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18/12/2020 | CANADA | N°2020CSC45

Canada | Canada, Cour suprême, 18 décembre 2020, C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45


COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45

 

Appel entendu : 6 décembre 2019
Jugement rendu : 18 décembre 2020
Dossier : 38463


 
Entre :
C.M. Callow Inc.
Appelante
 
et
 
Tammy Zollinger, Condominium Management Group, Carleton
Condominium Corporation No. 703, Carleton Condominium Corporation
No. 726, Carleton Condominium Corporation No. 742, Carleton Condominium Corporation No. 765, Carleton Condominium Corporation No. 783, Carleton Condominium Corporation No. 791, Carleton

Condominium Corporation
No. 806, Carleton Condominium Corporation No. 826, Carleton Condominium Corporation No. 839 et Carleton...

COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45

 

Appel entendu : 6 décembre 2019
Jugement rendu : 18 décembre 2020
Dossier : 38463

 
Entre :
C.M. Callow Inc.
Appelante
 
et
 
Tammy Zollinger, Condominium Management Group, Carleton
Condominium Corporation No. 703, Carleton Condominium Corporation
No. 726, Carleton Condominium Corporation No. 742, Carleton Condominium Corporation No. 765, Carleton Condominium Corporation No. 783, Carleton Condominium Corporation No. 791, Carleton Condominium Corporation
No. 806, Carleton Condominium Corporation No. 826, Carleton Condominium Corporation No. 839 et Carleton Condominium Corporation No. 877
Intimées
 
- et -
 
Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et Chambre de commerce du Canada
Intervenantes
 
 
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 120)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Karakatsanis et Martin)
 

Motifs concordants :
(par. 121 à 182)

Le juge Brown (avec l’accord des juges Moldaver et Rowe)
 
 

Motifs dissidents :
(par. 183 à 238)

La juge Côté

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

c.m. callow inc. c. zollinger
C.M. Callow Inc.                                                                                            Appelante
c.
Tammy Zollinger,
Condominium Management Group,
Carleton Condominium Corporation No. 703,
Carleton Condominium Corporation No. 726,
Carleton Condominium Corporation No. 742,
Carleton Condominium Corporation No. 765,
Carleton Condominium Corporation No. 783,
Carleton Condominium Corporation No. 791,
Carleton Condominium Corporation No. 806,
Carleton Condominium Corporation No. 826,
Carleton Condominium Corporation No. 839 et
Carleton Condominium Corporation No. 877                                               Intimées
et
Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et
Chambre de commerce du Canada                                                        Intervenantes
Répertorié : C.M. Callow Inc. c. Zollinger
2020 CSC 45
No du greffe : 38463.
2019 : 6 décembre; 2020 : 18 décembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Contrats — Violation — Exécution — Obligation d’exécution honnête — Clause d’un contrat d’entretien hivernal permettant la résiliation unilatérale du contrat sans motif moyennant un préavis de 10 jours — Résiliation du contrat par des associations condominiales avec remise du préavis requis à l’entrepreneur — Poursuite pour violation de contrat par l’entrepreneur — Conclusion de la juge de première instance portant que les déclarations et la conduite des associations condominiales ont activement induit l’entrepreneur en erreur et l’ont amené à croire que le contrat ne serait pas résilié — Dommages‑intérêts octroyés par la juge du procès pour violation de contrat — Le recours à la clause de résiliation a‑t‑il constitué un manquement à l’obligation d’exécution honnête?
                    En 2012, un groupe d’associations condominiales (« Baycrest ») a conclu un contrat d’entretien hivernal de deux ans et un contrat distinct d’entretien estival avec C.M. Callow Inc. (« Callow »). En vertu de la clause 9 du contrat d’entretien hivernal, Baycrest avait le droit de résilier ce contrat si Callow ne rendait pas un service satisfaisant, conformément aux dispositions du contrat. La clause 9 prévoyait également que si, pour quelque autre raison que ce soit, les services de Callow n’étaient plus requis, Baycrest pouvait résilier le contrat en donnant un préavis écrit de 10 jours.
                    Au début de 2013, Baycrest a décidé de résilier le contrat d’entretien hivernal, mais a choisi de ne pas informer Callow de sa décision à ce moment‑là. Au cours du printemps et de l’été 2013, Callow a eu des discussions avec Baycrest sur le renouvellement du contrat d’entretien hivernal. À la suite de ces discussions, Callow croyait qu’elle allait probablement obtenir un renouvellement de deux ans du contrat d’entretien hivernal et que Baycrest était satisfaite de ses services. Pendant l’été 2013, Callow a exécuté des travaux à titre gratuit qui dépassaient ce qui était prévu dans le contrat d’entretien estival, et qui, souhaitait‑elle, inciteraient Baycrest à renouveler le contrat d’entretien hivernal. 
                    Baycrest a informé Callow de sa décision de résilier le contrat d’entretien hivernal en septembre 2013. Callow a déposé une déclaration alléguant une violation de contrat, soutenant que Baycrest avait agi de mauvaise foi. La juge de première instance a statué que le principe directeur d’exécution de bonne foi et l’obligation d’exécution honnête étaient en jeu. Elle était convaincue que Baycrest avait activement trompé Callow à compter du moment où la décision de résilier le contrat avait été prise jusqu’en septembre 2013. Elle a en outre conclu que Baycrest avait agi de mauvaise foi en retenant cette information pour faire en sorte que Callow exécute le contrat d’entretien estival et en continuant de laisser entendre que le contrat n’était pas en péril, même en sachant que Callow assumait des tâches additionnelles pour accroître ses chances d’obtenir le renouvellement du contrat d’entretien hivernal. La juge a accordé des dommages‑intérêts à Callow, afin de la placer dans la même situation que si le manquement n’avait pas eu lieu. La Cour d’appel a annulé le jugement de première instance, statuant que la juge de première instance avait commis une erreur en élargissant à tort l’obligation d’exécution honnête d’une manière qui dépassait le libellé du contrat d’entretien hivernal. Par ailleurs, la Cour d’appel a statué que toute tromperie dans les communications au cours de l’été 2013 avait trait à un nouveau contrat qui n’existait pas encore, soit le renouvellement que Callow espérait négocier, de sorte qu’elle n’était pas directement liée à l’exécution du contrat d’entretien hivernal.
                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est accueilli et le jugement de la juge de première instance est rétabli.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis, Martin et Kasirer : L’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat empêchait Baycrest de se livrer à une tromperie active par laquelle elle a intentionnellement induit Callow en erreur, l’amenant ainsi à croire que le contrat d’entretien hivernal ne serait pas résilié. En se prévalant malhonnêtement de la clause de résiliation, elle a manqué à l’obligation d’honnêteté au sujet d’une question directement liée à l’exécution du contrat, même si le délai de préavis de 10 jours a été respecté. Par conséquent, la Cour d’appel n’aurait pas dû modifier les conclusions de la juge de première instance.
                    L’obligation d’exécution honnête des contrats, énoncée dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, s’applique à tous les contrats et oblige les parties à ne pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat. Lorsqu’il s’agit de décider si la malhonnêteté est liée à un contrat en particulier, la question pertinente est de savoir si un droit prévu au contrat a été exercé, ou si une obligation qui y est décrite a été exécutée de manière malhonnête. Bien qu’il ne faille pas assimiler l’obligation d’exécution honnête à une obligation positive de divulgation, dans une situation où une partie contractante ment ou induit intentionnellement l’autre partie en erreur, l’absence d’obligation positive de divulgation ne fait pas obstacle à une obligation pour la première de corriger une fausse impression créée par ses propres gestes.
                    Le principe directeur de bonne foi reconnu dans l’arrêt Bhasin n’est pas une règle autonome, mais il se manifeste plutôt par les doctrines existantes en matière de bonne foi. Bien que l’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer des pouvoirs discrétionnaires de bonne foi soient distinctes, à l’instar de chacune des diverses manifestations du principe directeur, elles ne doivent pas être considérées comme étant déconnectées l’une de l’autre. L’obligation d’exécution honnête partage une méthodologie avec l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de nature contractuelle de bonne foi en se concentrant sur l’exercice fautif d’une prérogative contractuelle. Chacune des règles de droit particulières tirées du principe directeur repose sur une exigence de justice voulant qu’une partie contractante prenne en compte comme il se doit les intérêts contractuels légitimes de son cocontractant. Elle n’a pas à subordonner ses propres intérêts à ceux du cocontractant en agissant comme un fiduciaire ou d’une manière altruiste. Cette exigence de justice est le reflet de la notion selon laquelle le marché conclu — les droits et les obligations convenus — est la source première d’équité entre les parties à un contrat. Ces droits et obligations doivent être exercés et exécutés de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire.
                    L’obligation d’honnêteté, en tant que doctrine du droit des contrats, a une fonction restrictive sur l’exercice d’un droit par ailleurs complet et clair. Il en est ainsi puisque l’obligation, sans égard à l’intention des parties, s’applique à l’exécution de tous les contrats et, par extension, à toutes les obligations et à tous les droits contractuels. Plutôt que de restreindre la décision de résilier en soi, l’obligation d’exécution honnête donne lieu à des dommages‑intérêts lorsque le droit a été exercé de manière malhonnête. Il ne faut pas confondre cette attention portée sur la manière dont le droit de résiliation a été exercé avec la question de savoir si le droit pouvait être exercé. Aucun droit contractuel, y compris un droit de résilier, ne peut être exercé malhonnêtement et, de par le fait même, contrairement aux exigences de la bonne foi.
                    Les exigences d’honnêteté dans l’exécution du contrat peuvent aller plus loin que l’interdiction de mensonges éhontés. Répondre à la question de savoir si une partie a intentionnellement induit en erreur son cocontractant est une décision éminemment factuelle et peut comprendre des mensonges, des demi‑vérités, des omissions et même du silence, selon les circonstances. On peut induire en erreur activement, en disant quelque chose directement à son cocontractant, ou passivement, en omettant de corriger une méprise causée par sa propre conduite trompeuse.
                    L’obligation d’exécution honnête est une doctrine du droit des contrats, y manquer ne constitue pas un délit civil et, par conséquent, il doit y avoir un lien avec la relation contractuelle. Un manquement doit être directement lié à l’exécution du contrat. Le cadre d’analyse de l’abus de droit au Québec est utile afin d’illustrer le lien direct exigé entre la malhonnêteté et l’exécution dont il est question dans l’arrêt Bhasin. Les sources québécoises servent d’autorités persuasives et la comparaison entre la common law et le droit civil, au fil de leur évolution au Canada, est un exercice qui est particulièrement utile pour la Cour et qu’elle connait bien. Tout comme en droit civil québécois, aucun droit contractuel ne peut être exercé malhonnêtement, ce qui reviendrait à contrevenir aux exigences de la bonne foi. Le lien direct existe lorsqu’une partie s’acquitte de son obligation ou exerce son droit prévu au contrat de façon malhonnête. L’obligation d’exécution honnête offre des similitudes avec la fraude civile et la préclusion, sans toutefois être subsumée sous ces notions. Contrairement à la préclusion et à la fraude civile, l’obligation d’exécution honnête ne requiert pas qu’un défendeur ait l’intention que le demandeur s’appuie sur ses assertions ou fausses déclarations.
                    L’obligation d’exécution honnête donne lieu à des dommages‑intérêts suivant ce qui est habituellement accordé en matière contractuelle. D’ordinaire, on accorde en matière contractuelle des dommages‑intérêts correspondant à la perte du profit escompté. Cela signifie que les dommages‑intérêts doivent placer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée s’il avait été satisfait à l’obligation. Même si les dommages‑intérêts fondés sur la confiance, qui sont habituellement accordés en matière délictuelle, et les dommages‑intérêts fondés sur l’attente seront les mêmes dans plusieurs circonstances, voire toutes, ils sont distincts sur le plan conceptuel, et il n’y a aucune raison justifiant de conclure qu’un manquement à l’obligation d’exécution honnête devrait généralement être réparé au moyen de dommages‑intérêts fondés sur la confiance.
                    En l’espèce, Baycrest a sciemment induit Callow en erreur dans la manière dont elle a eu recours à la clause 9 du contrat d’entretien hivernal et ce recours fautif à la clause de résiliation équivaut à une violation de contrat. Même si Baycrest avait ce qui était, à première vue, un droit absolu de résilier le contrat d’entretien hivernal moyennant un préavis de 10 jours, ce droit devait être exercé dans le respect de l’obligation d’agir honnêtement. La tromperie de Baycrest était directement liée à ce contrat, parce que son recours à la clause de résiliation a été malhonnête. Elle n’avait peut‑être pas d’obligation autonome de divulguer son intention de résilier, elle avait néanmoins l’obligation de ne pas induire Callow en erreur dans le recours à cette clause. Baycrest devait s’abstenir de faire de fausses représentations en prévision de la période de préavis. Si on fait croire à quelqu’un que son cocontractant est satisfait de son travail et que son contrat en vigueur va vraisemblablement être renouvelé, il est raisonnable que cette personne en déduise que le contrat en vigueur n’est pas en péril et qu’il ne sera pas résilié hâtivement. Puisqu’elle a omis de corriger la méprise de Callow engendré par ses fausses représentations, Baycrest a manqué à son obligation d’agir de bonne foi dans l’exercice de son droit de résiliation. La perte d’occasion qui en a résulté donne donc droit à des dommages‑intérêts. Bien que ceux‑ci doivent être calculés en fonction du mode d’exécution le moins onéreux pour le défendeur, ce mode en l’espèce aurait consisté à corriger la méprise dès que Baycrest a su que Callow avait tiré une déduction erronée. Si elle l’avait fait, Callow aurait eu l’occasion de conclure un autre contrat pour l’hiver qui s’en venait.
                    Les juges Moldaver, Brown et Rowe : Selon la norme minimale universelle applicable, tous les contrats doivent être exécutés de manière honnête. Les parties contractantes ne doivent donc pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat. Si le demandeur subit une perte parce qu’il a fait confiance à la conduite trompeuse de l’autre partie, l’obligation d’exécution honnête sert à rétablir la situation du demandeur. Toutefois, cette obligation n’impose pas un devoir de loyauté ou de divulgation ni n’exige d’une partie qu’elle renonce à des avantages découlant du contrat. La ligne de démarcation entre (1) une conduite activement trompeuse et (2) une non‑divulgation permissible a été clairement démarquée dans les cas portant sur des déclarations inexactes, et les mêmes principes établis s’appliquent à l’obligation d’exécution honnête, même si elle s’applique aussi (contrairement à la doctrine des déclarations inexactes) aux déclarations faites après la conclusion du contrat.
                    Il existe, dans le contexte des déclarations inexactes, une jurisprudence riche qui accepte que, parfois, le silence ou des demi‑vérités constituent une déclaration. Même si les parties contractantes ne sont pas tenues de divulguer des renseignements importants, une partie contractante ne peut pas dresser un portrait trompeur de l’exécution de ses obligations contractuelles en se fondant sur des demi‑vérités ou sur une divulgation partielle. Il n’est pas nécessaire que la déclaration prenne la forme d’une déclaration expresse. Tant qu’elle est communiquée clairement, elle peut prendre la forme d’autres actes ou conduites de la part du défendeur. Le contexte dans son entièreté — ce qui inclut la nature de la relation entre les parties — doit être pris en considération pour déterminer objectivement si le défendeur a fait une déclaration au demandeur. La question est de savoir si la conduite active du défendeur a contribué à une méprise qui ne peut être corrigée que par la divulgation de renseignements supplémentaires. Les parties contractantes sont tenues de corriger les déclarations qui se révèlent subséquemment fausses ou dont l’auteur se rend compte plus tard qu’elles étaient erronées. La question de savoir si une déclaration a été faite est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision en appel seulement en cas d’erreur manifeste et déterminante.
                    La réparation d’une violation de contrat a pour objectif en droit que la partie innocente puisse jouir de tous les avantages que lui confère le marché conclu, en la mettant dans la position où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté. Cependant, la justification de l’attribution de dommages‑intérêts fondés sur l’attente ne s’applique pas au manquement à l’obligation d’exécution honnête. Dans de tels cas, ce qui est en cause, ce n’est pas le fait que le défendeur a omis d’exécuter le contrat, frustrant ainsi les attentes du demandeur; c’est plutôt le fait que le défendeur a exécuté le contrat, mais a aussi causé la perte subie par le demandeur par ses déclarations extracontractuelles malhonnêtes et inexactes concernant cette exécution et auxquelles s’est fié le demandeur, à son détriment. Sa demande n’est pas fondée sur la perte de la valeur de l’exécution, mais plutôt sur la confiance préjudiciable qu’il a accordée aux déclarations inexactes et malhonnêtes. L’intérêt qui est protégé n’est pas un intérêt lié à l’attente, mais bien un intérêt lié à la confiance. De la même façon que ces intérêts ne sont pas liés, un montant de dommages‑intérêts fondés sur l’attente n’est pas lié au manquement à l’obligation d’exécution honnête.
                    À l’instar de la préclusion et de la fraude civile, l’obligation d’exécution honnête protège l’intérêt du demandeur lié à la confiance. Une partie contractante qui manque à cette obligation doit indemniser son cocontractant des pertes prévisibles subies du fait de la confiance que ce dernier a accordée aux affirmations trompeuses. L’obligation d’exécution honnête n’est pas subsumée sous la préclusion et la fraude civile; elle protège plutôt l’intérêt lié à la confiance d’une manière distincte et plus large puisque le défendeur peut être tenu responsable même lorsqu’il n’a pas l’intention que le demandeur s’appuie sur l’affirmation trompeuse. Peu importe l’intention du défendeur, un demandeur n’a qu’à établir que, n’eût été la confiance qu’il a accordée à l’affirmation trompeuse, il n’aurait pas subi la perte. 
                    Pour disposer du présent pourvoi, il suffit d’appliquer l’arrêt Bhasin de la Cour; la demande de Callow devrait être résolue en appliquant uniquement l’obligation d’exécution honnête. Il n’y a aucune raison de modifier les conclusions de la juge de première instance. La conduite de Baycrest ne relevait pas de la non‑divulgation innocente. La juge de première instance a conclu que les communications actives entre les parties ont induit Callow en erreur. Baycrest ne relève aucune erreur manifeste et déterminante justifiant que ces conclusions soient infirmées. Les dommages‑intérêts appropriés représentent la perte subie par Callow du fait de la confiance qu’elle a accordée aux déclarations trompeuses de Baycrest.
                    Les juges majoritaires se fondent sur la notion civiliste d’« abus de droit » dans leur analyse. Or, ce faisant, ils s’écartent de la pratique acceptée de la Cour à l’égard de l’exercice de droit comparé. Les principes qui s’appliquent au présent pourvoi sont déterminants et bien établis. Les systèmes canadiens de common law et de droit civil ont adopté des approches très différentes à l’égard de la place de la bonne foi en droit des contrats. Le fait que les juges majoritaires se fondent sur la notion d’abus de droit en droit civil fausse l’analyse décrite dans l’arrêt Bhasin et gomme la distinction entre l’exécution honnête et la bonne foi dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel.
                    Les tribunaux devraient s’inspirer des notions juridiques externes seulement lorsque le droit interne ne fournit pas de réponse ou lorsque cela est nécessaire pour modifier ou autrement préciser une règle de droit existante. Les tribunaux peuvent également s’inspirer de l’expérience d’autres systèmes juridiques lorsqu’ils examinent la question de savoir si la solution éventuelle à une question juridique entraînera des conséquences néfastes, ou encore afin de noter qu’un concept juridique interne est à l’image d’un concept reconnu par un autre système. Même dans les situations où une analyse comparative est appropriée, cette dernière doit être entreprise avec soin et circonspection. Lorsqu’on a recours aux préceptes d’un des systèmes juridiques du Canada pour modifier l’autre, la règle d’or consiste en ce que la solution proposée doit être capable de s’intégrer complètement et de façon cohérente dans la structure du système qui les adopte.
                    La juge Côté (dissidente) : Le pourvoi devrait être rejeté. Le recours de Callow ne saurait être fondé sur un manquement à l’obligation d’exécution honnête. Même si la conduite de Baycrest n’était pas louable, elle ne tombe pas dans la catégorie de la conduite malhonnête prohibée par cette obligation.
                    L’obligation d’exécution honnête est décrite dans l’arrêt Bhasin comme une simple exigence de ne pas se mentir ni de s’induire intentionnellement en erreur sur des questions directement liées à l’exécution du contrat. L’obligation faite aux parties de ne pas se mentir ne nécessite aucun commentaire; toutefois, ce n’est pas le cas du type de conduite qui relève de l’obligation de ne pas s’induire intentionnellement en erreur. Le droit n’impose pas à une partie contractante de devoir de loyauté ou de divulgation ni d’obligation de renoncer à des avantages découlant du contrat. Étant donné l’absence d’une obligation de divulguer des renseignements, il est difficile de déterminer à partir de quand le silence d’une partie induira intentionnellement l’autre partie en erreur, ou à quel moment un silence acceptable se transforme en un silence inacceptable susceptible de constituer une violation de contrat. Quoi qu’il en soit, l’obligation d’exécution honnête doit demeurer claire et d’application simple.
                    Les obligations découlant de l’exécution honnête sont négatives. Étendre davantage la portée de l’obligation d’exécution honnête écarterait la stabilité des opérations commerciales. Par conséquent, le silence ne saurait être considéré comme malhonnête au sens de l’arrêt Bhasin, à moins qu’il n’y ait une obligation positive de parler. Une telle obligation ne naît pas du seul fait qu’une partie au contrat s’aperçoit que son cocontractant agit sur le fondement d’une croyance erronée. En l’absence d’une obligation de divulgation, une partie à un contrat ne saurait être tenue de corriger la croyance erronée de son cocontractant à moins d’y avoir contribué de façon significative par sa conduite. Pour déterminer si une contribution est significative, il faudra bien entendu examiner le contexte, y compris la nature de la relation entre les parties, de même que les dispositions contractuelles pertinentes. Les parties qui préfèrent ne pas divulguer certains renseignements — comme cela leur est permis — ne sont pas tenues d’adopter une nouvelle ligne de conduite dans leur relation contractuelle simplement parce que le silence leur a paru préférable à la parole.
                    Dans le contexte d’un droit contractuel de résilier un contrat sans motif, cela signifie qu’une partie désireuse de mettre fin à une entente n’a pas besoin de transmettre de signaux d’alerte pour amener son cocontractant à comprendre que leur relation d’affaires est en danger. Une obligation de divulgation ne naît pas lorsqu’une partie apprend que son cocontractant croit à tort que le contrat ne sera pas résilié, à moins que cette partie n’ait posé un acte concret qui a contribué à cette croyance de façon significative. Si une partie amène l’autre à croire que leur contrat sera renouvelé, il s’ensuit que cette dernière peut raisonnablement s’attendre à ce que leur relation d’affaires soit prolongée plutôt que résiliée. Toutefois, une inférence en ce sens ne peut être tirée dans l’abstrait. Pour conclure qu’une partie, par des discussions sur un renouvellement, a amené l’autre partie à penser qu’aucun risque de résiliation ne menaçait le contrat en vigueur, le processus inférentiel doit évidemment tenir compte de la nature du risque en jeu et de ce qui a été communiqué pendant ces discussions. Autrement, l’inférence donnerait lieu à une erreur manifeste et dominante qui serait susceptible de contrôle en appel.
                    En l’espèce, Baycrest a négocié un droit de résilier son contrat hivernal pour toute raison et à tout moment moyennant un préavis de 10 jours. Lors de son examen de la conduite de Baycrest, la juge de première instance n’a pas cherché à savoir si Baycrest avait menti à Callow ou l’avait autrement induit intentionnellement en erreur au sujet de l’exercice de son droit à la résiliation du contrat hivernal pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. Elle a insisté à tort sur la nécessité pour Baycrest d’aborder les problèmes de rendement allégués malgré le fait que le contrat hivernal pouvait être résilié même si les services rendus par Callow étaient satisfaisants. Aucune considération n’a été accordée au fait que la tromperie active devait être directement liée à l’exécution du contrat. Il est clair que les déclarations faites par Baycrest n’étaient pas directement liées à l’exécution du contrat hivernal. La compréhension erronée par la juge de première instance des principes juridiques applicables a vicié le processus d’appréciation des faits.
Jurisprudence
Citée par le juge Kasirer
                    Arrêt appliqué : Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; arrêts mentionnés : Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., 1992 CanLII 105 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 1021; Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855; Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3; Farber c. Cie Trust Royal, 1997 CanLII 387 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 846; Ciment du Saint‑Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214; Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 R.C.S. 500; Wallace c. United Grain Growers Ltd., 1997 CanLII 332 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 701; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro‑Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101; Houle c. Banque canadienne nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122; Mayor of Bradford c. Pickles, [1895] A.C. 587; Allen c. Flood, [1898] A.C. 1; United Roasters, Inc. c. Colgate‑Palmolive Co., 649 F.2d 985 (4th Cir. 1981); IFP Technologies (Canada) Inc. c. EnCana Midstream and Marketing, 2017 ABCA 157, 53 Alta. L.R. (6th) 96; Xerex Exploration Ltd. c. Petro‑Canada, 2005 ABCA 224, 47 Alta. L.R. (4th) 6; Yam Seng Pte Ltd. c. International Trade Corp. Ltd., [2013] E.W.H.C. 111, [2013] 1 All E.R. (Comm.) 1321; Dunning c. Royal Bank (1996), 1996 CanLII 8159 (ON SC), 23 C.C.E.L. (2d) 71; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362; Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19; PreMD Inc. c. Ogilvy Renault LLP, 2013 ONCA 412, 309 O.A.C. 139; Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S. 303; Lamb c. Kincaid (1907), 1907 CanLII 38 (SCC), 38 R.C.S. 516.
Citée par le juge Brown
                    Arrêt appliqué : Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; arrêts mentionnés : Alevizos c. Nirula, 2003 MBCA 148, 180 Man. R. (2d) 186; Xerex Exploration Ltd. c. Petro‑Canada, 2005 ABCA 224, 47 Alta. L.R. (4th) 6; Opron Construction Co. c. Alberta (1994), 1994 CanLII 18362 (AB KB), 151 A.R. 241; Peek c. Gurney (1873), L.R. 6 H.L. 377; Outaouais Synergest Inc. c. Lang Michener LLP, 2013 ONCA 526, 116 O.R. (3d) 742; C.R.F. Holdings Ltd. c. Fundy Chemical International Ltd. (1981), 1981 CanLII 488 (BC CA), 33 B.C.L.R. 291; Queen c. Cognos Inc., 1993 CanLII 146 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 87; Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214; Mohamed c. Information Systems Architects Inc., 2018 ONCA 428, 423 D.L.R. (4th) 174; Greenberg c. Meffert (1985), 1985 CanLII 1975 (ON CA), 50 O.R. (2d) 755; Mesa Operating Ltd. Partnership c. Amoco Canada Resources Ltd. (1994), 1994 ABCA 94 (CanLII), 19 Alta. L.R. (3d) 38; Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance‑vie, 2006 CSC 30, [2006] 2 R.C.S. 3; Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S. 303; Wood c. Grand Valley Rway. Co. (1915), 1915 CanLII 574 (SCC), 51 R.C.S. 283; Lamb c. Kincaid (1907), 1907 CanLII 38 (SCC), 38 R.C.S. 516; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433; Caisse populaire des Deux Rives c. Société mutuelle d’assurance contre l’incendie de la Vallée du Richelieu, 1990 CanLII 91 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 995; Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 53, [2004] 3 R.C.S. 95; Moses c. Macferlan (1760), 2 Burr. 1005, 97 E.R. 676; Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., 1992 CanLII 105 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 1021; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214; Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543; Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855; Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3; Ciment du Saint‑Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392; Sport Maska Inc. c. Zittrer, 1988 CanLII 68 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 564; Colonial Real Estate Co. c. La Communauté des Soeurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal (1918), 1918 CanLII 82 (SCC), 57 R.C.S. 585; Birdair inc. c. Danny’s Construction Co., 2013 QCCA 580; Bhasin c. Hrynew, 2011 ABQB 637, 526 A.R. 1; Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19.
Citée par la juge Côté (dissidente)
                    Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, art. 6, 7, 1375.
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Lauwers, Huscroft et Trotter), 2018 ONCA 896, 429 D.L.R. (4th) 704, 86 B.L.R. (5th) 53, [2018] O.J. No. 5855 (QL), 2018 CarswellOnt 18697 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge O’Bonsawin, 2017 ONSC 7095, [2017] O.J. No. 6176 (QL), 2017 CarswellOnt 18587 (WL Can.). Pourvoi accueilli, la juge Côté est dissidente.
                    Brandon Kain, Adam Goldenberg, Vivian Ntiri et Miriam Vale Peters, pour l’appelante.
                    Anne Tardif, Rodrigue Escayola et David Plotkin, pour les intimées.
                    Catherine Beagan Flood et Nicole Henderson, pour l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.
                    Jeremy Opolsky et Winston Gee, pour l’intervenante la Chambre de commerce du Canada.
 
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Karakatsanis, Martin et Kasirer rendu par
 
                    Le juge Kasirer —
I.               Introduction
[1]                             Le présent pourvoi porte sur la clause d’un contrat commercial d’entretien hivernal qui permettait aux clients de résilier unilatéralement le contrat, sans motif, en donnant à l’entrepreneur un préavis de 10 jours. Il ne s’agit pas ici de savoir si la clause constituait un marché équitable entre les parties. Son sens n’est pas en cause non plus. Le débat porte plutôt sur la façon dont les intimés (collectivement « Baycrest ») ont exercé la clause de résiliation en question. Reconnaissant que le préavis de 10 jours a été donné, l’appelante, C.M. Callow Inc. (« Callow »), soutient que Baycrest se serait prévalue de la clause de résiliation contrairement aux exigences de la bonne foi établies par notre Cour dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, notamment à l’obligation d’exécution honnête du contrat.
[2]                             Dans l’arrêt Bhasin, le juge Cromwell a reconnu un principe directeur général de bonne foi, qui implique que « les parties doivent, de façon générale, exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire » (par. 63). Ce principe directeur, a‑t‑il expliqué, « est [. . .] non pas une règle autonome, mais plutôt une norme qui sous‑tend des règles de droit particulières, qui se manifeste dans ces règles et à laquelle on peut accorder plus ou moins d’importance selon chaque situation » (par. 64). Le principe directeur de bonne foi se manifeste par les « règles existantes » portant sur « les types de situations et de relations dans lesquelles la loi exige, à certains égards, une exécution contractuelle honnête, franche ou raisonnable » (par. 66).
[3]                             Dans le présent pourvoi, la doctrine de la bonne foi applicable est celle de l’obligation d’honnêteté en matière d’exécution des contrats. Comme le juge Cromwell l’a expliqué au par. 73 de l’arrêt Bhasin, cette obligation s’applique à tous les contrats en tant que doctrine du droit des contrats, ce qui signifie « simplement que les parties ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat ». Callow affirme que le manquement par Baycrest à son obligation impérative d’exécution honnête dans son recours à la clause de résiliation équivalait à une violation de contrat. Elle invoque les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles Baycrest a dissimulé que le contrat risquait d’être résilié. De fait, cette dernière a continué à affirmer que le contrat n’était pas en péril et a intentionnellement refusé de corriger la fausse impression qu’elle avait créée et en vertu de laquelle agissait Callow. Cette malhonnêteté a continué pendant plusieurs mois [traduction] « en prévision de la période de préavis », écrit la juge de première instance, ce qui, aux dires de Callow, l’a amené à renoncer à l’occasion de présenter des soumissions en vue d’obtenir d’autres contrats d’entretien hivernal, ce qui justifie l’octroi de dommages‑intérêts (2017 ONSC 7095 (CanLII), 2017 ONCS 7095, par. 67 (CanLII)).
[4]                              Pour sa part, rappelant que le juge Cromwell a explicitement affirmé dans l’arrêt Bhasin que l’obligation d’exécution honnête n’équivaut pas à une obligation de divulgation, Baycrest soutient que son silence ne constituait pas de la malhonnêteté. Elle fait en outre valoir que la malhonnêteté alléguée n’était pas liée au contrat en vigueur à l’époque, car, selon ses prétentions, les communications en cause portaient sur la possibilité d’un contrat futur non encore conclu. La Cour d’appel a souscrit à ce point et a infirmé le jugement de première instance (2018 ONCA 896, 429 D.L.R. (4th) 704).
[5]                              Soit dit en tout respect, je suis en désaccord avec la Cour d’appel sur la question de savoir si la manière dont Baycrest s’est prévalue de la clause de résiliation contrevenait à la norme minimale d’honnêteté. L’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat empêche de se livrer à une tromperie active. Baycrest a manqué à son obligation en induisant intentionnellement Callow en erreur, l’amenant ainsi à croire que le contrat d’entretien hivernal ne serait pas résilié. En se prévalant malhonnêtement de la clause de résiliation, elle a manqué à l’obligation d’honnêteté au sujet d’une question directement liée à l’exécution du contrat, même si le délai de préavis de 10 jours a été respecté et sans égard aux raisons ayant motivé la résiliation. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
II.            Contexte
[6]                             Baycrest comprend 10 associations condominiales gérées par le Condominium Management Group et un gestionnaire immobilier désigné. Chaque association a son propre conseil d’administration chargé de gérer ses affaires et, collectivement, elles ont établi un comité d’utilisation conjointe (« CUC »). Le CUC prend des décisions concernant les avoirs communs et partagés des condominiums. En 2010, les associations condominiales ont conclu un contrat d’entretien hivernal d’une durée de deux ans avec Callow, une société exploitée par Christopher Callow, son propriétaire. Selon le contrat, Callow fournissait aux associations condominiales des services d’entretien hivernal, dont le déneigement.
[7]                             À l’arrivée du terme de deux ans en 2012, les associations ont conclu deux nouveaux contrats avec Callow. Joseph Peixoto — président d’une des associations condominiales et un représentant du CUC — a négocié les principales conditions relatives au prix avec M. Callow pour le renouvellement du contrat d’entretien hivernal, auquel s’est ajouté un contrat distinct de services d’entretien estival. 
[8]                             Dans le présent pourvoi, c’est le contrat d’entretien hivernal conclu pour un nouveau terme de deux hivers, du 1er novembre 2012 au 30 avril 2014, qui est en cause. En vertu de la clause 9, les associations avaient le droit de résilier ce contrat si Callow ne rendait pas un service satisfaisant, conformément aux dispositions du contrat. De plus, la clause 9 prévoyait que [traduction] « si, pour quelque autre raison que ce soit, les services [de Callow] n’étaient plus requis pour les immeubles visés par le contrat ou pour toute partie de ces immeubles, [les associations condominiales] p[ouvai]ent résilier le présent contrat en donnant à [Callow] un préavis écrit de dix (10) jours » (d.a., vol. III, p. 10).
[9]                             Au cours du premier des deux hivers visés par le contrat, des occupants de divers condominiums ont déposé des plaintes, dont plusieurs concernaient le déneigement de places de stationnement individuelles. En janvier 2013, M. Callow a assisté à une réunion du CUC pour dissiper les préoccupations. Il ressort du compte‑rendu que cette réunion s’est déroulée positivement, puisqu’il consigne ceci : [traduction] « [l]e comité confirme que [Callow] s’est attaqué à ce problème avec toute la diligence à laquelle on pouvait s’attendre, vu la nature des tempêtes que nous avons connues récemment » (d.a., vol. III, p. 35). Après la réunion, la gestionnaire immobilière de l’époque a en outre envoyé un courriel de suivi aux membres du CUC : [traduction] « Je sais que votre comité s’est montré généralement satisfait du déneigement — il n’y a donc rien d’autre à signaler ici » (p. 39).
[10]                        Quelques mois plus tard — toujours durant la première année du contrat —, l’intimée Tammy Zollinger est devenue la gestionnaire immobilière. Environ trois semaines après le début de son mandat, le CUC a tenu une autre réunion, cette fois sans que M. Callow soit présent. Pendant la réunion, Mme Zollinger a conseillé au CUC de résilier le contrat d’entretien hivernal avec Callow [traduction] « en raison de la piètre qualité du travail au cours de l’hiver 2012‑2013 » (d.a., vol. III, p. 43). Il ressort ensuite du compte‑rendu de la réunion que Mme Zollinger avait examiné le contrat conclu avec Callow et informé les membres du CUC qu’ils pouvaient le résilier sans pénalité financière. De plus, Mme Zollinger dit qu’elle obtiendrait des soumissions d’autres entrepreneurs en déneigement. Le CUC a voté en faveur de la résiliation du contrat d’entretien hivernal peu de temps après, [traduction] « en mars ou en avril » 2013 (motifs de première instance, par. 51). Baycrest a choisi de ne pas informer M. Callow à ce moment‑là de sa décision de résilier le contrat en question.
[11]                        Bien qu’un seul hiver sur deux du contrat se fût écoulé, Callow a entrepris des discussions avec Baycrest sur le renouvellement du contrat d’entretien hivernal au cours du printemps et de l’été 2013. Plus particulièrement, M. Callow a eu divers échanges avec des membres des conseils de deux associations condominiales, dont M. Peixoto. À la suite de ces conversations, a écrit la juge de première instance, [traduction] « M. Callow croyait qu’il allait probablement obtenir un renouvellement de deux ans de son contrat de services d’entretien hivernal et qu’ils étaient satisfaits de ses services » (par. 41).
[12]                        Entretemps, Callow a continué de s’acquitter des obligations qui lui incombaient en application des contrats d’entretien hivernal et estival. En exécution de ce dernier contrat, elle a notamment terminé le [traduction] « ménage du printemps », et continué à tondre la pelouse une fois par semaine ainsi qu’à faire la cueillette des ordures. De plus, pendant l’été 2013, Callow « a exécuté des travaux qui dépassaient ce qui était prévu dans [son] contrat de services d’entretien estival » (par. 42), effectuant même ce que M. Callow a décrit comme des travaux « en prime » qui, souhaitait‑il, inciteraient Baycrest à renouveler le contrat d’entretien hivernal au terme de l’hiver qui s’en venait.
[13]                        Des conversations entre Callow et M. Peixoto se sont poursuivies jusqu’en juillet 2013, lorsque Callow a décidé d’embellir deux jardins. Dans un courriel daté du 17 juillet 2013, M. Peixoto a écrit à un membre du conseil d’une autre association condominiale à propos de ces travaux « en prime », affirmant notamment : [traduction] « C’est bien qu’il fasse ça, mais je suis certain que c’est une tentative de faire en sorte qu’on le garde. Au fait, je lui ai aussi parlé la semaine dernière et il a l’impression que nous le gardons pour l’hiver encore une fois. Je ne lui ai pas dit un mot, parce que je ne veux pas m’en mêler, mais j’ai dit à [Mme Zollinger] que [M. Callow] croit qu’on le garde pour l’hiver » (d.a., vol. III, p. 73).
[14]                        Ce n’est que le 12 septembre 2013 que Baycrest a informé Callow de la décision de résilier le contrat d’entretien hivernal. En effet, Mme Zollinger a alors informé Callow par courriel [traduction] « que Baycrest ne fera pas appel à ses services pour le contrat hivernal de la saison 2013/2014, conformément à l’article 9 du contrat, Baycrest doit donner à l’entrepreneur un préavis de 10 jours » (d.a., vol. III, p. 49).
[15]                        Par la suite, Callow a déposé une déclaration alléguant une violation de contrat, soutenant que Baycrest avait agi de mauvaise foi en acceptant des services gratuits, tout en sachant que Callow les offrait pour maintenir leur relation contractuelle future. En outre, Callow a allégué que Baycrest savait ou aurait dû savoir qu’elle n’allait pas chercher à obtenir d’autres contrats d’entretien hivernal en s’appuyant sur les déclarations selon lesquelles elle offrait un service satisfaisant et le contrat ne serait pas résilié prématurément. Par conséquent, [traduction] « [e]n raison de ces déclarations inexactes ou de cette conduite de mauvaise foi, [M. Callow, au nom de Callow,] n’a pas répondu à d’autres appels d’offres de contrats d’entretien hivernal. Baycrest est maintenant responsable du préjudice subi par Callow au titre de la perte d’occasion » (d.a., vol. I, p. 45, par. 30). Enfin, Callow a allégué que Baycrest s’était injustement enrichie par suite des services gratuits qu’elle avait fournis au cours de l’été 2013.
[16]                        Callow a sollicité des dommages‑intérêts de 81 383,68 $ pour violation de contrat — un montant équivalent à l’année qui restait à courir sur le contrat d’entretien hivernal —, des dommages‑intérêts pour entrave intentionnelle aux relations contractuelles, incitation à violation de contrat et déclaration inexacte faite par négligence. Elle a aussi sollicité des dommages‑intérêts de 5 000 $ pour enrichissement injustifié — un montant équivalant aux travaux « en prime » —, l’intérêt antérieur et postérieur au jugement, ainsi que les dépens sur une base d’indemnisation substantielle.
III.         Décisions antérieures
A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario (la juge O’Bonsawin)
[17]                        Dans son examen des circonstances du litige, la juge de première instance a commenté les témoignages de plusieurs témoins clefs, concluant que M. Callow était un témoin crédible. En revanche, elle a jugé que les témoins de Baycrest — dont un ancien gestionnaire immobilier, ainsi que Mme Zollinger et M. Peixoto — [traduction] « s’étaient livré à plusieurs exagérations et amplifications et [qu’ils] avaient constamment formulé des commentaires contraires à la preuve écrite » (par. 11). La juge de première instance a donc préféré la version des événements de M. Callow à celle de Baycrest.
[18]                        En première instance, Baycrest a fait valoir deux arguments principaux. D’abord, elle a soutenu que sur le plan de la simple interprétation contractuelle, la clause 9 prévoit clairement et sans équivoque qu’elle pouvait résilier le contrat pour n’importe quel motif en donnant à Callow un préavis écrit de 10 jours. Ensuite, même s’il n’était pas nécessaire d’établir un motif pour invoquer la clause 9, Baycrest a plaidé que la preuve dont disposait la juge de première instance démontrait que la qualité du service fourni par Callow ne respectait pas les spécifications contractuelles et n’était pas à son entière satisfaction.
[19]                        La juge de première instance a rejeté les deux arguments. Premièrement, elle a conclu que le travail de Callow répondait à la norme applicable. Bien que ce travail ait fait l’objet de plaintes, elle a observé que [traduction] « bon nombre d’entre elles concernaient le déneigement de places de stationnement, un problème causé par des propriétaires ou locataires qui ne déplaçaient pas leurs véhicules ». « La qualité du travail de Callow était‑elle en deçà de la norme? » a demandé la juge de première instance, à quoi elle a répondu : « [l]a preuve m’amène à répondre à cette question par la négative » (par. 55).
[20]                        Deuxièmement, la juge de première instance a statué que la présente cause n’est pas une simple affaire d’interprétation contractuelle. À son avis, le principe directeur d’exécution de bonne foi et l’obligation d’exécution honnête étaient en jeu. La juge de première instance a expliqué que, comme le juge Cromwell l’avait noté dans l’arrêt Bhasin, il ne faut pas confondre l’obligation d’exécution honnête et une obligation de divulgation. [traduction] « Toutefois », a‑t‑elle écrit, « les parties contractantes doivent pouvoir s’attendre au respect d’une norme minimale d’honnêteté » pour qu’elles « aient l’assurance d’une possibilité raisonnable de protéger leurs intérêts s’il n’est pas donné suite au contrat » (par. 60, citant Bhasin, par. 86). Pour faire la distinction entre l’omission de révéler un fait important et la conduite malhonnête active, la juge de première instance a fait remarquer qu’ « [à] moins qu’il n’y ait tromperie active, il n’existe pas d’obligation unilatérale de divulgation de renseignements avant la période de préavis » (par. 61).
[21]                        La juge de première instance était convaincue que Baycrest a [traduction] « activement trompé » Callow à compter du moment où la décision de résilier a été prise en mars ou avril 2013 jusqu’au moment où l’avis a été donné le 12 septembre 2013. Plus particulièrement, elle a conclu que Baycrest « a agi de mauvaise foi (1) en retenant l’information pour faire en sorte que Callow exécute le contrat de services d’entretien estival et (2) en continuant de laisser entendre que le contrat n’était pas en péril, même si [elle] savait que Callow assumait des tâches additionnelles pour accroître les chances de renouveler le contrat de services d’entretien hivernal » (par. 65). Compte tenu des communications actives entre les parties pendant l’été 2013 « qui ont induit Callow en erreur », la juge de première instance « n’[a] pas [accepté] l’argument [de Baycrest] selon lequel il n’existait aucune obligation de divulguer la décision de résilier le contrat avant le préavis » (par. 66). « La norme minimale d’honnêteté » a‑t‑elle conclu, « aurait été d’aborder les problèmes de rendement allégués, de donner un préavis dans les plus brefs délais ou de s’abstenir de faire des assertions en prévision de la période de préavis » (par. 67).
[22]                        La juge de première instance a lié la malhonnêteté de Baycrest à la façon dont elle a retardé le moment où elle a invoqué le délai de préavis de 10 jours prévu à la clause 9, pendant qu’elle induisait activement Callow à croire à tort que le contrat n’était pas en péril. Ses motifs s’appuyaient, par analogie, sur la règle de droit reconnaissant une obligation d’agir de bonne foi lors du congédiement d’un employé. Elle a noté que Baycrest [traduction] « avait intentionnellement retenu l’information de mauvaise foi » (par. 69). Elle a expressément reconnu que le recours à la clause de résiliation n’est pas, en soi, la preuve d’un manquement à la bonne foi. Cependant, elle a jugé que, en l’espèce, Baycrest avait induit intentionnellement Callow en erreur au sujet de la résiliation, ce qui constituait un manquement à l’obligation d’exécution honnête.
[23]                        En raison de ce manquement contractuel, la juge de première instance a accordé des dommages‑intérêts à Callow, afin de la placer dans la même situation que si le manquement n’avait pas eu lieu. Ces dommages‑intérêts s’élevaient à 64 306,96 $, une somme équivalente à la valeur du contrat d’entretien hivernal pour un an, moins les dépenses que Callow aurait normalement engagées; un montant additionnel de 14 835,14 $ représentant la valeur sur un an d’un bail d’équipement que Callow n’aurait pas loué si elle avait su que le contrat d’entretien hivernal allait être résilié; et 1 600 $ au titre de la facture finale pour les travaux d’été que Baycrest n’avait pas payée à Callow. Les dépens ont été octroyés à Callow.
[24]                        La juge de première instance était également convaincue que Baycrest s’était injustement enrichie en raison des travaux exécutés « en prime » par Callow durant l’été 2013. Cependant, comme cette dernière n’avait pas fourni de preuve de ses dépenses, la juge a refusé d’accorder des dommages‑intérêts pour enrichissement injustifié.
B.            Cour d’appel de l’Ontario (les juges Lauwers, Huscroft et Trotter)
[25]                        Baycrest a interjeté appel, soutenant que la juge de première instance s’était trompée à deux égards. D’abord, elle a allégué que la juge avait commis une erreur en élargissant à tort l’obligation d’exécution honnête d’une manière qui dépassait le libellé du contrat d’entretien hivernal. Ensuite, elle a plaidé que la juge de première instance s’était trompée dans l’évaluation des dommages‑intérêts.
[26]                        À l’unanimité, la Cour d’appel a donné raison à Baycrest sur la première question et a annulé le jugement de première instance. Elle a reconnu, comme l’avait conclu la juge de première instance, que [traduction] « [l]es administrateurs de deux des associations condominiales et des membres du CUC savaient que M. Callow exécutait des travaux “en prime”, et qu’il avait l’impression que les contrats allaient vraisemblablement être renouvelés » (par. 5). Néanmoins, la cour a souligné que l’arrêt Bhasin représentait une étape modeste, élaborée de façon progressive, et qu’il y avait lieu d’appliquer la notion de bonne foi d’une manière qui permet d’éviter l’instabilité commerciale. Par conséquent, selon elle, l’obligation d’honnêteté « n’impose pas de devoir de loyauté ou de divulgation ni n’exige d’une partie qu’elle renonce à des avantages découlant du contrat » (par. 12, citant Bhasin, par. 73).
[27]                        La Cour d’appel a souligné de plus que Callow a fait deux concessions dans son mémoire. Premièrement, elle a reconnu que Baycrest n’était pas contractuellement tenue de divulguer sa décision de résilier le contrat d’entretien hivernal avant la période de préavis de 10 jours. Deuxièmement, elle a reconnu que le fait que Baycrest n’ait pas donné de préavis en temps plus opportun n’était pas, en soi, une preuve de mauvaise foi. Puisqu’il n’existe [traduction] « aucun devoir unilatéral de divulguer des renseignements ayant trait à la résiliation », la cour a raisonné qu’il était « loisible à Baycrest de résilier le contrat d’entretien hivernal conclu avec [Callow], à la seule condition qu’elle l’informe de [son] intention de le faire et qu’[elle] donne le préavis nécessaire. C’est tout ce que [Callow] a négocié, et c’est tout ce à quoi [elle] avait droit » (par. 17). Bien que les conclusions de la juge de première instance « puissent très bien laisser entendre qu’il y a eu omission d’agir honorablement », la Cour d’appel s’est dite d’avis que les conclusions « ne sont pas suffisantes pour établir un manquement à l’obligation d’exécution honnête » (par. 16).
[28]                        Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel a affirmé que toute tromperie dans les communications au cours de l’été 2013, le cas échéant, avait trait à un nouveau contrat qui n’existait pas encore, soit le renouvellement que Callow espérait négocier. Par conséquent, à son avis, on ne saurait dire que la tromperie, s’il en est, était directement liée à l’exécution du contrat d’entretien hivernal (par. 18).
[29]                        Vu la conclusion de la Cour d’appel, elle n’a pas traité de la question des dommages‑intérêts.
IV.         Analyse
A.           Survol du pourvoi
[30]                        Le présent pourvoi offre à la Cour l’occasion de clarifier ce que constitue un manquement à l’obligation d’exécution honnête lorsqu’il se manifeste en lien avec une clause de résiliation accordant un droit unilatéral et apparemment absolu. Relevant ce qu’elle appelle la tromperie active de Baycrest dans son recours à la clause, Callow affirme que cette conduite était un manquement à l’obligation d’exécution honnête reconnue dans l’arrêt Bhasin.
[31]                        Devant notre Cour, Callow ne conteste pas le sens de la clause 9. Dans le présent pourvoi, elle ne plaide pas non plus que le marché conclu avec Baycrest était inadéquat et ne demande pas si la résiliation était injustifiée. Callow ne soutient pas, par exemple, qu’elle aurait dû bénéficier d’un délai de préavis plus long parce que la période de 10 jours était inéquitable dans les circonstances. Je reconnais qu’en première instance, on s’est demandé si la résiliation était appropriée, vu le dossier de travail de Callow. De fait, la juge de première instance a statué en faveur de Callow sur ce point, concluant que cette dernière avait fourni des services satisfaisants. Toutefois, dans le cadre du présent pourvoi, la Cour n’a pas à se prononcer sur la thèse selon laquelle Callow a vu son contrat résilié dans un but ou pour un motif illégitimes quelconques, voire que la résiliation était déraisonnable. La question précise en litige est de savoir si Baycrest a omis de s’acquitter de son obligation de ne pas mentir à Callow ou de ne pas l’induire intentionnellement en erreur sur des questions directement liées à l’exécution du contrat d’entretien hivernal, plus précisément en ayant recours à la clause de résiliation comme elle l’a fait.
[32]                        En l’espèce, Callow soutient en fait que Baycrest a induit M. Callow en erreur quant au renouvellement possible du contrat d’entretien hivernal et, en conséquence, qu’elle l’a intentionnellement amené à croire à tort qu’elle était satisfaite de la prestation par Callow du contrat alors en vigueur pour la saison hivernale à venir. Callow affirme avoir présumé à tort, en conséquence de cette malhonnêteté, qu’il n’y avait aucun risque que le contrat d’entretien hivernal en vigueur soit résilié en application de la clause 9 du contrat. Selon Callow, Baycrest était parfaitement consciente de cette méprise et elle ne l’a pas détrompé, ce qui équivalait à un manquement à l’obligation d’exécution honnête. Bref, selon Callow, cette conduite trompeuse signifiait que le recours à la clause de résiliation était fautif en ce qu’il avait fait l’objet d’un manquement, même si, à proprement parler, le préavis applicable avait été donné. Ainsi, à son avis, ce manquement devrait donner lieu aux dommages‑intérêts compensatoires habituellement octroyés comme la juge de première instance l’a ordonné, à savoir des dommages‑intérêts correspondants à la perte de profits, aux dépenses engagées inutilement et à une facture impayée.
[33]                        Outre l’obligation d’exécution honnête, Callow invoque une obligation indépendante d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de nature contractuelle de bonne foi, une obligation, soutient‑elle, que le juge Cromwell a également reconnue dans l’arrêt Bhasin et qui justifierait le même octroi de dommages‑intérêts. Qui plus est, advenant que la Cour ne souscrive pas à l’argument selon lequel il y a eu manquement à l’une ou l’autre de ces obligations existantes, Callow plaide, subsidiairement, que notre Cour devrait reconnaître une nouvelle obligation d’agir de bonne foi qui interdirait la [traduction] « non‑divulgation active ».
[34]                        En réponse, Baycrest souligne les concessions faites par Callow devant la Cour d’appel, en particulier que la clause 9, à première vue, ne l’obligeait pas à donner un préavis additionnel. Baycrest est d’accord avec la Cour d’appel pour dire que, quelles qu’aient pu être les communications entre les parties, elles portaient sur un contrat futur et n’étaient pas directement liées à l’exécution du contrat d’entretien hivernal alors en vigueur. Le contrat lui accordait un droit absolu de résilier le contrat pour n’importe quel motif moyennant un préavis, et c’est exactement ce qui s’est produit. Rappelant que l’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat n’est pas un devoir de divulgation et n’impose pas de devoir de loyauté semblable à celui d’un fiduciaire, Baycrest affirme que Callow veut faire en sorte qu’elle subordonne son propre intérêt au sien en exigeant qu’elle l’informe de son intention de mettre fin au contrat d’entretien hivernal avant le délai de préavis stipulé de 10 jours. Selon elle, la Cour d’appel a ainsi eu raison de décider que le marché conclu par les parties lui donnait le droit de mettre fin au contrat comme elle l’a fait. Pareillement, en ce qui concerne l’obligation d’exercer des pouvoirs discrétionnaires de bonne foi, Baycrest affirme que, parce qu’elle a respecté les conditions du contrat, la question de l’exercice fautif du pouvoir discrétionnaire de nature contractuelle ne se pose pas compte tenu des faits l’espèce.
[35]                        Quoi qu’il en soit, Baycrest souligne la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle toutes les discussions qui ont eu lieu au printemps et à l’été 2013, et qui auraient pu induire Callow en erreur, étaient liées à des négociations précontractuelles. Par conséquent, quand bien même il y aurait eu malhonnêteté, on ne saurait affirmer qu’elle était directement liée à l’exécution du contrat d’entretien hivernal.
[36]                        Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi. En tout respect, je suis en désaccord avec la Cour d’appel relativement à deux points principaux.
[37]                        En premier lieu, il ressort clairement de l’arrêt Bhasin que même si Baycrest avait ce qui était, à première vue, un droit absolu de résilier le contrat d’entretien hivernal moyennant un préavis de 10 jours, ce droit devait être exercé dans le respect de l’obligation d’agir honnêtement; cela signifie que Baycrest ne pouvait pas « mentir ni autrement [. . .] induire [Callow] intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat ». Selon la Cour d’appel, la malhonnêteté, s’il y a en a eu, avait pour objet un renouvellement qui était, à son tour, lié à des négociations précontractuelles auxquelles l’obligation telle qu’énoncée dans l’arrêt Bhasin ne s’applique pas. Soit dit respectueusement, je ne suis pas d’accord. À mon avis, il se peut que la Cour d’appel ait mal formulé les conclusions de la juge de première instance au paragraphe 6, écrivant que celle‑ci avait conclu que Baycrest avait déclaré [traduction] « que le contrat d’hiver ne risquait pas de ne pas être renouvelé » (je souligne). Parlant plutôt du contrat de services hivernaux en vigueur, la juge de première instance avait conclu que Baycrest avait faussement déclaré [traduction] « que le contrat n’était pas en péril, et ce, même si [elle] savait que Callow accomplissait des tâches supplémentaires pour accroître les chances de renouveler le contrat de services d’entretien hivernal » (par. 65). Lorsqu’il s’agit de décider si la malhonnêteté est liée à un contrat en particulier, la question pertinente est en général de savoir si un droit prévu au contrat a été exercé ou si une obligation qui y est décrite a été exécutée de manière malhonnête. Selon ma compréhension, la juge de première instance a conclu que la malhonnêteté en l’espèce était liée, non pas à un contrat futur, mais à la résiliation du contrat d’entretien hivernal. Si on fait croire à quelqu’un que son cocontractant est satisfait de son travail et que son contrat en vigueur va vraisemblablement être renouvelé, il est raisonnable que cette personne en déduise que le contrat en vigueur n’est pas en péril et qu’il ne sera pas résilié hâtivement. C’est ce qu’a conclu la juge de première instance. En termes simples, la tromperie alléguée de Baycrest était directement liée à ce contrat, parce que son recours à la clause de résiliation qui y était prévue a été malhonnête.
[38]                        En deuxième lieu, la Cour d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a statué que les conclusions de la juge de première instance ne revenaient pas à dire qu’il y avait eu un manquement à l’obligation d’exécution honnête. Bien qu’il ne faille pas assimiler l’obligation d’exécution honnête à une obligation positive de divulgation, cela n’épuise pas non plus la question de savoir si la conduite de Baycrest constituait, en tant que manquement à l’obligation d’honnêteté, un recours fautif à la clause de résiliation. Baycrest n’avait peut‑être pas d’obligation autonome de divulguer son intention de résilier le contrat avant le délai de préavis de 10 jours prescrit, elle avait néanmoins l’obligation de ne pas induire Callow en erreur dans le recours à cette clause. Dans une situation où une partie ment ou induit intentionnellement l’autre partie en erreur, l’absence d’obligation positive de divulgation ne fait pas obstacle à une obligation pour la première de corriger une fausse impression créée par ses propres gestes.
[39]                        À la lumière de ces points, j’estime que la présente affaire ne constitue ni une simple affaire d’interprétation contractuelle portant sur le sens à donner à la clause 9, ni une affaire où il y a eu omission passive de divulguer un fait important. En effet, comme l’a reconnu la Cour d’appel, [traduction] « [n]on seulement [Baycrest] a‑elle omis d’informer [Callow] de [sa] décision de résilier, [. . .] mais [elle] a activement induit Callow en erreur quant à [ses] intentions et accepté le travail qu’[elle] avait fourni “en prime”, sachant que ce travail supplémentaire était exécuté dans l’intention ou l’espoir de convaincre [Baycrest] d’attribuer des contrats additionnels à [Callow] lorsque les contrats en vigueur arriveraient à échéance » (par. 15 (je souligne)). Bien que Baycrest ne fût pas tenue de subordonner ses intérêts contractuels légitimes à ceux de Callow en ce qui concerne le contrat de services d’entretien hivernal en vigueur, elle ne pouvait pas, comme elle l’a fait, « de mauvaise foi […] nuire [aux] intérêts » de Callow (Bhasin, par. 65).
[40]                        Pour les motifs qui suivent, le présent litige peut être réglé sur le fondement du premier moyen d’appel lié à l’obligation d’exécution honnête. Baycrest a intentionnellement induit Callow en erreur dans la manière dont elle a eu recours à la clause 9 du contrat et ce recours fautif à la clause de résiliation équivaut à une violation de contrat suivant l’arrêt Bhasin. Dans les circonstances, je conclus qu’il est inutile de répondre à l’argument de Callow selon lequel, sans égard à la question d’honnêteté, Baycrest a manqué à une obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Il n’est pas non plus nécessaire d’étendre la teneur de l’arrêt Bhasin pour reconnaître une nouvelle obligation d’agir de bonne foi liée à ce que Callow a décrit comme étant une « non‑divulgation active » d’information ayant trait à l’exécution.
B.            L’obligation d’exécution honnête
(1)         La malhonnêteté est directement liée à l’exécution du contrat
[41]                        Je vais d’abord examiner l’argument de Callow selon lequel la Cour d’appel aurait eu tort de conclure que la malhonnêteté n’était pas liée au contrat [traduction] « alors en vigueur » (motifs de la C.A., par. 18). Comme je m’efforcerai de l’expliquer, bien que Baycrest ait eu le droit de résilier le contrat, elle a manqué à son obligation d’exécution honnête en ayant recours à ce droit comme elle l’a fait.
[42]                        Callow s’appuie sur l’obligation d’exécution honnête des contrats énoncée dans l’arrêt Bhasin. Cette obligation, qui s’applique à tous les contrats, « oblige les parties à faire preuve d’honnêteté l’une envers l’autre dans le cadre de l’exécution de leurs obligations contractuelles » (par. 93). Même si cette formulation de l’obligation renvoie explicitement à l’exécution des obligations contractuelles, elle s’applique bien sûr tant à l’exécution des obligations qu’à l’exercice des droits prévus au contrat. Le juge Cromwell a statué, aux paragraphes 94 et 103, que la conclusion selon laquelle le recours à la clause de non‑renouvellement avait été malhonnête revenait à conclure à la violation de l’obligation :
                        La juge de première instance a tiré une conclusion de fait claire selon laquelle Can‑Am [traduction] « a agi malhonnêtement envers M. Bhasin en recourant à la clause de non‑renouvellement » : par. 261; voir également par. 271. Aucune raison ne permet de modifier cette conclusion en appel. Il s’ensuit que Can‑Am a violé son obligation d’exécution honnête du contrat.
. . .
                        Ainsi que l’a conclu la juge de première instance, la malhonnêteté de Can‑Am était directement et intimement liée à son exécution du contrat conclu avec M. Bhasin et au recours à la clause de non‑renouvellement. Je conclus que Can‑Am a rompu le contrat de 1998 lorsqu’elle n’a pas agi honnêtement envers M. Bhasin en recourant à la clause de non‑renouvellement. [Je souligne.]
Ce même cadre d’analyse s’applique au présent pourvoi. En l’espèce, la juge de première instance a tiré une conclusion de fait claire selon laquelle Baycrest avait agi de manière malhonnête envers Callow en faisant des représentations selon lesquelles le contrat n’était pas en péril, même si la décision de résilier le contrat avait déjà été prise (par. 65 et 67). Rien ne justifie de modifier cette conclusion en appel. Comme je l’expliquerai, il s’ensuit que Baycrest a induit Callow en erreur et a ainsi manqué à son obligation d’exécution honnête.
[43]                        Je débute en reconnaissant l’existence d’un débat quant à la mesure dans laquelle la bonne foi, au‑delà de l’obligation d’honnêteté, devrait limiter un droit de résiliation sur le plan substantiel, en particulier celui prévu dans un contrat (voir, p. ex., W. Courtney, « Good Faith and Termination: The English and Australian Experience » (2019), 1 Journal of Commonwealth Law 185, p. 189; M. Bridge, « The Exercise of Contractual Discretion » (2019), 135 L.Q.R. 227, p. 247). Pour certains, le droit de résilier est de la nature d’un « droit absolu » qui est à l’abri de tout contrôle judiciaire, contrairement à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de nature contractuelle (voir E. Peel, The Law of Contract (15e éd. 2020), par. 18‑088). À cet égard, je rappelle que, selon le juge Cromwell, « [f]aire entrer la décision de ne pas renouveler le contrat dans la catégorie de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de nature contractuelle aurait pour effet d’élargir sensiblement la jurisprudence applicable à ce type de situation » (Bhasin, par. 72). Je n’ai pas à régler ce débat en l’espèce, et je ne cherche pas à le faire. Je souligne plutôt que le juge Cromwell a lui‑même reconnu que, sans égard à ce débat, la clause de non‑renouvellement ne pouvait pas être exercée de façon malhonnête (par. 94). Quel que soit l’éventail complet des circonstances où la bonne foi est pertinente en droit des contrats dans les ressorts canadiens de common law, il ne fait aucun doute que l’obligation d’honnêteté est pertinente dans le contexte de l’exécution du contrat en cause ici, en particulier quant à la manière dont a été exercé le droit unilatéral de le résilier pour raisons de commodité prévu à la clause 9.
[44]                        Toujours à titre de commentaire préliminaire, je rappelle que le principe directeur de bonne foi reconnu par le juge Cromwell n’est pas une règle autonome, mais qu’il se manifeste plutôt par les doctrines existantes en matière de bonne foi, dont la liste peut être graduellement étendue s’il y a lieu. En l’espèce, Callow invoque deux règles existantes : l’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer des pouvoirs discrétionnaires de bonne foi. À mon avis, bien comprise, l’obligation d’agir honnêtement au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat — soit ici le recours à la clause de résiliation — suffit pour trancher le présent pourvoi. Il n’est pas nécessaire d’étendre la portée de la règle de droit énoncée dans l’arrêt Bhasin pour donner gain de cause à Callow. Le présent pourvoi offre plutôt l’occasion d’illustrer cette doctrine existante qui, je le dis respectueusement, a été mal interprétée par la Cour d’appel.
[45]                        Bien que ces deux règles existantes soient effectivement distinctes, à l’instar de chacune des diverses manifestations du principe directeur, elles ne doivent pas être considérées comme étant déconnectées l’une de l’autre. Le juge Cromwell a expliqué que l’exécution contractuelle de bonne foi est une « exigence de justice » partagée, qui sous‑tend et détermine les diverses règles reconnues par la common law portant sur des obligations d’exécuter les contrats de bonne foi (Bhasin, par. 64). Le principe directeur de bonne foi visait à corriger l’approche « fragmentaire » à l’égard de la bonne foi en common law — qui trop souvent ne permettait pas d’appliquer à des problèmes similaires une approche cohérente ou raisonnée —, et à plutôt élaborer le droit en cette matière « de façon cohérente et rationnelle » (par. 59 et 64).
[46]                        En insistant sur le fil qui relie en un tout les doctrines de la bonne foi — exprimé par le principe directeur —, les tribunaux mettront fin à l’élaboration fragmentaire et incohérente de la doctrine de la bonne foi en common law que le juge Cromwell voulait justement éviter. Bien que l’obligation d’exécution honnête puisse ressembler à certains égards au droit en matière de déclarations inexactes, par exemple, ce que la bonne foi peut ne pas faire dans d’autres contextes, l’arrêt Bhasin nous encourage à examiner comment d’autres règles relatives à la bonne foi existantes, distinctes, mais liées, peuvent être utilisées comme outils d’analyse utiles pour comprendre comment l’obligation d’exécution honnête, relativement nouvelle, s’applique en pratique.
[47]                        Les règles de droit particulières tirées du principe directeur reposent sur une « exigence de justice » voulant qu’une partie contractante — comme Baycrest en l’espèce relativement à l’obligation contractuelle d’exécution honnête — prenne en compte comme il se doit les intérêts contractuels légitimes de son cocontractant (Bhasin, par. 63‑64). Selon l’arrêt Bhasin, elle n’a toutefois pas à subordonner ses propres intérêts à ceux de Callow en agissant comme un fiduciaire ou d’une manière altruiste qui conférerait un avantage à cette dernière. Certes, cette exigence de justice est le reflet de la notion selon laquelle le marché conclu — les droits et les obligations convenus — est la source première d’équité entre les parties à un contrat. Ces droits et obligations doivent tout de même être exercés et exécutés, comme le veut le principe directeur, de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire. Cette exigence de justice — qui s’inscrit dans un idéal contractuel de justice corrective — relie entre elles les doctrines existantes relatives à la bonne foi, y compris l’obligation d’agir honnêtement. L’obligation d’exécution honnête n’est qu’une manifestation de cet idéal. En l’espèce, parce qu’elle n’a pas eu recours à la clause 9 de manière honnête, Baycrest a commis une violation de contrat — une faute civile — dont elle doit répondre.
[48]                        Lorsque, dans l’arrêt Bhasin, le juge Cromwell a reconnu une obligation d’agir honnêtement dans l’exécution des contrats, il a expliqué que cette obligation « devrait être considérée non pas comme une condition implicite, mais comme une doctrine générale du droit des contrats imposant, à titre d’obligation contractuelle, une norme minimale d’exécution honnête du contrat » (par. 74). Selon le juge Cromwell, il convenait de caractériser cette nouvelle obligation de doctrine du droit des contrats « puisque les parties ne s’attendent que très peu souvent à ce que leurs contrats les autorisent à exécuter leurs obligations de façon malhonnête » (par. 76). En conséquence, l’obligation s’applique même lorsque, comme en l’espèce, les parties ont expressément prévu les modalités de résiliation, puisque l’obligation d’agir de bonne foi « trouve application sans égard aux intentions des parties » (par. 74). Aucun droit contractuel, y compris un droit de résilier, ne peut être exercé malhonnêtement et, de par le fait même, contrairement aux exigences de la bonne foi.
[49]                        Le libellé choisi par le juge Cromwell est révélateur. Il ne suffit pas de conclure que, sur le plan chronologique, la malhonnêteté s’est produite alors que les deux parties exécutaient les obligations qui leur incombaient en vertu du contrat : la conduite malhonnête ou trompeuse doit plutôt être directement liée à l’exécution. Autrement, il y aurait simplement une obligation de ne pas mentir, avec peu pour limiter la grande étendue que pourrait avoir la responsabilité.
[50]                          L’obligation d’exécution honnête est une doctrine du droit des contrats, ce qui la place à part des autres domaines du droit relatif aux conséquences juridiques de la tromperie avec lesquels elle pourrait avoir certaines similarités. On pourrait imaginer analyser les faits donnant lieu à une demande fondée sur l’obligation d’exécution honnête à travers le prisme d’autres doctrines juridiques existantes, telles celles relatives aux déclarations inexactes frauduleuses donnant lieu à l’annulation du contrat ou aux délits de fraude civile (voir, p. ex., B. MacDougall, Misrepresentation (2016), §1.144‑1.145). Toutefois, dans l’arrêt Bhasin, le juge Cromwell a précisé explicitement que l’obligation d’exécution honnête offre des similitudes avec la fraude civile et la préclusion, « sans toutefois être subsumée sous ces notions » (par. 88). À titre d’exemple, contrairement à la préclusion et à la fraude civile, l’obligation d’exécution honnête ne requiert pas qu’un défendeur ait l’intention que le demandeur s’appuie sur ses assertions ou fausses déclarations. Le juge Cromwell a explicitement défini l’obligation comme une doctrine du droit des contrats nouvelle et distincte ne donnant lieu ni à une responsabilité délictuelle ni à des dommages‑intérêts en cette matière, mais entraînant plutôt une violation de contrat lorsque celui qui y est tenu ne s’en acquitte pas (par. 72‑74, 90, 93 et 103). Les parties ne nous demandent pas de nous écarter de cette approche.
[51]                        À la lumière de l’arrêt Bhasin, comment alors l’obligation d’exécution honnête est‑elle limitée de façon appropriée? Le manquement doit être directement lié à l’exécution du contrat. Le juge Cromwell a observé un manquement contractuel du fait que Can‑Am avait « agi malhonnêtement envers M. Bhasin en recourant à la clause de non‑renouvellement » (par. 94). Il a souligné tout particulièrement la conclusion de la juge de première instance selon laquelle Can‑Am « avait agi malhonnêtement envers M. Bhasin pendant la période précédant le recours à la clause de non‑renouvellement » (par. 98; voir aussi le par. 103). Par conséquent, c’est un lien avec l’exécution des obligations découlant d’un contrat ou avec l’exercice de droits qui y sont prévus dont dépend la portée de l’obligation. Dans un commentaire sur l’arrêt Bhasin, le professeur McCamus a souligné ce lien : [traduction] « Le juge Cromwell était d’avis que la nouvelle obligation d’honnêteté pouvait être violée dans le contexte de l’exercice d’un droit de non‑renouvellement. Voilà ce qui a été jugé dans l’arrêt Bhasin » (« The New General ‘Principle’ of Good Faith Performance and the New ‘Rule’ of Honesty in Performance in Canadian Contract Law » (2015), 32 J.C.L. 103, p. 115). Bien que les dommages‑intérêts accordés dans cet arrêt n’aient pas eu pour fondement l’abus d’un pouvoir discrétionnaire, l’obligation d’exécution honnête partage une méthodologie avec l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de nature contractuelle de bonne foi en se concentrant, du moins dans les circonstances comme celles dont nous sommes saisies, sur l’exercice fautif d’une prérogative contractuelle.
[52]                         Fait important, Callow ne cherche pas à empêcher Baycrest de recourir à la clause de résiliation en l’espèce; comme dans l’arrêt Bhasin, elle ne cherche qu’à obtenir des dommages‑intérêts découlant du fait que Baycrest a eu recours à la clause de façon malhonnête. Autrement dit, selon l’argument de Callow, formulé correctement, Baycrest ne pouvait pas avoir recours à la clause 9 d’une manière qui violait l’obligation d’honnêteté, aussi absolu ce droit apparût‑il à première vue.
[53]                        La bonne foi n’est donc pas invoquée en l’espèce pour créer, implicitement, une nouvelle disposition contractuelle ou pour servir de guide d’interprétation du libellé de ce qui était en quelque sorte une affirmation ambiguë de l’intention des parties. L’obligation d’honnêteté, en tant que doctrine du droit des contrats, a plutôt une fonction restrictive sur l’exercice d’un droit par ailleurs complet et clair. Il en est ainsi puisque l’obligation, sans égard à l’intention des parties, s’applique à l’exécution de tous les contrats et, par extension, à toutes les obligations et à tous les droits contractuels. Ceci veut simplement dire que plutôt que de restreindre la décision de résilier en soi, l’obligation d’exécution honnête donne lieu à des dommages‑intérêts lorsque le droit a été exercé de manière malhonnête.
[54]                        Ainsi, la question en litige n’est pas celle de savoir si la clause a été correctement interprétée ou si le marché lui‑même est inadéquat. Qui plus est, ce qui importe, ce n’est pas l’omission d’avoir agi honnêtement dans l’abstrait, c’est plutôt de savoir si Baycrest a omis d’agir avec honnêteté dans son recours à la clause 9. Pour dire les choses simplement, aucun droit contractuel ne peut être exercé de manière malhonnête, parce que, en application de l’arrêt Bhasin, cela serait contraire à une exigence impérative de bonne foi — soit celle de ne pas mentir à son cocontractant ni d’autrement l’induire intentionnellement en erreur « au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat ».
[55]                        Cet argument invite la Cour à expliquer si Baycrest a eu recours incorrectement à la clause de résiliation et comment, le cas échéant, indépendamment de toute obligation en matière de préavis. J’ajouterais qu’il ne faut pas confondre cette attention portée sur la manière dont le droit de résiliation a été exercé avec la question de savoir si le droit pouvait être exercé. Callow n’allègue pas que Baycrest n’avait pas le droit de résilier le contrat; ce droit de le faire moyennant un préavis de 10 jours, conformément à la clause 9, n’est pas en cause en l’espèce. Cependant, selon elle, ce droit a été exercé de façon malhonnête, en contravention de l’obligation reconnue dans l’arrêt Bhasin, ce qui oblige Baycrest à payer des dommages‑intérêts par suite de son comportement. Ainsi, je ferais la même distinction que celle avancée par le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin en ce qui concerne l’exercice de la clause de non‑renouvellement en cause dans cette dernière affaire : Can‑Am a agi malhonnêtement envers M. Bhasin en ayant recours à la clause de non‑renouvellement comme elle l’a fait et elle pouvait donc être tenue de verser des dommages‑intérêts. Toutefois, rien ne l’empêchait d’exercer sa prérogative de ne pas renouveler le contrat.
[56]                        Au soutien de son argument selon lequel Baycrest aurait manqué à l’obligation d’exécution honnête dans son recours à la clause 9 du contrat, Callow invoque les références au droit québécois dans l’arrêt Bhasin (par. 32, 35, 41, 44, 82 et 85) et en particulier celle que fait le juge Cromwell à la théorie de l’abus de droits contractuels énoncée aux art. 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec (« C.c.Q. » ou « Code civil ») (par. 83). Callow fait remarquer que l’obligation de ne pas recourir de façon abusive aux droits contractuels est reconnue comme une des caractéristiques des devoirs d’exécuter les obligations de bonne foi au Québec. Elle soutient que le renvoi à la théorie de l’abus de droit dans l’arrêt Bhasin était une indication des exigences de la bonne foi, et plaide que le même cadre d’analyse peut illustrer utilement comment l’obligation d’honnêteté de common law restreint la clause de résiliation en l’espèce.
[57]                        Je conviens qu’un examen du droit québécois est utile en l’espèce. Le lien direct entre la conduite malhonnête et le recours à la clause 9 n’a pas été établi correctement par la Cour d’appel dans le présent dossier et le droit québécois aide à illustrer que, selon l’arrêt Bhasin, il doit exister un tel lien. À mon avis, la conduite malhonnête de Baycrest n’est pas une faute qui se manifeste indépendamment de la clause de résiliation, elle constitue plutôt une violation de contrat qui, comprise comme il se doit, s’est manifestée dans le contexte du recours à la clause 9. C’est en fonction du lien direct entre la malhonnêteté et le recours à la clause que la conduite est jugée contraire aux exigences de la bonne foi. Cela ressort encore plus clairement lorsque l’enjeu est examiné à la lumière de la conception civiliste de la bonne foi en matière contractuelle à laquelle l’arrêt Bhasin fait allusion, soit précisément du fait qu’au Québec « [l]a notion de bonne foi comprend (notamment) l’exigence de l’honnêteté en matière d’exécution du contrat » (par. 83). De fait, tout comme en droit civil québécois, aucun droit contractuel ne peut être exercé malhonnêtement, ce qui reviendrait à contrevenir aux exigences de la bonne foi. Évoqué à juste titre par le juge Cromwell, ce cadre d’analyse qui consiste à établir un lien entre le recours à une clause contractuelle et les exigences de la bonne foi est une illustration utile pour la common law du lien établi par l’arrêt Bhasin et qui a échappé à la Cour d’appel en l’espèce.
[58]                          Sans aucun doute consciente de sa position unique qui lui offre l’occasion d’observer dans le contexte de ses travaux l’évolution de la common law et du droit civil, la Cour a souvent puisé dans le cadre bijuridique du pays pour éclairer ses décisions, principalement dans le cadre de pourvois en droit privé. Bien que cette pratique ait changé au fils du temps et que la Cour y ait eu davantage recours dans des causes de droit civil où des sources de common law ont été examinées, l’influence du bijuridisme n’est pas limitée aux pourvois émanant du Québec ou aux questions relatives à la législation fédérale et elle n’a pas à l’être (voir J.‑F. Gaudreault‑DesBiens, Les solitudes du bijuridisme au Canada (2007), p. 7‑22). Dans sa jurisprudence moderne, la Cour a reconnu la valeur de l’étude des sources et autorités juridiques du Québec dans des pourvois émanant des provinces de common law et elle a souvent examiné comment ces sources permettent de résoudre des questions juridiques similaires à celles auxquelles fait face la common law (voir, p. ex., Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., 1992 CanLII 105 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 1021, p. 1143‑1144; Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855, par. 138; voir aussi Kingstreet Investments Ltd. c. New Brunswick (Finance), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3, par. 41). Lorsqu’on y a recours de cette façon, les sources québécoises ne lient évidemment pas la Cour dans sa détermination de l’issue d’un pourvoi de droit privé provenant d’une province de common law; elles servent plutôt d’autorités persuasives, notamment en éclairant la façon dont fonctionnent les règles applicables dans la juridiction en cause. Selon moi, il est non controversé que, lorsque cela est fait avec soin, des sources de droit et autorités du droit peuvent être utilisées de cette manière (Farber c. Royal Trust Co., 1997 CanLII 387 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 846, par. 32, citant J.‑L. Baudouin, « L’interprétation du Code civil québécois par la Cour suprême du Canada » (1975), 53 Rev. du Bar. can. 715, p. 726). Comme l’a affirmé Robert J. Sharpe dans un texte extra‑judiciaire, [traduction] : « les juges doivent s’efforcer de maintenir la cohérence et l’intégrité du droit tel qu’il est défini par les autorités contraignantes, en se servant d’autorités persuasives pour en élaborer et en étoffer la structure de base » (Good Judgment: Making Judicial Decisions (2018), p. 171‑172).
[59]                        Cela ne signifie pas que le recours approprié à ces sources se limite aux causes où le droit de la juridiction d’où émane le pourvoi comporte des lacunes — en ce sens que ce droit ne répond pas au problème juridique en cause — ou aux circonstances où un tribunal envisage de modifier une règle existante. Soit dit en tout respect, à ma connaissance, aucune décision de la Cour ne soutient une approche aussi restrictive. Je note en outre que, bien qu’ils ne soient pas résolus, des débats sérieux ont cours tant en common law qu’en droit civil sur ce que peut bien être une « lacune » dans le droit (voir, p. ex., J. Gardner, « Concerning Permissive Sources and Gaps » (1988), 8 Oxford J. Leg. Stud. 457; J. E. C. Brierley, « Quebec’s ‘Common Laws’ (Droits communs): How Many Are There? », dans E. Caparros et al., dir., Mélanges Louis‑Philippe Pigeon (1989), 109). Adopter une telle approche limiterait indument la capacité de la Cour de comprendre le droit en se référant à la façon dont des problèmes comparables sont traités ailleurs au Canada. Il serait mal avisé de ne pas tenir compte de sources et d’autorités potentiellement utiles uniquement en raison de leur origine.
[60]                        En droit privé, la comparaison entre la common law et le droit civil, au fil de leur évolution au Canada, est un exercice qui est particulièrement utile pour la Cour et qu’elle connaît bien. Cet exercice de comparaison de traditions juridiques, aux fins de « valeur de raison » et d’« illustration », a été décrit comme « intéressant », « [ayant] une valeur » et « utile » (Farber, par. 32 et 35; St. Lawrence Cement Inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392, par. 76; Norsk, p. 1174, juge Stevenson (motifs concordants)). Les principes tirés de la common law ou du droit civil peuvent servir de « source d’inspiration » pour l’autre tradition juridique, précisément parce que les « deux communautés juridiques partagent les mêmes grandes valeurs sociales » (Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214, par. 38). La common law et le droit civil ne sont pas les seules traditions juridiques pertinentes pour le travail de la Cour; il n’en demeure pas moins que l’occasion d’établir un « dialogue » entre elles constitue sans doute un mandat particulier pour la Cour étant donné l’étendue de sa compétence bijuridique et les responsabilités qui en découlent. Cette occasion a été soulignée par des auteurs, y compris dans le domaine de l’exécution contractuelle de bonne foi (p. ex., L. LeBel et P.‑L. Le Saunier, « L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada » (2006), 47 C. de D. 179, p. 206; R. Jukier, « Good Faith in Contract: A Judicial Dialogue Between Common Law Canada and Québec » (2019), 1 Journal of Commonwealth Law 83).
[61]                        Dans des écrits extrajudiciaires, le juge LeBel a souligné que cet exercice relève des fonctions de la Cour en tant que cour d’appel nationale. Il a ajouté que « parce qu’elle en possède maintenant la capacité, en raison de ses ressources institutionnelles, la Cour suprême assume désormais la responsabilité symbolique de l’ouverture à une culture de dialogue entre les deux grandes traditions juridiques » (« Les cultures de la Cour suprême du Canada : vers l’émergence d’une culture dialogique? », dans J.‑F. Gaudreault‑DesBiens et al., dir., Convergence, concurrence et harmonisation des systèmes juridiques (2009), 1, p. 7). Cette capacité institutionnelle unique de la Cour à titre de cour de dernière instance pour les appels de common law et de droit civil au Canada lui permet d’engager un dialogue qui en fait « plus qu’un tribunal d’appel pour chaque province » (F. Allard, La Cour suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme (2001), p. 21). L’occasion d’établir un dialogue se présente tout particulièrement lorsqu’il est question des théories de la common law relatives à la bonne foi. Renvoyant aux propos du juge LeBel et à la façon dont la Cour a fait appel aux sources québécoises dans l’arrêt Bhasin, une chercheuse en droit comparé a écrit récemment que s’il faut [traduction] « maintenir et protéger jalousement » le caractère distinctif des traditions juridiques du Canada, « cela n’a pas à [les] empêcher d’apprendre [l’une de l’autre] » (R. Jukier, « The Legacy of Justice Louis LeBel: The Civilian Tradition and Procedural Law » (2015), 70 S.C.L.R. (2d) 27, p. 45). Le professeur Waddams a également signalé que la référence au droit québécois dans l’arrêt Bhasin était une [traduction] « invitation » à examiner les concepts de droit civil, y compris l’abus de droit, pour élaborer la common law relative à la bonne foi (voir « Unfairness and Good Faith in Contract Law: A New Approach » (2017), 80 S.C.L.R. (2d) 309, p. 330‑331). Cette approche serait conforme à une démarche plus large « d’influence réciproque accrue plus marquée entre les traditions par le biais d’une analyse comparative qui prend de plus en plus de place dans les jugements [de la Cour] » (Allard, p. 22).
[62]                          De fait, la Cour s’est livrée à cet exercice dans des pourvois de common law et de droit civil dans lesquels les principes relatifs à la bonne foi entraient en jeu, notamment dans l’arrêt Bhasin lui‑même (voir aussi Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 R.C.S. 500, par. 30; Wallace c. United Grain Growers Ltd., 1997 CanLII 332 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 701, par. 75 et 96, citant Farber). Le juge Cromwell a souligné que le droit civil québécois peut rassurer, par exemple, les avocats de common law qui craignent qu’une nouvelle obligation d’exécution honnête puisse « engendrer l’instabilité ou faire obstacle à la liberté contractuelle » (Bhasin, par. 82). Le juge Cromwell a également évoqué des éléments de comparaison substantiels au soutien de son analyse sur la similarité entre les conditions implicites en common law et la bonne foi au Québec de même que sur le fait que la bonne foi en droit québécois comprend aussi une exigence d’honnêteté en matière d’exécution du contrat (par. 44 et 83). Fait à souligner, dans un exemple québécois récent de ceci qui est particulièrement pertinent en l’espèce, le juge Gascon, au nom des juges majoritaires de la Cour, a cité l’arrêt Bhasin quant au degré auquel le principe directeur de bonne foi illustre bien qu’une partie contractante doit « [prendre] en compte comme il se doit » les intérêts contractuels légitimes de son cocontractant. Il a noté que « [c]ette affirmation se transpose tout aussi bien à l’obligation de bonne foi en droit civil québécois » (Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro‑Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 117). J’en prends note uniquement à titre d’exemple de raisonnement judiciaire accepté dans ce domaine, où l’on dit à juste titre que les comparaisons sont difficiles à faire. Les juges majoritaires de la Cour ont néanmoins invoqué une décision de common law qui fait autorité sur la bonne foi pour donner un éclairage sur le traitement distinct qu’en fait le droit civil, ayant jugé qu’il était à la fois utile et persuasif de le faire.
[63]                        De la même manière, je fais référence au droit civil québécois dans le présent pourvoi pour illustrer ce que signifie le fait que la malhonnêteté soit directement liée à l’exécution du contrat. Comme je l’expliquerai, le cadre d’analyse du droit civil en matière d’abus de droit aide à faire porter l’analyse de la question de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’exécution honnête en common law sur ce que l’on pourrait appeler l’exercice fautif d’un droit contractuel.
[64]                        Le présent pourvoi met en évidence la nécessité de clarifier les circonstances dans lesquelles la malhonnêteté est directement liée à l’exécution d’un contrat. La Cour d’appel a reconnu l’obligation d’exécution honnête, mais a conclu que les communications en cause n’étaient pas directement liées à l’exécution du contrat en vigueur : [traduction] « Il se peut que les communications entre les parties aient amené M. Callow à croire qu’il y aurait un nouveau contrat, mais ces communications n’empêchaient pas [Baycrest] d’exercer [son] droit de résilier le contrat d’entretien hivernal alors en vigueur » (par. 18). La Cour d’appel a aussi conclu que Baycrest pouvait recourir à la clause de résiliation « à la seule condition qu’elle informe [Callow] de [son] intention de le faire et qu’elle donne le préavis nécessaire. C’est tout ce que [Callow] a négocié, et c’est tout ce à quoi [elle] avait droit » (par. 17). La Cour d’appel n’a apparemment pas tenu compte du fait que la manière dont le droit de résiliation a été exercé équivalait à un manquement à l’obligation d’agir honnêtement. Aux yeux de la juge de première instance en l’espèce, il s’agissait là de la question directement liée à l’exécution du contrat dans le litige avec Callow.
[65]                        Ces conclusions divergentes en l’espèce ne sont guère surprenantes puisque la Cour n’a reconnu l’obligation d’exécution honnête comme « nouvelle » doctrine de la bonne foi qu’assez récemment (Bhasin, par. 93). Cependant, les motifs de l’arrêt Bhasin indiquent comment le lien requis entre la malhonnêteté et l’exécution est mis en évidence. Lorsque le juge Cromwell a résumé la nouvelle obligation, il a suggéré qu’elle exigeait de faire preuve d’honnêteté « au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat » et, plus loin, « dans le cadre de l’exécution [des] obligations contractuelles » (par. 73 et 92). Cela dit, bien entendu, cette dernière formulation ne décrit pas complètement le lien requis, surtout parce qu’elle parle d’honnêteté dans l’exécution d’une obligation et ne dit rien de l’exercice d’un droit. Toutefois, lorsqu’elle a appliqué l’obligation aux faits dans l’arrêt Bhasin, la Cour a conclu à un manquement à l’obligation sur le fondement de la conclusion de la juge de première instance selon laquelle Can‑Am avait agi malhonnêtement dans son recours à la clause de non‑renouvellement (par. 94 et 103).
[66]                          En outre, je note que même si l’obligation d’exécution honnête a des similitudes avec les doctrines de common law préexistantes de fraude civile et de préclusion, ces doctrines n’aident pas à l’analyse du lien requis à l’exécution du contrat. L’obligation d’exécution honnête est une doctrine du droit des contrats (Bhasin, par. 74). Y manquer ne constitue pas un délit civil. C’est sa nature de doctrine du droit des contrats qui donne naissance à l’exigence d’un lien avec la relation contractuelle. Bien que certains aspects d’autres domaines du droit relatif à la malhonnêteté puissent être utiles pour comprendre ce que signifie être malhonnête, ils ne fournissent aucune aide évidente pour déterminer ce qui est ou non directement lié à l’exécution d’un contrat.
[67]                          À mon avis, le lien direct exigé entre la malhonnêteté et l’exécution dont il est question dans l’arrêt Bhasin est clairement mis en évidence, par voie de simple comparaison, lorsqu’on considère comment le cadre d’analyse de l’abus de droit au Québec lie la manière dont un droit contractuel est exercé aux exigences de la bonne foi. Plus précisément, le lien direct existe lorsqu’une partie s’acquitte de son obligation ou exerce son droit prévu au contrat de façon malhonnête. Lus ensemble, les art. 6, 7 et 1375 du C.c.Q. mettent ce lien en exergue en prévoyant qu’aucun droit contractuel ne peut être exercé de façon abusive sans violer les exigences de la bonne foi. L’article 7 en particulier prévoit qu’« [a]ucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi ». Bien que le contenu de cet article ne soit pas pertinent pour l’analyse de la common law, le cadre qu’il décrit est utile à titre d’illustration. En effet, cet article illustre comment les exigences de la bonne foi peuvent être liées à l’exercice d’un droit, y compris un droit découlant d’un contrat. C’est l’exercice du droit qui est examiné pour évaluer si l’action a été contraire à la bonne foi.
[68]                        Selon le cadre d’analyse de droit civil en matière d’abus de droit, il ne sert à rien d’affirmer que, parce qu’un droit est absolu à première vue, il est à l’abri de tout contrôle quant à la manière dont il a été exercé. Qui plus est, la théorie de l’abus de droit n’empêche pas le titulaire d’exercer le droit contractuel en question. Comme l’ont écrit les professeurs Jobin et Vézina quant à l’abus des droits contractuels au Québec, « [l]a théorie de l’abus de droit n’entraîne nullement la négation du droit en soi, mais elle s’attaque plutôt à l’usage qu’en fait son titulaire » (J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.‑G. Jobin et N. Vézina, no 156). On a dit que la bonne foi en droit civil a une « fonction limitative » en dictant les normes de conduite éthiques auxquelles les parties doivent se conformer, à titre de règle de droit impérative, dans l’exécution du contrat : « elle [c.‑à‑d. la fonction limitative de la bonne foi] vise donc à sanctionner le comportement inapproprié d’une partie dans l’exercice de ses prérogatives contractuelles » (M. A. Grégoire, Liberté, responsabilité et utilité : la bonne foi comme instrument de justice (2010), p. 225). C’est ce qui est en jeu en l’espèce : savoir si la norme éthique exprimée dans l’obligation de common law d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat, en tant que manifestation du principe directeur de bonne foi reconnu dans l’arrêt Bhasin, limite la manière dont Baycrest peut exercer son droit de résilier le contrat d’entretien hivernal. En se concentrant sur l’exercice d’un droit en particulier prévu dans un contrat en particulier, on peut établir utilement un lien avec l’exécution de ce contrat.
[69]                        Ainsi, dans l’arrêt Houle c. Banque Canadienne Nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122 — un arrêt émanant du Québec cité dans l’arrêt Bhasin, au par. 85 —, le droit de la partie contractante d’exiger le remboursement du prêt comme le stipulait le contrat a été confirmé (p. 169). L’« abus de droit » identifié par la Cour portait sur la manière dont le droit avait été exercé. Comme je l’ai noté, cette situation ressemble dans les grandes lignes à celle en cause dans Bhasin. Dans cette affaire, Can‑Am avait un droit contractuel de non‑renouvellement, mais elle a exercé ce droit de manière malhonnête, manquant ainsi à l’obligation d’exécution honnête (par. 94). Il s’agissait d’un exercice fautif du droit en ce qu’il a été exercé en contravention de l’exigence impérative d’exécution de bonne foi.
[70]                        Bien entendu, il y a des raisons particulières de faire preuve de prudence en entreprenant l’exercice comparatif que Callow nous invite à mener en l’occurrence. Une première raison découle du fait qu’il existe d’importantes différences entre le traitement civiliste de l’abus des droits contractuels et l’état actuel de la common law. Le Code civil prévoit qu’aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, ce qui irait à l’encontre des exigences de la bonne foi. Cela oblige les parties à agir de bonne foi, en particulier au moment de s’acquitter d’une obligation. Bien que le principe directeur visé par l’arrêt Bhasin traduise l’idée connexe que les parties doivent de façon générale exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire, ce principe, à la différence du droit québécois, n’est pas une règle autonome, mais plutôt une norme qui sous‑tend des règles plus particulières et s’y manifeste. Qui plus est, dans l’arrêt Bhasin, le droit positif n’a été formellement étendu qu’en reconnaissant une obligation générale d’honnêteté applicable à l’exécution des contrats.
[71]                          Une raison supplémentaire relève de la fameuse réticence de la common law à adopter la norme liée à la notion civiliste « d’abus de droit », y compris l’abus de droits contractuels, une notion mentionnée dans l’arrêt Bhasin au par. 83 (voir, p. ex., la recherche faite dans H. C. Gutteridge, « Abuse of Rights » (1933), 5 Cambridge L.J. 22, p. 22 et 30‑31).[1] Conscient de ceci, le juge Cromwell a rappelé les « engagements fondamentaux du droit des contrats en common law » envers la « liberté des parties contractantes dans la poursuite de leur intérêt personnel » et — fait important pour ce qui est la théorie de l’abus de droit — que le principe directeur qu’il a reconnu « ne devrait pas servir de prétexte à un examen approfondi des intentions des parties contractantes » (par. 70). D’autres ont fait remarquer que la notion civiliste des droits juridiques — c’est‑à‑dire les droits subjectifs dans la tradition française — est conceptuellement différente de celle des « rights » en common law, voire que le souci à l’égard de la dimension « sociale » des limites aux droits — par opposition à l’aspect purement « économique » d’un marché librement négocié — est propre au droit civil (voir, p. ex., F. H. Lawson, Negligence in the Civil Law (1950), p. 15‑20). D’autres encore ont relevé que la common law et le droit civil appliquent des techniques divergentes dans la genèse de nouvelles règles de droit (voir, p. ex., P. Daly, « La bonne foi et la common law : l’arrêt Bhasin c. Hrynew », dans J. Torres‑Ceyte, G.‑A. Berthold et C.‑A. M. Péladeau, dir., Le dialogue en droit civil (2018), 89, p. 101‑102). Il ne faut pas perdre de vue que, en tant que traditions intellectuelles et historiques, la common law et le droit civil représentent, à bien des égards, des manières distinctes de connaître le droit.
[72]                        Il est vrai que, dans un écrit extrajudiciaire antérieur à la décision de la Cour dans Bhasin, à laquelle il a souscrit, le juge LeBel a noté que dans le dialogue entre la common law et le droit civil dans la jurisprudence de la Cour, la bonne foi fournit un exemple de « coexistence » plutôt que de « convergence » ou de « divergence » (LeBel, p. 12‑15). Toutefois, comme il l’a signalé, une comparaison dans ce domaine qui respecte l’« intégrité intellectuelle » de traditions distinctes demeure une partie viable du dialogue entre la common law et le droit civil engagé devant la Cour (p. 15). Bien que les exigences d’exécution honnête du contrat dans les deux traditions juridiques puissent avoir des origines historiques distinctes, elles se sont unies pour traiter de problèmes semblables, du moins dans le contexte de l’exécution malhonnête (Bhasin, par. 83). Le droit civil fournit un guide d’analyse utile pour illustrer l’obligation de common law, relativement récente. Deux raisons en particulier sous‑tendent l’utilité de l’exercice comparatif en l’espèce.
[73]                          Premièrement, je souligne que je ne me fonde pas sur le droit civil en l’espèce pour les règles spécifiques qui régiraient une demande similaire au Québec. Je m’inspire plutôt, dans les limites prescrites par la Cour dans le précédent établi par l’arrêt Bhasin et dans le contexte plus large de la common law, de l’abus de droit comme cadre pour comprendre l’obligation d’exécution honnête de la common law. Deuxièmement, il n’y a pas sérieusement lieu de s’inquiéter en l’espèce que le fait d’examiner le droit québécois ait pour effet de précipiter la common law dans un état d’incertitude. Comme l’a souligné le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin, l’expérience québécoise peut rassurer la Cour en illustrant que l’application de ce cadre d’analyse général de l’exercice fautif de droits n’engendrera pas d’instabilité commerciale ni ne fera obstacle de manière inappropriée à la liberté contractuelle. En dépit de leurs différences, la common law et le droit civil du Québec partagent, eu égard à la bonne foi, certaines « grandes valeurs sociales », ce qui justifie généralement d’en faire la comparaison (Bou Malhab, par. 38). Comme il a été noté, la Cour a signalé l’existence d’un souci commun de limiter la portée de la bonne foi, puisqu’elle « n’oblige pas les parties à servir [les] intérêts [de leurs cocontractants] dans tous les cas », de même que le fondement dans les deux traditions juridiques de ces mesures de redressement dans la justice corrective plutôt que distributive (Churchill Falls, par. 117, citant Bhasin, par. 65). Comme l’a écrit le professeur Moore, avant son accession à la magistrature, « la valeur de l’autonomie individuelle, de même que la crainte de l’imprécision de la bonne foi ne sont pas exclusives de la common law. On les retrouve abondamment dans le discours doctrinal et jurisprudentiel civiliste » (« Brèves remarques spontanées sur l’arrêt Bhasin c. Hrynew », dans J. Torres‑Ceyte, G.‑A. Berthold et C.‑A. M. Péladeau, dir., Le dialogue en droit civil (2018), 81, p. 84). Pour ces raisons, il n’est pas inapproprié d’illustrer l’obligation d’exécution honnête en utilisant le cadre applicable à l’exercice fautif d’un droit. La malhonnêteté est directement liée à l’exécution d’un contrat donné lorsqu’on peut affirmer que l’exercice d’un droit ou l’exécution d’une obligation prévus au contrat en question a été malhonnête.
[74]                        En appliquant l’arrêt Bhasin à la présente cause, et en m’inspirant de l’illustration fournie par les sources et autorités du droit civil québécois citées par le juge Cromwell lui‑même, je suis d’avis que la Cour d’appel a commis une erreur en concluant que la malhonnêteté en l’espèce ne concernait qu’un contrat futur. Comprise comme il se doit, la malhonnêteté alléguée en l’espèce était directement liée à l’exécution du contrat parce que l’exercice par Baycrest du droit de résiliation que lui conférait le contrat a été malhonnête.
[75]                        Selon la juge de première instance, le droit de résiliation a été exercé de façon malhonnête en l’espèce, et ce, même si ses modalités — le préavis de 10 jours — ont par ailleurs été respectées. Soulignant les déclarations malhonnêtes quant au risque pour le contrat, et faites en prévision du délai de préavis, elle a statué que l’obligation d’agir honnêtement était liée à la résiliation du contrat et que l’exercice de ce droit dans les circonstances constituait une violation de contrat. La juge de première instance n’a pas nié le droit de Baycrest de résilier le contrat. Elle a toutefois conclu que la manière dont celle‑ci s’est prévalue de ce droit a été fautive — en contravention de l’obligation d’honnêteté — et que, pour avoir agi ainsi, Baycrest devait des dommages‑intérêts à Callow. Fait important, cette conclusion ne nie pas l’existence du droit de résiliation, mais elle s’attache à la manière fautive dont il a été exercé.
(2)         La conduite de Baycrest constitue de la malhonnêteté
[76]                          La deuxième question à résoudre est celle de savoir si la conduite de Baycrest équivalait à de la malhonnêteté au sens où il faut l’entendre suivant l’obligation d’exécution honnête établie dans l’arrêt Bhasin. Callow conteste la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle même si les faits peuvent avoir suggéré que Baycrest n’a pas agi honorablement, ils n’équivalaient pas à un manquement à cette obligation. Pour disposer du présent pourvoi, nous devons donc déterminer à quelle norme d’honnêteté on pouvait s’attendre que satisfasse Baycrest dans son recours à la clause 9.
[77]                        Il est acquis au débat que les parties à un contrat ne peuvent pas carrément mentir ou dire des demi‑vérités d’une manière qui induit un cocontractant intentionnellement en erreur. Il est également acquis ici que l’omission de divulguer un fait important, sans plus, ne serait pas contraire à la norme. Outre ces points de convergence, les parties continuent de diverger d’opinion sur ce que pourrait constituer une conduite qui induit intentionnellement en erreur, comme cette idée a été mentionnée dans l’arrêt Bhasin.
[78]                        Selon Callow, bien que dans l’arrêt Bhasin la Cour ait jugé que l’obligation d’exécution honnête n’impose pas une obligation de divulgation, elle n’a pas écarté la possibilité qu’une omission d’informer puisse néanmoins induire intentionnellement en erreur dans certaines circonstances. Callow reconnaît qu’il n’est pas toujours facile de faire la distinction entre une déclaration inexacte et l’omission innocente de divulguer des renseignements. Toutefois, en « induisant activement [M. Callow] en erreur », lui faisant ainsi croire que le contrat d’entretien hivernal allait probablement être renouvelé en 2014, celui‑ci a été amené à déduire, à tort et au su de Baycrest, qu’il n’avait pas été décidé de résilier le contrat en vigueur en 2013. De l’avis de Callow, le fait que Baycrest n’ait pas fait de démarches afin de corriger cette fausse impression constituait un manquement à son obligation d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat d’entretien hivernal. Il s’ensuit que la clause 9 n’a pas été appliquée en respectant l’obligation d’exécuter le contrat honnêtement prescrite par l’arrêt Bhasin.
[79]                        Baycrest prétend que la [traduction] « tromperie active » — un terme employé par la juge de première instance, ainsi que par les deux parties — exige une malhonnêteté réelle, en ce sens qu’un mensonge éhonté est nécessaire. Le [traduction] « silence », a fait valoir son avocat à l’audience, « ne peut constituer une déclaration inexacte que lorsqu’il y a une obligation de parler ». Puisque l’obligation d’exécution honnête n’entraîne pas avec elle une obligation de divulgation, « le silence ne peut pas être malhonnête ou constituer une déclaration inexacte, et ce, qu’il soit intentionnel ou, je suppose, accidentel » (transcription, p. 37).
[80]                        Baycrest a raison d’affirmer que l’obligation d’agir honnêtement « n’impose pas un devoir de loyauté ou de divulgation ni n’exige d’une partie qu’elle renonce à des avantages découlant du contrat » (Bhasin, par. 73; voir aussi A. Swan, J. Damski et A. Y. Na, Canadian Contract Law (4e éd. 2018), p. 347). Le juge Cromwell s’est référé à United Roasters, Inc. c. Colgate‑Palmolive Co., 649 F.2d 985 (4th Cir. 1981), au soutien de sa conclusion selon laquelle l’obligation d’exécution honnête est distincte d’une obligation indépendante de divulguer des renseignements (par. 87). Dans la décision United Roasters, la partie ayant mis fin au contrat avait décidé antérieurement à la période de préavis requise qu’elle allait mettre fin au contrat. Le tribunal a conclu qu’aucune divulgation de cette intention, autre que celle prévue dans le contrat, n’était requise. De l’avis du juge Cromwell, cet arrêt « indique clairement qu’il n’existe pas d’obligation unilatérale de divulgation de renseignements lorsqu’il s’agit de mettre fin au contrat » (par. 87).
[81]                          On peut aisément comprendre que les tribunaux soient réticents à imposer une obligation positive indépendante de divulguer des renseignements à un cocontractant lorsque cela aurait pour effet de dénaturer l’orientation de justice corrective du droit des contrats. Qu’une obligation positive de collaborer de cette nature doive ou non être liée au principe d’exécution de bonne foi en common law, il n’en demeure pas moins que, dans l’état actuel du droit, une partie à un contrat n’a aucune obligation générale de subordonner ses intérêts à ceux de l’autre partie (voir Bhasin, par. 86). Obliger une partie à s’exprimer pour répondre aux exigences de la bonne foi alors que rien dans la relation contractuelle des parties n’impose une telle obligation pourrait être vu comme conférant un avantage non négocié à l’autre partie qui se situerait en dehors du champ d’application habituel de la justice contractuelle. Cependant, lorsque l’omission de s’exprimer équivaut à de la malhonnêteté active d’une manière qui est directement liée à l’exécution du contrat, une faute est commise et sa réparation n’a pas pour effet de conférer un avantage à la partie lésée. À cet égard, le juge Cromwell a précisé que « la situation est assez différente [. . .] lorsqu’il s’agit d’induire en erreur ou de tromper activement l’autre partie contractante au sujet de l’exécution du contrat » (par. 87). Dans de telles circonstances, les parties à un contrat doivent se soucier de corriger les méprises, sous peine d’être reconnues coupables d’un manquement contractuel à l’obligation établie dans l’arrêt Bhasin.
[82]                        En soulignant que la responsabilité découle de la malhonnêteté active et non d’une obligation unilatérale de divulguer des renseignements, le juge Cromwell indiquait que l’obligation d’honnêteté est conforme aux principes ordinaires de la justice contractuelle : le fait que l’arrêt Bhasin n’impose pas une obligation de divulguer ou une obligation de type fiduciaire signifie que l’exécution honnête d’un contrat n’est pas un acte désintéressé ou altruiste. On pourrait très bien dire que l’exécution honnête par un contractant de sa part du marché va de pair avec la poursuite de son intérêt personnel tant qu’il est possible de compter sur le droit pour obliger son cocontractant à agir avec la même honnêteté. Quelles que soient les contraintes qu’elle justifie quant à la faculté de Baycrest de résilier le contrat sur le fondement des valeurs d’honnêteté liées à la bonne foi, l’exécution honnête ne l’oblige pas à conférer un avantage à Callow dans l’exercice de ce droit. Comme l’a expliqué le juge Cromwell, la prise en compte comme il se doit des intérêts contractuels légitimes des parties contractantes « n’oblige pas la partie à servir ces intérêts dans tous les cas » (par. 65). Ceci explique, à mon sens, le caractère limité de l’obligation d’honnêteté : il ne s’agit pas d’un moyen qui permet au tribunal, au nom d’une notion de bonne foi reposant sur la justice distributive, d’obliger la partie qui doit recourir à un droit ou à un pouvoir contractuel à le faire de manière « à servir » l’intérêt de l’autre partie aux dépens des siens.
[83]                        Selon moi, cette insistance sur le fondement de justice corrective de l’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat est utile pour comprendre pourquoi un droit apparemment absolu est néanmoins restreint par l’exigence impérative de bonne foi expliquée dans l’arrêt Bhasin. Je rappelle que le juge Cromwell a tenté de rassurer ceux qui craignaient l’instabilité commerciale résultant de la reconnaissance de cette nouvelle obligation d’exécution honnête en expliquant qu’elle « porte très peu atteinte à la liberté contractuelle » (par. 76). Après tout, on peut d’ores et déjà s’attendre à ce que le fait qu’un contrat soit exécuté sans mensonge ou tromperie soit considéré comme une norme minimale faisant partie du marché. Je souscris à l’opinion suivante exprimée par la juge en chef de l’Alberta dans un jugement qui s’appuyait sur les arrêts Bhasin et Potter : [traduction] « Les sociétés sont en droit de s’attendre à ce que les parties avec qui elles contractent soient honnêtes » dans leurs rapports contractuels (IFP Technologies (Canada) Inc. c. EnCana Midstream and Marketing, 2017 ABCA 157, 53 Alta L.R. (6th) 96, par. 4). En ce sens, bien que l’obligation soit une règle de droit impérative, dans la plupart des cas on peut considérer qu’elle laisse intactes l’entente et les attentes des deux parties — la première source de justice entre elles. Par extension, exiger qu’une partie exerce un droit en exécution d’un contrat en respectant cette norme minimale ne fait qu’empêcher la commission d’une faute, si bien que la réparation de ce manquement, lorsqu’un préjudice en a résulté, peut sembler conforme aux principes de justice corrective. Lorsqu’une partie a menti ou autrement induit intentionnellement l’autre partie contractante en erreur quant à un sujet auquel l’exécution du contrat est directement liée, cela équivaut à une violation de contrat à laquelle il doit être remédié. Les avantages du marché n’ont toutefois pas à être réaffectés autrement entre les parties en cause.
[84]                        Cela dit, je souligne encore une fois qu’il ne fait aucun doute que l’obligation est imposée en tant que doctrine du droit des contrats, plutôt que par déduction ou interprétation et que, à ce titre, les parties « n’ont pas la faculté [. . .] [d’]exclure » l’obligation complètement (Bhasin, par. 75). Même si les parties, comme en l’espèce, ont convenu d’une condition qui prévoit un droit apparemment absolu de résilier le contrat pour raison de commodité, ce droit ne peut pas être exercé d’une manière qui transgresse les attentes fondamentales d’honnêteté exigées par la bonne foi dans l’exécution des contrats.
[85]                        Ce cadre d’analyse pour apprécier l’exercice fautif du droit de résiliation ne repose pas sur le motif qu’avait Baycrest pour recourir à la clause 9, au‑delà de l’observation qu’elle l’a fait malhonnêtement. Le droit de résiliation pouvait, à première vue, être exercé en l’absence de motifs : il se peut que Baycrest ait eu des griefs légitimes envers Callow ou quelque motif secret pour sa tromperie consciente — cela n’a toutefois pas d’importance. L’opinion négative que la gestionnaire immobilière a pu avoir à l’égard de Callow à laquelle a fait allusion la juge de première instance (au par. 14) n’était pas la source du manquement à l’obligation d’exécution honnête.
[86]                          Qui plus est, je note que le juge Cromwell a décrit les exigences de l’obligation d’honnêteté par la négative : bien que l’obligation d’exécution honnête n’exige pas que les parties agissent de manière angélique, en subordonnant leurs propres intérêts à ceux de leur cocontractant (Bhasin, par. 86), elles doivent s’abstenir de lui mentir ou de l’induire intentionnellement en erreur (par. 73). En tant qu’obligation « négative » — c’est‑à‑dire qu’en l’absence d’obligation reconnue d’agir, l’injonction qu’elle impose est celle de ne pas agir de façon malhonnête —, elle s’inscrit plus naturellement du côté des objectifs ordinaires de la justice corrective et de ce qu’un auteur conçoit comme l’attitude traditionnelle de la common law favorable à l’autonomie contractuelle et à la liberté individuelle en droit privé. « Force est de constater », écrit le professeur Daly dans un commentaire sur la méthode de common law consacrée par l’arrêt Bhasin, « que l’obligation d’honnêteté reconnue dans Bhasin est une obligation négative — ne pas mentir — plutôt qu’une obligation positive — agir de bonne foi » (p. 101‑102). On a observé que cette même orientation de justice corrective anime l’obligation contractuelle analogue de bonne foi en droit civil. Bien que les règles de droit relatives à la bonne foi puissent autrement imposer des obligations positives de coopération à l’exécution, des auteurs ont observé que l’équivalent théorique de l’obligation d’exécution honnête en droit civil québécois impose le plus souvent des obligations négatives — s’abstenir de mentir, par exemple — dans l’appréciation de l’abus d’un droit contractuel (Baudouin et Jobin, no 161). Je m’empresse de dire qu’il faut prendre garde de ne pas confondre l’« obligation de loyauté » reconnue à cet égard et l’obligation fiduciaire de loyauté qui est distincte de la bonne foi dans les deux traditions juridiques.
[87]                        J’ajouterais que, comme l’a précisé le juge Cromwell, la reconnaissance de l’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution du contrat ne veut pas nécessairement dire que l’idéal évoqué par le principe directeur de bonne foi énoncé dans l’arrêt Bhasin n’est pas susceptible de se manifester autrement. Même dans le cadre limité de la justice corrective, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles le principe directeur favoriserait le point de vue voulant que les droits contractuels doivent être exercés d’une manière qui ne soit ni abusive ni arbitraire, par exemple, ou qu’une certaine obligation de collaborer entre les parties soit imposée, tout en reconnaissant que, contrairement aux obligations fiduciaires, « l’exécution de bonne foi ne fait pas entrer en jeu les devoirs de loyauté envers l’autre partie contractante ou une obligation de veiller en priorité aux intérêts de l’autre partie contractante » (Bhasin, par. 65). Toutefois, pour les fins du présent pourvoi, il n’est pas nécessaire de franchir ce pas supplémentaire : je suis d’avis que lorsque l’exercice d’un droit contractuel est entrepris malhonnêtement, cet exercice est en contravention du contrat et ce tort doit être réparé. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[88]                        La question qui subsiste est celle de savoir si Baycrest a menti à Callow ou l’a intentionnellement induite en erreur, manquant ainsi à l’obligation d’agir honnêtement.
[89]                        Je reconnais que dans les affaires où il n’y a pas eu de mensonge éhonté, comme en l’espèce, il n’est pas toujours évident de savoir si une partie a « intentionnellement induit en erreur » son cocontractant. Pourtant, Baycrest a tort de prétendre qu’il ne se trouve rien entre le mensonge éhonté et le silence. Ailleurs, comme en droit en matière de déclaration inexacte, par exemple, on trouve des exemples où les tribunaux ont statué sur la question de savoir s’il y avait eu déclaration inexacte, sans égard à celle de savoir s’il y avait eu un mensonge direct (voir A. Swan, « The Obligation to Perform in Good Faith: Comment on Bhasin v. Hrynew » (2015), 56 Can. Bus. L.J. 395, p. 402). Comme l’a écrit le professeur Waddams, [traduction] « [u]ne déclaration incomplète peut être aussi trompeuse qu’une fausse déclaration, et ces demi‑vérités ont fréquemment été traitées comme des déclarations inexactes ayant une portée sur le plan juridique ». En définitive, a‑t‑il écrit, « il est loisible au tribunal de statuer que la dissimulation de faits importants peut, lorsqu’elle est considérée avec des déclarations générales, véridiques en elles‑mêmes, mais incomplètes, transformer ces déclarations en déclarations inexactes » (The Law of Contracts (7e éd. 2017), no 441). Pareillement, lorsqu’une partie fait une déclaration qu’elle croit être vraie, mais que des circonstances ultérieures ont une incidence sur la véracité de cette déclaration, les tribunaux ont conclu, dans divers contextes, que la partie a une obligation de corriger la déclaration inexacte (voir Xerex Exploration Ltd. c. Petro‑Canada, 2005 ABCA 224, 47 Alta. L.R. (4th) 6, par. 58; voir aussi C. Mummé, « Bhasin c. Hrynew: A New Era for Good Faith in Canadian Employment Law, or Just Tinkering at the Margins? » (2016), 32 Int. J. Comp. Lab L. & Ind. Rel. 117, p. 123).
[90]                        Ces exemples favorisent le point de vue voulant que les exigences d’honnêteté dans l’exécution du contrat peuvent, et vont souvent, aller plus loin que l’interdiction de mensonges éhontés. De fait, la notion « d’induire en erreur » son cocontractant — l’expression invoquée séparément par le juge Cromwell — englobe dans certaines circonstances des formes de silence ou d’omissions. On peut induire en erreur activement, par exemple, en disant quelque chose directement à son cocontractant, ou passivement, en omettant de corriger une méprise causée par sa propre conduite trompeuse. À mon sens, ce sont là des cousins germains dans l’éventail de pratiques contractuelles trompeuses (voir, p. ex., Yam Seng Pte Ltd. c. International Trade Corp. Ltd., [2013] E.W.H.C. 111, [2013] 1 All E.R. (Comm.) 1321 (B.R.), par. 141).
[91]                        En fin de compte, répondre à la question de savoir si une partie a « intentionnellement induit en erreur » son cocontractant est une décision éminemment factuelle et peut comprendre des mensonges, des demi‑vérités, des omissions et même du silence, selon les circonstances. Je souligne que cette liste n’est pas exhaustive : elle ne fait qu’illustrer que la malhonnêteté ou la conduite trompeuse ne se limite pas aux mensonges directs. Aucune erreur susceptible de révision n’a été établie quant à la conclusion de malhonnêteté qui a prévalu en prévision du recours à la clause 9 en l’espèce. Je ne modifierais pas l’opinion de la juge de première instance en l’espèce sur une question à l’égard de laquelle il faut faire preuve de déférence. Or, il faut faire ainsi preuve de déférence à l’endroit de la juge lorsqu’il est question de contrôler l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de soupeser la preuve, tout particulièrement du fait, comme elle l’a expliqué, que la crédibilité a joué un rôle dans son analyse.
[92]                        À la lecture du jugement de première instance dans son ensemble, je ne relève aucune erreur fondamentale dans la manière dont la juge a formulé le droit relatif à l’obligation d’exécution honnête. Elle n’a pas fondé ses conclusions sur une quelconque obligation indépendante de divulguer des renseignements. Elle a plutôt examiné la question de savoir si Baycrest avait intentionnellement induit Callow en erreur quant à ce qu’il adviendrait du contrat d’entretien hivernal, exerçant ainsi de manière fautive son droit de résiliation. En dépit de cela, Baycrest plaide que la juge de première instance aurait commis une erreur en ne reconnaissant pas que sa conduite n’atteignait pas la norme « beaucoup plus rigoureuse » dont il est fait mention dans l’arrêt Bhasin. Je ne suis pas de cet avis. Aucune erreur de la sorte n’a été établie.
[93]                        Il est utile pour nos fins de rappeler qu’au vu des faits dans l’affaire Bhasin, une partie de la conduite malhonnête concernait le projet de Can‑Am de réorganiser ses activités en Alberta. Dans le cadre de son projet, Can‑Am envisageait d’invoquer son droit contractuel de non‑renouvellement pour imposer une fusion entre M. Bhasin et son concurrent, M. Hrynew. De fait, cette réorganisation aurait donné l’entreprise de M. Bhasin à M. Hrynew. Or, Can‑Am n’avait rien dit de son projet à M. Bhasin. Lorsque ce dernier a entendu parler de la fusion pour la première fois, il a interrogé un représentant de Can‑Am quant à ses intentions. « [L]e représentant [traduction] “a tergiversé” », d’expliquer le juge Cromwell, « et ne lui a pas dit la vérité, soit que, du point de vue de Can‑Am, il s’agissait d’un “fait accompli” » (par. 100). Le juge Cromwell a conclu par la suite que « Can‑Am avait rompu le contrat parce qu’elle n’a pas exécuté honnêtement le contrat conclu avec M. Bhasin, plus particulièrement en ce qui concerne ses intentions arrêtées quant au renouvellement » (par. 108). Le juge Cromwell a écrit : « La juge de première instance a tiré une conclusion de fait claire selon laquelle Can‑Am [traduction] “a agi malhonnêtement envers M. Bhasin en recourant à la clause de non‑renouvellement”. Aucune raison ne permet de modifier cette conclusion en appel. Il s’ensuit que Can‑Am a violé son obligation d’exécution honnête du contrat » (par. 94 (références omises)).
[94]                        Il est vrai que Baycrest est demeurée silencieuse quant à sa décision de résilier le contrat de Callow et que la clause 9, à première vue, ne lui imposait pas d’obligation de divulguer son intention, sous réserve de l’exigence du préavis de 10 jours. Cela dit, elle devait s’abstenir, comme l’a dit la juge de première instance, [traduction] « d’induire M. Callow en erreur » par une série de « communications actives » (par. 66). Lorsqu’elle a omis de s’abstenir de le faire en prévision de l’exercice de son droit de résiliation, elle a induit Callow en erreur, l’amenant à croire qu’elle laisserait intact le contrat d’entretien hivernal en vigueur.
[95]                        Selon ma compréhension des conclusions de fait de la juge de première instance, ces [traduction] « communications actives », ont pris deux formes. En premier lieu, M. Peixoto a fait des déclarations à M. Callow laissant entendre qu’un renouvellement du contrat d’entretien hivernal était probable. Comme l’a conclu la juge de première instance, [traduction] « [a]près ses discussions avec M. Peixoto et M. Campbell, M. Callow croyait qu’il allait probablement obtenir un renouvellement de deux ans de son contrat de services d’entretien hivernal et que [Baycrest] étai[t] satisfait[e] de ses services rendus [en exécution du contrat en vigueur auquel il restait un hiver à courir]. Cette présomption est également étayée par la preuve documentaire, surtout par les courriels privés entre M. Peixoto et M. Campbell » (par. 41).
[96]                        Baycrest tente de dénaturer l’importance de cette conclusion, plaidant que M. Callow n’avait eu que des discussions informelles avec deux des membres du CUC — M. Peixoto et M. Campbell — sur la possibilité d’un renouvellement de contrat. De telles discussions informelles, dit‑elle, ne sauraient être assimilées à un mensonge. Cette position fait abstraction de la conclusion clef de la juge de première instance selon laquelle c’est M. Peixoto — le membre du CUC qui avait négocié avec Callow les principales conditions relatives au prix contenues dans le contrat d’entretien hivernal — qui avait fait des déclarations à M. Callow laissant entendre qu’un renouvellement était probable (par. 23 et 40‑43). Après avoir tiré des conclusions défavorables à la crédibilité de M. Peixoto, la juge de première instance a conclu qu’il avait [traduction] « amené M. Callow à croire que tout allait bien quant au[. . .] [contrat] d’entretien hivernal » et que Baycrest était « intéressée[. . .] par une prorogation future des contrats de Callow » (par. 47). Cette malhonnêteté n’a pas eu lieu dans l’abstrait : la juge de première instance a conclu qu’elle avait trait au recours à la clause 9.
[97]                        La deuxième forme de « communications actives » qui a induit Callow en erreur avait trait aux travaux « en prime » que cette dernière a offerts à Baycrest durant l’été 2013. Comme l’a conclu la juge de première instance, Callow a effectué ces travaux gratuits parce que M. Callow voulait donner à Baycrest un incitatif à renouveler le contrat d’entretien hivernal. Baycrest, pour sa part, a accepté volontiers les services offerts par Callow.
[98]                        Encore une fois, Baycrest tente de dénaturer l’importance de ces conclusions, plaidant [traduction] « qu’il n’y a rien de foncièrement illicite ou injuste à accepter les incitatifs offerts par un entrepreneur dans l’espoir d’obtenir un nouveau contrat ou le renouvellement d’un contrat en vigueur » (m.i., par. 112). Que ce soit le cas ou non, je souligne encore une fois que M. Peixoto [traduction] « comprenait que les travaux effectués par Callow étaient “en prime” pour donner un incitatif supplémentaire aux conseils pour qu’ils renouvellent son contrat de services d’entretien » et a « informé M. Callow qu’il ferait part de ces travaux aux autres membres du conseil » (motifs de première instance, par. 43). Ces communications actives par Baycrest laissaient entendre, de façon trompeuse, qu’il y avait bon espoir de renouvellement du contrat et que, forcément, celui en vigueur ne serait pas résilié.
[99]                        Considérant la conduite de Baycrest dans son ensemble au cours de ces quelques mois, il était certainement raisonnable que M. Callow, qui avait été amené à croire qu’un renouvellement était probable, en déduise que Baycrest n’avait pas décidé de résilier le contrat en vigueur. Qui plus est, Baycrest savait que M. Callow était sous cette fausse impression, comme le démontre le courriel envoyé par M. Peixoto le 17 juillet 2013, et elle a néanmoins continué à lui faire croire qu’un renouvellement était probable, même si la décision de résilier son contrat avait déjà été prise (voir les motifs de première instance, par. 48). Dès qu’elle s’est rendu compte que M. Callow était sous cette fausse impression, Baycrest aurait dû corriger la méprise; dans les faits, sa conduite a induit Callow en erreur.
[100]                     Avec égard, je ne puis souscrire à l’idée selon laquelle la méprise en l’espèce ne concernait que la résiliation pour services insatisfaisants, et ne portait pas sur la résiliation pour quelque autre raison que ce soit. La juge de première instance a conclu que la conduite malhonnête concernait des représentations selon lesquelles le contrat n’était pas du tout en péril tandis que Baycrest savait qu’il serait résilié (par. 65).
[101]                     La Cour d’appel n’a pas modifié ces conclusions et Baycrest n’a pas fait valoir que la juge de première instance avait commis des erreurs manifestes et déterminantes. Par conséquent, vu les conclusions de fait de la juge de première instance, je suis d’accord pour dire que Baycrest a intentionnellement retenu des renseignements en prévision de son recours à la clause 9, sachant qu’un tel silence, conjugué à ses communications actives, avait induit Callow en erreur. En omettant de corriger la méprise de M. Callow par la suite, Baycrest a manqué à son obligation contractuelle d’exécution honnête. Ceci se distingue nettement de l’affaire United Roasters, où la défenderesse n’avait simplement pas révélé sa décision de résilier le contrat. Contrairement au présent cas, la défenderesse dans cette affaire ne s’était pas livrée à une série d’actes dont elle savait qu’ils amèneraient la demanderesse à tirer une déduction inexacte, pour ensuite omettre de corriger la méprise de cette dernière.
[102]                     En ce sens, la présente affaire est largement semblable à celle qui a fait l’objet du jugement Dunning c. Royal Bank (1996), 1996 CanLII 8159 (ON SC), 23 C.C.E.L. (2d) 71 (C.J. Ont. (div. gén.)), un des exemples de manquement à l’obligation de bonne foi dans la manière dont un congédiement est effectué fournis par le juge Iacobucci au soutien de ses conclusions dans l’arrêt Wallace. Bien qu’il fût rendu dans le cadre particulier de la bonne foi dans le contexte du droit de l’emploi, le jugement Dunning peut à bon droit servir d’analogie en l’espèce puisque, dans l’arrêt Bhasin, le juge Cromwell a expressément reconnu que « le devoir d’honnêteté constituait un élément clef des exigences de bonne foi qui ont été reconnues en lien avec la résiliation des contrats de travail » (Bhasin, par. 73, citant Wallace, par. 98; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362, par. 58). Il me semble que si l’obligation d’exécution honnête était un élément clef des exigences de la bonne foi dont il était question dans les arrêts Wallace et Keays, un cadre d’analyse semblable s’applique, ces éléments étant de nouveau liés par le principe directeur. Comme l’a expliqué le juge Iacobucci, le poste de l’employé en cause dans l’affaire Dunning avait été éliminé, mais l’employeur lui avait dit qu’on lui trouverait probablement un autre poste et que la nouvelle affectation nécessiterait une mutation. Or, alors qu’on rassurait l’employé quant à son avenir, l’employeur envisageait de mettre fin à son emploi. En fin de compte, l’employeur a effectivement décidé de mettre fin à l’emploi de l’employé, mais ne lui a pas révélé ce renseignement pendant un certain temps, et ce même s’il savait que son employé était en train de vendre sa maison en prévision de sa mutation. L’employé n’a appris la nouvelle de la cessation de son emploi qu’après avoir vendu sa maison. Une telle conduite, a fait remarquer le juge Iacobucci, violait clairement la norme de bonne foi attendue dans la manière dont un congédiement doit être effectué.
[103]                     Comme l’illustrent clairement les arrêts Dunning, Wallace et Keays, l’employeur a le droit de résilier un contrat d’emploi sans motif, sous réserve de l’obligation de donner un préavis raisonnable. Toutefois, aussi large que puisse être ce droit, un employé mécontent peut alléguer une violation contractuelle distincte lorsque l’employeur l’a maltraité dans la manière dont il l’a congédié. En définitive, comme l’a souligné le juge Cromwell, « [l]es parties contractantes doivent [. . .] pouvoir s’attendre à ce que leur partenaire contractant respecte une norme minimale d’honnêteté en ce qui a trait à l’exécution du contrat, de sorte que s’il n’est pas donné suite au contrat, elles auront l’assurance d’une possibilité raisonnable de protéger leurs intérêts » (Bhasin, par. 86). Lorsque Baycrest est demeurée délibérément silencieuse, tout en sachant que M. Callow avait déduit erronément que le contrat n’était pas en péril parce qu’il allait probablement être renouvelé, elle a manqué à l’obligation d’agir honnêtement. À mon avis, la juge de première instance n’a pas créé de nouvelle obligation de divulgation en corrigeant ce tort, mais a plutôt voulu dénoncer la conduite de Baycrest. Le prononcé d’une ordonnance en dommages‑intérêts pour réparer l’omission de Baycrest d’avoir eu recours à la clause 9 conformément aux exigences de l’obligation d’exécution honnête n’a pas conféré d’avantage à Callow. Cela a simplement rectifié la situation en appliquant comme d’habitude les règles de la justice corrective à la suite de cette violation de contrat. Soit dit respectueusement, je suis donc d’avis que la Cour d’appel a eu tort de conclure que la conduite de Baycrest avait été peu honorable, mais pas pour autant malhonnête.
[104]                     Je souligne cependant que je souscris en partie à l’observation de la Cour d’appel selon laquelle la juge de première instance est allée trop loin en concluant que [traduction] « [l]a norme minimale d’honnêteté aurait été d’aborder les problèmes de rendement allégués, de donner un préavis dans les plus brefs délais ou de s’abstenir de faire des assertions en prévision de la période de préavis » (motifs de première instance, par. 67). Selon moi, imputer ces deux premières exigences équivaudrait à modifier le marché conclu entre les parties sur le plan substantiel, une conclusion que Callow ne sollicite pas devant notre Cour. Cela dit, je suis d’accord avec la juge de première instance pour dire que, à tout le moins, Baycrest devait s’abstenir de faire de fausses représentations en prévision de la période de préavis. Puisqu’elle a omis de corriger la méprise de M. Callow engendrée par ses fausses représentations, je suis moi aussi d’avis de reconnaître une violation du contrat de la part de Baycrest dans l’exercice du droit de résiliation que lui conférait la clause 9. La perte d’occasion qui en a résulté donne donc droit à des dommages‑intérêts, ce sur quoi je vais maintenant me pencher.
C.            Dommages‑intérêts
[105]                     Baycrest prétend que Callow n’a pas droit à des dommages‑intérêts au titre du manquement. Selon Baycrest, la juge de première instance a commis une erreur en fixant le montant des dommages‑intérêts : d’abord, en octroyant à Callow les profits qu’elle prévoyait réaliser durant la période entière à courir sur le contrat, ensuite, en interprétant erronément la preuve relative aux dépenses de Callow et, enfin, en octroyant les dommages‑intérêts à la fois au titre de la perte de profits et des dépenses engagées.
[106]                     Quant au premier point, je souligne que la juge de première instance est partie à bon droit du principe selon lequel [traduction] « [p]arce qu’il y a eu violation de contrat, [Callow] a le droit d’être placée dans la même situation que si la violation n’avait pas eu lieu » (par. 79). De fait, comme le juge Cromwell l’a expliqué dans l’arrêt Bhasin, un manquement à l’obligation d’honnêteté en matière d’exécution contractuelle justifie une réclamation en dommages‑intérêts suivant ce qui est habituellement accordé en matière contractuelle (par. 88).
[107]                     D’ordinaire, on accorde en matière contractuelle des dommages‑intérêts correspondant à la perte du profit escompté (Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, par. 108). Cela signifie que les dommages‑intérêts doivent placer Callow dans la situation où elle se serait trouvée s’il avait été satisfait à l’obligation.
[108]                     Si on a observé à juste titre que les dommages‑intérêts fondés sur la confiance et les dommages‑intérêts fondés sur l’attente seront les mêmes dans plusieurs circonstances, voire toutes, ils sont néanmoins distincts sur le plan conceptuel. Comme l’a écrit le professeur Stephen Smith, [traduction] « [l]e tribunal ordonne aux défendeurs de faire ce qu’ils avaient promis de faire, non pas de faire tout ce qui est nécessaire pour garantir qu’il n’est pas porté préjudice au cocontractant du fait qu’il se fie à la promesse » (Atiyah’s Introduction to the Law of Contract (6e éd. 2006), p. 405). Ce sont généralement des dommages‑intérêts fondés sur la confiance qui sont octroyés en matière délictuelle (PreMD Inc. c. Ogilvy Renault LLP, 2013 ONCA 412, 309 O.A.C. 139, par. 65). Cela peut convenir lorsqu’il est difficile pour le demandeur de prouver la position dans laquelle il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté. Octroyer de tels dommages‑intérêts en matière contractuelle signifie que l’on replace la partie lésée dans la position où elle se serait trouvée si elle n’avait pas conclu le contrat (par. 66).
[109]                     Je ne vois aucune raison justifiant de conclure qu’un manquement à l’obligation d’exécution honnête devrait généralement être réparé au moyen de dommages‑intérêts fondés sur la confiance. Je rappelle que cette obligation est une doctrine du droit des contrats. Le fait de ne pas s’en acquitter ne constitue pas un délit civil. Fonder les dommages‑intérêts en l’espèce sur la confiance aurait non seulement pour effet de placer cette violation de contrat à part des dommages‑intérêts habituellement accordés en matière contractuelle, mais divergerait également de l’approche adoptée dans l’arrêt Bhasin (par. 108, voir aussi MacDougall, §1.130). À mon avis, rien ne justifie de nous écarter de l’arrêt Bhasin sur ce point qui, quoi qu’il en soit, n’a pas été plaidé par les parties. En outre, je note que ce point de vue est partagé par des auteurs qui ont écrit que l’obligation d’exécution honnête protège l’intérêt d’une partie quant au profit escompté, plutôt que son intérêt au titre de la confiance qu’elle accorde à son cocontractant (voir, p. ex., J. McCamus (2015), p. 112‑113). Enfin, même si les dommages‑intérêts fondés sur la confiance et les dommages‑intérêts fondés sur l’attente coïncident suivant les faits en l’espèce, j’estime qu’il y a une bonne raison de continuer à octroyer en matière contractuelle des dommages‑intérêts ordinaires qui visent à procurer à la demanderesse ce à quoi elle s’attendait. Selon le professeur Waddams, ceci peut avoir un effet dissuasif positif : [traduction] « [u]n des arguments légitimes en faveur de la règle actuelle et contre une règle qui ne mesure les dommages‑intérêts qu’en fonction de la confiance du demandeur est que la règle qui ne protègerait que la confiance ne dissuaderait pas la violation dans le grand nombre de cas où le défendeur calculerait que les pertes prouvables du demandeur seraient moindres que le coût de l’exécution » (« Breach of Contract and the Concept of Wrongdoing » (2000), 12 S.C.L.R. (2d) 1, p. 18‑19).
[110]                     Baycrest plaide néanmoins que la juge de première instance ne s’est pas réellement demandé dans quelle position Callow se serait retrouvée si elle s’était acquittée de l’obligation, et a plutôt octroyé la valeur de ce qui restait à courir sur le contrat d’entretien hivernal. Baycrest fait valoir que, ce faisant, la juge a commis la même erreur que celle qu’avait commise la juge de première instance dans l’affaire Bhasin, qui s’était contentée d’octroyer des dommages‑intérêts comme si le contrat avait été renouvelé. Baycrest soutient que notre Cour a condamné cette approche à juste titre puisque les parties n’avaient pas l’intention de conclure un contrat perpétuel ni ne l’avaient‑elles présumé être tel.
[111]                     De plus, Baycrest s’appuie sur l’arrêt Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S 303, au soutien de la proposition selon laquelle les dommages‑intérêts sont calculés en fonction du mode d’exécution le moins onéreux pour le défendeur. Callow, prétend‑elle, n’a droit à rien de plus que le minimum de ce à quoi Baycrest était tenue en application du contrat. Puisque la clause 9 lui permettait de résilier le contrat d’entretien hivernal n’importe quand, moyennant un préavis de 10 jours, il n’y aurait pas lieu d’accorder des dommages‑intérêts.
[112]                     À mon avis, l’arrêt Hamilton n’est d’aucun secours pour Baycrest en l’espèce. Bien que le juge Cromwell ait mentionné ce principe dans Bhasin, il l’a fait dans le contexte où se posait la question de savoir si la Cour devait reconnaître une obligation large et indépendante d’agir de bonne foi, ce que l’appelant en cette affaire avait plaidé. En un mot, l’appelant prétendait que l’intimée Can‑Am avait manqué à cette obligation, puisqu’elle avait tenté de recourir à la clause de non‑renouvellement pour imposer une fusion à M. Bhasin. Le juge Cromwell a refusé de reconnaître une obligation aussi large, raisonnant qu’« il faudrait encore mesurer la responsabilité contractuelle de Can‑Am en fonction du mode d’exécution le moins contraignant, soit en l’espèce simplement un non‑renouvellement du contrat » (Bhasin, par. 90; voir aussi J. D. McCamus, The Law of Contracts (3e éd. 2020), p. 23‑25). Puisque cette violation n’aurait causé aucun dommage, il n’était pas nécessaire que la Cour décide s’il y avait lieu de reconnaître une obligation large et indépendante d’agir de bonne foi.
[113]                     Il convient de souligner que, malgré ses commentaires en rapport avec l’arrêt Hamilton, le juge Cromwell a accordé des dommages‑intérêts à l’appelant découlant du manquement par les intimés à l’obligation d’exécuter le contrat honnêtement. Des dommages‑intérêts ont été octroyés comme d’habitude au titre de la perte du profit escompté, soit de manière à placer M. Bhasin dans la situation où il se serait trouvé si Can‑Am n’avait pas manqué à son obligation d’agir honnêtement dans son recours à la clause de non‑renouvellement (Bhasin, par. 88 et 108). En conséquence, M. Bhasin a été indemnisé de la perte de la valeur de son entreprise (par. 108‑110). Comme l’expliquent utilement les professeurs O’Byrne et Cohen, [traduction] « si Can‑Am avait traité avec M. Bhasin honnêtement à tous les égards (sans être obligée pour autant de divulguer son intention de ne pas renouveler le contrat), M. Bhasin se serait rendu compte beaucoup plus tôt que sa relation avec elle était grandement en péril et sur le point de se rompre. Il aurait pu prendre des mesures proactives pour protéger son entreprise, plutôt que de s’en voir “dans les faits dépossédé au profit de M. Hrynew” » (« The Contractual Principle of Good Faith and the Duty of Honesty in Bhasin v. Hrynew » (2015), 2017 ABCA 164 (CanLII), 53 Alta. L.R. 1, p. 8 (notes en bas de pages omises)).
[114]                     Comment se fait‑il que des dommages‑intérêts aient été accordés pour un manquement à l’obligation d’exécution honnête malgré le principe énoncé dans l’arrêt Hamilton? Bien que les dommages‑intérêts doivent être calculés en fonction du mode d’exécution le moins onéreux pour le défendeur, ce mode en l’espèce aurait consisté à corriger la méprise dès que Baycrest a su que l’appelante avait tiré une déduction erronée. Si elle l’avait fait, Callow aurait eu l’occasion de conclure un autre contrat pour l’hiver qui s’en venait. Comme Callow l’a expliqué à l’audience, [traduction] « puisque cette malhonnêteté avait fait subir une perte à Callow en l’incitant à ne pas présenter de soumissions en vue d’obtenir d’autres contrats pendant l’été 2013 pour l’hiver 2013 à 2014, les condos lui doivent des dommages‑intérêts » (transcription, p. 5), qui correspondent à l’occasion qu’elle a perdue en raison de leur recours abusif à la clause 9.
[115]                     Certes, la juge de première instance aurait pu expliquer plus clairement son raisonnement au soutien de l’octroi de dommages‑intérêts. Cela dit, quand bien même elle aurait commis la même erreur que celle qu’avait commise la juge de première instance dans l’affaire Bhasin, ce qui l’a amenée à accorder des dommages‑intérêts comme si le contrat était demeuré en vigueur, cette erreur n’a pas porté à conséquence.
[116]                     Comme l’a conclu la juge de première instance, Baycrest [traduction] « n’a pas donné [à Callow] une juste possibilité de protéger ses intérêts » (par. 67). Si Baycrest avait agi honnêtement dans l’exercice de son droit de résiliation et corrigé ainsi la fausse impression de M. Callow, Callow aurait pris des mesures proactives pour présenter des soumissions en vue d’obtenir d’autres contrats pour l’hiver qui s’en venait (m.a., par. 91‑95). De fait, il y avait amplement d’éléments de preuve devant la juge de première instance selon lesquels Callow avait eu des occasions de présenter des soumissions en vue d’obtenir d’autres contrats d’entretien hivernal durant l’été 2013, mais qu’elle avait choisi de renoncer à ces occasions en raison de la méprise de M. Callow quant à ce qu’il adviendrait de son contrat avec Baycrest. Quoi qu’il en soit, même si je concluais que la juge de première instance n’avait pas tiré de conclusion explicite sur la question de savoir si Callow avait perdu une occasion d’affaires, on peut présumer en droit que ce fut le cas, puisque c’est la malhonnêteté même de Baycrest qui empêche maintenant Callow de prouver de façon concluante ce qui se serait produit si Baycrest avait été honnête (voir Lamb c. Kincaid (1907), 1907 CanLII 38 (SCC), 38 R.C.S. 516, p. 539‑40).
[117]                     Par conséquent, je ne constate aucune erreur manifeste et déterminante. Je suis convaincu que si la malhonnêteté de Baycrest n’avait pas privé Callow de l’occasion de présenter des soumissions en vue d’obtenir d’autres contrats, elle aurait réalisé un montant au moins égal au profit qu’elle a perdu au titre du contrat d’entretien hivernal. La juge de première instance a conclu que, déduction faite des dépenses, ce montant s’élève à 64 306,96 $. Je ne vois aucune raison de modifier sa conclusion de fait quant à l’estimation des dépenses. En conséquence, je ne vois aucun motif permettant d’infirmer cette portion de l’octroi de dommages‑intérêts par la juge de première instance.
[118]                     La juge de première instance a en outre octroyé à Callow la somme de 14 835,14 $ représentant le coût de la location d’une pièce de machinerie pour un an. M. Callow a affirmé dans son témoignage qu’il avait loué la machinerie spécialement pour le contrat d’entretien hivernal, mais qu’il ne l’aurait pas fait s’il avait su que le contrat allait être résilié (par. 81). Baycrest plaide que la juge de première instance s’est trompée en octroyant ces dépenses, puisque cela revient à un recouvrement en double.
[119]                     Je ne vois aucun problème de recouvrement en double en l’espèce. La juge de première instance a octroyé 64 306,96 $ pour la perte de profits, non pas pour la perte de revenus. Cette approche était appropriée puisque Callow n’a pas été embauchée pour l’autre contrat pour lequel elle n’a pas présenté de soumission de sorte qu’elle n’a pas nécessairement encouru toutes les dépenses qui auraient été nécessaires pour exécuter ce contrat. Toutefois, comme Callow avait déjà engagé la dépense liée à la location de la machinerie, cette dépense doit être indemnisée en plus de la perte de profits. La juge de première instance pouvait trancher cette question comme elle l’a fait, ayant eu l’avantage de mesurer directement les pertes. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la manière dont la juge de première instance a abordé cette question.
V.           Dispositif
[120]                     Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la juge de première instance, avec dépens devant toutes les cours.
 
Version française des motifs des juges Moldaver, Brown et Rowe rendus par
 
                    Le juge Brown —
I.               Introduction
[121]                     Le présent pourvoi nous invite à confirmer la portée et le fonctionnement de l’obligation d’exécution honnête, reconnue dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, en précisant la distinction qui existe entre une conduite activement trompeuse et une non‑divulgation innocente. L’application de cette distinction aux faits de la présente affaire est chose simple. Comme la juge de première instance l’a conclu, les intimées (collectivement appelées ci‑après « Baycrest ») ont déclaré à l’appelante C.M. Callow Inc. (ci‑après « Callow ») que son contrat ne serait pas résilié (2017 ONSC 7095). Se fondant sur ces déclarations, Callow a perdu l’occasion d’obtenir d’autre travail pour la durée du contrat. La plainte de Callow ne porte donc pas sur le silence de Baycrest, mais plutôt sur ses déclarations, qui peuvent assurément servir de base à une demande fondée sur l’obligation d’exécution honnête.
[122]                     Puisque Baycrest n’a pas relevé d’erreur manifeste et déterminante dans les conclusions de la juge de première instance, je conviens avec les juges majoritaires que le pourvoi devrait être accueilli et que la décision de première instance devrait être rétablie. Malheureusement, toutefois, je me vois dans l’obligation d’exprimer respectueusement mon désaccord avec l’opinion des juges majoritaires voulant que la doctrine de l’abus de droit en droit civil du Québec soit « utile » pour comprendre l’application de l’arrêt Bhasin au présent pourvoi (par. 57). J’estime en effet, encore une fois respectueusement, que cette digression n’est pas « utile » et qu’elle n’« aide » pas les juges et les avocats qui doivent tenter de comprendre les principes de bonne foi en common law qui ont été élaborés dans ce jugement. De fait, elle ne fera qu’introduire de l’incertitude et de la confusion dans le droit.
[123]                     Je ne veux pas par là suggérer que l’analyse juridique comparative n’est pas un outil important ou qu’il faudrait en restreindre de quelque façon indûment l’usage par la Cour. Comme l’illustrent amplement les motifs des juges majoritaires, la Cour a une longue tradition de s’inspirer du droit civil québécois pour développer la common law — soit pour répondre à une question à laquelle cette dernière ne répond pas (c’est‑à‑dire pour combler une « lacune »), soit lorsque cela s’avère nécessaire pour modifier ou autrement préciser des règles existantes. En outre, lorsque la perspective de faire évoluer la common law dans une direction ou dans une autre suscite des inquiétudes, la Cour a examiné l’expérience vécue au Québec et ailleurs, souvent pour obtenir l’assurance que les préoccupations exprimées sont infondées ou exagérées. Toutefois, jusqu’à maintenant, la Cour s’est abstenue de faire appel à une analyse juridique comparative qui ne vise aucun de ces objectifs, ou pire, qui obscurcit le droit pour ceux qui doivent le connaître et l’appliquer. Or, en invoquant le cadre d’analyse de la notion civiliste d’abus de droit pour clarifier quand la « malhonnêteté est directement liée à l’exécution d’un contrat » (par. 73) — une question qui n’a nul besoin de « clarification » —, c’est précisément ce que font les juges majoritaires.
[124]                     Si mon objection vise donc fondamentalement la méthodologie adoptée par les juges majoritaires, elle porte également sur les conséquences substantielles qui en découlent. Comme l’admettent les juges majoritaires, le présent pourvoi porte sur l’obligation d’exécution honnête, pas sur l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Or, leur digression sur la notion d’ « exercice fautif d’un droit » les amène essentiellement sur ce terrain même, puisqu’elle lie la malhonnêteté à la manière dont est exercé le pouvoir discrétionnaire de nature contractuelle. Donc, dans les faits, en s’appuyant sur une notion de droit civil, les juges majoritaires sont amenés à confondre des notions de common law distinctes l’une de l’autre, ou à tout le moins à masquer la distinction entre elles. Cela est tout aussi inutile qu’indésirable, puisque l’exercice du pouvoir discrétionnaire — outre le fait qu’il s’agit d’une question d’exécution qui peut faire l’objet de déclarations inexactes — n’a pas grand‑chose à voir avec l’obligation d’exécution honnête. L’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi — ou, pour l’exprimer avec la terminologie civiliste qu’ajoutent les juges majoritaires, d’une manière qui n’est pas « abusive » ou « fautive » — est plutôt un concept distinct qui ne s’applique pas dans le présent pourvoi.
[125]                     En tranchant le présent pourvoi, notre objectif devrait consister à élaborer le principe directeur de bonne foi en common law soigneusement, et de manière cohérente, et plus particulièrement de manière à fournir une orientation claire en prenant soin de distinguer les différentes doctrines recensées par notre Cour dans l’arrêt Bhasin. Soit dit en tout respect, je suis d’avis que ce n’est pas ce qu’ont fait les juges majoritaires ici.
II.            Contexte
[126]                     Baycrest est composée de dix associations condominiales ayant des actifs partagés et dont les décisions relatives à ces actifs sont prises par un comité d’utilisation conjointe. En avril 2012, Baycrest a conclu deux contrats distincts de deux ans avec Callow en vue de la fourniture de services d’aménagement paysager en été et de services de déneigement en hiver. Selon les conditions du contrat de services d’entretien hivernal, Baycrest pouvait le résilier sans motif moyennant un préavis de 10 jours.
[127]                     En mars ou avril 2013, le comité d’utilisation conjointe a voté en faveur de la résiliation du contrat de services d’entretien hivernal avant son expiration prévue en avril 2014. Baycrest a toutefois choisi de ne pas faire part de sa décision au propriétaire de Callow, Christopher Callow, avant septembre 2013, afin de ne pas mettre en péril l’exécution des travaux visés par le contrat de services d’entretien estival. N’étant pas au courant de la décision de Baycrest, Callow a exécuté gratuitement des travaux pour celle‑ci au printemps et à l’été 2013 dans l’espoir que cela inciterait Baycrest à renouveler les deux contrats. M. Callow a également discuté de la possibilité de renouveler les contrats avec deux représentants de Baycrest, dont l’un avait participé à la négociation des contrats conclus en 2012. Ces discussions l’ont amené à croire que les contrats seraient probablement renouvelés en 2014 pour une période de deux ans et, par conséquent, que le contrat de services d’entretien hivernal n’était pas en péril. Sachant que Callow exécutait les travaux sur le fondement de cette méprise, Baycrest a néanmoins continué de garder pour elle sa décision de résilier le contrat.
[128]                     Le 12 septembre 2013, Baycrest a donné à Callow un préavis de son intention de résilier le contrat de services d’entretien hivernal. Callow a intenté une poursuite, alléguant que Baycrest n’avait pas exécuté le contrat de services d’entretien hivernal de bonne foi et qu’elle était donc responsable d’une violation de contrat. La juge de première instance a conclu que Baycrest avait manqué à son obligation d’exécution honnête. Selon elle, les déclarations et la conduite de Baycrest ont activement induit M. Callow en erreur et l’ont amené à croire que le contrat de services d’entretien hivernal ne serait pas résilié. En conséquence, la juge a accordé des dommages‑intérêts afin de mettre Callow dans la situation où elle se serait trouvée si le contrat n’avait pas été résilié. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision, déclarant que l’obligation d’exécution honnête n’impose pas une obligation de divulgation (2018 ONCA 896, 429 D.L.R. (4th) 704). Selon elle, même si Baycrest a induit Callow en erreur, cette dernière n’avait négocié qu’un préavis de 10 jours en cas de résiliation et c’était tout ce à quoi elle avait droit.
III.         Analyse
A.           A.           Le pourvoi peut être aisément tranché en appliquant le principe de bonne foi en common law
[129]                     Pour disposer du présent pourvoi, il suffit d’appliquer l’arrêt Bhasin de notre Cour. La première étape à suivre pour trancher une demande fondée sur le principe de bonne foi en common law est de se demander si certaines doctrines de la bonne foi reconnues trouvent application. Callow fonde sa demande sur deux doctrines reconnues : l’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Or, comme je l’expliquerai, sa demande devrait être résolue en appliquant uniquement l’obligation d’exécution honnête.
(1)         (1) L’obligation d’exécution honnête
[130]                     Selon la norme minimale universelle applicable, tous les contrats doivent être exécutés de manière honnête. Les parties contractantes ne doivent donc pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat (Bhasin, par. 73‑74). Si le demandeur subit une perte parce qu’il a fait confiance à la conduite trompeuse de l’autre partie, l’obligation d’exécution honnête sert à rétablir la situation du demandeur. Toutefois, cette obligation « n’impose pas un devoir de loyauté ou de divulgation ni n’exige d’une partie qu’elle renonce à des avantages découlant du contrat » (Bhasin, par. 73).
[131]                     La ligne de démarcation entre (1) une conduite activement trompeuse et (2) une non‑divulgation permissible constitue la question centrale du présent pourvoi. Comme cette ligne a été clairement démarquée dans les cas portant sur des déclarations inexactes dans d’autres contextes, j’estime qu’il vaut la peine de mentionner ici que, à mon avis, les mêmes principes établis s’appliquent à l’obligation d’exécution honnête. Après tout, cette obligation est largement comparable à la doctrine des déclarations inexactes frauduleuses, même si elle s’applique (contrairement à la doctrine des déclarations inexactes) aux déclarations faites après la conclusion du contrat (B. MacDougall, Misrepresentation (2016), p. 63‑64). Il s’ensuit que ces déclarations qui permettent d’étayer une demande fondée sur des déclarations inexactes sont analogues à celles qui étayent une demande fondée sur l’obligation d’exécution honnête.
[132]                     La règle générale applicable aux contrats autres que ceux exigeant la bonne foi la plus absolue est que les parties contractantes ne sont pas tenues de divulguer des renseignements importants (Bhasin, par. 73 et 86). Un simple silence ne peut donc pas être considéré comme une conduite activement trompeuse (Alevizos c. Nirula, 2003 MBCA 148, 180 Man. R. (2d) 186, par. 19). Dans certains cas, cependant, le silence à l’égard d’un sujet particulier est trompeur compte tenu de ce qui a été dit (Xerex Exploration Ltd. c. Petro‑Canada, 2005 ABCA 224, 47 Alta. L.R. (4th) 6, par. 56, citant Opron Construction Co. c. Alberta (1994), 1994 CanLII 18362 (AB KB), 151 A.R. 241 (B.R.)). Encore une fois, il n’y a pas lieu de réinventer la roue en l’espèce. Il existe, dans le contexte des déclarations inexactes, [traduction] « une jurisprudence riche qui accepte que, parfois, le silence ou des demi‑vérités constituent une déclaration » (MacDougall, p. 67; voir aussi A. Swan, « The Obligation to Perform in Good Faith: Comment on Bhasin v. Hrynew » (2015), 56 Rev. can. dr. comm. 395, p. 402). Une partie contractante ne peut donc pas dresser un portrait trompeur de l’exécution de ses obligations contractuelles en se fondant sur des demi‑vérités ou sur une divulgation partielle (Peek c. Gurney (1873), L.R. 6 H.L. 377; Alevizos, par. 24‑25; Xerex, par. 56‑57). En outre, les parties contractantes sont tenues de corriger les déclarations qui se révèlent subséquemment fausses ou dont l’auteur se rend compte plus tard qu’elles étaient erronées (Xerex, par. 58; MacDougall, p. 118‑119).
[133]                     Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que la déclaration prenne la forme d’une déclaration expresse. Tant qu’elle est communiquée clairement, elle peut prendre la forme d’autres actes ou conduites de la part du défendeur (MacDougall, p. 87). La question est de savoir si la conduite active du défendeur a contribué à une méprise qui ne peut être corrigée que par la divulgation de renseignements supplémentaires. Le cas échéant, le défendeur doit faire cette divulgation. À l’inverse, une partie contractante n’est pas tenue de corriger une méprise à laquelle elle n’a pas contribué (T. Buckwold, « The Enforceability of Agreements to Negotiate in Good Faith: The Impact of Bhasin v. Hrynew and the Organizing Principle of Good Faith in Common Law Canada » (2016), 58 Rev. can. dr. comm. 1, p. 13). Le contexte dans son entièreté — ce qui inclut la nature de la relation entre les parties — doit être pris en considération pour déterminer objectivement si le défendeur a fait une déclaration inexacte au demandeur (MacDougall, p. 102; voir, p. ex., Outaouais Synergest Inc. c. Lang Michener LLP, 2013 ONCA 526, 116 O.R. (3d) 742, par. 84‑87; C.R.F. Holdings Ltd. c. Fundy Chemical International Ltd. (1981), 1981 CanLII 488 (BC CA), 33 B.C.L.R. 291 (C.A.), p. 296). Il s’ensuit que la question de savoir si une déclaration a été faite est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision en appel seulement en cas d’erreur manifeste et déterminante.
[134]                     Compte tenu de ces principes ⸺ qui, je le répète, sont bien établis et exigent seulement que notre Cour confirme leur application à l’obligation d’exécution honnête ⸺, je ne peux accepter l’argument de Baycrest selon lequel sa conduite relevait de la non‑divulgation innocente. En effet, la juge de première instance a conclu que [traduction] « les communications actives entre les parties entre mars/avril et le 12 septembre 2013 [. . .] ont induit Callow en erreur » (par. 66 (CanLII)). Selon la juge de première instance, compte tenu de la conduite et des déclarations expresses de Baycrest, celle‑ci avait déclaré que le contrat de services d’entretien hivernal ne risquait pas d’être résilié (par. 65 et 76). En outre, la juge a conclu que Baycrest savait que ses déclarations étaient trompeuses et a néanmoins exprimé son intention de laisser Callow dans l’ignorance (par. 48 et 69). Ces constatations suffisent à appuyer la conclusion selon laquelle Baycrest a manqué à son obligation d’exécution honnête, et Baycrest ne relève aucune erreur manifeste et déterminante justifiant qu’elles soient infirmées.
[135]                     Je rejette également l’argument de Baycrest selon lequel ses déclarations ne visaient que la conclusion d’un nouveau contrat de services d’entretien hivernal et non la résiliation du contrat existant avec Callow. Comme je l’ai expliqué, la question de savoir si Baycrest a fait une déclaration donnant ouverture à un droit d’action à propos de l’exécution du contrat doit être tranchée en fonction du contexte, soit notamment de sa conduite telle que je l’ai décrite. En outre, il était loisible à la juge de première instance de conclure de cette conduite que Callow avait raisonnablement inféré que le contrat de services d’entretien hivernal ne serait pas résilié (voir, p. ex., Queen c. Cognos Inc., 1993 CanLII 146 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 87, p. 128‑132). Là encore, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la juge de première instance.
(2)         (2) L’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi
[136]                     Callow soutient également que la décision de Baycrest de résilier le contrat de services d’entretien hivernal relevait d’un pouvoir discrétionnaire et devait être prise de bonne foi. Elle se fonde sur l’obligation de bonne foi qui prend naissance « lorsque le contrat confère un pouvoir discrétionnaire à l’une des parties » et qui a été confirmée par notre Cour dans l’arrêt Bhasin (par. 47). À titre préliminaire, je note que ce ne sont pas toutes les décisions qui supposent l’exercice d’un certain pouvoir discrétionnaire qui sont assujetties à cette obligation (Bhasin, par. 72; J. T. Robertson, « Good Faith as an Organizing Principle in Contract Law: Bhasin v Hrynew ⸺ Two Steps Forward and One Look Back » (2015), 93 R. du B. can. 809, p. 859). La mesure dans laquelle elle s’applique aux droits de résiliation absolus reste incertaine, et je ne prétends pas résoudre cette controverse ici (Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214, par. 41; Mohamed c. Information Systems Architects Inc., 2018 ONCA 428, 423 D.L.R. (4th) 174, par. 19).
[137]                     Cette obligation limite l’exercice de certains pouvoirs contractuels pouvant sembler accorder un pouvoir discrétionnaire absolu à l’une des parties. Pour les fins du présent appel, il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion ferme quant à la norme applicable au manquement à cette obligation. Il suffit de noter que lorsqu’un demandeur se fonde sur cette obligation, sa plainte ne vise pas la malhonnêteté; il invoque plutôt que le défendeur n’avait pas le droit de prendre la décision qu’il a prise. Le comportement répréhensible est en fait l’exercice du pouvoir discrétionnaire lui‑même, et le demandeur fonde donc sa demande sur l’effet de cette décision (voir, p. ex., Greenberg c. Meffert (1985), 1985 CanLII 1975 (ON CA), 50 O.R. (2d) 755 (C.A.); Mesa Operating Ltd. Partnership c. Amoco Canada Resources Ltd. (1994), 1994 ABCA 94 (CanLII), 19 Alta. L.R. (3d) 38 (C.A.)). Des dommages‑intérêts sont accordés en fonction de la différence entre le résultat obtenu et le résultat qui aurait été obtenu si le défendeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire de la manière la moins onéreuse possible, mais légalement acceptable.
[138]                     Or, Callow ne conteste pas que Baycrest avait le droit de résilier le contrat de services d’entretien hivernal comme elle l’a fait, sans motif et en ne remettant qu’un préavis de 10 jours. Elle conteste plutôt la malhonnêteté qui a précédé l’exercice par Baycrest de son pouvoir discrétionnaire. Callow demande donc des dommages‑intérêts établis en fonction de ce qui serait arrivé si Baycrest avait pris la même décision, mais sans faire de déclarations inexactes quant à ses intentions. L’obligation applicable est donc celle d’exécution honnête. En somme, le pourvoi dont nous sommes saisis porte sur la malhonnêteté dans l’exécution d’un contrat, et sur rien d’autre. De fait, il présente précisément le type de situation envisagée par le juge Cromwell au nom de la Cour dans l’arrêt Bhasin, au par. 73, où une partie « men[t] [. . .] à l’autre partie [ou] la tromp[e] [. . .] au sujet de l’exécution de ses obligations contractuelles ». À l’inverse, il ne s’agit pas d’une affaire portant sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
(3)         (3) Dommages‑intérêts
[139]                     Ayant conclu que Baycrest a manqué à son obligation d’exécution honnête, la question qu’il reste à trancher est celle de savoir si le montant des dommages‑intérêts octroyés par la juge de première instance est approprié. Bien que j’arrive au même résultat que les juges majoritaires, j’aborde cette question de façon quelque peu différente. Mes collègues majoritaires sont d’avis qu’un manquement à l’obligation d’exécution honnête devrait donner lieu à des dommages‑intérêts fondés sur l’attente. Pour ma part, j’estime qu’il découle de la reconnaissance de la conduite trompeuse de Baycrest comme une faute indépendante de la clause de résiliation que les dommages‑intérêts appropriés représentent la perte subie par Callow du fait de la confiance qu’elle a accordée aux déclarations trompeuses de Baycrest (qui, j’en conviens, coïncideront souvent avec les dommages‑intérêts fondés sur l’attente).
[140]                     Les juges majoritaires se fondent sur l’affirmation du juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin voulant que le manquement à l’obligation d’exécution honnête du contrat « justifie une réclamation en dommages‑intérêts fondée sur la disposition contractuelle plutôt que sur l’acte délictuel » (par. 88). Or, lorsqu’on examine l’objet des dommages‑intérêts fondés sur l’attente pour la violation de contrat et qu’on le met en opposition au cadre d’analyse juridique mis au point dans l’arrêt Bhasin, à la demande en tant que telle dans cet arrêt et à la réparation effectivement reçue, il devient évident que les dommages‑intérêts fondés sur la confiance octroyés sont précisément ceux qui devaient être accordés selon le cadre d’analyse prévu dans l’arrêt Bhasin. Sur ce point, les motifs des juges majoritaires ne constituent pas une application fidèle à l’arrêt Bhasin; ils marquent plutôt une rupture regrettable par rapport à celui‑ci, laquelle mine la cohérence entre les intérêts que cet arrêt visait à protéger et la réparation devant être accordée.
[141]                     Il est [traduction] « établi depuis longtemps et effectivement évident » que la réparation d’une violation de contrat a pour objectif en droit que la partie innocente puisse jouir de tous les avantages que lui confère le marché conclu, en la mettant dans la position où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté (P. Benson, Justice in Transactions (2019), p. 5; voir aussi Fidler c. Sun Life, compagnie d’assurance‑vie, 2006 CSC 30, [2006] 2 R.C.S. 3, par. 27). Le fait d’accorder des dommages‑intérêts fondés sur la confiance ⸺ c’est‑à‑dire, le fait d’indemniser une partie innocente pour les pertes subies parce qu’elle s’est fondée sur le contrat ⸺ ne tiendrait pas compte du droit qu’a cette partie à l’exécution du contrat qui découle du fait qu’elle a promis une contrepartie pour celle‑ci, ce qui pourrait la priver des avantages du contrat. De fait, limiter le recouvrement aux pertes subies par la partie parce qu’elle se fondait sur le contrat inciterait les parties à contrevenir à l’entente lorsque le coût de l’exécution dépasse le montant des dommages‑intérêts fondés sur la confiance (S. M. Waddams, The Law of Contracts (7e éd. 2017), par. 704; voir aussi L. L. Fuller et W. R. Perdue Jr., « The Reliance Interest in Contract Damages » (1936), 46 Yale L.J. 52, p. 57‑66).
[142]                     Cependant, la justification de l’attribution de dommages‑intérêts fondés sur l’attente ne s’applique pas au manquement à l’obligation d’exécution honnête. Dans de tels cas, ce qui est en cause, ce n’est pas le fait que le défendeur a omis d’exécuter le contrat, frustrant ainsi les attentes du demandeur; c’est plutôt le fait que le défendeur a exécuté le contrat, mais a aussi causé la perte subie par le demandeur par ses déclarations extracontractuelles malhonnêtes et inexactes concernant cette exécution et auxquelles s’est fié le demandeur, à son détriment. En résumé, sa demande n’est pas fondée sur la perte de la valeur de l’exécution, mais plutôt sur la confiance préjudiciable qu’il a accordée aux déclarations inexactes et malhonnêtes. L’intérêt qui est protégé n’est pas un intérêt lié à l’attente, mais bien un intérêt lié à la confiance. De la même façon que ces intérêts ne sont pas liés, un montant de dommages‑intérêts fondés sur l’attente n’est pas lié au manquement à l’obligation d’exécution honnête.
[143]                     La demande formulée dans l’affaire Bhasin illustre bien ce point. M. Bhasin avait conclu un contrat de vente de produits financiers pour Can‑Am. Le contrat devait être renouvelé automatiquement à la fin de la durée initiale, sauf si une des parties donnait à l’autre un préavis de non‑renouvellement de six mois. Can‑Am prévoyait imposer une prise de contrôle de l’entreprise de M. Bhasin par son compétiteur, M. Hrynew, mais l’a induit en erreur quant à son intention de le faire. Can‑Am a aussi nommé M. Hrynew pour qu’il effectue une vérification de l’entreprise de M. Bhasin. Lorsque ce dernier a protesté contre ce conflit d’intérêts, Can‑Am lui a menti au sujet de la raison pour laquelle elle avait nommé M. Hrynew à titre de vérificateur et des modalités qui régiraient son accès aux renseignements confidentiels de M. Bhasin. En fin de compte, lorsque Can‑Am a donné l’avis de non‑renouvellement, M. Bhasin a perdu la valeur de son entreprise. La Cour a conclu que, n’eût été la malhonnêteté de Can‑Am au cours de la période ayant mené au non‑renouvellement, M. Bhasin « aurait été en mesure de conserver la valeur de son entreprise plutôt que de s’en voir dépossédé au profit de M. Hrynew » (par. 109). Elle a accordé des dommages‑intérêts pour compenser la perte de la valeur de l’entreprise.
[144]                     Ni la demande, dans cette affaire, ni l’octroi des dommages‑intérêts ne se rapportaient au fait que Can‑Am n’avait pas exécuté le contrat conclu avec M. Bhasin. La théorie du jugement était plutôt que M. Bhasin avait perdu la valeur de son entreprise en se fiant aux déclarations inexactes et malhonnêtes de Can‑Am. La réparation accordée dans les faits a donc été évaluée en fonction de la différence entre la situation de M. Bhasin et celle où il se serait trouvé si Can‑Am n’avait pas été malhonnête quant à son intention d’imposer une prise de contrôle en annulant son contrat. Si M. Bhasin ne s’était pas fié aux déclarations malhonnêtes de Can‑Am, aucuns dommages‑intérêts n’auraient pu être octroyés sur ce fondement, parce la malhonnêteté n’aurait pas changé sa situation.
[145]                     La réparation accordée dans l’arrêt Bhasin n’était donc manifestement pas fondée sur l’exécution attendue; il semble d’ailleurs plutôt qu’elle ne visait pas du tout à placer M. Bhasin dans la situation où il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté (K. Maharaj, « An Action on the Equities: Re‑Characterizing Bhasin as Equitable Estoppel » (2017), 55 Alta. L. Rev. 199, p. 215). Elle visait plutôt uniquement à réparer le préjudice découlant du fait que M. Bhasin ait fait confiance à une déclaration inexacte et malhonnête — une approche qualifiée par un professeur de [traduction] « très apparentée aux règles applicables en matière de délit civil » (MacDougall, p. 65). Par conséquent, à l’instar de la préclusion et de la fraude civile, l’obligation d’exécution honnête protège l’intérêt du demandeur lié à la confiance qu’il a accordée à des déclarations trompeuses (Robertson, p. 861; Maharaj, p. 215‑218). Une partie contractante qui manque à cette obligation doit indemniser son cocontractant des pertes prévisibles subies du fait de la confiance que ce dernier a accordée aux affirmations trompeuses.
[146]                     Cela ne veut pas dire que l’obligation d’exécution honnête est « subsumée » sous la préclusion et la fraude civile (motifs du juge Kasirer, par. 50). Cela revient simplement à observer que chacun de ces mécanismes juridiques protège le même intérêt. De fait, loin d’être « subsumée » sous la préclusion et la fraude civile, l’obligation d’exécution honnête protège l’intérêt lié à la confiance d’une manière distincte et plus large, puisque, comme notre Cour l’a souligné dans l’arrêt Bhasin, le défendeur peut être tenu responsable même lorsqu’il n’a pas l’intention que le demandeur s’appuie sur l’affirmation trompeuse (par. 88). Peu importe l’intention du défendeur, un demandeur n’a qu’à établir que, n’eût été la confiance qu’il a accordée à l’affirmation trompeuse, il n’aurait pas subi la perte.
[147]                     Baycrest demande une réduction du montant accordé en première instance en s’appuyant sur trois arguments. Premièrement, elle affirme que le délai de préavis de 10 jours définit son exposition maximale à des dommages‑intérêts, car, peu importe sa malhonnêteté, la modalité d’exécution la moins onéreuse dont elle disposait était la résiliation du contrat. Selon elle, la juge de première instance a donc incorrectement accordé des dommages‑intérêts comme si le contrat de services d’entretien hivernal n’avait pas été résilié.
[148]                     Bien que Baycrest ait raison de dire que les dommages‑intérêts pour violation de contrat sont calculés en fonction de la modalité d’exécution la moins onéreuse pour le défendeur (Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S. 303, par. 20), ce principe ne lui est d’aucune assistance en l’espèce. Pour exécuter le contrat honnêtement (c’est‑à‑dire, sans manquer à l’obligation d’exécution honnête), Baycrest était tenue de ne pas induire M. Callow en erreur quant au sujet de savoir si le contrat allait être résilié. Elle aurait pu le faire en gardant le silence à ce propos ou, ayant induit M. Callow en erreur quant à l’état réel des choses, en corrigeant la méprise avant que celui‑ci ne se fonde sur la conduite trompeuse à son détriment. Dans l’un ou l’autre de ces cas, Callow aurait pu chercher à obtenir d’autres contrats pour la saison hivernale 2013‑2014.
[149]                     Bien entendu, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que Callow aurait obtenu d’autres contrats. Elle aurait tout aussi bien pu ne rien faire, tenant pour acquis que le contrat de services d’entretien hivernal avait de bonnes chances de ne pas être résilié. Par contre, cette difficulté sur le plan de la preuve est le produit de la malhonnêteté de Baycrest; cette dernière ne devrait donc pas être dégagée de sa responsabilité simplement parce que Callow ne peut pas prouver avec certitude ce qui serait arrivé si elle n’avait pas été trompée (Wood c. Grand Valley Rway. Co. (1915), 1915 CanLII 574 (SCC), 51 R.C.S. 283, p. 288‑291; voir aussi Lamb c. Kincaid (1907), 1907 CanLII 38 (SCC), 38 R.C.S. 516, p. 539‑540). Callow a déposé des éléments de preuve démontrant qu’elle présentait habituellement des soumissions durant les mois d’été pour obtenir des contrats d’entretien hivernal et qu’il était trop tard pour trouver d’autres contrats au moment où elle a reçu l’avis de résiliation. Je souscris à l’opinion des juges majoritaires selon laquelle le dossier permet de raisonnablement présumer que Callow aurait été en mesure de remplacer le contrat de services d’entretien hivernal par un contrat de valeur semblable. Bien que la juge de première instance ait commis une erreur en accordant des dommages‑intérêts comme si le contrat de services d’entretien hivernal n’avait pas été résilié, j’accorderais, selon cette hypothèse, le même montant.
[150]                     Deuxièmement, Baycrest affirme que le montant des dommages‑intérêts accordé par la juge de première instance a mené à un recouvrement en double des dépenses de Callow. C’est tout simplement faux. La juge de première instance a accordé à Callow la valeur nette du contrat de services d’entretien hivernal (64 306,96 $) ⸺ ce qui représente la valeur brute du contrat (80 383,70 $) moins les dépenses de Callow, que la juge a estimées à 20 pour cent (16 076,74 $). Elle a ensuite ajouté le coût de la location d’équipement que Callow avait déjà déboursé du fait de la confiance qu’elle a accordée aux déclarations trompeuses de Baycrest. Bien que la juge de première instance ne l’ait pas mentionné expressément, le dossier démontre que les dépenses estimées de Callow incluaient le coût de la location d’équipement. Si Callow ne se fait pas rembourser les dépenses de location qu’elle a engagées du fait qu’elle a fait confiance aux déclarations trompeuses de Baycrest, ces dépenses lui seraient imputées deux fois. Et si Baycrest n’avait pas violé le contrat, Callow aurait obtenu un contrat de valeur semblable et aurait terminé la saison hivernale de 2013‑2014 avec un profit de 64 306,96 $. L’approche de la juge de première instance a garanti que Callow soit remise dans cette situation; je ne vois donc aucune raison d’infirmer cet aspect de sa décision.
[151]                     Enfin, Baycrest soutient que la juge de première instance a mal interprété la preuve liée aux dépenses de Callow. Je ne suis toutefois pas convaincu que la juge ait fait autre chose qu’estimer les dépenses de Callow à 20 pour cent de la valeur du contrat de services d’entretien hivernal, en se fondant sur les éléments de preuve fournis par Callow concernant ses dépenses des années précédentes. L’estimation des dépenses était une décision qui relevait de la compétence de la juge de première instance en tant qu’arbitre des faits et cette décision ne devrait pas être modifiée en appel. En effet, il est difficile d’imaginer ce que la juge de première instance aurait pu faire différemment, puisque le contrat de services d’entretien hivernal n’a jamais été exécuté et que, en conséquence, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude quelles auraient été les dépenses de Callow.
B.            B.           L’« abus de droit », l’« exercice fautif d’un droit » et l’analyse comparative de la bonne foi en droit des contrats
[152]                     À l’exception de ce que je dis au sujet des dommages‑intérêts, la plupart des propos qui précèdent sont compatibles, ou, du moins, ne sont pas incompatibles, avec les motifs des juges majoritaires et ils sont suffisants pour trancher le présent pourvoi. Toutefois, même s’ils le reconnaissent (au par. 44 : « l’obligation d’agir honnêtement au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat [. . .] suffit pour trancher le présent pourvoi »; « [i]l n’est pas nécessaire d’étendre la portée de la règle de droit énoncée dans l’arrêt Bhasin pour donner gain de cause à Callow »), les juges majoritaires entreprennent d’explorer des questions qui vont au‑delà de l’obligation d’agir honnêtement. Or, ce faisant, ils étendent de fait la portée de la règle de droit énoncée dans l’arrêt Bhasin (et la rendent même confuse selon moi).
[153]                     Plus particulièrement, selon les juges majoritaires, le présent pourvoi nous donne l’occasion de répondre à deux questions : premièrement, « ce que constitue un manquement à l’obligation d’exécution honnête lorsqu’il se manifeste en lien avec une clause de résiliation accordant un droit unilatéral et apparemment absolu » (par. 30); et, deuxièmement, « les circonstances dans lesquelles la malhonnêteté est directement liée à l’exécution d’un contrat » (par. 64). Ces questions mènent les juges majoritaires à se concentrer sur la question de savoir si le recours à la clause de résiliation était lui‑même malhonnête. Voici leur explication :
                    L’obligation d’honnêteté, en tant que doctrine du droit des contrats, a plutôt une fonction restrictive sur l’exercice d’un droit par ailleurs complet et clair [. . .]. Ceci veut simplement dire que plutôt que de restreindre la décision de résilier en soi, l’obligation d’exécution honnête donne lieu à des dommages‑intérêts lorsque le droit a été exercé de manière malhonnête. [par. 53]
Les juges majoritaires s’appuient sur le droit civil québécois pour fonder cette approche. En particulier, ils soutiennent que « le lien direct exigé entre la malhonnêteté et l’exécution » est « mis en évidence » lorsqu’on considère « comment le cadre d’analyse de l’abus de droit au Québec lie la manière dont un droit contractuel est exercé aux exigences de la bonne foi » (par. 67). Ils soulignent que les art. 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec « mettent ce lien en exergue en prévoyant qu’aucun droit contractuel ne peut être exercé de façon abusive sans violer les exigences de la bonne foi » (par. 67).
[154]                     Tant sur le fond que sur le plan de la méthodologie, je ne peux souscrire à ce point de vue. D’abord, dans les circonstances du présent pourvoi, le recours au droit civil par les juges majoritaires en tant que « source d’inspiration » (par. 60) est inapproprié. Comme ils le reconnaissent, les questions auxquelles répond leur analyse sont traitées de façon exhaustive dans l’arrêt Bhasin lui‑même, et rien n’indique que les principes qui y sont énoncés aient besoin d’être précisés. Ensuite, et dans le même ordre d’idées, l’accent que mettent les juges majoritaires sur l’exercice fautif d’un droit fausse l’analyse qu’exige l’arrêt Bhasin et mine le caractère indépendant des diverses obligations de bonne foi établies en common law qui y sont cernées.
(1)         Analyse comparative
[155]                     Les juges majoritaires s’inspirent de la notion civiliste d’abus de droit « comme cadre pour comprendre l’obligation d’exécution honnête de la common law » (par. 73). Plus spécifiquement, ils concluent que ce cadre d’analyse « aide à faire porter l’analyse de la question de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’exécution honnête en common law sur ce que l’on pourrait appeler l’exercice fautif d’un droit contractuel » (par. 63).
[156]                     En examinant l’utilité de l’exercice comparatif que proposent les juges majoritaires, il faut garder à l’esprit que les principes de common law applicables au présent pourvoi sont à la fois déterminants et bien établis. En s’inspirant du droit civil dans de telles circonstances, on s’écarte de la pratique acceptée de notre Cour à l’égard de l’exercice de droit comparé. Plutôt que de s’inspirer à bon escient du droit civil ou de se rassurer grâce à lui afin de combler une lacune de la common law ou pour la modifier, l’approche des juges majoritaires, soit dit respectueusement, risque de subsumer la conception bien établie et distincte de la bonne foi qu’a la common law sous la conception qu’en a le droit civil. Dans la mesure où elle le fait, l’approche des juges majoritaires rend les choses très confuses, et ce, malgré leurs assurances du contraire.
[157]                     Comme l’a fait remarquer le juge Moldaver (dissident, mais non sur cette question) dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S 433, au par. 113 (je souligne), « [l]a coexistence de deux systèmes juridiques distincts au Canada — le système de droit civil au Québec et le système de common law ailleurs — constitue une caractéristique unique et fondamentale de notre pays ». Les traditions distinctes en common law et en droit civil représentent un élément intégral du patrimoine et de l’identité juridiques canadiens (L’hon. juge M. Bastarache, « Le bijuridisme au Canada », dans Bijuridisme et harmonisation : Genèse (2001), p. 26; voir aussi M. Samson, « Le droit civil québécois : exemple d’un droit à porosité variable » (2018‑2019), 50 R.D. Ottawa 257, p. 257).
[158]                     La préservation de cet aspect unique de l’identité du Canada exige que l’on maintienne les caractéristiques distinctes des traditions en common law et en droit civil. De fait, notre Cour est allée jusqu’à décrire sa propre composition comme ayant été conçue pour veiller à ce que « la common law et le droit civil évoluent côte à côte, tout en conservant leur caractère distinctif » (Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, par. 85 (je souligne)). Il s’ensuit — tout comme notre Cour a conclu dans Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême que la présence d’au moins trois juges du Québec parmi ses membres « garanti[t] une expertise en droit civil et la représentation des traditions juridiques [. . .] du Québec » — que l’intégrité et le caractère distinct de la common law sont également garantis par la présence de juges des provinces ou territoires canadiens de common law.
[159]                     Il ressort également du caractère distinct des deux traditions juridiques du Canada que le fait de s’inspirer d’une tradition pour influencer l’autre n’est qu’un exercice de droit comparé (Caisse populaire des Deux Rives c. Société mutuelle d’assurance contre l’incendie de la Vallée‑du‑Richelieu 1990 CanLII 91 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 995, p. 1016). Comme je l’ai déjà mentionné, c’est ce que les juges majoritaires prétendent faire en l’espèce. Toutefois, bien que la comparaison soit un outil important, son utilisation n’est pas illimitée. En particulier, l’analyse comparative, soit celle où l’on fait appel au droit d’un autre système juridique pour élucider ou préciser le système juridique interne, n’est généralement appropriée que si le droit interne ne fournit pas de réponse à la question dont le tribunal est saisi, ou lorsqu’elle est nécessaire pour autrement préciser ce droit. Le recours au droit d’autres systèmes dans de telles circonstances serait superflu ou (dans la mesure où on y a recours) aurait l’effet indésirable d’écarter la jurisprudence interne établie (J.‑L. Baudouin, « L’interprétation du Code civil québécois par la Cour suprême du Canada » (1975), 53 R. du B. can. 715, p. 725‑727; voir aussi K. Zweigert et H. Kötz, Introduction to Comparative Law (3e éd. rév. 1998), p. 17‑18; T. Lundmark, Charting the Divide between Common and Civil Law (2012), p. 8‑10). Comme l’écrit le juge Sharpe à propos du recours aux précédents en général dans un ouvrage de doctrine, un commentaire qui s’applique également à l’analyse juridique comparative, [traduction] « [c]e n’est que dans les cas où l’affaire ne peut pas être aisément tranchée sur le fondement de précédents contraignants que des sources non contraignantes auront une incidence importante sur le jugement » (Good Judgment: Making Judicial Decisions (2018), p. 171).
[160]                     Ces sources ne témoignent pas d’un chauvinisme juridictionnel. Elles expriment plutôt une attitude de prudence et de retenue disciplinée dans le déploiement de l’analyse comparative dans les jugements, et ce, pour une bonne raison. S’inspirer de sources externes alors qu’il n’est pas nécessaire de le faire ne peut que conduire à compliquer une matière simple, introduisant ainsi de l’incertitude dans un domaine du droit bien établi jusque‑là (Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 53, [2004] 3 R.C.S. 95, par. 56, citant J.‑L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (6e éd. 2003), p. 193). Même une chose d’apparence aussi anodine qu’un changement de la terminologie utilisée pour décrire une notion — par exemple, le recours par les juges majoritaires au mécanisme civiliste de l’abus de droit et ses renvois à l’exercice fautif d’un droit — peut avoir des conséquences juridiques considérables, ayant une incidence sur la cohérence et la stabilité du système juridique ainsi modifié. La langue elle‑même, après tout, joue « un rôle crucial dans l’évolution du droit » (Bastarache, p. 18; voir aussi Lundmark, p. 74‑86).
[161]                     Ceci n’est pas pure spéculation. L’incorporation apparemment anodine de la terminologie du droit civil dans des jugements en common law a déjà produit précisément ce genre d’instabilité. Une confusion considérable dans la common law relative à l’enrichissement injustifié a pris naissance au Canada dans les années 1970, après l’introduction de la terminologie civiliste d’« absence de motif juridique à l’enrichissement », comme si cela était synonyme de l’exigence traditionnelle de l’élément « sans cause » qui avait été [traduction] « profondément enraciné » depuis l’arrêt du lord Mansfield dans Moses c. Macferlan (1760), 2 Burr. 1005, 97 E.R. 676 (K.B.) (M. McInnes, « The Reason to Reverse: Unjust Factors and Juristic Reasons » (2012), 92 B.U.L. Rev. 1049, p. 1052 et 1054). Comme l’explique le professeur McInnes,
                        [traduction] . . . sans discussion ni explication, la Cour suprême du Canada s’est mise à employer la terminologie civiliste (c.‑à‑d. « l’absence de motif juridique à l’enrichissement ») tout en continuant à appliquer les éléments « sans cause » traditionnels. Comme on pouvait s’y attendre, le droit canadien de l’enrichissement injustifié est devenu encore plus confus alors que la cour disait une chose et en faisait une autre. [Notes en bas de bas omises; p. 1056.]
[162]                     Le résultat a été — et c’est là un euphémisme — déstabilisant, comme on pouvait s’y attendre. S’il est vrai que les systèmes juridiques occidentaux sont appelés à traiter des mêmes types de différends, ils ont chacun élaboré, au fil des siècles, différentes façons de les régler. Le résultat se compare à deux énormes casse‑tête qui couvrent le même espace. De loin, ils ont sensiblement le même aspect, mais, de près, il devient évident que les pièces des casse‑tête sont taillées différemment, de sorte que celles de l’un ne peuvent pas s’imbriquer (ou, du moins, s’imbriquer facilement) dans l’autre. Et il en fut ainsi lorsque l’on a commencé à parler de « motif juridique » en common law canadienne relative à l’enrichissement injustifié. Des courants jurisprudentiels divergents continuaient à appliquer la règle de common law qui exigeait l’élément « sans cause », tandis que dans d’autres jugements, les tribunaux ont attribué de l’importance, sur le plan juridique, à l’introduction de la terminologie civiliste — à savoir qu’ils [traduction] « ont pris la terminologie civiliste au pied de la lettre et ordonné la restitution lorsque les défendeurs ne pouvaient justifier la conservation de leurs enrichissements » (McInnes, p. 1056 (note en bas de page omise)). En définitive, il a fallu que notre Cour règle la question dans Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629, ce qu’elle a fait en précisant que le terme civiliste « motif juridique » s’appliquait. Toutefois, survenant même plusieurs décennies après qu’ait pris naissance l’incertitude, force est de reconnaître que cette confirmation du virage terminologique en question vers le droit civil a elle‑même engendré une instabilité substantielle dans l’administration de la common law :
                    D’un coup, il a fallu que les avocats et les juges modifient fondamentalement leur conception de l’injustice. La responsabilité se rattache maintenant à l’absence de tout motif justifiant la conservation par le défendeur, plutôt qu’à la présence de motif justifiant le recouvrement par le demandeur. La transition ne s’est pas faite sans heurt, et il faudra plusieurs années avant que la pratique retrouve le niveau d’uniformité et de certitude auquel les plaideurs sont en droit de s’attendre d’un système juridique mûr. [Italique dans l’original.]
                    (McInnes, p. 1057)
[163]                     Cela ne veut pas dire que l’arrêt Garland est mal fondé, ou que sa tendance civiliste a pour effet en quelque sorte de miner sa valeur de précédent en common law relative à l’enrichissement injustifié. Je veux plutôt souligner qu’il peut y avoir un fort prix à payer — généralement par les avocats formés dans un seul des systèmes et par leurs clients — lorsque des notions juridiques externes sont introduites par la voie d’un jugement portant sur une question de droit purement interne. C’est ce qui explique la retenue dont la Cour a fait preuve (jusqu’à maintenant) en introduisant des notions juridiques externes dans un jugement seulement en cas de nécessité — c’est‑à‑dire pour combler une lacune lorsque le droit interne ne fournissait pas de réponse, ou lorsque cela était nécessaire pour modifier ou autrement préciser une règle de droit existante. Dans de telles circonstances, il se peut fort bien que d’autres systèmes de droit révèlent d’éventuelles solutions que n’aurait pas dévoilées un examen par la lorgnette étroite du droit interne (Zweigert et Kötz, p. 17‑20; voir aussi Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., 1992 CanLII 105 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 1021, p. 1140‑1147 (la juge McLachlin, plus tard juge en chef)). C’est ce que nous voulons dire lorsque nous affirmons que les deux systèmes juridiques du Canada peuvent servir de sources « d’inspiration » (Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214, par. 38).
[164]                     Nous pouvons également nous inspirer de l’expérience d’autres systèmes juridiques pour nous aider dans nos délibérations lorsqu’il s’agit de savoir si la solution éventuelle repérée à une question juridique entraînera des conséquences néfastes. De fait, tel a été le recours limité de la Cour au droit québécois (de même qu’au droit des É.‑U.) dans Bhasin, par. 83‑85, Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543, par. 34, et Norsk, p. 1174‑1175 (le juge Stevenson, motifs concordants). De même, la Cour note parfois qu’un concept juridique élaboré dans un système, en utilisant des sources internes, est à l’image d’un concept reconnu par un autre système (Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Syndic de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855, par. 138 (juge en chef McLachlin, dissidente en partie); Kingstreet Investments Ltd. c. New Brunswick (Finance), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3, par. 41; St. Lawrence Cement Inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392, par. 76‑79; voir aussi Sport Maska Inc. c. Zittrer, 1988 CanLII 68 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 564, p. 570 (juge Beetz, motifs concordants)). Lorsqu’on y a recours de cette façon, les sources comparatives servent de fondement pour rassurer, du fait que d’autres systèmes juridiques en sont arrivés à des conclusions similaires.
[165]                     Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Il n’y a ici aucune lacune à combler et aucune règle de common law interne à préciser (ou même « à clarifier »). Aux fins de ce que les juges majoritaires décrivent comme un « dialogue » entre le droit civil et la common law, ils se servent plutôt de l’abus de droit, un mécanisme de droit civil, pour réaliser une analyse qui, je le répète, n’est ni nécessaire pour trancher le pourvoi, ni utile puisqu’elle rend le droit confus. De plus, la présente affaire fait entrer en jeu une question — la place de la bonne foi en droit des contrats — à l’égard de laquelle les systèmes canadiens de common law et de droit civil ont adopté des approches très différentes — chacune étant autonome et ni l’une ni l’autre n’étant intrinsèquement supérieure à l’autre (voir, généralement, R. Jukier, « Good Faith in Contract: A Judicial Dialogue Between Common Law Canada and Québec » (2019), 1 Journal of Commonwealth Law 83). Comme l’a souligné l’hon. Louis LeBel :
                        Le maintien de la spécificité des deux traditions juridiques dans le domaine de la bonne foi témoigne de l’importance que la Cour attache au respect de leur autonomie conceptuelle. Le dialogue engagé entre les deux systèmes reste encadré par une attitude judiciaire qui, généralement aujourd’hui, entend l’importance et les qualités des grandes traditions juridiques qui forment le bijuridisme canadien.
                    (« Les cultures de la Cour suprême du Canada : vers l’émergence d’une culture dialogique? », dans J.‑F. Gaudreault‑DesBiens et al., dir., Convergence, concurrence et harmonisation des systèmes juridiques (2009), 1, p. 15)
[166]                     De fait, le traitement distinct de la bonne foi dans les systèmes de common law et de droit civil respectivement s’explique logiquement. Comme le fait remarquer la professeure Valcke, la common law s’appuie également sur d’autres concepts, notamment sur la doctrine d’equity que constitue la préclusion, pour arriver à des résultats semblables à ceux de la doctrine de la bonne foi (« Bhasin v Hrynew: Why a General Duty of Good Faith Would Be Out of Place in English Canadian Contract Law » (2019), 1 Journal of Commonwealth Law 65, p. 77). À un niveau plus général, la common law et le droit civil s’appuient sur des conceptions distinctes de ce que sont les droits (legal rights) (H. Dedek, « From Norms to Facts: The Realization of Rights in Common and Civil Private Law » (2010), 56 McGill L.J. 77, p. 79‑81) et du rôle de l’État dans l’atténuation des effets de marchés draconiens (M. Pargendler, « The Role of the State in Contract Law: The Common‑Civil Law Divide » (2018), 43 Yale J. Intl. L. 143, p. 179).
[167]                     Je reconnais que les juges majoritaires parlent des « raisons particulières de faire preuve de prudence en entreprenant l’exercice comparatif que Callow nous invite à mener en l’occurrence » (par. 70). Cependant — et encore une fois, je le souligne, dans un domaine de la common law qui ne comporte aucune lacune à combler, ou qui n’a nul besoin d’être précisé —, en appliquant comme ils le font la doctrine civiliste de l’« abus de droit », ils font fi de toute prudence, ils portent atteinte au caractère indépendant de la doctrine existante de bonne foi — que l’arrêt Bhasin a soigneusement conservé — et ils adoptent, du moins implicitement, la règle généralement applicable que notre Cour a rejetée dans cet arrêt.
[168]                     En termes clairs, la méthodologie comparative qu’adoptent les juges majoritaires n’est pas superfétatoire. En effet, l’appliquer est en soi leur unique objectif. Les juges majoritaires appliquent la doctrine de l’abus de droit pour « faire porter l’analyse de la question de savoir s’il a eu manquement à l’obligation d’exécution honnête en common law sur ce que l’on pourrait appeler l’exercice fautif d’un droit contractuel » (par. 63). Ils citent le droit civil québécois au soutien de la proposition voulant « qu’aucun droit contractuel ne [puisse] être exercé de façon abusive » (par. 67). Ceci nous amène à une autre raison pour laquelle il n’est pas souhaitable d’appliquer une méthodologie comparative en l’espèce, ce qui m’oblige à m’exprimer sans détour. Les passages des motifs des juges majoritaires que je viens de citer, voire la notion même d’« abus de droit », ne diront rien à la vaste majorité des avocats et des juges de common law et seront pour eux dénués de sens, voire incompréhensibles. Pourtant, la plupart d’entre eux présumeront raisonnablement — comme plusieurs l’ont fait lorsque le terme « motif juridique » est entré dans le lexique de la common law en matière d’enrichissement injustifié — qu’une raison d’ordre juridique justifie de recourir ici à ces notions, et qu’ils doivent donc se familiariser avec elles ou obtenir de l’aide d’une ressource qualifiée dans les deux systèmes juridiques afin de représenter leurs clients ou de rendre jugement de façon compétente. À tout le moins, les avocats de common law qui appliquent les notions de common law en cause ici devront sans doute avoir le Code civil du Québec en tête, à l’instar des juges majoritaires. La manière dont ces avocats et juges acquerront les connaissances nécessaires et la mesure dans laquelle ils devront le faire demeurent inexpliquées.
[169]                     Il ne s’agit pas de préoccupations futiles et, sur ce point, il y a une certaine réalité que nous devons garder à l’esprit. Dans la plupart des provinces, peu d’avocats et de juges de common law ont une connaissance suffisante du français pour lire les sources de droit civil portant sur l’abus de droit. En outre, parmi ceux et celles qui ont cette connaissance, un plus petit nombre encore ont une formation en droit civil lui permettant d’en comprendre la substance.
[170]                     J’admets que je ne suis pas en mesure d’exprimer un point de vue sur le bien‑fondé de la déclaration des juges majoritaires selon laquelle ceux‑ci, ou la Cour, engagent un « dialogue » entre les systèmes juridiques de droit civil et de common law. De fait, la signification d’un tel « dialogue » ne m’apparait pas évidente dans le contexte de l’exécution de nos fonctions judiciaires. En acceptant cependant que mes collègues se considèrent eux‑mêmes comme prenant part à un tel dialogue, je suggère avec le plus grand respect qu’ils ne le fassent pas aux dépens de ceux qui doivent connaître, comprendre et appliquer un aspect d’un de ces systèmes juridiques que les juges majoritaires rendent maintenant opaques. En somme, leur digression inutile sur des concepts juridiques externes créera des difficultés pratiques sur le terrain en rendant la common law qui régit les relations contractuelles moins compréhensible, et donc moins accessible à ceux qui doivent la connaître, accroissant ainsi les coûts pour tous les intéressés. À une époque où plusieurs cherchent à éliminer de vieux obstacles qui nuisent à l’accès à la justice, je n’en érigerais pas de nouveaux sous la forme d’un langage juridique qui ressemble peu — voire pas du tout — à celui qui correspond à la formation et à l’expérience acquises par ceux et celles qui aident les citoyens à s’y retrouver dans le système judiciaire.
[171]                     Même dans les situations où une analyse comparative est appropriée, il faut garder à l’esprit l’analogie du casse‑tête. Il n’est tout simplement pas vrai que « la common law et le droit civil représentent [. . .] des manières distinctes de connaître le droit » (motifs du juge Kasirer, par. 71 (je souligne)). Il ne s’agit pas de différentes théories du droit, mais bien de systèmes de droit différents. Et puisque les règles de droit doivent provenir du système dans lequel elles s’appliqueront, l’analyse comparative doit être entreprise avec soin et circonspection. La déclaration de notre Cour dans Caisse populaire des Deux Rives, à la p. 1004, est à propos :
                        . . . [la] similarité apparente des règles fondamentales ne doit cependant pas nous faire oublier que les tribunaux se doivent d’assurer au droit des assurances un développement qui reste compatible avec l’ensemble du droit civil québécois, dans lequel il s’insère. Ainsi, si les arrêts de juridictions étrangères, nommément l’Angleterre, les États‑Unis et la France, peuvent avoir un certain intérêt lorsque le droit y est fondé sur des principes similaires, il n’en reste pas moins que le droit civil québécois a ses racines dans des préceptes qui lui sont propres et, s’il peut être nécessaire de recourir au droit étranger dans certains cas, on ne saurait y puiser que ce qui s’harmonise avec son économie générale. [Je souligne.]
[172]                     La directive voulant que l’élaboration du droit civil doive être compatible avec le droit civil québécois dans son ensemble s’applique avec autant de force lorsqu’il s’agit d’examiner d’éventuelles modifications de la common law. Pour maintenir le caractère distinct de chacun des systèmes juridiques du Canada, il faut les administrer chacun suivant son propre ensemble de règles et en renvoyant à ses propres précédents (Colonial Real Estate Co. c. La Communauté des Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal (1918), 1918 CanLII 82 (SCC), 57 R.C.S. 585, p. 603; voir aussi J. Dainow, « The Civil Law and the Common Law: Some Points of Comparison » (1967), 15 Am. J. Comp. L. 419, p. 434‑435). Il s’ensuit que tout apport d’un autre système juridique ne doit être incorporé que dans la mesure où il respecte la structure interne et les principes directeurs du système juridique qui l’adopte (F. Allard, La Cour suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme (2001), p. 9). En fin de compte, lorsqu’on a recours aux préceptes d’un des systèmes juridiques du Canada pour modifier l’autre, la règle d’or consiste en ce que la solution proposée doit être capable de s’intégrer complètement et de façon cohérente dans la structure du système qui les adopte (J.‑L. Baudouin, « Systèmes de droit mixte : un modèle pour le 21e siècle ? » (2003), 63 La. L. Rev. 983, p. 1000).
[173]                     Cet élément revêt un intérêt pratique en l’espèce. Incorporer de force sur le plan analytique à la common law le concept civiliste d’abus de droit relativement à la résiliation d’un contrat n’est pas la mince affaire que semblent supposer les juges majoritaires. Il en est ainsi parce que l’obligation de bonne foi en droit civil impose des obligations plus contraignantes à la partie qui résilie le contrat qu’elle ne le fait en common law. La Cour d’appel du Québec a expliqué le concept d’abus de droit dans le contexte de la résiliation d’un contrat de la façon suivante :
                    Jusqu’à présent, les tribunaux ont parfois sanctionné l’abus de droit en cas de malice. Cependant, ils ont aussi sanctionné la résiliation unilatérale par le distributeur pour des motifs jugés étrangers à l’esprit de la clause de résiliation discrétionnaire, ou encore lorsque la résiliation avait été intempestive, c’est‑à‑dire sans aucun motif valable, ou sans préavis ou en l’absence d’indice annonciateur. Cette jurisprudence illustre bien la « moralisation » des rapports contractuels par la doctrine de l’abus de droit : car il ne suffit pas de résilier un contrat dans la stricte légalité (selon le texte d’une clause de résiliation), encore faut‑il le faire de façon légitime. [Je souligne.]
                    (Birdair inc. c. Danny’s Construction Company Inc., 2013 QCCA 580, par. 131 (CanLII), citant J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (6e éd. 2005), par P.‑G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, par. 125)
[174]                     Même si nous devions nous imaginer que c’est en fait le recours à la clause de résiliation qui a mené en l’espèce au manquement à l’obligation d’exécution honnête du contrat ⸺ ce qui n’est pas le cas, comme je l’expliquerai plus loin ⸺, l’arrêt Bhasin énonce clairement qu’il n’y a pas d’obligation de divulgation de renseignements ou d’intentions en lien avec la résolution d’un contrat découlant de l’obligation en common law d’agir de bonne foi. Cependant, suivant le principe de droit civil invoqué par les juges majoritaires, résilier un contrat sans divulguer l’intention de le faire peut constituer un abus de droit. Bien que les juges majoritaires reconnaissent qu’ils « ne [s]e fonde[nt] pas sur le droit civil en l’espèce pour les règles spécifiques qui régiraient une demande similaire au Québec » (par. 73), cela tend à confirmer à quel point leur analyse comparative est inappropriée en l’espèce. Soit ils se fondent sur une version tronquée et donc déformée du cadre d’analyse de l’abus de droit de droit civil, soit ils ouvrent la porte à des « clarifications » futures (ce qui minerait encore plus l’intégrité de l’obligation d’exécution honnête en common law telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Bhasin). Par conséquent, le renvoi par les juges majoritaires au concept d’abus de droit soulève en soi plus de questions qu’il ne prétend en régler.
[175]                     Pour tous ces motifs, je suis d’avis qu’il n’est pas approprié de renvoyer à la doctrine de l’abus de droit ni de s’appuyer sur elle en l’espèce. Le présent pourvoi invite notre Cour à simplement appliquer l’obligation d’exécution honnête, sans plus. Transplanter la doctrine de l’abus de droit dans le contexte de la common law est non seulement inutile en l’espèce, mais le faire sans renvoyer au contexte plus large dans lequel la bonne foi s’applique en common law causera beaucoup d’incertitude.
(2)         L’exercice fautif d’un droit
[176]                     Le fait que les juges majoritaires se fondent sur la notion d’abus de droit en droit civil me mène à une critique finale sur le fond : en mettant l’accent sur l’exercice fautif d’un droit, ils faussent l’analyse décrite dans l’arrêt Bhasin et gomment la distinction entre l’exécution honnête et la bonne foi dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel.
[177]                     L’élément essentiel d’une demande fondée sur l’exécution honnête est qu’une partie a fait des déclarations malhonnêtes concernant l’exécution du contrat qui sont à l’origine d’une perte pour l’autre partie. Ce n’est pas qu’un droit a été exercé de manière fautive, abusive ou même malhonnête. En l’espèce, par exemple, la plainte repose sur la conduite trompeuse de Baycrest qui a précédé le recours à la clause de résiliation. En se fiant aux déclarations trompeuses de Baycrest, Callow a raté l’occasion de présenter des soumissions en vue d’obtenir d’autres contrats. Ce recours à la clause de résiliation n’est donc pertinent que dans la mesure où il a fait l’objet de la déclaration inexacte.
[178]                     Certes, dans l’arrêt Bhasin, le juge Cromwell a affirmé que le défendeur avait manqué à l’obligation d’exécution honnête lorsqu’il « n’a pas agi honnêtement envers [le demandeur] en recourant à la clause de non‑renouvellement » (par. 103). Toutefois, cette formulation reflète la conclusion de la juge de première instance portant que le défendeur [traduction] « a agi malhonnêtement envers M. Bhasin en recourant à la clause de non‑renouvellement » (Bhasin c. Hrynew, 2011 ABQB 637, 526 A.R. 1, par. 261, cité dans Bhasin, par. 94). Ailleurs, le juge Cromwell a exprimé clairement que le manquement reposait sur le fait que « [la défenderesse] n’a pas exécuté honnêtement le contrat conclu avec [le demandeur], plus particulièrement en ce qui concerne ses intentions arrêtées quant au renouvellement » (par. 108). Cela reflète le cadre d’analyse général qu’il décrit, c.‑à‑d. que l’obligation d’exécution honnête est « une simple exigence faite à une partie de ne pas mentir à l’autre partie ni de la tromper au sujet de l’exécution de ses obligations contractuelles » (par. 73).
[179]                     Il importe d’assurer la précision analytique concernant la source du manquement ⸺ la malhonnêteté qui a précédé la résiliation, et non la résiliation en tant que telle ⸺ pour deux raisons. Premièrement, une violation de l’obligation d’exécution honnête peut découler de nombreux aspects de l’exécution. La règle générale énoncée dans l’arrêt Bhasin fournit une norme claire qui peut être appliquée dans différents contextes, notamment aux faits du présent pourvoi. Il n’y a aucun avantage à élaborer une analyse distincte qui répond de façon étroite à la malhonnêteté à l’égard de l’exercice d’un droit contractuel. Cela ne ferait que rendre le droit plus confus et difficile à appliquer.
[180]                     Deuxièmement, la source du manquement établit une distinction entre l’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi. Comme je l’ai mentionné précédemment, en présence d’une allégation de manquement à la seconde de ces obligations, l’analyse se concentre sur la question de savoir si le défendeur avait le droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme il l’a fait. En concentrant plutôt l’analyse de l’exécution honnête sur la manière dont un droit a été exercé, les juges majoritaires brouillent les frontières entre ces deux obligations distinctes. De fait, ils affirment que « l’obligation d’exécution honnête partage une méthodologie avec l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de nature contractuelle de bonne foi en se concentrant, du moins dans les circonstances comme celles dont nous sommes saisies, sur l’exercice fautif d’une prérogative contractuelle » (par. 51).
[181]                     Nous sommes liés par l’arrêt Bhasin et devons traiter l’obligation d’exécution honnête comme étant conceptuellement distincte de l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi (Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, par. 65). Il ne s’agit pas simplement d’une question de stare decisis et d’évolution progressive du droit (bien qu’il s’agisse à tout le moins de ces deux choses); il existe également une crainte d’ordre pratique que le traitement flou et ambigu de ces deux obligations ait une incidence considérable sur ce qu’il advient pour les parties contractantes. Contrairement à ce que laissent entendre les juges majoritaires, la faute en cause dans chaque catégorie de cas est distincte, et les dommages‑intérêts pouvant être accordés diffèrent en conséquence. La réparation accordée pour une violation de l’obligation d’exécution honnête se rapporte à l’effet de la malhonnêteté. En revanche, celle accordée pour un manquement à l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi se rapporte à l’effet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire comme tel. Considérer ces deux obligations comme relevant de « l’exercice fautif d’un droit contractuel » obscurcit ces distinctions et représente donc un écart malencontreux par rapport à l’arrêt Bhasin.
IV.         Conclusion
[182]                     Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la décision de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la juge de première instance, avec dépens devant notre Cour et devant les juridictions inférieures.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    La juge Côté —
[183]                     Que signifie tromper activement son cocontractant dans le contexte d’un droit contractuel de résilier un contrat sans motif? Où tracer la ligne entre conduite malhonnête et non‑divulgation légitime de l’intention de mettre fin à un contrat? Une partie à un contrat doit‑elle dissuader l’autre de nourrir des espoirs quant à la poursuite de leur relation d’affaires? Telles sont les questions soulevées par le pourvoi.
[184]                     En l’espèce, les intimées (« Baycrest ») ont négocié un droit de résilier leur contrat à tout moment et pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus moyennant un préavis de dix jours. Baycrest a pris la décision de résilier, mais elle a choisi d’attendre avant d’envoyer le préavis, car elle ne voulait pas compromettre l’exécution des autres travaux effectués par l’appelante (« Callow », référant de manière interchangeable soit à l’entreprise C.M. Callow Inc., soit à son dirigeant, M. Christopher Callow). Entre‑temps, Baycrest a appris que son cocontractant entretenait des espoirs de renouvellement, bien qu’aucune de ses paroles ou actions n’ait pu y contribuer de façon significative. Baycrest n’a rien fait pour dissiper ces espoirs; une telle conduite n’est peut‑être pas louable, mais elle ne tombe pas dans la catégorie de la « conduite malhonnête » prohibée par l’obligation contractuelle d’exécution honnête.
I.               Question en litige
[185]                     Mes deux collègues semblent s’entendre sur les propositions suivantes.
[186]                     En premier lieu, la présente affaire ne porte que sur l’obligation d’exécution honnête et non sur l’obligation d’exercer des pouvoirs discrétionnaires de bonne foi (ces deux obligations ont été distinguées dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 47, 50 et 72‑73).
[187]                     En deuxième lieu, l’obligation d’exécution honnête « signifie simplement que les parties ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat » (Bhasin, par. 73).
[188]                     En troisième lieu, les parties n’ont pas d’obligation de divulguer des renseignements ni leur intention quant à la résiliation du contrat (Bhasin, par. 73 et 87).
[189]                     En quatrième lieu, il n’est pas nécessaire d’élargir la common law en reconnaissant une nouvelle obligation de bonne foi destinée à encadrer la « non‑divulgation intentionnelle ».
[190]                     Je comprends que nous nous entendons tous sur ces prémisses. Dûment formulée, la question en litige porte donc sur la distinction évoquée dans l’arrêt Bhasin (par. 73 et 86‑87) entre la tromperie active et la non‑divulgation légitime. Dans le contexte de la présente affaire, il s’agit de savoir si Baycrest a menti à Callow ou l’a intentionnellement induit à croire à tort qu’elle ne risquait pas d’exercer son droit à la résiliation du contrat hivernal pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. La réponse est non.
[191]                     Avant d’entreprendre mon analyse, je tiens à mentionner que je souscris à l’essentiel des observations du juge Brown dans la mesure où elles se rapportent au rôle des notions juridiques externes. Le juge Kasirer affirme au paragraphe 44 de ses motifs qu’« [i]l n’est pas nécessaire d’étendre la portée de la règle de droit énoncée dans l’arrêt Bhasin » pour trancher la présente affaire. Toutefois, il se lance ensuite, et je le dis avec égards, dans une comparaison inutile entre le droit civil et la common law sous un prétexte de « dialogue ». Je suis perplexe quant aux avantages d’un tel « dialogue » dans un cas comme celui‑ci où il n’y a pas lieu de combler une lacune dans la common law ni de modifier l’une ou l’autre de ses règles. Je ne vois pas pourquoi nous devrions adopter cette approche arbitraire, imprévisible et dont les bénéfices sont loin de sauter aux yeux.
[192]                     Cela dit, je crois que l’état actuel de la common law ne permet pas d’arriver au résultat auquel parviennent mes collègues. Je crains que l’inutile débat sur les exercices de droit comparé n’ait détourné l’attention des faits de cette affaire tels qu’ils sont.
II.            La portée de l’obligation d’exécution honnête
A.           Le contexte dans lequel l’obligation a été créée
[193]                     Dans l’arrêt Bhasin, la Cour a accepté à l’unanimité de créer une obligation contractuelle d’exécution honnête, une « nouvelle obligation en common law au sein du vaste principe directeur de l’exécution de bonne foi des contrats » (par. 72). Le juge Cromwell a souligné qu’il ne s’agissait que d’une « étape modeste élaborée de façon progressive » (par. 73; voir aussi les par. 82 et 89), l’obligation d’exécution honnête étant une « norme minimale » (par. 74).
[194]                     De l’avis du juge Cromwell, la nouvelle obligation ne « porte[rait] [que] très peu atteinte à la liberté contractuelle » (par. 76), si peu qu’il estimait que la possibilité d’une telle atteinte était « plus théorique que concrète » (par. 81). Au sujet du principe directeur de bonne foi dont l’obligation est issue, le juge Cromwell a affirmé ce qui suit :
                        Il convient d’appliquer le principe de la bonne foi d’une manière conforme aux engagements fondamentaux du droit des contrats en common law, lequel accorde généralement beaucoup de poids à la liberté des parties contractantes dans la poursuite de leur intérêt personnel. En matière commerciale, une partie peut parfois causer une perte à une autre partie — même de façon intentionnelle — dans la poursuite légitime d’intérêts économiques personnels [. . .] L’évolution du principe de la bonne foi doit éviter clairement de se transformer en une forme de moralisme judiciaire ponctuel ou en une justice au cas par cas. Plus particulièrement, le principe directeur de bonne foi ne devrait pas servir de prétexte à un examen approfondi des intentions des parties contractantes. [par. 70]
[195]                     Le juge Cromwell a également exprimé certaines préoccupations relatives à la clarté des exigences imposées par la nouvelle obligation, à son effet sur la stabilité des contrats et aux conséquences pratiques de celle‑ci (par. 59, 66, 70‑71, 73, 79‑80 et 86‑87). Il s’est efforcé d’expliquer ce que la nouvelle obligation n’était pas :
                        L’obligation d’exécution honnête que je propose ne devrait pas être confondue avec l’obligation de divulgation ni avec celle de loyauté qui incombe au fiduciaire. Une partie contractante n’est pas généralement tenue de subordonner ses intérêts à ceux de l’autre partie. [Je souligne; par. 86.]
[196]                     Passant à une description positive, il a souligné que l’obligation d’exécution honnête était « une simple exigence » de ne pas se mentir ni de s’induire intentionnellement en erreur sur des questions directement liées à l’exécution du contrat (par. 73).
[197]                     L’obligation faite aux parties de ne pas se mentir ne nécessite aucun commentaire. Reste à savoir quel type de conduite relève de l’obligation de ne pas s’induire intentionnellement en erreur. Étant donné l’absence d’une obligation de divulguer des renseignements, il est difficile de déterminer à partir de quand le silence d’une partie induira intentionnellement l’autre partie en erreur. Devons‑nous faire des distinctions subtiles entre un « simple silence » et d’autres types de silence, comme le propose le juge Brown? Si tel est le cas, je me demande comment les parties contractantes — à qui, je le répète, le droit n’impose pas de « devoir de loyauté ou de divulgation » ni d’obligation de « renonce[r] à des avantages découlant du contrat » (Bhasin, par. 73) — comment les parties contractantes, donc, sont censées savoir à quel moment un silence acceptable se transforme en un silence inacceptable susceptible de constituer une violation de contrat. En toute déférence, je ne crois pas que ce genre de casuistique soit compatible avec la « simple exigence » qu’entendait énoncer le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin.
[198]                     Selon le juge Cromwell, « il est possible d’établir une nette distinction entre l’omission de déclarer un fait important, même s’il s’agit de la ferme intention de mettre fin à un contrat, et la conduite malhonnête » (par. 86 (je souligne)). Plus loin, il ajoute : « L’arrêt United Roasters indique clairement qu’il n’existe pas d’obligation unilatérale de divulgation de renseignements lorsqu’il s’agit de mettre fin au contrat. Or, la situation est assez différente, à mon avis, lorsqu’il s’agit d’induire en erreur ou de tromper activement l’autre partie contractante au sujet de l’exécution du contrat » (par. 87 (je souligne)). Il y a lieu de prendre ces propos au pied de la lettre, car l’obligation d’exécution honnête doit demeurer « claire et d’application simple » (par. 80).
B.            La non‑divulgation légitime
[199]                     Il faut garder à l’esprit que toutes les obligations découlant de l’exécution honnête sont « négatives » (P. Daly, « La bonne foi et la common law : l’arrêt Bhasin c. Hrynew », dans J. Torres‑Ceyte, G.‑A. Berthold et C.‑A. M. Péladeau, dir., Le dialogue en droit civil (2018), 89, p. 101‑102; voir également les motifs du juge Kasirer, par. 86). Étendre davantage la portée de l’obligation d’exécution honnête « écartera[it] [. . .] la stabilité des opérations commerciales » (Bhasin, par. 80).
[200]                     Par conséquent, le silence ne saurait être considéré comme malhonnête au sens de l’arrêt Bhasin, à moins qu’il n’y ait une obligation positive de parler. Or, une telle obligation ne naît pas du seul fait qu’une partie au contrat s’aperçoit que son cocontractant agit sur le fondement d’une croyance erronée.
[201]                     En l’absence d’une obligation de divulgation, c’est‑à‑dire en l’absence d’une obligation positive et indépendante découlant de l’exécution honnête, une partie à un contrat ne saurait être tenue de corriger la croyance erronée de son cocontractant à moins d’y avoir contribué de façon significative par sa conduite (voir, dans un contexte différent, T. Buckwold, « The Enforceability of Agreements to Negotiate in Good Faith: The Impact of Bhasin v. Hrynew and the Organizing Principle of Good Faith in Common Law Canada » (2016) 58 Rev. can. dr. comm. 1, p. 12‑13).
[202]                     Pour déterminer si une contribution est significative, il faudra bien entendu examiner le contexte, y compris la nature de la relation entre les parties (voir les motifs du juge Brown, par. 133), de même que les dispositions contractuelles pertinentes. Mais la raison sous‑jacente à cette exigence est d’ordre pratique et tient compte de l’importance que l’arrêt Bhasin accorde aux attentes commerciales (par. 1, 34, 41, 60 et 62) : les parties qui préfèrent ne pas divulguer certains renseignements — comme cela leur est permis — ne sont pas tenues d’adopter une nouvelle ligne de conduite dans leur relation contractuelle simplement parce que le silence leur a paru préférable à la parole.
[203]                     La common law ne saurait d’une part, permettre aux parties contractantes de ne pas divulguer des renseignements, mais anéantir cette possibilité, d’autre part, en imposant à ces parties une norme de conduite irréconciliable avec les attitudes spontanées — évasives et équivoques — prises quand, au détour d’une conversation, elles se trouvent confrontées à cela même qu’elles souhaitent s’abstenir de divulguer.
[204]                     Certes, les parties qui font un tel choix doivent être circonspectes dans leurs paroles comme dans leurs actions, surtout si elles apprennent que leur cocontractant agit sur le fondement d’une croyance erronée; mais elles ne devraient pas pour autant être tenues de se comporter comme si chacun de leurs gestes était scruté à la loupe à titre de cause possible de cette croyance erronée. Une telle exigence serait inacceptable.
[205]                     Dans le contexte d’un droit contractuel de résilier un contrat sans motif, cela signifie qu’une partie désireuse de mettre fin à une entente n’a pas besoin de transmettre de signaux d’alerte pour amener son cocontractant à comprendre que leur relation d’affaires est en danger. S’il n’y a pas d’obligation de divulgation, c’est qu’il n’y en a pas, un point c’est tout.
[206]                     Ainsi, le fait qu’une partie soit consciente de la croyance erronée de son cocontractant ne suffira pas à donner naissance à une obligation de divulgation, à moins que cette partie n’ait posé un acte concret qui a contribué à cette croyance de façon significative. Cet acte concret et cette croyance erronée doivent tous les deux se rapporter à l’exécution contractuelle; autrement, il serait difficile de prétendre qu’une partie a « [. . .]indui[t] intentionnellement [l’autre] en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat » (Bhasin, par. 73).
[207]                     En somme, la « norme minimale » d’honnêteté qu’impose l’obligation d’exécution honnête doit cadrer avec les autres principes énoncés dans l’arrêt Bhasin. Elle doit aussi être réaliste et non exagérément formaliste. En l’absence d’une obligation de divulgation, une partie ne saurait être tenue d’empêcher son cocontractant de persister dans une croyance erronée. Cela ne veut pas dire qu’elle peut susciter ou renforcer une telle croyance par des déclarations ou des actes concrets d’une importance non négligeable. Une partie a l’obligation de corriger la croyance erronée de son cocontractant si elle y a contribué de façon significative par sa propre conduite.
III.         Analyse
[208]                     Callow et Baycrest ont conclu deux contrats de deux ans : un contrat hivernal visant principalement des services de déneigement pour la période allant du 1er novembre 2012 au 30 avril 2014, et un contrat de services d’entretien estival pour la période allant du 1er mai 2012 au 31 octobre 2013. Le contrat hivernal, qui fait l’objet du présent litige, contenait la disposition suivante :
                    [traduction]
                    9. Si l’Entrepreneur [c.‑à‑d. Callow] ne rend pas des services satisfaisants à la Société [c.‑à‑d. Baycrest] conformément aux dispositions du présent Contrat et aux devis et conditions générales qui y sont joints, ou si, pour toute raison autre, les services de l’Entrepreneur ne sont plus requis pour les immeubles visés par le Contrat ou pour toute partie de ces immeubles, la Société peut résilier le présent contrat en donnant à l’Entrepreneur un préavis écrit de dix (10) jours, et dès la résiliation, toutes les obligations de l’Entrepreneur prendront fin et la Société paiera à l’Entrepreneur les sommes qui lui sont dues jusqu’à la date de résiliation. [Je souligne.]
 
                    (d.a., vol. III, p. 10)
[209]                     En mars ou avril 2013, Baycrest a décidé de résilier le contrat hivernal. Le 12 septembre 2013, elle a donné à Callow un préavis de résiliation de dix jours. Entre‑temps, Baycrest a appris que Callow exécutait gratuitement certains travaux d’aménagement paysager, étant sous l’impression que le contrat hivernal ne serait pas résilié (motifs de première instance, 2017 ONSC 7095, par. 48 (CanLII)).
[210]                     Étant donné ces circonstances, on comprend sans peine que Callow ait été [traduction] « stupéfait » par la résiliation. Selon ce que croyait Callow, [traduction] « s’il y avait un problème, il se serait attendu à ce que [Baycrest] le porte à son attention, comme [elle] l’avait fait par le passé » (motifs de première instance, par. 49). Certes, le comportement de Baycrest manquait de courtoisie et de considération. Toutefois, telle n’est pas la question en l’espèce. Il s’agit plutôt de savoir si Baycrest a contribué de façon significative à la croyance erronée de Callow que le contrat ne serait pas résilié. Dans l’affirmative, Baycrest avait l’obligation de corriger cette croyance erronée conformément à son obligation d’exécution honnête. Autrement, elle n’était pas tenue de divulguer quoi que ce soit.
[211]                     Devant notre Cour, Callow a reconnu qu’en concluant le contrat hivernal, il avait accepté le risque que Baycrest [traduction] « puisse résilier [le contrat] et divulguer sa décision à cet effet en ne donnant qu’un préavis écrit de dix jours » (transcription, p. 11; voir également les motifs de la C.A., 2018 ONCA 896, 429 D.L.R. (4th) 704, par. 14). À mon avis, les dispositions du contrat hivernal étaient telles que Callow aurait pu se retrouver exactement dans la situation où il se trouve à présent, et ce quelle que fût la conduite de Baycrest au cours du printemps et de l’été 2013. Une telle possibilité découlait nécessairement du contrat qu’il avait négocié.
[212]                     Pour l’essentiel, Callow prétend que la conduite de Baycrest l’a amené à croire que le contrat hivernal ne risquait plus d’être résilié, malgré le libellé clair de la clause de résiliation. Il insiste sur les éléments suivants :
                       
(1)   Baycrest a délibérément tenu sa décision secrète, parce qu’elle ne voulait pas compromettre l’exécution du contrat estival;
(2)   Baycrest s’est montrée satisfaite de ses services;
(3)   Il a eu des discussions avec M. Peixoto et M. Campbell relativement au renouvellement du contrat hivernal;
(4)   Baycrest a accepté ses travaux « bénévoles »;
(5)   Baycrest était au courant de sa croyance erronée.
[213]                     À mon avis, le pourvoi devrait être rejeté.
[214]                     L’analyse de la « tromperie active » par la juge de première instance relève d’une compréhension erronée du droit. Aucune considération n’a été accordée au fait que, pour constituer un manquement à l’obligation d’exécution honnête, la tromperie active doit être « directement li[ée] à l’exécution du contrat » (Bhasin, par. 73). Lors de son examen de la conduite de Baycrest, la juge de première instance n’a pas cherché à savoir si Baycrest avait « ment[i] [à Callow] ou [l’avait] autrement [induit] intentionnellement en erreur » au sujet de l’exercice de son droit à la résiliation du contrat hivernal pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. C’est pourquoi, par exemple, elle a insisté à tort sur la nécessité pour Baycrest « d’aborder les problèmes de rendement allégués » (par. 67) malgré le fait que le contrat hivernal pouvait être résilié même si les services rendus par Callow étaient satisfaisants.
[215]                     De plus, bien que la juge de première instance semble s’être souvenue de l’inexistence d’une obligation de divulgation (par. 60), elle a néanmoins conclu que Baycrest avait fait preuve de mauvaise foi en [traduction] « retenant l’information pour s’assurer de la bonne exécution du contrat de services d’entretien estival par Callow » (par. 65; voir aussi par. 76). Elle ne s’est jamais demandé si Baycrest avait, explicitement ou implicitement, dit ou fait quoi que ce soit qui aurait pu induire Callow à croire erronément que le contrat était à l’abri d’un risque de résiliation pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. À la lecture de l’ensemble des motifs de la juge de première instance, il est clair que les « déclarations » faites par Baycrest (par. 65, 67 et 76) n’étaient pas directement liées à l’exécution du contrat hivernal. En somme, la compréhension erronée par la juge de première instance des principes juridiques applicables a vicié le processus d’appréciation des faits.
[216]                     Baycrest avait négocié un droit de résilier son contrat hivernal pour toute raison et à tout moment, moyennant un préavis de dix jours. Son obligation d’exécution honnête ne la contraignait pas à renoncer à cet indéniable « avantag[e] découlant du contrat » (Bhasin, par. 73). Elle n’avait aucune obligation d’informer Callow de sa décision de procéder à la résiliation jusqu’au moment de transmettre le préavis de dix jours stipulé dans le contrat hivernal. Même après qu’elle eut pris connaissance de la croyance erronée de Callow, Baycrest n’avait pas l’obligation de refuser les travaux que celui‑ci a exécutés « bénévolement » de sa propre initiative, ni de corriger la croyance erronée qui l’animait. Une telle obligation n’aurait pris naissance que si Baycrest avait contribué de façon significative à cette croyance erronée en la suscitant ou en la renforçant. Considérant la preuve et les conclusions de la juge de première instance, je ne suis pas convaincue que Baycrest a agi ainsi.
[217]                     Je ne partage pas la lecture que fait mon collègue, le juge Kasirer, de certaines conclusions de fait tirées par la juge de première instance (par. 100). Ces conclusions, formulées de manière très générale, ne devraient pas être isolées du contexte global des motifs et de la preuve qui a été faite. Par exemple, mon collègue écrit que « M. Peixoto a fait des déclarations à M. Callow laissant entendre qu’un renouvellement du contrat d’entretien hivernal était probable » (par. 95) et il qualifie cela de « conclusion clef » (par. 96). Toutefois, la conclusion tirée par la juge de première instance se rapportait à ce que Callow pensait plutôt qu’à ce que Baycrest avait dit (motifs de première instance, par. 41), ce qui est très différent. De fait, comme je l’explique ci‑dessous, la preuve à l’appui de cette « conclusion clef » démontre que les idées de Callow au sujet du renouvellement du contrat hivernal n’avaient rien à voir avec ce que lui avait dit Baycrest.
[218]                     J’en viens maintenant à l’application aux faits de l’espèce des principes juridiques exposés ci‑avant.
A.           Les discussions sur le renouvellement
[219]                     Callow soutient que Baycrest a contribué de façon significative à sa croyance erronée en discutant d’un possible renouvellement. Cette question est au cœur du présent pourvoi. Il n’est pas contesté que le contrat hivernal, à la différence du contrat en cause dans l’arrêt Bhasin, ne prévoyait pas de renouvellement automatique; il ne prévoyait qu’un droit de résiliation. Comme il ne fait l’objet d’aucune stipulation du contrat hivernal, le renouvellement ne saurait se rapporter à « l’exécution [de ce] contrat » au sens de l’arrêt Bhasin. Pour que sa réclamation soit accueillie, Callow doit donc établir que le manquement à l’obligation d’exécution honnête concerne la résiliation du contrat.
[220]                     Mes deux collègues acceptent l’argument de Callow selon lequel on peut inférer, des discussions sur le renouvellement, qu’aucune menace de résiliation ne pesait sur le contrat hivernal. Je serais d’accord avec une telle proposition dans la situation suivante : si une partie amène l’autre à croire que leur contrat sera renouvelé, il s’ensuit que cette dernière peut raisonnablement s’attendre à ce que la relation d’affaires soit prolongée plutôt que résiliée. Toutefois, une inférence en ce sens ne peut être tirée dans l’abstrait. Pour conclure qu’une partie, par des discussions sur un renouvellement, a amené l’autre partie à penser qu’aucun risque de résiliation ne menaçait le contrat en vigueur, le processus inférentiel doit évidemment tenir compte de la nature du risque en jeu et de ce qui a été communiqué pendant ces discussions. Autrement, l’inférence donnerait lieu à une erreur manifeste et dominante qui serait susceptible de contrôle en appel (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 22‑23).
[221]                     En l’espèce, l’art. 9 du contrat hivernal permettait la résiliation (1) si les services n’étaient pas satisfaisants, ou (2) pour toute raison autre que l’insatisfaction liée aux services rendus. Il s’agit de savoir si, en discutant du renouvellement, Baycrest a communiqué quoi que ce soit qui aurait pu amener Callow à croire que le contrat hivernal n’était menacé d’aucun risque de résiliation pour toute raison autre que l’insatisfaction liée aux services rendus. Dans ses motifs, la juge de première instance a décrit les discussions entre les parties de la façon suivante :
                    [traduction]
                        Au cours du printemps et de l’été 2013, Callow exécutait des services hebdomadaires réguliers de tonte de pelouse et de cueillette des ordures et avait des discussions avec les membres des conseils des sociétés condominiales en vue de renouveler le contrat pour l’été suivant, et aussi le contrat de services d’entretien hivernal pour deux autres années. À cette époque, un an seulement s’était écoulé sur un contrat de deux ans. Le contrat devait demeurer en vigueur pour l’hiver 2013‑2014.
                        Après ses discussions avec M. Peixoto et M. Campbell, M. Callow croyait qu’il allait probablement obtenir un renouvellement de deux ans de son contrat de services d’entretien hivernal et qu’ils étaient satisfaits de ses services. [Je souligne; par. 40‑41.]
[222]                     La juge de première instance, qui a jugé Callow crédible, s’est appuyée sur la partie suivante de son témoignage :
                    [traduction]
                    Q. Ce serait probablement un bon moment pour — eh bien parlez‑moi de ces discussions. Racontez‑nous quelles discussions vous aviez.
                    R. Surtout avec Joe [Peixoto], nous en avons discuté, et il a dit « ouais, ça se présente bien, je suis sûr qu’ils seront preneurs, laisse‑moi leur parler ».
                    Q. Preneurs pour quoi?
                    R. Un renouvellement de deux ans.
                    Q. D’accord. Quelqu’un d’autre?
                    R. J’ai croisé Kyle Campbell une ou deux fois sur place et nous avons aussi eu des discussions.
                    Q. D’accord, et quelle a été votre impression de — de — en fait, je suppose que vous avez déjà répondu. . .
                    R. Que j’allais vraisemblablement obtenir un renouvellement de deux ans, il n’y avait aucune raison de ne pas l’obtenir, ils étaient satisfaits du service, ils en étaient ravis. [Je souligne.]
                    (d.a., vol. II, p. 67‑68)
[223]                     Apparemment, on n’a pas accordé beaucoup d’importance à la question du renouvellement en première instance. La déclaration modifiée n’en faisait aucune mention; elle se focalisait plutôt sur ce que Baycrest savait, sur le « bénévolat » de Callow et sur la prestation de services satisfaisants. Même si la juge de première instance a abordé la question du renouvellement, je souligne que ses conclusions à cet égard portent sur la croyance erronée de Callow que le contrat hivernal serait sans doute renouvelé (par. 41); elles ne portent pas sur ce que Baycrest a fait ou dit qui aurait pu amener Callow à croire erronément cela.
[224]                     Ce que pensait Callow est une chose; ce qu’a dit ou fait Baycrest en est une autre. Selon Callow lui‑même, M. Peixoto n’a rien proposé au nom de Baycrest. Il est clair que l’affirmation de M. Peixoto — « je suis sûr qu’ils seront preneurs, laisse‑moi leur parler » (d.a., vol. II, p. 67) — signifiait que malgré son opinion favorable, ce n’était pas lui qui prenait la décision et que Baycrest n’avait même pas envisagé la possibilité d’un renouvellement à ce moment. On ne pouvait certainement pas inférer de cette affirmation la probabilité d’un renouvellement. Le témoignage de Callow ne laisse pas entendre qu’on l’a faussement amené à croire que Baycrest envisageait bel et bien un renouvellement — la réponse de M. Peixoto présuppose plutôt le contraire —; il ne laisse pas non plus entendre que Baycrest a dit ou fait quoi que ce soit pour éliminer le risque pris par Callow de voir son contrat résilié pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. De fait, Callow a affirmé croire en la probabilité d’un renouvellement, car [traduction] « il n’y avait aucune raison de ne pas l’obtenir, ils étaient satisfaits du service, ils en étaient ravis » (d.a., vol. II, p. 68).
[225]                     Au cours de son interrogatoire préalable, Callow a justifié de la même façon sa croyance que le contrat hivernal serait renouvelé : parce qu’[traduction] « il n’avait aucune raison de ne pas l’être » (d.a., vol. II, p. 49). Il n’a pas fait allusion à ses discussions avec M. Peixoto ou M. Campbell. Lorsqu’on lui a demandé si quelqu’un lui avait dit que son contrat serait renouvelé, il a affirmé ne pas se souvenir. La preuve n’établit pas que M. Peixoto ou M. Campbell avaient amorcé les discussions sur le renouvellement. Au contraire, elle tend à indiquer que Callow en est à l’origine. Contre‑interrogé au sujet de ses travaux « bénévoles », Callow a admis que derrière sa croyance erronée en un renouvellement probable de son contrat, il n’y avait rien de plus qu’un [traduction] « bon espoir ». Rien dans son témoignage ne laisse entendre qu’on lui a communiqué quoi que ce soit qui aurait pu l’induire à croire à tort que Baycrest envisageait sérieusement non pas la résiliation, mais un renouvellement de deux ans du contrat hivernal. 
[226]                     Dans ses motifs, la juge de première instance renvoie aux [traduction] « communications actives [. . .] entre mars/avril et le 12 septembre 2013, qui ont trompé Callow » (par. 66), et aux « déclarations précédant la période de préavis » (par. 67; voir également par. 65 et 76). Toutefois, ces renvois doivent être considérés à la lumière de la preuve et de l’ensemble des motifs. Même si la juge de première instance a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Peixoto et de M. Campbell, ainsi que des conclusions favorables quant à la crédibilité de Callow, la preuve ayant trait au renouvellement n’autorise qu’un nombre très limité d’inférences concernant la résiliation.
[227]                     Tout au plus peut‑on dire que M. Peixoto et M. Campbell n’ont pas mis fin aux espoirs de Callow lorsqu’ils ont eu l’occasion de le faire. Cependant, et cela s’avère déterminant, ils n’ont pas laissé entendre que Baycrest envisageait réellement la poursuite de leur relation d’affaires. Si tel avait été le cas, je reconnais qu’il aurait pu être justifié d’inférer que Callow avait été amené à croire qu’aucun risque de résiliation ne pouvait précipiter la fin du contrat en vigueur avant l’échéance. Mais ce n’est tout simplement pas ce qui s’est produit en l’espèce. À mon avis, la juge de première instance n’a pas inféré des discussions sur le renouvellement que Baycrest avait, par ses paroles ou ses actions, éliminé le risque que le contrat hivernal soit résilié pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. L’eût‑elle fait, son inférence serait susceptible de contrôle en appel, car elle ne se fonderait pas sur la preuve. Considérant le contexte décrit ci‑dessus, les déclarations vagues et évasives de M. Peixoto et de M. Campbell n’ont pas contribué de façon significative à la croyance erronée de Callow; partant, Baycrest n’était pas tenue de divulguer des renseignements supplémentaires.
B.            La satisfaction de Baycrest à l’égard des services rendus par Callow
[228]                     La juge de première instance a accordé beaucoup d’importance au caractère satisfaisant des services rendus par Callow et à la conduite de Baycrest qui ne lui avait donné aucune raison de penser le contraire (par. 22, 27, 29‑30, 34‑36, 39, 41, 46‑47 et 55). Je constate d’après ses conclusions que Baycrest n’a jamais, après la date du 19 mars 2013, communiqué quelque signe précis de satisfaction que ce soit à l’égard de l’exécution du contrat hivernal. Cela dit, il n’y a rien de malhonnête à ce que Baycrest résilie le contrat hivernal après s’être montrée satisfaite de la qualité des travaux exécutés par Callow.
[229]                     De plus, les parties avaient expressément prévu que Baycrest pouvait résilier le contrat hivernal malgré sa satisfaction à l’égard des prestations de Callow, car le contrat stipulait que Baycrest pouvait exercer son droit de résiliation pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. Par conséquent, des rétroactions positives concernant les services fournis ne sauraient justifier la croyance erronée de Callow selon laquelle le contrat ne serait pas résilié.
C.            La croyance erronée de Callow que le contrat hivernal demeurerait en vigueur
[230]                     La juge de première instance a conclu que Baycrest avait [traduction] « continu[é] d’affirmer que le contrat n’était pas en danger » (par. 65 et 76; voir également par. 13). Cette conclusion était essentiellement fondée sur les signes généraux de satisfaction communiqués par Baycrest, sur son acceptation des travaux « bénévoles » de Callow et sur la croyance erronée qu’avait celui‑ci à la suite des discussions sur le renouvellement. Comme je l’ai déjà expliqué, rien de tout cela n’obligeait Baycrest à divulguer son intention de résilier le contrat hivernal. 
[231]                     Les conclusions que la juge de première instance n’a pas tirées sont tout aussi pertinentes. Elle n’a pas conclu que Baycrest avait décidé de renoncer à son droit de résilier le contrat hivernal. Elle n’a pas conclu que Baycrest avait menti à Callow. Elle n’a pas conclu que Baycrest avait éliminé le risque pris par Callow de voir son contrat résilié pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. Enfin, elle n’a pas indiqué pourquoi Callow croyait si fermement [traduction] « que son contrat de services d’entretien hivernal demeurerait en vigueur l’hiver suivant » (par. 13).
[232]                     La croyance de Callow que son contrat était à l’abri d’un risque de résiliation de la part de Baycrest reposait sur deux choses. D’abord, sur la rétroaction positive qu’il avait reçue concernant ses services. Comme il le dit, Baycrest [traduction] « en étai[t] ravi[e] ». Toutefois, cela n’est pas très pertinent dans un contexte où Baycrest pouvait résilier le contrat hivernal pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. Ensuite, ce qui est le plus important, la croyance erronée de Callow s’appuyait sur une interprétation fautive du contrat hivernal. 
[233]                     Lors de son témoignage au procès, Callow a affirmé avoir eu connaissance de la clause de résiliation, mais avoir cru que la durée de deux ans du contrat rendait cette clause inexécutoire :
                    [traduction]
                    Q. . . . Donc, dans cette lettre, il y a une — une déclaration que la résiliation constituait une violation du contrat. Donc, la question que je vous pose est, à ce moment‑là, que compreniez‑vous, pourquoi la résiliation constituait‑elle une violation du contrat?
                    R. Parce qu’ils m’ont demandé, et nous avons conclu un contrat de deux ans, de fournir des services l’été et l’hiver; et je l’ai fait à un tarif réduit. J’ai respecté ma part du marché, qui était de faire les travaux à ce tarif réduit. Ils — et ce pour lesquels, j’ajouterais, je n’ai pas été payé, l’aménagement paysager et l’aspect final de ces travaux, ils devaient me payer. Ils ne l’ont pas fait. Et j’ai continué à remplir mes obligations contractuelles. Je ne m’attendais à rien de moins qu’ils en fassent autant.
                    Q. Donc — donc, lorsque vous — parce que vous parlez — mais vous saviez que dans le contrat hivernal, il y avait cette clause de résiliation.
                    R. Ils avaient une clause écrite là‑dedans. Je ne croyais pas qu’elle était exécutoire parce que nous avions un contrat de deux ans. C’est ça l’idée d’un contrat de deux ans. Vous avez un contrat pendant deux ans. Je fournis des services pendant deux ans et ils me paient pour ces services. [Je souligne.]
                    (d.a., vol. II, p. 120; voir également p. 106‑107.)
[234]                     Même si Callow n’a pas soutenu cette prétention devant notre Cour, son interprétation fautive de la clause de résiliation jette un éclairage important sur la raison pour laquelle il croyait le contrat hivernal à l’abri d’un risque de résiliation pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. La preuve ne suggère pas que Baycrest a dit ou fait quoi que ce soit qui eût pu éliminer ce risque, ni qu’elle a eu quoi que ce soit à voir avec l’interprétation fautive que Callow s’est faite de la clause de résiliation. Par conséquent, je suis d’avis que Baycrest n’était pas tenue de corriger la croyance erronée de Callow en divulguant des renseignements qu’elle avait décidé de taire.
IV.         Conclusion
[235]                     La juge de première instance a eu tort de conclure que Baycrest devait aborder les problèmes de rendement ou fournir plus tôt le préavis de résiliation (par. 67). Elle ne s’est pas demandé si, par ses déclarations, Baycrest avait induit Callow à croire erronément qu’elle ne mettrait pas fin au contrat hivernal pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. À mon avis, la juge de première instance a élargi la portée de l’obligation d’exécution honnête d’une façon qui n’était pas compatible avec les autres principes énoncés dans l’arrêt Bhasin.
[236]                     En somme, le point en litige dans le présent pourvoi consiste à savoir si Baycrest a menti à Callow ou l’a intentionnellement induit à croire qu’elle ne risquait pas d’exercer son droit à la résiliation du contrat hivernal pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. Il n’y a eu aucun mensonge éhonté. Baycrest savait que Callow croyait à tort qu’on aurait recours à ses services une fois l’hiver venu. Cependant, Baycrest n’a jamais renoncé à l’avantage contractuel qu’elle avait de pouvoir résilier le contrat hivernal à tout moment, moyennant un préavis de dix jours. Baycrest n’a pas non plus dit ou fait quoi que ce soit qui a contribué de façon significative à la croyance erronée de Callow selon laquelle le contrat hivernal était à l’abri d’un risque de résiliation pour toute raison autre qu’une insatisfaction liée aux services rendus. Aussi discutable qu’ait été sa conduite, Baycrest n’était pas tenue de corriger cette croyance erronée.
[237]                     Je précise que le résultat auquel j’arrive ne devrait pas être interprété comme voulant dire que le comportement de Baycrest était approprié ou que Callow n’a aucun recours. Il signifie que le recours de Callow ne saurait être fondé sur un manquement à l’obligation d’exécution honnête. En fait, la juge de première instance a conclu que Baycrest s’était injustement enrichie grâce aux travaux « bénévoles » de Callow (par. 77), mais elle a affirmé que celui‑ci n’a fourni aucune preuve des dépenses encourues lors de ses travaux. Cette question, toutefois, nous entraîne hors du cadre du présent pourvoi.
[238]                     Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.
 
                    Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours, la juge Côté est dissidente.
                    Procureurs de l’appelante : McCarthy Tétrault, Toronto; KMH Lawyers, Ottawa.
                    Procureurs des intimées : Gowling WLG (Canada), Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante la Chambre de commerce du Canada : Torys, Toronto.

[1]  Le professeur Gutteridge a souligné en particulier l’influence de Mayor of Bradford c. Pickles, [1895] A.C. 587 (H.L.) et, dans le contexte contractuel, Allen c. Flood, [1898] A.C. 1 (H.L.), citant le passage à la p. 46 de ce dernier arrêt : [traduction] « . . . celui à qui un droit est conféré par contrat peut exercer ce droit contre celui qui le lui a conféré, aussi malveillant, cruel ou mesquin que puisse être le mobile qui détermine l’exécution du droit ».


Synthèse
Référence neutre : 2020CSC45 ?
Date de la décision : 18/12/2020

Parties
Demandeurs : C.M. Callow Inc.
Défendeurs : Zollinger
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 18 décembre 2020, C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2020-12-18;2020csc45 ?

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