Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date des 3 et 4 décembre 1997 par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs :
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, adoptée le 2 décembre 1997, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés ainsi que par plus de soixante sénateurs. Pour contester ce texte, les auteurs des saisines invoquent huit séries de griefs qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur la procédure d'adoption de la loi
A : A l'appui de leurs conclusions tendant à faire déclarer l'ensemble de la loi contraire à la Constitution, les députés, auteurs de la première saisine, soutiennent qu'elle a été votée selon une procédure non conforme aux exigences constitutionnelles. Ils font valoir que les documents annexés au projet de loi n'auraient pas été mis à la disposition des députés dans les délais prescrits.
Ils en déduisent qu'ont été méconnues les prescriptions de la loi organique du 22 juillet 1996, et plus précisément celles qui ont été insérées à l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale, aux termes desquelles les annexes prévues à l'article LO 111-4 doivent être déposées sur le bureau de l'assemblée " au plus tard le 15 octobre ".
B : Contrairement à ce qu'ils soutiennent, la procédure d'adoption de la loi ne peut être considérée comme irrégulière. Non seulement le Gouvernement a respecté la date limite de dépôt du projet de loi, du rapport et des annexes prévues par l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale, mais il a fait en sorte que les députés disposent du projet de loi et du rapport annexé avant même que les délais constitutionnels d'examen de ce texte ne commencent à courir.
Il importe en effet de souligner que l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale dispose que le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année, y compris le rapport et les annexes, est déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale au plus tard le 15 octobre ou, si cette date est un jour férié, le premier jour ouvrable qui suit. Ainsi, et à la différence de l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 prescrivant que les projets de lois de finances doivent être déposés et distribués avant une date fixe, l'article LO 111-6 ne prévoit qu'une obligation de dépôt pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale et ne vise en aucune manière leur distribution.
Conscient néanmoins de la nécessité d'assurer l'information des parlementaires, le Gouvernement a souhaité leur permettre de disposer dans les meilleurs délais du texte du projet de loi et du rapport annexé. Ces documents ont donc été déposés dès le 8 octobre sur le bureau de l'Assemblée nationale, ce qui a permis leur mise en distribution le 13 octobre, comme en atteste le document parlementaire lui-même.
Les annexes prévues au II de l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale ont, elles, été déposées le 15 octobre. Les délais fixés par l'article 47-1 de la Constitution ont donc commencé à courir à compter de cette date, alors que le projet de loi et son rapport étaient déjà distribués depuis deux jours.
Par ailleurs, et contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la saisine, l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale en séance publique n'a pas commencé le 21 octobre mais seulement le 27 octobre. On relèvera en outre que le feuilleton de l'Assemblée nationale du 16 octobre indique, comme le reconnaissent les auteurs de la saisine, la mise en distribution des annexes à la date du 15 octobre. En admettant même qu'un délai de six jours se soit écoulé avant que soit effective la distribution de ces documents à l'ensemble des députés, il n'aurait en aucune manière privé ces derniers de leurs prérogatives en matière d'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale.
Or, et ainsi que le juge le Conseil constitutionnel s'agissant de la question, analogue, du dépôt des annexes à la loi de finances, l'essentiel est que le Parlement n'ait pas été privé " de l'information à laquelle il a droit pendant toute la durée du délai dont il dispose pour l'examen de la loi " (n° 82-154 DC du 29 décembre 1982).
Tel a bien été le cas en l'espèce : la référence faite par les rapports des commissions à ces documents, la teneur des débats en séance publique et le nombre d'amendements examinés, qui étaient recevables jusqu'à l'ouverture de la discussion générale en séance publique, soit le 27 octobre dans l'après-midi, témoignent du caractère suffisant de l'information mise à la disposition des députés.
II. : Sur le rattachement de certaines dispositions
au domaine des lois de financement de la sécurité sociale
A : Selon les députés auteurs de la première saisine, trois articles de la loi adoptée auraient été insérés en méconnaissance des dispositions régissant le domaine des lois de financement de la sécurité sociale.
Tel serait d'abord le cas de l'article 21 relatif au montant de la base mensuelle de calcul des allocations familiales au titre des années 1996 et 1997. Il en irait de même pour l'article 27, qui tend à valider la cotation des actes de scanographie passés depuis 1991.
Enfin, les saisissants estiment qu'est également étranger au domaine des lois de financement l'article 31 relatif à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).
A l'appui de leurs conclusions dirigées contre ces dispositions, les requérants font essentiellement valoir qu'elles ont été adoptées en méconnaissance des prescriptions de l'article LO 111-3, dont le III prévoit que la loi de financement ne peut contenir, outre celles prévues au I du même article, que des dispositions " affectant directement l'équilibre financier " des régimes ou " améliorant le contrôle du Parlement sur l'application " de ces lois.
B : Ce grief ne peut être accueilli.
1. S'agissant de l'étendue du domaine des lois de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement entend, à titre liminaire, souligner les limites que rencontre inévitablement l'exercice de transposition des règles dégagées en matière de loi de finances, auquel se livrent les saisissants.
Il est exact que la notion d'affectation directe de l'équilibre fait a priori obstacle à que soient insérées dans la loi des dispositions qui n'auraient pas d'incidence certaine sur l'équilibre présenté. Mais, en admettant même que la définition ainsi donnée par le législateur organique doive s'interpréter, compte tenu des termes de la Constitution, comme devant concerner les " conditions générales de l'équilibre financier " de la sécurité sociale, il importe de tenir compte des différences de nature et de structure entre le budget de l'Etat et les comptes sociaux tels qu'ils sont présentés par la loi de financement de la sécurité sociale.
Alors que le premier constitue un ensemble de comptes homogènes, qui sont agrégés en recettes et en dépenses dans un " tableau d'équilibre " faisant apparaître un solde général ayant un sens comptable précis, il en va différemment pour la loi de financement de la sécurité sociale, qui ne comporte pas, quant à elle, d'état agrégé. Elle retrace les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses selon une présentation qui est logique, mais qui traduit le fait que les termes " la sécurité sociale " recouvrent un ensemble de régimes gérés par des personnes morales indépendantes les unes des autres, dont les dépenses et les recettes ne sont ni substituables ni fongibles : la loi de financement de la sécurité sociale n'est pas gouvernée, comme l'est le budget de l'Etat, par un principe d'unité.
Aussi la recherche de l'équilibre financier de la sécurité sociale prend-elle le plus souvent la forme de mesures ou d'ensemble de mesures concernant tel ou tel régime, voire telle ou telle branche, et plus rarement celle de mesures générales comme en connaît la politique budgétaire. Cette spécificité fait obstacle à ce que les conditions de l'équilibre financier de la sécurité sociale soient appréciées de manière globale : c'est plutôt au regard du solde de chacun des régimes que doit être évalué l'impact des dispositions de la loi.
2. Au regard de ces principes, le Gouvernement considère que les articles critiqués ont bien leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
a) S'agissant en premier lieu de l'article 21 relatif au montant de la base mensuelle de calcul des allocations familiales (BMAF) au titre des années 1996 et 1997, on observera d'abord que la question de la recevabilité de l'amendement qui est à l'origine de cette disposition n'a pas été débattue dans les conditions qu'implique le dernier alinéa de l'article LO 111-3, c'est-à-dire selon les formes définies par l'article 121-2 du règlement de l'Assemblée nationale (voir en ce sens la décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996).
Les requérants ne peuvent donc soumettre directement cette question au Conseil constitutionnel.
Subsidiairement, il y a lieu de souligner que l'article 21 a pour objet d'éviter que le contentieux relatif à la revalorisation, pour 1995, des bases mensuelles de calcul des allocations familiales mentionnée à l'article L 551-1 du code de la sécurité sociale n'ait, pour les années suivantes, des répercussions préjudiciables à l'équilibre de la branche famille. A défaut, la répercussion sur les années 1996 et 1997 du rattrapage opéré pour 1995 aurait eu un coût de l'ordre de 3,5 milliards de francs.
Il est clair qu'une telle mesure est de nature à affecter directement l'équilibre financier de la branche famille. Comme telle, elle pouvait être insérée dans la loi de financement de la sécurité sociale, en application de l'article LO 111-3.
b) En deuxième lieu, l'article 27, qui tend à valider la cotation des actes de scanographie passés depuis 1991, a pour objet d'éviter que l'annulation par le Conseil d'Etat des décisions réglementaires portant tarification des actes de scanographie n'ait des conséquences préjudiciables sur l'équilibre des régimes d'assurance maladie.
L'impact de cette mesure pouvant être évalué à 660 millions de francs, il est difficile de ne pas y voir une disposition " affectant directement l'équilibre financier " de ces régimes, au sens de l'article LO 111-3.
c) En troisième lieu, l'article 31 relatif à la durée de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) n'est pas davantage étranger au domaine des lois de financement.
Cet article constitue l'un des éléments essentiels d'un plan de redressement tendant à garantir le retour à l'équilibre des comptes du régime général en 1999. Il a pour objet de transférer à la CADES le refinancement de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (75 milliards de francs de dette cumulée au titre des exercices 1996 et 1997) et le préfinancement du déficit prévisionnel de l'exercice 1998 (12 milliards de francs), soit un montant total de 87 milliards de francs. Cette reprise de dette permet de diminuer de 3 milliards les dépenses du régime général, au titre des charges financières, et donc les objectifs de dépense figurant à l'article 28 de la loi adoptée.
Corrélativement, cet article définit les modalités de répartition, entre les différentes caisses nationales de sécurité sociale, des sommes correspondant au remboursement, par la CADES, du prêt consenti par la Caisse des dépôts et consignations à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
Il tire enfin les conséquences de ces mesures en allongeant la durée de vie de la CADES de cinq ans. Corrélativement, la perception de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dont le taux et l'assiette sont inchangés, sera prolongée de janvier 2009 à janvier 2014.
Sans doute est-il exact que, prises isolément, les dispositions concernant le financement de cet établissement public ne se rattachent pas directement au domaine défini par l'article LO 111-3.
Mais, ainsi qu'il ressort de la décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 à propos des modalités de recouvrement de la contribution sociale généralisée, des dispositions qui, en elles-mêmes, seraient étrangères au domaine des lois de financement, y ont néanmoins leur place lorsqu'elles constituent, avec d'autres dispositions qui en relèvent, les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble.
Tel est bien le cas des dispositions critiquées, dès lors qu'elles ne font que tirer les conséquences, au regard du nécessaire équilibre des ressources et des charges de la CADES et de la préservation de sa crédibilité d'emprunteur, du transfert de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale correspondant, notamment, au déficit prévisionnel pour 1998.
On soulignera, à cet égard, que l'équilibre financier de la CADES s'apprécie non pas annuellement, mais sur l'ensemble de sa durée de vie, nécessaire à l'amortissement de la dette sociale. En accroissant la durée de perception de la CRDS de cinq ans, la loi augmente bien les ressources de la CADES de telle manière qu'elles équilibrent ses dépenses sur sa nouvelle durée de vie.
L'allongement de la durée de vie de la CADES et de la durée de perception de la CRDS constituent ainsi la contrepartie indissociable du transfert de la dette, lequel se rattache, quant à lui, directement au domaine défini par l'article LO 111-3.
On peut enfin rappeler que, dans le domaine des lois de finances, le Conseil constitutionnel a considéré à plusieurs reprises que pouvait être admise l'insertion de dispositions qui constituent les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble " qui a pour objet d'alléger les charges de l'Etat " (décision n° 85-201 DC du 28 décembre 1985) ou " visant à satisfaire un besoin de financement de l'Etat " (décision n° 95-371 DC du 29 décembre 1995).
III. : Sur le respect des principes régissant
les validations législatives
A : Selon les députés auteurs de la première saisine, les validations opérées par l'article 21, relatif aux bases mensuelles de calcul des allocations familiales pour 1996 et 1997 et l'article 27, validant la cotation des actes de scanographie, méconnaîtraient les principes dégagés en la matière par le Conseil constitutionnel.
Les requérants rappellent qu'aux yeux du Conseil constitutionnel, la seule considération d'un intérêt financier ne constitue pas " un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, d'autres à intervenir " (n° 95-369 DC du 28 décembre 1995).
Ils en déduisent que les validations opérées par les articles 21 et 27 sont, compte tenu de leur objet, contraires à la Constitution.
B : Le Conseil ne pourra faire sienne cette argumentation.
Contrairement à ce que soutiennent les requérants, et comme le montre en dernier lieu la décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, la circonstance qu'une validation poursuive un intérêt financier ne fait évidemment pas obstacle, par elle-même, à ce que le Conseil constitutionnel admette sa conformité à la Constitution.
Or, en adoptant par la loi constitutionnelle du 22 février 1996 les dispositions figurant à l'antépénultième alinéa de l'article 34 et à l'article 47-1, le constituant a entendu faire de l'équilibre financier de la sécurité sociale un objectif de valeur constitutionnelle.
Dès lors, des mesures justifiées par le souci de prévenir un risque contentieux dont la réalisation aurait des conséquences particulièrement préjudiciables au rétablissement de cet équilibre doivent être regardées comme présentant le caractère d'intérêt général qu'exige la jurisprudence pour une intervention rétroactive du législateur.
1. S'agissant plus particulièrement de l'article 21, relatif aux BMAF pour 1996 et 1997, la mesure contestée permet d'éviter des revalorisations dont le coût immédiat serait de 3,5 milliards de francs pour les années 1996 à 1998 et viendrait aggraver, à due concurrence, le déficit de la branche famille. Un tel montant représenterait plus que le doublement du déficit prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour la branche famille.
Conformément aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996, prise en application de la loi d'habilitation n° 95-1348 du 30 décembre 1995, la BMAF avait été fixée à 2 078,79 F pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996. Pour 1997, la revalorisation s'est opérée par référence à cette base.
Le Conseil d'Etat ayant annulé, par deux décisions du 28 juin 1997, le refus de revalorisation de la base mensuelle de calcul des allocations familiales pour 1995, le Gouvernement a tiré les conséquences de la chose ainsi jugée, en procédant à cette revalorisation, qui va entraîner des rappels à la charge des caisses d'allocations familiales.
Sans doute le Conseil d'Etat avait-il, par ailleurs, rejeté les conclusions similaires qui lui étaient soumises au titre de 1996.
Mais il n'était saisi que d'un moyen tendant à faire échec au blocage légalement prévu par l'ordonnance du 24 janvier 1996. Revêtue sur ce point de la seule autorité relative de la chose jugée, sa décision ne mettait pas le Gouvernement à l'abri d'un contentieux tendant à ce que les bases applicables en 1996 et 1997 soient corrigées pour tenir compte de la rectification opérée, au titre de 1995, en exécution de la décision du juge administratif.
Aussi a-t-il semblé nécessaire de couper court à toute incertitude en invitant le législateur à confirmer lui-même, de manière rétroactive, le niveau fixé pour les deux années suivantes.
2. La validation opérée par l'article 27 est tout aussi conforme à la Constitution.
Elle a pour origine l'annulation, par une décision du Conseil d'Etat du 4 mars 1996, de deux textes :
: un arrêté du 11 juillet 1991 du ministre des affaires sociales et de la solidarité et du ministre de l'agriculture abrogeant un arrêté du 16 mars 1978 portant cotation provisoire des actes de scanographie ;
: une circulaire du même jour du ministre des affaires sociales et de la solidarité et du ministre de l'agriculture fixant une nouvelle cotation provisoire des actes de scanographie.
a) Pour apprécier les risques que cette annulation faisait peser sur l'équilibre des régimes d'assurance maladie, il convient de rappeler l'historique de cette affaire.
Les actes de scanographie ont fait l'objet d'une cotation provisoire fixée à Z 90 dans la Nomenclature générale des actes professionnels par un arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'agriculture en date du 16 mars 1978.
Ce texte a été abrogé par un arrêté du 11 juillet 1991.
Une circulaire, datée du même jour, des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'agriculture a fixé une nouvelle cotation provisoire, dissociant la rémunération de l'acte intellectuel, coté Z 19, de la rémunération de l'amortissement et du fonctionnement du matériel, par le biais d'un forfait technique.
Une seconde circulaire, du 30 mars 1992, a revu la cotation pour l'année en cours. A partir de 1993, celle-ci a été fixée par des arrêtés des 1er février 1993, 14 février 1994 et 22 février 1995.
Pour annuler la circulaire du 11 juillet 1991, le Conseil d'Etat a estimé que, à la date de sa publication, les actes de scanographie ne pouvaient plus être considérés comme relevant du champ d'application des cotations provisoires, cette technique médicale étant, à cette date, couramment pratiquée. C'est, par ailleurs, pour incompétence de l'un de ses signataires que le Conseil d'Etat a en outre annulé l'arrêt du 11 juillet 1991 précité. Cette anulation a donc eu pour effet de rétablir la précédente cotation provisoire (Z 90).
b) La validation des actes pris sur le fondement des textes annulés a pour objet de prémunir les organismes d'assurance maladie contre le risque de devoir débourser la différence entre la rémunération résultant de la circulaire du 11 juillet 1991 (Z 19 + forfait technique) et celle de la cotation antérieure (Z 90) remise en vigueur par les effets de l'annulation.
En outre, il est clair que les annulations prononcées par le Conseil d'Etat fragilisent, par voie de conséquence, les décisions analogues fixant la cotation pour les années suivantes, ces actes étant entachés de la même irrégularité que celle qui affecte la circulaire du 11 juillet 1991. C'est pourquoi il a paru nécessaire, afin de mettre les caisses à l'abri de demandes de remboursement portant sur ces années et mettant encore plus en péril leurs ressources, de faire également porter la validation sur la période postérieure à celle couverte par les actes annulés (1993-1996).
On précisera que, pour l'avenir, la situation est désormais régularisée par un arrêté du 30 mai 1997 qui intègre de façon définitive dans la Nomenclature générale des actes le système de cotation mis au point en 1991 (cotation de l'acte intellectuel à Z 19 et forfaits techniques).
L'objectif constitutionnel de préservation de l'équilibre de la sécurité sociale étant en cause du fait de l'enjeu de cette mesure qui vise, comme il a été indiqué plus haut, à éviter une charge de l'ordre de 660 millions de francs, la critique adressée à cet article ne peut qu'être écartée.
IV. : Sur les dispositions
relatives à la contribution sociale généralisée
A : Les dispositions de l'article 5 critiquées par les requérants s'inscrivent dans le cadre d'une réforme en profondeur du financement de la protection sociale, qui tend à en élargir l'assiette, en particulier par la substitution de la contribution sociale généralisée (CSG) à la cotisation maladie.
La mise en uvre de cette réforme comporte nécessairement, compte tenu du cadre juridique tracé par les articles 34 et 37 de la Constitution, deux volets. Seul le premier est législatif. C'est à ce titre que l'article 5 de la loi déférée prévoit que la CSG sera augmentée de 4,1 points pour les revenus d'activité et ceux tirés de l'épargne et de 2,8 points pour les revenus de remplacement.
Le second ne nécessite, en revanche, que l'édiction de dispositions réglementaires. C'est ainsi que des décrets procéderont, corrélativement, à une réduction des cotisations maladie.
Pour contester les dispositions de l'article 5, les députés auteurs de la première saisine font valoir que cette opération de " basculement " se ferait en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques. A leurs yeux, la compensation, en termes de baisse de cotisations, de l'augmentation de la CSG, serait insuffisante. Il en irait tout particulièrement ainsi pour les professions indépendantes, qui seraient traitées moins favorablement que les salariés.
B : Cette argumentation est dépourvue de portée utile, dès lors qu'elle revient à critiquer des dispositions extérieures au texte déféré.
Comme il a été dit plus haut, les diminutions des taux de cotisations qui doivent accompagner l'augmentation de la CSG sont de la seule compétence du pouvoir réglementaire. Le texte soumis au Conseil constitutionnel ne procède pas lui-même à la substitution.
Du seul point de vue de la CSG, la hausse du taux est uniforme pour l'ensemble des actifs, qu'ils soient salariés ou non salariés, et l'assiette de la contribution n'est pas modifiée. L'équilibre d'ensemble du prélèvement n'est donc pas remis en cause. Or le Conseil constitutionnel avait considéré, dans sa décision n° 90-285, que les choix effectués par le législateur dans la définition des assiettes respectives de la CSG des salariés et des non-salariés ne créaient pas de disparité manifeste entre ces catégories de revenus.
Au demeurant, il convient de souligner à titre subsidiaire qu'aucune disposition constitutionnelle n'impose la compensation des augmentations de CSG, y compris quand cette augmentation intervient dans le cadre d'une opération de substitution CSG/cotisations. Ainsi, en 1991, seuls les revenus d'activité avaient bénéficié de la diminution des cotisations d'assurance vieillesse et des gains de pouvoir d'achat attachés à cette diminution, tandis que les retraites avaient subi un prélèvement net supplémentaire de 1,1 point.
A fortiori, aucune disposition constitutionnelle n'impose une compensation identique pour l'ensemble des catégories de revenus : les modalités des baisses de taux de cotisation retenues pour certaines catégories professionnelles doivent permettre, comme les différenciations de taux de CSG, de prendre en compte des différences objectives de situation.
S'agissant plus particulièrement des travailleurs non salariés des professions non agricoles, il faut préciser qu'une baisse des cotisations d'assurance maladie ne peut avoir strictement les mêmes effets pour les salariés et les non-salariés, qui relèvent de régimes de sécurité sociale distincts.
Les salariés supportent en effet des taux de cotisations uniformes alors que les cotisations d'assurance maladie des non-salariés sont plafonnées et dégressives :
: les assurés dont le revenu pris en compte pour le calcul des cotisations est inférieur à 65 856 F par an acquittent une cotisation minimale forfaitaire égale à 11,4 % de cette base ;
: les autres assurés acquittent une cotisation au taux de 11,4 % sur la fraction de leur revenu inférieure au plafond de la sécurité sociale, soit 164 640 F, et de 9 % sur la fraction située au-delà ;
: aucune cotisation n'est due sur la fraction du revenu supérieure à 823 200 F.
Sauf à prévoir un taux spécifique à chaque assuré, il est donc impossible d'assurer une baisse des taux uniformément proportionnelle au revenu pour l'ensemble des assurés.
Il convient de souligner sur ce point que la substitution de la CSG aux cotisations d'assurance maladie, prévue par la loi de financement pour 1997, s'était déjà accompagnée d'une baisse de taux différenciée selon la tranche de revenu pour les non-salariés, qui avait été également annoncée au Parlement lors de la discussion du projet de loi : la hausse de 1 point de la CSG devait être compensée par une baisse de 1,5 point sur la fraction du revenu inférieure au plafond et de 0,8 point sur la fraction supérieure.
De manière plus générale, la valeur relative d'un point de cotisations par rapport au revenu n'est pas identique d'un régime à l'autre, eu égard aux différences d'assiette. C'est justement le souci de rendre plus équitable le prélèvement social qui a justifié la création de la contribution sociale généralisée.
Il convient enfin de rappeler que le Gouvernement s'est engagé devant le Parlement à diminuer dans des proportions importantes les taux de cotisations maladie applicables aux non-salariés : les taux applicables en 1997 sont de 11,4 % dans la limite du plafond, 9 % entre le plafond et 5 fois ce plafond ; ils seront en 1998 de 5,9 % dans la limite du plafond, 5,3 % entre le plafond et 5 fois ce plafond.
V : Sur les prélèvements sociaux applicables
aux revenus du patrimoine et aux produits de placement
A : L'article 9 du texte déféré a pour objet de renforcer la contribution des revenus du capital au financement de la sécurité sociale et d'harmoniser les règles applicables en la matière.
Trois prélèvements sur les revenus du capital, assis sur des assiettes différentes, sont actuellement affectés à la sécurité sociale : un prélèvement de 1 % sur les produits des placements à revenu fixe soumis à prélèvement libératoire, destiné à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) ; un prélèvement de 1 % assis à la fois sur les produits des placements à revenu fixe soumis à prélèvement libératoire et sur les revenus du patrimoine, destiné à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) ; enfin, la contribution sociale généralisée, assise également sur les produits des placements à revenus fixe soumis à prélèvement libératoire et sur les revenus du patrimoine, et dont l'assiette est élargie depuis le 1er janvier 1997 à certains revenus non soumis à l'impôt sur le revenu.
L'article 9 élargit et harmonise ces différentes assiettes, en alignant l'assiette des prélèvements affectés à la CNAF et à la CNAVTS sur l'assiette de la CSG.
Cette harmonisation se traduit par :
: l'assujettissement des revenus du patrimoine au prélèvement affecté à la CNAF, prélèvement assis jusqu'ici sur les seuls revenus de placement soumis à prélèvement libératoire : seront désormais notamment assujettis à ce prélèvement les revenus fonciers et les rentes viagères constituées à titre onéreux ; seront également soumis audit prélèvement les revenus de capitaux mobiliers non soumis à prélèvement libératoire et les plus-values de cessions (assujetties au prélèvement au profit du budget de l'Etat) ;
: l'assujettissement aux prélèvements affectés à la CNAF et à la CNAVTS de revenus de placement et du patrimoine non assujettis à l'impôt sur le revenu : pour les revenus de placement, il s'agit principalement des revenus des comptes et plans épargne logement, de l'assurance vie, des plans d'épargne populaire, des plans d'épargne en actions, des plans d'épargne retraite ; pour les revenus du patrimoine, il s'agit essentiellement de la non-application de l'abattement de 8 000/16 000 F applicable en matière d'impôt sur le revenu aux revenus de capitaux mobiliers non soumis à prélèvement libératoire.
Ces dispositions permettent ainsi de parvenir à un prélèvement social identique sur l'ensemble des revenus de placement et du patrimoine : revenus ou plus-values de capitaux mobiliers, mais aussi revenus fonciers, rentes viagères constituées à titre onéreux, plus-values sur biens immobiliers, ces différents revenus supporteraient désormais un prélèvement social de 10 % (2 % au titre des deux prélèvements de 1 % en cause, 7,5 % de CSG et 0,5 % de CRDS).
Pour contester cette mesure, les députés requérants font valoir qu'elle introduirait une discrimination entre certains revenus de capitaux mobiliers et les autres revenus de l'épargne. A l'appui de leur analyse, ils estiment qu'ils n'ont pas été suffisamment informés de ce que les revenus de capitaux mobiliers étaient par ailleurs soumis à une contribution de 1 %, complémentaire à l'impôt sur le revenu, qui est perçue au profit de l'Etat. Ce défaut d'information aurait empêché le législateur de remplir correctement sa mission.
B : Le Conseil ne pourra faire sienne une telle argumentation, qui revient, là encore, à critiquer des dispositions extérieures à la loi déférée.
Il est clair, en effet, que l'on ne saurait raisonnablement exiger du Gouvernement, lorsqu'il dépose un projet de loi portant modification des prélèvements sociaux sur certains revenus, qu'il rappelle l'ensemble des autres prélèvements obligatoires portant sur les mêmes revenus.
Au demeurant, et pour la complète information du Conseil constitutionnel, on précisera que la contribution de 1 % au profit de l'Etat, complémentaire à l'impôt sur le revenu, a été instituée lors de la pérennisation, par la loi de finances pour 1985, de la contribution sociale de 1 % perçue au profit de la CNAF. Cette contribution, prévue à l'article 204 A du code général des impôts, a notamment pris la forme d'une contribution de 1 % complémentaire à l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les revenus de capitaux mobiliers soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu. Tel est notamment le cas des dividendes d'actions ainsi que des intérêts des produits de placement, à défaut d'option pour un prélèvement forfaitaire libératoire.
Le champ d'application de cette contribution est le même que celui de l'impôt sur le revenu : elle n'est donc pas exigible lorsque les revenus sont exonérés, alors que les prélèvements sociaux évoqués par les saisissants sont toujours exigibles, quelle que soit la situation fiscale du contribuable qui les perçoit au regard de l'impôt sur le revenu.
Certes, et comme le relèvent les requérants, le législateur, à l'initiative du Gouvernement, envisage de supprimer cette contribution eu égard aux prélèvements sociaux institués par le présent article. Mais cette suppression s'inscrit dans le cadre normal du pouvoir du législateur qui apprécie l'opportunité ou non de maintenir un prélèvement déterminé. Elle ne saurait procéder d'une prétendue incompatibilité entre les prélèvements sociaux et ceux qui sont institués au profit de l'Etat.
VI. : Sur la contribution à la charge des entreprises
assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques
A : L'article 12 de la loi adoptée a pour objet de créer une contribution à la charge des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques. Cette contribution, qui suit le régime de celle, définie par les articles L 138-1 et suivants du code de la sécurité sociale, qui frappe les ventes en gros de spécialités pharmaceutiques, sera perçue au taux de 2,5 % applicable au chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France auprès des pharmacies.
Pour critiquer ces dispositions, les députés, auteurs de la première saisine, font valoir qu'elles méconnaîtraient le principe d'égalité. Ils estiment que l'article 12 introduit une discrimination injustifiée entre les laboratoires et les grossistes, alors que les uns et les autres se trouveraient placés dans la même situation par la directive 92/25/CEE du 31 mars 1992, au regard notamment des obligations de service public.
B : Le Gouvernement considère, pour sa part, que cette critique n'est pas fondée, compte tenu de la différence de situation existant entre, d'une part, les laboratoires qui pratiquent la vente directe, et, d'autre part, les grossistes-répartiteurs, ces derniers, du fait des obligations particulières qui s'imposent à eux, assurant un rôle spécifique pour la satisfaction du public.
1. Il convient à cet égard de rappeler que les marges prélevées par le grossiste et le pharmacien d'officine, applicables aux médicaments remboursables sont actuellement réglementées. Lorsque les laboratoires pharmaceutiques effectuent des ventes directes, ils prélèvent la marge en principe réservée aux grossistes, le prix public pour l'assuré étant identique, quel que soit le circuit de distribution. Or cette pratique paraît inéquitable, dans la mesure où les laboratoires ne sont pas soumis aux mêmes obligations de service public que les grossistes et n'ont donc pas à supporter les coûts y afférents.
En particulier, les grossistes-répartiteurs ont des obligations supérieures à celles qui sont imposées aux laboratoires pharmaceutiques effectuant des ventes directes.
Au-delà du " socle " minimal fixé par l'article R 5115-6 du code de la santé publique (disposer de locaux aménagés, agencés et entretenus en fonction des opérations pharmaceutiques qui y sont effectuées ; posséder le matériel, les moyens et le personnel nécessaires à l'exercice de ces activités), le même article R 5115-6 du CSP prévoit par ailleurs des obligations spécifiques qui s'imposent aux seuls grossistes-répartiteurs.
Ces obligations consistent à :
: détenir en permanence un stock de médicaments permettant d'assurer l'approvisionnement de la consommation mensuelle des officines du secteur qu'il dessert ;
: être en mesure d'assurer la livraison de ces médicaments dans les 24 heures suivant réception de la commande.
2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la directive 92/25 du 31 mars 1992 ne modifie pas ce schéma juridique.
Bien au contraire, elle consacre les obligations dites " de service public " pesant sur les personnes autorisées à distribuer en gros des médicaments : c'est-à-dire les grossistes-répartiteurs en droit interne : et renvoie à ce même droit le soin de les définir.
La lourdeur des obligations spécifiques (définies par la directive comme étant de service public) imposées aux grossistes justifie donc la situation particulière qui leur est faite. Elle justifie, par là-même, que le législateur introduise, comme le fait l'article 12, un dispositif permettant de corriger ce déséquilibre.
On observera enfin que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le taux de 2,5 % n'excède nullement la faculté contributive des laboratoires assujettis.
La marge du grossiste est en effet égale à 10,74 % du prix du fabricant. Cette marge rémunère les coûts des obligations précitées imposées spécifiquement aux grossistes. Dès lors, il est légitime de tenir compte de ce que les laboratoires perçoivent une rémunération correspondant à des coûts qu'ils n'assument pas. Ainsi la taxe permet-elle de récupérer, auprès des laboratoires, l'équivalent d'un quart de la marge du grossiste, les trois quarts de celle-ci étant, en tout état de cause, laissés aux laboratoires pour rémunérer leurs coûts de distribution, ainsi que les obligations minimales auxquelles ils sont soumis.
En tout état de cause, on observera qu'en l'absence de transposition de cette directive, celle-ci n'a pas, par elle-même, d'effet direct sur les obligations pesant sur les différents acteurs économiques.
VII. : Sur la mise sous conditions de ressources
des allocations familiales
A : L'article 23 du texte déféré place désormais sous conditions de ressources les allocations familiales. Il tend ainsi à introduire davantage de justice dans les transferts financiers vers les familles, avec le souci d'une appréhension globale de la politique familiale et la volonté de restaurer l'équilibre financier, gravement compromis aujourd'hui, de la branche famille.
Pour contester le choix ainsi fait par le législateur, les parlementaires saisissants invoquent la méconnaissance, tant d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que du Préambule de la Constitution de 1946 et du principe d'égalité. Ils se prévalent également du lien qui existerait entre l'existence de cotisations et un droit à prestations. Ils estiment en outre que les dispositions contestées ont pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Enfin, les sénateurs auteurs de la seconde saisine y ajoutent un grief tiré de " l'incompétence négative " dont seraient entachées les dispositions critiquées.
B : Aucun de ces moyens ne peut être accueilli.
1. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'est pas possible de tirer du Préambule de 1946 un principe dit de " l'universalité des allocations familiales ", qui s'opposerait à ce que le législateur adopte une mesure comme celle qui est contestée.
a) En premier lieu, l'exigence que les auteurs des saisines voudraient faire prévaloir ne saurait être assimilée à un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Comme le souligne M Genevois dans son ouvrage consacré à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (p 200 n° 334), " le principe fondamental reconnu par les lois de la République apparaît comme un principe essentiel, posé par le législateur républicain, touchant à l'exercice des droits et libertés et qui a reçu application avec une constance suffisante dans la législation antérieure à la Constitution du 27 octobre 1946 ".
L'attribution d'allocations familiales à toutes les familles, indépendamment du niveau de leurs revenus, ne peut être considérée comme un principe satisfaisant aux conditions ainsi définies.
D'une part, en effet, elle ne met pas en cause l'exercice des droits et libertés, mais traduit seulement une certaine conception de la solidarité nationale.
D'autre part, et en tout état de cause, l'invocation des précédents cités par les saisissants ne permet pas de conclure à l'existence d'un principe qui interdirait au législateur de prévoir une modulation des prestations familiales en fonction de ressources des bénéficiaires.
Qu'il s'agisse, en effet, de l'état du droit antérieur à la Constitution de 1946 ou du régime qui s'est appliqué ultérieurement, on ne peut manquer de relever que l'évolution de l'aide aux familles en France a été complexe. Dans la tradition française, l'aide aux familles a pu prendre des formes diversifiées et n'a jamais été limitée aux prestations positives. Les exonérations fiscales résultant du jeu du quotient familial créé par la loi du 31 décembre 1945 y ont, en particulier, joué un rôle essentiel.
Au demeurant, les dispositions dont se prévalent les requérants ne traduisent nullement l'idée " d'universalité " qu'ils voudraient aujourd'hui faire consacrer par le Conseil constitutionnel.
C'est ainsi que la loi du 11 mars 1932 n'a rendu obligatoire le versement d'allocations familiales qu'au profit des salariés. Elle pose l'obligation pour tout employeur occupant du personnel dans une profession industrielle, commerciale, agricole ou libérale de s'affilier à une caisse de compensation agréée par le ministre du travail et constituée entre employeurs en vue de répartir les charges résultant du versement des allocations familiales.
L'article 74 b du code du travail issu de cette loi prévoit ainsi que, pour cette catégorie de salariés, les allocations familiales sont dues pour tout enfant légitime, reconnu ou adopté à la charge de l'ouvrier ou de l'employé.
L'article 74 c détermine par ailleurs un taux minimum d'allocations familiales pour chaque enfant, fixé dans chaque département soit pour l'ensemble des professions, soit par catégories (elles sont calculées en pourcentage d'un salaire moyen départemental). Les caisses demeurent libres d'accorder des allocations d'un montant supérieur. Elles sont en outre versées pour chaque journée de travail.
Les allocations familiales ainsi instituées par la loi du 11 mars 1932, dont le montant variait selon la zone géographique habitée et la profession, et qui ne concernaient à l'origine que les seuls salariés, ne correspondent donc à aucune volonté d'universalité.
On précisera par ailleurs que les décrets-lois des 31 mai et 14 juin 1938 concernant les allocations familiales agricoles faisaient bénéficier des allocations familiales les exploitants agricoles ayant au moins deux enfants à charge et qui étaient exonérés de l'impôt sur le revenu.
Quant au décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française dont se prévalent principalement les requérants, on soulignera qu'il revient sur le choix, fait en 1932, d'accorder une aide dès le premier enfant. Retenant une conception différente, il vise plus spécifiquement à favoriser les familles d'au moins trois enfants. Il tend en outre à uniformiser les taux d'allocations familiales versées et les étend à d'autres employeurs qu'aux salariés, exploitants agricoles et salariés de l'agriculture, notamment aux autres travailleurs indépendants.
Ce même décret a institué d'autres prestations pour les familles : une prime à la première naissance, l'allocation de la mère au foyer.
C'est donc l'ensemble des prestations versées aux familles figurant dans le titre Ier de ce texte qui constitue " l'aide à la famille " que vise son intitulé.
Eu égard à cette diversité, et surtout au fait que le décret réserve le bénéfice des allocations familiales aux seules personnes exerçant une activité professionnelle, il est abusif de se fonder, comme le font les requérants, sur la mention " l'aide à la famille est égale pour tous les Français " figurant dans le rapport de présentation de ce décret, pour affirmer qu'il consacre un droit aux allocations familiales, dont la portée serait universelle.
Par la suite, l'article 1er de l'ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale précise qu'il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent.
Cet article général, qui ne concerne que les personnes qui exercent une activité professionnelle, ne pose aucun principe d'obligation de versement des allocations familiales à toutes les familles. Il prévoit simplement que la sécurité sociale couvre les charges de maternité et les charges de famille sans apporter de précision sur les allocations familiales.
Cet article qui se retrouve, après modification, à l'article L 111-1 du code de la sécurité sociale, dispose actuellement que " l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale (). Elle couvre également les charges de maternité et de famille ". Cet article précise donc que les charges de famille sont couvertes par la sécurité sociale mais dans le cadre de la solidarité nationale. Le versement des allocations familiales aux familles qui en ont le plus besoin s'inscrit bien dans ce principe général de solidarité prévu par la loi.
Par ailleurs, la loi du 22 août 1946 qui a fixé le régime des prestations familiales, au lendemain de la Libération, maintient la condition d'activité professionnelle pour le bénéfice des allocations familiales. Le décret du 11 décembre 1946, pris en application de cette loi, prévoit ainsi en son article 3 que la personne n'exerçant pas d'activité professionnelle qui prétend aux prestations familiales doit justifier de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve d'exercer une telle activité.
On soulignera enfin que la loi ne revient pas non plus sur le principe d'allocations familiales différentes selon la zone géographique.
Les choix faits à cette époque témoignent ainsi d'une volonté politique, appuyée sur une certaine conception démographique de la politique sociale, qui n'est qu'une étape dans l'histoire des prestations familiales. Ils ne traduisent en tout cas aucune volonté " d'universalité " que le constituant de 1946 serait réputé avoir entendu cristalliser pour l'avenir.
Et l'on ne peut d'ailleurs que constater que le législateur a ensuite diversifié la mise en uvre de la politique d'aide à la famille en multipliant les allocations spécifiques sous conditions de ressources.
C'est ainsi que la loi du 1er septembre 1948 a créé, avec l'allocation de logement, une prestation familiale à la fois modulée et plafonnée. Cette solution a également été retenue avec l'institution, par la loi du 3 janvier 1972, d'une condition de ressources pour l'allocation de salaire unique. Ce système a été étendu par la loi du 12 juillet 1977 substituant le complément familial à cette allocation de salaire unique et à diverses prestations antérieures.
Ces textes législatifs, dont on ne peut soutenir qu'ils ont été pris en violation d'un principe constitutionnel, témoignent du souci de prendre en compte l'objectif de réduction des inégalités sociales, à travers les politiques d'aide à la famille. Cette idée ne peut qu'être confortée par la constatation qu'une autre forme de compensation des charges familiales, le quotient fiscal, pemet aux familles de payer d'autant moins d'impôt sur le revenu que ce revenu est élevé.
Enfin, il n'est pas indifférent de relever que, saisi de la même question à propos de la légalité d'une délibération de l'assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie ayant un objet similaire, le Conseil d'Etat a refusé, par un arrêt de section du 6 juin 1986, Fédération des fonctionnaires agents et ouvriers de la fonction publique, de reconnaître l'existence d'un principe selon lequel les charges familiales devraient être compensées par un minimum accordé à tous.
b) En second lieu, il n'est pas davantage possible de soutenir, comme le font les parlementaires saisissants, que l'introduction d'une condition de ressources en matière d'allocations familiales méconnaîtrait directement les prescriptions du Préambule de la Constitution de 1946, notamment celles du onzième alinéa énonçant que " la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère la sécurité matérielle ".
On ne peut en effet que constater qu'en retenant une formulation aussi générale, le constituant n'a pas pris parti sur la manière d'atteindre cet objectif. Il appartient donc au législateur et au pouvoir réglementaire, chacun pour la part qui lui revient en application des articles 34 et 37 de la Constitution, de déterminer librement les modalités de mise en uvre de l'exigence ainsi formulée, sous la seule condition de ne pas en dénaturer la portée (cf notamment en ce sens la décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987).
En matière de droit à prestation, la jurisprudence du Conseil constitutionnel laisse ainsi une grande latitude au législateur pour cette mise en uvre. En l'espèce, le Parlement n'a fait qu'exercer la compétence qui lui appartient en faisant le choix, évoqué plus haut, d'introduire plus de justice sociale dans les conditions d'octroi de cette catégorie de prestations. Dès lors que la réforme ainsi opérée n'a pas pour effet de priver de portée les exigences du Préambule, elle ne saurait être utilement contestée sur ce fondement.
2. La mise sous conditions de ressources des allocations familiales n'est pas davantage contraire au principe constitutionnel d'égalité.
a) En premier lieu, il convient de souligner que la différence de traitement qui résulte de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales est en rapport avec l'objet de la loi de financement de la sécurité sociale puisqu'elle est l'une des mesures visant à rétablir l'équilibre financier de la branche famille de la sécurité sociale.
b) En deuxième lieu, le Conseil ne pourra davantage accueillir le grief suivant lequel la disposition contestée créerait une rupture de l'égalité dans la prise en compte des ressources, selon que les parents des enfants sont mariés ou vivent en concubinage.
L'article 23 de la loi se borne en effet à prévoir que les allocations familiales sont attribuées au ménage ou à la personne dont les ressources n'excèdent pas un plafond qui varie en fonction du nombre d'enfants à charge. Pour le surplus, il appartient au pouvoir réglementaire, compétent pour fixer le niveau de ce plafond, de fixer les modalités suivant lesquelles celui-ci sera apprécié.
Le texte déféré ne prenant pas parti sur la question soulevée par les députés saisissants, le grief suivant lequel il introduirait une discrimination au détriment des couples mariés ne peut qu'être écarté comme manquant en fait. A supposer même que, comme le soutiennent les requérants, le principe d'égalité implique en l'espèce de procéder à l'assimilation qu'ils préconisent, il appartiendrait au juge administratif de veiller au respect de ce principe par les dispositions réglementaires nécessaires à la mise en uvre de la réforme opérée par l'article 23.
Ce n'est donc qu'à titre subsidiaire que le Gouvernement indiquera, pour la complète information du Conseil constitutionnel, que c'est l'ensemble des ressources du ménage qui seront prises en compte pour le versement des allocations familiales, qu'il s'agisse de couples mariés ou non, comme c'est déjà le cas pour l'ensemble des prestations familiales versées sous condition de ressources.
Il convient à cet égard de souligner qu'en matière de prestations versées sous condition de ressources, le droit positif fait déjà référence à la même notion de " ménage " que la loi déférée. Tel est le cas :
: pour le complément familial visé à l'article L 522-1 du code de la sécurité sociale ;
: pour l'allocation pour jeune enfant (art L 531-1) ;
: pour l'allocation de logement familiale (art L 542-1).
Pour ces diverses prestations, les dispositions réglementaires qui les régissent (art R 522-2, R 531-10 et D 542-8) prennent en compte les ressources des concubins au même titre que celles d'un couple marié.
On rappellera enfin que les dispositions réglementaires qu'il appartiendra au Gouvernement de prendre, pour préciser le mode de détermination du plafond prévu par la présente loi, seront naturellement placées sous le contrôle du juge administratif.
c) En troisième lieu, c'est en vain que les requérants font grief au texte déféré de prévoir que, pour le versement des allocations familiales sous condition de ressources, le plafond est majoré lorsque chaque membre du couple dispose d'un revenu professionnel ou lorsque la charge des enfants est assumée par une personne seule.
D'une part, en effet, une telle structure de plafond est cohérente avec celle qui existe pour les actuelles prestations familiales sous condition de ressources que sont le complément familial et l'allocation pour jeune enfant. Pour ces prestations, il est déjà prévu que le plafond de base est majoré, compte tenu du nombre d'enfants à charge de la famille. Il l'est également lorsque les deux membres du couple exercent une activité professionnelle ou lorsqu'une personne seule assume seule la charge des enfants.
D'autre part, il convient de souligner que cette majoration se justifie par la situation différente dans laquelle se trouvent les catégories ainsi visées. Il est en effet constant que les frais supportés par un couple dans lequel les deux conjoints travaillent sont, la plupart du temps, plus importants que ceux engagés par un couple dont un des parents n'exerce pas d'activité professionnelle.
On peut citer à cet égard :
: les frais de garde des enfants qui, bien que faisant l'objet d'aides importantes de la collectivité pendant la petite enfance, ne sont jamais pris en charge intégralement, étant rappelé que ces frais perdurent bien après à l'entrée dans le système scolaire (garde à la sortie de l'école, organisation des temps libres, vacances) ;
: les frais supplémentaires liés à l'activité des deux parents : coût des transports, des repas à l'extérieur des parents et des enfants.
L'ensemble de ces frais s'impute directement sur les revenus d'activité, les ressources disponibles de la famille étant diminuées à due concurrence.
Il en va de même pour la personne seule ayant la charge d'enfants, qui subit les mêmes contraintes et les mêmes charges financières alors qu'elle ne dispose que d'un seul revenu.
Il en résulte qu'en décidant de prendre en compte, pour le versement des allocations familiales sous condition de ressources, les charges particulières qu'assument les parents double-actifs ou les personnes seules ayant des enfants à charge le législateur n'a pas méconnu le principe constitutionnel d'égalité.
3. C'est également en vain qu'est invoquée, pour critiquer l'introduction d'une condition de ressources en matière d'allocations familiales, l'existence d'un principe suivant lequel le versement de cotisations ouvre vocation à des droits aux prestations et avantages servis par les régimes auxquels sont destinées ces cotisations.
D'une part, en effet, la décision du 13 août 1993 dont se prévaut la saisine des députés se borne à préciser les exigences qui découlent du principe d'égalité, dès lors qu'un régime déterminé de prestations sociales prévoit que le versement de cotisations ouvre droit à prestation. C'est donc de manière abusive que les requérants en déduisent l'existence d'un principe constitutionnel suivant lequel tout versement de cotisations à un régime quelconque de protection sociale devrait ouvrir droit, de manière indifférenciée, aux prestations que ce régime a vocation à servir.
D'autre part, et en tout état de cause, il faut souligner que la branche famille de la sécurité sociale est financée principalement par les cotisations d'allocations familiales à la charge des employeurs, par la CSG et par des subventions de compensation de l'Etat. Ainsi le système diffère-t-il, par exemple, de celui des retraites qui est contributif : aucune cotisation sociale n'est assise sur les familles qui leur ouvrirait un droit aux allocations familiales.
4. Les dispositions contestées n'ont pas davantage pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
Contrairement à ce que suggère l'argumentation des requérants, il n'existe pas de principe constitutionnel qui interdise de modifier un régime de protection sociale et, le cas échéant, de le rendre moins favorable pour certaines catégories de bénéficiaires. La thèse de l'existence d'un " effet cliquet " en la matière aurait des conséquences extrêmement graves sur l'organisation du système de protection sociale : à l'heure où l'équilibre des régimes sociaux est en péril, il est de la responsabilité et de la compétence du législateur de répartir de la façon qu'il estime être la plus équitable possible les sommes disponibles.
En réalité, et comme pour le respect des objectifs résultant du Préambule, la constitutionnalité de l'aménagement d'un régime de prestations sociales ne peut être appréciée que de manière pragmatique et selon une approche globale. C'est ainsi que, pour valider la réduction des prestations servies au titre de l'allocation pour adultes handicapés, le Conseil constitutionnel a relevé " qu'au regard de l'état de la législation en vigueur la modification (apportée par la loi au détriment des personnes affectées des incapacités les moins graves) des modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés n'est pas de nature à mettre en cause le principe à valeur constitutionnel précité " proclamé par le onzième alinéa du Préambule de 1946 (n° 93-330 DC du 29 décembre 1993).
Le Conseil avait auparavant, dans sa décision déjà citée du 23 janvier 1987, retenu la même approche globale, conduisant à prendre en compte l'existence de diverses prestations poursuivant une finalité semblable, pour juger conforme à la Constitution l'instauration de conditions à l'octroi de certaines d'entre elles.
En l'espèce, la même analyse ne peut que conduire à la conclusion que le législateur n'a pas privé de garanties légales les exigences du Préambule en introduisant une condition de ressources en matière d'allocations familiales.
5. Enfin, et contrairement à ce que soutiennent les sénateurs auteurs de la seconde saisine, le législateur n'a pas méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en ne fixant pas lui-même le plafond de revenu au-delà duquel les allocations familiales ne sont plus dues.
Il est en effet constant que cette compétence ne porte que sur la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale. Or il résulte de la jurisprudence que, si le législateur est compétent pour déterminer des catégories de prestations, il appartient au pouvoir réglementaire d'en préciser le contenu (n° 60-5 L du 7 avril 1960). De même le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que ne relèvent pas du domaine législatif les dispositions fixant le montant des prestations (n° 72-74 L du 8 novembre 1972), non plus que celles relatives à la définition des conditions d'âge ou d'incapacité ouvrant droit aux prestations (n° 85-139 L du 8 août 1985).
Au regard de ces critères, aucune " incompétence négative " ne peut être reprochée au texte déféré. Le législateur a pris parti sur le principe de l'existence de plafonds limitant la possibilité de bénéficier de cette prestation. La loi a elle-même arrêté le principe d'une modulation de ces plafonds en fonction du nombre des enfants à charge, tout en précisant les cas dans lesquels le plafond est majoré. Enfin, elle précise la nature des éléments en fonction desquels le niveau de ce plafond est relevé.
En laissant au pouvoir réglementaire le soin de compléter ce dispositif et d'en préciser les modalités d'application, le Parlement s'est borné à respecter la compétence que le Gouvernement tient de l'article 37 de la Constitution.
VIII. : Sur l'exonération des charges sociales
afférentes à l'allocation de garde des enfants à domicile
Les requérants considèrent qu'en renvoyant à plusieurs reprises à un décret pour la fixation d'un plafond et d'une fraction à l'article 24, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être exposées, ce moyen doit être écarté.
En définitive, aucun des nombreux griefs invoqués à l'encontre de la loi déférée n'est de nature à en justifier la censure. Aussi le Gouvernement demande-t-il au Conseil constitutionnel de rejeter les recours dont il est saisi.
SAISINE COMPLEMENTAIRE DEPUTES :
I : Sur la mise sous conditions de ressources
des allocations familiales
Les dispositions relatives au plafonnement des allocations familiales, telles que prévues par l'article 19, devenu l'article 23 dans le texte définitif de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, ne s'appliquent pas seulement aux allocations familiales régies par l'article L 521-1 nouveau du code de la sécurité sociale, mais encore aux allocations régies par l'article L 755-10 et par l'article L 755-11.
Bien plus, le principe même du plafonnement établi par le deuxième alinéa de l'article L 521-1 nouveau du code de la sécurité sociale est lié aux modalités de différenciation établies par le troisième alinéa.
Le rapport, annexé à la loi et approuvé par celle-ci, " sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier " illustre le dispositif nouveau : " les allocations familiales ne seront plus versées pour les familles qui disposent d'un revenu net supérieur à 25 000 F Ce plafond est majoré de 7 000 F pour les biactifs et les familles monoparentales et de 5 000 F par enfant, à partir du troisième. "
Ainsi pour un couple dont un membre travaille, ayant deux enfants à charge, le plafond sera de 25 000 F ; pour un couple dont les deux membres travaillent, ayant également deux enfants à charge, le plafond sera de 32 000 F ; de même, pour une personne seule ayant deux enfants à charge, le plafond sera de 32 000 F.
Les mêmes types de différence se retrouveront pour l'augmentation du plafond de ressources en raison du nombre d'enfants.
Ainsi, pour un couple dont un seul membre travaille, ayant trois enfants à charge, le plafond sera de 30 000 F ; pour un couple dont les deux membres travaillent ainsi que pour une personne seule ayant également trois enfants à charge, le plafond sera de 37 000 F et ainsi de suite.
Il va être démontré que ce dispositif est contraire au principe d'égalité (I) et que la violation de la Constitution ainsi commise atteint l'ensemble de l'article (II).
1° La violation du principe d'égalité
1. Il n'est pas nécessaire de rappeler que le principe d'égalité a valeur constitutionnelle, tant cette valeur est évidente à la fois par l'affirmation du principe dans les textes constitutionnels (Déclaration de 1789, article 1er de la Constitution de 1958) que par son rappel constant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v F Mélin-Soucramanien, Le Principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Economica, PU d'Aix-Marseille, 1997).
Le principe d'égalité impose de traiter de la même manière toutes les personnes qui sont dans la même situation. Il n'interdit pas de traiter de manière différente des personnes qui sont dans des situations différentes, ni de déroger à l'égalité dans un but d'intérêt général, mais c'est à condition qu'il existe un rapport entre les différences ainsi réalisées et l'objet de la loi.
Le Conseil constitutionnel a adopté dans sa décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988 portant sur la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole (Rec. 17) un considérant de principe (n° 10) qui mérite d'être reproduit :
" Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. "
Ce considérant est constamment repris par le Conseil constitutionnel. Il a même été renforcé puisqu'il ne suffit plus que " la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ", il faut qu'elle soit " en rapport direct " (CC n° 96-375 DC 9 avril 1996, Rec. 60, considérant n° 8 ; n° 96-380 DC 23 juillet 1996, considérant n° 9 ; n° 97-388 DC 20 mars 1997, JO, p 4661, spécialement p 4664).
2. A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a déjà censuré des dispositions établissant des différences de traitement en fonction de différences de situations ou de buts d'intérêt général sans rapport avec l'objet de la loi.
Par exemple, lors de la nationalisation des banques en 1982, " la dérogation portée au profit des banques dont la majorité du capital appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif, méconnaît le principe d'égalité ; en effet, elle ne se justifie ni par des caractères spécifiques à leur statut, ni par la nature de leur activité, ni par des difficultés éventuelles dans l'application de la loi propres à contrarier les buts d'intérêt général que le législateur a entendu poursuivre " (CC n° 81-132 DC 16 janvier 1982, Rec. 18, considérant n° 33).
Ou encore, en faisant bénéficier les donataires et héritiers de biens professionnels d'un abattement de 50 % sans exiger qu'ils exercent des fonctions dirigeantes au sein de l'entreprise et en étendant cet avantage aux transmissions par décès accidentels d'une personne âgée de moins de cinquante-cinq ans, " la loi a établi vis-à-vis des autres donataires et héritiers des différences de situation qui ne sont pas en relation directe avec l'objet d'intérêt général " consistant à assurer la pérennité des petites et moyennes entreprises (CC n° 95-369 DC 28 décembre 1995, Rec. 257, considérant n° 10).
3. La décision n° 96-385 DC du 30 décembre 1996 (Rec. 145) a censuré une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, dans des conditions qui éclairent particulièrement le texte examiné (considérants 2 à 8).
La loi de finances pour 1997 avait, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, limité le plafond de la réduction d'impôt accordée jusque-là uniformément aux contribuables veufs, célibataires et divorcés, à 13 000 F pour les seuls contribuables célibataires et divorcés, alors que les veufs bénéficiaient d'un plafond de 16 200 F ; elle avait étendu le plafonnement de 13 000 F aux contribuables célibataires et divorcés lorsqu'ils ont adopté un enfant ; le plafond de 13 000 F devait être abaissé à 10 000 F à compter de l'imposition des revenus de 1997.
Les auteurs de la saisine ont allégué qu'à charge familiale strictement égale un contribuable célibataire ou divorcé serait traité plus défavorablement qu'un contribuable veuf ; que la différence de situation qui le distingue ne saurait être considérée comme comportant une justification au regard de l'objet du quotient familial ; qu'en conséquence les dispositions contestées étaient contraires au principe d'égalité.
Le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions s'inscrivaient dans le cadre d'une réforme de l'impôt sur le revenu que le législateur a entendu mettre en oeuvre à l'occasion de la loi de finances pour 1997, notamment en réexaminant certaines réductions d'impôt comportant des avantages qui ne lui paraissaient pas justifiés.
Le Conseil a considéré " toutefois, qu'au regard de la demi-part supplémentaire qui leur est accordée, les contribuables veufs, divorcés ou célibataires ayant élevé un ou plusieurs enfants sont placés dans une situation identique ; qu'en effet l'octroi de cet avantage fiscal est lié pour l'ensemble d'entre eux à des considérations tirées à la fois de l'isolement de ces contribuables et de la reconnaissance de leurs charges antérieures de famille " ; " dès lors, qu'en limitant aux seuls divorcés et célibataires l'abaissement du plafond de la réduction d'impôts résultant de l'octroi de la demi-part supplémentaire accordée dans des conditions identiques aux veufs, divorcés et célibataires ayant élevé au moins un enfant, le législateur a méconnu le principe d'égalité devant l'impôt ".
4. Ce précédent est directement transposable à la différenciation du plafond des revenus à partir duquel est supprimé le versement des allocations familiales.
Il faut rappeler que les allocations familiales sont destinées à compenser les charges liées aux enfants.
Déjà la mise sous conditions de ressources du versement des allocations familiales est contestable au regard du principe fondamental reconnu par les lois de la République, de l'universalité des allocations familiales et au regard du principe d'égalité lui-même, les enfants constituant une charge pour toute famille, quelle que soit la situation de celle-ci.
A fortiori, la différenciation en fonction de l'origine des ressources, du plafond de ressources à partir duquel les allocations ne sont plus versées, viole le principe d'égalité.
La charge des enfants est la même pour un couple ou une personne seule qui dispose d'un même montant de revenus. Elle ne change pas selon qu'elle est supportée par un couple dont un seul membre ou les deux exercent une activité professionnelle ou par une personne seule : dans les trois cas, à montant de revenu égal et à nombre d'enfants égal, la charge familiale est la même.
Si le législateur entend limiter le versement des allocations familiales aux familles dont le revenu ne dépasse pas un certain plafond, il ne peut fixer un plafond différent en tenant compte de circonstances qui sont sans rapport direct avec la charge qu'entraîne la présence d'enfants.
5. On peut transposer en l'espèce les considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1996.
Le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il poursuit.
Les dispositions contestées s'inscrivent dans le cadre d'une réforme de la protection sociale qu'il a entendu mettre en oeuvre à l'occasion du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 ; il a décidé de réexaminer les conditions d'octroi des allocations familiales qui ne lui paraissent plus véritablement justifiées.
Toutefois, au regard des allocations familiales accordées pour compenser les charges d'enfants, les personnes disposant d'un même montant de revenus et élevant le même nombre d'enfants sont placées dans une situation identique, qu'elles vivent en couple ou vivent seules ou que, vivant en couple, un seul membre ou les deux membres du couple exercent une activité professionnelle ; en effet, l'octroi des allocations familiales est lié pour l'ensemble d'entre eux à des considérations tirées de leurs charges de famille.
Dès lors, en majorant le plafond à partir duquel les allocations familiales ne sont plus versées, lorsque chaque membre du couple dispose d'un revenu professionnel ou lorsque la charge des enfants est assumée par une personne seule, le législateur a méconnu le principe d'égalité (ainsi que l'a indiqué Mme Christine Boutin dans son exception d'irrecevabilité, Assemblée nationale, séance du 25 novembre 1997, p 6264).
Par ailleurs, si le souci du Gouvernement est de faire des économies, encore faudrait-il que l'effort demandé aux différentes catégories de personnes appelées à faire un effort soit également réparti en tenant compte de leurs facultés, conformément à la décision n° 85-200 du 16 janvier 1986 du Conseil. Or, à revenu égal (par exemple 40 000 F mensuel), une famille de deux enfants ne fera un effort que de 671 F par mois alors que cet effort sera de 3 252 F par mois pour une famille élevant cinq enfants et ayant de ce fait une faculté contributive inférieure. La mise sous conditions de ressources des allocations familiales a, pour les familles, un effet confiscatoire d'autant plus fort que leur faculté contributive est diminuée par le nombre d'enfants qu'elles ont à charge. Elle est donc clairement contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
L'alinéa 3 de l'article L 521-1 nouveau que l'article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale introduit dans le code de la sécurité sociale est donc contraire à la Constitution.
Cette violation de la Constitution affecte l'article 23 tout entier.
2° Les conséquences de la violation du principe d'égalité
6. Le caractère anticonstitutionnel du nouvel alinéa 3 de l'article L 521-1 du code de la sécurité sociale ne conduit pas seulement à invalider cet alinéa.
Il doit entraîner l'invalidation non seulement d'autres dispositions de l'article 23, mais de l'article 23 dans son ensemble.
7. Sont d'abord contraires à la Constitution toutes les autres dispositions du même article qui y font expressément référence (en ce sens notamment CC n° 96-373 DC 9 avril 1996, Rec. 43, considérant 23).
Dans son paragraphe II, l'article 23 complète l'article L 755-11 du code de la sécurité sociale par des alinéas, dont le dernier renvoie expressément aux troisième à sixième alinéas, du nouvel article L 521-1 pour en faire application aux allocations visées à l'article 755-12.
Or, comme on vient de le voir, le troisième alinéa de l'article L 521-1 nouveau est contraire au principe d'égalité, donc à la Constitution.
Le renvoi par le dernier alinéa de l'article L 755-11 nouveau au troisième alinéa de l'article L 521-1 nouveau est donc lui-même contraire à la Constitution.
La même conséquence doit s'appliquer au paragraphe III de l'article 23, qui complète l'article L 755-10 du code de la sécurité sociale pour rendre applicables aux personnes mentionnées à cet article les dispositions de l'article L 521-1, parmi lesquelles le troisième alinéa, contraire à la Constitution.
Par là même le paragraphe III de l'article 23 est contraire à la Constitution.
8. Au-delà de chacun des alinéas qui viennent d'être passés en revue, c'est l'article 23 tout entier qui doit être déclaré contraire à la Constitution, car les alinéas en cause sont inséparables du reste de l'article.
Il faut rappeler à ce sujet que, pour apprécier l'inséparabilité d'une disposition, doivent être pris en considération le texte lui-même et les débats parlementaires (en ce sens notamment CC n° 63-21 DC, 12 mars 1963, Rec. 23, considérant 23 ; CC n° 87-232 DC, 7 janvier 1988, Rec. 17, considérant 43).
Un précédent permet d'illustrer l'inséparabilité de dispositions figurant au sein d'un même article dans une espèce analogue à celle-ci :
: CC n° 73-51 DC, 27 décembre 1973, Rec. 25, considérant 4 : l'exclusion de certains contribuables, en fonction du montant de leur base d'imposition, de la possibilité de recours contre une taxation d'office, se présente comme une exception à la faculté d'écarter, au moyen de la preuve contraire, l'application d'une taxation d'office ; elle constitue donc un élément inséparable des autres dispositions de l'article de la loi.
De la même manière, la disposition établissant un plafond de ressources différent pour le versement d'allocation familiales, plus élevé pour certaines personnes que pour d'autres, se présente comme une exception au système du plafonnement ; elle constitue donc un élément inséparable des autres dispositions de l'article de la loi.
Tant dans les débats parlementaires que dans le rapport annexé à la loi, la différenciation du plafond apparaît comme un élément intrinsèquement lié au principe même du plafonnement. Le législateur n'aurait pas adopté de la même manière ce principe s'il avait vu qu'il ne pouvait différencier le plafond selon l'origine des revenus des personnes chargées de famille.
En conséquence, la censure des dispositions établissant cette différenciation doit entraîner celle de tout l'article dans lequel elles se trouvent, qui constitue un tout indissociable.
II. : Sur la taxe spécifique de 2,5 %
sur les ventes directes de produits pharmaceutiques
L'article 12 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 institue une taxe de 2,50 % sur les ventes directes de médicaments des laboratoires aux officines, au motif que les grossistes " jouent un véritable rôle de santé publique " et que la vente directe des laboratoires s'effectue au détriment des grossistes.
En vertu de cette loi, les laboratoires et les grossistes, bien qu'étant placés dans la même situation, ne seraient donc pas soumis au même régime fiscal.
Or, s'il appartient au législateur de déterminer l'assiette et le taux d'une imposition, il ne peut le faire que dans le respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle (n° 82-152 DC, 14 janvier 1983, Rec. p 13).
9. 1° La taxe instituée contrevient au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cette différence de traitement n'est justifiée ni par une différence de situation ni par l'intérêt général.
10. En effet, les laboratoires et les grossistes sont placés dans une même situation (n° 86-209 DC, 3 juillet 1986, Rec. p 13).
Il convient de rappeler que, depuis le 1er janvier 1993, la distribution en gros des médicaments est organisée sur la base d'une directive 92/25/CEE du Conseil du 31 mars 1992 concernant la distribution en gros des médicaments à usage humain.
La directive subordonne l'exercice de la profession de grossistes en médicaments à la détention d'une autorisation administrative préalable (art 1er,
2, art 3,
1, de la directive). Or, en vertu du même texte, les laboratoires pharmaceutiques, fabricants, sont de plein droit titulaires de l'autorisation de distribuer en gros des médicaments (art 3,
3, de la directive).
Il en résulte que les laboratoires pharmaceutiques ont, de plein droit, la qualité de grossiste, au sens de la directive.
En conséquence, les grossistes et les laboratoires fabricants sont placés dans la même situation.
11. En outre, la directive les soumet aux mêmes obligations de service public.
Ainsi, au titre des obligations de service public auxquelles sont soumis tant les grossistes que les fabricants et leurs dispositaires qui exercent une activité de distribution en gros, figurent :
: l'obligation de garantir en permanence un assortiment de médicaments capables de répondre aux exigences d'un territoire géographiquement déterminé ;
: l'obligation d'assurer la livraison des fournitures demandées dans de très brefs délais sur l'ensemble dudit territoire (art 1er,
2, de la directive).
Il ressort donc très clairement des dispositions en cause que les fabricants, d'une part, et les grossistes, d'autre part, sont soumis aux mêmes obligations de service public, puisque les uns et les autres exercent une activité de distribution en gros de médicaments et que, dès lors, tous sont soumis, dans des conditions identiques, aux obligations prévues par la directive.
12. Dès lors, le critère de différenciation adopté par le législateur, fondé sur le rôle de protection de la santé publique joué par les grossistes et sur les obligations de service public auxquelles ils sont assujettis, est dépourvu de pertinence et est contraire aux textes de base qui organisent la profession.
Les obligations de service public ne peuvent, en l'espèce, justifier une quelconque différence de traitement entre grossistes et laboratoires, dans la mesure où ces deux catégories d'opérateurs sont soumis aux mêmes obligations.
Il s'ensuit que le fait d'assujettir les ventes directes effectuées par les laboratoires au versement d'une taxe que les grossistes ne subissent pas revient à ne pas les soumettre à la même charge fiscale, ce qui contrevient au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
En effet :
: d'une part, aucune différenciation ne peut être opérée entre les ventes réalisées par l'intermédiaire d'un grossiste et les ventes réalisées directement par les laboratoires, dès lors que ces deux catégories d'opérateurs ont la qualité de grossistes et que, par suite, la différenciation en cause ne repose sur aucun élément objectif ;
: d'autre part, la différenciation opérée ne peut être justifiée par des considérations d'intérêt général, dès lors que les deux grandes catégories d'opérateurs en cause (à savoir les grossistes et les laboratoires pharmaceutiques) sont soumises aux mêmes obligations de service public.
De plus, le taux de 2,50 % : qui représente quelque 25 % de la marge : excède la faculté contributive des laboratoires assujettis et est, lui aussi, constitutif d'une violation du principe d'égalité devant les charges publiques.
III. : Sur les prélèvements sociaux effectués sur les produits
du patrimoine et les produits du capital
L'article 9 substitue aux deux prélèvements de 1 % effectués sur les revenus de placements à revenu fixe soumis à prélèvement libératoire un prélèvement de 2 %.
S'agissant des revenus de capitaux mobiliers imposables par voie de rôle et des plus-values de cession mobilière, le prélèvement de 1 % au profit de la CNAVTS est maintenu et un nouveau prélèvement complémentaire de 1 % destiné à la CNAF, nonobstant le maintien du prélèvement initial de 1 % resté autonome ou intégré au taux de l'impôt, est créé.
Ainsi, les produits en cause se trouvent soumis à trois points de prélèvements complémentaires.
13. L'article 6 introduit une discrimination entre les revenus des capitaux mobiliers, sans aucune justification.
Les parlementaires n'ont pas été informés, tout au long de la discussion du projet de loi, du fait que certains revenus de capitaux mobiliers seraient soumis à trois points de prélèvement et d'autres à deux points.
Dès lors, les parlementaires n'ont pu prendre conscience de la rupture de l'égalité instituée par l'article 9.
Ce défaut d'information a empêché le législateur de remplir correctement sa mission.
14. Cette inégalité de traitement a d'ailleurs été constatée par le Gouvernement lui-même qui, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 1998 actuellement en cours, a proposé de supprimer un point de prélèvement sur les revenus de capitaux mobiliers imposés par voie de rôle, dividendes pour l'essentiel (Débats, Assemblée nationale, 3e séance du 17 novembre 1997, p 6007).
Toutefois cette réparation n'est que partielle :
Elle ne concerne pas les plus-values de cession de valeurs mobilières, qui restent frappées d'un prélèvement de trois points, alors que la différence économique et financière entre dividendes et plus-values est des plus ténues ;
Elle ne concerne pas l'année 1997 au titre de laquelle les dividendes comme les plus-values seront frappés de trois points de prélèvements.
15. Le Parlement n'a pas été en mesure d'apprécier de manière objective et rationnelle les conséquences de la rupture d'égalité de traitement des revenus de capitaux mobiliers, à laquelle conduit l'article 9 : les produits à risque (actions), supportant un point supplémentaire de prélèvement, par rapport aux produits de taux moins risqués (essentiellement les obligations et les titres de créances).Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 et, notamment, son article 23 relatif au placement des allocations familiales sous conditions de ressources, afin qu'il plaise au Conseil de déclarer cet article contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, du Préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Monsieur le président, Madame, Messieurs,
L'article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 2 décembre 1997, a pour effet de supprimer le droit aux allocations familiales pour les enfants des familles dont les ressources dépassent un certain plafond déterminé par la voie réglementaire.
En effet, aux termes du paragraphe I de cet article, l'article L 521-1 du code de la sécurité sociale, se trouve ainsi rédigé :
" Les allocations familiales sont attribuées à partir du deuxième enfant à charge.
" Ces allocations, ainsi que les majorations pour âge mentionnées à l'article L 521-3, sont attribuées au ménage ou à la personne dont les ressources n'excèdent pas un plafond qui varie en fonction du nombre des enfants à charge.
" Ce plafond est majoré lorsque chaque membre du couple dispose d'un revenu professionnel ou lorsque la charge des enfants est assumée par une seule personne.
" Les événements susceptibles de modifier le revenu professionnel, tels que divorce, décès ou chômage sont, dans les meilleurs délais, pris en compte pour l'attribution de ces allocations.
" Le niveau du plafond de ressources varie conformément à l'évolution des prix à la consommation hors tabac, dans des conditions prévues par voie réglementaire.
" Des allocations familiales différentielles sont dues lorsque les ressources excèdent le plafond d'un montant inférieur à une somme déterminée. "
Cette mesure toucherait environ 350 000 familles et 1 million d'enfants.
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que l'article 23 précité est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, du Préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
1. Supprimer à certaines familles tout droit aux allocations familiales romprait avec un principe fondamental reconnu par les lois de la République :
Institué sous la IIIe République, le droit aux allocations familiales est enraciné dans notre tradition juridique et constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Ces principes fondamentaux visés par le premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 expriment des droits reconnus par une pratique ancienne et durable et qui ont été consacrés par des textes successifs les ayant enracinés dans la tradition juridique de la République. Ces droits, solennellement réaffirmés par le peuple français, s'agrègent pleinement aux normes constitutionnelles qu'il appartient au législateur de respecter et de garantir à tous.
Ainsi en est-il, par exemple, de la liberté d'association ou de la liberté d'enseignement auxquelles votre Conseil a reconnu une valeur constitutionnelle du fait qu'elles ont été inscrites dans les lois républicaines anciennes et n'ont jamais été remises en cause.
Le droit aux allocations familiales relève bien de la même catégorie.
Les allocations familiales ne sont pas une " invention " de la IVe République : elles s'inscrivent dans le prolongement direct de plusieurs allocations ou indemnités à caractère familial créées à partir de 1860 et progressivement généralisées durant la première partie du xxe siècle.
Le droit aux allocations familiales a été étendu à tous les salariés par la loi du 11 mars 1932, leur régime de versement ayant été unifié par un décret du 12 novembre 1938 puis par un important décret du 29 juillet 1939 " relatif à la famille et à la natalité française ", souvent présenté comme la charte des prestations familiales.
Il s'agit d'un droit subjectif attaché à la personne de l'enfant, qui lui confère une véritable créance sur la collectivité : pour reprendre la terminologie des documents de présentation du Plan intérimaire 1982-1983 : " l'enfant est porteur d'une créance, d'un droit sur la collectivité du seul fait de son existence. Ce droit est identique pour tous les enfants, quels que soient leur rang dans la famille, les revenus ou l'état matrimonail de leurs parents "
A l'origine, les allocations familiales étaient d'ailleurs versées dès le premier enfant. Il est vrai qu'elles ont été ultérieurement réservées à partir du deuxième enfant, mais cette mesure, d'une portée strictement limitée, n'a pas remis en cause les principes posés par les textes fondateurs. Dans le droit fil de ces principes, on pourrait concevoir de reconnaître à nouveau le droit aux allocations familiales dès le premier enfant, mais évidemment pas de le supprimer à des enfants à qui il est actuellement reconnu.
L'ancienneté du droit aux allocations familiales et son maintien à travers toutes les réformes successives traduisent bien un " principe fondamental reconnu par les lois de la République " au sens du premier alinéa du Préambule de 1946.
Ce principe fondamental, en raison même de sa valeur constitutionnelle, bénéficie à tous, indépendamment des revenus de chacun et quelle que soit la part, importante ou modeste, que les allocations familiales peuvent représenter dans l'ensemble des ressources des familles bénéficiaires.
Le barème des allocations familiales ne varie d'ailleurs pas en fonction des revenus de la famille, mais uniquement en fonction du rang des enfants du chef desquels elles sont versées.
Une phrase extraite du rapport au Président de la République introduisant le décret du 29 juillet 1939 résume parfaitement cette philosophie : " L'aide à la famille est égale pour tous les Français, à quelque classe qu'ils appartiennent ; elle est due, en contrepartie, à la contribution solidaire de tous les Français, quelle que soit leur profession "
Les auteurs de la présente saisine considèrent donc que la suppression du droit aux allocations familiales pour les enfants de certaines familles méconnaîtrait ces principes et, comme telle, serait contraire à la Constitution.
2. Supprimer le droit aux allocations familiales à certaines familles méconnaîtrait le texte même du Préambule de la Constitution de 1946.
Le principe fondamental du droit aux allocations familiales, tel que reconnu par les lois de la République, s'ancre depuis 1946 dans la Constitution elle-même et, plus précisément :
: dans le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel la nation " assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " ;
: dans le onzième alinéa de ce Préambule, aux termes duquel la nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ".
De cette sorte, les allocations familiales sont non seulement un droit subjectif, c'est-à-dire attaché à la personne de l'enfant, mais aussi un droit objectif que les familles et les enfants tiennent de la Constitution elle-même.
La reconnaissance et le respect de ce droit permettent à la nation de compenser pour toutes les familles une partie des charges qu'impliquent un enfant supplémentaire.
Dans cette optique, les allocations familiales constituent à la fois un des instruments par lesquels la nation assure à toutes les familles : et pas seulement à certaines d'entre elles : les conditions nécessaires à leur développement, ainsi qu'un des moyens de la sécurité matérielle garantie à tous les enfants, et pas seulement à certains d'entre eux.
Mutatis mutandis, le droit aux allocations familiales est comparable au droit à la protection de la santé, également garanti par le onzière alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Priver de ce droit certaines familles serait de même nature que dénier à certaines personnes tout droit à la protection de leur santé.
Les signataires de la présente saisine n'ignorent pas que le législateur est pleinement fondé à organiser la mise en oeuvre des droits reconnus par le Préambule de la Constitution de 1946, mais s'il peut ainsi moduler ces droits en fonction des ressources des intéressés, il ne doit pas les supprimer purement et simplement au-delà d'un certain revenu, car quelles qu'en soient les modalités d'organisation, nul ne peut être privé totalement d'un droit reconnu à tous par la Constitution.
Dans cette optique, votre Conseil a toujours veillé à ce que les mesures législatives intéressant les différents domaines de la protection sociale " n'aboutissent pas à mettre en cause les dispositions du Préambule de la Constitution de 1946 " (pour n'en citer que quelques-unes, tel a été le sens de vos décisions n° 97-388 DC du 20 mars 1997 relative à l'épargne retraite, n° 93-330 DC du 29 décembre 1993 sur la loi de finances pour 1994 et n° 86-225 DC du 23 janvier 1987 sur la loi portant diverses mesures d'ordre social).
3. La suppression pour certaines familles du droit aux allocations familiales porterait atteinte à un des piliers de la sécurité sociale et ouvrirait la voie à la suppression d'autres prestations sociales.
Les prestations familiales forment une des branches de la sécurité sociale, c'est-à-dire un des piliers de la protection sociale telle qu'elle est conçue en France depuis plus de cinquante ans.
Les allocations familiales constituent la plus ancienne des différentes prestations versées au titre de la branche " famille ".
Contrairement à beaucoup d'autres, de création plus récente, leur régime d'attribution n'a jamais substantiellement varié depuis plus d'un demi-siècle.
Priver des allocations familiales un nombre considérable de familles et d'enfants saperait ainsi un des piliers de la branche " famille ", partie intégrante de la protection sociale en France.
Cette brèche dans la protection sociale ouvrirait la voie à la suppression du droit à d'autres prestations sociales. La même logique pourrait aussi conduire à supprimer le droit à l'assurance maladie ou à l'assurance vieillesse au-delà d'un certain revenu.
Remettre en cause le droit de chacun aux allocations familiales, c'est donc aussi porter atteinte aux principes de base de la protection sociale dans son ensemble.
4. Le renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer plusieurs éléments fondamentaux du nouveau régime déposséderait le législateur de sa compétence exclusive pour déterminer les garanties attachées à un droit tiré de la Constitution.
L'article 34 de la Constitution prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale. Le pouvoir réglementaire n'est donc fondé qu'à en préciser les modalités d'application.
Or, au cas présent, il est prévu que le plafond de revenus au-delà duquel des familles se trouveraient privées du droit aux allocations familiales soit fixé par voie réglementaire.
Que la loi précise les modalités de variation de ce plafond (en fonction de l'évolution des prix à la consommation hors tabac) ne change rien au fait que le plafond lui-même n'est pas fixé par le législateur, alors que c'est bien ce plafond et non ses modalités de revalorisation qui conditionnerait dès le départ la mise en oeuvre de l'ensemble du dispositif.
Or, comme votre Conseil l'a maintes fois considéré, la détermination des catégories de bénéficiaires d'une prestation sociale relève du domaine de la loi au même titre que la création de ladite prestation (concernant les prestations familiales, décision n° 72-74 L du 8 novembre 1972 ; décision n° 70-66 L du 17 décembre 1970 concernant les cotisations au titre des prestations agricoles ; décision n° 65-34 L du 2 juillet 1965 concernant le régime de retraite des marins du commerce, etc).
Il est patent que la fixation d'un niveau de ressources au-delà duquel un grand nombre de familles seraient privées du droit aux allocations familiales n'est pas une simple condition de mise en oeuvre de ce droit mais constitue bien une décision fondamentale quant à la détermination des catégories de bénéficiaires. Il ne s'agit pas de fixer le montant ou les modalités de versement de telle ou telle prestation mais bien de définir un élément essentiel du nouveau régime. Cette compétence ne peut donc revenir qu'au législateur.
Selon sa jurisprudence constante, votre Conseil a toujours refusé que le législateur abandonne les pouvoirs qu'il tient de la Constitution, spécialement lorsqu'il s'agit de préserver un droit qu'elle consacre.
En définitive, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer que priver certains enfants du droit aux allocations familiales :
: remettrait en cause un principe fondamental reconnu de longue date par les lois de la République ;
: méconnaîtrait les droits de l'enfant et de la famille, tels qu'ils sont proclamés par le Préambule de la Constitution de 1946 ;
: sur le plan formel, et quelle que puisse être l'appréciation sur le fond, abandonnerait au pouvoir réglementaire la fixation d'éléments fondamentaux qui ne peuvent résulter que d'une loi.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de relever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution l'article 23 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, adoptée par l'Assemblée nationale le 2 décembre 1997.
Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi précédemment citée n'est pas conforme à la Consitution pour les motifs développés ci-dessous.
I : Sur l'ensemble de la loi
1. La loi a été votée selon une procédure non conforme aux exigences constitutionnelles. En effet, contrairement aux prescriptions de la loi organique du 22 juillet 1996 sur le financement de la sécurité sociale : assimilable du point de vue de ses effets à l'ordonnance portant loi organique sur les lois de finances du 2 janvier 1959 -, les divers rapports et annexes qui, selon l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale, doivent être déposés sur le bureau de l'Assemblée " au plus tard le 15 octobre " n'ont pas été mis à la disposition des députés dans les délais prescrits.
Cette année, les annexes prévues à l'article LO 111-4 n'ont pas été mises à la disposition des parlementaires dans des délais nécessaires à leur examen dans des conditions normales avant le début de la discussion du projet de loi.
Si le feuilleton de l'Assemblée nationale du 16 octobre 1997 informe bien les députés de la mise en distribution le 15 octobre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, du rapport et des annexes, en application de la loi organique précitée, il s'avère que seuls le projet de loi et le rapport étaient réellement disponibles à cette date.
Les annexes n'ont été disponibles que six jours après la distribution du projet de loi, soit le 21 octobre 1997, le jour même de l'examen du texte en séance publique.
Les députés n'ont donc disposé que de quelques heures pour étudier les 696 pages de ces annexes qui concernent : les données de la situation sanitaire et sociale de la population, la mise en oeuvre des dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, les recettes et dépenses des régimes de base, les ressources par catégories des régimes de base, les compensations financières entre régimes, les comptes du fonds de solidarité vieillesse et de la CADES, et les comptes de la protection sociale.
Or, le Conseil constitutionnel, dans sa décision de principe du 29 décembre 1994 (n° 94-851 DC,
26, in recueil de jurisprudence constitutionnelle I-606 : Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, 9e éd, n° 48, p 891), a précisé qu'il s'agissait-là d'une obligation du Gouvernement, le Parlement devant disposer " en temps utile des informations nécessaires à l'exercice complet de ses prérogatives budgétaires ".
II. : Sur les dispositions de la loi
procédant à des validations d'actes administratifs
2. Il a été soutenu, tout d'abord, lors des débats devant l'Assemblée nationale, du moins pour celui contenu dans l'article 27 (JO, Débats, Ass. nat, 2e séance, 27 octobre 1997, intervention de M Bourg-Broc), qu'il s'agissait de " cavaliers sociaux " comparables aux " cavaliers budgétaires " contenus dans les lois de finances et donc interdits comme ceux-ci. Cette éventualité avait déjà été évoquée par un spécialiste des questions parlementaires, le professeur Guy Carcassonne, lors de son audition par la commission spéciale chargée d'examiner la loi organique du 22 juillet 1996. Elle se réalise ici comme le reconnaissent expressément le rapporteur de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales ainsi que M Claude Evin (tous deux cités par M Bourg-Broc ; séance du 27 octobre 1997, p 4739) à propos de l'article 27.
Cet article valide la cotation des actes de scanographie passés depuis 1991. Dans un arrêt du 4 mars 1996, le Conseil d'Etat a annulé une circulaire et un arrêté du 11 juillet 1991 modifiant la cotation de ces actes. Pour éviter " l'impact financier maximum du paiement de (la) différence découlant de ces annulations et dont le montant " a été évalué à 600 millions de francs, " la loi " valide l'ensemble des actes pris en application des décisions annulées et, de façon préventive, l'ensemble des décisions réglementaires portant tarification des actes de scanographie susceptibles d'être attaqués pour le même motif.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité lors des débats à l'Assemblée nationale a soutenu qu'" en se référant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les cavaliers budgétaires, on peut dire qu'ont bien leur place dans un tel projet des dispositions qui ont une incidence sur le montant des ressources ou des charges inscrites dans le texte ". Et elle a ajouté : " Le Conseil constitutionnel ne pourrait que le reconnaître. "
Cela apparaît peu évident non seulement au regard de la jurisprudence sus-rappelée mais aussi parce que le juge constitutionnel souhaitera sans nul doute éviter, dès le début, une prolifération de ces cavaliers : en effet pour cette seule fois, il y a déjà deux cavaliers (cf infra) et tous deux ont un objet strictement financier.
3. Là réside en effet le second motif d'inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel n'admet les mesures de validation que si est poursuivi un but d'intérêt général : dans sa récente décision du 28 décembre 1995 (n° 95-369 DC, Loi de finances pour 1996, RJC I-649,
35), il a affirmé que " la seule considération d'un intérêt financier ne constituait pas un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, d'autres à intervenir ".
Or, le représentant du Gouvernement a bien déclaré (cf supra) que la validation tendait à éviter le versement d'une somme de 600 millions de francs.
L'article 27 de la loi est donc contraire à la Constitution.
4. Il en va de même de la disposition qui opère la validation suivante (art 21) :
" La base mensuelle de calcul des allocations familiales mentionnée à l'article L 551-1 du code de la sécurité sociale est fixée à 2 078,97 F pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996. A compter de 1997, la revalorisation de cette base est calculée à partir de cette même référence. "
Cette validation fait suite à plusieurs arrêts du Conseil d'Etat dont les derniers rendus en assemblée (Ass. 28 juin 1997, deux arrêts : Req. 180943 UNAF ; Req. 180490, Fédération des familles de France) qui ont annulé des refus de revalorisation de la BMAF.
L'exposé des motifs de l'amendement fait valoir que le Gouvernement va " appliquer l'arrêt du Conseil d'Etat pour l'année 1995 mais qu'afin d'éviter de nouveaux contentieux sur les effets reports sur les années suivantes de la revalorisation qui doit intervenir au titre de l'année 1995 il est précisé que le montant de la BMAF pour l'année 1996 s'élève à 2078,97 F, soit celui en vigueur durant l'année 1996 ".
En réalité, le Gouvernement " gomme " ainsi les revalorisations pour 1996, 1997, 1998 et les années suivantes qui auraient résulté du rattrapage opéré pour 1995 (et qui aurait dû normalement se répercuter d'année en année). Le " manque à gagner " des familles serait alors de 5,5 milliards dont s'exonère ainsi le Gouvernement.
5. Cette validation n'était pas prévue dans le projet de loi gouvernemental. Elle a été introduite subrepticement en séance de nuit par voie d'amendement, en deuxième lecture.
Cela ne fait qu'accroître les doutes sur sa régularité.
1° L'article 21 doit tout d'abord être censuré parce qu'il a été adopté selon une procédure irrégulière. En effet, il a été introduit par amendement en deuxième lecture alors qu'il est exigé, en matière de lois de financement de la sécurité sociale, que le Gouvernement fasse connaître l'ensemble des dispositions et mesures qu'il entend prendre.
Et ceci paraît d'autant plus nécessaire qu'en présentant son amendement au dernier moment, en séance de nuit (3e séance du 25 novembre 1997, JO, Débats, AN, p 6362), le Gouvernement aurait pu éviter que la question de l'irrecevabilité dudit amendement soit soulevée et contestée, ce qui aurait eu pour effet de priver les parlementaires requérants du droit de mettre en cause sa constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel (et cela en vertu de la jurisprudence inaugurée par la décision n° 96-384 DC du 19 novembre 1996, RFDC 1996, p 115, note E Oliva).
On notera d'ailleurs que le rapporteur de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour la famille constate que " la commission n'a pas examiné cet amendement " et " salue cependant l'explication de Mme la ministre ".
2° Comme pour la précédente validation, sa constitutionnalité peut être mise en cause au double motif que, d'une part, elle apparaît comme un " cavalier social " et, d'autre part, que le but poursuivi est d'ordre purement financier, comme l'a reconnu en séance le représentant du Gouvernement en précisant qu'il s'agissait par cet amendement " de prévenir d'éventuels contentieux sur les effets reports de la revalorisation de 1995 pour les années suivantes ; ces effets auraient un coût très important de 3,5 milliards pour 1996-1997 ".
6. Il en est également de même pour l'article 31 relatif au prolongement de la caisse d'amortissement de la dette sociale.
L'article LO 111-3-1 (2°) du code de la sécurité sociale exclut un vote sur le montant du RDS et sur son taux. Seules donnent lieu à un vote les recettes des régimes et des " organismes créés pour concourir à leur financement ", ce qui n'est pas le cas de la CADES.
Celle-ci n'est appréhendée dans la loi organique du 22 juillet 1996, que par le biais de l'annexe " f " visée à l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale. Cette annexe décrit, s'il y a lieu, les comptes prévisionnels " des organismes " ayant pour mission de concourir " à l'apurement de la dette ", au rang desquels il convient naturellement de ranger la CADES, d'ailleurs incluse dans l'annexe en cause.
La loi de financement ne peut modifier le régime juridique d'un organisme dont elle n'établit ni les recettes, ni les dépenses, ni la gestion.
III. : La mise sous conditions de ressources
des allocations familiales
7. Les dispositions de l'article 23 mettant sous conditions de ressources les allocations familiales sont entachées de plusieurs irrégularités.
8. 1° La méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Il a été maintes fois affirmé que le versement d'allocations familiales sans conditions de ressources était, en quelque sorte, la traduction du principe supérieur dit de " l'universalité des allocations familiales " et selon lequel la présence d'enfants dans un foyer détermine l'attribution d'allocations familiales, quels que soient le statut et la situation des parents.
Dans la mesure où un tel principe ne peut trouver un fondement dans l'un des trois textes de ce qu'il est convenu d'appeler le bloc de constitutionnalité : à savoir la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 : force est de se tourner vers le quatrième élément de ce bloc, c'est-à-dire les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
La question est de savoir cependant si le principe dit de " l'universalité des allocations familiales " peut être qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République au regard des conditions posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 (pour son dernier état, cf Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, 9e éd, p 264).
9. Le principe d'universalité des allocations familiales est d'abord consacré par une loi du 11 mars 1932 (JO du 12 mars 1932, p 2626) généralisant les allocations familiales et donnant une nouvelle rédaction aux :
Article 74 (a) du code du travail :
" Tout employeur occupant habituellement des ouvriers ou des employés de quelque âge et de quelque sexe que ce soit, dans une profession industrielle, commerciale, agricole ou libérale, est tenu de s'affilier à une caisse de compensation ou à toute autre institution agréée par le ministre du travail, constituée entre employeurs en vue de répartir entre eux les charges résultant des allocations familiales prévues par le présent chapitre "
Article 74 (b) du code du travail :
" Les allocations familiales sont dues pour tout enfant ou descendant légitime, reconnu ou adoptif, et pour tout pupille, résidant en France, à la charge de l'ouvrier ou de l'employé "
Il apparaît ainsi très nettement que le bénéfice des allocations familiales est accordé pour tout enfant sans aucune autre condition.
Le principe a été confirmé quelques années plus tard par l'important décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité pris en application de la loi du 19 mars 1939 " tendant à accorder au Gouvernement des pouvoirs spéciaux " jusqu'au 30 novembre de la même année. Le " rapport au Président de la République " qui précède la centaine d'articles contenus dans ce texte donne toute son ampleur à ce qui constitue une véritable charte de la politique familiale.
Il est repris dans le texte de base qu'est l'ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française en date du 4 octobre 1945 qui instaure en France le régime général des allocations familiales :
" Art 1er. -
Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent.
" L'organisation de la sécurité sociale assure dès à présent le service des prestations prévues par les législations concernant les assurances sociales, l'allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et les maladies professionnelles et les allocations familiales et de salaire unique aux catégories de travailleurs protégés par chacune de ces législations dans le cadre des prescriptions fixées par celles-ci et sous réserve des dispositions de la précédente ordonnance.
" Des ordonnances ultérieures procéderont à l'harmonisation desdites législations et pourront étendre le champ d'application de l'organisation de la sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par les textes en vigueur. "
La loi de 1932 répond évidemment à la première exigence.
10. Le décret-loi de 1939 peut être considéré aussi comme satisfaisant à la première condition, à savoir être une " loi de la République ". En effet, intervenant dans le domaine législatif en vertu d'une habilitation, il s'agit d'un texte ayant force de loi.
De même, les ordonnances prises par le Gouvernement provisoire de la République française, sous la signature du général de Gaulle, après " le rétablissement de la légalité républicaine " sont reconnues, sans discussion, comme étant des textes législatifs et ayant comme tels force de loi (cf, en ce sens, L Favoreu, " Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ", in La République en droit français, Economica PUAM, 1996, p 23JS, et aussi in Le Discours d'Epinal, Economica PUAM, 1997, p 79 ").
11. Il doit s'agir de " lois de la République " intervenues avant le 27 octobre 1946 (Décision du Conseil constitutionnel du 20 juillet 1988 précitée).
C'est bien évidemment le cas s'agissant de la loi du 11 mars 1932, du décret-loi de 1939 et de l'ordonnance du 4 octobre 1945 : la deuxième condition est donc remplie.
12. Le principe n'a pas connu d'exception, non seulement avant le 27 octobre 1946 : ce qui est la troisième condition exigée (n° 88-244 DC,
12) : mais, même après cette date, car si d'autres prestations familiales ont été mises peu à peu sous conditions de ressources, le système initial a été maintenu pour les allocations familiales.
13. Le principe de l'universalité des allocations familiales revêt un caractère suffisamment général et non contingent pour être considéré comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (comme il est exigé dans la décision n° 93-32 DC du 20 juillet 1993,
18, à propos d'un prétendu principe d'" automaticité d'acquisition de la nationalité ").
Ceci ressort à l'évidence de la lecture des trois textes républicains de 1932, 1939 et 1945 et est parfaitement exprimé dans le rapport exposé des motifs précédant le décret-loi de 1939 :
" Il nous est apparu que les pouvoirs publics failliraient à leur mission s'ils ne se préoccupaient pas de soutenir les familles nombreuses du point de vue matériel et de protéger la cellule familiale du point de vue moral.
" Ce concours et cette protection ne portent atteinte en aucune façon à l'indépendance morale de la famille, laquelle, nous en sommes fermement convaincus, ne saurait s'épanouir que sous le signe de la liberté.
" L'aide à la famille est égale pour tous les Français, à quelque classe qu'ils appartiennent ; elle est due, en contrepartie, à la contribution solidaire de tous les Français, quelle que soit leur profession.
" Les enfants constituent la part la plus importante du patrimoine national : il est donc juste que chaque individu participe aux frais de leur entretien ; le fondement des ressources destinées à faire face aux allocations familiales est, par conséquent, constitué par les cotisations, les caisses en fixent le taux en fonction des charges résultant des allocations qu'elles versent : les personnes sans enfant participent ainsi indirectement aux dépenses des familles nombreuses. "
14. Toutes les conditions sont donc réunies pour que soit admise par le Conseil constitutionnel l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Certes, le juge constitutionnel a une attitude habituellement restrictive en matière d'admission de nouveaux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ; et on pourrait même ajouter qu'il n'a, jusqu'ici, jamais consacré un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de droits sociaux. Mais, ainsi qu'il a pu être précédemment remarqué (in Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République précités), rien ne s'oppose à une telle reconnaissance, et le Conseil constitutionnel peut parfaitement innover en procédant à celle-ci dans un domaine nouveau, car la République : et notamment la IIIe : a incontestablement grandement contribué à une promotion des droits sociaux, et cela dès la fin du xixe siècle.
En outre, comme l'a très justement souligné le président de la commission des lois du Sénat " le droit aux allocations familiales ", au-delà d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, " depuis 1946, s'ancre sur la Constitution elle-même, plus précisément sur deux alinéas du Préambule de la Constitution de la IVe République : les alinéas 10 et 11 " (dont il sera question à nouveau plus loin).
On peut dire en effet soit que les dispositions précitées du Préambule de 1946 confortent le principe fondamental reconnu par les lois de la République, soit même, comme le dit M Larché, qu'elles s'y substituent (JO, Débats, Sénat du 4 novembre 1997, p 3227).
15. En mettant les allocations familiales sous condition de ressources la loi exclut un certain nombre de familles du bénéfice de ces allocations et porte donc atteinte à l'universalité des allocations familiales protégée par un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Mais on peut aussi estimer qu'elle méconnaît les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946.
16. 2° Les dispositions critiquées ne sont pas compatibles avec les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946.
Existe-t-il un " droit aux allocations familiales " comme il existe un droit à la protection de la santé ou un droit à l'instruction ?
Le président de la commission des lois du Sénat l'affirme (cf supra), et l'on peut trouver de bonnes raisons de le suivre dans cette voie, surtout si l'on rapproche et lie le principe fondamental reconnu par les lois de la République consacrant l'universalité des allocations familiales et les deux alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946.
En effet, si l'on considère que l'alinéa 10 (" La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ") et l'alinéa 11 (" La Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ") définissant de manière générale la prise en charge par la Nation de la protection de la famille et des enfants, on peut estimer que le principe d'universalité des allocations familiales s'inscrit dans ce cadre général et contribue à rendre effectifs les principes proclamés.
Alors surtout que si l'on se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui constitue la première partie du projet de Constitution d'avril 1946, on constate que l'article 24 affirme :
" La Nation garantit à la famille les conditions nécessaires à son libre développement. Elle protège également toutes les mères et tous les enfants par une législation et des institutions sociales appropriées. "
17. On peut considérer aussi que ce " droit aux allocations familiales " est la contrepartie de l'aide apportée à la Nation par les familles avec enfants.
C'est ce qui est dit, en d'autres termes, dans l'exposé des motifs (" rapport au Président de la République ") du décret-loi de 1939 : " L'aide à la famille est égale pour tous les Français. Les enfants constituent la part la plus importante du patrimoine national ; il est juste que chaque individu participe aux frais de leur entretien. "
C'est le but général de la législation sur les allocations familiales dans notre tradition républicaine. Les familles qui élèvent plusieurs enfants doivent recevoir une aide de la Nation parce qu'elles contribuent ainsi à assurer l'avenir de la collectivité, notamment en permettant que les actifs succèdent à ceux qui partiront à la retraite et assurent la production de biens et de services nécessaires ainsi que le paiement des pensions des retraités.
Il n'est pas question ici de " justice distributive " (qui conduirait à établir une distinction entre familles riches et familles pauvres) mais en quelque sorte de " justice contributive " (qui est étrangère à toute distinction). Cela conduit évidemment à examiner de manière encore plus attentive l'application du principe constitutionnel d'égalité en matière d'allocations familiales.
18. 3° La mise sous conditions de ressources des allocations familiales est contraire au principe constitutionnel d'égalité.
La nouvelle loi, en rompant avec le principe d'universalité des allocations familiales, introduit donc une inégalité entre les familles qui continueront à percevoir les allocations familiales et celles qui en seront désormais privées parce que leurs ressources atteignent ou dépassent un certain plafond. Ces nouvelles dispositions sont-elles conformes au principe constitutionnel d'égalité ?
A vrai dire, la question ne peut se poser que si l'on écarte l'application du principe d'universalité des allocations familiales.
C'est pourquoi elle n'est examinée qu'en dernier lieu.
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n'est pas interdit au législateur de créer une différence de traitement au sein d'un même groupe : en l'espèce les familles avec enfants : et donc de déroger à l'égalité, mais à la condition que " la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit " (voir par exemple, n° 87-232 DC, 7 janvier 1988. Mutualisation de la CNCA, Recueil de jurisprudence constitutionnelle, I 317 ; 91-302 DC, 30 décembre 1991, Lois de finances pour 1992, RJC I 476).
Ainsi, dans cette dernière affaire, le juge constitutionnel invalide une disposition établissant une discrimination entre les donations passées devant notaire et les autres donations au motif que ladite disposition, dont " l'objet est d'ordre purement fiscal ", est sans rapport avec le but de la loi qui est de favoriser la transmission des patrimoines du vivant de leur détenteur. De même, en 1995 (n° 95-369 DC du 28 décembre 1995, Loi de finances pour 1996, RJC I 646), va-t-il censurer la disposition d'une loi destinée à nouveau à favoriser la transmission d'entreprises au motif que l'allégement d'impôt accordé à ceux des héritiers non repreneurs de l'entreprise transmise est sans rapport avec le but de la loi (qui est de favoriser la transmission d'entreprises afin de préserver l'emploi). Enfin, en 1996 (n° 96-385 DC, 30 décembre 1996, Loi de finances pour 1997), le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle la différence établie : du point de vue fiscal - entre les parents élevant seuls un enfant selon qu'ils étaient veufs, divorcés ou concubins, parce que la mesure était sans rapport avec l'objet de la loi.
19. En l'espèce, nous retrouvons le même cas de figure. En effet, le but poursuivi par la loi est social, s'agissant de la famille et des allocations familiales, mais le critère de différenciation de traitement est fiscal, car ce que cherche en réalité le Gouvernement, c'est à réduire le déficit de la sécurité sociale en économisant les sommes versées jusque-là aux familles dépassant un certain plafond de ressources.
Les précautions prises par le ministre de l'emploi et de la solidarité le 27 octobre 1997 à l'Assemblée nationale en réponse aux observations de M Bourg-Broc (JO, Débats, Assemblée nationale, p 4745) s'appuient significativement sur le premier état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d'application du principe d'égalité (n° 79-107 DC, 12 juillet 1979, RJC I 73, à propos du paiement des péages du pont de l'île d'Oléron, dont étaient dispensés les riverains de ce pont) et non sur la jurisprudence la plus récente qui a établi des conditions plus restrictives. La position du Gouvernement est donc juridiquement peu solide, et c'est sans doute pourquoi il a accepté un amendement communiste précisant que la mise sous condition de ressources des allocations familiales avait un caractère " transitoire ", car il a bien perçu que cette disposition à caractère fiscal s'insérait mal dans un ensemble à but social.
20. Par ailleurs, la rupture de l'égalité est caractérisée entre les familles mariées et les familles qui vivent en concubinage, à revenu égal, et pour un même nombre d'enfants.
En effet, les familles qui vivent en concubinage, dès lors qu'elles présentent des déclarations de revenus séparées, vont pouvoir se trouver en dessous du plafond de ressources et donc bénéficier du versement des allocations familiales, contrairement aux familles mariées dont la déclaration de revenus est commune. Cette situation a été largement évoquée lors des débats à l'Assemblée nationale (voir Débats, Assemblée nationale, 27 octobre 1997, M Bourg-Broc, p 4741).
21. 4° Cette disposition méconnaît le principe reconnu par le Conseil constitutionnel selon lequel à toute cotisation doit correspondre un droit potentiel à l'ouverture de prestations.
Ce principe a été reconnu dans une décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 dans les termes suivants : " Considérant que les cotisations versées au régime obligatoire de sécurité sociale qui résultent de l'affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés ; que ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes. "
L'article 23 bafoue ce principe puisque les familles dont les revenus seront supérieurs aux plafonds n'auront plus un droit potentiel au versement de prestations.
22. 5° Violation des conventions internationales sur les droits de l'homme et les droits de l'enfant.
Si, depuis sa décision du 15 janvier 1975 (Interruption volontaire de grossesse, Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, 9e éd, p 305), le Conseil constitutionnel écarte régulièrement le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions législatives avec les engagements internationaux et, de manière plus précise, avec les normes européennes et communautaires, en revanche, dès lors que ces conventions internationales ont été dûment ratifiées et sont ainsi entrées dans l'ordre juridique interne, il peut être demandé aux juridictions judiciaires (Arrêt café Jacques Vabre, Cour de cassation, 24 mai 1975) et aux juridictions administratives (Arrêt Nicolo, Conseil d'Etat, 20 octobre 1989) de déclarer les dispositions législatives litigieuses incompatibles avec de telles conventions.
Ainsi donc, même si elle était adoptée et promulguée, la loi pourrait voir son application contestée au cas par cas.
23. 6° Les dispositions contestées ont pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
Le législateur ne peut diminuer les garanties dont est entouré un droit, en l'espèce le droit pour les familles avec enfants de bénéficier des allocations familiales (cf Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, p 581). Certes, il peut modifier la législation antérieure et abroger un certain nombre de mesures ou garanties, mais à condition de les remplacer par des garanties équivalentes.
IV. : La réduction de l'exonération de charges sociales
pour l'AGED
24. On peut estimer qu'en renvoyant à plusieurs reprises à un décret pour la fixation d'un " plafond " et d'une " fraction " à l'article 24 le législateur a méconnu sa compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et qu'il ne peut se dispenser d'exercer sous peine de se rendre coupable d'incompétence négative.
On est ici dans un domaine, en effet, où le législateur doit exercer pleinement sa compétence.
V : La hausse de la CSG
25. Le basculement massif des cotisations maladie sur la CSG constitue un élément majeur de cette loi de financement de la sécurité sociale.
Le 1° du paragraphe I de l'article 5 fait passer le taux de la CSG de 3,4 % à 7,5 % pour les revenus d'activité, de remplacement, de placement et du patrimoine ainsi qu'aux sommes jouées ou au produit brut des jeux dans les casinos.
Le 3° de ce même paragraphe institue un taux dérogatoire de 6,2 % pour les pensions de retraite et d'invalidité des personnes imposables, y compris les retraites complémentaires et les majorations pour enfants à charge, et les allocations de chômage et de préretraite des personnes imposables.
26. Le I de l'article 5 conduit à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens.
Dans sa décision n° 90-285 DC, le Conseil constitutionnel a considéré que les différentes formes de la CSG ne devaient pas aboutir à " une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens ".
Ce raisonnement doit être prolongé au profit des différentes catégories socioprofessionnelles pour lesquelles il importe que les modalités de compensation du basculement des cotisations maladie sur la CSG, annoncées par le Gouvernement, se traduisent bien par une compensation parfaite et non par une rupture du principe d'égalité entre les citoyens en raison de la nature de leurs activités.
27. La rupture est notamment avérée entre les salariés et les professions indépendantes.
Les débats ont pu démontrer combien ces compensations étaient difficiles à réaliser, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité ayant précisé, à partir d'un chiffrage contesté par les organisations professionnelles concernées, que " l'opération n'est légèrement perdante que pour 20 % des travailleurs indépendants " (Débats, Assemblée nationale, 28 octobre 1997, p 4823).
En effet si les professions libérales et indépendantes seront bien soumises au même taux de CSG, accru de 4,1 points, le taux des cotisations maladie de ces professions sera réduit de 11,4 % à 5,9 % pour les revenus inférieurs au plafond de la sécurité sociale et de 9 % à 5,35 % pour les revenus allant jusqu'à cinq fois ce plafond.
Pour ces derniers, la baisse de 3,65 points sera inférieure à la hausse de 4,1 points de CSG. Il est donc clair que les revenus dépassant un certain seuil seront pénalisés et que pour beaucoup de professions indépendantes et libérales, la hausse de la CSG ne sera pas compensée intégralement par la baisse des cotisations maladie.
Le rapporteur du Sénat, M Charles Descours, n'a pu obtenir ni le bilan détaillé du transfert CSG/cotisations maladie engagé en 1997, ni une étude d'impact sérieuse ou précise des conséquences du nouveau basculement.
Dans ces conditions, le Parlement n'a pas été en mesure d'apprécier, de manière objective et rationnelle, les risques d'une " rupture caractérisée " entre les citoyens selon leurs revenus d'activité.
Pour ces motifs et d'autres que les soussignés se réservent d'invoquer et de développer, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 doit être déclaré non conforme à la Constitution.
Les députés soussignés attacheraient le plus grand intérêt à recevoir les remarques du secrétaire général du Gouvernement et souhaiteraient pouvoir y répondre utilement.