LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société d'exploitation des établissements
X...
,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 1er juillet 2014, qui, pour recours aux services de personnes exerçant un travail dissimulé, l'a condamnée à 30 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 novembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle DELVOLVÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8222-1, 3°, L. 8222-2 du code du travail, 111-3, 111-4, 121-2, 121-3 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, du principe de légalité, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société X... entreprise SA coupable de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé ;
"aux motifs propres qu'il est acquis par les pièces de la procédure et les débats, que la société d'exploitation des entreprises
X...
sise à Tresses (33) représentée par son dirigeant M. Jacques X..., avait en sa qualité de donneur d'ordre, confié entre le 2 juin 2006 et le 4 juin 2008, la réalisation de plusieurs chantiers de rénovation de couverture de ses bâtiments, pour un montant global de 836 290,13 euros aux sociétés Atelier de serrurerie et de montage dite «A.S.M» et à Ia société Tomas Y... EURL, personnes morales sises à Lanton, dirigées de droit par M. Y... et de fait par le dénommé M. Z... ; qu'il appartenait en conséquence à la société d'exploitation des entreprises
X...
, figurant en qualité de donneur d'ordre et en considération du montant des chantiers commandés à ces entreprises, excédant chaque fois la somme de 3 000 euros de vérifier lors de la conclusion de ces contrats et périodiquement jusqu'à leur complète exécution, non seulement l'existence mais aussi la sincérité des documents établissant que son cocontractant était à jour de ses déclarations sociales et fiscales en France et ne s'adonnait pas au travail dissimulé, soit par dissimulation d'activité soit par dissimulation d'emplois salariés ; qu'il est acquis par la décision de condamnation pénale attaquée, désormais définitive à l'encontre de MM. Z... et Y... que ces derniers, dirigeants de droit ou de fait des entités susvisées, avaient recouru pour la réalisation de leurs chantiers et, notamment, de ceux déployés dans l'intérêt de la société X... à une main d'oeuvre exclusivement étrangère, recrutée de façon temporaire et détachée en toute illégalité de Roumanie en France, sous le couvert d'une fausse sous-traitance, par l'entremise de la société de droit étranger Prodeco Lemnex, S.R.L sise à Bucarest, dont M. Z... et son gendre M. Y... étaient en réalité les seuls animateurs et qui fonctionnait à l'instar d'une agence d'intérim sans en avoir toutefois la spécialité, dans le but exclusif de permettre à ses dirigeants d'échapper à leurs obligations déclaratives sociales et fiscales en France ; que poursuivie pour avoir recouru, par l'entremise des sociétés ASM SARL puis de Tomas Y... EURL, aux services de personnes exerçant un travail dissimulé, la société anonyme
X...
fait invariablement valoir en appel qu'elle n'avait aucunement l'intention de commettre cette infraction et n'avait eu recours aux services de ces deux entreprises que sur les recommandations d'un tiers et en raison de leur disponibilité notoire pour satisfaire des missions urgentes, enfin qu'elle s'était depuis 2005 attachée les services d'un cadre, M. Fabrice A..., responsable des achats, censé se livrer à ce titre au contrôle exigé par la réglementation et assurer l'orthodoxie juridique de toutes fournitures ; que la société d'exploitation des entreprises
X...
qui a bien vu se succéder dans ses locaux, pour l'exécution de chantiers durables des équipes d'ouvriers majoritairement composées de travailleurs étrangers, ce qui aurait déjà dû l'alerter sur la nécessité de l'obtention préalable par son cocontractant de certaines autorisation de travail, n'a rien entrepris ; que la société appelante est toujours dans I'incapacité d'établir avoir satisfait aux dispositions impératives de l'article L. 8222-1 du code du travail (ancien article L. 324-9 du code du travail) ; que l'on ne saurait déduire de la simple mention figurant à I'article 3 du contrat de travail de l'un des cadres de l'entreprise, reproduite en ces termes « M. A... devra accomplir toutes les tâches administratives correspondant à ses fonctions...et rendre compte régulièrement à la direction de ses activités et de ses travaux » ; qu'il incombait à ce salarié, uniquement « responsable des achats » de veiller, au lieu et place de I'employeur, au respect des dispositions légales et réglementaires du code du travail, pour la souscription des différents devis ou contrats de construction, passés avec ses cocontractants ; que, dès lors, M. Jacques X... représentant légal de la société en cause, est mal fondé, en l'absence de délégation de pouvoirs régulière, à se prévaloir des manquements fautifs, non établis, de l'un de ses cadres, pour dégager la société qu'il dirige, de toute responsabilité pénale ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité mais de le réformer sur la peine d'amende qui sera élevée à la somme de 30 000 euros la dite sanction prenant en considération à la fois les ressources et les charges de la société d'exploitation des entreprises
X...
et la nature particulière de l'infraction commise contribuant à la fragilisation de l'emploi et favorisant les pratiques anti-concurrentielles ;
"et aux motifs adoptés que les dispositions de l'article L. 8221-1, 3°, du code du travail (ancien article L. 324-9) sanctionnent, suivant une jurisprudence constante, les omissions de vérification de la situation de l'entrepreneur dont les services sont utilisés ; qu'en l'espèce, aucun document n'a été réclamé, ni attestation sur l'honneur de situation en règle, ni autorisation de travail, ni déclarations auprès de l'inspection du travail ou domiciliation et c'est cette absence de diligences qui sera sanctionnée ;
"1°) alors qu'en application de l'article L. 8224-1 du code du travail (ancien article L. 362-3), « le fait de méconnaître les interdictions définies à l'article L. 8221-1 » est pénalement sanctionné ; que l'article L. 8221-1, 3°, (ancien article L 324-9) interdit « le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé »; qu'il s'agit d'une infraction de commission ; qu'une omission de procéder aux vérifications prévues par l'article L. 8222-1 du code du travail (ancien article L. 324-14) lorsque l'objet du contrat porte sur une obligation d'un montant minimum de 3 000 euros ne fait l'objet que de sanctions financières spécifiques prévues par l'article L. 8222-2 ; qu'en sanctionnant au titre de l'infraction prévue par les articles L. 8224-1 et L. 8221-1, 3°, une absence de diligences de la part de la société X... au regard des exigences de l'article L. 8222-1, l'arrêt attaqué a violé ces textes par fausse application, ensemble le principe de légalité ;
"2°) alors que les personnes morales ne sont responsables pénalement que des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants, lesquels, en matière de recours direct ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, doivent avoir agi sciemment ; que l'absence de vérification des formalités visées à l'article L. 8222-1 du code du travail (ancien article L. 324-14) n'induit pas nécessairement l'intention frauduleuse de recourir aux services d'une personne qui dissimule l'emploi de ses ouvriers ; que la société X... faisait valoir que le recours au travail dissimulé ne procédait pas de l'intention de la société mais de la fraude de l'un de ses préposés, responsable des achats ; qu'au-delà de manquements contractuels de ce cadre, elle offrait de prouver qu'elle avait été victime d'un véritable système mis en place par ce salarié, sur lequel elle avait cru pouvoir légitimement s'appuyer, mais qui, à l'occasion de l'enquête, s'était révélé coutumier d'arrangements particuliers avec ses fournisseurs au détriment de son employeur, qui présidait à l'établissement de fausses factures pour certains fournisseurs, et qui avait poursuivi la satisfaction de son propre intérêt par le biais d'un pacte de corruption avec M. Z..., lequel lui avait fait cadeau de la construction d'une piscine pour son domicile personnel ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des écritures, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3°) alors qu'en l'absence de tout motif de nature à justifier de la connaissance effective qu'aurait pu avoir le représentant légal de la société X... de la nationalité étrangère des travailleurs employés par le prestataire de service à qui des travaux avaient été confiés, ce que la seule présence d'ouvriers sur un chantier ne fait pas présumer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"4°) alors qu'en retenant que l'exécution de chantiers par des équipes d'ouvriers majoritairement composées de travailleurs étrangers aurait dû alerter la société X..., la cour a statué par un motif discriminatoire inopérant" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société d'exploitation des établissements
X...
a conclu, de juin 2006 à juin 2008, avec deux entreprises dirigées par les mêmes personnes, plusieurs marchés de rénovation de couverture de ses bâtiments pour un montant global de 836 290,13 euros ; que les dirigeants des deux entreprises cocontractantes ont été condamnés du chef de travail dissimulé pour défaut de déclarations préalables à l'embauche et omission de déclarations sociales, tandis que la société X... a été déclarée coupable de recours aux services de personnes exerçant un travail dissimulé ; que seule cette société a interjeté appel, le procureur de la République formant appel incident ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt relève que le représentant légal de la société X... n'a jamais vérifié, ni lors de la conclusion des contrats successifs ni lors de leur exécution, l'existence et la sincérité des documents susceptibles d'établir que les entreprises cocontractantes avaient effectué les déclarations sociales et fiscales leur incombant et ne s'adonnaient pas au travail dissimulé, soit par dissimulation d'activité soit par dissimulation d'emplois salariés ; que les juges relèvent que la société aurait dû être d'autant plus attentive que les ouvriers employés sur les chantiers avaient été recrutés en Roumanie pour être aussitôt détachés en France ; qu'ils ajoutent que la société ne saurait soutenir que les vérifications omises incombaient à un simple responsable des achats chargé de tâches administratives sans être titulaire d'une délégation de pouvoirs ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors que commet sciemment le délit de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé celui qui ne vérifie pas, alors qu'il y est tenu par l'article L. 8222-1 du code du travail, la régularité au regard des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 dudit code, de la situation de l'entrepreneur dont il utilise les services ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné la société X... entreprise SA, in solidum, à payer à l'URSSAF de la Gironde la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral, outre deux sommes sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"aux motifs que c'est par de justes motifs que, tirant les conséquences de la déclaration de culpabilité, le tribunal a reçu la constitution de partie civile de l'URSSAF d'Aquitaine (sic), en mesure d'invoquer un préjudice découlant directement des agissements délictueux de la prévenue et lui a alloué certaines sommes, en réparation de son préjudice et sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"alors que le jugement étant dépourvu de tout motif, la confirmation de la condamnation civile par voie de référence à des motifs inexistants n'est pas motivée" ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant alloué des dommages-intérêts à l'URSSAF d'Aquitaine, l'arrêt retient que celle-ci a subi un préjudice découlant directement des agissements délictueux de la prévenue ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier décembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.