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10/12/2020 | FRANCE | N°18-17937

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 10 décembre 2020, 18-17937


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 décembre 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1368 FS-P+B+I

Pourvoi n° U 18-17.937

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 DÉCEMBRE 2020

1°/ Mme C... V... E..., domiciliée [...] ,

2°/

M. M... E..., domicilié [...] (Belgique),

3°/ Mme U... E..., domiciliée [...] ,

agissant tous trois en qualité d'ayants droit de S... E..., décédé le 8...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 décembre 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1368 FS-P+B+I

Pourvoi n° U 18-17.937

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 DÉCEMBRE 2020

1°/ Mme C... V... E..., domiciliée [...] ,

2°/ M. M... E..., domicilié [...] (Belgique),

3°/ Mme U... E..., domiciliée [...] ,

agissant tous trois en qualité d'ayants droit de S... E..., décédé le 8 décembre 2008,

ont formé le pourvoi n° U 18-17.937 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige les opposant aux États-Unis d'Amérique, État souverain, US Department of Justice, dont le siège est Office of Foreign Litigation, room 11005, 1110 L street, NW, Washington, DC 20005 (États-Unis), défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de Mme C... V... E..., M. M... E... et Mme U... E..., agissant en qualité d'ayants droit de S... E..., de la SCP Foussard et Froger, avocat des États-Unis d'Amérique, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 novembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, Maunand, M. Fulchiron, conseillers, M. de Leiris, Mmes Lemoine, Jollec, Bohnert, M. Cardini, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 avril 2018), et les productions, par jugement du 5 octobre 2009, un conseil de prud'hommes a condamné solidairement l'ambassadeur des États-Unis d'Amérique, pris en sa qualité de représentant de ceux-ci, et les États-Unis d'Amérique à verser à Mme C... V... E..., M. M... E... et Mme U... E... (les consorts E...), ayants droit de S... E..., ayant travaillé de 1989 à 2001 à l'ambassade des États-Unis en France, une somme de 136 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du troisième mois suivant la notification du jugement, intervenue le 16 février 2010.

2. Par jugement du 22 mai 2012, le même conseil de prud'hommes a liquidé l'astreinte à la somme de 734 000 euros, décision notifiée le 4 octobre 2012.

3. Les États-Unis d'Amérique ont interjeté appel de ces deux décisions le 8 juillet 2014 et l'ambassadeur des États-Unis est intervenu volontairement à ces procédures.

4. Par arrêt du 20 septembre 2016, la cour d'appel a déclaré les appels et intervention volontaire irrecevables, arrêt partiellement cassé (2e Civ., 21 février 2019, pourvoi n° 16-25.266) en ce qu'il avait déclaré irrecevable l'appel des États-Unis d'Amérique formé à l'encontre du jugement rendu le 22 mai 2012. Sur renvoi après cassation, la cour d'appel, par arrêt du 8 octobre 2020, a annulé ce dernier jugement.

5. Le 15 mai 2014, sur le fondement des deux jugements du conseil de prud'hommes, les consorts E... ont fait pratiquer une saisie-attribution des loyers dus aux États-Unis d'Amérique par la société de droit américain Jones Day, dont le siège social est aux États-Unis, dans l'Ohio, pour son établissement situé à Paris dans un immeuble dont les États-Unis sont propriétaires. Cette saisie a été signifiée à son bureau à Paris, situé 2 rue Saint-Florentin.

6. Par jugement du 9 mai 2017, un juge de l'exécution a rejeté la contestation des États-Unis d'Amérique.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Les consorts E... font grief à l'arrêt, infirmant le jugement entrepris, d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution du 15 mai 2014, et en conséquence, de les condamner aux dépens, alors « que si le principe de territorialité des procédures civiles d'exécution interdit aux agents d'exécution français d'intervenir matériellement sur le sol d'un État étranger, il ne fait pas obstacle à l'exercice d'une saisie-attribution d'une créance entre les mains d'une personne morale étrangère qui dispose d'un établissement en France, lequel est susceptible de déclarer l'étendue des obligations de la personne morale à l'égard du débiteur, dès lors qu'aucune intervention matérielle n'est exercée sur le territoire d'un autre État et qu'aucune atteinte à sa souveraineté n'est ainsi caractérisée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, soit en jugeant que le principe de territorialité des voies d'exécution faisait échec à ce qu'une saisie-attribution puisse appréhender une créance de loyers versés pour la location d'un immeuble en France au profit de l'établissement français d'une personne morale étrangère afin d'y exercer son activité professionnelle, créance qu'elle a fictivement localisée aux États-Unis, la cour d'appel a violé les articles L. 211-1 et L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution et les principes qui gouvernent le droit international privé. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de l'indépendance et de la souveraineté des États et l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution :

8. Selon l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

9. Dès lors qu'une telle mesure suppose l'exercice d'une contrainte sur le tiers saisi, il résulte de la règle de territorialité des procédures d'exécution découlant du principe de l'indépendance et de la souveraineté des États, qu'elle ne peut produire effet que si le tiers saisi est établi en France.

10. Est établi en France le tiers saisi, personne morale, qui soit y a son siège social, soit y dispose d'une entité ayant le pouvoir de s'acquitter du paiement d'une créance du débiteur saisi à son encontre.

11. Pour infirmer le jugement entrepris et ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, l'arrêt retient que la créance saisie résulte d'un contrat de bail signé entre les États-Unis d'Amérique et une société de droit américain dont le siège est dans l'Ohio et qu'elle se trouve nécessairement localisée sur le territoire des États-Unis.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les États-Unis d'Amérique aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les États-Unis d'Amérique et les condamne à payer à Mme C... V... E..., M. M... E... et Mme U... E... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille vingt et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme C... V... E..., M. M... E... et Mme U... E..., agissant en qualité d'ayants droit de S... E...

Il est fait grief à l'arrêt d'avoir, infirmant le jugement entrepris, ordonné la mainlevée de la saisie-attribution du 15 mai 2014, et, en conséquence, condamné les consorts E... aux dépens ;

AUX MOTIFS sur la nullité de la saisie-attribution :
Les États-Unis d'Amérique invoquent en premier lieu la violation du principe de territorialité des voies d'exécution en ce que la créance saisie est localisée à l'étranger et ne peut donc, en vertu de ce principe, être appréhendée en France, en ce que l'huissier instrumentaire était incompétent pour pratiquer la saisie-attribution querellée et que l'acte de saisie était dirigé contre une entité dépourvue de personnalité morale. En réalité « l'incompétence » de l'huissier de justice instrumentaire serait une conséquence du principe de territorialité et l'absence de personnalité morale de l'entité saisie est un fait invoqué à l'appui du moyen. À l'appui de ce moyen, les États-Unis exposent que la créance saisie est une créance de loyers, née d'un contrat de bail établi entre les États-Unis d'Amérique, propriétaire des lieux loués, et la société Jones Day, locataire, que le locataire est une société de droit américain dont le siège est à North Point – 901 Lakeside Avenue, Cleveland, Ohio (44114-1190), États-Unis d'Amérique.
Ils ajoutent que le bureau parisien de ce cabinet est dépourvu de la personnalité morale. Il ne jouit d'aucune autonomie dans la gestion du bail dont est issue la créance saisie, ne représente pas sa maison mère dans les rapports avec le bailleur et n'est pas débiteur de la créance saisie. Les consorts E... répliquent qu'une créance, par nature incorporelle, ne pouvant être localisée dans l'espace, peut être appréhendée par un huissier français, notamment au siège social du tiers saisi qui se trouve en France, ou dans l'un des établissements dont il dispose sur le territoire français, doté de la personnalité juridique, sans que cela porte atteinte au principe de territorialité des voies d'exécution. Ils ajoutent qu'aux termes de l'article R. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier procède à la saisie par acte d'huissier de justice signifié au tiers. Ce texte ne précisant pas le lieu où la notification de l'acte doit être effectuée, ce sont les règles de droit commun qui s'appliquent et, conformément à l'article 690 alinéa 1er du code de procédure civile « la notification destinée à une personne morale [
] est faite au lieu de son établissement. » Les intimés rappellent que le contrat a été signé en France, porte sur des locaux situés à Paris et que les loyers sont payés à Paris de sorte que cette créance peut parfaitement être appréhendée par un huissier de justice.
Il est de principe que les voies d'exécution, dans chaque pays, relèvent expressément du droit interne de ce pays sans qu'il y ait lieu de considérer la nationalité de la partie qui les a requises ou qui les subit, dès lors que leur application est restreinte au territoire de la juridiction qui les a ordonnées. Corrélativement, en vertu du principe de l'indépendance et de la souveraineté des États, le juge français ne peut, sauf convention internationale ou législation communautaire l'y autorisant, non invoquées en la cause, ordonner ou autoriser une mesure d'exécution, forcée ou conservatoire, devant être accomplie dans un État étranger. En droit international privé français, il est admis que la créance est en principe localisée au domicile du débiteur. Il s'en déduit que lorsque la créance objet de la saisie est localisée à l'étranger, le principe de territorialité fait échec à ce qu'une saisie-attribution puisse produire des effets en France. Il convient donc de rechercher où était localisée la créance saisie. En l'espèce, elle résulte d'un contrat de bail signé entre les États-Unis d'Amérique et une société de droit américain dont le siège est dans l'Ohio et elle se trouve nécessairement localisée sur le territoire des États-Unis, peu important à cet égard que le bien loué soit situé en France, que le loyer soit réglé à partir d'un compte bancaire situé en France, que le « partnership » en France de cette société d'avocats lui confère des droits comme celui d'ester en justice et qu'un de ses membres ait accepté de recevoir l'acte de saisie. Il résulte de la saisie-attribution un effet attributif immédiat sur des créances détenues à l'étranger par les États-Unis, ce qui contrevient au principe de territorialité du droit français des procédures civiles d'exécution. Dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, il sera donné mainlevée de la saisie-attribution dès lors qu'elle ne pouvait produire d'effet.

ALORS QUE si le principe de territorialité des procédures civiles d'exécution interdit aux agents d'exécution français d'intervenir matériellement sur le sol d'un État étranger, il ne fait pas obstacle à l'exercice d'une saisie-attribution d'une créance entre les mains d'une personne morale étrangère qui dispose d'un établissement en France, lequel est susceptible de déclarer l'étendue des obligations de la personne morale à l'égard du débiteur, dès lors qu'aucune intervention matérielle n'est exercée sur le territoire d'un autre État et qu'aucune atteinte à sa souveraineté n'est ainsi caractérisée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, soit en jugeant que le principe de territorialité des voies d'exécution faisait échec à ce qu'une saisie-attribution puisse appréhender une créance de loyers versés pour la location d'un immeuble en France au profit de l'établissement français d'une personne morale étrangère afin d'y exercer son activité professionnelle, créance qu'elle a fictivement localisée aux États-Unis, la cour d'appel a violé les articles L. 211-1 et L. 211-2 du Code des procédures civiles d'exécution et les principes qui gouvernent le droit international privé.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 18-17937
Date de la décision : 10/12/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesures d'exécution forcée - Saisie-attribution - Conditions - Territorialité - Etablissement du tiers saisi

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesures d'exécution forcée - Tiers saisi - Obligation de paiement - Conditions - Détermination - Portée PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesures d'exécution - Mesure d'exécution devant être accomplie dans un Etat étranger - Pouvoirs du juge français - Etendue - Détermination COMPETENCE - Compétence territoriale - Domicile du défendeur - Société - Succursale - Pouvoir de représentation à l'égard des tiers - Portée

Dès lors qu'une mesure de saisie attribution, qui permet à un créancier muni d'un titre exécutoire de saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent, en application de l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, suppose l'exercice d'une contrainte sur le tiers saisi, il résulte de la règle de territorialité des procédures d'exécution, découlant du principe de l'indépendance et de la souveraineté des États, qu'elle ne peut produire effet que si le tiers saisi est établi en France. Est établi en France le tiers saisi, personne morale, qui soit y a son siège social, soit y dispose d'une entité ayant le pouvoir de s'acquitter du paiement d'une créance du débiteur saisi à son encontre. Encourt donc la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui, pour ordonner la mainlevée d'une saisie-attribution pratiquée entre les mains d'un bureau parisien d'une société de droit américain, retient que la créance saisie résulte d'un contrat de bail signé entre les États-Unis d'Amérique et une société de droit américain dont le siège est dans l'Ohio et qu'elle se trouve nécessairement localisée sur le territoire des États-Unis


Références :

Article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 05 avril 2018

A rapprocher : 2e Civ., 22 mars 2006, pourvoi n° 05-12569, Bull. 2006, II, n° 87 (cassation partielle sans renvoi)

arrêt cité ;

2e Civ., 6 avril 2006, pourvoi n° 04-17849, Bull. 2006, II, n° 100 (rejet) ;

2e Civ., 21 janvier 2016, pourvoi n° 15-10193, Bull. 2016, II, n° 20 (rejet), et les arrêts cités ;

2e Civ., 10 décembre 2020, pourvoi n° 19-10801, Bull. 2020, (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 10 déc. 2020, pourvoi n°18-17937, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SCP Ortscheidt, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.17937
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