COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, 2024 CSC 39
Appel entendu : 23 et 24 avril 2024
Jugement rendu : 27 novembre 2024
Dossier : 40619
Entre :
Procureur général du Québec
Appelant
et
Pekuakamiulnuatsh Takuhikan
Intimé
- et -
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta,
Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Congrès des peuples autochtones, Assembly of Manitoba Chiefs, Indigenous Police Chiefs of Ontario,
Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations,
Okanagan Indian Band et Assemblée des Premières Nations
Intervenants
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau
Motifs de jugement :
(par. 1 à 240)
Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)
Motifs dissidents :
(par. 241 à 325)
La juge Côté
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Procureur général du Québec Appelant
c.
Pekuakamiulnuatsh Takuhikan Intimé
et
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Saskatchewan,
procureur général de l’Alberta,
Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador,
Congrès des peuples autochtones,
Assembly of Manitoba Chiefs,
Indigenous Police Chiefs of Ontario,
Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations,
Okanagan Indian Band et
Assemblée des Premières Nations Intervenants
Répertorié : Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan
2024 CSC 39
No du greffe : 40619.
2024 : 23, 24 avril; 2024 : 27 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit des autochtones — Honneur de la Couronne — Contrats — Bonne foi — Réparation — Services policiers — Ententes tripartites successives intervenues entre les gouvernements du Canada et du Québec et un conseil de bande afin de permettre à une communauté autochtone d’établir et de maintenir un corps de police autochtone — Financement gouvernemental prévu aux ententes insuffisant pour assurer le maintien du corps de police — Procédures judiciaires entamées par le conseil réclamant aux gouvernements le remboursement des déficits accumulés — Les ententes mettent-elles en jeu les principes de la bonne foi et de l’honneur de la Couronne? — La Couronne a‑t‑elle manqué à ses obligations? — Le remboursement des déficits accumulés peut‑il constituer une réparation appropriée? — Code civil du Québec, art. 1375, 1376, 1434.
Des ententes tripartites successives portant sur les services policiers sont intervenues entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, un conseil de bande qui représente la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh à Mashteuiatsh, au Québec. Ces ententes visent trois principaux objectifs : établir et maintenir un corps de police autochtone, la Sécurité publique de Mashteuiatsh (« SPM »), offrant des services adaptés à la communauté autochtone de Mashteuiatsh; fixer la contribution financière maximale du Canada et du Québec au fonctionnement de ce corps de police; et confier la gestion de celui-ci à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Les parties contractantes ont prévu une clause permettant le renouvellement des ententes en vue d’assurer le maintien du corps de police dans le temps.
Entre 2013 et 2017, le financement gouvernemental prévu aux ententes s’est révélé insuffisant pour assurer à lui seul le maintien de la SPM. Au terme de chaque exercice financier annuel, le fonctionnement de la SPM accuse un déficit; de 2013 à 2017, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a été amené à assumer des déficits totalisant 1 599 469,95 $. Ce dernier entreprend des procédures judiciaires, réclamant aux gouvernements du Canada et du Québec le remboursement des déficits accumulés. Il appuie sa réclamation sur deux principales assises : un fondement contractuel relevant du droit privé, basé sur les dispositions du Code civil du Québec, et un fondement de droit public, ancré dans les principes de droit autochtone. Selon lui, le Canada et le Québec auraient refusé de véritablement négocier les clauses financières des ententes, ce qui constituerait un manquement tant aux exigences de la bonne foi qu’aux obligations, plus lourdes encore pour l’État, découlant de l’honneur de la Couronne.
Le juge de première instance rejette la demande de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, statuant que le contrat est la loi des parties et que l’honneur de la Couronne ne trouve pas application. La Cour d’appel infirme ce jugement et condamne le Canada et le Québec à payer leur part du montant total des déficits accumulés, soit 832 724,37 $ pour le Canada et 767 745,58 $ pour le Québec. De l’avis de la Cour d’appel, le refus de ces gouvernements de financer la SPM permet de conclure à la fois à une violation du principe de la bonne foi et au non-respect de l’honneur de la Couronne. Seul le Québec se pourvoit contre l’arrêt de la Cour d’appel, le Canada ayant versé les sommes auxquelles cette dernière l’a condamné.
Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau : Le refus du Québec de renégocier sa contribution financière lors du renouvellement des ententes n’était pas conforme au principe de la bonne foi, source d’obligations de droit privé énoncée à l’art. 1375 C.c.Q., qui gouverne la conduite des parties lors de l’exécution d’un contrat. Il constituait aussi un manquement à l’obligation d’agir conformément à l’honneur de la Couronne, relevant pour sa part du droit public, qui s’imposait au Québec dans l’exécution des ententes tripartites. Quant à la réparation due en raison du non-respect des exigences de la bonne foi, le dossier ne permet pas de procéder à l’évaluation des dommages-intérêts compensatoires conformément aux principes de la justice corrective. Cela dit, en ce qui concerne la réparation visant à rétablir l’honneur de la Couronne, ancrée dans la justice réconciliatrice, l’octroi de dommages‑intérêts équivalents aux déficits accumulés est une mesure opportune qui permettra aux parties contractantes d’aborder les prochaines négociations sereinement.
Le premier élément du cadre d’analyse applicable aux allégations de non-respect, par la Couronne, de ses engagements liés aux ententes tripartites consiste à confirmer que le droit commun des obligations, y compris les exigences de la bonne foi, s’applique aux contrats intervenus entre une communauté autochtone et l’État. Conformément à l’art. 1376 C.c.Q., les règles générales des obligations s’appliquent à l’État, dans la mesure où elles ne sont pas écartées ou modifiées par d’autres règles de droit. Le droit commun des obligations, dont l’art. 1375 C.c.Q. portant sur la bonne foi, régit donc les ententes tripartites en l’espèce; le Québec était tenu d’exécuter ses engagements contractuels envers Pekuakamiulnuatsh Takuhikan en toute bonne foi.
La bonne foi exige que toute partie contractante tienne compte des intérêts de son cocontractant dans l’exécution du contrat, bien qu’elle ne lui demande pas de subordonner son propre intérêt à celui d’autrui. Les parties à un contrat doivent adopter un comportement loyal, en s’abstenant d’alourdir indûment le fardeau de leur cocontractant ou d’adopter une conduite excessive ou déraisonnable. Il s’agit d’un devoir de comportement qui consiste à rendre l’exécution du contrat conforme à l’engagement. Après la conclusion d’un contrat, lorsque les parties ont prévu par une clause qu’elles devront entreprendre des négociations, l’obligation de les mener de bonne foi découle directement de ce contrat. Un manquement à la bonne foi lors de la négociation d’un renouvellement envisagé par un contrat peut donc être source de responsabilité contractuelle. Lorsque des parties discutent d’une clause de renouvellement, elles doivent négocier loyalement; si elles entament des négociations de renouvellement aux termes mêmes du contrat, elles sont tenues de ne pas adopter une conduite excessive ou déraisonnable dans cette phase ultime de l’exécution de leur entente. Refuser de respecter la bonne foi lors de la négociation d’un renouvellement prévu par les parties peut mettre en péril l’objet même du contrat quand la réalisation de cet objet dépend d’une relation dans la durée.
En l’espèce, le Québec était tenu à l’obligation d’agir de bonne foi, y compris lors de l’exécution des négociations contemplées par les ententes tripartites, et il a manqué à ce devoir. Les parties avaient prévu un mécanisme de prorogation devant faciliter le renouvellement; elles avaient donc l’obligation d’exécuter de bonne foi toute négociation de renouvellement entreprise. Cette obligation ne pouvait servir à exiger ou à imposer des résultats particuliers à l’issue des négociations. Par ailleurs, le Québec n’était pas obligé de reconduire l’arrangement pour un autre exercice financier. Cela dit, s’il cherchait à le faire, les ententes laissent voir que le renouvellement serait obtenu par négociation. Dans cette éventualité, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan n’avait pas droit à un niveau précis de financement, mais il avait, par les termes mêmes du contrat, l’attente légitime que le Québec viendrait négocier l’étendue de sa contribution en tenant compte de sa perspective. Le refus du Québec de discuter d’une majoration du financement constitue une conduite déraisonnable qui contrevient aux exigences de la bonne foi. Le Québec a choisi de poursuivre la relation contractuelle, tout en refusant de revoir sa contribution financière, bien qu’il savait que la SPM était sous-financée. Ce comportement ne tient pas compte du contexte ou de l’intérêt de son cocontractant. En adoptant une posture d’intransigeance par son refus de négocier, le Québec a agi contrairement à ce que les ententes stipulaient et à la force obligatoire du contrat consacrée à l’art. 1434 C.c.Q. Le Québec a causé un préjudice à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan en agissant en contradiction avec les attentes suscitées par le mécanisme contractuel mis en place par les parties pour le renouvellement des ententes. Ce comportement était déraisonnable en ce qu’il trompait la confiance légitime de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et ébranlait l’objectif contractuel des parties, à savoir le maintien de la SPM. Le Québec aurait dû entreprendre de véritables négociations avec son cocontractant et faire preuve d’écoute et d’ouverture. L’absence de véritables négociations laissait Pekuakamiulnuatsh Takuhikan devant un choix perdant : soit de continuer de s’appauvrir pour maintenir la SPM et conserver les progrès que cette dernière représente en matière d’autonomie gouvernementale, soit d’abolir la SPM, ce qui impliquait à la fois un retour aux services inadéquats de la Sûreté du Québec et une régression en matière d’autonomie gouvernementale. Malgré les difficultés, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a choisi, année après année, de préserver la SPM, ce qui l’a amené à éponger les déficits annuels avec ses propres fonds. Les gouvernements du Canada et du Québec ont fait la sourde oreille aux demandes et doléances de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et la qualité des services de la SPM en a souffert.
Le deuxième élément du cadre d’analyse consiste à démontrer que le principe de l’honneur de la Couronne s’applique aussi à l’exécution des engagements contractuels du Québec en l’espèce. Bien que l’art. 1376 C.c.Q. prévoit que le droit privé des obligations s’applique à l’État, il précise également que cet assujettissement se fait sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables. Cette réserve renvoie donc implicitement à l’idée que les règles de la common law publique peuvent façonner un régime distinct de responsabilité pour l’État qui complète celui du Code civil du Québec. Le principe de l’honneur de la Couronne constitue une telle règle de droit public qui peut, dans certains contextes, élargir le champ de la responsabilité étatique. Par contre, il n’y a pas lieu de conclure que le principe de l’honneur de la Couronne s’intègre implicitement aux contrats par l’opération de l’art. 1434 C.c.Q. Ainsi, bien que l’honneur de la Couronne soit mis en jeu à l’occasion d’obligations contractuelles de l’État, sa source est, contrairement aux obligations contractuelles, ancrée dans les règles de droit public.
À titre de règle de common law issue de la relation particulière entre la Couronne et les peuples autochtones, le principe de l’honneur de la Couronne est lui-même ancré dans l’objectif de faciliter la réconciliation des intérêts de la Couronne avec ceux des peuples autochtones, en favorisant notamment la négociation et le règlement juste de leurs revendications. L’honneur de la Couronne est un principe constitutionnel qui se trouve au cœur de l’objectif de réconciliation, dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel. Peu importe la voie qu’emprunte la Couronne pour favoriser le processus de réconciliation, le principe de l’honneur de la Couronne doit pouvoir s’appliquer dans les circonstances qui l’exigent.
Contrairement à la bonne foi, l’honneur de la Couronne ne s’applique pas à l’exécution de tout contrat ni à tout engagement contractuel souscrit par la Couronne envers une entité autochtone. En effet, il ne s’applique qu’à l’occasion de l’exécution des contrats entre l’État et les groupes autochtones qui visent à favoriser la réconciliation contemporaine des sociétés autochtones préexistantes avec l’affirmation historique de la souveraineté de la Couronne. La tâche est alors d’identifier le critère juridique permettant, en l’espèce, de cerner des engagements contractuels qui emportent l’application de l’honneur de la Couronne. Premièrement, le contrat en question doit être conclu entre la Couronne et un groupe autochtone en raison et sur la base de la spécificité autochtone de ce dernier. Puisque le principe de l’honneur de la Couronne s’appuie sur la relation particulière entre la Couronne et les peuples autochtones, l’honneur de la Couronne n’est mis en jeu que par une obligation à laquelle la Couronne souscrit en raison de cette relation particulière, qui est distincte de celle qu’elle entretient avec la population en général. Deuxièmement, le contrat en question doit porter sur un droit autochtone, établi ou faisant l’objet d’une revendication crédible, à l’autonomie gouvernementale. Il n’est pas nécessaire, pour que le principe de l’honneur de la Couronne trouve application, qu’un tel droit soit déjà reconnu par les tribunaux ou la Couronne. Une revendication crédible est suffisante pour imposer à la Couronne des obligations de conduite honorable.
Afin de déterminer si les ententes tripartites en l’espèce satisfont à ce critère, il faut entreprendre un exercice de qualification, qui permet le rattachement du contrat considéré à une catégorie normative, susceptible de déterminer le régime juridique applicable. La qualification d’un contrat vise l’identification de sa nature juridique. Cette opération ne dépend pas strictement de l’intention des parties et relève de la nature juridique de l’acte créé. Il s’agit d’une question de droit. En l’espèce, la prestation caractéristique des ententes tripartites comporte trois volets. Les ententes tripartites prévoient l’établissement et le maintien d’un corps de police autochtone, un régime de financement partagé entre les gouvernements du Canada et du Québec et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et la gestion autonome du corps de police par ce dernier. À la lumière de cette prestation caractéristique, il appert que les ententes tripartites ont été conclues par les parties sur la base et en raison de la spécificité autochtone des Pekuakamiulnuatsh. Seules les communautés autochtones peuvent conclure avec le Québec une entente visant à établir ou à maintenir un corps de police autochtone. Par ailleurs, les ententes tripartites ont été conclues dans le cadre de la relation de nation à nation entre le Québec et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et le financement a pour objectif de redresser le préjudice historique découlant de l’imposition de la police nationale aux peuples autochtones et des difficultés de régie des communautés autochtones quant à leur sécurité interne.
Les ententes tripartites touchent en outre le droit autochtone à l’autonomie gouvernementale en matière de sécurité publique de la communauté revendiqué par la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. L’établissement et le maintien de corps de police autochtones gérés par les communautés visées par une entente et dont les services sont culturellement adaptés à celles-ci distinguent ces corps de police de ceux desservant la population en général. C’est dans le contexte de la revendication des peuples autochtones au droit à l’autonomie gouvernementale et au contrôle de leurs institutions que le Québec a reconnu aux Premières Nations, dans la Loi sur la police, la possibilité de se doter d’un corps de police culturellement adapté. Le besoin des peuples autochtones de bénéficier de tels services policiers prend sa source dans la relation difficile, et parfois même traumatisante, que les peuples autochtones ont vécue, et dans certains cas continuent de vivre, avec les services policiers qui leur ont été imposés au fil des années par la Couronne. La possibilité de conclure des ententes dont l’objectif est d’assurer la prestation de services policiers culturellement adaptés et gérés par les communautés autochtones desservies contribue donc à la réconciliation.
En somme, les ententes tripartites doivent être qualifiées de contrats mettant en jeu l’honneur de la Couronne. Le fait que les ententes tripartites ne constituent pas des traités protégés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ne cherche pas à établir un droit protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne change rien en ce qui concerne la qualification du contrat. Même si les parties conviennent de ne pas régler de façon définitive les revendications des Pekuakamiulnuatsh par l’entremise des ententes tripartites, il n’en reste pas moins que ces ententes portent sur l’objet de leurs revendications, soit le droit à l’autonomie gouvernementale en matière de sécurité interne. La question n’est pas de savoir si l’entente reconnaît ou modifie des droits autochtones, mais seulement si elle porte sur ce droit revendiqué.
Parce qu’il ne constitue pas une cause d’action en soi, le principe de l’honneur de la Couronne trouve son expression dans les obligations précises qu’il fait naître. La teneur de ces obligations varie selon les circonstances. Lorsque l’honneur de la Couronne s’applique à un contrat, la Couronne doit répondre à une norme de conduite plus élevée que dans le contexte d’une relation contractuelle ordinaire, et doit agir de manière à favoriser la réconciliation. Lorsque la Couronne décide de s’engager dans une relation contractuelle mettant en jeu son honneur, elle doit négocier, interpréter et appliquer les contrats avec honneur et intégrité, et en évitant la moindre apparence de manœuvres malhonnêtes. Il s’agit d’une obligation reconnue depuis longtemps dans le contexte de la conclusion et de l’exécution des traités, qui est transposable au contexte contractuel. La Couronne ne doit pas non plus adopter une attitude intransigeante. Lorsqu’une entente a été conclue, la Couronne doit se comporter avec honneur et intégrité dans l’exécution de ses obligations. Cela signifie entre autres qu’elle doit adopter une interprétation généreuse des termes de l’entente et les respecter scrupuleusement en évitant tout manquement à ceux‑ci. La Couronne doit aussi agir honorablement dans toute négociation visant la modification ou le renouvellement de l’entente.
En l’espèce, puisque les ententes tripartites contemplaient la renégociation de leurs clauses financières, l’honneur de la Couronne imposait à celle‑ci l’obligation de se comporter honorablement lors des négociations de renouvellement. Le Québec n’a pas respecté cette obligation. Par son attitude intransigeante, il a manqué à son honneur en refusant de négocier les conditions financières des ententes tripartites. Le Québec a refusé de considérer les demandes répétées de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan de renégocier le niveau de financement de son corps de police, alors qu’il savait pourtant que la SPM était sous‑financée et que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan accepterait un niveau de financement insuffisant pour éviter d’avoir recours aux services inadaptés de la Sûreté du Québec. Cette conduite représente un manquement à l’obligation d’exécuter les ententes tripartites avec honneur et intégrité. L’honneur de la Couronne requiert de cette dernière qu’elle s’engage de manière significative dans une véritable négociation de manière à favoriser le maintien d’une relation qui puisse soutenir le processus continu de la réconciliation. En refusant de renégocier le niveau de financement malgré les doléances répétées de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et la situation précaire dans laquelle celui‑ci se trouvait, le Québec s’est conduit d’une manière qui se situait bien en deçà de la norme qui caractérise une conduite honorable. Par son manquement, le Québec a mis en péril l’équilibre contractuel et l’objet même des ententes tripartites. Le Québec ne s’est donc pas conformé à son obligation d’agir avec honneur, établissant un deuxième fondement indépendant de responsabilité.
Le comportement du Québec peut donc être qualifié à la fois de faute civile et de violation d’une obligation de droit public. Ces deux régimes juridiques sont de nature différente et les réparations qui y sont associées reposent sur des conceptions distinctes de la justice. Le régime de droit civil relève de la justice corrective et vise à remettre la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée, n’eût été la faute commise. Le régime de droit public s’intéresse plutôt à la relation à long terme entre la Couronne et les communautés autochtones et vise à rétablir l’honneur de la Couronne, de manière à favoriser la réconciliation; il s’agit de la justice réconciliatrice.
Pour ce qui est du régime de droit civil et du manquement à la bonne foi, une fois le non‑respect des exigences de la bonne foi établi, le demandeur doit démontrer l’étendue du préjudice selon le principe de la restitutio in integrum, la restitution intégrale. Les dommages‑intérêts octroyés ne doivent pas dépasser la somme nécessaire pour réparer intégralement le préjudice subi et replacer le demandeur dans la situation où il se serait trouvé, n’eût été l’entorse à la bonne foi. En l’espèce, la Cour n’est pas en mesure de procéder à cette évaluation, n’ayant ni la preuve ni l’assise factuelle adéquates pour bien s’acquitter de cette tâche.
La réparation visant à répondre à la violation de l’obligation découlant de l’honneur de la Couronne se fait sur une autre base que la justice corrective. La justice réconciliatrice ne cherche pas seulement à compenser le demandeur autochtone lésé pour le préjudice subi dans le passé; elle sert avant tout à rétablir et à faire progresser la relation entre la Couronne et les peuples autochtones. Il s’agit d’imposer une mesure qui remet les parties sur la voie de la réconciliation. À l’occasion de cette démarche, il y a lieu d’être sensible aux perspectives autochtones et de faire preuve de créativité, tout en respectant un cadre juridique raisonné. Un manquement aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne donne ouverture à toute la gamme des réparations, y compris des dommages-intérêts et d’autres mesures coercitives. La réparation relative à l’honneur de la Couronne varie selon les circonstances propres à chaque affaire; aucun type de réparation n’a préséance sur les autres.
En l’espèce, la relation entre les parties a été minée par l’attitude intransigeante du Québec au stade du renouvellement des ententes tripartites. Cette attitude lui a profité et a nui à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et ce, non seulement sur le plan financier, mais également sur le plan de la qualité de la desserte policière et de sa dignité, puisque sa liberté de choix n’a pas été respectée. En imposant un choix difficile à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan — soit continuer de s’appauvrir pour maintenir la SPM, soit abolir la SPM —, le Québec n’a pas traité d’égal à égal avec celui-ci, et n’a pas fait preuve de collaboration et de respect. Cela fait également partie du préjudice causé à la relation, qui doit maintenant être réparée. Dans les circonstances, la Cour d’appel pouvait conclure que la réparation de ce préjudice nécessite une condamnation au paiement de dommages-intérêts. Le montant approprié des dommages-intérêts doit être déterminé à l’aide d’une analyse axée sur la justice réconciliatrice, de manière à s’assurer que l’ordonnance rendue aura pour effet de rétablir l’honneur de la Couronne. Le bien-fondé du montant accordé en cas de violation d’une obligation découlant de l’honneur de la Couronne est une question hautement contextuelle. En l’espèce, il convient de confirmer le montant déterminé par la Cour d’appel en raison des circonstances particulières de l’affaire, et en tenant compte de la vocation des dommages-intérêts, qui visent non seulement à réparer le préjudice du passé mais aussi à rétablir la relation pour l’avenir.
La juge Côté (dissidente) : L’appel devrait être accueilli et le jugement de première instance devrait être rétabli. Le principe de la bonne foi et celui de l’honneur de la Couronne ne permettent pas à une cour d’écarter ou d’ignorer certaines clauses expresses d’un contrat et d’imposer des obligations qui sont incompatibles avec leurs termes non ambigus.
En l’espèce, il s’agit d’un recours contractuel en dommages‑intérêts dans lequel Pekuakamiulnuatsh Takuhikan n’a pas demandé l’annulation des ententes ni que certaines des clauses des ententes soient déclarées abusives. Les ententes limitent en des termes exprès la contribution des gouvernements à une somme maximale déterminée chaque année, de telle sorte que le Québec s’est engagé à contribuer financièrement à l’établissement et au maintien de la SPM, mais il ne s’est pas engagé à assumer l’entièreté des coûts encourus, ou à financer des services égaux à ceux offerts dans les communautés environnantes. De plus, aux termes des ententes, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan est responsable des déficits encourus au-delà de la contribution financière que souhaitent offrir les gouvernements et les gouvernements ne sont pas responsables des engagements pris par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Ces clauses circonscrivent et limitent la portée de l’engagement du Québec.
Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que le principe de l’honneur de la Couronne s’intègre implicitement aux modalités d’exécution des engagements contractuels convenus entre les parties. Les ententes tripartites prévoyant un soutien financier des gouvernements aux services de police autochtones ne sont pas des contrats purement commerciaux. Il s’ensuit que le principe de l’honneur de la Couronne ne peut être ignoré dans l’évaluation de la conduite du Québec dans le cadre de ces ententes. De plus, l’objectif du Québec en édictant certains articles de la Loi sur la police relève de la réconciliation des sociétés autochtones préexistantes avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne. En vertu de l’art. 1434 C.c.Q., les obligations de droit public qui découlent des ententes tripartites selon la loi s’ajoutent aux stipulations expresses de ces ententes. L’honneur de la Couronne et les obligations qui en découlent s’intègrent alors implicitement aux ententes tripartites par l’opération de l’art. 1434 C.c.Q. Toutefois, cette disposition ne permet pas l’introduction d’une obligation implicite qui serait incompatible avec les termes du contrat. Les obligations qui peuvent découler du principe de l’honneur de la Couronne ne peuvent non plus être écartées par la clause d’intégralité stipulée aux ententes.
Il y a toutefois désaccord avec les juges majoritaires en ce qui concerne la portée des engagements contractuels convenus entre Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et le Québec. D’abord, les parties gouvernementales ne se sont pas engagées à assumer l’entièreté des coûts liés à la création et au maintien d’un service policier pouvant assurer le même niveau de service que celui dont bénéficient les collectivités environnantes. Une telle obligation ne se retrouve nulle part dans le libellé des ententes. L’engagement du Québec découle strictement des ententes tripartites étant donné que les parties ont exprimé leur volonté de n’être liées que par les termes exprès des ententes tripartites en stipulant une clause d’intégralité pour écarter tout contenu externe au contrat. Cette clause d’intégralité exclut l’application des art. 1425 et 1434 C.c.Q.
Ensuite, l’engagement du Québec ne peut être défini à la lumière des objectifs énoncés par la Politique sur la police des Premières nations (1996) (« Politique fédérale ») et au Programme des services de police des Premières Nations (« PSPPN »). La Politique fédérale et le PSPPN ne pouvaient lier le Québec pour trois motifs. Premièrement, le Québec ne s’est pas engagé à mettre en œuvre la Politique fédérale. Deuxièmement, la Politique fédérale n’établit pas de règles ayant force obligatoire et n’est donc pas susceptible de sanction judiciaire. Troisièmement, la Politique fédérale ne mentionne nulle part que les gouvernements financeront l’entièreté des coûts des services de police.
Enfin, le principe de l’honneur de la Couronne ne permet pas de réécrire les clauses des ententes tripartites pour y introduire une obligation pour le Québec d’assumer l’entièreté des coûts liés à la création et au maintien de la SPM. Il y a donc désaccord avec les juges majoritaires en ce qui concerne leurs conclusions à l’égard des manquements allégués à la bonne foi contractuelle et au principe de l’honneur de la Couronne. L’analyse des juges majoritaires élargit l’objet de l’engagement du Québec pour y inclure l’obligation d’assurer des services adaptés à la communauté comparables à ceux des communautés environnantes alors que cet objectif ne se retrouve nulle part dans les ententes. Cela équivaut à réécrire les termes de ces ententes, ce que le principe de l’honneur de la Couronne ne permet pas de faire. Une telle approche est également contraire au régime des obligations implicites en droit civil québécois. Une obligation implicite ne peut que combler une lacune dans les conditions du contrat. L’article 1434 C.c.Q. ne permet pas de contrecarrer d’autres dispositions de l’entente.
En ce qui concerne la bonne foi, le Québec a rempli tous ses engagements et n’a abusé d’aucun droit prévu au contrat, y compris quant au renouvellement des ententes tripartites. Il n’était pas déraisonnable pour le Québec de s’en remettre à la lettre des ententes concernant la responsabilité des déficits accumulés. La preuve ne révèle l’existence d’aucun droit prévu aux ententes dont le Québec aurait abusé. En ce qui concerne le principe de l’honneur de la Couronne, son application aux modalités d’exécution des engagements contractuels mène à la conclusion que le Québec a agi de façon honorable. Les parties gouvernementales ont procédé au renouvellement des ententes selon les ressources disponibles et suivant les crédits accordés par le Parlement et l’Assemblée nationale, comme le prévoyaient les ententes.
La preuve révèle que, tout au long de leur relation contractuelle, le Québec a été un interlocuteur attentif aux doléances de son cocontractant et flexible dans la recherche de solutions au problème du sous-financement de son corps de police. Le Québec a offert un soutien financier additionnel par diverses mesures, notamment pour maintenir la SPM et pour participer au financement de la construction du poste de police de la communauté. Le Québec est allé au-delà de ce qu’exigeaient les termes des ententes en offrant ces montants additionnels pour soutenir financièrement la SPM. Cette aide financière additionnelle doit être prise en compte, tant dans l’évaluation de la conduite du Québec à l’égard du renouvellement des ententes tripartites, qu’à l’égard du préjudice qui pourrait en avoir découlé. De plus, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan disposait d’une autonomie financière lors du renouvellement des ententes. Son autonomie contractuelle se reflète notamment dans le choix libre et éclairé qu’il a fait d’offrir un niveau de service supérieur à celui prévu par les ententes tripartites. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan remet en cause les décisions de politiques d’intérêt général du Québec concernant l’octroi d’un soutien financier aux corps de police autochtones. Or, le rôle des tribunaux n’est pas de s’immiscer ainsi dans les décisions budgétaires des parties gouvernementales, lesquelles se reflètent dans les ententes tripartites en cause. Conclure autrement a pour effet de sanctionner une décision discrétionnaire de politique générale concernant l’allocation des ressources budgétaires de l’État, ce que la Cour ne saurait faire sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
En ce qui concerne la réparation, il n’est pas nécessaire de créer un régime de réparation découlant de la justice réconciliatrice. Les règles de la justice réparatrice du régime de la responsabilité civile peuvent être adaptées de manière à tenir compte de la perspective autochtone et de l’impératif de réconciliation. Bien que l’exercice de quantification des dommages-intérêts puisse poser des difficultés additionnelles pour les tribunaux lorsqu’il s’agit de réparer un manquement au principe de l’honneur de la Couronne, ils ont l’habitude d’utiliser leur discrétion lorsqu’il s’agit de rechercher une indemnité juste et raisonnable. En présence d’un préjudice difficilement appréciable et prévisible résultant d’une conduite déshonorable de la Couronne, le tribunal peut utiliser sa discrétion afin d’établir un quantum qui tiendra compte du rétablissement de l’honneur de la Couronne et faire preuve d’une certaine créativité dans l’exercice de sa discrétion. Cette approche permet d’éviter le piège du caractère hautement discrétionnaire que pose la réparation ancrée dans la justice réconciliatrice dans un contexte contractuel. Faire droit à un tel régime de réparation risque de décourager les gouvernements de signer ce type d’ententes avec les entités autochtones.
Jurisprudence
Citée par le juge Kasirer
Arrêts mentionnés : Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101; Houle c. Banque canadienne nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663; Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 R.C.S. 533; Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103; Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59; Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie, 2014 QCCA 947; C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908; Développement Olymbec inc. c. Avanti Spa de Jour inc., 2019 QCCS 1198; Trizec Equities Ltd. c. Hassine (1988), 27 Q.A.C. 167; Singh c. Kohli, 2015 QCCA 1135; Billards Dooly’s inc. c. Entreprises Prébour ltée, 2014 QCCA 842; Centre de santé et de services sociaux de l’Énergie c. Maison Claire Daniel inc., 2012 QCCA 1975; Jolicoeur c. Rainville, 2000 CanLII 30012; Société sylvicole de l’Outaouais c. Rasmussen, 2005 QCCA 729; Développement Tanaka inc. c. Montréal (Commission scolaire), 2007 QCCA 1122, 65 C.L.R. (3d) 175; Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550; Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15; Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17; Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621; Ludmer c. Canada (Attorney General), 2020 QCCA 697, 2020 DTC 5055; Restaurant Le Relais de Saint-Jean inc. c. Agence du revenu du Québec, 2020 QCCA 823; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335; Ressources Strateco inc. c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 18, 32 C.E.L.R. (4th) 231; Poitras c. Concession A25, 2021 QCCA 1182; Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257; Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245; Manitoba Metis Federation Inc. c. Brian Pallister, 2021 MBCA 47, 458 D.L.R. (4th) 625; Ontario First Nations (2008) Limited Partnership c. Ontario Lottery and Gaming Corporation, 2020 ONSC 1516, conf. par 2021 ONCA 592; Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177; Première Nation Pasqua c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 133, [2017] 3 R.C.F. 3; Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2024 CSC 5; Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10; Waldron c. Canada (Procureur général), 2024 FCA 2 (CanLII), 2024 CAF 2; Nation Crie de Eeyou Istchee (Grand Conseil) c. McLean, 2019 CAF 185; Nunavut Tunngavik Inc. c. McLean, 2019 CAF 186; Première Nation de Whapmagoostui c. McLean, 2019 CAF 187; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771; Conseil Kaska Dena c. Canada, 2018 CF 218; Chemainus First Nation c. British Columbia Assets and Lands Corp., 1999 CanLII 6298 (BC SC), [1999] 3 C.N.L.R. 8; Gitanyow First Nation c. Canada, 1999 CanLII 6180 (BC SC), [1999] 3 C.N.L.R. 89; Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543; Shot Both Sides c. Canada, 2024 CSC 12; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, [2019] 4 R.C.S. 138; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Anderson c. Alberta, 2022 CSC 6, [2022] 1 R.C.S. 29.
Citée par la juge Côté (dissidente)
Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101; Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada, 2022 TCDP 4; Canada (Procureur général) c. Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, 2023 CF 267; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623; Mitchell c. Bande indienne Peguis, 1990 CanLII 117 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 85; R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771; Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765; Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559; Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 R.C.S. 533; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663; Doré c. Verdun (Ville), 1997 CanLII 315 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 862; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010; Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557; Aéroports de Montréal c. Meilleur, 1997 CanLII 10820 (QC CA), [1997] R.J.Q. 1516; Invenergy Wind Canada c. Éolectric inc., 2019 QCCA 1073; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; First Nation of Nacho Nyak Dun c. Yukon, 2017 CSC 58, [2017] 2 R.C.S. 576; Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105; Houle c. Banque Canadienne Nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122; Singh c. Kohli, 2015 QCCA 1135; Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Vidéotron, s.e.n.c. c. Bell ExpressVu, l.p., 2015 QCCA 422; Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., 1997 CanLII 10209 (QC CA), [1998] R.J.Q. 47; Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(1).
Code civil du Québec, disposition préliminaire, art. 6, 7, Livre cinquième, 1375, 1376, 1425, 1434, 1437, 1607, 1611 et suiv., 1613.
Code de déontologie des policiers du Québec, RLRQ, c. P‑13.1, r. 1.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 18.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 25, 35.
Loi de police, L.R.Q., c. P‑13, art. 79.0.1 [aj. 1995, c. 12, art. 1].
Loi modifiant la Loi de police et la Loi sur l’organisation policière en matière de police autochtone, L.Q. 1995, c. 12.
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, art. 46.1.
Loi sur la police, RLRQ, c. P‑13.1, titre II, chapitre I, art. 48, 50, 70, 72, 79, section IV, 90 [mod. 2008, c. 13, art. 3; mod. 2023, c. 20, art. 10], 93 [mod. 2023, c. 20, art. 11], ann. G.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, art. 18.1.
Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I‑5.
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bich, Bouchard et Ruel), 2022 QCCA 1699, [2022] AZ-51901157, [2022] J.Q. no 13803 (Lexis), 2022 CarswellQue 18997 (WL), qui a infirmé une décision du juge Dufresne, 2019 QCCS 5699, [2019] AZ‑51660818, [2019] J.Q. no 11652 (Lexis), 2019 CarswellQue 12186 (WL). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.
Annick Dupré, Étienne Cloutier, Michel Déom et Catheryne Bélanger, pour l’appelant.
Benoît Amyot, Léonie Boutin, Audrey Poirier et Jacynthe Ledoux, pour l’intimé.
François Joyal, Marc Ribeiro et Marie‑Ève Robillard, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
David Tortell et Charles Hinse-MacCulloch, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
R. James Fyfe, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Krista Epton et Angela Edgington, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Marie‑Eve Dumont, Jameela Jeeroburkhan, Sara Andrade et Wade MacAulay, pour l’intervenante l’Assemblée des Premières Nations Québec‑Labrador.
Glynnis Hawe, pour l’intervenant le Congrès des peuples autochtones.
Nick Saunders et Carly Fox, pour l’intervenante Assembly of Manitoba Chiefs.
Julian N. Falconer, Asha James, Jeremy Greenberg et Shelby Percival, pour l’intervenant Indigenous Police Chiefs of Ontario.
Naiomi Metallic et Logan Stack, pour l’intervenante la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations.
Claire Truesdale et Mary (Molly) Churchill, pour l’intervenante Okanagan Indian Band.
Julie McGregor, pour l’intervenante l’Assemblée des Premières Nations.
Le jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau a été rendu par
Le juge Kasirer —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Aperçu
1
II. Contexte
20
III. Historique judiciaire
47
IV. Moyens des parties et questions en litige
62
V. Analyse
71
Introduction : Les engagements contractuels souscrits dans les ententes tripartites
71
A. Les fondements de la responsabilité du Québec
96
(1) La bonne foi, source d’obligations de droit privé
96
(2) L’honneur de la Couronne, source d’obligations de droit public
140
B. La réparation appropriée
198
(1) Le manquement à la bonne foi : restitutio in integrum
205
(2) Le manquement à l’obligation d’agir avec honneur : rétablissement de l’honneur de la Couronne
210
VI. Conclusion
237
I. Aperçu
[1] Des obligations souscrites par contrat entre le gouvernement du Québec et un groupe autochtone mettent-elles en jeu les principes de la bonne foi et de l’honneur de la Couronne? Si, lors de l’exécution du contrat, la responsabilité du Québec est retenue en application de l’un ou l’autre de ces fondements distincts, quelle réparation doit être accordée pour remédier au manquement? Dans le cas d’une demande en dommages-intérêts comme celle présentée en l’espèce, le remède de droit privé des obligations se limitera, en principe, au seul montant nécessaire pour compenser le préjudice causé au créancier par le non-respect des exigences de la bonne foi. Mais en présence d’un manquement à l’obligation d’agir conformément à l’honneur de la Couronne, la réparation de droit public accordée au groupe autochtone peut-elle se distinguer de celle de droit privé en vue de rétablir la relation entre les parties contractantes, pour le passé comme pour l’avenir, de manière à les remettre sur la voie constitutionnelle de la réconciliation? Voici les principales questions soulevées par le présent pourvoi.
[2] Les contrats litigieux, qui portent sur les services policiers offerts à la communauté autochtone de Mashteuiatsh au Québec, sont des ententes « tripartites » : elles sont intervenues entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, un conseil de bande autochtone constitué en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5, qui est l’intimé en l’espèce. Ces ententes visent trois principaux objectifs : « établir et maintenir » un corps de police autochtone offrant des services adaptés à la communauté, fixer la contribution financière maximale du Canada et du Québec à son fonctionnement et en confier la gestion, qui s’accompagne d’une responsabilité financière, à l’intimé. Compte tenu de la courte durée de chacune des ententes, les parties contractantes y ont prévu une clause de prorogation permettant leur renouvellement en vue d’assurer le maintien du corps de police dans le temps. Les ententes précisent par ailleurs qu’elles n’ont pas pour effet de reconnaître des droits ancestraux ou des droits issus de traités, et qu’elles ne doivent pas être interprétées comme des accords ou des traités visés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[3] Entre 2013 et 2017 — la période visée par la demande introductive d’instance modifiée de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan —, le financement gouvernemental prévu aux ententes s’est révélé insuffisant pour assurer à lui seul le maintien du corps de police autochtone de Mashteuiatsh. Au terme de chaque exercice financier annuel, le fonctionnement du corps de police accuse un déficit qui ne tient aucunement à quelque mauvaise gestion ou dépense extraordinaire. Cela étant, l’intimé entreprend des procédures judiciaires, réclamant aux gouvernements du Canada et du Québec le remboursement des déficits accumulés « [e]n raison de [leur] engagement [. . .] à assumer 100 % » des coûts du corps de police (demande introductive d’instance modifiée, par. 84, reproduite au d.a., vol. I, p. 148).
[4] Le juge de première instance rejette la demande de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, statuant que le contrat est la loi des parties et que l’honneur de la Couronne ne trouve pas application. La Cour d’appel infirme ce jugement et condamne le Canada et le Québec à payer leur part du montant total des déficits accumulés. De l’avis de la Cour d’appel, le refus de ces gouvernements de financer le corps de police autochtone de Mashteuiatsh permet de conclure à la fois à une violation du principe de la bonne foi et au non-respect de l’honneur de la Couronne.
[5] Seul appelant devant notre Cour, le Québec refuse d’éponger toute part du déficit. Pour le Québec, contrairement à ce qu’affirme la Cour d’appel, l’honneur de la Couronne ne s’applique pas aux ententes. Elles ne renferment pas de « promesses solennelles » et ne traitent pas de la conciliation entre des droits ou intérêts distinctement autochtones et l’affirmation de la souveraineté de la Couronne. Quant aux ententes elles-mêmes, le Québec souligne qu’elles fixent des « sommes maximales » pour ce qui est des contributions gouvernementales et qu’une clause contractuelle fait nettement reposer sur les épaules de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan la responsabilité à l’égard des déficits. Au nom de la force obligatoire du contrat, le Québec nie qu’il a l’obligation de combler la différence, étant donné que l’intimé n’a prouvé aucun manquement aux termes du contrat ou aux exigences de la bonne foi. De plus, le Québec dit avoir déjà apporté, par des avenants et autrement, une aide additionnelle à l’intimé, qui réduirait le montant des dommages-intérêts réclamés.
[6] Le débat se noue donc autour de la question de la responsabilité du Québec pour les déficits occasionnés par le fonctionnement du corps de police de Mashteuiatsh à la lumière des engagements contractuels consacrés aux ententes tripartites. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan appuie sa réclamation sur deux principales assises : un fondement contractuel relevant du droit privé, basé sur les dispositions du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), et un fondement de droit public, ancré dans les principes de droit autochtone. Selon l’intimé, le Québec aurait refusé de véritablement négocier les clauses financières des ententes, ce qui constituerait un manquement tant aux exigences de la bonne foi qu’aux obligations, plus lourdes encore pour l’État, découlant de l’honneur de la Couronne. L’intimé ne demande pas l’annulation des ententes ou la reconnaissance d’un quelconque droit constitutionnel. Il exige plutôt le remboursement des déficits accumulés au cours de la période en litige. Le Canada s’est plié à la condamnation de la Cour d’appel à payer 52 p. 100 de ce montant, sa quote-part du financement selon les ententes. Quant au Québec, il demande à la Cour d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel qui l’a condamné à payer 48 p. 100 des déficits, de rétablir le jugement de première instance et de rejeter la demande de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan.
[7] Voilà le contexte dans lequel la Cour doit établir le cadre d’analyse applicable aux allégations de non-respect, par la Couronne, de ses engagements liés aux ententes relatives à l’établissement et au maintien d’un corps de police autochtone. Les parties demandent à la Cour de préciser la manière dont le droit commun des obligations, énoncé principalement au Code civil, s’applique aux contrats intervenus entre une communauté autochtone et l’État. Ce pourvoi nous invite également à élaborer, pour une première fois, une méthodologie visant à déterminer si des engagements contractuels de nature non constitutionnelle souscrits par un gouvernement envers un groupe autochtone peuvent être soumis aux principes de droit autochtone, et plus précisément à l’honneur de la Couronne.
[8] Bien que les deux principaux moyens invoqués — la bonne foi et l’honneur de la Couronne — soient tous deux des principes d’ordre public auxquels on ne peut déroger par contrat, on ne peut en faire l’amalgame en raison des fondements distincts, respectivement de droit privé et de droit public, sur lesquels ils reposent.
[9] Le premier élément de notre cadre d’analyse part du constat que les règles du droit commun des obligations prévues au Livre cinquième du Code civil s’imposent à l’État, y compris à l’occasion de tout contrat conclu avec un groupe autochtone, sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables (art. 1376 C.c.Q.). Les ententes tripartites sont ainsi assujetties au principe, énoncé à l’art. 1375 C.c.Q., selon lequel la bonne foi gouverne la conduite des parties lors de l’exécution d’un contrat. La bonne foi exige que toute partie contractante tienne compte des intérêts de son cocontractant dans l’exécution du contrat, mais elle ne lui demande pas de subordonner son propre intérêt à celui d’autrui dans l’exécution du contrat (Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25, par. 76; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 112-113, le juge Gascon, et par. 177, le juge Rowe, dissident, mais non sur ce point).
[10] Après analyse, j’estime que le refus du Québec de renégocier sa contribution financière lors du renouvellement des ententes — alors qu’il savait pourtant que le corps de police était sous-financé et qu’un retour aux services de la Sûreté du Québec (« SQ ») comporterait des risques pour la communauté — n’était pas conforme aux exigences de la bonne foi. Le comportement intransigeant du Québec, malgré la situation précaire de son cocontractant, constituait un abus de droit au regard de son droit de chercher le renouvellement du contrat, notamment par le biais de la clause de prorogation. Autrement dit, la conduite du Québec ne constituait pas un exercice raisonnable d’un droit, « tel qu’il est incarné dans la conduite d’une personne prudente et diligente » (Houle c. Banque canadienne nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122, p. 164; voir les art. 6 et 7 C.c.Q.). Il s’agit donc d’un fait générateur de responsabilité civile en application des règles habituelles du contrat énoncées au Livre cinquième du Code civil.
[11] Un deuxième constat d’ordre méthodologique démontre que l’honneur de la Couronne, principe de droit public ayant sa source dans les relations particulières avec les peuples autochtones, s’applique à l’exécution des engagements contractuels du Québec en l’espèce. Bien que l’art. 1376 C.c.Q. prévoie que le droit privé des obligations s’applique à l’État, il précise également que cet assujettissement se fait « sous réserve des autres règles de droit qui [lui] sont applicables ». Cette réserve énoncée à l’art. 1376 C.c.Q. renvoie implicitement à l’idée que les règles de la « common law publique » peuvent façonner un régime distinct de responsabilité pour l’État qui complète celui du Livre cinquième du Code civil (Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 46; voir aussi Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 58, le juge en chef Wagner et le juge Jamal, et par. 150, la juge Côté, dissidente, mais non sur ce point). Ces règles de common law publique peuvent certes restreindre l’étendue de la responsabilité de l’État, comme le font les immunités, mais elles peuvent aussi la moduler autrement, voire l’intensifier.
[12] Le principe de l’honneur de la Couronne, qui impose à l’État une norme de conduite élevée, constitue une telle règle de droit public qui peut, dans certains contextes, élargir le champ de la responsabilité étatique. Contrairement à la bonne foi, l’honneur de la Couronne ne s’applique pas à l’exécution de tout contrat et n’est pas une obligation contractuelle implicite. À titre de règle de common law issue de la relation sui generis entre la Couronne et les peuples autochtones, le principe de l’honneur de la Couronne est lui-même ancré dans l’objectif de réconciliation. En effet, il ne s’applique qu’à l’occasion de l’exécution des contrats entre l’État et les groupes autochtones qui visent à favoriser la réconciliation contemporaine des sociétés autochtones préexistantes avec l’affirmation historique de la souveraineté de la Couronne (voir R. c. Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 R.C.S. 533, par. 22). Une fois son application établie, le caractère obligatoire de l’honneur de la Couronne me semble être acquis : comme le juge Binnie l’a écrit dans le contexte d’un traité, « la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones » (Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 61). Dès lors, la tâche qui s’impose est d’identifier le critère juridique permettant, en l’espèce, de cerner des engagements contractuels qui « emporte[nt] l’application » de l’honneur de la Couronne, principe qui dictera leurs « modalités d’exécution » (Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623 (« MMF »), par. 73 (italique omis)).
[13] Pour ce qui est de ce critère, la jurisprudence appuie la proposition selon laquelle une obligation contractuelle de nature non constitutionnelle peut mettre en jeu l’honneur de la Couronne lorsqu’elle a trait à la spécificité autochtone et qu’elle touche à une revendication crédible d’un droit à l’autonomie gouvernementale par le créancier autochtone. À ce jour, la Cour ne s’est jamais prononcée sur la question de l’existence d’un droit à l’autonomie gouvernementale protégé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cependant, comme le montre la jurisprudence portant sur l’obligation de consulter, l’honneur de la Couronne peut donner naissance à des devoirs pour l’État, même en l’absence d’un droit établi protégé par le par. 35(1) (voir Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 35). Peu importe la voie qu’emprunte la Couronne pour favoriser le processus de réconciliation, qu’il s’agisse de la négociation de traités, de l’élaboration d’une loi, ou encore de la conclusion d’un contrat comme en l’espèce, le principe de l’honneur de la Couronne doit pouvoir s’appliquer dans les circonstances qui l’exigent, et selon les modalités de l’instrument qui le met en jeu.
[14] Dans les circonstances de l’espèce, une obligation d’agir honorablement et avec intégrité envers Pekuakamiulnuatsh Takuhikan s’impose au Québec et au Canada, parties contractantes, dans l’exécution des ententes tripartites. Ces ententes visent à faire avancer la réconciliation par l’établissement et le maintien d’un corps de police autochtone offrant des services culturellement adaptés, de qualité comparable à la norme applicable en la matière et dont la responsabilité administrative est confiée à une entité autochtone. Les ententes se rapportent à une revendication crédible, bien que non encore établie, du droit à l’autonomie en matière de services policiers. Comme l’a souligné le ministre qui a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi autorisant la conclusion de telles ententes en 1995, l’établissement et le maintien de corps de police gérés par des peuples autochtones s’inscrivent dans une démarche « leur assurant l’exercice du droit à l’autonomie au sein du Québec » (Journal des débats, vol. 34, no 19, 1re sess., 35e lég., 27 janvier 1995, p. 1252 (S. Ménard)).
[15] Puisque les ententes tripartites prévoyaient la renégociation de leurs clauses financières, la Couronne devait donc se comporter honorablement lors des négociations de renouvellement. Le refus obstiné du Québec de renégocier véritablement les conditions financières du contrat constitue non seulement une atteinte aux exigences de la bonne foi, mais aussi un manquement à l’obligation d’agir conformément à l’honneur de la Couronne, un principe de droit public qui s’appuie sur une norme plus exigeante que celle liée à l’obligation de bonne foi du droit privé. Je tiens à réitérer qu’il s’agit de deux fondements distincts l’un de l’autre. Comme je tâcherai de le démontrer, la violation d’une obligation découlant de l’honneur de la Couronne, indépendamment du manquement aux exigences de la bonne foi, justifie à elle seule de retenir la responsabilité du Québec.
[16] Quant à la réparation due en raison de ces manquements, il faut distinguer le remède approprié relativement à l’obligation de bonne foi du droit civil et celui associé à l’honneur de la Couronne qui relève du droit public. Tout comme les fondements distincts de la responsabilité auxquels ils renvoient, ces réparations de droit privé et de droit public reposent sur des conceptions distinctes de la justice — la justice corrective pour le manquement à l’obligation de bonne foi du droit commun des contrats et la justice axée sur la réconciliation pour le non-respect de l’honneur de la Couronne, principe de common law publique ayant une assise extérieure au Livre cinquième du Code civil.
[17] Une fois le non-respect des exigences de la bonne foi établi, le demandeur a encore le fardeau de démontrer l’étendue du préjudice que le comportement fautif du défendeur lui a causé selon les règles élémentaires du droit de la responsabilité civile fondées sur le principe de la restitutio in integrum, la restitution intégrale. Ici, l’évaluation des dommages-intérêts dus n’a pas été faite en première instance, étant donné que le juge n’a attribué aucune faute aux gouvernements du Canada et du Québec. À mon avis, un calcul exact des dommages‑intérêts doit être effectué, conformément aux principes de la justice corrective. Les dommages-intérêts octroyés ne doivent pas dépasser la somme nécessaire pour réparer intégralement le préjudice subi et replacer Pekuakamiulnuatsh Takuhikan dans la situation où il se serait trouvé, n’eût été l’entorse à la bonne foi commise lors des renégociations des ententes par les gouvernements du Canada et du Québec (voir les art. 1611 et suiv. C.c.Q.). Or, nous n’avons en l’espèce ni la preuve ni l’assise factuelle adéquates pour bien nous acquitter de cette tâche, notamment pour apprécier la pertinence des avenants et autres contributions supplémentaires qui, selon le Québec, sont pertinents pour l’évaluation des dommages-intérêts. Si ce n’était de la réclamation présentée sur la base du principe de l’honneur de la Couronne, j’aurais donc proposé de retourner le dossier en Cour supérieure pour procéder à l’évaluation des dommages-intérêts compensatoires, le tout en application de l’art. 46.1 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S-26.
[18] Toutefois, vu le fondement distinct de la responsabilité du Québec en droit public, la réparation visant à répondre à la violation de l’obligation de la Couronne d’exécuter les ententes honorablement se fait sur une autre base que la justice corrective. Ancrée dans la justice qu’il convient de qualifier de réconciliatrice, cette réparation ne cherche pas à compenser le demandeur autochtone lésé pour le préjudice subi pour le passé seulement. Elle sert ici avant tout à rétablir et à faire progresser la relation entre la Couronne et les peuples autochtones en vue de soutenir la réconciliation, un processus qui non seulement tient compte du passé, mais qui, également, « se poursuit au‑delà du règlement formel des revendications » (Nation haïda, par. 32). Dans la détermination d’une réparation convenable pour préserver l’honneur de la Couronne, notre Cour a récemment rappelé, sous la plume du juge Jamal, qu’il est important de faire preuve de [traduction] « créativité », tout en respectant un cadre juridique raisonné (Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27, par. 277, citant P. W. Hogg et L. Dougan, « The Honour of the Crown : Reshaping Canada’s Constitutional Law » (2016), 72 S.C.L.R. (2d) 291, p. 292). En l’espèce, j’estime que l’octroi de dommages-intérêts équivalents aux déficits mentionnés par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan est une mesure opportune qui permettra aux parties contractantes d’aborder les prochaines négociations sereinement. Le renvoi du dossier à la Cour supérieure me semblerait également contraire aux considérations de proportionnalité, lesquelles méritent une attention particulière en cas de manquement à une obligation découlant de l’honneur de la Couronne.
[19] Je propose donc de rejeter l’appel, avec dépens. Je rejetterais aussi, mais sans frais, la requête pour production de nouveaux éléments de preuve présentée par l’intimé, devenue théorique.
II. Contexte
A. Les parties aux ententes tripartites
[20] La Première Nation des Pekuakamiulnuatsh est établie à Mashteuiatsh sur la rive ouest du lac Saint-Jean, à proximité de Roberval. Selon les saisons, entre 2 000 et 4 000 personnes résident à Mashteuiatsh, sur un territoire d’environ 16 kilomètres carrés. Cette Première Nation est représentée par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, un conseil de bande au sens de la Loi sur les Indiens. C’est ce dernier qui a conclu des ententes tripartites avec le Canada et le Québec. Celles-ci visent l’établissement et le maintien d’un corps de police autochtone offrant des services culturellement adaptés à la communauté, la Sécurité publique de Mashteuiatsh (« SPM »).
[21] Pekuakamiulnuatsh Takuhikan est l’intimé aux présentes procédures. Bien que le Canada et le Québec aient tous deux été défendeurs en première instance et intimés en appel, seul le procureur général du Québec se pourvoit contre l’arrêt de la Cour d’appel. Ayant versé les sommes auxquelles cette dernière l’a condamné, le Canada ne participe au pourvoi qu’à titre d’intervenant.
B. La desserte policière dans les communautés autochtones
[22] Historiquement, la desserte policière dans les communautés autochtones du Canada a d’abord et avant tout été marquée par la méfiance de ces communautés envers les forces policières non autochtones. Comme on peut le lire dans le Rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics présidée par l’hon. Jacques Viens (2019) (« Commission Viens »), cette méfiance est un trait du traumatisme intergénérationnel résultant de la mise en œuvre de l’ancienne politique d’assimilation :
. . . au fur et à mesure que le Canada nouvellement créé a tracé les contours de son identité, les peuples autochtones ont vu leurs modes de vie radicalement transformés. Soumis à une multitude de nouvelles lois, les membres des Premières Nations se voient notamment confinés aux réserves, limités dans l’exercice de leurs droits de chasse et de pêche, forcés de renoncer à leur langue et à leur spiritualité et de cohabiter avec des compagnies privées (forestières, minières ou autres) qui peu à peu investissent le territoire. Dans un tel contexte, les policiers, gardiens de l’application des lois, sont vite devenus symboles de répression. La suite de l’histoire, incluant les pensionnats et l’intervention policière qui rend possible le retrait forcé des enfants de leur famille, viendra cristalliser cette perception et nourrir un profond sentiment de méfiance. [p. 273]
[23] Reprenant et faisant siens les propos d’un participant, la Commission Viens rapporte qu’au fil des ans, « cette méfiance et cette répression ont généré différentes crises qui ont amplifié davantage les tensions entre les Autochtones et la population en général, incluant les services policiers » (p. 274). Ces crises incluent notamment l’épisode de la « guerre du saumon » qui s’est déroulée à la fin des années 1970 et au début des années 1980, la crise d’Oka survenue une dizaine d’années plus tard et l’affaire de Val-d’Or, laquelle a révélé, en 2015, le mauvais traitement des femmes autochtones par des policiers de la SQ (p. 11 et 274).
[24] Un autre trait important de la desserte policière dans les communautés est le sous-financement des corps de police autochtones, « un problème majeur et documenté de longue date » (Commission Viens, p. 284). Le sous‑financement mine la qualité de la desserte policière sur le plan du nombre de policiers, de leur salaire, de leur recrutement, des équipements à leur disposition (qui peuvent être « désuets ou tout simplement insuffisants » (p. 288)), des installations policières et des services offerts. Dans certains cas, le sous-financement peut mener à une situation qui « représente [. . .] un danger pour la sécurité des personnes » (p. 289). Ce constat est exprimé de manière encore plus forte dans un rapport de 2010 qui est cité par la Cour d’appel et dans lequel on déclare que « la sécurité des Premières Nations est compromise par un manque de ressources à tous les égards : humaines, financières, matérielles » (2022 QCCA 1699, par. 115, citant N. Bergeron, L’autodétermination des services de police des Premières Nations au Québec : Rapport préliminaire (2010), p. 58-59).
C. L’encadrement de la conclusion d’ententes tripartites et leur mise en œuvre
(1) L’encadrement fédéral
[25] En 1986, le Canada met sur pied le Groupe d’étude sur le maintien de l’ordre dans les réserves indiennes. Dans son rapport final publié en 1990, ce groupe explique que les communautés autochtones du Canada n’ont pas accès à des services de police de même niveau ni de même qualité que ceux offerts aux autres collectivités (Rapport du maintien de l’ordre dans les réserves indiennes : rapport du groupe d’étude). Il exhorte les gouvernements fédéral et provinciaux à mieux collaborer afin d’offrir des services policiers de qualité aux populations autochtones et de favoriser davantage leur autonomie gouvernementale en matière de sécurité publique. Il invite le Canada à élaborer une politique cohérente fondée, notamment, sur le principe selon lequel les communautés autochtones « ont droit à des services policiers d’importance et de qualité comparables à ceux dont bénéficient les autres collectivités de la région, dont les circonstances géographiques sont semblables » (p. 22).
[26] Dans la foulée de ce rapport, le Canada adopte en 1991 la Politique sur la police des Premières nations (« Politique ») pour « que les Premières nations du Canada puissent bénéficier de services de police professionnels, efficaces, adaptés à leurs cultures et dont les responsables rendent compte aux populations locales » (p. 1). À cette fin, la Politique « permet au gouvernement fédéral, aux provinces, aux territoires et aux Premières nations de négocier des accords tripartites de manière à mettre sur pied des services de police qui répondent aux besoins de chaque collectivité » (ibid.). La Politique énonce en toutes lettres qu’elle constitue « un moyen de mettre en pratique la politique fédérale concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie » (p. 3, voir aussi les p. 1-2 et 4). Elle précise aussi que les services policiers ainsi rendus « devraient être égaux en qualité et en quantité aux services dont bénéficient les collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables » (p. 5).
[27] En ce qui a trait au financement, la Politique prévoit que, « [c]ompte tenu du partage des compétences, le gouvernement fédéral et les provinces devraient se partager [. . .] la contribution gouvernementale affectée aux services de police des Premières nations » (p. 7-8). Le gouvernement fédéral assume 52 p. 100 de la contribution et la province ou le territoire en assume 48 p. 100 (p. 8). Il sera aussi « demand[é] autant que possible aux collectivités des Premières [N]ations de payer une partie des coûts de leurs services de police, particulièrement en ce qui a trait aux services améliorés » (ibid.). Aux termes de la Politique, ces coûts sont déterminés selon ceux « engendrés par les services existant dans des collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables » (p. 9).
[28] La Politique est mise en œuvre par le biais du Programme des services de police des Premières Nations (« PSPPN »), programme lui-même régi par les Modalités de financement sous forme de contributions dans le cadre du Programme des services de police des Premières nations, 9 décembre 2015 (en ligne) (« Modalités »).
(2) L’encadrement propre au Québec
[29] À la suite de l’adoption de la Politique par le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec dépose le projet de loi 57 afin d’inclure dans la Loi de police, L.R.Q., c. P-13, des dispositions lui permettant de conclure, avec des communautés autochtones, des ententes visant à établir ou à maintenir des corps de police (voir la Loi modifiant la Loi de police et la Loi sur l’organisation policière en matière de police autochtone, L.Q. 1995, c. 12).
[30] La Loi de police a ainsi été modifiée afin d’y ajouter l’art. 79.0.1. Cet article énonçait que « [l]e gouvernement peut conclure, avec une communauté autochtone représentée par son conseil, une entente visant à établir ou à maintenir un corps de police dans un territoire déterminé dans l’entente », et précisait que « [l]e corps de police ainsi établi ou maintenu est, pendant la durée de l’entente, un corps de police aux fins de la présente loi. »
[31] En 2000, les dispositions portant sur les corps policiers autochtones sont intégrées, avec des modifications mineures, à la Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1 (« Loi »). L’article 79.0.1 de l’ancienne loi devient l’art. 90 de la Loi.
[32] La Loi prévoit que la SQ est tenue d’offrir des services policiers de niveau 6, soit le niveau le plus élevé, sur tout le territoire du Québec (art. 50 et 70, et ann. G). En particulier, la SQ doit fournir les services policiers de tous niveaux qui ne sont pas rendus ou ne peuvent être rendus par les corps de police municipaux, en collaboration avec ceux-ci (art. 50, 70 et 79).
[33] En ce qui a trait aux corps de police autochtones, au moment des faits, l’art. 90 de la Loi prévoyait que « [l]e gouvernement peut conclure, avec une ou plusieurs communautés autochtones, chacune étant représentée par son conseil de bande respectif, une entente visant à établir ou à maintenir un corps de police dans un territoire déterminé dans l’entente. » À cet égard, il convient de noter que l’emploi du terme permissif « peut » indique clairement que l’art. 90 conférait à l’État l’autorisation de conclure de telles ententes, sans toutefois lui en imposer l’obligation. Cet article, comme celui auquel il succède, précisait qu’un corps de police « ainsi établi ou maintenu est, pendant la durée de l’entente, un corps de police aux fins de la présente loi ».
[34] À l’époque des faits en litige, la Loi conférait à chaque corps de police autochtone la mission « de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique dans le territoire pour lequel il est établi, de prévenir et réprimer le crime ainsi que les infractions aux lois et aux règlements applicables sur ce territoire et d’en rechercher les auteurs » (art. 93). La correspondance entre cette mission et celle confiée par l’art. 48 de la Loi à tous les corps de police suggère que les corps de police autochtones constitués en vertu de la Loi doivent offrir des services d’une qualité similaire à ceux offerts à d’autres communautés, même s’ils n’ont pas à offrir tous les mêmes services (art. 72 al. 3).
[35] Les communautés autochtones qui ne concluent pas d’entente avec le Québec ou qui décident d’abolir leur corps de police sont desservies par la SQ en vertu de son mandat de police nationale, et ce, gratuitement.
(3) La mise en œuvre des ententes
[36] En 1996, une première entente tripartite visant l’établissement et le maintien de la SPM est conclue entre le Canada, le Québec et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Par la suite, le maintien de la SPM est assuré par la conclusion, sans interruption, d’ententes successives. Durant la période en litige (de 2013 à 2017), les ententes sont annuelles jusqu’en 2015‑2016, après quoi un avenant prolongeant de deux ans la dernière entente est signé.
[37] Aux termes des ententes, qui se ressemblent toutes et dont le contenu sera étudié en détail plus loin, le Canada et le Québec versent une contribution financière plafonnée à une « somme maximale ». L’intimé est responsable de la gestion administrative de la SPM ainsi que des déficits enregistrés, le cas échéant. De 2013 à 2017, il a été amené à assumer des déficits totalisant 1 599 469,95 $. Plus précisément, les déficits étaient de 214 288,08 $ en 2013-2014, de 1 225 336,87 $ en 2014-2015, de 137 629 $ en 2015-2016 et de 22 216 $ en 2016‑2017.
[38] Le 17 juillet 2014, une sentence arbitrale est rendue contre Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (d.a., vol. III, p. 121). Cette sentence, qui accorde une augmentation salariale rétroactive de 853 000 $ aux policiers de la SPM, explique le déficit particulièrement important enregistré au cours de l’exercice 2014-2015. Le Québec confirme que, « pour la période qui nous concerne », cette sentence arbitrale « avait causé la majorité, la plus grande partie du déficit » (transcription, jour 2, p. 57).
[39] À l’occasion, le Canada et le Québec accordent, séparément ou conjointement, une assistance additionnelle à l’intimé. Pour l’essentiel, cette aide est documentée dans la pièce DPGQ-21, un tableau que le Québec a déposé au tribunal quatre jours avant l’audience (d.a., vol. XIV, p. 132).
[40] Ainsi, le Québec s’est engagé en 2006 à payer un montant maximal de 743 208 $ afin d’aider Pekuakamiulnuatsh Takuhikan à relocaliser son poste de police. Ce montant représentait 48 p. 100 des coûts, le reste étant financé par l’intimé. Durant la période en litige, le Québec s’est aussi engagé à lui verser 125 000 $ dans le cadre de sa participation au programme de financement Prévention jeunesse, en plus d’autoriser des prêts de service d’agents-cadres de la SQ à la SPM. De plus, en 2014, le Canada et le Québec ont convenu d’accorder, de manière exceptionnelle, une somme maximale additionnelle de 284 514 $ à l’intimé, dont ils verseraient respectivement 52 p. 100 et 48 p. 100. Enfin, en 2016, l’intimé a conclu deux accords bilatéraux avec le Canada et le Québec aux termes desquels ceux-ci se sont engagés à lui verser une somme maximale additionnelle de 400 000 $ chacun afin d’assurer le maintien de la SPM.
[41] Plus récemment, au printemps 2018, les parties ont mené des négociations qui ont abouti à une offre de financement qui « représente une augmentation importante d’un peu plus de 35 % du financement versé en 2017-2018 dans le cadre de [l’ancienne] entente tripartite » (d.i., p. 343).
D. L’entente de principe de 2004 visant la conclusion d’un traité
[42] Dans sa quête d’autonomie gouvernementale, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a conclu avec le Canada et le Québec en 2004 une entente de principe (reproduite au d.i., p. 72) visant la conclusion d’un traité au sens des art. 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En particulier, l’entente de principe stipule que l’autonomie gouvernementale « est comprise parmi les droits ancestraux des Premières Nations » (art. 3.3.3). Elle prévoit aussi que « [l]es assemblées législatives des Premières Nations pourront adopter des lois pour constituer, maintenir et organiser des corps de police » (art. 9.4.1). À ce jour, l’intimé n’a conclu aucun traité avec le Canada et le Québec en vertu de cette entente de principe. Les parties sont ainsi « dans [un] contexte particulier de transition vers l’établissement d’une nouvelle relation » (Entente transitoire pour le maintien de la prestation des services policiers dans la communauté de Mashteuiatsh (2016), préambule, reproduite au d.a., vol. XI, p. 23).
E. La demande introductive d’instance modifiée et les réponses
[43] Dans sa demande introductive d’instance modifiée (« DIIM »), Pekuakamiulnuatsh Takuhikan réclame le remboursement des déficits accumulés par la SPM pour la période allant du 1er avril 2013 au 1er décembre 2017. Il précise que, en raison de l’engagement du Canada et du Québec d’« assumer 100 % » du financement de la SPM, il est justifié d’exiger le remboursement de l’entièreté des déficits enregistrés durant cette période, soit 1 599 469,95 $ (DIIM, par. 83-84).
[44] À l’appui de sa demande, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan allègue que le Canada et le Québec « ont manqué à leurs obligations de négocier de bonne foi, d’agir avec honneur et de remplir leurs obligations de fiduciaire à l’égard de la Première Nation [. . .] dans le maintien et le financement des services policiers pour le territoire de Mashteuiatsh » (DIIM, par. 11). En particulier, il prétend que le libellé et le contenu des ententes lui « ont été imposés » dans un contexte où il ne disposait d’aucun « véritable pouvoir de négociation » et d’aucune véritable alternative (par. 33). De plus, le Canada et le Québec ont « reconduit et conclu impunément les Ententes tripartites sachant que les budgets et les financements y étant prévus ne correspond[aient] pas aux coûts réels des services policiers de Mashteuiatsh sans prendre quelque mesure que ce soit à l’égard de ces écarts budgétaires » (par. 57).
[45] En défense, le Canada et le Québec nient tout manquement à leurs obligations et nient toute responsabilité pour les déficits accumulés.
[46] Faisant écho aux arguments du Canada, le Québec reconnaît que la province savait que les budgets et le financement prévus aux ententes tripartites ne correspondaient pas aux coûts réels des services policiers de Mashteuiatsh. Le Québec nie, toutefois, qu’il a imposé les ententes à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, fixé la hauteur de sa contribution financière de manière unilatérale et arbitraire ou pris l’engagement de financer entièrement la SPM de concert avec le Canada. Le Québec nie aussi toute mauvaise foi. À cet égard, il souligne que ses représentants « ont été à l’écoute des doléances [de l’intimé], ont échangé avec honnêteté et ont agi dans la mesure de leurs pouvoirs », et ont aussi acquiescé à plusieurs de ses demandes, lui versant des sommes supplémentaires à plusieurs reprises (d.a., vol. I, p. 176, par. 81). Par conséquent, le Québec dit s’être acquitté de ses obligations contractuelles. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan aurait pris la décision de renouveler les ententes in extremis année après année et ne peut reprocher au Québec de l’avoir placé dans une situation de précarité quant à leur conclusion. Par ailleurs, le Québec conteste le montant réclamé à titre de déficit accumulé, affirmant qu’il n’est « pas réconciliable » avec les états financiers de l’intimé (par. 101). Pour ce qui est des recours de droit public, le Québec soutient qu’il n’avait aucune obligation fiduciaire et aucune obligation découlant de l’honneur de la Couronne envers Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Subsidiairement, il maintient qu’il a toujours agi avec honneur dans ses rapports avec ce dernier.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure du Québec, 2019 QCCS 5699 (le juge Dufresne)
[47] Avant le procès, la juge Bouchard de la Cour supérieure rejette les moyens d’irrecevabilité soulevés par le Canada et le Québec, expliquant que le recours soulève de nouvelles questions de droit ayant trait à l’honneur de la Couronne que le tribunal ne peut trancher sans qu’une preuve ne soit administrée. Il en va de même pour l’argument de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan selon lequel il a acquiescé aux ententes tripartites sans avoir un choix véritable (voir 2017 QCCS 4787, par. 41 et suiv.).
[48] Statuant sur le fond, le juge de première instance (le juge Dufresne) rejette la réclamation, écartant les allégations que le Canada et le Québec ont manqué à la bonne foi, aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne ou à toute obligation fiduciaire.
[49] Le juge de première instance accueille l’objection à la preuve présentée par le Canada et le Québec. À son avis, les pièces visées par l’objection, qui décrivent des généralités sur les rapports entre les forces policières non autochtones et les communautés autochtones, ne sont pas pertinentes aux questions en litige (par. 53).
[50] Il amorce ensuite son analyse par un survol des principes généraux du droit des obligations, soulignant notamment que la bonne foi s’applique « à toute étape de la négociation contractuelle, de l’exécution du contrat et de sa terminaison » (par. 55). Quant aux termes des ententes, le juge statue que la clause d’intégralité interdit de définir le niveau de service financé en fonction du PSPPN. Il note que d’autres clauses prévoient que les contributions financières du Canada et du Québec sont des « sommes maximales » et que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan est responsable des déficits engendrés par l’administration de ce corps de police, le cas échéant. Cela l’amène à rejeter l’allégation suivant laquelle les gouvernements fédéral et provincial ont contrevenu à l’obligation d’« assumer 100 % » des coûts de la SPM (par. 61, citant la DIIM, par. 84).
[51] De l’avis du juge, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan s’est engagé en toute liberté et en sachant que le financement offert par les gouvernements du Canada et du Québec était insuffisant. De même, il conclut que la preuve « ne supporte pas les allégations de mauvaise foi », soulignant que « [l]a transparence est plutôt présente dans chaque communication » (par. 72).
[52] Revenant sur les fondements de droit public du recours, le juge rejette d’abord l’idée que les ententes aient engendré des obligations fiduciaires, expliquant notamment que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan n’a identifié aucun intérêt autochtone collectif particulier à l’égard duquel le Canada et le Québec auraient exercé un pouvoir discrétionnaire. Il conclut que l’honneur de la Couronne n’emporte aucune obligation pour ces derniers en l’espèce, car ce principe est seulement susceptible d’en faire naître dans des contextes limités découlant de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[53] Ayant écarté la bonne foi, les obligations fiduciaires et l’honneur de la Couronne comme fondements de la réclamation, le juge conclut ses motifs en donnant « plein effet aux ententes tripartites », rejetant le recours du demandeur (par. 88). S’il avait conclu autrement, il aurait déduit 400 000 $ de la condamnation du Québec en raison de l’aide d’appoint du même montant que celui-ci a accordé à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan en 2016 afin d’assurer le maintien de la SPM.
B. Cour d’appel du Québec, 2022 QCCA 1699 (les juges Bich, Bouchard et Ruel)
[54] La Cour d’appel fait droit à l’appel de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, exprimant l’avis que le juge s’est mépris dans son analyse des moyens de droit privé et de droit public invoqués dans la demande introductive d’instance modifiée. Elle infirme le jugement de première instance et condamne les gouvernements du Canada et du Québec à lui payer respectivement 832 724,37 $ et 767 745,58 $, sommes correspondant aux déficits accumulés, avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle. Les juges Bich et Bouchard rédigent chacun des motifs distincts, ayant reçu, de part et d’autre, l’assentiment exprès des trois juges de la formation de la Cour.
(1) Le juge Bouchard, avec l’accord des juges Bich et Ruel
[55] Pour le juge Bouchard, le juge de première instance a erré en maintenant l’objection à la preuve au motif que les pièces contestées n’étaient pas pertinentes à l’égard du litige. Faisant notamment état de l’insuffisance du financement des corps de police autochtones et de la méfiance légitime des communautés autochtones envers les corps policiers non autochtones, il souligne qu’elles « avaient [. . .] pour but de contextualiser » l’allégation de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan suivant laquelle les gouvernements du Canada et du Québec ont manqué à leurs obligations constitutionnelles (par. 64). À cet égard, les pièces étaient pertinentes pour l’analyse de la responsabilité.
[56] Par la suite, le juge Bouchard retient que l’honneur de la Couronne est ici en jeu, et décide donc qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si le Canada et le Québec avaient, en plus, des obligations fiduciaires. À son avis, les gouvernements — le Canada, en adoptant sa Politique; et le Québec, en acceptant de participer au PSPPN — « se sont solennellement engagés à financer les services de police de [Pekuakamiulnuatsh Takuhikan], “à un niveau comparable à celui des collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables” », un engagement qui s’inscrit « dans un objectif d’aide aux Premières Nations en vue de leur permettre d’acquérir les moyens d’atteindre l’autosuffisance et l’autonomie gouvernementale, un objet visé à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (par. 74). Le juge de première instance a donc fait erreur en se limitant au texte des ententes pour trancher le litige.
[57] Le juge Bouchard se penche sur le moyen invoqué par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan selon lequel les gouvernements du Canada et du Québec n’ont pas agi avec honneur en ce qu’ils ont « maintenu et renouvelé » les ententes sur la base de budgets arbitraires et inadéquats (par. 80). Le juge Bouchard conclut que les gouvernements du Canada et du Québec devaient financer le corps de police « de manière à permettre une prestation de services de même qualité que celle offerte aux non-autochtones » (par. 118). En ne le faisant pas, ils ont imposé à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan un dilemme intenable, soit celui de choisir entre les services inadaptés mais gratuits de la SQ et les services convenablement adaptés mais sous-financés et de moindre qualité de la SPM. Le juge Bouchard qualifie cette conduite gouvernementale de déshonorante, concluant que les gouvernements sont demeurés « sourds aux doléances » de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (par. 124). Par conséquent, il propose de condamner le Canada et le Québec aux montants se rapportant à leur quote-part des déficits réclamés.
(2) La juge Bich, avec l’accord des juges Bouchard et Ruel
[58] Souscrivant « sans réserve » aux motifs du juge Bouchard (par. 126), la juge Bich rédige des motifs expliquant qu’au regard du droit privé des obligations, la démonstration de son collègue mène à un constat d’abus de droit contractuel.
[59] Pour la juge Bich, les obligations découlant de l’honneur de la Couronne, un principe constitutionnel, s’appliquent à l’État en vertu de l’art. 1376 C.c.Q. Ces obligations, qui ont force de loi, s’intègrent au contenu obligationnel des ententes par l’effet de l’art. 1434 C.c.Q. Elle est d’avis que « l’État qui contracte avec une personne ou entité autochtone doit à tous égards le faire d’une manière respectueuse de l’honneur de la Couronne », l’État étant ainsi astreint « à un standard de conduite, au sens des art. 6, 7 et 1375 C.c.Q., plus élevé que celui du contractant ordinaire » (par. 130). Ce principe constitutionnel, écrit-elle, « s’enchâsse dans ses obligations contractuelles » (ibid.). Un comportement contractuel qui n’est pas conforme à cette obligation constitutionnelle « pourra donc donner prise à un constat d’abus civil » (ibid.).
[60] Le comportement que le juge Bouchard a identifié mène à un pareil constat d’abus « en enfermant [Pekuakamiulnuatsh Takuhikan] dans une relation contractuelle financièrement insoutenable » (par. 131). Les gouvernements du Canada et du Québec ont fait preuve d’un abus de droit au sens des art. 6 et 7 C.c.Q. « qui découle de la violation de leur obligation d’agir honorablement, laquelle se trouvait incluse dans les accords contractuels en cause » (par. 138). En particulier, ils ont adopté un « comportement contractuel objectivement déraisonnable » en créant de fausses attentes ou faisant montre d’indifférence à l’endroit des intérêts de leur cocontractant (par. 139).
[61] La juge Bich conclut que les déficits constituent une mesure appropriée du préjudice occasionné par cet abus. Une condamnation à des dommages-intérêts correspondant aux déficits enregistrés par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan dans l’administration de la SPM serait « une réparation juste et convenable » (par. 140).
IV. Moyens des parties et questions en litige
[62] Les moyens invoqués par les parties traitent tous de la portée des obligations du Québec et de la manière dont ses engagements contractuels ont été exécutés.
[63] Pour le Québec, l’interprétation que le juge de première instance a faite des ententes tripartites est juste et elle mérite déférence en appel. L’engagement des gouvernements du Canada et du Québec a toujours été de financer la SPM conformément aux conditions prévues par les ententes, et non de le faire « à 100 pour cent » (transcription, jour 1, p. 20, 23 et 38; voir aussi le m.a., par. 58 et 98). Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, pour sa part, considère que leur engagement ne se limitait pas à verser les sommes prévues aux ententes, mais consistait plutôt « à établir et maintenir un corps de police autochtone professionnel, efficace et culturellement adapté » (m.i., par. 43; voir aussi le par. 86).
[64] Sur le plan de la responsabilité civile contractuelle, le Québec reconnaît qu’il devait s’acquitter de ses engagements de bonne foi, une obligation qui s’attache à tout contrat. Le Québec plaide toutefois que le juge de première instance a statué qu’il n’a pas contrevenu aux devoirs qui en découlent et, là encore, cette détermination factuelle n’est entachée d’aucune erreur révisable. À son avis, la Cour d’appel a erré en se fondant sur la Politique fédérale, en ne faisant pas preuve de déférence envers la conclusion du juge de première instance portant que le Québec a agi de bonne foi et en concluant à un abus de droit sans identifier le droit dont celui-ci aurait abusé. Quant à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, il fait sienne l’analyse de la juge Bich selon laquelle la conduite du Québec, qui a témoigné une indifférence envers les intérêts de la communauté autochtone, est fautive et constitue un abus de droit. Il précise que, malgré la précarité du financement — qui était bien connue des gouvernements du Canada et du Québec — le processus de renouvellement des ententes tripartites ne laissait place à aucune négociation. Cette fin de non-recevoir des gouvernements le plaçait devant un « faux choix » : soit il acceptait un renouvellement sans possibilité de négociation, s’enfonçant encore plus loin dans les déficits, soit il renonçait au maintien de la SPM et s’en remettait aux services mal adaptés de la SQ (m.i., par. 99 (italique omis)).
[65] Pour ce qui est du fondement de droit public, le Québec plaide qu’il n’a manqué à aucune obligation lui incombant. Il soutient que les ententes tripartites ne donnaient lieu à aucune obligation découlant de l’honneur de la Couronne et à aucune obligation fiduciaire. Le Québec renouvelle sa demande d’écarter des pièces sur lesquelles la Cour d’appel s’est fiée à cet égard, les qualifiant de non pertinentes dans le cadre du litige. Plus précisément, ajoute-t-il, l’honneur de la Couronne est seulement mis en jeu dans des situations qui se rapportent à des droits ou des intérêts propres aux peuples autochtones et lorsqu’il est question de concilier la préexistence de sociétés autochtones avec l’affirmation de souveraineté de la Couronne, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Advenant que l’honneur de la Couronne trouve application, le Québec plaide subsidiairement qu’il s’est acquitté des obligations qui en découlent.
[66] Sur ce point, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan répond que, lors de l’exécution des engagements contractuels, le Québec était tenu à des obligations découlant de l’honneur de la Couronne ainsi qu’à des obligations fiduciaires. En particulier, il plaide que le Québec, qui lui a fait des offres de financement unilatérales et arbitraires ne laissant pas place à de véritables négociations et ne tenant pas compte des coûts réels de la SPM, n’a pas agi avec honneur et intégrité quand venait le temps de renouveler les ententes. Ce faisant, le Québec, qui voulait assurer le maintien de la SPM, l’a forcé à assumer une part importante de ses coûts, en bénéficiant des sommes affectées par le gouvernement fédéral au PSPPN. C’est une conduite déshonorante.
[67] Se tournant vers la question du remède, le Québec reconnaît que, s’il a commis une faute contractuelle, la condamnation au paiement de dommages-intérêts peut être une réparation appropriée. Il considère toutefois que la Cour d’appel a « fait preuve d’arbitraire » en fixant le montant des dommages-intérêts à hauteur des déficits accumulés « sans plus d’explications » (m.a., par. 127). Advenant que la condamnation au paiement de dommages-intérêts soit confirmée, le Québec est donc d’avis qu’il y aurait lieu de renvoyer le dossier à la Cour supérieure pour qu’elle en fixe le montant conformément aux principes applicables et en tenant compte de toute la preuve, dont les avenants et contributions financières supplémentaires fournies par le Québec. De l’avis de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, tant les règles de droit public que celles de droit civil « justifient le remboursement des déficits » accumulés et le Québec doit en assumer sa part, c’est-à-dire 48 p. 100, comme a statué la Cour d’appel (m.i., par. 149). Il convient donc, dit-il, de rejeter l’appel plutôt que de renvoyer le dossier à la Cour supérieure.
[68] L’intimé a présenté une requête pour produire de nouveaux éléments de preuve, plus précisément un document intitulé Rapport 3 — Le Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits : rapport de l’auditeur indépendant (Bureau du vérificateur général du Canada (2024)). Cette preuve, dit l’intimé, mettrait en contexte ses arguments constitutionnels en soulignant les lacunes de la Politique fédérale. Déférée à la formation par une juge de la Cour, la requête est contestée par le Québec qui met en cause la pertinence de la preuve.
[69] À la lumière de ces moyens, il convient d’abord de bien cerner les engagements contractuels du Québec consacrés dans les ententes tripartites en vigueur au cours de la période en litige. Ensuite, nous devons répondre aux deux questions principales qui façonnent le débat devant la Cour :
A. Lors de l’exécution des engagements contractuels qu’il a pris envers Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, le Québec a-t-il manqué (i) aux exigences de la bonne foi ou (ii) aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne, advenant que ce dernier trouve application?
B. Quelle est la réparation appropriée, pour l’un et l’autre de ces manquements, le cas échéant?
[70] Je tiens à souligner que la responsabilité de la Couronne au regard d’un contrat conclu avec une entité autochtone et régi par la common law au Canada s’analyserait suivant cette même démarche comportant deux volets distincts, indépendants l’un de l’autre, c’est-à-dire la responsabilité fondée sur le droit privé et la responsabilité fondée sur le droit public. Bien entendu, l’analyse de droit privé relative aux exigences de la bonne foi lors de l’exécution d’un tel contrat serait dictée par les principes de common law pertinents (voir notamment Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 65-66). En revanche, parce que les obligations découlant de l’honneur de la Couronne sont ancrées dans le droit public, l’analyse de la responsabilité de la Couronne, quant à ce deuxième volet distinct, procéderait de façon similaire à celle présentée en l’espèce : [traduction] « Il n’y a qu’un seul honneur qui lie la Couronne . . . » (R. Mainville, An Overview of Aboriginal and Treaty Rights and Compensation for Their Breach (2001), p. 115).
V. Analyse
Introduction : Les engagements contractuels souscrits dans les ententes tripartites
[71] Il convient de préciser, au regard des termes des ententes, la portée des engagements de chaque partie avant de décider si le Québec a manqué aux exigences de la bonne foi et aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne dans l’exécution des ententes.
[72] Selon le Québec, le régime mis en place par la Loi sur la police « se concrétise par le biais des ententes intervenues » (m.a., par. 54). Ces ententes démontrent qu’il s’est « engagé à contribuer financièrement à l’établissement et au maintien d’un corps de police par [Pekuakamiulnuatsh Takuhikan], et ce, à la hauteur des montants prévus aux ententes et dans le respect du mandat dévolu aux autres corps de police par la [Loi] » (par. 58). Par contre, il ne s’est jamais engagé à financer la SPM « à 100 pour cent » (transcription, jour 1, p. 20, 23 et 38), et la Politique fédérale, qui n’a pas force de loi, ne crée pas d’obligations pour le Québec.
[73] Pour sa part, l’intimé prétend que le Québec donne une « interprétation restrictive » de l’engagement qu’il a pris (m.i., par. 6). Il ancre sa propre analyse de l’engagement du Québec dans « la responsabilité de l’État à assurer la sécurité des citoyens » (par. 43) et les débats parlementaires qui ont entouré l’adoption de la première mouture de ce qui est maintenant l’art. 90 de la Loi (par. 49 et 84). En ce qui concerne la Politique fédérale, il explique que « les actions [du Québec] concernant l’établissement de la SPM se sont faites de façon concertée avec la mise en œuvre de la politique fédérale, faisant en sorte que [le Québec] a implicitement adhéré au PSPPN et à ses modalités » (par. 78). Pour ces raisons, il soutient que l’engagement du Québec « ne se limite pas aux termes des ententes tripartites » (par. 86).
[74] Dans les faits, quel engagement le Québec a-t-il pris envers Pekuakamiulnuatsh Takuhikan en concluant les ententes tripartites couvrant la période 2013 à 2017?
[75] Soulignons d’abord que les engagements du Québec sont d’ordre contractuel. Les ententes tripartites ont été conclues en vertu des dispositions de la Loi autorisant le gouvernement — sans pour autant en faire une obligation législative — à « conclure, avec une ou plusieurs communautés autochtones, [. . .] une entente visant à établir ou à maintenir un corps de police dans un territoire déterminé dans l’entente » (Loi, art. 90). Cet article a été ajouté à la Loi en 1995 afin de permettre aux communautés autochtones « d’avoir et de contrôler, dans le cadre d’ententes avec le gouvernement, des institutions qui correspondent à leurs besoins » (Journal des débats, p. 1252 (S. Ménard)).
[76] Je me tourne maintenant vers le texte de ces ententes, qui sont toutes semblables et fondées sur le même cadre général. À l’instar des parties et de la Cour d’appel, je me réfère à l’entente 2015-2016 (reproduite au d.a., vol. III, p. 58) afin d’illustrer mon propos, bien qu’il existe des variations mineures d’une entente à l’autre.
[77] D’emblée, je note la présence d’une clause d’intégralité. L’entente, y compris son préambule et certaines annexes, « constitue l’intégralité des engagements et responsabilités des parties » (cl. 1.1). À moins d’indication contraire prévue ailleurs dans l’entente, cette clause s’oppose à ce que la Politique et les Modalités fédérales soient considérées comme en faisant partie, et donc comme liant le Québec. La seule indication contraire se trouve dans le troisième attendu du préambule, mais le Québec n’y est pas mentionné.
[78] L’objet de l’entente se dessine au regard du préambule et de la disposition d’objet, que je reproduis ci-dessous :
ATTENDU QUE les parties s’entendent sur l’importance, pour le Conseil de fournir à la communauté de Mashteuiatsh (ci-après appelée « la communauté ») des services policiers professionnels, dédiés et adaptés à ses besoins et à sa culture, conformément aux lois et aux règlements applicables;
ATTENDU QUE, dans le respect de leurs compétences respectives, le Canada et le Québec souhaitent apporter un soutien financier, pour les dépenses encourues par le Conseil aux fins de l’établissement et du maintien des services policiers pour desservir la communauté;
ET ATTENDU QUE le Canada fournit sa part de la contribution financière prévue dans la présente entente, conformément au Programme des services de police des Premières nations (PSPPN), et dans le respect des politiques et des modalités qui y sont rattachées.
. . .
1.5 OBJECTIFS DE L’ENTENTE
Les objectifs de la présente entente sont les suivants :
a) établir et maintenir le « Corps de police de Mashteuiatsh » (ci-après désigné « corps de police ») qui sera chargé d’assurer, en conformité avec la Loi sur la police (RLRQ, chapitre P-13.1), la prestation des services policiers dans la communauté;
b) établir une contribution du Canada et du Québec au financement de la prestation des services policiers visés par la présente entente.
[79] Ces extraits révèlent que l’entente a pour objet d’« établir et maintenir le “Corps de police de Mashteuiatsh” » (cl. 1.5a)) afin que celui-ci offre à la communauté « des services policiers professionnels, dédiés et adaptés à ses besoins et à sa culture, conformément aux lois et aux règlements applicables » (préambule, premier attendu; voir aussi la cl. 2.9.2).
[80] L’accomplissement de cet objet est assuré par l’atteinte du but que dessine la clause 1.5b), c’est-à-dire « établir une contribution du Canada et du Québec au financement de la prestation des services policiers visés par la présente entente ». Cette contribution constitue « un soutien financier, pour les dépenses encourues par [Pekuakamiulnuatsh Takuhikan] aux fins de l’établissement et du maintien des services policiers pour desservir la communauté » (préambule, deuxième attendu). Cet objet dépend évidemment du premier : pour qu’il y ait un corps de police à financer, il faut, évidemment, qu’un corps de police soit établi ou maintenu.
[81] L’objet d’assurer le maintien de la SPM se concrétise aussi par une série d’obligations qui incombent à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Aux termes de l’entente, ce dernier est « responsable de la gestion administrative » de la SPM et « pourvoit à son organisation » (cl. 2.1.3). Il est, par exemple, l’employeur des membres de la SPM, de son directeur et du personnel de soutien (cl. 2.1.3 et 2.3). Il doit prévoir la manière de gérer les allégations criminelles portées contre eux et adopter un règlement relatif à la discipline interne (cl. 2.7 et 2.8). Il peut aussi établir des politiques et procédures internes de gestion administrative de la SPM (cl. 2.1.4).
[82] La SPM est un corps de police au sens de la Loi (cl. 2.1.1). Elle doit s’acquitter de la mission que l’art. 93 de la Loi assigne aux corps de police autochtones, cela dans le respect de son règlement de discipline interne, du Code de déontologie des policiers du Québec, RLRQ, c. P-13.1, r. 1, et de l’art. 48 al. 2 de la Loi, qui précise notamment que « [d]ans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent » (cl. 2.2.1, 2.2.2 et 2.7.1). La SPM est plus particulièrement responsable « d’assurer une présence policière permettant de donner suite, dans un délai raisonnable, aux demandes d’aide qui lui sont adressées » (cl. 2.2.2a)). En plus, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a des obligations en matière d’installations et d’équipements policiers; par exemple, il fournit l’équipement nécessaire à la prestation de ces services, assumant le coût de son entretien et assurant son remplacement (cl. 3.2 et 3.3).
[83] L’entente prévoit que le Québec et le Canada doivent contribuer au financement de la SPM. Elle fixe la « somme maximale » des coûts afférents aux services policiers qu’ils financent :
4.2.1 La somme maximale des coûts afférents aux services policiers financés par le Canada et par le Québec est établie :
a) par exercice financier débutant le 1er avril d’une année civile et se terminant le 31 mars de l’année civile subséquente; et,
b) selon le budget figurant à l’annexe « A » de la présente entente, à 1 226 750 $ pour l’exercice financier 2015-2016.
[84] Cette somme peut varier d’une entente à l’autre et être réduite si d’autres fonds gouvernementaux concourent à la réalisation de l’objet de l’entente (cl. 4.7.2). Il s’agit toutefois d’une « contributio[n] fermé[e] », pour employer l’expression du juge Bouchard (motifs de la C.A., par. 21). Les fonds doivent être dépensés conformément aux règles d’affectation prévues à l’entente (ann. A; voir aussi les cl. 4.2.3 à 4.2.7 et 4.6). Pekuakamiulnuatsh Takuhikan est redevable de ce qui n’a pas été dépensé (cl. 4.3.5).
[85] Le Canada et le Québec se partagent la responsabilité de la contribution gouvernementale suivant un ratio de 52 p. 100 pour le Canada et 48 p. 100 pour le Québec (cl. 4.2.2). Le versement de leur contribution respective est conditionnel à l’existence du crédit annuel requis (cl. 4.3.2, 4.3.3 et 4.4.1). En cas d’insuffisance des crédits, les gouvernements du Canada et du Québec peuvent diminuer leur financement ou résilier l’entente (cl. 4.4.2). Advenant une réduction du financement, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan peut lui-même résilier l’entente (cl. 4.4.3).
[86] La clause 4.5.2 est une stipulation qui divise les parties : elle prévoit que l’intimé « est responsable, le cas échéant, des déficits budgétaires encourus au cours d’un exercice financier » et elle précise qu’un déficit « ne peut être reporté au prochain exercice financier ». Ainsi, selon le texte des ententes, la contribution des gouvernements du Canada et du Québec est plafonnée et, si les coûts de la SPM sont supérieurs, il appartient à l’intimé de payer la différence.
[87] Bien que l’entente 2015-2016 soit d’une durée d’un an, son contenu révèle qu’elle envisage une relation contractuelle à long terme qui, rappelons-le, dure depuis l’entente initiale de 1996, celle-ci ayant été renouvelée par la conclusion d’une série ininterrompue d’ententes de durée variable. Il va de soi que le maintien d’un corps de police, avec le personnel, les infrastructures et les équipements afférents, est, par sa nature même, un projet qui s’inscrit dans le long terme.
[88] Aussi l’entente prévoit-elle expressément que « [s]i des fonds [. . .] reçus par [Pekuakamiulnuatsh Takuhikan] sous une entente précédente [. . .] n’ont pas été dépensés », le Canada et le Québec peuvent l’autoriser « à conserver ce montant comme paiement partiel de leurs obligations respectives », c’est-à-dire comme versement partiel d’une contribution due aux termes d’une entente subséquente (cl. 4.3.5 et 4.3.6).
[89] De même, plusieurs clauses évoquent l’idée que l’entente, pourtant annuelle, puisse s’échelonner sur plusieurs exercices financiers d’une durée d’un an chacun. Plus particulièrement, certaines clauses emploient les expressions « chaque exercice financier » (cl. 3.2.2, 4.2.2, 4.9.1, 4.9.2 et 4.13.2), « un exercice financier » (cl. 4.2.5 et 4.9.3), « cet exercice financier » (cl. 4.2.5) et « dernier exercice financier couvert » (cl. 4.10.1). De même, la clause 4.3.1, qui porte sur les états des flux de trésorerie, traite de « chaque exercice financier », du « seul ou du premier exercice financier », de « l’exercice financier concerné » et d’un « exercice financier subséquent ». Enfin, la clause 4.5.2 dispose expressément que les déficits budgétaires encourus au cours « d’un exercice financier » ne peuvent être reportés « au prochain exercice financier ».
[90] Ces différentes dispositions impliquent qu’il puisse y avoir plusieurs exercices financiers, et donc que l’entente puisse se prêter à un renouvellement, tant qu’aucune partie ne choisit de se prévaloir de la clause de résiliation. Cette dernière accorde une large latitude aux parties, notamment en stipulant que « [l]’entente peut être résiliée dans l’une ou l’autre des situations suivantes : [. . .] d) par l’une ou l’autre des parties, en tout temps, même en l’absence d’un défaut par une autre partie » (cl. 6.6.1).
[91] La clause 6.10.2 précise comment une entente peut être prorogée afin d’en permettre le renouvellement par la conclusion d’une « nouvelle entente » :
6.10.2 Toutefois, si avant le 31 mars 2016, les parties conviennent expressément, par avis écrit envoyé aux autres parties, de maintenir les dispositions de la présente entente, ces dernières, à l’exception des articles portant sur le financement énoncé à la partie IV, demeureront en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle entente sur la prestation des services policiers soit conclue. Cependant, si une telle entente n’a pas été conclue avant le 31 mars 2017, les dispositions de la présente entente seront échues.
[92] En évoquant la conclusion de nouvelles ententes, cette clause tend à démontrer que chaque entente individuelle se situe dans le contexte d’une relation à long terme, ponctuée par une série d’ententes successives conclues en vue d’assurer le maintien du corps de police au-delà de la durée de chaque entente. Par ailleurs, puisque les avis de prorogation n’ont pas pour effet de prolonger les dispositions relatives au financement, la décision de proroger une entente annuelle implique qu’au moment de la conclusion d’une « nouvelle entente », les parties doivent renégocier les dispositions relatives au financement. La clause 6.10.2 emporte donc l’obligation de négocier les conditions financières, mais uniquement dans l’éventualité où les parties décident de poursuivre leur relation contractuelle, puisqu’elles sont en tout temps libres d’y mettre fin.
[93] Mentionnons que l’entente comprend par ailleurs, au chapitre des dispositions interprétatives, une clause d’assujettissement au droit québécois, une clause de divisibilité et une clause qui en fixe la portée juridique. Conformément à cette dernière, l’entente n’a pas d’effet sur les droits ancestraux ou issus de traités et ne doit pas être interprétée comme constituant un accord ou un traité au sens de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (cl. 1.2, 1.3 et 1.4).
[94] En conclusion, le Québec s’est engagé par contrat auprès de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan à l’aider à établir, puis à maintenir, par le biais notamment de contributions financières limitées, un corps de police offrant ses services à la communauté de Mashteuiatsh. Les termes des ententes révèlent que cet engagement envisage une relation à long terme, durant laquelle le financement du corps de police sera réévalué et renégocié avant la conclusion de chaque nouvelle entente.
[95] Maintenant que les engagements contractuels ont été exposés, il convient de déterminer si le Québec les a exécutés dans le respect des exigences de la bonne foi et des obligations découlant de l’honneur de la Couronne, si ce principe était effectivement en jeu.
A. Les fondements de la responsabilité du Québec
(1) La bonne foi, source d’obligations de droit privé
[96] Le Québec invite la Cour à trancher le pourvoi sur le fondement du régime de la responsabilité contractuelle, comme l’a fait la Cour supérieure. Il s’appuie avant tout sur le principe de la force obligatoire du contrat et soutient que les dispositions des ententes tripartites portant sur le financement sont claires : conformément aux clauses 4.2.1 et 4.5.2, les gouvernements du Canada et du Québec se sont engagés à financer les coûts du corps de police autochtone jusqu’à concurrence d’une « somme maximale », et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a accepté la responsabilité pour tout déficit enregistré lors de chaque exercice financier annuel. Selon le Québec, le juge a eu raison de statuer que « [l]e contrat est la loi des parties » et, compte tenu de l’absence d’ambiguïté exigeant un exercice d’interprétation des termes librement choisis, de « donner plein effet aux ententes tripartites » en vue de rejeter le recours (motifs de la C.S., par. 56 et 88). Citant notamment l’arrêt Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59, le Québec plaide que la Cour d’appel ne devait pas intervenir, les conclusions du juge de première instance méritant déférence en appel.
[97] En outre, le Québec reconnaît que, comme toute autre partie à un contrat, il était tenu d’exécuter ses obligations contractuelles « en toute bonne foi » (m.a., par. 37). Or, le juge de première instance a conclu que la preuve « ne supporte pas les allégations de mauvaise foi » à l’encontre des gouvernements du Canada et du Québec et a écrit que leurs communications avec Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ont été empreintes de « transparence », de « respect » et d’« appréciation » (motifs de la C.S., par. 72). Cette détermination hautement factuelle méritait elle aussi déférence en appel. Dans l’ensemble, le Québec considère qu’aucune faute entraînant sa responsabilité ne pouvait lui être attribuée.
[98] Quant à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, il reproche au Québec « [l]’absence de négociation réelle, le “sharp dealing”, l’imposition d’un budget inadéquat [et] l’établissement arbitraire et unilatéral des conditions des ententes tripartites, sans véritable analyse des besoins en question » (m.i., par. 140; voir aussi les par. 5, 30, 105 et 128). Ceci l’a placé « devant un faux choix » consistant soit à accepter de renouveler les ententes sans en négocier les conditions financières, et s’enfoncer ainsi davantage dans une situation déficitaire, soit à s’en remettre à la SQ (par. 99 (en italique dans l’original)).
[99] Bien que l’intimé invite notre Cour à considérer les ententes « sous l’angle du droit public » (m.i., par. 144), il invoque le fondement de droit privé à titre subsidiaire, étant d’avis que les deux régimes « sont compatibles » (par. 145). À cet égard, il fait sienne (au par. 146) l’analyse de la juge Bich, qui a conclu que le comportement du Canada et du Québec constituait un abus de droit au regard du droit civil. Les gouvernements fédéral et provincial auraient ainsi adopté un comportement contractuel déraisonnable au vu des circonstances.
[100] Contrairement à ce que soutient le Québec, et avec égards pour l’opinion du juge de première instance, j’estime que ses conclusions sur le sens à donner aux termes des ententes et à la bonne foi contractuelle sont entachées d’erreurs révisables et, par conséquent, ne méritent pas déférence en appel.
[101] Premièrement, le juge a appliqué le mauvais critère en rejetant le moyen selon lequel les gouvernements du Canada et du Québec n’ont pas respecté les exigences de la bonne foi. La conclusion du juge suivant laquelle ceux-ci n’ont pas fait preuve de mauvaise foi n’emporte pas pour autant qu’ils ont respecté les exigences de la bonne foi, car un manquement à ces exigences peut exister indépendamment de l’intention ou de l’état d’esprit d’une partie. Certes, exécuter un contrat de manière malhonnête ou adopter une conduite illégale en toute connaissance de cause sont des exemples de comportements qui sont étrangers à la bonne foi (voir, p. ex., Hydro‑Québec c. Construction Kiewit cie, 2014 QCCA 947, par. 54; voir aussi Ponce, par. 79, citant C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908, par. 89). Cela dit, la bonne foi entraîne aussi des interdictions qui se prêtent à une analyse objective, dont l’interdiction d’alourdir indûment le fardeau de son cocontractant, d’adopter une conduite excessive ou déraisonnable ou de compromettre l’existence ou l’équilibre de la relation contractuelle (voir les art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.; Ponce, par. 76; Construction Kiewit, par. 55-56). Avec égards, le juge de première instance ayant examiné la bonne foi dans le seul sens subjectif du terme, il a commis une erreur de droit qui l’a amené à omettre entièrement le volet objectif de la bonne foi, vidant ainsi cette dernière d’une large part de son sens.
[102] Quant à sa lecture des ententes tripartites, le juge de première instance avait certes raison de noter que le Québec s’est obligé à verser des sommes maximales et que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a accepté d’assumer les déficits enregistrés. Ces constats ne suffisaient toutefois pas à répondre au moyen selon lequel le Québec a manqué aux devoirs lui incombant en vertu des art. 6, 7 et 1375 C.c.Q. au motif qu’il n’a pas négocié de bonne foi le renouvellement des ententes. Avec égards, le juge de première instance passe sous silence le fait que l’économie des ententes reflète l’idée que celles-ci doivent être renouvelées afin que le service de police soit maintenu, notamment par le biais du mécanisme prévu à la clause 6.10.2. Cette clause est essentielle pour comprendre l’allégation de manquement à l’obligation de négocier le renouvellement des ententes de bonne foi. C’est bien la conclusion de nouvelles ententes, comme la clause 6.10.2 l’autorise, qui permet la réalisation de l’objectif des parties contractantes de maintenir le corps de police dans le temps. L’omission de considérer cet aspect des ententes constitue ainsi une erreur manifeste qui s’avère déterminante, car le juge ne pouvait pas correctement évaluer si le Québec avait exécuté ses obligations conformément aux exigences de la bonne foi sans tenir compte du fait que, à chaque renouvellement, le Québec avait l’obligation de négocier de bonne foi les clauses relatives au financement.
[103] Ces erreurs justifient de reprendre l’analyse, en commençant par le cadre qu’impose l’art. 1376 C.c.Q., qui s’applique à une action concernant la responsabilité civile de l’État.
[104] Les ententes tripartites sont des contrats conclus entre les gouvernements du Canada et du Québec et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Conformément à l’art. 1376 C.c.Q., les règles générales du Livre cinquième du Code civil — « Des obligations » — s’appliquent à l’État, dans la mesure où elles ne sont pas écartées ou modifiées par d’autres règles de droit. C’est donc dire que le droit commun des obligations, dont l’art. 1375 C.c.Q. portant sur la bonne foi, régit les ententes tripartites. Notre Cour a récemment rappelé que la bonne foi est une norme législative d’ordre public qui s’applique à tous les stades de la relation contractuelle (Ponce, par. 70, s’appuyant sur les art. 1375 et 1434 C.c.Q.). Ce point n’est pas contesté ici.
[105] Aucune partie ne prétend que cette règle d’ordre public qu’est la bonne foi est écartée par une règle, incompatible, de droit public. À ce titre, il convient également de souligner que la clause dite d’« intégralité des engagements et responsabilités des parties » (cl. 1.1) n’écarte pas la norme d’ordre public de la bonne foi (voir Développement Olymbec inc. c. Avanti Spa de Jour inc., 2019 QCCS 1198; C. Lebrun, « La clause d’intégralité au Québec » (2008), 67 R. du B. 39, p. 47 et 56). Commentant la jurisprudence québécoise, l’autrice Catherine Valcke écrit qu’« [u]ne telle clause ne peut [. . .] écarter l’obligation de bonne foi prévue à l’article 1375 C.c.Q. » (J. Pineau et autres, Théorie des obligations (5e éd. 2023), par C. Valcke, no 859, note 971).
[106] C’est donc à bon droit que les parties reconnaissent, comme l’a fait le juge de première instance (au par. 55), que le Québec était tenu d’exécuter ses engagements contractuels en toute bonne foi.
a) Les devoirs découlant de l’obligation d’agir de bonne foi
[107] Bien que l’obligation d’agir de bonne foi s’applique à tout contrat, « sa mise en œuvre varie selon les circonstances » (Ponce, par. 71; voir aussi Churchill Falls, par. 104). L’intimé place l’essentiel de ses arguments à ce titre sous le signe de la nécessité d’exécuter les obligations contractuelles conformément aux exigences de la bonne foi en application de l’art. 1375 C.c.Q. En alléguant que les gouvernements du Canada et du Québec ont manqué à leur obligation de « négocier » de bonne foi, on comprend bien que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ne vise pas la négociation initiale de leurs rapports dans une phase précontractuelle qui remonte à 1996 — source théorique de responsabilité extracontractuelle et, de toute façon, loin de la période en litige. L’intimé n’insiste pas sur une possible obligation de renégocier de bonne foi un contrat en l’absence de tout mécanisme conventionnel de renouvellement. Il ne s’appuie pas, non plus, sur l’imprévision de la survenance des déficits pour justifier la nécessité de négocier de bonne foi. Le renouvellement a été prévu par les parties, qui l’envisageaient, dans le texte même des ententes tripartites, comme moyen d’assurer le maintien du corps de police.
[108] Puisque les ententes ont pour objet le maintien de la SPM et qu’elles sont, pour l’essentiel de la période en litige, des ententes annuelles, les parties ont justement prévu à la clause 6.10.2 un mécanisme de prorogation devant faciliter le renouvellement au cas où les négociations n’auraient pas été menées à terme avant leur expiration. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan met en jeu les négociations de renouvellement prévues notamment à la clause 6.10.2, qui n’ont toutefois pas toutes été réalisées par le biais de celle-ci, en plaidant que le refus du Québec de discuter d’une majoration du financement constitue une conduite déraisonnable qui contrevient aux exigences de la bonne foi.
[109] Après la conclusion d’un contrat, « [l]’obligation de négocier de bonne foi peut [. . .] avoir un fondement contractuel et découler des termes du contrat » (B. Lefebvre, La bonne foi dans la formation du contrat (1998), p. 122), surtout lorsque les parties ont l’intention de renouveler le contrat d’une manière envisagée par celui-ci. Déjà, dans l’arrêt Trizec Equities Ltd. c. Hassine (1988), 27 Q.A.C. 167, décidé sous le Code civil du Bas Canada, le juge Monet expliquait que la bonne foi doit « présider à l’ensemble du domaine contractuel [. . .] tant sur l’exécution que sur la formation du contrat » (par. 9). Il concluait que l’imposition d’une telle obligation était justifiée dans les circonstances vu la présence d’une clause de renouvellement dans un bail commercial. Par conséquent, lorsque les parties ont prévu par une clause qu’elles devront entreprendre des négociations, l’obligation de les mener de bonne foi découle directement du contrat. En application de l’art. 1375 C.c.Q., donc, l’exécution de dispositions contractuelles envisageant la négociation doit se faire, comme pour toute autre obligation contractuelle, en conformité avec les normes de la bonne foi. Un manquement à la bonne foi lors de la négociation d’un renouvellement envisagé par un contrat peut donc être source de responsabilité contractuelle (Singh c. Kohli, 2015 QCCA 1135, par. 67; voir aussi Billards Dooly’s inc. c. Entreprises Prébour ltée, 2014 QCCA 842, par. 98, et Centre de santé et de services sociaux de l’Énergie c. Maison Claire Daniel inc., 2012 QCCA 1975, par. 80).
[110] Bien que la bonne foi exige davantage que l’absence de mauvaise foi, elle n’impose pas aux parties l’obligation de subordonner leurs intérêts à ceux des autres parties (Ponce, par. 77). Il est acquis que la bonne foi ne sert pas à « transformer les objectifs de justice corrective qu’ell[e] vis[e] à protéger en un mécanisme de justice distributive imprévisible et contraire à la stabilité contractuelle » (Churchill Falls, par. 125). Dans le présent cas, la bonne foi ne requiert pas que les parties renoncent à leurs intérêts personnels pour avantager leurs vis-à-vis dans l’exécution de l’entente. Mais comme la Cour le rappelle dans Ponce, « dans la poursuite de leurs intérêts et dans l’exercice de leurs droits, les parties à un contrat doivent adopter un comportement loyal, en s’abstenant d’alourdir indûment le fardeau de leur cocontractant ou d’adopter une conduite excessive ou déraisonnable » (par. 76).
[111] Certes, dans un contrat, on ne saurait donner effet à une clause qui contrevient à l’ordre public, notion incluant l’obligation implicite de respecter la bonne foi qui s’applique à tout contrat par le jeu combiné des art. 1375 et 1434 C.c.Q. Cependant, la mise en œuvre de la règle imposant l’exécution d’un contrat de bonne foi ne constitue pas un mandat de « réécrire » un contrat librement consenti (voir J.‑L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.-G. Jobin et N. Vézina, no 415). En ce sens, on doit voir la bonne foi dans l’exécution du contrat comme une norme qui ne s’oppose pas à la force obligatoire du contrat; elle est plutôt son alliée. Exécuter un contrat de bonne foi ne signifie pas que le débiteur doit renoncer à ses droits.
[112] De même, la bonne foi ne permet pas au créancier de faire fi de la parole qu’il a donnée. Comme l’a écrit l’auteur Laurent Aynès pour le droit français, la bonne foi est « un devoir de comportement qui consiste à rendre l’exécution du contrat conforme à l’engagement » (préface de L. Aynès dans R. Jabbour, La bonne foi dans l’exécution du contrat (2016), p. VII). Dans l’affaire qui nous occupe, l’exécution de bonne foi des clauses visant le renouvellement du contrat ne peut servir, par exemple, à exiger ou à imposer des résultats particuliers à l’issue des négociations. Cela dit, une partie qui s’engage dans une négociation dans le respect de la bonne foi doit tenir compte des intérêts de toute autre partie aux négociations et éviter d’adopter un comportement déraisonnable (voir Singh, par. 67 et 74; Jolicoeur c. Rainville, 2000 CanLII 30012 (C.A. Qc), par. 51). Négocier de manière intéressée et tenace — une démarche qui peut être tout à fait compatible avec la bonne foi — ne signifie pas négocier d’une manière obstinée ou intransigeante qui tromperait la confiance légitime de son vis-à-vis. La bonne foi exige des parties qui discutent une clause de renouvellement de négocier loyalement. Les parties sont certes libres, toujours en respectant les exigences de la bonne foi, de mettre fin à leur relation contractuelle existante. Mais lorsqu’elles entament des négociations de renouvellement ainsi que le permettent les termes mêmes du contrat, elles sont tenues de ne pas adopter une conduite excessive ou déraisonnable dans cette phase ultime de l’exécution de leur entente (voir, p. ex., Société sylvicole de l’Outaouais c. Rasmussen, 2005 QCCA 729, par. 27-28). Refuser de respecter la bonne foi lors de la négociation d’un renouvellement prévu par les parties peut mettre en péril l’objet même du contrat quand, comme en l’espèce, la réalisation de cet objet dépend d’une relation dans la durée (voir D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 1979-1980 et 1987).
b) Le manquement du Québec aux exigences de la bonne foi en matière de négociations
[113] Le Québec a-t-il manqué à son devoir d’exécuter les ententes tripartites de bonne foi lors des renégociations envisagées par ces ententes?
[114] Selon le Québec, la Cour d’appel aurait commis plusieurs erreurs en arrivant à la conclusion qu’il a commis un abus de droit lors de l’exécution de ses obligations contractuelles. D’abord, la Cour d’appel ne pouvait pas conclure à un manquement sur le fondement du non-respect d’engagements contenus dans la Politique fédérale, car cette dernière n’est pas génératrice d’obligations et ne lie pas le Québec. Ensuite, elle ne pouvait pas conclure à un abus de droit, car elle n’a identifié aucun droit prévu au contrat dont le Québec aurait abusé. La Cour d’appel aurait omis de faire preuve de déférence envers les conclusions du juge du procès suivant lesquelles la preuve ne permettait de conclure ni à la mauvaise foi des gouvernements du Canada et du Québec ni que la communauté de Mashteuiatsh recevait des services policiers de qualité inférieure à ceux reçus par les collectivités environnantes comparables.
[115] Je suis d’accord avec le Québec sur deux points importants. D’une part, il a raison de dire que la Politique fédérale n’est pas génératrice d’obligations et ne le lie pas directement. Il est vrai que le Québec a volontairement accepté, en concluant les ententes tripartites, de participer à l’exercice collaboratif envisagé par la Politique régissant le PSPPN. Mais cette « adhésion » au modèle proposé par le gouvernement fédéral n’implique pas, juridiquement, l’acceptation des termes mêmes de la Politique en tant qu’obligation contractuelle. Les engagements du Québec envers Pekuakamiulnuatsh Takuhikan trouvent leur source dans la série d’ententes tripartites, elles-mêmes encadrées par la Loi, et non dans des documents ou politiques d’origine fédérale. D’autre part, le Québec a également raison de dire que le texte même des ententes stipule que les gouvernements fédéral et provincial ne s’étaient pas obligés à financer pleinement la SPM. Le Québec s’est plutôt engagé auprès de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan à l’aider à établir, puis à maintenir, la SPM au moyen de contributions financières limitées. Par conséquent, le simple fait que le Québec ait fait des offres de financement insuffisantes pour couvrir les coûts de la SPM n’est pas constitutif d’un manquement contractuel.
[116] Cela ne vide toutefois pas la question. Comme toute autre partie contractante, le Québec était tenu à l’obligation d’agir de bonne foi, y compris lors de l’exécution des négociations contemplées par les ententes.
[117] Quatre constats s’imposent.
[118] Premièrement, je ne partage pas l’avis du Québec selon lequel « [l]a décision de la Cour supérieure accueillant l’objection des gouvernements au dépôt en preuve du “rapport Viens”, largement postérieur à la conclusion des ententes en cause, aurait dû être maintenue en appel » (m.a., par. 103). Le Québec n’a pas identifié en quoi le juge Bouchard avait tort de conclure que « les pièces visées par l’objection à la preuve [de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan] avaient [. . .] pour but de contextualiser » les questions en litige (motifs de la C.A., par. 64). Il n’y a donc pas lieu d’intervenir à l’égard de cette conclusion de la Cour d’appel. L’objection renouvelée du Québec demandant que soient écartées des pièces devrait être rejetée pour les mêmes motifs que ceux donnés par le juge Bouchard. Ces pièces sont pertinentes et leur prise en considération aurait permis au premier juge de mieux saisir le sens à donner aux arguments de l’intimé en rapport tant avec la bonne foi qu’avec l’honneur de la Couronne.
[119] En ce qui concerne la décision elle-même, rappelons d’abord que les gouvernements du Canada et du Québec savaient, d’une année à l’autre, que le corps de police autochtone était sous-financé. Comme nous le verrons plus loin, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a clairement communiqué ses besoins financiers aux deux gouvernements à l’occasion de chaque renouvellement. De plus, ceux-ci savaient que les problèmes de financement ne tenaient pas à sa mauvaise gestion des services policiers. Plus encore, ils savaient, à tout le moins grâce aux rapports d’enquête, que le maintien du corps de police, l’un des objectifs des ententes énoncé à la clause 1.5a), avait le grand avantage d’offrir à la communauté de Mashteuiatsh une desserte policière qui est à la fois culturellement adaptée et détachée du passé trouble de la SQ. Or, le Québec a choisi de ne pas résilier les ententes et de poursuivre la relation contractuelle dans l’objectif de maintenir la SPM, et ce, tout en refusant de revoir sa contribution financière. Ce comportement ne tient pas compte du contexte ou de l’intérêt de son cocontractant.
[120] Deuxièmement, bien que les ententes tripartites en litige soient pour la plupart annuelles, leur contenu suggère, comme nous l’avons vu, qu’elles envisageaient une relation contractuelle à long terme. Cela ressort de l’objet même des ententes, qui consiste notamment à établir et à maintenir un poste de police à Mashteuiatsh (préambule et cl. 1.5), mais aussi des clauses qui indiquent, via la notion d’exercice financier, que le cadre des ententes peut être prolongé pour couvrir plusieurs années (voir les cl. 3.2.2, 4.2.2, 4.2.5, 4.3.1, 4.5.2, 4.9.1 à 4.9.3, 4.10.1 et 4.13), des clauses qui évoquent l’existence ou la conclusion d’ententes subséquentes (cl. 4.3.5, 4.3.6 et 6.10.2) et de la clause qui régit la reconduction de l’entente (cl. 6.10.2).
[121] Troisièmement, l’économie des ententes montre que les parties ont convenu de renégocier les dispositions relatives au financement dans l’éventualité où elles choisiraient de les renouveler. La clause 6.10.2 prévoit en ce sens que si, avant l’échéance d’une entente, « les parties conviennent expressément, par avis écrit envoyé aux autres parties, de maintenir les dispositions de [celle-ci], ces dernières, à l’exception des articles portant sur le financement énoncé à la partie IV, demeureront en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle entente sur la prestation des services policiers soit conclue ». Elle pose ainsi la règle que, sur avis écrit envoyé aux autres parties, les dispositions d’une entente demeureront en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle entente soit conclue, sauf pour ce qui est des clauses portant sur le financement, qui devront faire l’objet de négociations entre les parties. Compte tenu de l’objet du contrat, qui vise le maintien indéfini du corps de police, et de la présence de la clause 6.10.2, qui montre que les ententes envisagent la tenue de négociations de renouvellement portant sur les clauses financières, je suis d’avis que les parties avaient l’obligation d’exécuter de bonne foi toute négociation de renouvellement entreprise, qu’elles se prévalent de la clause de prorogation 6.10.2 ou qu’elles procèdent autrement.
[122] Quatrièmement, plusieurs facteurs ont contribué à créer un climat de confiance entre les parties. À cet égard, je note particulièrement que les ententes tripartites interviennent entre l’État et un conseil de bande qui représente une Première Nation en quête d’autonomie gouvernementale, et que les parties ont maintenu une relation contractuelle ininterrompue depuis 1996. À cela s’ajoute bien sûr la clause de prorogation mentionnée ci-dessus. Je suis aussi d’avis que les documents fédéraux sont pertinents à ce stade de l’analyse, non pas comme source d’engagements du Québec, mais à titre de documents relevant de la toile de fond des négociations.
[123] Aux termes des ententes, les parties n’étaient pas obligées de poursuivre leur relation contractuelle au-delà de la date d’échéance prévue; elles pouvaient même résilier les ententes à tout moment (cl. 6.6.1 et 6.6.2). Cela dit, toute partie choisissant de poursuivre la relation contractuelle en concluant une nouvelle entente avec les autres parties, par le biais du mécanisme de renouvellement, était tenue de négocier de bonne foi les conditions financières de la nouvelle entente, et donc de tenir compte de l’intérêt de ses cocontractants.
[124] Il importe de souligner que, dans le cas des ententes, les parties elles‑mêmes ont prévu la possibilité du renouvellement pour assurer le maintien des services policiers à long terme. Le Québec n’était certes pas obligé de reconduire l’arrangement pour un autre exercice financier — les ententes prévoyaient une généreuse faculté de résiliation — mais s’il cherchait à le faire, les ententes laissent voir que le renouvellement serait obtenu par négociation. Dans cette éventualité, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan n’avait pas droit à un niveau précis de financement, mais il avait, par les termes mêmes des contrats, l’attente légitime que le Québec viendrait négocier l’étendue de sa contribution en tenant compte de sa perspective. Or, en adoptant une posture d’intransigeance par son refus de négocier, le Québec a agi contrairement à ce que les ententes stipulaient et à la force obligatoire du contrat consacrée à l’art. 1434 C.c.Q. Ce faisant, il n’a pas exécuté les ententes de bonne foi.
[125] En effet, par son refus obstiné de négocier, le Québec a causé un préjudice à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan en agissant en contradiction avec les attentes suscitées par le mécanisme contractuel mis en place par les parties pour le renouvellement des ententes. Consacré par la jurisprudence et la doctrine sous l’égide de la bonne foi, un devoir de cohérence fondé sur ces attentes doit, en principe, être respecté dans l’exécution du contrat (voir, p. ex., Construction Kiewit, par. 92; Baudouin, Jobin et Vézina, no 126). Ainsi, le comportement du Québec était déraisonnable en ce qu’il trompait la confiance légitime de l’intimé et ébranlait la poursuite de l’objectif contractuel des deux parties, à savoir le maintien de la SPM. Comme l’a noté une autrice dans un texte portant notamment sur la renégociation en matière de construction, « une attitude inflexible ou rigoriste serait susceptible de compromettre la relation contractuelle “au mépris des attentes légitimes du partenaire contractuel” » et, ainsi, constituerait une violation de la bonne foi (M.-H. Dufour, « L’impact de la bonne foi en droit de la construction » (2023), 57 R.J.T.U.M. 229, p. 262, citant Churchill Falls, par. 118).
[126] Ici, la bonne foi opère de pair avec la force obligatoire du contrat pour sanctionner le refus obstiné du Québec de négocier le renouvellement des ententes. Je suis d’avis qu’en refusant d’entreprendre de véritables négociations portant sur les clauses financières, alors qu’il savait pourtant que ses offres de financement insuffisantes entraînaient des difficultés pour Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et menaçaient même le maintien de la SPM, le Québec a violé son obligation contractuelle de bonne foi lors du renouvellement des ententes. En bref, la preuve au dossier révèle que la contribution financière des gouvernements fédéral et provincial était insuffisante au regard des coûts réels de la SPM, que des déficits importants ont été enregistrés au fil des années et que le Québec a refusé de négocier la hauteur du financement, manquant ainsi à son devoir de tenir compte des intérêts de l’intimé au cours des négociations de renouvellement. Par cette conduite, le Québec a mis en péril l’objet même des ententes, qui visent surtout à assurer le maintien d’un corps de police autochtone à Mashteuiatsh. Il est vrai, comme le plaide l’intimé, que l’absence de véritables négociations le laissait devant un choix perdant : le renouvellement de l’entente aggraverait le déficit et son échec mènerait à la fin de la SPM et au retour aux services de la SQ, avec les difficultés qu’ils emportent.
[127] Jusqu’en 2009, la contribution gouvernementale au financement de la SPM était suffisante pour couvrir l’essentiel de ses coûts sans que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ait à assumer des déficits très importants. Pour l’année 2009-2010, ce dernier a informé les gouvernements du Canada et du Québec qu’il avait besoin de fonds additionnels. Ceux-ci lui ont répliqué que, comme le PSPPN faisait face à d’importantes contraintes budgétaires, ils étaient prêts à renouveler l’entente 2008‑2009 selon les mêmes conditions financières, et donc sans majorer leur contribution. Après avoir essuyé d’autres refus semblables au fil des années, l’intimé a décrié en 2012 le fait que le renouvellement de l’entente s’est, encore une fois, « fait sans une juste prise en compte des besoins réels de la communauté », soulignant que « pour une troisième année consécutive, [il] se voit contraint d’accepter l’entente proposée », et que son acceptation de l’offre « ne constitue pas une reconnaissance que le financement est à la hauteur de [ses] besoins » (résolution du Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean datée du 29 mars 2012, reproduite au d.i., p. 5).
[128] Dans sa réponse à la demande introductive d’instance modifiée, le Québec admet avoir eu connaissance du fait que les budgets et le financement prévus aux ententes tripartites ne correspondaient pas aux coûts réels des services (d.a., vol. I, p. 172, par. 37). De surcroît, les gouvernements fédéral et provincial étaient informés des coûts réels de la SPM par le biais des états financiers annuels de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (motifs de la C.S., par. 34). Au procès, un représentant du Québec a ainsi reconnu que le gouvernement était « très, très au fait de la situation à Mashteuiatsh » sur le plan du financement de la SPM (d.a., vol. XVII, p. 65).
[129] La qualité des services de la SPM a souffert de ce sous-financement, qui a forcé la SPM à fonctionner « au minimum du minimum du minimum » (motifs de la C.A., par. 99, citant le témoin V. Tremblay). Pour pallier l’insuffisance du financement, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a procédé à une réduction de l’effectif policier minimal prévu aux ententes, qui est ainsi passé de 11 à 10 policiers pour l’année 2015-2016 (motifs de la C.S., par. 26). Malgré cette réduction, l’insuffisance du financement l’a amené à annoncer l’abolition de la SPM à compter du 1er avril 2016, décision qu’il a signifiée au Canada et au Québec en novembre 2015. Il est revenu sur cette décision par la suite, après que le Québec ait convenu de lui verser une aide d’appoint.
[130] Les gouvernements du Canada et du Québec ont expliqué que le sous‑financement du PSPPN ne leur permettait pas de hausser significativement leur contribution financière. L’enveloppe budgétaire affectée à ce programme a seulement connu une augmentation de 1,5 p. 100 durant la période 2014 à 2017, alors que les dépenses de la GRC ont augmenté de 27 p. 100 de 2008‑2009 à 2016-2017, et celles de la SQ de 15 p. 100 de 2011 à 2017. Les demandes de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ont ainsi accusé une fin de non-recevoir, les gouvernements du Canada et du Québec faisant « la sourde oreille à ses demandes et doléances » (motifs de la C.A., par. 136).
[131] Dans ces circonstances, comme l’a relevé le juge Bouchard, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan avait l’impression d’avoir le « couteau sur la gorge » (motifs de la C.A., par. 101 (soulignement omis), citant le témoin V. Tremblay) : soit il continuait à s’appauvrir pour maintenir la SPM et conserver les progrès que cette dernière représente en matière d’autonomie gouvernementale, soit il abolissait la SPM, ce qui impliquait tant un retour aux services de la SQ qu’une régression en matière d’autonomie gouvernementale (par. 136-137, la juge Bich). Cette situation était particulièrement grave étant donné les difficultés associées à la présence de la SQ dans les communautés autochtones. L’intimé se trouvait effectivement « devant un faux choix », et le maintien de la SPM tenait à son acceptation des propositions avancées par le Québec « sans possibilité de négocier », ce qui l’amenait à « s’enfon[cer] encore plus loin dans l’insuffisance de fonds » (m.i., par. 99).
[132] Malgré les difficultés que cela entraînait pour lui, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a fait le choix, année après année, de préserver la SPM, ce qui l’a amené à éponger les déficits annuels de cette dernière avec ses propres fonds. À la connaissance des gouvernements du Canada et du Québec, une sentence arbitrale a été rendue contre lui le 17 juillet 2014. Cette sentence, qui a accordé une augmentation salariale rétroactive de 853 000 $ aux policiers de la SPM, est directement liée au sous‑financement du programme et explique le déficit particulièrement important enregistré au cours de l’année 2014-2015. Selon le directeur de la SPM, lors d’une rencontre en novembre 2015, les représentants des gouvernements du Canada et du Québec ont reconnu les difficultés financières engendrées par la sentence arbitrale, mais ont indiqué qu’un financement additionnel ne pouvait être offert pour les prochaines années en raison du contexte postélectoral au niveau fédéral (témoignage de S. Vanier, reproduit au d.a., vol. XVI, p. 169).
[133] Aucune mauvaise gestion de la part de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan n’a été alléguée pour expliquer ces déficits. L’intimé est d’ailleurs reconnu comme étant un bénéficiaire exemplaire du PSPPN, qui gère bien ses finances.
[134] À mon avis, l’intransigeance du Québec dénote une indifférence envers les intérêts de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et constitue un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi les clauses relatives à sa contribution financière lors du renouvellement envisagé par les ententes. Le Québec aurait dû entreprendre de véritables négociations avec son cocontractant et faire preuve d’écoute et d’ouverture, ce qui n’a pas été le cas. Par ailleurs, s’il n’était pas en mesure de procéder de cette façon, il aurait pu exercer son droit de résiliation conformément aux clauses 6.6 et 6.7. Compte tenu des circonstances de l’affaire, y compris la présence d’une clause de prorogation prévoyant la négociation des clauses financières et l’existence d’une relation contractuelle à long terme, il ne pouvait se contenter de faire des offres de financement non négociables qui ne tenaient pas compte des intérêts de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan.
[135] Une telle conduite constitue un abus de droit au sens de l’arrêt Houle et de l’art. 7 C.c.Q. Je ne peux accepter l’argument du Québec portant qu’il n’a abusé d’aucun de ses droits au contrat. Les deux parties avaient le droit de demander le renouvellement des ententes annuelles en vue d’assurer le maintien du corps de police. Le Québec a exercé ce droit de manière déraisonnable et, ce faisant, a commis un abus du droit de renouveler et de reconduire l’entente conformément aux termes de la clause 6.10.2, ou par tout autre moyen au contrat sur lequel les parties s’entendent. La description de l’abus de droit tirée des motifs du juge Forget dans un arrêt de principe de la Cour d’appel me semble transposable à l’espèce : « . . . [l’intimée] a exercé ses droits de manière répréhensible et contraire aux exigences de la bonne foi. Elle a agi de façon déraisonnable — voire intransigeante et obstinée — avec [l’appelante], s’écartant clairement de la norme de conduite d’une personne prudente et diligente » (Développement Tanaka inc. c. Montréal (Commission scolaire), 2007 QCCA 1122, 65 C.L.R. (3d) 175, par. 128).
[136] Je suis donc d’avis que la Cour d’appel n’a commis aucune erreur révisable en concluant à l’abus de droit, même si elle n’a pas alors identifié précisément le droit dont le Québec a abusé, comme l’appelant le souligne.
[137] Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire, j’irais plus loin. Dans les circonstances, il était à mon sens aussi déraisonnable pour le Québec d’insister sur les termes des clauses 4.2.1 et 4.5.2 qui, respectivement, prévoient son droit de limiter sa contribution financière et attribuent la responsabilité des déficits à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Ayant exploité la position de faiblesse de ce dernier au moment du renouvellement des ententes et ayant refusé de négocier réellement leurs conditions financières, le Québec ne pouvait, durant l’année en cours, insister sur le respect de ceux de l’ancien arrangement dans la « nouvelle entente », comme s’ils n’étaient pas le produit de son propre abus. Dans les circonstances, le fait d’insister sur le strict respect des termes de ces clauses constituait, lui aussi, un abus de droit contractuel. En effet, tout comme dans l’arrêt Houle, où le comportement de la banque empêchait celle‑ci d’invoquer strictement son droit de demander le paiement sans préavis, le Québec ne pouvait pas, en l’espèce, insister sur le strict respect des clauses 4.2.1 et 4.5.2.
[138] J’ajouterais que le fait que le Québec ait adopté une meilleure attitude au cours des négociations de renouvellement qui ont fait suite à la période en litige ne change en rien sa responsabilité pour la manière dont il a mené ces négociations au cours de celle-ci.
[139] Comme nous le verrons plus loin, le fait que le Québec a ponctuellement attribué des sommes supplémentaires à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan par l’entremise de divers avenants et ententes ne modifie pas non plus la conclusion qu’il a commis un abus de droit. D’une part, ce financement additionnel, par ailleurs qualifié de simple « Band-Aid » par un représentant du Canada (d.a., vol. XVII, p. 9), n’est pas lié dans son entièreté à l’objet des ententes tripartites d’« établir et [de] maintenir » un corps de police autochtone. D’autre part, il n’a pas été octroyé à l’occasion du processus de renouvellement des ententes, mais plutôt à l’extérieur de celui-ci, de façon irrégulière et imprévisible. Bref, la contribution subséquente par le Québec d’un apport financier supplémentaire — assorti de conditions rigides qui n’admettaient aucune négociation de bonne foi quant au financement récurrent — ne change pas le fait que le refus de respecter le mécanisme contractuel de renouvellement constituait une violation des exigences de la bonne foi. Si les avenants ont une importance, c’est au niveau de l’évaluation du préjudice, et non au regard de la violation des art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.
(2) L’honneur de la Couronne, source d’obligations de droit public
[140] Pekuakamiulnuatsh Takuhikan soutient que les ententes tripartites doivent être « mise[s] en œuvre » conformément à l’honneur de la Couronne, qui emporte des obligations pour le Québec (schéma d’argumentation, p. 1, dans le recueil condensé de l’intimé, onglet 1), dont celle de négocier le renouvellement des ententes tripartites avec honneur et intégrité (m.i., par. 99). Selon lui, le Québec n’a pas respecté cette obligation.
[141] Le Québec, quant à lui, plaide que l’honneur de la Couronne ne trouve pas application à l’égard des engagements qui lui incombent en vertu des ententes tripartites, puisque ces dernières relèvent d’une « catégorie d’ententes portant sur l’administration publique [qui] n’est pas soumise aux mêmes exigences constitutionnelles que la négociation de traités avec les peuples autochtones ou la mise en œuvre d’obligations explicites prévues par la Constitution » (m.a., par. 24). Selon le Québec, la prestation de services policiers « concerne tous les Canadiens et ne fait pas partie du mode de vie distinctif des membres de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh » (par. 36, citant les motifs de la C.S., par. 85). Il ne s’agit donc pas, dit-il, d’une question se rapportant à la conciliation entre les droits et intérêts autochtones, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités, et l’affirmation de la souveraineté de la Couronne.
[142] À titre subsidiaire, le Québec fait valoir que, en tout état de cause, il a rempli les obligations découlant de l’honneur de la Couronne puisqu’il a agi de façon honorable à l’égard de la négociation, de l’interprétation et de la mise en œuvre des ententes conclues avec Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Ce dernier réplique que, plutôt que d’entreprendre de réelles négociations visant le renouvellement des ententes, le Québec lui a imposé des conditions financières arbitraires sans tenir compte des coûts réels de la prestation de services policiers culturellement adaptés et de qualité acceptable. Non seulement ce comportement constitue un manquement à l’obligation d’exécuter les ententes de bonne foi, mais aussi, selon l’intimé, il ferait également entorse au principe de l’honneur de la Couronne, lequel emporte l’application d’une norme de conduite plus exigeante.
[143] Ce désaccord fondamental soulève pour la première fois devant la Cour la question de l’application du principe de l’honneur de la Couronne à un engagement contractuel pris par celle-ci envers un groupe autochtone.
[144] Bien que cette question n’ait pas été soulevée par les parties, je noterai, par souci de clarté, que le « gouvernement du Québec », au sens où ce terme est employé dans les ententes, s’entend dans le présent contexte à la fois de l’« État » au sens de l’art. 1376 C.c.Q. et de la « Couronne » du chef de la province à l’égard de l’honneur de la Couronne. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus ici (voir M.-F. Fortin, « L’État québécois et la Couronne canadienne : conception de la puissance publique à la lumière du droit de la responsabilité de la Couronne » (2022), 56 R.J.T.U.M. 379, p. 413-415).
[145] Dans ce qui suit, nous verrons que, contrairement à la bonne foi, l’honneur de la Couronne ne s’applique pas à tout engagement contractuel souscrit par la Couronne envers une entité autochtone. Il nous faut, dans un premier temps, identifier le critère qui permet en l’espèce de déterminer si un contrat est soumis à l’honneur de la Couronne. Une fois ce critère établi, nous examinerons les ententes tripartites pour déterminer si elles y satisfont. Pour ce faire, la Cour devra entreprendre un exercice de « qualification » des ententes, c’est-à-dire mener l’opération de droit qui permet « le rattachement du contrat considéré à une catégorie normative, susceptible de déterminer le régime juridique applicable » (Lluelles et Moore, no 1729). Si les ententes satisfont à ce critère, il faudra alors conclure que le Québec était tenu d’exécuter les ententes tripartites de manière honorable et se demander s’il a respecté cette obligation.
a) L’application de l’honneur de la Couronne à des engagements contractuels
[146] Notre tâche à cette première étape de l’analyse consiste à identifier le critère pertinent en l’espèce pour déterminer si l’honneur de la Couronne s’applique à une entente de nature non constitutionnelle. Comme je l’ai souligné plus tôt, ce ne sont pas tous les contrats entre l’État et les peuples autochtones qui mettent en jeu ce principe. Puisque la Cour ne s’est jamais prononcée sur cette question, je propose de procéder par analogie avec la jurisprudence qui reconnaît des situations dans lesquelles l’honneur de la Couronne est mis en jeu afin d’en dégager les principes qui sous-tendent son application.
[147] L’honneur de la Couronne requiert de celle-ci qu’elle agisse honorablement dans ses rapports avec les peuples autochtones. Ce principe tire son origine de « l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et [de] l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque‑là sous l’autorité de ce peuple » (Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765, par. 21, la juge Karakatsanis, citant Nation haïda, par. 32, et MMF, par. 66; voir aussi Hogg et Dougan). Cette pratique a donné naissance à une « relation spéciale » entre la Couronne et les peuples autochtones (MMF, par. 67, citant Beckman, par. 62).
[148] L’objectif qui sous‑tend le principe de l’honneur de la Couronne est celui de faciliter la réconciliation des intérêts de la Couronne et des peuples autochtones en favorisant notamment la négociation et le règlement juste des revendications autochtones (Mikisew Cree, par. 22; voir aussi MMF, par. 66; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‐Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, par. 24; Desautel, par. 22). Cet objectif transcende la justice corrective qui est au cœur du droit privé pour faire place à la réparation et au maintien de la relation spéciale avec les peuples autochtones à qui des lois et coutumes d’origine européenne ont été imposées (voir MMF, par. 67; Nation haïda, par. 17). C’est ce que j’appellerai la justice axée sur la réconciliation ou justice réconciliatrice.
[149] Je m’empresse d’ajouter que le principe de l’honneur de la Couronne n’est pas une cause d’action. Il s’agit « d’un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application » (MMF, par. 73 (en italique dans l’original)). L’honneur de la Couronne est un principe constitutionnel qui se trouve « au cœur de l’objectif de réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones dans le cadre d’une “relation à long terme empreinte de respect mutuel” » (Desautel, par. 30, citant Beckman, par. 10, et se référant à Mikisew Cree, par. 21; Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15, par. 21 et 28).
[150] Ce corpus jurisprudentiel par ailleurs bien établi fait partie du « droit commun » auquel la disposition préliminaire du Code civil réfère. La Cour a déjà déterminé que ce « droit commun » n’est pas limité au droit privé, mais doit être compris de façon large afin de donner « la plus grande portée possible au champ opérationnel » du Code civil (Prud’homme, par. 29, se référant à A.-F. Bisson, « La Disposition préliminaire du Code civil du Québec » (1999), 44 R.D. McGill 539). Plus précisément, l’honneur de la Couronne et les obligations qui en découlent forment une partie du droit public qui gouverne la responsabilité de l’État. Comme le fait remarquer l’auteur Daniel Jutras, « [c]’est le droit public qui détermine dans quelles circonstances, et à quelles conditions l’État peut être tenu responsable » (« Regard sur la common law au Québec : perspective et cadrage » (2008), 10 R.C.L.F. 311, p. 315; voir aussi Prud’homme, par. 24-27; Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17, par. 27).
[151] À cet égard, le cœur de l’analyse repose sur l’art. 1376 C.c.Q., une règle qui « relève du droit public » (Prud’homme, par. 27). Selon l’art. 1376 C.c.Q., les règles du Livre cinquième (« Des obligations ») du Code civil s’appliquent à l’État « sous réserve des autres règles de droit qui [lui] sont applicables », que ces autres règles soient écrites ou non écrites (voir Commentaires du ministre de la Justice, t. I, Le Code civil du Québec — Un mouvement de société (1993), p. 833; voir aussi Baudouin, Jobin et Vézina, no 11; Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621, par. 22; Ludmer c. Canada (Attorney General), 2020 QCCA 697, 2020 DTC 5055, par. 41; Restaurant Le Relais de Saint-Jean inc. c. Agence du revenu du Québec, 2020 QCCA 823, par. 67).
[152] Les règles de droit public peuvent ainsi « déroger » au régime général de la responsabilité civile (Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335, par. 106), par exemple en créant une forme d’immunité en faveur de l’État (voir, p. ex., Ressources Strateco inc. c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 18, 32 C.E.L.R. (4th) 231, par. 67). Ces règles peuvent également modifier la nature des obligations de droit privé qui incombent à l’État, ou même les intensifier. L’auteur Daniel Jutras souligne utilement que cet ensemble de règles de droit public comprend « toutes les règles qui donnent une portée distincte à [la] responsabilité [de l’État] en raison de la nature publique de [son] activité » (« Cartographie de la mixité : la common law et la complétude du droit civil au Québec » (2009), 88 R. du B. can. 247, p. 255).
[153] Je partage en conséquence l’avis de la juge Bich lorsqu’elle met l’accent sur le fait que l’art. 1376 C.c.Q. est la disposition qui assujettit le Québec aux obligations de droit privé « sans le relever toutefois de celles qui lui échoient en vertu du droit public », y compris les obligations découlant de l’honneur de la Couronne « qui lui incombe[nt] dans [. . .] ses relations, même contractuelles, avec les [A]utochtones » (motifs de la C.A., par. 128 et 130). Cependant, à mon humble avis, il n’y a pas lieu de conclure que le principe de l’honneur de la Couronne s’intègre implicitement aux contrats par l’opération de l’art. 1434 C.c.Q. (voir le par. 130). L’honneur de la Couronne s’applique aux contrats en l’espèce, mais les obligations qui en découlent ne sont pas pour autant des obligations contractuelles au sens fort du terme. La bonne foi, elle, fait partie du contenu implicite du contrat, ou du moins reflète une « attitude générale » imposée aux parties contractantes par la loi (Lluelles et Moore, no 1977). Or, l’honneur de la Couronne lie le Québec à titre de principe de droit public qui ne relève pas de la « matrice contractuelle » associée, par la loi, à la volonté individuelle des parties (voir Poitras c. Concession A25, 2021 QCCA 1182, par. 51). Contrairement à la bonne foi énoncée à l’art. 1375 C.c.Q., les obligations découlant de l’honneur de la Couronne ne sont pas des obligations contractuelles ayant force obligatoire du fait d’un contrat valablement formé entre une entité autochtone et l’État. Par ailleurs, la réparation pour un manquement aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne n’est pas régie par les règles de la responsabilité contractuelle ni par le principe fondamental de la restitutio in integrum. L’honneur de la Couronne donne naissance à des obligations de droit public, ancrées dans la logique distincte de la réconciliation (voir G. Motard et B. Chartrand, « Négocier de bonne foi : les accords commerciaux, les sociétés d’État et le principe de l’honneur de la Couronne » (2019), 70 R.D. U.N.‑B. 172, p. 198-199). Le non-respect de ces obligations astreint la Couronne à rétablir la relation de nation à nation entachée par la conduite déshonorante.
[154] En somme, suivant l’art. 1376 C.c.Q., le principe de l’honneur de la Couronne et les obligations qui en découlent font partie des « autres règles de droit » relatives à la responsabilité civile de l’État. Ces obligations intensifient la responsabilité de l’État dans les circonstances où elles s’appliquent. Ainsi, bien que l’honneur de la Couronne soit mis en jeu à l’occasion d’obligations contractuelles de l’État, sa source est, contrairement aux obligations contractuelles, fermement ancrée dans les règles de droit public qui viennent compléter le régime juridique régulant la responsabilité de l’État.
[155] Je passe maintenant à l’examen des principes qui guident la détermination de l’application de l’honneur de la Couronne dans des situations données.
[156] Les circonstances reconnues jusqu’à maintenant par la Cour comme mettant en jeu l’honneur de la Couronne ont en commun qu’elles ont trait à la réconciliation des revendications, droits ou intérêts autochtones particuliers avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne (voir MMF, par. 73). En particulier, la Cour a établi que la Couronne a l’obligation de consulter les peuples autochtones lorsque leurs droits reconnus et confirmés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qu’ils soient établis ou revendiqués, sont susceptibles de subir un préjudice en raison de sa conduite (Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257, par. 78; Nation haïda, par. 35). Lorsque la Couronne contrôle des intérêts autochtones particuliers, l’honneur de la Couronne peut faire naître une obligation fiduciaire (Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, par. 79 et 81; MMF, par. 73). De même, la Couronne a l’obligation d’agir avec intégrité dans le cadre de la négociation, de l’interprétation et de la mise en œuvre des traités conclus avec les peuples autochtones (Restoule, par. 73; Beckman, par. 42).
[157] Certains tribunaux ont reconnu que l’honneur de la Couronne peut s’appliquer à des engagements contractuels de nature non constitutionnelle qui ont également trait à la réconciliation. Par exemple, la Cour d’appel du Manitoba a conclu qu’un contrat qui visait à régler des revendications du peuple Métis n’ayant pas jusque‑là été prises en considération de façon constructive et en toute bonne foi mettait en jeu l’honneur de la Couronne (Manitoba Metis Federation Inc. c. Brian Pallister, 2021 MBCA 47, 458 D.L.R. (4th) 625). La Cour supérieure de justice de l’Ontario a approuvé une décision arbitrale concluant que l’honneur de la Couronne était mis en jeu par un contrat de partage de revenus de loteries parce que le contrat [traduction] « représente la conciliation entre le droit à l’autonomie gouvernementale des Autochtones protégé par la Constitution [. . .] et la souveraineté de la Couronne » (Ontario First Nations (2008) Limited Partnership c. Ontario Lottery and Gaming Corporation, 2020 ONSC 1516, par. 110). Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, qui n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la question de l’honneur de la Couronne (2021 ONCA 592, par. 75).
[158] De façon similaire, la jurisprudence reconnaît que le principe de l’honneur de la Couronne s’applique aux ententes relatives à des droits fonciers issus de traités qui ne sont pas en elles-mêmes des traités protégés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105, par. 127-130; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, par. 118; Première Nation Pasqua c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 133, [2017] 3 R.C.F. 3, par. 64). Parce qu’elles visent à remédier aux manquements de la Couronne à ses promesses issues de traités (Long Plain, par. 117), et donc à promouvoir la réconciliation (Witchekan Lake, par. 127), ces ententes sont interprétées comme mettant en jeu des obligations découlant de l’honneur de la Couronne. Comme le démontrent ces affaires, le contrat constitue l’un des instruments dont disposent les gouvernements pour entreprendre ou poursuivre une démarche de réconciliation, en plus du traité (Restoule, par. 68-70) et de la loi (Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2024 CSC 5 (« Renvoi »), par. 20-21), même si la réconciliation fondée sur le contrat diffère de la réconciliation soutenue par traité ou de la « réconciliation législative ».
[159] Il est bien établi que la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les peuples autochtones (Beckman, par. 61). Il s’ensuit, comme l’a observé le juge Bouchard, que les obligations qui découlent de l’honneur de la Couronne s’appliquent « indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties » et que cette intention ne peut donc pas être une considération déterminante dans l’analyse (motifs de la C.A., par. 63 et 117, citant Beckman, par. 61). Il s’ensuit également que l’instrument par lequel la Couronne transige, y compris le contrat, ne peut faire en sorte d’exclure les obligations découlant de l’honneur de la Couronne.
[160] Cela dit, toute entente conclue entre la Couronne et un groupe autochtone ne mettra pas nécessairement en jeu l’honneur de la Couronne. Par exemple, de simples contrats commerciaux entre un gouvernement et une entité autochtone n’entraîneraient pas nécessairement l’application du principe de l’honneur de la Couronne. La jurisprudence de la Cour et les circonstances de l’espèce font cependant voir un moyen de départager les accords sur ce point.
[161] Premièrement, l’accord en question doit être conclu entre la Couronne et un groupe autochtone en raison et sur la base de la spécificité autochtone de ce dernier, cette spécificité tenant compte des philosophies, des traditions et des pratiques culturelles qui lui sont propres (Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10, par. 51, citant le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 2, Une relation à redéfinir (1996), p. 258).
[162] Il est bien établi que le principe de l’honneur de la Couronne s’appuie sur la « relation particulière » entre la Couronne et les peuples autochtones. Comme dans le cas d’une obligation explicite envers un groupe autochtone qui est consacrée par la Constitution, l’honneur de la Couronne n’est mis en jeu que par une obligation à laquelle la Couronne souscrit en raison de sa « relation particulière » avec le groupe autochtone, qui est distincte de celle qu’elle entretient avec la population en général (Mikisew Cree, par. 21; Nation haïda, par. 25). Par ailleurs, l’honneur de la Couronne trouvera seulement application si le contrat comporte une dimension collective. Les ententes qui ont trait à des droits individuels, même si elles interviennent entre l’État et une partie contractante autochtone, ne mettent généralement pas en jeu l’honneur de la Couronne (voir, p. ex., Waldron c. Canada (Procureur général), 2024 FCA 2 (CanLII), 2024 CAF 2, par. 94, citant Nation Crie de Eeyou Istchee (Grand Conseil) c. McLean, 2019 CAF 185, par. 8 et 11; Nunavut Tunngavik Inc. c. McLean, 2019 CAF 186, par. 8 et 11; Première Nation de Whapmagoostui c. McLean, 2019 CAF 187, par. 11).
[163] Deuxièmement, les ententes contractuelles mettraient en jeu l’honneur de la Couronne lorsqu’elles portent sur un droit autochtone, établi ou faisant l’objet d’une revendication crédible, à l’autonomie gouvernementale. En l’espèce, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan prétend que le fait de disposer d’un service de police autochtone s’inscrit dans l’exercice de son droit à l’autonomie gouvernementale. Je prends donc soin de limiter mes propos en conséquence. Bien que nous n’ayons pas à trancher la question pour résoudre le présent litige, je n’exclus toutefois pas la possibilité de reconnaître, dans un autre contexte que le nôtre, que d’autres droits ou intérêts autochtones pourraient, eux aussi, mettre en jeu l’honneur de la Couronne en lien avec un engagement contractuel.
[164] Il n’est pas nécessaire, pour que le principe de l’honneur de la Couronne trouve application, qu’un droit autochtone visé soit déjà reconnu par les tribunaux ou la Couronne.
[165] À cet égard, je ne suis pas d’accord avec le Canada lorsqu’il dit que l’honneur de la Couronne peut être mis en jeu « lorsque la Couronne prend un engagement de nature non constitutionnelle visant la mise en œuvre du droit à l’autonomie gouvernementale protégé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 » (m. interv., par. 3 (je souligne)). La Cour ne s’est jamais prononcée sur la question de l’existence d’un droit à l’autonomie gouvernementale protégé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Renvoi, par. 112), et il n’est ni nécessaire ni opportun de le faire dans ce pourvoi.
[166] De toute évidence, un droit établi, c’est-à-dire reconnu par une autorité judiciaire liant le tribunal, suffira, mais il en va de même pour un droit qui fait l’objet d’une revendication crédible. Pour arriver à cette conclusion, je propose de m’inspirer de la jurisprudence relative à l’obligation de consulter. Celle-ci établit clairement qu’une revendication crédible d’un droit autochtone est suffisante pour imposer à la Couronne des obligations de conduite honorable envers les peuples autochtones (Nation haïda, par. 35; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 40-41). Comme l’a écrit la juge en chef McLachlin, qui a rédigé le jugement unanime de la Cour : « La norme de preuve applicable, eu égard à la nécessité de préserver l’honneur de la Couronne, n’est pas stricte. [. . .] L’existence possible d’une revendication est essentielle, mais il n’est pas nécessaire de prouver que la revendication connaîtra une issue favorable. La revendication doit seulement être crédible » (Carrier Sekani, par. 40).
[167] L’imposition de l’honneur de la Couronne dans ces circonstances est rendue nécessaire par l’impératif de préserver, de façon intérimaire, les droits des peuples autochtones pendant le processus de négociation et d’établissement d’un traité (Nation haïda, par. 27). Dans son intervention, le Canada souligne à juste titre que « l’honneur de la Couronne peut donner lieu à des obligations [. . .] même lorsque l’existence d’un droit ou intérêt autochtone particulier n’a pas été confirmée judiciairement » (m. interv., par. 17).
[168] L’honneur de la Couronne contribue à la réalisation de l’objectif de réconciliation notamment « en favorisant la négociation et le règlement juste des revendications autochtones comme solution de rechange aux recours judiciaires et aux résultats imposés par les tribunaux » (Mikisew Cree, par. 22, citant Taku River, par. 24). Il s’agit d’un principe qui est bien établi dans la jurisprudence de la Cour (voir, p. ex., Nation haïda, par. 17; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 51). Pour les besoins du présent pourvoi, c’est l’existence d’un droit établi ou d’une revendication crédible d’un droit à l’autonomie gouvernementale dans une situation donnée qui justifie l’application du principe de l’honneur de la Couronne à certains contrats et non à d’autres. Un tel droit ou une telle revendication permet de situer le contrat dans des circonstances similaires à celles que la Cour a déjà reconnues comme mettant en jeu l’honneur de la Couronne, qui, comme nous l’avons vu, ont trait à des droits ou intérêts autochtones particuliers et visent la réconciliation de ceux-ci avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne.
[169] Ayant identifié le critère qui régit en l’espèce l’application du principe de l’honneur de la Couronne, je passe à l’analyse des ententes tripartites. C’est par une opération de qualification que les contrats mettant en jeu l’honneur de la Couronne en vertu de celui-ci peuvent être départagés, selon leur véritable nature juridique, de ceux qui ne le font pas.
b) La qualification des ententes tripartites
[170] Bien que l’identification des contrats qui sont visés par le principe de l’honneur de la Couronne soit une opération liée aux concepts de droit public, il est utile de s’inspirer, par analogie, de l’opération de qualification du contrat en droit civil qui permet de distinguer des contrats selon leur catégorie juridique.
[171] Contrairement à l’exercice d’interprétation, la qualification d’un contrat en droit civil est décrite comme une « opération de droit » (A. Bénabent, Droit des obligations (20e éd. 2023), no 294) : elle vise l’identification de sa « nature juridique » afin de classer le contrat dans la catégorie appropriée permettant de déterminer les règles qui lui sont applicables (P. Malinvaud, M. Mekki et J.-B. Seube, Droit des obligations (15e éd. 2019), no 84). On qualifie ainsi les ententes suivant ce que l’auteur Adrian Popovici appelle utilement leur « prestation caractéristique » (La couleur du mandat (1995), p. 35, note 132). Transposée à l’espèce, la question consiste à décider si la prestation caractéristique des ententes tripartites répond au critère qui régit l’application du principe de l’honneur de la Couronne. Tout comme en droit privé, cette opération de qualification ne dépend pas strictement de l’intention des parties. La qualification relève de la nature juridique de l’acte créé et suit directement la prestation caractéristique du contrat. Il s’agit d’une question de droit, tandis que l’interprétation du contrat comporte généralement une importante dimension factuelle (Lluelles et Moore, no 1726).
[172] En l’espèce, la prestation caractéristique des ententes tripartites comporte trois volets. D’abord, les ententes tripartites prévoient l’établissement et le maintien d’un corps de police autochtone. Ensuite, elles prévoient un régime de financement partagé entre les gouvernements du Canada et du Québec, et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Finalement, elles prévoient la gestion autonome du corps de police par ce dernier.
[173] À la lumière de cette prestation caractéristique, il appert que les ententes tripartites ont été conclues par les parties sur la base et en raison de la spécificité autochtone de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. La partie autochtone contractante est le conseil de bande, représenté par son chef. L’objectif, tel que défini par l’entente, est l’établissement et le maintien du « Corps de police de Mashteuiatsh » constitué en vertu de la Loi.
[174] Selon la clause 2.2.1 de l’entente, la mission du corps de police ainsi constitué est décrite à l’art. 93 de la Loi. Cet article ne s’applique qu’aux corps de police autochtones, comme tous les articles de la section IV (du chapitre I du titre II) de la Loi d’ailleurs. L’article 93 (tel qu’il était formulé au moment des faits pertinents) précise que les corps de police autochtones ont compétence pour maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique et pour prévenir et réprimer le crime ainsi que les infractions aux lois et règlements applicables sur le territoire sur lequel ils sont établis. Selon l’art. 90 de la Loi, seules les communautés autochtones peuvent conclure avec le Québec une entente visant à établir ou à maintenir un corps de police autochtone dans un territoire déterminé dans l’entente. En vertu de la législation applicable, le Québec s’est donc engagé sur la base et en raison de la spécificité autochtone de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et en vue de répondre à ses besoins en tant que collectivité.
[175] Par ailleurs, si l’on se fie au langage employé par le ministre responsable de la Loi à l’Assemblée nationale, les ententes tripartites ont été conclues dans le cadre de la relation de nation à nation entre le Québec et l’intimé. Comme le reconnaît le Québec, des communautés non autochtones de taille similaire dans la province ne bénéficient pas du PSPPN ou de services de police locaux. Le financement a pour objectif de redresser le préjudice historique découlant de l’imposition de la police nationale aux peuples autochtones et des difficultés de régie des communautés autochtones quant à leur sécurité interne (voir Politique, p. 3; Journal des débats, p. 1252-1254 (S. Ménard)).
[176] Le Québec a tort de dire que les ententes tripartites ne mettent pas en jeu l’honneur de la Couronne au motif que « [l]e recours ne porte pas sur une revendication d’un droit ancestral ni sur un intérêt autochtone particulier » (m.a., par. 36).
[177] L’honneur de la Couronne s’applique aux ententes tripartites parce que celles-ci touchent le droit autochtone à l’autonomie gouvernementale en matière de sécurité publique de la communauté revendiqué par la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. Les ententes tripartites ont pour objet l’établissement et le maintien d’un corps de police autochtone et la détermination du financement de celui‑ci. S’il est vrai que l’ensemble de la population bénéficie de services policiers, l’établissement et le maintien de corps de police autochtones gérés par les communautés visées par une entente et dont les services sont culturellement adaptés à celles-ci distinguent ces corps de police de ceux desservant la population en général.
[178] Comme nous l’avons vu, le Canada, le Québec et certaines Premières Nations, dont les Pekuakamiulnuatsh, ont négocié et conclu une entente de principe d’ordre général devant servir de base à la rédaction d’un traité « qui sera un accord sur des revendications territoriales et un traité au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (préambule, premier attendu). L’article 2.1 de l’entente de principe stipule que « les parties entendent assurer par la voie d’un traité plutôt que par la voie judiciaire la reconnaissance, la confirmation et la continuation des droits ancestraux des Premières Nations [. . .], y compris le titre aborigène, et non leur extinction ». Le chapitre 8 de l’entente de principe régit l’exercice de l’autonomie gouvernementale des Premières Nations visées, leur permettant notamment d’adopter leur propre constitution et leurs propres lois en « toute matière relative à l’organisation, au bien-être général, au développement et au bon gouvernement » de leur société, de leurs membres et de leurs institutions (art. 8.3.1.1). Le chapitre 9 intitulé « Administration de la justice », quant à lui, donne aux « assemblées législatives des Premières Nations » le droit d’adopter des lois « pour constituer, maintenir et organiser des corps de police » (art. 9.4.1). L’entente de principe démontre que les gouvernements du Canada et du Québec considèrent crédible la revendication de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan à l’autonomie gouvernementale dans ce domaine, et qu’ils la prennent au sérieux. Même si le droit n’est pas établi, une revendication crédible est suffisante pour mettre en jeu l’honneur de la Couronne.
[179] Le pouvoir du Québec de conclure des ententes tripartites provient de l’art. 90 de la Loi. Il ressort des débats parlementaires relatifs à la Loi modifiant la Loi de police et la Loi sur l’organisation policière en matière de police autochtone que c’est dans l’objectif de promouvoir l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones que la Loi de police a été modifiée. Dans le cadre de ces débats, le ministre de la Sécurité publique déclare notamment que l’Assemblée nationale pressait le gouvernement de conclure avec les nations qui le désiraient « des ententes sur divers sujets leur assurant l’exercice du droit à l’autonomie au sein du Québec », que « [l]es nations autochtones ont le droit, dans le cadre des lois du Québec, de se gouverner sur les terres qui leur sont attribuées », et qu’elles « ont le droit d’avoir et de contrôler, dans le cadre d’ententes avec le gouvernement, des institutions qui correspondent à leurs besoins dans les domaines de la culture, de l’éducation, de la langue, de la santé, des services sociaux et du développement économique » (Journal des débats, p. 1252). Il apparaît manifestement, à la lecture de ces débats, que c’est dans le contexte de la revendication des peuples autochtones au droit à l’autonomie gouvernementale et au contrôle de leurs institutions que le Québec a procédé aux modifications nécessaires à la Loi de police pour permettre aux Premières Nations la possibilité de se doter d’un corps de police culturellement adapté.
[180] Lors de l’audience devant notre Cour, le Québec a souligné que les ententes tripartites contiennent une clause stipulant que l’entente « n’a pas pour effet de reconnaître, de définir, de porter atteinte à, de limiter ou de créer des droits ancestraux ou des droits issus de traités » et « ne doit pas être interprétée comme constituant une entente ou un traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (cl. 1.4.1). Je rappelle par ailleurs que l’intimé ne cherche pas, par l’entremise de ce litige, à établir un droit protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, notamment un droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services policiers.
[181] Ces faits sont vrais, mais ils ne changent rien en ce qui concerne la qualification du contrat. Même si les parties conviennent de ne pas régler de façon définitive les revendications de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan par l’entremise des ententes tripartites, il n’en reste pas moins que ces ententes portent sur l’objet de ses revendications, soit le droit à l’autonomie gouvernementale en matière de sécurité interne qu’il revendique. La question n’est pas de savoir si l’entente reconnaît ou modifie des droits autochtones, mais seulement si elle porte sur ce droit revendiqué. Sur ce point, je conviens avec le procureur général du Canada que « [l]’existence du droit n’a pas à être tranchée : il suffit que ce droit et sa mise en œuvre soient suffisamment en jeu » (m. interv., par. 17).
[182] Le Québec fait valoir que la prestation de services policiers n’a aucun lien avec la conciliation des droits et intérêts particuliers des Pekuakamiulnuatsh en tant que peuple autochtone (m.a., par. 36). Cette position ignore, à tort, que les ententes tripartites concernent le maintien d’un service de police autochtone, ce qui fait en sorte qu’elles portent, pour les raisons décrites précédemment, sur un droit autochtone revendiqué. Le Québec admet que l’honneur de la Couronne entre en jeu « lorsqu’il est question [des] droits collectifs » des peuples autochtones (par. 29). C’est le cas ici. Par ailleurs, le lien entre la réconciliation et les ententes se manifeste de manière patente à l’art. 90 de la Loi, la disposition législative qui autorise la conclusion des accords. L’avocate de l’appelant l’a elle-même concédé, affirmant ce qui suit à l’audience : « . . . l’article 90 de la Loi sur la police est à notre sens une disposition de réconciliation »; « elle permet, elle facilite, elle favorise la réconciliation [. . .] évidemment, là, que c’est un souhait des gouvernements » (transcription, jour 1, p. 47). Je suis d’accord avec le Québec sur ce point.
[183] Il apparaît donc clairement que l’objet des ententes tripartites à l’étude est la réconciliation de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne et de la présence antérieure des Pekuakamiulnuatsh sur le territoire visé. Il ressort de la preuve au dossier que le besoin des peuples autochtones de bénéficier de services policiers culturellement adaptés prend sa source dans la relation difficile, et parfois même traumatisante, que les peuples autochtones ont vécue, et dans certains cas continuent de vivre, avec les services policiers qui leur ont été imposés au fil des années par la Couronne. Ces difficultés et les traumatismes en résultant sont bien documentés. Les rapports finaux de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (Réclamer notre pouvoir et notre place (2019)), de la Commission Viens et de la Commission d’enquête sur Ipperwash (2007), entre autres, les relatent de façon exhaustive. Ces rapports font notamment état de l’échec des services policiers à se pencher sur la violence faite aux femmes et aux enfants dans certaines communautés autochtones, de la surreprésentation des Autochtones dans les centres de détention, ou encore du racisme et de la discrimination dans la prestation des services dans certaines communautés. La possibilité de conclure des ententes dont l’objectif est d’assurer la prestation de services policiers culturellement adaptés et gérés par les communautés autochtones desservies contribue à la réconciliation en assurant que ces services répondent à leurs besoins.
[184] En somme, les ententes tripartites doivent être qualifiées de contrats mettant en jeu l’honneur de la Couronne, puisqu’elles ont été conclues avec Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, au nom des Pekuakamiulnuatsh, pour l’établissement et le maintien d’un corps de police autochtone. Ces ententes visent à promouvoir la réconciliation en permettant la prestation de services culturellement adaptés aux besoins de la Première Nation et ancrés dans sa revendication à l’autonomie gouvernementale en matière de sécurité interne. Je vais maintenant me pencher sur les obligations qui découlent de l’honneur de la Couronne dans ce contexte.
c) L’obligation découlant de l’honneur de la Couronne
[185] Parce qu’il ne constitue pas une cause d’action en soi, le principe de l’honneur de la Couronne trouve son expression dans les obligations précises qu’il fait naître (Restoule, par. 220; MMF, par. 73; Nation haïda, par. 18). La teneur de ces obligations varie selon les circonstances. Sur le fondement des enseignements de notre Cour en matière de traités, j’estime que l’honneur de la Couronne impose au Québec l’obligation d’exécuter les ententes tripartites avec honneur et intégrité. Cette obligation constitue à elle seule une base suffisante pour rejeter le pourvoi. Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour les besoins de la présente affaire de décider si le Québec avait, en plus, une obligation fiduciaire sui generis ou l’obligation d’agir avec diligence dans l’acquittement d’une quelconque promesse.
[186] Dans le contexte de la conclusion et de l’exécution des traités, notre Cour a depuis longtemps reconnu l’obligation de la Couronne de négocier, d’interpréter et d’appliquer les traités avec honneur et intégrité, et en évitant la moindre apparence de « manœuvres malhonnêtes » (Nation haïda, par. 19 et 42, citant R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41). Cette obligation est transposable au contexte contractuel lorsque celui-ci met aussi en jeu la réconciliation entre la Couronne et les communautés autochtones.
[187] Je ne veux pas dire par là que l’entente devient un traité au même titre que les traités protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s’agit plutôt de reconnaître que l’honneur de la Couronne requiert de celle-ci, lorsqu’elle négocie et exécute une entente ayant pour trame de fond la réconciliation, qu’elle réponde à une norme de conduite plus élevée que dans le contexte d’une relation contractuelle ordinaire (Pallister, par. 56; Witchekan Lake, par. 130; voir aussi Motard et Chartrand, p. 201).
[188] La norme de conduite plus élevée à laquelle est assujettie la Couronne crée des obligations qui s’ajoutent aux obligations contractuelles. Le contenu conventionnel du contrat est déterminé par ses stipulations et par les obligations qui s’y attachent en vertu des dispositions du Code civil. Lorsque le principe de l’honneur de la Couronne s’applique, le contenu conventionnel n’est pas seulement interprété généreusement (Badger, par. 41) : une obligation additionnelle de droit public s’ajoute aux obligations contractuelles, soit l’obligation pour la Couronne d’agir avec honneur et intégrité dans l’exécution du contrat. Comme l’a fait observer notre Cour dans le contexte des traités, l’honneur de la Couronne « commande le respect d’exigences telles que s’en tenir à une négociation honnête et éviter l’apparence de manœuvres malhonnêtes » (MMF, par. 73). Dans le contexte contractuel, l’honneur de la Couronne ne vient donc pas modifier les termes de l’entente, mais plutôt moduler l’exécution des obligations qui y sont contenues en exigeant de la Couronne qu’elle agisse de manière à favoriser la réconciliation. L’honneur de la Couronne n’impose cette obligation additionnelle qu’à la Couronne, et non au groupe autochtone cocontractant.
[189] Que signifie pour la Couronne le fait d’agir avec honneur et intégrité dans la négociation et l’exécution d’une entente? La jurisprudence étudiant cette question dans le contexte des traités est instructive.
[190] Lorsque la Couronne décide de s’engager dans une relation contractuelle mettant en jeu son honneur, elle doit agir honorablement, avec intégrité et de manière à éviter la moindre apparence de « manœuvres malhonnêtes » (Nation haïda, par. 19; Badger, par. 41). Comme le suggère l’équivalent anglais de cette expression, « sharp dealing », cette norme de conduite exige davantage que la seule absence de malhonnêteté. En particulier, elle requiert de la Couronne qu’elle n’adopte pas une attitude intransigeante. La Couronne doit ainsi aborder les négociations avec un esprit ouvert et dans l’objectif de mener une véritable négociation afin de conclure une entente. La Couronne ne devrait pas s’engager dans des négociations sans avoir l’intention de remplir ses promesses, ni tenter de forcer ou d’imposer un résultat de façon unilatérale (A. F. Martin et C. Telfer, « The Impact of the Honour of the Crown on the Ethical Obligations of Government Lawyers : A Duty of Honourable Dealing » (2018), 41 Dal. L.J. 443, p. 459). De façon similaire, la Couronne ne peut changer sa position dans le seul but de retarder les négociations ou d’y mettre fin (Conseil Kaska Dena c. Canada, 2018 CF 218, par. 43).
[191] Bien entendu, l’honneur de la Couronne ne requiert pas que la négociation soit ultimement réussie; comme c’est le cas dans toute négociation, l’une ou l’autre des parties peut se retirer lorsque survient une impasse (Chemainus First Nation c. British Columbia Assets and Lands Corp., 1999 CanLII 6298 (BC SC), [1999] 3 C.N.L.R. 8 (C.S. C.-B.), par. 26). Cependant, lorsqu’elle est engagée dans un tel processus, la Couronne doit adopter une norme de conduite supérieure à celle qu’elle adopterait dans le contexte du droit privé et se comporter de manière à maximiser les chances de succès.
[192] Lorsqu’une entente a été conclue, la Couronne doit se comporter avec honneur et intégrité dans l’exécution de ses obligations. Cela signifie entre autres qu’elle doit adopter une interprétation généreuse des termes de l’entente et les respecter scrupuleusement en évitant tout manquement à ceux-ci (Badger, par. 41). La Couronne doit agir honorablement dans toute négociation visant la modification ou le renouvellement de l’entente (voir, p. ex., Gitanyow First Nation c. Canada, 1999 CanLII 6180 (BC SC), [1999] 3 C.N.L.R. 89 (C.S. C.-B.)). Elle doit éviter de tirer avantage du déséquilibre dans le rapport qui caractérise sa relation avec les peuples autochtones en acceptant, par exemple, de renouveler ses engagements à des conditions plus favorables pour elle sans avoir véritablement négocié au préalable (voir F. Hoehn, « The Duty to Negotiate and the Ethos of Reconciliation » (2020), 83 Sask. L. Rev. 1, p. 20).
d) Le manquement du Québec à son obligation de se conduire de manière honorable dans l’exécution des ententes
[193] Pekuakamiulnuatsh Takuhikan allègue que le Québec, par son attitude intransigeante, a manqué à son honneur en refusant de négocier les conditions financières des ententes tripartites, lui imposant ainsi un financement arbitraire qu’il savait insuffisant. Le Québec réplique que si l’honneur de la Couronne emporte des obligations à son égard, il s’est comporté de façon honorable puisqu’il a respecté son engagement de financer le corps de police de Mashteuiatsh conformément aux ententes.
[194] Le Québec a tort. Tel qu’il a été exposé précédemment dans la section portant sur la bonne foi, le Québec a refusé de considérer les demandes répétées de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan de renégocier le niveau de financement de son corps de police, alors qu’il savait pourtant que ce dernier était sous-financé et que l’intimé accepterait un niveau de financement insuffisant pour éviter d’avoir recours aux services inadaptés de la SQ.
[195] Cette conduite, qui constitue un manquement à la bonne foi, représente également un manquement à l’obligation d’exécuter les ententes tripartites avec honneur et intégrité, celle-ci imposant une norme plus élevée. En plus de lui interdire de frauder ou d’induire en erreur une autre partie, l’honneur de la Couronne requiert de cette dernière qu’elle s’engage de manière significative dans une véritable négociation de manière à favoriser le maintien d’une relation qui puisse soutenir le processus continu de la réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones (voir Badger, par. 41; Nation haïda, par. 19; MMF, par. 73; Chemainus, par. 26).
[196] En refusant de renégocier le niveau de financement malgré les doléances répétées de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et la situation précaire dans laquelle celui‑ci se trouvait, le Québec s’est conduit d’une manière qui se situait bien en deçà de la norme qui caractérise une conduite honorable. Par son manquement, le Québec a mis en péril l’équilibre contractuel et l’objet même des ententes tripartites. Cette conduite n’est pas moins déshonorante du fait qu’il a, par la suite, respecté les termes résultant de son refus de négocier.
[197] Par conséquent, je conclus que le Québec ne s’est pas conformé à son obligation d’agir avec honneur, manquement établissant un deuxième fondement indépendant de responsabilité.
B. La réparation appropriée
[198] Il convient maintenant de déterminer la réparation appropriée pour les manquements constatés suivant ces deux fondements. Puisque le comportement du Québec peut être qualifié à la fois de faute civile et de violation d’une obligation de droit public, la réparation appropriée peut être ordonnée conformément au régime de droit civil québécois et au régime de droit public.
[199] Le Québec, de façon subsidiaire, reconnaît que la condamnation au paiement de dommages‑intérêts est une réparation appropriée en droit civil. Cependant, il soutient que la Cour d’appel a erré dans son analyse qui l’a menée à condamner le Québec à payer 767 745,58 $ à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, un montant correspondant à 48 p. 100 des déficits accumulés, avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle. En particulier, il affirme que la Cour d’appel a fixé le montant des dommages-intérêts de manière arbitraire, omettant notamment de déterminer si les déficits étaient effectivement la conséquence logique, directe et immédiate de la faute reprochée. De l’avis du Québec, il est donc nécessaire, en cas de condamnation au paiement de dommages-intérêts, de renvoyer le dossier à la Cour supérieure afin qu’elle fixe les dommages-intérêts conformément aux principes applicables et à la lumière de la preuve qui sera alors administrée. Enfin, il maintient que, pour ce qui est de la présente affaire du moins, les mêmes principes régissent la condamnation au paiement de dommages-intérêts pour un manquement aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne.
[200] Quant à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, il plaide que tant les règles de droit public que celles de droit civil « justifient le remboursement des déficits » qu’il a dû assumer, de sorte qu’il n’y a pas lieu de renvoyer le dossier à la Cour supérieure (m.i., par. 149).
[201] À mon avis, le Québec a tort de prétendre que la détermination de la réparation appropriée en l’espèce se prête à une même analyse en vertu du droit civil et du droit public. Bien qu’ils puissent être appliqués à un même comportement fautif, comme c’est le cas en l’espèce, ces deux régimes juridiques sont de nature différente.
[202] Le régime de droit civil relève de la justice corrective; il vise à remettre la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée, n’eût été la faute commise par autrui. Le préjudice doit être à la fois une suite immédiate et directe de cette faute et avoir été prévu ou prévisible (art. 1607 et 1613 C.c.Q.).
[203] Quant au régime de droit public en lien avec le principe de l’honneur de la Couronne, il s’intéresse plutôt à la relation à long terme entre la Couronne et les communautés autochtones (Nation haïda, par. 32; Carrier Sekani, par. 37-38; K. Roach, Constitutional Remedies in Canada (2e éd. (feuilles mobiles)), § 15:20; B. Slattery, « Aboriginal Rights and the Honour of the Crown » (2005), 29 S.C.L.R. (2d) 433, p. 440). Le tribunal doit ordonner toute mesure nécessaire afin de rétablir l’honneur de la Couronne, de manière à favoriser la poursuite de l’objectif de réconciliation (Restoule, par. 277, citant Nation haïda, par. 45). Il s’agit d’un régime bien plus souple que celui de droit civil : les tribunaux peuvent et doivent faire preuve de créativité afin de trouver une réparation qui favorise la réconciliation (Restoule, par. 277, citant Hogg et Dougan, p. 292). J’ajouterais que la norme élevée qui s’applique à l’honneur de la Couronne justifie, en partie, l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’octroyer une réparation qu’ils considèrent comme appropriée, pouvoir qui n’existe pas sous le régime de la bonne foi. À son tour, cette discrétion s’oppose à la position de l’intervenant le procureur général du Canada selon laquelle la Cour d’appel devait d’abord envisager un jugement déclaratoire avant de condamner les gouvernements du Canada et du Québec au paiement de dommages‑intérêts. Dans le cadre de la justice réconciliatrice, la flexibilité, et non la rigidité, est la règle.
[204] Les deux régimes n’ayant pas le même objectif et n’étant pas assujettis aux mêmes règles, ils ne peuvent se prêter à une même analyse. Pour ces raisons, j’étudierai tour à tour les régimes de droit civil et de droit public.
(1) Le manquement à la bonne foi : restitutio in integrum
[205] Pour ce qui est du régime de droit civil, je partage l’avis du Québec que le dossier ne nous permet pas de fixer le quantum des dommages-intérêts.
[206] Après avoir conclu que le comportement des gouvernements du Canada et du Québec constituait un fait générateur de responsabilité civile et, plus précisément, un abus de droit — une conclusion que je partage —, la Cour d’appel s’est tournée vers la question de la réparation. À cet égard, elle a affirmé que « la condamnation à des dommages-intérêts qui coïncident avec les déficits encourus par [Pekuakamiulnuatsh Takuhikan] au cours de la période 2013-2018 pour le maintien de son service de police (même insatisfaisant) est en l’espèce une réparation juste et convenable, qui correspond au préjudice résultant de l’abus, faute contractuelle » (par. 140).
[207] Certes, le refus obstiné des deux gouvernements, dont celui du Québec, de négocier l’étendue du financement à l’occasion du renouvellement prévu aux termes mêmes des ententes constitue une faute civile. Or, l’intimé — demandeur en première instance — avait aussi la charge de prouver avec précision le préjudice qui en résultait pour justifier sa demande en responsabilité civile pour non-respect des exigences de la bonne foi. Il n’est pas évident que, même si le Québec avait agi de bonne foi au cours des négociations, il aurait, avec le Canada, financé la SPM à 100 p. 100 et que l’intimé n’aurait enregistré aucun déficit; c’est le propre même des négociations qu’une partie n’obtiendra pas nécessairement tout ce qu’elle souhaite, particulièrement dans un contexte comme celui-ci, où la volonté politique et les sommes disponibles étaient limitées. De même, il n’est pas évident que l’aide d’appoint fournie par le Québec, que ce soit au moyen d’un avenant, d’une entente bilatérale ou d’un prêt de service, est sans pertinence dans l’évaluation des dommages-intérêts nécessaires pour compenser le préjudice subi par l’intimé. Le dossier ne révèle pas non plus si les négociations portant sur la première entente comprise dans la période en litige ont eu lieu durant celle-ci ou avant, auquel cas le préjudice causé par ce manquement ne pourrait pas être pris en compte par le tribunal. À mon avis, et cela dit avec égards, la Cour d’appel ne pouvait conclure, sans une analyse plus poussée de la preuve, que le préjudice subi par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et causé par le non-respect des art. 6, 7 et 1375 C.c.Q. correspond à la totalité des déficits accumulés.
[208] Dans les circonstances, notre Cour n’est pas en mesure de procéder à cette évaluation elle-même. La preuve concernant le préjudice subi, et entre autres la pertinence des contributions que le Québec cherche à documenter dans son tableau DPGQ-21, rend ce travail hasardeux en appel. Si le recours de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan avait pour seul fondement une faute civile, je conclurais donc qu’il y a lieu de renvoyer le dossier à la Cour supérieure pour que celle-ci fixe la hauteur des dommages-intérêts (Loi sur la Cour suprême, art. 46.1; Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543, par. 45).
[209] Je me tourne maintenant vers la question de la réparation appropriée au regard du droit public.
(2) Le manquement à l’obligation d’agir avec honneur : rétablissement de l’honneur de la Couronne
[210] Un manquement aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne donne ouverture à « toute la gamme des réparations, y compris des dommages-intérêts et d’autres mesures de nature coercitive, pour remédier à ce manquement » (Restoule, par. 276, citant Roach, § 15:2). Sous le régime de droit public, l’analyse doit être axée sur le rétablissement de l’honneur de la Couronne, qui a été entaché par son comportement fautif. Cette démarche ne vise pas à réparer les conséquences d’une faute civile, mais plutôt à imposer une mesure qui rétablit l’équilibre de la relation entre les parties et les remet ainsi sur la voie de la réconciliation.
[211] Étant donné que la démarche s’attache à la relation entre la Couronne et les peuples autochtones, il y a lieu d’être sensible aux perspectives autochtones concernant la manière dont la relation peut être rétablie. Auteur d’un ouvrage faisant autorité sur la question, l’auteur Robert Mainville, maintenant juge à la Cour d’appel du Québec, a écrit que [traduction] « [l]a perspective autochtone doit être pleinement prise en compte, et des mesures doivent être mises en place pour faire en sorte que les décisions qui sont prises soient conformes aux intérêts à long terme de la communauté autochtone concernée et à la survie en tant que société et culture distinctes et viables » (p. 127). Bien que ces propos aient été tenus dans le contexte d’une discussion sur les régimes d’indemnisation judiciairement supervisés, ils sont aussi utiles pour déterminer la réparation appropriée en cas de violation d’une obligation découlant de l’honneur de la Couronne. Cela ne veut pas dire que les représentants d’une communauté autochtone peuvent eux-mêmes décider, au lieu du tribunal, quelle réparation est appropriée dans les circonstances. Il s’agit plutôt de reconnaître que la perspective autochtone à cet égard est un facteur dont le tribunal doit tenir compte. Plus la perspective autochtone est raisonnable, plus le tribunal sera susceptible d’y faire droit.
[212] Au terme de son analyse axée sur l’honneur de la Couronne, le juge Bouchard a condamné le Québec à verser à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan 767 745,58 $, avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle, pour son défaut de se conformer à son obligation d’agir honorablement dans ses rapports contractuels avec l’intimé (motifs de la C.A., par. 125).
[213] Est-ce qu’il y a lieu de confirmer cette réparation?
[214] En l’espèce, la relation entre les parties a été minée par l’attitude intransigeante que le Québec a adoptée au stade du renouvellement des ententes tripartites pendant la période en litige. Cette attitude a servi le Québec. Ce dernier, qui a la responsabilité d’assurer la sécurité de toutes les personnes au Québec, savait que les services de la SQ étaient inadaptés aux réalités des communautés autochtones et pouvaient même leur être préjudiciables. En renouvelant les ententes sans véritablement en négocier les conditions financières, le Québec a pu permettre à la communauté de Mashteuiatsh de bénéficier d’une desserte policière autochtone tout en limitant ses propres dépenses et en s’assurant que le Canada continue à financer partiellement le corps de police.
[215] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’attitude intransigeante du Québec a fait en sorte que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan avait l’impression d’avoir un « couteau sur la gorge » (motifs de la C.A., par. 101) : soit il continuait de s’appauvrir pour maintenir la SPM et conserver les progrès que cette dernière représente en matière d’autonomie gouvernementale, soit il abolissait la SPM, ce qui impliquait à la fois un retour aux services inadéquats de la SQ et une régression en matière d’autonomie gouvernementale (par. 136-137). Ce « couteau sur la gorge » a poussé l’intimé à accepter de renouveler les ententes tripartites à des conditions qu’il n’a pu véritablement négocier, ce qui l’a mené à assumer des déficits totalisant 1 599 469,95 $ durant la période en litige. En plus, cet état de fait a forcé la SPM à fonctionner « au minimum du minimum du minimum », ses agents n’étant même pas formés pour utiliser un radar routier ou un éthylomètre (par. 99 et 114). C’est donc dire que la qualité des services offerts à la communauté — et de ce fait la communauté elle‑même — a souffert de l’intransigeance et du sous-financement qui en a résulté.
[216] Ainsi, malgré le « respect » et la « transparence » notés par le premier juge — qui n’a pas tenu compte du principe de l’honneur de la Couronne —, l’attitude du Québec lui a profité et a nui à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et ce, non seulement sur le plan financier, mais également sur le plan de la qualité de la desserte policière et de sa dignité, puisque sa liberté de choix n’a pas été respectée. En imposant un choix aussi difficile à l’intimé, alors qu’il savait que les services de la SQ étaient inadaptés et possiblement préjudiciables, le Québec n’a pas traité d’égal à égal avec celui-ci, et n’a pas fait preuve de l’« esprit de collaboration et de respect mutuels » évoqué par le ministre et par la Politique fédérale (Journal des débats, p. 1254 (S. Ménard)). Cela fait également partie du préjudice causé à la relation, qui doit maintenant être réparée.
[217] Considérant que la conduite déshonorante du Québec a servi ses intérêts et a nui à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et à la communauté qu’il représente sur le plan des finances, de la sécurité publique et de la dignité, et considérant aussi la perspective de cette communauté, qui a toujours cherché à obtenir une condamnation au paiement de dommages-intérêts, je suis d’avis que la Cour d’appel pouvait conclure que la réparation de ce préjudice nécessite une telle réparation.
[218] Le Canada, en sa qualité d’intervenant, soutient qu’« en général », le remède le plus approprié pour donner effet au principe de l’honneur de la Couronne est le jugement déclaratoire (m. interv., par. 29). Il souligne que la Cour d’appel n’a pas considéré de prononcer un tel jugement au lieu d’ordonner des dommages-intérêts. En tant qu’intervenant, le Canada ne prend aucune position concernant la réparation appropriée en l’espèce.
[219] Il est vrai, comme l’a noté notre Cour à l’unanimité sous la plume de la juge O’Bonsawin, que cette réparation [traduction] « est tout particulièrement indiquée compte tenu de la relation non antagoniste et de nature fiduciaire que les gouvernements canadiens sont censés avoir avec les peuples autochtones » (Shot Both Sides c. Canada, 2024 CSC 12, par. 72, citant Roach, § 15:31). Un jugement déclaratoire aide les parties à régler leur différend de manière collaborative plutôt que conflictuelle et dans le respect de leurs droits et obligations respectifs. Une telle mesure est plus à même de les faire progresser vers l’objectif de réconciliation qu’une réparation imposée par les tribunaux à l’issue de débats judiciaires contradictoires (voir Renvoi, par. 77; Desautel, par. 87; Nation haïda, par. 20; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, par. 24). Dans les arrêts MMF et Shot Both Sides, notre Cour a conclu qu’un jugement déclaratoire outillant la partie autochtone pour la tenue des négociations à venir avec la Couronne était une mesure propre à permettre de régler, de façon pratique, les questions litigieuses, et constituait donc une réparation appropriée.
[220] Cela dit, il est également vrai que d’autres réparations, dont une condamnation au paiement de dommages-intérêts, sont à la disposition du tribunal (Restoule, par. 288; voir aussi Carrier Sekani, par. 37). La réparation relative à l’honneur de la Couronne varie selon les circonstances propres à chaque affaire; aucun type de réparation n’a préséance sur les autres. Rappelons que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan réclame, depuis le début des procédures, des dommages-intérêts en réparation de ce qu’il considère comme une conduite déshonorante, et qu’il n’a pas demandé qu’un jugement déclaratoire soit rendu. La présente affaire se distingue donc de Shot Both Sides, où la partie autochtone sollicitait expressément un tel jugement (par. 63). Et mentionnons par ailleurs que le Québec n’a pas remis en question devant la Cour l’octroi de dommages-intérêts comme réparation en l’espèce; c’est plutôt leur quantum qu’il conteste (m.a., par. 126-128). En ce sens, l’affaire se distingue également de Restoule, où une partie gouvernementale soutenait que seul un jugement déclaratoire pouvait être accordé pour remédier au manquement en question (par. 269).
[221] Je dois donc maintenant me pencher sur la question du quantum des dommages-intérêts relatifs à l’honneur de la Couronne et du renvoi du dossier à la Cour supérieure soulevé par le Québec.
[222] Pour ce qui est du quantum, je note que les arguments du Québec concernant la question des dommages-intérêts sont centrés sur la logique de responsabilité contractuelle et de justice corrective qu’il nous encourage à adopter. Il n’a présenté aucun argument en lien avec les dommages-intérêts accordés par le juge Bouchard au terme de son analyse en lien avec le principe de l’honneur de la Couronne. Le Québec ne dit rien sur la vocation des dommages-intérêts en guise de réparation destinée à réparer sa relation avec Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Il ne dit rien non plus sur la spécificité de la réparation qu’exige le non-respect d’une obligation issue de l’honneur de la Couronne ou de ce que l’auteur Mainville qualifie comme étant une [traduction] « approche spéciale qui fait en sorte que la réconciliation entre la société autochtone et la société canadienne majoritaire puisse être réalisée dans un contexte d’équité et de justice pour les deux sociétés » (p. 109).
[223] Si le calcul du quantum des dommages‑intérêts conformément aux règles du droit civil nécessite une évaluation que la Cour n’est pas en mesure de faire, nous sommes toutefois ici dans un contexte tout autre. La tâche consiste à déterminer la réparation appropriée pour la violation d’une obligation qui découle de l’honneur de la Couronne; en ce sens, le tribunal doit plutôt réaliser une analyse axée sur la justice réconciliatrice de manière à s’assurer que l’ordonnance rendue aura pour effet de rétablir l’honneur de la Couronne. Encore une fois, je partage l’avis de l’auteur Mainville, qui explique dans son ouvrage que [traduction] « l’utilisation des sommes versées à titre de compensation financière [. . .] devrait être compatible avec la préservation de l’honneur de la Couronne et avec les intérêts des générations actuelles et futures des peuples autochtones touchés » (p. 127). Comme notre Cour l’a reconnu dans Restoule, le tribunal doit faire preuve de créativité dans la détermination de la réparation appropriée lorsque cela est nécessaire afin de rétablir l’honneur de la Couronne (par. 277).
[224] Le bien-fondé du montant accordé à titre de dommages-intérêts en cas de violation d’une obligation découlant de l’honneur de la Couronne est une question hautement contextuelle. En l’espèce, j’estime qu’il convient de confirmer le montant déterminé par la Cour d’appel en raison des circonstances particulières de l’affaire, en tenant compte de la vocation des dommages-intérêts, qui visent non seulement à réparer le préjudice du passé mais aussi à rétablir l’honneur de la Couronne pour l’avenir. À ceci s’ajoutent les difficultés de quantifier le préjudice financier subi par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et la pertinence, eu égard au principe de l’honneur de la Couronne, des contributions financières supplémentaires fournies par le Québec en l’espèce. Par ailleurs, le renvoi du dossier à la Cour supérieure pour ce type d’évaluation — par opposition à l’évaluation des dommages-intérêts liés seulement à la faute civile — se heurte, à mon avis, au principe de proportionnalité qui doit guider les tribunaux comme principe directeur du droit judiciaire.
[225] En raison de la conduite du Québec, l’intimé a été privé de la possibilité de négocier avec le gouvernement du Québec des conditions de financement plus favorables, ce qui a entraîné des déficits récurrents liés aux coûts du fonctionnement du corps de police de Mashteuiatsh. Il n’est pas possible de déterminer dans quelle position l’intimé se trouverait aujourd’hui, n’eût été la conduite déshonorante de la Couronne. Cependant, puisque cette impossibilité découle de cette conduite déshonorante elle-même, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan ne devrait pas s’en trouver pénalisé. Les autres préjudices qui lui ont été causés, sur les plans de la qualité de la desserte policière et de la dignité, sont eux aussi difficiles à quantifier avec précision.
[226] L’aide d’appoint fournie par le Québec au cours de la période en litige ne remet pas en question la réparation ordonnée par la Cour d’appel. Dans les faits, ces ressources additionnelles n’ont pas véritablement remédié au préjudice subi par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et sa communauté sur le plan des finances, de la qualité de la desserte policière ou du respect de leur dignité, ou encore permis de rétablir la relation entre les parties, mais elles ont plutôt eu pour effet de prévenir l’abolition de la SPM tout en perpétuant sa situation de précarité et les conséquences en découlant.
[227] Les témoins du Canada et du Québec reconnaissent que leurs apports n’étaient que des solutions de fortune. Au procès, le représentant du Canada, M. Bourdage, a qualifié l’aide d’appoint de 400 000 $ fournie par le Canada, somme qui correspond à l’aide d’appoint fournie par le Québec à la même époque, de « Band‑Aid » et de « p’tit pansement » venant « temporiser un peu » ou « juguler une hémorragie » afin de « garder les lumières allumées pour un p’tit bout de temps encore » et d’« éviter que le poste de police ferme » (d.a., vol. XVII, p. 9). Il a enchaîné en précisant que le Canada « voulait éviter de mettre de l’argent directement à l’item salaire, parce que [. . .] il y avait quand même une réticence à s’engager [à maintenir ce niveau de financement] » (ibid.). Dans le même ordre d’idées, son collègue du Québec affirme que le Québec voulait apporter un appui supplémentaire aux communautés autochtones qui en avaient besoin, « mais pas en salaires, pour les raisons que [M. Bourdage] [. . .] a expliquées dans son témoignage » (p. 66). Ces extraits montrent clairement que l’aide d’appoint n’avait pas pour objet de véritablement remédier au préjudice causé par le comportement déshonorant des gouvernements fédéral et provincial ou de rétablir la relation avec l’intimé, mais plutôt de maintenir la SPM sans apporter de véritables solutions aux problèmes persistants dus à ce comportement.
[228] Bref, compte tenu de l’ampleur du préjudice causé à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et à la communauté qu’il représente et du caractère relativement modeste de sa réclamation, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de modifier l’ordonnance de la Cour d’appel pour tenir compte de l’aide d’appoint fournie par le Québec, laquelle a aidé à préserver l’existence de la SPM sans toutefois remédier à sa situation de précarité ou réparer la relation entre les parties.
[229] Par ailleurs, je tiens à souligner qu’il est essentiel de porter une attention particulière à la proportionnalité lorsqu’un manquement à une obligation découlant de l’honneur de la Couronne est en cause. Dans de telles circonstances, le chemin vers le rétablissement de l’honneur de la Couronne ne passe pas toujours par l’application stricte de principes de droit privé. Il ne passe pas non plus toujours par l’insistance sur le respect de procédures qui, vu le montant en jeu, sont onéreuses pour établir les conséquences d’une conduite déshonorante. La justice réconciliatrice exige à la fois souplesse et flexibilité. Voici un exemple où le « virage culturel » invite les juges à gérer le processus judiciaire « dans le respect du principe de la proportionnalité » (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 32; voir le Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 18).
[230] Il m’apparaît évident que les circonstances de l’espèce soulèvent des enjeux sur le plan de la proportionnalité. À mon avis, les fins de la justice — qui s’entend ici de la justice réconciliatrice — ne seraient pas servies par le renvoi du dossier à la Cour supérieure. Les déficits ne sont pas imputables à une quelconque mauvaise gestion de la SPM. Leur accumulation remonte à plus d’une décennie, et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan a introduit cette instance en décembre 2017, il y a environ sept ans. Il a déjà investi énormément de temps et d’efforts pour faire valoir ses droits en vertu des ententes tripartites. Le renvoi du dossier en première instance ajouterait aux délais déjà encourus par l’intimé (et le Québec), et ce, sans indication claire que le juge arriverait à un quantum différent. Dans ces circonstances et considérant le montant en jeu, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de prolonger encore le processus.
[231] Compte tenu de leurs finalités distinctes, on ne peut exclure la possibilité que la réparation de droit privé et celle de droit public se complètent. Je soulignerais toutefois que la détermination du quantum des dommages accordés en cas de manquement aux obligations découlant de l’honneur de la Couronne devrait tenir compte des réparations concomitantes accordées, le cas échéant, sur le fondement du droit privé dans le but d’éviter notamment une double indemnisation (voir, par analogie, Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, par. 36). Il est vrai que le caractère distinct de la réclamation pour violation de l’obligation associée à l’honneur de la Couronne fait en sorte que ce recours de droit public ne se substitue pas pleinement au recours de droit privé. Mais, comme le remarquent les auteurs Jean‑Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore à l’égard du recours fondé sur le par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, l’État peut toutefois invoquer en défense que le recours de droit privé permet une réparation suffisante pour remédier à la violation (La responsabilité civile (9e éd. 2020), no 1-140, citant Ward, par. 34-35). Cela étant, je souligne que la confirmation du montant octroyé par la Cour d’appel pour manquement à l’honneur de la Couronne scelle le sort du pourvoi en l’espèce.
[232] En définitive, je suis d’avis de me prévaloir de la souplesse inhérente à l’évaluation des dommages-intérêts dans ce contexte de droit public et de confirmer, sans intervenir à l’égard du quantum, la réparation accordée par la Cour d’appel, qui, plus que toute autre mesure, est de nature à rétablir l’honneur de la Couronne. Les motifs qui m’amènent à conclure à un manquement du Québec et à confirmer la condamnation prononcée par la Cour d’appel contre celui-ci suffisent à identifier le comportement déshonorant du Québec et à renseigner les parties pour l’avenir. Pour ces raisons, et compte tenu de la compensation accordée à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, j’estime qu’un jugement déclaratoire n’aurait aucune utilité pratique en l’espèce (voir Shot Both Sides, par. 68).
[233] En confirmant la réparation accordée par la Cour d’appel, je ne m’autorise pas à « réécrire » les ententes tripartites. Je suis sensible à l’argument avancé par le procureur général de la Saskatchewan, qui s’appuie notamment sur Witchekan Lake, par. 127-131, selon lequel l’honneur de la Couronne ne devrait pas être instrumentalisé en vue d’ajouter au contrat, à titre d’obligation implicite, une [traduction] « obligation constitutionnelle de financement inconnue jusqu’à présent » qui serait en porte à faux avec les termes dont ont librement convenu les parties (m. interv., par. 35). Je suis conscient du fait que l’honneur de la Couronne est une modalité d’exécution des ententes et non une cause d’action en soi (MMF, par. 73). Par conséquent, je partage l’opinion exprimée par le juge Rennie dans Witchekan Lake : même quand l’honneur de la Couronne s’applique à un contrat, le rôle du tribunal ne peut pas être « de réécrire, sous le couvert de la réconciliation, le marché conclu » (par. 131).
[234] Ce n’est certes pas ce que je propose de faire ici.
[235] Je ne toucherais pas à l’engagement contractuel du gouvernement du Québec de financer le corps de police à hauteur d’une « somme maximale » fixée pour chaque exercice financier annuel (cl. 4.2.1) ou encore à celui de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan d’assumer la responsabilité pour les déficits accumulés durant la même période (cl. 4.5.2). Ici, la réparation demandée et accordée par la Cour d’appel vise à permettre au projet consistant à maintenir un corps policier autochtone à Mashteuiatsh de reprendre son élan, dans une relation de nation à nation renouvelée pour l’avenir et conformément au principe constitutionnel de la réconciliation. Cela me semble tout à fait approprié.
[236] La relation entre la Couronne et Pekuakamiulnuatsh Takuhikan se continue. Comme la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Taku River, « [d]ans toutes ses négociations avec les Autochtones, la Couronne doit agir honorablement, dans le respect de ses relations passées et futures avec le peuple autochtone concerné » (par. 24 (je souligne)). Il est attendu que, à l’avenir, le Québec se comporte de façon honorable dans l’exécution d’ententes similaires, suivant les principes établis dans ce jugement.
VI. Conclusion
[237] Pour l’ensemble de ces motifs, je propose de rejeter le pourvoi, avec dépens.
[238] L’intimé a présenté une requête pour production de nouveaux éléments de preuve. Déférée à la formation par une juge de la Cour, la requête est contestée par le Québec. Compte tenu de ma proposition de rejeter l’appel sans égard à cette pièce, je considère que la requête est théorique. Je la rejetterais, donc, mais sans frais.
[239] L’intimé a aussi demandé à notre Cour d’ordonner au Québec de lui payer les dépens sur la base avocat-client. Il affirme que l’appel représente une circonstance exceptionnelle, car il a dû « prolonger un débat judiciaire pour faire sanctionner le défaut de l’Appelant [. . .] alors que l’Intervenant [le procureur général du Canada] n’a pas demandé l’appel du jugement sanctionnant leurs actions concertées » (m.i., par. 159). Adhérer à la règle ordinaire serait, dit-il, contraire aux objectifs de la réconciliation.
[240] Je ne peux souscrire à ces arguments. À mon avis, nous ne sommes pas en présence de circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence sur les dépens. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour octroie des dépens sur la base avocat-client lorsqu’une partie fait preuve d’une conduite « répréhensible, scandaleuse ou outrageante » ou lorsqu’un pourvoi soulève des questions d’intérêt général qui dépassent le cas particulier de la partie qui remporte l’appel (voir, p. ex., Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, [2019] 4 R.C.S. 138, par. 95). Ici, il n’y a pas de circonstances qui justifieraient l’exercice de notre discrétion en ce sens. Rien ne laisse croire que le Québec a agi d’une manière répréhensible, scandaleuse ou outrageante dans le contexte des procédures judiciaires. De même, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan n’a pas démontré qu’il n’a « dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique » ou encore « qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée » (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 140; voir aussi Anderson c. Alberta, 2022 CSC 6, [2022] 1 R.C.S. 29, par. 73). Je ne dérogerais pas à la règle habituelle sur l’octroi de dépens.
Les motifs suivants ont été rendus par
La juge Côté —
Pacta sunt servanda
(Les conventions doivent être respectées)
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Aperçu
241
II. Faits et cadre procédural
251
III. Analyse
260
A. Le principe de l’honneur de la Couronne s’intègre implicitement aux ententes tripartites
260
B. Le Québec s’est engagé à contribuer financièrement à l’établissement et au maintien de la Sécurité publique de Mashteuiatsh
268
(1) L’engagement du Québec découle strictement des ententes tripartites
270
(2) La Politique fédérale ne peut définir l’engagement du Québec
279
(3) L’honneur de la Couronne ne permet pas de réécrire les ententes tripartites que ce soit sous l’angle de principe de droit public, ou d’obligation implicite en vertu de l’art. 1434 C.c.Q.
283
C. Le Québec n’a pas agi de manière déshonorable ni de manière abusive
291
(1) Les mesures additionnelles du Québec pour soutenir le service de police de Mashteuiatsh
303
(2) La déférence envers l’autonomie contractuelle et financière de Takuhikan
311
D. Commentaires portant sur la réparation
317
IV. Conclusion
325
I. Aperçu
[241] Le principe de la bonne foi et celui de l’honneur de la Couronne permettent‑ils à une cour d’écarter ou d’ignorer certaines clauses expresses d’un contrat — et en fait, d’aller complètement à l’encontre de celles‑ci, en imposant des obligations qui sont incompatibles avec leurs termes non ambigus, alors qu’il n’y a aucune demande en nullité, ni vice de consentement allégué? Telle est la question qui se pose en l’espèce.
[242] En vertu d’ententes tripartites[1] conclues au fil des ans avec les gouvernements du Canada et du Québec, l’intimé Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (« Takuhikan ») qui est l’organisation politique et administrative de la Première Nation innue des Pekuakamiulnuatsh, est responsable des services policiers pour cette Première Nation, située à Mashteuiatsh non loin de Roberval. Ces ententes encadrent le financement du corps de police, la Sécurité publique de Mashteuiatsh, et divers aspects de son fonctionnement, mais limitent en des termes exprès la contribution des gouvernements à une somme maximale déterminée chaque année, selon le budget alloué par crédits budgétaires. Aux termes des ententes, Takuhikan est responsable des déficits encourus au‑delà de la contribution financière que souhaitent offrir les gouvernements, et il est de plus précisé dans ces mêmes ententes que les gouvernements ne sont pas responsables des engagements pris par Takuhikan relativement aux ententes (voir l’art. 5.4.1).
[243] Depuis la conclusion de la première entente en 1996 et l’établissement de la Sécurité publique de Mashteuiatsh, le service de police a encouru des déficits au cours de certaines années. En conséquence, et comme le prévoient les ententes, Takuhikan a régulièrement puisé dans ses fonds de programme et ses fonds autonomes pour éponger les déficits accumulés — soit lors des exercices de 2004‑2005, de 2006‑2007 et de 2012‑2013. Takuhikan a demandé à la Cour supérieure que le Canada et le Québec soient tenus responsables des déficits accumulés pour les services de police dispensés dans le cadre des ententes conclues entre 2013 et 2017, alléguant des manquements à leurs obligations de négocier de bonne foi, d’agir honorablement et de satisfaire aux normes strictes de conduite qui incombent à un fiduciaire. La Cour supérieure a rejeté la demande de Takuhikan. Toutefois, la Cour d’appel a condamné les gouvernements pour l’ensemble des déficits, concluant que leur refus de financer le service de police de manière à garantir un niveau de service égal à celui offert aux non‑Autochtones constitue un manquement à l’honneur de la Couronne. Seul le procureur général du Québec se retrouve aujourd’hui en appel devant notre Cour.
[244] Il ne fait pas de doute que ce pourvoi soulève un enjeu très important pour les peuples autochtones quant à leur quête d’autonomie gouvernementale, soit celui de fournir leurs propres services en matière de sécurité publique et personnelle auprès de leurs populations. Le soutien financier du Canada et du Québec à l’établissement et au maintien des services policiers autochtones contribue indéniablement à la réalisation de cet objectif.
[245] J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue et je suis d’accord avec certains de ses énoncés. Je suis d’avis que le principe de l’honneur de la Couronne ne peut être ignoré lorsque les gouvernements concluent des ententes tripartites en vertu de la Loi sur la police, RLRQ, c. P‑13.1 (« LP »), pour le financement de services de police autochtones comme celles en cause, bien qu’il soit expressément prévu que ces ententes ne sont pas sujettes à l’application de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De telles ententes ne sont pas des contrats purement commerciaux. En négociant et en concluant les ententes tripartites, le Canada et le Québec ont voulu s’engager à l’endroit de Takuhikan dans un objectif de réconciliation. Selon moi, le principe de l’honneur de la Couronne, tout comme celui de la bonne foi d’ailleurs, entre en jeu lors de l’évaluation de la conduite du cocontractant non autochtone, conduite qui doit cependant être analysée à la lumière des engagements tels que conclus. Il importe en effet de préciser que le principe de l’honneur de la Couronne ne permet pas de réécrire ce type d’entente, ni de faire abstraction des clauses expresses de l’entente.
[246] Je ne partage toutefois pas l’opinion de mon collègue en ce qui concerne la portée des engagements contractuels convenus entre Takuhikan et le Québec, ainsi que ses conclusions à l’égard des manquements allégués à la bonne foi contractuelle et au principe de l’honneur de la Couronne. À l’instar de la juge Bich dans ses motifs concordants à la Cour d’appel, je suis d’avis que l’honneur de la Couronne et les obligations qui en découlent s’intègrent implicitement aux ententes tripartites par l’opération de l’art. 1434 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Toutefois, cette disposition ne permet pas l’introduction d’une obligation implicite qui serait incompatible avec les termes du contrat (Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro‑Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 74). En l’espèce, le Québec s’est engagé à contribuer financièrement à l’établissement et au maintien de la Sécurité publique de Mashteuiatsh au moyen de contributions financières maximales expressément convenues entre les parties. Le Québec ne s’est pas engagé à assumer l’entièreté des coûts encourus, ou encore à financer des services égaux à ceux offerts dans les communautés environnantes. C’est à la lumière de la portée de cet engagement que doit être évaluée la conduite du Québec envers Takuhikan.
[247] Avec égards, conclure que le Québec est responsable des déficits accumulés par Takuhikan en l’espèce signifie réécrire des clauses expresses des ententes tripartites pour imposer des obligations qui sont contraires aux ententes. Le principe de l’honneur de la Couronne ne peut justifier cela.
[248] Par ailleurs, le seul fait que le Québec avait connaissance que les contributions gouvernementales ne permettaient pas de couvrir l’entièreté des coûts réels engagés par Takuhikan ne signifie pas qu’il y a eu faute dans le renouvellement des ententes. Le juge de première instance, qui a eu l’occasion d’examiner la preuve en profondeur et d’entendre les témoignages, a conclu que Takuhikan savait dès 2008 que le niveau de financement offert par le Québec ne pouvait couvrir l’entièreté des coûts générés par la qualité des services qu’il souhaitait dispenser aux membres de la communauté. L’obligation de négocier de bonne foi n’oblige pas à acquiescer à toutes les demandes de son cocontractant, fut‑il autochtone, et ce, que ce soit lors de la négociation du contrat initial ou lors de son renouvellement. Le refus d’acquiescer à ces demandes n’est pas, en soi, signe d’un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi ou d’une conduite déshonorable. La preuve révèle que le Québec a été un interlocuteur attentif aux doléances de son cocontractant, et flexible dans la recherche de solutions au problème du sous‑financement. L’aide financière additionnelle offerte par le Québec à Takuhikan au fil de leur relation contractuelle doit être prise en compte pour évaluer tant sa conduite que le préjudice qui pourrait en découler. La preuve ne révèle l’existence d’aucun droit prévu aux ententes dont le Québec aurait abusé. Il n’y a pas lieu de conclure que le Québec a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, soit lors de la conclusion du contrat initial, soit lors de son renouvellement, et qu’il n’aurait pas agi honorablement.
[249] J’ajoute enfin que notre Cour ne saurait avaliser un régime de réparation qui permettrait aux tribunaux d’ignorer complètement les conditions d’ententes dûment négociées entre les parties comme celles en cause, sans risquer de décourager les gouvernements de signer ce type d’ententes avec les peuples autochtones, ententes qui, soit‑dit en passant, sont fréquemment signées par le Québec et les peuples autochtones dans divers domaines, telles l’éducation, la santé et l’administration de la justice.
[250] Pour les motifs qui suivent, bien que je sois d’accord avec les motifs de mon collègue quant au rejet de la requête pour dépôt de nouveaux éléments de preuve, je suis d’avis d’accueillir l’appel.
II. Faits et cadre procédural
[251] Je souscris dans l’ensemble au résumé des faits et de l’historique judiciaire que fait mon collègue. J’ajoute toutefois certaines précisions qui aident à circonscrire le débat soulevé devant notre Cour.
[252] Quelques mots d’abord sur le choix du recours intenté par Takuhikan pour réclamer les déficits accumulés relativement au maintien de son service de police.
[253] Il n’a pas été contesté par le Canada et le Québec que le Programme des services de police des Premières Nations (« PSPPN »), qui repose essentiellement sur du financement octroyé par le gouvernement fédéral, souffre d’un problème généralisé de sous‑financement. À l’évidence, ce sous‑financement fragilise les objectifs ambitieux de la Politique sur la police des Premières nations (1996) (« Politique fédérale »).
[254] En réaction à ce sous‑financement, Takuhikan a intenté deux recours : celui qui nous occupe, de même que le dépôt d’une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne au nom du chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, M. Gilbert Dominique, plainte dans laquelle il allègue avoir subi un traitement défavorable dans le cadre de la mise en œuvre de la Politique fédérale et du PSPPN, traitement découlant de l’insuffisance du financement accordé, de la courte durée des ententes et du niveau de services policiers offerts aux membres de la communauté. La plainte a été instruite par le Tribunal canadien des droits de la personne (« TCDP ») qui a scindé l’affaire en deux, décidant d’abord de se prononcer sur la question de l’existence ou non de la discrimination puis, le cas échéant, d’établir les réparations appropriées. À l’issue de l’instruction, le TCDP a conclu que la plainte de M. Dominique était fondée (Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada, 2022 TCDP 4). Le procureur général du Canada a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du TCDP devant la Cour fédérale en vertu de l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7. Le 27 février 2023, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la juge en chef adjointe Gagné (Canada (Procureur général) c. Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, 2023 CF 267). Le procureur général du Canada a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale. L’affaire a été entendue le 20 février 2024 et au terme de l’audience, elle a été mise en délibéré. La décision n’a toujours pas été rendue.
[255] Dans le présent dossier, Takuhikan a choisi d’intenter un recours contractuel en dommages‑intérêts. Dans sa demande introductive d’instance modifiée, Takuhikan reproche au Canada et au Québec d’avoir « manqué à leurs obligations de négocier de bonne foi, d’agir avec honneur et de remplir leurs obligations de fiduciaire [. . .] dans le maintien et le financement des services policiers pour [son] territoire » (d.a., vol. I, p. 137, par. 11). Takuhikan n’a pas demandé l’annulation des ententes ni que soient déclarées abusives certaines des clauses des ententes, mais soutient plutôt que les parties gouvernementales sont responsables de l’ensemble des déficits accumulés. Les ententes tripartites doivent, à son avis, être lues comme prévoyant le partage entre le Canada et le Québec de l’ensemble des coûts nécessaires au maintien d’un niveau de service égal à celui offert dans les communautés environnantes, et ce, conformément à la Politique fédérale et au PSPPN. Le défaut des parties gouvernementales de prendre les mesures nécessaires pour financer un tel niveau de service constituerait donc un manquement tant à l’obligation de négocier de bonne foi qu’au principe de l’honneur de la Couronne.
[256] Takuhikan n’a à aucun moment allégué que la Première Nation innue des Pekuakamiulnuatsh possède un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en matière de services de police en vertu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. À ce jour, Takuhikan n’est pas non plus signataire d’un traité au sens de cette disposition, bien qu’ait été entamé un processus de négociation dans le cadre duquel sa compétence en matière de sécurité publique est reconnue (voir l’entente de principe d’ordre général du 31 mars 2004, reproduite au d.i., p. 72). Au surplus, Takuhikan n’a invoqué aucune considération relative au droit à l’égalité pour contester la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la LP ou pour contester le sous‑financement allégué du service de police de Mashteuiatsh par le Québec.
[257] Takuhikan soutient en outre que les ententes tripartites de 2013 à 2017 ont été imposées par les parties gouvernementales pour des durées de 12 mois, sans qu’aucune négociation n’ait été possible, et que lors du renouvellement des ententes, l’augmentation consentie par le Canada et le Québec était insuffisante pour répondre à ses besoins réels et à ses attentes légitimes. Il en découle, selon Takuhikan, qu’en refusant d’augmenter le financement, les parties gouvernementales ont manqué à l’obligation de négocier de bonne foi et au principe de l’honneur de la Couronne, malgré ses demandes répétées.
[258] Je me permets d’ouvrir une parenthèse pour souligner que le présent pourvoi n’est pas le recours approprié pour contester le sous‑financement en matière de police autochtone offert par le PSPPN. Un recours contractuel comme celui exercé en l’espèce ne doit pas se transformer en un recours visant à sanctionner une décision discrétionnaire de politique générale concernant l’allocation des ressources budgétaires de l’État, faisant ainsi fi de la séparation des pouvoirs (Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 27‑31). Dans ce contexte, notre Cour ne peut faire droit à un recours entrepris par Takuhikan qui contesterait en réalité des choix en matière de politiques d’intérêt général du Canada et du Québec.
[259] Le juge de première instance a rejeté l’interprétation des ententes tripartites proposée par Takuhikan (2019 QCCS 5699). En revanche, la Cour d’appel, sous la plume du juge Bouchard, a conclu que le Canada et le Québec « se sont solennellement engagés à financer les services de police de [Mashteuiatsh], à un niveau comparable à celui des “collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables” » en concluant les ententes tripartites, et a donné ainsi raison à Takuhikan (2022 QCCA 1699, par. 74). Pour sa part, la juge Bich a exprimé l’avis que le comportement du Québec constituait non seulement un manquement à une obligation constitutionnelle d’agir avec honneur comme l’a conclu le juge Bouchard, mais aussi, de manière concomitante, à un abus de droit contractuel par l’opération de l’art. 1434 C.c.Q. Les juges de la Cour d’appel ont tous conclu que de tels constats ouvraient la voie à une condamnation à des dommages‑intérêts qui correspondent aux déficits accumulés au cours de la période 2013‑2018.
III. Analyse
A. Le principe de l’honneur de la Couronne s’intègre implicitement aux ententes tripartites
[260] Le présent appel soulève pour la première fois devant cette Cour la question de savoir si le principe de l’honneur de la Couronne entre en jeu dans le contexte de la négociation et de la mise en œuvre d’ententes tripartites pour le financement de services de police autochtones. En particulier, il s’agit de savoir si le principe de l’honneur de la Couronne entre en jeu dans le contexte d’ententes de nature contractuelle conclues entre une communauté autochtone, le Canada et le Québec. À cela s’ajoute le fait que les parties ont convenu que ces ententes ne portent ni sur un droit ancestral reconnu à l’autonomie gouvernementale en matière de sécurité publique, ni sur des traités au sens de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De fait, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s’applique pas dans le cadre du présent pourvoi. Toutefois, selon moi, il ne s’agit pas nécessairement d’un obstacle à l’application du principe de l’honneur de la Couronne aux modalités d’exécution des engagements contractuels convenus entre les parties.
[261] Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, par. 68, notre Cour a affirmé que « [l]’honneur de la Couronne impose une lourde obligation et n’entre pas en jeu dans toutes les interactions entre la Couronne et les peuples autochtones. » Ainsi, il est bien établi que les relations purement commerciales entre les peuples autochtones et la Couronne, par exemple, ne sont pas susceptibles de faire naître des obligations particulières (Mitchell c. Bande indienne Peguis, 1990 CanLII 117 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 85, p. 138). Cela dit, l’honneur de la Couronne entre à tout le moins en jeu lorsque le gouvernement « transige » avec les peuples autochtones (R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765, par. 23).
[262] À ce jour, notre Cour a conclu que la Couronne traite ou transige effectivement avec les peuples autochtones lorsqu’il est question de droits ancestraux, de droits issus de traités, d’une obligation fiduciaire de l’État à leur égard ou encore d’une obligation explicite envers un groupe autochtone enchâssée dans la Constitution par promesses constitutionnelles (Manitoba Metis Federation, par. 68‑73).
[263] Aucune de ces circonstances n’est présente en l’espèce. Les ententes ne sont pas assimilables à un traité et n’ont pas « pour effet de reconnaître, de définir, de porter atteinte à, de limiter ou de créer des droits ancestraux ou des droits issus de traités », comme les ententes tripartites le prévoient expressément (art. 1.4.1). La relation entre les parties aux termes des ententes tripartites s’apparente plutôt à celle fondée sur des contrats de droit privé créant des obligations juridiquement contraignantes (Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559, par. 94‑95). Cela étant, je suis d’accord avec mon collègue pour affirmer que les ententes tripartites prévoyant un soutien financier des gouvernements aux services de police autochtones ne sont pas des contrats purement commerciaux. Le principe de l’honneur de la Couronne ne peut donc être ignoré dans l’évaluation de la conduite du Québec dans le cadre de ces ententes.
[264] En édictant l’art. 90 de la LP, le Québec a légiféré dans le but précis d’offrir aux communautés autochtones situées sur son territoire la possibilité d’offrir des services distincts de ceux offerts à la population en général. Je conviens que cet objectif relève de la réconciliation des sociétés autochtones préexistantes avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, faisant ainsi appel à la « relation spéciale » entre les peuples autochtones et la Couronne (Manitoba Metis Federation, par. 66‑67, citant Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 62; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 R.C.S. 533, par. 30).
[265] Ce même objectif de réconciliation se manifeste par l’opération de l’art. 72 de la LP lequel prévoit qu’une communauté autochtone peut, si elle le souhaite, être desservie par un corps de police qui lui est propre, quelle que soit la taille de sa population, et précise que les corps de police autochtones ne sont pas tenus de fournir le niveau de service offert aux communautés non autochtones. Dans ce contexte, les responsabilités du corps de police sont définies aux ententes tripartites comme comprenant celle « d’assurer une présence policière permettant de donner suite, dans un délai raisonnable, aux demandes d’aide qui lui sont adressées » (art. 2.2.2). Il est prévu par les parties que le corps de police autochtone peut bénéficier de services ou de l’assistance de la Sûreté du Québec pour remplir sa mission au sens de l’art. 93 de la LP (art. 2.2.4 et 2.2.5).
[266] Les obligations qui incombent à la Couronne dans le cadre des ententes tripartites s’intègrent au régime contractuel de responsabilité civile établi par le Code civil du Québec. L’article 1376 C.c.Q. rend applicable les règles du Livre cinquième aux actions en responsabilité contre les personnes morales de droit public, dont l’État, « sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables » (voir Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 27‑28). Contrairement à mon collègue, je suis d’avis, à l’instar de la juge Bich, qu’aux stipulations expresses des ententes tripartites s’ajoutent, en vertu de l’art. 1434 C.c.Q., les obligations de droit public qui en découlent selon la loi. La disposition préliminaire du C.c.Q. établit le droit commun dans la province. Les dispositions de cette loi doivent recevoir une interprétation large qui leur permette de réaliser leur objet (Doré c. Verdun (Ville), 1997 CanLII 315 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 862); il faut conférer à leur champ d’application « la plus grande portée possible » (Prud’homme, par. 29). De telles obligations acquièrent dans ce contexte une « coloration » contractuelle, qui donne ouverture à des réparations de nature contractuelle en cas de manquement (P.‑A. Crépeau, « Le contenu obligationnel d’un contrat » (1965), 43 R. du B. can. 1, p. 21 et 28).
[267] L’obligation d’agir honorablement tout comme l’obligation d’agir de bonne foi gouvernent la conduite des parties gouvernementales, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. Cependant, il importe de préciser qu’il s’agit d’une obligation de moyen, non de résultat. Je suis d’accord avec mon collègue lorsqu’il précise que l’honneur de la Couronne n’est « pas une cause d’action » en soi, mais « un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application » (par. 149, citant Manitoba Metis Federation, par. 73 (en italique dans l’original); voir aussi Mikisew, par. 60). Tant les art. 6, 7 et 1375 C.c.Q. que le principe de l’honneur de la Couronne obligent cette dernière à négocier de bonne foi avant même la conclusion d’une entente (Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 186; Beckman, par. 108). Toutefois, la négociation de bonne foi, que ce soit lors du contrat initial ou de son renouvellement, ne signifie pas que la Couronne doive acquiescer à toutes les demandes de la partie autochtone (Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557, par. 116).
B. Le Québec s’est engagé à contribuer financièrement à l’établissement et au maintien de la Sécurité publique de Mashteuiatsh
[268] Le cœur du litige entre le Québec et Takuhikan tient à leur compréhension respective des ententes tripartites et de la portée des obligations qui en découlent. Depuis le début des procédures, Takuhikan prétend que les parties gouvernementales sont responsables de l’entièreté des coûts encourus par son service de police, et ce, indépendamment des termes des ententes. Selon Takuhikan, le Québec a implicitement adhéré à la Politique fédérale et au PSPPN, desquels découleraient une telle obligation.
[269] Avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel a erré en concluant en ce sens. D’abord, les parties gouvernementales ne se sont pas engagées, solennellement ou autrement, à assumer l’entièreté des coûts liés à la création et au maintien d’un service policier pouvant assurer le même niveau de service que celui dont bénéficient les collectivités environnantes. Ensuite, l’engagement du Québec ne peut être défini à la lumière des objectifs énoncés par la Politique fédérale et au PSPPN. Ces documents ne pouvaient lier le Québec, ni n’appuient d’ailleurs l’interprétation adoptée par la Cour d’appel. Enfin, et contrairement à la conclusion de la Cour d’appel, le principe de l’honneur de la Couronne ne permettait pas de réécrire les clauses des ententes tripartites pour y introduire une telle obligation et en fait, contredire les termes clairs des ententes.
(1) L’engagement du Québec découle strictement des ententes tripartites
[270] L’interprétation adoptée par la Cour d’appel quant à la portée de l’engagement du Québec fait fi des termes clairs dans lesquels sont rédigés les ententes tripartites. Il est clair à la lecture de celles‑ci que le Québec s’est engagé à contribuer financièrement à l’établissement et au maintien de la Sécurité publique de Mashteuiatsh, et ce, à hauteur des montants prévus aux ententes, dans le respect du mandat dévolu aux autres corps de police par la LP, et dans le respect des compétences respectives du Canada et du Québec.
[271] Il importe d’abord de souligner que les parties ont exprimé leur volonté de n’être liées que par les termes exprès des ententes tripartites en stipulant une clause d’intégralité. Il s’agit de la toute première clause de l’entente, sous le titre « Contenu de l’entente » : « La présente entente [. . .] constitue l’intégralité des engagements et responsabilités des parties » (art. 1.1). Rien n’interdit aux parties de stipuler une telle clause pour écarter tout contenu externe au contrat, excluant ainsi l’application des art. 1425 et 1434 C.c.Q. (Aéroports de Montréal c. Meilleur, 1997 CanLII 10820 (QC CA), [1997] R.J.Q. 1516 (C.A.), p. 1529; Invenergy Wind Canada c. Éolectric inc., 2019 QCCA 1073, par. 10).
[272] Le juge Bouchard affirme que « l’article 1426 C.c.Q. nous amène inévitablement à considérer la nature particulière des ententes tripartites et les circonstances dans lesquelles elles ont été conclues » (motifs de la C.A., par. 62). Personne ne suggère qu’une clause d’intégralité comme celle stipulée aux ententes tripartites puisse écarter des règles d’ordre public, voire de nature constitutionnelle. En particulier, les obligations qui peuvent découler du principe de l’honneur de la Couronne ne pourraient être écartées par une telle clause, car ce principe trouve application indépendamment de la volonté exprimée par les parties : « . . . la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones » (Beckman, par. 61). Il en est tout autrement des objectifs généraux énoncés dans la Politique fédérale ou de ceux énoncés par le législateur québécois lors de l’adoption de l’art. 90 de la LP. Ces objectifs ne sont pas des règles d’ordre public, ni même des règles à proprement parler.
[273] Ceci étant dit, je me tourne maintenant vers les clauses de l’entente qui définissent la portée de l’engagement du Québec. Le préambule énonce que « le Canada et le Québec souhaitent apporter un soutien financier, pour les dépenses encourues » par Takuhikan (je souligne).
[274] Avec égards, je suis en désaccord avec la proposition voulant que les objectifs des ententes tripartites comprennent notamment ceux d’établir et de maintenir un corps de police autochtone offrant des services adaptés à la communauté et de qualité comparable aux communautés environnantes. Nulle part ne retrouve‑t‑on dans le libellé des ententes l’obligation de maintenir un corps de police offrant des services de qualité comparable aux communautés environnantes. Les deux objectifs de l’entente sont définis par les parties comme étant d’« établir et maintenir le “Corps de police de Mashteuiatsh” [. . .] qui sera chargé d’assurer [. . .] la prestation des services policiers dans la communauté » et d’« établir une contribution du Canada et du Québec au financement de la prestation des services policiers visés par la présente entente » (art. 1.5 (je souligne)). D’ailleurs, les résolutions adoptées par Takuhikan pour approuver les ententes tripartites de 2013‑2014, 2014‑2015 et 2015‑2016 reflètent cette compréhension de l’art. 1.5, en ce qu’elles reconnaissent que le Canada et le Québec souhaitaient apporter leur soutien financier à l’établissement puis au maintien du service de police.
[275] L’article 4.2.1 prévoit la façon de déterminer la somme maximale des coûts qui seront financés. Takuhikan « doit respecter le budget présenté à l’annexe “A” » (art. 4.2.3) et ce budget décrit toutes les sommes qui contribuent à la réalisation de l’objet de l’entente (art. 4.7.1); toute autre source de financement gouvernementale permet au Canada et au Québec de réduire leur contribution respective, ou de demander le remboursement de tout ou d’une partie de celle‑ci (art. 4.7.2). Tel que l’a révélé la preuve, le budget se retrouvant en annexe de l’entente est préparé par Takuhikan en fonction des contributions accordées par le Canada et le Québec (d.a., vol. XVI, p. 108‑110).
[276] En outre, il est clair à la lecture des ententes que le versement des contributions gouvernementales est conditionnel à l’existence du crédit annuel requis, accordé soit par le Parlement, soit par l’Assemblée nationale (art. 4.4.1). Il est expressément prévu qu’« [a]dvenant l’absence ou la diminution des crédits disponibles pour financer les services policiers autochtones, le Canada ou le Québec peut diminuer le financement ou résilier [l’]entente » (art. 4.4.2).
[277] La portée de l’engagement du Québec est aussi circonscrite et limitée à la lumière de la clause qui énonce la responsabilité de Takuhikan d’assumer les déficits budgétaires qui pourraient être encourus, ainsi que de la clause précisant que les gouvernements ne sont pas responsables des engagements pris par Takuhikan relativement à l’entente tripartite, soit les art. 4.5.2 et 5.4.1, qu’il importe de reproduire intégralement :
4.5.2 Le Conseil est responsable, le cas échéant, des déficits budgétaires encourus au cours d’un exercice financier et [les déficits] ne peu[vent] être reporté[s] au prochain exercice financier.
. . .
5.4.1 Le Conseil, ou l’un de ses membres, ne doit faire aucune représentation, dans une entente avec une tierce partie ou autrement, qui pourrait laisser croire qu’il est un associé, un partenaire, un mandataire, une partie à une coentreprise ou un employé du Canada ou du Québec. Le Canada et le Québec ne sont responsables d’aucun des engagements pris par le Conseil relativement à la présente entente, incluant, sans limiter la généralité de ce qui précède, des emprunts, des prêts en capital ou de toutes autres obligations à long terme. [Je souligne.]
[278] Takuhikan prétend que les gouvernements ont imposé de telles clauses sachant que le budget du corps de police apparaissant à l’Annexe A des ententes « était irréaliste et ne représentait pas [s]es besoins réels » (m.i., par. 30). Le Québec rétorque avoir respecté son engagement d’apporter son soutien financier au corps de police de Mashteuiatsh tel que convenu conformément aux ententes (m.a., par. 97‑98). Cela dit, aucune démonstration n’a été faite qu’il s’agirait de clauses abusives au sens de l’art. 1437 C.c.Q. (motifs de la C.S., par. 71).
(2) La Politique fédérale ne peut définir l’engagement du Québec
[279] Je suis d’accord avec le procureur général du Québec pour affirmer que la Cour d’appel ne pouvait imposer au Québec des obligations découlant de la Politique fédérale, et ce, pour trois motifs.
[280] Premièrement, le Québec ne s’est pas engagé à mettre en œuvre la Politique fédérale. Un tel engagement ne se retrouve ni dans la LP ni dans les ententes en cause. La seule mention de cette politique figure dans un attendu du préambule des ententes selon lequel « le Canada fournit sa part de la contribution financière prévue dans la présente entente, conformément au [PSPPN], et dans le respect des politiques et des modalités qui y sont rattachées » (je souligne). L’absence de mention du Québec dans cet attendu du préambule reflète la volonté des parties que seul le Canada s’engage aux termes du PSPPN et de la Politique fédérale. Une telle volonté reflète le fait que, lorsque le Québec conclut des ententes avec des communautés autochtones, il le fait en vertu de ses propres compétences et conformément aux termes de son cadre législatif, soit la LP.
[281] Deuxièmement, la Cour d’appel a eu tort de tenir compte de la Politique fédérale en vue de définir l’engagement du Québec puisque, de par sa nature même, une telle politique n’établit pas de règles ayant force obligatoire et n’est donc pas susceptible de sanction judiciaire. Dans l’arrêt R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, par. 45‑46, notre Cour a conclu qu’une politique qui ne tirait pas ses origines d’une disposition législative ne peut avoir force de loi. Même en présumant que la Politique fédérale puisse avoir une valeur interprétative, les termes des ententes intervenues sont clairs en matière de financement et ne requièrent aucune interprétation.
[282] Troisièmement, et ceci dit avec égards, la Cour d’appel a déformé le contenu de la Politique fédérale. Comme le souligne le procureur général du Québec, la politique ne mentionne nulle part que les gouvernements financeront l’entièreté des coûts des services de police, mais envisage uniquement des « contributions » financières affectées à ces services. Seule la conclusion d’ententes peut d’ailleurs donner droit à de telles contributions. En outre, la Politique fédérale prévoit expressément la participation financière des communautés pour couvrir certaines dépenses des corps de police, en plus de contenir divers énoncés sur la disponibilité des fonds. Il est notamment précisé à la section V, consacrée au financement, qu’il sera demandé autant que possible aux communautés signataires « de payer une partie des coûts de leurs services de police, particulièrement en ce qui a trait aux services améliorés » (p. 8).
(3) L’honneur de la Couronne ne permet pas de réécrire les ententes tripartites que ce soit sous l’angle de principe de droit public, ou d’obligation implicite en vertu de l’art. 1434 C.c.Q.
[283] Afin de déterminer si les parties gouvernementales ont agi honorablement dans l’exécution des obligations qui leur incombait en vertu de ces ententes, la Cour d’appel devait délimiter adéquatement la portée des engagements dans les ententes tripartites, puis se demander si la Couronne avait agi de manière honorable dans la négociation, l’exécution et la conclusion des ententes réellement conclues.
[284] À première vue, je constate que mon collègue semble lui aussi conclure que le Québec s’est contractuellement engagé auprès de Takuhikan à l’aider à établir, puis à maintenir, par le biais notamment de contributions financières limitées, un corps de police offrant à la communauté de Mashteuiatsh des services policiers (par. 94). Comme je l’ai indiqué, je suis entièrement d’accord avec lui sur ce point. Or, une lecture attentive de ses motifs permet de constater que l’objet de l’engagement du Québec est considérablement élargi en filigrane pour finalement y inclure l’obligation du Québec d’assurer des services adaptés à la communauté comparables à ceux des communautés environnantes (par. 14, 34, 183‑184 et 216). Comme on ne retrouve nulle part dans les ententes cet objectif d’offrir des services comparables aux communautés avoisinantes, cet objet élargi est incompatible avec la conclusion selon laquelle la Politique fédérale ne lie pas le Québec, de même qu’avec l’affirmation que l’honneur de la Couronne ne peut constituer une cause d’action. Je le souligne, car un tel élargissement de la portée de l’engagement du Québec envers Takuhikan équivaut à réécrire les termes de ces ententes, ce à quoi le principe de l’honneur de la Couronne ne peut servir.
[285] À cet égard, je suis d’accord avec l’appelant, le procureur général du Québec, et les procureurs généraux intervenants pour dire que l’honneur de la Couronne ne permet pas de réécrire les termes des ententes. Si notre Cour doit puiser dans la jurisprudence relative à l’honneur de la Couronne pour conclure que ce principe peut s’appliquer à l’égard d’ententes tripartites comme celles en cause, elle doit aussi s’en inspirer dans l’interprétation de ces instruments.
[286] Les principes relatifs à l’interprétation des traités modernes et des accords sur les droits fonciers issus de traités sont particulièrement pertinents et non contestés. Il est bien établi que les tribunaux doivent « porter une grande attention » au libellé des traités, faire preuve de retenue à leur égard, et « essayer de respecter le fruit [du] travail » des parties, en gardant en tête que « [l]a réconciliation se réalise, en grande partie, par l’application respectueuse des termes des traités modernes » (First Nation of Nacho Nyak Dun c. Yukon, 2017 CSC 58, [2017] 2 R.C.S. 576, par. 36‑38, citant Moses, par. 7, et Beckman, par. 54).
[287] Je ne saurais mieux le dire que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105. Dans cette affaire, la cour a rejeté sommairement un recours intenté par une Première Nation contre la Saskatchewan et le Canada pour avoir manqué à ce qu’elle soutenait être des obligations implicites découlant d’un accord sur les droits fonciers issus de traités. Le juge Rennie, s’exprimant pour une cour unanime, a conclu en ces mots que le recours ne révélait pas de question sérieuse, car les modalités implicites invoquées en vertu du principe de l’honneur de la Couronne étaient incompatibles avec les termes clairs de l’accord :
Ce cadre ou cet angle d’interprétation ne permet toutefois pas à un tribunal de revoir ou de réécrire les modalités établies d’un accord moderne négocié entre des parties averties pendant de nombreuses années et avec le bénéfice de conseils juridiques indépendants. Ne pas respecter le caractère définitif et la certitude juridique de l’accord‑cadre nuit à la réconciliation en permettant aux parties de renégocier et de tenter d’obtenir des modalités plus favorables que celles dont il avait été initialement convenu. Permettre aux parties de « [c]hercher à tout prix des ambiguïtés [dans l’accord] » dans l’espoir de réinterpréter ses dispositions ne peut que faire diminuer la valeur du règlement et les « autres signataires ne [doivent] pas se sentir à la merci de tentatives perpétuelles de renégociation par le biais des tribunaux » (Bande d’Eastmain c. Canada (Administrateur fédéral), 1992 CanLII 14828 (CAF), [1993] 1 C.F. 501, [(C.A.)] aux pp. 518 et 519). Un paradigme qui permet à chaque génération de revoir, de renégocier et de réécrire des questions déjà tranchées est insoutenable (voir aussi les arrêts Goodswimmer [v. Canada (Attorney General), 2017 ABCA 365, 418 D.L.R. (4th) 157] au para. 49; Manitoba Metis Federation Inc v. Brian Pallister et al., 2021 MBCA 47, 458 D.L.R. (4th) 625 [. . .] au para. 56).
Il est vrai que la Couronne ne peut jamais se soustraire à ses responsabilités constitutionnelles, mais l’honneur de la Couronne ne peut pas servir à inclure par interprétation des obligations supplémentaires ou différentes de celles dont les parties ont expressément convenu ou à renégocier une meilleure entente que celle qui a été conclue. Ce point a été soulevé dans l’arrêt [Saskatchewan (Procureur général) c. Première Nation de Pasqua, 2018 CAF 141], au paragraphe 13 :
L’avocat des intimés a répété à plusieurs reprises que la Couronne ne peut se soustraire ni aux droits garantis par la loi constitutionnelle ni aux droits issus de traités. Cependant, à mon avis, il s’ensuit que l’on ne peut plus tard « concilier » les arguments des droits constitutionnels et issus de traités dans chaque terme d’un accord moderne entre les parties, même lorsque les parties se sont entendues sur des conditions précises pour traiter les questions en suspens, de manière à modifier fondamentalement les termes de l’accord rétrospectivement. L’honneur de la Couronne exige plutôt qu’elle respecte et exécute les dispositions de l’accord d’une manière ouverte et équitable ([Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259]). [Je souligne; par. 128‑129.]
[288] J’ajoute qu’une telle approche est également contraire au régime des obligations implicites en droit civil québécois. Avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel fait erreur en s’autorisant de l’art. 1434 C.c.Q. pour ajouter à l’entente des obligations inspirées de la Politique fédérale, qu’elle qualifie d’« implicites », et qui sont incompatibles avec les clauses financières explicites des ententes, dont celle relative à la responsabilité pour les déficits. L’article 1434 C.c.Q. n’autorise pas pareil résultat et ne permet pas de contrecarrer d’autres dispositions de l’entente. Une obligation implicite ne peut que combler une lacune dans les conditions du contrat (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 1542; J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.‑G. Jobin et N. Vézina, no 431; Churchill Falls, par. 74) et non carrément modifier une obligation explicite du contrat.
[289] J’ai fait état au tout début des présents motifs de la locution latine pacta sunt servanda (« les conventions doivent être respectées »). Cette locution, qui reflète la force obligatoire du contrat, participe à la fois du droit des contrats et du droit public. Elle signifie que les parties sont liées par le contrat qu’elles ont conclu et que, pour cette raison, elles ne sauraient déroger aux obligations qui en résultent.
[290] Je conclus donc que le Québec n’a pas manqué à son obligation d’agir honorablement dans l’exécution d’une obligation qui ne lui incombait pas aux termes des contrats. Avec égards, la démarche adoptée par la Cour d’appel est erronée en ce qu’elle impose aux parties gouvernementales, par le biais du principe de l’honneur de la Couronne et de l’art. 1434 C.c.Q., une obligation de résultat qui ne trouve aucun fondement dans les termes des ententes tripartites.
C. Le Québec n’a pas agi de manière déshonorable ni de manière abusive
[291] L’absence d’examen par la Cour d’appel de la portée de l’engagement du Québec a eu pour effet de fausser son analyse quant au caractère abusif et/ou déshonorable de sa conduite, à la manière d’un prisme déformant. C’est à la lumière des engagements véritablement convenus entre les parties que doit être évaluée la conduite du Québec envers Takuhikan. Il y a donc lieu de reprendre l’analyse.
[292] Je suis en désaccord avec la proposition voulant que le Québec ait agi de manière abusive et déshonorable dans la mise en œuvre de l’art. 6.10.2 qui concerne le renouvellement de l’entente. Ni la bonne foi, ni l’honneur de la Couronne ne permettent d’élargir la portée des engagements contractuels dont ont convenu les parties.
[293] En ce qui concerne la bonne foi, le Québec a rempli tous ses engagements et n’a abusé d’aucun droit prévu au contrat, y compris quant au renouvellement des ententes tripartites. Je suis d’avis que l’arrêt Houle c. Banque Canadienne Nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122, ne permet pas de conclure qu’il était déraisonnable en l’espèce pour le Québec d’insister sur le respect des termes des ententes. Il faut d’abord souligner que les circonstances de l’affaire Houle étaient tout autres que celles du cas qui nous occupe. Dans Houle, la juge L’Heureux‑Dubé, s’exprimant au nom de la Cour, a conclu que la banque avait commis un abus de droit en exigeant le paiement d’un prêt dans un très court délai alors qu’elle savait pertinemment que les actionnaires, les frères Houle, étaient en train de négocier la vente de leur entreprise familiale. Dans ce contexte, toute action précipitée, tel le rappel du prêt, aurait entraîné une diminution de la valeur de leurs actions. La juge L’Heureux‑Dubé a insisté sur le fait que les parties entretenaient une relation contractuelle de longue durée, et que la banque n’avait jamais fait part aux frères Houle d’inquiétudes à propos du remboursement du prêt. Dans ces circonstances, bien que le rappel du prêt n’ait pas constitué en lui‑même un abus des droits contractuels de la banque, la liquidation précipitée de l’actif de la compagnie a constitué un abus de droit. Notre Cour s’est inspirée des propos de la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Churchill Falls, par. 118, lorsqu’elle a précisé que la bonne foi n’empêche pas une partie de s’en remettre aux termes du contrat, sauf lorsque cette insistance est déraisonnable au regard des circonstances.
[294] En l’espèce, nous verrons qu’il n’était pas déraisonnable pour le Québec de s’en remettre à la lettre des ententes concernant la responsabilité des déficits accumulés.
[295] Par ailleurs, en appliquant le principe de l’honneur de la Couronne aux modalités d’exécution des engagements contractuels consentis par le Québec dans la mesure où ce principe s’y intègre implicitement, je conclus que le Québec a agi de façon honorable.
[296] Je m’explique.
[297] Il est vrai que le Québec devait négocier de bonne foi lors du renouvellement des ententes, ce qui ne l’obligeait pas pour autant à conclure un contrat renouvelé à hauteur des attentes de Takuhikan et à acquiescer à toutes les demandes de ce dernier. L’obligation de négocier de bonne foi n’astreignait pas les parties à convenir d’une entente ni d’un montant de contributions maximales couvrant l’entièreté des coûts du service de police de Mashteuiatsh. Bien qu’il soit évident que Takuhikan ait été déçu du résultat des négociations après le renouvellement des ententes, cela ne signifie pas que la conduite du Québec était empreinte de mauvaise foi ou résultait d’un abus de droit (Singh c. Kohli, 2015 QCCA 1135, par. 75).
[298] Comme l’ont affirmé les juges LeBel et Deschamps, dissidents quant au résultat dans l’arrêt Moses, par. 116, la Couronne doit s’efforcer « de concilier les droits et les intérêts des Autochtones et ceux du public en général, car elle doit tenir compte non seulement des intérêts des Premières Nations, mais aussi de l’intérêt public. Les accords modernes expriment ainsi le résultat d’un processus soigneux de mise en équilibre de droits, d’obligations, de paiements et de concessions. »
[299] Par conséquent, même si les parties gouvernementales avaient connaissance des doléances de leur cocontractant et des déficits accumulés par celui‑ci, elles ont procédé au renouvellement des ententes selon les ressources disponibles et suivant les crédits accordés par le Parlement et l’Assemblée nationale, comme le prévoyaient les ententes en vigueur. Faire reproche au Québec de ne pas s’être prévalu de la faculté de résilier l’entente constitue, à mon avis, un faux débat, car il était clair à la lecture des ententes que le Québec pouvait soit les résilier, soit diminuer le financement (art. 4.4.2).
[300] Bien que mon collègue convienne également que l’obligation de négocier de bonne foi ne permettait pas à Takuhikan d’exiger un résultat particulier à l’issue des négociations, avec égards, sa conclusion suggère l’inverse. En effet, en confirmant le montant des dommages‑intérêts réclamés par Takuhikan, cela équivaut à lui accorder l’ensemble de ses demandes financières lors des renouvellements. Or, Takuhikan avait accepté que les contributions financières du Québec ne répondaient pas à l’entièreté de ses besoins et qu’il devrait assumer les déficits, le cas échéant. Conclure ainsi équivaut à réécrire les termes de l’entente convenue entre les parties et à faire du principe de l’honneur de la Couronne une cause d’action.
[301] Au risque de me répéter, le Québec n’était pas obligé de financer le corps de police de manière à permettre la prestation de services de même qualité que ceux offerts aux non‑Autochtones, ni à assumer l’entièreté des coûts du service de police.
[302] Il est vrai que Takuhikan a pris la décision d’abolir son service de police à compter du 1er avril 2016 en raison d’un manque de financement, décision qui a été annoncée au Canada et au Québec en novembre 2015, mais n’a finalement pas été mise en application. Toutefois, l’examen des circonstances entourant cette décision ne permet pas de conclure à un abus de droit ou à une conduite déshonorable de la part du Québec lors du renouvellement des ententes. Au contraire, la preuve révèle plutôt que tout au long de leur relation contractuelle, y compris la période au cours de laquelle Takuhikan entendait abolir son service de police, le Québec a été un interlocuteur attentif aux doléances de son cocontractant et flexible dans la recherche de solutions au problème du sous‑financement de son corps de police. En ce sens, le Québec a proposé et mis en œuvre diverses mesures additionnelles offrant un soutien financier au service de police de Mashteuiatsh, lesquelles attestent que la conduite du Québec a respecté les normes imposées par la bonne foi et le principe de l’honneur de la Couronne. Il est essentiel de passer ces mesures en revue.
(1) Les mesures additionnelles du Québec pour soutenir le service de police de Mashteuiatsh
[303] Je note d’abord que dès 2006, le Québec a participé, à hauteur d’un montant maximal de 743 208 $, au financement de la construction du poste de police de la communauté (entente de financement d’immobilisation dans le cadre du Fonds de développement pour les Autochtones, reproduite au d.a., vol. XIV, p. 19‑25; convention de remboursement de prêt du 24 mars 2006, reproduite au d.a., vol. XIV, p. 126‑129).
[304] En 2013, le Québec était bien au fait de la situation financière difficile du corps de police de Mashteuiatsh. Ainsi, lors de l’exercice 2013‑2014, Takuhikan a bénéficié d’un soutien financier additionnel de 284 514 $ à allouer aux formations et à l’achat d’équipement, dont un montant de 136 567 $ versé par le Québec. Il ne faut pas perdre de vue que ce soutien financier additionnel n’a pas été puisé dans l’enveloppe budgétaire dédiée aux ententes tripartites, laquelle était strictement limitée par le Parlement et l’Assemblée nationale, mais plutôt dans d’autres programmes gouvernementaux. Le témoignage du représentant du Québec, Richard Coleman, illustre que le Québec s’est montré à l’écoute des difficultés exprimées par Takuhikan et a fait preuve de flexibilité et de créativité dans la recherche de solutions de rechange (d.a., vol. XVII, p. 65‑66).
[305] En 2014, le Québec a déployé des efforts pour soutenir Takuhikan en lien avec les difficultés financières découlant de la sentence arbitrale rendue en juillet 2014 portant sur une augmentation salariale rétroactive des policiers du service de police de Mashteuiatsh. Bien que l’augmentation des contributions gouvernementales proposée lors du renouvellement de l’entente tripartite ne répondait pas aux besoins exprimés par Takuhikan (seulement 1,5 p. 100), des ententes subséquentes ont été convenues entre le Québec et Takuhikan afin d’alléger les coûts opérationnels et de gestion. En effet, le Québec a prêté des effectifs de la Sûreté du Québec pendant deux ans pour pallier l’abolition d’un poste de gestion entre 2013 et 2015, et a permis aux policiers de Mashteuiatsh d’avoir accès à la salle de tir du quartier général de la Sûreté du Québec de Chicoutimi (témoignage de Richard Coleman, d.a., vol. XVII, p. 63; témoignage de Dannye Bonneau, d.a., vol. XV, p. 7 et 20‑21).
[306] À la suite de l’annonce par Takuhikan de la fermeture de son service de police en novembre 2015, le Québec (le Québec seulement, sans le Canada) et Takuhikan ont conclu, en mars 2016, une entente transitoire pour le maintien de la prestation des services policiers. Cette entente prévoyait une contribution supplémentaire forfaitaire de 400 000 $, pouvant être utilisée « pour couvrir tout déficit relié à la prestation des services policiers dans la communauté de Mashteuiatsh » (art. 4.1, reproduit au d.a., vol. XI, p. 25). Cette entente laissait donc une marge de manœuvre considérable à Takuhikan afin d’amoindrir l’impact des déficits encourus au cours des années précédentes.
[307] En première instance, Takuhikan a essentiellement soutenu que le montant de cette entente transitoire ne pouvait être déduit du montant réclamé, parce que la contribution visée aurait pu être utilisée pour éponger les déficits accumulés pour des périodes désormais prescrites (témoignage de Valérie Tremblay, d.a., vol. XVI, p. 148). Pourtant, l’entente transitoire prévoit ceci à son art. 3.3 : « Les parties conviennent qu’à l’issue de tout processus de plainte ou tout autre recours relativement au financement du service de police, les sommes versées en vertu de la présente entente seront déduites de tout montant à verser au Conseil auquel le Québec pourrait être condamné. » Par ailleurs, je note que l’art. 6.1 précise ce qui suit : « Les parties conviennent que la contribution supplémentaire forfaitaire mentionnée à l’article 2.1 de la présente entente ne constitue pas une reconnaissance par le Québec d’un besoin récurrent de financement supplémentaire. »
[308] Enfin, en 2017, une entente prévoyant le versement d’un montant de 375 000 $ à raison de 125 000 $ par année, couvrant les années 2016, 2017 et 2018, a été conclue entre le ministère de la Sécurité publique et Takuhikan dans le cadre du programme de financement Prévention jeunesse. L’un des objectifs de ce programme consiste à soutenir les organismes partenaires, dont les corps de police autochtones, afin de prévenir la criminalité chez les jeunes Autochtones (d.a., vol. XIV, p. 1).
[309] À la lumière de ce qui précède, je ne puis me résoudre à qualifier ces différentes mesures d’« aide d’appoint » comme le fait mon collègue, ou encore de « Band‑Aid » pour reprendre les propos du représentant du Canada à ce sujet (par. 227). Je me permets de souligner ici que ces propos du représentant du Canada sont surprenants, dans un contexte où il revient au gouvernement fédéral d’assurer la plus grande part du financement en matière de soutien à l’autonomie gouvernementale des Premières Nations quant à leurs services policiers. Quoi qu’il en soit, la prétention voulant que le Québec ait fait la sourde oreille aux difficultés financières éprouvées par Takuhikan à l’égard du maintien de son corps de police n’est pas appuyée par la preuve. Partant, la prétendue conduite abusive ou déshonorable du Québec n’a pas été établie par Takuhikan.
[310] Je ne partage pas non plus l’opinion de mon collègue selon laquelle le soutien financier additionnel offert par le Québec ne peut être considéré dans l’évaluation de sa conduite, étant donné qu’il s’inscrit supposément « à l’extérieur » du mécanisme contractuel de renouvellement des ententes (par. 139). J’estime que le Québec est allé au‑delà de ce qu’exigeaient les termes clairs des ententes, y compris de la clause de renouvellement, en offrant ces montants additionnels pour soutenir financièrement les services policiers de Mashteuiatsh. L’aide financière additionnelle offerte par le Québec à Takuhikan dans le cadre de leur relation contractuelle pour maintenir le corps de police de Mashteuiatsh doit être prise en compte, tant dans l’évaluation de la conduite du Québec à l’égard du renouvellement des ententes tripartites, qu’à l’égard du préjudice qui pourrait en avoir découlé.
(2) La déférence envers l’autonomie contractuelle et financière de Takuhikan
[311] Je ne puis non plus me résoudre à conclure que la conduite du Québec lors du renouvellement des ententes était contraire à la bonne foi parce qu’il aurait « exploité la position de faiblesse » (motifs du juge Kasirer, par. 137) de son cocontractant, ou encore que cette conduite ait été déshonorable vu « la situation précaire dans laquelle [. . .] se trouvait [Takuhikan] » (par. 196; voir aussi le par. 10). Avec égards, une telle approche ignore totalement la capacité d’agir, l’agentivité et l’autonomie contractuelle et financière de Takuhikan qui, par ailleurs, n’allègue aucun vice de consentement quant au renouvellement des ententes.
[312] L’autonomie contractuelle de Takuhikan se reflète notamment dans le choix libre et éclairé qu’il a fait d’offrir un niveau de service supérieur à celui prévu par les ententes tripartites, plutôt que de résilier les ententes (motifs de la C.S., par. 63‑69, en particulier les par. 66‑68). Le juge de première instance, qui a eu l’occasion d’examiner la preuve en profondeur et d’entendre les témoignages, a conclu que Takuhikan a renouvelé les ententes « en toute connaissance de cause du fait que le niveau de financement [des gouvernements] n’est pas à la hauteur de la qualité du service que [Takuhikan] souhaite dispenser au[x] membre[s] de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh » (par. 67). Comme il le fait remarquer, ce constat ressort clairement d’une lettre du 8 décembre 2008 (P‑8) qui indique que le financement offert par le Québec à cette époque représentait un « compromis acceptable considérant [les] limites financières [du Québec] et [le] souci [de Takuhikan] de maintenir et de développer un service policier de qualité » (par. 67; d.a., vol. II, p. 32). Ce constat factuel commande la déférence.
[313] La situation de précarité dépeinte par mon collègue fait totalement abstraction de l’autonomie financière dont disposait Takuhikan lors du renouvellement des ententes. À cet égard, il est utile de reproduire les propos du juge Binnie qui a souligné pour la majorité dans l’arrêt Moses qu’il faut considérer les ententes négociées entre les parties autochtones et gouvernementales sous l’angle de ce que les parties ont effectivement convenu, notamment parce qu’elles disposent des ressources nécessaires pour agir comme elles le font :
Dans l’arrêt R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771, le juge Cory fait ressortir que les « traités [conclus avec les Autochtones] sont comme des contrats, si ce n’est qu’ils ont un caractère public très solennel et particulier » (par. 76). Dans cette affaire, le traité datait de 1899. L’analogie avec le contrat est encore plus valable dans le cas des traités modernes globaux dont les dispositions (contrairement à celles du traité de 1899) ne se résument pas à un échange verbal de promesses couché ensuite par écrit dans une langue inconnue de bon nombre des signataires autochtones (par. 52‑53). De nos jours, le contenu de tels traités est soigneusement négocié par des parties disposant de moult ressources. Comme le signalent mes collègues, « chacune des parties était représentée par avocat, et le résultat des négociations se retrouve en détail dans un document juridique de 450 pages » (par. 118). L’importance et la complexité du texte distinguent notamment les traités modernes globaux, dont la Convention de la Baie‑James a été le précurseur, des traités historiques conclus avec les peuples autochtones. Nous devons donc porter une grande attention à son libellé. [par. 7]
[314] En l’espèce, les états financiers de Takuhikan démontrent des surplus budgétaires accumulés de plusieurs millions de dollars. Le juge de première instance a tiré de la preuve la conclusion que le conseil bénéficie de revenus autonomes bien supérieurs au déficit de son service de police (par. 83). Avec égards pour la Cour d’appel, aucune erreur manifeste et déterminante n’a été démontrée pour justifier son intervention à l’égard de cette conclusion de fait.
[315] De plus, dans son rapport annuel pour l’exercice 2014‑2015, Takuhikan dit ceci : « . . . Pekuakamiulnuatsh Takuhikan réitère l’importance de demeurer vigilant face à la situation de sous‑financement des programmes et services et rappelle que la communauté dispose d’une solide base de revenus autonomes et [d’une] flexibilité [en vertu] de certaines ententes de financement pour atteindre ses objectifs financiers » (d.a., vol. XIII, p. 19 (je souligne)). Même si les fonds autonomes ne reflètent pas forcément la marge de manœuvre réelle de Takuhikan, il est important de mentionner qu’au 20 mars 2013, ils totalisaient 12 452 727 $ (témoignage de Valérie Tremblay, d.a., vol. XVI, p. 92‑93; d.a., vol. XIII, p. 207). Avec égards, le déséquilibre contractuel découlant de la conduite du Québec dépeint par mon collègue ne saurait fonder la conclusion que le Québec a manqué à ses obligations d’agir de bonne foi et honorablement.
[316] Comme je l’énonçais d’entrée de jeu, vu la responsabilité qui lui incombait d’assumer les déficits en vertu des ententes et son aval quant à la portée du financement offert par le Québec, il appert que, devant notre Cour, Takuhikan remet en cause les décisions de politiques d’intérêt général du Québec concernant l’octroi d’un soutien financier aux corps de police autochtones. Or, le rôle des tribunaux n’est pas de s’immiscer ainsi dans les décisions budgétaires des parties gouvernementales, lesquelles se reflètent dans les ententes tripartites en cause. Conclure autrement a pour effet de sanctionner une décision discrétionnaire de politique générale concernant l’allocation des ressources budgétaires de l’État, ce que notre Cour ne saurait faire sans porter atteinte, ce faisant, au principe de la séparation des pouvoirs (Criminal Lawyers’ Association of Ontario, par. 27‑31).
D. Commentaires portant sur la réparation
[317] Compte tenu de ma conclusion en ce qui a trait à la conduite du Québec, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la réparation à laquelle Takuhikan aurait eu droit. Je me permets néanmoins quelques commentaires au sujet de l’approche suggérée par mon collègue, envers laquelle, et je le dis avec égards, j’éprouve de sérieuses réserves.
[318] Je ne suis pas convaincue qu’il soit nécessaire de créer un régime de réparation découlant de la « justice réconciliatrice ». Je ne vois pas pourquoi les règles de la justice réparatrice ne pourraient être adaptées de manière à tenir compte de la perspective autochtone et de l’impératif de réconciliation lorsqu’un tribunal arrive à la conclusion que la Couronne n’a pas agi de bonne foi et avec honneur dans le cadre d’une relation contractuelle avec une partie autochtone.
[319] À mon avis, le régime de la responsabilité civile permet déjà de respecter l’objectif de réconciliation par le principe de l’indemnisation entière (soit le restitutio in integrum). Par conséquent, je ne partage pas l’idée selon laquelle la justice réconciliatrice « transcende la justice corrective qui est au cœur du droit privé pour faire place à la réparation et au maintien de la relation spéciale avec les peuples autochtones à qui des lois et coutumes d’origine européenne ont été imposées » (par. 148, citant Manitoba Metis Federation, par. 67, et Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 17).
[320] Les dommages‑intérêts accordés pour non‑respect de l’obligation de bonne foi (et de façon incidente pour manquement au principe de l’honneur de la Couronne) sont généralement de type compensatoire, et ce, afin « de rétablir un équilibre économique rompu par le manquement du contractant » (Lluelles et Moore, no 2018). Le préjudice peut être compensé pourvu qu’il soit la conséquence logique, directe et immédiate de la faute reprochée (art. 1607 C.c.Q.). En outre, en matière contractuelle, l’art. 1613 C.c.Q. dispose que le débiteur n’est tenu que des dommages‑intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée. Si la faute causée est lourde ou intentionnelle, le créancier aura droit à tous les dommages‑intérêts, y compris ceux qui n’étaient pas prévisibles lors de la rencontre des volontés des parties.
[321] Il est possible que cet exercice pose des difficultés additionnelles lorsqu’il s’agira de réparer un manquement au principe de l’honneur de la Couronne. En effet, si le tribunal choisit de recourir aux dommages‑intérêts comme compensation appropriée, il peut parfois être complexe d’identifier et de quantifier avec précision des préjudices tels que la perte d’un service de police culturellement adapté aux besoins de la communauté. Cela étant, ces difficultés ne sont pas étrangères aux tribunaux, lesquels doivent depuis longtemps utiliser leur discrétion lorsqu’il s’agit de rechercher l’indemnité juste et raisonnable eu égard à toutes les circonstances (Vidéotron, s.e.n.c. c. Bell ExpressVu, l.p., 2015 QCCA 422, par. 86‑87). En effet, dans le cadre d’une analyse du préjudice comportant des facteurs difficilement prévisibles ou appréciables, les tribunaux doivent effectuer ce calcul « en faisant appel à une certaine approximation, à un certain degré d’appréciation et à [leur] discrétion » (Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., 1997 CanLII 10209 (QC CA), [1998] R.J.Q. 47 (C.A.), p. 76). De fait, il y a lieu de « distinguer entre l’incertitude du dommage en elle‑même et celle découlant de la difficulté qu’il y a à le mesurer exactement en raison de la nature du litige, de la réalité du débat ou de la complexité des faits » (p. 67). Autrement dit, des lacunes dans la preuve ne dispensent généralement pas le tribunal d’arbitrer le quantum des dommages.
[322] Le principe de l’honneur de la Couronne est ancré dans l’objectif de réconciliation entre l’occupation antérieure du territoire par les peuples autochtones et l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté. Ainsi, il apparaît tout à fait logique et cohérent que, en présence d’un préjudice difficilement appréciable et prévisible résultant d’une conduite déshonorable de la Couronne, le tribunal puisse utiliser sa discrétion afin d’établir un quantum qui tiendra compte du rétablissement de l’honneur de la Couronne et de la réalisation de l’objectif de réconciliation. En matière de justice réparatrice, rien n’empêche également le tribunal, dans l’exercice de sa discrétion, de tenir compte de la perspective autochtone préconisée par Robert Mainville, maintenant juge à la Cour d’appel du Québec, dans son ouvrage An Overview of Aboriginal and Treaty Rights and Compensation for Their Breach (2001), p. 127, sans qu’il soit nécessaire de créer un nouveau régime de réparation sous le nom de « justice réconciliatrice ». Même s’il en est autrement au stade de la détermination de la responsabilité, je suis d’avis que les tribunaux peuvent faire preuve d’une certaine créativité dans l’exercice de leur discrétion afin de quantifier les dommages (Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27, par. 277). Cette créativité doit néanmoins se manifester à l’intérieur du cadre juridique raisonné qu’est celui de la justice réparatrice en droit civil québécois.
[323] Cette approche mieux balisée permet également d’éviter le piège du caractère hautement discrétionnaire que pose la réparation ancrée dans la justice réconciliatrice en cas de manquement à l’honneur de la Couronne démontré dans un contexte contractuel. Il ne faut pas perdre de vue que les ententes comme celles en cause contribuent à assurer la prévisibilité, la stabilité et la transparence des relations entre la Couronne et les peuples autochtones. Faire droit à un régime de réparation qui permettrait aux tribunaux de faire abstraction des dispositions d’ententes dûment négociées entre les parties risque de décourager les gouvernements de signer ce type d’ententes avec les entités autochtones.
[324] Appliqués au cas qui nous occupe, il m’apparaît évident que les principes de la justice réparatrice ne peuvent justifier d’indemniser Takuhikan pour l’ensemble des déficits accumulés par son corps de police. Il faudrait déduire des dommages‑intérêts octroyés à Takuhikan les montants que le Québec a versés en 2014 et en 2016, le montant de la quittance intervenue dans le cadre de l’entente transitoire, de même que tout montant prescrit. Si j’avais conclu que la conduite du Québec était déshonorable ou contraire à la bonne foi, j’aurais renvoyé le dossier au premier juge pour examen de l’étendue du préjudice et du lien de causalité. Les parties gouvernementales se sont engagées à contribuer financièrement au maintien du service de police de Mashteuiatsh, et non à la totalité de ses coûts opérationnels. À cet égard, je suis d’accord avec le Québec pour dire que la Cour d’appel ne pouvait fixer les dommages‑intérêts à un montant correspondant exactement à celui des déficits accumulés par Takuhikan, puisque, quoi qu’il en soit, Takuhikan s’est contractuellement engagé à assumer ces déficits et que les gouvernements ne se sont pas engagés à financer l’entièreté des coûts générés par le service de police.
IV. Conclusion
[325] Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir le jugement de première instance, avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens, la juge Côté est dissidente.
Procureurs de l’appelant : Lavoie, Rousseau (Justice-Québec), Québec; Ministère de la Justice du Québec, Direction du droit constitutionnel et autochtone, Québec; Bernard, Roy (Justice-Québec), Montréal.
Procureurs de l’intimé : Cain Lamarre, Roberval.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada, Montréal.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Saskatchewan Ministry of Justice and Attorney General, Constitutional Law Branch, Regina.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Justice, Constitutional and Aboriginal Law, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador : Dionne Schulze, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le Congrès des peuples autochtones : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Assembly of Manitoba Chiefs : Fox, Calgary.
Procureurs de l’intervenant Indigenous Police Chiefs of Ontario : Falconers, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations : Burchell Wickwire Bryson, Halifax; Conway Baxter Wilson, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante Okanagan Indian Band : JFK Law, Vancouver.
Procureur de l’intervenante l’Assemblée des Premières Nations : Assemblée des Premières Nations, Ottawa.
[1] À moins d’avis contraire, les références spécifiques dans les présents motifs renvoient à l’entente tripartite 2015‑2016 (reproduite au d.a., vol. III, p. 58).
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