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19/04/2024 | CANADA | N°2024CSC13

Canada | Canada, Cour suprême, 19 avril 2024, Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13

 

 
Appels entendus : 20 avril 2023
Jugement rendu : 19 avril 2024
Dossier : 40123


 
Entre :
 
Société des casinos du Québec inc.
Appelante
 
et
 
Association des cadres de la Société des casinos du Québec
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec, procureur g

néral de l’Alberta, Tribunal administratif du travail, Association canadienne des avocats d’employeurs, Association professionnelle des officiers brevetés de la police...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13

 

 
Appels entendus : 20 avril 2023
Jugement rendu : 19 avril 2024
Dossier : 40123

 
Entre :
 
Société des casinos du Québec inc.
Appelante
 
et
 
Association des cadres de la Société des casinos du Québec
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec, procureur général de l’Alberta, Tribunal administratif du travail, Association canadienne des avocats d’employeurs, Association professionnelle des officiers brevetés de la police nationale, Congrès du travail du Canada, Ontario Principals’ Council, Catholic Principals’ Council of Ontario, Association des directions et des directions adjointes des écoles franco‑ontariennes, Guilde canadienne des réalisateurs – Ontario, Juristes canadiens pour le droit international de la personne, Alliance de la fonction publique du Canada, Association canadienne des libertés civiles, Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec inc., Association des cadres des collèges du Québec, Association des cadres municipaux de Montréal, Association des conseillers en gestion des ressources humaines du gouvernement du Québec, Association des cadres scolaires du Grand Montréal, Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux, Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des alcools du Québec, Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec, Association québécoise des cadres scolaires, Association québécoise du personnel de direction des écoles et Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement
Intervenants
 
Et entre :
 
Procureur général du Québec
Appelant
 
et
 
Association des cadres de la Société des casinos du Québec
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général de l’Alberta, Tribunal administratif du travail, Société des casinos du Québec inc., Association canadienne des avocats d’employeurs, Association professionnelle des officiers brevetés de la police nationale, Congrès du travail du Canada, Ontario Principals’ Council, Catholic Principals’ Council of Ontario, Association des directions et des directions adjointes des écoles franco‑ontariennes, Guilde canadienne des réalisateurs – Ontario, Juristes canadiens pour le droit international de la personne, Alliance de la fonction publique du Canada, Association canadienne des libertés civiles, Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec inc., Association des cadres des collèges du Québec, Association des cadres municipaux de Montréal, Association des conseillers en gestion des ressources humaines du gouvernement du Québec, Association des cadres scolaires du Grand Montréal, Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux, Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des alcools du Québec, Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec, Association québécoise des cadres scolaires, Association québécoise du personnel de direction des écoles et Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement
Intervenants
 
Traduction française officielle : Motifs du juge Jamal et motifs du juge Rowe
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 58)

Le juge Jamal (avec l’accord des juges Karakatsanis, Kasirer et O’Bonsawin)

 

 

Motifs concordants :
(par. 59 à 198)

La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner)

 

 

Motifs concordants :
(par. 199 à 221)

Le juge Rowe

 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Société des casinos du Québec inc.                                                               Appelante
c.
Association des cadres de la Société des casinos du Québec                          Intimée
et
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec, procureur général de l’Alberta,
Tribunal administratif du travail,
Association canadienne des avocats d’employeurs,
Association professionnelle des officiers brevetés de la police nationale,
Congrès du travail du Canada, Ontario Principals’ Council,
Catholic Principals’ Council of Ontario,
Association des directions et des directions adjointes
des écoles franco‑ontariennes,
Guilde canadienne des réalisateurs – Ontario,
Juristes canadiens pour le droit international de la personne,
Alliance de la fonction publique du Canada,
Association canadienne des libertés civiles,
Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec inc.,
Association des cadres des collèges du Québec,
Association des cadres municipaux de Montréal,
Association des conseillers en gestion des ressources humaines du
gouvernement du Québec,
Association des cadres scolaires du Grand Montréal,
Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux,
Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des
alcools du Québec,
Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec,
Association québécoise des cadres scolaires,
Association québécoise du personnel de direction des écoles et
Fédération québécoise des directions d’établissement
d’enseignement                                                                                          Intervenants
‑ et ‑
Procureur général du Québec                                                                        Appelant
c.
Association des cadres de la Société des casinos du Québec                          Intimée
et
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,
procureur général de l’Alberta, Tribunal administratif du travail,
Société des casinos du Québec inc.,
Association canadienne des avocats d’employeurs,
Association professionnelle des officiers brevetés de la police nationale,
Congrès du travail du Canada, Ontario Principals’ Council,
Catholic Principals’ Council of Ontario,
Association des directions et des directions adjointes
des écoles franco‑ontariennes,
Guilde canadienne des réalisateurs – Ontario,
Juristes canadiens pour le droit international de la personne,
Alliance de la fonction publique du Canada,
Association canadienne des libertés civiles,
Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec inc.,
Association des cadres des collèges du Québec,
Association des cadres municipaux de Montréal,
Association des conseillers en gestion des ressources humaines du
gouvernement du Québec,
Association des cadres scolaires du Grand Montréal,
Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux,
Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des
alcools du Québec,
Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec,
Association québécoise des cadres scolaires,
Association québécoise du personnel de direction des écoles et
Fédération québécoise des directions d’établissement
d’enseignement                                                                                          Intervenants
Répertorié : Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec
2024 CSC 13
No du greffe : 40123.
2023 : 20 avril; 2024 : 19 avril.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté d’association — Exclusion de nature législative — Cadres de casinos exclus du régime législatif provincial de relations de travail — L’exclusion viole‑t‑elle la garantie de liberté d’association des cadres? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 2d) — Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 3 — Code du travail, RLRQ, c. C‑27, art. 1l)1.
                    Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées par un décideur administratif dans l’examen d’une question constitutionnelle.
                    L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« Association ») représente certains cadres de premier niveau travaillant dans quatre casinos exploités par la Société des casinos du Québec inc. (« Société »). L’Association a présenté à la Commission des relations du travail (maintenant le Tribunal administratif du travail (« TAT »)) une requête afin d’être accréditée comme représentante des cadres de premier niveau dans le secteur des jeux au Casino de Montréal et de bénéficier des protections du Code du travail du Québec. Parce que l’art. 1l)1 du Code du travail exclut les cadres du régime législatif de relations de travail, y compris de la possibilité d’obtenir l’accréditation de leur association, l’Association a sollicité une décision portant que cette exclusion de nature législative viole de manière injustifiée la liberté d’association garantie à ses membres par l’al. 2d) de la Charte et par l’art. 3 de la Charte québécoise.
                    L’Association a obtenu gain de cause en première instance devant le TAT. Celui‑ci a qualifié la revendication de l’Association de revendication de droits négatifs et a appliqué le test à deux volets de l’entrave substantielle exposé dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, pour l’analyse d’une prétendue violation de la liberté d’association. Le TAT a conclu que l’exclusion des cadres viole de manière injustifiée leur liberté d’association. Lors du contrôle judiciaire, la Cour supérieure a cassé la décision du TAT. De l’avis de la Cour supérieure, l’Association voulait imposer à l’État une obligation positive, demande qui selon la cour doit être analysée selon le cadre de l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016. La cour a conclu que l’Association n’avait pas établi de violation de la liberté d’association de ses membres. Lors de l’appel subséquent interjeté par l’Association, la Cour d’appel, suivant les enseignements de l’arrêt Police montée, a appliqué le test à deux volets de l’entrave substantielle en tant que cadre d’analyse approprié pour l’examen de l’al. 2d), et a rétabli la décision du TAT.
                    Arrêt : Les pourvois sont accueillis.
                    Les juges Karakatsanis, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : L’article 1l)1 du Code du travail s’applique à la requête en accréditation de l’Association. L’Association n’a pas démontré que, lorsqu’on applique le test à deux volets de l’entrave substantielle énoncé dans Dunmore puis raffiné dans Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, et Police montée, l’exclusion législative des cadres de premier niveau du régime général des rapports collectifs de travail au Québec viole la liberté d’association garantie à ses membres par l’al. 2d) de la Charte et l’art. 3 de la Charte québécoise.
                    Il existe un seul cadre d’analyse pour évaluer si une loi ou une action gouvernementale viole l’al. 2d) de la Charte. Il s’agit du cadre à deux volets que la Cour a établi dans l’arrêt Dunmore et qui consiste à se demander premièrement si les activités en cause relèvent du champ d’application de la garantie de liberté d’association, et, deuxièmement, si l’action gouvernementale entrave par son objet ou son effet les activités protégées. Trois facteurs délimitant la possibilité de contester avec succès une loi non inclusive suivant l’al. 2d) de la Charte ont également été énoncés dans Dunmore. Ils ont trait à la question de savoir si la plainte de non‑inclusion repose sur une liberté fondamentale garantie par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis; au seuil de preuve requis pour démontrer une entrave à une telle liberté fondamentale; et à la question de savoir si l’État peut être tenu responsable de l’incapacité du demandeur d’exercer la liberté fondamentale. Ces trois facteurs sont des considérations pertinentes dans l’examen de revendications fondées sur l’al. 2d), mais ils ne constituent pas un test distinct ou un cadre d’analyse distinct pour évaluer les contestations constitutionnelles d’une loi non inclusive sur la base de l’al. 2d). De plus, il existe un seul et unique seuil de preuve pour évaluer toutes les revendications fondées sur l’al. 2d) — le seuil de l’entrave substantielle. Le demandeur qui allègue qu’une loi non inclusive viole l’al. 2d) n’a pas à satisfaire à un seuil plus élevé.
                    Dans Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, une affaire de liberté d’expression fondée sur l’al. 2b), les juges majoritaires de la Cour se sont abstenus de décider si l’arrêt Dunmore continue de s’appliquer aux revendications fondées sur l’al. 2d) à la suite des arrêts de la Cour dans les affaires Police montée et Fraser. La jurisprudence de la Cour sur l’al. 2d) révèle que la Cour a invariablement appliqué un cadre d’analyse à deux volets qui consiste à déterminer si les activités en cause relèvent du champ d’application de l’al. 2d), et si l’action gouvernementale a, par son objet ou son effet, substantiellement entravé ces activités. La Cour a en outre souligné que sa jurisprudence sur l’al. 2d) depuis l’arrêt Dunmore devrait être considérée comme un corpus cohérent de décisions. L’arrêt Dunmore n’a pas été infirmé par les arrêts Police montée ou Fraser de la Cour. La jurisprudence de la Cour ne crée pas non plus deux tests, l’un pour les revendications sollicitant une intervention positive de l’État, l’autre pour les revendications sollicitant une protection négative contre l’ingérence de l’État. Même si les facteurs de l’arrêt Dunmore n’ont pas été mentionnés et analysés chaque fois que la Cour a été appelée à déterminer si une loi ou une action gouvernementale violait l’al. 2d) de la Charte, les principes sous-jacents ont invariablement été réaffirmés. Il n’est pas toujours nécessaire de considérer expressément chaque facteur de Dunmore. Il arrive parfois que la responsabilité de l’État pour l’entrave substantielle soit évidente.
                    Les cadres d’analyse pour les al. 2b) et 2d) de la Charte ont évolué différemment dans la jurisprudence de la Cour. Dans le contexte des revendications fondées sur l’al. 2b) de la Charte, le seuil à satisfaire pour faire la preuve d’une revendication de liberté positive est l’existence d’une entrave substantielle à la liberté d’expression. Toutefois, le seuil applicable dans le cas des revendications de droits négatifs concernant la liberté d’expression consiste à déterminer si l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale est simplement de restreindre la liberté d’expression. Dans le contexte de la liberté d’association, par contraste, le seuil élevé du deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Dunmore, à savoir l’entrave substantielle, s’applique déjà à toutes les revendications portant sur des obligations positives et des obligations négatives. Cela contribue à expliquer pourquoi la distinction entre les libertés positives et les droits négatifs n’est pas pertinente pour déterminer le cadre applicable aux revendications fondées sur l’al. 2d), même si elle a été confirmée dans le contexte de l’al. 2b).
                    Dans l’application du test à deux volets de l’entrave substantielle aux revendications de l’Association, les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit en litige sont examinées suivant la norme de la décision correcte. À la première étape du cadre d’analyse de l’al. 2d), la Cour doit déterminer si les activités auxquelles les membres de l’Association veulent se livrer relèvent du champ d’application de l’al. 2d) de la Charte, et en conséquence se demander si l’Association peut invoquer de manière plausible une liberté fondamentale garantie par la Charte. La revendication de l’Association porte effectivement sur des activités protégées par l’al. 2d) de la Charte, notamment le droit de former une association ayant suffisamment d’indépendance vis-à-vis de l’employeur, de présenter collectivement des revendications à l’employeur, et de voir ces revendications prises en compte de bonne foi.
                    À la seconde étape du cadre d’analyse de l’al. 2d), la Cour doit déterminer si l’exclusion législative, par son objet ou son effet, entrave substantiellement les activités des membres de l’Association protégées par l’al. 2d). Dans l’examen de cette question, la Cour doit se demander si l’État est responsable de l’incapacité des membres d’exercer leurs libertés fondamentales garanties par l’al. 2d). En l’espèce, l’exclusion législative n’a pas pour objet d’entraver les droits associatifs des cadres. Lorsque la législature a exclu les cadres de la définition de « salarié » dans le Code du travail, elle avait pour objectifs d’opérer une distinction entre les cadres et les salariés dans les organisations hiérarchiques, d’éviter de placer les cadres en situation de conflit d’intérêts entre leur rôle en tant que salariés dans les négociations collectives et leur rôle de représentants de l’employeur dans le cadre de leurs responsabilités professionnelles, et de faire en sorte que les employeurs aient confiance que les cadres représenteraient leurs intérêts, et ce, tout en protégeant les intérêts communs distincts des salariés. L’Association n’a pas non plus démontré, au vu du dossier dont dispose la Cour, que l’exclusion législative a pour effet d’entraver substantiellement le droit de ses membres à une négociation collective véritable.
                    Le juge en chef Wagner et la juge Côté : Le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore demeure applicable aux contestations constitutionnelles de l’exclusion de travailleurs d’un régime de relations de travail. Bien que dans chaque cas l’entrave substantielle constitue la norme applicable pour conclure à une violation de la liberté d’association, et qu’elle soit au cœur de l’analyse, le cadre d’analyse de la liberté d’association varie selon que la partie demande à l’État de s’abstenir d’intervenir dans l’exercice d’une activité protégée, ou revendique plutôt son intervention pour pallier  son incapacité d’exercer cette activité sans appui ou habilitation. Le cadre d’analyse en trois étapes établi dans l’arrêt Dunmore est mieux adapté au contexte d’une revendication de nature positive et au type de réparation recherchée dans ces cas. En l’espèce, l’application de ce cadre d’analyse mène à la conclusion que l’exclusion législative contestée ne restreint pas la liberté d’association garantie par les chartes canadienne et québécoise. L’article 1l)1 du Code du travail est donc opposable à l’Association dans le cadre de sa requête en accréditation.
                    Un tour d’horizon de la jurisprudence de la Cour révèle que la liberté d’association prévue à l’al. 2d) de la Charte et à l’art. 3 de la Charte québécoise protège contre toute entrave substantielle au droit des employés de véritablement s’associer à d’autres en vue de poursuivre des objectifs collectifs relatifs aux conditions de travail. Cette protection inclut le droit à un processus véritable de négociation collective, lequel comprend le droit de faire des représentations collectives à leur employeur et de les voir considérées en bonne foi, la liberté de choix quant à leur représentation, l’indépendance de leur association vis‑à‑vis leur employeur ainsi que le droit de grève. Toutefois, depuis l’arrêt Dunmore, la Cour a insisté sur le fait que l’al. 2d) garantit un processus, et non un résultat ou l’accès à un modèle particulier de relations de travail. De fait, la liberté d’association n’est pas d’origine législative, mais son exercice peut être précisé par voie législative.
                    Lorsqu’il s’agit de déterminer en quelles circonstances une intervention positive de l’État peut être exigée en vertu de l’al. 2d) de la Charte, de manière à obliger le législateur à édicter un régime particulier de relations de travail, le cadre d’analyse en trois étapes établi dans l’arrêt Dunmore s’applique. Premièrement, les arguments pour attaquer l’exclusion doivent se fonder sur une activité protégée par l’al. 2d) lui‑même et non sur l’accès à un régime légal précis. Deuxièmement, l’exclusion doit avoir pour objet ou pour effet d’entraver substantiellement cette activité. Troisièmement, l’État doit pouvoir être tenu responsable de cette entrave substantielle. Lorsque ces trois étapes sont franchies, il faut conclure que l’omission du législateur de prévoir un régime particulier constitue une violation de l’al. 2d) de la Charte.
                    Bien que, dans l’arrêt Toronto (Cité), la Cour ait laissé entendre en obiter que l’applicabilité du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore était maintenant incertaine vu les arrêts Police montée et Fraser, ceux‑ci ne doivent pas être lus comme renversant, sub silentio, ce cadre d’analyse. La jurisprudence de la Cour s’est fondée sur Dunmore pour développer le cadre d’analyse de l’entrave substantielle, sans jamais renverser le seuil plus élevé à franchir lors de revendications visant un droit positif. La démarche prescrite par l’arrêt Dunmore demeure donc applicable aux contestations relatives à l’exclusion d’un régime législatif.
                    Il n’y a pas lieu d’écarter le cadre d’analyse en trois étapes établi dans l’arrêt Dunmore, car celui‑ci permet de répondre aux revendications de nature positive et reflète le caractère exceptionnel de la réparation demandée. La distinction entre les différentes étapes du cadre d’analyse, plutôt que leur incorporation au sein de la norme de l’entrave substantielle, est préférable à plusieurs égards. Une telle approche présente une clarté conceptuelle, fondée sur la structure et le texte de la Charte, et fournit des directives claires quant au fardeau de preuve à remplir à chaque étape. La première étape écarte la possibilité de demander l’accès à un régime précis, vu la distinction entre l’al. 2d) et l’art. 15; la seconde étape, quant à elle, exige la démonstration d’une entrave substantielle, comme dans toute contestation constitutionnelle sous l’al. 2d); et la troisième étape, fondée sur l’art. 32 de la Charte, tient compte de la nature particulière de la revendication en exigeant un lien de causalité entre l’entrave substantielle et l’exclusion législative. Cette approche permet de préserver l’unicité de la norme de l’entrave substantielle tout en réservant aux circonstances exceptionnelles les cas où le législateur doit intervenir, respectant ainsi la séparation des pouvoirs. La distinction entre les trois étapes du cadre d’analyse évite également le risque que la contestation constitutionnelle d’une exclusion législative sous l’al. 2d) se transforme en un exercice de pondération de différents facteurs ou considérations, ce qui reviendrait à renverser sub silentio le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore. Suivant le cadre d’analyse en trois étapes, il se peut fort bien qu’un groupe d’employés exclus d’un régime législatif de relations de travail réussisse à démontrer une entrave substantielle à l’exercice de la liberté d’association, mais ne puisse faire la démonstration d’un lien de causalité avec le défaut de l’État de légiférer.
                    En l’espèce, il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’égard des conclusions de droit de même que des conclusions mixtes de fait et de droit du TAT, mais uniquement à l’égard des conclusions purement factuelles tirées par le TAT. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, la Cour a établi une présomption que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire d’une décision d’un décideur administratif. Cette présomption peut toutefois être réfutée lorsque la primauté du droit exige une réponse cohérente, décisive et définitive des cours de justice, ce qui est le cas en matière de questions constitutionnelles. La norme de la décision correcte s’applique donc aux conclusions de droit du TAT qui s’inscrivent dans le cadre de l’analyse de la question constitutionnelle dont il était saisi. En ce qui concerne les conclusions mixtes de fait et de droit qui s’inscrivent dans le cadre d’une question constitutionnelle, la norme de la décision correcte s’applique également, vu l’importance de répondre correctement aux questions constitutionnelles. Quant aux conclusions purement factuelles pouvant être isolées de l’analyse constitutionnelle, une cour de révision doit faire montre de déférence à leur égard. Une telle déférence repose sur des considérations liées à l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance. La primauté du droit n’exige pas qu’il y ait une réponse décisive et définitive à l’égard des questions purement factuelles, celles‑ci variant d’un dossier à l’autre.
                    Pour déterminer si une violation de l’al. 2d) de la Charte et de l’art. 3 de la Charte québécoise a été établie, il importe de caractériser la nature de la revendication de l’Association, car cette nature peut influer sur le cadre d’analyse applicable. Le contenu de plusieurs libertés garanties par la Charte possède une dimension positive et négative. Les dimensions positives d’un droit exigent que le gouvernement agisse de certaines façons, alors que ses dimensions négatives exigent de lui qu’il s’abstienne d’agir de certaines façons. L’exercice de caractérisation s’intéresse à la nature de l’obligation que la revendication cherche à faire porter par l’État. Dans le présent cas, la revendication mise de l’avant par l’Association vise à faire reconnaître et à faire respecter une obligation positive de l’État, puisque toute requête visant à supprimer l’exclusion d’une catégorie de travailleurs de l’application d’un régime général des rapports collectifs est essentiellement une demande d’inclusion au sein d’un régime particulier. Il s’agit donc d’appliquer le cadre d’analyse en trois étapes de l’arrêt Dunmore pour déterminer si, à la lumière de ce cadre d’analyse, l’exclusion des membres de l’Association du régime du Code du travail viole l’al. 2d) de la Charte et l’art. 3 de la Charte québécoise.
                    L’application de la première étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore aux faits de l’espèce démontre que l’Association et ses membres revendiquent l’accès à un régime législatif particulier, soit celui prévu par le Code du travail. Le choix de l’Association de procéder par une requête en accréditation montre que son objectif ultime est que ses membres soient assujettis au régime de rapports collectifs de travail du Code du travail, d’autant plus qu’en accédant à la revendication de l’Association, le TAT, qui ne peut ni prononcer une déclaration formelle d’inconstitutionnalité ni suspendre les effets de sa décision, n’aurait d’autre choix que de donner à ses membres accès à tous les droits et privilèges découlant du Code du travail. Cette conclusion est suffisante pour accueillir les appels. Cependant, même si cette étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore avait été franchie, la revendication de l’Association échouerait aux deuxième et troisième étapes du cadre d’analyse.
                    En ce qui concerne la deuxième étape, l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 du Code du travail n’a pas pour objet ni pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association. D’une part, l’Association n’a pas démontré qu’un tel objet existait en 1964 lors de l’adoption du Code du travail. Le dossier ne démontre pas une méfiance à l’égard de toute association des cadres de premier niveau et rien ne permet de conclure que le législateur québécois estimait le rôle de cadre foncièrement incompatible avec la négociation collective protégée par la liberté d’association. D’autre part, ne constitue pas une entrave substantielle tout écart séparant la situation des membres de l’Association avec celle qui serait la leur, n’eût été leur exclusion du régime du Code du travail. Force est de constater qu’ils sont parvenus à s’associer. Bien que certains éléments de la conduite de la Société, en l’absence des protections consacrées par les dispositions du Code du travail, semblent porter substantiellement atteinte à la liberté d’association des membres de l’Association, l’existence de recours alternatifs est une autre considération importante pour conclure que ceux‑ci ne sont pas dans l’incapacité d’exercer leur liberté d’association. Du reste, l’Association n’est pas dépourvue de recours en cas d’ingérence de la Société dans la conduite de ses activités.
                    Enfin, même en supposant que le comportement reproché à la Société constituait une entrave substantielle à l’exercice de la liberté d’association des membres de l’Association, cette entrave ne peut être imputable à l’État à la troisième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore. L’établissement d’un lien est crucial, car ce qui est contesté lorsque le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore est appliqué est l’action législative de l’État, non pas uniquement l’action de l’employeur. L’analyse doit s’appuyer sur le contexte factuel propre à la situation de l’affaire. En l’espèce, il n’y a pas de lien entre l’exclusion législative contestée et le comportement reproché à la Société, lequel est dû au défaut allégué de respecter ses engagements contractuels et qui peut être sanctionné devant les tribunaux de droit commun.
                    Le juge Rowe : Le cadre de Dunmore devrait continuer de s’appliquer pour l’examen des revendications positives. Bien que l’al. 2d) puisse requérir des mesures positives de l’État afin que la liberté de s’organiser ait un sens, les revendications de cette nature doivent être examinées selon un cadre distinct qui tient compte de la nature de cette liberté fondamentale, du lien nécessaire avec l’action de l’État et de la séparation des pouvoirs.
                    Selon l’approche téléologique énoncée dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, une liberté comporte à la fois des dimensions positives et des dimensions négatives. Toutefois, la distinction entre ces dimensions demeure importante dans l’examen de la nature de l’obligation que la revendication vise à imposer à l’État. Une liberté, par nature, n’emporte pas l’obligation pour l’État de faciliter son exercice. C’est la raison pour laquelle les demandeurs sont tenus à un fardeau accru afin de démontrer pourquoi, dans leur situation, une attitude de réserve de la part de l’État n’est pas suffisante. En effet, une obligation positive imposant à l’État de protéger une liberté ne devrait naître que dans les cas où, sans une telle protection, le demandeur serait essentiellement incapable d’exercer cette liberté. La Cour a invariablement décrit l’al. 2d) comme étant le reflet d’un droit largement « négatif » par nature. Il s’ensuit que, dans la plupart des cas, cette disposition n’impose pas à l’État d’obligations « positives » de protection ou d’assistance. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, déterminées suivant un cadre d’analyse distinct énoncé dans l’arrêt Dunmore, que l’al. 2d) de la Charte peut imposer des obligations positives à l’État.
                    Les violations qui donnent lieu à une revendication négative fondée sur l’al. 2d) sont fondamentalement différentes de celles donnant lieu à une revendication positive. Compte tenu de cette différence, la norme servant à analyser les revendications positives ne devrait pas être la même que celle applicable aux revendications négatives. Le cadre de Dunmore a été conçu précisément pour tenir compte de l’absence d’action directe de l’État donnant lieu à la violation d’une liberté dans le cas des revendications positives, lorsque l’État a seulement omis de protéger adéquatement cette liberté contre les violations par des tiers, notamment des acteurs privés. Suivant ce cadre, l’un des aspects de l’analyse consiste toujours à démontrer que la liberté d’association du demandeur est substantiellement entravée par son exclusion du champ d’application de la loi protectrice. Cependant, le demandeur a aussi l’obligation de démontrer que la revendication est fondée sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime législatif en particulier et, plus important, que l’État peut être tenu responsable d’une façon ou d’une autre de l’incapacité d’exercer ces libertés fondamentales. La participation d’acteurs privés à la violation fait partie du contexte factuel considéré dans l’examen, mais elle ne peut en soi justifier l’imposition d’une obligation positive à l’État. Par conséquent, ce cadre d’analyse est particulièrement important pour distinguer les cas où l’intervention de l’État est justifiée.
                    Le seuil de preuve élevé prévu par le cadre de l’arrêt Dunmore fait également en sorte que les décisions sur les revendications positives respectent la séparation des pouvoirs. Conférer un statut constitutionnel à un régime législatif particulier n’est pas un rôle qu’il convient à la Cour de jouer. Les régimes de relations de travail sont l’expression d’un choix de politique d’intérêt général, visant à promouvoir la paix dans les relations de travail et à favoriser la certitude dans la relation d’emploi, mais ils ne constituent pas un impératif constitutionnel.
Jurisprudence
Citée par le juge Jamal
                    Arrêt appliqué : Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; arrêts examinés : Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34; Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, [2015] 1 R.C.S. 125; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; arrêts mentionnés : Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 626, 75 C.C.P.B. (2nd) 1; Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État québécois, 2021 QCCA 559; Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3, [2018] 1 R.C.S. 35; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295.
Citée par la juge Côté
                    Arrêts appliqués : Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; distinction d’avec les arrêts : Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; arrêts examinés : Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), 1999 CanLII 649 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 989; Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, [2015] 1 R.C.S. 125; In re The Maryland Drydock Co., 49 N.L.R.B. 733 (1943); Packard Motor Car Co. c. Labor Board, 330 U.S. 485 (1947); arrêts mentionnés : Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 c. Société des casinos du Québec inc., 1995 CanLII 15922; Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673; Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), 1998 CanLII 813 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 322; Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313; AFPC c. Canada, 1987 CanLII 89 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 424; SDGMR c. Saskatchewan, 1987 CanLII 90 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 460; Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord‑Ouest (Commissaire), 1990 CanLII 72 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 367; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, 1997 CanLII 17020 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 157; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, 1991 CanLII 68 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 211; R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., 2001 CSC 70, [2001] 3 R.C.S. 209; Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247, [2011] R.J.Q. 1367; Doré c. Verdun (Ville), 1997 CanLII 315 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 862; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207; Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3; Isidore Garon ltée c. Tremblay, 2006 CSC 2, [2006] 1 R.C.S. 27; Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 995; Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 1991 CanLII 57 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 5; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Okwuobi c. Commission scolaire Lester‑B.‑Pearson, 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, [2020] 3 R.C.S. 629; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; NLRB c. Kentucky River Community Care, Inc., 532 U.S. 706 (2001); Labor Board c. Bell Aerospace Co., 416 U.S. 267 (1974); Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; Québec (Procureure générale) c. 9147‑0732 Québec inc., 2020 CSC 32, [2020] 3 R.C.S. 426.
Citée par le juge Rowe
                    Arrêts mentionnés : Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673; Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34; Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), 1999 CanLII 649 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 989; Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 995; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, 1994 CanLII 27 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 627; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 229; Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650; Dunmore c. Ontario (Attorney General) (1997), 1997 CanLII 12345 (ON SC), 155 D.L.R. (4th) 193.
Lois et règlements cités
29 U.S.C. § 152(3) (2018).
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b), d), 15, 24(1), 32.
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 3, 9.1, 49.
Civil Service Collective Bargaining Act, R.S.N.S. 1989, c. 71, art. 2(f), 11(1)(e).
Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, art. 3(1).
Code civil du Québec, disposition préliminaire.
Code du travail, RLRQ, c. C‑27, art. 1l).
Labour Act, R.S.P.E.I. 1988, c. L‑1, art. 7(2)(b).
Labour Relations Act, R.S.N.L. 1990, c. L‑1, art. 2(1)(m).
Labour Relations Code, R.S.A. 2000, c. L‑1, art. 1(1)(l)(i).
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
Loi de 1993 sur la négociation collective des employés de la Couronne, L.O. 1993, c. 38, art. 1.1(3) 9.
Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, c. 1, ann. A, art. 1(3)b).
Loi de 2014 sur la négociation collective dans les conseils scolaires, L.O. 2014, c. 5, art. 8.
Loi des relations ouvrières, S.Q. 1944, c. 30, art. 2a)1.
Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T‑15.1, art. 1.
Loi sur l’équité salariale, RLRQ, c. E‑12.001, art. 8.
Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A‑3.001, art. 2.
Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N‑1.1, art. 3(6), 128.
Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, c. 22 [éd. par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 2], art. 2(1).
Loi sur les syndicats professionnels, L.R.Q., c. S‑40 (maintenant RLRQ, c. S‑40), art. 6.
Managerial Exclusion Act, R.S.A. 2000, c. M‑3, art. 2(1).
National Labor Relations Act, Pub. L. No. 74‑198, 49 Stat. 449 (1935) (modifiée et codifiée au 29 U.S.C. §§ 151‑169).
Public Service Employee Relations Act, R.S.A. 2000, c. P‑43, art. 12(1)(a).
Trade Union Act, R.S.N.S. 1989, c. 475, art. 2(2)(a).
Traités et autres instruments internationaux
Convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 68 R.T.N.U. 17.
Convention (no 98) concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective, 96 R.T.N.U. 257.
Doctrine et autres documents cités
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                    POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Gagnon, Hogue et Beaupré), 2022 QCCA 180, [2022] AZ‑51828174, [2022] J.Q. no 661 (Lexis), 2022 CarswellQue 819 (WL), qui a infirmé une décision de la juge Lamarche, 2018 QCCS 4781, [2018] AZ‑51543513, [2018] J.Q. no 10547 (Lexis), 2018 CarswellQue 10361 (WL), qui avait accueilli une demande en contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du travail, 2016 QCTAT 6870, [2016] AZ‑51348664, 2016 LNQCTAT 1697 (Lexis), 2016 CarswellQue 14696 (WL). Pourvois accueillis.
                    Jean Leduc et Camille Grimard, pour la Société des casinos du Québec inc.
                    Michel Déom, Samuel Chayer, Caroline Renaud et Gabrielle St‑Martin Deaudelin, pour le procureur général du Québec.
                    Sophie Cloutier et Jean‑Luc Dufour, pour l’intimée.
                    Sean Gaudet et Kirk Shannon, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Savitri Gordian et Rochelle Fox, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Michael P. Wall et Leah M. McDaniel, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
                    Geneviève Bond Roussel, pour l’intervenant le Tribunal administratif du travail.
                    Timothy Lawson, Myriane Le François, Mathieu Bernier‑Trudeau et Andrew Weizman, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs.
                    Andrew Montague‑Reinholdt et Malini Vijaykumar, pour l’intervenante l’Association professionnelle des officiers brevetés de la police nationale.
                    Steven M. Barrett et Colleen Bauman, pour l’intervenant le Congrès du travail du Canada.
                    Caroline V. (Nini) Jones et Lauren Pearce, pour les intervenants Ontario Principals’ Council, Catholic Principals’ Council of Ontario, l’Association des directions et des directions adjointes des écoles franco‑ontariennes et la Guilde canadienne des réalisateurs – Ontario.
                    Mae J. Nam, Rebecca Jones et James Yap, pour l’intervenant les Juristes canadiens pour le droit international de la personne.
                    Andrew Astritis et Morgan Rowe, pour l’intervenante l’Alliance de la fonction publique du Canada.
                    Catherine Fan et Danielle Glatt, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                    Claude Tardif, Catherine Massé‑Lacoste et Marie‑Laurence Lamarre, pour l’intervenant le Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro‑Québec inc.
                    Pierre Brun, Michel Gilbert et Guillaume Grenier, pour les intervenantes l’Association des cadres des collèges du Québec, l’Association des cadres municipaux de Montréal, l’Association des conseillers en gestion des ressources humaines du gouvernement du Québec, l’Association des cadres scolaires du Grand Montréal, l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux, l’Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des alcools du Québec, l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro‑Québec, l’Association québécoise des cadres scolaires, l’Association québécoise du personnel de direction des écoles et la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement.
Version française du jugement des juges Karakatsanis, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par
                  Le juge Jamal  —
I.              Aperçu
[1]                              Les présents pourvois soulèvent la question de savoir si l’exclusion des cadres du régime des relations de travail du Code du travail, RLRQ, c. C‑27, du Québec viole la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne » ou « Charte ») et l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, du Québec (« Charte québécoise »).
[2]                              La disposition législative contestée, l’art. 1l)1 du Code du travail, définit de façon large le mot « salarié » comme étant « une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération », mais exclut expressément une personne qui est employée « à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ». La constitutionnalité de cette disposition a été contestée sur la base de l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise par l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« Association »), qui représente certains cadres de premier niveau travaillant dans quatre casinos exploités par la Société des casinos du Québec inc. (« Société »). L’Association a demandé à être accréditée comme représentante des cadres de premier niveau dans le secteur des jeux au Casino de Montréal afin de bénéficier des protections du Code du travail.
[3]                             L’Association a obtenu gain de cause en première instance devant la Commission des relations du travail (maintenant le Tribunal administratif du travail (« TAT »)). Par suite de la demande de contrôle judiciaire présentée par la Société, la Cour supérieure du Québec a cassé la décision du TAT. Cette décision a ensuite été portée en appel devant la Cour d’appel du Québec, qui a accueilli l’appel et rétabli la décision du TAT, sous réserve d’une suspension de 12 mois des effets de la décision du TAT concernant l’inopérabilité de l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 du Code du travail.
[4]                             J’accueillerais les pourvois. À mon avis, la disposition contestée ne viole pas la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise Je vais énoncer ci‑après quel est, selon moi, le cadre juridique approprié pour analyser une prétendue violation de la liberté d’association suivant la jurisprudence de notre Cour sur l’al. 2d)[1].
[5]                              Dans l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, le juge Bastarache, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires de la Cour, a exposé un cadre d’analyse à deux volets pour l’évaluation des allégations de violation de la liberté d’association. Premièrement, le tribunal se demande si les activités en cause font partie de celles qui sont protégées par la garantie de la liberté d’association. Deuxièmement, le tribunal détermine si, par son objet ou son effet, la loi ou l’action gouvernementale contestée entrave substantiellement ces activités (par. 13 et 25).
[6]                             Dans Dunmore, le juge Bastarache s’est également demandé dans quelles circonstances une loi non inclusive engage la responsabilité de l’État suivant l’al. 2d) de la Charte, et il a énoncé trois facteurs délimitant la possibilité de contester avec succès une telle loi. Ces facteurs ont trait à la question de savoir si la plainte de non‑inclusion repose sur une liberté fondamentale garantie par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis; au seuil de preuve requis pour démontrer une entrave à une telle liberté fondamentale; et à la question de savoir si l’État peut être tenu responsable de l’incapacité du demandeur d’exercer la liberté fondamentale (par. 24‑26).
[7]                              Ma collègue la juge Côté estime que ces trois facteurs énumérés dans l’arrêt Dunmore créent un cadre d’analyse distinct pour évaluer les contestations constitutionnelles d’une loi non inclusive sur la base de l’al. 2d) — revendications dites de « droits positifs » — et imposent un seuil plus élevé pour de telles contestations que pour les contestations visant une loi ou une action gouvernementale qui entrave directement des activités associatives — revendications dites de « droits négatifs » (motifs de la juge Côté, par. 133‑134 et 149). Soit dit en tout respect, je dois exprimer mon désaccord. Selon mon interprétation de la jurisprudence de la Cour, il existe un seul cadre d’analyse pour évaluer si une loi ou une action gouvernementale viole l’al. 2d). Suivant ce cadre d’analyse à deux volets, initialement énoncé dans Dunmore puis raffiné dans des affaires subséquentes telles Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, et Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, le tribunal se demande premièrement si les activités en cause relèvent du champ d’application de la garantie de liberté d’association, et, deuxièmement, si l’action gouvernementale entrave par son objet ou son effet les activités protégées. Les trois facteurs énoncés dans l’arrêt Dunmore sont des considérations pertinentes dans l’examen de revendications fondées sur l’al. 2d), mais ils ne constituent pas un test distinct.
[8]                             De plus, il existe un seul et unique seuil pour évaluer toutes les revendications fondées sur l’al. 2d) — le seuil de l’entrave substantielle. Dans certains contextes, telles les contestations visant une loi non inclusive, il peut s’avérer plus difficile de s’acquitter du fardeau de prouver une entrave substantielle. Cependant, je ne puis me rallier au point de vue de mes collègues voulant que, dans les affaires qui portent sur des lois non inclusives, un « seuil plus élevé » que le seuil de l’entrave substantielle s’applique (motifs de la juge Côté, par. 137 et 149; voir aussi les motifs du juge Rowe, par. 211 et 219).
[9]                              Je conclus que, au vu du dossier dont dispose la Cour, l’Association n’a pas démontré que la loi excluant les cadres de premier niveau du régime général des relations de travail au Québec viole la liberté d’association de ses membres.
II.        Contexte
[10]                          L’Association représente certains superviseurs des opérations travaillant pour la Société. La Société est une filiale de la Société des loteries du Québec, une société d’État, et elle supervise quatre casinos exploités par le gouvernement québécois. Les superviseurs des opérations sont des cadres de premier niveau au sein des cinq niveaux de gestion de la Société, et ils sont responsables de veiller à la bonne marche des activités des jeux et du service à la clientèle. Ils supervisent les croupiers, des employés syndiqués qui assurent le déroulement des jeux dans les casinos.
[11]                        L’Association a présenté au TAT une requête en accréditation en vertu du Code du travail. Parce que l’art. 1l)1 du Code du travail exclut les cadres du régime législatif de relations de travail, y compris de la possibilité d’obtenir l’accréditation de leur association, l’Association a sollicité une décision portant que cette exclusion de nature législative viole de manière injustifiée la liberté d’association garantie à ses membres par l’al. 2d) de la Charte et par l’art. 3 de la Charte québécoise.
[12]                          Le TAT a conclu que l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » viole de manière injustifiée la liberté d’association des superviseurs des opérations (2016 QCTAT 6870). La juge administrative a tracé un parallèle entre la contestation constitutionnelle de l’Association et la contestation constitutionnelle examinée dans l’arrêt Police montée de notre Cour, lequel portait lui aussi sur la contestation d’une exclusion législative d’un régime général de relations de travail. La juge administrative a estimé que, tout comme c’était le cas dans l’affaire Police montée, l’Association ne cherchait pas en l’espèce à imposer à l’État une obligation positive, à savoir l’adoption d’une loi protectrice, mais demandait plutôt à l’État de s’abstenir de perturber par l’exclusion législative le rapport de force entre ses membres et leur employeur (par. 368‑378 (CanLII)).
[13]                        Lors du contrôle judiciaire, la Cour supérieure du Québec a cassé la décision du TAT (2018 QCCS 4781). De l’avis de la Cour supérieure, l’Association voulait imposer à l’État une obligation positive, demande qui selon la cour doit être analysée selon le cadre de l’arrêt Dunmore plutôt que celui de l’arrêt Police montée. La Cour supérieure n’a pas considéré que l’erreur commise par le TAT dans la qualification de la revendication de l’Association était déterminante, étant donné que la juge administrative avait pris en compte les trois facteurs énoncés dans Dunmore pour rendre sa décision (par. 71‑83 (CanLII)). Néanmoins, la cour a statué que la juge administrative avait mal appliqué ce test, et elle a conclu que l’Association n’avait pas établi de violation de la liberté d’association de ses membres.
[14]                          En appel, la Cour d’appel du Québec a infirmé le jugement de la Cour supérieure et rétabli la décision du TAT, sous réserve d’une suspension de 12 mois de la déclaration d’inopérabilité de l’art. 1l)1 du Code du travail (2022 QCCA 180). La Cour d’appel a suivi les enseignements de l’arrêt Police montée et a appliqué le test à deux volets de l’entrave substantielle en tant que cadre d’analyse approprié pour l’examen de l’al. 2d). La Cour d’appel a souligné que l’arrêt Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, rendu par notre Cour, a laissé en suspens la question de savoir si le cadre d’analyse établi dans Dunmore continue de s’appliquer dans le contexte des relations de travail (par. 127 (CanLII)). D’après la Cour d’appel, si, d’une part, la distinction entre les droits positifs et les droits négatifs n’est plus pertinente pour déterminer s’il y violation de l’al. 2d), alors le test à deux volets de l’arrêt Police montée s’applique. Toutefois, si, d’autre part, la distinction demeure pertinente, alors le TAT a qualifié correctement la revendication de l’Association comme étant une revendication de droits négatifs, puisque l’Association sollicite d’être libérée de l’ingérence gouvernementale causée par l’exclusion prévue par la loi (par. 133‑136).
III.        Analyse
[15]                          Dans Toronto (Cité), une affaire de liberté d’expression fondée sur l’al. 2b), les juges majoritaires de la Cour se sont abstenus de décider si l’arrêt Dunmore continue de s’appliquer aux revendications fondées sur l’al. 2d) à la suite des arrêts de la Cour dans les affaires Fraser et Police montée. Les juges majoritaires ont déclaré qu’il « n’est pas nécessaire de décider en l’espèce si l’arrêt Dunmore demeure applicable aux revendications fondées sur l’al. 2d) », affirmant que « la question n’est pas tranchée », étant donné les arrêts Fraser et Police montée (Toronto (Cité), par. 21).
[16]                        Je suis d’accord avec ma collègue la juge Côté pour dire que l’arrêt Dunmore n’a pas été infirmé par l’arrêt Fraser ou par l’arrêt Police montée, et qu’il demeure valable en droit. En même temps, je dois avec égards exprimer mon désaccord avec elle sur la manière d’interpréter l’arrêt Dunmore, compte tenu de la jurisprudence subséquente de notre Cour sur l’al. 2d).
A.         Le cadre d’analyse pour l’application de l’al. 2d) de la Charte
[17]                        Le cadre d’analyse permettant de déterminer si une loi ou une action gouvernementale viole l’al. 2d) de la Charte a été établi par notre Cour dans l’arrêt Dunmore. Rédigeant les motifs de la majorité, le juge Bastarache a formulé le test à deux volets suivant :
     Pour établir l’atteinte à l’al. 2d) de la Charte, les appelants doivent prouver premièrement que les activités considérées font partie de celles qu’il protège et, deuxièmement, que les dispositions contestées, par leur objet ou leur effet, compromettent ces activités . . . [par. 13]
[18]                          La question en litige dans Dunmore était celle de savoir si l’exclusion des travailleurs agricoles du régime légal des relations de travail en Ontario violait l’al. 2d) de la Charte. Dans le contexte de cette affaire, notre Cour s’est demandé si une loi non inclusive pouvait entraver l’exercice d’une liberté fondamentale. Le juge Bastarache a déclaré que, même s’il n’existe pas de droit constitutionnel à la protection légale, une loi non inclusive pouvait constituer une entrave à l’exercice d’une liberté fondamentale dans des « contextes exceptionnels » (par. 22). Comme il l’a expliqué, « selon les circonstances, la liberté d’association peut, par exemple, interdire l’exclusion sélective d’un groupe de la protection nécessaire à la formation et au maintien d’une association, même s’il n’existe en soi aucun droit constitutionnel à une telle protection de la loi » (par. 28).
[19]                        Le juge Bastarache a mentionné trois facteurs qui « délimitent mais n’excluent pas la possibilité de contester la non-inclusion sur le fondement de l’art. 2 de la Charte » (par. 24). Premièrement, la revendication doit invoquer « de manière plausible » une liberté fondamentale garantie par la Charte, plutôt que l’accès à un régime légal précis (par. 24). Deuxièmement, la preuve doit démontrer que l’exclusion « permet une entrave substantielle » à l’exercice d’une liberté fondamentale (par. 25 (souligné dans l’original)). Troisièmement, l’État doit être responsable de l’incapacité du demandeur d’exercer une liberté fondamentale dans la mesure où il « orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle la violation de libertés fondamentales » (par. 26).
[20]                        Ma collègue la juge Côté est d’avis que ces trois facteurs créent un cadre d’analyse distinct pour les revendications sollicitant une intervention positive de l’État afin de permettre l’exercice de la liberté fondamentale d’association. Soit dit en tout respect, je ne suis pas d’accord. Comme je l’expliquerai, selon mon interprétation de la jurisprudence de la Cour, celle‑ci établit un seul cadre d’analyse pour évaluer de prétendues violations de la liberté d’association garantie par l’al. 2d). Ce cadre d’analyse consiste à se demander si les activités en cause sont protégées par l’al. 2d), et si l’action gouvernementale a, par son objet ou son effet, substantiellement entravé ces activités. Les facteurs énoncés dans Dunmore sont pertinents dans l’examen de la question de savoir s’il y a eu violation de l’al. 2d), mais ils ne constituent pas un test distinct.
(1)      Revue de la jurisprudence de notre Cour
a)               Dunmore (2001)
[21]                        L’analyse du juge Bastarache dans l’arrêt Dunmore est en soi instructive pour comprendre l’interaction entre le test à deux volets et ce qu’il a appelé les facteurs qui « délimitent mais n’excluent pas » la possibilité de contester une loi non inclusive sur le fondement de l’al. 2d) de la Charte (par. 24). Dans l’examen de la question de savoir si l’exclusion législative des travailleurs agricoles du régime des relations de travail en Ontario violait l’al. 2d), le juge Bastarache a d’entrée de jeu conclu que les travailleurs souhaitaient se livrer à une activité protégée par l’al. 2d), à savoir la liberté de s’organiser. Il s’est ensuite demandé si l’exclusion entravait de manière substantielle, soit par son objet soit par son effet, l’exercice de cette activité associative (par. 30 et 35). Bien que le juge Bastarache ait refusé de conclure que l’exclusion visait à faire obstacle à la liberté syndicale des travailleurs (par. 31‑33), il a accepté que l’exclusion avait pour effet d’entraver substantiellement leur liberté de s’associer (par. 34‑48). Il a analysé les effets de l’exclusion en tenant compte des trois facteurs délimitants examinés plus tôt dans sa décision (par. 35).
[22]                        En particulier, le juge Bastarache a souligné que les travailleurs agricoles ne revendiquaient pas le droit d’être inclus dans un régime de relations de travail particulier accordé à certains citoyens. Ils contestaient plutôt leur exclusion d’un régime qui « ne fait pas que favoriser la liberté syndicale », mais « lui donne effet » (par. 36‑38). Le dossier dont disposait la Cour démontrait que les travailleurs étaient incapables de s’organiser sans le régime de protection (par. 39‑42). L’exclusion prévue par la loi renforçait aussi considérablement les atteintes privées au droit des travailleurs d’exercer leur liberté, en produisant un effet paralysant sur les activités syndicales hors d’un cadre légal, de sorte que l’État était en partie responsable de leur incapacité à s’organiser (par. 43‑48).
[23]                          En définitive, le juge Bastarache a conclu que l’exclusion prévue par la loi entravait substantiellement la liberté des travailleurs agricoles de s’organiser, et qu’elle n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte (par. 48 et 65). En basant son analyse sur le test à deux volets, le juge Bastarache a démontré que le cadre général pour évaluer des revendications fondées sur l’al. 2d) consiste à se demander si l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale entrave substantiellement l’activité associative. Le juge Bastarache a pris en compte les facteurs délimitants dans cette évaluation. Comme il l’a expliqué, « la charge de preuve imposée par l’al. 2d) [. . .] vise les effets de la non‑inclusion sur la capacité d’exercer une liberté fondamentale » (par. 28). Cependant, ces facteurs ne constituent pas un test distinct pour déterminer s’il y a eu violation de l’al. 2d).
b)               Health Services (2007)
[24]                          Six ans plus tard, dans l’affaire Health Services, faisant fond sur l’arrêt Dunmore, la Cour a confirmé que le test de l’entrave substantielle s’applique à toutes les contestations fondées sur l’al. 2d) (par. 90‑92 et 109). Cette affaire ne portait pas sur la contestation d’une loi non inclusive, mais plutôt sur une loi qui entravait directement la négociation collective, en invalidant certaines clauses de conventions collectives et en empêchant la négociation de certaines questions dans le futur. S’exprimant pour la majorité, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel se sont référés au « critère énoncé dans Dunmore » pour déterminer s’il y a violation de l’al. 2d) (par. 96), et ont confirmé que la partie qui allègue une telle violation doit démontrer que, par son objet ou son effet, l’action gouvernementale constitue une entrave substantielle au droit associatif de négociation collective (par. 90). Ils ont également confirmé les principes, d’abord formulés comme des facteurs délimitants dans Dunmore, portant que l’al. 2d) ne garantit pas l’accès à un régime légal précis et que, pour que l’auteur d’une revendication fondée sur l’al. 2d) ait gain de cause, il doit établir que le gouvernement est responsable de l’entrave au droit protégé par cette disposition (par. 19). Essentiellement, les juges majoritaires dans l’arrêt Health Services ont confirmé que les trois facteurs énoncés dans Dunmore sont des principes généraux et ont élargi leur application non plus seulement au contexte spécifique des lois non inclusives, mais à toutes les revendications fondées sur l’al. 2d).
c)               Fraser (2011)
[25]                        Dans l’affaire Fraser, rédigeant les motifs de la majorité, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel ont réaffirmé le cadre d’analyse établi dans les arrêts Dunmore et Health Services. Cette affaire concernait la constitutionnalité d’un régime distinct de relations de travail en Ontario pour les travailleurs agricoles, instauré en réponse à l’arrêt Dunmore. Le régime protégeait les droits des travailleurs agricoles de s’associer et de présenter des revendications collectives à leur employeur, mais n’incluait pas les autres droits de négociation collective existant dans le régime général des relations de travail.
[26]                          Dans Fraser, les juges majoritaires ont affirmé qu’une entrave substantielle peut découler d’une entrave par voie législative ou d’une exclusion d’un régime législatif. La juge en chef McLachlin et le juge LeBel ont écrit que « [s]’il est démontré qu’une loi (ou l’absence de loi : voir Dunmore) ou une action de l’État rend impossible en l’entravant substantiellement l’exercice véritable du droit d’association, la restriction du droit garanti à l’al. 2d) est établie » (par. 47). Ils ont également rappelé que l’al. 2d) ne garantit pas l’accès à un modèle particulier d’exercice de la liberté associative (par. 45), et qu’une entrave substantielle doit découler d’une action de l’État plutôt que des actions des employeurs du secteur privé (par. 73).
[27]                          Dans Fraser, les juges majoritaires ont indiqué dans une mise en garde qu’une « distinction nette entre une liberté et un droit [. . .] paraît intenable » (par. 67), et ont souligné que la Cour « s’est toujours refusée à établir une distinction rigide entre les libertés “positives” et les droits “négatifs” consacrés par la Charte » (par. 69). À leur avis, « l’interprétation téléologique de la liberté d’association et de la protection qu’elle offre peut obliger l’État à prendre des mesures concrètes pour permettre aux individus de prendre part à des activités collectives d’importance fondamentale » (par. 70). En guise d’exemple, les juges majoritaires ont fait observer que « les individus possèdent, vis‑à‑vis de l’État, le droit à un processus de négociation collective de bonne foi et que ce droit demande à l’État d’imposer des obligations légales aux employeurs » (par. 73, commentant Health Services).
[28]                          J’ouvre une parenthèse pour signaler que plusieurs commentateurs s’accordent pour dire qu’il est difficile d’établir une distinction nette entre les libertés positives et les droits négatifs dans le contexte des relations de travail. C’est le cas, en partie, parce que l’État joue [traduction] « un rôle profond et étendu » dans la réglementation des droits et libertés des travailleurs, « tant en protégeant, qu’en délimitant et en restreignant rigoureusement » les activités associatives (S. Barrett et E. Poskanzer, « What Fraser Means For Labour Rights in Canada », dans F. Faraday, J. Fudge et E. Tucker, dir., Constitutional Labour Rights in Canada: Farm Workers and the Fraser Case (2012), 190, p. 193; voir aussi les p. 196 et 223; voir aussi F. Faraday, « Taking a Mulligan : Freedom of Association », dans H. Kislowicz, K. A. Froc et R. Moon, dir., Canada’s Surprising Constitution : Unexpected Interpretations of the Constitution Act, 1982 (2024 (à paraître)), p. 349‑350). Comme l’a fait observer la professeure Judy Fudge, dans le contexte des relations de travail, bien que la distinction entre les obligations positives d’offrir la protection légale et les obligations négatives d’éviter les ingérences législatives [traduction] « semble plausible au départ, elle est difficile à défendre, car au Canada, comme dans la plupart des pays, la liberté d’association dans le contexte des relations de travail est intégralement liée à la protection légale » (« Freedom of Association », dans E. Mendes et S. Beaulac, dir., Canadian Charter of Rights and Freedoms (5e éd. 2013), 527, p. 553; voir aussi J. Cameron, « Due Process, Collective Bargaining, and s. 2(d) of the Charter : A Comment on B.C. Health Services » (2006), 13 C.L.E.L.J. 233, p. 256). Étant donné que, dans le contexte des relations de travail, la liberté fondamentale d’association est exercée principalement par l’entremise d’outils légaux, un commentateur a dit ceci : [traduction] « Il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre le fait de permettre l’exercice d’une liberté et celui de l’accroître » (S. M. Barrett, « Dunmore v. Ontario (Attorney General) : Freedom of Association at the Crossroads » (2003), 10 C.L.E.L.J. 83, p. 112).
[29]                        Enfin, dans Fraser, les juges majoritaires ont tracé une ligne droite entre l’approche suivie dans cette affaire et celle suivie dans les affaires antérieures Dunmore et Health Services. Ils ont affirmé que la « décision rendue dans [Health Services] découle directement des principes énoncés dans Dunmore » (par. 38; voir aussi les par. 39 et 62), et confirmé que « l’arrêt Health Services applique les principes établis dans Dunmore » (par. 43). Les juges majoritaires ont aussi dressé des parallèles entre les questions en litige dans les arrêts Dunmore et Health Services, et celle en litige dans l’affaire Fraser, affirmant que « [c]omme dans ces affaires, il faut se demander si le régime législatif [. . .] rend impossible l’association vouée à la réalisation d’objectifs liés au travail, entravant ainsi substantiellement l’exercice de la liberté d’association garantie à l’al. 2d) » (par. 48). Par conséquent, en dépit des diverses descriptions de l’action gouvernementale contestée dans les arrêts Dunmore, Health Services, et Fraser — respectivement une loi non inclusive, une loi entravant directement le droit d’association et une loi insuffisamment robuste —, notre Cour a appliqué le même cadre d’analyse de l’entrave substantielle dans ces trois affaires.
d)               Police montée (2015)
[30]                        Quelques années après l’arrêt Fraser, notre Cour a conclu, dans l’arrêt Police montée, qu’une loi qui excluait les membres de la Gendarmerie royale du Canada du processus de négociation collective du régime général de relations de travail applicable aux fonctionnaires fédéraux et les assujettissait à un autre régime de relations de travail violait de manière injustifiée l’al. 2d) de la Charte. Rédigeant les motifs de la majorité, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel ont déclaré que l’al. 2d) « protège l’activité associative afin de prémunir les individus contre l’isolement provoqué par l’État et de leur permettre de réaliser collectivement ce qu’ils ne pourraient pas accomplir seuls » (par. 62). Les juges majoritaires ont réitéré que l’al. 2d) ne garantit pas l’accès à un régime légal précis (par. 67) et affirmé « [qu’]il faut essentiellement déterminer si les mesures en question perturbent l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur que l’al. 2d) vise à établir, de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective » (par. 72). Dans l’arrêt Police montée, les juges majoritaires ont également souligné que les précédents de la Cour sur l’al. 2d), de Dunmore à Health Services et à Fraser, devraient être lus et compris comme étant compatibles les uns avec les autres et que, « [d]e façon plus générale, leur interprétation doit respecter l’interprétation téléologique et généreuse donnée par la Cour à l’al. 2d) » (par. 77).
e)               Meredith (2015)
[31]                          Le cadre d’analyse de l’entrave substantielle dans le cas des revendications fondées sur l’al. 2d) a aussi été énoncé dans l’arrêt connexe à l’affaire Police montée, Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, [2015] 1 R.C.S. 125, dans lequel la juge en chef McLachlin et le juge LeBel, qui s’exprimaient pour la majorité, ont déclaré que, dans « les instances relatives à l’al. 2d), les tribunaux doivent déterminer si les mesures prises par l’État ont entravé de façon substantielle la poursuite collective par les employés d’objectifs liés au travail » (par. 24).
f)               Saskatchewan Federation of Labour (2015)
[32]                        Récemment, le cadre d’analyse de l’entrave substantielle a été appliqué par la juge Abella, qui rédigeait les motifs de la majorité dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245, dans lequel il a été jugé qu’une interdiction législative du droit de grève violait l’al. 2d) (par. 78).
g)               Résumé
[33]                        En résumé, la jurisprudence de la Cour sur l’al. 2d) révèle que la Cour a invariablement appliqué un cadre d’analyse à deux volets qui consiste à déterminer si les activités en cause relèvent du champ d’application de l’al. 2d), et si l’action gouvernementale a, par son objet ou son effet, substantiellement entravé ces activités. La Cour a en outre souligné que sa jurisprudence sur l’al. 2d) depuis l’arrêt Dunmore devrait être considérée comme un corpus cohérent de décisions.
[34]                        L’arrêt Dunmore n’a pas été infirmé par les arrêts de notre Cour Police montée ou Fraser. La jurisprudence de la Cour ne crée pas non plus deux tests, l’un pour les revendications sollicitant une intervention positive de l’État, l’autre pour les revendications sollicitant une protection négative contre l’ingérence de l’État. Même si les facteurs de l’arrêt Dunmore n’ont pas été mentionnés et analysés chaque fois que la Cour a été appelée à déterminer si une loi ou une action gouvernementale violait l’al. 2d) de la Charte, les principes sous-jacents ont invariablement été réaffirmés. Ces principes — ou les facteurs de Dunmore — délimitent la possibilité de contester avec succès une loi non inclusive, mais ils ne constituent pas un test distinct. Ils fournissent plutôt des indications visant à faire en sorte que l’analyse s’attache à déterminer si la loi ou l’action gouvernementale en cause entrave substantiellement, par son objet ou son effet, la capacité du demandeur à se livrer à des activités qui relèvent du champ d’application de l’al. 2d).
[35]                        Il n’est pas toujours nécessaire de considérer expressément chaque facteur de Dunmore. Il arrive parfois que la responsabilité de l’État pour l’entrave substantielle soit évidente. Pensons par exemple à une loi prohibant un type donné d’activité associative, telle une interdiction de faire la grève. Le facteur de Dunmore qui consiste à s’assurer que l’entrave est attribuable à l’État plutôt qu’à un acteur du secteur privé demeure pertinent, mais il est à ce point évident dans un tel cas que l’entrave est attribuable à l’État qu’il n’est pas nécessaire d’en traiter de manière expresse. Dans d’autres cas, conformément à la mise en garde faite par le juge Bastarache dans l’arrêt Dunmore, le tribunal doit prendre soin dans l’évaluation de la preuve de démêler les effets de la loi ou de l’action gouvernementale contestée des éléments externes, et de déterminer si cette loi ou action « orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle la violation » (par. 26).
[36]                        L’arrêt Dunmore n’a pas non plus établi un seuil plus élevé à respecter pour établir une violation de l’al 2d) dans le cas des revendications sollicitant l’intervention de l’État. Dans tous les cas, le seuil requis pour prouver une violation de l’al. 2d) est l’entrave substantielle. Ce seuil a d’abord été expliqué dans Dunmore (par. 25), puis invariablement appliqué dans la jurisprudence subséquente de la Cour sur l’al. 2d) (Health Services, par. 19 et 90; Fraser, par. 2 et 47; Police montée, par. 72; Meredith, par. 4 et 24‑25; Saskatchewan Federation of Labour, par. 2 et 25).
[37]                          Il peut être plus difficile pour un demandeur qui conteste une loi non inclusive ou sollicite l’intervention de l’État de s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe, étant donné, comme je l’ai signalé ci‑dessus, que les effets de la loi en question peuvent être ardus à démêler des autres facteurs. Comme l’a souligné la Cour dans Dunmore, c’est dans des « contextes exceptionnels » qu’une loi non inclusive équivaudra à une entrave substantielle (par. 22). Dans tous les cas, toutefois, le seuil de preuve requis pour établir une violation de l’al. 2d) demeure l’entrave substantielle. Les demandeurs qui allèguent qu’une loi non inclusive viole l’al. 2d) n’ont pas à satisfaire à un seuil plus élevé.
(2)      Les alinéas 2b) et 2d) de la Charte commandent des cadres d’analyse différents
[38]                          Comme je l’ai mentionné précédemment, les juges majoritaires de notre Cour, au par. 21 de l’arrêt Toronto (Cité), une affaire de liberté d’expression fondée sur l’al. 2b) de la Charte, ont refusé de se pencher sur la question de savoir si l’approche adoptée dans Dunmore à l’égard de l’al. 2d) « demeure applicable » à la suite des décisions rendues par la Cour dans les affaires Fraser et Police montée, et ils ont laissé cette question en suspens. J’ai expliqué pourquoi la jurisprudence de la Cour sur l’al. 2d) confirme déjà que Dunmore demeure valable en droit et comment notre Cour a fait fond sur cet arrêt dans les affaires Fraser et Police montée.
[39]                          Il est également utile de souligner brièvement l’évolution différente des cadres d’analyse des al. 2b) et 2d) de la Charte afin d’expliquer pourquoi la distinction entre les libertés positives et les droits négatifs n’est pas pertinente pour déterminer le cadre applicable aux revendications fondées sur l’al. 2d), même si elle a été confirmée récemment dans l’affaire Toronto (Cité) dans le contexte de l’al. 2b).
[40]                        La question en litige dans Toronto (Cité) était de savoir si une loi qui avait réduit le nombre de quartiers électoraux durant une élection municipale en cours violait le droit des candidats à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte. Les juges majoritaires de la Cour ont confirmé la distinction entre le test applicable aux revendications de libertés positives et celui applicable aux revendications de droits négatifs dans le contexte de l’al. 2b), se référant à un arrêt antérieur de la Cour, Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673, lequel avait lui aussi appliqué les trois facteurs de Dunmore à l’égard de l’al. 2b) (Baier, par. 30). Dans l’arrêt Toronto (Cité), les juges majoritaires ont affiné le cadre d’analyse pour les revendications de libertés positives concernant la liberté d’expression, le résumant à l’unique question de savoir si « la demande est [. . .] fondée sur la liberté d’expression fondamentale garantie par la Charte, de sorte que, en niant l’accès à une tribune d’origine législative ou en omettant autrement d’agir, le gouvernement a substantiellement entravé la liberté d’expression ou avait pour objectif de le faire » (par. 25).
[41]                        En conséquence, dans le contexte des revendications fondées sur l’al. 2b) de la Charte, le seuil à satisfaire pour faire la preuve d’une revendication de liberté positive est l’existence d’une entrave substantielle à la liberté d’expression (Toronto (Cité), par. 25). Toutefois, comme il a été expliqué dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, le seuil applicable dans le cas des revendications de droits négatifs concernant la liberté d’expression consiste à déterminer si l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale est simplement de restreindre la liberté d’expression (Toronto (Cité), par. 24, citant Irwin Toy, p. 971, et Baier, par. 27‑28 et 45).
[42]                        Dans le contexte de la liberté d’association, par contraste, le seuil de preuve requis pour établir les revendications de liberté d’association « positives » et « négatives » est le même : l’entrave substantielle (voir Dunmore, par. 25; Health Services, par. 19 et 90; Fraser, par. 2 et 47; Police montée, par. 72; Meredith, par. 4 et 24‑25; Saskatchewan Federation of Labour, par. 2 et 25). Il n’existe pas de seuil plus rigoureux pour les revendications de droits positifs fondées sur l’al. 2d). Pour les revendications concernant la liberté d’association, « le seuil élevé du deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Dunmore » (Toronto (Cité), par. 25), à savoir l’entrave substantielle, s’applique déjà à toutes les revendications portant sur des obligations positives et des obligations négatives (Fudge, p. 545‑546 et 550).
[43]                        Des commentateurs doctrinaux ont eux aussi souligné que la norme de preuve d’une violation dans le cas d’une revendication fondée sur l’al. 2d) [traduction] « est stricte, et ne présente que peu de ressemblance avec l[e] tes[t] analogu[e] pour la liberté d’expression garantie à l’al. 2b) » (J. Cameron et N. Des Rosiers, « The Right to Protest, Freedom of Expression, and Freedom of Association », dans P. Oliver, P. Macklem et N. Des Rosiers, dir., The Oxford Handbook of the Canadian Constitution (2017), 737, p. 749; voir aussi Faraday, p. 353).
[44]                        En résumé, les cadres d’analyse pour les al. 2b) et 2d) ont évolué différemment dans la jurisprudence de notre Cour. Cela contribue à expliquer pourquoi la distinction entre les libertés positives et les droits négatifs n’est pas pertinente pour déterminer le cadre applicable aux revendications fondées sur l’al. 2d), même si elle a été confirmée récemment dans le contexte de l’al. 2b).
B.           Application
[45]                        Ayant énoncé le cadre approprié à l’égard de l’al. 2d) de la Charte, je vais maintenant appliquer ce cadre aux revendications de l’Association en l’espèce. Ce faisant, je souscris aux commentaires de ma collègue la juge Côté au sujet de la norme de contrôle et je vais appliquer la norme de la décision correcte aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit en litige dans les présents pourvois (par. 94‑97).
(1)            La revendication de l’Association porte sur des activités protégées par l’al. 2d)
[46]                        À la première étape du cadre d’analyse de l’al. 2d), la Cour doit déterminer si les activités auxquelles les membres de l’Association veulent se livrer relèvent du champ d’application de l’al. 2d) de la Charte. Dans l’examen de cette question, la Cour doit se demander si l’Association peut « invoquer de manière plausible une liberté fondamentale garantie par la Charte » (Dunmore, par. 24).
[47]                          L’Association plaide que le fait que la loi exclut ses membres du bénéfice des protections du Code du travail empêche ces derniers de s’engager dans un processus de négociation collective véritable avec leur employeur, processus comportant une protection constitutionnelle pour l’Association, une indépendance suffisante vis‑à‑vis de l’employeur et le droit à des recours si l’employeur ne négocie pas de bonne foi. La revendication de l’Association porte sur des activités protégées par l’al. 2d) de la Charte, qui comprennent le droit de former une association ayant suffisamment d’indépendance vis‑à‑vis de l’employeur, de présenter collectivement des revendications à l’employeur et de voir ces revendications prises en compte de bonne foi (Saskatchewan Federation of Labour, par. 29; Police montée, par. 81; voir aussi Faraday, p. 348).
[48]                          À titre de réparation, l’Association demande à la Cour de déclarer l’exclusion législative inopérante dans le contexte de sa requête en accréditation. Contrairement à ma collègue la juge Côté (par. 155‑159), je suis d’avis que la réparation précise sollicitée par l’Association ne constitue pas un fondement suffisant pour rejeter la revendication fondée sur l’al. 2d), car l’Association peut « invoquer de manière plausible une liberté fondamentale garantie par la Charte » (Dunmore, par. 24). C’est le cas parce que la revendication de l’Association vise à permettre à ses membres d’exercer leur droit à un processus de négociation collective véritable qui, comme il a été mentionné précédemment, existe indépendamment du Code du travail, en tant que partie des activités associatives protégées par l’al. 2d). Les membres de l’Association ne sollicitent pas simplement l’accès à un régime législatif.
[49]                        Il est peu utile, pour une autre raison, de se concentrer sur la réparation sollicitée. Même si la Cour concluait en définitive que l’exclusion législative viole la liberté d’association des membres de l’Association, la Cour pourrait laisser à la discrétion de la législature le choix de la façon de donner effet adéquatement aux droits garantis aux membres par l’al. 2d) (Fudge, p. 532; A. Bogg et K. Ewing, « A (Muted) Voice at Work? Collective Bargaining in the Supreme Court of Canada » (2012), 33 Comp. Lab. L. & Pol’y J. 379, p. 399‑400). Par exemple, bien que dans l’arrêt Police montée la Cour ait conclu que l’exclusion des membres de la GRC du régime général des relations de travail entravait substantiellement la liberté d’association, elle a déclaré que le Parlement n’était pas obligé d’inclure la GRC dans le régime général des relations de travail et « demeur[ait] libre d’adopter tout modèle qu’il estime indiqué pour régir les relations de travail des employés de cette organisation, dans le respect des limites constitutionnelles imposées par la garantie prévue à l’al. 2d) » (par. 156).
(2)      L’exclusion législative n’entrave pas substantiellement les activités des membres de l’Association protégées par l’al. 2d)
[50]                          À la seconde étape de l’analyse, la Cour doit déterminer si l’exclusion législative, par son objet ou son effet, entrave substantiellement les activités des membres de l’Association protégées par l’al. 2d). Dans l’examen de cette question, la Cour doit se demander si l’État est responsable de l’incapacité des membres d’exercer leurs libertés fondamentales garanties par l’al. 2d).
[51]                          À mon avis, l’exclusion législative n’a pas pour objet d’entraver les droits associatifs des cadres. Comme l’explique ma collègue la juge Côté, lorsque la législature a exclu les cadres de la définition de « salarié » dans le Code du travail, elle avait pour objectifs d’opérer une distinction entre les cadres et les salariés dans les organisations hiérarchiques, d’éviter de placer les cadres en situation de conflit d’intérêts entre leur rôle en tant que salariés dans les négociations collectives et leur rôle de représentants de l’employeur dans le cadre de leurs responsabilités professionnelles, et de faire en sorte que les employeurs aient confiance que les cadres représenteraient leurs intérêts, et ce, tout en protégeant les intérêts communs distincts des salariés (par. 168‑169).
[52]                          L’Association n’a pas non plus démontré, au vu du dossier dont dispose la Cour, que l’exclusion législative a pour effet d’entraver substantiellement le droit de ses membres à une négociation collective véritable. Les superviseurs des opérations ont été en mesure de se regrouper pour former l’Association. La section de Montréal de l’Association a été volontairement reconnue par la Société comme représentante des superviseurs des opérations. La Société et la section de Montréal de l’Association ont conclu un protocole d’entente établissant un cadre de collaboration et de consultation sur les conditions de travail et des questions connexes. Selon ce cadre, la Société et l’Association ont convenu de se rencontrer sur demande pour discuter de préoccupations liées au milieu de travail afin de trouver « [des] solutions gagnant‑gagnant » (cl. 1(b), reproduite dans le d.a., vol. V, p. 1). Les parties ont convenu « d’agir dans un esprit de concertation et de collaboration dans leurs relations mutuelles » (cl. 2(c)). La Société a aussi accepté que le Casino de Montréal consulte l’Association avant de fixer ou de modifier les conditions de travail des superviseurs des opérations dans le secteur des jeux (cl. 2(b)).
[53]                          Le cadre convenu prévoit également que la Société percevra les cotisations syndicales pour le compte de l’Association auprès de ses membres. Qui plus est, la Société a accepté de libérer, avec traitement, des représentants syndicaux pour qu’ils participent aux rencontres avec les représentants du Casino de Montréal et aux rencontres de l’Association. La Société s’est aussi engagée à libérer les représentants syndicaux, avec traitement, pour qu’ils participent aux activités syndicales, leur salaire étant facturé plus tard à l’Association (clause 4; voir les motifs de la juge Côté, par. 174‑178).
[54]                          Les modalités du protocole d’entente démontrent que les membres de l’Association sont en mesure de s’associer et de négocier collectivement avec leur employeur. Contrairement aux conclusions du TAT et à celles de la Cour d’appel, la nature volontaire de la reconnaissance de l’Association par la Société, ainsi que du cadre de concertation, ne constitue pas en soi une entrave substantielle au droit à une négociation collective véritable. Comme l’a fait observer la Cour dans l’arrêt Police montée, « rien dans la Charte n’empêche une association d’employés de s’engager librement avec l’employeur dans un type de négociation différent, moins contradictoire et davantage axé sur la collaboration » (par. 97).
[55]                          En tant que société d’État, la Société doit respecter la Charte canadienne. Elle doit également respecter la Charte québécoise. Bien que le dossier démontre que la Société n’a pas, à l’occasion, respecté le protocole d’entente, l’Association peut s’adresser aux tribunaux et solliciter des réparations pour toute entrave substantielle au droit de ses membres à une négociation collective véritable, y compris leur droit de faire la grève, qui est protégé par l’al. 2d), même en l’absence de cadre législatif habilitant (Saskatchewan Federation of Labour, par. 61). À mon humble avis, sans preuve au dossier que de telles réparations sont inadéquates, la Cour d’appel et le TAT ne pouvaient conclure que l’absence d’accès à un mécanisme spécialisé de résolution des différends ou de protection légale du droit de grève cause une entrave substantielle à la liberté d’association des membres. Le droit à une négociation collective véritable ne garantit pas l’accès à un modèle particulier de relations de travail (Police montée, par. 67).
[56]                          Le dossier ne montre pas non plus que l’omission de la Société de respecter le protocole d’entente ou de négocier de bonne foi avec l’Association découle de l’exclusion législative. Contrairement à l’affaire Dunmore, il n’y a pas de preuve que cette exclusion orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle la violation des libertés fondamentales des membres de l’Association.
[57]                        Quoique que ma collègue la juge Côté arrive à cette conclusion en partie en soulignant l’absence de toute « vulnérabilité particulière » des superviseurs des opérations (par. 129 et 131; voir aussi les par. 130 et 133), je limite strictement mes conclusions au dossier, lequel ne laisse pas voir de lien entre l’exclusion législative et les actions de la Société. La preuve d’une vulnérabilité additionnelle n’est pas requise si les éléments de preuve révèlent un lien de causalité entre la loi non inclusive et la prétendue violation de l’al. 2d) (voir Barrett, p. 110‑111). Il est notoire que la liberté d’association [traduction] « vise précisément à remédier à l’inégalité des rapports de force dans la société » (Faraday, p. 342). En outre, comme l’ont souligné les juges majoritaires dans l’arrêt Police montée, « [l]a garantie prévue à l’al. 2d) de la Charte ne peut faire abstraction du déséquilibre des forces en présence dans le contexte des relations du travail. Le permettre reviendrait à ne pas tenir compte “des origines historiques des concepts enchâssés” à l’al. 2d) » (par. 80, citant R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344).
IV.   Dispositif
[58]                        Appliquant le test à deux volets de l’entrave substantielle qui s’applique à toutes les revendications fondées sur l’al. 2d), je conclus que l’Association n’a pas démontré que l’exclusion législative des cadres de premier niveau du régime général des rapports collectifs de travail au Québec viole la liberté d’association garantie à ses membres par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise. J’accueillerais les pourvois avec dépens, j’infirmerais l’arrêt de la Cour d’appel, je casserais la décision du TAT et je déclarerais que l’art. 1l)1 du Code du travail s’applique à la requête en accréditation de l’Association.
Les motifs du juge en chef Wagner et de la juge Côté ont été rendus par
                  La juge Côté —
                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Introduction

59

II.   Contexte

64

III.   Historique judiciaire

71

A.   Tribunal administratif du travail, 2016 QCTAT 6870 (la juge administrative Zaïkoff)

71

B.   Cour supérieure du Québec, 2018 QCCS 4781 (la juge Lamarche)

79

C.   Cour d’appel du Québec, 2022 QCCA 180 (les juges Gagnon, Hogue et Beaupré)

85

IV.   Questions en litige

91

V.   Analyse

92

A.   La norme de contrôle applicable

92

B.   Le contenu de la liberté d’association

98

C.   L’Association revendique une intervention positive de l’État

122

D.   Le cadre d’analyse de l’al. 2d)

133

E.     L’exclusion des membres de l’Association du régime du C.t. viole‑t‑elle la liberté d’association?

154

(1)     L’Association et ses membres revendiquent l’accès à un régime particulier de relations de travail, soit le C.t.

154

(2)     L’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. n’a pas pour objet ni pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association

160

a)      L’objet de l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. n’est pas d’entraver substantiellement la liberté d’association des cadres de premier niveau que sont les SDO

161

b)      L’exclusion législative n’a pas pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association

172

(3)     À supposer qu’il y ait une entrave substantielle, l’État ne peut en être tenu responsable à la troisième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore

186

VI.   Dispositif

198

Annexe — Dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes

 

I.               Introduction
[59]                        Le Code du travail, RLRQ, c. C‑27 (« C.t. »), régit l’aménagement de la plupart des rapports collectifs de travail au Québec. En vertu de l’art. 1l)1 C.t., est exclue du champ d’application du C.t. une personne qui, au jugement du Tribunal administratif du travail (« TAT »), « est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».
[60]                        Le 5 mai 1995, un commissaire du travail conclut que les chefs de table de jeu de la Société des casinos du Québec inc. (« Société ») sont des cadres hiérarchiques du Casino de Montréal, ce qui les exclut du champ d’application du C.t. en raison de l’exclusion prévue à son art. 1l)1. Le 21 septembre 1995, cette décision est confirmée en appel par le Tribunal du travail (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 c. Société des casinos du Québec inc., 1995 CanLII 15922). En 2005, dans le cadre d’une restructuration, le poste de chef de table est aboli et ses fonctions sont attribuées au titre nouvellement créé de « superviseur des opérations » (« SDO »). Le palier de supervision supérieur est également aboli. Les SDO héritent donc de responsabilités accrues de supervision à l’égard des croupiers.
[61]                        Le recours de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« Association ») concerne la constitutionnalité de l’exclusion de ces employés du régime du C.t. L’Association prétend que l’exclusion législative prévue à l’art. 1l)1 C.t. contrevient à la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne ») et par l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12 (« Charte québécoise »), de manière injustifiée au regard de l’article premier de la Charte canadienne et de l’art. 9.1 de la Charte québécoise.
[62]                        Les présents pourvois offrent à notre Cour l’occasion de clarifier le statut du cadre d’analyse établi par l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016. Tel que la Cour l’a noté dans l’arrêt Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 21, l’arrêt Dunmore a été discuté dans les arrêts Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, et Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3 (« APMO »), sans qu’il ne soit écarté. À mon avis, et pour les raisons exposées ci‑dessous, le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore demeure applicable aux contestations constitutionnelles de l’exclusion de travailleurs d’un régime de relations de travail.
[63]                        En appliquant ce cadre d’analyse aux faits de l’espèce, j’arrive à la conclusion que l’exclusion législative contestée ne restreint pas la liberté d’association garantie par les chartes canadienne et québécoise.
II.            Contexte
[64]                        La Société, une filiale de la Société des loteries du Québec (« Loto‑Québec »), gère quatre casinos au Québec. L’Association, créée en 1997 en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, L.R.Q., c. S‑40 (maintenant RLRQ, c. S‑40), représente certains SDO. Les SDO supervisent le travail des croupiers, lesquels sont des employés syndiqués, en plus de surveiller les opérations du secteur des jeux, qui comprend les tables de jeu, les machines à sous, le keno (un type de bingo) ainsi que les salons de poker. Les SDO sont les yeux et les oreilles de l’employeur sur le plancher.
[65]                        Le 19 septembre 2001, au terme de négociations, l’Association et la Société concluent un protocole d’entente (« Protocole »), dont l’objet est de régir certains aspects des rapports collectifs de travail entre les chefs de table (par la suite remplacés par les SDO) et la Société. Au cours des années qui suivent la conclusion du Protocole, de nombreux différends surviennent quant à son application et à la négociation de certaines conditions de travail.
[66]                        Le 18 mars 2003, l’Association, de concert avec la Confédération nationale des cadres du Québec, l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux et l’Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des alcools du Québec, dépose une plainte auprès du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail. Dans cette plainte, l’Association conteste l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. en vertu de la Convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 68 R.T.N.U. 17, et de la Convention (no 98) concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective, 96 R.T.N.U. 257, de l’Organisation internationale du Travail.
[67]                        Dans son rapport, le Comité conclut que l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. empêche les cadres de se syndiquer, même si les cadres peuvent « constituer des associations qui jouissent de prérogatives non négligeables » (Rapport no 335 (2004), vol. LXXXVII, série B, no 3, par. 459). Le Comité recommande de modifier le C.t. « afin que les cadres jouissent du droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des associations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres “associations de salariés” » (par. 463).
[68]                        Le 5 septembre 2007, en réponse au rapport du Comité, le gouvernement du Québec propose un Guide de bonne gouvernance applicable « aux personnels d’encadrement des secteurs public et parapublic (fonction publique, éducation et santé et services sociaux) représentés par une association reconnue par un décret du gouvernement ou un décret ministériel » (d.a., vol. VI, p. 273). Ce guide suggère, entre autres choses, qu’une entente établisse les modalités de consultation des associations lorsque l’État, employeur, souhaite modifier les conditions de travail de leurs membres. Le guide contient également des suggestions quant à la forme que devraient prendre ces modalités. De plus, il propose que les différends relatifs au respect des modalités de consultation convenues soient soumis à l’instance ministérielle appropriée. Fait notable, ce guide ne s’applique pas aux sociétés d’État et n’a donc pas d’incidence sur les rapports collectifs de travail au sein de la Société.
[69]                        En 2009, l’Association dépose à la Commission des relations du travail (désormais le TAT[2]) une requête en accréditation en vertu du C.t. Dans le cadre de sa requête, l’Association demande à représenter les SDO de toutes les divisions du secteur des jeux du Casino de Montréal. Lors des audiences, l’Association représentait 250 SDO affectés aux tables de jeu au Casino de Montréal et au Casino du Lac‑Leamy, soit 70 p. 100 des SDO des tables de jeu de la Société. L’Association avait également comme membres des SDO d’autres divisions que les tables de jeu.
[70]                        En réponse à la requête en accréditation de l’Association, la Société soulève un moyen d’irrecevabilité, soit l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. Il importe de noter que c’est dans ce contexte que l’Association argue l’inconstitutionnalité de cette disposition.
III.         Historique judiciaire
A.           Tribunal administratif du travail, 2016 QCTAT 6870 (la juge administrative Zaïkoff)
[71]                        La juge administrative estime que l’art. 1l)1 C.t. porte atteinte de manière injustifiée à la liberté d’association des personnes visées par la requête en accréditation de l’Association. Elle déclare donc cette disposition inopérante dans le cadre de cette requête.
[72]                        La juge administrative conclut que l’Association ne revendique pas une intervention positive de l’État. À son avis, la requête vise uniquement à assurer que les membres de l’Association ne soient pas privés d’une protection adéquate dans leurs rapports avec la Société, de manière à ne pas être entravés dans l’exercice de leur liberté d’association. La juge administrative n’applique donc pas le cadre d’analyse établi par notre Cour dans les arrêts Dunmore et Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673.
[73]                        La juge administrative conclut que l’exclusion législative a pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association. Premièrement, la juge estime que l’exclusion législative prive les membres de l’Association d’une protection contre l’ingérence ou l’entrave de l’employeur dans la reconnaissance du caractère représentatif de l’Association. Deuxièmement, elle conclut qu’il existe entre les cadres de premier niveau et la direction un déséquilibre des forces qui affecte la négociation collective. En effet, à son avis, les cadres se sentent pris « entre “l’arbre et l’écorce” » (par. 315 (CanLII)) et ne disposent pas de moyens tels que ceux de la Société, laquelle est étroitement liée à l’appareil étatique. Troisièmement, la juge conclut de son examen de la preuve que la Société n’est pas ouverte à discuter de plusieurs sujets relatifs aux relations de travail, tels que l’inclusion des conditions de travail dans le Protocole, la détermination des membres que l’Association représente, les conditions de travail à incidence salariale et le mouvement de personnel. Quatrièmement, l’exclusion législative prive les membres de l’Association de recours juridiques efficaces pour sanctionner le non‑respect du Protocole ou résoudre des difficultés d’interprétation et d’application de celui‑ci. Le recours aux tribunaux de droit commun ne se compare pas, du point de vue de l’accessibilité et de la rapidité, au recours à un tribunal spécialisé, ni ne permet d’obtenir les réparations requises en contexte de rapports collectifs de travail. Finalement, la juge administrative est d’avis que l’exclusion législative supprime, en pratique, le droit de grève des cadres de premier niveau que sont les membres de l’Association. En effet, en dehors de mesures législatives encadrant ce droit, un employé ne peut cesser de fournir sa prestation de travail sans faire face à des mesures disciplinaires.
[74]                        La juge administrative attribue à l’État la responsabilité de cette entrave, car, selon elle, l’exclusion des cadres de premier niveau est contraire à ses engagements internationaux, conformément à ce qu’a conclu le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail.
[75]                        Dans la mesure où l’Association recherchait l’intervention positive de l’État, la juge administrative aurait conclu que les conditions de l’arrêt Baier sont satisfaites, car l’Association ne cherche pas à avoir accès à un régime légal particulier. L’Association a démontré que, en l’absence d’un autre régime législatif, l’exclusion de ses membres du régime du C.t. entrave substantiellement leur liberté d’association.
[76]                        À cet égard, la juge administrative retient de la preuve que le Casino de Montréal ne donne pas plein effet  à la reconnaissance de l’Association comme association représentative des SDO. Par exemple, le Casino de Montréal a mis sur pied un comité mixte sur les horaires de travail auquel des non‑membres sont conviés, ce qui dilue l’utilité d’adhérer à l’Association. L’Association n’est pas invitée à participer aux travaux sur le régime de retraite, sur les assurances collectives et sur le Guide des conditions de travail. De même, le Casino de Montréal refuse de considérer toute question afférente au Protocole et à « la question du prélèvement des cotisations, l’augmentation des libérations des représentants et l’inclusion des conditions de travail dans le Protocole » (par. 400). Les différents paliers décisionnels ne donnent pas suite à certaines demandes de l’Association et peinent à assurer un suivi auprès d’elle. Le Casino de Montréal ne s’oblige pas à négocier avec l’Association, mais uniquement à la consulter, consultation qui, du reste, n’a pas toujours lieu.
[77]                        Cette atteinte à la liberté d’association n’est pas justifiée sous l’article premier de la Charte canadienne ou sous l’art. 9.1 de la Charte québécoise. L’objectif identifié par le gouvernement n’est pas réel et urgent, car il n’a pas été démontré que l’exclusion des cadres découle de la National Labor Relations Act, Pub. L. No. 74‑198, 49 Stat. 449 (1935) (aussi appelée « Loi Wagner »), dont le C.t. s’inspire. D’ailleurs, le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, et d’autres lois basées sur le modèle Wagner dans le reste du Canada permettent la syndicalisation des cadres de premier niveau.
[78]                        Même si l’objectif était réel et urgent, les moyens pour l’atteindre ne sont pas proportionnés. Il n’y a pas de lien rationnel entre l’exclusion et l’objectif identifié par le gouvernement. L’exclusion totale des cadres n’a pas de lien rationnel avec le souci de maintenir l’obligation de loyauté des cadres, d’assurer l’absence de conflits d’intérêts et de prévenir l’ingérence. Finalement, l’atteinte à la liberté d’association n’est pas minimale puisque l’exclusion législative est totale alors que d’autres modèles, tant au Québec, qu’au Canada et à l’échelle internationale, permettent la syndicalisation des cadres de premier niveau.
B.            Cour supérieure du Québec, 2018 QCCS 4781 (la juge Lamarche)
[79]                        La Cour supérieure accueille la demande en contrôle judiciaire, casse la décision du TAT et déclare applicable, valide et opérante constitutionnellement l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t.
[80]                        La juge de première instance conclut d’abord que la norme de la décision correcte s’applique puisque le litige porte sur la constitutionnalité de l’art. 1l)1 C.t. Cependant, la cour reconnaît devoir faire montre de déférence à l’égard des conclusions factuelles du TAT.
[81]                        Ensuite, la Cour supérieure conclut que l’Association recherche l’intervention positive de l’État afin que ses membres soient assujettis au régime du C.t. et applique donc le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore, ce qu’elle appelle le « test Dunmore » (par. 82 (CanLII)). Le TAT aurait erré en concluant autrement.
[82]                        À la première étape de ce cadre d’analyse, la Cour supérieure conclut que l’Association ne demande pas l’accès à un régime légal particulier. Elle cherche plutôt à pouvoir « exercer son droit à un processus de véritable négociation collective » (par. 100).
[83]                        À la seconde étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore, la Cour supérieure estime que l’objet de l’exclusion législative n’est pas de priver les membres de leur liberté d’association, laquelle inclut le droit à une véritable négociation collective de leurs conditions de travail. L’exclusion est basée sur le modèle Wagner et a pour objectif de « créer une communauté d’intérêts pour les salariés non‑cadres et de faciliter leur syndicalisation tout en s’assurant que l’employeur puisse faire confiance à ses cadres » (par. 123; voir aussi les par. 124‑130). Au sujet des effets de l’exclusion, la Cour supérieure reproche au TAT d’avoir comparé la situation des SDO membres de l’Association à la situation d’employés dont les droits et obligations sont prévus au C.t. Cette erreur a mené le TAT à conclure qu’un écart entre les protections du C.t. et la situation des SDO constitue une entrave substantielle à leur liberté d’association.
[84]                        La Cour supérieure reconnaît néanmoins que la liberté d’association des SDO membres de l’Association est substantiellement entravée à certains égards. La preuve démontre que la Société modifie unilatéralement les conditions de travail des SDO membres de l’Association, sans consultation de celle‑ci ou avis préalable. Ce faisant, la Société mine le processus de véritable négociation. La preuve révèle aussi que la Société n’a pas réellement l’intention de poursuivre la négociation sur certains sujets. Toutefois, le TAT a eu tort d’attribuer à l’État la responsabilité de cette entrave, cette dernière étant plutôt le fruit du comportement de la Société. La revendication de l’Association échoue donc à la troisième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore.
C.            Cour d’appel du Québec, 2022 QCCA 180 (les juges Gagnon, Hogue et Beaupré)
[85]                        La Cour d’appel accueille l’appel, infirme le jugement de la Cour supérieure, rejette le pourvoi en contrôle judiciaire et rétablit la décision du TAT, sous réserve de l’ajout d’une conclusion ordonnant la suspension, pour une période de 12 mois à partir de l’arrêt, des « effets de la déclaration du TAT concernant le caractère inopérant de l’exclusion prévue à l’article [1l)1 C.t.] » (par. 194 (CanLII)).
[86]                        Au sujet du cadre d’analyse applicable, la Cour d’appel conclut qu’il s’agit de celui appliqué dans l’arrêt APMO, ce qu’elle appelle le test de « l’entrave substantielle » (par. 137). La Cour d’appel ne caractérise pas la requête de l’Association comme une demande d’intervention positive de l’État, mais plutôt comme une demande de ne pas être assujettie à l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t.
[87]                        La Cour d’appel estime que la Cour supérieure a erré en ne faisant pas montre de déférence à l’égard des conclusions du TAT relatives aux effets de l’exclusion législative sur les SDO. Ces conclusions relèvent de l’expertise spécialisée du TAT et de son appréciation globale de la preuve; elles auraient dû être maintenues. Par conséquent, la Cour d’appel conclut à l’existence d’une entrave substantielle à la liberté d’association des SDO membres de l’Association.
[88]                        Bien qu’elle estime que cela ne soit pas nécessaire, vu sa conclusion quant à l’inapplicabilité du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore, la Cour d’appel exprime son désaccord à l’égard de la conclusion de la Cour supérieure qui attribue la responsabilité de l’entrave substantielle à la Société et non à l’État. La Société est une filiale de Loto‑Québec qui est une société d’État. De plus, l’exclusion complète des cadres de premier niveau du champ d’application du C.t. constitue une action étatique.
[89]                        À l’étape de la justification de l’atteinte, la Cour d’appel convient avec le TAT que le critère de l’atteinte minimale n’est pas satisfait, car il existe d’autres régimes législatifs en vigueur au Canada plus permissifs à l’égard de la syndicalisation des cadres.
[90]                        Malgré que le TAT n’ait pas prononcé une déclaration générale d’inopérabilité de l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t., la Cour d’appel estime néanmoins opportun de suspendre les effets de sa propre décision rétablissant la décision du TAT, en raison des répercussions que celle‑ci aurait sur l’aménagement des rapports collectifs de travail pour les cadres du Québec.
IV.         Questions en litige
[91]                        Les présents pourvois soulèvent les questions suivantes :
•                     La Cour d’appel a‑t‑elle erré en concluant que la Cour supérieure devait faire montre de déférence à l’égard des conclusions factuelles et des conclusions mixtes de fait et de droit tirées par le TAT qui s’inscrivent dans le cadre de l’analyse d’une question constitutionnelle?
 
•                     L’exclusion des cadres prévue à l’art. 1l)1 C.t. viole‑t‑elle la liberté d’association des SDO membres de l’Association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et par l’art. 3 de la Charte québécoise? Dans l’affirmative, cette violation est‑elle justifiée par l’article premier de la Charte canadienne et par l’art. 9.1 de la Charte québécoise?
 
•                     Le cas échéant, y a‑t‑il lieu de suspendre la déclaration d’inconstitutionnalité de l’art. 1l)1 C.t. et, dans l’affirmative, pendant combien de temps?
V.           Analyse
A.           La norme de contrôle applicable
[92]                        Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, notre Cour a établi une présomption que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire d’une décision d’un décideur administratif (par. 16 et 23‑32). Cette présomption peut être réfutée lorsque la primauté du droit exige une réponse cohérente, décisive et définitive des cours de justice, ce qui est le cas en matière de questions constitutionnelles :
     La Constitution tant écrite que non écrite circonscrit l’ensemble des mesures prises par l’État. Les législateurs et les décideurs administratifs sont tenus de respecter la Constitution. Un législateur ne saurait modifier la portée de ses propres pouvoirs constitutionnels par voie législative. Il ne saurait non plus modifier les limites constitutionnelles de ses pouvoirs exécutifs en déléguant ceux‑ci à un organe administratif. En d’autres termes, si un législateur peut choisir les pouvoirs à déléguer à un organisme administratif, il ne peut déléguer des pouvoirs dont la Constitution ne l’investit pas. Le pouvoir constitutionnel d’agir doit comporter des limites définies et uniformes, ce qui commande l’application de la norme de la décision correcte.
 
(Vavilov, par. 56; voir aussi les par. 53 et 55.)
[93]                        Les parties s’entendent sur l’application de la norme de la décision correcte aux conclusions de droit du TAT qui s’inscrivent dans le cadre de l’analyse de la question constitutionnelle dont il était saisi. Leur désaccord porte sur la norme qui devrait s’appliquer aux conclusions mixtes de fait et de droit et aux conclusions factuelles qui s’inscrivent dans le cadre d’une question constitutionnelle.
[94]                        En ce qui concerne le premier type de conclusions, je suis d’avis que la norme de la décision correcte s’applique. Les conclusions dites « mixtes » sont celles qui déterminent « si les faits satisfont aux critères juridiques applicables » (Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), 1998 CanLII 813 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 322, par. 38). En l’espèce, déterminer si l’exclusion du régime du C.t. constitue une entrave substantielle à la liberté d’association des membres de l’Association n’est pas une simple question de fait. Une telle analyse implique de pondérer « l’importance constitutionnelle » des conclusions factuelles tirées de la situation des membres au regard de la liberté d’association (Westcoast Energy, par. 39). Cela revient, en quelque sorte, à définir la norme constitutionnelle de « l’entrave substantielle ».
[95]                        La définition de cette norme requiert une réponse décisive et définitive (Vavilov, par. 53 et 55). Dans l’arrêt Westcoast Energy, cité avec approbation dans l’arrêt Vavilov, par. 55, notre Cour note qu’il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’égard des questions mixtes de fait et de droit s’inscrivant dans le cadre d’une question constitutionnelle, vu l’importance de répondre correctement aux questions constitutionnelles (par. 39‑40).
[96]                        La Cour supérieure n’avait donc pas à faire montre de déférence à l’égard des conclusions de droit de même que des conclusions mixtes de fait et de droit du TAT, mais uniquement à l’égard des conclusions factuelles tirées par le tribunal.
[97]                        Une cour de révision doit faire montre de déférence à l’égard des conclusions purement factuelles pouvant être isolées de l’analyse constitutionnelle (Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, par. 26). Une telle déférence à l’égard de telles conclusions repose sur des considérations liées à « l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance » (Vavilov, par. 125). La primauté du droit n’exige pas qu’il y ait une réponse décisive et définitive à l’égard des questions purement factuelles, celles‑ci variant d’un dossier à l’autre.
B.            Le contenu de la liberté d’association
[98]                        Avant de s’attarder plus avant à la revendication de l’Association, il est opportun de faire un tour d’horizon de la jurisprudence de notre Cour relative à la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise.
[99]                        Historiquement, notre Cour a donné une interprétation restrictive à la liberté d’association. Dans ce que l’on appelle maintenant, en droit du travail, la « trilogie de 1987 », notre Cour a conclu que la liberté d’association ne comprend pas le droit à la négociation collective ni le droit de faire la grève (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313 (« Renvoi relatif à l’Alberta »); AFPC c. Canada, 1987 CanLII 89 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 424; SDGMR c. Saskatchewan, 1987 CanLII 90 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 460; voir aussi Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord‑Ouest (Commissaire), 1990 CanLII 72 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 367, et, dans un contexte autre que celui des relations de travail, Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, 1997 CanLII 17020 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 157, arrêts qui confirment l’interprétation restrictive des juges majoritaires de la trilogie). Pendant plusieurs décennies, l’interprétation prédominante de la liberté d’association n’incluait que le droit de former des associations et l’exercice collectif de libertés individuelles.
[100]                     Cette interprétation restrictive de la liberté d’association a grandement influencé le sort du pourvoi dans l’arrêt Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), 1999 CanLII 649 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 989. Dans cette affaire, similaire à celle qui nous occupe, notre Cour était saisie d’une contestation relative à l’exclusion des membres de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») du régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P‑35 (« LRTFP 1985 »). S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Bastarache a estimé que l’exclusion des membres de la GRC du régime de la LRTFP 1985 ne portait pas atteinte à l’al. 2d). Ce faisant, il a souligné que la liberté d’association n’impose pas à l’État « [l]’obligation positive » d’inclure les agents de la GRC dans un régime particulier (par. 33).
[101]                     Quelques années plus tard, soit en 2001, notre Cour rend l’arrêt Dunmore. Cet arrêt marque le tournant décisif vers une nouvelle ère dans l’interprétation de l’al. 2d). Cette nouvelle ère était préfigurée par les arrêts Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, 1991 CanLII 68 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 211, et R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., 2001 CSC 70, [2001] 3 R.C.S. 209, où notre Cour, dans l’examen de la liberté de ne pas s’associer, avait préconisé une interprétation téléologique de l’al. 2d).
[102]                     Comme l’affaire Delisle, l’affaire Dunmore portait elle aussi sur la constitutionnalité d’une exclusion législative, cette fois‑ci celle des travailleurs agricoles de l’Ontario du régime de négociation collective créé par la Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, c. 1, ann. A. Cette exclusion faisait suite à l’abrogation de la Loi de 1994 sur les relations de travail dans l’agriculture, L.O. 1994, c. 6 (voir la Loi de 1995 modifiant des lois en ce qui concerne les relations de travail et l’emploi, L.O. 1995, c. 1, art. 80), le seul régime de rapports collectifs de travail dont avaient jusqu’alors bénéficié les travailleurs agricoles de la province.
[103]                     Dans son analyse de l’al. 2d), le juge Bastarache, au nom des juges majoritaires, a d’abord déterminé que l’État peut être obligé en certaines circonstances de prendre des mesures positives pour préserver l’exercice de la liberté d’association (Dunmore, par. 19‑29). Il a ensuite statué que l’exercice « réel » de la liberté d’association « peut exiger non seulement l’exercice en association des droits et libertés constitutionnels (telle la liberté de réunion) et des droits légitimes des individus, mais aussi l’exercice de certaines activités collectives, comme la défense des intérêts de la majorité auprès de l’employeur » (par. 30). Il en résulte la règle bien établie suivant laquelle toute mesure législative dont l’objet ou l’effet est d’entraver substantiellement la capacité des travailleurs de participer à des activités associatives et d’agir collectivement en vue de réaliser des objectifs communs porte atteinte à l’al. 2d) de la Charte canadienne.
[104]                     En l’espèce, le juge Bastarache constate que les travailleurs agricoles de l’Ontario « sont essentiellement dans l’incapacité d’exercer leur liberté fondamentale de se syndiquer en l’absence d’un régime de protection » (par. 35). Il souligne que cette situation se distingue de celle de l’arrêt Delisle, car les agents de la GRC dans cette dernière affaire étaient en mesure de s’organiser et de négocier leurs conditions de travail en dehors du régime d’accréditation syndicale (par. 25). Pour cette raison, le juge Bastarache détermine que l’exclusion des travailleurs agricoles du régime général de rapports collectifs de l’Ontario porte substantiellement atteinte à leur liberté d’association (au par. 48), laquelle n’était pas justifiable au regard de l’article premier (par. 49‑65).
[105]                     À titre de réparation, le juge Bastarache déclare inconstitutionnelle la disposition d’exclusion des travailleurs agricoles du régime général, mais suspend les effets de cette déclaration pour 18 mois, en soulignant que le législateur n’a pas l’obligation de les inclure intégralement au régime général (par. 66‑68). En effet, la liberté d’association ne garantit pas « l’accès à un régime légal précis », car cette liberté n’est « pas d’origine législative » (par. 24).
[106]                     Six ans plus tard, dans l’arrêt Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, notre Cour coupe tout lien avec la trilogie et renverse les arrêts qui la composent (voir Renvoi relatif à l’Alberta; AFPC; SDGMR), et ce, en raison de l’évolution jurisprudentielle marquée par l’arrêt Dunmore. Il y est reconnu que la liberté d’association « vise non seulement les activités individuelles exercées collectivement, mais aussi les activités associatives elles‑mêmes » (Health Services, par. 89). S’exprimant pour la majorité, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel concluent que l’al. 2d) protège « le droit d’employés de s’associer en vue d’atteindre des objectifs relatifs au milieu de travail par un processus de négociation collective » (par. 87).
[107]                     Ce droit de prendre part à un processus de négociation collective signifie que la liberté d’association exige l’existence d’un processus qui permette aux employés « de s’unir, de présenter collectivement des demandes à leurs employeurs [. . .] et de participer à des discussions en vue d’atteindre des objectifs liés au milieu de travail » (par. 89) et impose des obligations correspondantes à l’employeur, notamment celle de consulter les employés et de négocier de bonne foi (par. 90 et 97).
[108]                     Toutefois, l’al. 2d) ne protège pas « tous les aspects de l’activité associative liée à la négociation collective », mais seulement contre les « entraves substantielles » à cette activité (par. 90, citant Dunmore, par. 23). En outre, comme le juge Bastarache dans l’arrêt Dunmore, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel ont pris le soin d’affirmer que le droit de participer à un processus de négociation collective ne garantit ni « l’atteinte de résultats quant au fond » ni « le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail » (par. 91).
[109]                     Dans l’arrêt Fraser, rendu en 2011, la Cour est de nouveau appelée à se prononcer sur la constitutionnalité du régime de relations du travail applicable aux travailleurs agricoles de l’Ontario. En s’appuyant sur la « logique qui sous‑tend les arrêts Dunmore et Health Services » (par. 46), la juge en chef McLachlin et le juge LeBel, au nom de la majorité, ont statué que la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles, L.O. 2002, c. 16, adoptée suite à l’arrêt Dunmore, ne porte pas atteinte à l’al. 2d) de la Charte canadienne.
[110]                     Dans l’arrêt Fraser, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel ont réaffirmé que la liberté d’association protège le droit à un processus « véritable » de négociation collective, ce qui inclut l’obligation de consulter et de négocier de bonne foi (par. 33 et 40). Cependant, et de manière plus pertinente pour nos fins, les juges majoritaires ont réitéré avec insistance que la liberté d’association protège « l’activité associative » elle‑même, « non un processus ou un résultat particulier » (par. 47; voir aussi par. 45, citant Health Services, par. 91).
[111]                     À la lumière de ces principes, les juges majoritaires concluent que le régime particulier prévu pour les travailleurs agricoles est constitutionnel, en ce qu’il confère aux travailleurs agricoles le droit de s’associer, d’adhérer à une association puis d’y contribuer en participant à ses activités, ainsi que le droit de faire, par le biais de leur association, des représentations auprès de leur employeur au sujet de leurs conditions de travail.
[112]                     Puis, en 2015, notre Cour signe une seconde trilogie, composée des arrêts APMO, Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, [2015] 1 R.C.S. 125, et Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245. Ces arrêts confirment « les conclusions fondamentales » tirées de la jurisprudence antérieure voulant que la liberté d’association garantisse le droit de participer à un processus véritable de négociation collective, et non le droit à un résultat quant au fond ou l’accès à un régime particulier de relations de travail (APMO, par. 67).
[113]                     Dans l’arrêt APMO, notre Cour s’est penchée sur la constitutionnalité de l’ensemble du régime de relations de travail applicable aux membres de la GRC. Un règlement fédéral leur imposait une forme de représentation qu’ils n’avaient pas choisie, le Programme de représentants des relations fonctionnelles, et leur interdisait de négocier par l’entremise d’un syndicat indépendant ou d’une association d’employés. Ils étaient également exclus du régime de négociation collective prévu par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 2 (« LRTFP 2003 », maintenant intitulée Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral). La Cour devait donc réexaminer en partie la décision rendue dans l’arrêt Delisle. Il importe de préciser que dans cette dernière affaire, seule l’exclusion des membres de la GRC était contestée directement, par opposition à la constitutionnalité du régime imposé dans son ensemble.
[114]                     Avant d’examiner la constitutionalité du régime imposé aux membres de la GRC, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel, pour la majorité, ont souligné l’évolution de la jurisprudence vers une interprétation téléologique, généreuse et contextuelle de la liberté d’association. À leur avis, l’al. 2d) protège trois catégories d’activités : « . . . (1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations; (2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et (3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités » (par. 66; voir aussi le pourvoi connexe Meredith, par. 24).
[115]                     Dans le contexte du travail, cela signifie que « l’al. 2d) protège contre une entrave substantielle au droit à un processus véritable de négociation collective » (APMO, par. 80). Or, en suivant l’interprétation téléologique de la liberté d’association dégagée de la jurisprudence, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel ont jugé que l’al. 2d) doit tenir compte du « déséquilibre des forces en présence » entre les employés et les employeurs (par. 80). Un processus véritable de négociation collective exige donc que les employés puissent définir leurs objectifs collectifs, ce qui implique une liberté de choix quant à leur représentation et l’indépendance de leur association vis‑à‑vis la direction (par. 85‑90).
[116]                     En l’espèce, les juges majoritaires concluent que le régime imposé aux membres de la GRC porte atteinte à leur liberté d’association. Il importe de préciser ici que la Cour ne conclut pas que l’exclusion législative, prise isolément, viole l’al. 2d). Elle conclut plutôt que l’ensemble du régime « vise manifestement à empêcher des activités syndicales protégées par l’al. 2d) de la Charte » :
     Deuxièmement, dans Delisle, la Cour n’avait été appelée à statuer que sur un élément du régime de relations de travail des membres de la GRC — soit leur exclusion de la [LRTFP 1985]. En l’espèce, la contestation vise l’ensemble du régime de relations de travail, soit l’exclusion du régime de la [LRTFP 2003] ainsi que l’imposition du régime dont nous avons conclu qu’il vise à priver les membres de la GRC du droit de constituer une association indépendante capable de participer à un processus véritable de négociation collective. Autrement dit, les juges majoritaires dans Delisle ont conclu que l’exclusion législative, prise isolément, n’empêchait pas la création d’une association indépendante, mais la Cour examine maintenant la totalité d’un régime qui vise manifestement à empêcher des activités syndicales protégées par l’al. 2d) de la Charte. [Je souligne; par. 126.]
[117]                     Le contenu de la liberté d’association a également été revisité dans l’arrêt Saskatchewan Federation. La question qui se posait dans cette affaire était celle de savoir si l’interdiction faite aux employés du secteur public désignés de prendre part à une grève portait atteinte au droit garanti par l’al. 2d) de la Charte canadienne. Renversant l’opinion émise par notre Cour dans le Renvoi relatif à l’Alberta, les juges majoritaires, sous la plume de la juge Abella, ont déterminé que le droit de grève est « essentiel » au processus de négociation collective (au par. 54), voire un [traduction] « minimum irréductible » de la liberté d’association (par. 61, citant P. Weiler, Reconcilable Differences : New Directions in Canadian Labour Law (1980), p. 69).
[118]                     Appliquant le critère de l’entrave substantielle, la juge Abella conclut donc que l’interdiction du recours à la grève portait en l’espèce atteinte à la liberté d’association des salariés du secteur public. En effet, la loi en cause dans cette affaire interdisait aux salariés désignés comme prestataires des « services essentiels » de prendre part à un arrêt de travail. Aux termes de cette loi, les employeurs publics autres que le gouvernement étaient invités à conclure un accord avec l’association syndicale sur la notion de « services essentiels ». À défaut d’un tel accord, les services tenus pour essentiels pouvaient être déterminés unilatéralement par l’employeur, en l’absence de tout contrôle des tribunaux spécialisés de la province ou de tout autre recours pour les employés.
[119]                     Il est clair que le recours à la grève ne constitue pas une fin en soi, mais bien un moyen d’action ayant lui‑même comme finalité l’exercice du droit à un processus véritable de négociation collective. Comme l’indique la juge Abella, « le pouvoir des travailleurs de cesser collectivement le travail aux fins de la négociation de leurs conditions de travail — le droit de grève, en somme — constitue une composante essentielle de la poursuite, par les travailleurs, d’objectifs liés au travail » (par. 46). Une loi qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation en limitant le droit de grève pourrait néanmoins être justifiée, sous l’article premier, dans la mesure où un mécanisme adéquat de rechange est mis en place (par. 25).
[120]                     Ce bref tour d’horizon révèle que la liberté d’association prévue à l’al. 2d) de la Charte canadienne et à l’art. 3 de la Charte québécoise protège contre toute entrave substantielle au droit des employés de véritablement s’associer à d’autres en vue de poursuivre des objectifs collectifs relatifs aux conditions de travail. Cette protection inclut le droit des employés à un processus véritable de négociation collective, lequel comprend le droit de faire des représentations collectives à leur employeur et de les voir considérées en bonne foi, la liberté de choix quant à leur représentation, l’indépendance de leur association vis‑à‑vis leur employeur ainsi que le droit de grève.
[121]                     Cela dit, depuis l’arrêt Dunmore, notre Cour a insisté sur le fait que l’al. 2d) garantit un processus, et non un résultat ou l’accès à un modèle particulier de relations de travail. De fait, la liberté d’association n’est pas d’origine législative, mais son exercice peut être précisé par voie législative. C’est donc à l’aune de ces considérations qu’il faut évaluer la revendication de l’Association, ce à quoi je m’attarde maintenant.
C.            L’Association revendique une intervention positive de l’État
[122]                     Il importe d’abord de caractériser la nature de la revendication de l’Association, car cette nature peut influer sur le cadre d’analyse applicable. Il en est ainsi, car notre Cour a énoncé dans l’arrêt Dunmore un cadre d’analyse comprenant trois étapes pour déterminer dans quelles circonstances le respect des libertés garanties par la Charte canadienne exige que l’État prenne des mesures positives. Si l’Association revendique l’intervention positive de l’État, notre Cour devra décider si le cadre d’analyse qu’elle a établi dans l’arrêt Dunmore, et dont elle s’est inspirée dans l’arrêt Baier, demeure applicable. Dans un tel cas, l’Association devra démontrer non seulement que sa revendication n’est pas fondée sur l’accès à un régime particulier et qu’il y a eu entrave substantielle à la liberté d’association de ses membres, mais en outre que l’État, en sa qualité de législateur, en est responsable.
[123]                     L’Association prétend qu’elle ne revendique pas une intervention positive puisqu’elle demande à ce que ses membres ne soient pas assujettis à l’exclusion du C.t. Tant le TAT que la Cour d’appel lui ont donné raison sur ce point. Autrement dit, comme elle souhaite que ses membres soient exclus de l’exclusion législative, la nature véritable de sa revendication est négative; elle vise à ce que l’État s’abstienne d’adopter une conduite attentatoire à la liberté d’association (soit le maintien de l’exclusion législative totale visant les cadres de premier niveau). Avec égards, cet argument ne me convainc pas.
[124]                     Le contenu de plusieurs libertés garanties par la Charte canadienne possède une dimension positive et négative, d’où la distinction parfois floue entre droit positif et droit négatif (Toronto (Cité), par. 20). Règle générale, [traduction] « les dimensions positives d’un droit exigent que le gouvernement agisse de certaines façons, alors que ses dimensions négatives exigent de lui qu’il s’abstienne d’agir de certaines façons » (par. 20, citant P. Macklem, « Aboriginal Rights and State Obligations » (1997), 36 Alta. L. Rev. 97, p. 101). L’exercice de caractérisation s’intéresse à la « nature de l’obligation que la revendication cherche à faire porter par l’État » (par. 20 (en italique dans l’original)).
[125]                     Dans ses motifs unanimes, la Cour d’appel affirme que le C.t. « est en quelque sorte le régime de droit commun » en matière de rapports collectifs (par. 135, citant Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247, [2011] R.J.Q. 1367, par. 87). La revendication ne viserait donc pas l’inclusion dans un « régime législatif d’application restreinte » (par. 135). Au contraire, comme l’Association cherche à ce que ses membres ne soient pas assujettis à l’exclusion législative prévue à l’art. 1l)1 C.t., sa revendication aurait un caractère négatif et non positif. Je suis en désaccord, pour deux raisons.
[126]                     À mon avis, c’est là confondre la portée du C.t. avec sa fonction dans l’ordre juridique québécois. Certes, le C.t. régit l’aménagement de la plupart des rapports collectifs de travail au sein de la province. Mais ce constat n’emporte pas pour autant qu’il constitue le droit commun en la matière. Il n’existe pas, dans le C.t., une disposition équivalente à la disposition préliminaire du Code civil du Québec, laquelle en fait le droit commun du Québec et le fondement des autres lois. Il découle en outre de cette disposition que le Code civil du Québec « doit recevoir une interprétation large qui favorise l’esprit sur la lettre et qui permette aux dispositions d’atteindre leur objet » (Doré c. Verdun (Ville), 1997 CanLII 315 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 15). Cette approche interprétative prévaut à l’égard des lois du travail.
[127]                     Contrairement au Code civil du Québec, le C.t. n’a pas pour fonction de suppléer aux silences ou lacunes de lois particulières. C’est ainsi que, par exemple, notre Cour a déterminé que le C.t. n’a que partiellement codifié l’obligation qui incombe à l’association d’exécuter correctement sa fonction représentative, laissant place à l’application du droit commun de la responsabilité civile (Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207, par. 46‑47; Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3, par. 60‑61), ou encore que les dispositions du Code civil du Québec peuvent s’appliquer en matière de rapports collectifs de travail dans la mesure où elles sont compatibles avec le régime collectif (Isidore Garon ltée c. Tremblay, 2006 CSC 2, [2006] 1 R.C.S. 27, par. 54).
[128]                     Même à supposer que le C.t. constituait le régime de « droit commun », cela renseigne peu sur la nature de l’obligation que la revendication de l’Association cherche à faire valoir.
[129]                     L’espèce ne concerne pas un cas où l’on demande à l’État de s’abstenir de supprimer une activité que l’Association et ses membres seraient « autrement libres d’exercer sans appui ou habilitation de la part du gouvernement » (Baier, par. 35; voir aussi Toronto (Cité), par. 20 et 26). Par opposition à la situation qui prévalait dans les arrêts Health Services, Saskatchewan Federation et APMO, l’Association ne cherche pas à être soustraite à une disposition législative ou à une mesure gouvernementale limitant ou empêchant une activité garantie que ses membres seraient autrement libres d’exercer — une revendication visant la non‑ingérence de l’État.
[130]                     En effet, dans l’affaire Health Services, la loi contestée modifiait certains éléments mis en place dans les conventions collectives applicables sans que les salariés aient été consultés, et interdisait la conclusion de conventions collectives contraires aux nouveaux éléments du régime. La loi contestée dans l’affaire Saskatchewan Federation retirait ou restreignait expressément le droit de grève à des salariés couverts par le régime général de rapports collectifs. Et, comme j’en ai fait état plus haut, la Cour s’est penchée, dans l’affaire APMO, sur la constitutionnalité d’une loi imposant à des salariés une forme de représentation qu’ils n’avaient pas choisie.
[131]                     Au contraire, la thèse de l’Association repose sur la prémisse que ses membres ne peuvent exercer de manière significative leur liberté d’association sans bénéficier d’une protection législative, donc sans appui ou habilitation de la part de l’État. C’est pour cette raison qu’elle recherche l’appui de l’État, afin que ses membres soient inclus au régime du C.t. et puissent ainsi exercer leur liberté d’association. Il s’agit là d’une revendication visant à ce que l’État adopte une mesure positive, en acceptant d’inclure ses membres dans un régime particulier. Toute revendication visant à supprimer l’exclusion d’une catégorie de travailleurs de l’application d’un régime général des rapports collectifs est essentiellement une demande d’inclusion au sein d’un régime particulier.
[132]                     Ayant conclu que la revendication mise de l’avant par l’Association vise à faire reconnaître et à faire respecter une obligation positive de l’État, je dois examiner l’applicabilité du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore.
D.           Le cadre d’analyse de l’al. 2d)
[133]                     Depuis l’arrêt Dunmore, il est de jurisprudence constante que l’entrave substantielle constitue la norme applicable pour conclure à une violation de la liberté d’association (Dunmore, par. 23; Health Services, par. 90; Fraser, par. 33; APMO, par. 80; Saskatchewan Federation, par. 77‑78). Bien que dans chaque cas l’entrave substantielle soit au cœur de l’analyse, le cadre d’analyse de la liberté d’association varie selon que la partie demande à l’État de s’abstenir d’intervenir dans l’exercice d’une activité protégée, ou revendique plutôt son intervention pour pallier son incapacité d’exercer cette activité sans appui ou habilitation.
[134]                     Le cadre d’analyse en trois étapes établi dans l’arrêt Dunmore est mieux adapté au contexte d’une revendication de nature positive et au type de réparation recherchée dans ces cas. Cette démarche permet en effet de déterminer en quelles circonstances une intervention positive de l’État peut être exigée en vertu de l’al. 2d) de la Charte canadienne, de manière à obliger le législateur à édicter un régime particulier de relations de travail. Dans cet arrêt, le juge Bastarache explique que, dans des circonstances exceptionnelles, l’exclusion d’un régime légal des relations de travail d’une catégorie de personnes peut entraîner la violation de la liberté d’association de ces personnes garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne.
[135]                     Le juge Bastarache décrit ainsi ces circonstances. Premièrement, les arguments pour attaquer l’exclusion doivent se fonder sur une activité protégée par l’al. 2d) lui‑même et non sur l’accès à un régime légal précis. Deuxièmement, l’exclusion doit avoir pour objet ou pour effet d’entraver substantiellement une activité protégée par l’al. 2d) de la Charte canadienne. Troisièmement, l’État doit pouvoir être tenu responsable de cette entrave substantielle à exercer l’activité protégée par l’al. 2d). Sur ce dernier point, l’exclusion devient suspecte constitutionnellement, car elle « orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle » l’atteinte à l’al. 2d) (par. 26; voir aussi les par. 19‑25). Lorsque ces trois étapes sont franchies, il faut conclure que l’omission du législateur de prévoir un régime particulier constitue une violation de l’al. 2d) de la Charte canadienne.
[136]                     Dans l’arrêt Toronto (Cité), par. 21, notre Cour a laissé entendre en obiter que l’applicabilité du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore était maintenant incertaine vu les arrêts APMO et Fraser, sans plus. Cette question n’était pas celle que la Cour était appelée à trancher dans cette affaire, laquelle concernait la liberté d’expression et l’accès à une tribune d’origine législative. En revanche, cette question est au cœur des présents pourvois.
[137]                     L’Association prétend que le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore n’est plus applicable depuis les arrêts APMO et Fraser. Je suis en désaccord. Ces arrêts n’ont pas renversé l’arrêt Dunmore. Bien au contraire, la jurisprudence de notre Cour s’est fondée sur cet arrêt pour développer le cadre d’analyse de l’entrave substantielle, sans jamais renverser le seuil plus élevé à franchir lors de revendications visant un droit positif. La démarche prescrite par l’arrêt Dunmore demeure donc applicable aux contestations relatives à l’exclusion d’un régime législatif. Je m’explique.
[138]                     Premièrement, l’arrêt Fraser ne constituait pas un cas où l’intervention de l’État était revendiquée. Ainsi, l’affaire ne se prêtait pas à l’application du cadre d’analyse de Dunmore. L’Ontario avait adopté une loi régissant les rapports collectifs de travail dans le secteur de l’agriculture en réponse à la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée par notre Cour dans l’arrêt Dunmore. Dans l’affaire Fraser, l’on arguait que cette dernière loi était inconstitutionnelle, car elle n’offrait pas des protections jugées équivalentes à celles du régime général, soit la Loi de 1995 sur les relations de travail.
[139]                     Les motifs majoritaires de l’arrêt Fraser mentionnent que la distinction entre des droits (imposant des obligations positives) et des libertés (imposant des obligations négatives) ne doit pas être rigide, car la Charte canadienne « ne saurait prévoir deux catégories distinctes de garanties, d’une part les libertés, d’autre part les droits » (par. 67). Ces remarques incidentes ne peuvent être interprétées comme répudiant la distinction tracée dans l’arrêt Dunmore entre une revendication visant l’intervention positive et une revendication visant la non‑ingérence de l’État. En effet, une mise en garde contre une application dogmatique et rigide de la distinction entre « droit » et « liberté » avait déjà été effectuée dans l’arrêt Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 995, p. 1039, lequel précède l’arrêt Dunmore et duquel ce dernier s’est inspiré. Par ailleurs, rappelons que les juges majoritaires dans l’arrêt Fraser s’appuient sur les arrêts Haig et Dunmore pour soutenir que la liberté d’association, comme la liberté d’expression, peut imposer des obligations positives à l’État (par. 67‑72).
[140]                     Deuxièmement, l’arrêt APMO doit être distingué de la situation qui prévaut dans les présents pourvois et de celle ayant mené à l’arrêt Dunmore. À première vue, l’arrêt APMO peut sembler jeter un doute sur l’applicabilité du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore, car les juges majoritaires analysent séparément la question du régime législatif imposé, soit le Programme de représentants des relations fonctionnelles, et celle de l’exclusion prévue à la LRTFP 2003. Or, bien que l’imposition aux employés d’un régime particulier soit analysée séparément de leur exclusion du régime général des rapports collectifs, c’est principalement sous l’angle de l’imposition du régime défaillant sur le plan constitutionnel que cette exclusion est examinée :
     La loi qui a succédé à la [LRTFP 1985], soit la [LRTFP 2003], a réduit les catégories de fonctionnaires exclus. Les membres de la GRC restaient toutefois exclus dans les mêmes termes, et aucune autre loi ne leur a permis de participer à un processus de négociation collective (Delisle, par. 85, les juges Cory et Iacobucci, dissidents; R. MacKay, « The Royal Canadian Mounted Police and Unionization », Direction de la recherche parlementaire, 3 septembre 2003, p. 20). Rien n’indiquait que l’objet de l’exclusion initiale des membres de la GRC du régime de négociation collective avait changé (Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, al. 44f); voir également [R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295], p. 335). En effet, l’exclusion prévue par la [LRTFP 2003] permet d’imposer le [Programme de représentants des relations fonctionnelles], dont nous avons conclu qu’il entrave substantiellement tant par son objet que par son effet le droit des membres de la GRC à un processus véritable de négociation collective. Agissant en tandem avec le décret C.P. 1918‑2213, l’exclusion prévue par la [LRTFP 1985] visait de même à priver les membres de la GRC de leur droit à la liberté d’association. Le simple renouvellement de cette exclusion dans la [LRTFP 2003] n’a pas validé cet objet inacceptable sur le plan constitutionnel. L’exclusion prévue dans la version actuelle de cette loi n’est qu’un élément d’un régime de relations de travail déficient sur le plan constitutionnel, et conçu pour empêcher les membres de la GRC d’exercer les droits que leur garantit l’al. 2d). Nous concluons donc que l’objet de l’exclusion prévue par la [LRTFP 2003] viole l’al. 2d) de la Charte. [Je souligne.]
 
(APMO, par. 135)
[141]                     En d’autres termes, c’est l’imposition du Programme de représentants des relations fonctionnelles, rendue possible par l’exclusion du régime législatif général s’appliquant à la fonction publique, qui a été jugée inconstitutionnelle. Pour s’en convaincre davantage, il suffit de lire la manière dont la Cour dans l’arrêt Meredith rendu au même moment décrit les enseignements de l’arrêt APMO :
     L’alinéa 2d) garantit le droit à un processus véritable de relations de travail, sans pour autant donner la certitude d’un résultat en particulier. Cette disposition protège le droit des employés de s’associer de façon utile dans la poursuite d’objectifs collectifs relatifs au travail. Dans APMO, nous avons conclu que l’imposition du [Programme de représentants des relations fonctionnelles], conjuguée à l’interdiction pour les membres de la GRC de négocier collectivement, portait atteinte à ce droit. En même temps, le dossier en l’espèce établit que, en l’absence d’un processus véritable de négociation collective, les membres de la GRC se sont servis du Conseil de la solde en vue d’atteindre leurs objectifs liés à la rémunération. À notre avis, la Charte protège cette activité associative, même si le processus ne respecte pas l’ensemble des exigences de la Charte. Un processus complet de négociation collective ou une absence totale de protection constitutionnelle ne constituent pas des solutions de rechange légales possibles. Mais une entrave à un processus inadéquat au plan constitutionnel peut être l’objet d’un examen constitutionnel à l’égard des exigences de l’al. 2d). Par conséquent, nous devons déterminer si la [loi contestée] a entravé de façon substantielle le processus du Conseil de la solde existant, de sorte qu’elle a porté atteinte à la liberté d’association des appelants. [Je souligne; par. 25.]
[142]                     Il importe de préciser que dans le cas qui nous occupe, aucun régime législatif n’a été imposé aux membres de l’Association. Les pourvois concernent uniquement l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t.
[143]                     Les arrêts Fraser et APMO ne doivent pas être lus comme renversant, sub silentio, le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore. Notre Cour ne renverse pas ses précédents à la légère (APMO, par. 127, citant Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489). Lors du réexamen de l’arrêt Delisle dans l’arrêt APMO, notre Cour a pris soin d’expliquer en quoi ses fondements avaient été érodés par la jurisprudence subséquente. Il en fut de même pour le réexamen du Renvoi relatif à l’Alberta dans l’arrêt Saskatchewan Federation. Rien de tel n’est dit au sujet de l’arrêt Dunmore. Loin de là, la Cour, tant dans l’arrêt APMO que dans l’arrêt Fraser, qualifie l’arrêt Dunmore de tournant dans l’évolution de la jurisprudence sous l’al. 2d) de la Charte canadienne, tournant à l’intérieur duquel s’inscrit l’arrêt Health Services, sur lequel les arrêts APMO et Fraser prennent d’ailleurs appui (Fraser, par. 26‑43; APMO, par. 43‑44 et 51 et suiv.).
[144]                     J’ouvre ici une parenthèse pour traiter de l’approche adoptée par la Cour d’appel à l’égard des motifs de notre Cour dans l’arrêt Toronto (Cité), où les juges majoritaires ont appliqué l’arrêt Baier à l’égard d’une demande d’intervention de l’État en matière de liberté d’expression. Bien qu’elle prenne note des motifs des juges majoritaires, en reconnaissant que l’arrêt Baier est fondé sur le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunmore, la Cour d’appel s’appuie néanmoins sur les motifs des juges minoritaires pour justifier sa conclusion voulant que notre Cour ait abandonné ce cadre d’analyse dans les arrêts Fraser et APMO. Avec égards, il s’agit là d’une erreur de la Cour d’appel de s’appuyer sur l’approche des juges minoritaires dans l’arrêt Toronto (Cité) pour conclure en ce sens.
[145]                     L’Association et certains intervenants invitent notre Cour à abandonner la distinction, opérée dans l’arrêt Dunmore, entre les revendications visant à faire reconnaître une obligation positive de l’État et celles visant à faire respecter par l’État une obligation négative, et à écarter le cadre d’analyse qui en découle. Je décline respectueusement cette invitation, puisque je suis d’avis que le cadre d’analyse en trois étapes établi dans l’arrêt Dunmore permet de mieux répondre aux revendications de nature positive et reflète le caractère exceptionnel de la réparation demandée.
[146]                     Il ne faut pas perdre de vue que le « bond en avant » effectué par notre Cour dans l’arrêt Dunmore, aussi important soit‑il, visait à reconnaître que la responsabilité de l’État découlant de l’al. 2d) peut être de nature « positive » dans des circonstances exceptionnelles seulement. Ce faisant, notre Cour n’a pas voulu introduire des considérations propres au droit à l’égalité dans le cadre d’analyse de la liberté d’association. Comme l’a affirmé le juge Bastarache dans l’arrêt Delisle, l’exclusion d’un régime législatif particulier n’engendre pas une obligation d’inclusion en vertu de l’al. 2d); « c’est là le propre de l’art. 15 » (par. 25; voir aussi Dunmore, par. 28). La liberté d’association ne garantit pas l’accès à un régime particulier de relations de travail, ou à un modèle précis de négociation collective (Dunmore, par. 14; Health Services, par. 91; Fraser, par. 44‑47; APMO, par. 67, 93 et 137).
[147]                     La première étape du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunmore reflète cette considération en posant l’exigence que les arguments fondés sur l’exclusion reposent sur une activité protégée par la liberté d’association en tant que telle, et non sur l’accès à un régime particulier de relations de travail. Dans le contexte d’une revendication positive, une telle exigence signifie que l’État n’est pas tenu d’inclure la catégorie d’employés au sein de ce régime pour remplir son obligation constitutionnelle, mais peut plutôt édicter un régime particulier répondant minimalement aux exigences de l’al. 2d). Il en est ainsi afin d’éviter de créer, en pratique, un droit constitutionnel au régime général de rapports collectifs de travail en vigueur dans une province ou un territoire donné. Un tel résultat serait contraire à l’idée que la liberté d’association existe indépendamment de toute habilitation législative (Dunmore, par. 22‑24 et 35).
[148]                     La seconde étape du cadre d’analyse pose l’exigence que l’exclusion ait pour objet ou pour effet d’entraver substantiellement une activité protégée par l’al. 2d) de la Charte canadienne. Bien que la norme de l’entrave substantielle ait d’abord été présentée par le juge Bastarache comme l’une des considérations délimitant « la possibilité de contester la non‑inclusion sur le fondement de l’art. 2 de la Charte » (Dunmore, par. 24), cette norme s’applique désormais dans chaque cas où la violation d’une liberté d’association est alléguée (Health Services, par. 90; Fraser, par. 33; APMO, par. 80; Saskatchewan Federation, par. 77‑78).
[149]                     La troisième étape de ce cadre d’analyse requiert qu’un lien de causalité soit démontré entre l’entrave substantielle à la liberté d’association et le défaut de l’État de légiférer. Il s’agit d’un fardeau de preuve additionnel à satisfaire afin d’établir qu’il y a violation à la liberté d’association. Cette étape de l’analyse ne découle pas de l’entrave substantielle, qui est la norme d’appréciation de l’al. 2d), mais bien de l’art. 32, lequel « exige un minimum d’action gouvernementale pour que la Charte puisse s’appliquer » (Dunmore, par. 28). Puisque les cas où l’État pourra être tenu responsable de l’entrave substantielle découlant d’une exclusion législative ne sont pas « monnaie courante » (ibid.), un seuil plus élevé doit être franchi en vertu du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore.
[150]                     Le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore assure en cela que les tribunaux ne s’immiscent pas indûment dans l’exercice du pouvoir législatif et l’élaboration de politiques publiques (Toronto (Cité), par. 19). On ne saurait trop insister sur ce point. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que les tribunaux peuvent obliger l’État à légiférer (Dunmore, par. 28). Même si les tribunaux doivent faire preuve de déférence envers le législateur quant au type de régime à adopter pour respecter la liberté d’association, et ce, peu importe la nature de la revendication, une telle déférence ne se manifeste pas de la même manière dans tous les cas. Dans le cas de revendications de nature négative, les tribunaux peuvent déclarer l’inconstitutionnalité d’une mesure législative déjà édictée au motif que celle‑ci entrave substantiellement la liberté d’association. En application du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunmore, les tribunaux peuvent exiger que le législateur édicte une mesure législative pour pallier à l’exclusion, lui laissant une certaine discrétion pour en déterminer le contenu. La démarche établie dans l’arrêt Dunmore, laquelle vise à réserver aux circonstances exceptionnelles les cas où une législature doit intervenir pour favoriser l’exercice de la liberté d’association, respecte la séparation des pouvoirs.
[151]                     La distinction entre les différentes étapes du cadre d’analyse, plutôt que leur incorporation au sein de la norme de l’entrave substantielle, est préférable à plusieurs égards. Une telle approche présente une clarté conceptuelle, fondée sur la structure et le texte de la Charte canadienne, et fournit des directives claires quant au fardeau de preuve à remplir à chaque étape. La première étape écarte la possibilité de demander l’accès à un régime précis, vu la distinction entre l’al. 2d) et l’art. 15; la seconde étape, quant à elle, exige la démonstration d’une entrave substantielle, comme dans toute contestation constitutionnelle sous l’al. 2d); et la troisième étape, fondée sur l’art. 32 de la Charte canadienne, tient compte de la nature particulière de la revendication en exigeant un lien de causalité entre l’entrave substantielle et l’exclusion législative. Cette approche permet de préserver l’unicité de la norme de l’entrave substantielle tout en réservant aux circonstances exceptionnelles les cas où le législateur doit intervenir. Avec égards, il y a une contradiction inhérente dans la position de mon collègue le juge Jamal, pour qui une seule et même norme — l’entrave substantielle — peut mener à des résultats différents selon la nature de la revendication. D’une part, il affirme qu’il faut s’abstenir de faire varier la démarche à emprunter en fonction de la nature de la revendication, puisque l’entrave substantielle est d’application universelle. Mais, d’autre part, il affirme : « Il peut être plus difficile pour un demandeur qui conteste une loi non inclusive ou sollicite l’intervention de l’État de s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe, étant donné, comme je l’ai signalé ci‑dessus, que les effets de la loi en question peuvent être ardus à démêler des autres facteurs » (par. 37).
[152]                     La distinction entre les trois étapes du cadre d’analyse évite également le risque que la contestation constitutionnelle d’une exclusion législative sous l’al. 2d) se transforme en un exercice de pondération de différentes considérations ou facteurs, ce qui reviendrait à renverser sub silentio le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore. Suivant le cadre d’analyse en trois étapes, il se peut fort bien qu’un groupe d’employés exclus d’un régime législatif de relations de travail réussisse à démontrer une entrave substantielle à l’exercice de la liberté d’association, mais ne puisse faire la démonstration d’un lien de causalité avec le défaut de l’État de légiférer.
[153]                     Ayant conclu que la revendication mise de l’avant par l’Association vise à faire reconnaître et à faire respecter une obligation positive de l’État, et que le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore s’applique aux revendications de cette nature, je me penche désormais sur la question de savoir si, à la lumière de ce cadre d’analyse, l’exclusion des membres de l’Association du régime du C.t. viole l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise.
E.            L’exclusion des membres de l’Association du régime du C.t. viole‑t‑elle la liberté d’association?
(1)         L’Association et ses membres revendiquent l’accès à un régime particulier de relations de travail, soit le C.t.
[154]                     La première étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore consiste à déterminer si l’Association revendique l’accès à un régime particulier de relations de travail, ou si sa revendication repose véritablement sur la liberté d’association en tant que telle (Dunmore, par. 24).
[155]                     Le présent litige n’est pas né d’une contestation ayant débuté devant une cour supérieure. Contrairement à la manière dont la contestation par les travailleurs agricoles s’était déroulée dans l’arrêt Dunmore, la contestation de l’Association s’inscrit dans le cadre d’une requête en accréditation sous le C.t. À mon avis, le véhicule procédural emprunté par l’Association est loin d’être une considération purement technique, contrairement à ce que le TAT et la Cour supérieure ont laissé entendre (motifs du TAT, par. 380; motifs de la C.S., par. 100). Sans être déterminante, cette considération est importante pour évaluer le fondement de la revendication de l’Association. En l’espèce, le choix de l’Association de procéder par une requête en accréditation montre que son objectif ultime est que ses membres soient assujettis au régime de rapports collectifs de travail du C.t., comme il appert d’ailleurs de l’une des conclusions recherchées dans la requête en accréditation :
RECONNAÎTRE à l’association requérante tous les droits et privilèges découlant de l’application du Code du travail. [En caractères gras dans l’original.]
 
(d.a., vol. II, p. 7)
[156]                     La décision de procéder par une requête en accréditation est d’autant plus pertinente aux fins de l’analyse qu’en accédant à la revendication de l’Association, le TAT n’aurait d’autre choix que de donner à ses membres accès à tous les droits et privilèges découlant du C.t. Procéder devant une cour supérieure est préférable en ce que celle‑ci dispose du pouvoir de prononcer une déclaration formelle d’inconstitutionnalité, et de la suspendre afin de laisser au législateur toute la latitude nécessaire pour édicter un régime particulier, répondant minimalement aux exigences constitutionnelles de l’al. 2d).
[157]                     Il ne faut pas perdre de vue que, suivant l’arrêt Dunmore, la réparation appropriée dans le cas d’une revendication de nature positive est une déclaration d’inconstitutionnalité suspendue, afin de ne pas obliger le législateur à reconnaître aux employés exclus la « panoplie des droits » prévue par le régime général (par. 66). Or, le TAT ne peut ni prononcer une déclaration formelle d’inconstitutionnalité (Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 1991 CanLII 57 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 5, p. 17; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 33; Okwuobi c. Commission scolaire Lester‑B.‑Pearson, 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257, par. 44‑45; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 153), ni suspendre les effets de sa décision. Il en est ainsi parce que les effets d’une décision du TAT ne peuvent être suspendus aux termes de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T‑15.1, ni en vertu du test établi dans l’arrêt Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, [2020] 3 R.C.S. 629, à supposer que celui‑ci s’applique. Une déclaration d’inopposabilité, qui ne vaut qu’entre les parties au litige, ne peut remplir l’exigence que soit démontré un « intérêt public impérieux » fondé sur le droit du public de bénéficier de la loi ou la nécessité du législateur d’intervenir (G, par. 126 et 139).
[158]                     L’Association argue à bon droit que les parties ne sont pas en l’espèce « confrontées à une demande visant à obtenir une déclaration erga omnes d’invalidité », dont les effets peuvent être suspendus, mais seulement à un recours en accréditation « qui, accessoirement, demande de déclarer inopposable à l’[Association] et ses membres, l’exclusion prévue à l’article [1l)1 C.t.] » (m.i., par. 116). Cette déclaration prononcée par le TAT n’a d’effet qu’entre les parties et mène à la convocation des parties « afin qu’il soit statué sur la demande d’accréditation, comme si la disposition n’était pas en vigueur » (m.i., par. 118). Bien que cette observation soit juste en droit (Cuddy Chicks, p. 17; Martin, par. 33; Okwuobi, par. 44; Mouvement laïque, par. 154), elle ne fait qu’appuyer ma conclusion quant à l’objet de la revendication de l’Association.
[159]                     L’ensemble de ces éléments démontre que l’Association et ses membres revendiquent l’accès à un régime législatif particulier, soit celui prévu par le C.t. Cette conclusion est suffisante pour accueillir les appels. Cependant, même si j’avais conclu que cette étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore avait été franchie, j’estime que la revendication de l’Association échouerait aux deuxième et troisième étapes du cadre d’analyse.
(2)         L’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. n’a pas pour objet ni pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association
[160]                     Une disposition législative ne peut entraver substantiellement la liberté d’association par son objet ou son effet sans contrevenir à l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise (Dunmore, par. 13). Que ce soit sous l’angle de son objet ou de son effet, l’art. 1l)1 C.t. n’entrave pas substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association.
a)              L’objet de l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t. n’est pas d’entraver substantiellement la liberté d’association des cadres de premier niveau que sont les SDO
[161]                     La prudence est de mise avant d’attribuer à l’exclusion un objet inconstitutionnel. Cela est d’autant plus vrai lorsque vient le temps d’examiner l’exclusion d’employés d’un régime général de rapports collectifs. Il en est ainsi puisque, comme notre Cour l’a affirmé à de nombreuses reprises, le modèle Wagner n’est pas le seul modèle de négociation collective valide constitutionnellement (Dunmore, par. 67‑68; Health Services, par. 91; Fraser, par. 44‑46). Si la simple présence de l’exclusion permettait de conclure qu’elle a un objet inconstitutionnel, cette étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore serait vidée de toute substance.
[162]                     En effet, il est spécialement ardu de démontrer qu’une disposition a un objet inconstitutionnel, car, comme le juge Bastarache l’a souligné dans l’arrêt Dunmore, « [c]ette évaluation touche au cœur même des relations entre législatif et judiciaire, et, si elle est entreprise à la légère, elle peut devenir un processus d’induction assez subjectif » (par. 33). L’on identifie l’objet d’une disposition ou d’une loi en se rapportant au moment de son adoption (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 334‑336).
[163]                     L’exclusion des cadres de premier niveau est présente depuis l’adoption du C.t. en 1964. Je mentionne au passage que l’exclusion figurait également dans la Loi des relations ouvrières, S.Q. 1944, c. 30, art. 2a)1, l’ancêtre du C.t. Celui‑ci, tout comme la Loi des relations ouvrières, s’inspire grandement de la Loi Wagner adoptée en 1935 par le Congrès américain (F. Morin et autres, Le droit de l’emploi au Québec (4e éd. 2010), par. IV‑46; Health Services, par. 43).
[164]                     Les principaux objectifs poursuivis par la Loi Wagner incluent la mise en valeur de la négociation collective et le rétablissement d’un équilibre du pouvoir de négociation entre les employés et leur employeur (Health Services, par. 57, citant K. E. Klare, « Judicial Deradicalization of the Wagner Act and the Origins of Modern Legal Consciousness, 1937‑1941 » (1978), 62 Minn. L. Rev. 265, p. 281‑284).
[165]                     Au moment de sa promulgation, en 1935, la Loi Wagner n’excluait pas expressément de son champ d’application les cadres de premier niveau, tels que les superviseurs. Néanmoins, le tribunal administratif chargé de l’administration de la loi, le National Labor Relations Board, excluait parfois les superviseurs d’unités de négociation où se trouvaient les employés que ces derniers supervisaient, dépendamment de la relation des superviseurs avec la direction ou de leur degré d’autorité. Ces exclusions étaient motivées par l’absence d’une communauté d’intérêts entre les superviseurs et les employés dont ils supervisaient le travail (W. L. Daykin, « The Status of Supervisory Employees Under the National Labor Relations Act » (1944), 29 Iowa L. Rev. 297, p. 317‑319; NLRB c. Kentucky River Community Care, Inc., 532 U.S. 706 (2001), p. 718). Par exemple, dans la décision In re The Maryland Drydock Co., 49 N.L.R.B. 733 (1943), laquelle portait sur l’inclusion, dans une unité de négociation, de contremaîtres avec une autorité de gestion importante, le National Labor Relations Board affirme que :
[traduction] Conclure que la [Loi Wagner] voulait permettre la représentation des employés superviseurs par les mêmes organisations que celles représentant leurs subordonnés reviendrait à considérer que cette loi répudie la règle historique de common law qui interdit à des fiduciaires de servir des intérêts opposés.
 
. . .
 
. . . Nous sommes d’avis que, dans l’état actuel de l’administration industrielle et de l’auto‑organisation des salariés, l’établissement d’unités de négociation composées de superviseurs exerçant une autorité considérable en matière de gestion gênera les processus de négociation collective, perturbera les techniques établies de gestion et de production et compromettra la mise en œuvre des politiques à la base de la Loi. [p. 740‑741.]
[166]                     En 1947, dans l’arrêt Packard Motor Car Co. c. Labor Board, 330 U.S. 485, la Cour suprême des États‑Unis a déterminé que les superviseurs sont des employés au sens de la Loi Wagner et peuvent former une unité de négociation appropriée. Le juge Douglas a inscrit une dissidence. À son avis, la décision de la majorité ignore la distinction entre la direction et les travailleurs, ainsi que la situation particulière des travailleurs vis‑à‑vis l’employeur. La même année, en réaction à cet arrêt, le Congrès modifie la Loi Wagner pour exclure de son application les superviseurs, donnant pour ainsi dire raison au juge Douglas (29 U.S.C. § 152(3) (2018); Labor Board c. Bell Aerospace Co., 416 U.S. 267 (1974), p. 279).
[167]                     Bien que cela soit d’une utilité limitée pour évaluer l’objet de l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 C.t., je note que d’autres lois au pays s’inspirant du modèle Wagner comprennent des exclusions analogues. Par exemple, en Alberta, le Labour Relations Code, R.S.A. 2000, c. L‑1, sous‑al. 1(1)(l)(i), la Public Service Employee Relations Act, R.S.A. 2000, c. P‑43, al. 12(1)(a), et la Managerial Exclusion Act, R.S.A. 2000, c. M‑3, par. 2(1), excluent de leur portée les employés qui exercent des fonctions de gestion (en Nouvelle-Écosse, voir la Trade Union Act, R.S.N.S. 1989, c. 475, al. 2(2)(a); à l’Île‑du‑Prince-Édouard, voir la Labour Act, R.S.P.E.I. 1988, c. L‑1, al. 7(2)(b); et, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, voir la Labour Relations Act, R.S.N.L. 1990, c. L‑1, al. 2(1)(m)). C’est le cas aussi en Ontario où la Loi de 1993 sur la négociation collective des employés de la Couronne, L.O. 1993, c. 38, disp. 1.1(3) 9, et la Loi de 1995 sur les relations de travail, al. 1(3)b), excluent de leur champ d’application les employés qui « exercent des fonctions de direction ou sont employés à un poste de confiance ayant trait aux relations de travail », à l’exception du secteur de l’éducation où la Loi de 2014 sur la négociation collective dans les conseils scolaires, L.O. 2014, c. 5, art. 8, exclut précisément du régime les « agents de supervision, les directeurs d’école et les directeurs adjoints ». Il arrive que les régimes n’excluent pas tous les employés cadres, mais seulement ceux qui s’acquittent de tâches particulières, telles que la répartition du travail et la discipline (en Nouvelle-Écosse, voir la Civil Service Collective Bargaining Act, R.S.N.S. 1989, c. 71, al. 2(f) et 11(1)(e)). En ce qui concerne les employés sous juridiction fédérale, le Code canadien du travail exclut, entre autres, les personnes occupant un poste de direction (par. 3(1)). En outre, la LRTFP 2003, laquelle s’applique aux employés du secteur public fédéral, exclut notamment de son régime certaines personnes exerçant des postes de direction (par. 2(1)).
[168]                     Comme la Loi Wagner et les diverses lois qui s’en inspirent au pays, le C.t. repose sur cette distinction, dans l’organisation du travail, entre l’employeur et les travailleurs. L’exclusion des cadres du régime du C.t. met « en évidence l’idée fondamentale issue de la notion d’organisation et selon laquelle les entreprises doivent être structurées à deux niveaux de fonctionnement : niveau de la direction d’une part et, d’autre part, niveau de l’exécution » (R. Blouin, « La qualification des cadres hiérarchiques par le Code du travail » (1975), 30 R.I. 478, p. 483 (en italique dans l’original)). En procédant à de telles distinctions, à même la définition de « salarié » établi à l’art. 1l) C.t., le législateur a voulu « attacher des conséquences juridiques particulières au fait que l’autorité patronale est concentrée entre les mains des dirigeants de l’organisation scientifique des entreprises et réparti[e] entre eux de façon hiérarchique à divers niveaux ou palliers [sic] d’exercice » (p. 483).
[169]                     L’exclusion des cadres visait également à permettre à l’employeur d’avoir confiance en ses représentants, à éviter les conflits de rôles entre employés et employeur, les conflits d’intérêts, voire la domination des syndicats par l’employeur, et à assurer une communauté d’intérêts pour les salariés (F. Morin, Rapports collectifs du travail (2e éd. 1991), par. I‑59; F. Morin, L’élaboration du droit de l’emploi du Québec : Ses sources législatives et judiciaires (2011), p. 197; M. Coutu et autres, avec la collaboration de F. Laporte‑Murdock, Droit des rapports collectifs du travail au Québec, vol. 1, Le régime général (3e éd. 2019), par. 129). En d’autres termes, l’objectif poursuivi par le législateur québécois en excluant les cadres du régime général des rapports collectifs, par le biais de l’art. 1l)1 C.t., était de favoriser la liberté d’association des salariés ainsi définis, non de priver les cadres de toute négociation collective.
[170]                     Il ne faut pas pour autant en conclure que les cadres ne jouissent d’aucune protection sous l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise, ou que le législateur n’a pas légiféré autrement pour habiliter leur liberté d’association. En effet, il importe de préciser et de réitérer que malgré cette exclusion du régime du C.t., les cadres de premier niveau sont des « salariés » au sens de la Loi sur les syndicats professionnels. Depuis l’adoption de cette loi en 1924, ils peuvent se regrouper et se constituer en association ou syndicat professionnel ayant « exclusivement pour objet l’étude, la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et moraux de leurs membres » (art. 6). Ils peuvent également faire des représentations à l’employeur (R. Chartier, « Le syndicalisme de cadres et la législation québécoise du travail » (1965), 20 R.I. 278, p. 284). Dans ces circonstances, l’on peut difficilement prétendre que l’objet de l’exclusion législative prévue au C.t. était d’empêcher les cadres de s’associer.
[171]                     Pour ces raisons, je ne peux me convaincre que l’objet de l’exclusion des cadres de premier niveau du C.t. est d’entraver substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association. À mon avis, l’Association n’a pas démontré qu’un tel objet existait en 1964 lors de l’adoption du C.t. Contrairement à l’historique établi dans l’arrêt APMO, le dossier ne démontre pas une méfiance à l’égard de toute association des cadres de premier niveau. Rien ne permet de conclure que le législateur québécois estimait le rôle de cadre foncièrement incompatible avec la négociation collective protégée par la liberté d’association.
b)            L’exclusion législative n’a pas pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association
[172]                     Au terme de son analyse, le TAT conclut que l’exclusion législative a pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des SDO membres de l’Association.
[173]                     La juge administrative estime qu’il y a entrave substantielle, notamment, car la reconnaissance de l’Association à titre de représentante des SDO est faite par la Société sur une base volontaire et que cette dernière dispose d’une discrétion dans l’examen de la représentativité de l’Association. De plus, les membres de l’Association ne seraient pas protégés en cas d’ingérence ou d’entrave de leur employeur dans les activités associatives. La Cour d’appel entérine cette conclusion. À mon avis, celle‑ci est erronée et la Cour supérieure s’est bien dirigée en droit en la mettant de côté.
[174]                     Ne constitue pas une entrave substantielle tout écart séparant la situation des SDO avec celle qui serait la leur, n’eût été leur exclusion du régime du C.t. Force est de constater que les SDO sont parvenus à s’associer. Ils se sont regroupés et ont formé l’Association, dont la section de Montréal est reconnue par la Société - Casino de Montréal pour les fins des relations de travail au sein du casino, et ce, en vertu du Protocole. Dans l’arrêt Dunmore, le juge Bastarache a affirmé que « le groupe qui réussit à s’associer malgré son exclusion d’un régime de protection ne peut s’acquitter de la charge de la preuve qui lui incombe pour établir l’atteinte à la Charte » (par. 39). Bien sûr, cette affirmation doit être nuancée à la lumière de l’évolution jurisprudentielle subséquente quant au contenu de la liberté d’association. Cela dit, il s’agit d’une considération essentielle dans la détermination des effets de l’exclusion sur la capacité des membres de l’Association d’exercer leur liberté d’association.
[175]                     L’on reconnaît au Protocole que l’Association - Section Montréal pourra représenter d’autres cadres de premier niveau si elle démontre à la Société - Casino de Montréal son caractère représentatif à leur égard (cl. 1(a), reproduite au d.a., vol. V, p. 1). Toutefois, la Société - Casino de Montréal se réserve le droit de « mettre fin » au Protocole si l’Association « ne représente plus la majorité des chefs de table du Casino de Montréal qui y sont admissibles » (cl. 1(c)).
[176]                     Le Protocole prévoit que l’Association - Section Montréal et la Société - Casino de Montréal conviennent de se rencontrer à la demande de l’une ou l’autre des parties pour discuter et échanger sur les préoccupations des parties, « le tout dans la recherche de solutions gagnant‑gagnant » (cl. 1(b)). Il y est aussi stipulé que la Société - Casino de Montréal ne modifiera pas les conditions de travail des membres de l’Association - Section Montréal sans la consulter et que les parties « conviennent d’agir dans un esprit de concertation et de collaboration dans leurs relations mutuelles » (cl. 2(c); voir aussi la cl. 2(b)).
[177]                     De plus, le Protocole prévoit que la Société - Casino de Montréal prélève la cotisation régulière exigée par l’Association - Section Montréal à même le salaire de ses membres et verse les sommes perçues à l’Association (cl. 3). La Société - Casino de Montréal accepte également de libérer avec solde deux représentants de l’Association - Section Montréal pour rencontrer les représentants du Casino de Montréal, ainsi que trois représentants pour participer aux cinq rencontres annuelles de l’Association - Section Montréal (cl. 4(a) et (b)). La Société - Casino de Montréal s’engage à verser un salaire aux chefs de table agissant comme représentants de l’Association - Section Montréal qui demandent d’être libérés pour des motifs relatifs à l’Association - Section Montréal, mais facture néanmoins l’Association pour toute contribution monétaire effectuée au bénéfice de ses représentants qui sont ainsi libérés (cl. 4(c)).
[178]                     Enfin, le Protocole rappelle le devoir de loyauté que les chefs de table doivent envers la Société - Casino de Montréal, car ils en sont les « alliés de premier rang dans l’accomplissement de sa mission, dans la poursuite de ses objectifs et dans la bonne marche générale de ses opérations » (cl. 2(a)).
[179]                     En soi, le caractère volontaire de cette reconnaissance ne constitue pas une entrave substantielle. Certes, une telle reconnaissance s’écarte du modèle choisi par le C.t. Cependant, comme le mentionne notre Cour dans l’arrêt APMO, le modèle de type Wagner, lequel confie à un organisme administratif indépendant la supervision du processus d’accréditation, ne constitue pas « le seul modèle capable de concilier la liberté de choix et l’indépendance d’une façon qui permette une véritable négociation collective » (par. 95). De même, « rien dans la Charte [canadienne] n’empêche une association d’employés de s’engager librement avec l’employeur dans un type de négociation différent, moins contradictoire et davantage axé sur la collaboration » (par. 97).
[180]                     Sans me prononcer définitivement sur la question, je reconnais que certains éléments de la conduite de la Société, en l’absence des protections consacrées par les dispositions du C.t., semblent porter substantiellement atteinte à la liberté d’association des membres de l’Association : la modification des conditions de travail sans consulter l’Association contrairement à ce que prévoit le Protocole, et le refus ou l’omission de négocier certaines conditions de travail malgré les demandes de l’Association. Une telle conduite peut sembler contraire à l’obligation de négocier de bonne foi, laquelle est centrale à un véritable processus de négociation collective. Cependant, l’existence de recours alternatifs est une autre considération importante pour conclure que les membres de l’Association ne sont pas dans l’incapacité d’exercer leur liberté d’association.
[181]                     Du reste, l’Association n’est pas dépourvue de recours en cas d’ingérence de la Société dans la conduite de ses activités. Contrairement à la situation des travailleurs agricoles dans l’arrêt Dunmore, le comportement attentatoire à la liberté d’association que pourrait adopter la Société n’échapperait pas au contrôle des tribunaux, même en présence de l’exclusion législative.
[182]                     D’abord, en tant que filiale d’une société mandataire de l’État, il est possible que la Société soit assujettie à la Charte canadienne et, conséquemment, que l’Association dispose d’un recours sous le par. 24(1) de cette charte. À tout évènement, nul doute que la Charte québécoise lui permet de s’adresser aux tribunaux de droit commun et de réclamer une réparation sous l’art. 49. Tant le par. 24(1) de la Charte canadienne que l’art. 49 de la Charte québécoise offrent de larges pouvoirs aux tribunaux pour ordonner des réparations adéquates qui permettent de respecter l’objet du droit enfreint (au sujet du par. 24(1) de la Charte canadienne, voir Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863, p. 965‑966; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 24‑25, 55‑59 et 87; au sujet de l’art. 49 de la Charte québécoise, voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789, par. 24‑28; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, par. 103). Par exemple, selon le contexte et le droit, ces réparations peuvent inclure une injonction (Doucet‑Boudreau, par. 70 et 73; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134) ou l’octroi de dommages‑intérêts (Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, par. 20‑21, 31 et 45; Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64).
[183]                     L’Association prétend que le recours aux tribunaux de droit commun est inefficace et inadapté au contexte des rapports collectifs de travail, au point où l’absence de mécanisme spécialisé de règlement des différends constitue une entrave substantielle. Cette prétention n’est toutefois pas appuyée par la preuve. Tel que constitué, le dossier ne fait état d’aucune tentative de saisir les tribunaux de droit commun pour obtenir une réparation relative à une violation de la liberté d’association des SDO membres de l’Association.
[184]                     Dans la même veine, l’Association n’a pas établi qu’elle est empêchée de faire la grève en l’absence d’un régime législatif l’encadrant, de telle sorte que cela entraverait substantiellement la liberté d’association de ses membres. En effet, aucune loi n’empêche les membres de l’Association de faire la grève. Au contraire, dans l’éventualité où les membres décidaient de prendre part à un arrêt de travail aux fins de la négociation de leurs conditions de travail, l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise s’appliqueraient de manière à leur conférer certaines protections. Il ne faut pas non plus perdre de vue le large pouvoir réparateur conféré au TAT par l’art. 128 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N‑1.1, en cas de congédiement sans cause juste et suffisante.
[185]                     Par conséquent, j’estime que l’exclusion n’a pas pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des SDO membres de l’Association. J’estime en outre que, même si j’en arrivais à une conclusion contraire, il n’aurait pas été possible d’imputer à l’État la responsabilité de l’entrave substantielle pour les raisons que j’explique ci‑après.
(3)         À supposer qu’il y ait une entrave substantielle, l’État ne peut en être tenu responsable à la troisième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore
[186]                     Même à supposer que le comportement reproché à la Société constituait une entrave substantielle à l’exercice de la liberté d’association des membres de l’Association, j’estime que cette entrave ne peut être imputable à l’État au sens de l’arrêt Dunmore. En effet, dans l’arrêt Dunmore, le juge Bastarache a rejeté l’argument voulant que toute exclusion d’un régime visant à protéger une liberté fondamentale donne lieu à une atteinte (par. 39). Cette dernière étape de l’analyse existe afin de déterminer « si l’État peut vraiment être tenu responsable » de toute entrave substantielle à la liberté d’association (par. 26).
[187]                     L’établissement d’un lien est crucial, car ce qui est contesté lorsque le cadre d’analyse de l’arrêt Dunmore est appliqué est l’action législative de l’État, non pas uniquement l’action de l’employeur. L’analyse doit s’appuyer sur le contexte factuel propre à la situation de l’affaire. Par exemple, dans l’arrêt Dunmore, une majorité de notre Cour a conclu que, sans la protection de la loi ontarienne sur les relations de travail, les travailleurs agricoles étaient incapables d’exercer leur liberté d’association en raison de leur vulnérabilité particulière. Dans ce contexte précis, il existait donc un lien entre l’absence de protection législative et l’entrave substantielle (par. 39‑42). Sans constituer une exigence stricte, la vulnérabilité particulière du groupe exclu peut constituer un indice de la responsabilité de l’État.
[188]                     Bien sûr, il existe, entre la direction de la Société et les SDO, un rapport de subordination. C’est le propre de toute relation employeur‑employé. Toutefois, la vulnérabilité inhérente à ce rapport de subordination n’est pas suffisante pour conclure à l’existence d’un lien entre l’exclusion législative et la conduite reprochée à la Société. En effet, les cas où l’exclusion législative est constitutive d’une atteinte à la liberté d’association sont rares (Dunmore, par. 30), car il n’existe pas de droit général à une protection législative (par. 35). En l’espèce, il n’y a pas de lien entre l’exclusion législative contestée et le comportement reproché à la Société, lequel est dû au défaut allégué de respecter ses engagements contractuels et qui, on ne saurait trop insister, peut être sanctionné devant les tribunaux de droit commun.
[189]                     Malgré cette absence de vulnérabilité particulière, la Cour d’appel retient la responsabilité de l’État sur deux bases : d’abord, il y aurait un lien de causalité entre la conduite répréhensible de l’État à titre d’employeur et l’exclusion législative; ensuite, ce lien pourrait être établi en raison des manquements de l’État à l’égard des conventions internationales applicables au Canada, notamment en raison de son refus de donner suite aux recommandations du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail. J’examine chacune de ces deux bases ci‑après.
[190]                     En premier lieu, la Cour d’appel retient la responsabilité de l’État en raison des liens qu’entretient la Société avec Loto‑Québec, laquelle est mandataire de l’État. De l’avis de la Cour d’appel, la conclusion de la Cour supérieure que « l’atteinte à la liberté d’association garantie aux membres de l’Association relève exclusivement de la Société, et que l’État y est de ce fait totalement étranger » est « difficilement compatible avec le fait que l’Employeur est une filiale de Loto‑Québec et les liens qui existent entre cette dernière et l’État » (motifs de la C.A., par. 169). Avec égards, l’État dont la responsabilité doit être établie à cette étape de l’analyse est l’État‑législateur, et non pas l’État employeur. Il en est ainsi, car c’est la mesure législative qui fait l’objet d’une contestation constitutionnelle (Health Services, par. 88). D’ailleurs, le remède normalement recherché en pareilles circonstances est une déclaration d’inopérabilité en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, disposition qui « offre une réparation lorsque des dispositions législatives violent des droits garantis par la Charte [canadienne], que ce soit par leur objet ou par leur effet » (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 61 (en italique dans l’original)).
[191]                     Je rappelle que, dans l’affaire Dunmore, la preuve démontrait que les travailleurs agricoles étaient « essentiellement dans l’incapacité » de constituer ou de maintenir une association sans régime de protection (par. 35). Cette conclusion découle du constat selon lequel l’exclusion du régime de protection renforçait la vulnérabilité et la précarité des travailleurs agricoles :
Les travailleurs agricoles n’ont ni pouvoir politique, ni ressources pour se regrouper sans la protection de l’État, et ils sont vulnérables face aux représailles patronales; comme le fait observer le juge Sharpe, les travailleurs agricoles [traduction] « sont mal rémunérés, ils ont des conditions de travail difficiles, une formation et une instruction limitées, un statut peu élevé et une mobilité d’emploi restreinte » (p. 216). En outre, contrairement aux agents de la GRC, les travailleurs agricoles ne sont pas des employés de l’État et ne peuvent donc pas invoquer directement la Charte [canadienne] pour mettre fin à une pratique déloyale de travail (Delisle, par. 32).
 
(Dunmore, par. 41)
Outre le statut particulier des travailleurs agricoles, la Cour note leur exclusion du champ d’application d’autres lois relatives aux normes du travail et à la santé et sécurité au travail, l’inaccessibilité d’un recours en vertu de la Charte canadienne et la connaissance limitée qu’ils ont de leurs droits. C’est l’ensemble de ces éléments qui amène la Cour à conclure que l’État pouvait être tenu responsable, en ce qu’il « orchestre, encourage ou tolère » l’entrave substantielle à la liberté d’association des travailleurs agricoles (Dunmore, par. 26).
[192]                     Comme je l’ai déjà expliqué, la situation des SDO membres de l’Association est toute autre. Ces derniers, en tant que cadres de premier niveau, sont assujettis à la Loi sur les normes du travail, art. 3(6), à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A‑3.001, art. 2, ainsi qu’à la Loi sur l’équité salariale, RLRQ, c. E‑12.001, art. 8. De plus, en cas d’actes contraires à la liberté d’association commis par la Société, les SDO disposent assurément d’un recours en vertu des art. 3 et 49 de la Charte québécoise, ainsi que d’un recours potentiel en vertu de l’al. 2d) et du par. 24(1) de la Charte canadienne.
[193]                     L’entrave alléguée par l’Association découlerait non pas de l’exclusion législative contestée, mais du fait que la Société ne respecterait pas certains des engagements qu’elle a contractés dans le Protocole, et qu’elle ne négocierait pas de bonne foi. Vu la nature des comportements reprochés par l’Association, c’est uniquement à titre d’employeur que la responsabilité de l’État pourrait être retenue. Effectivement, ces actes sont imputables à la Société, de sorte qu’on ne pourrait retenir la responsabilité de l’État en sa qualité de législateur.
[194]                     En second lieu, la Cour d’appel retient la conclusion du TAT suivant laquelle l’exclusion des cadres pose problème en regard des conventions internationales applicables au Canada et estime que le refus du gouvernement de suivre la recommandation du Comité de la liberté syndicale et d’éliminer l’exclusion législative visant les cadres de premier niveau entraîne la responsabilité de l’État. Avec égards, cet argument procède d’une conception erronée de la place des instruments internationaux dans l’interprétation constitutionnelle, et on ne saurait retenir la responsabilité de l’État sur une telle base.
[195]                     Les décisions du Comité de la liberté syndicale n’ont aucune force obligatoire en droit canadien (Saskatchewan Federation, par. 69; voir aussi Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, [2020] 3 R.C.S. 426, par. 43‑44). Pareillement, ces décisions n’ont aucune force obligatoire au sein même du système de l’Organisation internationale du Travail (B. Langille, « Why Are Canadian Judges Drafting Labour Codes — And Constitutionalizing the Wagner Act Model? » (2009), 15 C.L.E.L.J. 101, p. 118). Le Comité n’est pas un tribunal, mais bien un organe politique (p. 119). Comme le souligne le professeur Langille, [traduction] « [a]ussi important que soit le travail du [Comité de la liberté syndicale], le [Comité] n’est pas conçu pour réaliser des analyses juridiques constitutionnelles, et ce seul fait devrait nous inciter à réfléchir avant de lui confier l’interprétation de notre Constitution » (p. 119).
[196]                     Même à supposer que le Comité se qualifiait de tribunal, cela octroierait, tout au plus, une valeur persuasive à ses décisions. Dans l’arrêt 9147‑0732 Québec inc., une majorité de notre Cour, sous la plume des juges Brown et Rowe, signale que les instruments internationaux non contraignants, tels que les décisions de tribunaux internationaux, sont « des outils d’interprétation pertinents et persuasifs, mais non déterminants » dans l’analyse des droits garantis par la Charte canadienne (par. 35; voir aussi le par. 43). Cela signifie que de tels instruments ne donnent pas naissance à la présomption de conformité. Au contraire, ils ne jouissent que d’une valeur persuasive dans la mesure où ils appuient ou confirment « le résultat auquel arrive le tribunal au moyen d’une interprétation téléologique » (par. 22).
[197]                     Ce qui précède ne signifie pas que l’absence d’encadrement législatif n’entraîne pas, indirectement, des effets perturbateurs sur la capacité des SDO à mener des négociations collectives. Ces effets, cependant, découlent essentiellement de circonstances étrangères à l’exclusion législative, soit le comportement allégué de la Société. En ce sens, l’entrave substantielle dont il est ici question, même si elle en était une, ne découlerait pas de l’exclusion du C.t. Par conséquent, j’estime que l’exclusion n’a pas pour effet de violer la liberté d’association des SDO membres de l’Association.
VI.         Dispositif
[198]                     Pour ces motifs, je suis d’avis d’infirmer le jugement de la Cour d’appel du Québec, d’accueillir le pourvoi en contrôle judiciaire, de casser la décision du Tribunal administratif du travail et de déclarer l’art. 1l)1 C.t. opposable à l’Association dans le cadre de sa requête en accréditation, le tout avec dépens devant toutes les cours.
Version française des motifs rendus par
                  Le juge Rowe —
I.               Introduction
[199]                     Je souscris aux motifs exposés par la juge Côté. Les présents motifs sont des motifs distincts concordants quant au résultat. Les pourvois requièrent que notre Cour examine l’étendue de la responsabilité de l’État au regard de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
[200]                     Notre Cour a invariablement décrit l’al. 2d) comme étant le reflet d’un droit largement « négatif » par nature. Il s’ensuit que, dans la plupart des cas, cette disposition n’impose pas à l’État d’obligations « positives » de protection ou d’assistance. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, déterminées suivant un cadre d’analyse distinct énoncé dans l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, que l’al. 2d) de la Charte peut imposer des obligations positives à l’État.
[201]                     Dans la présente affaire, l’intimée et certains intervenants invitent la Cour à rejeter la distinction entre droits positifs et droits négatifs et, accessoirement, à rejeter le cadre de Dunmore, qui a été adapté dans Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673 (voir m.i., par. 15‑18; m. interv., Congrès du travail du Canada, par. 7 et 9; m. interv., Alliance de la fonction publique du Canada, par. 8‑10, 14, 16‑19 et 21; m. interv., Association canadienne des libertés civiles, par. 3, 8, 16, 20‑21 et 24). La Cour d’appel du Québec a reconnu que « la distinction entre droit positif et droit négatif et le cadre analytique de l’arrêt Baier ne sont pas nécessairement opportuns en matière de liberté d’association » (2022 QCCA 180, par. 133 (CanLII)), mais elle n’a pas résolu la question, puisqu’elle a conclu à tort qu’il s’agissait en l’espèce d’une revendication négative plutôt que positive (par. 135‑136; voir aussi les motifs de la juge Côté, par. 125‑132).
[202]                     La question de l’application du cadre de Dunmore aux revendications fondées sur l’al. 2d) a été laissée en suspens par les juges majoritaires dans Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 21. À mon avis, ce cadre devrait continuer de s’appliquer pour l’examen des revendications positives. Dans les présents motifs, je souhaite mettre l’accent sur les raisons qui sous‑tendent le recours à un cadre d’analyse distinct pour examiner les revendications positives fondées sur l’al. 2d). À cette fin, je procéderai en deux temps. Premièrement, je vais expliquer la pertinence de la distinction entre les revendications positives et les revendications négatives. Deuxièmement, je vais expliquer pourquoi le cadre de Dunmore demeure une méthode judicieuse pour examiner les revendications positives fondées sur l’al. 2d).
II.           La distinction entre les revendications positives et négatives fondées sur l’al. 2d)
[203]                     Comme je l’ai mentionné au départ, la responsabilité de l’État au regard de l’al. 2d) a invariablement été décrite comme étant une responsabilité « négative » par nature plutôt que comme une responsabilité imposant des obligations « positives » de protection ou d’assistance. Cela signifie que, dans la plupart des cas, le Parlement et les législatures provinciales ont simplement à s’abstenir d’intervenir d’une façon qui (par son objet ou son effet) entrave une activité associative protégée. À l’inverse, l’al. 2d) de la Charte n’oblige généralement pas l’État à prendre des mesures positives pour préserver ou faciliter l’exercice de la liberté d’association (Dunmore, par. 19; voir aussi Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), 1999 CanLII 649 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 989, par. 25; Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 995, p. 1035; H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), par. XII‑5.39).
[204]                     Lorsque l’État lui‑même attaque directement une activité associative protégée en adoptant une loi qui entrave l’exercice par des gens de leur liberté, une revendication visant cette action de l’État sera qualifiée de négative, étant donné que celui‑ci a violé une obligation de ne pas entraver cette liberté. En effet, le corollaire du droit des gens à la liberté d’association est l’obligation de l’État de ne pas violer cette liberté. Une telle violation peut survenir lorsqu’une loi interdit l’inclusion, dans les conventions collectives futures avec les employés du secteur de la santé, de dispositions portant sur des questions particulières (Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391), ou lorsqu’une loi limite expressément la capacité de salariés du secteur public qui assurent des services essentiels de faire la grève (Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245).
[205]                     Notre Cour a également reconnu que, dans des circonstances exceptionnelles et afin de donner un sens à la liberté de s’organiser, l’al. 2d) peut imposer des obligations positives à l’État, notamment pour étendre une protection légale existante à des groupes non protégés (Dunmore, par. 20‑21; Delisle, par. 33; Brun, Tremblay et Brouillet, par. XII‑5.40; pour une analyse parallèle de l’al. 2b), voir aussi Toronto (Cité), par. 17; Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, 1994 CanLII 27 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 627, p. 651‑652; Haig, p. 1039).
[206]                     Lorsqu’un demandeur présente une revendication positive fondée sur l’al. 2d), il cherche à imposer à l’État l’obligation de prendre des mesures destinées à protéger la liberté d’association contre les attaques de la part de tiers, y compris des acteurs privés. Dans un tel cas, l’État n’a pas omis de [traduction] « respecter » la liberté d’association en adoptant une loi qui empiète directement sur celle‑ci; il a plutôt omis de protéger ou d’améliorer adéquatement la liberté d’association d’un groupe par rapport à la liberté égale dont jouissent des tiers, notamment des acteurs privés (B. Langille et B. Oliphant, « The Legal Structure of Freedom of Association » (2014), 40 Queen’s L.J. 249, p. 263 et 266; voir aussi Baier, par. 35; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, par. 35). Par exemple, ce sera le cas lorsque, même en l’absence d’une action de l’État qui pourrait empiéter sur leur capacité de se syndiquer ou de s’engager dans des négociations collectives, des travailleurs vulnérables sont exclus du régime général des relations de travail, pourvu que ceux‑ci établissent leur incapacité à exercer leur liberté d’association sans l’assistance de l’État (Dunmore, par. 67).
[207]                     Les revendications positives soulèvent des préoccupations particulières, qui font ressortir le besoin d’une norme différente — le cadre de Dunmore fournit une telle norme. Dans les paragraphes qui suivent, j’explique ces préoccupations ainsi que la façon dont le cadre de Dunmore y répond de manière effective.
III.         Les raisons pour lesquelles le cadre de Dunmore doit être maintenu
A.         La nature des libertés fondamentales
[208]                     Une liberté, par nature, n’emporte pas l’obligation pour l’État de faciliter son exercice. Par exemple, le fait que les gens ont la liberté de diffuser de fausses nouvelles ne signifie pas que l’État doit d’une manière ou d’une autre faciliter une telle conduite ou légiférer afin d’empêcher des acteurs privés de congédier des employés au motif qu’ils ont eu une telle conduite sur le lieu du travail (Langille et Oliphant, p. 267‑268). Conclure autrement forcerait l’État à édicter un régime visant à protéger activement tout le monde.
[209]                     J’ouvre ici une parenthèse afin de préciser que je ne suis pas en faveur d’une dichotomie rigide considérant les « libertés » comme étant exclusivement négatives et les « droits » comme étant exclusivement positifs. Une telle interprétation s’écarterait de l’approche téléologique énoncée dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, et portant qu’il « pourrait se présenter une situation dans laquelle il ne suffirait pas d’adopter une attitude de réserve pour donner un sens à une liberté fondamentale, auquel cas une mesure gouvernementale positive s’imposerait peut‑être » (Haig, p. 1039). Il s’ensuit qu’un « droit » peut imposer des obligations négatives, c’est‑à‑dire de non‑intervention. De même, une « liberté » peut imposer des obligations positives afin que l’exercice de cette liberté ait un sens. Notre Cour l’a reconnu dans Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, par. 67‑72 (voir aussi Haig, p. 1039).
[210]                     Cependant, le fait qu’une liberté comporte à la fois des dimensions positives et des dimensions négatives ne signifie pas que ces dimensions ne sont pas pertinentes et ne devraient pas être distinguées. La distinction entre ces dimensions demeure importante dans l’examen de la nature de l’obligation que la revendication vise à imposer à l’État (Toronto (Cité), par. 20; voir aussi B. Langille, « Why the Right‑Freedom Distinction Matters to Labour Lawyers — And to All Canadians » (2011), 34 Dal. L.J. 143, p. 157; Dunmore, par. 108, la juge L’Heureux‑Dubé, motifs concordants).
[211]                     Une liberté ne fait pas toujours naître une obligation imposant à l’État de faciliter son exercice. C’est la raison pour laquelle les demandeurs sont tenus à un fardeau accru afin de démontrer pourquoi, dans leur situation, une attitude de réserve de la part de l’État n’est pas suffisante. En effet, une obligation positive imposant à l’État de protéger une liberté ne devrait naître que dans les cas où, sans une telle protection, le demandeur serait essentiellement incapable d’exercer cette liberté (Langille et Oliphant, p. 291; voir aussi Dunmore, par. 23).
B.            L’absence d’action directe de l’État
[212]                     Les violations qui donnent lieu à une revendication négative fondée sur l’al. 2d) sont fondamentalement différentes de celles donnant lieu à une revendication positive. Dans le cas d’une revendication négative, l’État lui‑même attaque la liberté en adoptant une loi qui a pour objet ou effet d’entraver l’exercice par des gens de cette liberté. Par contraste, dans le cas d’une revendication positive, l’État n’a pas violé la liberté par quelque action directe, mais a seulement omis de la protéger adéquatement contre les violations par des tiers, notamment des acteurs privés.
[213]                     Compte tenu de cette différence, la norme servant à analyser les revendications positives ne devrait pas être la même que celle applicable aux revendications négatives. Dans le cas d’une revendication négative, le demandeur doit uniquement établir que la loi ou l’action étatique en cause constitue une « entrave substantielle » à la liberté d’association (Health Services, par. 90). Le fait d’appliquer la même norme aux revendications positives ferait en sorte que chaque fois qu’un employeur privé entraverait de façon substantielle la liberté d’association de ses employés, ceux‑ci pourraient poursuivre le gouvernement au motif qu’il n’a pas légiféré afin d’empêcher les employeurs d’entraver leur liberté de s’associer (Langille, p. 157; voir aussi McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 229, p. 261‑263). L’État serait forcé de justifier, au regard de l’article premier, toute décision de ne pas accorder de protection à un groupe ou de ne pas étendre à tous une protection existante.
[214]                     Le cadre de Dunmore a été conçu précisément pour tenir compte de l’absence d’action directe de l’État donnant lieu à la violation dans le cas des revendications positives. Dans Dunmore, des travailleurs agricoles ont contesté la constitutionnalité de leur exclusion du régime ontarien des relations de travail. La preuve indiquait clairement l’existence de violations de la liberté d’association des travailleurs agricoles, mais ces violations étaient causées par des employeurs privés, non par quelque action directe de l’État. Les travailleurs agricoles pouvaient légalement s’associer. Aucune loi gouvernementale ou action de l’État ne les empêchait de se regrouper et de présenter des revendications à leurs employeurs, ou encore de refuser de travailler sans un contrat de travail acceptable, et aucune action de l’État en tant que telle n’avait pour effet de faire obstacle à la formation d’associations. Ce qui empêchait de le faire était le fait que les employeurs privés étaient libres de refuser de négocier avec eux, de ne pas embaucher d’employés syndiqués ou de congédier des employés faisant la grève vu l’absence de mesure législative protégeant l’exercice de telles activités par les travailleurs agricoles, alors qu’elles le sont dans le cas de la majorité des travailleurs syndiqués en Ontario.
[215]                     Dans Dunmore, les juges majoritaires ont reconnu qu’il n’existe aucun « droit constitutionnel à la protection légale comme tel », mais qu’« une loi dont l’application est limitative peut, dans des contextes exceptionnels, avoir un effet substantiel sur l’exercice d’une liberté constitutionnelle » (par. 22 (soulignement dans l’original)). Le cadre d’analyse à trois étapes établi dans Dunmore a été conçu afin d’identifier les circonstances exceptionnelles où une intervention législative est requise malgré l’absence d’action directe de l’État.
[216]                     Suivant ce cadre, l’un des aspects de l’analyse consiste toujours à démontrer que la liberté d’association du demandeur est substantiellement entravée par son exclusion du champ d’application de la loi protectrice. Cependant, le demandeur a aussi l’obligation de démontrer que la revendication est fondée sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime législatif en particulier et, plus important, que l’État peut être tenu responsable d’une façon ou d’une autre de l’incapacité d’exercer ces libertés fondamentales. La participation d’acteurs privés à la violation fait partie du contexte factuel considéré dans l’examen, mais elle ne peut en soi justifier l’imposition d’une obligation positive à l’État. Par conséquent, ce cadre d’analyse est particulièrement important pour distinguer les cas où l’intervention de l’État est justifiée. Même si des demandeurs sont en mesure d’établir que leur liberté de s’organiser a été entravée substantiellement, il leur incombe également de lier cette entrave à l’État, et non seulement à un acte privé (Dunmore, par. 26 et 43; voir aussi Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650, par. 78, le juge LeBel, motifs dissidents; Brun, Tremblay et Brouillet, par. XII‑5.40).
[217]                     L’établissement de ce lien avec l’État peut se faire par la démonstration de la vulnérabilité du groupe demandeur. Dans Dunmore, les travailleurs agricoles ont établi qu’ils étaient essentiellement incapables sans l’assistance de l’État d’exercer leur liberté constitutionnelle de s’associer. Les conditions dans lesquelles se trouvaient les travailleurs agricoles étaient exacerbées par leur exclusion du régime des relations de travail. Ils ont démontré que, dans les faits, cette exclusion paralysait toute activité syndicale hors du cadre légal. Sans un cadre analytique axé sur la responsabilité de l’État, l’al. 2d) pourrait être utilisé à mauvais escient afin de renforcer la position des personnes relativement privilégiées (Dunmore, par. 39 et 43‑45).
C.            La séparation des pouvoirs
[218]                     Les revendications positives soulèvent également des préoccupations particulières en ce qui a trait à la séparation des pouvoirs. Les choix concernant la détermination des personnes à qui accorder une protection élargie, de même que les mécanismes pour y donner effet, relèvent du législateur (Toronto (Cité), par. 19). Comme l’ont souligné les juges majoritaires dans Dunmore, [traduction] « lorsqu’il entrebâille la porte et accorde des droits à certains ou les accroît », le gouvernement n’est pas tenu « d’ouvrir la porte toute grande et de conférer les mêmes droits à tous » (par. 22, citant Dunmore c. Ontario (Attorney General) (1997), 1997 CanLII 12345 (ON SC), 155 D.L.R. (4th) 193 (C.J. Ont. (Div. gén.)), p. 207). Le fait qu’un régime vise à protéger une liberté fondamentale ne veut pas dire, en soi, que toute exclusion de ce régime constitue automatiquement une violation de la Charte (Dunmore, par. 39).
[219]                     Conférer un statut constitutionnel à un régime législatif particulier n’est pas un rôle qu’il convient à la Cour de jouer. Les régimes de relations de travail sont l’expression d’un choix de politique d’intérêt général, visant à promouvoir la paix dans les relations de travail et à favoriser la certitude dans la relation d’emploi, mais ils ne constituent pas un impératif constitutionnel (voir Dunmore, par. 24; Haig, p. 1041). Bien que la Cour puisse invalider une loi jugée incompatible avec des dispositions de la Charte, elle « n’[est] pas en position d’adopter une loi aussi détaillée, ni de conférer un statut constitutionnel à un régime législatif en particulier » (Dunmore, par. 66; voir aussi Langille et Oliphant, p. 271). Comme l’ont souligné les juges majoritaires de notre Cour dans Toronto (Cité), « il est préférable de laisser aux ordres élus de l’État le soin de décider s’il convient de concevoir une tribune d’origine législative ou réglementaire et la façon de le faire » (par. 19; voir aussi McKinney, p. 263). En conséquence, le seuil de preuve élevé prévu par le cadre de l’arrêt Dunmore fait en sorte que les décisions sur les revendications positives respectent la séparation des pouvoirs.
IV.         Conclusion
[220]                     Je crois que mes motifs répondent à la question laissée en suspens dans Toronto (Cité), ce qui m’amène à conclure que le cadre de l’arrêt Dunmore doit être maintenu pour l’examen des revendications positives.
[221]                     Bien que l’al. 2d) puisse requérir des mesures positives de l’État afin que la liberté de s’organiser ait un sens, les revendications de cette nature doivent être examinées selon un cadre distinct qui tient compte de la nature de cette liberté fondamentale, du lien nécessaire avec l’action de l’État et de la séparation des pouvoirs.

 
ANNEXE
Dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes
Charte canadienne des droits et libertés
Droits et libertés au Canada
1 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Libertés fondamentales
2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d’association.
Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés
24 (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
 
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages‑intérêts punitifs.
52. Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.
 
Code du travail, RLRQ, c. C‑27
1. Dans le présent code, à moins que le contexte ne s’y oppose, les termes suivants signifient :
. . .
l) « salarié » : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas :
1° une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés;
12. Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d’employeurs, ne cherchera d’aucune manière à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés, ni à y participer.
Aucune association de salariés, ni aucune personne agissant pour le compte d’une telle organisation n’adhérera à une association d’employeurs, ni ne cherchera à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une telle association ni à y participer.
                    Pourvois accueillis avec dépens.
                    Procureurs de la Société des casinos du Québec inc. : Loranger Marcoux, Montréal.
                    Procureurs du procureur général du Québec : Bernard, Roy (Justice‑Québec), Montréal; Direction du droit constitutionnel et autochtone, Ministère de la justice, Québec.
                    Procureurs de l’intimée : Poudrier Bradet, Québec.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada — Secteur national du contentieux, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario — Direction du droit constitutionnel, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Justice — Constitutional and Aboriginal Law, Edmonton.
                    Procureurs de l’intervenant le Tribunal administratif du travail : Fitzback Charbonneau, Québec.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs : McCarthy Tétrault, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association professionnelle des officiers brevetés de la police nationale : Nelligan O’Brien Payne, Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenant le Congrès du travail du Canada : Goldblatt Partners, Toronto.
                    Procureurs des intervenants Ontario Principals’ Council, Catholic Principals’ Council of Ontario, l’Association des directions et des directions adjointes des écoles franco‑ontariennes et la Guilde canadienne des réalisateurs – Ontario : Jones Pearce, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant les Juristes canadiens pour le droit international de la personne : Ryder Wright Holmes Bryden Nam, Toronto; Juristes canadiens pour le droit international de la personne, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Alliance de la fonction publique du Canada : RavenLaw, Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant le Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro‑Québec inc. : Rivest Schmidt, Montréal.
                    Procureurs des intervenantes l’Association des cadres des collèges du Québec, l’Association des cadres municipaux de Montréal, l’Association des conseillers en gestion des ressources humaines du gouvernement du Québec, l’Association des cadres scolaires du Grand Montréal, l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux, l’Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des alcools du Québec, l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro‑Québec, l’Association québécoise des cadres scolaires, l’Association québécoise du personnel de direction des écoles et la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement : Melançon Marceau Grenier Cohen, Québec.

[1] Les tests applicables pour évaluer de prétendues violations de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise sont les mêmes (Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 626, 75 C.C.P.B. (2nd) 1, par. 64; Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État québécois, 2021 QCCA 559, par. 60 (CanLII); voir aussi Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3, [2018] 1 R.C.S. 35, par. 98). Dans la suite de mes motifs, je m’attache à la Charte canadienne.
[2] Le 1er janvier 2016, le TAT institué par la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T‑15.1, art. 1, remplace la Commission des relations du travail.

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC13 ?
Date de la décision : 19/04/2024

Analyses

entrave substantiellement — libertés — application — associations — arrêts Dunmore — négociations collectives — employeurs — exclusion législative — régimes — norme — chartes — Charte canadienne — étapes — expressément — protections — exercice


Parties
Demandeurs : Société des casinos du Québec inc.
Défendeurs : Association des cadres de la Société des casinos du Québec
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 19 avril 2024, Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13


Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-04-19;2024csc13 ?

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