Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 septembre 2015), que M. Christian X..., M. Geoffroy X... et Mme Clothilde X...- Y... (les consorts X...) ont vendu, par acte du 10 janvier 2013, à la société d'exploitation du Buisson, pour le premier l'usufruit et pour les seconds la nue-propriété d'un bien rural ; que la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Poitou-Charente (la SAFER), informée par le notaire des vendeurs, le 20 novembre 2012, du projet d'aliénation, a déclaré, le 14 janvier 2013, exercer son droit de préemption ; que les consorts X... ont assigné la SAFER en nullité de son droit de préemption, laquelle les a assignés en nullité de la vente ;
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de dire que la vente conclue entre eux et la société d'exploitation du Buisson est soumise au droit de préemption de la SAFER, de l'annuler et de déclarer la SAFER acquéreur des parcelles, alors, selon le moyen :
1°/ que sauf en cas de fraude dument démontrée, la SAFER n'est pas autorisée à exercer son droit de préemption sur des droits démembrés tels la nue-propriété ou l'usufruit ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la vente litigieuse portait sur la cession par M. Christian X... de l'usufruit de parcelles de terres agricoles et la cession par Mme Clothilde X... et M. Geoffroy X... de la nue-propriété des mêmes parcelles ; qu'en affirmant néanmoins que cette vente était soumise au droit de préemption la cour d'appel a violé l'article L. 143-1 du code rural ;
2°/ qu'en annulant la vente du 10 janvier 2013 portant sur les droits de nue-propriété de Mme Clothilde X... et de M. Geoffroy X... et sur le droit d'usufruit de M. Christian X... pour méconnaissance par les parties contractantes du droit de préemption de la SAFER Poitou-Charentes, sans relever l'existence d'une fraude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 143-1 du code rural ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la vente litigieuse n'avait pas constitué une cession isolée de nue-propriété ou d'usufruit, mais avait porté sur ces deux droits, cédés, sur le même immeuble, simultanément par leurs titulaires respectifs à un même acquéreur, dans le but de permettre la reconstitution entre ses mains de la pleine propriété d'un bien rural, que l'acte de vente, qui énonçait, au titre des quotités acquises, que la société d'exploitation du Buisson acquérait la pleine propriété, faisait apparaître la volonté des parties de la transférer, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que cette vente était soumise au droit de préemption de la SAFER ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts X... et les condamne in solidum à payer à la SAFER Poitou-Charentes la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour la société d'Exploitation du buisson et les consorts X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la vente passée le 10 janvier 2013 entre les consorts X... et la société SDB était soumise au droit de préemption de la Safer Poitou Charentes et d'avoir annulé cette vente et dit que la Safer Poitou Charentes sera déclarée bénéficiaire acquéreur des parcelles vendues ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime institue, au profit de la Safer, " un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à utilisation agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrain à vocation agricole ". Ce texte n'opère aucune distinction entre les ventes en pleine propriété et les cessions de nue-propriété ou d'usufruit. Toutefois, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours exclu la possibilité, pour la Safer, d'exercer son droit de préemption sur de telles ventes, sauf cas de fraude ; qu'elle l'a d'abord jugé pour une vente de nuepropriété : " ce droit, qui s'exerce en vue de réaliser l'équilibre des exploitations agricoles et d'éviter la spéculation foncière, ne peut jouer, hormis le cas de fraude, à l'occasion de la vente de la nue-propriété d'un bien rural " (Cour de cassation, 3e chambre civile, 06 novembre 1970, pourvoi n " 69-12485, et 06 février 1974, pourvoi n° 72-14595) ; qu'elle l'a ensuite jugé à propos d'une vente d'usufruit (3ème chambre civile, 07 février 1996, pourvoi n° 93-19591) ; qu'en l'espèce, cependant, la vente litigieuse n'a pas constitué une cession isolée de nue-propriété ou d'usufruit, mais a porté sur ces deux types de droit, portant sur le même immeuble et cédés simultanément par leurs titulaires respectifs à un même acquéreur, dans le but de permettre la reconstitution entre ses mains de la pleine propriété d'un bien rural ; que ceci résulte expressément des termes de l'acte de vente, qui énonce en sa page 2, dans un paragraphe intitulé " Quotités acquises ", que la société SDB " acquiert la pleine propriété " ; qu'il apparaît ainsi que la volonté des parties était de transférer la pleine propriété du bien ; que dans une telle hypothèse, la mission d'intérêt général confiée à la Safer, dans le but de réaliser l'équilibre des exploitations agricoles et d'éviter la spéculation foncière, peut s'exercer, de sorte que l'interdiction posée par la jurisprudence précitée ne se justifie plus ; que par ailleurs, il convient de citer un arrêt de la Cour de cassation, rendu il est vrai à propos du droit de préemption du fermier, dans lequel la Cour indique que " comme le rappelle exactement l'arrêt attaqué, le droit de préemption tend à permettre au preneur l'accession à la propriété de la terre qu'il exploite ; qu'il s'ensuit que, le cas de fraude excepté, la cession d'usufruit d'un fonds, ne peut donner lieu à préemption au profit du preneur, sauf lorsqu'il est déjà nu-propriétaire de ce fonds " (chambre sociale, 22 mars 1962, Bull. n° 309) ; que cette dernière précision tend à démontrer qu'en cas de réunion en une même personne de l'ensemble des droits démembrés de la propriété d'un fonds rural, le droit de préemption peut être exercé ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal a estimé que la Safer Poitou-Charentes ne pouvait exercer son droit de préemption en l'espèce ; qu'il y a donc lieu de dire que la vente passée le 10 janvier 2013 était soumise au droit de préemption de cette société ; que l'article R. 143-9 du code rural et de la pêche maritime, qui énumère les opérations exemptées du droit de préemption devant être préalablement déclarées à la Safer par le notaire chargé de dresser l'acte d'aliénation, précise, en son dernier alinéa, que " le silence gardé par la société sur cette déclaration, pendant un délai de deux mois à compter de la date de la réception de ladite déclaration, vaut reconnaissance de la réalité de l'exemption ". Par ailleurs, l'article R. 143-20 du même code énonce que " si un immeuble sur lequel aurait pu être exercé le droit de préemption a été aliéné au profit d'un tiers en violation des dispositions du présent chapitre, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural peut demander au tribunal de grande instance de se prononcer sur l'application des dispositions, selon le cas, de l'article L. 412-10 ou du troisième alinéa de l'article L. 412-12 ". L'article L. 412-10 dispose que " dans le cas où le propriétaire bailleur vend son fonds à un tiers avant l'expiration des délais prévus à l'article précédent, soit à un prix ou à des conditions de paiement différentes de ceux demandés par lui au bénéficiaire du droit de préemption ou lorsque le propriétaire bailleur exige du bénéficiaire du droit de préemption des conditions tendant à l'empêcher d'acquérir, le tribunal paritaire, saisi par ce dernier, doit annuler la vente et déclarer ledit bénéficiaire acquéreur aux lieu et place du tiers, aux conditions communiquées, sauf, en cas de vente à un prix inférieur à celui notifié, à le faire bénéficier de ce même prix " ; qu'en l'espèce, les déclarations adressées le 20 novembre 2012 par Me Jeanne-Julie Z... à la Safer Poitou-Charentes ont été reçues par celle-ci le 21 novembre 2012, ainsi qu'en atteste le cachet de réception apposé sur ces documents. La SAFER disposait donc d'un délai de deux mois, s'achevant le 21 janvier 2013, pour contester la réalité de l'exemption du droit de préemption, les parties ne pouvant conclure la vente avant l'expiration de ce délai ; que toutefois, elles ont signé l'acte authentique de vente le 10 janvier 2013, sans attendre cette expiration. Le défaut de respect de ce délai constitue une violation des dispositions de l'article R. 143-20 du code rural et de la pêche maritime, puisque la vente a été passée avant l'expiration du délai accordé à la Safer pour contester l'exemption et exercer, le cas échéant, son droit de préemption ; que c'est à tort que consorts X... et la société SDB reprochent au tribunal d'avoir appliqué l'article R. 143-20 du code rural et de la pêche maritime " par surprise ", en violation du principe de la contradiction. En effet, la Safer Poitou-Charentes avait sollicité le bénéfice de ce texte dès son assignation introductive d'instance, de sorte que cette question était bien dans le débat ; qu'en revanche, c'est avec raison que les appelants font valoir que le Tribunal a fait une fausse application de ce texte ; qu'en effet dans la mesure où il estimait que la vente en litige n'était pas soumise au droit de préemption de la Safer, il ne pouvait sanctionner le défaut de respect du délai de deux mois par l'annulation du contrat et la substitution de la Safer à l'acquéreur, car cette sanction n'est prévue par l'article R. 143-20 qu'en cas de vente d'un immeuble " sur lequel aurait pu être exercé le droit de préemption " ; que cependant, la situation n'est plus la même devant la cour, puisque celle-ci estime que la vente litigieuse était bien soumise au droit de préemption de la Safer ; que dès lors, la sanction de l'annulation de la vente et de la substitution de la Safer au tiers acquéreur, prévue par les articles R. 143-20 et L. 412-10 du code rural et de la pêche maritime, est bien encourue et doit être appliquée ; qu'il y a donc lieu, par substitution de motifs, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions (arrêt attaqué p. 4 al. 5, 6, p. 5, p. 6, p. 7 al. 1, 2).
1°) ALORS QUE sauf en cas de fraude dument démontrée, la Safer n'est pas autorisée à exercer son droit de préemption sur des droits démembrés tels la nue-propriété ou l'usufruit ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la vente litigieuse portait sur la cession par M. Christian X... de l'usufruit de parcelles de terres agricoles et la cession par Mme Clothilde X... et M. Geoffroy X... de la nue-propriété des mêmes parcelles ; qu'en affirmant néanmoins que cette vente était soumise au droit de préemption la Cour d'appel a violé l'article L. 143-1 du Code rural ;
2°) ALORS QU'en annulant la vente du 10 janvier 2013 portant sur les droits de nue-propriété de Mme Clothilde X... et de M. Geoffroy X... et sur le droit d'usufruit de M. Christian X... pour méconnaissance par les parties contractantes du droit de préemption de la Safer Poitou Charentes, sans relever l'existence d'une fraude, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 143-1 du Code rural.