouvernement intimé qualifie la Loi contestée de mesure cruciale qu’il a adoptée pour faire face à une crise pressante dans le secteur de la santé et qui se révèle nécessaire et importante pour le bien‑être des Britanno‑Colombiens. Pour les appelants — les syndicats et les travailleurs représentant certains des sous‑secteurs du secteur de la santé qui sont visés par la Loi — celle‑ci va à l’encontre des droits fondamentaux que la Charte garantit aux employés et aux syndiqués et qui, à leur avis, englobent le droit collectif de poursuivre des objectifs fondamentaux en milieu de travail par la négociation collective des conditions de travail.
C. La Loi
4 La Loi a été adoptée par suite des difficultés qui pèsent sur le système de santé de la Colombie‑Britannique. Les besoins du secteur de la santé et le coût de la prestation des services nécessaires dans ce domaine ont considérablement augmenté depuis des années. Par exemple, au cours de la décennie 1991‑2001, les coûts des soins de santé en Colombie‑Britannique ont enregistré un taux de croissance trois fois supérieur à celui de l’économie de la province. C’est ainsi que le gouvernement de la Colombie‑Britannique peine à fournir des services de santé à ses citoyens. Il a qualifié la situation qui prévalait en 2001 de [traduction] « crise de viabilité » dans le système de santé (m. i., par. 3).
5 La Loi visait à réduire les coûts et à faciliter la gestion efficiente des effectifs du secteur de la santé. Ne voulant pas diminuer le salaire des travailleurs, le gouvernement a cherché à réaliser ces objectifs au moyen de solutions plus durables. Selon le gouvernement, la Loi voulait particulièrement permettre aux employeurs du secteur de la santé de réorganiser l’administration des effectifs et apporter des changements opérationnels afin que les gestionnaires disposent de plus de moyens pour restructurer la prestation des services (voir Colombie‑Britannique, Debates of the Legislative Assembly, 2e sess., 37e lég., vol. 2, no 28, 25 janvier 2002, p. 865).
6 La Loi fut rapidement adoptée. Elle est entrée en vigueur trois jours après avoir franchi l’étape de la première lecture comme projet de loi 29 devant l’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique.
7 Aucune véritable consultation des syndicats n’est intervenue avant que le projet devienne loi. Le gouvernement savait que les syndicats accordaient beaucoup d’importance à certains domaines touchés par le projet de loi 29 et s’est déclaré disposé à consulter. Toutefois, la consultation est restée en fin de compte minimale. Quelques rencontres ont eu lieu entre les représentants des syndicats et ceux du gouvernement sur des questions générales se rattachant aux soins de santé. Celles‑ci ne portaient pas spécifiquement sur le projet de loi 29 et les changements qui y étaient proposés. Les représentants syndicaux ont exprimé le désir d’être consultés davantage. Le ministre des Services de santé a téléphoné à un représentant syndical 20 minutes avant la présentation du projet de loi 29 devant l’assemblée législative pour informer le syndicat que le gouvernement déposait un texte de loi touchant à la sécurité d’emploi et à d’autres clauses de conventions collectives existantes. C’est à cela que se résume la consultation des syndicats avant l’adoption de la Loi (d. a., p. 1076).
8 En Colombie‑Britannique, la structure des négociations collectives dans les services de santé est sectorielle. Ainsi, la Loi touche aux relations du travail entre les « employeurs du secteur de la santé » et leurs employés syndiqués. Selon la définition donnée dans la Loi, l’« employeur du secteur de la santé » s’entend de tout membre de la Health Employers Association of British Columbia (la « HEABC ») qui est constituée en vertu de l’art. 6 de la Public Sector Employers Act, R.S.B.C. 1996, ch. 384, et dont les employés sont syndiqués (art. 3 de la Loi). La HEABC constitue une association d’employeurs accréditée pour représenter ses membres dans les négociations avec les employés du secteur de la santé. Appartiennent à la HEABC les hôpitaux et d’autres employeurs désignés par règlement, notamment les employeurs du secteur de la santé qui reçoivent des fonds importants du ministère de la Santé (d. a., p. 212). En conséquence, bien que la Loi s’applique principalement aux employeurs du secteur public, elle vise aussi des employeurs du secteur privé.
9 Les appelants en l’espèce sont des syndicats et des membres des syndicats représentant le sous‑secteur des infirmiers, celui des installations ou le sous‑secteur communautaire, qui sont des groupes touchés par la Loi. D’autres groupes comme les médecins résidents et les employés des services paramédicaux, bien qu’également touchés par la Loi, n’ont pas participé au recours.
10 Seule la partie 2 de la Loi est en cause en l’espèce (voir l’annexe). Elle modifie les droits liés aux transferts et affectations dans différents lieux de travail (art. 4‑5), la sous‑traitance (art. 6), le statut des employés contractuels (art. 6), les programmes de sécurité d’emploi (art. 7‑8), les droits de mise en disponibilité et de supplantation (art. 9).
11 La partie 2 accorde aux employeurs du secteur de la santé une plus grande latitude pour aménager à leur gré leurs relations avec leurs employés et, dans certains cas, pour procéder d’une manière que les conventions collectives existantes n’auraient pas autorisée, et ce, sans se conformer aux exigences de consultation et de notification qui auraient été normalement applicables. Elle a invalidé d’importantes dispositions des conventions collectives alors en vigueur et a effectivement interdit toute véritable négociation collective sur certaines questions. L’article 10 invalidait toute partie d’une convention collective, présente ou future, incompatible avec la partie 2, et toute convention collective visant à modifier ces restrictions. La Loi (art. 10) dispose [traduction] : « La partie [2] l’emporte sur les conventions collectives ». Il n’est pas loisible aux employés (ou à l’employeur) de se soustraire à l’application de la partie 2 ou d’invoquer une convention collective qui lui est incompatible.
12 Nous examinerons plus en détail plus loin dans les présents motifs les particularités de la Loi et sa portée pratique pour les employés et leurs syndicats. À ce stade, il suffit de souligner que, si certaines des modifications se résument à des changements administratifs relativement inoffensifs, d’autres ont une profonde incidence sur les employés et leur capacité de négocier des problèmes de milieu de travail de grande importance pour eux.
II. Historique judiciaire
13 Ni le tribunal de première instance ni la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique n’étaient disposés à reconnaître que l’al. 2d) de la Charte garantit le droit de négociation collective, bien que la Cour d’appel ait admis que la Cour suprême du Canada a ouvert la porte à la reconnaissance d’un tel droit. La Loi a donc été jugée constitutionnelle selon l’al. 2d) et l’art. 15.
14 Les demandeurs ont soutenu au procès que la loi contestée porte atteinte à plusieurs droits constitutionnels garantis par la Charte : la liberté d’association (al. 2d)), le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 7) et le droit à l’égalité (art. 15). L’argument fondé sur l’art. 7 n’a pas été invoqué en appel.
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (2003), 19 B.C.L.R. (4th) 37, 2003 BCSC 1379
15 La juge Garson a rejeté l’argument fondé sur la liberté d’association qu’ont fait valoir les demandeurs, au motif que la négociation collective ne constitue pas une activité que la Cour suprême du Canada considère comme visée par l’al. 2d) de la Charte. En fait, elle a affirmé que la jurisprudence de la Cour suprême indique de façon constante et claire que la capacité de négocier collectivement n’est pas une activité protégée par la Charte. À son avis, les demandeurs n’avaient pas prouvé que la loi visait une activité collective en raison même de sa nature concertée.
16 La juge de première instance a également rejeté les prétentions des demandeurs fondées sur les droits à l’égalité garantis à l’art. 15 de la Charte. Selon eux, la Loi leur impose un traitement différent, d’une manière qui porte atteinte à leur dignité et leur identité individuelle, qui découle d’un chevauchement de motifs fondés sur le sexe et sur le fait d’exercer un emploi « occupé par des femmes » (par. 154). Appliquant Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la juge de première instance a conclu à l’absence de violation de l’art. 15. Premièrement, la Loi ne fait aucune distinction entre les demandeurs et d’autres employés de groupes de comparaison appropriés fondée sur leurs caractéristiques personnelles; les distinctions restaient fonction du secteur d’emploi des demandeurs, et non de leurs caractéristiques personnelles. Deuxièmement, les effets préjudiciables de la loi contestée sur les demandeurs ne constituent pas la différence de traitement nécessaire pour établir une contravention à l’art. 15; [traduction] « le fait que ce groupe soit à prédominance féminine ne lui assure pas une protection constitutionnelle contre les mesures gouvernementales susceptibles de lui porter préjudice, sans la preuve qu’il fait l’objet d’un traitement différent fondé sur les caractéristiques énumérées à l’art. 15 » (par. 174). Troisièmement, la Loi n’établit pas une discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue. En concluant ainsi, la juge de première instance a adopté une qualification de motif de discrimination fondée principalement sur le statut professionnel des travailleurs de la santé, bien qu’elle ait expressément reconnu que le secteur visé ait comporté une proportion nettement plus forte de femmes que d’autres groupes d’employés syndiqués en Colombie‑Britannique et que leur travail continuait d’être considéré comme « un travail de femmes » (par. 181). Enfin, elle estime que le traitement préjudiciable imposé par la Loi ne porte pas atteinte à la dignité des demandeurs, comme l’exige la preuve d’une contravention à l’art. 15 (par. 189).
B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2004), 30 B.C.L.R. (4th) 219, 2004 BCCA 377
17 La Cour d’appel (motifs du juge Thackray, auxquels souscrivent les juges Esson et Low), concluant à l’absence de violation de l’al. 2d) et de l’art. 15 de la Charte, a rejeté l’appel. Après un examen détaillé de la jurisprudence de la Cour suprême sur l’al. 2d), le juge Thackray a jugé que la jurisprudence actuelle ne permettait pas de soutenir la prétention que l’al. 2d) protégeât un droit à la négociation collective. Il a reconnu que la jurisprudence de la Cour suprême, particulièrement Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016, 2001 CSC 94, laissait des ouvertures à une reconnaissance d’un droit à la négociation collective dans des affaires ultérieures. Il a toutefois estimé qu’il appartenait à la Cour suprême du Canada, et non aux tribunaux d’instance inférieure, de sanctionner une telle reconnaissance d’un droit à la négociation collective en vertu de l’al. 2d) de la Charte (par. 106).
18 Après avoir statué que la loi contestée ne contrevenait pas à l’al. 2d) de la Charte, le juge Thackray s’est ensuite interrogé sur sa validité au regard des dispositions sur les droits à l’égalité prévues à l’art. 15. Il n’a relevé aucune erreur dans l’analyse de la juge de première instance à ce propos. Tout comme la juge de première instance, il est porté à croire que les désavantages imposés aux travailleurs de la santé en application de la Loi se rattachent à leur rôle en tant que travailleurs de la santé dans le cadre d’un régime précis des relations du travail, sans mettre en jeu leurs caractéristiques personnelles, ni les motifs énumérés ou analogues de discrimination, ni leur dignité. Malgré la légitimité des plaintes des appelants au sujet des effets de la Loi sur leur vie et leur travail, ces effets préjudiciables ne relèvent pas du champ d’application de l’art. 15 de la Charte.
III. Analyse
A. L’alinéa 2d) de la Charte
19 Il s’agit en l’espèce de déterminer si la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte protège le droit de négociation collective. Nous concluons que l’al. 2d) de la Charte protège la capacité des syndiqués de participer en groupe à la négociation collective des questions fondamentales liées au milieu de travail. Cette protection ne couvre pas tous les aspects de la « négociation collective » au sens où ce terme est employé dans les régimes légaux des relations du travail applicables dans tout le pays. Elle ne garantit pas non plus un résultat particulier d’un différend en matière de relations du travail ou l’accès à un régime légal précis. Elle protège simplement le droit des employés de s’associer dans le cadre d’une action collective visant à atteindre des objectifs liés au milieu de travail. Si le gouvernement entrave de façon substantielle l’exercice de ce droit, il contrevient à l’al. 2d) de la Charte : Dunmore. Nous constatons que le pourvoi ne concerne pas le droit de grève, dont il a été question dans des litiges antérieurs sur l’étendue du droit à la liberté d’association.
20 Notre conclusion que l’al. 2d) de la Charte protège le processus de négociation collective repose sur quatre prémisses. Premièrement, l’examen de la jurisprudence de la Cour sur l’al. 2d) révèle que les raisons invoquées par le passé pour expliquer que le droit à la liberté d’association ne s’étendait pas à la négociation collective ne valent plus. Deuxièmement, une interprétation de l’al. 2d) qui exclut la négociation collective de son champ d’application ne se concilie pas avec le fait que le Canada a toujours reconnu l’importance de ce processus en matière de liberté d’association. Troisièmement, la négociation collective fait partie intégrante de la liberté d’association selon le droit international, qui peut inspirer l’interprétation des garanties reconnues par la Charte. Enfin, interpréter l’al. 2d) comme comprenant le droit de négociation collective s’intègre dans la logique, voire la défense, des autres droits, libertés et valeurs consacrés par la Charte.
21 Nous examinons ci‑dessous chacune de ces prémisses et nous précisons ensuite la portée de la protection accordée par l’al. 2d) de la Charte à la négociation collective. Enfin, appliquant notre analyse aux faits de l’espèce, nous concluons que certaines des dispositions de la Loi portent atteinte à l’al 2d) sans être justifiées au sens de l’article premier de la Charte.
(1) Nécessité de réexaminer les raisons qui avaient justifié l’exclusion de la négociation collective de l’application de l’al. 2d)
22 Dans des arrêts antérieurs, la Cour suprême du Canada, à la majorité, était d’avis que le droit à la liberté d’association ne s’étendait pas aux négociations collectives. L’arrêt Dunmore a ouvert la porte au réexamen de cet avis. Nous concluons que les motifs avancés dans les arrêts précédents pour exclure les négociations collectives de la protection accordée par la Charte à la liberté d’association ne résistent pas à un examen fondé sur les principes pertinents et qu’ils devraient être écartés.
23 Les premiers arrêts traitant directement de la question de savoir si la négociation collective est protégée par l’al. 2d) de la Charte formaient un groupe de trois pourvois rendus simultanément appelé la « trilogie » en droit du travail : Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 (le « Renvoi relatif à l’Alberta »), AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424, et SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460. Les motifs principaux figurent dans le Renvoi relatif à l’Alberta, où on traite d’un mécanisme d’arbitrage obligatoire pour résoudre les impasses dans la négociation collective et de l’interdiction de la grève. Sur les six juges qui ont participé à la décision, trois ont conclu que la négociation collective n’était pas protégée par l’al. 2d); quatre ont conclu que la grève n’était pas protégée. Dans un arrêt postérieur traitant de la question, Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord‑Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367 (« IPFPC »), le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest a refusé d’adopter une loi habilitant le syndicat IPFPC à négocier collectivement au nom des infirmiers. Les quatre juges formant la majorité ont conclu que l’al. 2d) ne protégeait pas la négociation collective.
24 Dans ces arrêts, les différents juges composant les formations majoritaires ont exposé cinq principaux motifs au soutien de la thèse de l’exclusion de la négociation collective de la protection de l’al. 2d).
25 Selon le premier motif avancé, les droits de faire la grève et de négocier collectivement sont des « droits contemporains » créés par voie législative, et non des « libertés fondamentales » (Renvoi relatif à l’Alberta, motifs du juge Le Main, en son nom et au nom des juges Beetz et La Forest, p. 391). Cet argument pose problème car il ne tient pas compte de l’histoire des relations du travail au Canada. Comme nous l’expliquerons de manière plus approfondie dans la prochaine section des présents motifs, l’importance fondamentale que revêt la négociation collective dans les relations du travail constitue la raison même de son incorporation dans une loi. Les législatures dans l’ensemble du territoire canadien ont de tout temps considéré le droit de négociation collective comme suffisamment important pour le mettre à l’abri d’une atteinte potentielle. Les lois qu’elles ont adoptées n’ont pas créé le droit de négocier collectivement. Elles ont lui plutôt conféré une protection. Rien dans la consécration législative de la négociation collective n’altère sa nature fondamentale.
26 Selon le deuxième motif invoqué, la reconnaissance du droit de négociation collective violerait le principe de retenue judiciaire parce qu’elle entraverait la réglementation gouvernementale des relations du travail (Renvoi relatif à l’Alberta, p. 391). La réglementation des relations du travail, soutient‑on, implique des décisions de politique générale qui relèvent davantage du gouvernement. Là encore, cet argument oublie que le droit de négociation collective est traditionnellement reconnu aux organisations de travailleurs, même s’il ne s’inscrit pas dans un régime légal, et il attribue une portée excessive au principe de la déférence judiciaire. Certes, il se peut fort bien que les juges aient raison de s’en remettre aux législateurs pour résoudre les questions de politique générale énoncées dans des lois particulières. Cependant, déclarer que tous les aspects d’un droit demeurent à l’abri des interventions judiciaires, au motif que les tribunaux pourraient être appelés à se prononcer sur ces questions de politique générale, pousse trop loin le principe de la déférence judiciaire. La politique générale exprimée par le législateur doit elle‑même refléter les droits et valeurs consacrés par la Charte.
27 Le troisième motif utilisé pour exclure la négociation collective de la protection accordée par l’al. 2d) de la Charte repose sur l’idée que la liberté d’association protège uniquement les activités qui peuvent être accomplies individuellement (IPFPC, motifs des juges L’Heureux‑Dubé et Sopinka). Cette opinion est tirée d’un passage dans lequel le juge Sopinka définit la portée de l’al. 2d) en énonçant quatre propositions maintes fois citées (p. 402‑403) : (1) l’al. 2d) protège la liberté de constituer une association, de la maintenir et d’y appartenir; (2) il ne protège pas une activité uniquement parce qu’il s’agit d’une activité essentielle à l’existence de l’association; (3) il protège l’exercice collectif des droits et libertés individuels consacrés par la Constitution; (4) il protège l’exercice collectif des droits légitimes des personnes. Si l’on accepte ce cadre et le postulat que l’al. 2d) ne couvre que les activités pouvant être exercées individuellement, il s’ensuit que la négociation collective ne saurait bénéficier de la protection de l’al. 2d), car un individu ne peut négocier collectivement.
28 Cette conception restreinte de la liberté d’association, qui n’inclut que les activités individuelles, a été rendue désuète par l’arrêt Dunmore. Notre Cour a alors rejeté le principe que la liberté d’association ne s’applique qu’aux activités pouvant être accomplies individuellement. Le juge Bastarache a reconnu que « limiter l’application de l’al. 2d) aux activités qui peuvent être accomplies individuellement viderait de leur sens ces actes fondamentaux » (par. 16) puisque, comme le souligne en dissidence le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à l’Alberta, certaines activités collectives ne pourraient, en raison de leur nature même, être accomplies individuellement. Le juge Bastarache cite en exemple le fait d’exprimer un point de vue majoritaire, activité purement collective qui n’a pas de pendant individuel (par. 16). Il conclut :
À mon avis, la notion même d’« association » reconnaît les différences qualitatives entre individu et collectivité. Elle reconnaît que la presse diffère qualitativement du journaliste, la collectivité linguistique du locuteur, le syndicat du travailleur. Dans tous les cas, la collectivité a une existence propre et ses besoins et priorités diffèrent de ceux de ses membres individuels. [. . .] étant donné que les besoins et priorités des syndicats tendent à se distinguer de ceux de leurs membres individuels, ils ne peuvent fonctionner si la loi protège exclusivement ce qui pourrait être des « activités licites d’un individu ». La loi doit plutôt reconnaître que certaines activités syndicales — les revendications collectives auprès de l’employeur, l’adoption d’une plate‑forme politique majoritaire, le regroupement en fédérations syndicales — peuvent être au coeur de la liberté d’association même si elles ne peuvent exister au niveau individuel. Ceci ne veut pas dire que toutes ces activités sont protégées par l’al. 2d), ni que toutes les collectivités ont droit à la protection constitutionnelle; en fait, notre Cour a exclu plusieurs fois le droit de grève et de négociation collective de la protection de l’al. 2d) [renvois omis]. Cela veut dire simplement que certaines activités collectives doivent être reconnues pour que la liberté de constituer et de maintenir une association ait un sens. [C’est nous qui soulignons; par. 17.]
29 Le quatrième motif avancé pour exclure le droit de négociation collective de la protection de l’al. 2d) est l’argument de la juge L’Heureux‑Dubé selon lequel l’al. 2d) n’a pas été conçu pour protéger les « objectifs » ou les buts d’une association (IPFPC, p. 391‑393). Cet argument ne tient pas compte du fait qu’il sera toujours possible d’affirmer que la poursuite concertée d’une activité constitue l’« objectif » de cette association. La redéfinition de la négociation collective pour en faire un « objectif » élude la question de déterminer si cette activité mérite d’être protégée par la Constitution. La préoccupation sous‑jacente de la juge L’Heureux‑Dubé — éviter l’utilisation de la Charte pour protéger les résultats concrets de toute activité associative — reste tout à fait légitime. Toutefois, on a toujours distingué entre la « négociation collective » en tant que processus et son issue (par ex., les résultats du processus de négociation, qui peuvent être consignés dans la convention collective). Il y a plus de 60 ans, le professeur Bora Laskin (plus tard Juge en chef du Canada) définissait avec justesse la négociation collective :
[traduction] La négociation collective est un processus par lequel les travailleurs expriment leurs opinions, par l’entremise des représentants de leur choix, et non des représentants choisis, nommés ou autorisés par les employeurs. Plus que cela, il s’agit d’un processus par lequel l’employeur et ses employés peuvent négocier pour s’entendre sur les conditions de travail, pourvu que leur pouvoir respectif de négociation soit de force relativement égale.
(« Collective Bargaining in Canada: In Peace and in War » (1941), 2:3 Food for Thought, p. 8.)
Il nous apparaît tout à fait possible de protéger le « processus » appelé négociation collective sans aller jusqu’à accorder une protection constitutionnelle aux fruits du processus de négociation. C’est pourquoi qualifier la négociation collective d’« objectif » d’une association ne fournit aucune raison de principe permettant de lui refuser une protection constitutionnelle.
30 Le doute le plus sérieux quant à la validité de la jurisprudence antérieure résulte du fait que les juges majoritaires dans le Renvoi relatif à l’Alberta et dans IPFPC ont défini l’étendue de la liberté d’association en adoptant une approche insensible à son contexte, contrairement à l’interprétation téléologique donnée à d’autres garanties reconnues par la Charte. Cette méthode a pour effet d’amputer l’étude de cette garantie constitutionnelle de l’analyse de son objet. La méthode générale et décontextualisée appliquée à l’al. 2d) dans les arrêts antérieurs ne respecte pas les différences entre les associations. Quelle que soit l’association — un syndicat ou un club de lecture — , on a traité ses libertés de manière identique. Or, ce faisant, on perd malheureusement de vue l’importance que présente la négociation collective — par le passé et à l’heure actuelle — pour l’exercice de la liberté d’association dans le cadre des relations du travail.
31 Nous concluons que les motifs des juges majoritaires dans le Renvoi relatif à l’Alberta et dans IPFPC ne devraient pas nous empêcher de réexaminer la question de l’application de l’al. 2d) à la négociation collective. C’est manifestement le cas ici depuis l’arrêt Dunmore, qui a invalidé une loi empêchant effectivement les travailleurs agricoles d’engager des négociations collectives en les excluant du régime provincial des relations du travail, au motif qu’elle contrevient à l’al. 2d) de la Charte. Dunmore clarifie trois aspects du droit en évolution : la détermination de ce qui constitue une ingérence dans « l’aspect collectif » d’une activité; la nécessité de donner à la liberté d’association une interprétation contextuelle et la reconnaissance que l’al. 2d) peut imposer des obligations positives au gouvernement.
32 L’arrêt Dunmore accepte la conclusion de la majorité dans Office canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, selon laquelle seul « l’aspect collectif » de l’activité, et non l’activité elle‑même, est protégé par l’al. 2d). Il précise toutefois que ce n’est pas parce que la loi réserve le même traitement aux individus et aux groupes qu’il n’y a pas eu ingérence dans « l’aspect collectif » de l’activité. Il est possible que l’interdiction visant un individu ne soulève pas d’inquiétudes quant à l’aspect collectif du droit, mais que la même interdiction en provoque si elle vise un groupe. Dans Dunmore, la Cour conclut :
L’interprétation téléologique de l’al. 2d) exige en somme « de distinguer l’aspect collectif d’une activité de l’activité elle‑même », la démarche imposée par notre Cour dans le Renvoi relatif à l’Alberta [p. 1043] (voir OCCO, précité, les juges Iacobucci et Bastarache, par. 111). Cette démarche commence avec les paramètres établis dans ce renvoi qui permettent à un demandeur de démontrer que l’activité collective est autorisée pour des individus afin d’établir que sa réglementation vise en fait l’association comme telle (voir le Renvoi relatif à l’Alberta, précité, le juge en chef Dickson, p. 367). Le demandeur qui ne peut apporter cette preuve peut cependant établir, directement ou par inférence, que le législateur a ciblé une activité associative en raison de son caractère concerté ou associatif.
(Le juge Bastarache, par. 18.)
33 Deuxièmement, Dunmore préconise à juste titre une analyse plus contextuelle qu’auparavant. Établir que le législateur a ciblé une activité associative en raison de « son caractère concerté ou associatif » exige une appréciation plus contextuelle que dans les premières causes relatives à l’al. 2d). Les motifs dissidents du juge Bastarache dans R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, 2001 CSC 70, ont laissé présager cette approche contextuelle, indiquant que pour définir les limites de l’al. 2d), « [i]l faut examiner l’ensemble du contexte du droit » (par. 9).
34 Enfin, Dunmore reconnaît qu’en certaines circonstances l’al. 2d) peut imposer aux gouvernements des obligations positives destinées à étendre la protection légale à des groupes particuliers. Une loi d’application restreinte peut, « dans des contextes exceptionnels, avoir un effet substantiel sur l’exercice d’une liberté constitutionnelle » (par. 22). Un tel effet se produira dans les cas où l’argument fondé sur la portée trop limitative repose sur une liberté fondamentale garantie par la Charte et non simplement sur l’accès à un régime légal (par. 24); où la création d’une obligation positive en vertu de la Charte exige un fondement de preuve approprié (par. 25); où l’État peut vraiment être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale (par. 26). Il doit être établi qu’il serait pratiquement impossible d’exercer la liberté constitutionnelle en question sans la reconnaissance positive du droit d’avoir accès à un régime légal.
35 Le juge Bastarache a concilié la conclusion dans Dunmore, selon laquelle une obligation positive incombe au gouvernement de permettre aux travailleurs agricoles de se regrouper pour négocier collectivement de façon efficace, avec celle dans Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, selon laquelle le gouvernement fédéral n’avait pas l’obligation positive de donner aux agents de la GRC accès à la négociation collective, en distinguant les effets des lois applicables dans les deux affaires. Contrairement aux membres de la GRC visés dans l’affaire Delisle, les travailleurs agricoles se trouvaient confronté à des obstacles qui les rendaient essentiellement incapables d’exercer leur droit de former des associations hors du cadre législatif (le juge Bastarache, par. 39, 41 et 48). Le principe qui y est énoncé est clair : les mesures gouvernementales qui diminuent considérablement la capacité des individus de s’associer dans le but de promouvoir leurs intérêts en matière de relations du travail portent atteinte à la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte.
36 Bref, l’examen de la jurisprudence mène à la conclusion que les décisions rendues dans le Renvoi relatif à l’Alberta et dans IPFPC qui excluaient la négociation collective du champ d’application de l’al. 2d) ne sauraient être acceptées plus longtemps. Aucune des raisons exposées par les juges majoritaires dans ces arrêts ne résistent à l’examen et le raisonnement à l’origine de l’exclusion des activités purement collectives de la protection de l’al. 2d) a été écarté dans Dunmore.
37 Notre décision de rejeter les arguments employés auparavant pour exclure la négociation collective de la protection de l’al. 2d) nous amène au réexamen de cette question, dont l’analyse suit ci‑après.
(2) La négociation collective est visée par l’alinéa 2d) de la Charte
38 Il faut décider si la liberté d’association garantie par l’al. 2d) englobe le droit des employés d’adhérer à un syndicat pour négocier avec l’employeur les questions liées au milieu de travail ou les conditions de travail — processus généralement décrit comme étant la négociation collective.
39 L’objet général des garanties de la Charte et le libellé de l’al. 2d) se concilient à tout le moins avec la reconnaissance d’une certaine protection de la négociation collective. L’alinéa 2d) est rédigé en termes généraux et sans restrictions. Toutefois, cela n’est pas déterminant. Pour répondre à la question dont nous sommes saisis, nous devons prendre en compte l’histoire de la négociation collective au Canada, la négociation collective dans le contexte international relatif à la liberté d’association, et rechercher si les valeurs reconnues par la Charte favorisent une interprétation de l’al. 2d) qui protège le processus de négociation collective : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344, le juge en chef Dickson. L’appréciation de la portée de l’al. 2d) de la Charte par ces moyens permet de conclure que cette disposition protège effectivement le droit des travailleurs à un processus de négociation collective.
(a) L’histoire des relations du travail au Canada révèle la nature fondamentale de la négociation collective
40 Le droit de s’associer avec d’autres en vue de la négociation collective est reconnu depuis longtemps comme un droit fondamental au Canada, qui existait d’ailleurs avant l’adoption de la Charte. Ce constat suggère que les auteurs de la Charte ont voulu que ce droit bénéficie de la protection que l’al. 2d) de la Charte confère à la liberté d’association.
41 Selon l’intimée, le droit de négociation collective représente simplement l’oeuvre récente du législateur. Cette assertion peut être exacte dans la mesure où on assimile la négociation collective au cadre des droits de représentation et de négociation collective actuellement reconnus dans les codes du travail fédéral et provinciaux. Or, le droit de négociation collective au sens qui lui est donné en l’espèce (c.‑à‑d. le droit procédural des travailleurs de négocier collectivement leurs conditions de travail) est né avant l’adoption dans les années 1940 du système actuel des relations du travail. L’histoire de la négociation collective au Canada révèle que, bien avant la mise en place des régimes légaux actuels des relations du travail, la négociation collective était reconnue comme un aspect fondamental de la vie de la société canadienne. C’est dans ce contexte qu’on doit examiner la portée de l’al. 2d).
42 On peut résumer l’histoire des relations du travail au Canada en empruntant un court extrait du Rapport de l’équipe spécialisée en relations de travail de 1968. Comme la société entrait dans l’ère industrielle, « . . . les travailleurs commençaient à adhérer à des syndicats et à s’engager dans la négociation collective avec leurs employeurs. Bien que les employeurs aient résisté avec la dernière énergie à cette évolution, il devint finalement évident que syndicats et négociation collective étaient des composants naturels d’une économie d’entreprise mixte. C’est alors que l’État a assumé la tâche d’établir une structure de droits et de responsabilités à l’intérieur de laquelle le patronat et les organisations de travailleurs conduiraient leurs relations » (Équipe spécialisée du Canada en relations de travail, Les relations de travail au Canada : Rapport de l’Équipe spécialisée en relations de travail (1968) (le « Rapport Woods »), p. 14).
43 Le droit du travail canadien tire son origine de divers systèmes de droit, mais surtout du droit britannique et du droit américain. Avant les années 1940, le droit britannique a largement contribué à l’évolution de notre droit du travail. L’influence du droit américain s’est fait sentir davantage au moment où les États‑Unis ont adopté en 1935 la Loi Wagner (aussi appelée National Labor Relations Act). Enfin, le droit français a influé sur une bonne partie du droit québécois régissant les relations du travail et la négociation collective avant 1944 (R. P. Gagnon, L. LeBel et P. Verge, Droit du travail (2e éd. 1991), p. 26‑27).
44 L’évolution du droit du travail canadien peut se diviser en trois grandes périodes : la répression, la tolérance et la reconnaissance. Nous sommes bien conscients que cette catégorisation ne brosse peut‑être pas nécessairement un tableau fidèle de l’évolution du droit du travail dans notre pays (voir, par ex., E. Tucker, « The Faces of Coercion: The Legal Regulation of Labor Conflict in Ontario, 1880‑1889 » (1994), 12 Law & Hist. Rec. 277). Toutefois, pour les besoins du présent pourvoi, elle fournit un cadre historique suffisant pour résumer l’évolution de notre droit et souligner le développement des syndicats et de la négociation collective ainsi que l’ouverture dont le gouvernement et la société ont su faire preuve envers ces organisations depuis un siècle.
(i) Répression des organisations de travailleurs
45 Les associations de travailleurs ne datent pas d’hier. En Angleterre, dès la fin du Moyen‑Âge, les travailleurs se regroupaient pour demander de meilleures conditions de travail. Ils présentaient des pétitions au Parlement, réclamant des lois leur accordant de meilleurs salaires ou d’autres conditions de travail plus avantageuses. Peu après, ils ont commencé à organiser des grèves (M.‑L. Beaulieu, Les Conflits de Droit dans les Rapports Collectifs du Travail (1955), p. 29‑30).
46 Au Canada, l’existence des organisations de travailleurs remonte à la fin du 18e siècle. [traduction] « Dès 1794, des employés de la Compagnie de fourrures du Nord‑Ouest ont déclenché une grève pour obtenir des salaires plus élevés » (D. D. Carter et autres, Labour law in Canada (5e éd. 2002), p. 48). Toutefois, ce n’est qu’avec la révolution industrielle que les organisations de travailleurs jouent un rôle moins marginal et que naît véritablement le mouvement syndical (Carter et autres, p. 48; C. Lipton, The Trade Union Movement of Canada, 1827‑1959 (4e éd. 1978), p. 1‑6; J. Rouillard, Histoire du syndicalisme au Québec : Des origines à nos jours (1989), p. 11).
47 Dès le début, on a recouru à des mesures législatives pour limiter le droit des travailleurs de se syndiquer. En Angleterre, au cours des 18e et 19e siècles, les organisations syndicales étaient considérées comme illégales selon la notion de complot criminel en common law (Lord Wedderburn, The Worker and the Law, (3e éd. 1986), p. 514‑515); (G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (à feuilles mobiles)), § 1.30, p. 1‑2). De nouvelles limites ont vite été imposées par voie législative. Convaincu que les organisations syndicales constituaient des nids d’incubation d’éventuelles révolutions, le Parlement britannique a adopté après la Révolution française les Combination Acts de 1799 et de 1800, qui interdisaient aux travailleurs de se coaliser, que ce soit pour la majoration des salaires, la réduction des heures de travail ou pour inciter d’autres travailleurs à quitter le travail ou à refuser du travail. Ces lois, disposant que [traduction] « commet une infraction quiconque est membre d’un syndicat, déclenche une grève ou contribue financièrement à des activités syndicales », empêchèrent longtemps un grand nombre d’activités collectives (J. G. Riddal, The Law of Industrial Relations (1981), p. 24). La coalition de travailleurs était déjà frappée d’illégalité en common law. Or, en permettant d’appliquer avec plus de rapidité et d’efficacité des sanctions pénales aux travailleurs, les Combination Acts ont renforcé la common law sous cet aspect (W. R. Cornish et G. de N. Clark, Law and Society in England 1750‑1950 (1989), p. 297).
48 En 1824, les Combination Acts anglaises ont été abrogées. Une série de grèves a immédiatement suivi l’abrogation. Moins d’un an plus tard, le Parlement britannique a répliqué par l’adoption d’une nouvelle Combination Act, qui rétablit de fortes sanctions pénales contre les travailleurs. La nouvelle Combination Act de 1825 reconnaît aux travailleurs le droit de négocier collectivement avec leurs employeurs, mais a fait de la grève une infraction criminelle. Les auteurs S. Deakin et G. S. Morris résument l’état du droit sous le régime de la Combination Act de 1825 en ces termes :
[traduction] Pendant les quelque cinquante ans qui ont suivi 1825, le droit dictait, en principe, la reconnaissance de la liberté d’association et de la poursuite légitime de la négociation collective; le recours à la grève demeurait toutefois très limité. En pratique, les travailleurs ne pouvaient pas véritablement exercer leur droit de résister aux employeurs qui refusaient la négociation collective puisque la principale arme dont disposaient les syndicats — la grève — était régie par le droit criminel. Le droit criminel imposait en outre des sanctions aux travailleurs qui, abandonnant volontairement leur emploi, contrevenaient à leur contrat de travail selon la Master and Servant Act de 1823, laquelle a remplacé plusieurs lois du 18e siècle dont les effets étaient similaires.
(Labour Law (4e éd. 2005), p. 7.)
49 Dans les années 1860, deux événements importants ont amené le Parlement britannique à changer de cap. D’abord, une commission royale d’enquête sur les syndicats, établie en 1867, a recommandé une plus ample reconnaissance juridique des syndicats. Ensuite, la réforme du droit de suffrage a reconnu le droit de vote à un large segment de la classe ouvrière, lui permettant ainsi d’exercer une plus grande influence sur le Parlement (Adams, § 1.40, p. 1‑4; A. W. R. Carrothers, E. E. Palmer et W. B. Rayner, Collective Bargaining Law in Canada (2e éd. 1986), p. 16). En réaction à ces événements, le Parlement britannique a adopté en 1871 la Trade Union Act et la Criminal Law Amendment Act, destinées à soustraire les syndicats et leurs membres à l’application des lois criminelles interdisant le complot et l’entrave au commerce. Les tribunaux britanniques ont néanmoins continué de considérer comme douteuses les activités collectives : ils ont réprimé les grèves en invoquant la notion de complot criminel et d’autres activités syndicales en recourant aux ressources du droit de la responsabilité pour des délits économiques. Le Parlement britannique toutefois répliquait à l’occasion par un renforcement de la protection législative accordée aux syndicats de la Grande‑Bretagne (Deakin et Morris, p. 8‑10).
50 La question de savoir si les principes répressifs de la common law et les Combination Acts de 1799 et de 1800 ont été introduits en droit canadien demeure sujette à controverse. Selon certains auteurs, les notions de complot et d’entrave au commerce ont bien été introduites dans le droit canadien (Adams, § 1.70, p. 1‑5; Beaulieu, p. 73). D’autres prétendent toutefois que la common law canadienne et le droit civil québécois étaient plus ambigus et moins oppressifs à l’égard des syndicats que la common law britannique (Gagnon, LeBel et Verge p. 620‑621; Perrault c. Gauthier (1898) 28 R.C.S. 241). Il n’est pas nécessaire de trancher ce débat : il suffit de reconnaître qu’au moins jusqu’en 1872 les lois canadiennes [traduction] « jettent une ombre sur la légitimité des syndicats » (B. D. Palmer, Working‑Class Experience : Rethinking the History of Canadian Labour, 1800‑1991 (2e éd. 1992), p. 66; E. Tucker, « That Indefinite Area of Toleration: Criminal Conspiracy and Trade Unions in Ontario, 1837‑77 » (1991), 27 Le Travail 15; voir également Carrothers, Palmer et Rayner, p. 18).
(ii) Tolérance envers les organisations de travailleurs et la négociation collective
51 Le droit du travail canadien a pris un tournant décisif à la suite de la grève du syndicat des typographes de Toronto survenue en 1872. La grève des typographes de Toronto, motivée par la revendication de la réduction de la journée de travail à neuf heures, s’est soldée par de nombreuses arrestations de grévistes, suivies d’accusations criminelles de complot portées contre eux en vertu de la common law. À cette époque, le Canada n’avait pas encore adopté de lois visant à protéger les syndiqués contre des accusations criminelles de complot et d’entrave au commerce. Les accusations criminelles portées contre les grévistes de Toronto ont inquiété le public et ont révélé que le Canada accusait un retard — du moins par rapport à la Grande‑Bretagne — à l’égard de la question de la protection et de la reconnaissance syndicales.
52 Le Canada a donc adopté sa propre loi, reproduisant en partie la Trade Union Act britannique de 1871. La loi canadienne, Acte des Associations ouvrières, 1872, [traduction] « . . . indiquait clairement que les travailleurs ne pouvaient faire l’objet de poursuites criminelles pour complot au seul motif qu’ils avaient cherché à influer sur les salaires, les heures de travail ou d’autres aspects des relations du travail » (Palmer, p. 111). Par cette mesure législative, le Parlement canadien a reconnu la valeur des activités collectives pour les individus dans le contexte des relations du travail. Comme l’a déclaré sir John A. Macdonald à la Chambre des communes, l’Acte des Associations ouvrières, 1872 visait à soustraire les syndicats à l’application des lois en vigueur considérées comme « incompatibles avec l’esprit de liberté individuelle » (Débats de la Chambre des communes, vol. III, 5e sess., 1re lég., 7 mai 1872, p. 392, passage cité par M. Chartrand, « The First Canadian Trade Union Legislation : An Historical Perspective » (1984) 16 R.D. Ottawa 267).
53 Au début des années 1900, les principales mesures pénales qui avaient fait obstacle au syndicalisme canadien n’existaient plus. Le droit criminel n’interdisait plus les mouvements concertés de travailleurs visant de meilleures conditions de travail (Carrothers, Palmer et Rayner, p. 30). Toutefois, les tribunaux ont continué d’appliquer les principes de common law pour restreindre les activités syndicales (Adams, p. 1‑5, par. 170; Carrothers, Palmer et Rayner, p. 19). Par ailleurs les employeurs n’étaient pas tenus par la loi de reconnaître les syndicats ou de négocier collectivement avec eux. Ils pouvaient simplement ignorer les demandes syndicales et même refuser d’engager des travailleurs syndiqués. Comme l’expliquent J. Fudge et E. Tucker :
[traduction] Les travailleurs avaient également le privilège de se coaliser pour défendre leurs intérêts communs, mais les employeurs étaient libres de former des contrats uniquement avec les travailleurs qui ne se sont pas coalisés. Bref, ils pouvaient refuser d’engager des travailleurs syndiqués et congédier les travailleurs qui adhéraient à un syndicat une fois embauchés.
(Labour Before the Law: The Regulation of Workers Collective Action in Canada, 1900‑1948 (2001), p. 2.)
54 Les employeurs pouvaient refuser de reconnaître les syndicats et de négocier avec eux, mais les employés disposaient d’une arme économique puissante : la capacité de déclencher une grève pour forcer un employeur à reconnaître leur syndicat et à négocier collectivement avec lui. La loi permettait ainsi aux deux parties de recourir à des armes économiques pour parvenir à leurs fins. Avant l’adoption du modèle légal contemporain des relations du travail, la majorité des grèves s’expliquaient par le désir des travailleurs d’amener l’employeur à reconnaître le syndicat et à négocier collectivement avec lui (D. Glenday et C. Schrenk, « Trade Union and the State: An Interpretive Essay on the Historical Development of Class and State Relations in Canada, 1889‑1947 » (1978), 2 Alternate Routes 114, p. 128; M. Thompson, « Wagnerism in Canada: Compared to What? », Actes du XXXIe Congrès de l’Association canadienne des relations industrielles (1995), 59, p. 60; C. D. Baggaley, A Century of Labour Regulation in Canada (1981), Cahiers de recherche no 19, Conseil économique du Canada, p. 57). Ce nombre sans précédent de grèves, causées en grande partie par le refus des employeurs de reconnaître les syndicats et de négocier collectivement avec eux, a amené les gouvernements à adopter le modèle légal américain fondé sur la Loi Wagner, examiné plus loin.
(iii) Reconnaissance de la négociation collective
55 Au cours des premières décennies du 20e siècle, le Parlement a encouragé la négociation collective volontaire. Le Parlement fédéral a adopté une série de lois visant à encourager la négociation collective en conférant au ministre du Travail le pouvoir d’imposer la conciliation aux parties afin de les orienter vers des compromis (Acte de conciliation, 1900, S.C. 1900, ch. 24; Acte d’arbitrage des chemins de fer, 1903, S.C. 1903, ch. 55; Loi des enquêtes en matière de différends industriels, 1907, S.C. 1907, ch. 20). Ce modèle a échoué, essentiellement parce que rien n’incitait les employeurs à participer au processus ainsi établi. (Voir J. Webber, « Compelling Compromise: Canada chooses Conciliation over Arbitration 1900‑1907 » (1991), 28 Travail, 15; Gagnon, LeBel et Verge, p. 25; Carrothers, Palmer et Rayner, p. 32; Adams, p. 1‑6.). Par ailleurs, les travailleurs syndiqués ne bénéficiaient d’aucune protection contre les pratiques déloyales de travail de l’employeur (Carrothers, Palmer et Rayner, p. 37). En quête d’un meilleur modèle, les gouvernements canadiens ont décidé d’examiner la situation aux États‑Unis.
56 Aux États‑Unis, les tribunaux se sont également beaucoup appuyés sur la notion de complot en droit criminel et en droit civil, et sur la législation antitrust pour limiter les activités syndicales (Gagnon, LeBel et Verge, p. 19‑20). En 1914, le Congrès américain a soustrait les syndicats à l’application des lois antitrust et adopté une attitude non interventionniste afin de permettre aux travailleurs et employeurs d’utiliser leur pouvoir économique respectif pour gérer leurs propres relations du travail. Toutefois, la Dépression et la tension qu’elle a provoquée dans les relations du travail au cours des années 1930 ont eu raison de l’ancien modèle du laissez‑faire. Cette évolution a mené à l’adoption de la Loi Wagner, qui a expressément reconnu aux employés le droit d’appartenir au syndicat de leur choix, sans coercition ni ingérence de la part de l’employeur, et oblige l’employeur à négocier de bonne foi avec les syndicats de travailleurs. (Adams, p. 1‑10.)
57 L’auteur K. E. Klare a relevé les principaux objectifs de la Loi Wagner :
[traduction]
1. Paix industrielle : En encourageant la négociation collective, la Loi visait à maîtriser « les grèves et autres formes de conflits de travail » parce que les luttes ouvrières nuisaient au commerce entre les États; en d’autres termes, elles déstabilisaient l’économie d’entreprise. En outre, même si cette idée n’était exprimée nulle part dans le texte, les luttes ouvrières entraînaient clairement d’autres conditions indésirables, par exemple des bouleversements politiques, la violence et un climat général d’incertitude.
2. Négociation collective : La Loi cherchait à mettre en valeur la négociation collective en soi, en raison des vertus « médiatrices » ou « thérapeutiques » qu’elle aurait sur les conflits de travail.
3. Pouvoir de négociation : La Loi visait à favoriser la « liberté réelle de contracter » en rétablissant l’équilibre du pouvoir de négociation entre employeur et employés.
4. Libre choix : La Loi était censée protéger le libre choix des travailleurs de s’associer et de choisir eux‑mêmes les représentants qui négocieraient collectivement en leur nom.
5. Sous‑consommation : La Loi était conçue pour favoriser le redressement de l’économie et prévenir d’autres crises en permettant aux travailleurs d’augmenter leur revenu et leur pouvoir d’achat.
6. Démocratie industrielle : C’est là l’aspect le plus insaisissable de l’objectif législatif, quoique selon la plupart des auteurs le concept de démocratie industrielle est ancré dans le régime législatif, ou du moins était l’un des objectifs énoncés par les parrains de la Loi. Le sénateur Wagner a fréquemment abordé le thème de la démocratie industrielle, lui donnant le ton de façon retentissante, et les auteurs ont par la suite considéré que la négociation collective constituait « le moyen d’établir la démocratie industrielle, [. . .] le moyen par lequel la vie professionnelle des travailleurs leur procure un sentiment de valorisation, de liberté et le sentiment qu’ils contribuent à la société, promesse du gouvernement démocratique ».
(« Judicial Deradicalization of the Wagner Act and the Origins of Modern Legal Consciousness, 1937‑1941 » (1978), 62 Minn. L. Rev. 265, 281‑284.)
58 À la fin des années 1930, la plupart des provinces canadiennes avaient adopté des dispositions législatives reprenant les principaux objectifs de la Loi Wagner (Carrothers, Palmer et Rayner, 47‑48). Toutefois, c’est le décret C.P. 1003 — règlement adopté par le gouvernement fédéral pour régir les relations du travail en temps de guerre — qui a consolidé la mise en oeuvre des principes de la Loi Wagner au Canada et provoqué un mouvement d’évolution des lois provinciales en matière de travail (Carrothers, Palmer et Rayner, p. 50; J. Fudge et H. Glasbeek, « The Legacy of PC 1003 » (1995) 3 C.L.E.L.J. 357, p. 358).
59 J. Fudge et H. Glasbeek soulignent les effets du décret C.P. 1003 sur les relations du travail au Canada :
[traduction] Pour la première fois dans l’histoire canadienne, le gouvernement a forcé les employeurs à reconnaître les représentants dûment élus et les syndicats, et à négocier avec eux. Du point de vue des travailleurs, on partait du droit d’affirmer son désir d’être représenté par un syndicat et on arrivait désormais à un droit ayant force exécutoire qui obligeait l’employeur à traiter comme un syndicat les représentants choisis. Il n’était plus nécessaire de recourir à la puissance économique collective — toujours sérieusement limitée par la common law — pour obtenir le droit de négocier collectivement avec les employeurs. [p. 359]
60 Le décret C.P. 1003 représentait un compromis adopté pour l’harmonie des relations du travail. D’une part, il accordait aux travailleurs d’importantes protections leur permettant de se syndiquer sans crainte d’une intervention injuste de la part des employeurs et leur garantissait le droit de négocier collectivement de bonne foi avec leurs employeurs sans avoir recours à la grève ou d’autres armes économiques. D’autre part, il assurait aux employeurs une certaine stabilité dans leurs relations avec leurs employés syndiqués, tout en dissipant le spectre d’une intervention massive de l’État dans l’économie (Fudge et Glasbeek, p. 370). Ces éléments du décret C.P. 1003 guident encore notre régime des relations du travail (Adams, p. 2‑98 et suiv.).
61 Dans toutes les provinces, à l’exception de la Saskatchewan, la législation s’inspirant de la Loi Wagner s’est d’abord appliquée uniquement au secteur privé. Son application ne s’est étendue que plus tard au secteur public. Entre 1965 et 1973, des lois conférant des protections aux travailleurs des secteurs publics ont été adoptées d’un bout à l’autre du pays. (Fudge et Glasbeek, p. 384; voir aussi J. R. Calvert, « Collective Bargaining in the Public Sector in Canada: Teething Troubles or Genuine Crisis? » (1987), 2 Brit. Jour. Can. Stud. 1). Toutefois, les droits conférés aux employés du secteur public restaient plus limités que ceux des travailleurs du secteur privé :
[traduction] Certains employés ne sont pas autorisés à négocier certaines questions, pour certains autres, la seule alternative à la grève est une sentence arbitrale obligatoire, d’autres encore n’ont aucun droit de grève. Par ailleurs, les gouvernements se sont réservé le droit de décider, même lorsque l’unité de négociation du secteur public a le droit de grève, que certains de ses membres doivent être désignés comme travailleurs affectés aux services essentiels, c’est‑à‑dire, des travailleurs qui doivent continuer de fournir des services gouvernementaux pendant que leurs collègues appartenant à la même unité de négociation sont en grève licite. De plus, du fait que le gouvernement se donne le droit et le devoir de continuer à veiller au bien‑être de la population, il devient facile d’adopter des lois qui suspendent ou suppriment l’exercice du droit de grève déjà reconnu aux syndicats. Dans le même ordre d’idée, le gouvernement peut toujours prétendre qu’il est justifié de limiter les droits de ses fonctionnaires à la négociation collective — quels qu’ils soient — non seulement pour lui permettre de continuer à offrir des services, mais également pour appliquer une politique importante, comme la réduction de l’inflation ou l’équilibre budgétaire.
(Fudge et Glasbeek, p. 385.)
62 Par ailleurs, les gouvernements ont à plusieurs reprises (et de plus en plus durant les années 1980 et 1990) pris des mesures législatives pour imposer unilatéralement à leurs propres employés des conditions d’emploi précises, généralement liées au salaire (J. B. Rose, « Public Sector Bargaining: From Retrenchment to Consolidation » (2004), 59 RI 271, p. 275).
63 Bref, dès le 18e siècle, les travailleurs canadiens ont commencé à se regrouper pour négocier leurs conditions de travail avec leurs employeurs. La common law laisse toutefois les droits des travailleurs d’agir collectivement dans une zone d’ombre. Lorsque le Parlement a commencé à reconnaître les droits des travailleurs, la loi ne conférait pas expressément aux syndicats le droit de négocier collectivement avec les employeurs. Ceux‑ci pouvaient simplement les ignorer. Toutefois, les travailleurs ont utilisé une arme économique puissante — la grève — pour forcer graduellement les employeurs à reconnaître les syndicats et à négocier collectivement avec eux. En adoptant un modèle fondé sur la Loi Wagner, les gouvernements de l’ensemble du pays ont reconnu le besoin fondamental des travailleurs de participer à la réglementation de leur milieu de travail. Ces dispositions législatives ont confirmé la validité de l’objectif central des luttes syndicales depuis des siècles, que le mouvement syndical a atteint pendant la période de laissez‑faire en déclenchant des grèves : le droit de négocier collectivement avec les employeurs.
(iv) Négociation collective à l’ère de la Charte
64 Au moment de l’entrée en vigueur de la Charte en 1982, la négociation collective était depuis longtemps implantée au Canada et reconnue comme une partie de la liberté d’association dans le contexte des relations du travail. Le Rapport Woods de 1968 explique ainsi l’importance de la négociation collective dans notre société et le rapport particulier qu’entretient la négociation collective avec la liberté d’association :
Les libertés d’association et d’action collective sont des valeurs fondamentales de la société canadienne et sont à la base du régime actuel de négociation collective. Leur réunion donne aux syndicats la liberté de grouper les travailleurs en association, de négocier avec l’employeur une convention collective et de recourir à des sanctions économiques, et même d’en appeler à l’opinion publique en cas d’impasse. [. . .]
Il faut encourager et assurer la reconnaissance du rôle social de la législation en matière de négociation collective comme instrument de progrès des libertés fondamentales de notre société industrielle. Nous recommandons en conséquence, l’insertion, dans la législation, d’un préambule qui, rompant avec l’allure plutôt neutre de la loi actuelle, dénoterait une attitude positive à l’égard de la négociation collective. (p. 152‑153)
65 Le préambule du Code canadien du travail, L.R.C. 1970, ch. L‑1, a ensuite été modifié, en 1972 (L.C. 1972, ch. 18), de façon à proclamer les avantages de la négociation collective pour la société :
Considérant qu’il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien‑être de tous par l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;
Considérant que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations industrielles fructueuses permettant d’établir de bonnes conditions de travail et de saines relations du travail.
66 Malgré les réticences exprimées à l’origine par la common law, la négociation collective est reconnue depuis longtemps au Canada. Son histoire démontre qu’elle représente la plus importante activité collective et que la liberté d’association s’exprime par son intermédiaire dans le contexte des relations du travail. Nous estimons alors que le concept de la liberté d’association prévue à l’al. 2d) de la Charte comprend cette notion d’un droit procédural à la négociation collective.
67 Ce droit canadien de négociation collective bien établi a été reconnu lors des audiences parlementaires qui se sont déroulées avant l’adoption de la Charte. À cette occasion, le ministre suppléant de la Justice, M. Robert Kaplan, a expliqué pourquoi il n’a pas jugé nécessaire un projet d’amendement visant à inclure expressément dans l’al. 2d) la liberté de se syndiquer et de mener des négociations collectives. Ces droits, a‑t‑il déclaré, étaient déjà implicitement reconnus dans l’expression « liberté d’association » :
Pour ce qui est de la proposition d’inclure un article qui traite tout particulièrement de la liberté d’association et du droit à la négociation collective, nous pensons que ces deux points sont couverts par les termes « libertés d’association », qui figurent dans la charte. En créant un article à part qui traiterait du droit à la négociation collective, cela pourrait amoindrir l’importance des autres types d’associations, comme les associations religieuses, fraternelles ou communautaires.
(Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, Fascicule no 43, 22 janvier 1981, p. 69‑70.)
68 On peut à juste titre considérer la protection consacrée à l’al. 2d) de la Charte comme l’aboutissement d’un mouvement historique vers la reconnaissance d’un droit procédural de négocier collectivement.
(b) Le droit international protège la négociation collective en tant que partie inhérente à la liberté d’association
69 Dans le système fédéral canadien, il revient au Parlement fédéral et aux législatures provinciales d’incorporer les accords internationaux au droit interne. L’examen des obligations internationales du Canada peut toutefois aider les tribunaux chargés d’interpréter les garanties de la Charte (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2001 CSC 1, par. 46). L’application de cet outil d’interprétation en l’espèce milite en faveur de la reconnaissance du processus de négociation collective comme partie inhérente à la liberté d’association garantie par la Charte.
70 L’adhésion du Canada à des instruments internationaux reconnaissant l’existence du droit de négocier collectivement appuie la thèse que ce droit est protégé à l’al. 2d) de la Charte. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à l’Alberta, p. 349, il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne.
71 Pour l’interprétation de l’al. 2d) de la Charte, les textes les plus utiles sont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 993 R.T.N.U. 3 (le « PIDESC »), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171 (le « PIDCP ») et la Convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 68 R.T.N.U. 17 (la « Convention no 87 »), adoptée par l’Organisation internationale du Travail (l’« OIT »). Le Canada a entériné ces trois documents, en adhérant au PIDESC et au PIDCP, et en ratifiant la Convention no 87 en 1972. Cela signifie que ces documents dégagent non seulement le consensus international, mais aussi des principes que le Canada s’est lui‑même engagé à respecter.
72 Le PIDESC, le PIDCP et la Convention no 87 accordent une protection aux activités des syndicats d’une manière qui permet de croire que le droit de négociation collective est compris dans la liberté d’association. L’interprétation de ces instruments, au Canada et à l’étranger, permet non seulement de confirmer l’existence d’un droit de négociation collective en droit international, mais tend également à indiquer qu’il y a lieu de reconnaître ce droit dans le contexte canadien en vertu de l’al. 2d).
73 L’alinéa 8(1)c) du PIDESC garantit le « droit qu’ont les syndicats d’exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui ». Cette disposition permet de réglementer les activités « exercées librement » par les syndicats, et non de les abroger par voie législative (le juge en chef Dickson, Renvoi relatif à l’Alberta, p. 351). La négociation collective étant l’une des principales activités d’un syndicat, il s’ensuit que l’art. 8 protège la liberté reconnue aux syndicats d’exercer sans entrave cette activité.
74 De même, le par. 22 (1) du PIDCP prévoit : « Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts ». Le deuxième paragraphe du même article mentionne aussi que l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont nécessaires dans une société libre et démocratique, pour des raisons de sécurité nationale, de sûreté publique, d’ordre public, de santé publique ou pour protéger les droits d’autrui. L’interprétation donnée à cette disposition tend à indiquer qu’elle englobe tant le droit de former un syndicat que celui de négocier collectivement : Observations finales du Comité des droits de l’homme : Canada UN Doc. CCPR/C/79/Add. 105 (1999).
75 La Convention no 87 a elle aussi été interprétée comme ayant pour effet de protéger la négociation collective dans le cadre de la liberté d’association. La partie I de la convention, « Liberté syndicale », établit le droit des travailleurs de constituer librement des organisations qui sont régies par des statuts et règlements administratifs élaborés par les travailleurs et qui peuvent s’affilier à des organisations internationales. Dans ses motifs dissidents dans le Renvoi relatif à l’Alberta, p. 355, le juge en chef Dickson s’est appuyé sur la Convention no 87 pour énoncer le principe que « la liberté de constituer et d’organiser des syndicats doit, même dans le secteur public, comprendre la liberté d’exercer les activités essentielles des syndicats, telles la négociation collective et la grève, sous réserve de limites raisonnables ».
76 La Convention no 87 a été fréquemment interprétée par le Comité de la liberté syndicale, la Commission d’experts et des Commissions d’enquête de l’OIT. Ces interprétations ont été décrites comme constituant la [traduction] « pierre angulaire du droit international en matière de liberté syndicale et de négociation collective »: M. Forde, « The European Convention on Human Rights and Labour Law » (1983), 31 Am. J. Comp. L. 301, p. 302. Bien qu’elles ne soient pas contraignantes, elles clarifient la portée de l’al. 2d) de la Charte tel qu’il est censé s’appliquer à la négociation collective : Dunmore, par. 16 et 27, où le juge Bastarache a appliqué la jurisprudence de la Commission d’experts et du Comité de la liberté syndicale de l’OIT.
77 Une étude récente effectuée par des membres du personnel de l’OIT résume plusieurs principes régissant la négociation collective. Certains des principes pertinents du droit international sont exprimés en ces termes (voir B. Gernigon, A. Odero et H. Guido, « Les principes de l’OIT sur la négociation collective », (2000) 139 Revue internationale du travail 33, p. 55‑57) :
A. Le droit de négociation collective est un droit fondamental accepté par les Membres de l’OIT du seul fait de leur appartenance à l’Organisation, qu’ils ont l’obligation de respecter, promouvoir et réaliser de bonne foi (Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi).
[. . .]
D. La négociation collective a pour objet les conditions de travail et d’emploi au sens large et la régulation des relations entre les parties.
[. . .]
H. Le principe de la bonne foi dans la négociation collective implique les points suivants : reconnaître les organisations représentatives, faire des efforts pour parvenir à un accord, procéder à des négociations véritables et constructives, éviter des retards injustifiés dans la négociation et respecter réciproquement les engagements pris et les résultas obtenus grâce à des négociations de bonne foi.
I. Le caractère volontaire de la négociation collective étant un aspect fondamental des principes de la liberté syndicale, la négociation collective ne peut être imposée aux parties et les mécanismes destinés à faciliter la négociation doivent avoir en principe un caractère volontaire. Cependant, le niveau des négociations ne doit pas être imposé unilatéralement par la législation ou les autorités, car les négociations doivent pouvoir avoir lieu à quelque niveau que ce soit.
J. La conciliation et la médiation imposées par la législation dans le cadre du processus de négociation collective sont admissibles à condition de s’inscrire dans des délais raisonnables. En revanche, l’arbitrage obligatoire au cas où les parties n’arrivent pas à un accord est en règle générale contraire au principe de la négociation collective volontaire et il est uniquement admissible : [. . .] [lorsqu’il s’agit de services essentiels, de l’administration de l’État, d’une impasse évidente et d’une crise nationale].
K. Sont contraires au principe de la négociation collective volontaire les interventions des autorités législatives ou administratives qui ont pour effet d’annuler ou de modifier le contenu des conventions collectives librement conclues, y compris le contenu des clauses concernant les salaires. Ces interventions peuvent comprendre la suspension ou l’abrogation par voie de décret, sans l’accord des parties, de conventions collectives; l’interruption de conventions préalablement négociées; l’exigence de renégocier des conventions librement convenues; l’annulation de conventions collectives et la renégociation forcée de conventions en vigueur. D’autres types d’interventions, telle que la prolongation obligatoire de la validité des conventions collectives par voie légale, ne sont admissibles que dans des cas d’urgence et pour des périodes brèves.
L. Les limitations au contenu des négociations collectives futures [. . .] sont admissibles dans la mesure où de telles limitations sont précédées de consultations avec les organisations de travailleurs et d’employeurs et remplissent les conditions suivantes : [. . .] [elles s’appliquent à titre exceptionnel; ont une durée limitée; prévoient des garanties destinées à protéger le niveau de vie des travailleurs].
(Voir également M. Coutu, Les libertés syndicales dans le secteur public (1989), p. 26‑29.)
78 Le fait que le consensus obtenu à l’échelle internationale au sujet de la liberté d’association n’ait pas été confirmé dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, 6IHRR 285 (1999) avant 1998 n’enlève rien à son utilité pour l’interprétation de l’al. 2d) de la Charte. D’une part, la Déclaration a été conçue selon les interprétations d’instruments internationaux, par exemple la Convention no 87, dont bon nombre ont été adoptés par l’OIT avant l’avènement de la Charte et pris en considération par ses rédacteurs. D’autre part, la Charte, en tant qu’instrument vivant, évolue avec la société et s’adresse aux situations et besoins actuels des Canadiens. Ainsi les engagements actuels du Canada en vertu du droit international et l’opinion internationale qui prévaut actuellement en matière de droits de la personne constituent une source persuasive pour l’interprétation de la portée de la Charte.
79 En bref, les accords internationaux auxquels le Canada est partie reconnaissent que le droit des syndiqués de participer à des négociations collectives bénéficie de la protection accordée à la liberté d’association. Il est donc raisonnable d’inférer que l’al. 2b) de la Charte confère au moins le même degré de protection à ce droit: le Renvoi relatif à l’Alberta.
(c) Les valeurs exprimées dans la Charte confirment la protection du processus de négociation collective dans le cadre de l’alinéa 2d)
80 La protection du processus de négociation collective dans le cadre de l’al. 2d) est compatible avec les valeurs fondamentales de la Charte. Il faut interpréter la Charte, y compris l’al. 2d) lui‑même, d’une manière qui préserve ses valeurs sous‑jacentes et sa cohérence interne. Comme l’a écrit le juge Lamer dans Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, p. 365:
Notre Charte constitutionnelle doit s’interpréter comme un système où « chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble au sens de chacun des éléments » (comme l’écrit P. A. Côté dans Interprétation des lois (1982), à la p. 257). Les tribunaux doivent interpréter chaque article de la Charte en fonction des autres articles (voir, par exemple, R. c. Carson (1983), 20 M.V.R. 54 (C.A. Ont.); R. c. Konechny, [1984] 2 W.W.R. 481 (C.A.C.‑B.); Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights (1984), 47 O.R. (2d) 1 (C.A.); R. v. Antoine, précité).
(Voir également Big M Drug Mart, p. 344; et Nouvelle‑Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325, 2002 CSC 83, par. 63.)
81 La dignité humaine, l’égalité, la liberté, le respect de l’autonomie de la personne et la mise en valeur de la démocratie font partie des valeurs inhérentes à la Charte : R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 100; (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136). Assurer la protection de la négociation collective au moyen de l’al. 2d) de la Charte permet de compléter, même de promouvoir, toutes ces valeurs.
82 Le droit de négocier collectivement avec l’employeur favorise la dignité humaine, la liberté et l’autonomie des travailleurs en leur donnant l’occasion d’exercer une influence sur l’adoption des règles régissant leur milieu de travail et, de ce fait, d’exercer un certain contrôle sur un aspect d’importance majeure de leur vie, à savoir leur travail (voir le Renvoi relatif à l’Alberta, p. 368, et Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, par. 93). Le professeur P. C. Weiler a commenté cet aspect du droit à la négociation collective dans son ouvrage Reconcilable Differences (1980) :
[traduction] La négociation collective ne constitue pas simplement un moyen de poursuivre des fins extrinsèques, qu’il s’agisse des avantages pécuniaires habituels ou de règles de droit privées établies pour protéger la dignité du travailleur face au pouvoir de gestion. Elle est plutôt intrinsèquement valable comme expérience en matière d’autonomie. Elle constitue le mode par lequel les employés jouent un rôle dans l’établissement des conditions de travail au lieu de simplement accepter celles que l’employeur décide d’offrir [. . .]. [p. 33]
83 Dans S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi‑Cola Canada Beverages (West) Ltd., [2002] 1 R.C.S. 156, 2002 CSC 8, nous avons souligné l’importance de protéger l’autonomie des travailleurs :
Les questions personnelles en jeu dans les conflits de travail transcendent souvent les problèmes usuels de possibilités d’emploi et de détermination des salaires. Les conditions de travail comme la durée et le lieu du travail, les congés parentaux, les prestations de maladie, les caisses de départ et les régimes de retraite peuvent avoir une incidence sur la vie personnelle des travailleurs, même en dehors de leurs heures de travail. L’expression d’opinion sur ces questions contribue à la compréhension de soi ainsi qu’à la capacité d’influencer sa vie au travail et sa vie en dehors du travail. [par. 34]
84 La négociation collective favorise également la réalisation de la valeur d’égalité consacrée par la Charte. L’un des succès fondamentaux résultant de la négociation collective est de pallier l’inégalité qui a toujours existé entre employeur et employés : voir Wallace c. United Grain Growers Ltd., le juge Iacobucci. En 1889, la Commission royale sur les relations entre le capital et le travail, nommée par le gouvernement Macdonald pour faire une enquête sur la question du travail et ses relations avec le capital, a déclaré que « [l]es associations ouvrières sont nécessaires afin de permettre aux ouvriers de traiter avec leurs patrons sur un pied d’égalité » (cité dans Glenday et Schrenk, p. 121; voir également G. Kealey, dir., Canada investigates industrialism: The Royal Commission on the Relations of Labor and Capital, 1889 (abridged) (1973)). De même, le juge en chef Dickson a souligné à juste titre cette préoccupation en matière d’égalité dans le Renvoi relatif à l’Alberta :
La liberté d’association constitue la pierre angulaire des relations de travail modernes. Historiquement, les travailleurs se sont unis pour aplanir les inégalités de puissance de négociation inhérentes aux relations employeur‑employé et se prémunir contre des conditions de travail injustes, dangereuses ou favorisant l’exploitation. Comme l’a dit la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt N.L.R.B. v. Jones & Laughlin Steel Corp., 301 U.S. 1 (1937), à la p. 33 :
[traduction] Il y a longtemps nous avons exposé la raison d’être des organisations ouvrières. Nous avons dit qu’elles se sont formées pour répondre à l’urgence de la situation; qu’un simple employé était démuni quand il traitait avec un employeur et qu’il était habituellement tributaire de son salaire quotidien pour ce qui est de son entretien et de celui de sa famille; que si l’employeur refusait de lui payer le salaire qu’il estimait juste, il était néanmoins incapable de quitter son emploi et de résister à un traitement arbitraire et injuste; . . .
Il va sans dire que l’« urgence de la situation » signifie plus que des salaires justes et des préoccupations d’ordre pécuniaire et qu’elle vise également des sujets comme la santé et la sécurité au travail, les heures de travail, l’égalité des sexes et d’autres aspects des tâches qui sont fondamentaux pour la dignité et la liberté personnelle des employés. [p. 334‑335])
85 Enfin, la valeur qu’attache la Charte au renforcement de la démocratie appuie la thèse de l’existence d’un droit constitutionnel de négocier collectivement. En effet, la négociation collective permet aux travailleurs de parvenir à une forme de démocratie et de veiller à la primauté du droit en milieu de travail. Ils acquièrent voix au chapitre pour l’établissement des règles qui régissent un aspect majeur de leur vie (Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, p. 260‑261 (motifs de la juge Wilson); Renvoi relatif à l’Alberta, p. 369; Dunmore, par. 12 et 46; Weiler, p. 31‑32). Le Rapport Woods de 1968 explique :
L’un des grands espoirs des pionniers de la négociation collective était qu’elle fit passer dans les lieux de travail quelques‑uns des aspects fondamentaux de cette démocratie politique qui était en train de devenir le cachet du monde occidental. C’est ce que, traditionnellement, on a appelé la démocratie économique, et on peut la décrire comme étant la substitution de la raison juridique aux passions humaines sur le lieu de travail. [p. 96]
(Voir aussi Klare (cité au par. 57 ci‑dessus).)
86 Nous concluons que la protection de la négociation collective garantie par l’al. 2d) de la Charte est compatible avec les valeurs reconnues par la Charte et avec l’ensemble de ses objectifs, et qu’elle confirme ces valeurs. Reconnaître que le droit des travailleurs de négocier collectivement est inhérent à leur liberté d’association réaffirme les valeurs de dignité, d’autonomie de la personne, d’égalité et de démocratie, intrinsèques à la Charte.
(3) L’alinéa 2d) de la Charte et le droit de négocier collectivement
87 L’analyse qui précède mène à la conclusion que l’al. 2d) devrait être interprété comme ayant pour effet de protéger le droit d’employés de s’associer en vue d’atteindre des objectifs relatifs au milieu de travail par un processus de négociation collective. Il s’agit ensuite de déterminer la signification de ce droit pour les employés, les employeurs du secteur public assujettis à la Charte en raison de l’art. 32 ainsi que pour le Parlement et les législatures provinciales qui adoptent des lois en matière de relations du travail.
88 Il peut être utile, avant d’aller plus loin, de préciser qui est touché par la protection de la négociation collective garantie par l’al. 2d) et de quelle manière elle l’affecte. La Charte s’applique seulement à l’acte de l’État. Une forme d’acte de l’État est l’adoption de textes législatifs. En l’espèce, la législature de la Colombie‑Britannique a adopté une loi régissant les relations entre les employeurs du secteur de la santé et les syndicats accrédités auprès d’eux. Cette loi doit être compatible avec l’al. 2d) de la Charte, sinon elle est inopérante en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 (en l’absence de justification selon l’article premier de la Charte). Une deuxième forme d’acte de l’État concerne le cas où le gouvernement est l’employeur. Un employeur du secteur privé n’est pas lié par l’al. 2d) alors que le gouvernement en tant qu’employeur doit se conformer à la Charte en vertu de l’art. 32, qui prévoit : « La présente charte s’applique [. . .] b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature. » Il s’agit en l’espèce de la contestation d’une loi gouvernementale; il n’est pas allégué que le gouvernement de la Colombie‑Britannique, en tant qu’employeur, a violé l’al. 2d) de la Charte.
89 La portée du droit de négociation collective doit être définie compte tenu de Dunmore, où la Cour a souligné que l’al. 2d) vise non seulement les activités individuelles exercées collectivement, mais aussi les activités associatives elles‑mêmes. Elle reflète à juste titre l’histoire de la négociation collective et les pactes internationaux auxquels le Canada est partie. Selon les principes élaborés dans Dunmore et dans cette perspective historique et internationale, le droit constitutionnel de négocier collectivement vise à protéger la capacité des travailleurs de participer à des activités associatives et leur capacité d’agir collectivement pour réaliser des objectifs communs concernant des questions liées au milieu travail et leurs conditions de travail. En bref, on pourrait décrire l’activité protégée comme l’union des efforts des employés pour réaliser des objectifs particuliers liés au travail. L’alinéa 2d) ne protège pas les objectifs particuliers que les employés cherchent à atteindre par cette activité associative. Il protège toutefois le processus de réalisation de ces objectifs. Cela signifie que les employés ont le droit de s’unir, de présenter collectivement des demandes à leurs employeurs du secteur de la santé et de participer à des discussions en vue d’atteindre des objectifs liés au milieu de travail. L’alinéa 2d) impose aux employeurs du secteur public des obligations correspondantes d’accepter de rencontrer les employés pour discuter avec eux. Il restreint aussi le pouvoir de légiférer en matière de négociation collective, question que nous examinerons plus loin.
90 L’alinéa 2d) de la Charte ne protège pas tous les aspects de l’activité associative liée à la négociation collective. Il protège uniquement contre les « entraves substantielles » à l’activité associative, selon le critère élaboré dans Dunmore par le juge Bastarache, qui soulevait la question suivante : « l’exclusion des travailleurs agricoles d’un régime légal des relations du travail, sans interdiction expresse ou intentionnelle de l’association, peut‑elle constituer une atteinte substantielle à la liberté d’association? » (par. 23). En d’autres termes, il s’agit de déterminer si l’acte de l’État vise ou touche l’activité associative, « décourageant ainsi la poursuite collective d’objectifs communs » (Dunmore, par. 16). Il n’est cependant pas nécessaire de démontrer l’intention de porter atteinte au droit d’association lié à la négociation collective pour établir la violation de l’al. 2d) de la Charte. Il suffit que la loi ou l’acte de l’État ait pour effet d’entraver de façon substantielle l’activité de négociation collective, décourageant ainsi la poursuite collective d’objectifs communs. En conséquence, l’État doit s’abstenir d’empêcher un syndicat d’exercer une véritable influence sur les conditions de travail par l’entremise d’un processus de négociation collective menée de bonne foi. Le droit des employés de négocier collectivement impose donc à l’employeur des obligations correspondantes. Il implique que l’employeur et les employés se rencontrent et négocient de bonne foi en vue de réaliser leur objectif commun d’accommodement par des moyens pacifiques et productifs.
91 Ainsi défini, le droit de négociation collective demeure un droit à portée restreinte. Premièrement, parce qu’il concerne un processus, il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques. Deuxièmement, il confère le droit de participer à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail ou une méthode particulière de négociation. Comme le fait remarquer P. A. Gall, on ne saurait prédire avec certitude si le modèle actuel des relations du travail sera celui qui s’imposera dans 50 ou même 20 ans (« Freedom of Association and Trade Union: a Double‑Edged Constitutional Sword », dans J. M. Weiler and R. M. Elliot, dir., Litigating the Values of a Nation: The Canadian Charter of Rights and Freedom (1986), p. 245, p. 248). Enfin, et plus important encore, comme nous l’enseigne l’arrêt Dunmore, l’atteinte au droit doit être substantielle, au point de constituer une entrave non seulement à la réalisation des objectifs des syndiqués (laquelle n’est pas protégée), mais aussi au processus même qui leur permet de poursuivre ces objectifs en s’engageant dans de véritables négociations avec l’employeur.
92 Pour qu’il s’agisse d’une atteinte substantielle à la liberté d’association, l’intention ou l’effet doit sérieusement compromettre l’activité des travailleurs qui consiste à se regrouper en vue de réaliser des objectifs communs, c’est‑à‑dire négocier des conditions de travail et des modalités d’emploi avec leur employeur, une activité qualifiée de négociation collective. Certes, les lois ou les actions pouvant être considérées comme des tactiques destinées à « briser les syndicats » satisfont à cette exigence, mais les entraves moins graves au processus collectif peuvent également suffire pour rendre applicable la garantie du droit d’association. Dans Dunmore, empêcher le syndicat de recourir aux lois ontariennes sur les relations du travail visant à appuyer les syndicats et à leur permettre de se faire entendre a suffi. Agir de mauvaise foi ou annuler de façon unilatérale des modalités négociées, sans véritables discussions et consultations, peut aussi grandement saper le processus de négociation collective. Dans tous les cas, une analyse contextuelle et factuelle s’impose et il faut se demander s’il y a eu ou s’il surviendra vraisemblablement des effets négatifs importants sur le processus de négociation collective volontaire menée de bonne foi entre les employés et l’employeur.
93 De façon générale, pour déterminer si une mesure gouvernementale ayant des répercussions sur le processus de négociation collective protégé par la Charte constitue une atteinte substantielle, il faut examiner successivement deux questions. D’abord, il faut déterminer l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Puis, on doit étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi.
94 Les deux examens s’imposent. Si les aspects touchés n’ont pas de répercussions importantes sur le processus de négociation collective, la mesure n’enfreint pas l’al. 2d) et il se peut effectivement que l’employeur n’ait pas l’obligation de tenir des discussions et des consultations. Il ne sera alors pas nécessaire d’examiner les questions relatives au processus. Par ailleurs, les modifications qui ont une profonde incidence sur la négociation collective ne contreviendront pas non plus à l’al. 2d) si elles préservent le processus de consultation et de négociation menée de bonne foi.
95 Dans le cadre du premier examen, il convient essentiellement de déterminer si l’objet d’une négociation collective particulière est d’importance telle que l’ingérence dans la négociation de cette question nuirait à la capacité des syndicats de poursuivre collectivement des objectifs communs. Il peut être utile de préciser pourquoi l’importance de la question faisant l’objet de la négociation doit être prise en compte lors de cette vérification. Comme nous l’avons déjà dit, pour conclure à une violation de l’al. 2d) il faut notamment que l’État ait « empêché l’activité en raison de sa nature associative, décourageant ainsi la poursuite collective d’objectifs communs » (Dunmore, par. 16; soulignement supprimé). L’ingérence dans la négociation collective des sujets de moindre importance pour le syndicat et pour le maintien de sa capacité de poursuivre collectivement des objectifs communs peut avoir un certain degré d’importance pour les travailleurs. Toutefois, il reste plus probable que l’interférence dans la négociation collective de ces sujets de moindre importance ne découragerait pas véritablement les syndiqués d’unir leurs efforts et de poursuivre collectivement des objectifs communs. Par conséquent, lorsque le sujet de la négociation porte moins à conséquence pour le syndicat, l’atteinte au droit à un processus de négociation collective prévu par l’al. 2d) devient moins probable. L’importance qu’un sujet revêt pour le syndicat et ses membres ne possède pas de caractère déterminant en soi, mais elle influera sur la réponse que recevra la « seule question » à laquelle il faut répondre selon Dunmore, dans le contexte particulier de la négociation collective : l’ingérence dans la négociation collective d’un certain sujet nuit‑elle à la capacité des syndiqués d’unir leurs efforts et de poursuivre des objectifs communs? Plus le sujet de la négociation importe, plus probable deviendra l’existence d’une atteinte substantielle au droit garanti par l’al. 2d). Par contre, moins une question a d’incidences sur la capacité des syndiqués de poursuivre des objectifs communs, moins vraisemblable devient la présence d’une atteinte substantielle au droit de négociation collective prévu à l’al. 2d).
96 Bien que la détermination à l’avance des sujets qui influeront sur la capacité des syndiqués de poursuivre collectivement des objectifs communs reste impossible, il peut s’avérer utile de donner des orientations sur cette question. Les lois ou les actes de l’État qui empêchent ou interdisent la tenue de véritables discussions et consultations entre employés et employeur au sujet des conditions de travail risquent d’interférer de manière substantielle dans l’activité de négociation collective, tout comme les lois qui invalident unilatéralement des stipulations d’importance significative que prévoient des conventions collectives en vigueur. Par contre, les mesures relatives à des sujets moins importants comme la conception des uniformes, l’aménagement et l’organisation des cafétérias ou bien l’emplacement ou la quantité des espaces de stationnement offerts demeurent beaucoup moins susceptibles de constituer une atteinte substantielle au droit à la liberté d’association garanti par l’al. 2d). En effet, on concevrait difficilement qu’une ingérence dans la négociation collective de telles questions pourrait empêcher les syndiqués de poursuivre collectivement des objectifs communs. Ainsi, il devient moins probable, selon le critère énoncé dans Dunmore, qu’une interférence dans la négociation collective de ces questions constitue une atteinte à l’al. 2d).
97 S’il est établi que la mesure a des incidences sur un sujet d’importance pour le droit à un processus de négociation collective et pour la capacité des syndiqués d’unir leurs efforts et de poursuivre des objectifs communs, on doit alors passer au second examen, pour déterminer si la mesure législative ou la conduite de l’État en cause respectent le précepte fondamental de la négociation collective — l’obligation de consulter et de négocier de bonne foi. Dans l’affirmative, on ne conclura pas à une violation de l’al. 2d), même si la mesure, en elle‑même, peut sembler de grande importance pour le processus de négociation collective, car le processus confirme le droit associatif des employés à un processus de négociation collective.
98 L’examen de l’obligation de négocier de bonne foi, qui se trouve au cœur de la négociation collective, permet de mieux cerner la notion d’ingérence indue dans le droit de négociation collective. Il vaut la peine de se référer de nouveau au principe H de l’OIT sur la négociation collective, qui souligne la nécessité de la bonne foi pour faire respecter le droit de négociation collective et son importance dans le déroulement des négociations collectives. Ce principe H est ainsi formulé :
Le principe de la bonne foi dans la négociation collective implique les points suivants : reconnaître les organisations représentatives, faire des efforts pour parvenir à un accord, procéder à des négociations véritables et constructives, éviter des retards injustifiés dans la négociation et respecter réciproquement les engagements pris et les résultats obtenus grâce à des négociations de bonne foi.
(Reproduit dans Gernigon, Odero et Guido, p. 51)
99 Conformément à ce principe, le Code canadien du travail et les lois de chaque province confèrent le droit et imposent l’obligation aux employeurs et aux syndicats de négocier de bonne foi (voir, en général, Adams, p. 10‑91 et 10‑92). L’obligation de négocier de bonne foi prévue dans les codes du travail possède une nature essentiellement procédurale et ne dicte pas le contenu des ententes susceptibles d’être conclues à l’issue d’une négociation collective. Elle vise à réunir les parties autour de la table pour discuter mais, comme l’illustrent ces remarques du sénateur Walsh, président du comité sénatorial sur la Loi Wagner, selon la règle générale [traduction] « la loi ne fait que conduire les représentants syndicaux à la porte de l’employeur ». (Remarques du sénateur Walsh, 79 Cong. Rec. 7659; voir F. Morin et J.‑Y. Brière et D. Roux, Le droit de l’emploi au Québec (3e éd. 2006), p. 1026‑1027).
100 L’un des éléments fondamentaux de l’obligation de négocier de bonne foi consiste en l’obligation de tenir des rencontres et de consacrer du temps au processus (Carter et autres, p. 301). Comme l’explique G. W. Adams :
[traduction] L’absence de toute rencontre constitue, évidemment, un manquement à l’obligation. Sauf dans les cas où certaines conditions préalables sont remplies, le refus d’assister à une rencontre constitue également un manquement à l’obligation.
Ne pas s’engager à consacrer le temps et la préparation nécessaires pour tenter de conclure une entente équivaut à ne pas fournir des efforts raisonnables. (p. 10‑101 et 10‑106.)
101 Les parties ont l’obligation d’établir un véritable dialogue : elles doivent être disposées à échanger et expliquer leurs positions. Elles doivent faire un effort raisonnable pour arriver à un contrat acceptable (Adams, p. 10‑107; Carrother, Palmer et Rayner, p. 453). Comme l’a indiqué le juge Cory dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369 :
Dans le contexte du devoir de négocier de bonne foi, chaque partie doit s’engager à chercher honnêtement à trouver un compromis. Les deux parties doivent se présenter à la table des négociations avec de bonnes intentions. [par. 41]
102 Néanmoins, les parties ne sont pas tenues à des efforts illimités pour parvenir à une entente. [traduction] « Les parties engagées dans la négociation peuvent en arriver à un point où la poursuite des discussions serait vaine. Dans ce cas, la décision de rompre les négociations ou d’adopter l’attitude « à prendre ou à laisser » ne serait probablement pas considérée comme allant à l’encontre des négociations de bonne foi. » (Carter et autres, p. 302).
103 L’obligation de négocier de bonne foi n’impose pas la conclusion d’une convention collective ni l’acceptation de clauses contractuelles particulières (Gagnon, LeBel et Verge, p. 499‑500). Elle n’empêche pas non plus la négociation serrée. Les parties restent libres d’adopter une « ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes » (Syndicat canadien des la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (Nouvelle‑Écosse), [1983] 2 R.C.S. 311, p. 341).
104 En principe, la vérification de l’exécution de l’obligation de négocier de bonne foi ne s’étend pas au contrôle du contenu des propositions présentées dans le cadre de la négociation collective; leur contenu demeure fonction du rapport de force entre les parties (Carter et autres, p. 300). Toutefois, lorsque l’examen du contenu démontre qu’une partie manifeste de l’hostilité envers le processus de négociation collective, l’existence de cette hostilité constitue un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Dans certaines circonstances, même si une partie participe à la négociation, les propositions et positions qu’elle présente peuvent être « inflexible[s] et intransigeante[s] au point de mettre en péril l’existence même de la négociation collective » (Royal Oak Mines Inc., par. 46). Cette attitude d’inflexibilité est souvent décrite sous le vocable de « négociation de façade ». La Cour a expliqué la distinction entre la négociation serrée, qui est légale, et la négociation de façade, qui contrevient à l’obligation de négocier de bonne foi :
Il est souvent difficile de déterminer s’il y a eu violation de l’obligation de négocier de bonne foi. Les parties à des négociations collectives reconnaissent rarement vouloir éviter de conclure une convention collective. La jurisprudence reconnaît une différence importante entre la « négociation serrée » et la « négociation de façade » [. . .]. La négociation serrée ne constitue pas une violation de l’obligation de négocier de bonne foi. C’est l’adoption d’une ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes. La négociation serrée n’est pas une violation de l’obligation parce qu’elle comporte une intention véritable de poursuivre les négociations collectives et de conclure une convention. Par contre, on dit qu’une partie pratique la « négociation de façade » lorsqu’elle feint de vouloir conclure une convention alors qu’en réalité elle n’a pas l’intention de signer une convention collective et elle souhaite détruire les rapports de négociation collective. La négociation de façade est une infraction à la Loi à cause de ses objectifs irréguliers. La ligne de démarcation entre la négociation serrée et la négociation de façade peut être ténue.
(Syndicat canadien des la Fonction publique, p. 341; voir également Royal Oak Mines Inc., par. 46.)
105 Même s’il participe à toutes les étapes du processus de négociation, lorsque ses propositions et positions visent à éviter de conclure une convention collective ou à détruire les rapports de négociation collective, l’employeur manque à son obligation de négocier de bonne foi : voir Royal Oak Mines Inc. Aux propos du sénateur Walsh, selon lesquels [traduction] « la loi ne fait que conduire les représentants syndicaux à la porte de l’employeur », nous ajoutons que parfois les tribunaux peuvent néanmoins vérifier ce qui se passe derrière cette porte pour s’assurer que les parties négocient de bonne foi.
106 Au Canada, contrairement aux États‑Unis, l’obligation de négocier de bonne foi s’applique sans égard à l’objet de la négociation collective. Selon le droit canadien du travail, l’obligation de négocier de bonne foi porte sur toutes les conditions de travail à moins que leur objet soit contraire à la loi et que leur inclusion dans une convention collective soit prohibée (Adams, 10‑96 et 10‑97; J.‑P. Villaggi, « La convention collective et l’obligation de négocier de bonne foi : les leçons du droit du travail » (1996), 26 R.D.U.S. 355, p. 360‑361). Toutefois, le refus de traiter d’une question se trouvant seulement à la périphérie des négociations ne constitue pas nécessairement un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi (Carter et autres, p. 302).
107 Pour déterminer si des dispositions législatives empiètent sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menées de bonne foi, il faut tenir compte des circonstances de leur adoption. Une situation d’urgence est susceptible d’influer sur le contenu et les modalités de l’obligation de négocier de bonne foi. Différentes situations peuvent commander différents processus et échéanciers. De plus, on se gardera de tirer à la légère, en l’absence d’un dossier bien étayé, une conclusion d’atteinte à l’obligation de consulter et de négocier de bonne foi. Néanmoins, il reste que les dispositions de la Loi doivent préserver le processus de consultation menée de bonne foi, qui est fondamental en matière de négociation collective. C’est ce qui importe.
108 Même lorsqu’une atteinte à l’al. 2d) est établie, l’examen de la question ne s’arrête pas là : il demeure possible que les restrictions imposées au droit garanti par l’al. 2d) constituent, en vertu de l’article premier de la Charte, des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Exceptionnellement et généralement de façon temporaire, une interférence dans le processus de négociation collective reste donc permise, par exemple dans des situations mettant en cause des services essentiels ou des aspects vitaux de l’administration des affaires de l’État, ou dans le cas d’une impasse manifeste ou d’une crise nationale.
109 En résumé, une loi ou un acte gouvernemental qui constitue une ingérence substantielle dans le processus de négociation collective peut contrevenir à l’al. 2d). La question de l’existence d’une atteinte substantielle doit être tranchée selon le contexte de chaque cas d’espèce, compte tenu de l’importance des sujets visés pour l’activité collective et de la manière dont la mesure a été mise en oeuvre. Il se peut que des changements importants apportés dans le cadre d’un processus de négociation menée de bonne foi ne contreviennent pas à l’al. 2d). À l’inverse, il arrivera que des changements à propos de sujets de moindre importance ne portent pas atteinte à l’al. 2d). L’atteinte à l’al. 2d) ne surviendra que dans le cas où seront en cause à la fois un sujet d’importance pour le processus de négociation collective et une mesure imposée sans égard à l’obligation de négocier de bonne foi.
(4) Application du droit aux faits de l’espèce
110 Ayant établi qu’existe un droit à un processus de négociation protégé par la liberté d’association garantie à l’al. 2d) de la Charte et défini sa portée, nous devons maintenant l’appliquer aux faits de l’espèce. En dernière analyse, nous concluons que les par. 6(2) et (4) ainsi que l’art. 9 de la loi sont inconstitutionnels parce qu’ils portent atteinte au droit à un processus de négociation collective protégé par l’al. 2d) et ne sauraient se justifier en vertu de l’article premier. Les autres dispositions de la partie 2 de la Loi (à savoir les art. 3, 4, 5, 7, 8 et 10) ne portent pas atteinte au droit de négociation collective et passent avec succès l’épreuve d’une contestation constitutionnelle fondée sur l’al. 2d).
(a) La Loi porte‑t‑elle atteinte au droit à un processus de négociation collective visé par l’alinéa 2d) de la Charte?
111 Il s’agit de décider si certaines dispositions de la Loi violent le droit procédural de négociation collective en entravant de manière significative la tenue de véritables négociations collectives. Dans ce contexte, on retiendra comme exemples d’actions susceptibles d’avoir cet effet des gestes comme les suivants : l’omission de consulter, le refus de négocier de bonne foi, le retrait d’importants sujets de négociation et l’annulation unilatérale de conditions négociées.
112 L’analyse proposée ci‑dessus commande l’examen de deux questions. Premièrement, la mesure entrave‑t‑elle — par son effet ou par son objet — l’exercice du droit à un processus de négociation collective? Deuxièmement, dans l’affirmative, compte tenu de l’importance de ses répercussions, évaluées en fonction des sujets visés et de son application, l’atteinte au droit d’association lié à la négociation collective est‑elle substantielle et constitue‑t‑elle donc une atteinte au droit à la liberté d’association garantie par l’al. 2d)?
(i) La Loi constitue‑t‑elle une ingérence dans la négociation collective?
113 Les articles 4 à 10 de la Loi sont susceptibles d’entraver l’exercice du droit à un processus de négociation collective de deux manières. D’abord, ils invalident les conventions collectives existantes et, par conséquent, ébranlent la validité des processus de négociation antérieurs qui ont servi de fondement à la conclusion de ces conventions. Ensuite, ils interdisent dans des prochaines conventions collectives la conclusion de clauses qui portent sur des questions précisées dans la Loi, ce qui compromet les prochaines négociations collectives sur ces questions. Les restrictions futures au contenu des conventions collectives constituent une ingérence dans la négociation collective parce qu’il ne saurait se créer de véritable dialogue sur des conditions d’emploi qui ne peuvent être intégrées dans une convention collective.
114 En passant, nous rappelons brièvement que le droit à un processus de négociation collective protège non seulement la présentation de revendications collectives, mais aussi le droit des employés de se faire entendre par le canal de consultations et discussions véritables. Ce constat permet d’écarter les arguments de l’intimée selon lesquels la Loi n’entrave pas la négociation collective parce qu’elle n’interdit pas expressément aux employés du secteur de la santé de présenter des revendications collectives. Bien qu’en principe le texte de la Loi n’interdise pas les revendications collectives auprès de l’employeur, le droit de négociation collective ne saurait se limiter à la simple possibilité de présenter des revendications. La Loi prévoit, par implication nécessaire, que certains sujets ne peuvent faire partie du contenu d’une convention collective valide; le processus de négociation collective perd donc tout son sens à leur égard. Il s’agit là d’une atteinte au droit à un processus de négociation collective.
115 Un examen plus poussé de la partie 2 de la Loi fait ressortir que certaines dispositions entravent de façon substantielle le processus de négociation collective. Elles touchent des sujets d’une grande importance pour les employés et ne préservent pas les aspects fondamentaux du processus de négociation collective. Dans cette analyse, il est essentiel de retenir l’impact de l’interaction entre les art. 4 à 9 et l’art. 10 de la Loi, qui entraîne l’annulation de clauses de conventions collectives dans la mesure de leur incompatibilité avec la partie 2 de la Loi.
1. Articles 4 et 5
116 Les articles 4 et 5 traitent des transferts et des nouvelles affectations imposés aux employés. Au procès, la juge Garson a résumé leur effet en ces termes :
[traduction]
Les articles 4 et 5 de la Loi donnent aux employeurs du secteur de la santé le droit de réorganiser la prestation de leurs services. En vertu de ces dispositions, les employeurs ont le droit de transférer des fonctions, des services et des employés à un autre employeur du secteur de la santé ou dans un même lieu de travail. Le Règlement prévoit les droits et obligations des employés dans le cadre d’un transfert. Par exemple, les employés ne peuvent pas être transférés à l’extérieur de leur territoire géographique sans leur consentement. Les employés qui refusent d’être transférés dans de telles circonstances ont droit à un avis de mise en disponibilité et aux droits de supplantation restreints que leur accorde la Loi. Les employés qui refusent toutefois d’être transférés à l’intérieur de leur territoire géographique sont réputés avoir démissionné trente (30) jours après la notification de leur refus. [par. 38]
117 Les articles 4 et 5 ont modifié les dispositions relatives aux transferts et nouvelles affectations qui figuraient dans certaines conventions collectives avant l’adoption de la Loi. Une fois les art. 4 et 5 en vigueur, les employés ont perdu des droits que leur garantissaient les conventions collectives existantes, notamment : l’exigence qu’au moment de la prise des décisions d’embauche l’employeur tienne compte de certains critères énumérés, la garantie que les affectations temporaires n’excéderaient pas quatre mois, une protection partielle de l’ancienneté et le droit de l’employé de refuser d’être transféré s’il conserve d’autres possibilités d’emploi chez l’employeur initial en vertu de la convention collective.
118 Cependant, le Health Sector Labour Adjustment Regulation, B.C. Reg. 39/2002, mentionné à l’art. 4 a permis de maintenir des protections analogues en partie à celles dont bénéficiaient les employés selon les conventions collectives existantes. En particulier, ce règlement leur accordait le droit de refuser d’être transférés hors de leur lieu géographique, sans leur consentement, et le droit à des dépenses de réinstallation raisonnables (voir les al. 2(1)a) et b)). Ces droits étaient essentiellement analogues à ceux dont jouissaient déjà certains employés en vertu de leur convention collective. Ainsi, même si les art. 4 et 5 de la Loi (combinés avec l’art. 10) annulent des droits reconnus aux employés par les conventions existantes, ils semblent avoir maintenu, pour l’essentiel, les aspects cruciaux des clauses des conventions collectives existantes qui traitaient de ces questions. Nous concluons donc que les art. 4 et 5 peuvent avoir eu un certain effet, si faible fût‑il, sur les conventions collectives antérieures.
119 Toutefois, les art. 4 et 5, appliqués conjointement avec l’art. 10, videraient de sens, pour l’essentiel, les futures négociations collectives sur les transferts et les nouvelles affectations, car la négociation collective ne peut modifier le droit de l’employeur de procéder à des transferts et de nouvelles affectations. En effet, l’article 10 de la Loi rendrait nulle toute stipulation incompatible avec les art. 4 et 5. Comme il ne sert à rien de négocier une question qui ne pourrait jamais être intégrée dans une convention collective, les art. 4 et 5, pris en considération avec l’art. 10, entravent les prochaines négociations collectives.
2. Article 6
120 Le paragraphe 6(2) accorde à l’employeur un pouvoir plus étendu pour sous‑traiter des services non cliniques. Avant l’adoption de la Loi, les conventions collectives du secteur de la santé comportaient toutes des clauses limitant le droit de la direction de recourir à la sous‑traitance. Ces dernières sont devenues incompatibles avec le par. 6(2) après son entrée en vigueur. Cette disposition, conjuguée avec l’art. 10, entraîne la nullité des stipulations des conventions collectives antérieures sur ces questions. Par ailleurs, le par. 6(4), conjointement avec l’art. 10, invalide les clauses de conventions collectives qui obligent l’employeur à consulter le syndicat avant de procéder à des activités de sous‑traitance à l’extérieur de l’unité de négociation. Par exemple, la clause 17.12 de la convention collective du sous‑secteur des installations, qui prévoit les circonstances précises permettant à l’employeur de recourir à la sous‑traitance, devient nulle par le jeu du par. 6(4) et de l’art. 10.
121 L’application combinée des par. 6(2) et (4) et de l’art. 10 interdit l’intégration dans les futures conventions collectives de clauses protégeant les employés contre la sous‑traitance ou obligeant l’employeur à consulter les syndicats avant de procéder à celle‑ci. L’interdiction des stipulations relatives à la sous‑traitance est expressément prévue au par. 6(2), selon lequel [traduction] « les conventions collectives [. . .] ne doivent prévoir aucune clause » relative à certains aspects de la sous‑traitance. L’interdiction met de côté le résultat des négociations collectives antérieures sur la sous‑traitance et prive de sens les négociations collectives à venir sur ces questions. Les paragraphes 6(2) et (4) interfèrent donc avec le droit à un processus de négociation collective.
122 Les paragraphes 6(3), (5) et (6) traitent d’une question différente mais connexe, soit le statut des employés et la reconnaissance d’un droit de transmission au nouvel employeur, dans le cas où l’employeur initial recourt à la sous‑traitance. Le paragraphe 6(3) adopte une définition plus stricte de la relation employeur‑employés que le Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, ch. 244. Ce changement rend moins probable que l’employeur du secteur de la santé reste considéré comme le « véritable » employeur débiteur des obligations envers le syndicat et ses membres en cas de sous‑traitance. Par ailleurs, selon les paragraphes 6(5) et (6), les employés perdent leur droit de négocier collectivement avec le sous‑entrepreneur, droit qui leur aurait été autrement reconnu en vertu des art. 35 et 38 du Labour Relations Code en cas de sous‑traitance.
123 Il se peut que certains considèrent les par. 6(3), (4) et (5) comme des dispositions sévères visant uniquement les employés du secteur de la santé, mais il s’agit simplement de modifications aux protections prévues au Labour Relations Code qui ne touchent pas aux droits issus de négociations collectives reconnus aux employés. C’est pourquoi ces dispositions ne constituent pas une ingérence dans la négociation collective ni une atteinte à la protection que confère l’al. 2d) à la négociation collective.
3. Articles 7 et 8 — Programmes de sécurité d’emploi
124 Les articles 7 et 8 traitent des programmes de sécurité d’emploi. L’article 7 abolit l’Employment Security and Labour Force Adjustment Agreement (« ESLA ») (Entente sur l’adaptation de la main‑d’oeuvre et la sécurité d’emploi), programme qui permet aux employés du secteur de la santé de bénéficier d’une année de formation, d’aide pour obtenir un nouvel emploi et de soutien financier. La Health Care Labour Adjustment Agency (« HLAA ») (Société chargée de l’adaptation professionnelle en matière de soins de santé), également abolie par la Loi, administrait ce programme.
125 L’ESLA n’était pas une création du régime de négociation collective, mais a plutôt été imposée par le gouvernement aux employeurs du secteur de la santé par suite des recommandations d’une commission d’enquête. Puisque ni l’ESLA ni la HLAA ne résultent d’une négociation collective, leur modification ne saurait constituer une ingérence dans les processus de négociation antérieurs. En outre, puisque l’ESLA et la HLAA doivent essentiellement leur existence à des décisions gouvernementales et qu’elles ne relèvent pas des pouvoirs des employés et employeurs du secteur de la santé, les questions les concernant ne risquent pas de faire l’objet de prochaines négociations collectives. Comme l’ESLA ou la HLAA ne peuvent pas faire l’objet de négociations collectives à l’avenir, on ne se retrouve pas devant une situation d’ingérence dans le processus de négociation collective au sujet de ces questions. Ni l’article 7 ni l’art. 8 n’ont pour objet ou effet de permettre une ingérence dans les négociations collectives, antérieures ou à venir.
4. Article 9 — Mise en disponibilité et supplantation
126 L’article 9, qui s’applique seulement aux conventions collectives jusqu’au 31 décembre 2005, traite de la mise en disponibilité et de la supplantation. Pendant la durée d’application de cette disposition, les conventions collectives ne pouvaient comporter de clauses sur certains aspects de la mise en disponibilité et de la supplantation. Pour ce qui est de la mise en disponibilité, les conventions collectives ne pouvaient pas restreindre le pouvoir des employeurs du secteur de la santé de mettre en disponibilité un employé (al. 9a)), ni les obliger à satisfaire à certaines exigences avant de donner un préavis de mise en disponibilité (al. 9b)), ou à donner un préavis d’un délai supérieur à celui de 60 jours garanti par le Labour Relations Code (al. 9c)). Quant à la supplantation, les conventions collectives ne pouvaient prévoir de clause offrant à l’employé, en cas de supplantation, des choix autres que ceux prescrits par règlement (al. 9d)).
127 L’article 9 vidait ainsi de sens la négociation collective de certains aspects de la mise en disponibilité et de la supplantation et invalidait certaines parties de conventions collectives portant sur ces questions, jusqu’au 31 décembre 2005. Cette disposition constitue alors une ingérence dans les processus de négociation collective, antérieurs et à venir, quoique cette ingérence se limite à la période allant de l’adoption de la Loi jusqu’au 31 décembre 2005.
128 Nous concluons donc que les art. 4, 5 et 9 et les par. 6(2) et (4), appliqués conjointement avec l’art. 10, constituent une ingérence dans le processus de négociation collective, soit en mettant de côté les processus de négociation collective antérieurs, soit en compromettant à l’avance l’intégrité des futurs processus de négociation collective sur ce sujet, ou les deux à la fois. Il nous faut déterminer si ces modifications entravent de façon substantielle l’exercice du droit associatif des employés de participer à un processus de négociation collective des questions concernant le milieu de travail et les conditions de travail.
(ii) L’ingérence est‑elle substantielle, au point de constituer une atteinte à la liberté d’association?
129 Pour constituer une atteinte à la liberté d’association garantie par l’al. 2d), l’ingérence dans la négociation collective doit compromettre l’intégrité fondamentale du processus de négociation collective protégé par l’alinéa 2d). Deux vérifications s’imposent en l’espèce. Premièrement, on se trouve plus vraisemblablement devant une situation d’ingérence substantielle dans le cas de mesures affectant des sujets d’une importance capitale pour la liberté d’association des travailleurs et la capacité de leurs associations (syndicats) de réaliser des objectifs communs en travaillant de concert. Cela suppose alors une analyse de la nature du droit touché par la mesure. Deuxièmement, la manière dont le droit est restreint peut avoir une incidence sur le processus de négociation collective et ultimement sur la liberté d’association. À cette fin, il faut examiner le processus de réalisation des changements et leurs effets sur le caractère volontaire et de bonne foi du processus de négociation collective. Même si le sujet revêt une importance primordiale pour le droit d’association, il est peu probable que la modification, si elle est apportée dans le cadre d’une consultation menée de bonne foi, porte atteinte au droit des employés de négocier collectivement. Comme nous l’avons déjà expliqué, les deux vérifications sont essentielles.
1. L’importance des dispositions
130 Les dispositions concernant la sous‑traitance (par. 6(2) et (4)), la mise en disponibilité (al. 9a), b) et c)) et la supplantation (al. 9d)) portent sur des questions d’une importance capitale pour la liberté d’association. Les restrictions aux conventions collectives qui limitent le pouvoir discrétionnaire de l’employeur de mettre en disponibilité affectent la capacité des employés de conserver un emploi stable, l’une des protections les plus essentielles qu’un syndicat obtient pour les employés. De même, les clauses de conventions collectives restreignant le droit de la direction de recourir à la sous‑traitance permettent aux travailleurs de bénéficier de la sécurité d’emploi. Enfin, les droits de supplantation font partie intégrante du régime d’ancienneté normalement prévus dans les conventions collectives et, à ce titre, représentent une protection d’une importance considérable pour les syndicats. [traduction] « L’ancienneté constitue l’un des avantages les plus importants et de la plus vaste envergure que le mouvement syndical ait réussi à obtenir pour ses membres par la négociation collective. » (Re United Electrical Workers, Local 512, and Tung‑Sol of Canada Ltd. (1964), 15 L.A.C. 161, p. 162; voir D. J. M. Brown et D. M. Beatty, Canadian Labour Arbitration (4e éd. (à feuilles mobiles)), vol. 2, par. 6:0000, p. 6‑1). En évaluant dans une perspective globale à quel point la loi entrave l’exercice de ces droits essentiels, nous concluons que son ingérence dans la négociation collective au sujet de la sous‑traitance ainsi que des conditions de mise en disponibilité et de la supplantation constitue une atteinte substantielle au droit à la liberté d’association garanti par l’al. 2d).
131 On ne saurait tirer une conclusion identique à propos des transferts et des nouvelles affectations que visent les art. 4 et 5 de la Loi. Comme nous l’avons vu, ces dispositions apportent des modifications relativement mineures aux régimes existants de transfert et de nouvelle affectation des employés. D’importantes protections subsistaient. Il est vrai que la Loi retirait désormais ces questions de la table des négociations collectives. Cependant, tout bien considéré, on ne peut pas affirmer que les art. 4 et 5 entravent de façon substantielle la capacité du syndicat d’engager des négociations collectives et qu’il s’agisse d’un cas donnant droit à la protection prévue à l’al. 2d) de la Charte.
2. L’ingérence dans les droits de négociation collective
132 Ayant conclu que les sujets visés par les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 de la Loi revêtent une importance capitale pour les syndicats et à l’égard de leur capacité de négocier collectivement, nous devons maintenant décider si ces dispositions respectent le droit à un processus de négociation collective. Considérées conjointement, ces deux vérifications nous permettront de déterminer si la loi en cause constitue une ingérence substantielle dans l’aspect collectif du droit d’association, reconnu par Dunmore.
133 Cet examen ramène notre attention directement et exclusivement sur la façon dont les dispositions influent sur le processus de consultation et de négociation menée de bonne foi. En l’espèce, nous sommes convaincus que les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 entravent de façon substantielle la capacité des employés visés par ces dispositions d’exercer l’activité associative liée à la négociation collective.
134 Il est vrai que le gouvernement se trouvait dans une situation d’urgence. Il était déterminé à s’attaquer à la montée en flèche du coût des soins de santé en Colombie‑Britannique. Cette volonté se fondait sur le désir louable de fournir des services de santé de qualité à la population de la Colombie‑Britannique. Il faut tenir compte des préoccupations de cet ordre pour déterminer si les mesures adoptées vont à l’encontre de l’obligation fondamentale qu’impose l’al. 2d) de respecter un processus de consultation et de négociation menée de bonne foi avec les syndicats.
135 Le problème se situe toutefois dans le fait que les mesures adoptées par le gouvernement constituent pratiquement une négation du droit garanti par l’al. 2d) à un processus de consultation et de négociation menée de bonne foi. Comme nous l’avons noté, l’interdiction absolue de recourir à la sous‑traitance, prévue au par. 6(2), écarte toute possibilité de consultation. Le paragraphe 6(4) met fin à toute consultation en rendant inopérante toute clause de convention collective qui oblige à consulter avant une opération de sous‑traitance. De même, l’art. 9 interdit effectivement de consulter un syndicat avant une mise en disponibilité ou une supplantation.
136 Nous concluons que les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 de la Loi constituent des atteintes substantielles au droit à un processus de négociation collective et portent donc atteinte à l’al. 2d) de la Charte. Il reste à déterminer si ces atteintes peuvent se justifier au sens de l’article premier de la Charte du fait qu’elles constituent des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
(b) Les atteintes à l’al. 2d) sont‑elles justifiées au sens de l’article premier?
137 L’article premier dispose :
La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
138 L’arrêt Oakes a établi la méthode d’analyse qui permet de déterminer si une loi contraire à la Charte peut se justifier comme limite raisonnable au sens de l’article premier. La restriction des droits garantis par la Charte doit être imposée par une règle de droit pour être justifiée au sens de l’article premier. Si tel est le cas, il faut alors vérifier la présence des quatre éléments que comporte la méthode d’analyse de l’arrêt Oakes pour établir qu’elle constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique (Oakes, p. 138‑140). En premier lieu, l’objectif de la loi doit être urgent et réel. Ensuite, il doit exister un lien rationnel entre l’objectif urgent et réel et les moyens choisis par le législateur pour atteindre cet objectif. Puis, la loi contestée ne doit porter qu’une atteinte minimale au droit garanti. Enfin, il doit y avoir proportionnalité entre l’objectif et les mesures adoptées dans la loi et, plus particulièrement, entre les effets bénéfiques de la loi et ses effets préjudiciables (Oakes, p. 140; Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, p. 889).
139 L’analyse fondée sur l’article premier est axée sur le contexte de la règle de droit en cause. Parmi les facteurs contextuels à considérer figurent la nature du préjudice visé, la vulnérabilité du groupe protégé, les mesures d’amélioration envisagées pour remédier au préjudice, ainsi que la nature et l’importance de l’activité protégée : Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, et Harper v. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33. Cela dit, le modèle de base de Oakes demeure applicable, et il faut satisfaire à chacune des exigences de cette méthode d’analyse. Le gouvernement a le fardeau d’établir chacun des éléments que prévoit l’arrêt Oakes pour réussir à démontrer qu’une règle de droit constitue, selon la prépondérance des probabilités, une restriction raisonnable des droits garantis par la Charte (voir Oakes, p. 136‑137).
140 En l’espèce, il est incontestable que l’atteinte au droit des appelants de négocier collectivement découle d’une mesure législative, car l’ingérence dans la négociation collective est prévue dans la Loi. Il faut alors se demander si les autres éléments du critère Oakes sont établis, de sorte que la loi constitue une restriction raisonnable du droit de négociation collective des appelants selon l’alinéa 2d).
141 Nous concluons que les ingérences dans la négociation collective représentées par les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 ne constituent pas des atteintes minimales au droit protégé par la Charte et qu’elles ne sauraient donc se justifier en tant que limites raisonnables dont le bien‑fondé peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Nous allons maintenant expliquer cette conclusion en appliquant la méthode d’analyse de l’arrêt Oakes.
(i) La Loi poursuit‑elle un objectif urgent et réel?
142 La première étape de la méthode d’analyse Oakes oblige le gouvernement à établir que la limite imposée aux droits garantis par la Charte s’inscrit dans la poursuite d’un objectif « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution » (Big M Drug Mart Ltd., p. 352). L’objectif doit au moins se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique.
143 Le gouvernement a formulé en ces termes les objectifs sur lesquels repose l’adoption de la Loi :
[traduction] La Loi vise à améliorer la prestation des services de santé en permettant aux autorités sanitaires de concentrer les ressources sur la prestation des services cliniques, en rendant les employeurs du secteur de la santé et les autorités sanitaires plus aptes à réagir rapidement et efficacement aux changements de circonstances, et en accroissant l’obligation de rendre compte des décideurs dans le système de santé public.
(m. i., par. 144)
144 Il s’agit là d’objectifs urgents et réels. Nous convenons avec l’intimée que la crise dans le secteur de la santé en Colombie‑Britannique constitue un facteur contextuel important à l’appui de la conclusion que ce sont des objectifs urgents et réels (m. i., par. 141). Nous reconnaissons également avec elle que la décision rendue récemment par la Cour dans Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, 2005 CSC 35, selon laquelle les gouvernements ont l’obligation constitutionnelle de fournir des soins de santé publics de qualité raisonnable dans un délai raisonnable, du moins dans certaines circonstances, renforce l’importance des objectifs, surtout de l’objectif principal, soit l’amélioration de la prestation des services de santé (m. i., par. 141).
145 Les appelants contestent que les objectifs visés par la loi ne sont ni urgents ni réels et ce, pour deux raisons. Premièrement, l’objectif est formulé en termes trop généraux et n’a aucun lien avec le préjudice que la loi vise précisément à corriger. Deuxièmement, la preuve tend à indiquer que l’objectif véritable de la Loi est d’accroître les droits de la direction et non de réduire les coûts du système de santé, ce qui met en doute la réalité du fondement nécessaire pour conclure à un objectif urgent et réel. (Voir Terre‑Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381, 2004 CSC 66 , par. 72, et Nouvelle‑Écosse (Worker’s Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, 2003 CSC 54, par. 109.)
146 Nous rejetons l’argument que l’objectif du gouvernement est formulé en termes trop généraux. Le gouvernement définit son objectif comme étant un objectif principal unique (améliorer la prestation de services de santé ), poursuivi au moyen de plusieurs sous‑objectifs (permettre aux autorités sanitaires de concentrer les ressources sur la prestation des services cliniques, rendre les employeurs du secteur de la santé et les autorités sanitaires plus aptes à réagir rapidement aux changements de circonstances, et accroître l’obligation de rendre compte des décideurs dans le système de santé public). Même en admettant que l’objectif principal soit formulé en termes plutôt généraux, les objectifs précis du gouvernement paraissent clairement énoncés dans les sous‑objectifs. L’objectif n’est donc pas exprimé d’une manière trop générale.
147 La prétention des appelants selon laquelle la loi vise également à réduire les coûts et à accroître le pouvoir de la direction est fondée. Il ressort du dossier qu’en adoptant la Loi, le gouvernement visait, du moins en partie, à la fois à réduire les coûts et à accroître les droits de la direction (d. a. (réplique), par. 8 et 14). Dans la mesure où l’objectif de la loi est de réduire les coûts, cet objectif demeure sujet à caution en tant qu’objectif urgent et réel selon N.A.P.E. et Martin, d’après lesquels « les tribunaux continueront de faire montre d’un grand scepticisme à l’égard des tentatives de justifier, par des restrictions budgétaires, des atteintes à des droits garantis par la Charte » (N.A.P.E., par. 72, voir aussi Martin). Par ailleurs, d’après les faits de l’espèce, il ne ressort pas clairement que l’accroissement du pouvoir de la direction constitue un objectif « urgent et réel dans une société libre et démocratique ». Cela étant, il demeure que le gouvernement a établi d’autres objectifs urgents et réels, comme nous l’avons vu.
(ii) Existe‑t‑il un lien rationnel entre les moyens adoptés dans la Loi et les objectifs urgents et réels ?
148 La deuxième étape de la méthode d’analyse Oakes exige du gouvernement qu’il établisse l’existence d’un lien rationnel entre l’objectif urgent et réel et les moyens qu’il choisit pour atteindre cet objectif. En d’autres termes, il doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les moyens choisis dans la Loi conservent un lien rationnel avec la réalisation des objectifs urgents et réels qu’elle poursuit. La Cour a affirmé que cet élément du critère Oakes n’était « pas particulièrement exigeant » (voir Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69, par. 228, cité dans Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 835, 2003 CSC 34, par.34).
149 En général, parmi les moyens adoptés dans la Loi figurent la modification du régime concernant les droits de supplantation, la liquidation de la HLAA et de l’ESLA, et l’assouplissement des restrictions à la capacité de l’employeur de sous‑traiter des services non cliniques, de procéder à des transferts et à de nouvelles affectations, et de mettre des employés en disponibilité. Bien que la preuve n’établisse pas de façon concluante que les moyens adoptés dans la Loi permettent la réalisation des objectifs du gouvernement, une telle conclusion est au moins logique et raisonnable. Nous passons donc à l’examen déterminant de l’atteinte minimale.
(iii) La Loi porte‑t‑elle atteinte de façon minimale aux droits garantis aux appelants par la Charte?
150 À la troisième étape de la méthode d’analyse Oakes, le tribunal est tenu de vérifier si la loi contestée constitue une atteinte minimale au droit garanti par la Charte (Oakes, p. 139, citant Big M Drug Mart, p. 352). Le gouvernement n’a pas besoin de recourir aux moyens les moins radicaux pour parvenir à son objectif. La loi satisfait plutôt aux exigences de la troisième étape si elle « se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables » pouvant servir à la réalisation de l’objectif urgent et réel (RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160).
151 Nous concluons qu’il n’a pas été satisfait à l’exigence de l’atteinte minimale en l’espèce. Le gouvernement n’a présenté aucune preuve à l’appui de la conclusion que l’atteinte restait minimale. Il se contente d’invoquer son objectif législatif — [traduction] « donner à la direction plus de latitude et accroître son obligation de rendre compte afin d’assurer à long terme la viabilité du système de santé », — ajoutant que [traduction] « la Loi constitue un moyen modéré, raisonnable et efficace de surmonter cette difficulté et [. . .] satisfait à l’exigence de l’atteinte minimale » (m. i., 147). Faute de preuve nécessaire, nous ne pouvons conclure qu’il a été satisfait à l’exigence de l’atteinte minimale en l’espèce.
152 La teneur des dispositions en cause ne laisse pas facilement croire qu’on ait cherché la solution la moins attentatoire possible au problème que le gouvernement voulait régler.
153 Ainsi le par. 6(2) interdit toute clause [traduction] « qui, de quelque manière que ce soit, restreint, limite ou réglemente le droit d’un employeur du secteur de la santé de sous‑traiter [. . .] hors du cadre défini par la convention collective ». Il donne à l’employeur le pouvoir absolu de sous‑traiter hors du cadre défini par la convention collective. L’employeur n’est pas tenu de consulter le syndicat ou les employés avant de sous‑traiter le travail que ces derniers exécutent normalement, et il n’est pas incité à le faire non plus. L’interdiction complète et inconditionnelle de toute stipulation régissant la sous‑traitance ne nous paraît pas constituer une atteinte minimale. On pourrait envisager, à titre d’exemple, une clause plus nuancée qui permettrait de recourir à la sous‑traitance après une véritable consultation du syndicat.
154 De son côté, le par. 6(4) rend inopérante toute clause de convention collective qui oblige à consulter avant de recourir à la sous‑traitance. On peut soutenir que le par. 6(4) a peu d’effets; en raison du pouvoir absolu de recourir à la sous‑traitance que le par. 6(2) confère à l’employeur, il semble que celui‑ci n’ait aucune raison de souscrire à une telle clause de toute façon. Toutefois, dans la mesure où cette disposition met fortement l’accent sur la politique de non‑consultation en toute circonstance, on ne saurait guère affirmer qu’il tend à indiquer qu’on a cherché une solution qui protège dans la mesure du possible le droit à la négociation collective, compte tenu de l’objectif du législateur.
155 Par ailleurs, l’article 9 traduit une volonté de rejet analogue de toute obligation de consulter le syndicat, en l’espèce avant de modifier les règles de la convention collective applicables à la mise en disponibilité et à la supplantation. Il est vrai que l’art. 9 était limité dans le temps, s’appliquant seulement jusqu’au 31 décembre 2005. Toutefois, cette limitation n’apporte aucun réconfort aux employés mis en disponibilité ou supplantés avant cette date, sans qu’un syndicat ait pu les représenter à ce sujet.
156 L’examen du dossier quant aux solutions envisagées par le gouvernement renforce la conclusion que l’atteinte portée au droit constitutionnel en l’espèce n’entre pas dans la catégorie des mesures raisonnables dont disposait le gouvernement pour atteindre son objectif urgent et réel d’améliorer la prestation des services de santé. Selon le dossier, le gouvernement ne s’est pas demandé s’il pourrait atteindre son objectif par des mesures moins attentatoires et il n’a guère consulté les syndicats à ce sujet.
157 Le législateur n’est pas tenu de consulter les parties visées avant d’adopter une mesure législative. Par contre, il peut être utile de se demander, dans le cadre de l’analyse de la justification fondée sur l’article premier, si le gouvernement a envisagé d’autres solutions ou consulté les parties visées, en choisissant d’adopter la méthode qu’il privilégiait. Par le passé, la Cour a déjà examiné ce genre de facteurs prélégislatifs dans le contexte de l’étude de l’atteinte minimale. Ce type de preuve permet tout simplement d’étudier quelles options à l’intérieur d’une gamme de choix possibles ont été prises en considération.
158 En l’espèce, les seuls éléments de preuve présentés par le gouvernement, y compris ceux qu’on retrouve dans la preuve produite sous scellés, confirmaient qu’une gamme de solutions ont été présentées. L’une d’entre elles a été choisie. Le gouvernement n’a offert aucune preuve expliquant pourquoi il a retenu la solution particulière en discussion dans ce dossier ni pourquoi il n’a pas consulté les syndicats au sujet de la gamme de solutions qui s’offraient à lui.
159 La preuve établit l’absence de véritable consultation avant l’adoption de la Loi par le gouvernement et par la HEABC (en tant qu’employeur). La HEABC n’a pas tenté de renégocier les clauses de conventions collectives en vigueur avant l’adoption du projet de loi 29 et ni envisagé d’autres façons de dissiper les préoccupations exprimées par le gouvernement au sujet des coûts de main‑d’oeuvre et du manque de souplesse dans l’administration du secteur de la santé. Par ailleurs, le gouvernement n’a pas procédé à de véritables négociations ou consultations avant l’adoption du projet de loi 29 et ni offert aux syndicats d’autres moyens d’influer utilement sur l’issue du processus (par exemple, un système satisfaisant de conciliation ou d’arbitrage). Les représentants syndicaux ont indiqué à maintes reprises qu’ils voulaient discuter avec le gouvernement de certains aspects de la Loi et ils l’ont informé que les questions à traiter sous le régime de la Loi revêtaient une importance particulière pour eux. En fait, le gouvernement avait déjà indiqué qu’il était disposé à procéder à des consultations. Cependant les consultations n’ont jamais eu lieu en l’espèce. La seule preuve de consultation consiste en une brève conversation téléphonique entre un membre du gouvernement et un représentant syndical dans la demi‑heure précédant le dépôt de la Loi (alors projet de loi 29) devant la législature et qui s’est limitée à informer le syndicat des mesures que le gouvernement entendait prendre.
160 Ce projet de loi représentait une importante mesure législative dans le domaine du travail. Il était susceptible d’avoir un effet dramatique et exceptionnel sur les droits des employés. Pourtant le gouvernement l’a adopté en sachant parfaitement que les syndicats s’opposaient fortement à de nombreuses dispositions de ce projet, sans envisager d’autres moyens qui lui auraient permis d’atteindre son objectif et sans expliquer ses choix.
161 Nous concluons que le gouvernement n’a pas établi que la Loi ne portait qu’une atteinte minimale au droit de négociation collective reconnu aux employés par l’al. 2d). Il est inutile alors de s’interroger sur la proportionnalité entre les objectifs urgents et réels du gouvernement et les moyens adoptés par la loi pour réaliser ces objectifs. Nous estimons que les dispositions attentatoires de la Loi (par. 6(2) et (4) et art. 9) ne peuvent se justifier en tant que limites raisonnables au sens de l’article premier de la Charte et que, de ce fait, elles sont inconstitutionnelles.
B. La Loi viole‑t‑elle les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte?
162 Après avoir établi que les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 sont inconstitutionnels parce qu’ils portent atteinte à un processus de négociation collective garanti à l’al. 2d), nous devons maintenant déterminer si les autres dispositions de la partie 2 de la Loi portent aussi atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte.
163 Le paragraphe 15(1) de la Charte dispose :
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
164 Il faut alors déterminer si la Loi porte atteinte à l’art. 15 de la Charte et, plus particulièrement, si elle établit contre les travailleurs du secteur de la santé une discrimination fondée sur plusieurs motifs énumérés ou analogues interreliés, notamment le sexe, l’occupation d’un emploi dans le secteur de la santé et le statut des travailleurs du secteur des services non cliniques.
165 Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu à l’absence de discrimination interdite par l’art. 15 de la Charte. Nous sommes d’avis de ne pas modifier ces conclusions. Comme les tribunaux d’instance inférieure, nous concluons que les distinctions créées par la Loi tiennent essentiellement aux différences qui existent entre les secteurs d’emploi, en raison des pratiques suivies de longue date selon lesquelles la réglementation en matière de travail est établie par des mesures législatives propres à chaque secteur du marché du travail, et qu’elles ne constituent pas de la discrimination au sens de l’art. 15 de la Charte. La différenciation et les effets préjudiciables de la loi envers certains groupes de travailleurs tiennent essentiellement au genre de travail qu’ils exécutent et non à leur personne. La preuve ne révèle pas non plus que la Loi reflète une application stéréotypée de caractéristiques personnelles ou de groupe. Sans minimiser l’importance des distinctions de la Loi qui marquent la vie et le travail des employés visés du secteur de la santé, en l’espèce il ne s’agit pas de traitements différents fondés sur des caractéristiques personnelles justifiant qu’on amorce l’analyse de la question de la discrimination.
166 Par conséquent, rien ne justifie que la Cour s’écarte du point de vue de la juge de première instance, selon qui les effets de la législation sur les travailleurs du secteur des services de santé, si pénibles qu’ils risquent de s’avérer pour eux, ne constituent pas, au vu de la preuve soumise en l’espèce, de la discrimination au sens de l’art. 15 de la Charte.
167 En résumé, nous estimons que la Loi contestée ne va pas à l’encontre de l’art. 15 de la Charte. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si des limites raisonnables pourraient être justifiées en vertu de l’article premier.
IV. Conclusions et dispositif
168 Pour les motifs exposés précédemment, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi en partie, avec dépens. Nous concluons que les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 de la Loi sont inconstitutionnels. Toutefois, nous suspendons la prise d’effet de cette déclaration pour 12 mois afin de permettre au gouvernement d’examiner les répercussions de la présente décision. Nous sommes d’avis de répondre aux questions constitutionnelles de la façon suivante :
1. La partie 2 de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2, en tout ou en partie, viole‑t‑elle l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés?
R. Oui, en partie. Les par. 6(2) et(4) et l’art. 9 enfreignent l’al. 2d).
2. Dans l’affirmative, cette violation constitue‑t‑elle une limite raisonnable qui est prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
R. Non.
3. La partie 2 de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2, en tout ou en partie, viole‑t‑elle l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
R. Non.
4. Dans l’affirmative, cette violation constitue‑t‑elle une limite raisonnable qui est prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
R. Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
Version française des motifs rendus par
169 La juge Deschamps — L’avenir de notre système de santé préoccupe beaucoup les Canadiens. La croissance vertigineuse des coûts des soins de santé combinée au vieillissement de la population a incité les gouvernements à trouver de nouvelles façons de s’assurer que les personnes qui ont besoin des services de santé y ont accès. Lorsque, dans la poursuite d’un tel objectif, un gouvernement prend une décision de politique générale qui a pour effet de porter atteinte à un droit garanti par la Charte, il doit justifier son choix en démontrant que la mesure constitue une limite raisonnable au droit protégé.
170 Je souscris de manière générale aux motifs de la Juge en chef et du juge LeBel au sujet de l’étendue de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés en matière de négociation collective. Je conviens aussi que rien ne permet de conclure qu’il y a en l’espèce discrimination au sens de l’art. 15 de la Charte. Toutefois, je ne souscris pas à l’analyse de mes collègues quant à l’atteinte à l’al. 2d) et quant à la justification de l’atteinte selon l’article premier de la Charte.
171 L’interprétation que la Cour donne en l’espèce à l’al. 2d) de la Charte constitue une étape importante dans la reconnaissance des activités collectives. L’importance de cette avancée ne devrait pas toutefois éclipser l’analyse de la justification selon l’article premier de la Charte. Tout au long du litige, le gouvernement de la Colombie‑Britannique a maintenu que, si la partie 2 de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2 (la « Loi ») enfreint l’al. 2d) de la Charte, cette atteinte est justifiée au sens de l’article premier. Je conclus que les art. 4 et 5, les par. 6(2) et (4) ainsi que l’art. 9 de la Loi contreviennent à l’al. 2d) de la Charte, mais j’estime que seul le par. 6(4) de la Loi comporte une limite dont la justification ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
I. Les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes
172 Il est utile de reproduire les dispositions constitutionnelles et législatives en cause :
Charte canadienne des droits et libertés
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
. . .
d) liberté d’association.
. . .
Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2 :
[traduction]
Droit de réorganiser la prestation des services
4 (1) L’employeur du secteur de la santé a le droit de réorganiser la prestation de ses services en transférant des fonctions ou services soit dans le même lieu de travail soit dans un autre lieu de travail de la même région soit à un autre employeur du secteur de la santé, notamment une société de personnes ou une coentreprise formée avec d’autres employeurs du secteur de la santé, ou une filiale.
(2) L’employeur du secteur de la santé a le droit de transférer :
a) les fonctions ou services qui doivent être exécutés ou fournis par un autre employeur du secteur de la santé visé au paragraphe (1) à cet autre employeur;
b) les fonctions ou services qui doivent être exécutés ou fournis par un autre lieu de travail de la même région à cet autre lieu de travail.
(3) Dans le cas où une fonction ou un service est transféré à un autre employeur du secteur de la santé, dans le même lieu de travail ou dans un lieu de travail de la même région conformément au présent article, l’employé qui exécute cette fonction ou ce service peut être transféré à cet employeur, à ce même lieu de travail ou à un lieu de travail de la même région de la manière prévue aux règlements.
Droits liés aux affectations dans différents lieux de travail
5 L’employeur du secteur de la santé :
a) a le droit d’affecter un employé dans le même lieu de travail ou dans un autre lieu de travail relevant de son autorité ou dans un lieu de travail relevant de l’autorité d’un autre employeur du secteur de la santé pour une durée ne dépassant pas celle prévue par règlement et aux conditions qui y sont fixées;
b) doit afficher les postes conformément à la convention collective si le poste visé requiert comme condition d’emploi que le candidat retenu travaille sur une base régulière pour une durée indéfinie à plus d’un lieu de travail relevant de son autorité.
Sous‑traitance
6 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article :
« hôpital de soins actifs » L’hôpital ou la partie d’hôpital désigné par règlement;
« professionnel de la santé désigné » Selon le cas :
a) infirmier autorisé en vertu de la Nurses (Registered) Act;
b) membre d’une profession de la santé désignée dans le cadre de la Health Professions Act à la date d’entrée en vigueur du présent article;
c) personne dont la classification professionnelle ou la classification de poste est désignée par règlement;
« services non cliniques » Services autres que les services médicaux, thérapeutiques, ou de diagnostic dispensés par un professionnel de la santé désigné au patient hospitalisé dans un hôpital de soins actifs. Sont compris dans ces services les autres services désignés par règlement.
(2) Les conventions collectives entre la HEABC et les syndicats représentant les employés du secteur de la santé ne peuvent prévoir aucune clause qui, de quelque manière que ce soit, restreint, limite ou réglemente le droit de l’employeur du secteur de la santé de sous‑traiter des services non cliniques hors du cadre défini par la convention collective.
(3) À moins que les personnes visées aux alinéas a) et b) ne fassent entièrement partie de l’organisation et ne relèvent directement de l’employeur du secteur de la santé, elles ne sont pas reconnues comme employés du secteur de la santé par la commission des relations du travail ou un arbitre nommé en vertu du Code ou d’une convention collective :
a) les personnes qui dispensent des services dans le cadre d’un contrat entre un employeur du secteur de la santé et un employeur ne relevant pas de ce secteur;
b) l’employé qui travaille pour une personne autre qu’un employeur du secteur de la santé.
(4) Sont nulles les clauses de conventions collectives qui obligent l’employeur à consulter le syndicat avant de sous‑traiter des services non cliniques hors du cadre défini par la convention collective.
(5) La personne qui conclut un contrat avec un employeur du secteur de la santé n’est pas liée par les conventions collectives et n’est pas visée par l’article 35 du Code.
(6) La désignation d’employeur commun prévue à l’article 38 du Code ne peut s’appliquer à l’employeur du secteur de la santé qui assure une activité avec un autre employeur du secteur de la santé ou un entrepreneur.
Employment security and Labour Force Adjustment Agreement
7 (1) Les parties à l’ESLA ne sont pas tenues d’appliquer l’ESLA à compter de l’entrée en vigueur du présent article.
(2) Les parties à une convention collective ne sont pas tenues d’appliquer les clauses, ou parties de clauses de la convention collective qui relèvent ou proviennent de l’ESLA.
(3) L’ESLA ne s’applique pas pour l’interprétation ou l’application de la convention collective.
Healthcare Labour Adjustment Society
8 (1) Pour l’application du présent article, « HLAA » s’entend de la Healthcare Labour Adjustment Society of British Columbia, société constituée en vertu de la Society Act.
(2) Le ministre peut nommer un administrateur à la HLAA.
(3) L’administrateur visé au paragraphe (2) remplace les directeurs de la HLAA et peut exercer toutes les attributions que la Society Act confère aux directeurs.
(4) L’administrateur doit s’assurer que les programmes et activités de la HLAA sont utilisés uniquement dans la mesure nécessaire pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations envers les employés du secteur de la santé mis à pied aux termes de l’ESLA et pour lui permettre de respecter les engagements financiers qu’il a pris envers les employeurs du secteur de la santé ou d’autres employeurs pour effectuer les remboursements prévus à l’un des programmes de la HLAA.
(5) Le ministre peut enjoindre à l’administrateur d’offrir des programmes et activités autres que ceux mentionnés au paragraphe (4).
(6) L’administrateur est tenu de liquider la HLAA conformément aux dispositions de la Society Act.
(7) L’administrateur peut liquider la HLAA une fois que toutes les obligations prévues aux paragraphes (4) et (5) auront été remplies.
(8) L’administrateur doit s’acquitter des obligations qui lui sont confiées en application du présent article dans l’année qui suit la date de sa nomination.
(9) Tout solde appartenant à la HLAA au moment de sa liquidation est versé dans le Health Special Account [compte spécial de la santé] mentionné dans la Health Special Account Act.
Mise en disponibilité et supplantation
9 Pour la période se terminant le 31 décembre 2005, les conventions collectives ne peuvent prévoir aucune clause qui, selon le cas :
a) restreint ou limite le pouvoir de l’employeur du secteur de la santé de mettre en disponibilité;
b) sous réserve de l’alinéa c), oblige l’employeur du secteur de la santé à répondre à certaines conditions avant de donner un préavis de mise en disponibilité;
c) oblige l’employeur du secteur de la santé à donner un préavis de mise en disponibilité de plus de 60 jours à l’employé directement ou indirectement visé et au syndicat qui le représente;
d) offre à l’employé des choix quant à la supplantation autres que ceux prescrits par règlement.
La présente partie l’emporte sur les conventions collectives
10 (1) Sont inopérantes les clauses de conventions collectives qui entrent en conflit ou sont incompatibles avec la présente partie.
(2) Sont inopérantes, dans la mesure où elles portent sur l’une des interdictions prévues à la présente partie les clauses de conventions collectives qui :
a) soit obligent l’employeur du secteur de la santé à négocier avec le syndicat en vue du remplacement d’une clause rendue inopérante par application du paragraphe (1);
b) soit autorisent la commission des relations du travail, l’arbitre ou toute autre personne à remplacer ou modifier une clause rendue inopérante par application du paragraphe (1), ou lui imposent cette obligation.
II. Analyse
173 J’examinerai d’abord l’al. 2d) de la Charte dans le contexte d’une loi qui entrave une négociation collective où le gouvernement agit non en tant que partie au processus de négociation collective, mais, comme c’est le cas en l’espèce, en tant que législateur. J’aborderai ensuite l’atteinte alléguée à l’al. 2d) en l’espèce, après quoi, en ce qui concerne l’article premier de la Charte, je procéderai à l’analyse contextuelle. Je terminerai en évaluant les dispositions contestées.
A. Liberté d’association et négociation collective sous le régime de la Charte
174 Je souscris aux grands principes suivants que la majorité a formulés au sujet de la portée de l’al. 2d) de la Charte :
1) Le droit constitutionnel de négocier collectivement vise à protéger la capacité des travailleurs de participer à des activités associatives et leur capacité d’agir collectivement pour réaliser des objectifs communs concernant des questions liées au milieu de travail et leurs conditions de travail.
2) Il s’agit d’un droit à un processus de négociation collective — il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques ni l’accès à un régime légal précis.
3) Le droit en cause restreint le pouvoir de légiférer en matière de négociation collective.
175 Je suis toutefois préoccupée par la grille d’analyse que la majorité suggère pour déterminer si une mesure gouvernementale enfreint l’al. 2d). Selon mes collègues, l’analyse implique deux temps : le premier porte sur l’importance que revêt la question pour le syndicat et les employés et le second concerne l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi. Voici comment ils résument la grille d’analyse (par. 93) :
De façon générale, pour déterminer si une mesure gouvernementale ayant des répercussions sur le processus de négociation collective protégé par la Charte constitue une atteinte substantielle, il faut examiner successivement deux questions. D’abord, il faut déterminer l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Puis, on doit étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi.
176 La majorité met l’accent sur les entraves « substantielles » au processus de négociation collective, disant se fonder sur Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016, 2001 CSC 94 (motifs de la majorité, par. 19, 35 et 90). Cependant, la norme de l’« entrave substantielle » ne peut être adoptée en l’espèce du simple fait qu’elle est mentionnée dans Dunmore. Il est nécessaire d’examiner de près les principes appliqués dans cet arrêt. Le juge Bastarache a introduit dans Dunmore la notion d’« entrave substantielle » parce qu’il s’agissait dans cette affaire de décider si le gouvernement avait l’obligation positive d’accorder à un demandeur le bénéfice des avantages prévus par un régime légal précis dont il était exclu. L’exigence d’« entrave substantielle » a été présentée comme étant l’une des considérations qui délimitent « la possibilité de contester la non‑inclusion sur le fondement de l’art. 2 de la Charte » (par. 24). Cette expression est utilisée pour décrire le fardeau additionnel dont le demandeur doit s’acquitter pour prouver la non‑inclusion conformément aux arrêts Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627, et Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989. L’emploi du critère de l’« entrave substantielle » est expliqué au par. 25 de Dunmore. Il est bien illustré dans l’extrait suivant :
La charge de preuve consiste à mon avis à démontrer que l’exclusion du régime légal permet une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’al. 2b). [Soulignement omis]
177 Étant donné que le litige, en l’espèce, porte non pas sur la portée trop limitative de la loi, mais sur l’obligation de l’État de ne pas entraver un processus de négociation collective, je ne peux être d’accord pour qu’on applique la norme de l’« entrave substantielle »
178 De plus, le premier critère que comporte l’analyse de la majorité (« l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective » (par. 93)) est axé sur la substance de la question liée au milieu de travail plutôt que sur l’entrave au processus de négociation collective, qui seul fait l’objet de la garantie constitutionnelle. Étant donné que le résultat concret obtenu à l’issue d’un processus de négociation collective ne bénéficie d’aucune protection constitutionnelle, je considère que la substance du droit n’est pas la première question qu’il faut se poser pour l’évaluation de la demande selon l’al. 2d) de la Charte. Il faudrait plutôt vérifier en premier lieu si les mesures législatives entravent la capacité des travailleurs d’agir de concert pour ce qui est des questions liées au milieu de travail. Je reconnais que l’importance de la question en jeu peut être un facteur pertinent. Ainsi, dans certains cas, il peut être utile d’examiner si le peu d’importance qu’elle revêt fait en sorte qu’il n’y a pas atteinte au droit à un processus de négociation collective et que l’objet de la liberté d’association ne trouve donc pas application. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincue que l’importance de l’intérêt en jeu doive jouer un rôle primordial dans l’analyse de l’atteinte.
179 Pour ce qui est du second critère (« l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi » (par. 93)), je suis préoccupée par la façon dont il est réitéré et appliqué dans les motifs de la majorité. Par exemple, au lieu de se concentrer sur l’impact que la mesure peut avoir sur le droit, la majorité mentionne qu’il faut examiner « la manière dont la mesure a été mise en oeuvre » (par. 109), « son application » (par. 112) et « le processus de réalisation des changements » (par. 129). Soit dit en tout respect, ces énoncés impliquent une obligation de consultation qui va à l’encontre de la thèse que « le législateur n’est pas tenu de consulter les parties visées avant d’adopter une mesure législative » (par. 157), thèse à laquelle je souscris. Autre sujet de préoccupation : la majorité considère les « circonstances » de l’adoption des mesures législatives, par exemple la montée en flèche des coûts des soins de santé à laquelle le gouvernement doit faire face, à l’étape où il doit déterminer s’il y a eu atteinte à l’al. 2d). À mon avis, ces considérations sont directement pertinentes pour l’analyse de la justification au sens de l’article premier, mais ne permettent pas de déterminer s’il y a atteinte ou non à la liberté d’association.
180 Vu ces préoccupations, je crois plus approprié de me fonder sur une grille d’analyse quelque peu différente, tout en m’inspirant de la formulation de la majorité (voir les motifs de la majorité, par. 96). J’adapte l’analyse pour tenir compte du fait qu’il s’agit d’évaluer une ingérence positive, non la portée limitative, et un texte législatif, non une action gouvernementale. La grille d’analyse que je propose peut être ainsi libellée :
Les lois ou les actes de l’État qui empêchent ou interdisent la tenue de véritables discussions et consultations entre employés et employeur au sujet d’importantes questions liées au milieu de travail peuvent interférer dans l’activité de négociation collective, tout comme les lois qui invalident unilatéralement des stipulations négociées à propos d’importantes questions liées au milieu de travail que prévoient des conventions collectives en vigueur.
181 Cette grille d’analyse comporte aussi deux temps. Premièrement, il faut déterminer s’il y a eu entrave de quelque façon que ce soit au processus de négociation entre employeur et employés ou leurs représentants. Deuxièmement, il faut déterminer si l’entrave concerne une question importante dans le contexte des relations du travail. Le fait d’examiner d’abord l’entrave au processus a le mérite de permettre de concentrer toute l’attention sur le droit protégé par la Constitution, au lieu de protéger indirectement la substance des clauses de conventions collectives. C’est seulement lorsque le tribunal conclut qu’il y a entrave au processus de négociation qu’il peut procéder à la seconde étape et vérifier si les questions en cause sont importantes, afin de s’assurer que l’al. 2d) n’est pas interprété de manière à ce que sa portée dépasse son objet. Ainsi, sont pertinentes pour l’analyse fondée sur l’al. 2d) non pas toutes les questions liées au milieu de travail, mais seulement celles qui sont importantes. Je conviens avec la majorité que la « protection ne couvre pas tous les aspects de la “ négociation collective ” au sens où ce terme est employé dans les régimes légaux des relations du travail applicables dans tout le pays » (par. 19). Bon nombre de sujets qui peuvent faire l’objet de conventions collectives ne justifient pas la protection de la Constitution. Toutes les questions liées au milieu de travail ne déclenchent pas la mise en oeuvre de la protection de l’art. 2d) de la Charte; seules celles qui sont importantes ont cet effet.
182 Ainsi, une loi qui a pour effet de modifier une convention collective portant sur d’importantes questions liées au milieu de travail ou qui exclut de la négociation d’importantes questions liées au milieu de travail qui seraient normalement négociables constitue une ingérence dans le processus de négociation collective. Des mesures législatives de cette nature rendent sans effet les négociations ayant déjà eu lieu ou excluent, pour l’avenir, la tenue de négociations sur les sujets qu’elles visent.
183 Bien que je sois en désaccord avec d’importants aspects de la grille d’analyse que la majorité élabore pour déterminer s’il y a entrave, je conviens, pour les motifs énoncés ci‑dessous, que certaines dispositions de la Loi enfreignent l’al. 2d) de la Charte.
B. Infraction à l’al. 2d) de la Charte
184 En l’espèce, les appelants soutiennent qu’une loi adoptée par le gouvernement de la Colombie‑Britannique constitue une ingérence dans le processus de négociation collective parce qu’elle annule de façon unilatérale d’importantes conditions prévues dans des conventions collectives existantes et qu’elle exclut, pour l’avenir, la négociation collective de certaines questions. Le processus de négociation collective en cause concerne, d’une part, la Health Employers Association of British Columbia (la « HEABC »), composée d’employeurs des secteurs public et privé, et, d’autre part, des syndicats du secteur de la santé. Je vais d’abord traiter des dispositions qui ne contreviennent pas à l’al. 2d) de la Charte, puis de celles qui l’enfreignent.
185 Il n’y a pas lieu d’examiner de façon indépendante l’art. 3 et le par. 6(1) de la Loi, qui sont des dispositions définitoires, ni l’art. 10, qui est une disposition interprétative s’appliquant uniquement conjointement avec d’autres dispositions. De plus, comme la majorité, j’estime que les par. 6(3), (5) et (6) de la Loi ne contreviennent pas à l’al. 2d) de la Charte. Ils ne constituent pas une ingérence dans le processus de négociation collective; ils ne font que modifier des droits conférés dans le cadre d’un régime légal, ce qui est du ressort de l’assemblée législative. De même, pour les motifs exposés par la majorité, je conviens que les art. 7 et 8 de la Loi, qui concernent des programmes de sécurité d’emploi, n’enfreignent pas l’al. 2d) de la Charte. Ils ne visent pas un processus de négociation collective, passé ou futur.
186 Les articles 4 et 5 de la Loi traitent des transferts et affectations des employés. Certaines clauses de conventions collectives existantes déterminent quand l’employé peut refuser un transfert et comment se font les affectations. De même, des conventions collectives en vigueur comportent des clauses traitant de la sous‑traitance (par. 6(2) et (4) de la Loi), et de la mise en disponibilité et la supplantation (art. 9 de la Loi).
187 Par conséquent, les articles 4 et 5 de la Loi (appliqués conjointement avec l’art. 10) annulent des stipulations de conventions collectives existantes et limitent la portée des négociations futures; ils empêchent les travailleurs de se livrer à des activités associatives concernant les transferts et les affectations. La majorité semble considérer que ces dispositions entraînent des « changements administratifs relativement inoffensifs » (par. 12). Pour ma part, j’ai de la difficulté à minimiser l’importance des conditions de travail en question. Je préfère conserver pour l’étape de la justification l’évaluation de la portée du Health Sector Labour Adjustment Regulation, B.C. Reg. 39/2002 (le « Règlement »). J’estime donc que ces dispositions contreviennent à l’al. 2d) de la Charte.
188 Je conviens toutefois avec la majorité que les par. 6(2) et (4) de la Loi (appliqués conjointement avec l’art. 10) « mettent de côté le résultat des négociations collectives antérieures sur la sous‑traitance et privent de sens les négociations collectives à venir sur ces questions » (par. 121). Ces dispositions rendent nulles les négociations collectives antérieures sur la sous‑traitance et du même coup en rendent le processus inopérant; elles excluent aussi, pour l’avenir, la négociation collective de cette question. Elles traitent d’une importante question touchant la sécurité d’emploi, et la négociation des questions de cette nature est l’un des objets des activités associatives en milieu de travail. Je conviens également avec la majorité que l’art. 9 de la Loi (appliqué conjointement avec l’art. 10) entrave la négociation collective du fait qu’il « vide de sens la négociation collective de certains aspects de la mise en disponibilité et de la supplantation et invalid[e] certaines parties de conventions collectives portant sur ces questions » (par. 127). L’article 9 concerne d’importantes questions liées au milieu de travail qui touchent à l’objet de l’al. 2d) : les dispositions sur la mise en disponibilité assurent aux syndiqués un certain soutien à un moment où leur gagne‑pain peut être compromis; le droit de supplantation implique des droits d’ancienneté, et l’ancienneté est une pierre d’assise des droits des employés dans la plupart des conventions collectives. Par conséquent, j’estime que les par. 6(2) et (4) et l’art. 9 enfreignent aussi l’al. 2d) de la Charte.
189 Ayant décrit comment, à mon sens, il y a eu atteinte à l’al. 2d) de la Charte en l’espèce, j’aborde maintenant le cadre juridique de l’analyse fondée sur l’article premier.
C. Approche contextuelle dans l’analyse fondée sur l’article premier
190 Au cours de la dernière décennie, mon collègue le juge Bastarache s’est employé, dans une trilogie d’arrêts qui ont reçu l’appui de la majorité de la Cour, à définir aussi bien les fondements de l’approche contextuelle de l’article premier que son application. Cette jurisprudence constitue une contribution importante à une compréhension complète et équilibrée de l’analyse fondée sur l’article premier. Il ressort de son examen plusieurs points qui méritent d’être relevés.
191 Premièrement, dans Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 87‑88, le juge Bastarache souligne l’importance de tenir compte des facteurs contextuels :
L’analyse fondée sur l’article premier doit être réalisée en accordant une grande attention au contexte. Cette démarche est incontournable car le critère élaboré dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, exige du tribunal qu’il dégage l’objectif de la disposition contestée, ce qu’il ne peut faire que par un examen approfondi de la nature du problème social en cause. De même, la proportionnalité des moyens utilisés pour réaliser l’objectif urgent et réel visé ne peut être évaluée qu’en s’attachant étroitement au détail et au contexte factuel. Essentiellement, le contexte est l’indispensable support qui permet de bien qualifier l’objectif de la disposition attaquée, de décider si cet objectif est justifié et d’apprécier si les moyens utilisés ont un lien suffisant avec l’objectif valide pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte.
Il importe également de qualifier le contexte de la disposition contestée pour déterminer le type de preuve que le tribunal peut demander au législateur d’apporter pour justifier ses mesures au regard de l’article premier. [. . .]
192 Deuxièmement, le juge Bastarache a récemment résumé les facteurs contextuels pertinents dont il est question dans Thomson Newspapers, Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33, et R. c. Bryan, 2007 CSC. 12 : « (i) la nature du préjudice et l’incapacité d’en mesurer l’ampleur; (ii) la vulnérabilité du groupe protégé; (iii) les craintes subjectives et l’appréhension du préjudice, et (iv) la nature de l’activité protégée » : Bryan, par. 10. Il a noté dans Thomson Newspapers (par. 90) que ces facteurs « ne sont pas des catégories de norme de preuve auxquelles le gouvernement doit satisfaire, mais bien des facteurs touchant la question de savoir s’il y a une justification démontrable ». Il n’est pas surprenant que les facteurs considérés dans cette trilogie soient très similaires, étant donné qu’il s’agissait dans tous ces cas d’atteintes alléguées à la liberté d’expression découlant de lois électorales fédérales. À mon avis, dans les cas d’atteinte autre que celle à la liberté d’expression, une approche contextuelle implique nécessairement qu’on peut adapter les facteurs de manière à prendre en compte les différentes justifications avancées sur le fondement de l’article premier de la Charte.
193 Troisièmement, dans Bryan, récemment rendu par la Cour, le juge Bastarache, de nouveau au nom de la majorité, a précisé que « ce n’est qu’après avoir énoncé les objectifs de la disposition contestée que nous pouvons examiner leur contexte de façon à définir la nature et le caractère suffisant de la preuve que requiert l’article premier » (par. 11).
194 Quatrièmement, dans Harper, le juge Bastarache a clairement fait observer qu’il existe un lien entre les facteurs contextuels et le degré de déférence dont il faut faire preuve envers le gouvernement dans le cadre de l’évaluation fondée sur l’article premier de la Charte :
Somme toute, les facteurs contextuels militent en faveur d’une attitude empreinte de déférence envers le Parlement dans l’examen de la question de savoir si le plafonnement des dépenses publicitaires faites par les tiers est justifié dans le cadre d’une société libre et démocratique. Vu les difficultés que présente l’évaluation du préjudice, l’existence d’une appréhension raisonnée que l’absence d’une telle limitation serait source d’iniquité électorale suffit. [par. 88]
195 Par conséquent, la trilogie souligne plusieurs caractéristiques de l’approche contextuelle. Premièrement, le contexte joue un rôle à chaque étape de l’analyse de proportionnalité établie dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, évitant ainsi que l’analyse soit bloquée par des oeillères. Deuxièmement, comme le contexte varie selon la nature des litiges, il faut adapter les facteurs en conséquence. Troisièmement, il faut définir l’objectif avant d’aborder le contexte; ce n’est qu’alors qu’il sera possible de déterminer la nature de la preuve à présenter et décider si la preuve présentée est suffisante. Enfin, le contexte influe particulièrement sur le degré de déférence dont le tribunal fera preuve à l’égard du gouvernement lorsqu’il s’agira de décider si les mesures qu’il a adoptées constituent des limites dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
196 La majorité convient que l’approche contextuelle de l’article premier est appropriée, mais elle ne l’applique pas dans son analyse de la justification. À mon avis, elle ne donne pas au contexte l’importance qu’il mérite. Mes collègues adoptent plutôt une approche axiologique, qui ne se prête pas à l’analyse de la justification : voir S. Bernatchez, « La procéduralisation contextuelle et systémique du contrôle de constitutionnalité à la lumière de l’affaire Sauvé » (2006), 20 N.J.C.L. 73, p. 87‑90. Cette lacune ressort de leurs généralisations concernant d’éventuelles justifications, dont la suivante (par. 108) :
Même lorsqu’une atteinte à l’al. 2d) est établie, l’examen de la question ne s’arrête pas là : il demeure possible que les restrictions imposées au droit garanti par l’al. 2d) constituent, en vertu de l’article premier de la Charte, des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Exceptionnellement et généralement de façon temporaire, une interférence dans le processus de négociation collective reste donc permise, par exemple dans des situations mettant en cause des services essentiels ou des aspects vitaux de l’administration des affaires de l’État, ou dans le cas d’une impasse manifeste ou d’une crise nationale. [Non souligné dans l’original.]
Soit dit en tout respect, j’estime que cet énoncé préjuge de l’analyse fondée sur l’article premier en limitant la justification aux mesures exceptionnelles et temporaires. Cette approche est incompatible avec la jurisprudence de la Cour relative à l’article premier. C’est la première fois que le critère de justification est celui d’une situation exceptionnelle et temporaire.
D. Analyse contextuelle
197 Dans la trilogie Thomson Newspapers, Harper et Bryan, la Cour a mis au point les critères de l’approche contextuelle sous le régime de l’article premier de la Charte en mettant l’accent sur la notion que « les tribunaux doivent naturellement faire preuve de déférence envers le Parlement lorsqu’il est question des lois électorales » (Bryan, par. 9). Il nous incombe maintenant de dégager les critères pertinents en les adaptant pour les besoins de l’espèce parce qu’il s’agit de lois relatives aux soins de santé. Comme il est mentionné dans Bryan, il faut au départ, avant d’examiner les facteurs contextuels, identifier les objectifs des dispositions contestées.
(1) Objectifs des dispositions contestées
198 Dans son mémoire, le gouvernement énonce les objectifs qu’il poursuivait : [traduction] « répondre aux besoins croissants en matière de services, réduire les obstacles structurels qui limitent l’accès aux soins, améliorer la planification et accroître l’obligation de rendre compte, de façon à assurer la viabilité à long terme du système » (par. 4). Deux priorités liées à la restructuration découlent de ces objectifs : [traduction] « élaboration de nouveaux modèles en matière de services de santé pour maintenir le niveau et la qualité des services de santé publics dans le nouveau cadre financier et meilleure utilisation des deniers publics » (par. 5).
199 En plus de ces objectifs généraux, le dossier fournit des précisions quant aux objets des dispositions contestées. Elles visent toutes à [traduction] « offrir un système de santé plus cohérent et flexible » et à « mettre en place des méthodes de travail permettant d’offrir des services de santé à moindre coût et de façon plus efficace, de manière à améliorer les soins aux patients et à réduire les coûts » (d. i, p. 52, 55, 59 et 84). Les articles 4 (transferts) et 9 (mise en disponibilité et supplantation) ont été adoptés dans le but précis de faciliter la réorganisation de la prestation des services de santé (d. i., p. 52 et 84). L’article 5 de la Loi (droits liés aux affectations dans différents lieux de travail) visait notamment à [traduction] « améliorer l’utilisation des ressources humaines [. . .] pour tenir compte des fluctuations de la charge de travail » (d. i., p. 55). Enfin, l’art. 6 de la Loi, qui concerne la sous‑traitance, visait à [traduction] « s’assurer que les contrats hospitaliers sont assujettis à une saine concurrence et que les contribuables en ont plus pour leur argent » (d. i., p. 59).
200 Je conviens avec la majorité que les objectifs de la partie 2 de la Loi sont importants et, à cela, j’ajoute que les objectifs des dispositions contestées le sont également. Le système de santé est mis à rude épreuve et, comme nous le verrons plus loin, est en crise. Il est peu probable qu’il puisse survivre dans sa forme actuelle. Les patients doivent pourvoir compter sur l’accès à des services de santé de qualité raisonnable, et ce, dans un délai raisonnable : Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, 2005 CSC 35, par. 112. Après avoir examiné les objectifs de la partie 2 de la Loi et les dispositions contestées, je vais maintenant aborder en détail les facteurs contextuels pertinents.
(2) Facteurs contextuels
201 Plusieurs facteurs contextuels ont été avancés pour l’analyse fondée sur l’article premier. J’appliquerai les grands principes énoncés dans la trilogie des arrêts sur les élections, en faisant les adaptations nécessaires pour tenir compte du contexte des soins de santé.
(a) Nature du préjudice
202 Dans Harper, le préjudice auquel la loi contestée était destinée à remédier était l’iniquité électorale (par. 79). En l’espèce, la partie 2 de la Loi vise à remédier à la crise à laquelle le système de santé fait face. Le dossier comporte des éléments de preuve substantiels démontrant que le système de santé de la Colombie‑Britannique n’était pas viable à l’époque de la présentation de la Loi et que celle‑ci faisait partie de la stratégie du gouvernement de corriger la situation.
203 La croissance et le vieillissement de la population, le coût élevé des nouvelles technologies et des nouveaux médicaments de pointe ainsi que de la complexité du profil des maladies expliquent l’explosion de la demande des services de santé en Colombie‑Britannique et dans les autres provinces du Canada. En Colombie‑Britannique, les coûts des soins de santé ont enregistré une croissance trois fois plus rapide que l’économie de la province. Dans ses observations au Bureau international du Travail, le gouvernement mentionne les « pressions insoutenables sur le budget, qui devaient être prises en compte » étant donné que « les dépenses de santé et d’éducation de la province représentaient 64,4 pour cent des dépenses totales en 2001‑2002 » : Bureau international du Travail, Comité de la liberté d’association, Rapport no 330, cas nos 2166, 2173, 2180 et 2196, « Plaintes contre le gouvernement du Canada concernant la province de la Colombie‑Britannique », Bulletin officiel du BIT, vol. LXXXVI, 2003, série B, no 1, par. 267. Voici ce que le gouvernement de la Colombie‑Britannique a donc fait valoir :
[traduction] Le système de santé de la Colombie‑Britannique traverse une crise de viabilité, car les coûts des soins de santé continueront d’augmenter; il en est de même de la prestation des services, car la demande excède la capacité du système.
(d. i, p. 1040)
204 La majeure partie des coûts des soins de santé sont liés à la main‑d’œuvre : [traduction] « environ 80 % des coûts des soins de santé sont imputables à la main‑d’œuvre — dont la majorité est syndiquée » (d. suppl. des appelants, p. 7). En ventilant davantage ces coûts, le gouvernement a présenté une preuve suivant laquelle le personnel de soutien du secteur de la santé est mieux rémunéré en Colombie‑Britannique que dans les autres provinces :
[traduction] Les membres du personnel de soutien sont particulièrement bien payés comparativement à leurs homologues des autres provinces, leur salaire à l’embauchage et leur salaire maximal étant en moyenne 34 % et 28 % plus élevés que la moyenne nationale.
(d. i., p. 1044; voir également le d. i., p. 199 et 207.)
205 Compte tenu de la preuve susmentionnée, j’estime que le problème de la viabilité du système de santé de la province, auquel la Loi et les dispositions contestées visaient à remédier, est en l’espèce un facteur contextuel de la plus haute importance pour l’analyse fondée sur l’article premier.
(b) Vulnérabilité du groupe protégé
206 Dans Harper, la loi contestée cherchait à protéger « les électeurs canadiens en leur permettant d’entendre tous les groupes et, de ce fait, de voter de manière plus éclairée » (par. 80) ainsi que les candidats et les partis politiques pour qu’ils aient « une chance égale de présenter leurs positions à l’électorat » (par. 81). En l’espèce, le principal groupe que la partie 2 de la Loi vise à protéger se compose des personnes ayant besoin de soins de santé. Le gouvernement fait valoir que la Loi [traduction] « défend les intérêts des utilisateurs des services de santé, qui constituent un groupe vulnérable » (m. i., par. 143).
207 Dans les années qui ont précédé l’entrée en vigueur de la Loi, les relations du travail dans le secteur de la santé de la Colombie‑Britannique étaient instables et, parfois, acrimonieuses. Les syndicats de ce secteur ne se limitaient pas seulement à la table des négociations pour défendre leurs intérêts et faire valoir leurs demandes; ils recouraient aussi à la publicité politique et au lobbying (d. i., p. 1033). À l’été 2001, les infirmiers et les ambulanciers paramédicaux ont entamé une grève partielle. Le gouvernement a d’abord ordonné par voie législative une « période de réflexion », puis a adopté une loi pour mettre fin aux grèves et imposer des conventions collectives (d. i., p. 1039). Le gouvernement soutient qu’il [traduction] « est difficile, voire impossible, de contrôler les coûts de main‑d’œuvre du système de santé public dans le cadre de la négociation collective. La population dépend du système de santé et ne peut se tourner ailleurs pendant un conflit de travail, comme elle pourrait normalement le faire s’il s’agissait d’un conflit de travail dans le secteur privé. » (m. i., par. 35.)
208 Dans Chaoulli, la majorité de la Cour a reproché au gouvernement du Québec d’avoir tardé pendant des années à agir pour remédier à la détérioration du système de santé public de la province; les patients risquent d’avoir à faire face à de sérieuses, et même graves, conséquences s’ils n’ont pas accès dans un délai raisonnable à des services de santé de qualité raisonnable (par. 97, 105 et 112). En conséquence, la Cour ne peut ignorer les besoins des patients lorsqu’elle examine la constitutionnalité des réformes des services de santé destinées à rendre le système plus viable et plus efficace.
209 À mes yeux, la vulnérabilité des utilisateurs du système de santé et les droits que leur garantit la Constitution sont des facteurs contextuels pertinents qu’il faut prendre en considération pour déterminer si les dispositions contestées constituent des limites dont la justification peut se démontrer au sens de l’article premier.
(c) Appréhension du préjudice et mesures d’amélioration envisagées
210 Dans Harper, en procédant à l’analyse contextuelle, la Cour a pris en compte les craintes subjectives et l’appréhension du préjudice de l’électorat canadien au sujet de l’iniquité électorale (82‑83). Ce facteur a donc permis d’établir un lien entre la nature du préjudice et la vulnérabilité du groupe. En l’espèce, les deux facteurs qui ont mené à l’adoption de la Loi sont les préoccupations concernant la nécessité de résoudre la crise secouant le système de santé de la province et la prise en considération par le gouvernement des solutions de rechange.
211 Plusieurs gouvernements provinciaux ont tenté de réformer les systèmes de santé pour répondre aux inquiétudes concernant leur viabilité. En présentant la Loi, le ministre responsable, l’honorable Graham Bruce, a déclaré : [traduction] « Le fait est que notre système de santé court à sa perte. Nous devons prendre la situation en main pour pouvoir répondre aux besoins des patients et de la population de la Colombie‑Britannique. » (Colombie‑Britannique, Debates of the Legislative Assembly, 2e sess., 37e Parl., vol. 2, no 29, 26 janv. 2002, p. 909). En fait, comme nous le verrons plus loin dans le cadre de l’analyse de l’atteinte minimale, le gouvernement a envisagé nombre de mesures pour redresser ce préjudice.
212 Comme la Cour l’a reconnu dans Chaoulli, par. 94, « les tribunaux doivent faire preuve de déférence [. . .] lorsqu’il s’agit d’une situation en cours et que le gouvernement fait des choix stratégiques qui ont des conséquences futures qu’un tribunal n’est pas en mesure d’évaluer ». En l’espèce, les diverses solutions de rechange que le gouvernement a envisagées pour répondre aux préoccupations relatives à la viabilité du système de santé de la province constituent un facteur contextuel pertinent pour l’analyse fondée sur l’article premier.
(d) Nature de l’activité protégée
213 Dans Harper, l’activité protégée était l’expression, visée par l’al. 2b) de la Charte. La Cour a évalué la nature de cette activité dans le contexte électoral pour déterminer le degré de protection constitutionnelle qui doit lui être accordée. Le présent pourvoi concerne la liberté d’association des syndiqués, garantie par l’al. 2d) de la Charte, dans le contexte des soins de santé. Étant donné que l’activité de négociation collective implique la participation à la fois des employés (par l’entremise de leurs syndicats) et de l’employeur (en l’espèce, la HEABC), les intérêts de ces deux parties constituent des facteurs contextuels pertinents. De plus, comme la plainte en l’espèce vise le gouvernement de la Colombie‑Britannique, il faut tenir compte de sa position pour que soit pris en considération tout le contexte de l’adoption de la Loi.
(i) Le point de vue des employés
214 Certes, l’al. 2d) de la Charte protège uniquement le processus de négociation collective, mais ce qui importe pour les employés, c’est la substance des clauses négociées. Pour eux, la négociation collective est un moyen d’atteindre une fin. Les employés négocient par l’entremise de leurs représentants syndicaux, des questions qui sont pour eux d’importance variable.
215 Les articles 4 et 5 de la Loi touchent à la capacité du travailleur de conserver la même description de tâches et le même poste au sein d’un même établissement. Le paragraphe 6(2) de la Loi risque de compromettre la capacité des travailleurs de conserver leur emploi actuel et [traduction] « d’obtenir la sécurité d’emploi ». À ce sujet, le par. 6(4) va plus loin en indiquant au syndicat que même des consultations sur la question de la sous‑traitance seraient une perte de temps. L’article 9 de la Loi, quant à lui, touche au régime d’ancienneté, si cher aux syndicats et à leurs membres, et à la capacité de l’employé de conserver un emploi stable. Il ne fait aucun doute que certaines des questions, telles les restrictions à la sous‑traitance et à la mobilité, sont prioritaires pour la plupart des syndicats et leurs membres. Toutefois, ce n’est pas nécessairement le cas de toutes les dispositions contestées. Par exemple, les changements apportés aux règles concernant le transfert et l’affectation prévus aux art. 4 et 5 peuvent revêtir moins d’importance puisque les employés conservent leur emploi.
(ii) Le point de vue de la HEABC
216 La HEABC n’est pas partie au pourvoi, mais son point de vue — selon le dossier — tant à titre d’employeur que d’administrateur du système de santé demeure un facteur contextuel pertinent. En août 2001, dans un document d’information préparé à l’intention du gouvernement, la HEABC a attiré l’attention sur de nombreuses clauses des principales conventions collectives qui, à son avis, devraient être modifiées [traduction] « pour permettre aux employeurs du secteur de la santé de faire fonctionner le système de santé de la Colombie‑Britannique de façon plus efficace » (HEABC, Briefing Document — Collective Agreement Efficiencies (2001), p. 1).
217 Dans ce document, rédigé seulement cinq mois avant la présentation de la Loi, la HEABC exposait les modifications qu’elle souhaitait voir apporter à 33 aspects des conventions collectives en vigueur. La plupart des mesures prévues à la partie 2 de la Loi figurent au nombre des recommandations de la HEABC, notamment l’abolition des restrictions à la sous‑traitance, l’élimination des obstacles concernant les transferts et affectations dans différents lieux de travail et, l’élimination de la Healthcare Labour Adjustment Agency, la diminution des perturbations dues aux supplantations et la modification des exigences en matière de mise en disponibilité.
218 Toutefois, la HEABC demandait aussi qu’on apporte de nombreuses autres modifications aux conventions collectives du secteur de la santé qui allaient bien au‑delà de celles qui ont en fin de compte été adoptées dans la partie 2 de la Loi : notamment l’élimination des rajustements au titre de l’équité salariale, le nivellement des vacances et la réduction des droits au titre des vacances, l’établissement de normes de reddition de compte plus rigoureuses concernant les congés pour activité syndicale, la réduction des congés pour fonctions syndicales payés et non payés, le remboursement de la moitié des sommes payées par l’employeur aux représentants syndicaux participant au nom du syndicat à des réunions de comités, la modification de diverses classifications de postes, ainsi que l’adoption de mesures visant à laisser l’accumulation des heures supplémentaires à la discrétion de l’employeur et de mesures générales visant à « réduire » le nombre d’employés en congé de maladie ou bénéficiant du régime des accidents du travail ou du régime d’invalidité à long terme.
219 Au titre des facteurs contextuels, il faut selon moi retenir qu’en adoptant les dispositions contestées de la Loi le gouvernement donnait suite aux recommandations de la HEABC visant à améliorer le système de santé et qu’il a choisi de ne pas adopter bon nombre de solutions proposées par la HEABC qui étaient susceptibles de porter atteinte, directement et de façon importante, aux droits garantis par la Charte (par exemple, des mesures visant à supprimer les rajustements au titre de l’équité salariale ou ayant pour effet de compromettre la capacité du syndicat de représenter efficacement les employés).
(iii) Le point de vue du gouvernement
220 Le gouvernement soutient avoir adopté la Loi dans le cadre d’un programme global de restructuration des services de santé de la province et a fait valoir que sa [traduction] « philosophie générale concernant ce qui différencie, parmi les services de santé publics, les services cliniques des services non cliniques » est un facteur contextuel pertinent dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier (m. i., par. 142). Il est utile de rappeler que la HEABC assume son rôle d’employeur sur une base permanente alors que les gouvernements se succèdent au gré des élections. Les nouveaux gouvernements sont parfois élus parce qu’ils ont promis de réformer des programmes sociaux, et la réforme nécessaire du système de santé compte parmi les plus grands défis que les gouvernements aient jamais eu à relever. La législation est un des principaux outils dont disposent les gouvernements pour mettre en place des politiques et restructurer des programmes. Toutefois, les stipulations et la durée des conventions collectives qui sont en vigueur quand un nouveau gouvernement prend le pouvoir peuvent restreindre considérablement les efforts de réforme des programmes qui, comme c’est le cas des services de santé, font appel à une main‑d’œuvre syndiquée.
221 Le contexte politique de la présentation de la Loi constitue donc en l’espèce un facteur contextuel pertinent. En l’espèce, cela est d’autant plus important que la réforme du système de santé de la province marquait, après l’élection décisive du 16 mai 2001, une nouvelle orientation gouvernementale pour la prestation des services de santé. Environ huit mois plus tard, en présentant la Loi, le ministre de la Formation professionnelle et du Travail a déclaré qu’il s’agissait [traduction] « d’une restructuration en profondeur touchant la taille de l’administration publique et sa vocation, qui tient compte de nos nouveaux engagements, d’une étude sur les services essentiels et des priorités des contribuables » (d. i., p. 337). La Loi faisait donc partie d’un profond virage dans l’approche du gouvernement en ce qui concerne le rôle des services gouvernementaux à une époque où le secteur de la santé connaît une crise de viabilité et des tensions dans les relations du travail.
(3) Résumé concernant les facteurs contextuels
222 La nature de certaines conditions de travail susceptibles d’être touchées milite en faveur d’une approche moins déférente. Cependant, compte tenu du problème de viabilité du système de santé, de la vulnérabilité des patients, dont les droits sont de nature constitutionnelle, des recommandations de la HEABC en tant qu’employeur et administrateur du système de santé, et du contexte hautement politique de la réforme des services de santé en Colombie‑Britannique, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence lorsqu’il s’agit de déterminer si les mesures adoptées en l’espèce sont justifiées au sens de l’article premier.
E. Analyse de la justification fondée sur l’article premier
223 La majorité énonce le cadre d’analyse applicable proposé dans Oakes pour déterminer si les exigences de l’article premier de la Charte ont été remplies. Je souscris pour l’essentiel à ses conclusions suivant lesquelles les dispositions contestées en l’espèce sont prescrites par une règle de droit, qu’elles ont pour but d’atteindre un objectif urgent et réel et qu’il existe un lien rationnel entre les mesures prises et l’objectif poursuivi. Cependant, pour les motifs qui suivent, je conclus que les art. 4 et 5, le par. 6(2) et l’art. 9 de la Loi satisfont au critère Oakes et peuvent se justifier au sens de l’article premier de la Charte. Je conviens par ailleurs, mais pour des motifs autres que ceux énoncés par la majorité, que le par. 6(4) de la Loi ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale et qu’il n’est donc pas justifié selon l’article premier de la Charte.
(1) Le critère de l’atteinte minimale
224 Selon l’approche de la Cour quant au critère de l’atteinte minimale, il incombe au gouvernement de justifier l’atteinte à un droit garanti par la Charte, mais il faut faire preuve de retenue à l’égard des moyens qu’il a choisis pour atteindre ses objectifs légitimes. Dans RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a précisé : « si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation ». Poussant cette notion dans Harper, par. 110‑111, le juge Bastarache a conclu qu’« il n’est pas nécessaire que les mesures contestées représentent la solution la moins attentatoire. Les facteurs contextuels concernent le degré de déférence dont il faut faire montre à l’égard des moyens particuliers choisis par le Parlement pour réaliser un objectif législatif [. . .]. »
225 Certaines mesures prises par un gouvernement font partie d’une solution plus vaste qui comporte des volets législatif, administratif et opérationnel. Elles peuvent favoriser la réalisation d’objectifs de façons qui seraient autrement impossibles. Comme le juge Dickson l’a dit dans R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 784‑785 :
Il se peut en effet qu’il y ait plusieurs moyens d’atteindre un objectif urgent et réel, dont chacun impose un degré plus ou moins grand de restriction à un droit ou à une liberté. Dans ces circonstances, le gouvernement peut légitimement recourir à une mesure plus restrictive, soit isolément soit dans le cadre d’un plan d’action plus étendu, pourvu que cette mesure ne fasse pas double emploi, qu’elle permette de réaliser l’objectif de façons qui seraient impossibles par le biais d’autres mesures, et qu’elle soit à tous autres égards proportionnée à un objectif légitime aux fins de l’article premier.
226 Cette jurisprudence démontre que l’atteinte minimale admet un éventail d’activités constitutionnellement justifiables, dont les limites sont définies par les tribunaux compte tenu des facteurs contextuels pertinents.
(2) Analyse de la proportionnalité
227 La dernière étape de l’analyse fondée sur Oakes a pour but d’évaluer s’il y a proportionnalité entre l’objectif du gouvernement et les mesures qu’il a adoptées. Cette étape requiert de comparer les avantages et les effets préjudiciables de ces mesures. Dans R. c. Edwards Books and Art, [1986] 2 R.C.S. 713, p. 768, le juge Dickson a affirmé à propos des mesures restrictives que « leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l’objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l’atteinte aux droits ». Voir également Dagenais c. Société Radio‑Canada [1994] 3 R.C.S. 835, p. 889. Autrement dit, le tribunal doit décider [traduction] « si la violation de la Charte constitue un prix trop élevé à payer pour avoir droit au bénéfice de la loi » : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. 2002), p. 801.
228 Ayant établi les facteurs contextuels pertinents ainsi que la grille d’analyse de l’atteinte minimale et de la proportionnalité, je vais maintenant les appliquer aux dispositions contestées en l’espèce.
(3) Application aux dispositions contestées
229 Le gouvernement, agissant en tant que législateur, a choisi d’édicter la Health and Social Services Delivery Improvement Act, dont la partie 2 était destinée à améliorer la prestation des services de santé dans la province et à assurer la viabilité de ce programme social d’importance vitale. Les articles 4 et 5 touchent des ententes résultant de négociations collectives antérieures et vident de sens les futures négociations collectives concernant les transferts et affectations dans différents lieux de travail. Le paragraphe 6(2) dispose que les interdictions de sous‑traitance qui figurent dans les conventions collectives du secteur de la santé sont sans effet et empêche la tenue de négociations collectives à ce sujet. Selon le paragraphe 6(4), les clauses des conventions qui obligent l’employeur à consulter le syndicat avant de sous‑traiter sont inopérantes. L’article 9 modifie les clauses concernant la mise en disponibilité et la supplantation. J’ai déjà conclu que toutes les dispositions contestées de la Loi contreviennent à l’al. 2d) de la Charte. En gardant à l’esprit la déférence dont il faut faire preuve ici à l’égard du gouvernement compte tenu de l’approche contextuelle, je vérifie maintenant si elles remplissent les critères de l’atteinte minimale et de la proportionnalité. Si c’est le cas, elles sont justifiées selon l’article premier de la Charte.
(a) Analyse de l’atteinte minimale
230 Il ressort du dossier que le gouvernement a examiné une gamme de solutions en vue de résoudre la crise de viabilité que traverse le système de santé de la province. Il a envisagé plusieurs solutions nécessitant l’intervention de l’État et relevé leurs avantages et désavantages. Citons notamment les options les suivantes (d. i., p. 13,14, 16 et 17) :
[traduction]
a) imposer une réduction salariale à tous les employés syndiqués du secteur de la santé (voir aussi le d. a., p. 1870);
b) supprimer les rajustements au titre de l’équité salariale dans le cas des employés du secteur des installations;
c) augmenter la semaine de travail en la faisant passer de 36 à 37,5 heures, sans majoration salariale (voir aussi le d. i., p. 28‑30);
d) modifier la part des cotisations de l’employeur à l’assurance‑maladie et en matière d’assistance sociale en la faisant passer de 100 % à 50 %;
e) modifier le mode d’administration des régies régionales de la santé;
f) imposer des régimes de rémunération et de sécurité d’emploi différents aux nouveaux employés;
g) supprimer dans les conventions collectives l’exigence d’accorder une garantie d’emploi de 12 mois après l’expiration de l’avis de mise en disponibilité fourni en vertu d’une convention;
h) annuler les clauses des conventions collectives interdisant la sous‑traitance, tout en permettant aux syndicats de continuer à s’y opposer pour des raisons d’ordre économique;
231 Le gouvernement a aussi fait valoir que la Loi tient compte des conclusions de plusieurs commissions fédérales et provinciales des soins de santé et — contrairement à la déclaration de la majorité — il a en fait expliqué comment les mesures qu’il avait adoptées l’aideraient à réaliser ses objectifs :
[traduction] Par suite de ces études, diverses options de réforme ont été envisagées. Une série d’options visait à réduire les restrictions à la capacité des gestionnaires de modifier la prestation des services. Parmi ces options, figuraient les suivantes : abolir les restrictions à la sous‑traitance, éliminer les « consultations élargies », les longs préavis et le processus de sécurité d’emploi prévu dans l’ELSA, réduire les longues séries de supplantations, et diminuer les restrictions aux transferts de services et d’employés d’un lieu de travail à un autre. L’autre série d’options visait directement à réduire la rémunération des travailleurs de la santé, notamment en prévoyant des baisses de salaire forcées, des gels de salaires, le retour à la semaine de travail de 37,5 heures, la réduction du nombre de congés payés, l’élimination des augmentations de salaire au titre de l’équité salariale, et la réduction ou l’abolition des indemnités pour congés de maladie accumulés. Certes, la dernière série de mesures aurait permis de réaliser des économies à court terme, mais le gouvernement a conclu qu’elles n’auraient pas pour effet de modifier le cadre dans lequel les services sont offerts et qu’elles n’auraient pas assuré la viabilité à long terme du système. La première série d’options, quant à elle, servait ces deux objectifs.
(Non souligné dans l’original; d. i., p. 1045‑1046)
232 Si certaines des options préconisées par la HEABC et envisagées par le gouvernement ont en définitive été intégrées dans la partie 2 de la Loi, bon nombre ont été rejetées après examen. Il convient de noter que parmi les solutions rejetées figurent des mesures qui, directement et de manière substantielle, auraient pu porter atteinte à d’autres droits garantis par la Charte, notamment l’élimination des rajustements au titre de l’équité salariale, qui aurait pu porter atteinte aux droits à l’égalité prévus à l’art. 15 de la Charte. De plus, de nombreuses autres mesures rejetées — par ex. imposer une réduction générale des salaires, augmenter la semaine de travail sans majoration salariale, modifier la part des cotisations de l’employeur à l’assurance‑maladie et en matière d’aide sociale, et imposer des régimes de rémunération et de sécurité d’emploi différents aux nouveaux employés — auraient constitué une ingérence dans le processus de négociation collective et auraient également pu contrevenir à l’al. 2d) de la Charte. D’autres options, dont les mesures relatives aux congés pour activité syndicale et celles concernant la rémunération des représentants syndicaux, auraient pu toucher la capacité des syndicats de représenter efficacement les employés. Il ressort du dossier que nombre de ces solutions n’ont pas été retenues parce que le gouvernement croyait qu’elles allaient à l’encontre de son objectif d’améliorer la prestation des services de santé. En particulier, il jugeait que bien des options en question, même si elles permettaient de réaliser des économies à court terme, ne faciliteraient pas une réforme structurelle à long terme, nécessaire pour la viabilité de la prestation des services aux patients.
233 Le gouvernement a choisi d’adopter une loi dans le cadre de son [traduction] « initiative stratégique à multiples facettes », (m. i., par. 21). Il importe, dans l’application du critère de l’atteinte minimale, de déterminer si la loi ou l’acte de l’État contestés visent directement les droits que la Charte garantit à une personne ou un groupe de personnes identifiables ou s’ils ont simplement pour effet de porter atteinte à un droit que la Charte reconnaît à une catégorie moins définie de personnes. Dans le premier cas, la mesure adoptée affecte généralement le groupe de façon drastique. Par exemple, dans Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, 2006 CSC 6, la majorité de la Cour a conclu que l’interdiction absolue faite par une commission scolaire à un élève de porter le kirpan allait à l’encontre de sa liberté de religion garantie par l’al. 2a) de la Charte et que cette atteinte ne pouvait se justifier au sens de l’article premier. Dans cette affaire, l’autorité décisionnelle administrative visait spécifiquement l’élève en question et refusait de « lui permettre de porter son kirpan à l’école [même si] certaines conditions visant à le sceller à l’intérieur de ses vêtements [étaient] respectées » (par. 3 ). De plus, « la preuve n’a révélé aucun exemple d’incident de violence avec un kirpan dans les écoles au Québec » (par. 8).
234 En l’espèce, on ne peut prétendre que la loi visait intentionnellement les droits reconnus par l’al. 2d) aux travailleurs syndiqués du secteur de la santé ou qu’elle ciblait un groupe identifiable. Cela tient en grande partie au fait que, dans sa jurisprudence, la Cour ne reconnaissait pas aux travailleurs le droit à un processus de négociation collective. Comme l’explique la majorité, les principes sur lesquels se fondait la jurisprudence ont évolué et il y a maintenant lieu de reconnaître l’existence d’un tel droit. On ne peut non plus affirmer que le gouvernement n’a pas tenu compte des droits alors reconnus aux employés ou que sa loi ciblait ces droits. L’objectif était plutôt [traduction] le suivant : « répondre aux besoins croissants en matière de services, réduire les obstacles structurels qui limitent l’accès aux soins, améliorer la planification et accroître l’obligation de rendre compte, de façon à assurer la viabilité à long terme du système » (m. i., par. 4).
235 J’accepte donc que les autres options n’auraient pas permis au gouvernement d’atteindre ses objectifs et que la partie 2 de la Loi ne visait pas directement les droits que la Charte garantit aux employés concernés. Je vais maintenant examiner les dispositions contestées elles‑mêmes.
(i) Articles 4 et 5 de la Loi (transferts et affectations)
236 L’article 4 de la Loi visait spécifiquement à faciliter la réorganisation des services de santé en permettant aux employeurs de transférer des fonctions ou services dans un autre lieu de travail ou à un autre employeur du secteur de la santé dans la même région. Quant à l’art. 5, il porte sur l’affectation temporaire de l’employé dans un autre lieu de travail ou chez un autre employeur. Les employés ne perdent pas leur emploi du fait de ces dispositions. De plus, comme l’indique la majorité, le Règlement pris en application de la Loi atténue l’impact des art. 4 et 5 sur les employés (par. 118). Ces dispositions sont importantes pour que la restructuration du système de santé puisse être faite en temps utile. Par exemple, sans l’art. 4, un transfert de fonctions ou de services dans un autre lieu de travail pourrait entraîner des perturbations ou des retards si les employés touchés devaient exercer leurs droits relatifs à la supplantation, à la mise en disponibilité et au rappel au travail (d. i., p. 52). Néanmoins, dans le cas d’une affectation pour une durée indéfinie, le par. 5b) exige expressément que les clauses de la convention collective relatives à l’affichage soient respectées. Ces dispositions ont donc été soigneusement conçues de façon à permettre au gouvernement d’atteindre son objectif tout en enfreignant le moins possible l’al. 2d).
(ii) Les paragraphes 6(2) et (4) de la Loi (sous‑traitance)
237 Les paragraphes 6(2) et (4) visent à permettre aux employeurs du secteur de la santé de sous‑traiter des services non cliniques afin de [traduction] « mettre en place des méthodes permettant de fournir les services non cliniques de façon moins coûteuse et plus efficace, afin d’améliorer les soins aux patients et de réduire les coûts » (d. i., p. 59). Le paragraphe 6(2) a pour effet d’annuler toute clause de convention collective qui [traduction] « de quelque façon que ce soit restreint, limite ou réglemente le droit de l’employeur du secteur de la santé de sous‑traiter des services non cliniques » et il interdit de convenir de telles clauses à l’avenir. Le paragraphe 6(4) rend inopérantes les clauses de conventions collectives qui obligent l’employeur à consulter le syndicat avant de sous‑traiter des services non cliniques.
238 La juge Garson, siégeant en son cabinet, a conclu que le par. 6(2) de la Loi [traduction] « ne restreint pas la capacité des syndicats, y compris les demandeurs, de recruter des employés des sous‑traitants » ((2003) 19 B.C.L.R. (4th) 37, 2003 BCSC 1379, par. 24). De plus, il importe de souligner que la sous‑traitance n’est pas obligatoire. Sont plutôt interdites les clauses qui empêchent la sous‑traitance. Ainsi, bien que la densité syndicale risque d’être plus faible en cas de sous‑traitance, la liberté d’association de tous les employés affectés aux services non cliniques est loin d’être compromise et il demeure tout à fait possible de participer au processus de négociation collective, même si certains de ces services sont sous‑traités.
239 Dans une étude des répercussions de la Loi, datée du 24 janvier 2002, le ministère de la Santé explique que les dispositions relatives à la sous‑traitance [traduction] « permettront aux employeurs de limiter les coûts tout en se concentrant sur la fourniture des soins de santé » (d. suppl. des appelants, p. 17). Le gouvernement a ajouté :
[traduction] On a estimé que l’élimination des restrictions à la sous‑traitance des services non cliniques était tout particulièrement nécessaire pour ramener le coût de ces services à un niveau ayant une « apparence de réalité » et pour permettre aux autorités sanitaires de répartir judicieusement leurs ressources limitées entre les services de soutien et les services cliniques directement liés à la fourniture des soins et aux programmes de santé. (d. i., p. 1046)
Les parties peuvent éviter la sous‑traitance en convenant, lors des négociations, de conditions de travail s’apparentant à celles qui sont applicables au travail sous‑traité. La disposition insuffle ainsi une certaine concurrence dans le processus de négociation. Sans le par. 6(2) de la Loi, le gouvernement n’aurait en fait pas le droit de prendre de décision de politique générale visant la restructuration des services de santé non cliniques de la province, tout simplement en raison de conventions collectives en vigueur.
240 L’histoire des relations du travail en Colombie‑Britannique, dont il a été question plus haut, tend nettement à indiquer que la HEABC et les syndicats du secteur de la santé n’auraient pas pu négocier une clause comme le par. 6(2). De plus, dans le cadre de la crise qui sévissait dans le secteur de la santé en Colombie‑Britannique, les autres options n’auraient pas, de la même façon que l’élimination des interdictions en matière de sous‑traitance figurant dans les conventions collectives, permis au gouvernement d’atteindre son objectif. Au surplus, les autres mesures que le gouvernement avait envisagées étaient problématiques parce que bon nombre d’entre elles auraient pu toucher directement d’autres droits garantis par la Charte. Pour ces motifs, le par. 6(2) de la Loi satisfait, à mon avis, au critère de l’atteinte minimale.
241 Il en va autrement du par. 6(4) de la Loi. La seule preuve au dossier susceptible d’être utile pour l’évaluation de cette disposition sous l’angle du critère de l’atteinte minimale émane de la HEABC, qui a fait des observations au gouvernement au sujet des « consultations élargies » entre la HEABC, agissant à titre d’employeur, et les syndicats concernés :
[traduction] Le but présumé de la clause était de permettre aux syndicats de donner leur point de vue avant que l’employeur arrête une décision touchant les membres du syndicat. Dans les faits, les syndicats ont constamment tenté de passer du modèle « axé sur la consultation » au modèle de « cogestion » et ils ont tenté d’utiliser la clause pour empêcher ou retarder les initiatives de la direction. Bon nombre d’employeurs ont indiqué que les comités d’adaptation de la main‑d’œuvre et les consultations élargies freinent considérablement les changements novateurs que les employeurs souhaitent apporter au système de santé.
(HEABC, Briefing Document — Collective Agreement Efficiencies, p. 4)
À mon avis, dans ce document la HEABC fait part de sa frustration au gouvernement au sujet du modèle des « consultations élargies » adopté par le passé à l’égard d’autres initiatives de la direction. Toutefois, la Constitution ne garantit pas de telles consultations avant la sous‑traitance. Des consultations beaucoup plus circonscrites ou limitées dans le temps entre la HEABC et les syndicats concernés pourraient être possibles. Il convient de noter que, devant la Cour, même l’avocat du gouvernement a indiqué qu’il serait souhaitable que procéder à des consultations avant la sous‑traitance.
242 Par conséquent, j’estime que le gouvernement n’a pas démontré, que ce soit par la preuve, par inférence ou en se fondant sur le bon sens, qu’on limiterait de façon déraisonnable la capacité de l’employeur de sous‑traiter en exigeant qu’il consulte au préalable les syndicats concernés. Bien que le par. 6(4) n’interdise pas, à proprement parler, la tenue de consultations sur la sous‑traitance, en déclarant que les clauses de conventions collectives prévoyant la tenue de consultations sont nulles, on incite les employeurs à ne pas consulter. Les consultations ne sont jamais néfastes, à moins que l’urgence réelle d’une situation rende la chose impossible ou que des consultations récentes rendent inutile la poursuite des discussions.
(iii) Article 9 de la Loi (mise en disponibilité et supplantation)
243 L’article 9 de la Loi vise à [traduction] « permettre la réorganisation et la restructuration en temps utile des services de santé » (d. i., p. 84) en modifiant, pour la période se terminant le 31 décembre 2005, les clauses relatives à la mise en disponibilité et à la supplantation des conventions collectives.
244 Il ressort de la preuve au dossier que les restrictions en matière de supplantation et de mise en disponibilité peuvent retarder considérablement la restructuration des services de santé. Dans son étude d’impact de la Loi, datée du 24 janvier 2002, le ministère de la Santé affirme au sujet des dispositions concernant la supplantation et la mise en disponibilité :
[traduction] Les employeurs doivent être en mesure de mettre des employés en disponibilité rapidement et efficacement. Les dispositions actuelles sur la supplantation créent d’interminables réactions en chaîne. De nombreux employés sont touchés et il s’écoule un grand laps de temps avant que quiconque ne soit effectivement mis en disponibilité. Sans interdire la supplantation, les nouvelles dispositions réglementaires en atténuent les effets et réduisent les délais. [d. suppl. des appelants, p. 17.]
Le dossier comporte plusieurs exemples de la perturbation que la supplantation peut causer en milieu de travail. L’un est particulièrement clair : l’élimination d’un poste de commis à la saisie de données en juillet 1996 a donné lieu à une série de huit supplantations, et ce n’est que quatre ans plus tard, soit en juillet 2000, que la dernière personne de la série a été affectée à un poste (d. i., p. 86; voir aussi le d. i., p. 118). La HEABC a indiqué au gouvernement que [traduction] « les déplacements et les supplantations ont des effets perturbateurs sur les employés directement touchés par le déplacement et sur ceux qui sont visés par la série de supplantations qui s’ensuit. Ces perturbations se répercutent sur la qualité des services et accaparent inutilement le temps consacré à l’administration. Il faut accélérer le processus de supplantation. » (Briefing Document — Collective Agreement Efficiencies, p. 6)
245 Un aspect de l’art. 9 qui est pertinent pour l’analyse de l’atteinte minimale est qu’on a prévu que son effet n’est que temporaire. La Loi est entrée en vigueur le 28 janvier 2002 et l’art. 9 a cessé de s’appliquer le 31 décembre 2005. L’article 9 entravait le processus de négociation collective des questions relatives à la mise en disponibilité et à la supplantation, mais son application était assujettie à un délai correspondant approximativement à la durée du mandat du gouvernement, qui avait été élu environ huit mois auparavant. Il est donc permis d’inférer que l’art. 9 est étroitement lié à la réforme du système de santé et qu’il s’agissait d’une mesure transitoire. La majorité affirme que « cette limitation n’apporte aucun réconfort aux employés mis en disponibilité ou supplantés avant cette date, sans qu’un syndicat ait pu les représenter à ce sujet » (par. 155). Soit dit en tout respect, rien dans la Loi n’empêche le syndicat de représenter un employé qui est mis en disponibilité par suite de l’application de l’art. 9. De plus, cette disposition n’interdisait pas l’incorporation de clauses relatives à la supplantation et à la mise en disponibilité dans les conventions collectives, qui intrinsèquement ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle. Elle visait plutôt à atténuer les conditions relatives à la mise en disponibilité et à la supplantation en remplaçant celles convenues lors du processus de négociation collective. Comme pour les art. 4 et 5 de la Loi, l’impact de l’al. 9d) sur les travailleurs est minimisé par les garanties prévues par l’art. 5 du Règlement adopté sous le régime de la Loi. La preuve justifie qu’on conclue que l’art. 9 de la Loi a permis au gouvernement d’atteindre ses objectifs — accroître la viabilité du système de santé et améliorer les services aux patients — d’une façon que d’autres solutions ne lui auraient pas permis de le faire. Tout comme pour le par. 6(2), l’histoire des relations du travail en Colombie‑Britannique tend nettement à indiquer que les conditions prévues à l’art. 9 n’auraient pu être négociées par la HEABC et les syndicats du secteur de la santé. Cette disposition satisfait donc, à mon avis, au critère de l’atteinte minimale. Il s’agit d’une mesure transitoire qui représente une politique gouvernementale et elle est soigneusement circonscrite.
(b) L’analyse de la proportionnalité
246 Les articles 4 et 5, le par. 6(2) et l’art. 9 de la Loi sont destinés à faciliter la restructuration du système de santé de la province afin d’améliorer les services et d’accroître la viabilité du système. Les effets des mesures sont‑ils proportionnés? Dans ses observations au Bureau international du Travail, le gouvernement a souligné le lien entre la Loi et les défis auxquels il était confronté dans le domaine de la santé :
Toutes les restrictions à la négociation collective ou au droit de grève étaient des mesures exceptionnelles, décidées en raison de la situation économique et fiscale difficile, dans un contexte de conflits du travail longs et tendus, qui auraient pu avoir de sérieuses conséquences dans les secteurs de l’éducation et de la santé.
(« Plaintes contre le gouvernement du Canada concernant la province de la Colombie‑Britannique », par. 269)
Il faut maintenant déterminer si les effets bénéfiques des mesures contestées l’emportent sur leurs conséquences négatives, à savoir leur atteinte à l’al. 2d) de la Charte.
(i) Articles 4 et 5 de la Loi (transferts et affectations)
247 Selon moi, les art. 4 et 5 de la Loi n’entraînent pas de sérieuses conséquences pour les employés et, de plus, les mesures prévues par l’art. 5 ne sont que temporaires. Comme je l’ai déjà souligné, les modifications que les art. 4 et 5 apportent au processus de transfert et d’affectation sont peu attentatoires, vu que les employés conservent leur emploi. Par contre, ces dispositions ont l’avantage de permettre des améliorations au système de santé en apportant la souplesse nécessaire à la restructuration. Ainsi, je suis convaincue qu’il s’agit d’une réponse proportionnée à la crise de viabilité dans le système de santé.
(ii) Paragraphes 6(2) et (4) de la Loi (sous‑traitance)
248 Le paragraphe 6(2) de la Loi n’empêche pas les employés en sous‑traitance affectés à la prestation des services non cliniques d’exercer leur droit à liberté d’association dans le cadre d’un processus de négociation collective. L’adoption de cette disposition avait aussi pour but de faciliter la réforme à long terme du système de santé, plutôt que de simplement réaliser des économies à court terme ou imposer un plus lourd fardeau aux contribuables (qui sont également des bénéficiaires potentiels des services de santé). Même si le par. 6(2) entrave la négociation collective en matière de sous‑traitance, il permet d’établir un juste équilibre entre les objectifs du gouvernement et la liberté d’association des employés. Par conséquent, l’atteinte au par. 6(2) de la Loi est justifiée selon l’article premier de la Charte.
249 J’ai déjà conclu que le par. 6(4) ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale, mais j’ajouterais que l’interdiction de tenir des consultations — lesquelles représentent une composante importante du processus de négociation collective — est une aussi mesure disproportionnée. L’avantage du par. 6(4) — réduction des pressions exercées sur l’employeur pour qu’il consulte le syndicat avant de sous‑traiter — est négligeable. Les effets préjudiciables que cause aux syndicats concernés le refus de consulter l’emportent sur les minces avantages que comporte cette disposition. En conséquence, le par. 6(4) ne satisfait pas à l’exigence de l’article premier de la Charte et il est inconstitutionnel.
(iii) Article 9 de la Loi (mise en disponibilité et supplantation)
250 Enfin, l’art. 9 est compatible avec l’objectif gouvernemental de réforme systémique — qui, à mon avis, appelle à la déférence — et son adoption se fait au prix d’une ingérence limitée dans le processus de négociation collective. Les effets négatifs de l’ingérence sont minimaux du fait qu’elle est limitée dans le temps et que les protections en matière de supplantation et de mise en disponibilité ne sont pas abolies, même si elles se trouvent restreintes. Ainsi, la preuve que les clauses relatives à la mise en disponibilité et à la supplantation dans les conventions collectives entraveraient sérieusement la restructuration en temps utile du système de santé prime l’atteinte procédurale. La restructuration en temps utile ne pourrait tout simplement pas se faire sans l’élimination de ces obstacles. Par conséquent, l’art. 9 de la Loi représente une réponse proportionnée, et l’atteinte est justifiée au sens de l’article premier de la Charte.
III. Conclusion
251 Devant le problème de la viabilité du système de santé, les gouvernements sont confrontés à un immense défi de politique générale, qui ne semble pas pouvoir être relevé dans un proche avenir. Dans l’examen de diverses options, surgissent des droits et des intérêts opposés. Il faut faire preuve de déférence envers le gouvernement pour qu’il puisse naviguer dans ces eaux difficiles. En même temps, la Cour doit veiller à ce que l’approche retenue respecte les droits constitutionnels de ceux qui sont touchés et à ce que les atteintes à ces droits soient des restrictions dont la justification peut se démontrer dans tous les cas.
252 En l’espèce, la Loi constitue à plusieurs égards une atteinte à la liberté d’association des employés du secteur de la santé parce que plusieurs de ses dispositions portent atteinte à leur droit à un processus de négociation collective avec l’employeur. C’est le processus de négociation collective qui bénéficie de la protection de la Constitution, et non le contenu des clauses de conventions collectives. À mon avis, le gouvernement a établi que quatre des cinq atteintes, à savoir celles qui découlent des art. 4, 5 et 9 et du par. 6(2) de la Loi, sont justifiées sur le plan constitutionnel. Par contre, j’estime que le par. 6(4) de la Loi ne satisfait pas aux critères de l’atteinte minimale et de la proportionnalité et, par conséquent, il ne peut se justifier au sens de l’article premier.
Annexe
HEALTH AND SOCIAL SERVICES DELIVERY IMPROVEMENT ACT
S.B.C. 2002, CHAPITRE 2
[traduction]
PARTIE 2 — SECTEUR DE LA SANTÉ
Définitions
3 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
« convention collective » Convention collective conclue entre la HEABC et un syndicat ou une association de syndicats dans une unité de négociation visée.
« employeur du secteur de la santé » Employeur ayant des salariés dans le secteur de la santé.
« ESLA » L’Employment Security and Labour Force Adjustment Agreement inscrite le 8 mai 1996 dans les recommandations du commissaire d’enquête sur les relations du travail et intégrée, en tout ou en partie, dans les conventions collectives entre la HEABC et les syndicats représentant les employés faisant partie des unités de négociations visées. Sont assimilées à l’ESLA les clauses de conventions collectives issues de l’ESLA, y compris la partie 4 et l’annexe 1 des recommandations du commissaire d’enquête sur les relations du travail.
« HEABC » La Health Employers Association of British Columbia formée en vertu de l’article 6 de la Public Sector Employers Act.
« lieu de travail » Installation, agence, centre, programme, organisation ou endroit où l’employé est appelé à travailler.
« secteur de la santé » Les membres de la HEABC dont les employés sont syndiqués et leurs employés syndiqués.
« supplantation » Droit que peut exercer un employé pour évincer de son poste un autre employé qui fait partie de la même liste d’ancienneté prévue à la convention collective.
Droit de réorganiser la prestation des services
4 (1) L’employeur du secteur de la santé a le droit de réorganiser la prestation de ses services en transférant des fonctions ou services soit dans le même lieu de travail soit dans un autre lieu de travail de la même région soit à un autre employeur du secteur de la santé, notamment une société de personnes ou une coentreprise formée avec d’autres employeurs du secteur de la santé, ou une filiale.
(2) L’employeur du secteur de la santé a le droit de transférer :
a) les fonctions ou services qui doivent être exécutés ou fournis par un autre employeur du secteur de la santé visé au paragraphe (1) à cet autre employeur;
b) les fonctions ou services qui doivent être exécutés ou fournis par un autre lieu de travail de la même région à cet autre lieu de travail.
(3) Dans le cas où une fonction ou un service est transféré à un autre employeur du secteur de la santé, dans le même lieu de travail ou dans un lieu de travail de la même région conformément au présent article, l’employé qui exécute cette fonction ou ce service peut être transféré à cet employeur, à ce même lieu de travail ou à un lieu de travail de la même région de la manière prévue aux règlements.
Droits liés aux affectations dans différents lieux de travail
5 L’employeur du secteur de la santé:
a) a le droit d’affecter un employé dans le même lieu de travail ou dans un autre lieu de travail relevant de son autorité ou dans un lieu de travail relevant de l’autorité d’un autre employeur du secteur de la santé pour une durée ne dépassant pas celle prévue par règlement et aux conditions qui y sont fixées;
b) doit afficher les postes conformément à la convention collective si le poste visé requiert comme condition d’emploi que le candidat retenu travaille sur une base régulière pour une durée indéfinie à plus d’un lieu de travail relevant de son autorité.
Sous‑traitance
6 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article :
« hôpital de soins actifs » L’hôpital ou la partie d’hôpital désigné par règlement;
« professionnel de la santé désigné » Selon le cas :
a) infirmier autorisé en vertu de la Nurses (Registered) Act;
b) membre d’une profession de la santé désignée dans le cadre de la Health Professions Act à la date d’entrée en vigueur du présent article;
c) personne dont la classification professionnelle ou la classification de poste est désignée par règlement;
« services non cliniques » Services autres que les services médicaux, thérapeutiques, ou de diagnostic dispensés par un professionnel de la santé désigné au patient hospitalisé dans un hôpital de soins actifs. Sont compris dans ces services les autres services désignés par règlement.
(2) Les conventions collectives entre la HEABC et les syndicats représentant les employés du secteur de la santé ne peuvent prévoir aucune clause qui, de quelque manière que ce soit, restreint, limite ou réglemente le droit de l’employeur du secteur de la santé de sous‑traiter des services non cliniques hors du cadre défini par la convention collective.
(3) À moins que les personnes visées aux alinéas a) et b) ne fassent entièrement partie de l’organisation et ne relèvent directement de l’employeur du secteur de la santé, elles ne sont pas reconnues comme employés du secteur de la santé par la commission des relations du travail ou un arbitre nommé en vertu du Code ou d’une convention collective :
a) les personnes qui dispensent des services dans le cadre d’un contrat entre un employeur du secteur de la santé et un employeur ne relevant pas de ce secteur;
b) l’employé qui travaille pour une personne autre qu’un employeur du secteur de la santé.
(4) Sont nulles les clauses de conventions collectives qui obligent l’employeur à consulter le syndicat avant de sous‑traiter des services non cliniques hors du cadre défini par la convention collective.
(5) La personne qui conclut un contrat avec un employeur du secteur de la santé n’est pas liée par les conventions collectives et n’est pas visée par l’article 35 du Code.
(6) La désignation d’employeur commun prévue à l’article 38 du Code ne peut s’appliquer à l’employeur du secteur de la santé qui assure une activité avec un autre employeur du secteur de la santé ou un entrepreneur.
Employment security and Labour Force Adjustment Agreement
7 (1) Les parties à l’ESLA ne sont pas tenues d’appliquer l’ESLA à compter de l’entrée en vigueur du présent article.
(2) Les parties à une convention collective ne sont pas tenues d’appliquer les clauses, ou parties de clauses de la convention collective qui relèvent ou proviennent de l’ESLA.
(3) L’ESLA ne s’applique pas pour l’interprétation ou l’application de la convention collective.
Healthcare Labour Adjustment Society
8 (1) Pour l’application du présent article, « HLAA » s’entend de la Healthcare Labour Adjustment Society of British Columbia, société constituée en vertu de la Society Act.
(2) Le ministre peut nommer un administrateur à la HLAA.
(3) L’administrateur visé au paragraphe (2) remplace les directeurs de la HLAA et peut exercer toutes les attributions que la Society Act confère aux directeurs.
(4) L’administrateur doit s’assurer que les programmes et activités de la HLAA sont utilisés uniquement dans la mesure nécessaire pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations envers les employés du secteur de la santé mis à pied aux termes de l’ESLA et pour lui permettre de respecter les engagements financiers qu’il a pris envers les employeurs du secteur de la santé ou d’autres employeurs pour effectuer les remboursements prévus à l’un des programmes de la HLAA.
(5) Le ministre peut enjoindre à l’administrateur d’offrir des programmes et activités autres que ceux mentionnés au paragraphe (4).
(6) L’administrateur est tenu de liquider la HLAA conformément aux dispositions de la Society Act.
(7) L’administrateur peut liquider la HLAA une fois que toutes les obligations prévues aux paragraphes (4) et (5) auront été remplies.
(8) L’administrateur doit s’acquitter des obligations qui lui sont confiées en application du présent article dans l’année qui suit la date de sa nomination.
(9) Tout solde appartenant à la HLAA au moment de sa liquidation est versé dans le Health Special Account [compte spécial de la santé] mentionné dans la Health Special Account Act.
Mise en disponibilité et supplantation
9 Pour la période se terminant le 31 décembre 2005, les conventions collectives ne peuvent prévoir aucune clause qui, selon le cas :
a) restreint ou limite le pouvoir de l’employeur du secteur de la santé de mettre en disponibilité;
b) sous réserve de l’alinéa c), oblige l’employeur du secteur de la santé à répondre à certaines conditions avant de donner un préavis de mise en disponibilité;
c) oblige l’employeur du secteur de la santé à donner un préavis de mise en disponibilité de plus de 60 jours à l’employé directement ou indirectement visé et au syndicat qui le représente;
d) offre à l’employé des choix quant à la supplantation autres que ceux prescrits par règlement.
La présente partie l’emporte sur les conventions collectives
10 (1) Sont inopérantes les clauses de conventions collectives qui entrent en conflit ou sont incompatibles avec la présente partie.
(2) Sont inopérantes, dans la mesure où elles portent sur l’une des interdictions prévues à la présente partie les clauses de conventions collectives qui:
a) soit obligent l’employeur du secteur de la santé à négocier avec le syndicat en vue du remplacement d’une clause rendue inopérante par application du paragraphe (1);
b) soit autorisent la commission des relations du travail, l’arbitre ou toute autre personne à remplacer ou modifier une clause rendue inopérante par application du paragraphe (1), ou lui imposent cette obligation.
Pourvoi accueilli en partie avec dépens, la juge Deschamps est dissidente en partie.
Procureurs des appelants : Arvay Finlay, Vancouver.
Procureurs de l’intimée : Heenan Blaikie, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Ministère de la Justice, Edmonton.
Procureurs de l’intervenant la Confédération des syndicats nationaux : Pepin & Roy, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le Congrès du travail du Canada : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Michael J. Fraser, en son propre nom et au nom de United Food and Commercial Workers Union Canada : Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish, Toronto.
Procureurs de l’intervenante British Columbia Teachers’ Federation : Noonan Hewson Law Office, Vernon.