COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 27, 2006 CSC 2
Date : 20060127
Dossier : 30171, 30172
Entre :
Isidore Garon ltée
Appelante
c.
Syndicat du bois ouvré de la région de Québec inc. (C.S.D.)
Intimé
‑ et ‑
Jean-Pierre Tremblay, ès qualités d’arbitre de griefs
Intervenant
et entre :
Fillion et Frères (1976) inc.
Appelante
c.
Syndicat national des employés de garage du Québec inc. (C.S.D.)
Intimé
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 64)
Motifs dissidents :
(par. 65 à 195)
La juge Deschamps (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie et Charron)
Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et du juge Fish)
______________________________
Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 27, 2006 CSC 2
Isidore Garon ltée Appelante
c.
Syndicat du bois ouvré de la région de Québec inc. (C.S.D.) Intimé
et
Jean‑Pierre Tremblay, en qualité d’arbitre de griefs Intervenant
- et -
Fillion et Frères (1976) inc. Appelante
c.
Syndicat national des employés de garage du Québec inc. (C.S.D.) Intimé
Répertorié : Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc.
Référence neutre : 2006 CSC 2.
Nos du greffe : 30171, 30172.
2005 : 16 février; 2006 : 27 janvier.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Rothman, Rousseau‑Houle et Biron (ad hoc)), [2004] R.J.Q. 58, [2004] R.J.D.T. 15, [2003] J.Q. no 18478 (QL), qui a confirmé un jugement du juge Martin, D.T.E. 2001T‑220, qui avait rejeté une requête en révision judiciaire d’une décision arbitrale intérimaire, [2001] R.J.D.T. 304. Pourvoi accueilli, la juge en chef McLachlin et les juges LeBel et Fish sont dissidents.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Rothman, Rousseau‑Houle et Biron (ad hoc)), [2003] J.Q. no 18474 (QL), SOQUIJ AZ‑50210482, qui a infirmé un jugement du juge Alain, [2001] R.J.Q. 700, [2001] R.J.D.T. 615, [2001] J.Q. no 1169 (QL), qui avait accueilli une requête en révision judiciaire d’une décision arbitrale intérimaire. Pourvoi accueilli, la juge en chef McLachlin et les juges LeBel et Fish sont dissidents.
Robert Dupont, Suzanne Thibaudeau et Laurent Lesage, pour l’appelante Isidore Garon ltée.
Guy Dion, Jasmin Marcotte, Sébastien Gobeil et Benoît Mailloux, pour l’appelante Fillion et Frères (1976) inc.
Georges Marceau et Johanne Drolet, pour les intimés.
Personne n’a comparu pour l’intervenant.
Le jugement des juges Bastarache, Binnie, Deschamps et Charron a été rendu par
1 La juge Deschamps — Des employés syndiqués licenciés déposent un grief dans lequel ils réclament une indemnité de départ fondée sur l’art. 2091 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »). L’employeur a donné un avis de cessation d’emploi conforme à l’art. 82 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N-1.1 (« L.n.t. »). La question est posée : l’art. 2091 C.c.Q. s’étend-il au régime collectif du travail? Pour les motifs qui suivent, la réponse est, à mon avis, négative.
1. Faits
2 Dans les deux cas qui nous sont soumis, les appelantes ferment leur entreprise. Le 24 novembre 1997, Fillion et Frères (1976) inc. (« Fillion ») avise tous ses employés qu’elle cessera d’exploiter sa concession d’automobiles au plus tard le 16 janvier 1998; la cessation d’emploi de certains salariés est prévue pour le 19 décembre 1997 et, pour les autres, le 16 janvier 1998. La convention collective alors en vigueur chez Fillion ne prévoit rien en cas de fermeture de l’entreprise. De son côté, le 15 avril 1999, Isidore Garon ltée (« Garon ») annonce à l’ensemble de ses salariés qu’elle fermera son commerce de quincaillerie le 19 juin 1999 en raison de difficultés financières. La convention collective de Garon ne comporte pas de clause régissant la fermeture de l’entreprise; elle précise toutefois que, en cas de mise à pied pour plus de six mois, l’employeur devra donner les préavis prévus par la L.n.t.
3 Les préavis donnés par les deux employeurs respectent les délais fixés par l’art. 82 L.n.t. Les syndicats représentant les deux groupes de salariés prétendent cependant que ce délai n’est pas raisonnable au sens de l’art. 2091 C.c.Q. Ils réclament une indemnité de quatre semaines par année de service pour chacun des employés.
2. Instances inférieures
4 Devant les arbitres, les employeurs soulèvent des objections préliminaires. Ils plaident que l’arbitre n’a pas compétence pour trancher le grief en l’absence d’un rattachement à la convention collective. Dans leurs décisions arbitrales intérimaires, les arbitres concluent qu’ils ont compétence pour déterminer si les préavis donnés satisfont aux exigences des art. 2091 et 2092 C.c.Q. L’arbitre Denis Tremblay, saisi du grief déposé contre Fillion, se fonde sur les arrêts Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, et Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967. Il considère que le C.c.Q. peut suppléer au silence de la convention collective sur une question qui intéresse les salariés et leur employeur. Quant à l’arbitre Jean‑Pierre Tremblay, saisi du grief des employés de Garon, il estime qu’il peut déterminer si le renvoi aux délais de l’art. 82 L.n.t. dans la clause 8.02c) de la convention collective et si le délai de congé de neuf semaines donné par l’employeur répondent au critère de raisonnabilité des art. 2091 et 2092 C.c.Q. ([2001] R.J.D.T. 304).
5 Les appelantes demandent la révision judiciaire des décisions arbitrales intérimaires. La demande de Fillion est accueillie alors que celle de Garon est rejetée. Ces résultats divergents sont attribuables aux différences entre les conventions collectives en cause. Le juge Alain casse la décision arbitrale rendue dans le dossier Fillion ([2001] R.J.Q. 700). Selon lui, vu le silence de la convention collective au sujet de la fermeture d’entreprise et du délai de préavis, le grief n’est pas arbitrable puisque les arrêts Weber et O’Leary n’ont pas pour effet de donner compétence aux arbitres de griefs sur les différends qui ne découlent pas de l’interprétation et de l’application de la convention collective. Selon lui, seul un grief arbitrable confère à l’arbitre le pouvoir d’interpréter une loi en vertu de l’art. 100.12 du Code du travail, L.R.Q., ch. C-27 (« C.t. »). Par conséquent, l’arbitre ne peut interpréter les art. 2091 et 2092 C.c.Q. pour régler le différend entre les parties puisqu’il n’a pas la compétence pour entendre le grief. Le juge Martin, pour sa part, refuse d’annuler la décision intérimaire de l’arbitre dans le dossier Garon (D.T.E. 2001T-220). Il se reporte à la clause de la convention collective qui renvoie aux dispositions de la L.n.t. en cas de mise à pied pour plus de six mois; il conclut que le grief découle de l’interprétation et de l’application de la convention et que l’art. 100.12 C.t. permet à l’arbitre de recourir à une loi d’application générale, comme le C.c.Q., pour trancher un grief. Les deux jugements sont portés en appel.
6 La Cour d’appel estime que la règle prévue aux art. 2091 et 2092 C.c.Q. est incorporée implicitement dans les conventions collectives. Elle s’appuie sur l’arrêt récent de notre Cour, Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42. La Cour d’appel conclut que les arbitres ont compétence pour entendre les griefs ([2004] R.J.Q. 58 et [2003] J.Q. 18474 (QL)).
7 Les employeurs se pourvoient devant notre Cour.
3. Analyse
8 Le pourvoi soulève la question de l’applicabilité au régime collectif du travail du délai de congé prévu par le C.c.Q. Les articles en cause sont rédigés ainsi :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
9 Depuis un demi-siècle, l’interrelation entre les droits découlant du lien individuel de travail et ceux découlant des rapports collectifs est marquée par deux tendances qui semblent s’affronter dans le présent pourvoi. Le premier courant jurisprudentiel prône l’exclusion du droit commun et de la négociation individuelle pour tout ce qui touche les conditions de travail dans le contexte des rapports collectifs (3.1). Le second consacre l’incorporation aux conventions collectives des normes minimales d’emploi prévus par les différentes lois régissant le travail, des droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne ainsi que des principes de la Charte canadienne des droits et libertés (3.2). Pour déterminer laquelle des règles jurisprudentielles, soit l’exclusion soit l’inclusion, guide la décision en l’espèce, encore faut-il élucider leur fondement. Je ferai d’abord un survol de ces deux courants. Cette revue mettra en lumière le fil conducteur de la conciliation des deux tendances (3.3) et permettra de dégager trois raisons pour lesquelles la règle de l’art. 2091 C.c.Q. n’est pas compatible avec le régime collectif : les conditions de travail des employés syndiqués sont négociées collectivement par le syndicat et l’employeur, alors que le préavis prévu par le C.c.Q. est convenu de façon individualisée lors de la cessation d’emploi (3.4.1); le délai de congé dû à l’employé dans le contexte d’un contrat individuel de travail est lié au droit de l’employeur de congédier un employé, alors que ce droit de l’employeur est limité par la convention collective dans le régime collectif (3.4.2); et l’historique de la disposition fait voir que le législateur n’a pas voulu rendre applicables au régime collectif toutes les règles relatives au contrat individuel de travail (3.4.3).
3.1 Premier courant jurisprudentiel — l’exclusion du droit commun et la mise en veilleuse des droits individuels dans le cadre de rapports collectifs de travail
10 Un premier courant jurisprudentiel reconnaît le caractère autonome du droit du travail, droit social d’origine législative qui, par conséquent, supplante le droit commun :
Le droit commun applicable aux contrats individuels de travail ne vaut plus quand les relations employeur-employé sont régies par une convention collective qui traite, comme celle présentement en cause, de licenciement, de cessation d’emploi, d’indemnité de cessation d’emploi et d’une foule d’autres choses qui ont été négociées entre le syndicat et l[a] compagnie en tant que parties principales à la convention.
(McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718, p. 725)
Dans un arrêt récent, Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39, la Cour a réaffirmé cette conclusion :
Un cadre collectif se substitue au mécanisme contractuel traditionnel, fondé sur des rapports individuels entre l’employeur et ses salariés. [par. 43]
11 Tout comme le droit des rapports collectifs de travail lui-même, ce courant jurisprudentiel constitue une réaction au libéralisme économique qui sous-tend le droit commun en matière contractuelle : P. Verge, « Le contrat de travail selon le Code civil du Québec : pertinence ou impertinence? » (1993), 24 R.G.D. 237, p. 242; voir aussi F. Morin et J.-Y. Brière, Le droit de l’emploi au Québec (2e éd. 2003), p. 74 et 1461. Dans la quête d’un équilibre dans les rapports de force entre employeur et salariés, on rejette la notion de liberté contractuelle, substituant aux négociations individuelles entre employeur et employé, l’exclusivité de la représentation syndicale et la prédominance de la convention collective : Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. c. Compagnie Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206, p. 212.
12 De plus, reconnaissant les bienfaits, tant pour le salarié que pour l’employeur, de la continuité de la relation de travail, les tribunaux ont rejeté les règles du droit commun qui y font obstacle. C’est dans cette perspective que notre Cour a écarté l’application des principes de violation et de répudiation des contrats en matière de rapports collectifs de travail dans les affaires Canadian Pacific Railway Co. c. Zambri, [1962] R.C.S. 609, et McGavin Toastmaster. Dans les deux cas, notre Cour a retenu une interprétation qui consacre la sujétion des droits individuels au régime collectif.
13 De même, dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, p. 718, la Cour conclut que les droits qui, en common law, découleraient d’une relation entre employeur et employé ne sont pas susceptibles d’exécution devant les tribunaux traditionnels dans le cadre de rapports collectifs. L’ensemble du droit en matière de relations employeur-employé est subsumé dans le régime collectif des relations de travail.
14 Comme ces principes reposent sur le respect de l’intégrité du régime collectif, leur énoncé vaut tant pour les réclamations des employeurs que pour celles des employés. Ainsi, dans Hémond c. Coopérative fédérée du Québec, [1989] 2 R.C.S. 962, trois employés de longue date intentent un recours en Cour supérieure pour faire valoir leur droit d’ancienneté, plaidant qu’il s’agit de droits acquis. Ils ont été promus au rang de contremaîtres et, de ce fait, exclus de l’unité de négociation. Peu après leur promotion, ils sont rétrogradés à des postes d’ouvriers. Entre temps, une nouvelle convention collective est conclue, laquelle leur faisait perdre leur ancienneté lors de leur rétrogradation. Ils prétendent que la nouvelle convention leur est inopposable et que leur ancienneté est un droit personnel. La Cour rejette leur prétention, affirmant que dans un régime de rapports collectifs de travail aucun droit d’ancienneté ne peut exister en tant que droit personnel en marge de la convention collective :
Les droits d’ancienneté, au même titre que n’importe quel autre droit des employés, sont assujettis au processus de la négociation collective. Dans le contexte des relations ouvrières, il serait, pour dire le moins, inédit d’élever ces droits, absolument et irrémédiablement, au rang de droits acquis. Quand il existe une convention collective, les droits individuels sont à toutes fins pratiques écartés. Comme l’affirme le juge en chef Laskin, à la p. 725 de l’affaire McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718, où on reprend un principe énoncé dans l’affaire Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. v. Compagnie Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206 : « Le droit commun applicable aux contrats individuels de travail ne vaut plus quand les relations employeur-employé sont régies par une convention collective . . . » [p. 975]
15 Cette décision était nécessaire pour préserver l’intégrité du régime des rapports collectifs de travail qui, ultimement, sert à protéger les employés. Comme le disait la juge Mailhot, de la Cour d’appel du Québec, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [1998] R.J.Q. 2270, décision confirmée par notre Cour :
Ces nuances ne doivent pas faire perdre de vue que le droit du travail demeure régi par des principes qui lui sont propres. Le législateur a créé un régime de représentation légale exclusif. Il faut le respecter dans toutes ses dimensions. La collectivisation des rapports de travail protège les employés et leur assure un rapport de force convenable dans leurs relations avec l’employeur. Les employés qui bénéficient de cette collectivisation n’ont, à toutes fins utiles, plus de droits individuels. [p. 2275]
16 La recherche d’un résultat favorable aux employés dans un dossier donné ne saurait dicter le choix des principes applicables. Le régime collectif doit survivre de façon cohérente aux conflits mettant en jeu des droits individuels. La protection des employés est mieux assurée par un régime harmonieux que par un amalgame de règles peu compatibles entre elles. C’est d’ailleurs aussi l’objectif de protection des employés qui constitue la raison d’être du deuxième courant jurisprudentiel, lequel favorise l’intégration au régime collectif des normes prévues par la Charte, par les lois sur les droits de la personne et par certaines lois régissant les relations de travail.
3.2 Deuxième courant jurisprudentiel — l’incorporation dans la convention collective des normes prévues par la Charte, par les lois sur les droits de la personne et par certaines lois régissant les relations de travail
17 Le deuxième courant jurisprudentiel, qui prend sa source dans l’affaire McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, a atteint son apogée avec l’arrêt Parry Sound.
18 Dans McLeod, une clause de la convention collective en vigueur permettait à l’employeur de contraindre un employé à travailler plus de 40 heures par semaine. L’employeur avait exigé d’un employé qu’il travaille au-delà des 48 heures qu’il avait déjà travaillées, et ce, en dépit des dispositions de l’Employment Standards Act qui limitait la semaine de travail à 48 heures. La Cour a jugé que le droit de l’employeur était limité par la loi :
De par l’effet de la Loi, le droit d’exiger d’un employé quelconque qu’il travaille au-delà d’une période de quarante-huit heures par semaine avait été retiré à l’employeur et devenait assujetti aux droits de l’employé prévus au par. (2) de l’art. 11. [p. 524]
19 Plus tard, dans Weber, par. 56, reprenant la remarque de Lord Denning suivant laquelle, « [i]l n’y a pas un droit pour les arbitres et un droit pour les tribunaux, il y a un droit pour tous », la Cour se rallie au modèle de la compétence exclusive de l’arbitre. Elle y affirme que l’arbitre applique le droit du pays, « que ce soit la common law, le droit d’origine législative ou la Charte » (par. 61). (Voir également : Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, et Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5.)
20 Ce modèle présente deux avantages. D’une part, en fondant la compétence de l’arbitre sur l’essence du litige entre les parties plutôt que sur le cadre juridique dans lequel il se soulève, on évite que la procédure arbitrale « établie par les diverses lois sur les relations du travail au pays [. . .] soit [. . .] doublée ou minée par des actions concomitantes » (Weber, par. 58). D’autre part, on permet aux employés de faire valoir leurs droits de façon rapide, peu coûteuse et informelle. Ce courant repose sur le désir de réunir l’ensemble des recours des salariés qui peuvent être soumis à un arbitre. Les droits et obligations substantiels des parties sont donc établis par l’arbitre en ayant recours aux lois régissant les relations de travail qui sont pertinentes.
21 Le même esprit guide Parry Sound. Dans cette affaire, une employée à l’essai congédiée peu après son retour d’un congé de maternité dépose un grief alléguant discrimination. La Cour devait décider si un tel grief était recevable malgré la clause de la convention collective qui permettait le licenciement des employés à l’essai pour tout motif jugé acceptable par l’employeur et leur niait le recours à l’arbitrage. Pour trancher la question de la compétence de l’arbitre, la Cour devait déterminer s’il y avait un rattachement à la convention collective (par. 19). La Cour a affirmé ce qui suit (par. 26 et 28) :
Les droits de gestion doivent être exercés non seulement conformément aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi conformément aux droits conférés à l’employé par la loi. . .
. . .
[L]es droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. Une convention collective peut accorder à l’employeur le droit général de gérer l’entreprise comme il le juge indiqué, mais ce droit est restreint par les droits conférés à l’employé par la loi.
22 Les mêmes principes sont encore repris dans Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, 2004 CSC 23, par. 32.
23 C’est sur ce courant jurisprudentiel que s’appuient les intimés.
3.3 La conciliation des deux courants jurisprudentiels
24 Les solutions apportées par les deux courants jurisprudentiels peuvent sembler contradictoires : d’une part, le droit commun est exclu en raison de la préséance du régime collectif, d’autre part, certaines normes externes sont implicitement contenues dans la convention collective. Cette impression ne résiste cependant pas à l’analyse. Alors que le premier courant traite de la supplantation des droits individuels incompatibles avec le contexte des rapports collectifs de travail, le deuxième porte principalement sur le pouvoir de l’arbitre de mettre en œuvre des dispositions implicitement incluses dans la convention collective. Dans la première série d’arrêts, le droit invoqué est incompatible avec le régime collectif, alors que dans le second la norme est non seulement compatible, mais elle est aussi incorporée dans la convention collective. Ainsi, dans Parry Sound, l’application à l’employée du Code des droits de la personne de l’Ontario n’était pas contestée. Le débat portait sur le pouvoir de l’arbitre de l’appliquer. L’arrêt Parry Sound n’a pas renversé Paquet, McGavin, Hémond ou Noël. Le principe qui se dégage est que si la règle est incompatible avec le régime collectif des relations de travail, elle ne peut être incorporée et elle doit être exclue, comme dans McGavin, Hémond et Noël. Si elle s’avère compatible et qu’il s’agit d’une norme supplétive ou impérative, comme dans McLeod, Weber et Parry Sound, l’arbitre aura compétence pour l’appliquer.
25 Avant de déterminer si la norme est supplétive ou impérative, il faut vérifier sa compatibilité. Comment, alors, détermine-t-on si une disposition ou une règle est compatible? Quels droits sont supplantés par le régime collectif? À la base du premier courant jurisprudentiel réside la volonté de faire primer la négociation collective de toutes les conditions de travail. Si le droit revendiqué peut être qualifié de condition de travail, il ne peut dans un tel cas être négocié individuellement par l’employeur et l’employé. Seul le syndicat a cette mission et il doit l’accomplir pour les employés collectivement.
26 Qu’est-ce qu’une condition de travail? Notre Cour s’est posé cette question dans Paquet. La qualification de la disposition en litige de condition de travail y a été faite en déterminant l’existence d’un lien réel avec le contrat de travail (p. 211). Dans cette affaire, comme la retenue syndicale touchait directement la réglementation des rapports entre les parties, la Cour a établi que la disposition était une condition de travail. En raison du monopole de représentation, aucune place n’était laissée à la négociation individuelle. Membres du syndicat ou non, tous les employés étaient assujettis à la retenue.
27 La préséance du régime collectif a parfois été assimilée à l’abrogation de la liberté contractuelle à compter de la conclusion de la convention collective : Paquet, p. 212. Il est cependant clair que le lien d’emploi ne naît que lors de l’acceptation par l’employé de l’offre d’embauche de l’employeur. La thèse de l’abrogation complète du contrat individuel dans le contexte du régime collectif ne peut donc trouver sa source ni dans la jurisprudence canadienne ni dans la législation. Le contrat individuel n’est pas abrogé, il est simplement suspendu. D’ailleurs, lorsque l’accréditation est révoquée, le contrat individuel reprend effet et redevient le seul outil de gestion de la relation de travail. S’il avait été abrogé, un réembauchage serait requis, ce qui n’est pas le cas. La fin du régime collectif n’entraîne pas la fin du lien d’emploi. Pendant la durée de la convention collective, le contrat individuel de travail ne peut cependant pas être invoqué comme source de droit.
28 Certes, tout n’est pas inscrit dans la convention collective. Ainsi, la convention ne définit habituellement pas les concepts du droit commun sur lesquels sont fondées les règles dont le syndicat et l’employeur conviennent. La convention collective ne s’applique pas dans l’abstrait. Le droit commun trouve sa pertinence lors de l’interprétation des conditions de travail incluses dans la convention collective.
29 La subordination du contrat individuel au régime collectif permet de réconcilier les intérêts collectifs avec les intérêts individuels là où ces derniers peuvent subsister sans entraver la bonne marche des relations collectives. Mon approche se distingue de celle du juge LeBel, qui adopte la thèse du professeur Morin pour qui la hiérarchie des sources est à l’inverse. Selon le professeur Morin, le contrat individuel subsiste et le C.c.Q. s’applique, sous réserve de dérogations valables et expresses au Code du travail, aux autres lois du travail et à la convention collective : F. Morin, « Effets combinatoires de deux codes : Code du travail et Code civil du Québec » (1994), 49 Relat. ind. 227, p. 245. Selon lui, la convention collective se superpose donc au contrat individuel. Avec égards, cette thèse présuppose une approche en matière de droit des relations collectives qui écarte, pour le Québec, la jurisprudence de notre Cour et va à l’inverse de celle adoptée dans Parry Sound. Suivant cet arrêt, la convention collective sert de canevas auquel les normes impératives sont incorporées. De plus, je ne crois pas que cette solution s’impose, comme le dit le juge LeBel, puisque par le mécanisme de l’incorporation des normes impératives compatibles et le recours aux conditions implicites, le régime collectif forme un ensemble juridique cohérent. Au surplus, comme je l’expliquerai plus tard, l’approche préconisée par le professeur Morin et reprise par mon collègue a été proposée avant l’adoption du C.c.Q., mais elle n’a pas été retenue.
30 Tout ce qui est inscrit au C.c.Q. n’est donc pas incorporé implicitement dans la convention collective — seulement ce qui est compatible. En l’espèce, il s’agit de déterminer s’il y a compatibilité ou non.
31 Pour trouver le fil conducteur, il faut, comme dans McLeod, relier la compétence de l’arbitre à une condition de travail explicitement énoncée dans la convention collective ou implicitement incorporée à celle-ci. L’arbitre a compétence sur tous les différends que le contexte factuel permet de rattacher à la convention collective. Il tranche ces différends en ayant recours aux règles conventionnelles explicites ou implicites. L’incorporation à la convention collective ne peut cependant pas être faite lorsque, comme dans McGavin, Hémond et Noël, la règle invoquée est incompatible avec une telle incorporation, ce qui, à mon avis, est le cas ici.
3.4 Incompatibilité de l’indemnité de l’art. 2091 du Code civil avec le régime collectif
32 Les règles régissant les rapports collectifs de travail constituent un ensemble, dont les principes directeurs se distinguent des règles qui servent d’assises au contrat individuel de travail en droit civil québécois. La nature même du délai de congé met en évidence l’incompatibilité de celui‑ci avec un contexte conventionnel collectif. Le délai de congé est essentiellement convenu de façon individuelle lors de la cessation d’emploi, alors que les conditions de travail collectives sont nécessairement convenues d’avance par le syndicat et l’employeur. De plus, la façon dont les deux régimes traitent la cessation d’emploi fait aussi voir le fossé qui les sépare. Le droit au délai de congé est la contrepartie du droit de l’employeur de congédier un employé lié par un contrat individuel. Ce droit est antinomique dans un contexte de régime collectif. Par ailleurs, l’historique législatif apporte un motif additionnel confirmant que les tribunaux ne devraient pas imposer leur vision là où le législateur a choisi de ne pas imposer la règle de l’art. 2091 C.c.Q. au régime collectif.
3.4.1 Entente individuelle sur le délai de congé et négociation collective des conditions de travail
33 Alors que le droit commun des contrats au Québec demeure marqué par le consensualisme qui le caractérisait à l’origine, le droit relatif aux rapports collectifs de travail l’interdit en ce qui a trait aux conditions de travail (sauf, évidemment, le cas où la convention autoriserait les ententes particulières).
34 Le contrat civiliste est formé par l’échange de consentement (art. 1385 C.c.Q.) exprimé par l’acceptation d’une offre (art. 1386 C.c.Q.) qui comporte tous les éléments essentiels du contrat projeté (art. 1388 C.c.Q.). Le contrat ne peut être modifié qu’avec l’accord des parties (art. 1439 C.c.Q.). Le texte de l’art. 2085 C.c.Q., qui traite spécifiquement du contrat de travail, reprend les mêmes notions :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.
Selon le texte même de cet article, l’entente sur les conditions de travail est un élément essentiel à la conclusion du contrat de travail. On ne saurait prétendre à l’existence d’un contrat de travail en l’absence d’entente sur la rémunération. Cet élément touche à l’essence même du contrat.
35 De même, le délai de congé constitue lui aussi indéniablement une condition de travail. À une époque où l’emploi est considéré comme une source de valorisation personnelle, la suspension de l’emploi ou sa cessation constituent des aspects importants des conditions de travail. Tout comme les modalités du congédiement disciplinaire, les conditions du congédiement administratif ou discrétionnaire comportent un lien certain avec le contrat de travail.
36 Le droit au préavis édicté à l’art. 2091 C.c.Q. est un droit personnel dont la détermination dépend des circonstances individuelles de l’employé qui le réclame. Comme l’énonçait le juge Baudouin dans l’affaire Standard Broadcasting Corp. c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.) :
Ce qui constitue un délai‑congé raisonnable, dans l’hypothèse d’un contrat à durée indéterminée, est essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce, à partir d’un certain nombre de paramètres connus : nature et importance de la fonction; abandon d’un autre emploi pour l’acquérir; âge, nombre d’années de service et expérience de l’employé; facilité ou difficulté de se retrouver une occupation identique ou similaire; recherche subséquente d’un travail; existence ou inexistence de motifs sérieux au congédiement. [Renvoi omis; p. 1758.]
37 Non seulement le délai de congé doit-il être déterminé de façon individuelle, mais l’employé ne peut en convenir à l’avance. En effet, en raison de la règle impérative de l’art. 2092 C.c.Q., le délai de congé doit être évalué au moment où il prend effet, soit à la fin de l’emploi (voir Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499, p. 530-531).
38 Par ailleurs, dans un régime collectif, les conditions de travail ne sont pas négociées par l’employeur et l’employé individuellement. Trois décisions de notre Cour, McGavin, Hémond et Noël, précisent la règle selon laquelle « [l]’existence de l’accréditation, et ensuite de la convention collective, prive l’employeur du droit de négocier directement avec ses employés » et « de négocier des conditions de travail différentes avec les salariés individuels » (Noël, par. 42). Cette interdiction, et son corollaire, l’exclusivité de la représentation syndicale, ont pour objectif d’améliorer l’équilibre du rapport de force entre l’employeur et l’employé. Les conditions de travail collectives sont même négociées pour les futurs employés. L’effet relatif des contrats, un des pivots du contrat en droit civil, est écarté par le rôle accordé au syndicat. Dans le régime collectif, l’employé accepte de travailler selon les conditions négociées par le syndicat qui n’est pas son mandataire, mais qui est désigné par la loi pour négocier les conditions de travail.
39 Outre les normes minimales édictées par la L.n.t., la durée du délai de congé est donc une matière qui doit être déterminée dans le cadre des négociations entre le syndicat et l’employeur. Comme l’affirme N. R. McLeod :
[traduction] Même si, souvent dans le passé, les parties à une négociation collective n’ont pas précisé les droits applicables en cas de cessation d’emploi ou s’en sont remises aux normes minimales établies par la loi, applicables à tous les salariés, syndiqués ou non, l’omission de prévoir expressément l’indemnité de cessation d’emploi ne change rien au fait que cette question relève bel et bien de la négociation collective. L’absence d’une disposition de la convention collective sur le droit à une indemnité de cessation d’emploi n’assujettit pas ce droit à des principes de droit commun étrangers à la convention collective.
(« Severance Pay at Arbitration : A Union Viewpoint », dans W. Kaplan et autres, dir., Labour Arbitration Yearbook 1998 (1998), 269, p. 274)
40 Le fait que les parties aient omis de stipuler dans la convention collective les conséquences de la fermeture de l’entreprise n’a pas pour effet de rendre applicable le droit commun en matière de contrats individuels de travail :
[traduction] La théorie voulant que, suivant le droit commun — le droit supplétif — , l’employé ait droit à une indemnité en cas de cessation d’emploi ne peut être conciliée avec le principe que la cessation d’emploi est un sujet relevant à juste titre de la négociation collective. Les conseils des relations de travail ont interdit aux employeurs d’adopter unilatéralement des programmes d’indemnisation des employés licenciés. Ils ont fait valoir que les conditions associées à la cessation d’emploi sont des conditions de travail fondamentales et que leur négociation ressortit exclusivement au syndicat. En outre, permettre à l’employeur d’agir unilatéralement dans ce domaine diminuerait injustement l’efficacité du syndicat et minerait son rôle d’agent négociateur. . . [p. 274]
41 Les modalités de cessation d’emploi appartiennent donc au champ naturel des négociations syndicat-employeur sur les conditions de travail. En fait, l’arrêt McGavin illustre la face cachée du débat qui nous occupe. Dans cette affaire, c’est justement l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective que les employés réclamaient et que l’employeur refusait de payer, prétendant que la répudiation de la convention collective mettait fin aux droits des employés. Cet arrêt fait voir que les modalités de cessation d’emploi font valablement partie des conditions de travail incluses dans la convention collective qui, par définition, est convenue pour tous les employés, et ce, avant la cessation d’emploi. Il s’agit d’un cas clair où le régime collectif supplante le contrat individuel de travail.
42 En résumé, le délai de congé de l’art. 2091 C.c.Q. ne saurait être incorporé dans une convention collective. En effet, il s’agit d’une condition de travail déterminée sur une base individuelle, qui ne peut pas être négociée à l’avance ni négociée par un tiers puis imposée à l’employé.
43 Les intimés voudraient voir dans la disposition préliminaire du C.c.Q. une indication que celui-ci s’impose dans toute relation de travail. La disposition préliminaire est ainsi rédigée :
Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.
44 L’argument n’est à mon avis pas convaincant. Pour que le C.c.Q. ait préséance, il faut d’abord être en présence d’une matière à laquelle la lettre, l’esprit ou l’objet des dispositions de celui-ci se rapportent. J’estime que l’argument fondé sur la disposition préliminaire du C.c.Q. repose sur un raisonnement circulaire.
45 Les réclamations déposées dans les dossiers Fillion et Garon illustrent d’ailleurs la contradiction interne entre un préavis individualisé selon les caractéristiques particulières de l’individu et son expérience d’emploi d’une part, et le contexte des relations collectives d’autre part. En effet, les réclamations déposées par les syndicats ne respectent pas la nature individuelle du droit énoncé à l’art. 2091 C.c.Q. Les syndicats ne demandent pas à l’arbitre d’établir ou d’évaluer, pour chacun des employés, le délai de congé approprié compte tenu de leurs circonstances personnelles. Les syndicats demandent plutôt, pour tous et chacun, sans égard à leur situation individuelle, quatre semaines de préavis par année de service. Selon le C.c.Q., la demande devrait être présentée par les employés eux-mêmes et devrait faire primer les caractéristiques propres à chaque employé. La réclamation des syndicats trahit l’esprit de l’art. 2091 C.c.Q.
46 Par ailleurs, imposer l’obligation de déterminer sur une base individuelle un préavis raisonnable au sens de l’art. 2091 C.c.Q. trahirait tout autant l’esprit du régime des rapports collectifs de travail. Certains vont même jusqu’à affirmer que le fait pour l’employeur d’offrir des conditions de travail différentes et individualisées à ses salariés en l’absence de négociations avec le syndicat constituerait une pratique déloyale de travail : voir McLeod, p. 270.
47 La mise en parallèle de la règle voulant que toutes les conditions de travail soient négociées par le syndicat et l’employeur avec celle voulant que l’avis de congé demeure essentiellement individuel et ne puisse faire l’objet d’une renonciation de la part de l’employé fait voir l’incompatibilité des deux régimes. L’aspect consensuel du délai de congé, la nature individuelle de celui-ci et le moment de la détermination de son caractère suffisant, soit après la cessation d’emploi, sont trois éléments essentiels de la règle du C.c.Q. qui font ressortir l’incompatibilité du délai de congé avec le régime collectif. Dans un tel régime, la condition de travail est négociée avec le syndicat, pas avec l’employé, elle est négociée pour tous les employés, ou par catégories, mais non de façon individuelle, et elle est convenue lors de la conclusion de la convention collective et non lors de la cessation d’emploi. Mais il y a plus.
3.4.2 Approches opposées concernant la continuité d’emploi
48 L’approche adoptée à l’égard de la continuité de la relation de travail constitue une autre différence fondamentale entre le droit régissant les relations individuelles de travail et celui régissant les relations collectives. Le second cherche à assurer la continuité du lien d’emploi, objectif que ne poursuit pas le C.c.Q.
49 Le maintien en poste est l’ordonnance normalement prononcée par les arbitres lorsque la viabilité de la relation employeur-employé n’est pas minée : Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727, 2004 CSC 28, par. 56. De plus, en cas de licenciement ou de mise à pied prolongée, l’accréditation n’est pas révoquée et la convention collective n’est pas terminée. Ainsi les employés mis à pied peuvent se prévaloir des droits résiduels que peut leur reconnaître la convention collective, par exemple le droit de rappel; de même, les employés licenciés peuvent, à l’occasion de l’aliénation ou de la concession de l’entreprise pour laquelle ils travaillaient, jouir de la protection offerte par l’art. 45 C.t. en raison de la survie de l’accréditation et de la convention collective.
50 L’approche est tout autre dans le cas de la cessation du contrat individuel de travail. Comme le dit l’auteur P. Verge :
Non seulement [le Code civil] ne privilégie-t-il pas ainsi le rapport de durée indéterminée, mais, dans un esprit tout à fait libéral, il maintient la faculté pour l’employeur (et de façon formellement — mais non réellement — identique, pour le salarié) de mettre fin au contrat à durée indéterminée en donnant au salarié un délai de congé raisonnable (art. 2091), sous réserve, selon les principes généraux, de l’abus de droit.
(« Le contrat de travail selon le Code civil du Québec : pertinence ou impertinence? », p. 245)
51 Le droit des employés de réclamer un délai de congé raisonnable en vertu du C.c.Q. est la contrepartie du droit de l’employeur de mettre fin au lien d’emploi en payant le préavis, sans devoir fournir de cause juste et suffisante. Cette possibilité de résilier le contrat de travail au moyen d’un préavis et sans avoir à donner de motifs ressort a contrario de l’art. 2094 C.c.Q. :
2094. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.
52 Les articles 2091 et 2094 C.c.Q. consacrent législativement la faculté de l’employeur de résilier unilatéralement le contrat de travail; ils permettent de rompre définitivement le lien d’emploi et écartent l’obligation de réintégrer : M.-F. Bich, « Contrat de travail et Code civil du Québec — Rétrospective, perspectives et expectatives », dans Développements récents en droit du travail (1996), 189, p. 284.
53 Puisque, en matière de rapports collectifs de travail, l’employeur est limité dans son droit de congédier et que, au contraire, la réintégration est la réparation la plus courante, il s’ensuit que le droit de l’employé à un préavis raisonnable est inapplicable dans ces circonstances. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui guide les autres provinces canadiennes où le salarié régi par une convention collective ne peut réclamer une indemnité fondée sur le droit à un préavis raisonnable selon la common law : Graphic Communications Union Local 255-C c. Quebecor Jasper Printing Ltd. (2002), 333 A.R. 204, 2002 ABQB 959, par. 14 et 16.
54 Compte tenu des différences fondamentales entre le droit commun des contrats et le droit régissant les relations collectives de travail, et afin de maintenir la cohérence des différents régimes de droit du travail, il faut se garder d’appliquer au régime des rapports collectifs de travail des dispositions du C.c.Q. qui sont incompatibles avec lui. Les articles 2091 et 2092 C.c.Q. sont des exemples de règles incompatibles avec le régime collectif.
55 L’historique législatif de l’art. 2091 C.c.Q. permet aussi de conclure que le législateur n’a pas voulu intégrer au régime collectif le délai de congé prévu à cette disposition.
3.4.3 Historique législatif de l’art. 2091 C.c.Q.
56 L’article 2091 C.c.Q. codifie une jurisprudence qui s’est développée sous le Code civil du Bas Canada (« C.c.B.C. »). L’ancêtre de l’art. 2091, l’art. 1668 C.c.B.C., ne prévoyait de délai de congé que pour certaines catégories d’employés — les domestiques, les journaliers, etc. Le délai variait en fonction de la période de service. Pour combler les lacunes du Code à l’égard des autres catégories d’employés, les tribunaux québécois avaient élaboré la règle suivant laquelle l’une ou l’autre des parties à un contrat de travail à durée indéterminée pouvait y mettre fin en tout temps en donnant à l’autre un préavis raisonnable : Asbestos Corp. c. Cook, [1933] R.C.S. 86. Le nouveau Code civil codifie cette règle à l’art. 2091, et n’en modifie pas la substance : Commentaires du ministre de la Justice — Le Code civil du Québec : Un mouvement de société (1993), t. II, p. 1315.
57 Si le législateur avait voulu que le délai de congé s’applique au régime collectif, il lui aurait été facile de donner suite à certaines recommandations faites avant l’adoption du C.c.Q. Une des propositions voulait que le C.c.Q. agisse comme cadre général à toutes les relations de travail, individuelles ou collectives. L’avant-projet de loi déposé en 1987, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations, comportait la proposition suivante :
2157. Le contrat de travail peut être complété par des décrets, ordonnances, règlements ou conventions collectives.
58 Cette proposition a été critiquée en raison du fait que la convention collective ne représente pas un complément du contrat de travail. La convention collective « est la source de l’entier régime de travail conventionnel du salarié » : P. Verge, « Faut-il “nommer” le contrat de travail? » (1988), 29 C. de D. 977, p. 981. Le texte de l’art. 2091 C.c.Q. ne reprend pas cette notion englobante de contrat de travail. Au contraire, l’esprit du nouvel article est incompatible avec le régime collectif. La protection additionnelle accordée par l’art. 2092 C.c.Q. et la notion d’ordre public qui y est incorporée font voir que la disposition est destinée à protéger l’employé qui est dans une situation d’infériorité en matière de négociations.
59 Dire d’un salarié qu’il est isolé ou vulnérable alors qu’il est représenté par un syndicat serait faire affront au syndicalisme. Il appert plutôt que le législateur québécois a choisi d’écarter la superposition proposée dans le projet de Code civil parce qu’il était généralement conscient de la réalité québécoise et plus particulièrement des critiques formulées lors de la présentation du projet de 1987.
60 Je crois pertinent de préciser que la protection des art. 2091 et 2092 C.c.Q. ne paraît pas relever de l’ordre public de direction, comme semble l’indiquer le juge LeBel. À mon avis, cette protection s’inscrit dans le sens de celle qu’a étudiée la Cour dans Garcia Transport. La distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection est pertinente pour déterminer la sanction. Une clause contrevenant à l’ordre public de direction est nulle de nullité absolue (art. 1417 C.c.Q.) et n’est pas susceptible de confirmation (art. 1418 C.c.Q.). Comme cette question ne se pose pas directement ici, il n’est pas nécessaire de l’étudier en profondeur. Je me contenterai simplement de signaler que la protection vise davantage à protéger le travailleur vulnérable et à rétablir l’équité contractuelle qu’à protéger l’intérêt collectif (sur la distinction entre ordre public de direction et ordre public de protection : J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (6e éd. 2005), par. 146-147). De plus, la partie vulnérable est suffisamment protégée par les règles se rattachant à l’ordre public de protection, puisque cette partie ne peut renoncer à son droit avant qu’il ne soit cristallisé : Garcia Transport. Par ailleurs, conclure qu’il s’agit de dispositions d’ordre public de direction ferait en sorte que les parties ne pourraient pas négocier un règlement final, sa raisonnabilité demeurant toujours dans un tel cas sujette à révision par un juge.
61 Ceci dit, les règles régissant les rapports collectifs demeurent distinctes de celles applicables au contrat individuel. Les dispositions du C.c.Q. ne s’appliquent qu’en l’absence d’incompatibilité. S’il n’y a pas incompatibilité et que la disposition peut être considérée comme implicitement incluse dans la convention collective, l’arbitre aura compétence pour trancher les différends s’y rapportant. Le législateur québécois a énoncé les normes d’application générale dans la L.n.t. qui, elle, régit explicitement les deux régimes : par. 1(4) et art. 93 L.n.t. Si le législateur avait voulu, lors de la réforme, donner une telle portée aux dispositions du C.c.Q. applicables au contrat de travail, il aurait conservé la formulation critiquée ou aurait à tout le moins été aussi explicite que dans la L.n.t. Une occasion s’est d’ailleurs présentée lors de la modification de la L.n.t., L.Q. 2002, ch. 80, art. 49, par l’ajout de la section « L’avis de licenciement collectif ». Si le législateur avait voulu faire prévaloir l’avis individualisé en cas de licenciement collectif, il l’aurait alors précisé et n’aurait pas édicté une norme collective. Dans les cas où le législateur s’est abstenu d’imposer une fusion des deux régimes, j’estime qu’il n’appartient pas à notre Cour de le faire.
4. Conclusion
62 L’harmonisation des règles du droit commun avec celles du régime collectif demeure un impératif auquel les intérêts individuels doivent se plier. Tous s’accordent sur cette nécessité. Même un partisan de la prééminence du contrat individuel de travail dans le contexte d’un régime collectif insiste sur ce point :
L’harmonisation de l’ensemble de ces règles de droit, celles du C.c.Q. et celles des lois de l’emploi et les actes qui s’en autorisent, suppose une attention particulière accordée à leur finalité respective et à leur fonction relative au sein du corpus du droit de l’emploi. On ne saurait valablement adapter une loi de l’emploi sans avoir préalablement considéré les implications de ces changements sur l’ensemble du droit de l’emploi.
(F. Morin, « Le contrat de travail : fiction et réalité! », dans Développements récents en droit du travail (2005), 179, p. 186)
63 La présente affaire démontre bien qu’il n’y a pas lieu d’écarter tout lien avec le droit civil. Les faits de l’espèce illustrent cependant la nécessité de rechercher les éléments qui permettent de conclure qu’une disposition donnée du C.c.Q. peut être incorporée à la convention collective. L’analyse doit être suffisamment poussée pour mettre en évidence les désavantages susceptibles de résulter, à long terme, d’un emprunt indésirable. Seul ce souci de préserver la cohérence interne des deux régimes assurera leur fonctionnement harmonieux. Même si, dans des cas particuliers, les dispositions du C.c.Q. sur le délai de congé pouvaient s’avérer plus avantageuses que celles de la L.n.t., toutes les dispositions du C.c.Q. ne peuvent pas être incorporées implicitement à la convention collective. En l’absence d’une telle incorporation, l’arbitre n’a pas compétence pour entendre les griefs.
64 Pour ces motifs, je suis d’avis d’infirmer les arrêts de la Cour d’appel, de rétablir le jugement de la Cour supérieure dans le dossier Fillion, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure dans le dossier Garon et d’accueillir les requêtes demandant d’annuler les décisions arbitrales, le tout avec dépens devant toutes les cours.
Les motifs de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel et Fish ont été rendus par
Le juge LeBel (dissident) —
I. Introduction
A. Nature du litige
65 Ce pourvoi porte sur une demande en révision judiciaire de deux décisions arbitrales. Notre Cour doit déterminer si l’arbitre de griefs a compétence pour entendre une réclamation d’indemnité de licenciement en vertu de l’art. 2091 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), à la suite de la fermeture d’une entreprise et de la mise à pied de son personnel, en l’absence d’un renvoi exprès à cet égard dans les conventions collectives applicables en l’espèce. En toute déférence, je reconnaîtrais la compétence des arbitres et je confirmerais les arrêts de la Cour d’appel du Québec qui ont conclu en ce sens.
B. Origine du litige
1. Isidore Garon ltée
66 L’appelante, Isidore Garon ltée (« Garon »), exploitait depuis plusieurs années un commerce de quincaillerie spécialisé dans la vente de matériaux de construction. Elle avait signé avec l’intimé, le Syndicat du bois ouvré de la région de Québec inc., une convention collective expirant le 30 juin 2000.
67 Or, le 15 avril 1999, l’appelante a annoncé à ses salariés que son entreprise fermerait ses portes pour des raisons économiques le 19 juin 1999 et leur a remis un préavis de cessation d’emploi de neuf semaines (pièce R-2). Elle se conformait ainsi à la clause 8.02c) de la convention collective, qui prévoyait l’application de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N-1.1 (« L.n.t. »), art. 82, en cas de mise à pied de six mois consécutifs et plus.
68 Le 28 avril 1999, le syndicat intimé a déposé un grief collectif (pièce R-4) fondé sur la convention collective, au nom des 12 salariés congédiés, réclamant une indemnité additionnelle en vertu de l’art. 2091 C.c.Q. Cette disposition accorde aux parties à un contrat de travail à durée indéterminée le droit de le résilier unilatéralement, à la condition de donner un délai de congé raisonnable :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
69 Le 3 mai 1999, l’appelante a répondu qu’elle ne donnerait pas suite à ce grief. Puis, son entreprise a fermé ses portes, comme prévu, le 19 juin 1999.
2. Fillion et Frères inc.
70 L’appelante, Fillion et Frères (1976) inc. (« Fillion et Frères »), exploitait une concession de vente et de réparation de véhicules automobiles neufs et usagés dans la région de Québec. Elle était liée avec l’intimé, le Syndicat national des employés de garage du Québec inc., par une convention collective expirant le 2 novembre 1997.
71 Le 20 novembre 1997, Fillion et Frères a résilié sa convention de vente et de service avec le constructeur Ford. Quelques jours plus tard, soit le 24 novembre 1997, l’appelante a avisé ses salariés que l’entreprise cesserait graduellement ses activités et fermerait définitivement ses portes le 16 janvier 1998. Elle leur a remis un préavis de cessation d’emploi le même jour. Un premier groupe de salariés, composé de Daniel Giroux, Jocelyn Trépanier et Roger Nadeau, serait mis à pied le 19 décembre 1997. Le second groupe, composé de Stéphane Giroux, Jean-François Fillion, Roger Laplante, Denys Fillion et Denis Buteau, subirait le même sort le 16 janvier 1998 (pièce S-10).
72 Le 3 décembre 1997, le syndicat intimé a été informé que l’entreprise avait résilié sa convention de vente et de service avec Ford et que les salariés avaient reçu leur préavis de cessation d’emploi conformément à l’art. 82 L.n.t. (pièce S-11). Le 16 janvier 1998, l’entreprise a bel et bien cessé toutes ses opérations. Le même jour, le syndicat intimé a déposé un grief collectif (pièce S-2) basé sur la convention collective, au nom des huit salariés congédiés, réclamant une indemnité additionnelle en vertu de l’art. 2091 C.c.Q. Tous les salariés visés par le grief collectif, sauf Denys Fillion, déposèrent ensuite des griefs individuels (pièces S-3 à S-9).
C. Historique judiciaire
1. Isidore Garon ltée
a. Arbitrage de griefs
73 Les parties ont désigné Me Jean-Pierre Tremblay comme arbitre. Dès le début de l’arbitrage, l’appelante Garon a soulevé une objection préliminaire, plaidant que l’arbitre n’avait pas compétence pour décider du grief puisque la réclamation était fondée uniquement sur le C.c.Q. et qu’elle ne découlait ni expressément, ni implicitement de la convention collective. Elle a ajouté que les règles relatives au contrat individuel de travail édictées par le C.c.Q. ne pouvaient être incorporées à la convention collective. Elles étaient inapplicables dans un contexte où une convention collective était en vigueur.
74 Dans sa décision du 31 octobre 2000, l’arbitre a rejeté l’objection patronale et a reconnu qu’il avait compétence pour trancher le grief ([2001] R.J.D.T. 304). Selon lui, le grief est fondé sur la convention collective, qui prévoit que le délai de congé applicable est celui fixé à l’art. 82 L.n.t. Par conséquent, l’appréciation du caractère raisonnable de ce délai selon les art. 2091 et suiv. C.c.Q. relève de la compétence exclusive de l’arbitre. Il estime que la clause 10.09 de la convention collective et l’al. 100.12a) du Code du travail, L.R.Q., ch. C-27 (« C.t. »), lui accordent une large compétence, qui l’autorise accessoirement à interpréter et à appliquer les dispositions du C.c.Q. Enfin, il ajoute que les art. 2091 et suiv. C.c.Q. sont d’ordre public et qu’il doit les appliquer suivant l’art. 62 C.t. L’arbitre n’a cependant pas encore décidé si les salariés avaient droit à une indemnité dans les circonstances de l’affaire.
b. Révision judiciaire devant la Cour supérieure
75 Le 6 décembre 2000, l’appelante a déposé une requête en révision judiciaire de la décision arbitrale. Le 6 février 2001, le juge Martin a rejeté cette requête et a confirmé que l’arbitre avait compétence puisque l’al. 100.12a) C.t. prévoit que l’arbitre peut recourir à une loi d’application générale pour décider d’un grief fondé sur la convention collective (D.T.E. 2001T-220).
2. Fillion et Frères inc.
a. Arbitrage de griefs
76 Le 22 février 2000, l’appelante Fillion et Frères a annoncé qu’elle désirait soulever deux objections préliminaires devant l’arbitre quant à la recevabilité des griefs. En premier lieu, elle prétendait que l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre les griefs puisque aucune disposition de la convention collective ne s’appliquait, explicitement ou implicitement, au présent litige. En second lieu, selon ses prétentions, les griefs étaient prescrits parce qu’ils avaient été déposés plus de 15 jours ouvrables après la décision de l’employeur.
77 Dans sa décision du 25 août 2000, l’arbitre, Me Denis Tremblay, affirme que les arrêts récents de notre Cour ont étendu la compétence des arbitres à un point tel que, dorénavant, tout ce qui découle en fait de la relation employeur-employé relève de l’arbitre de griefs, sans égard au fondement légal de la réclamation. En raison du silence de la convention collective en matière de délai de congé, l’arbitre conclut que l’art. 82 L.n.t. a été appliqué à bon droit, mais que son rôle supplétif ne peut priver les parties d’une réclamation en vertu des art. 2091 et 2092 C.c.Q. Il estime que ces dispositions du C.c.Q. doivent être considérées comme incorporées à la convention collective compte tenu de leur caractère d’ordre public. À son avis, l’arbitre conserve alors une compétence inhérente pour les interpréter et les appliquer comme si elles en faisaient partie intégrante. Dans ce contexte, il est d’avis qu’une clause de rattachement à la convention collective n’est pas nécessaire. Quant à la prescription, il conclut, d’après son interprétation de la clause 6.02 de la convention collective, que le délai commençait à courir le jour de la fermeture de l’entreprise et non au moment où l’employeur en informa les salariés. L’arbitre n’a toutefois pas encore statué sur le fond des griefs.
b. Révision judiciaire devant la Cour supérieure
78 L’appelante Fillion et Frères a déposé une requête en révision judiciaire de cette décision uniquement quant à la compétence de l’arbitre de griefs. Le 9 mars 2001, le juge Alain a accueilli cette requête et a conclu que l’arbitre n’avait pas compétence ([2001] R.J.Q. 700). En l’espèce, d’après le premier juge, le différend ne découle pas de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution de la convention collective en raison du silence de cette dernière en matière de délai de congé. Ainsi, l’obligation de l’employeur se limitait à ce que prévoyaient les dispositions d’ordre public de la L.n.t. En conséquence, il n’y avait pas matière à grief.
3. Cour d’appel du Québec
79 La Cour d’appel a entendu les deux pourvois en même temps et a prononcé ses arrêts le 9 décembre 2003. Elle estime que, pour qu’un différend soit arbitrable, son essence doit relever de la compétence de l’arbitre de griefs. Toutefois, elle est d’avis que ce principe n’exige pas que seule une disposition expresse de la convention collective puisse être soumise au pouvoir d’application et d’interprétation de l’arbitre.
80 En raison du caractère d’ordre public des art. 2091 et 2092 C.c.Q., la Cour d’appel conclut qu’ils sont implicitement incorporés aux conventions collectives en vertu de l’art. 62 C.t. Par conséquent, elle déclare que les arbitres avaient compétence pour entendre et trancher les griefs en cause. Elle rejette donc l’appel de Garon ([2004] R.J.Q. 58) et accueille celui du syndicat dans le dossier Fillion et Frères ([2003] J.Q. 18474 (QL)). Dans les deux cas, elle ordonne de renvoyer les dossiers devant leur arbitre respectif afin qu’il se prononce au fond.
4. Pourvoi devant la Cour
81 Le 6 mai 2004, les appelantes ont obtenu l’autorisation d’interjeter appel des jugements de la Cour d’appel du Québec devant notre Cour ([2004] 1 R.C.S. viii et x).
II. Analyse
A. La question en litige
82 Le présent pourvoi vise à déterminer l’étendue de la compétence de l’arbitre de griefs à l’égard de la mise en application de l’art. 2091 C.c.Q. lorsqu’une convention collective est en vigueur à la suite d’une accréditation en vertu du C.t. Pour ce faire, nous devons examiner la nature des rapports entre la convention collective et la relation individuelle de travail dans un régime de rapports collectifs de travail pour déterminer si l’arbitre peut statuer sur l’application de l’art. 2091 C.c.Q. En d’autres termes, le caractère collectif des rapports établis par la convention collective exclut-il les droits individuels accordés en vertu de l’art. 2091 C.c.Q. du contenu implicite de cette convention et, partant, de la compétence de l’arbitre de griefs?
B. Positions des parties
1. Employeurs
a. Isidore Garon ltée
83 Plaidant l’application du principe jurisprudentiel selon lequel le droit commun du contrat individuel de travail ne s’applique plus lorsque les relations employeur-employé sont régies par une convention collective, l’appelante Garon soutient que les art. 2091 et 2092 C.c.Q. ne peuvent s’appliquer ou servir de fondement au grief collectif. Elle prétend que la mise en place du régime des rapports collectifs du travail écarte les règles de droit commun propres aux contrats individuels de travail dans la mesure où elles portent atteinte à ce régime ou sont incompatibles avec celui-ci. En l’espèce, l’appelante estime que les art. 2091 et 2092 C.c.Q. sont inapplicables puisque ces dispositions consacrent des droits incompatibles avec le régime instauré par le C.t. et la convention collective. Elle mentionne, par exemple, que l’art. 2091 C.c.Q. reconnaît le droit des parties de résilier unilatéralement le contrat individuel de travail, sans motif sérieux, sous réserve d’un délai de congé raisonnable tandis que les clauses 10.09(2) et 11.01 de la convention collective ainsi que l’al. 100.12f) C.t. prévoient la réintégration du salarié dans son emploi s’il a été congédié sans cause juste et suffisante.
84 L’appelante ajoute que le droit du salarié de bénéficier d’un délai de congé raisonnable est indissociable de celui de l’employeur de résilier unilatéralement le contrat de travail. La négation de l’un entraîne nécessairement celle de l’autre. Enfin, l’appelante est d’avis que les art. 2091 et 2092 C.c.Q. ne sont pas d’ordre public et qu’ils ne fixent pas des normes de travail obligatoires et ce, même si l’art. 2092 dispose que les salariés ne peuvent renoncer aux droits que leur confère l’art. 2091.
b. Fillion et Frères inc.
85 L’appelante Fillion et Frères plaide elle aussi que le droit commun applicable aux contrats individuels de travail contenu au C.c.Q. est écarté lorsque les parties sont régies par le système des rapports collectifs du travail, principalement pour cause d’incompatibilités des régimes juridiques en question. Elle estime d’ailleurs que, même en cas de silence de la convention sur un point particulier, comme dans le présent pourvoi, le droit commun demeure inapplicable.
86 Bien qu’elle reconnaisse qu’un grief puisse être arbitrable sans disposition expresse de la convention collective, l’appelante rappelle que l’essence du litige doit découler expressément ou implicitement de l’interprétation, de l’administration ou de l’exécution de la convention collective. En l’espèce, elle plaide que les griefs sont fondés uniquement sur les dispositions du C.c.Q. et qu’ils ne sont donc pas arbitrables.
87 Enfin, l’appelante argumente que la L.n.t. contient l’ensemble des normes minimales, absolues et d’ordre public dont bénéficient tous les salariés, syndiqués ou non, et qui doivent être respectées et appliquées par tous les employeurs en droit québécois (par. 1(4) et art. 93 L.n.t.). Ainsi, selon l’appelante, en choisissant d’insérer l’art. 2091 au C.c.Q. plutôt qu’à la L.n.t., le législateur a volontairement conféré le droit à un délai de congé raisonnable en cas de cessation d’emploi aux employés non syndiqués seulement.
2. Syndicats
88 Devant la Cour, les syndicats intimés ont déposé un mémoire conjoint. Ils argumentent que les art. 2091 et 2092 C.c.Q. sont d’ordre public et que, par conséquent, les clauses de la convention collective ne peuvent y déroger (art. 9 C.c.Q.; art. 62 C.t. et art. 41.4 de la Loi d’interprétation, L.R.Q., ch. I-16). L’arbitre peut donc appliquer et interpréter ces dispositions afin de s’assurer que la convention collective les respecte. Les intimés ajoutent que même en cas de silence de la convention sur le sujet, ces dispositions sont réputées y être incluses et l’employeur est tenu de les respecter dans l’exercice de son droit de gestion général, ce qui suffit pour rendre le grief arbitrable.
89 Les intimés prétendent que le contrat de travail individuel subsiste entre le salarié et l’employeur, même en présence d’une convention collective. Ainsi, les dispositions relatives aux contrats individuels de travail sont applicables aux matières non couvertes par la convention. De plus, puisque ni l’expiration de la convention collective, ni l’exercice du droit de grève ou de lock-out n’entraînent la rupture du lien d’emploi, le contrat individuel de travail reste à durée indéterminée, sous réserve d’une stipulation expresse des parties à l’effet contraire. Enfin, comme la L.n.t. ne fixe qu’une norme minimale, le salarié peut réclamer davantage en vertu de l’art. 2091 C.c.Q., si ce minimum ne représente pas un délai de congé raisonnable dans les circonstances. En effet, le droit à celui-ci a valeur de règle d’ordre public.
C. La norme de contrôle judiciaire
90 Le présent pourvoi pose la question de savoir si l’arbitre détient le pouvoir d’appliquer les art. 2091 et 2092 C.c.Q. afin de trancher les griefs. Il s’agit d’une question de droit portant sur la compétence de l’arbitre. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, comme les parties l’ont reconnu devant notre Cour (voir Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42, par. 21‑22 et 83, et Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 49).
D. Le cadre législatif
91 Le droit du travail est régi par de nombreuses règles de droit, provenant de différentes sources, qui peuvent être classifiées en fonction de leur rôle. Les unes traitent des rapports collectifs de travail et permettent l’élaboration des conditions de travail par la négociation collective. D’autres visent les rapports individuels de travail, soit les relations particulières entre le travailleur et l’employeur. Enfin, certaines encore garantissent des conditions de travail minimales.
92 Il importe d’abord de dégager les nombreuses règles formant le cadre législatif applicable à la situation juridique des parties afin d’harmoniser l’application de ces normes, en déterminant de quelle manière elles interagissent pour préserver la cohérence du régime de droit du travail du Québec. Cet exposé portera donc uniquement sur les règles mises en cause par le présent pourvoi.
1. Les rapports collectifs
93 Dans les secteurs d’activité relevant de la compétence constitutionnelle de l’Assemblée nationale du Québec, les rapports collectifs de travail sont principalement régis par le C.t. Celui-ci contient, entre autres, les règles de droit gouvernant l’aménagement des conditions de travail par la voie de la négociation collective et assurant l’application des conventions collectives qui en résultent. Le champ d’application du C.t. est cependant limité par les définitions d’« employeur » et de « salarié » contenues aux al. 1k) et l) C.t.
94 Le C.c.Q. et plusieurs lois particulières, notamment la L.n.t., peuvent influencer le contenu et le résultat de la négociation collective. L’application de ces règles de droit, qui concernent souvent les rapports individuels de travail, peut cependant varier selon le contexte d’un régime collectif de travail. Nous reviendrons sur ce problème lorsque nous traiterons des effets de la convention collective sur les rapports individuels du travail.
a. L’accréditation
95 L’accréditation, maintenant accordée par la Commission des relations du travail, habilite une association de salariés (al. 1a) C.t.) à représenter un groupe de salariés, l’unité de négociation appropriée, pour l’établissement d’un régime collectif de travail. L’octroi de l’accréditation dépend ultimement du caractère représentatif du syndicat, qui doit disposer de l’appui de la majorité des salariés composant l’unité de négociation (art. 21 et 32 C.t.).
96 L’accréditation confère au syndicat l’exclusivité de la fonction de représentation. Celui-ci devient ainsi le seul interlocuteur habilité à représenter tous les salariés, actuels et futurs, compris dans l’unité de négociation pour une période indéterminée (art. 22, 41 et 43 C.t.). Le caractère exclusif de la représentation syndicale fonde également d’autres droits du syndicat, notamment celui de se voir remettre les cotisations syndicales que doit prélever l’employeur (art. 47 C.t.).
97 En contrepartie, le syndicat assume une obligation de juste représentation, c’est-à-dire qu’il « ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’[il] représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non » (art. 47.2 C.t.). Cette obligation s’impose à l’égard de l’ensemble des activités de représentation collective, que ce soit au moment de la négociation ou au cours de l’application d’une convention collective (voir Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, et Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39).
b. La convention collective
98 Le C.t. définit la « convention collective » comme « une entente écrite relative aux conditions de travail conclue entre une ou plusieurs associations accréditées et un ou plusieurs employeurs ou associations d’employeurs » (al. 1d) C.t.). Elle constitue la « loi des parties », en tant que source essentielle des normes substantielles régissant les relations des parties. Elle lie l’ensemble des salariés, actuels et futurs, visés par l’accréditation pour sa durée déterminée de manière conventionnelle ou légale (art. 65, 66 et 67, al. 1 C.t.).
99 La notion de conditions de travail est très large et vise autant l’embauche, l’exécution du travail et la contrepartie de celle-ci, que la terminaison de l’emploi ou les droits syndicaux. L’article 62 C.t. apporte toutefois une limite à la liberté de négociation des parties en frappant de nullité les dispositions de la convention collective contraires à l’ordre public ou prohibées par la loi. Nous donnerons plus de précisions sur la nature, les effets et le contenu de la convention collective dans les sections qui suivent.
100 La conclusion de la convention collective entraîne la suspension temporaire du droit de grève et de lock-out (art. 58, 107 et 109 C.t.), pour assurer la stabilité des rapports entre les parties pour la durée de la convention. Ainsi, ni le syndicat, ni l’employeur ne peuvent unilatéralement modifier les conditions de travail des salariés compris dans l’unité de négociation avant l’expiration de la convention collective et l’acquisition du droit de grève et de lock-out.
c. L’arbitrage de griefs
101 L’article 100, al. 1 C.t. soumet obligatoirement les conflits relatifs à l’interprétation et à l’application des conventions collectives alors en vigueur à la procédure d’arbitrage de griefs :
100. Tout grief doit être soumis à l’arbitrage en la manière prévue dans la convention collective si elle y pourvoit et si l’association accréditée et l’employeur y donnent suite; sinon il est déféré à un arbitre choisi par l’association accréditée et l’employeur ou, à défaut d’accord, nommé par le ministre.
L’alinéa 1f) C.t. définit le « grief » comme étant « toute mésentente relative à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective ». En d’autres termes, dès que les droits réclamés découlent de la convention collective, l’arbitrage de griefs est le forum exclusif ayant la compétence requise pour assurer leur sanction, à moins qu’un règlement à l’amiable ne survienne entre les parties. Un problème difficile, qui a beaucoup occupé la jurisprudence, consiste alors à cerner les situations et les droits qui découlent de la convention collective et qui relèvent alors de la juridiction arbitrale.
102 Dans Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, la juge McLachlin, au nom de la majorité, a élaboré un test destiné à déterminer « dans quels cas une loi sur les relations du travail qui prévoit une clause d’arbitrage exécutoire empêche les employeurs et employés d’intenter une action en justice les uns contre les autres » (par. 37). La juge McLachlin a alors accepté le modèle de la compétence exclusive selon lequel « si le litige, dans son essence, relève de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution de la convention collective » (par. 52), alors « le demandeur doit avoir recours à l’arbitrage, et les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’entendre une action relativement à ce litige » (par. 50).
103 Le raisonnement suivi par la juge McLachlin dans cette affaire développait celui du juge Estey dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, où la Cour avait refusé de permettre des actions devant les tribunaux pour réclamer des dommages-intérêts découlant d’une grève illégale déclenchée par un syndicat en violation d’une convention collective. En effet, de telles actions empêcheraient la réalisation des objectifs du régime de rapports collectifs du travail établi par la législature :
La convention collective établit les grands paramètres du rapport qui existe entre l’employeur et ses employés. Ce rapport est ajusté d’une manière appropriée par l’arbitrage et, en général, ce serait bouleverser et le rapport et le régime législatif dont il découle que de conclure que les questions visées et régies par la convention collective peuvent néanmoins faire l’objet d’actions devant les tribunaux en common law. [. . .] L’attitude plus moderne consiste à considérer que les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail et que l’on porterait atteinte à l’économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d’avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n’a pas attribué ces tâches. [p. 718-719]
104 Pour déterminer si le litige découle de la convention collective, deux facteurs doivent être analysés : (1) la nature du litige et (2) le champ d’application de la convention collective. Dans l’arrêt Weber, la juge McLachlin précisa que, dans St. Anne Nackawic, la Cour avait insisté pour que « l’analyse de la question de savoir si une affaire relève de la clause d’arbitrage exclusif s’effectue non pas sur le fondement des questions juridiques qui peuvent être soulevées, mais sur le fondement des faits entourant le litige qui oppose les parties » (par. 43). Dans Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14, la Cour estima toutefois approprié de rappeler, dans des commentaires du juge Bastarache, que seuls les litiges qui résultent explicitement ou implicitement de la convention collective sont susceptibles d’être exclus de la compétence des tribunaux civils :
Bien que l[a] juge McLachlin ait adopté le modèle de la compétence exclusive, elle a souligné que l’existence d’une relation d’emploi en soi n’accorde pas à l’arbitre la compétence d’entendre et de juger un litige. Seuls les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux : voir Weber, au par. 54. [par. 24]
105 Les principes établis dans Weber furent maintes fois réaffirmés et appliqués par notre Cour (Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967; Regina Police Assn.; Parry Sound; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185, 2004 CSC 39 (« Morin »)). Dans Morin, l’opinion majoritaire de notre Cour apporte toutefois une restriction au modèle de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs, lorsqu’elle conclut à la compétence concurrente du Tribunal des droits de la personne au Québec, à l’égard des dossiers soulevant des allégations de discrimination dans la formation de la convention collective et d’invalidité de celle-ci pour un tel motif.
106 Certains auteurs ont depuis discuté l’application faite par les juges majoritaires dans Morin des principes établis dans l’arrêt Weber (voir D. Nadeau, « L’arrêt Morin et le monopole de représentation des syndicats : assises d’une fragmentation » (2004), 64 R. du B. 161). Selon ces critiques, en concluant que des salariés pouvaient contester directement la validité de certaines dispositions de la convention collective, notre Cour aurait omis de prendre en compte le test de base consistant à déterminer si un litige résulte expressément ou implicitement de la convention. Dans cette optique, la solution retenue par l’arrêt Morin se trouverait donc inconciliable avec les principes du monopole de la représentation détenu par le syndicat et de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs, que notre Cour a fréquemment reconnus (voir notamment Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. c. Compagnie Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206; McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718; Hémond c. Coopérative fédérée du Québec, [1989] 2 R.C.S. 962; et Noël). Malgré les inquiétudes qui ont été exprimées, l’arrêt Morin ne contient pourtant pas d’indication que notre Cour entendait modifier en profondeur l’approche jurisprudentielle consacrée par l’arrêt Weber.
107 La procédure et les règles de preuve de l’arbitrage de griefs sont prévues en termes très généraux aux art. 100 à 102 C.t. Sous réserve de quelques restrictions, l’arbitre reste maître de la détermination des règles applicables en matière de procédure et de preuve en vertu de l’art. 100.2, al. 1 C.t. L’article 100, al. 3 C.t. prévoit que, sauf disposition contraire, les règles concernant l’arbitrage de griefs contenues dans le C.t. prévalent sur les stipulations incompatibles de toute convention collective. L’arbitre est également soumis aux normes édictées par les chartes, aux dispositions d’ordre public du C.c.Q. et aux règles de justice naturelle.
108 L’article 100.12 C.t. énumère les pouvoirs de l’arbitre dans l’exercice de ses fonctions. Plus particulièrement, l’al. a) accorde à l’arbitre le pouvoir important et fort pertinent pour les besoins des présents pourvois d’« interpréter et [d’]appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief ». La sentence arbitrale, déclarée sans appel, lie les parties et, le cas échéant, tout salarié concerné (art. 101 C.t.). Elle est également protégée par les clauses privatives édictées aux art. 139, 139.1 et 140 C.t.
2. Les rapports individuels
109 Dans le droit commun, les règles régissant les rapports individuels de travail visent les conditions d’existence, de maintien, d’exécution et de terminaison du lien d’emploi, soit la relation entre une personne (salarié) travaillant sous la direction d’une autre (employeur). Lors de la réforme du droit civil québécois en 1994, le C.c.Q. a codifié le cadre juridique de cette relation aux art. 2085 à 2097. L’établissement de ces rapports se réalise par la formation d’un contrat de travail défini à l’art. 2085 C.c.Q. :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.
Bien sûr, ce contrat nommé est également soumis aux règles générales des contrats (art. 1377 et suiv. C.c.Q.).
110 En vertu de l’art. 9 C.c.Q., comme toute autre convention, le contrat de travail ne peut déroger aux dispositions du C.c.Q. qui sont d’ordre public. Conformément à la disposition préliminaire du C.c.Q., les différentes lois édictées en matière d’emploi précisent d’autres règles applicables qui ajoutent ou dérogent au C.c.Q. ou encore qui fixent des normes minimales à respecter. En cas de silence du contrat de travail intervenu entre les parties, les conditions de travail et les droits et obligations de l’employeur et du salarié seront donc déterminés par ces lois diverses et les règles contenues au C.c.Q.
3. Les normes minimales
111 Le libéralisme contractuel favorisé à l’origine par le droit commun accentua l’inévitable déséquilibre des forces en présence dans l’établissement des conditions de travail entre le salarié et l’employeur. Ses conséquences contraignirent le législateur à adopter de nombreuses lois édictant des seuils minimums en deçà desquels les parties ne peuvent négocier. Les normes contenues dans ces lois servent de point de départ à la négociation de conditions plus avantageuses.
112 La L.n.t., une législation d’importance primordiale en raison de son champ d’application et de sa portée sociale, représente l’une de ces lois réparatrices. La L.n.t. est issue d’une réforme que le législateur québécois avait entreprise en 1974 par la formation d’un groupe de travail dont la mission consistait à réviser la Loi sur le salaire minimum, L.R.Q., ch. S-1, qui établissait jusqu’alors un nombre important de conditions de travail obligatoires. Le résultat final de cette réforme fut la Loi sur les normes du travail, adoptée et sanctionnée en 1979. Cette loi a par la suite connu d’importantes modifications, notamment la réduction de la durée du service continu requis pour déposer une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (voir N.-A. Béliveau, Les normes du travail (2003), p. 1-6). L’article 93 L.n.t. prévoit d’ailleurs qu’il ne peut être dérogé à la loi que lorsqu’une de ses dispositions le permet. L’article 94 L.n.t. autorise toutefois les parties à un contrat de travail ou à une convention collective à négocier des conditions plus avantageuses. Ces dispositions confirment le caractère minimal et d’ordre public de ces normes légales. Ainsi, la convention collective peut accorder au salarié une condition de travail plus avantageuse que celle prévue à la loi, mais elle ne peut l’en priver, sous peine de nullité absolue.
113 Toutefois, les définitions d’« employeur » et de « salarié » dans la L.n.t., qui s’appliquent autant aux rapports collectifs qu’aux rapports individuels de travail (par. 1(7) et (10) L.n.t.), ont un champ d’application plus large que les mêmes notions, selon la définition que leur donne le C.t. En conséquence, la L.n.t. s’applique à des employés qui par ailleurs ne possèdent pas le statut de salarié au sens du C.t. et ne peuvent donc pas bénéficier du régime de représentation collective établi par celui-ci. La L.n.t. prévoit d’ailleurs l’établissement de nombreuses conditions minimales de travail dont le salaire minimum (art. 40), la durée de la semaine normale de travail (art. 52), la rémunération des heures supplémentaires (art. 55), les congés fériés, chômés et payés (art. 60) et le droit à un repos hebdomadaire (art. 78).
114 Plusieurs autres lois établissent des normes minimales, mais elles ne sont pas mises en cause dans le présent pourvoi (voir par exemple : Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., ch. A-3.001; Loi sur les décrets de convention collective, L.R.Q., ch. D-2; Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, L.R.Q., ch. E-20.1; Loi sur la fête nationale, L.R.Q., ch. F-1.1; Loi sur la fonction publique, L.R.Q., ch. F-3.1.1; et Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., ch. S‑2.1).
E. Nature et effets de la convention collective
115 L’entrée en vigueur de la convention collective, en raison de la nature de celle-ci, entraîne des effets sur le contenu des rapports juridiques qui existent entre l’employeur et ses salariés. Le présent pourvoi pose alors la question de la hiérarchisation et de la nature des droits protégés par le droit du travail et celle de la compétence arbitrale. L’interprétation de la jurisprudence de notre Cour en la matière nous amène à conclure que les droits découlant du contrat individuel d’emploi et ceux protégés par le régime collectif peuvent s’harmoniser dans le respect de la hiérarchie des règles de droit.
1. L’état de la jurisprudence
116 L’arrêt Paquet fut le premier à commenter la nature et les effets de la convention collective sur l’existence des contrats individuels de travail. Dans cette affaire, notre Cour devait déterminer si une clause de retenue obligatoire de la cotisation syndicale (formule Rand) s’appliquant à l’ensemble des salariés visés par l’unité de négociation, qu’ils soient ou non membres du syndicat, pouvait légalement être incluse dans une convention collective en tant que condition de travail (l’art. 47 C.t. prévoit désormais que l’employeur a l’obligation légale d’effectuer de telles retenues).
117 Le juge Judson, au nom de la majorité, se prononça d’abord sur le statut du syndicat lors de la négociation et de la conclusion de la convention collective. Selon lui, l’association accréditée est une partie contractante et non simplement le mandataire des salariés compris dans l’unité de négociation :
[traduction] Si la relation entre employé et syndicat était la même qu’entre mandant et mandataire, une convention collective constituerait un faisceau de contrats individuels entre employeur et employé négociés par le syndicat en tant qu’agent des employés. Selon moi, c’est une fausse interprétation de la nature de la relation juridique propre aux conventions collectives. Le syndicat s’engage par contrat non pas en tant qu’agent ou mandataire mais plutôt en tant que partie contractante indépendante et le contrat qu’il passe avec l’employeur oblige ce dernier à respecter les relations maître-employé selon ce qui a été convenu. [Je souligne; p. 214.]
118 Le juge Judson, dans Paquet, p. 212, souligna l’importance du caractère exclusif du syndicat en tant que négociateur unique des salariés contenus dans l’unité d’accréditation :
[traduction] Du fait qu’il est constitué sous le régime de la Loi des syndicats professionnels et accrédité en vertu de la Loi des relations ouvrières, le syndicat est le représentant de tous les employés de l’unité pour la négociation de la convention collective. Les négociations privées entre employeur et employé n’ont plus leur place. Il est certain qu’au regard des matières visées par la convention collective, la liberté contractuelle entre maître et employé individuel est supprimée. La convention collective dicte à l’employeur ce que seront ses futures relations maître-employé.
119 Des décisions subséquentes ont cherché à interpréter les commentaires du juge Judson selon lesquels « [l]es négociations privées [. . .] n’ont plus leur place » et « la liberté contractuelle [. . .] est supprimée » en laissant entendre que les contrats individuels de travail étaient abolis dès qu’une convention collective était conclue. Les interprétations de ces observations doivent être examinées dans le contexte d’une analyse complète de la complexité des rapports entre la relation individuelle d’emploi et la convention collective dans un régime de rapports collectifs de travail.
120 McGavin Toastmaster est l’un des arrêts invoqués à l’appui de la théorie de l’abolition des contrats individuels. Dans cette affaire, une grève illégale des employés avait précipité la fermeture d’une entreprise. L’employeur, prétendant que les salariés avaient violé leur contrat individuel de travail en participant à la grève illégale et qu’ils avaient ainsi mis fin à leur emploi, refusait de leur verser l’indemnité de cessation d’emploi prévue à la convention collective. Il s’agissait donc de déterminer si la grève mettait fin à la relation d’emploi. Notre Cour conclut que la nature même du régime de rapports collectifs de travail exclut une telle solution. Pour le juge en chef Laskin, la convention collective ne pouvait être considérée « comme simplement accessoire aux relations individuelles » de travail (p. 724). Il refusait d’accepter une règle de droit commun qui aurait contredit un principe fondamental du régime de relations collectives de travail désormais établi par le législateur :
Dans tout le Canada, et ce depuis plusieurs années, les relations individuelles entre employeur et employé n’ont d’importance qu’à l’étape de l’embauchage et même là, elles sont subordonnées aux clauses de sécurité syndicale des conventions collectives. Le droit commun applicable aux contrats individuels de travail ne vaut plus quand les relations employeur-employé sont régies par une convention collective qui traite, comme celle présentement en cause, de licenciement, de cessation d’emploi, d’indemnité de cessation d’emploi et d’une foule d’autres choses qui ont été négociées entre le syndicat et l[a] compagnie en tant que parties principales à la convention. [p. 725]
121 Puisque l’objet du litige était régi par les dispositions de la convention collective et par les lois particulières applicables aux rapports collectifs du travail, le Juge en chef conclut que le droit commun ne pouvait trouver application pour justifier la thèse d’une résiliation des contrats individuels d’emploi en raison de l’illégalité de la grève et de l’inexécution des prestations de travail qu’elle provoquait :
Ni cette loi [Mediation Services Act], ni le Labour Relations Act ne pourraient être appliqués selon leurs termes si des principes de droit commun tels que la répudiation et la violation d’une disposition fondamentale pouvaient être invoqués à l’égard de conventions collectives qui ne sont pas encore échues et au regard desquelles l’obligation de négocier collectivement demeure. [p. 726-727]
122 Dans St. Anne Nackawic où l’employeur réclamait des dommages-intérêts pour le préjudice subi par suite de la fermeture de son entreprise provoquée par une grève illégale des salariés de l’une des unités de négociation, la question des relations entre le régime des rapports collectifs de travail et le droit commun revient de nouveau. Puisque la législation prévoyait une clause d’arbitrage obligatoire, il fallait déterminer si les tribunaux de droit commun étaient compétents pour entendre cette demande.
123 Le juge Estey, au nom de notre Cour, réaffirma la primauté de la convention collective et des lois relatives aux relations collectives de travail sur les règles du droit commun :
Un consensus général se dégage clairement de cette étude de la jurisprudence. Les tribunaux ne sont pas compétents pour entendre des réclamations qui découlent des droits créés par une convention collective. Les tribunaux ne peuvent pas non plus trancher à bon droit des questions qui auraient pu résulter en common law de la relation employeur-employé en l’absence d’un régime de négociations collectives si la convention collective qui lie les parties à l’action prévoit les questions en litige, qu’elle prévoit ou non une procédure et une juridiction pour son application. [Je souligne; p. 720.]
124 Quelques années plus tard, dans Hémond, notre Cour devait déterminer si des contremaîtres qui réintégraient une unité de négociation pouvaient bénéficier des droits d’ancienneté prévus à la convention en vigueur au moment de leur départ de cette unité, qui n’étaient pas repris dans la convention en vigueur lors de leur réintégration. Reconnaissant le caractère réglementaire de la convention à l’égard du contenu des rapports individuels d’emploi, le juge Gonthier faisait siens les propos du juge en chef Laskin dans McGavin Toastmaster et du juge Judson dans Paquet en ajoutant :
Quand il existe une convention collective, les droits individuels sont à toutes fins pratiques écartés. [p. 975]
125 Dans CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, la Cour devait décider si les conditions de travail prévues à la convention collective continuaient de s’appliquer au moment de son expiration. Suivant les prétentions du syndicat, les contrats individuels de travail redevenaient opérants à l’expiration de la convention collective. Après avoir déclaré que la conclusion selon laquelle « il n’y a plus de contrats individuels de travail lorsque les parties se trouvent dans une relation de négociation collective » est « inéluctable depuis l’arrêt [. . .] McGavin Toastmaster » (p. 1006), le juge La Forest conclut que la « convention collective [supplantait] la common law en matière de contrat individuel de travail » (p. 1007), et ce, même lorsqu’elle n’est plus en vigueur, aussi longtemps que l’accréditation du syndicat subsistait :
Le facteur clé, me semble-t-il, est l’obligation permanente des parties de négocier collectivement et de bonne foi. Tant que cette obligation subsiste, la relation tripartite qui existe entre le syndicat, l’employeur et l’employé en raison du Code supplante les principes de common law. L’expiration de la convention collective n’a aucun effet sur l’obligation des parties de négocier de bonne foi conformément [au Labour Code de la Colombie-Britannique]. Le syndicat conserve son accréditation comme représentant des employés, peu importe qu’une convention collective soit en vigueur ou non. Le régime juridique établi par le Labour Code, qui exige que le syndicat et l’employeur négocient collectivement à l’approche de l’expiration d’une convention collective (art. 62 et 63), ne laisse aucune place à l’application des principes de common law. [p. 1007-1008]
126 Plus récemment, dans Noël, notre Cour devait déterminer si un salarié pouvait lui-même se pourvoir contre une décision arbitrale. Rappelant que le syndicat était le seul à être habilité à le faire en conformité avec le principe de représentation exclusive en droit québécois, notre Cour confirmait la préséance du régime collectif sur le cadre individuel :
Un cadre collectif se substitue au mécanisme contractuel traditionnel, fondé sur des rapports individuels entre l’employeur et ses salariés. [par. 43]
127 Bien que certains des extraits reproduits précédemment aient été utilisés au soutien des thèses qui excluent la survie du contrat individuel lorsque les relations de travail sont régies par un régime collectif, je ne crois pas qu’il faille leur donner cette portée dans le droit du travail actuel du Québec. Certains des commentaires faits par notre Cour dans ces décisions ont souvent été cités hors de leur contexte et compte non tenu de l’ensemble des circonstances dans lesquelles ils ont été faits. La thèse de la disparition totale des règles du contrat individuel de travail prévues au C.c.Q. en présence d’une convention collective aurait d’ailleurs des conséquences parfois étranges ou difficilement compatibles avec les exigences du bon fonctionnement et de la cohérence du système de relations de travail au Québec. J’y reviendrai.
128 Il est exact que des contrats individuels ne peuvent déroger aux dispositions de la convention collective pour mettre en échec les effets du régime des rapports collectifs du travail, puisque celles-ci ont préséance pour déterminer le contenu effectif des conditions d’emploi sous réserve des dispositions d’ordre public. Dans les arrêts examinés plus haut, notre Cour a favorisé la reconnaissance de l’exclusivité de la fonction représentative du syndicat accrédité et l’effet réglementaire de la convention collective à l’égard des contrats individuels d’emploi. Par exemple, il est exact de prétendre que le régime collectif ne laisse aucune place à la négociation individuelle entre employeur et salarié. Le caractère exclusif de l’association accréditée en tant que représentante des salariés doit demeurer intact en tout temps (Paquet et Noël). D’autres principes importants doivent également être constamment respectés : l’obligation de négocier collectivement et de bonne foi (Paccar), la nature obligatoire de l’arbitrage de griefs (St. Anne Nackawic), l’effet de l’exercice du droit de grève et le retour au travail (McGavin Toastmaster) ou l’unicité de la convention collective qui, pendant sa durée, lie tous les travailleurs intégrés dans l’unité d’accréditation (Hémond).
129 Toutefois, la reconnaissance de l’exclusivité de la fonction du syndicat accrédité et l’attribution d’une fonction réglementaire à la convention collective ne règlent pas le problème du contenu obligationnel implicite de cette convention et parfois des rapports d’emploi auxquels elle s’applique. Elle ne résout pas non plus totalement la question des rapports de ce régime avec le droit commun qu’exprime le C.c.Q. et les principes du système de droit civil qu’il encadre. Plusieurs jugements appuient d’ailleurs l’opinion suivant laquelle le régime collectif de droit du travail québécois n’écarte pas complètement l’application du droit commun, mais lui conserve plutôt un rôle au moins supplétif lorsque les lois particulières et la convention collective n’offrent pas de réponse aux questions posées.
130 En 1947, la Cour d’appel du Québec s’exprimait en ce sens dans Association catholique des institutrices du district no 16 Inc. c. Commissaires d’écoles pour la municipalité de la paroisse de St-Athanase, [1947] B.R. 703. Elle soulignait, dès ce moment, le principe d’un effet réglementaire de la convention collective :
Il ressort de l’exposé des motifs du premier juge que ce dernier a vu une incompatibilité entre une convention collective de travail et les dispositions de la Loi de l’instruction publique d’après lesquelles les instituteurs doivent être engagés par contrats individuels. Il y a là une méprise évidente. La convention collective de travail n’est pas un contrat d’engagement collectif; elle ne tient pas lieu de contrat de louage, mais elle fixe des conditions de travail qui seront censées faire partie des contrats d’engagement individuels. [p. 712]
131 À l’occasion d’un débat sur l’application des dispositions de la L.n.t. relatives au préavis de licenciement, la Cour d’appel du Québec a reconnu la thèse de la coexistence du contrat de travail individuel et de la convention collective dans l’affaire Québec (Commission des normes du travail) c. Campeau Corp., [1989] R.J.Q. 2108. Se référant à la théorie opposée, le juge Chevalier (ad hoc) affirmait :
Avec égard, j’estime que ce raisonnement est erroné. Il confond les notions de convention collective et de contrat individuel de travail et part du principe que celui-ci ne peut coexister avec celle-là. En somme, il présuppose que, dès son entrée en vigueur, une convention collective se substitue à toute entente individuelle qui peut alors exister et empêche tout futur salarié de contracter avec l’employeur sur quelque sujet que ce soit, même sur un sujet pour lequel la convention collective n’aurait rien prévu.
Assez étrangement, les tenants [de cette thèse] [. . .] font, entre autres, appel aux mêmes deux jugements de la Cour suprême du Canada où ils prétendent trouver la justification de leurs conclusions. Il s’agit des arrêts de Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. c. Cie Paquet Ltée et de McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough.
Une étude attentive de ces deux arrêts amène le lecteur à la conviction que la Cour suprême n’a pas répudié la notion de la coexistence du contrat individuel et de la convention collective. [Références omises; p. 2112-2113.]
132 Le juge Chevalier fait également référence à des commentaires du professeur René Doucet, dans un article intitulé « La résiliation du contrat de travail en droit québécois » (1974), 9 R.J.T. 249. Cet auteur contestait alors la thèse d’une disparition totale du contrat individuel dans le contexte d’un régime de négociation collective :
. . . la convention collective n’est pas un contrat d’engagement collectif ni une juxtaposition de contrats individuels. Elle ne met donc pas fin au contrat individuel de travail et n’en tient pas lieu. Celui-ci demeure le mode normal d’acquisition du statut du salarié. L’engagement d’un employé, de même que la cessation de son emploi, sont du ressort du contrat individuel de travail. La convention collective établit des normes, des conditions d’exercice, des procédures qui doivent être observées par les parties et qui lient les salariés. De telles normes, conditions et procédures peuvent annuler ou modifier les conditions stipulées dans le contrat individuel de travail, mais celui-ci demeure en vigueur dans la mesure où la convention collective ne l’a pas ainsi modifié.
D’après la jurisprudence, les conditions de travail stipulées dans la convention collective sont censées faire partie des contrats individuels. Ce qui ne signifie pas qu’elles soient incorporées au contrat individuel de travail. Celui-ci subsiste comme instrument de rattachement du salarié à l’entreprise et partant, comme acte d’adhésion à la réglementation contenue dans la convention collective. [p. 263]
133 L’impact des conventions collectives sur la relation individuelle d’emploi est certes considérable. Toutefois, il subsiste à tout le moins un acte individuel d’embauche dont l’effet survit de toute façon à la disparition de l’accréditation et de la convention collective.
2. Impact sur les rapports individuels
134 Plusieurs des principes fondamentaux qui structurent le droit du travail collectif modifient considérablement la dynamique des relations individuelles qui s’établissaient auparavant entre l’employeur et les salariés. En effet, le cadre législatif entourant le régime collectif étudié précédemment crée trois institutions fondamentales qui confirment la spécificité du régime de rapports collectifs de travail : l’accréditation qui confère l’exclusivité de la fonction de représentation au syndicat, la convention collective qui devient la loi des parties et l’arbitrage de griefs qui constitue le forum privilégié pour la résolution des conflits.
135 Puisque le syndicat accrédité détient maintenant le monopole de représentation et de négociation, le salarié et l’employeur ne pourront plus s’entendre sur des conditions différentes de celles prévues à la convention collective. Le principe de la liberté contractuelle en milieu de travail, qui s’applique dans le respect du cadre établi par le C.c.Q. et les lois particulières, disparaît totalement. Le C.t., qui régit maintenant les parties, soit l’employeur et l’association accréditée, leur impose l’obligation de négocier avec diligence et bonne foi (art. 53). La négociation individuelle des conditions de travail devient juridiquement impossible.
136 Par ailleurs, la définition de la véritable nature de la convention collective reste une tâche délicate, malgré tous les efforts de la jurisprudence. Dans Parry Sound, notre Cour a tenté de la définir en ces termes :
. . . le souci de tenir compte de facteurs autres que l’intention exprimée par les parties se concilie avec le fait que la négociation collective et l’arbitrage ont une fonction qui est à la fois privée et publique. La convention collective est un contrat privé, mais un contrat qui sert une fonction publique : le règlement pacifique des conflits de travail. [Opinion du juge Iacobucci, par. 30 (souligné dans l’original).]
. . .
Bien que ces conventions de travail soient conclues dans le cadre de la négociation collective établi par la Loi de 1995 sur les relations de travail, il s’agit essentiellement de contrats privés d’une grande importance pour le public. [Opinion du juge Major, par. 95.]
137 La convention collective lie le syndicat accrédité et l’employeur pendant sa durée. La volonté collective du syndicat remplace la volonté individuelle des salariés dont le régime de travail devient la convention. Par ailleurs, la convention collective établit une paix temporaire dans l’entreprise. Sa conclusion et son entrée en vigueur entraînent l’interdiction du recours aux moyens de pression tels la grève et le lock-out pendant sa durée. Cette stabilité dans les relations de travail constitue l’un des principaux objectifs du régime collectif. Les travailleurs, tout comme l’employeur et la clientèle d’une entreprise y trouvent un intérêt. L’arrêt McGavin Toastmaster illustre l’importance de cet objectif : on ne pourra utiliser les recours de droit commun pour prétendre à la résolution de la convention collective et ce, même en présence de l’inexécution d’une obligation aussi fondamentale que celle de l’interdiction du recours à la grève.
138 Comme je l’ai souligné plus haut, une des institutions les plus caractéristiques des rapports collectifs de travail est évidemment celle de la procédure d’arbitrage de griefs. Les mésententes relatives à l’interprétation et l’application de cette convention collective relèveront donc de la compétence de l’arbitre et non de celle des tribunaux de droit commun.
139 Toutefois, il importe de bien distinguer deux concepts : la survie du contrat individuel de travail et la liberté contractuelle résiduelle du salarié. Bien qu’il soit interdit aux salariés de participer de façon individuelle à la négociation d’un contrat avec l’employeur dans un régime collectif, cela ne signifie pas qu’un tel contrat n’existe pas.
140 Un contrat individuel survit à l’accréditation d’un syndicat et au régime de la convention collective. D’une part, cette solution s’impose parce qu’elle permet d’expliquer le fondement juridique de diverses obligations auxquelles l’employeur et le salarié sont tenus. D’autre part, elle est nécessaire puisque les lois du travail, en dépit de leur prolixité et de leur complexité, ne couvrent pas tous les aspects des relations de travail, même lorsqu’elles se situent dans un cadre collectif. Le régime du C.c.Q. les complète et supplée aux silences ou aux lacunes des conventions collectives.
F. Le contenu de la convention collective
141 Certes, en principe, la convention collective contient l’ensemble des conditions de travail incluses expressément par les parties lors de la négociation collective. Cette faculté des parties de négocier librement les normes substantielles les régissant est toutefois restreinte par l’obligation de respecter ou d’incorporer à la convention les droits ou les valeurs protégés par les chartes et les règles de droit imposées par le législateur, y compris certains principes généraux du droit commun, notamment ceux qui ont un caractère d’ordre public.
1. Parry Sound et le contenu implicite de la convention collective
142 Dans Parry Sound, la majorité de notre Cour a favorisé une vision ample du contenu de la convention collective malgré le silence de celle-ci, en y incorporant implicitement certaines règles de droit législatives. Certes, cette affaire provenait de l’Ontario et les lois appliquées ne sont pas les mêmes que celles qu’examine le présent pourvoi. Le cadre législatif propre à celui-ci ne nous empêche cependant pas de faire d’importantes analogies avec la situation examinée dans Parry Sound et les principes posés dans cet arrêt.
143 Dans Parry Sound, une salariée à l’essai avait été congédiée à son retour d’un congé de maternité. Alléguant avoir été victime de discrimination en violation de la convention collective, elle déposa un grief contre l’employeur. Devant l’arbitre, l’employeur prétendit que le grief n’était pas arbitrable puisque la convention collective lui reconnaissait un droit de gestion lui permettant de congédier un employé à l’essai pour tout motif qu’il jugeait acceptable. De surcroît, la convention prévoyait expressément que le congédiement d’un employé à l’essai ne pouvait faire l’objet d’un grief. Le pourvoi soulevait donc la question de savoir « si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans une convention collective » (par. 14).
144 S’appuyant sur l’arrêt McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, le juge Iacobucci, au nom de la majorité, conclut que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence :
En vertu d’une convention collective, le droit général de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux dispositions du Code des droits de la personne et aux autres lois sur l’emploi. [par. 23]
145 Dans l’arrêt McLeod, un salarié contestait la mesure disciplinaire que lui avait imposée l’employeur pour avoir refusé de travailler plus de 48 heures dans une même semaine. La convention collective ne limitait pas expressément le droit de gestion de l’employeur et ne l’empêchait donc pas d’exiger qu’un employé travaille plus de 48 heures par semaine. Contrairement à l’arbitre qui avait rejeté le grief, notre Cour jugea que les restrictions imposées aux droits de gestion de l’employeur n’étaient pas uniquement celles contenues dans la convention collective, mais découlaient également des dispositions législatives impératives.
146 Le juge Iacobucci, dans Parry Sound, reconnaît aussi que la convention collective peut conférer un vaste droit de gestion des opérations de l’entreprise à l’employeur. Cependant, ce pouvoir est limité par les droits dont bénéficient les employés, en vertu de la législation, en dépit du silence de la convention collective sur le sujet.
En pratique, cela signifie que les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. Une convention collective peut accorder à l’employeur le droit général de gérer l’entreprise comme il le juge indiqué, mais ce droit est restreint par les droits conférés à l’employé par la loi. L’absence d’une disposition expresse qui interdit la violation d’un droit donné ne permet pas de conclure que la violation de ce droit ne constitue pas une violation de la convention collective. Les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi fixent plutôt un minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat.
Par conséquent, on ne peut pas déterminer les droits et obligations substantiels des parties à une convention collective en se reportant uniquement aux intentions réciproques qu’ont exprimées les parties contractantes dans la convention. En vertu de l’arrêt McLeod, certaines dispositions sont implicites dans la convention, quelles que soient les intentions réciproques des parties contractantes. Plus précisément, il est interdit qu’une convention collective réserve le droit de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel autrement que conformément aux droits garantis par la loi aux employés, que ce soit expressément ou par omission de préciser les limites à ce que certains arbitres considèrent comme le droit inhérent de la direction de gérer l’entreprise comme elle le juge indiqué. Les droits reconnus aux employés par la loi constituent un ensemble de droits que les parties peuvent élargir mais auquel elles ne peuvent rien enlever. [par. 28-29]
147 Le juge Iacobucci refuse alors de donner effet à la clause 8.06a) de la convention collective, qui prévoyait que le congédiement d’un employé à l’essai ne pouvait faire l’objet d’un grief. À son avis, l’incorporation du par. 5(1) du Code des droits de la personne à la convention collective accordait implicitement le droit à un traitement égal et sans discrimination à cette catégorie d’employés. Le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai violait donc la convention collective. Puisque la législation ontarienne exigeait que chaque convention collective contienne une clause d’arbitrage obligatoire pour tout différend résultant de cette entente, la clause 8.06a) était donc nulle car contraire à la loi (par. 35).
148 Pour le juge Iacobucci, le pouvoir de l’arbitre d’interpréter et d’appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi confirmait leur incorporation à la convention collective (al. 48(12)j) de la Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A, au même effet que l’al. 100.12a) C.t.). Bien que le grief doive être arbitrable pour que l’arbitre détienne ce pouvoir, il suffit que le litige découle implicitement de la convention collective :
Mais même s’il est vrai que le grief doit être arbitrable avant que l’arbitre ait le pouvoir d’interpréter et d’appliquer le Code des droits de la personne, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une violation alléguée d’une disposition expresse d’une convention collective soit une condition préalable à son pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi. [Souligné dans l’original; par. 48.]
149 L’arrêt Parry Sound n’a toutefois pas incorporé à toutes les conventions collectives les droits et obligations substantiels prévus à l’ensemble des lois en matière d’emploi. Il y a inséré des lois qui, à la lumière des propos du juge Iacobucci, avaient un caractère d’ordre public.
150 L’arrêt Parry Sound a ainsi adopté une vision large de la définition de grief et, par le fait même, de l’étendue de la compétence exclusive de l’arbitre. Dorénavant, « le droit à un contrôle arbitral existerait dès qu’une violation aux dispositions d’ordre public serait valablement soulevée à l’égard de tous les salariés assujettis à une convention collective » (F. Morin, « Pertinence, cohérence et conséquences de l’arrêt Parry Sound », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit du travail (2004), 29, p. 34).
151 Comme l’illustre l’arrêt Parry Sound, les droits et libertés fondamentaux occupent une place importante dans les dispositions d’ordre public des lois reliées au domaine de l’emploi qui s’incorporent au régime collectif de droit du travail. Au Québec, les droits ou les valeurs garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, s’imposent donc au contenu obligationnel implicite des conventions collectives. Puisque le présent litige ne porte pas sur l’applicabilité de tels droits, je limiterai mon analyse aux autres sources qui, en raison de leur caractère d’ordre public, s’imposent aux parties aux conventions collectives au Québec et deviennent des éléments du contenu obligationnel implicite de ces dernières.
2. Le contenu obligationnel de la convention collective au Québec
a. L’ordre public
152 Au Québec, la liberté des parties de négocier les conditions de travail incluses dans la convention collective est d’abord limitée par les dispositions législatives d’ordre public, ainsi que le prévoit l’art. 62 C.t. :
62. La convention collective peut contenir toute disposition relative aux conditions de travail qui n’est pas contraire à l’ordre public ni prohibée par la loi.
Ainsi, comme l’a souligné la Cour d’appel du Québec dans le jugement que nous examinons, la législation québécoise prévoit déjà le principe d’incorporation des règles d’ordre public que reconnaît l’arrêt Parry Sound :
En droit du travail québécois, l’incorporation implicite des règles d’ordre public est expressément prévue à l’article 62 du Code du travail. [par. 43]
L’incompatibilité d’une clause de la convention avec une disposition d’ordre public entraîne la nullité de cette clause, sans pour autant invalider la convention collective (art. 64 C.t.). En réalité, l’art. 62 C.t. reprend alors une règle applicable à l’ensemble du système juridique québécois, qu’on retrouve dans la Loi d’interprétation (art. 41.3 et 41.4). En droit du travail québécois, les règles contenues dans les dispositions d’ordre public constituent soit des normes minimales auxquelles les parties peuvent ajouter conventionnellement, soit des normes réputées incorporées telles quelles à toute convention collective, sans qu’il soit possible d’y déroger. Le droit civil québécois connaît toutefois plusieurs niveaux d’ordre public. On distingue tout d’abord l’ordre public politique et moral de l’ordre public social et économique.
153 La première catégorie comprend les règles adoptées dans l’intérêt de la société. De façon générale, un particulier ne peut renoncer à l’application de ces règles puisqu’elles n’ont pas été édictées seulement en sa faveur (voir Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499). Par exemple, des règles d’ordre public politique et moral défendent l’État et l’être humain contre certaines initiatives individuelles (voir J.‑L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (6e éd. 2005), par. 144). C’est ainsi que le C.c.Q. interdit certains contrats touchant le corps humain dont l’existence est sanctionnée par la nullité absolue (art. 11 et suiv. C.c.Q.; art. 1417 C.c.Q.).
154 L’ordre public social et économique se caractérise généralement par une intervention législative de l’État en matière de production, distribution ou consommation de biens et de services dans le but d’éviter ou d’atténuer les effets de déséquilibres sociaux ou économiques dans certaines formes d’activité contractuelle (Baudouin et Jobin, par. 145). On distingue généralement les règles d’ordre public social et économique de direction, auxquelles il ne peut être renoncé et dont la violation est sanctionnée par la nullité absolue, de celles intéressant l’ordre public social et économique de protection, qui sont sujettes à une nullité relative, puisque le bénéficiaire de la disposition peut renoncer à ses avantages.
155 Le droit du travail représente un domaine où le législateur a mis en place un nombre considérable de règles d’ordre public social et économique. Comme ce fut probablement le cas dans d’autres provinces, le législateur québécois a établi un encadrement juridique complexe destiné à corriger un rapport de force jugé inégal entre l’employeur et le salarié. Des lois énonçant les normes minimales de travail, atténuant ainsi la liberté contractuelle existant entre les parties furent donc adoptées (voir L. Otis, « L’ordre public dans les relations de travail » (1999), 40 C. de D. 381, p. 384). Nous avons déjà exposé le caractère d’ordre public de la L.n.t. (art. 93 et 94) et des art. 100 à 102 C.t. portant sur l’arbitrage de griefs (art. 100, al. 3). Le C.t. et plusieurs lois particulières comportent de nombreuses autres dispositions d’ordre public applicables dans le contexte des rapports collectifs de travail, notamment : art. 47, 47.2 et 63 C.t.; art. 41 à 50 de la Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C-11; art. 4 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles; art. 11 de la Loi sur les décrets de convention collective; art. 4 et 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
156 La distinction entre l’ordre public économique de protection et l’ordre public économique de direction est parfois ténue. On classe généralement dans la première catégorie les lois qui ont comme mission primordiale la protection des individus. Les lois qui énoncent des règles protégeant l’individu, mais qui ont comme objectif premier l’intérêt de la société tout entière appartiendraient à la deuxième catégorie. Mais comme le précisent Baudouin et Jobin dans leur traité sur Les obligations :
. . . ces notions d’ordre public de direction et d’ordre public de protection sont parfois difficiles à séparer clairement l’une de l’autre, puisqu’à travers la protection de l’individu, la loi peut vouloir aussi, parfois, régir un ensemble de rapports sociaux ou économiques. [par. 147]
Comme le salarié ne peut généralement renoncer aux protections qui lui sont accordées et que l’intervention du législateur vise la plupart du temps à donner au droit du travail une direction économique qui profitera à l’ensemble de la société, ces lois, en général, relèvent probablement davantage de l’ordre public social et économique de direction.
157 Généralement, pour qu’une loi ou l’une de ses dispositions soit d’ordre public, elle doit contenir une mention expresse à cet effet. Telle n’est cependant pas la technique retenue par le C.c.Q. Celle-ci prévoit simplement que l’exercice des droits civils doit respecter les règles contenues au code qui intéressent l’ordre public, sans préciser les règles visées (art. 9 C.c.Q.). La qualification de la disposition dépendra alors de l’interprétation du libellé de la disposition et du rôle donné à celle-ci dans l’aménagement des institutions juridiques.
b. Le droit commun
i. Applicabilité du C.c.Q.
158 Comme l’énonce sa disposition préliminaire, le C.c.Q. reconnaît le caractère fondamental du droit civil comme droit commun québécois et celui du C.c.Q. comme fondement des nombreuses lois particulières :
Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.
159 Le juge Gonthier rappelait ce caractère fondamental du C.c.Q. comme droit commun du Québec dans Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, en commentant la disposition préliminaire du C.c.Q. :
Cette disposition édicte en termes explicites que le Code civil constitue le droit commun du Québec. Ainsi, contrairement au droit d’origine législative des ressorts de common law, le Code civil n’est pas un droit d’exception et son interprétation doit refléter cette réalité. Il doit recevoir une interprétation large qui favorise l’esprit sur la lettre et qui permette aux dispositions d’atteindre leur objet. [par. 15]
160 Dans un article intitulé « Effets combinatoires de deux codes : Code du travail et Code civil du Québec » (1994), 49 Relat. ind. 227, le professeur F. Morin analyse aussi le premier alinéa de cette disposition. Il estime que la spécificité du droit des rapports collectifs du travail n’exige pas son détachement du tronc commun du droit privé québécois. Ce domaine de droit porte d’ailleurs sur les mêmes types de rapports juridiques relatifs aux personnes, aux biens et aux contrats :
N’oublions pas que le droit du travail tout comme sa partie relative aux rapports collectifs du travail portent sur les personnes (salarié et employeur), sur les rapports entre ces mêmes personnes et sur les biens visés à l’occasion de ces rapports ou qui en résultent. [p. 234]
161 Quant au deuxième alinéa de la disposition préliminaire, la question pertinente est de savoir si le C.t. et le régime collectif en droit du travail constituent une matière se rapportant à la lettre, l’esprit ou l’objet des dispositions du C.c.Q. Les commentaires du ministre de la Justice sur le C.c.Q. comportent des remarques pertinentes à ce sujet :
L’un des objectifs de cet alinéa est de favoriser une interprétation dynamique du Code civil, ainsi que le recours à ses dispositions pour interpréter et appliquer les autres lois et en combler les lacunes, lorsque ces lois portent sur des matières ou font appel à des notions ou institutions qui ressortissent au Code civil. [Je souligne.]
(Commentaires du ministre de la Justice — Le Code civil du Québec : Un mouvement de société (1993), t. I, p. 1)
162 Le principe énoncé ici par la disposition préliminaire trouve aisément et légitimement application dans le régime collectif de droit du travail québécois. Même interprétés et appliqués dans leur ensemble, la convention collective et le C.t. ne suffisent pas à créer un cadre juridique complet et cohérent. Il faut alors souvent faire appel aux règles et principes du C.c.Q. pour l’interprétation et la mise en œuvre du régime de droit du travail du Québec, même dans ses aspects collectifs.
ii. Nécessité de l’application du C.c.Q.
163 Certaines des dispositions du C.c.Q. s’avèrent non seulement utiles mais indispensables pour définir le contenu des relations collectives de travail. Des droits et des obligations inhérents à toute relation de travail, même à des rapports collectifs, se trouvent ainsi explicités au C.c.Q. Malgré son rôle considérable, le C.t. n’énonce pas l’ensemble des règles qui régissent les rapports collectifs de travail au Québec. Il ne constitue pas non plus un régime juridique totalement autonome. La convention collective liant les parties établit un ensemble de normes contractuelles dans l’entreprise, mais elle ne couvre pas non plus toutes les sphères d’une relation de travail. Certains aspects de celle-ci, tels le pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur et la gestion du personnel, demeurent le plus souvent la prérogative de l’employeur et ce, que la convention collective le prévoie ou non. Encore plus fondamentale, la création du lien d’embauche entre un salarié et son employeur n’est pas prévue au C.t. ni, souvent, dans la convention collective. Pour que la relation employeur-employé soit reconnue, elle doit se matérialiser dans un acte juridique qui conserve un caractère individuel, sous réserve des dispositions qui l’encadrent à l’occasion dans les conventions. Le lien entre l’employeur et le salarié se crée alors nécessairement par un acte individuel.
164 En fait, c’est le résultat de la négociation collective qui est inclus dans la convention collective, sans que tout soit nécessairement prévu. Tributaires d’un processus par lequel les parties sont susceptibles de négliger un aspect ou un autre de leurs relations, les conventions collectives contiennent inévitablement certaines lacunes. Comme l’écrivent F. Morin et J.‑Y. Brière dans leur ouvrage Le droit de l’emploi au Québec (2e éd. 2003) :
. . . le droit de l’emploi doit pouvoir puiser à une source générale et généreuse qui peut lui servir d’assiette pour combler ses inévitables interstices, lacunes et silences. [p. 268]
165 Les dispositions relatives au contrat de travail contenues au C.c.Q. (art. 2085 à 2097) illustrent cette nécessité. Bien que certaines conventions collectives reprennent les obligations de base prévues à ces articles, d’autres ne le font pas. Or, l’inapplicabilité de ces dispositions provoquerait des effets incongrus. On ne saurait alors justifier le pouvoir de contrôle de l’employeur sur l’employé (art. 2085 C.c.Q.) ou son obligation de verser le salaire fixé et de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les risques de préjudice (art. 2087 C.c.Q.). On pense également aux obligations de loyauté et de discrétion du salarié (art. 2088 C.c.Q.), dont l’absence du contenu implicite des obligations des salariés étonnerait et inquiéterait les employeurs.
166 D’autres dispositions du C.c.Q. peuvent également s’avérer essentielles au bon fonctionnement des relations collectives de travail. Par exemple, les principes de la théorie générale des obligations et les règles communes à l’interprétation des contrats peuvent s’appliquer à la convention collective.
167 Dans ce contexte, en vertu de l’art. 1434 C.c.Q., la convention oblige les parties « non seulement pour ce qu’[elles] y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi ». Son interprétation doit également tenir compte « de sa nature, des circonstances dans lesquelles [elle] a été conclu[e], de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’[elle] peut avoir reçue, ainsi que des usages » (art. 1426 C.c.Q.). Bref, le droit commun intègre dans le contenu implicite de la convention collective certaines règles de droit nécessaires à sa mise en œuvre, malgré le silence de cette entente.
c. Harmonisation des sources de droit du régime de négociation collective
168 L’arrêt Parry Sound a démontré la nécessaire « incorporation » aux conventions collectives des dispositions d’ordre public qui protègent les salariés, en l’occurrence les droits et libertés fondamentaux. Dans le contexte du C.c.Q., l’utilisation du terme « incorporation », bien que celui-ci soit utile pour la conceptualisation de l’intégration des sources diverses, n’est pas tout à fait exacte. Il est plus approprié d’énoncer que les différentes sources en droit du travail s’harmonisent pour constituer un cadre juridique complet :
Les parties négocient les modalités particulières à leur régime de travail, lequel se superpose, complète ou prolonge les conditions de travail d’abord garanties à tous par les chartes et les lois de l’emploi. Par cette harmonisation des règles de droit provenant de deux sources différentes, il devient possible de respecter la finalité du droit : ordre, stabilité, cohérence et justice pour les deux parties à la fois et les salariés visés.
(Morin, « Pertinence, cohérence et conséquences de l’arrêt Parry Sound », p. 39)
169 L’harmonisation des différentes sources qui constituent le droit du travail québécois implique inévitablement l’établissement d’une hiérarchie. Il faudra évaluer dans quels cas les règles établies par une convention collective et celles qu’édicte la loi auront préséance.
170 Dans le contexte du C.c.Q., l’art. 9, qui établit une distinction entre les dispositions qui intéressent l’ordre public et celles qui sont supplétives de volonté, est à la base de cette hiérarchie. Ainsi, un acte juridique, telle une convention collective, ne pourra déroger aux règles du C.c.Q. qui sont d’ordre public. Une disposition semblable est également prévue dans les dispositions générales relatives aux obligations (art. 1373 C.c.Q.). Cette règle constitue donc, pour l’application du C.c.Q., le corollaire de l’art. 62 C.t., qui prévoit spécifiquement qu’une disposition d’une convention collective ne peut contrevenir à l’ordre public. Selon le principe de la liberté contractuelle sur lequel repose le droit québécois des obligations, les parties sont libres de déroger aux règles qui ne sont pas d’ordre public. Puisque aucune règle générale ne détermine quels articles du C.c.Q. sont d’ordre public, il sera nécessaire d’examiner individuellement chacune des dispositions lorsqu’il faudra l’appliquer pour déterminer sa nature.
d. Le préavis de résiliation du contrat de travail et son caractère d’ordre public
171 On a vu que les art. 2085 à 2097 C.c.Q. régissent le contrat de travail. Ce contrat peut être à durée déterminée ou indéterminée (art. 2086 C.c.Q.), mais l’art. 2085 C.c.Q. interdit qu’il soit conclu pour la vie. Lorsqu’un contrat est à durée indéterminée, les parties peuvent y mettre fin unilatéralement et sans motif sérieux, à condition de donner à l’autre partie un préavis ou délai de congé raisonnable (art. 2091 et 2094 a contrario C.c.Q.).
172 Le plus souvent, particulièrement lorsque l’employeur met fin au contrat, une indemnité tiendra lieu de préavis de cessation d’emploi. Cette indemnité représentera la rémunération du salarié pour la durée du délai de congé. Pour déterminer la durée de ce délai, le tribunal doit tenir compte des circonstances de chaque cas, de la nature de l’emploi, de la durée du service du salarié, de son âge, ainsi que de la possibilité d’obtenir un poste analogue compte tenu de son expérience, de sa formation et de ses compétences (voir Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, p. 999; Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, par. 48).
173 Suivant l’art. 2092 C.c.Q., le salarié ne peut renoncer à son droit d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé n’est pas raisonnable. Parce que cette indemnité est vitale et qu’elle s’envisage comme un élément essentiel au contrat de travail, le législateur lui attribue un caractère d’ordre public pour le salarié, qui se trouve bien souvent dans une position vulnérable lorsqu’il perd son emploi.
174 Puisque son libellé exclut toute possibilité de renonciation, l’art. 2092 C.c.Q. doit être considéré comme une disposition intéressant l’ordre public social et économique de direction. Il convient de souligner que le droit à un délai de congé raisonnable n’est d’ordre public que pour le salarié. Le législateur aurait pu prévoir une incapacité de renonciation pour les deux parties et confirmer ainsi que le départ d’un salarié est également susceptible de causer un préjudice à l’employeur, mais il choisit de privilégier le salarié.
G. Application des principes juridiques aux faits en litige
175 L’issue du présent litige dépend de l’harmonisation des différentes sources qui forment le droit du travail collectif au Québec. Il est vrai d’affirmer que l’accréditation d’un syndicat dans une entreprise transforme la dynamique des relations de travail. La liberté contractuelle des salariés est en fait écartée. Ce constat ne signifie toutefois aucunement que les règles du C.c.Q. sur le contrat individuel de travail cessent de s’appliquer et ne forment plus des parties du contenu implicite de la convention collective.
1. La compétence de l’arbitre — articulation de la réclamation individuelle et des rapports collectifs
176 Suivant l’al. 100.12a) C.t., l’arbitre de griefs dispose du pouvoir d’interpréter et d’appliquer une loi dans la mesure nécessaire pour décider d’un grief. L’arrêt rendu par cette Cour dans Parry Sound a clairement établi qu’un arbitre avait compétence pour interpréter les dispositions des lois sur l’emploi incluses de façon implicite dans une convention collective. Ce ne sont évidemment pas tous les droits substantiels prévus aux lois du travail qui sont implicitement inclus aux conventions collectives, mais bien seulement ceux auxquels l’employeur ne peut déroger. Ainsi, dans Parry Sound, l’employeur ne pouvait priver l’une de ses salariées de la protection contre la discrimination qui est garantie au Code des droits de la personne. Selon notre Cour :
Les droits reconnus aux employés par la loi constituent un ensemble de droits que les parties peuvent élargir mais auquel elles ne peuvent rien enlever. [par. 29]
177 Au Québec, comme nous l’avons vu, la substance des principes de l’arrêt Parry Sound est prévue législativement : l’art. 62 C.t. rend nulle toute disposition d’une convention collective qui contrevient à l’ordre public. En plus des chartes, comme je l’ai souligné, plusieurs lois québécoises contiennent des dispositions relatives au droit du travail qui sont d’ordre public. Particulièrement, la L.n.t. énonce des seuils minimums que toute convention collective doit respecter. Outre les lois particulières, on ne saurait ignorer le C.c.Q., qui constitue le fondement général de toutes les autres lois. Le C.c.Q. énonce des dispositions d’ordre public qui visent directement les relations de travail. En vertu des art. 2091 et 2092 C.c.Q., le salarié jouit du droit à un délai de congé raisonnable et il ne peut renoncer à ce droit. Il faut alors examiner s’il est incompatible avec le régime de rapports collectifs du travail, ce qui interdirait au syndicat de l’invoquer au profit des salariés qu’il représente.
2. Le caractère collectif du licenciement et l’évaluation individuelle de ses conséquences
178 Selon les appelantes, le droit du salarié au délai de congé du C.c.Q., convenu de façon individuelle avec chaque employé, serait incompatible avec le régime collectif de travail, caractérisé par des conditions de travail collectives convenues d’avance entre le syndicat et l’employeur. En s’appuyant sur cet argument, les appelantes se méprennent sur la nature du régime de rapports collectifs de travail et sur celle des règles fort diverses qui régissent la rupture du lien d’emploi ou le droit à l’emploi.
179 Le fait que le syndicat négocie pour l’ensemble des salariés plutôt que pour un seul n’est pas déterminant pour le sort de ces affaires. La négociation dans un milieu de travail syndiqué n’est pas exclusivement faite pour l’ensemble des salariés. Par exemple, le régime collectif n’implique pas l’illégitimité des conventions collectives qui consacrent des inégalités catégorielles à partir de facteurs objectifs pertinents telles l’ancienneté, la formation des salariés ou la nature du travail des salariés, sous réserve des interdictions de discrimination prévues par la Charte québécoise (voir R. P. Gagnon, Le droit du travail du Québec (5e éd. 2003), p. 484). Comme le précisent les intimés, le régime des rapports collectifs de travail a été mis en place pour équilibrer les forces en présence pour la négociation des conditions de travail et non pour exiger que ces conditions soient identiques pour tous les salariés. De plus, la mise en œuvre des conventions exige souvent des interventions aussi bien individuelles que collectives. Des griefs sont parfois individuels, parfois collectifs (voir R. Blouin et F. Morin, Droit de l’arbitrage de grief (5e éd. 2000), p. 169-170).
180 Un syndicat doit aussi fréquemment négocier pour un salarié de façon individuelle, par exemple dans un cas de congédiement. On reproche d’ailleurs parfois aux syndicats de ne pas avoir pris en compte les intérêts spécifiques de certains salariés et d’avoir ainsi failli à leur devoir de représentation prévu à l’art. 47.2 C.t. Dans Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330, notre Cour, sous la plume de la juge L’Heureux-Dubé, écrivait :
. . . le syndicat doit, lors même qu’il agit à titre de défenseur des droits (bien fondés selon son évaluation) d’un salarié, tenir compte des intérêts de l’ensemble de l’unité d’accréditation dans l’exercice de sa discrétion de poursuivre ou non un grief. Le syndicat jouit d’une discrétion afin de soupeser ces intérêts divergents et apporter la solution qui lui apparaît la plus juste. Cette discrétion n’est cependant pas sans limites. En effet, affirmer sans autres nuances que le syndicat a le droit ou le pouvoir de « sacrifier » n’importe quel grief, qu’il considère bien fondé à ce stade, au cours de négociations avec l’employeur, afin d’obtenir en concession de meilleures conditions de travail ou autres bénéfices pour l’ensemble de l’unité d’accréditation, semble aller à l’encontre de l’obligation de représentation diligente du syndicat à l’égard du salarié concerné. D’autre part, rejeter complètement la possibilité pour le syndicat et l’employeur de régler un maximum de griefs lors des négociations en vue d’une nouvelle convention collective, ou à d’autres occasions, serait ignorer une réalité courante et nécessaire en matière de relations de travail. [Je souligne; p. 1349.]
M’appuyant sur les propos tenus par la juge L’Heureux-Dubé, je m’exprimais ainsi dans un récent arrêt de notre Cour :
. . . dans le cadre d’une négociation collective, en exécutant son obligation de représentation, le syndicat accrédité fait souvent face aux conséquences de l’histoire et des problèmes vécus par le groupe qu’il représente. Certains intérêts peuvent s’être constitués, des situations juridiques s’être cristallisées, des engagements avoir été pris. Dans ce contexte, bien que l’obligation de représentation s’exécute dans le présent, mais dans la perspective de l’avenir prévisible de l’entente à négocier, il arrivera parfois que le syndicat doive prendre en compte ces intérêts ou ces droits dans la définition des solutions auxquelles la convention donnera forme et effet pour le futur. [Je souligne.]
(Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels‑les et de bureau, section locale 57, [2002] 2 R.C.S. 627, 2002 CSC 44, par. 21)
181 Le contexte collectif de travail n’entraîne donc pas inévitablement la négociation de conditions s’appliquant uniformément à l’ensemble des salariés, sans considération des situations individuelles. C’est le caractère exclusif du syndicat à titre de représentant des salariés qui constitue l’élément crucial du régime collectif de droit du travail et non la question de savoir pour combien de salariés le syndicat agit. Notre Cour a reconnu l’importance du principe du monopole de représentation du syndicat dans les arrêts McGavin Toastmaster, Hémond et Noël. Les réponses aux questions en litige dans ces arrêts étaient susceptibles de menacer l’intégrité du principe suivant lequel l’association accréditée est la seule représentante des salariés. C’est en ce sens que surviendrait une situation d’incompatibilité avec le régime collectif de travail. L’issue du présent pourvoi ne remet pas en cause ce principe : c’est bel et bien le syndicat qui revendique le droit au délai de congé raisonnable pour le compte des salariés qu’il représente.
3. Le droit à la réintégration et le droit au délai de congé raisonnable
182 Selon les appelantes, permettre aux salariés assujettis à une convention collective d’invoquer le droit au délai de congé raisonnable prévu à l’art. 2091 C.c.Q. serait non seulement incompatible avec le régime collectif de droit du travail, mais remettrait en cause un compromis historique entre les règles de ce régime et celles du contrat individuel de travail. Selon cette théorie, le droit du salarié au délai de congé raisonnable serait la contrepartie du pouvoir de l’employeur de mettre fin au contrat sans motif sérieux. Puisque, dans un régime collectif, l’employeur peut se faire imposer la réintégration d’un salarié (al. 100.12f) C.t.) et qu’il ne peut plus unilatéralement mettre fin au contrat, les appelantes prétendent qu’il serait donc inconciliable d’accorder au salarié le droit au délai de congé raisonnable du C.c.Q. Malheureusement, cet argument simplifie indûment la nature et les effets de liens entre les relations individuelles d’emploi et les rapports collectifs de travail.
183 La position prise par les appelantes suppose que le droit à la réintégration est acquis pour tous les salariés qui évoluent dans un milieu de relations collectives de travail et que le pouvoir disciplinaire de l’employeur est constamment assujetti à l’existence d’une cause juste et suffisante. Or, ce n’est pas le cas. Par exemple, les employés temporaires ou à l’essai ne jouissent généralement pas de la protection contre le congédiement sans cause juste et suffisante. L’arrêt rendu par cette Cour dans Parry Sound offre un exemple très clair d’une situation où une salariée syndiquée ne bénéficiait pas de cette protection en raison de son statut d’employée à l’essai. Serait‑ce dire que l’ensemble de ces salariés ne peuvent jamais bénéficier du droit à un délai de congé raisonnable? À leur égard, l’employeur n’est pourtant pas susceptible de se voir imposer la réintégration et l’argument de la contrepartie ne s’applique plus.
184 Bien que la réintégration constitue en règle générale le remède privilégié par les arbitres de griefs dans le cas des salariés bénéficiant de la protection contre le congédiement sans cause juste et suffisante, elle ne sera pas imposée de façon automatique. Une indemnité monétaire lui sera parfois substituée dans des circonstances où le retour du salarié serait susceptible d’empoisonner le climat de travail. Notre Cour a d’ailleurs confirmé la légitimité du choix d’un tel remède dans une décision récente (Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727, 2004 CSC 28).
185 Les circonstances de l’espèce illustrent également les limites de l’argument des appelantes. Dans le contexte d’une fermeture d’entreprise, la question de la réintégration des salariés n’a plus aucune pertinence. Seule l’indemnisation de la résiliation est en discussion. Le compromis historique ou la nécessaire contrepartie entre le droit au délai de congé raisonnable et la faculté de mettre fin au contrat de travail de façon unilatérale invoqués par les appelantes n’est donc plus en cause.
186 Par ailleurs, l’argument de l’incompatibilité fondé sur la distinction au niveau de la continuité d’emploi entre les régimes individuel et collectif suppose non seulement que la réintégration est acquise pour les salariés évoluant dans un milieu collectif, ce qui n’est pas le cas, mais présume également que le droit du travail hors de ce contexte exclut la réintégration. Or, cette prémisse s’avère aussi inexacte. En vertu de la L.n.t., tout salarié justifiant plus de deux ans de service pour un employeur peut contester un congédiement sans cause juste et suffisante et demander sa réintégration au sein de l’entreprise (art. 128, al. 1(1)). Dans leur ouvrage Le droit de l’emploi au Québec, Morin et Brière précisent la portée de ce recours :
L’objectif de cette mesure est de permettre au salarié non assujetti à une convention collective de bénéficier d’un mécanisme efficace pour assurer sa réintégration dans son emploi. Compte tenu de cet objectif, la réintégration doit être le remède privilégié qui doit s’imposer d’emblée [. . .] Pour déroger au principe de la réintégration, la Commission doit être placée devant des circonstances exceptionnelles. . . [Références omises; p. 1237.]
L’instauration du principe de la réintégration dans la L.n.t. a un impact considérable pour nombre de salariés. Pour l’employeur, l’art. 128 L.n.t. réduit de façon marquée le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît le C.c.Q. de mettre fin unilatéralement au contrat de travail en versant une indemnité équivalant à un délai de congé raisonnable. Ce changement confirme la volonté du législateur québécois d’étendre la réintégration des salariés au domaine des relations individuelles de travail.
187 D’autres lois québécoises prévoient la réintégration du salarié hors du contexte d’une convention collective. C’est le cas de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (art. 256, 257 et 259), pour des situations où l’employeur congédie un travailleur parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou parce qu’il a exercé l’un des droits prévus à cette loi.
188 Enfin, certains auteurs québécois prétendent même que la conception civiliste classique suivant laquelle l’exécution forcée du contrat de travail est impossible en raison de son caractère personnel, qui aurait été confirmée par cette Cour dans l’arrêt Dupré Quarries Ltd. c. Dupré, [1934] R.C.S. 528, n’a plus sa place depuis l’avènement de la grande entreprise et la multiplication des emplois dépersonnalisés où l’identité du travailleur ne revêt que peu d’importance (voir M.-F. Bich, « Du contrat individuel de travail en droit québécois : essai en forme de point d’interrogation » (1986), 17 R.G.D. 85; R. P. Gagnon, L. LeBel et P. Verge, Droit du travail (2e éd. 1991), p. 139-140 et 164‑167; P. Laporte, La réintégration du salarié : Nouvelles perspectives (1995)). Sans pour autant adopter cette théorie, la Cour d’appel du Québec ne s’est pas montrée fermée à une remise en question du fondement de cet arrêt (voir Rock Forest (Ville) c. Gosselin, [1991] R.J.Q. 1000, et Schacter c. Centre d’accueil Horizons de la jeunesse, [1997] R.J.Q. 1828).
189 En somme, la thèse d’incompatibilité proposée par les appelantes au sujet de l’application des mécanismes de réintégration et de protection contre les congédiements sans cause juste et suffisante ne donne pas un portrait exact de la situation des parties. Le droit du salarié à un délai de congé raisonnable n’est pas la contrepartie essentielle de la faculté de l’employeur de mettre fin au contrat de travail de manière unilatérale. Rien ne s’oppose donc à ce que des salariés assujettis à une convention collective puissent bénéficier du droit au préavis raisonnable prévu au C.c.Q. Loin d’être incompatibles avec le régime collectif de droit du travail, les art. 2091 et 2092 C.c.Q. le complètent et offrent un recours aux salariés qui perdent leur emploi sans que leur employeur les indemnise adéquatement.
4. L’évaluation par l’arbitre des effets et de la suffisance de la mesure collective
190 Puisque les art. 2091 et 2092 C.c.Q. sont d’ordre public de direction et que la convention collective ne peut contenir de dispositions qui contreviennent à l’ordre public (art. 62 C.t.), l’arbitre devra, lorsqu’il est saisi d’un grief à cet effet, évaluer la suffisance des indemnités tenant lieu de délai de congé au regard du C.c.Q.
191 Dans les arrêts Regina Police Assn. et Allen c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 128, 2003 CSC 13, notre Cour a confirmé que les arbitres sont investis d’une vaste compétence relativement aux litiges en droit du travail. Dans l’arrêt Parry Sound, cette Cour a précisé que cette compétence s’étendait à l’évaluation de la suffisance et de la validité des clauses de la convention collective au regard des dispositions d’ordre public prévues aux autres lois de l’emploi. Au Québec, comme on l’a vu précédemment, le cadre juridique des relations collectives de travail découle de sources diverses et implique fréquemment un recours aux règles relevant du droit civil proprement dit. Il est donc tout à fait approprié et essentiel que les arbitres de griefs puissent prendre en compte des dispositions d’ordre public prévues au C.c.Q. et pertinentes quant à l’application des conventions collectives.
192 Comme l’illustrent les pourvois à l’étude, deux situations sont susceptibles de se présenter devant l’arbitre. Dans la première, la convention collective contient une disposition prévoyant le délai de congé auquel les salariés auront droit advenant la fermeture de l’entreprise ou une autre situation donnée. C’est le cas de la convention collective liant l’appelante Garon. L’arbitre appelé à décider d’un grief dans ces circonstances devra évaluer si la mesure prévue à la convention (ici, le renvoi aux délais de congé de la L.n.t.) est conforme à l’art. 2091 C.c.Q. S’il conclut au bien-fondé du grief du syndicat, il pourra alors imposer un délai de congé qu’il estime raisonnable.
193 La convention collective qui liait l’appelante Fillion et Frères s’inscrit dans la deuxième situation. Dans ce cas, la convention est muette quant à l’indemnité tenant lieu de délai de congé à verser aux salariés advenant la fermeture de l’entreprise. En l’absence de disposition à cet égard, l’arbitre appelé à décider d’un grief devra alors évaluer si, au regard de l’art. 2091 C.c.Q., le délai de congé minimum prévu à l’art. 82 L.n.t. est suffisant ou si les circonstances de l’espèce militent en faveur d’une durée plus longue.
194 En résumé, dans ces deux affaires, l’arbitre de griefs devra évaluer si les mesures prévues par la convention collective respectent les dispositions d’ordre public prévues aux autres lois sur l’emploi. Il agira donc alors, dans le cadre de sa compétence propre, pour l’application de la convention collective et de son contenu implicite, comme l’a reconnu la Cour d’appel du Québec.
I. Dispositif
195 Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter les pourvois et de confirmer les arrêts de la Cour d’appel du Québec. Les dépens devraient être accordés aux intimés.
ANNEXE
Dispositions législatives et clauses des conventions collectives
A. Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
B. Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N-1.1
82. . . .
Le présent article n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit qui lui est conféré par une autre loi.
83. L’employeur qui ne donne pas l’avis prévu à l’article 82 ou qui donne un avis d’une durée insuffisante doit verser au salarié une indemnité compensatrice équivalente à son salaire habituel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour une période égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire de l’avis auquel il avait droit.
Cette indemnité doit être versée au moment de la cessation d’emploi ou de la mise à pied prévue pour plus de six mois ou à l’expiration d’un délai de six mois d’une mise à pied pour une durée indéterminée ou prévue pour une durée inférieure à six mois mais qui excède ce délai.
L’indemnité du salarié en tout ou en partie rémunéré à commission est établie à partir de la moyenne hebdomadaire de son salaire durant les périodes complètes de paie comprises dans les trois mois précédant sa cessation d’emploi ou sa mise à pied.
C. Convention collective de travail intervenue le 29 février 1996 entre Isidore Garon ltée et le Syndicat du bois ouvré de la région de Québec Inc.
4.03 Validité de la convention :
La nullité de l’une ou l’autre des dispositions de la convention en regard d’une loi actuelle ou future ne peut affecter la validité des autres dispositions de cette même convention, mais doit être amendée ou doivent être amendées pour donner effet à telle loi.
8.01 Main-d’œuvre :
L’Employeur avise, par écrit, tout salarié mis à pied et remet copie de tel avis au Syndicat.
10.01 Grief :
Par grief, il faut entendre toute mésentente relative à l’interprétation ou à l’application de la convention collective.
10.03 Le salarié, seul ou accompagné de son délégué d’atelier ou de l’agent d’affaires ou le Syndicat, doit soumettre le grief par écrit à l’Employeur ou à son représentant désigné dans les dix (10) jours ouvrables de l’origine du grief ou de sa connaissance.
10.08 Mésentente :
Toute mésentente sur un[e] ou des conditions de travail non prévu[e]s à la convention, peut être discutée et réglée selon la procédure de règlement des griefs de la convention.
10.09 Pouvoirs de l’arbitre :
1.- L’arbitre a le pouvoir de confirmer la décision de l’Employeur conforme aux dispositions de la convention ou d’annuler la décision de l’Employeur non conforme aux dispositions de la convention.
Si l’incident qui a été la cause du grief entraîne au salarié une perte ou une privation de droits ou de salaire, ou d’avantages pécuniaires prévus à la convention, l’arbitre peut ordonner que telle perte ou privation lui soit remboursée en tout ou en partie, avec ou sans intérêt au taux légal.
2.- Dans le cas de mesure disciplinaire, l’arbitre a juridiction pour maintenir, annuler ou modifier la mesure disciplinaire et ordonner la réintégration du salarié dans tous ses droits et privilèges dans son emploi à l’occupation qu’il occupait, avec remboursement en tout ou en partie ou sans remboursement du salaire perdu.
3.- Les pouvoirs de l’arbitre sont limités à décider de griefs au sens de la convention. L’Arbitre n’a cependant pas le pouvoir d’ajouter, de soustraire ou d’amender aucune disposition de cette convention.
4.- La décision de l’arbitre est définitive et lie les parties. Elle doit être appliquée dans un délai de quatorze (14) jours à moins que l’arbitre ne fixe un autre délai.
D. Convention collective de travail intervenue en décembre 1994 entre la Corporation des concessionnaires d’automobiles de la régionale de Québec et le Syndicat national des employés de garage du Québec Inc.
6.02 Grief
Tout grief peut être soumis pour enquête et règlement conformément à la procédure énoncée ci-dessous :
Dans tous les cas, le salarié doit soumettre préalablement son grief au syndicat qui avisera.
Première (1re) étape :
Tout salarié seul, ou par l’intermédiaire de son délégué d’atelier ou de son représentant syndical, ou le syndicat, peut soumettre un grief par écrit, à l’employeur ou à son représentant autorisé dans les quinze (15) jours ouvrables suivant la date de la connaissance des circonstances donnant lieu au grief.
. . .
6.03 Grief collectif
Un grief collectif peut être soumis par le syndicat à la première étape à l’employeur ou à son représentant autorisé, dans le délai de quinze (15) jours ouvrables prévu au paragraphe 6.02, pourvu que le grief soit signé par au moins un des salariés impliqués ou par un délégué d’atelier ou par le syndicat.
6.05 Pouvoirs de l’arbitre
1. L’arbitre est le maître des règles de preuve et de procédure. Il a le pouvoir soit de confirmer la décision de l’employeur conforme aux dispositions de la convention collective, soit d’annuler la décision de l’employeur non conforme aux dispositions de la convention.
L’arbitre peut rendre toute décision nécessaire par suite d’une violation de la présente convention. La règle de la prépondérance de la preuve s’applique à l’arbitre.
Si l’incident qui a été la cause du grief entraîne une perte ou privation de droit ou de salaire ou d’avantages pécuniaires prévus à la convention pour le salarié concerné, l’arbitre peut ordonner que telle perte ou privation lui soit remboursée ou restituée le cas échéant en tout ou en partie, avec ou sans intérêts.
2. Dans les cas de grief relatifs à des sanctions d’ordre disciplinaire ou non disciplinaire, l’arbitre a juridiction pour maintenir, annuler ou modifier la réprimande, la suspension ou le congédiement ou y substituer la décision qui lui parait juste et équitable. Dans le cas où l’arbitre ne maintient pas la décision de l’employeur, il a compétence pour ordonner la réintégration du salarié dans tous ses droits à son emploi au poste qu’il occupait, avec une indemnité n’excédant pas la perte de salaire du salarié chez son employeur ou toute indemnité moindre qu’il adjugera. Toutefois, cette indemnité est déterminée en tenant compte de ce que le salarié a pu gagner d’un autre emploi depuis son congédiement ou pendant sa suspension.
3. Les pouvoirs de l’arbitre sont limités à décider de griefs au sens de la convention. L’arbitre n’a cependant pas le pouvoir d’ajouter, de soustraire ou d’amender aucune disposition de cette convention.
Pourvois accueillis avec dépens, la juge en chef McLachlin et les juges LeBel et Fish sont dissidents.
Procureurs de l’appelante Isidore Garon ltée : Heenan Blaikie, Montréal.
Procureurs de l’appelante Fillion et Frères (1976) inc. : Fasken Martineau DuMoulin, Québec.
Procureurs des intimés : Melançon Marceau Grenier et Sciortino, Montréal.