Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 17 décembre 1993, par MM Claude Estier, Aubert Garcia, Guy Allouche, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM Paul Raoult, Jean Besson, André Vezinhet, Louis Perrein, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Roland Courteau, Robert Castaing, François Louisy, Jacques Bellanger, Jean-Pierre Masseret, Michel Charasse, Jean-Louis Carrère, Paul Loridant, Jean-Luc Mélenchon, René Regnault, Mme Monique Ben Guiga, M Jacques Carat, Mme Josette Durrieu, MM Léon Fatous, Marcel Bony, Jean Peyrafitte, Germain Authié, Claude Cornac, Gérard Miquel, Jean-Pierre Demerliat, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Philibert, Fernand Tardy, Marcel Charmant, Roger Quilliot, Guy Penne, Philippe Labeyrie, Michel Manet, Francis Cavalier-Benezet, Albert Pen, Pierre Biarnes, Claude Fuzier, Roland Bernard, William Chervy, Michel Moreigne, Bernard Dussaut, Claude Saunier, André Rouvière, Raymond Courrière, Robert Laucournet, Jacques Bialski, Marcel Vidal, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM François Autain, Charles Metzinger, Roland Huguet, Michel Sergent, René-Pierre Signé, Franck Sérusclat, Philippe Madrelle, sénateurs, et, le 20 décembre 1993, puis par un mémoire complémentaire, par MM Martin Malvy, Gilbert Annette, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Didier Boulaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Jean-Pierre Chevènement, Camille Darsières, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Michel, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Georges Sarre, Henri Sicre, Roger-Gérard Schwartzenberg, Emile Zuccarelli, Bernard Charles, Régis Fauchoit, Bernard Tapie, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances pour 1994 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L 821-2 ;
Vu la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 modifiée relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement ;
Vu la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 modifiée relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux ;
Vu la loi n° 93-936 du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale ;
Vu le décret n° 93-861 du 18 juin 1993 portant création de l'établissement public Météo-France ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les sénateurs, auteurs de la première saisine, défèrent au Conseil constitutionnel l'article 95 de la loi de finances pour 1994 ; que les députés, auteurs de la seconde saisine, ont déféré au Conseil constitutionnel les articles 28, 55, 95, 109 et 111, premier alinéa, de cette loi ; que par un mémoire ultérieur, ils ont en outre déféré au Conseil constitutionnel l'article 105 de cette loi ;
- SUR L'ARTICLE 28 :
2. Considérant que cet article a pour objet de maintenir, pour les impositions établies au titre de l'année 1994, la majoration de 0,4 % des prélèvements opérés au profit de l'État pour frais d'assiette et de recouvrement de taxes perçues au profit des collectivités locales et d'organismes divers, prévus par l'article 1641 du code général des impôts ; que les députés, auteurs de la seconde saisine, soutiennent, en invoquant l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que le maintien de ce prélèvement additionnel, qui est privé d'objet, méconnaît le principe de nécessité de l'imposition ;
3. Considérant que conformément aux prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, les recettes de l'État ne peuvent être, en tout ou en partie, affectées directement à certaines dépenses en l'absence de mise en oeuvre des dispositions spécifiques prévues par cet article ;
4. Considérant que même si la justification initiale de la majoration contestée prévue par la loi susvisée du 30 juillet 1990 était d'assurer le financement d'une opération de révision des valeurs cadastrales, laquelle est en quasi-totalité achevée, cette majoration n'a pas donné lieu à une affectation ; que dès lors elle constitue une recette du budget général qui concourt aux conditions générales de l'équilibre budgétaire, sans que soit méconnu le principe de nécessité de l'impôt ;
- SUR L'ARTICLE 55 :
5. Considérant que cet article arrête à un milliard de francs le montant du plafonnement de taxe professionnelle prévu par l'article 1647 B sexies du code général des impôts et fixé à 3,5 % de la valeur ajoutée ; que les députés, auteurs de la seconde saisine, soutiennent que cette disposition n'ayant pour objet et pour effet que d'accroître la contribution de deux entreprises publiques méconnaît les principes d'égalité devant l'impôt et les charges publiques ;
6. Considérant qu'il appartient au législateur lorsqu'il établit un dégrèvement d'en déterminer librement le montant sous la réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle ; que le plafonnement prévu par l'article contesté a été établi en fonction d'un critère objectif, relatif au montant de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises assujetties ; que les entreprises relevant de la même catégorie au regard de ce critère sont placées dans la même situation pour la détermination du montant de leur imposition ; que par ailleurs, eu égard à son montant et son mode de calcul, ce plafonnement ne crée pas entre les entreprises redevables de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que dès lors les griefs des auteurs de la saisine doivent être écartés ;
- SUR L'ARTICLE 95 :
7. Considérant que le I de cet article exclut dans tous les cas l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés lorsque le taux d'incapacité permanente des personnes concernées est inférieur à un pourcentage fixé par décret ; que son II prévoit que les dispositions du I ne sont applicables qu'aux premières demandes d'allocation déposées à compter du 1er janvier 1994 ;
8. Considérant que les sénateurs et les députés auteurs des saisines soutiennent que cet article méconnaît le principe d'égalité ; qu'en outre les sénateurs, auteurs de la première saisine, font valoir à son encontre les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lesquelles tout être humain qui se trouve en raison de son état physique ou mental dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ;
. En ce qui concerne le principe d'égalité :
9. Considérant que le législateur a entendu exclure pour l'avenir l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés aux personnes affectées des incapacités les moins graves ;
10. Considérant d'une part que la distinction opérée par le législateur entre les personnes qui postulent l'attribution de l'allocation suivant leur taux d'incapacité permanente traduit l'existence de situations différentes au regard de l'objet de la loi ; que dès lors la prise en compte d'un tel taux n'est pas de nature à méconnaître le principe d'égalité ;
11. Considérant d'autre part qu'en limitant l'application de la disposition nouvelle aux seules demandes d'allocation introduites pour la première fois à compter du 1er janvier 1994, le législateur a entendu assurer aux autres personnes concernées le bénéfice du régime antérieur ; qu'au regard de ce but, il n'a pas non plus, en adoptant de telles modalités d'application dans le temps, méconnu le principe d'égalité ;
. En ce qui concerne le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 :
12. Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, la Nation "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs , la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence" ;
13. Considérant qu'il incombe, tant au législateur qu'au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa du Préambule, les modalités de leur mise en oeuvre ;
14. Considérant qu'au regard de l'état de la législation en vigueur, la modification analysée ci-dessus des modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés n'est pas de nature à mettre en cause le principe à valeur constitutionnelle précité ;
- SUR L'ARTICLE 105 :
15. Considérant que, consécutivement à l'article premier de la loi du 22 juillet 1993 susvisée, l'article 105 de la loi déférée dispose que : "La dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale à l'égard de la Caisse des dépôts et consignations constatée au 31 décembre 1993 est transférée à l'État, dans la limite de 110 milliards de francs, à compter du 1er janvier 1994" ;
16. Considérant que les députés, auteurs de la seconde saisine, font valoir que cette reprise de dette doit s'analyser comme une opération de prêt à long terme au fonds de solidarité vieillesse qui devient ainsi le débiteur de l'État et devra assurer un remboursement échelonné en capital et en intérêts ; que, selon eux, les engagements à ce titre pris par l'État devaient figurer dans la loi de finances pour l'année 1994 sous forme de compte d'avance et que, dès lors que l'avance n'est pas effectivement remboursée, les dispositions de l'article 28 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 imposaient "ou bien de comptabiliser le prêt dans le budget ou de constater la perte et d'en inscrire la charge" ; qu'en n'opérant pas de la sorte, l'article 55 altèrerait gravement la sincérité du budget ;
17. Considérant d'une part que l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 dispose que : "... la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'État..." ; que l'article 3 de la même ordonnance énumère les catégories de ressources permanentes de l'État ; qu'aux termes de l'article 6 de cette ordonnance, les charges de l'État comprennent notamment "les dépenses ordinaires" au nombre desquelles figurent "les charges de la dette publique" ; que l'article 15 du même texte dispose que : "Outre les opérations permanentes de l'État décrites aux articles 3 et 6 ci-dessus, le Trésor public exécute sous la responsabilité de l'État des opérations de trésorerie. Celles-ci comprennent : a) Des émissions et remboursements d'emprunts publics..." ; qu'enfin aux termes de l'article 30 de la même ordonnance : "Les opérations de trésorerie de l'État sont affectées à des comptes de trésorerie distincts..." ;
18. Considérant d'autre part que l'article 28 de la même ordonnance organique dispose que : "Les comptes d'avances décrivent les avances que le ministre des finances est autorisé à consentir dans la limite des crédits ouverts à cet effet... Les avances du Trésor sont productives d'intérêt. Sauf dispositions spéciales contenues dans une loi de finances, leur durée ne peut excéder deux ans ou quatre ans... Toute avance non remboursée à l'expiration d'un délai de deux ans ou de quatre ans en cas de renouvellement, doit faire l'objet, selon les possibilités du débiteur : - soit d'une décision de recouvrement immédiat... - soit d'une autorisation de consolidation sous forme de prêts du Trésor assortis d'un transfert à un compte de prêts ; - soit de la constatation d'une perte probable..." ;
19. Considérant que l'article 105 de la loi a pour objet de transférer à l'État la dette constatée au 31 décembre 1993 de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale envers la caisse des dépôts et consignations et non de consolider des avances faites à l'agence en 1993 par l'État qui lui avaient été remboursées ; que cette opération ne s'analyse pas non plus comme un prêt consenti au fonds de solidarité vieillesse pour un montant égal à celui de la dette reprise ; que la loi de finances n'établit aucun lien juridique entre le règlement par l'État de la dette de l'agence et le prélèvement mis à la charge de l'établissement public "fonds de solidarité vieillesse" selon l'état A annexé à la loi de finances ; que ce prélèvement ne constitue pas un remboursement de prêt ou d'avance au sens de l'article 3 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ;
20. Considérant que par suite, l'opération de reprise de la dette dont il s'agit doit s'analyser comme une opération de trésorerie de l'État effectuée conformément aux articles 6 et 15 de l'ordonnance organique précitées et non comme une avance au sens de l'article 28 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ;
21. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 6, 15 et 30 précités que si les intérêts de la dette publique doivent, en tant que charges annuelles permanentes de l'État, figurer dans le titre du budget général consacré aux charges de la dette publique, en revanche les opérations de trésorerie n'ont pas à figurer dans un titre déterminé du budget mais sont retracées dans des comptes de trésorerie distincts faisant apparaître les engagements de l'État ; qu'en l'espèce, les intérêts de la dette à la charge de l'État sont inscrits au chapitre 11-05 du Titre I relatif à la dette publique du budget des charges communes ; que dès lors le grief des saisissants doit être écarté ;
- SUR L'ARTICLE 109 :
22. Considérant que cet article modifie l'article 8 de la loi du 12 juillet 1983 susvisée qui prévoit que l'indemnisation des commissaires enquêteurs et des membres des commissions d'enquête qui effectuent des enquêtes publiques est assurée par l'État, en disposant que désormais elle devra être prise en charge par le maître d'ouvrage ;
23. Considérant que les députés auteurs de la seconde saisine prétendent que le contenu de cet article est étranger au domaine des lois de finances ;
24. Considérant que la disposition contestée a une incidence directe sur les charges de l'État ; qu'ainsi elle entre dans les prévisions de l'article premier de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ;
- SUR L'ARTICLE 111, PREMIER ALINEA :
25. Considérant que cet alinéa a pour objet de subroger l'établissement public Météo-France dans les droits et obligations détenus par l'État au titre de la météorologie nationale ;
26. Considérant que les députés, auteurs de la seconde saisine, soutiennent que cette disposition est étrangère à l'objet des lois de finances ;
27. Considérant que par le décret susvisé du 18 juin 1993 a été créé un établissement public de l'État à caractère administratif dénommé Météo-France en vue de l'exercice des attributions jusqu'alors assurées par la direction de la météorologie nationale, service de l'État sans personnalité morale ; que l'alinéa contesté comporte des incidences directes sur les charges et les ressources de l'État ; que dès lors il entre dans les prévisions de l'article premier de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ;
28. Considérant qu'il n'y a lieu en l'espèce pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
Les articles 28, 55, 95, 105, 109 et 111, premier alinéa, de la loi de finances ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.