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30/12/1996 | FRANCE | N°96-385

France | France, Conseil constitutionnel, 30 décembre 1996, 96-385


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 19 décembre 1996, par MM Laurent Fabius, Gilbert Annette, Léo Andy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Mme Frédérique Bredin, MM Laurent Cathala, Camille Darsières, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Maurice Depaix, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul

Durieux, Henri Emmanuelli, Jean-Jacques Filleul, Jacq...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 19 décembre 1996, par MM Laurent Fabius, Gilbert Annette, Léo Andy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Mme Frédérique Bredin, MM Laurent Cathala, Camille Darsières, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Maurice Depaix, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Jean-Jacques Filleul, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Fromet, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Maurice Janetti, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Martin Malvy, Marius Masse, Didier Mathus, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Michel Pajon, Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Jean-Marc Salinier, Roger-Gérard Schwartzenberg, Henri Sicre, Bernard Seux, Patrice Tirolien et Daniel Vaillant, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances pour 1997 ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 modifiée instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés et la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 modifiée d'orientation du commerce et de l'artisanat ;
Vu la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982 modifiée relative à la formation professionnelle des artisans ;
Vu la loi n° 82-939 du 4 novembre 1982 modifiée relative à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi ;
Vu la loi de finances pour 1985 (n° 84-1208 du 29 décembre 1984 modifiée) et la loi de finances rectificative pour 1986 (n° 86-1318 du 30 décembre 1986 modifiée) ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications et la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code du travail :
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code rural ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 24 décembre 1996 ;
Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 27 décembre 1996 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi de finances pour 1997 et notamment en tout ou partie ses articles 2, 4, 31, 39, 40, 46, 87, 88, 123, 124, 125, 130, 132, 136, 137 et 138 ; qu'au surplus, dans leur mémoire en réplique, ils mettent en cause l'article 81 de la loi ;
- SUR LES ARTICLES 2, 39 ET 81 DE LA LOI :
2. Considérant que, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, l'avant-dernier alinéa du I de l'article 2 limite à 13 000 F, à compter de l'imposition des revenus de 1996, le plafond de la réduction d'impôt accordée jusque là uniformément aux contribuables veufs, célibataires et divorcés remplissant les conditions prévues aux a) et b) du 1 de l'article 195 du code général des impôts, pour les seuls contribuables célibataires et divorcés alors que les veufs bénéficient au titre des revenus de 1996 en vertu du même article de la loi d'un plafond fixé à 16 200 F ; que l'article 39 étend le plafonnement de 13 000 F aux contribuables célibataires et divorcés lorsqu'ils ont adopté un enfant dans les conditions visées au e) du 1 de l'article 195 ; que le 2 du II inséré dans l'article 197 du code général des impôts par l'article 81 de la loi déférée abaisse le montant du plafond de 13 000 F à 10 000 F à compter de l'imposition des revenus de 1997 ;
3. Considérant que les auteurs de la saisine allèguent qu'à charge familiale strictement égale, un contribuable célibataire ou divorcé sera traité plus défavorablement qu'un contribuable veuf ; que la différence de situation qui les distingue ne saurait être considérée comme comportant une justification au regard de l'objet du mécanisme du quotient familial ; que les dispositions ci-dessus analysées des articles 2, 39 et 81 de la loi sont dès lors contraires au principe d'égalité ;
4. Considérant que si le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur décide de différencier l'octroi d'avantages fiscaux, c'est à la condition que celui-ci fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ;
5. Considérant que les dispositions contestées s'inscrivent dans le cadre d'une réforme de l'impôt sur le revenu que le législateur a entendu mettre en oeuvre à l'occasion du vote de la loi de finances pour 1997 et que celui-ci a décidé notamment de réexaminer certaines réductions d'impôt comportant des avantages qui ne lui apparaissaient pas véritablement justifiés ;
6. Considérant toutefois qu'au regard de la demi-part supplémentaire qui leur est accordée, les contribuables veufs, divorcés ou célibataires ayant élevé un ou plusieurs enfants sont placés dans une situation identique ; qu'en effet l'octroi de cet avantage fiscal est lié pour l'ensemble d'entre eux à des considérations tirées à la fois de l'isolement de ces contribuables et de la reconnaissance de leurs charges antérieures de famille ;
7. Considérant dès lors qu'en limitant aux seuls divorcés et célibataires l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt résultant de l'octroi de la demi-part supplémentaire accordée dans des conditions identiques aux veufs, divorcés et célibataires ayant élevé au moins un enfant, le législateur a méconnu le principe de l'égalité devant l'impôt ; que par suite doivent être déclarés contraires à la Constitution l'avant-dernier alinéa du I de l'article 2, l'article 39 et au quatrième alinéa de l'article 81, les mots "toutefois, par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 10 000 F par demi-part s'ajoutant à une part pour les contribuables célibataires et divorcés qui bénéficient des dispositions des a, b et e du 1 de l'article 195" ;
8. Considérant que la censure de l'avant-dernier alinéa du I de l'article 2 et de l'article 39 ne remet pas en cause les données générales de l'équilibre budgétaire, bien que ces dispositions figurent en première partie de la loi de finances ;
- SUR L'ARTICLE 4 DE LA LOI :
9. Considérant que l'article 4 qui modifie l'article 158 du code général des impôts a pour objet de porter à 680 000 F le plafonnement de l'abattement de 20 % applicable pour déterminer le revenu net retenu dans les bases de l'impôt sur le revenu, d'une part sur l'ensemble des salaires et indemnités accessoires alloués par une ou plusieurs sociétés à une personne qui détient, directement ou indirectement, plus de 35 % des droits sociaux et d'autre part sur les bénéfices des artisans, commerçants, professionnels libéraux et agriculteurs adhérents des centres et associations de gestion, en les alignant ainsi sur les revenus provenant des traitements publics et privés, indemnités, émoluments, salaires et pensions et rentes viagères à titre non onéreux ;
10. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu'en faisant bénéficier la quasi totalité des non salariés d'un abattement destiné à compenser la transparence fiscale s'attachant aux revenus des salaires, le législateur a violé le principe de l'égalité devant l'impôt ;
11. Considérant que le législateur a entendu aligner la situation de certains contribuables, dont la transparence des revenus a pu lui apparaître de mieux en mieux assurée, sur celle de l'ensemble des salariés au regard de l'abattement plafonné à 680 000 F, lequel a précisément pour objet de prendre en compte la meilleure connaissance par l'administration fiscale des revenus salariaux ; qu'en appliquant les mêmes règles à des contribuables placés dans des situations analogues, le législateur n'a pas méconnu les exigences constitutionnelles tirées du principe d'égalité ;
- SUR L'ARTICLE 40 DE LA LOI :
12. Considérant que l'article 40 de la loi institue pour 1997 un prélèvement au profit du budget de l'État sur les excédents financiers des organismes paritaires collecteurs agréés pour recevoir les contributions des employeurs à la formation en alternance en soumettant le compte unique, prévu par le I de l'article 45 de la loi de finances rectificative pour 1986, à une contribution exceptionnelle égale à 40 % de sa trésorerie nette au 31 juillet 1997 ;
13. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent tout d'abord que la formation professionnelle constitue une des garanties sociales dont les salariés ont le droit de discuter dans le cadre d'une négociation collective ; qu'ils en déduisent que l'article 40, en privant d'une partie significative de leurs ressources les gestionnaires paritaires de la formation en alternance, fait obstacle à l'exercice de la compétence constitutionnellement garantie par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 affirmant le droit des travailleurs à participer à la détermination collective de leurs conditions de travail ; qu'en organisant une "régression considérable des garanties financières de la libre administration de la formation professionnelle en alternance", il encourrait la censure, le législateur ne pouvant intervenir que pour rendre une liberté plus effective ;
14. Considérant qu'ils allèguent également que la "spoliation organisée par le législateur" constituerait une violation d'une part du principe de liberté contractuelle, qui protégerait les partenaires sociaux contre toute remise en cause de leur capacité de négociation, et d'autre part d'un principe de "confiance légitime", dès lors que serait remis en cause par un prélèvement brutal de 40 % l'équilibre d'un système géré depuis longtemps avec l'accord des pouvoirs publics ;
15. Considérant que les requérants font en outre valoir que le prélèvement opéré constitue un impôt exceptionnel dont le taux serait confiscatoire et dont l'assiette serait établie selon un critère discriminatoire puisqu'il pèserait en fait sur les seules entreprises contributrices tandis qu'y échapperaient celles qui assurent elles-mêmes la formation de leurs salariés ; que l'ensemble des entreprises n'étant pas placées dans des situations différentes au regard de l'objectif de développement de la formation professionnelle, elles ne sauraient donc être traitées de manière aussi différente sans que soit rompu le principe de l'égalité devant l'impôt ;
16. Considérant que les requérants soutiennent enfin que le législateur, en opérant le prélèvement contesté, sans prendre en compte les besoins de formation ni les moyens financiers nécessaires à leur couverture, aurait privé les stagiaires de la formation en alternance d'une part considérable des ressources permettant de les faire bénéficier de cette activité d'utilité générale et aurait dès lors violé le principe d'égalité devant les charges publiques ;
17. Considérant que l'article 40 opère au profit du budget de l'État un prélèvement fixé à 40 % sur des excédents financiers, figurant à la date du 31 juillet 1997 au compte unique ci-dessus mentionné, des organismes paritaires collecteurs agréés pour recevoir les contributions des employeurs ; que cette contribution, eu égard à son assiette et à son taux, ne porte pas atteinte au système de financement de la formation en alternance qui associe paritairement les partenaires sociaux et ne saurait donc faire obstacle au droit des travailleurs à participer à la détermination collective des conditions de travail reconnu par le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;
18. Considérant que, dès lors que le prélèvement contesté n'a pas davantage pour effet de porter atteinte à la capacité de négociation des partenaires sociaux, il ne méconnaît pas la liberté contractuelle et que par suite le moyen manque en fait ; qu'aucune norme constitutionnelle ne garantit par ailleurs un principe dit "de confiance légitime" ;
19. Considérant enfin que le prélèvement mis en cause par les requérants est opéré sur les excédents financiers centralisés des organismes collecteurs de la contribution des entreprises au financement de la formation en alternance et non directement sur les entreprises contributrices ; que dès lors le moyen tiré de discriminations dans l'établissement de l'assiette de l'impôt manque en fait ;
- SUR L'ARTICLE 46 DE LA LOI :
20. Considérant que l'article 46 détermine le montant et les modalités de dévolution à l'État de la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par l'entreprise nationale France Télécom en application de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, tel que modifié par la loi susvisée du 26 juillet 1996 ; qu'il fixe le montant de cette contribution à 37,5 milliards de francs et prévoit qu'elle sera versée en 1997 à un établissement public national à caractère administratif ayant pour mission de la gérer et de reverser chaque année au budget de l'État, dans la limite de ses actifs, une somme de un milliard de francs en 1997, majorée ensuite chaque année de 10 % par rapport au versement de l'année précédente ;
21. Considérant que les requérants soutiennent que cet article méconnaît le principe de sincérité budgétaire en ce que loin d'être justifiée par la nécessité de financer les retraites des agents fonctionnaires de France Télécom désormais prises en charge par l'État, la contribution exceptionnelle en cause permettrait, à concurrence du montant des versements opérés chaque année, de participer à la réduction du déficit budgétaire et perdrait dès lors toute nécessité ;
22. Considérant que si le versement par l'entreprise France Télécom d'une contribution forfaitaire exceptionnelle de 37,5 milliards de francs à un établissement public chargé de la gérer trouve effectivement sa justification, sans en constituer toutefois la contrepartie, dans la prise en charge par l'État des retraites des agents fonctionnaires de l'entreprise France Télécom, les versements annuels au budget de l'État effectués par cet établissement public ne seront directement affectés à aucune dépense en particulier et viendront concourir aux conditions générales de l'équilibre du budget conformément à l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances ; que, dans ces conditions, le grief allégué ne peut qu'être écarté ;
- SUR L'ARTICLE 87 DE LA LOI :
23. Considérant que cet article supprime progressivement par abaissement sur quatre ans du plafond qui leur est applicable, à compter de l'imposition des revenus de l'année 1997, les déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels dont bénéficient certaines professions sur les traitements et salaires en application du troisième alinéa du 3° de l'article 83 du code général des impôts et, s'agissant des écrivains et compositeurs sur les produits de droits d'auteurs lorsqu'ils sont intégralement déclarés par des tiers, en application du 1 quater de l'article 93 du même code ;
24. Considérant que les requérants soutiennent que les "auteurs-compositeurs" ne sont pas placés dans la même situation que les autres professions concernées par la suppression de la déduction supplémentaire ; que n'étant pas salariés, ils n'ont pas d'employeur pouvant compenser la charge fiscale nouvelle qui leur est imposée et ne peuvent que très malaisément justifier de frais professionnels réels du fait de leur type d'activité ; que, dès lors, cette différence de situation aurait dû conduire à une différence de traitement seule de nature à préserver l'égalité devant l'impôt ;
25. Considérant que les écrivains et compositeurs peuvent, dans les mêmes conditions que l'ensemble des autres contribuables concernés par la suppression progressive de la déduction forfaitaire supplémentaire, opter pour la déduction des frais professionnels réels ; que cette suppression n'est assortie d'aucun droit à compensation salariale de la part de l'employeur ; que dans ces conditions, ils sont placés dans une situation similaire à celles des autres professions intéressées au regard de la suppression de la déduction forfaitaire supplémentaire ; que dès lors le grief soulevé par les requérants ne peut qu'être rejeté ;
- SUR L'ARTICLE 130 DE LA LOI :
26. Considérant que cet article a pour objet de modifier l'assiette de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat en l'élargissant aux surfaces consacrées à la vente au détail de carburants et de majorer ses taux minimal et maximal lorsque l'établissement assujetti a une activité de vente au détail de carburants ;
27. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent en premier lieu que l'alourdissement de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat aurait pour seul objet de permettre le prélèvement exceptionnel de 300 millions de francs sur les excédents du Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités artisanales et commerciales, institué par l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1996 ; que la combinaison de ces deux dispositions constituerait une manipulation contraire au principe de sincérité budgétaire ; qu'ils font valoir en second lieu que la détermination de l'assiette de la taxe viole le principe d'égalité devant l'impôt en ce que cette taxe est prélevée sur les "grandes surfaces" à un taux variant selon leur chiffre d'affaires au m², alors que ce critère ne permettrait en rien de mesurer l'activité des stations service qu'elles gèrent et qu'une taxe ne frappant que la distribution de carburants ne pourrait constitutionnellement être assise que sur cette activité même ; qu'enfin une discrimination fiscale injustifiée concernant la distribution de carburants serait opérée entre les stations service gérées par les "grandes surfaces" et les autres stations service ;
28. Considérant qu'il est loisible au législateur, dans le cadre d'une loi de finances de l'année, d'augmenter le produit d'une taxe en élargissant son assiette et en modifiant son taux et, dans le cadre d'une loi de finances rectificative, d'opérer un prélèvement exceptionnel au profit du budget de l'État sur des excédents du produit de la même taxe, accumulés au cours des années précédentes ; qu'il s'agit de deux opérations distinctes et que dès lors le moyen tiré d'une atteinte au principe de sincérité budgétaire ne peut qu'être écarté ;
29. Considérant qu'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette et le taux sous la réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ;
30. Considérant d'une part qu'en modifiant l'assiette de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat pour l'élargir aux surfaces consacrées à la vente au détail de carburants et en augmentant ses taux minimal et maximal lorsque l'établissement assujetti a une activité de vente au détail de carburants, le législateur a entendu prendre en compte à ces deux titres la circonstance que cette activité avait une incidence sur le montant du chiffre d'affaires global réalisé ; qu'il a ainsi fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels ;
31. Considérant d'autre part que les établissements soumis à la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat ayant une activité de vente au détail de carburant ne sont pas placés au regard de l'objet de cette taxe dans la même situation que d'autres établissements commerciaux ayant la même activité, non soumis à ladite taxe, quels que soient par ailleurs les montants du chiffre d'affaires et de la marge bénéficiaire tirés de cette activité ; que dès lors en n'incluant pas ces établissements commerciaux dans l'assiette de la taxe, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité devant l'impôt ;
- SUR LES AUTRES ARTICLES DONT L'INCONSTITUTIONNALITE EST ALLEGUEE :
32. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que les articles 31, 88, 123, 124, 125, 132, 136, 137 et 138 seraient étrangers au domaine des lois de finances tel que défini par l'article premier de l'ordonnance organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959 susvisée ;
. En ce qui concerne l'article 31 de la loi :
33. Considérant que cet article prévoit la création d'un fonds de compensation de la fiscalité transférée dont l'objet est de traduire financièrement le mécanisme d'écrêtement applicable aux départements dont la fiscalité transférée en application des articles L. 1614-1 et L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales engendre des ressources supérieures au montant des charges transférées ; que cette disposition est à l'origine de la suppression d'une provision de un milliard de francs inscrite antérieurement en loi de finances initiale au titre de la dotation globale de décentralisation des départements bénéficiaires de la péréquation ; qu'elle pouvait dès lors figurer dans une loi de finances ;
. En ce qui concerne l'article 88 de la loi :
34. Considérant que l'article 88 est ainsi rédigé : "Il est créé un fonds spécifique pour les journalistes." ; qu'il résulte des travaux préparatoires que cette disposition est destinée à avoir des effets financiers sur le budget de l'État ; que dès lors, elle n'est pas étrangère à l'objet des lois de finances ;
. En ce qui concerne l'article 123 de la loi :
35. Considérant que cet article a pour objet de restreindre le champ d'intervention du fonds de gestion de l'espace rural en le limitant aux projets d'intérêt collectif concourant à la réhabilitation de l'espace rural dont les agriculteurs ou leurs groupements sont parties prenantes ; que cet aménagement des missions du fonds est en relation directe avec une forte diminution des crédits correspondants inscrits sur le chapitre budgétaire concerné du titre VI du ministère de l'agriculture ; que dès lors il n'est pas étranger au domaine des lois de finances ;
. En ce qui concerne l'article 124 de la loi :
36. Considérant que cet article prévoit le dépôt d'un rapport du Gouvernement sur le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole et son incidence sur le budget de l'État ; qu'il est ainsi destiné, conformément au deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance susvisée portant loi organique relative aux lois de finances, à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ;
. En ce qui concerne l'article 125 de la loi :
37. Considérant que cet article a pour objet de revaloriser progressivement les pensions de retraite de personnes ayant exercé une activité agricole non salariée à titre exclusif ou principal en leur accordant des points de retraite supplémentaires ou une majoration de leur retraite forfaitaire ; qu'à cet effet une mesure nouvelle est inscrite sur le chapitre concerné au titre IV du budget annexe des prestations sociales agricoles ; que l'article 125 a dès lors une incidence directe sur les charges de l'État et est par suite au nombre des dispositions qui peuvent figurer dans une loi de finances ;
. En ce qui concerne l'article 132 de la loi :
38. Considérant que cet article a pour objet de modifier les modalités de financement de la formation continue des artisans prévues à l'article 1601 du code général des impôts ; qu'à cet effet il substitue à une majoration variable du droit fixe de la taxe pour frais de chambre des métiers, une contribution fixe établie en pourcentage du montant annuel du plafond de la sécurité sociale en vigueur au 1er janvier de l'année d'imposition ;
39. Considérant que cette nouvelle contribution présente les caractéristiques d'un prélèvement de nature fiscale ; qu'elle est au nombre des dispositions, prévues par le 3ème alinéa de l'article 1er de l'ordonnance organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959, qui peuvent figurer dans une loi de finances ;
40. Considérant que les autres dispositions de l'article 132, qui aménagent la répartition de cette ressource constituent, avec celles qui concernent l'assiette et le taux de cette nouvelle contribution, les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble ; qu'elles en sont dès lors inséparables ;
. En ce qui concerne l'article 136 de la loi :
41. Considérant que cet article modifie les règles applicables à l'aide aux chômeurs qui créent une entreprise en supprimant une aide forfaitaire antérieurement accordée par l'État et en ouvrant un droit nouveau, à la charge de l'État, aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique qui créent leur entreprise ;
42. Considérant que l'application de cette réforme, dont les différents éléments sont inséparables, se traduit par une économie pour le budget de l'État et une ouverture de crédits supplémentaires retracés sur des chapitres budgétaires du titre IV du ministère du travail et des affaires sociales ; que les dispositions contestées, qui ont une incidence directe sur les charges de l'État, sont au nombre de celles qui peuvent figurer dans une loi de finances ;
. En ce qui concerne l'article 137 de la loi :
43. Considérant que cet article a pour effet de réserver aux demandeurs d'emploi de longue durée et aux bénéficiaires de l'allocation du revenu minimum d'insertion ou de l'allocation spécifique de solidarité, le bénéfice des stages individuels ou collectifs d'insertion et de formation à l'emploi ;
44. Considérant que cette réforme se traduit par une économie pour le budget de l'État retracée sur des chapitres budgétaires du titre IV du ministère du travail et des affaires sociales ; que les dispositions contestées, qui ont une incidence directe sur les charges de l'État, sont au nombre de celles qui peuvent figurer dans une loi de finances ;
. En ce qui concerne l'article 138 de la loi :
45. Considérant que cet article réserve aux employeurs embauchant les personnes rencontrant les difficultés d'accès à l'emploi les plus graves, le versement de la prime liée au contrat initiative emploi ;
46. Considérant que cette mesure se traduit par une économie pour le budget de l'État retracée sur des chapitres budgétaires du titre IV du ministère du travail et des affaires sociales ; que les dispositions contestées, qui ont une incidence directe sur les charges de l'État, sont au nombre de celles qui peuvent figurer dans une loi de finances ;
47. Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office des questions de conformité à la Constitution ;

Décide :
Article premier :
L'avant-dernier alinéa du I de l'article 2, l'article 39 et, au quatrième alinéa de l'article 81, les mots : " toutefois, par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 10 000 F par demi-part s'ajoutant à une part pour les contribuables célibataires et divorcés qui bénéficient des dipositions des a, b, e du 1 de l'article 195 " sont déclarés contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 décembre 1996, où siégeaient MM Roland DUMAS, président, Maurice FAURE, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Michel AMELLER, Jacques ROBERT, Alain LANCELOT et Mme Noëlle LENOIR.
Le président, Roland DUMAS


Synthèse
Numéro de décision : 96-385
Date de la décision : 30/12/1996
Loi de finances pour 1997
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Mémoire en réplique déposé le 26 décembre 1996 au nom des signataires du recours (extrait) :

" Dans ces conditions, les articles 2 et 39 de la loi déférée ne sauraient échapper à l'annulation pas plus que l'article 81 auquel le même raisonnement peut être appliqué dans son ensemble puisque ce dernier vise à instaurer une réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial une nouvelle fois différente pour les contribuables célibataires ou divorcés "

Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 19 décembre 1996 par plus de soixante députés :

Le Conseil constitutionnel a été saisi par soixante-trois députés, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, d'un recours dirigé contre la loi de finances pour 1997, adoptée par le Parlement le 18 décembre 1996.

Les requérants estiment que certaines dispositions de ce texte méconnaissent diverses règles constitutionnelles. Ils considèrent en outre que plusieurs articles ne relèvent pas du domaine des lois de finances.

Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I : Sur les articles 2 et 39

A : Le 2° de l'article 2 de la loi déférée insère, à l'article 197 du code général des impôts, un alinéa qui ramène de 15 900 F : et non 15 000 F comme indiqué par erreur dans le recours - à 13 000 F le plafond applicable à la réduction d'impôt résultant de la demi-part supplémentaire de quotient familial dont bénéficient certains contribuables célibataires et divorcés visés aux a et b du 1 de l'article 195 du même code. Au cours de la discussion parlementaire, cette mesure a été étendue, par un amendement devenu l'article 39, à ceux qui sont visés au e.

Le législateur n'ayant pas mentionné à cet égard les contribuables veufs, également visés au I de l'article 195, il en résulte que cette réduction ne leur est pas applicable. Leur cas est donc régi par la disposition générale du premier alinéa du 2 de l'article 197, que l'article 2 de la loi déférée modifie pour ajuster en fonction de l'inflation le plafond antérieurement applicable, ce qui conduit à le porter de 15 900 F à 16 200 F.

Pour demander au Conseil constitutionnel de déclarer ces articles contraires à la Constitution, les députés requérants font valoir que la différence de situation entre, d'une part, les contribuables célibataires ou divorcés et, d'autre part, ceux qui sont veufs ne peut justifier la solution retenue. Au regard des charges familiales qui pèsent sur ces contribuables, ils font grief à ces dispositions de ne pas accorder aux contribuables célibataires et divorcés, au titre de l'enfant dont ils ont la charge, un avantage en impôt équivalent à celui dont bénéficient les veufs.

B : L'argumentation ainsi soulevée ne peut être accueillie.

1. En premier lieu, elle repose sur une analyse inexacte des dispositions en cause.

a) Le dispositif contesté est distinct de celui qui, à l'article 194 du code général des impôts, détermine le quotient applicable aux personnes ayant effectivement la charge d'un ou plusieurs enfants. Contrairement à ce que soutient la saisine, le dispositif critiqué ne modifie en rien ce mécanisme, qui a pour objet de proportionner l'impôt aux facultés contributives de chaque redevable, lesquelles dépendent notamment du nombre de personnes qui vivent du revenu du foyer. Ainsi les personnes seules ont normalement droit à une part et les couples mariés à deux parts, chaque enfant à charge donnant droit à une majoration de quotient familial.

Pour les personnes qui ont effectivement des enfants à charge, les règles actuellement applicables, quelle que soit leur situation matrimoniale, ne sont pas modifiées. L'avantage procuré par chaque demi-part supplémentaire, en termes de réduction de l'impôt à acquitter, reste plafonné à 16 200 F pour l'imposition des revenus de 1996. Pour les contribuables célibataires ou divorcés élevant seuls leurs enfants, l'avantage correspondant à la demi-part supplémentaire accordée au titre du premier enfant à charge est toutefois limité à la différence entre 20 050 F et 16 200 F, soit 3 850 F, tandis que les contribuables veufs ayant un enfant à charge sont traités comme s'ils étaient mariés.

b) Tout autre est l'objet des mesures critiquées. Insérées à l'article 197 et renvoyant à l'article 195, elles ne visent, en effet, que des personnes qui, bien que n'ayant plus de charges de famille, bénéficient d'une demi-part supplémentaire pour l'un des motifs énumérés au 1 de ce dernier article.

L'article 2 de la loi déférée concerne les cas, visés aux a et b, des contribuables qui :

: soit ont un ou plusieurs enfants majeurs ou faisant l'objet d'une imposition distincte ;

: soit ont un ou plusieurs enfants qui sont morts, à la condition que l'un d'eux au moins ait atteint l'âge de seize ans ou que l'un d'eux au moins soit décédé par suite de faits de guerre.

Quant aux dispositions analogues figurant à l'article 39, elles concernent le cas visé au e du 1 de l'article 195, c'est-à-dire celui des contribuables ayant adopté un enfant, à la condition que, si l'adoption a eu lieu alors que l'enfant était âgé de plus de dix ans, cet enfant ait été à la charge de l'adoptant comme enfant recueilli depuis l'âge de dix ans.

L'argumentation de la saisine, fondée sur le traitement fiscal qu'implique la charge effective d'un enfant, s'avère par conséquent inopérante.

2. En second lieu, et en tout état de cause, on soulignera que le plafonnement adopté n'est pas contraire à l'égalité des citoyens devant l'impôt.

Il s'inscrit dans le cadre de la profonde réforme de l'impôt sur le revenu que le Gouvernement a proposée au Parlement à l'occasion du vote de la loi de finances pour 1997, et que celui-ci a approuvée.

Cette réforme poursuit un triple objectif d'allégement (75 milliards de francs en cinq ans), de simplification et d'équité.

A cet égard, et conformément aux recommandations des rapports Ducamin et de la Martinière, il a paru souhaitable de limiter les avantages qui, faute de véritables justifications, ne paraissent pas conformes à l'équité. C'est précisément d'une telle préoccupation que procèdent les mesures adoptées aux articles 2 et 39, en tant qu'elles limitent le montant de la réduction d'impôt dont bénéficiaient des personnes n'ayant plus d'enfant à charge.

Cependant, le Gouvernement n'a pas souhaité réduire cet avantage pour les contribuables veufs, qui ont toujours bénéficié d'un régime fiscal spécifique. C'est ainsi, comme il a été indiqué plus haut, que les personnes veuves bénéficient d'un traitement particulier lorsqu'elles ont à leur charge un ou plusieurs enfants issus du mariage avec le conjoint décédé. Dans ce cas, elles continuent à bénéficier du quotient familial d'un contribuable marié ayant à sa charge le même nombre de personnes.

Ce particularisme, traditionnel en droit fiscal, se justifie par le fait que le décès de l'un des époux entraîne une remise en cause brutale de la situation économique du conjoint survivant. Il existe ainsi, entre les personnes veuves et les autres personnes seules, une différence de situation permettant au législateur, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, de fixer des règles différentes sans méconnaître le principe de l'égalité devant l'impôt.

On observera que la distinction faite par le législateur entre, d'une part, les célibataires et divorcés et, d'autre part, les veufs a déjà été admise par le Conseil constitutionnel. Le plafonnement spécifique de la demi-part supplémentaire évoqué plus haut, qui ne concerne que les premiers et non les seconds, a en effet été introduit par le II de l'article 2 de la loi de finances pour 1987.

Or cette disposition fait partie de celles dont l'article 2 de la décision n° 86-221 DC du 29 décembre 1986 déclare qu'elles ne sont pas contraires à la Constitution.

Au demeurant, la distinction dont procède la mesure contestée ne consiste pas à supprimer pour les uns un avantage que l'on maintiendrait au profit des autres. Elle revient seulement à moduler le plafonnement de l'avantage dont bénéficient les uns et les autres en fonction de préoccupations d'ordre social, tenant à la spécificité du veuvage, dont le Gouvernement et le Parlement ont estimé devoir tenir compte. Cette modulation ne constitue donc nullement une rupture caractérisée de l'égalité des contribuables devant l'impôt.

Il importe enfin de souligner qu'une censure de la disposition contestée : c'est-à-dire de l'alinéa introduisant un plafonnement spécifique à 13 000 F applicables aux seuls célibataires et divorcés : aboutirait à une résultat pour le moins paradoxal, au regard des exigences d'égalité dont se prévalent les auteurs de la saisine : alors que l'objet de la réforme est de réduire l'écart entre les contribuables bénéficiant, sans véritable justification en l'absence de charge effective, de cette demi-part supplémentaire, et ceux qui n'en bénéficient pas, la disjonction de l'alinéa critiqué se traduirait par le maintien de la situation actuelle.

Autrement dit, les dispositions contestées par la saisine tendent à assurer un meilleur respect du principe d'égalité en rapprochant du droit commun la situation de la plupart de ceux que la loi fiscale favorisait auparavant, tout en exceptant de ce rapprochement les personnes dont le veuvage justifie un traitement particulier.

Ces dispositions ne sont donc pas contraires à la Constitution.

II. : Sur l'article 4

A : L'article 4 de la loi déférée concerne l'abattement de 20 p 100 sur le revenu imposable dont bénéficient certains contribuables en application de l'article 158 du code général des impôts. Il aligne la situation des artisans, commerçants, professionnels libéraux et agriculteurs adhérents de centres et associations de gestion agréés, ainsi que celle des gérants de sociétés détenant plus de 35 p 100 des droits sociaux desdites sociétés, sur celle des salariés.

Au yeux des requérants, la circonstance que les revenus des non-salariés ne soient pas aussi aisément vérifiables que ceux des salariés fait obstacle à ce que l'avantage fiscal accordé aux seconds soit étendu aux premiers. Ils considèrent l'article 4 comme inconstitutionnellement discriminatoire, dès lors qu'il étend à la quasi-totalité des non-salariés l'abattement de 20 p 100.

B : Le Conseil constitutionnel ne pourra retenir ce grief.

1. En premier lieu, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, cet article 4 ne concerne pas tous les non-salariés. Il a simplement pour objet d'aligner sur la situation de la généralité des salariés, au regard de l'abattement de 20 p 100, celle des adhérents des centres et associations de gestion agréés, ainsi que celle des salariés et des gérants et associés visés à l'article 62 du code général des impôts qui détiennent plus de 35 p 100 des droits sociaux de leur entreprise.

Autrement dit, les intéressés bénéficieront de l'abattement de 20 p 100 comme l'ensemble des salariés alors que, jusqu'à présent, ils bénéficiaient d'un abattement de 20 p 100 jusqu'à 478 000 F et de 10 p 100 de 478 000 F à 680 000 F, cette dernière limite étant également applicable à l'abattement de 20 p 100 des salariés.

Ainsi, loin de méconnaître le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, l'article 4 de la loi déférée conforte celui-ci en rétablissant une égalité parfaite entre différentes catégories de contribuables qui, étant placés dans des situations similaires, doivent dès lors être traités de manière équivalente.

Au regard de l'abattement de 20 p 100 qui constitue une " prime " à la transparence fiscale des revenus, il est apparu que la discrimination exercée entre, d'une part, les adhérents des centres de gestion agréés et les gérants et associés visés à l'article 62, et, d'autre part, les salariés n'était plus justifiée. Les centres et associations de gestion agréés ont en effet pour vocation de parvenir à une meilleure connaissance des revenus des professions non salariées. Ils y contribuent effectivement depuis plus de vingt ans.

En termes de transparence de leurs revenus, la situation des membres de professions indépendantes qui adhèrent à ces organismes est donc comparable à celle des salariés.

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs jugé que l'adhésion aux centres de gestion agréés avait été à bon droit encouragée par l'octroi aux adhérents d'avantages fiscaux, et notamment d'un abattement sur le bénéfice imposable (n° 89-268 DC du 29 décembre 1989).

2. En deuxième lieu, on observera que les rémunérations des salariés, ainsi que celles des gérants et associés visés à l'article 62 du code général des impôts qui détiennent plus de 35 p 100 des droits sociaux de leur entreprise, sont déclarées dans les mêmes conditions que celles de tous les salariés. De même, les règles de contrôle propres au droit des sociétés s'appliquent aux uns et aux autres dans les conditions de droit commun.

Au demeurant, l'exigence de déclaration des rémunérations posée par l'article 240 du code général des impôts conduit d'ores et déjà à ce que certains professionnels libéraux voient leurs recettes déclarées totalement ou partiellement par des tiers. Cette situation n'a conduit ni à les traiter différemment des autres adhérents aux organismes agréés, ni à les assimiler à des salariés sur le plan fiscal, ni à prévoir un régime spécifique.

Dans ces conditions, l'objectif de transparence des revenus ne peut suffire à fonder une discrimination entre salariés et non-salariés.

3. Il convient enfin de souligner que les contribuables relevant de l'ensemble de ces professions perdent le bénéfice de l'abattement en cas de non-respect de leurs obligations déclaratives ou de redressement des revenus déclarés. C'est ainsi que l'abattement n'est pas appliqué lorsque la déclaration professionnelle, la déclaration d'ensemble des revenus ou les déclarations de chiffre d'affaires n'ont pas été souscrites dans les délais, s'il s'agit de la deuxième infraction successive concernant la même catégorie de déclaration.

Les mêmes règles s'appliquent pour les salariés en cas de non-respect de leurs obligations déclaratives.

En rapprochant le régime fiscal des uns et des autres, le législateur n'a donc nullement méconnu le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt. Il a, au contraire, entendu en permettre une application plus effective.

III. : Sur l'article 40

A : L'article 40 de la loi déférée, qui résulte d'un amendement parlementaire, a pour objet d'effectuer un prélèvement exceptionnel sur les excédents financiers accumulés par les organismes paritaires collecteurs des fonds destinés à la formation professionnelle " en alternance ", qui sont centralisés sur un compte unique institué par le I de l'article 45 de la loi de finances rectificative pour 1986 (n° 86-1318 du 30 décembre 1986), géré par une association agréée dite " Agefal ".

Ainsi que l'a confirmé le rapport de M Lambert devant la commission des finances du Sénat (p 220), ces réserves de trésorerie résultent d'un décalage entre recettes et dépenses et d'une efficacité insuffisante du système, mis en lumière précédemment par plusieurs rapports d'inspection récents et par une commission d'enquête parlementaire constituée en 1994.

B : Les critiques formulées par les requérants ne sont pas fondées, car elles reposent sur une analyse erronée de la mesure.

1. En effet, le prélèvement institué par l'article 40, fixé à 40 p 100 de la trésorerie nette au 31 juillet 1997, ne porte en rien atteinte au système de financement de la formation en alternance.

Compte tenu des réserves accumulées et de la collecte annuelle, il est compatible avec l'objectif de développement des contrats d'insertion en alternance et avec le bon fonctionnement du dispositif de compensation géré par l'Agefal. Ainsi, les ressources disponibles permettront de financer en 1997 190 000 entrées en contrats d'insertion en alternance, contre 185 000 en 1996 et 160 000 en 1995.

Dans ces conditions, même si, comme le soutiennent les requérants, le régime de financement de la formation en alternance répond à des objectifs ou principes à valeur constitutionnelle, tels que le droit des travailleurs à participer à la détermination collective de leurs conditions de travail, ces objectifs ou principes ne sauraient être remis en cause par le prélèvement critiqué, qui n'a pas l'effet que lui prêtent les requérants. Ce prélèvement ne méconnaît pas davantage le " principe de la liberté contractuelle " ou le " principe de confiance légitime " dont se prévalent les requérants.

2. Sur la rupture d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques, également alléguée par la saisine, on soulignera que le prélèvement en cause est effectué sur les excédents financiers centralisés des organismes collecteurs de la contribution des entreprises au financement de la formation en alternance, qui sont des organismes de droit privé agréés, chargés par la loi d'une mission de service public et dont les conditions de gestion sont fixées par le code du travail ; ce prélèvement, qui a le caractère d'une imposition, ne concerne donc pas les entreprises elles-mêmes, dont les droits et obligations en matière de formation professionnelle restent rigoureusement inchangés.

3. Il convient enfin de rappeler que le Conseil constitutionnel a déjà, à plusieurs reprises, validé des prélèvements très similaires à celui-ci, effectués sur les réserves accumulées par un organisme centralisateur. C'est ainsi qu'ont été admis à deux reprises des prélèvements sur les fonds déposés auprès de la Caisse des dépôts et consignations par l'Organic au titre de la taxe sur les grandes surfaces (décisions n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 et n° 95-371 DC du 29 décembre 1995). De même, dans sa décision n° 95-371 DC du 29 décembre 1995, le Conseil constitutionnel a rejeté les griefs formulés contre un prélèvement de 15 milliards de francs sur la Caisse des dépôts et consignations au titre de l'excédent de subventions versées par l'Etat à la caisse de garantie du logement social.

On soulignera en particulier que, dans cette dernière décision, le Conseil constitutionnel a écarté des griefs très proches de ceux invoqués par les requérants, en considérant " que les conditions dans lesquelles a été constitué l'excédent qui a permis un tel prélèvement sont en tout état de cause sans portée sur la constitutionnalité de la disposition contestée ; que cette imposition, qui n'a pas donné lieu à une affectation, constitue une recette du budget qui concourt aux conditions de l'équilibre budgétaire général sans que soit méconnu le principe de nécessité de l'impôt ; qu'enfin la circonstance que ladite imposition ait été financée grâce au produit d'une taxe préalablement mise à la charge d'une catégorie particulière de contribuables en fonction de leurs capacités contributives n'est pas de nature à méconnaître le principe d'égalité devant l'impôt ".

IV. : Sur l'article 46

A : L'article 46 de la loi déférée fixe à 37,5 milliards de francs le montant de la " contribution forfaitaire exceptionnelle " à la charge de France Télécom instituée à l'article 6 de la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom, et prévoit que cette contribution sera versée à un établissement public créé à cet effet, qui procédera à des reversements annuels au budget de l'Etat.

L'objet du recours consiste à contester ce dispositif, au motif que le " produit considérable " de cette contribution " permettra de contribuer à l'atténuation du déficit du budget général " et sera donc dépensé à de tous autres objets que de " couvrir les engagements de retraites de l'entreprise ", de sorte que ce prélèvement perd toute nécessité et que " la loi de finances est présentée sur ce point dans des conditions manifestement contraires à l'exigence de sincérité budgétaire ".

B : Cette critique ne saurait être retenue par le Conseil constitutionnel.

1. Contrairement à ce que semblent considérer les requérants, la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par France Télécom n'a pas pour objet de financer les engagements de retraites de l'entreprise.

Le principe du reversement de la contribution forfaitaire exceptionnelle, dont le montant est déterminé à l'article 46 de la loi de finances pour 1997, a été prévu par la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996. Cette loi, qui a été examinée par le Conseil constitutionnel (n° 96-380 DC du 23 juillet 1996), n'établit aucun lien juridique entre le produit de cette contribution et la couverture des engagements de retraites de France Télécom.

L'exposé des motifs de l'article 28 du projet de loi de finances pour 1997 (devenu l'article 46 de la loi déférée) ne mentionne pas non plus une telle affectation. En revanche, il rappelle que la cotisation libératoire annuelle ne permettra que de " couvrir partiellement les engagements de retraite de l'entreprise ", et que celle-ci " versera par ailleurs à l'Etat une contribution forfaitaire exceptionnelle d'un montant de 37,5 milliards de francs, pour solde de tout compte ". Cette dernière phrase, ainsi d'ailleurs que les réponses fournies par le Gouvernement aux assemblées parlementaires à l'occasion de la discussion de la loi de finances, montre bien que la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par France Télécom n'est pas destinée à couvrir ou à compenser la charge résultant pour l'Etat, année après année, des pensions des agents titulaires de France Télécom. Elle a pour objet, dans le cadre de la transformation de l'exploitant public en entreprise nationale, de procéder au règlement d'ensemble et pour solde de tout compte, entre l'Etat et l'entreprise, du financement des pensions des anciens agents titulaires de France : d'où l'appellation de " soulte " donnée à cette contribution.

2. C'est l'Etat qui assurera la couverture des retraites des agents fonctionnaires de France Télécom, dans les mêmes conditions que pour les autres fonctionnaires de l'Etat.

Le paiement des pensions étant prévu au budget général et correspondant à un droit, il ne dépendra en aucune manière des versements effectués par France Télécom en application de la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ni de ceux auxquels procédera l'établissement public créé par l'article critiqué. Ces versements seront portés en recette du budget général et ne feront l'objet d'aucune affectation.

On peut préciser à cet égard que le montant des retraites des anciens agents titulaires de France Télécom est inscrit au budget général, au chapitre 32-97, article 30, du budget des charges communes, à hauteur de 8,26 milliards de francs, montant représentant l'intégralité de l'évaluation des charges de pensions des anciens agents de France Télécom pour l'année 1997.

3. Le mécanisme d'affectation de la soulte à un établissement public a été choisi afin de ne pas améliorer artificiellement le déficit budgétaire en 1997.

Si ce mécanisme n'avait pas été proposé au vote du Parlement, le montant de la soulte serait venu améliorer exceptionnellement le solde du budget général, à hauteur de 37,5 milliards de francs .

Cette recette non renouvelable aurait conduit à une dégradation du déficit à due concurrence en 1998, toutes choses étant égales par ailleurs. Ainsi, et contrairement à ce que soutiennent les auteurs du recours, c'est l'exigence de sincérité budgétaire qui a conduit le Gouvernement à ne pas utiliser le produit de la soulte pour réduire artificiellement le déficit budgétaire en 1997, au-delà de la somme de 1 milliard de francs dont le reversement est prévu par le même article.

Le dispositif soumis au vote du Parlement permet de répartir sur plusieurs années, selon un mécanisme forfaitaire sans lien juridique ni équivalence de montants avec les dépenses exposées par ailleurs par l'Etat, la prise en compte budgétaire de cette contribution exceptionnelle.

V : Sur l'article 87

A : L'article 87 de la loi déférée s'inscrit dans un dispositif de suppression progressive, à compter de l'imposition des revenus de 1997, de l'ensemble des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels dont bénéficiaient certaines professions. Le plafond de cette déduction, actuellement fixé à 50 000 F, sera réduit à 30 000 F pour les revenus de 1997 puis de 10 000 F supplémentaires au titre de chacune des années 1998 et 1999.

A compter de l'imposition des revenus de l'année 2000, les déductions forfaitaires supplémentaires seront supprimées dans leur principe même.

Les députés auteurs de la saisine font grief au législateur de traiter à cet égard de la même manière, d'une part, l'ensemble des catégories de salariés concernées par cet avantage, d'autre part les auteurs et compositeurs. Ils font valoir que les premiers peuvent bénéficier de compensations salariales de la part de leur employeur et peuvent également opter, en contrepartie, pour le régime des frais réels, alors que ces solutions seraient inaccessibles aux auteurs et compositeurs.

Ils estiment, en conséquence, que la différence de situation entre les auteurs compositeurs et les salariés aurait dû conduire à une différence de traitement qui, à leurs yeux, aurait seule été de nature à préserver l'égalité devant l'impôt.

B : Pour sa part, le Gouvernement considère qu'en adoptant cette réforme, le Parlement n'a méconnu aucune exigence constitutionnelle.

1. En premier lieu, la suppression progressive de l'ensemble des déductions forfaitaires supplémentaires est une mesure d'application générale. Elle vise donc, sans discrimination, l'ensemble des contribuables qui en bénéficiaient auparavant, c'est-à-dire non seulement les salariés visés au troisième alinéa du 3° de l'article 83 du code général des impôts, mais aussi certains auteurs et compositeurs qui bénéficiaient du même type d'avantage en application du 1 quater de l'article 93 du même code.

Or les requérants ne précisent pas en quoi les auteurs et compositeurs seraient placés dans une situation juridique ou économique différente de celles des autres bénéficiaires de ces déductions spéciales, alors que seule une telle différence pourrait justifier le maintien de l'abattement que la loi leur ouvrait jusque-là.

On soulignera, à cet égard, que la compensation salariale invoquée par la saisine au titre de la perte de la déduction est purement aléatoire. Dans la mesure où elle serait envisagée dans certains secteurs d'activité, elle ne pourrait que dépendre d'une négociation qui échappe à la compétence du législateur fiscal. Il serait donc pour le moins paradoxal de maintenir la déduction pour les auteurs et compositeurs au seul motif que les autres salariés, ou certains d'entre eux, seraient présumés pouvoir compter sur un hypothétique supplément de salaire.

2. En deuxième lieu, on ne peut manquer de relever le caractère tout aussi paradoxal du grief consistant à contester la remise en cause de cet avantage pour les auteurs et compositeurs au motif qu'ils ne pourraient que malaisément justifier de leurs frais professionnels.

D'une part, en effet, l'option pour les frais réels est ouverte à l'ensemble des contribuables relevant du régime fiscal des traitements et salaires, qui doivent justifier dans les mêmes conditions de la réalité et du montant des frais déduits. Les difficultés que pourraient rencontrer les auteurs et compositeurs pour apporter cette justification ne sont pas d'une nature différente de celles auxquelles devront faire face d'autres professions.

D'autre part, il convient de rappeler que le principe même d'un régime de déduction de frais professionnels postule l'existence de frais exposés en vue d'obtenir des revenus. S'il s'avérait qu'un auteur ou compositeur n'a engagé aucuns frais, c'est précisément le maintien d'une possibilité de déduction qui serait contestable au regard de l'égalité devant l'impôt.

3. En troisième lieu, et enfin, la suppression de la déduction forfaitaire supplémentaire des auteurs et compositeurs est justifiée par un motif plus spécifique, tenant à la conception restrictive que le code général des impôts retenait de la notion d'auteur.

En réalité, il ressort des termes mêmes de l'article 93 que ce régime est réservé aux écrivains : et non pas à l'ensemble des auteurs comme indiqué par erreur dans la saisine : ainsi qu'aux compositeurs, lorsqu'ils sont imposés selon le régime des traitements et salaires. L'avantage ne concerne donc pas l'ensemble des auteurs régis par l'article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, qui reprend l'énumération issue de la loi du 11 mars 1957. Il ne s'applique pas aux bénéfices ou revenus perçus par des personnes autres que les écrivains et compositeurs à raison de l'exploitation de leurs uvres, tels que les artistes peintres, sculpteurs, cinéastes, photographes et illustrateurs de livres, même si ces revenus sont intégralement déclarés par des tiers.

La suppression de cet avantage permettra ainsi de rétablir une égalité de traitement entre l'ensemble des titulaires de droits d'auteur.

En définitive, il ne serait pas justifié que les écrivains et compositeurs continuent à bénéficier d'un avantage qui serait supprimé pour d'autres professions, alors que cette mesure répond à des objectifs de même nature pour les différentes professions concernées.

Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que constater que la suppression des déductions forfaitaires supplémentaires pour l'ensemble de leurs bénéficiaires actuels assure, mieux que la distinction préconisée par les auteurs de la saisine, une application effective du principe d'égalité devant l'impôt.

VI. : Sur l'article 130

A : L'article 130 de la loi déférée modifie les dispositions de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 relative à la taxe dite " taxe sur les grandes surfaces ", de façon à élargir le champ d'application de cette taxe aux surfaces de vente correspondant aux " stations-service " exploitées par les grandes surfaces.

Deux motifs d'inconstitutionnalité sont soulevés par les requérants à l'encontre de cet article : la violation du principe de sincérité budgétaire et la rupture d'égalité devant les charges publiques.

B : Ces deux griefs ne pourront qu'être écartés par le Conseil constitutionnel.

1. Les requérants invoquent d'abord le fait que cet alourdissement de la taxe sur les grandes surfaces aurait pour seul motif de financer le prélèvement exceptionnel de 300 MF sur les excédents du FISAC effectué dans le cadre du collectif budgétaire de fin d'année 1996. Il s'agirait en conséquence d'une " manipulation " contraire au principe de sincérité budgétaire et à la bonne information du Parlement.

Ce grief manque au fait car les deux mesures n'ont en réalité aucun lien entre elles.

En premier lieu, le prélèvement prévu par la loi de finances rectificative pour 1996 porte sur des excédents accumulés dans le passé, et ne peut évidemment pas être financé par un produit supplémentaire attendu à compter de 1997 ; il a un caractère exceptionnel et purement financier, alors que les dispositions en cause ici sont permanentes.

On notera, au demeurant, que les montants en cause de part et d'autre sont sans rapport : prélèvement de 300 MF effectué en une fois pour la loi de finances rectificative pour 1996, recette nouvelle évaluée à 60 MF chaque année pour l'article critiqué de la loi de finances pour 1997.

En second lieu, la recette nouvelle résultant de l'article 130 est destinée au financement d'actions nouvelles au profit des petits détaillants en carburants, dans une perspective d'aménagement du territoire, notamment en zone rurale. Le produit correspondant sera affecté au comité professionnel de la distribution de carburant et non au FISAC Il s'agit d'organiser une solidarité entre les grandes surfaces distribuant du carburant et les petits détaillants.

Il n'y a donc pas de fongibilité entre les différentes affectations du produit de la taxe.

2. Sur la prétendue rupture d'égalité devant les charges publiques, on notera que les grandes surfaces qui ont une activité de distribution de carburant sont dans une situation objectivement différente de celle des autres grandes surfaces. En effet, la distribution de carburants permet aux grandes surfaces de se servir de cette activité comme produit d'appel par rapport aux autres produits qu'elles distribuent.

L'élargissement de la taxe ayant été décidé dans un but de solidarité professionnelle avec le commerce de détail de carburant, en particulier dans les zones rurales, il paraît légitime de ne pas mettre à contribution les grandes surfaces ne distribuant pas de carburant.

Dans ces conditions, le dispositif retenu est fondé sur une différence de situation en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur :

Inclusion dans l'assiette de la taxe, fixée en m2 de surface de vente au détail, d'une surface forfaitairement calculée au titre de l'activité de vente au détail de carburants ;

Application d'un tarif d'ensemble au m2 légèrement supérieur pour les établissements ayant une activité de vente au détail de carburants.

VII. : Sur l'insertion dans la loi de finances des autres dispositions contestées

Le Gouvernement entend formuler les remarques suivantes, à propos de chacun des neuf articles qui, selon les requérants, seraient étrangers au domaine des lois de finances.

1. Sur l'article 31.

L'article 31 de la loi déférée prévoit la création d'un fonds de compensation de la fiscalité transférée. Ce fonds sera abondé en recettes par le produit de l'écrêtement applicable aux départements surfiscalisés. Il supportera, en dépenses, le reversement de ces recettes aux départements bénéficiaires de la dotation globale de décentralisation.

a) L'économie générale de cette réforme répond aux préoccupations suivantes.

Lors des transferts de compétence prévus par les lois de décentralisation, la fiscalité transférée aux départements (vignette automobile, droits d'enregistrement et taxe de publicité foncière) s'est avérée pour certains supérieure aux montant des charges transférées. Compte tenu de la nécessaire neutralité financière globale de la compensation des transferts de compétence, les départements surfiscalisés subissaient chaque année un écrêtement de leur fiscalité transférée. Cela se traduisait par un reversement au budget général de l'Etat. Un crédit d'égal montant : hormis une provision de 1 MdF ouverte dès la loi de finances initiale : était inscrit en loi de finances rectificative pour abonder les crédits de la dotation globale de décentralisation (chapitre 41-56 du budget de l'intérieur).

L'article 31 de la loi de finances pour 1997 réforme ce dispositif, afin d'accélérer le paiement des sommes dues aux départements qui, dans le système antérieur, attendaient le mois de janvier de l'année suivant le vote de la loi de finances rectificative pour percevoir le solde des sommes qui leur étaient dues au titre de la dotation globale de décentralisation.

b) Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cette disposition ne peut être qualifiée de " cavalier budgétaire ".

Elle a, en effet, un impact direct sur les dépenses du budget : la réforme, dont les différents aspects sont inséparables, s'accompagne de la suppression de la provision de 1 MdF qui était inscrite par la passé dans la loi de finances initiale, au titre de la dotation globale de décentralisation des départements surfiscalisés. Cette économie apparaît explicitement à l'annexe " Intérieur et décentralisation " du projet de loi de finances pour 1997 (interventions publiques, catégorie 10, mesure n° 16).

2. Sur l'article 88.

Cet article crée un fonds spécifique pour les journalistes. Il résulte des déclarations du Gouvernement au cours des débats parlementaires que ce fonds aura bien une incidence sur les finances de l'Etat.

3. Sur l'article 123.

L'article 123 de la loi déférée a pour objet de modifier le champ d'intervention du fonds de gestion de l'espace rural (FGER) en le limitant aux projets d'intérêt collectif concourant à la réhabilitation de l'espace rural dont les agriculteurs ou leurs groupements sont parties prenantes, alors que le texte actuel précise seulement que le FGER doit être affecté en priorité aux agriculteurs ou à leurs groupements.

Cet article a une incidence sur les charges de l'Etat, dont il modifie la nature et l'ampleur. Le recentrage des interventions du FGER est en effet étroitement lié à une réduction des crédits de ce fonds.

Après avoir été doté de 500 MF en 1995, puis de 388 MF en 1996, le FGER est doté de 150 MF dans la loi de finances pour 1997 soumise au Parlement. La limitation du champ d'intervention de ce fonds aux seuls projets dans lesquels les agriculteurs sont parties prenantes est donc le corollaire de la baisse de plus de la moitié de sa dotation en 1997.

Il apparaît ainsi que ces dispositions ont leur place en loi de finances, conformément au premier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

4. Sur l'article 124.

L'article 124 prévoit le dépôt d'un rapport du Gouvernement durant la session ordinaire 1996-1997 sur le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA).

Lancé en 1994, ce programme se traduit par des travaux financés pour 1/6 par l'Etat (chapitre 61-40 du budget de l'agriculture). Le montant correspondant, plus important que prévu à l'origine, pourrait être compris entre 13 et 16 MdF. Les estimations financières d'origine reposaient sur un taux de réponse de 50 p 100 des éleveurs concernés. En fait, plus de 90 p 100 des éleveurs se sont portés candidats.

Le rapport prévu à l'article 124 contribue à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur les finances publiques.

Conformément au deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959, ces dispositions ont leur place en loi de finances.

5. Sur l'article 125.

L'article 125 de la loi déférée a pour objet de revaloriser progressivement les retraites des chefs d'exploitations agricoles et des actifs familiaux ayant travaillé à l'exploitation, en leur accordant des points de retraite supplémentaire ou une majoration de leur retraite forfaitaire. La mesure est retracée dans le bleu budgétaire relatif au budget annexe des prestations sociales agricoles (mesure 004, de catégorie 12, au chapitre 46-96 du titre IV, d'un montant de 214 MF).

Cet impact est de nature à justifier l'insertion en loi de finances d'une telle mesure, comme l'a déjà jugé le Conseil constitutionnel (n° 82-154 DC du 29 décembre 1982).

6. Sur l'article 132.

L'article 132 de la loi de finances pour 1997 a pour objet de modifier les modalités de financement de la formation continue des artisans prévues à l'article 1601 du code général des impôts : à une majoration variable, comprise entre 50 p 100 et 80 p 100 du droit fixe de la taxe pour frais de chambre des métiers, il substitue une contribution fixe de 0,29 p 100 du montant annuel du plafond de la sécurité sociale en vigueur au 1er janvier de l'année d'imposition.

Il est en effet apparu que le lien opéré par l'article 1601 entre le financement de la chambre et celui de la formation continue soulevait des difficultés, tenant notamment à la confusion qui était opérée dans la gestion des sommes recueillies, ainsi qu'au rythme différent d'évolution, d'une part, des sommes affectées à la formation, d'autre part, de celles rendues nécessaires par le fonctionnement de ces établissements publics.

Calculée par référence au montant annuel du plafond de la sécurité sociale, la nouvelle contribution se trouve ainsi déconnectée de la taxe pour frais de chambre des métiers. Pour autant cette contribution possède, tout comme le mécanisme de majoration précédemment en vigueur, les caractéristiques d'un prélèvement de nature fiscale dont l'insertion en loi de finances est dès lors justifiée, même si les ressources et charges correspondantes n'affectent pas le budget de l'Etat. Il convient en effet de souligner qu'il n'existe pas d'affectation directe, ni de lien de proportionnalité entre les sommes obligatoirement versées à ce titre par tout artisan inscrit au répertoire des métiers et les actions de formation dont il peut bénéficier.

Quant aux autres dispositions de cet article qui aménagent la répartition de la ressource entre organismes nationaux et régionaux ou départementaux, elles représentent, avec celles concernant l'assiette et le taux de cette nouvelle contribution, les éléments indivisibles du dispositif d'ensemble que constitue la réforme du financement de la formation continue des artisans.

Les dispositions de l'article 132 se situent par conséquent dans le cadre prévu à l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, comme le Conseil l'a déjà admis dans des cas analogues (n° 85-201 DC du 28 décembre 1985 ; n° 95-371 DC du 29 décembre 1995).

7. Sur l'article 136.

L'article 136 modifie les règles applicables en matière d'aide aux chômeurs qui créent une entreprise (ACCRE). En adoptant cette réforme, le Parlement a approuvé :

: la suppression d'une aide forfaitaire autrefois accordée par l'Etat ;

: l'ouverture (aux II et III de l'article) d'un droit nouveau à la charge de l'Etat pour les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique qui, créant leur entreprise, pourront continuer à percevoir cette allocation pendant les six premiers mois de leur nouvelle activité.

Il n'est pas sans précédent qu'une disposition du code du travail soit modifiée par une loi de finances : l'ACCRE avait déjà été réformée dans le sens d'une plus grande sélectivité de l'aide financière et d'une modulation de son montant par l'article 29 de la loi de finances rectificative n° 95-885 du 4 août 1995.

En l'espèce, l'application de cette réforme, dont les différents éléments sont inséparables, emporte pour conséquence la réalisation, en 1997, d'une économie significative pour le budget de l'Etat (1 360 MF). Cette économie est décrite dans le fascicule bleu du ministère du travail (titre IV. : Révision des services votés, catégorie 11, mesure n° 13 : Actions pour la promotion de l'emploi, aides aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise : suppression de l'aide forfaitaire).

La disposition figurant aux II et III de l'article, qui a été introduite par amendement gouvernemental, a, quant à elle, nécessité l'ouverture d'un crédit supplémentaire de 45 MF sur le chapitre 46-71 " Fonds national du chômage ", à l'article 10 " Subvention de l'Etat au fonds de solidarité ".

8. Sur l'article 137.

L'article 137 de la loi déférée a pour effet de réserver aux personnes rencontrant les plus grandes difficultés, dans leur efforts de réinsertion sur le marché du travail, le bénéfice des stages individuels ou collectifs d'insertion et de formation à l'emploi.

Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne s'agit pas d'un " cavalier budgétaire ". Cette réforme se traduit en effet par une économie de 1 052,88 MF. Elle est mentionnée à ce titre dans le fascicule bleu Travail (titre IV, catégorie 11 : révision des services votés) sous deux rubriques :

: mesure n° 7 : rémunération des stagiaires de la formation professionnelle. : Réduction du nombre de bénéficiaires de stages d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) collectifs : - 544 979 400 F ;

: mesure n° 12 : Fonds national de l'emploi. : Réadaptation et reclassement de la main-d' uvre. : Réduction des moyens d'intervention relatifs au programme en faveur des chômeurs de longue durée : diminution du nombre de bénéficiaires de SIFE collectifs : : 507 901 250 F.

9. Sur l'article 138.

En réservant l'avantage, lié au contrat initiative-emploi, accordé aux employeurs embauchant les personnes rencontrant les difficultés d'insertion et les situations de précarité les plus graves, cet article permet à l'Etat de réaliser en 1997 une économie de 5 275,64 MF qui est retracée de la manière suivante dans le fascicule du même ministère (titre IV, catégorie 11 : révision des services votés) :

: mesure n° 12 : Fonds national de l'emploi. : Réadaptation et reclassement de la main-d' uvre. : Réduction des moyens d'intervention relatifs au contrat initiative-emploi, recentrage de la prime sur les publics rencontrant les difficultés d'accès à l'emploi les plus graves : : 4 036 100 000 F ;

: mesure n° 14 : Exonération de cotisations sociales en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle. : Réduction du nombre de bénéficiaires du contrat initiative-emploi : : 239 540 000 F.

Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter le recours dont il est saisi.SAISINE DEPUTES :

Paris, le 19 décembre 1996. Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1997, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, et notamment ses articles 2, 4, 19, 24 quater, 24 quater A, 28, 61, 61 bis, 83 bis, 83 ter, 84, 90, 91 bis, 94, 95 et 96 (1).

I : Sur l'article 2 de la loi déférée

Le 2° de l'article 2 de la loi déférée ajoute à l'article 197 du code général des impôts un troisième alinéa qui plafonne désormais à 13 000 F (et non plus à 15 000) la demi-part correspondant à un enfant à charge dans l'application du mécanisme du quotient familial pour les seuls contribuables célibataires et divorcés, alors qu'en ce qui concerne les contribuables veufs ayant un enfant à charge le même plafond sera dorénavant, aux termes du dernier alinéa du 2° du I de l'article 2, de 16 200 F (et non plus, là encore, de 15 000).

Ainsi, à charge familiale strictement égale, un contribuable célibataire ou divorcé est-il traité plus défavorablement qu'un contribuable veuf. Or, la différence de situations qui les distingue ne saurait être considérée comme justificative au regard de l'objet du mécanisme du quotient familial, qui ne consiste pas à sanctionner fiscalement le divorce mais à prendre en compte la charge résultant de l'éducation des enfants et à contribuer à la conduite d'une politique encourageant les naissances.

Dans ces conditions, le 2° de l'article 2 de la loi déférée ne pourra échapper à la censure pour rupture manifeste de l'égalité devant la loi fiscale.

II. : Sur l'article 4 de la loi déférée

L'article 4 de la loi déférée aligne, au regard du bénéfice de l'abattement de 20 p 100, sur la situation des salariés celle des artisans, commerçants, professionnels libéraux et agriculteurs adhérents de centres et associations de gestion agréés ainsi que celle des gérants de sociétés détenant plus de 35 p 100 des droits sociaux desdites sociétés.

Ainsi la quasi-totalité des non-salariés bénéficieraient-ils désormais d'un abattement qui vise pourtant à compenser la parfaite " transparence fiscale " des revenus des salariés et qui ne peut par conséquent être étendu à des non-salariés dont les revenus ne sont pas aussi aisément connaissables sans violer là encore le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt.

Dans la mesure où la disposition déférée ne restreint pas l'extension de cet avantage fiscal aux non-salariés placés dans une situation comparable à celle des salariés, elle est inconstitutionnellement discriminatoire.

III. : Sur l'article 24 quater de la loi déférée

Cet article institue pour 1997 une contribution exceptionnelle au budget de l'Etat (d'un rendement estimé à 1,6 milliard de francs) sur les excédents financiers des organismes paritaires collecteurs agréés pour recevoir les contributions des employeurs au titre de la formation professionnelle " en alternance ".

Or, le régime de la formation professionnelle en droit français, qu'il s'agisse de son organisation ou de son financement, se caractérise par la confiance que le législateur a constamment placée dans les partenaires sociaux : l'article L 131-1 du code du travail, qui détermine " les règles suivant lesquelles s'exerce le droit des salariés à la négociation collective de l'ensemble de leurs conditions d'emploi et de travail, et de leurs garanties sociales ", vise notamment, parmi ces dernières, la formation professionnelle, comme en témoignent explicitement les travaux parlementaires (voir notamment les explications en ce sens du ministre du travail au JO des débats de l'Assemblée nationale du 15 mai 1971, page 1914).

C'est dire que la place ainsi ménagée par la loi à la négociation collective ne représente que la mise en uvre des dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, lesquelles ont précisément constitutionnalisé le droit des travailleurs à participer à la détermination collective de leurs conditions de travail. L'intervention du législateur s'est jusqu'à présent bornée à concilier le respect de cette norme constitutionnelle avec la promotion de l'intérêt général inspirant la politique publique d'incitation au développement de la formation professionnelle, les lois accompagnant tout en le régulant le développement des accords nationaux interprofessionnels puis de branches en ce qui concerne l'organisation de la formation - notamment en alternance : et les mécanismes de son financement qui en sont évidemment inséparables.

C'est tout l'équilibre de ce système de négociation collective qui est remis en cause par l'article 24 quater de la loi déférée. En privant d'une partie significative de leurs ressources les gestionnaires paritaires de la formation en alternance, cette disposition leur interdit d'exercer leur compétence constitutionnelle issue du huitième alinéa précité du Préambule. Elle organise à cet égard une régression considérable des garanties financières de la libre administration de la formation professionnelle en alternance par les partenaires sociaux, laquelle est partie intégrante de la négociation collective des conditions de travail et de formation, et appelle dès lors la censure au titre de la jurisprudence dite du " cliquet anti-retour " (voir notamment Conseil constitutionnel n° 89-259 DC du 26 juillet 1989, Rec. page 66), laquelle interdit au législateur de faire régresser les garanties d'exercice des libertés fondamentales reconnues par la Constitution à moins qu'un objectif de valeur constitutionnelle ne l'impose (ce qui n'est nullement le cas en l'espèce).

La spoliation ainsi organisée par le législateur constitue en outre une violation incontestable du principe de liberté contractuelle, lequel protège en la matière les partenaires sociaux contre toute remise en cause de la capacité de négociation, et du principe de confiance légitime, le prélèvement brutal de 40 p 100 de leur trésorerie remettant en cause tout l'équilibre d'un système qu'ils gèrent avec l'accord des pouvoirs publics depuis plus d'un quart de siècle.

Alors que la contribution des entreprises au financement de la formation, collectée par les organismes qui vont être soumis au prélèvement institué par la disposition déférée, ne présente un caractère ni fiscal ni parafiscal, ladite disposition crée un impôt exceptionnel dont le taux exorbitant (40 p 100) est manifestement confiscatoire et dont l'assiette est établie selon un critère parfaitement discriminatoire : les organismes collecteurs de la contribution des entreprises au financement de la formation professionnelle étant transformés en auxiliaires du fisc, c'est en réalité sur les entreprises contributrices que pèse la charge du nouvel impôt ; or, toute entreprise qui choisira d'assurer elle-même la formation de ses salariés au lieu de verser la contribution en cause échappera du même coup à l'imposition nouvelle, alors que cette entreprise et celle qui au contraire contribue au financement de formations " externes " pour ses salariés ne sont pas placées dans des situations différentes au regard de l'objectif de développement de la formation professionnelle et ne sauraient dès lors être l'objet d'un traitement fiscal aussi fortement différencié sans rupture de l'égalité devant l'impôt.

Enfin, la législation existante organisait la régulation des flux financiers de la formation professionnelle en obligeant les organismes paritaires collecteurs agréés à ne pas conserver plus d'un an les sommes qu'ils collectent, lesquelles sommes ainsi centralisées par l'Agefal et affectées au financement des formations dans le cadre d'une procédure permettant un débat contradictoire sur l'emploi des fonds en cause. Au contraire, la disposition déférée décide de prélever autoritairement, forfaitairement et globalement 40 p 100 de la trésorerie engendrée par cette collecte, sans prendre en compte les besoins de formation ni les moyens financiers nécessaires à leurs couverture. En finançant ainsi le budget général de l'Etat par un prélèvement massif et disproportionné sur une ressource affectée à un but spécifique d'utilité générale, le législateur a privé les bénéficiaires des stages de formation en alternance d'une part considérable des ressources permettant de les faire bénéficier de cette activité spécifique d'utilité générale et a dès lors violé le principe d'égalité devant les charges publiques (Conseil constitutionnel n° 86-200 DC du 16 janvier 1986).

Dans ces conditions, l'article 24 quater de la loi déférée ne saurait échapper à la censure.

IV. : Sur l'article 24 quater A de la loi déférée

Comme l'article 2 précité, cet article institue un plafonnement (à 13 000 F) de la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial au titre de la demi-part supplémentaire dans le seul cas des contribuables célibataires et divorcés, les contribuables veufs n'étant pas quant à eux soumis à ce plafonnement.

Il s'agit cette fois de l'application non plus des a et b du 1 de l'article 195 du code général des impôts, mais du e de ce même article.

Pour autant, il va de soi que les mêmes inconstitutionnalités appellent les mêmes sanctions : dans le cas de l'article 24 quater A comme dans celui de l'article 2, la différence de traitements fiscaux entre divorcés ou célibataires et veufs n'est justifiée par aucune différence de situations en rapport avec l'objet du mécanisme du quotient familial, qui ne vise nullement à pénaliser les divorcés ou les parents célibataires. La censure de l'un est dès lors aussi inévitable que celle de l'autre.

V : Sur l'article 28 de la loi déférée

Cet article organise le prélèvement puis la gestion du produit d'une contribution exceptionnelle d'un montant de 37,5 milliards de francs prélevée sur l'entreprise pulique France Télécom et dont le projet de loi de finances soutient qu'elle vise à achever de couvrir " les engagements de retraites de l'entreprise " qui incomberont désormais à l'Etat (exposé des motifs de l'article 28 du projet de loi de finances).

Mais le produit considérable de cette contribution, géré par un établissement public spécialement créé à cet effet, sera reversé chaque année à l'Etat à concurrence d'un montant (actualisé chaque année) d'un milliard de francs par an à partir de 1997 ce qui permettra de contribuer à l'atténuation du déficit du budget général pendant plusieurs années. En d'autres termes, les sommes prélevées en invoquant la nécessité de financer les retraites des agents de France Télécom désormais servies par l'Etat seront dépensées à de tout autres objets bien avant que la charge de ce financement n'ait achevé de peser sur les finances publiques.

La loi de finances est donc présentée sur ce point dans des conditions manifestement contraires à l'exigence de sincérité budgétaire et le prélèvement de 37,5 milliards de francs imposé à France Télécom perd toute nécessité dès lors qu'il est affecté à d'autres fins qu'à celle qui seule pouvait justifier son ampleur exceptionnelle.

VI. : Sur l'article 61 de la loi déférée

Cet article supprime progressivement les abattements supplémentaires pour frais professionnels dont bénéficiaient, d'une part, certaines catégories de salariés, d'autre part les auteurs et compositeurs (non-salariés). Or, si les premiers peuvent bénéficier de compensations salariales (obtenues de leur employeur) à l'alourdissement considérable de l'impôt dont ils sont redevables résultant de la disposition critiquée et s'ils peuvent également, pour échapper à cet alourdissement, opter pour le régime des frais réels, ces deux solutions sont inaccessibles aux auteurs et compositeurs qui, d'une part, n'ont pas d'employeur susceptible de compenser la charge fiscale nouvelle et, d'autre part, ne peuvent que très malaisément justifier de frais professionnels " au réel " compte tenu de la difficulté de distinguer dépenses professionnelles et dépenses personnelles dans leur type d'activité.

C'est dire que la différence de situations entre les auteurs-compositeurs et les salariés également touchés par la disposition critiquée aurait dû conduire à une différence de traitement seule de nature à préserver l'égalité devant l'impôt.

Faute de l'avoir prévu, l'article 61 de la loi déférée est entaché de discrimination inconstitutionnelle.

VII. : Sur l'article 90 de la loi déférée

Cet article, comme la loi de finances pour 1996, cherche à mobiliser au bénéfice du budget général de l'Etat de nouvelles ressources fiscales prélevées sur les " grandes surfaces " qui devaient en principe servir à financer l'indemnité viagère de départ (IVD) des commerçants et artisans âgés.

On sait que tel est en effet le principal emploi de la " taxe sur les grandes surfaces " créée par la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972, taxe qui alimente le Fisac (Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités artisanales et commerciales). Il y a un an, la loi de finances rectificative pour 1995 avait opéré sur le Fisac un prélèvement " exceptionnel " de 680 millions de francs au profit du budget général, privant d'autant de ressources les actions d'aides aux commerçants et artisans en difficulté. Cette manipulation budgétaire avait cependant été jugée non contraire à la Constitution par la décision n° 95-370 DC du 30 décembre 1995, au motif que l'effort exceptionnel ainsi demandé à une catégorie spécifique de contribuables ne rompait pas l'égalité devant l'impôt alors même qu'il était détourné de l'objet de solidarité professionnelle auquel il avait été jusqu'alors affecté.

Mais il est vrai que la loi de finances rectificative pour 1995 avait eu au moins le mérite de présenter en un même document budgétaire l'ensemble de l'opération contestée.

La loi présentement déférée innove sur ce dernier point : l'article 90 de la loi de finances pour 1997 se borne à modifier l'assiette et le taux de la " taxe sur les grandes surfaces " afin d'y assujettir également les stations-service exploitées par lesdites " grandes surfaces ", si bien qu'à ne lire que cette disposition les commerçants et artisans pourraient se réjouir de l'attention que le projet gouvernemental de loi de finances initiale a portée au financement de leur IVD. Mais il se trouve que l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1996 institue quant à lui un nouveau " prélèvement exceptionnel " (cette fois de 300 millions de francs) sur le produit de la même taxe au profit du budget général de l'Etat.

En d'autres termes, la même manipulation budgétaire que l'année précédente permettrait de détourner de leur affectation les sommes collectées au titre de la taxe, mais cette fois l'un des termes de l'opération est masqué par la disjonction de ses deux éléments entre loi rectificative pour 1996 et loi initiale pour 1997 : l'alourdissement de la taxe que le Gouvernement demande au Parlement de voter au titre de la seconde loi a pour seule raison d'être de permettre le prélèvement décidé par la première.

Ainsi non seulement les " grandes surfaces " se voient demander un effort supplémentaire au titre de la solidarité professionnelle avec le commerce de détail alors que cet effort servira en réalité à réduire le déficit du budget général, mais encore : et là est la nouveauté par rapport à l'année dernière : le Gouvernement a tout fait pour dissimuler aux parlementaires cette manipulation il est vrai aussi peu glorieuse que populaire auprès des bénéficiaires des interventions du Fisac. La violation du principe de sincérité budgétaire est patente.

De plus, l'assiette de la taxe supplémentaire instituée par l'article 90 de la loi déférée se révèle violer le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt. Cette taxe est en effet prélevée sur les " grandes surfaces ", au titre du II de cet article 90, à un taux qui varie selon leur chiffre d'affaires au mètre carré, alors que ce critère ne permet en rien de mesurer l'activité des stations-service qu'elles gèrent : dès lors que la taxe supplémentaire ne frappe que la distribution de carburants, elle ne pouvait constitutionnellement être assise que sur cette activité même. En outre, la taxe ne frappe pas les stations-service non gérées par les " grandes surfaces " qui peuvent réaliser (par exemple sur les autoroutes) un chiffre d'affaires et dégager une marge bien supérieurs à ceux des stations-service visées par la disposition déférée : le traitement fiscal de la distribution de carburants n'en est que plus discriminatoire.

C'est donc pour violation et du principe de sincérité budgétaire et : à ce double titre : du principe d'égalité devant l'impôt que l'article 90 de la loi déférée appelle la censure.

VIII. : Sur les articles 19, 61 bis, 83 bis, 83 ter, 84, 91 bis, 94, 95 et 96 de la loi déférée

Ces articles constituent tous des " cavaliers budgétaires " insérés dans la loi de finances pour 1997 en violation de l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

Tel est le cas de l'article 19 en ce qu'il prévoit les modalités de la répartition d'un Fonds de compensation de la fiscalité transférée entre des collectivités territoriales éligibles à cette procédure, cette disposition ne visant qu'à une nouvelle présentation comptable sans incidence sur les finances de l'Etat.

Il en va de même de l'article 61 bis, qui se borne, sans autre précision, à annoncer la création d'un " Fonds spécifique pour les journalistes ", de l'article 83 bis, qui crée un " Fonds de gestion de l'espace rural ", de l'article 83 ter, qui prévoit le dépôt d'un rapport sur le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, de l'article 84 relatif au régime de retraite des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricoles, de l'article 91 bis relatif au financement de la formation professionnelle des artisans, de l'article 94 relatif aux charges sociales pesant sur certains demandeurs d'emploi, de l'article 95 relatif à l'organisation de certains stages de formation et de l'article 96 relatif au " contrat initiative emploi ".

C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les articles 2, 4, 19, 24 quater, 24 quater A, 28, 61, 61 bis, 83 bis, 83 ter, 84, 90, 91 bis, 94, 95 et 96 de la loi qui vous est déférée.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.

(1) Ces articles, dont la numérotation correspond ici à une version intermédiaire du projet de loi, sont respectivement numérotés 2, 4, 31, 40, 39, 46, 87, 88, 123, 124, 125, 130, 132, 136, 137 et 138 dans la loi définitivement votée.


Références :

DC du 30 décembre 1996 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 30 décembre 1996 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi de finances pour 1997 (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°96-385 DC du 30 décembre 1996
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1996:96.385.DC
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