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30/09/2011 | CANADA | N°2011_CSC_44

Canada | Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 (30 septembre 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134

Date : 20110930

Dossier : 33556

Entre :

Procureur général du Canada et Ministre de la Santé du Canada

Appelants / Intimés au pourvoi incident

et

PHS Community Services Society, Dean Edward Wilson, Shelly Tomic

et Procureur général de la Colombie-Britannique

Intimés

Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU)

Intimé / Appelant au pourvoi incident

- et -

Pro

cureur général du Québec, Dr. Peter AIDS Foundation,

Vancouver Coastal Health Authority, Association canadienne des libertés civiles,

Réseau j...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134

Date : 20110930

Dossier : 33556

Entre :

Procureur général du Canada et Ministre de la Santé du Canada

Appelants / Intimés au pourvoi incident

et

PHS Community Services Society, Dean Edward Wilson, Shelly Tomic

et Procureur général de la Colombie-Britannique

Intimés

Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU)

Intimé / Appelant au pourvoi incident

- et -

Procureur général du Québec, Dr. Peter AIDS Foundation,

Vancouver Coastal Health Authority, Association canadienne des libertés civiles,

Réseau juridique canadien VIH/sida, International Harm Reduction Association,

CACTUS Montréal, Association des infirmières et infirmiers du Canada,

Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario,

Association of Registered Nurses of British Columbia, Association canadienne

de santé publique, Association médicale canadienne,

Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique,

British Columbia Nurses’ Union et REAL Women of Canada

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 159)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)

Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134

Procureur général du Canada et

ministre de la Santé du Canada Appelants/Intimés au pourvoi incident

c.

PHS Community Services Society,

Dean Edward Wilson, Shelly Tomic et

Procureur général de la Colombie‑Britannique Intimés

et

Vancouver Area Network

of Drug Users (VANDU) Intimé/Appelant au pourvoi incident

et

Procureur général du Québec,

Dr. Peter AIDS Foundation,

Vancouver Coastal Health Authority,

Association canadienne des libertés civiles,

Réseau juridique canadien VIH/sida,

International Harm Reduction Association,

CACTUS Montréal,

Association des infirmières et infirmiers du Canada,

Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario,

Association of Registered Nurses of British Columbia,

Association canadienne de santé publique,

Association médicale canadienne,

Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique,

British Columbia Nurses’ Union et REAL Women of Canada Intervenants

Répertorié : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society

2011 CSC 44

No du greffe : 33556.

2011 : 12 mai; 2011 : 30 septembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Rowles, Huddart et D. Smith), 2010 BCCA 15, 100 B.C.L.R. (4th) 269, 314 D.L.R. (4th) 209, 250 C.C.C. (3d) 443, 207 C.R.R. (2d) 232, [2010] 2 W.W.R. 575, 281 B.C.A.C. 161, 475 W.A.C. 161, [2010] B.C.J. No. 57 (QL), 2010 CarswellBC 50, qui a confirmé les décisions du juge Pitfield, 2008 BCSC 661, 85 B.C.L.R. (4th) 89, 293 D.L.R. (4th) 392, 173 C.R.R. (2d) 82, [2009] 3 W.W.R. 450, [2008] B.C.J. No. 951 (QL), 2008 CarswellBC 1043, et 2008 BCSC 1453, 91 B.C.L.R. (4th) 389, 302 D.L.R. (4th) 740, [2009] 3 W.W.R. 494, [2008] B.C.J. No. 2057 (QL), 2008 CarswellBC 2300. Pourvoi et pourvoi incident rejetés.

Robert J. Frater et W. Paul Riley, pour les appelants/intimés au pourvoi incident.

Joseph J. Arvay, c.r., Monique Pongracic‑Speier, Scott E. Bernstein et Jeffrey W. Beedell, pour les intimés PHS Community Services Society, Dean Edward Wilson et Shelly Tomic.

Craig E. Jones et Karrie Wolfe, pour l’intimé le procureur général de la Colombie‑Britannique.

John W. Conroy, c.r., et Stephen J. Mulhall, c.r., pour l’intimé/appelant au pourvoi incident.

Hugo Jean, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Andrew I. Nathanson et Brook Greenberg, pour l’intervenante Dr. Peter AIDS Foundation.

Sheila M. Tucker, pour l’intervenante Vancouver Coastal Health Authority.

Paul F. Monahan et Antonio Di Domenico, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

Michael A. Feder, Angela M. Juba et Louis Letellier de St‑Just, pour les intervenants le Réseau juridique canadien VIH/sida, International Harm Reduction Association et CACTUS Montréal.

Rahool P. Agarwal, John M. Picone et Michael Kotrly, pour les intervenantes l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario et Association of Registered Nurses of British Columbia.

Owen M. Rees et Fredrick Schumann, pour l’intervenante l’Association canadienne de santé publique.

Guy J. Pratte, Nadia Effendi et Jean Nelson, pour l’intervenante l’Association médicale canadienne.

Ryan D. W. Dalziel et Thomas J. Moran, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

Marjorie Brown, pour l’intervenante British Columbia Nurses’ Union.

Michael A. Chambers, pour l’intervenante REAL Women of Canada.

Version française du jugement de la Cour rendu par

[1] La Juge en chef — Depuis 2003, le centre d’injection supervisée Insite offre des services médicaux aux consommateurs de drogues intraveineuses dans le quartier Downtown Eastside (« DTES ») de Vancouver. Les administrations locale, provinciale et fédérale se sont unies pour établir les balises juridiques d’un centre sécuritaire où les clients pourraient s’injecter des drogues sous la supervision de professionnels de la santé sans craindre d’être arrêtés et poursuivis. Nombreux sont ceux qui ont applaudi à cette initiative, dont ils croyaient en l’efficacité pour endiguer la propagation catastrophique de maladies infectieuses comme le VIH/sida et l’hépatite C et réduire le taux élevé de mortalité par surdose dans le quartier DTES.

[2] En 2008, le gouvernement fédéral a refusé de reconduire l’exemption qui soustrayait Insite à l’application des dispositions criminelles de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 (« Loi »). Devant la possibilité qu’Insite doive fermer boutique, les demandeurs ont intenté une action dans le but d’obtenir un jugement déclaratoire statuant que la Loi est inapplicable à Insite et que son application à Insite viole les droits que leur garantit l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ou, subsidiairement, que le refus du ministre de la Santé de reconduire l’exemption a porté atteinte à leurs droits protégés par l’art. 7.

[3] La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si Insite échappe à l’application des lois fédérales en matière criminelle qui interdisent la possession et le trafic de substances désignées, soit parce qu’il s’agit d’un établissement de santé ressortissant à la compétence exclusive de la province, soit parce que l’application de ces lois enfreindrait la Charte. Pour les motifs qui suivent, nous concluons que la Loi est applicable à Insite et que le régime qu’elle établit est conforme à la Charte. Toutefois, le refus du ministre de la Santé du Canada de reconduire l’exemption prévue à l’art. 56 de la Loi enfreint l’art. 7 de la Charte et ne peut se justifier au sens de l’article premier. En conséquence, nous ordonnons au ministre de reconduire l’exemption d’Insite et nous rejetons l’appel.

I. Introduction et contexte

[4] Le quartier DTES de Vancouver abrite des personnes parmi les plus démunies et les plus vulnérables au pays. Il compte 4 600 consommateurs de drogues intraveineuses, soit près de la moitié de tous les consommateurs de drogues intraveineuses de la ville. Cette proportion n’a aucune commune mesure avec la taille réelle du quartier, un très petit secteur qui ne compte que quelques pâtés de maisons dans chaque direction à partir de l’intersection des rues Main et Hastings.

[5] La concentration de consommateurs de drogues intraveineuses dans ce secteur de la ville est due à plus d’un facteur, dont la présence de plusieurs maisons de chambres, la désinstitutionnalisation des personnes atteintes de maladie mentale, l’effet des politiques antidrogue appliquées au cours des ans et la disponibilité de stupéfiants illicites dans la rue.

[6] Dans le quartier DTES, le problème de la consommation de drogues injectables s’étale au grand jour. À n’importe quelle heure, on peut assister à des achats de drogue sur le parvis même du Carnegie Community Centre, un édifice historique situé à l’angle des rues Main et Hastings. À quelques pas de là, dans des ruelles, des toxicomanes se font un garrot pour trouver une veine dans laquelle s’injecter de l’héroïne et de la cocaïne, ou encore fument du crack dans des pipes de verre.

[7] Les résidants du quartier DTES qui consomment des drogues intraveineuses sont d’origines diverses et leur histoire personnelle diffère, mais ils possèdent souvent certains traits communs. Nombre d’entre eux ont subi dans leur enfance des agressions physiques et sexuelles, ont des antécédents familiaux de toxicomanie, ont été exposés très tôt à des drogues dures et souffrent d’une maladie mentale. De nombreux consommateurs de drogues intraveineuses de ce quartier sont héroïnomanes depuis plusieurs décennies et ont entamé des programmes de désintoxication à plusieurs reprises. Beaucoup sont polytoxicomanes et souffrent d’alcoolisme. Certains sont réduits à faire le trottoir pour financer leurs dépendances. Il devrait ressortir clairement de ces données que ces personnes ne consomment pas à des fins récréatives : elles souffrent de dépendance. Leur consommation de drogues injectables est à la fois l’effet et la cause d’une vie qui représente un combat quotidien.

[8] Bien que le quartier DTES offre des logements abordables, bien des Canadiens seraient horrifiés des conditions de vie qui y règnent. C’est l’un des rares endroits de Vancouver où les personnes les plus démunies, invalides et toxicomanes, peuvent trouver refuge. Vingt pour cent de la population est sans abri. Une grande proportion de ceux qui ont un toit logent dans des maisons de chambres insalubres, où la sécurité, l’intimité et les installations sanitaires se font rares. Souvent, un immeuble ne compte qu’une seule salle de bains, que tous les locataires doivent partager. Les maisons de chambres sont fréquemment infestées de punaises et de rats. On y mène une vie morose.

[9] Un sondage réalisé auprès d’un millier de résidants toxicomanes du quartier DTES a été présenté dans un rapport au ministre de la Santé du Canada en 2008 (INSITE de Vancouver et autres sites d’injection supervisés : Observations tirées de la recherche — Rapport final du Comité consultatif d’experts sur la recherche sur les sites d’injection supervisés, 1er mars 2008 (en ligne)). Le juge de première instance l’a résumé au par. 16 de ses motifs (2008 BCSC 661, 85 B.C.L.R. (4th) 89). Voici ce qu’il a constaté de façon générale :

• En moyenne, les participants au sondage s’injectent de la drogue depuis 15 ans;

• La majorité (51 %) s’injecte de l’héroïne et 32 % de la cocaïne;

• 87 % ont le virus de l’hépatite C (VHC) et 17 % le virus de l’immunodéficience humaine (VIH);

• 18 % sont des Autochtones;

• 20 % sont sans abri et beaucoup plus vivent dans une maison de chambres;

• 80 % des participants ont déjà fait de la prison;

• 38 % font commerce de leur corps;

• 21 % prennent de la méthadone;

• 59 % ont signalé une surdose non fatale au cours de leur vie.

[10] Par la nature même de leur dépendance, les consommateurs de drogues injectables mènent une vie désespérée et dangereuse. Sans compter les dangers que présentent les drogues, les toxicomanes sont susceptibles de se livrer à une panoplie d’autres pratiques qui mettent leur vie en danger. Bien que beaucoup de toxicomanes sachent comment éviter les comportements à risque, l’état de manque ou la crainte que la police découvre et confisque leur drogue peuvent l’emporter même sur des habitudes de protection bien ancrées. Les toxicomanes partagent leurs seringues, se piquent à la hâte dans des ruelles et puisent dans des flaques d’eau stagnante pour dissoudre leur héroïne avant de se l’injecter dans les veines. S’ils sont victimes d’une surdose dans ces ruelles, les toxicomanes se trouvent souvent seuls et loin des services médicaux. Les seringues partagées peuvent transmettre le VIH et l’hépatite C. L’insalubrité cause des infections. Le toxicomane qui rate une veine dans sa hâte risque de développer un abcès. En ne prenant pas le temps nécessaire pour préparer sa dose, il risque de mal mesurer la quantité de la substance qu’il s’injecte. Il n’est pas rare pour les consommateurs de drogues injectables de souffrir d’endocardite ou d’infections dangereuses. Ces risques sont exacerbés par le fait que ces toxicomanes forment une population marginalisée que les professionnels de la santé ont toujours eu du mal à rejoindre.

[11] Certes, la consommation de drogues injectables ne constitue pas un problème nouveau à Vancouver, ni d’ailleurs dans le reste du pays, mais elle a atteint un point critique dans le quartier DTES au début des années 90. En six ans à peine, le nombre annuel de décès par surdose à Vancouver a crû de manière exponentielle, passant de 16 en 1987 à 200 en 1993. En 1996, le médecin‑chef en santé publique de Vancouver a signalé une augmentation des cas de maladies infectieuses dans le quartier DTES, notamment des cas de VIH/sida, d’hépatite A, B et C, d’infections de la peau et d’infections transmises par le sang, d’endocardite et de septicémie, ainsi qu’une augmentation du nombre de surdoses, fatales ou non. Dans tous les cas, cette augmentation était reliée à la consommation de drogues injectables. La même année, le British Columbia Centre for Excellence in HIV/AIDS a fait état d’une épidémie de VIH/sida dans ce secteur. L’année suivante, une épidémie d’hépatite C a été signalée. En septembre 1997, un état d’urgence en santé publique a été déclaré dans le quartier DTES.

[12] La décision d’ouvrir un centre d’injection supervisée est le fruit de plusieurs années de recherche, de planification et de collaboration intergouvernementale. Cette recherche et cette planification sont décrites dans l’affidavit de Heather Hay, directrice des services en matière de toxicomanie, de VIH/sida et de santé des Autochtones de la Vancouver Coastal Health Authority (« VCHA »). Elle y explique notamment les mesures prises par les divers organismes gouvernementaux en réaction à la situation de crise dans le quartier DTES. Dès le départ, les organismes de santé ont reconnu la nécessité de trouver des solutions novatrices pour répondre aux besoins de cette population difficile à rejoindre du quartier DTES.

[13] En 1997, le Vancouver/Richmond Health Board a adopté le « Vancouver Downtown Eastside HIV/AIDS Action Plan » qui proposait des stratégies de réduction des méfaits, comme la création du Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU) (« VANDU »), un organisme d’approche et de soutien par les pairs, ainsi que la mise sur pied d’un service d’échange de seringues. En 1999, la VCHA a publié un rapport qui attribuait les problèmes de santé dans le quartier DTES à la consommation de drogues injectables et recommandait une approche intégrée axée sur la réduction des méfaits : augmentation des soins primaires, interventions novatrices de prévention des maladies transmissibles, élaboration d’un programme de services pour alcooliques et toxicomanes, incluant notamment des stratégies de réduction des méfaits, et amélioration de l’accès à un logement stable. Suivant ce plan, de nouvelles cliniques de santé à exigences peu élevées ont ouvert leurs portes dans le quartier DTES, les services d’échange de seringues et de traitement à la méthadone ont été augmentés et l’accès aux médicaments antirétroviraux a été amélioré.

[14] En avril 2002, la province a transféré aux régies régionales de la santé la responsabilité des services aux toxicomanes et alcooliques adultes, ce qui a permis à la VCHA d’adopter une démarche intégrée de traitement de la toxicomanie. En septembre de la même année, la VCHA a proposé, pour Vancouver, un nouveau plan de lutte contre les dépendances qui s’écartait des programmes traditionnels fondés sur l’abstinence et établissait des stratégies de réduction des méfaits. Ce plan prévoyait un programme de soins pour les toxicomanes qui les aiderait à chaque étape du traitement de leur maladie, et non simplement à l’étape ultime où ils renoncent définitivement aux drogues. Ces propositions incluaient des installations de consommation supervisée.

[15] Bien que controversé sur le plan politique en Amérique du Nord, le concept de site d’injection supervisée existe ailleurs. L’utilité des centres d’injection supervisée dans le traitement des problèmes de santé liés à la consommation de drogues injectables s’est avérée dans d’autres parties du monde. On trouve des centres d’injection supervisée dans 70 villes de 6 pays d’Europe, ainsi qu’à Sydney, en Australie. Comme l’existence de tels centres en témoigne, les autorités en santé publique reconnaissent de plus en plus qu’il n’est pas possible de résoudre les problèmes de santé des consommateurs de drogues injectables en les obligeant à choisir de renoncer à la drogue ou de renoncer aux soins de santé. On ne peut traiter efficacement la toxicomanie sans reconnaître la difficulté de rejoindre une population marginalisée souffrant de problèmes complexes de santé mentale, physique et émotionnelle.

[16] Mme Hay a préparé une proposition visant l’établissement d’un centre d’injection supervisée, que le conseil d’administration de la VCHA a approuvée en mars 2003. En mai 2003, cette proposition a été soumise à Santé Canada, dont l’approbation était nécessaire pour soustraire Insite à l’application des dispositions de la Loi interdisant la possession et le trafic de substances désignées. Le régime législatif confère au ministre fédéral de la Santé le pouvoir discrétionnaire d’accorder ce genre d’exemption en vertu de l’art. 56. Le 12 septembre 2003, Santé Canada a donné son approbation finale et accordé une exemption conditionnelle soustrayant le centre à l’application des interdictions de possession et de traffic dans le cadre d’un projet pilote de recherche en vertu de l’art. 56 de la Loi.

[17] Insite a ouvert ses portes le 21 septembre 2003. Il s’agissait du premier centre d’injection supervisée approuvé par un gouvernement en Amérique du Nord. Il fonctionne depuis, sept jours par semaine, 18 heures par jour. Le juge de première instance décrit ainsi les activités d’Insite aux par. 71 à 77 de ses motifs :

[traduction] Insite est situé sur Hastings Est entre les rues Carrall et Main. L’établissement est ouvert tous les jours de 10 h à 4 h du matin. Il est connu des résidants du quartier DTES, et les policiers suggèrent aux toxicomanes de l’utiliser. Insite suit un protocole exhaustif et détaillé approuvé par Santé Canada. Le personnel est composé d’employés de la PHS, de la régie de la santé et de travailleurs communautaires.

Les utilisateurs du centre doivent être âgés d’au moins 16 ans, signer un formulaire d’entente, de renonciation et de consentement et adhérer à un code de conduite. Ils ne peuvent être accompagnés par des enfants. Ils doivent s’inscrire à chaque visite et indiquer la substance qu’ils s’injecteront. Le personnel ne fournit aucune substance. Il va sans dire que les utilisateurs ont acheté les substances apportées sur place à des trafiquants dans le cadre d’une transaction illicite et qu’ils les ont en leur possession avant d’arriver à Insite. Environ 60 % des drogues injectées sont des opioïdes : deux fois sur trois, il s’agit d’héroïne et une fois sur trois, de morphine ou d’hydromorphone; contre environ 40 % de stimulants : dans près de 90 % de ces cas, il s’agit de cocaïne; dans 10 %, de méthamphétamine.

Insite compte 12 postes d’injection. Seul le matériel d’injection propre qui est remis aux utilisateurs peut être utilisé sur place. Toutes les injections sont observées par un membre du personnel. Des infirmiers et du personnel paramédical traitent les utilisateurs en cas de surdose et appellent un médecin et l’ambulance au besoin. Le degré de gravité des surdoses varie, ainsi que leur traitement.

Selon le protocole, il est permis aux femmes enceintes de se prévaloir des services d’Insite. Avant d’accéder à la salle d’injection, elles doivent se soumettre à une évaluation plus exhaustive que les autres utilisateurs. Elles sont aussi dirigées vers une clinique de santé et des services de garde gérés directement par la régie de la santé, qui offre des soins prénataux et postnataux aux femmes enceintes qui consomment activement des substances illégales.

Après leur injection, les utilisateurs sont évalués par un membre du personnel, qui les dirige soit vers la salle de repos soit vers la salle de traitement, où du personnel infirmier soigne les troubles de santé causés par les injections. Les utilisateurs nécessitant des traitements importants ou prolongés sont envoyés à l’établissement de soins primaires le plus près, soit le Downtown Community Health Centre ou la clinique Pender.

Sur place, le personnel et les travailleurs de soutien rencontrent les utilisateurs individuellement pour les renseigner sur les soins de santé, leur offrir du counseling et les orienter vers des services offerts notamment par la régie de la santé. Selon les dossiers, en 2005, 2006 et 2007, il est arrivé respectivement 2 270, 1 828 et 2 269 fois que le personnel dirige un utilisateur vers divers services, comme des cliniques communautaires, des urgences d’hôpitaux, des cliniques externes de santé mentale, des services communautaires, des refuges; et des services aux toxicomanes (p. ex., des services de counseling, de logement, de sevrage, de traitement à la méthadone et de suivi).

Depuis l’automne 2007, le personnel peut en outre envoyer les utilisateurs à « Onsite », un centre de désintoxication situé à l’étage supérieur qui permet à Insite de fournir des services de désintoxication sur demande. Dans cet environnement sans drogue, les utilisateurs sont suivis par des médecins spécialisés en toxicomanie, des généralistes, du personnel infirmier et des pairs. Ils peuvent également être aiguillés vers des centres de désintoxication résidentiels et d’autres services de traitement.

[18] Cet extrait décrit un établissement de santé soumis à des règles strictes. Il relève de la VCHA, et son personnel applique des politiques et des procédures rigoureuses. Il ne fournit aucune drogue à ses clients, qui sont tenus de s’inscrire et de signer une renonciation et sont suivis de près pendant et après l’injection. Des lignes directrices régissent la collecte du matériel d’injection usagé et le confinement des drogues inutilisées.

[19] Insite est le fruit du fédéralisme coopératif, issu des efforts concertés des instances locales, provinciales et fédérales. Il s’agissait d’une expérience, et l’expérience a réussi. Insite a sauvé des vies et a eu un effet bénéfique en matière de santé, et ce, sans provoquer une hausse des méfaits liés à la consommation de drogues et de la criminalité dans le quartier. La police de Vancouver appuie Insite. La ville et le gouvernement provincial veulent qu’il demeure ouvert. Or, le projet Insite ne peut survivre sans une exemption fédérale écartant, dans ses locaux, l’application des lois criminalisant la possession de substances prohibées.

[20] La Loi est la réponse du législateur fédéral au problème de la consommation de drogues illégales au Canada. Il a choisi d’édicter une interdiction générale de possession et de trafic de drogues illégales, tout en reconnaissant l’opportunité d’autoriser l’utilisation de substances illégales dans certaines circonstances. L’article 56 de la Loi habilite le ministre fédéral de la Santé à accorder une exemption pour des raisons médicales et scientifiques. L’article 55 de cette même loi autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements régissant l’utilisation de substances illégales à des fins médicales, scientifiques et industrielles. Ainsi, le législateur a tenté de concilier les intérêts contradictoires de sécurité et de santé publiques. En 2008, l’exemption fédérale soustrayant Insite à l’application des lois criminelles antidrogue a pris fin. L’action à l’origine du présent pourvoi a été intentée en vue de sauver Insite.

II. Historique judiciaire

[21] L’action à l’origine du pourvoi a été intentée par Dean Edward Wilson, Shelly Tomic, PHS Community Services Society (« PHS »), un organisme à but non lucratif qui gère Insite, et VANDU, une société à but non lucratif qui défend les intérêts des toxicomanes.

[22] M. Wilson et Mme Tomic, des résidants du quartier DTES, sont clients d’Insite (ou l’ont été). Âgé de 55 ans, M. Wilson s’injecte de l’héroïne depuis l’âge de 13 ans et de la cocaïne depuis presque aussi longtemps. Sa consommation a eu de graves conséquences sur sa santé : il est porteur de l’hépatite C et tombe souvent malade. Il a tenté à plusieurs reprises de mettre fin à sa consommation de drogues ou de la diminuer, sans réussir à demeurer totalement sobre. M. Wilson met à profit sa propre expérience pour jouer un rôle positif auprès des toxicomanes de la collectivité en aidant à les renseigner et à améliorer leur état de santé. Il a été la première personne à utiliser Insite et y retourne chaque fois qu’il rechute. Selon lui, Insite est une ressource importante pour les consommateurs de drogues injectables du quartier DTES et il croit avoir diminué ses propres risques de surdose grave en faisant ses injections sur place. Mais surtout, d’affirmer M. Wilson : [traduction] « Insite a rendu leur dignité à des personnes qui doivent lutter pour se faire respecter en tant qu’êtres humains » (d.a., vol. II, p. 44).

[23] Âgée de 43 ans, Mme Tomic souffrait déjà d’une dépendance aux amphétamines à sa naissance. Elle a commencé à s’injecter de la cocaïne à 19 ou 20 ans, et de l’héroïne à 26 ou 27 ans. Elle s’est parfois prostituée afin d’acheter de la drogue. Tout comme M. Wilson, elle est porteuse du virus de l’hépatite C. Elle suit un traitement de substitution à la méthadone, mais consomme parfois de l’héroïne, lorsqu’elle rechute. Mme Tomic s’est mise à fréquenter Insite dès son ouverture en 2003 et a immédiatement remarqué qu’elle ne développait plus d’abcès lorsqu’elle y faisait ses injections. Selon elle, c’est grâce à Insite qu’elle suit un traitement à la méthadone. Tout comme M. Wilson, elle témoigne du soutien psychologique et émotionnel fourni par le personnel d’Insite et du rôle important de ce dernier dans son propre cheminement vers la guérison.

[24] Mme Tomic, M. Wilson et PHS demandent à la Cour de déclarer les par. 4(1) et 5(1) de la Loi constitutionnellement inapplicables à Insite, parce qu’il relève de la compétence exclusive de la province, à titre d’établissement de santé, ce qui rend inutile l’octroi de l’exemption prévue à l’art. 56. Ils prétendent également que l’application à Insite des interdictions criminelles établies par la Loi porte atteinte à leurs droits constitutionnels garantis par l’art. 7 de la Charte et que, par application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, ces interdictions sont inopérantes dans la mesure de cette atteinte. À titre subsidiaire, ils demandent à la Cour de déclarer que la décision du ministre fédéral de la Santé de refuser d’accorder ou de reconduire l’exemption porte atteinte aux droits garantis à M. Wilson et à Mme Tomic par l’art. 7 de la Charte.

[25] Devant la Cour, VANDU souscrit aux arguments de Mme Tomic, M. Wilson et PHS et sollicite un jugement déclarant que l’infraction de possession de toute drogue engendrant une dépendance viole l’art. 7 de la Charte.

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2008 BCSC 661, 85 B.C.L.R. (4th) 89

[26] L’action a été instruite par voie de procédure sommaire par le juge Pitfield de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en mai 2008, peu de temps avant que l’exemption fédérale prenne fin. La preuve a été présentée sous forme d’affidavit.

[27] Le juge Pitfield a reconnu les divergences dans les philosophies de traitement de la dépendance et s’en est tenu, dans ses conclusions de fait, aux éléments nécessaires pour trancher l’affaire dont il était saisi. Ces conclusions de fait, déterminantes dans le présent pourvoi, sont résumées aux par. 87 à 89 de ses motifs :

[traduction] . . . tous les éléments de preuve produits par PHS, VANDU et le Canada étayent un certain nombre de conclusions irréfutables :

1. La dépendance est une maladie. L’un des aspects de cette maladie est l’état de manque ou le besoin constant de la personne qui en souffre de consommer la substance dont elle est dépendante.

2. Les substances désignées, comme l’héroïne et la cocaïne, introduites dans le sang par injection ne causent pas l’hépatite C ni le VIH/sida. C’est l’utilisation de matériel, de techniques et de procédures d’injection non hygiéniques qui permet la transmission de ces infections ou maladies d’un sujet à l’autre;

3. En s’injectant des drogues en présence de professionnels de la santé qualifiés, le toxicomane réduit ses risques de morbidité et de mortalité reliés à sa dépendance et à sa consommation par injection.

Par contre, les causes fondamentales de la dépendance sont moins certaines et plus controversées. Les éléments de preuve sur la particularité du quartier DTES, un grand nombre de ses résidants et la nature de la dépendance produits en l’espèce m’amènent aux conclusions qui suivent.

Les résidants du DTES qui souffrent d’une dépendance à l’héroïne, à la cocaïne ou à d’autres substances désignées ne consomment pas à des fins récréatives. Leur dépendance est une maladie souvent, sinon toujours, assortie de graves infections et d’un véritable danger de surdose qui compromettent leur santé physique et celle d’autres membres du public. Sans vouloir chercher de coupable, je conclus que leur situation découle d’une combinaison complexe de facteurs personnels, gouvernementaux et juridiques : un mélange de problèmes génétiques, psychologiques, sociaux et familiaux; l’incapacité, malgré des efforts sérieux et réitérés des gouvernements municipal, provincial et fédéral, ainsi que de nombreux organismes à but non lucratif, de fournir des solutions et un soutien véritables et efficaces et l’incapacité du droit criminel d’empêcher le trafic de substances désignées dans le quartier DTES, comme en fait foi la toxicomanie qui y sévit toujours.

[28] En ce qui concerne l’incidence du projet, le juge Pitfield a fait siennes les conclusions énoncées par le comité consultatif d’experts dans son rapport au ministre fédéral de la Santé concernant Insite (par. 85). Voici certaines de ces conclusions :

• D’après des observations faites peu avant et après l’ouverture d’Insite, le nombre des personnes qui s’injectent en public a diminué.

• Aucun élément ne prouve qu’il y ait eu augmentation du flânage en rapport avec la drogue, du trafic de stupéfiants ou de la petite délinquance à l’entour d’Insite.

• La Chinese Business Association locale fait état d’une diminution de la criminalité dans le quartier des affaires chinois en dehors du DTES.

• Les données de la police n’indiquent pas de changement du taux de la criminalité dans le DTES.

• Aucun élément ne prouve qu’Insite augmente le taux de rechute chez les consommateurs de drogues injectables.

• L’analyse coûts-avantages est positive.

[29] Le juge Pitfield a refusé de déclarer que les activités du personnel d’Insite ne constituaient pas de la possession ou du trafic, comme le lui demandait VANDU. La question de savoir si une personne a commis l’une ou l’autre infraction dépend des faits et ne se prête pas à un jugement déclaratoire rendu [traduction] « dans l’absolu » (par. 98).

[30] Le juge Pitfield a également rejeté la prétention selon laquelle la doctrine de l’exclusivité des compétences soustrayait Insite à l’application des par. 4(1) et 5(1) de la Loi. Il a souligné l’ambivalence récente de la Cour à l’égard de cette doctrine et s’est dit d’avis qu’elle ne devrait s’appliquer que rarement (par. 118). Selon lui, dans les cas présentant un « double aspect », où les deux ordres de gouvernement peuvent légiférer dans un même domaine, les tribunaux [traduction] « doivent s’efforcer de donner effet aux deux mesures législatives » (par. 119). Les dispositions fédérales et provinciales étant incompatibles, le régime fédéral prévalait dans la mesure de cette incompatibilité, suivant la doctrine de la prépondérance fédérale.

[31] Quant à l’argument fondé sur la Charte, le juge Pitfield a conclu que l’application à Insite des par. 4(1) et 5(1) de la Loi mettait en jeu les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’art. 7. Appliquées à Insite, les dispositions contestées de la Loi n’étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale, parce qu’elles interdisaient arbitrairement la gestion de la dépendance et des risques qui y sont associés. L’article 56 de la Loi ne pouvait remédier au caractère arbitraire du régime parce que le pouvoir discrétionnaire du ministre d’accorder ou non des exemptions était absolu. Le juge Pitfield a poursuivi en concluant que la violation de l’art. 7 ne pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte. Par conséquent, il a déclaré inconstitutionnels et inopérants les par. 4(1) et 5(1) de la Loi. Il a suspendu la déclaration d’invalidité constitutionnelle et accordé à Insite une exemption constitutionnelle le soustrayant à l’application des lois fédérales antidrogue pour lui permettre de poursuivre ses activités.

B. Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2010 BCCA 15, 100 B.C.L.R. (4th) 269

[32] La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé la conclusion du juge de première instance qu’Insite devait poursuivre ses activités sans égard aux interdictions fédérales en matière de drogues. La juge Rowles, en son nom et en accord avec la juge Huddart, a confirmé la décision de première instance sur l’argument fondé sur la Charte, bien que la loi fût, à son avis, trop générale, plutôt qu’arbitraire. Elle estimait, comme le juge Pitfield, que l’application de la Loi aux activités d’Insite aurait une incidence exagérément disproportionnée sur ses clients, en leur refusant l’accès à des soins de santé essentiels, sans qu’il en découle d’avantage équivalent pour eux ou pour la société en général.

[33] La juge Rowles a également souscrit aux motifs de la juge Huddart selon qui les lois fédérales antidrogue étaient inapplicables à Insite en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Aux yeux de la juge Huddart, Insite constitue une entreprise provinciale établie en vertu du pouvoir conféré à la législature provinciale relativement aux hôpitaux. Elle a conclu que la détermination de la nature des services que doit fournir un hôpital touche à l’essence même de l’objet du pouvoir provincial en matière de santé et ne saurait être entravée par des mesures législatives fédérales incompatibles. Voici ce qu’elle a dit, au par. 162 :

[traduction] Si l’exécutif fédéral, en exerçant ou en omettant d’exercer le pouvoir que lui a conféré le législateur, peut de fait interdire certains soins de santé essentiels à l’exécution d’un programme de santé provincial, le législateur fédéral dispose d’un véritable veto sur les soins de santé provinciaux, dans la mesure où le risque pour la santé ou la sécurité publiques justifie l’exercice de son pouvoir en matière criminelle. Il s’agit d’un empiétement dans un domaine provincial du même type que l’empiétement dans un domaine fédéral qui a été jugé inacceptable dans Bell Canada [c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 797-798].

Selon la juge Huddart, l’immunité créée [traduction] « ne s’appliquerait que pour exempter un service de santé considéré essentiel par un organisme provincial habilité par une loi provinciale à en décider » (par. 167). Elle a conclu que [traduction] « [s]i une entreprise provinciale ne peut invoquer l’exclusivité des compétences dans une situation comme celle‑ci, on peut mettre en doute la réciprocité de la doctrine et la possibilité qu’elle puisse s’appliquer pour protéger les pouvoirs exclusifs des provinces » (par. 176).

[34] La juge D. Smith a exprimé sa dissidence tant sur la question relative à la Charte que sur celle du partage des compétences. Quant à la première, elle a conclu que, bien qu’ayant établi une atteinte aux droits garantis par l’art. 7, les demandeurs n’avaient pas démontré le non‑respect des principes de justice fondamentale. Au sujet du caractère arbitraire de la mesure, selon elle, [traduction] « aucun élément de preuve produit n’a démontré l’absence de lien rationnel ou l’incompatibilité de l’interdiction générale de posséder des drogues illégales avec l’intérêt général de l’État en matière de santé et de sécurité publiques » (par. 291). Elle a tiré des conclusions semblables relativement au caractère disproportionné et à la portée excessive : les demandeurs [traduction] « n’ont fourni aucune preuve démontrant que le législateur pouvait contenir la consommation de drogue, la dépendance et la criminalité qui en découle par un autre moyen qu’une interdiction générale » (par. 297). Ils n’ont présenté aucun élément de preuve permettant au tribunal de conclure que le législateur aurait pu atteindre ses objectifs de protection de la santé et de la sécurité de la population canadienne contre les drogues dangereuses créant une dépendance grâce à d’autres mesures législatives d’une portée plus restreinte (par. 303).

[35] Sur la question du partage des compétences, la juge D. Smith a essentiellement souscrit à l’opinion du juge de première instance. Ayant passé en revue la jurisprudence récente de la Cour sur l’exclusivité des compétences, elle a conclu que cette doctrine se limitait aux situations pour lesquelles la jurisprudence antérieure avait circonscrit un domaine de compétence législative exclusive (par. 225). Par conséquent, elle a conclu que la doctrine de l’exclusivité des compétences ne devrait pas s’appliquer à la compétence provinciale en matière de soins de santé et d’hôpitaux.

III. Les questions soulevées dans le pourvoi

[36] Le procureur général du Canada demande à la Cour d’infirmer les décisions de la Cour d’appel concernant le partage des compétences et la Charte. Ces deux sujets sont examinés séparément plus loin. La première question consiste à savoir si les par. 4(1) et 5(1) de la Loi sont inapplicables, sur le plan constitutionnel, aux activités du personnel et des clients d’Insite en raison du partage des compétences. La deuxième question consiste à savoir si les par. 4(1) et 5(1) portent atteinte aux droits garantis par l’art. 7 de la Charte et, dans l’affirmative, si cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

IV. Les dispositions législatives et constitutionnelles

A. La Loi

[37] Le législateur fédéral, dans l’exercice de son pouvoir en matière criminelle, a adopté la Loi, aux termes de laquelle quiconque possède des drogues illégales ou en fait le trafic au Canada commet une infraction. La Loi réglemente la possession et le trafic de drogues de deux façons complémentaires.

[38] Premièrement, les par. 4(1) et 5(1) de la Loi interdisent la possession et le trafic :

4. (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite.

. . .

5. (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant.

[39] Deuxièmement, la Loi habilite le ministre de la Santé à accorder des exemptions pour des raisons médicales ou scientifiques ou pour toute raison qu’il juge d’intérêt public :

56. S’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient, le ministre peut, aux conditions qu’il fixe, soustraire à l’application de tout ou partie de la présente loi ou de ses règlements toute personne ou catégorie de personnes, ou toute substance désignée ou tout précurseur ou toute catégorie de ceux-ci.

[40] L’article 55 complète le pouvoir d’accorder une exemption prévu à l’art. 56 en habilitant le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant l’utilisation et la distribution de substances désignées pour leurs applications autorisées.

[41] Les mécanismes prévus dans la Loi — interdictions générales assorties d’exemptions sélectives accordées par le ministre — reflètent le double objet de cette loi : la protection de la sécurité et de la santé publiques. Ce double objet ressort également du par. 10(1) de la Loi, relatif à la détermination de la peine, qui précise que « le prononcé des peines prévues à la présente partie a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre tout en favorisant la réinsertion sociale des délinquants et, dans les cas indiqués, leur traitement et en reconnaissant les torts causés aux victimes ou à la collectivité ».

B. Les dispositions constitutionnelles

[42] Le Canada a exercé son pouvoir d’interdire la possession et le trafic de drogues illégales en s’appuyant sur la compétence législative en droit criminel que lui confère le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 :

91. . . . il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

. . .

27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle.

[43] Les demandeurs et le procureur général de la Colombie‑Britannique font valoir qu’Insite échappe aux interdictions établies dans la Loi par le législateur fédéral, étant donné que les décisions portant sur les établissements de santé relèvent de la compétence conférée aux provinces en matière de santé par les par. 92(7), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867, que voici :

92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

. . .

7. L’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine;

. . .

13. La propriété et les droits civils dans la province;

. . .

16. Généralement toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province.

La province, dans l’exercice de ces compétences, a délégué ces pouvoirs à la VCHA, qui a mis sur pied Insite.

[44] Les demandeurs invoquent également l’article premier et l’art. 7 de la Charte :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

. . .

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

V. Arguments fondés sur le partage des pouvoirs

[45] Sauf en ce qui a trait à son application aux établissements de santé provinciaux, les parties conviennent de la validité de la Loi, adoptée en vertu de la compétence en matière criminelle conférée au Parlement par le par. 91(27). La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces a pour effet de soustraire Insite aux dispositions criminelles valides interdisant la possession et le trafic de substances désignées. Les parties et les intervenants ont fait valoir trois arguments au soutien de leur thèse.

[46] Premièrement, le procureur général du Québec soutient que, dans la mesure de leur application à Insite, les dispositions contestées de la Loi sont ultra vires, car la compétence fédérale en matière criminelle ne peut entraver la réglementation d’établissements de santé provinciaux.

[47] Deuxièmement, le procureur général de la Colombie‑Britannique fait valoir qu’il faut interpréter la Loi de façon à éviter qu’elle entre en conflit avec la compétence provinciale en matière de politique sur la santé. Selon la Colombie‑Britannique, suivant une telle interprétation, tout établissement reconnu d’intérêt public par la province serait soustrait aux interdictions criminelles de possession et de trafic.

[48] Troisièmement, le procureur général de la Colombie-Britannique, M. Wilson, Mme Tomic et PHS font valoir que la doctrine de l’exclusivité des compétences devrait avoir pour effet de mettre les décisions provinciales relatives aux traitements médicaux à l’abri d’une ingérence fédérale.

[49] J’examinerai maintenant chacun de ces arguments.

A. Les dispositions contestées de la Loi sont-elles ultra vires?

[50] Selon le procureur général du Québec, les par. 4(1) et 5(1) de la Loi sont partiellement invalides, car ils outrepassent le pouvoir d’adopter des lois criminelles conféré au Parlement par le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le Québec convient que le Parlement a le pouvoir de criminaliser la possession et le trafic de drogues illicites dans de nombreux contextes, mais estime qu’une telle interdiction en contexte médical excède la compétence fédérale. Le Québec admet que sa thèse pourrait être perçue comme inédite.

[51] Cet argument semble confondre la validité constitutionnelle d’une loi et l’applicabilité d’une loi valide. Pour apprécier la validité d’une mesure législative au regard du partage des compétences, la Cour en détermine l’objet principal. En l’espèce, le fait que les dispositions contestées ont pour effet accessoire de réglementer des établissements de santé provinciaux n’en emporte pas l’inconstitutionnalité, car une loi fédérale valide peut avoir des effets accessoires sur des matières de compétence provinciale : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 28; Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494, par. 23. On ne peut donc prétendre, comme le fait le Québec à ce que je comprends, qu’une loi fédérale valide devient invalide si elle touche une matière de compétence provinciale, en l’occurrence la santé.

[52] Compte tenu de leur caractère véritable, les dispositions contestées de la Loi constituent un exercice valide de la compétence fédérale en matière criminelle. Au procès, PHS a reconnu que les par. 4(1) et 5(1) de la Loi [traduction] « visent l’élimination de l’accès aux drogues qui ont des effets nocifs sur la santé humaine » (par. 112). La protection de la santé et de la sécurité publiques contre les effets des drogues créant une dépendance est un objectif légitime du droit criminel : R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 77-78. De plus, les interdictions figurant aux par. 4(1) et 5(1) sont assorties de sanctions pénales. Puisqu’aucune des parties n’a prétendu que les dispositions contestées empiètent de façon déguisée sur la compétence provinciale, je conclus qu’elles constituent un exercice valide de la compétence fédérale en matière criminelle.

B. Les paragraphes 4(1) et 5(1) doivent-ils être interprétés comme ne s’appliquant pas à Insite?

[53] Selon le procureur général de la Colombie‑Britannique, les par. 4(1) et 5(1) de la Loi devraient être interprétés comme ne s’appliquant pas à Insite. Alléguant la décision de la Cour dans Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307 (« Jabour »), la Colombie-Britannique fait valoir que la législation fédérale en matière criminelle [traduction] « comporte des limites implicites pour s’appliquer en conformité avec l’intérêt public » (mémoire du procureur général de la C.‑B., par. 47). Selon elle, dès qu’une province établit qu’une certaine activité (en l’occurrence la prestation par Insite de services de santé) sert l’intérêt public, cette activité est soustraite à l’application des lois fédérales en matière criminelle. Puisque c’est dans l’intérêt public que la province a autorisé Insite, les interdictions prévues aux par. 4(1) et 5(1) de la Loi ne s’y appliqueraient pas.

[54] L’arrêt Jabour n’établit pas que les lois fédérales en matière criminelle cessent de s’appliquer dans les cas où leur application est incompatible avec l’intérêt public, tel que le définit une province. Dans cette affaire, la Cour était saisie de la question de savoir si l’art. 32 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C‑23, qui n’interdisait que les activités contraires à l’intérêt public, entravait les activités d’un barreau provincial. La Cour, sous la plume du juge Estey, a conclu que « [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit » (p. 356).

[55] La décision rendue dans Jabour reposait sur le fait que l’interdiction prévue par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne s’appliquait qu’aux activités contraires à l’intérêt public. Elle touchait l’interprétation de la loi fédérale. Elle n’a établi aucune règle générale voulant que des programmes provinciaux conçus dans l’intérêt public soient inévitablement soustraits à l’application d’une loi en matière criminelle. La Cour l’a confirmé dans Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629, où le juge Iacobucci a précisé que le principe d’interprétation adopté dans Jabour serait réservé aux cas où le législateur fédéral « soit expressément ou par déduction nécessaire, [. . .] accorde la liberté [. . .] à ceux qui agissent conformément à un régime de réglementation provincial valide » (par. 77).

[56] Il ressort du libellé de l’art. 56 de la Loi que le législateur fédéral n’a accordé aucune liberté aux provinces. Cette disposition habilite le ministre fédéral, « [s]’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient », à accorder des exemptions « aux conditions qu’il fixe ». Seul le ministre fédéral peut déterminer si une activité doit être exemptée des interdictions établies par la Loi. Aucun acte de l’administration provinciale n’est prévu ni autorisé par la Loi. Autrement dit, la Loi n’accorde aucune liberté aux provinces, et ne peut être interprétée comme les soustrayant à ses dispositions.

C. Exclusivité des compétences

[57] La Colombie-Britannique, M. Wilson, Mme Tomic et PHS prétendent qu’Insite est soustrait à l’application de la Loi en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Suivant leur argument, retenu par les juges majoritaires de la Cour d’appel, les décisions relatives aux traitements offerts par des établissements de santé provinciaux touchent à l’essence même de la compétence provinciale en matière de soins de santé, de sorte que la doctrine de l’exclusivité des compétences les protègent des ingérences fédérales. Par conséquent, ils affirment que les par. 4(1) et 5(1) de la Loi sont inopérants dans la mesure où ils entravent la prise de décisions par la province en matière de soins de santé.

[58] La doctrine de l’exclusivité des compétences repose sur la prémisse que les chefs de compétence prévus aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 ont un « contenu minimum élémentaire et irréductible », qui doit être protégé contre l’ingérence de l’autre ordre de gouvernement : Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 839. S’il est établi que la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application, la mesure législative adoptée par l’autre ordre de gouvernement demeure valide, mais ne s’applique pas à l’égard de ce « contenu essentiel ».

[59] Point n’est besoin de démontrer l’existence d’un conflit entre les mesures législatives adoptées par l’un et l’autre gouvernement pour que la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application : Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536, par. 52 (« COPA »). En fait, il n’est même pas nécessaire que l’ordre de gouvernement en faveur duquel joue cette doctrine exerce sa compétence exclusive : Banque canadienne de l’Ouest, par. 34.

[60] La doctrine de l’exclusivité des compétences a déjà été appliquée à des domaines d’activités circonscrits, qualifiés d’entreprises dans la jurisprudence. Il s’agit notamment de l’aviation, des ports, des chemins de fer interprovinciaux et des ouvrages de communication de compétence fédérale. Elle a aussi été appliquée à des choses relevant du gouvernement fédéral, comme les terres autochtones, et à des personnes régies par une loi fédérale, comme les Autochtones : Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285; Parents naturels c. Superintendent of Child Welfare, [1976] 2 R.C.S. 751; voir également Banque canadienne de l’Ouest, par. 41. Jamais elle n’a été appliquée à un domaine de compétence large et ambigu.

[61] La jurisprudence récente tend à limiter la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Dans Banque canadienne de l’Ouest, les juges majoritaires précisent que « bien que la doctrine de l’exclusivité des compétences joue un rôle légitime dans les cas indiqués, nous tenons à préciser maintenant que notre Cour ne préconise pas une utilisation intensive de cette doctrine, et nous déclinons l’invitation des appelantes d’en faire la première doctrine examinée dans le cadre d’un différend sur le partage des compétences » (par. 47). Dans COPA, un arrêt plus récent, les juges majoritaires déclarent que la doctrine « n’a pas été écartée de l’analyse du fédéralisme canadien », mais « est encadrée par des considérations de principe et des précédents » (par. 58).

[62] Cette précision met en lumière trois problèmes connexes. Premièrement, la doctrine de l’exclusivité des compétences va à l’encontre de l’approche dominante, qui permet l’application parallèle de lois fédérale et provinciale dans un même champ, à condition qu’elles visent un aspect légitimement fédéral ou provincial, selon le cas. Ce modèle de fédéralisme admet un important chevauchement des compétences fédérales et provinciales dans les faits et permet aux deux ordres de gouvernement de légiférer relativement à des objectifs légitimes dans les matières où il y a chevauchement.

[63] Deuxièmement, cette doctrine cadre mal avec la tendance actuelle au fédéralisme coopératif, caractérisé de plus en plus par la coordination des régimes législatifs fédéral et provincial. Dans un esprit de fédéralisme coopératif, les tribunaux « devrai[ent] éviter d’empêcher l’application de mesures considérées comme ayant été adoptées en vue de favoriser l’intérêt public » : Banque canadienne de l’Ouest, par. 37. Dans la mesure du possible, ils devraient permettre aux deux ordres de gouvernement de légiférer de concert dans les matières qui relèvent de leur compétence : Banque canadienne de l’Ouest, par. 37.

[64] Troisièmement, la doctrine de l’exclusivité des compétences risque d’attribuer une portée excessive au pouvoir fédéral ou provincial auquel elle se rattache et de créer des zones intouchables que les législateurs fédéral et provincial n’occuperont ni l’un ni l’autre. Puisque l’ordre de gouvernement en faveur duquel joue l’exclusivité n’est pas tenu d’exercer sa compétence en la matière, l’application extensive de cette doctrine risque de créer des « vides juridiques » : Banque canadienne de l’Ouest, par. 44.

[65] On a certes resserré les limites de la doctrine de l’exclusivité des compétences, mais on ne l’a pas abolie. La prévisibilité, qui joue un rôle important dans le bon fonctionnement du partage des compétences, exige la reconnaissance du contenu essentiel des pouvoirs exclusifs déjà circonscrits : Banque canadienne de l’Ouest, par. 23-24. Et cette doctrine, en principe, ne protège pas uniquement les pouvoirs fédéraux : Banque canadienne de l’Ouest. Toutefois, en cas de chevauchement, la tendance moderne consiste à trouver le juste équilibre entre les deux ordres de gouvernement, par l’analyse du caractère véritable des mesures prises et par l’application restreinte de la doctrine de la prépondérance fédérale. Par conséquent, avant d’appliquer la doctrine de l’exclusivité des compétences dans un nouveau domaine, les tribunaux doivent se demander s’il est possible de trancher la question constitutionnelle sur un autre fondement.

[66] Il s’agit en l’espèce de déterminer si la prestation de soins de santé fait partie du contenu essentiel protégé du pouvoir conféré aux provinces par les par. 92(7), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867 en matière de santé et si elle est de ce fait à l’abri d’une ingérence fédérale. Je conclus qu’il n’en est rien, et ce, pour trois raisons connexes.

[67] Premièrement, la jurisprudence n’a jamais reconnu le contenu essentiel de la compétence provinciale en matière de santé proposé en l’espèce. Cela n’est pas déterminant, car de nouveaux champs de compétence exclusive pourraient éventuellement être reconnus. Toutefois, comme je l’ai dit précédemment, les tribunaux hésitent à circonscrire de nouveaux domaines auxquels s’appliquerait la doctrine de l’exclusivité des compétences.

[68] Deuxièmement, et surtout, les demandeurs en l’espèce n’ont pas réussi à tracer les limites précises du « contenu essentiel » d’une compétence exclusivement provinciale. La vaste compétence provinciale en matière de santé englobe des milliers d’activités et une multitude d’installations différentes. Un contenu essentiel d’une telle ampleur serait en discordance avec l’application restreinte de la doctrine que préconise la jurisprudence. Pour compliquer les choses, le Parlement a le pouvoir de légiférer dans des matières de compétence fédérale, comme le droit criminel, qui touchent la santé. Ainsi, il a toujours eu le pouvoir d’interdire les traitements médicaux dangereux ou qui, selon lui, constituent une « conduite socialement répréhensible » : R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463. Compte tenu du rôle dévolu au fédéral dans le domaine de la santé, il est impossible de définir précisément les éléments que comporterait ou non le « contenu essentiel » provincial proposé. La compétence fédérale concurrente, ainsi que l’ampleur même et la diversité de la compétence provinciale en matière de santé rendent pratiquement insurmontable la tâche de délimiter avec précision un contenu essentiel provincial qui serait protégé de toute incursion fédérale.

[69] Troisièmement, l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences à un contenu essentiel du pouvoir provincial en matière de santé risque de créer des vides juridiques. Exclure l’exercice de la compétence fédérale en matière de droit criminel à l’égard d’un contenu essentiel protégé du pouvoir provincial aurait pour effet d’empêcher le Parlement de légiférer relativement à des interventions médicales controversées comme le clonage humain et l’euthanasie. Les provinces pourraient décider de ne pas légiférer dans ces matières et, en fait, ne pas en avoir le pouvoir. Il pourrait donc en résulter un vide juridique, ce qui irait à l’encontre du concept même du partage des compétences.

[70] Bref, la doctrine de l’exclusivité des compétences a une portée limitée. Le principe des compartiments étanches fixes sur lequel elle repose va à contre‑courant de l’évolution de l’interprétation constitutionnelle canadienne, qui tend vers les notions plus souples du double aspect et du fédéralisme coopératif. L’appliquer en l’espèce perturberait les compétences bien établies et créerait de l’incertitude quant aux nouvelles. Il n’est tout simplement pas nécessaire ni utile de recourir à cette doctrine en l’espèce pour résoudre le conflit entre les gouvernements fédéral et provincial.

D. Prépondérance

[71] Lorsqu’une loi provinciale entre en conflit avec une loi fédérale, la doctrine de la prépondérance veut que la loi fédérale l’emporte dans la mesure de l’incompatibilité : Banque canadienne de l’Ouest, par. 69. Bien que le procureur général du Canada n’ait pas invoqué ce principe, il importe de le mentionner. La doctrine de la prépondérance des lois fédérales s’applique lorsque l’application d’une loi provinciale entre en conflit avec celle d’une loi fédérale, ou lorsqu’une loi provinciale contrecarrerait la réalisation de l’objet d’une loi fédérale.

[72] Il est possible de soutenir que, sans exemption, il existe un conflit d’application entre le programme Insite et l’interdiction de possession de drogues illégales établie par la Loi. Il n’est toutefois pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée de la prépondérance en l’espèce. Les demandeurs concèdent que, dans l’hypothèse où la doctrine de l’exclusivité des compétences ne s’appliquerait pas, les interdictions fédérales relatives aux drogues établies par la Loi s’appliqueraient à Insite, par application de la doctrine de la prépondérance ou en raison de l’obligation de la VCHA de respecter les règles de droit criminel dans l’exercice de son pouvoir délégué. En effet, les arguments fondés sur la Charte invoqués par les demandeurs reposent sur la prémisse que ces interdictions empêcheront effectivement Insite de poursuivre ses activités si elle n’obtient pas une exemption. Il est admis que, sans immunité constitutionnelle, les activités d’Insite sont assujetties à la loi fédérale et celle-ci a préséance sur la législation et les politiques provinciales incompatibles. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer si les conditions nécessaires pour que la doctrine de la prépondérance s’applique et que le régime provincial soit écarté sont réunies.

E. Conclusion sur la question du partage des compétences

[73] Aucun des arguments contre la validité constitutionnelle ou l’applicabilité de la Loi ne résiste à l’examen. Je conclus que les interdictions criminelles de possession et de trafic établies par la Loi sont valides sur le plan constitutionnel et que, du point de vue du partage des compétences, elles sont applicables à Insite.

VI. Les allégations fondées sur la Charte

[74] Trois allégations fondées sur la Charte doivent être examinées.

[75] Mme Tomic, M. Wilson et PHS soutiennent que les par. 4(1) et 5(1) de la Loi, qui interdisent respectivement la possession et le trafic, sont invalides parce qu’ils restreignent les droits des demandeurs à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne protégés par l’art. 7 et qu’ils ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale.

[76] À titre subsidiaire, ils plaident que le ministre a porté atteinte à leurs droits garantis par l’art. 7 en refusant de reconduire l’exemption soustrayant Insite à l’application des lois fédérales antidrogue.

[77] Enfin, VANDU prétend que l’interdiction de possession de drogues établie par la Loi restreint les droits garantis par l’art. 7 de la Charte de tous les toxicomanes, et pas seulement de ceux qui fréquentent Insite.

[78] Avant de trancher ces questions, je dois examiner l’argument préliminaire du Canada selon lequel, si les arguments relatifs au partage des compétences invoqués par les demandeurs sont rejetés, ceux fondés sur la Charte doivent aussi être rejetés.

A. Le lien entre le partage des compétences et les allégations fondées sur la Charte

[79] Selon le Canada, si la Cour conclut que, du point de vue du partage des compétences, la Loi est valide et applicable à Insite, les arguments fondés sur la Charte doivent également être rejetés.

[80] Le Canada fait valoir que, si la Loi est une loi fédérale valide, la province n’a pas la compétence juridique pour faire fonctionner Insite sans l’approbation du gouvernement fédéral. Suivant la thèse qu’il avance, à défaut d’une exemption fédérale, le gouvernement provincial n’a pas le pouvoir juridique de fournir le service d’injection supervisée. Ce serait cette incapacité constitutionnelle, et non la Loi, qui met en péril la prestation des services de santé par Insite. Par conséquent, on ne peut affirmer que la Loi prive les demandeurs de quelque droit que ce soit. Le Canada présente son objection préliminaire comme [traduction] « une nouvelle variante de la règle selon laquelle “une partie de la Constitution ne peut être abrogée ou atténuée par une autre partie de la Constitution” » (m.a., par. 93, et renvoie à ce titre à l’arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 373). Ce raisonnement consisterait semble-t-il à dire que, si la Loi est valide et applicable, faire droit aux allégations fondées sur la Charte équivaudrait à une contradiction interne dans la Constitution.

[81] Pour répondre à la première partie de cet argument, la province a, en fait, le pouvoir constitutionnel d’établir Insite sans approbation fédérale. Personne ne prétend que les services de santé offerts par Insite ne relèvent pas de la compétence provinciale en matière de santé. Les demandeurs sollicitent une exemption fédérale de l’application de la Loi, non pas pour valider la décision de la province d’exploiter Insite à titre de service de santé, mais parce que cette exemption est nécessaire, en pratique, à la mise en œuvre de cette décision. Si Insite ne peut fonctionner sans obtenir une exemption fédérale, ce n’est pas parce que la province ne possède pas les pouvoirs constitutionnels nécessaires, mais pour la simple raison pratique que ni les employés ni les clients ne se présenteront au centre, de sorte que celui-ci sera incapable dans les faits d’offrir les services de santé qu’il propose. Par conséquent, la prémisse sur laquelle le Canada fonde son argument, soit l’incompétence de la province pour exploiter Insite sans approbation fédérale, ne tient pas.

[82] D’un point de vue plus général, le principe selon lequel une partie de la Constitution ne peut pas être abrogée ou atténuée par une autre partie de la Constitution n’est d’aucune utilité pour trancher les questions de partage des compétences et les questions relatives à la Charte. Il n’y a aucune contradiction entre affirmer qu’une loi fédérale a été validement adoptée en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 et prétendre que cette même loi, par son objet ou ses effets, prive des personnes de leurs droits garantis par la Charte. La Charte s’applique à toutes les lois fédérales et provinciales valides. En fait, si la Loi outrepassait les pouvoirs fédéraux, elle n’existerait pas et ne pourrait donc pas être assujettie à la Charte. Les lois doivent être conformes à la fois au partage constitutionnel des compétences et à la Charte.

[83] Je conclus que le rejet de l’argumentation des demandeurs fondée sur le partage des compétences ne compromet pas l’issue de leur allégation que la Loi porte atteinte à leurs droits garantis par l’art. 7 de la Charte. Pareille atteinte découlerait non pas de l’incapacité constitutionnelle de la province à mettre sur pied Insite, mais de l’application à Insite des par. 4(1) et 5(1) de la Loi.

B. Contestation de la validité des par. 4(1) et 5(1) de la Loi

[84] Pour apprécier la validité de la Loi au regard de l’art. 7 de la Charte, il faut se demander : (1) si les par. 4(1) ou 5(1) de la Loi portent atteinte aux droits des demandeurs à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (c.-à-d. s’il y a « atteinte » ou si la Charte entre « en jeu »); (2) dans l’affirmative, si cette atteinte est conforme aux principes de justice fondamentale : Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791, par. 109 (la juge en chef McLachlin et le juge Major), Malmo-Levine, par. 83.

(1) L’interdiction de possession de drogues établie par le par. 4(1) de la Loi met‑elle en jeu les droits garantis aux demandeurs par l’art. 7?

[85] Aux termes de l’art. 7 de la Charte, chacun « a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». On peut dire qu’une loi qui restreint l’un ou l’autre de ces droits « met en jeu » cette disposition ou constitue une « atteinte » au sens de cette dernière.

[86] Je traiterai d’abord de l’infraction de possession de drogues interdites prévue au par. 4(1) de la Loi. La question est de savoir si cette disposition met en jeu ou restreint les droits que l’art. 7 garantit au personnel et aux clients d’Insite.

[87] Débutons par l’argument selon lequel l’art. 7 entre en jeu en raison de l’incidence du par. 4(1) de la Loi sur le personnel. L’interdiction de possession de drogues interdites dans les locaux d’Insite ferait entrer en jeu le droit à la liberté des membres du personnel, parce qu’elle les expose au risque d’être incarcérés pour avoir accompli leurs tâches. Il s’agit là d’une limite directe aux droits garantis au personnel par l’art. 7.

[88] Les actes accomplis par le personnel d’Insite pourraient être interprétés comme constituant l’infraction de possession. La définition de la possession de drogues interdites figurant dans la Loi est suffisamment large pour englober les activités du personnel d’Insite. Dans la Loi, la « possession » est définie par renvoi au par. 4(3) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, qui est ainsi libellé :

4. . . .

(3) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne est en possession d’une chose lorsqu’elle l’a en sa possession personnelle ou que, sciemment :

(i) ou bien elle l’a en la possession ou garde réelle d’une autre personne,

(ii) ou bien elle l’a en un lieu qui lui appartient ou non ou qu’elle occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui d’une autre personne;

b) lorsqu’une de deux ou plusieurs personnes, au su et avec le consentement de l’autre ou des autres, a une chose en sa garde ou possession, cette chose est censée en la garde et possession de toutes ces personnes et de chacune d’elles.

[89] Je conclus que, sans une exemption prévue à l’art. 56, le par. 4(1) s’applique au personnel d’Insite parce que, en exploitant les lieux — c’est-à-dire en ouvrant les portes et en acceptant l’introduction de drogues interdites à l’intérieur — , le personnel responsable du centre peut être « en possession » des drogues apportées par les clients. Les drogues se trouvent au su du personnel du centre, et avec son consentement, dans un lieu qu’il contrôle.

[90] La preuve démontre clairement que les membres du personnel n’achètent pas de drogues et ne prennent aucune part active à leur injection. Néanmoins, même leur contact minimal avec les drogues des clients pourrait être inclus dans le concept juridique de possession de drogues interdite par le par. 4(1) de la Loi. Par conséquent, les peines d’emprisonnement prévues aux par. 4(3) à 4(6) de la Loi mettent en jeu leur droit à la liberté : Malmo-Levine, par. 84. Cette menace à la liberté des membres du personnel compromet à son tour les droits garantis par l’art. 7 aux clients qui se présentent au centre pour y recevoir des services de santé.

[91] Le dossier permet de conclure que, sans exemption les soustrayant à l’application de la Loi, les professionnels de la santé d’Insite ne pourraient offrir les services de supervision médicale et de counseling aux clients, qui seraient ainsi privés de soins médicaux susceptibles de leur sauver la vie. Par conséquent, le droit des clients à la vie et à la sécurité de leur personne est en jeu. Ainsi, la restriction des droits garantis aux membres du personnel par l’art. 7 a pour effet de restreindre les droits garantis aux clients par l’art. 7.

[92] L’application du par. 4(1) aux clients d’Insite met également en jeu directement leurs droits protégés par l’art. 7. Pour pouvoir bénéficier des services offerts par Insite, qui protègent leur vie et leur santé, les clients doivent être autorisés à posséder des drogues sur place. Interdire en tout lieu la possession de drogues aux toxicomanes met en jeu leur droit à la liberté; leur interdire la possession de drogues dans l’enceinte d’Insite met en jeu leurs droits à la vie et à la sécurité de leur personne.

[93] Le juge de première instance a tiré des conclusions de fait cruciales qui étayent la thèse selon laquelle refuser l’accès aux services de santé fournis dans les locaux d’Insite enfreint les droits de ses clients à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne protégés par l’art. 7. Il a conclu que de nombreux risques pour la santé liés à la consommation de drogues injectables découlent des pratiques et du matériel non hygiéniques et non pas des drogues elles-mêmes. Également, selon lui, [traduction] « [e]n s’injectant des drogues en présence de professionnels de la santé qualifiés, le toxicomane réduit ses risques de morbidité et de mortalité » (par. 87). Une loi qui crée un risque pour la santé en empêchant l’accès à des soins porte atteinte au droit à la sécurité de la personne : Morgentaler (1988), p. 59, le juge en chef Dickson, et p. 105‑106, le juge Beetz; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, p. 589, le juge Sopinka; Chaoulli, par. 43, la juge Deschamps, et par. 118-119, la juge en chef McLachlin et le juge Major; R. c. Parker (2000), 188 D.L.R. (4th) 385 (C.A. Ont.). Lorsque la loi crée un risque non seulement pour la santé, mais aussi pour la vie des demandeurs, l’atteinte est d’autant plus manifeste.

[94] Je conclus que le par. 4(1) de la Loi restreint les droits garantis par l’art. 7 aux membres du personnel et aux clients d’Insite.

[95] Je ne peux toutefois conclure, au vu du dossier qui nous a été présenté, que les demandeurs ont démontré que l’interdiction de trafic prévue au par. 5(1) de la Loi restreint les droits à la vie et à la sécurité de leur personne que leur garantit l’art. 7. Les clients d’Insite ne participent pas au trafic. Ils ne se procurent pas leurs drogues au centre et n’ont pas le droit de se livrer, dans l’enceinte du centre, à des activités qui pourraient être interprétées comme du trafic.

[96] Le personnel d’Insite n’est pas non plus mêlé au trafic. Le Canada reconnaît qu’aucune accusation de trafic ne pourrait être portée contre le personnel d’Insite qui se livre aux activités légitimes du centre. Les membres du personnel ne manipulent pas de drogues sur place, sauf pour ramasser de façon sécuritaire et remettre aux policiers la drogue inutilisée par les clients. La remise à la police de la drogue ainsi abandonnée sur les lieux ne constitue pas de la possession, et encore moins du trafic : R. c. York, 2005 BCCA 74, 193 C.C.C. (3d) 331; R. c. Spooner (1954), 109 C.C.C. 57 (C.A.C.-B.); R. c. Hess (No. 1) (1948), 94 C.C.C. 48 (C.A.C.-B.); R. c. Ormerod, [1969] 4 C.C.C. 3 (C.A. Ont.).

(2) L’argument du Canada sur l’exercice d’un choix

[97] Le Canada prétend que les risques pour la santé que courraient les toxicomanes si Insite était incapable de leur fournir des services de santé ne découlent pas de l’interdiction de possession de drogues illégales établie par la Loi, mais plutôt de la décision des toxicomanes de consommer des drogues illégales.

[98] La thèse du Canada, une fois décortiquée, comporte trois volets distincts.

[99] Premièrement, d’un point de vue factuel, c’est un choix personnel et non la loi qui causerait la mort et les maladies qu’Insite vise à prévenir. Le problème que pose cette affirmation du Canada réside dans le fait qu’elle contredit les conclusions factuelles non contestées du juge de première instance. Selon lui, la dépendance est une maladie, caractérisée par le besoin incontrôlable de consommer la substance créant la dépendance (par. 87).

[100] Cela n’exclut pas la possibilité que quelques toxicomanes soient encore capables de faire des choix. Les services d’Insite ont été conçus en tenant pour acquis qu’au moins quelques toxicomanes ont la capacité de choisir de consommer de la drogue dans l’enceinte sécuritaire du centre, sous la supervision de son personnel. La gamme des services offerts, qui vont de l’aide aux pairs à la désintoxication, présuppose une capacité limitée chez certaines personnes de choisir de ne pas consommer de drogue.

[101] La capacité de faire certains choix, avec l’aide d’Insite ou autrement, ne réfute pas les conclusions tirées par le juge de première instance, au vu du dossier dont il disposait, selon lesquelles la dépendance est une maladie caractérisée principalement par le manque de contrôle de la personne qui en souffre sur la consommation de la substance dont elle est dépendante (par. 142). Au procès, le juge Pitfield a adopté la définition de la dépendance élaborée par la Société médicale canadienne sur l’addiction :

[traduction] Maladie primaire chronique, caractérisée par une perte de contrôle sur le recours à des substances psychoactives et sur le comportement. Sur le plan clinique, les manifestations touchent les aspects biologiques, psychologiques, sociologiques et spirituels. Les éléments centraux sont des changements d’humeur, le soulagement d’émotions négatives, la recherche du plaisir, une préoccupation liée à l’emploi de la ou des substances ou à des comportements ritualistes, et un usage continu de la ou des substances ou la perpétuation du ou des comportements en dépit de conséquences néfastes du point de vue physique, psychologique et social. Comme d’autres maladies chroniques, la toxicomanie peut être évolutive, récurrente et fatale. [par. 48]

Cette conclusion n’a pas été contestée en l’espèce. En effet, le Canada a reconnu au procès que la dépendance est une maladie.

[102] Le deuxième volet de l’argument du Canada sur la liberté de choix, qui est d’ordre moral, veut que ceux qui commettent des crimes en subissent les conséquences. À ce sujet, il suffit de dire que la question de savoir si une loi restreint un droit garanti par la Charte ne porte que sur l’objet et l’effet de la mesure législative, et ne concerne pas le fait qu’elle soit bonne ou mauvaise. La moralité de l’activité réglementée n’est pas pertinente au stade initial qui consiste à déterminer si la loi met en jeu un droit garanti par l’art. 7.

[103] Le troisième volet de l’argument du Canada sur l’exercice d’un choix envisage la question sous l’angle de la politique générale du gouvernement. Le Canada soutient que la décision de permettre les injections supervisées relève de la politique générale du gouvernement et est de ce fait soustraite à un examen fondé sur la Charte.

[104] Encore une fois, la politique générale n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si une mesure législative ou un acte de l’État restreint un droit garanti par la Charte. Ce genre d’argument est plutôt pris en compte à l’étape de l’examen de la conformité avec les principes de justice fondamentale ou, si une violation de la Charte a été établie, à celle de la justification exigée par l’article premier.

[105] La consommation de drogues illégales et la dépendance à celles‑ci est une question complexe qui suscite diverses réactions sur les plans social, politique, scientifique et moral. Des personnes raisonnables peuvent ne pas s’entendre sur la façon de traiter la dépendance. C’est aux gouvernements habilités à le faire, et non à la Cour, qu’il revient d’élaborer des politiques en matière criminelle et en matière de santé. Toutefois, lorsqu’une politique se traduit par une mesure législative ou un acte de l’État, cette mesure législative ou cet acte peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte : Chaoulli, par. 89, la juge Deschamps; par. 107, la juge en chef McLachlin et le juge Major, et par. 183, les juges Binnie et LeBel; Rodriguez, p. 589‑590, le juge Sopinka. La question dont est saisie la Cour à ce stade-ci n’est pas de savoir lesquels des programmes de réduction des méfaits ou de ceux fondés sur l’abstinence constituent le meilleur moyen de résoudre le problème de la consommation de drogues illégales. Il s’agit simplement de savoir si le Canada a restreint les droits des demandeurs d’une manière qui contrevient à la Charte.

[106] Je conclus qu’il faut rejeter, quelle qu’en soit la forme, l’affirmation du Canada selon laquelle les risques pour la santé qu’Insite cherche à atténuer et l’atteinte qui s’ensuit aux droits des demandeurs résultent d’un choix et non de la conduite de l’État.

(3) La conformité de l’atteinte avec les principes de justice fondamentale

[107] Pour les motifs que je viens d’exposer, je conclus que l’interdiction de possession établie par le par. 4(1) de la Loi porte atteinte aux droits que l’art. 7 garantit aux demandeurs et aux personnes qui se trouvent dans la même situation. La prochaine question est celle de la conformité de cette atteinte avec les principes de justice fondamentale.

[108] Les demandeurs soutiennent que l’interdiction de possession de drogues illégales établie par le par. 4(1) de la Loi ne respecte pas les principes de justice fondamentale en raison de son caractère arbitraire, de ses effets disproportionnés et de sa portée excessive. Selon eux, cette interdiction serait arbitraire parce que, lorsqu’elle est appliquée à Insite, non seulement elle n’est pas compatible avec les objets de la Loi, mais elle nuit à leur réalisation. Les demandeurs prétendent que ses effets sont disproportionnés, car elle cause un tort considérable aux clients d’Insite et aux personnes qui se trouvent dans la même situation, sans procurer d’avantage équivalent. Ils prétendent de plus que sa portée est excessive parce qu’il n’est pas nécessaire de l’appliquer à Insite pour atteindre les objectifs de l’État.

[109] La faiblesse de cet argument tient à ce qu’il isole le par. 4(1) des autres dispositions de la Loi, notamment de l’art. 56. Si la Loi ne consistait qu’en interdictions générales et ne comprenait aucune disposition prévoyant des exemptions relativement à l’utilisation de drogues à des fins médicales ou scientifiques, les affirmations voulant qu’elle soit arbitraire, sa portée excessive et ses effets disproportionnés pourraient avoir plus de poids. Or, la Loi ne comprend pas seulement une interdiction de possession de drogues illégales, mais également une disposition, l’art. 56, qui habilite le ministre à accorder des exemptions pour soustraire des fournisseurs de soins de santé comme Insite à l’interdiction de possession de drogues. On ne peut apprécier la validité constitutionnelle du par. 4(1) sans tenir compte des dispositions de la Loi conçues pour remédier aux applications inconstitutionnelles ou inéquitables de cette interdiction.

[110] Le régime de la Loi révèle qu’elle a deux objets : la protection de la santé publique et le maintien de la sécurité publique. Son objet de maintien de la sécurité publique est réalisé par l’interdiction de posséder les substances énumérées et d’en faire le trafic. Son objet de protection de la santé publique est réalisé non seulement par les interdictions prévues aux par. 4(1) et 5(1), qui visent à prévenir l’utilisation de substances dangereuses, mais également par le pouvoir de réglementation prévu à l’art. 55 et par les exemptions prévues à l’art. 56 concernant l’utilisation des substances énumérées à des fins médicales et scientifiques.

[111] Le paragraphe 55(1) prévoit que « [l]e gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre les mesures nécessaires à l’application de la présente loi, y compris en matière [. . .] d’applications médicales, scientifiques et industrielles et de distribution des substances désignées ». Vient ensuite une longue liste non exhaustive de sujets à l’égard desquels des règlements peuvent être pris, notamment des règlements soustrayant une personne ou une catégorie de personnes à l’application de la Loi : al. 55(1)z).

[112] L’article 56 confère au ministre de la Santé un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder des exemptions de l’application de la Loi « [s]’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient ».

[113] La possibilité d’accorder des exemptions sert de soupape empêchant l’application de la Loi dans les cas où son application serait arbitraire, ses effets exagérément disproportionnés ou sa portée excessive.

[114] Je conclus que, bien que le par. 4(1) de la Loi mette en jeu les droits garantis par l’art. 7 de la Charte aux demandeurs et aux autres personnes qui se trouvent dans la même situation, il ne contrevient pas à l’art. 7. Il en est ainsi parce que la Loi confère au ministre le pouvoir d’accorder des exemptions de l’application du par. 4(1), notamment pour des motifs de santé. En fait, si on décidait de rédiger une loi qui combat la toxicomanie tout en respectant les droits garantis par la Charte, on pourrait fort bien adopter précisément ce type de régime — une interdiction conjuguée au pouvoir d’accorder des exemptions. S’il y a un problème lié à la Charte, il ne réside pas dans la loi, mais dans l’exercice par le ministre de son pouvoir légal d’accorder les exemptions appropriées.

[115] Les allégations d’invalidité de la Loi fondées sur l’art. 7 doivent donc être rejetées.

C. La décision du ministre a-t-elle porté atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’art. 7?

[116] La principale question soulevée dans le pourvoi, tel qu’il a été plaidé, est celle de la validité constitutionnelle de la Loi même. J’ai conclu que la Loi, interprétée correctement, est valide. Reste donc la question de la décision du ministre de refuser une exemption. La Cour doit décider, à titre préliminaire, si elle devrait examiner cette question. Dans les circonstances particulières de l’espèce, je conclus qu’elle devrait le faire. Les demandeurs ont plaidé, à titre subsidiaire, au cas où la Loi serait valide, que la décision du ministre a porté atteinte à leurs droits protégés par la Charte. Cette question a été soulevée lors de l’audition et les parties ont eu l’occasion de présenter leur point de vue à cet égard. La Cour est donc dûment saisie de cette question et le procureur général du Canada ne peut prétendre qu’il serait injuste qu’elle la tranche. Mais surtout, la justice commande que la Cour l’examine. Les demandeurs ont établi que leurs droits garantis par l’art. 7 sont en jeu. Ils ne peuvent être privés d’un recours et contraints à la tenue d’un nouveau procès sur ce point, simplement parce que c’est la décision du ministre et non la Loi même qui a porté atteinte à leurs droits, alors que la question a été plaidée et que l’équité n’est pas compromise.

[117] La discrétion laissée au ministre de la Santé n’est pas absolue : comme c’est toujours le cas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les décisions du ministre doivent respecter la Charte : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3. Si la décision du ministre fait en sorte que l’application de la Loi restreint les droits garantis par l’art. 7 d’une manière qui contrevient à la Charte, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est inconstitutionnel.

[118] Je souligne que la présente affaire diffère de l’affaire Parker, dans laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’interdiction générale de possession de marihuana n’était pas validée par la possibilité, prévue à l’art. 56, d’accorder une exemption relative à la possession pour raisons médicales. Dans Parker, aucune décision du ministre n’était en cause et la conclusion de la cour reposait sur des constatations du juge de première instance selon lesquelles [traduction] « la possibilité d’accorder une exemption était illusoire » (par. 174).

(1) Le ministre a-t-il rendu une décision?

[119] Le procureur général du Canada prétend que le ministre n’a pas violé l’art. 7, puisqu’il n’a pas encore décidé s’il accordera une exemption à Insite en vertu de l’art. 56. Il ajoute que la décision des tribunaux de la Colombie‑Britannique selon laquelle les par. 4(1) et 5(1) de la Loi sont inconstitutionnels empêche le ministre d’exercer son pouvoir d’accorder une exemption en vertu de l’art. 56. Bien que cette déclaration d’inconstitutionnalité ait été suspendue et qu’une exemption constitutionnelle temporaire ait été accordée à Insite par une ordonnance judiciaire, le ministre affirme qu’il ne conviendrait pas qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’art. 56 tant que la Cour n’aura pas rendu de décision définitive sur la constitutionnalité de la Loi.

[120] Selon moi, le dossier établit que le ministre a rendu une décision concernant la demande d’exemption à l’égard d’Insite et qu’il a décidé de refuser l’exemption.

[121] Les faits essentiels sont les suivants. La première exemption accordée relativement à Insite est entrée en vigueur le 12 septembre 2003, pour une durée de trois ans. Le 11 septembre 2006, le ministre l’a prolongée temporairement jusqu’au 31 décembre 2007. Le 2 octobre 2007, il a accordé une nouvelle prolongation de six mois, reportant l’expiration de l’exemption au 30 juin 2008. Dans les lettres envoyées à la VCHA pour lui accorder l’exemption, le ministre a déclaré que les prolongations visaient à permettre la réalisation de recherches additionnelles quant à l’incidence d’Insite sur la prévention, le traitement et la criminalité. Au cours du procès sommaire, le 2 mai 2008, la VCHA a envoyé à Santé Canada une demande formelle de prolongation de trois ans. Cette demande était appuyée par le ministre provincial de la Santé. Santé Canada a répondu le 19 décembre 2008, après que le juge de première instance a rendu son jugement. Santé Canada a déclaré que, compte tenu de l’issue du procès, l’octroi d’une exemption n’était alors pas nécessaire.

[122] Toutefois, avant décembre 2008, le ministre avait indiqué qu’il avait décidé de ne pas accorder l’exemption. Le ministre fédéral de la Santé d’alors, Tony Clement, s’est adressé au Comité permanent de la santé le 29 mai 2008. Il avait alors reçu le rapport du comité consultatif d’experts, une demande officielle d’exemption permanente et une déclaration d’appui à Insite de la part du ministre provincial de la Santé. Les commentaires du ministre fédéral peuvent être résumés brièvement : il approuvait les services qu’Insite dispensait, sauf le service d’injection supervisée. Selon lui, la preuve scientifique relative à son efficacité était mitigée, mais la « politique publique est claire », et « le centre lui‑même témoigne d’un échec de la politique publique » (12:40 (en ligne)). Il ne souscrivait pas à l’opinion des experts selon laquelle Insite était une réussite sur le plan de la santé publique et a déclaré qu’il avait l’intention d’interjeter appel de la décision du juge de première instance. Ces commentaires, conjugués au défaut d’accorder une exemption, équivalent de fait à un rejet de la demande.

[123] Le procureur général du Canada attire notre attention sur la déclaration suivante faite par le ministre vers la fin de son exposé au Comité :

En effet, je tiens à souligner, si vous me le permettez, que, si une autre exemption est accordée, j’aurai de nouveau le devoir de passer en revue toutes les preuves et d’y réfléchir afin de respecter la procédure régulière de la loi. Je ne me soustrais donc pas à cette obligation qui m’est imposée en ma qualité de ministre de la Santé. [13:20 (en ligne)]

Cette déclaration ne peut être interprétée que d’une seule façon. Le ministre rejetait la demande officielle dont il était alors saisi et a affirmé qu’il examinerait toute nouvelle demande et y réfléchirait « afin de respecter la procédure régulière de la loi ».

[124] Pour résumer, le ministre était saisi d’une demande officielle datée du 2 mai 2008. Il était obligé, comme il l’a concédé, d’examiner toutes les demandes. Le ministre a traité la demande dont il était saisi comme rejetée; elle était caduque, et seule une nouvelle demande pouvait l’obliger à réexaminer la question. La seule conclusion rationnelle est que le ministre avait examiné la demande d’exemption dont il était alors saisi et avait décidé de la rejeter.

[125] D’une manière plus générale, la prétention du Canada qu’aucune décision de rejeter la demande présentée en vertu de l’art. 56 n’a été rendue est en discordance avec son argument selon lequel la présente affaire porte essentiellement sur des choix de politique conflictuels. Par cet argument, il admet implicitement que le gouvernement fédéral, par l’entremise du ministre de la Santé, a fait le choix politique de refuser d’accorder l’exemption prévue à l’art. 56 de la Loi.

(2) La décision du ministre met‑elle en jeu les droits garantis aux demandeurs par l’art. 7?

[126] La dernière exemption ministérielle a pris fin le 30 juin 2008. Si ce n’était de l’exemption judiciaire accordée par le juge Pitfield et prolongée par la Cour d’appel, l’interdiction établie par le par. 4(1) de la Loi s’appliquerait à Insite. Pour les motifs que j’ai déjà exposés, l’application du par. 4(1) aux membres du personnel met en jeu leurs droits à la liberté et met en jeu les droits des clients d’Insite à la vie et à la sécurité de leur personne. Je conclus que le rejet par le ministre de la demande d’exemption présentée en vertu de l’art. 56 met aussi en jeu les droits garantis aux demandeurs par l’art. 7. La seule raison pour laquelle les usagers d’Insite ont continué de bénéficier de ses services de santé est une ordonnance réparatrice temporaire rendue par le juge de première instance en attendant la fin du présent pourvoi. La délivrance d’une ordonnance judiciaire visant à maintenir le statu quo en attendant l’issue d’un conflit n’empêche pas les demandeurs de faire valoir leurs droits garantis par l’art. 7.

(3) Le refus du ministre d’accorder une exemption à Insite est‑il conforme aux principes de justice fondamentale?

[127] La prochaine question consiste à savoir si la décision du ministre d’appliquer la Loi à Insite a été rendue en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les faits établis au procès, qui concordent avec la preuve dont le ministre disposait à l’époque pertinente, m’amènent à conclure que le refus du ministre d’accorder à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 était arbitraire, avait des effets exagérément disproportionnés et, par conséquent, ne respectait pas les principes de justice fondamentale.

[128] Rappelons que, lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 56, le ministre doit respecter les droits garantis par la Charte. Cela signifie que, lorsque les droits garantis par l’art. 7 sont en jeu, toute restriction découlant d’une décision ministérielle doit être imposée en conformité avec les principes de justice fondamentale. Le ministre ne peut pas rejeter simplement une demande d’exemption présentée en vertu de l’art. 56 pour de simples raisons de politique; dans la mesure où elle a une incidence sur les droits garantis par la Charte, la décision du ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale.

a) Le caractère arbitraire

[129] Pour déterminer si l’application de la Loi est arbitraire, la première étape consiste à déterminer quels sont les objectifs de la Loi. Les décisions du ministre prises en vertu de l’art. 56 de la Loi doivent viser l’objet de la Loi. Selon la Cour, dans Malmo‑Levine, les objectifs étatiques légitimes de la Loi (alors la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1) sont la protection de la santé et de la sécurité publiques.

[130] La deuxième étape consiste à déterminer quel est le lien entre l’intérêt de l’État et la mesure législative contestée ou, en l’occurrence, la décision contestée du ministre. Le lien entre l’interdiction générale de possession établie par la Loi et l’objectif de l’État a été reconnu dans Malmo‑Levine relativement à la marihuana :

La criminalisation de la possession est l’expression de la désapprobation collective de notre société pour la consommation d’une drogue psychoactive telle la marihuana [. . .] et, par l’entremise du Parlement, de l’opinion persistante que la consommation de cette substance doit être découragée. L’interdiction n’a pas un caractère arbitraire, mais est rationnellement liée à une crainte raisonnable de préjudice. Plus particulièrement, la criminalisation de la marihuana vise à priver de cette substance les consommateurs actuels et potentiels, de façon à prévenir le préjudice associé à sa consommation et à éliminer le marché de la marihuana pour les trafiquants. [par. 136]

Il s’agit de savoir si la décision d’appliquer la Loi aux activités se déroulant au centre Insite est liée de la même façon à l’objectif de l’État. Comme je l’ai déjà souligné, c’est aux demandeurs qu’il revient d’établir que la restriction imposée par la loi n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

[131] Les constatations essentielles du juge de première instance à cet égard concordent avec la preuve dont disposait le ministre et sont celles sur lesquelles se sont appuyés les ministres fédéraux successifs pour accorder des exemptions pendant près de cinq ans, par exemple : (1) les interdictions traditionnelles du droit criminel ont peu fait pour diminuer la consommation de drogues dans le quartier DTES; (2) le risque de décès et de maladie auquel les toxicomanes sont exposés est réduit lorsque leurs injections sont supervisées par des professionnels de la santé; (3) la présence d’Insite n’a pas contribué à une augmentation du taux de criminalité, à une augmentation des injections en public, ni à une augmentation du taux de rechute chez les consommateurs de drogues injectables. Au contraire, le public a une opinion favorable ou neutre d’Insite; une association régionale de gens d’affaires a déclaré qu’il y avait eu une diminution de la criminalité pendant la période de fonctionnement d’Insite; le centre encourageait les clients à avoir recours à des services de counselling, de désintoxication et de traitement. Mais surtout, le personnel d’Insite est intervenu dans 336 cas de surdose depuis 2006, et aucun décès occasionné par une surdose ne s’est produit au centre. (Voir le jugement de première instance, par. 85 et 87-88.) Ces conclusions donnent à penser qu’exempter Insite de l’application de l’interdiction de possession non seulement n’entrave pas, mais favorise la réalisation des objectifs de protection de la santé et de la sécurité publiques.

[132] La jurisprudence sur le caractère arbitraire n’est pas clairement fixée. Dans Chaoulli, trois juges (opinion rédigée par la juge en chef McLachlin et le juge Major) ont choisi une approche consistant à se demander si une restriction est « nécessaire » à la réalisation de l’objectif de l’État (par. 131-132). À l’inverse, trois autres juges (opinion rédigée par les juges Binnie et LeBel), ont préféré éviter l’idée du caractère nécessaire et ont choisi l’ancienne formulation du critère du caractère arbitraire : « L’atteinte à un droit devient arbitraire [. . .] lorsqu’elle est dépourvue de lien avec l’intérêt de l’État qui sous-tend la mesure législative en cause, ou dans le cas d’incompatibilité avec cet intérêt » (par. 232). Il n’est pas nécessaire de déterminer en l’espèce quelle démarche doit l’emporter, car l’une et l’autre mènent à la conclusion que l’acte gouvernemental en cause est arbitraire.

b) La disproportion exagérée

[133] L’application de l’interdiction de possession à Insite a des effets exagérément disproportionnés. Les actes de l’État ou les réponses du législateur à un problème sont exagérément disproportionnés lorsqu’ils sont à ce point extrêmes qu’ils sont disproportionnés à tout intérêt légitime du gouvernement : Malmo‑Levine, par. 143. Insite sauve des vies. Ses bienfaits ont été prouvés. Au cours de ses huit années d’exploitation, Insite n’a eu aucune incidence négative observable sur les objectifs en matière de sécurité et de santé publiques du Canada. Priver la population des services d’Insite a un effet exagérément disproportionné par rapport aux avantages que le Canada peut tirer d’une position uniforme sur la possession de stupéfiants.

c) La portée excessive

[134] Ayant conclu que la décision du ministre était arbitraire et que son effet était exagérément disproportionné, je n’ai pas à examiner cet aspect de la question.

[135] Je conclus que, compte tenu des conclusions factuelles du juge de première instance, les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver que le refus du ministre d’accorder à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

(4) Conclusion sur la contestation de la décision du ministre

[136] Le ministre a décidé de ne pas prolonger l’exemption soustrayant Insite à l’application des lois fédérales antidrogue. N’eût été l’ordonnance intérimaire du juge de première instance, cette décision aurait eu pour effet d’empêcher les consommateurs de drogues injectables d’avoir accès aux services de santé offerts par Insite, ce qui aurait mis en danger la santé et, en fait, la vie de ces éventuels clients. La décision du ministre met donc en jeu et restreint les droits garantis aux demandeurs par l’art. 7. Compte tenu des renseignements dont disposait le ministre, cette restriction de leurs droits n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Elle est arbitraire; elle va à l’encontre des objectifs mêmes de la Loi, notamment la santé et la sécurité publiques. Elle est également exagérément disproportionnée : l’inaccessibilité éventuelle de services de santé et l’augmentation corrélative du risque de décès et de maladie auquel sont exposés les toxicomanes l’emportent sur tout avantage qui pourrait résulter du maintien d’une interdiction absolue de possession de drogues illégales dans les locaux d’Insite.

D. L’article premier

[137] S’il était nécessaire d’examiner la décision du ministre au regard de l’article premier — une question qui n’a pas été plaidée — , sa justification ne pourrait être démontrée. J’ai déjà expliqué que les objets de la Loi sont la protection et la promotion de la santé et de la sécurité publiques. Le refus du ministre d’accorder l’exemption n’a aucun lien avec ces objectifs, de sorte qu’ils ne peuvent justifier la restriction des droits des demandeurs protégés par l’art. 7. Peu importe la façon dont on l’envisage, la décision du ministre était arbitraire et indéfendable : voir Chaoulli, par. 155, la juge en chef McLachlin et le juge Major.

[138] Avant de clore le sujet de l’article premier, je vais examiner l’argument du ministre que l’octroi à Insite de l’exemption prévue à l’art. 56 ébranlerait la primauté du droit et que, de ce fait, le refus d’accorder une exemption est justifié.

[139] Le Canada prétend qu’exempter Insite des interdictions établies par la Loi [traduction] « aurait pour effet de bouleverser complètement la primauté du droit en rendant inconstitutionnelle l’application de la loi à quiconque l’enfreint avec une régularité et une persistance telles qu’il devient incapable de l’observer » (m.a., par. 101). Le Canada brandit le spectre de la multiplication des sites bénéficiant d’une exemption où l’on bafouerait impunément des lois canadiennes antidrogue.

[140] La conclusion que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en conformité avec la Charte en l’espèce n’autorise pas les consommateurs de drogues injectables à posséder des drogues à leur guise, n’importe où et n’importe quand. Il ne s’agit pas non plus d’inviter quiconque le désire à ouvrir un centre de consommation de drogues en le présentant comme un « centre d’injection supervisée ». L’issue de la présente affaire repose sur les conclusions du juge de première instance selon lesquelles l’existence d’Insite permet vraiment de diminuer le risque de décès et de maladie et n’a eu aucune incidence négative sur les objectifs légitimes du gouvernement fédéral en matière de droit criminel. Ni l’article 56 de la Loi, ni l’art. 7 de la Charte n’exigent que le crime soit toléré. Ils interdisent simplement à l’État d’appliquer le droit criminel d’une manière qui prive une personne de ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’art. 7, sans respecter les principes de justice fondamentale.

VII. Réparation

[141] Après avoir conclu que le refus du ministre d’accorder une exemption à Insite viole l’art. 7 d’une manière qui ne peut se justifier au regard de l’article premier, nous devons déterminer quelle est la réparation convenable.

[142] Il doit s’agir d’une réparation qui empêche, de façon efficace et adaptée à la situation, la violation des droits garantis aux défendeurs par la Charte : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 25.

[143] La violation des droits des demandeurs garantis par l’art. 7 subsiste toujours. L’exemption fédérale relative à Insite a pris fin le 30 juin 2008. L’application à Insite des lois fédérales antidrogue n’a été suspendue provisoirement que par l’intervention du tribunal.

[144] Les demandeurs ont demandé la radiation des dispositions contestées. Comme j’ai conclu que le par. 4(1) de la Loi, examiné en corrélation avec l’art. 56, est constitutionnellement valide, il n’y a pas lieu d’accorder une réparation en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Lorsque, comme en l’espèce, il est question d’une décision de l’État qui est incompatible avec la Charte, le par. 24(1) s’applique et permet au tribunal de concevoir une réparation convenable : R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 14 (« Dunedin »).

[145] Le paragraphe 24(1) confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de concevoir une réparation convenable, adaptée à la violation des droits des défendeurs garantis par la Charte. Dans Dunedin, la Cour a dit ce qui suit :

L’effet de l’interprétation du par. 24(1) se répercute nécessairement sur tous les droits garantis par la Charte, puisqu’un droit, aussi étendu soit-il en théorie, est aussi efficace que la réparation prévue en cas de violation, sans plus. Dès le départ, notre Cour a jugé que le par. 24(1) avait pour objet de fournir une « réparation directe » (Mills [c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863], p. 953, le juge McIntyre). Pour reprendre les propos du juge Lamer dans l’arrêt Mills, « [l]a réparation doit pouvoir s’obtenir facilement et les droits constitutionnels ne devraient pas être [traduction] “étouffés dans les délais et les difficultés de procédure” » (p. 882). Exiger moins minerait le rôle que joue le par. 24(1) en tant que pierre angulaire sur laquelle reposent les droits et libertés garantis par la Charte et que mécanisme essentiel à leur concrétisation et à leur protection. [Soulignement dans l’original; par. 20.]

[146] Une solution consisterait à déclarer que le ministre a commis une erreur en refusant de reconduire l’exemption en faveur d’Insite en mai 2008 et à retourner l’affaire au ministre pour qu’il la réexamine et rende une décision qui respecte les droits garantis aux demandeurs par la Charte.

[147] Toutefois, cette réparation serait inadéquate.

[148] La violation en cause est grave; elle met en danger la santé, en fait, la vie, des demandeurs et des personnes qui se trouvent dans la même situation. On ne peut faire fi des graves conséquences qui peuvent découler d’une expiration de l’exemption constitutionnelle dont Insite bénéficie actuellement. Les demandeurs seraient engagés à nouveau dans le processus de demande qu’ils avaient entrepris et au bout duquel ils ont échoué, et ils devraient attendre la décision du ministre fondée sur un réexamen des mêmes faits. Un litige pourrait resurgir. Une simple déclaration ne constitue pas une réparation acceptable en l’espèce.

[149] L’octroi d’une exemption constitutionnelle permanente n’est pas non plus une réparation convenable lorsque ce n’est pas une mesure législative, mais un acte de l’État qui enfreint la Charte. Quoi qu’il en soit, ce genre d’exemption doit être évité : R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96. De plus, le ministre ne devrait pas être empêché de retirer une exemption à Insite si un changement de la situation venait à l’exiger. La souplesse visée par l’art. 56 de la Loi serait perdue.

[150] Dans les circonstances particulières de l’espèce, une ordonnance de la nature d’un mandamus est justifiée. Je suis donc d’avis d’ordonner au ministre d’accorder sur-le-champ à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 de la Loi. (Le ministre conserve bien sûr le pouvoir de mettre fin à l’exemption, s’il le juge indiqué à la suite d’un changement dans les activités d’Insite.) Compte tenu des conclusions de fait du juge de première instance, la seule réponse constitutionnelle à la demande d’exemption présentée en vertu de l’art. 56 était l’octroi de l’exemption. Le ministre est tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’art. 56 en conformité avec la Charte. Compte tenu des faits constatés en l’espèce, une seule réponse est possible : l’octroi de l’exemption. Il n’y a donc rien à gagner (et beaucoup à perdre) à renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen.

[151] Cette réparation ne porte pas atteinte au pouvoir discrétionnaire du ministre quant aux demandes d’exemption futures visant Insite ou d’autres lieux. Comme toujours, le ministre doit exercer sa discrétion conformément aux limites imposées par la loi et par la Charte.

[152] Le double objet de la Loi — la santé et la sécurité publiques — oriente le ministre. En examinant une demande d’exemption relativement à un centre d’injection supervisée, il tentera d’établir un juste équilibre entre les objectifs de santé et de sécurité publiques. Dans les cas où, comme en l’espèce, la preuve révèle que l’existence d’un site d’injection supervisée diminuera le risque de décès et de maladie et où il n’existe guère, sinon aucune preuve qu’elle aura une incidence négative sur la sécurité publique, le ministre devrait en règle générale accorder une exemption.

[153] La Loi accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider s’il faut accorder ou non une exemption. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en conformité avec la Charte. Le ministre doit donc se demander si le refus d’une exemption porterait atteinte aux droits à la vie et à la sécurité des personnes autrement qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les facteurs pris en compte pour rendre une décision relativement à une exemption doivent comprendre la preuve, si preuve il y a, concernant l’incidence d’un tel centre sur le taux de criminalité, les conditions locales indiquant qu’un centre d’injection supervisée répond à un besoin, la structure réglementaire en place permettant d’encadrer le centre, les ressources disponibles pour voir à l’entretien du centre et les expressions d’appui ou d’opposition de la communauté.

VIII. Le pourvoi incident de VANDU

[154] Dans son pourvoi incident, VANDU conteste de façon beaucoup plus large le par. 4(1) de la Loi. VANDU conteste l’application de l’interdiction de possession à tous les toxicomanes, et pas seulement aux personnes qui fréquentent un site d’injection supervisée. VANDU prétend que les toxicomanes, n’ayant aucun contrôle sur leur besoin pressant de consommer des substances créant une dépendance, sont obligés, par crainte d’être arrêtés et poursuivis, de se procurer et de consommer des drogues d’une manière qui met en péril leur vie et leur santé et leur cause une grande tension psychologique. Il s’agit d’un argument très différent de celui formulé par Mme Tomic, M. Wilson et PHS.

[155] Le dossier ne contient pas les éléments voulus pour étayer la thèse avancée par VANDU. La preuve présentée au procès et les conclusions factuelles du juge de première instance concernaient la nature de la dépendance, ses dangers concomitants et les mesures prises par Insite pour les contrer. Rien dans les motifs du juge Pitfield ne permet à la Cour de conclure qu’il existe un lien de causalité entre l’interdiction de possession et l’atteinte aux droits garantis par l’art. 7 à l’ensemble des toxicomanes.

IX. Dispositif

[156] La Loi est constitutionnellement valide et s’applique aux activités se déroulant à Insite. Toutefois, le refus du ministre de la Santé d’exempter Insite de l’application de la Loi viole les droits garantis aux défendeurs par l’art. 7 de la Charte. Il est ordonné au ministre d’accorder une exemption à Insite conformément à l’art. 56 de la Loi.

[157] Le pourvoi du Canada et le pourvoi incident de VANDU sont rejetés. Je suis d’avis de répondre comme suit aux questions constitutionnelles :

1. Les paragraphes 4(1) et 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, sont-ils inapplicables constitutionnellement aux activités du personnel et des usagers d’Insite, un centre de services de santé de la Colombie-Britannique?

Non.

2. Le paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, porte-t-il atteinte aux droits garantis à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Non.

3. Dans l’affirmative, les droits sont-ils restreints par une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

4. Le paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, porte-t-il atteinte aux droits garantis à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Non.

5. Dans l’affirmative, les droits sont-ils restreints par une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

X. Dépens

[158] Le juge de première instance a adjugé des dépens spéciaux aux demandeurs : 2008 BCSC 1453, 91 B.C.L.R. (4th) 389. Cette ordonnance relevait de son pouvoir discrétionnaire et, selon moi, rien ne justifie qu’elle soit modifiée.

[159] Les intimés auront également droit à leurs dépens dans le présent pourvoi. Il n’y aura pas d’adjudication des dépens relativement au pourvoi incident.

Pourvoi rejeté avec dépens. Pourvoi incident rejeté sans dépens.

Procureurs des appelants/intimés au pourvoi incident : Procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs des intimés PHS Community Services Society, Dean Edward Wilson et Shelly Tomic : Arvay Finlay, Vancouver; Ethos Law Group, Vancouver.

Procureur de l’intimé le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureurs de l’intimé/appelant au pourvoi incident : Conroy & Company, Abbotsford.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureurs de l’intervenante Dr. Peter AIDS Foundation : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante Vancouver Coastal Health Authority : Davis, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Fasken Martineau DuMoulin, Toronto.

Procureurs des intervenants le Réseau juridique canadien VIH/sida, International Harm Reduction Association et CACTUS Montréal : McCarthy Tétrault, Vancouver.

Procureurs des intervenantes l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario et Association of Registered Nurses of British Columbia : Norton Rose OR, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne de santé publique : Stockwoods, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association médicale canadienne : Borden Ladner Gervais, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : Bull, Housser & Tupper, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante British Columbia Nurses’ Union : Victory Square Law Office, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante REAL Women of Canada : Maclaren Corlett, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : 2011 CSC 44 ?
Date de la décision : 30/09/2011
Sens de l'arrêt : Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés. Il est ordonné au ministre de la Santé d’accorder sur‑le‑champ à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 de la Loi

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des compétences - Droit criminel - Centre d’injection supervisée - Articles 4(1) et 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (« Loi ») interdisant la possession et le trafic de drogues illégales sous réserve d’une exemption accordée par le ministre fédéral de la Santé - Clinique gérant un centre d’injection supervisée grâce à une exemption ministérielle obtenue en vertu de l’art. 56 de la Loi - Révocation subséquente de l’exemption par le ministre - Compte tenu du partage des compétences, la clinique est‑elle, à titre d’établissement de santé, exemptée de l’application de la Loi adoptée dans l’exercice de la compétence fédérale en matière criminelle? - Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 4(1), 5(1), 56 - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(7), 92(13), 92(16).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne - Centre d’injection supervisée - Articles 4(1) et 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances interdisant la possession et le trafic de drogues illégales sous réserve d’une exemption accordée par le ministre fédéral de la Santé - Clinique gérant un centre d’injection supervisée grâce à une exemption ministérielle obtenue en vertu de l’art. 56 de la Loi - Révocation subséquente de l’exemption par le ministre - Les articles 4(1) et 5(1) de la Loi enfreignent‑ils les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne? - La révocation de l’exemption par le ministre est-elle conforme aux principes de justice fondamentale? - Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 4(1), 5(1), 56 - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Réparations - Centre d’injection supervisée - Articles 4(1) et 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances interdisant la possession et le trafic de drogues illégales sous réserve d’une exemption accordée par le ministre fédéral de la Santé en vertu de l’art. 56 de la Loi - Clinique gérant un centre d’injection supervisée grâce à une exemption ministérielle - Révocation subséquente de l’exemption par le ministre - Réparation convenable - Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(1).

Au début des années 90, la consommation de drogues injectables a atteint un point critique dans le quartier Downtown Eastside (« DTES ») de Vancouver. Une épidémie de VIH/sida et d’hépatite C a suivi peu après et un état d’urgence en santé publique a été déclaré en septembre 1997. Les organismes de santé ont reconnu la nécessité de trouver des solutions novatrices pour répondre aux besoins de la population du quartier DTES, une population marginalisée souffrant de problèmes complexes de santé mentale, physique et émotionnelle. Après plusieurs années de recherche, de planification et de collaboration intergouvernementale, les autorités ont proposé un programme de soins aux toxicomanes qui les aiderait à chaque étape du traitement de leur maladie, et non simplement à l’étape ultime où ils renoncent définitivement aux drogues. Ces propositions incluaient des installations de consommation supervisée qui, bien que controversées en Amérique du Nord, se sont avérées utiles dans le traitement des problèmes de santé liés à la consommation de drogues injectables en Europe et en Australie.

Un centre d’injection supervisée ne pouvait fonctionner sans obtenir une exemption le soustrayant aux interdictions de possession et de trafic de substances désignées en vertu de l’art. 56 de la Loi, qui confère au ministre de la Santé le pouvoir discrétionnaire d’accorder une exemption pour des raisons scientifiques ou médicales. Insite a obtenu une exemption conditionnelle en septembre 2003 et a ouvert ses portes quelques jours plus tard. Ce premier centre d’injection supervisée approuvé par un gouvernement en Amérique du Nord fonctionne depuis de façon continue. Il s’agit d’un établissement de santé soumis à des règles strictes, dont le personnel est assujetti à des politiques et procédures rigoureuses. Il ne fournit aucune drogue à ses clients, qui sont tenus de s’inscrire et de signer une renonciation et sont suivis de près pendant et après l’injection. Il renseigne ses clients sur les soins de santé, leur offre du counseling et les oriente vers différents services ou vers un centre de désintoxication sur demande situé sur les lieux. Cette expérience a réussi. Insite a sauvé des vies et a eu un effet bénéfique sur la santé, sans provoquer une hausse des méfaits liés à la consommation de drogues et de la criminalité dans les environs. Il reçoit l’appui de la police de Vancouver, ainsi que des gouvernements municipal et provincial.

En 2008, une nouvelle exemption a été demandée officiellement avant l’expiration de l’exemption initiale. Le ministre avait accordé deux prolongations temporaires de l’exemption en 2006 et 2007, mais il a indiqué qu’il avait décidé de rejeter la demande. Lorsque l’expiration de ces prolongations est devenue imminente, l’action à l’origine du pourvoi a été intentée en vue de sauver Insite.

Le juge de première instance a conclu que l’application des par. 4(1) et 5(1) de la Loi portait atteinte aux droits des plaignants protégés par l’art. 7 de la Charte. Il a accordé à Insite une exemption constitutionnelle le soustrayant à l’application des lois fédérales antidrogue pour lui permettre de poursuivre ses activités. La Cour d’appel a rejeté l’appel et statué que la doctrine de l’exclusivité des compétences trouvait application.

Arrêt : Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés. Il est ordonné au ministre de la Santé d’accorder sur‑le‑champ à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 de la Loi.

Les interdictions criminelles de possession et de trafic établies par la Loi sont valides sur le plan constitutionnel et, du point de vue du partage des compétences, elles sont applicables à Insite. Premièrement, compte tenu de leur caractère véritable, les dispositions contestées de la Loi constituent un exercice valide de la compétence fédérale en matière criminelle. Le fait qu’elles ont pour effet accessoire de réglementer des établissements de santé provinciaux n’en emporte pas l’inconstitutionnalité. Deuxièmement, les programmes provinciaux conçus dans l’intérêt public ne sont pas, de ce fait, soustraits à l’application d’une loi en matière criminelle, à moins que celle‑ci ne contienne expressément ou implicitement pareille limite. La Loi n’en contient pas. Troisièmement, la doctrine de l’exclusivité des compétences ne trouve pas application. Les décisions relatives aux traitements offerts par des établissements de santé provinciaux ne font pas partie du contenu essentiel protégé du pouvoir conféré aux provinces en matière de santé et ne sont donc pas à l’abri d’une ingérence fédérale. De plus, la doctrine de l’exclusivité des compétences a une portée limitée, et le principe des compartiments étanches fixes sur lequel elle repose va à contre‑courant de l’évolution de l’interprétation constitutionnelle canadienne, qui tend vers les notions plus souples du double aspect et du fédéralisme coopératif. L’appliquer en l’espèce perturberait les compétences bien établies et créerait de l’incertitude quant aux nouvelles. Enfin, comme il est admis que, sans immunité constitutionnelle, les activités d’Insite sont assujetties à la loi fédérale et celle‑ci a préséance sur la législation et les politiques provinciales incompatibles, il n’est pas nécessaire de déterminer si la doctrine de la prépondérance s’applique.

Le rejet de l’argumentation des demandeurs fondée sur le partage des compétences ne compromet pas l’issue de leur allégation que la Loi porte atteinte à leurs droits garantis par l’art. 7 de la Charte. Il n’y a aucune contradiction entre affirmer qu’une loi fédérale a été validement adoptée en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 et prétendre que cette même loi, par son objet ou ses effets, prive des personnes de leurs droits garantis par la Charte.

Bien que le par. 4(1) de la Loi mette en jeu les droits que l’art. 7 de la Charte garantit aux demandeurs et aux autres personnes qui se trouvent dans la même situation, il est conforme aux principes de justice fondamentale, parce que le ministre a le pouvoir d’accorder des exemptions de l’application du par. 4(1). Le paragraphe 4(1) met directement en jeu le droit à la liberté des professionnels de la santé qui offrent les services de supervision aux clients d’Insite compte tenu des peines d’emprisonnement prévues aux par. 4(3) à 4(6) de la Loi. Ce paragraphe met également directement en jeu les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne des clients d’Insite. Pour pouvoir bénéficier des services offerts par Insite, qui protègent leur vie et leur santé, les clients doivent être autorisés à posséder des drogues sur place. Interdire la possession en général met en jeu les droits à la liberté des toxicomanes; leur interdire la possession de drogues dans l’enceinte d’Insite met en jeu leurs droits à la vie et à la sécurité de leur personne. Néanmoins, comme l’art. 56 confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder des exemptions de l’application de la Loi « [s]’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient », le par. 4(1) ne contrevient pas à l’art. 7. La possibilité d’accorder des exemptions sert de soupape empêchant l’application de la Loi dans les cas où son application serait arbitraire, ses effets exagérément disproportionnés ou sa portée excessive.

Compte tenu des faits, l’interdiction de trafic établie au par. 5(1) de la Loi ne restreint pas les droits à la vie et à la sécurité de la personne des demandeurs protégés par l’art. 7, parce qu’aucune accusation de trafic ne pourrait être portée contre le personnel d’Insite qui se livre aux activités du centre.

La discrétion laissée au ministre de la Santé n’est pas absolue : comme c’est toujours le cas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les décisions du ministre doivent respecter la Charte. Si la décision du ministre occasionne une application de la Loi qui restreint les droits garantis par l’art. 7 d’une manière qui contrevient à la Charte, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est inconstitutionnel. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour doit déterminer si la décision du ministre a porté atteinte aux droits des demandeurs protégés par la Charte. La Cour est dûment saisie de cette question et la justice commande qu’elle l’examine.

Rien ne permet de conclure que l’atteinte aux droits des demandeurs résulte d’un choix personnel et non de la conduite de l’État. La capacité de faire certains choix ne réfute pas les conclusions du juge de première instance selon lesquelles la dépendance est une maladie caractérisée principalement par le manque de contrôle de la personne qui en souffre sur la consommation de la substance dont elle est dépendante. De plus, la moralité de l’activité réglementée n’est pas pertinente au stade initial qui consiste à déterminer si la loi met en jeu un droit garanti par l’art. 7. Enfin, la question de la consommation de drogues illégales et de la dépendance à celles‑ci est une question complexe qui suscite diverses réactions sur les plans social, politique, scientifique et moral. Bien que ce soit aux gouvernements compétents, et non à la Cour, qu’il revient d’élaborer des politiques en matière criminelle et en matière de santé, lorsqu’une politique se traduit par une mesure législative ou un acte de l’État, cette mesure législative ou cet acte peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Il ne s’agit pas de savoir lesquels des programmes de réduction des méfaits ou de ceux fondés sur l’abstinence constituent le meilleur moyen de résoudre le problème de la consommation de drogues illégales, mais de savoir si le Canada a restreint les droits des demandeurs d’une manière qui contrevient à la Charte.

Le refus du ministre d’accorder à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 mettait en jeu les droits garantis aux demandeurs par l’art. 7 et ne respectait pas les principes de justice fondamentale. Le ministre de la Santé doit être tenu pour avoir rendu une décision quant à l’octroi d’une exemption, car il a examiné la demande qui lui a été présentée et il a décidé de ne pas l’accorder. N’eût été l’ordonnance intérimaire du juge de première instance, la décision du ministre aurait eu pour effet d’empêcher les consommateurs de drogues injectables d’avoir accès aux services de santé offerts par Insite, ce qui aurait mis leur santé, et en fait leur vie en danger. Elle met donc en jeu et restreint leurs droits garantis par l’art. 7. Compte tenu des renseignements dont disposait le ministre, cette restriction de leurs droits n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Elle est arbitraire; quel que soit le critère utilisé pour l’apprécier, car elle va à l’encontre des objectifs mêmes de la Loi, soit la protection de la santé et de la sécurité publiques. Elle est aussi exagérément disproportionnée : au cours de ses huit années d’activités, il est démontré qu’Insite a sauvé des vies, sans avoir aucune incidence négative observable sur les objectifs du Canada en matière de sécurité et de santé publiques. Le fait de priver la population qu’Insite dessert des services qu’il offre et l’augmentation corrélative du risque de décès et de maladie pour les consommateurs de drogues injectables sont exagérément disproportionnés par rapport aux avantages que le Canada pourrait tirer d’une position uniforme sur la possession de stupéfiants.

S’il était nécessaire de procéder à l’analyse exigée par l’article premier, une question qui n’a pas été plaidée, aucune justification ne pourrait être démontrée. Les objets de la Loi sont la protection et la promotion de la santé et de la sécurité publiques. Le refus du ministre d’accorder l’exemption n’a aucun lien avec ces objectifs, de sorte qu’ils ne peuvent justifier la restriction des droits des demandeurs protégés par l’art. 7.

Étant donné que la violation subsiste toujours et qu’il est question d’une décision de l’État, le par. 24(1) permet au tribunal de concevoir une réparation convenable. Dans les circonstances particulières de l’espèce, une ordonnance de la nature d’un mandamus est justifiée. Il est ordonné au ministre d’accorder sur‑le‑champ à Insite l’exemption prévue à l’art. 56 de la Loi. Une réparation qui consisterait à déclarer que le ministre a commis une erreur en refusant l’exemption serait inadéquate, compte tenu de la gravité de la violation et des graves conséquences pouvant découler de l’expiration de l’exemption constitutionnelle dont Insite bénéficie actuellement, et une exemption constitutionnelle permanente n’est pas non plus convenable, pour plusieurs raisons.

Lorsqu’il examinera les demandes d’exemption futures, le ministre devra exercer sa discrétion conformément aux limites imposées par la loi et par la Charte, en tentant d’établir un juste équilibre entre les objectifs de santé et de sécurité publiques. Suivant la Charte, le ministre doit se demander si le refus d’une exemption porterait atteinte aux droits à la vie et à la sécurité des personnes autrement qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans les cas où, comme en l’espèce, l’existence d’un site d’injection supervisée diminuera le risque de décès et de maladie et où il n’existe guère, sinon aucune preuve qu’elle aura une incidence négative sur la sécurité publique, le ministre devrait en règle générale accorder une exemption.

Le dossier ne contient pas les éléments voulus pour étayer le pourvoi incident de VANDU, qui conteste l’application de l’interdiction de possession à tous les toxicomanes.


Parties
Demandeurs : Canada (Procureur général)
Défendeurs : PHS Community Services Society

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Parker (2000), 188 D.L.R. (4th) 385
arrêts mentionnés : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3
Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494
R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571
Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307
Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629
Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749
Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536
Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285
Parents naturels c. Superintendent of Child Welfare, [1976] 2 R.C.S. 751
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30
Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616
R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463
New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319
Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791
Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519
R. c. York, 2005 BCCA 74, 193 C.C.C. (3d) 331
R. c. Spooner (1954), 109 C.C.C. 57
R. c. Hess (No. 1) (1948), 94 C.C.C. 48
R. c. Ormerod, [1969] 4 C.C.C. 3
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3
Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3
R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575
R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 24(1).
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 4(3).
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(7), (13), (16).
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 4(1), (3) à (6), 5(1), 10(1), 55, 56.
Doctrine citée
Canada. Chambre des communes. Témoignages du Comité permanent de la santé, no 032, 2e sess., 39e lég., 29 mai 2008 (en ligne : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=3529880&Mode=1&Parl=39&Ses=2&Language=F).
Canada. Santé Canada. INSITE de Vancouver et autres sites d’injection supervisés : Observations tirées de la recherche — Rapport final du Comité consultatif d’experts sur la recherche sur les sites d’injection supervisés, 1er mars 2008 (en ligne : http://www.hc-sc.gc.ca/ahc‑asc/pubs/_sites‑lieux/insite/index-fra.php).

Proposition de citation de la décision: Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 (30 septembre 2011)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-09-30;2011.csc.44 ?
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