Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 décembre 1990, par MM Edouard Balladur, Bernard Pons, Jacques Chirac, Jean-Louis Goasduff, Mme Roselyne Bachelot, MM Michel Giraud, Richard Cazenave, Dominique Perben, Robert Poujade, Georges Gorse, Nicolas Sarkozy, Gérard Léonard, Robert Pandraud, Jean Tiberi, Jean-Pierre Delalande, Robert-André Vivien, Bruno Bourg-Broc, Mmes Michèle Alliot-Marie, Christiane Papon, MM Philippe Auberger, Jean Charroppin, Pierre-Rémy Houssin, Bernard Schreiner, Jean-Paul de Rocca-Serra, Claude-Gérard Marcus, Alain Cousin, Pierre Pasquini, François Fillon, Etienne Pinte, Pierre Mazeaud, Eric Dolige, Jean-Paul Charié, Alain Jonemann, Jacques Masdeu-Arus, Roland Nungesser, Jean-Louis Masson, Patrick Ollier, Jean-Louis Debré, Olivier Dassault, Guy Drut, Jacques Toubon, Jean-Claude Mignon, Jean Ueberschlag, Pierre Raynal, Mme Suzanne Sauvaigo, MM Lucien Guichon, Christian Cabal, Jean Besson, Arnaud Lepercq, Jean-Claude Thomas, Jean Falala, Christian Estrosi, Bernard Debré, Jean-Michel Couve, Mme Nicole Catala, MM Henri Cuq, Michel Péricard, Charles Millon, Pascal Clément, André Rossinot, Mme Louise Moreau, MM Philippe Mestre, Jean Brocard, Marc Laffineur, Raymond Marcellin, François d'Aubert, Pierre Lequiller, Francis Delattre, Alain Griotteray, Arthur Paecht, Hubert Falco, Philippe Vasseur, Claude Wolff, Charles Ehrmann, Gérard Longuet, José Rossi, Daniel Colin, Denis Jacquat, Gilles de Robien, Willy Diméglio, Mme Yann Piat, MM François-Michel Gonnot, Jacques Blanc, Ladislas Poniatowski, Jean Desanlis, Jean-François Deniau, Gilbert Gantier, députés, et, le 22 décembre 1990, par MM Etienne Dailly, Jacques Bimbenet, Ernest Cartigny, Henri Collard, Jean François-Poncet, Paul Girod, Pierre Laffitte, Max Lejeune, Charles-Edmond Lenglet, Raymond Soucaret, Jean-Pierre Fourcade, José Balarello, Louis Boyer, Jean Dumont, André Bohl, Auguste Chupin, Marcel Daunay, Rémi Herment, Jean Huchon, René Monory, Jacques Moutet, Jean Pourchet, Guy Robert, Pierre Vallon, Xavier de Villepin, Jean Amelin, Honoré Bailet, Henri Belcour, Roger Besse, Amédée Bouquerel, Jacques Braconnier, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Mme Marie-Fanny Gournay, MM Auguste Cazalet, Jacques Chaumont, Jean Chérioux, Michel Doublet, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Marcel Fortier, Philippe François, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginesy, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jacques de Menou, Paul Moreau, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Sosefo Makapé Papilio, Roger Romani, Jean Simonin, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Serge Vinçon, Désiré Debavelaere, Lucien Lanier, Michel Rufin, Claude Prouvoyeur, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances pour 1991 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 74-1094 du 24 décembre 1974 relative à la protection sociale commune à tous les Français et instituant une compensation entre régimes de base de sécurité sociale obligatoire ;
Vu le mémoire ampliatif présenté par les députés auteurs de la première saisine, enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 20 décembre 1990 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs des saisines contestent la conformité à la Constitution des dispositions des articles 127 à 135 de la loi de finances pour 1991 soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ; qu'ils critiquent aussi bien la procédure suivie pour l'adoption de ces articles que leur contenu ;
- SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION DES ARTICLES 127 A 135 RELATIFS A LA "CONTRIBUTION SOCIALE GENERALISEE" :
2. Considérant que la régularité de la procédure d'adoption des articles de la loi déférée relatifs à la "contribution sociale généralisée" est critiquée par les députés auteurs de la première saisine sur un double plan ; qu'il est soutenu, à titre principal, que les articles de la loi, qui instaurent un "prélèvement social", ne pouvaient être introduits dans un projet de loi par voie de lettre rectificative et qu'ils n'ont pas, au demeurant, leur place dans un texte ayant le caractère de loi de finances ; que, subsidiairement, les auteurs de la première saisine estiment que les conditions d'introduction dans le texte de la loi de finances pour 1991 de la "contribution sociale généralisée" ont contrevenu aux prescriptions tant de l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 qu'à celles de ses articles 31 et 40 ; que cette dernière argumentation est reprise par les sénateurs auteurs de la seconde saisine qui soutiennent, en outre, que le Parlement n'a pas bénéficié d'une information suffisante pour se prononcer, en particulier au regard des exigences posées par l'article 32 de la même ordonnance ;
. En ce qui concerne l'argumentation présentée à titre principal par les auteurs de la première saisine :
. Quant au recours à une lettre rectificative :
3. Considérant que les députés auteurs de la première saisine relèvent qu'ont été introduits dans le projet de loi de finances pour 1991, des articles additionnels 92 à 98, relatifs à la "contribution sociale généralisée", sous forme de "lettre rectificative signée du seul Premier ministre alors que le projet de loi est contresigné" ;
4. Considérant que l'article 39 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que "l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement" ; qu'aux termes du second alinéa du même article "les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées. Les projets de loi de finances sont soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale" ;
5. Considérant que sous l'empire de la Constitution de 1958, une lettre rectificative signée du Premier ministre constitue non un amendement apporté par le Gouvernement à un projet de loi sur le fondement de l'article 44, alinéa 1, de la Constitution, mais la mise en oeuvre du pouvoir d'initiative des lois que le Premier ministre tient du premier alinéa de l'article 39 de la Constitution ;
6. Considérant que le dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 4 octobre 1990, d'une lettre rectificative au projet de loi de finances pour 1991 relative à la "contribution sociale généralisée" a été précédé de la consultation du Conseil d'État et de la délibération du Conseil des ministres ; qu'il a été ainsi satisfait aux exigences posées par le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution ; que le fait que la lettre rectificative n'ait pas été contresignée n'en affecte pas la régularité dès lors que ce document comporte par lui-même toutes les dispositions nécessaires à la production de ses effets juridiques au regard du premier alinéa de l'article 39 de la Constitution ;
. Quant à la nature juridique de la "contribution sociale généralisée" et à ses incidences sur le plan de la procédure :
7. Considérant que selon les députés auteurs de la première saisine, la "contribution sociale généralisée" n'a pas sa place dans un texte ayant le caractère de loi de finances, dans la mesure où elle constitue un "prélèvement social" ;
8. Considérant que sous l'intitulé "Institution d'une contribution sociale généralisée", la loi crée, par son article 127, une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement, par son article 132, une contribution sociale sur les revenus du patrimoine et, par son article 133, une contribution sociale sur les produits de placement ;
9. Considérant que ces contributions nouvelles entrent dans la catégorie des "impositions de toutes natures" visées à l'article 34 de la Constitution, dont il appartient au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement ; que, dès lors, les dispositions des articles 127 à 134 sont au nombre de celles qui peuvent figurer dans un texte de loi de finances en vertu du troisième alinéa de l'article premier de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
10. Considérant que l'article 135 de la loi ressortit également au domaine d'intervention d'une loi de finances car la présentation au Parlement, conformément à cet article, d'un rapport indiquant notamment "l'assiette et le produit de la contribution sociale généralisée" constitue une mesure destinée à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques au sens du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
. En ce qui concerne les moyens tirés de la violation des articles 38 et 32 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 :
. Quant à l'application de l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 :
11. Considérant que les députés auteurs de la premire saisine soulignent que la lettre rectificative au projet de loi de finances pour 1991 a été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le jeudi 4 octobre 1990 ; qu'ils en déduisent qu'il y a eu violation des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, en vertu desquelles le projet de loi de finances de l'année est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède l'exécution du budget ; que ce texte imposait le dépôt de l'intégralité du projet au plus tard le mardi 2 octobre 1990 ;
12. Considérant que les dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 doivent être interprétées à la lumière tant de l'article 47 de la Constitution, en ses alinéas 2 et 3, que de l'article 39 de l'ordonnance précitée qui fixent les délais d'examen par l'Assemblée nationale et par le Sénat des projets de loi de finances et prévoient que ceux-ci peuvent être mis en vigueur par ordonnance si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de 70 jours ; que ces diverses dispositions ont pour objet de permettre qu'interviennent en temps utile et plus spécialement avant le début d'un exercice les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, tout en garantissant à chaque assemblée, en première lecture, des délais d'examen fixés par l'article 47 de la Constitution, à 40 jours pour l'Assemblée nationale et à 15 jours pour le Sénat ;
13. Considérant que le dépôt le jeudi 4 octobre et non le mardi 2 octobre de la lettre rectificative au projet de loi de finances pour 1991 n'a pas eu pour conséquence de réduire le délai dont dispose chaque assemblée pour statuer, en première lecture, sur l'ensemble des dispositions constituant le projet de loi de finances pour 1991 ; qu'ainsi, le retard relevé par les auteurs de la première saisine n'a pas été de nature à affecter la régularité de la procédure législative ;
. Quant à l'application de l'article 32 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 :
14. Considérant que les auteurs de la seconde saisine invoquent la méconnaissance des dispositions de l'article 32 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui prescrivent que le projet de loi de finances de l'année comporte des "annexes générales destinées à l'information et au contrôle du Parlement" ; qu'il font valoir que les assemblées n'ont pas disposé de l'état annuel retraçant l'effort social de la Nation prévu par l'article 8 de la loi n° 74-1094 du 24 décembre 1974 ; que, plus généralement, le Parlement n'aurait pas bénéficié d'une information suffisante ;
15. Considérant que la mise à la disposition des membres du Parlement des documents annexés au projet de loi de finances a pour objet d'assurer leur information en temps utile pour leur permettre de se prononcer sur le projet de loi de finances dans les délais prévus à l'article 47 de la Constitution ;
16. Considérant que même si l'état retraçant l'effort social de la Nation n'a pas été transmis au Parlement, les assemblées ont disposé, comme l'attestent les rapports des commissions saisies au fond ou pour avis, d'éléments d'information approfondis sur l'institution d'une "contribution sociale généralisée" ; que, par suite, le moyen invoqué ne saurait être retenu ;
. En ce qui concerne les moyens tirés de la violation des articles 31 et 40 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 :
17. Considérant que, selon les auteurs des saisines, les dispositions relatives à la "contribution sociale généralisée" auraient dû figurer, par application de l'article 31 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, dans la première partie de la loi de finances et non dans la seconde ; qu'il en résulterait une violation corrélative de la disposition de l'article 40 de la même ordonnance suivant laquelle "la seconde partie de la loi de finances de l'année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie" ;
18. Considérant qu'en vertu de l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2, la première partie du projet de loi de finances de l'année a pour objet d'autoriser et évaluer les recettes, fixer les plafonds des grandes catégories de dépenses et d'arrêter les données générales de l'équilibre financier pour l'exercice à venir ; que, pour la détermination de cet équilibre, doivent notamment figurer dans la première partie du projet de loi de finances, outre l'autorisation de percevoir les impôts existants affectés aux collectivités et aux établissements publics, les dispositions instituant un impôt si celui-ci est destiné à procurer des ressources à l'État dès le nouvel exercice budgétaire ;
19. Considérant que le produit des contributions sociales visées aux articles 127 à 133 de la loi doit, conformément à l'article 134-II, être versé à la Caisse nationale des allocations familiales et non à l'État ; que, de plus, ces contributions sociales seront par elles-mêmes sans effet sur les ressources de l'État pour le nouvel exercice ;
20. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la violation des articles 31 et 40 de l'ordonnance susvisée du 2 janvier 1959 ne sauraient être accueillis ;
- SUR LE CONTENU DES ARTICLES RELATIFS A LA "CONTRIBUTION SOCIALE GENERALISEE" :
21. Considérant que les auteurs de la première saisine estiment que, prise en tant que "prélèvement social", la "contribution sociale généralisée" est contraire au principe d'égalité ; que, même en admettant qu'elle constitue une imposition, elle est inconstitutionnelle à plusieurs titres ; que l'affectation de son produit va à l'encontre des dispositions de l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ; que la détermination des éléments d'assiette introduit une inégalité entre salariés et non salariés ; que le choix d'un taux uniforme d'imposition est contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que le mode de recouvrement de la contribution assise sur les revenus du travail méconnaît le principe d'exclusivité de l'État en matière de recouvrement de l'impôt ; que la différence des modalités de recouvrement selon les revenus imposables est génératrice d'inégalités ;
22. Considérant que ce dernier moyen est repris et développé par les auteurs de la seconde saisine ; que ceux-ci critiquent également les dispositions de l'article 132-II de la loi qui, rapprochées de celles de l'article 128, introduisent une discrimination entre les contribuables ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la "contribution sociale généralisée" constituerait un prélèvement social inégalitaire :
23. Considérant que pour les auteurs de la première saisine, dans la mesure où la contribution sociale généralisée constitue un "prélèvement social", pourraient seules y être assujetties les personnes susceptibles de bénéficier des prestations pour lesquelles elles cotisent ;
24. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus les contributions instituées par les articles 127, 132 et 133 de la loi constituent des impositions et non des cotisations de sécurité sociale ; que, dès lors, le moyen invoqué est inopérant ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 :
25. Considérant qu'en vertu de l'article 134-II de la loi, le produit des contributions instituées par les articles 127, 132 et 133 est versé à la Caisse nationale des allocations familiales ; qu'à l'encontre de ce texte, les auteurs de la première saisine se prévalent des dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, selon lesquelles "aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi" ;
26. Considérant que ce moyen est sans valeur dans la mesure où les contributions susmentionnées ont le caractère de ressources d'un établissement public et, comme telles, ne sont pas soumises aux prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, qui s'appliquent aux seules recettes de l'État ;
. En ce qui concerne la détermination des redevables des impositions :
27. Considérant que l'article 132 de la loi énumère dans son paragraphe I les redevables de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine ; qu'aux termes du paragraphe II du même article, "les contribuables dont la cotisation d'impôt sur le revenu est inférieure au montant mentionné au 1 bis de l'article 1657 du code général des impôts ne sont pas assujettis à la contribution" ; que, pour les sénateurs auteurs de la seconde saisine, ces dernières dispositions introduisent une inégalité de traitement car aucune référence à un seuil de non-imposition analogue n'est prévue par l'article 128 de la loi en faveur des revenus d'activité ;
28. Considérant que les contributions concernant respectivement les revenus d'activité et les revenus de remplacement, les revenus du patrimoine, et les produits de placement constituent des impositions distinctes ; que, pour l'application du principe d'égalité devant l'impôt, la situation des personnes redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément ; que, dans chaque cas, le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels ;
29. Considérant, en outre, que dans la mesure où les contributions instituées par les articles 127, 132 et 133 ont pour finalité commune la mise en oeuvre du principe de solidarité nationale, la détermination des redevables des différentes contributions ne saurait aboutir à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens ;
30. Considérant que le non-assujettissement à la contribution sociale des revenus mentionnés à l'article 132-II de la loi trouve sa justification dans les règles générales applicables à l'établissement et à la mise en recouvrement des impôts directs perçus par voie de rôle ; que ces règles ont pour but d'éviter l'engagement de frais de recouvrement qui seraient excessifs par rapport à l'ampleur des sommes en jeu ; qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 132-II de la loi et du 1 bis de l'article 1657 du code général des impôts que les revenus du patrimoine qui ne seront pas assujettis à la contribution instituée par l'article 132-I visent les contribuables dont la cotisation d'impôt sur le revenu pour 1991 est inférieure à 420 F ; qu'il n'en résulte pas une rupture caractérisée de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
31. Considérant, dans ces conditions, que l'argumentation présentée par les auteurs de la seconde saisine à l'encontre de l'article 132-II de la loi doit être écartée ;
- En ce qui concerne la mise en cause de l'assiette de la contribution sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement :
32. Considérant que les auteurs de la première saisine font grief aux articles 128 et 129 de la loi d'asseoir la contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement de façon inégalitaire ; qu'en effet, alors que l'article 129 soumet à la contribution précitée les non-salariés sur leurs revenus professionnels nets, l'article 128 dispose, s'agissant des salariés, que la contribution est assise sur le "montant brut" des salaires, moyennant une déduction forfaitaire limitée à 5 p. 100 ;
33. Considérant qu'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, sous la réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle ; qu'en particulier, pour se conformer au principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation, comme il a été dit ci-dessus à propos de la détermination des redevables, sur des critères objectifs et rationnels ;
34. Considérant que le législateur a choisi, eu égard aux modalités de recouvrement de la contribution sociale instituée par l'article 127 de la loi, de se référer pour la détermination de l'assiette de la nouvelle taxe au montant des revenus pris en compte pour l'établissement des cotisations exigées en application de la législation sur la sécurité sociale ; que ce choix l'a conduit, en ce qui concerne les salariés, à asseoir la contribution précitée sur le montant brut des salaires comme cela ressort du premier alinéa du paragraphe I de l'article 128 ; que pour l'assiette de la contribution sur les revenus professionnels des employeurs et travailleurs indépendants, le premier alinéa de l'article 129 de la loi fait référence aux dispositions de l'article L. 242-11 du code de la sécurité sociale, qui sont relatives à l'assiette des cotisations d'allocations familiales dues par les employeurs et travailleurs indépendants des professions non agricoles sur leurs revenus professionnels ; que ces derniers sont, pour l plupart, des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ; que le troisième alinéa de l'article 129 soumet les personnes qui perçoivent des bénéfices de l'une ou l'autre nature à des règles analogues, même si elles ne sont pas visées par l'article L. 242-11 du code de la sécurité sociale ;
35. Considérant que les choix ainsi effectués par le législateur pour la détermination de l'assiette des catégories de revenus ne créent pas de disparité manifeste dès lors que, par l'effet des dispositions du deuxième alinéa du I de l'article 128, il est opéré sur le montant brut des salaires pris en compte pour l'établissement de la contribution sociale une réduction représentative de frais professionnels fixée à 5 p. 100 de ce montant ;
36. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen avancé par les auteurs de la première saisine à l'encontre de l'assiette de la contribution instituée par l'article 127 doit être écarté ;
- En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le taux de l'imposition méconnaîtrait l'article 13 de la Déclaration de 1789 :
37. Considérant que l'article 134-I de la loi dispose que "le taux des contributions sociales visées aux articles 127 à 133 de la présente loi est fixé à 1,1 p. 100" ;
38. Considérant que pour les auteurs de la première saisine, en instituant une imposition proportionnelle et non progressive, le législateur a méconnu l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
39. Considérant qu'en vertu de l'article 13 de la Déclaration de 1789, la contribution commune aux charges de la Nation "doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés" ; que, conformément à l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables ;
40. Considérant que l'institution, par les articles 127, 132 et 133 de la loi, de contributions sociales dont les assiettes respectives sont très largement définies, a pour but d'associer au financement des dépenses de sécurité sociale l'ensemble de la population, compte tenu d'une évolution qui a étendu le champ d'application des prestations sociales ; que le produit des contributions nouvelles est versé à la Caisse nationale des allocations familiales ; qu'il est destiné, conformément au paragraphe III de l'article 134, à l'allègement à due concurrence des prélèvements affectés à la sécurité sociale ; que ces prélèvements se caractérisent par une prépondérance de cotisations qui ne sont ni assises sur l'ensemble des revenus ni soumises à une règle de progressivité ; qu'en outre, à la différence des cotisations sociales, les contributions nouvelles ne seront pas déductibles de l'impôt sur le revenu, dont les taux sont progressifs ;
41. Considérant, dans ces conditions, que le choix par le législateur d'un taux unique applicable aux contributions sociales qu'il institue ne peut être regardé comme contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
. En ce qui concerne les moyens dirigés contre les règles applicables au recouvrement et au contentieux :
42. Considérant que selon les auteurs de la première saisine, le mode de recouvrement de la contribution sur les revenus d'activité et sur les revenus du travail est contraire au principe d'exclusivité de l'État en la matière ; qu'il en résulterait des inégalités de traitement entre les redevables ; que selon les auteurs de l'autre saisine, le fait de soumettre les différends relatifs aux contributions sociales à des ordres de juridiction distincts porte atteinte au principe d'égalité devant la justice ;
. Quant à l'atteinte au principe d'exclusivité de l'État dans le recouvrement des impôts :
43. Considérant que l'article 131 de la loi confie le recouvrement de la contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à des organismes qui sont déjà habilités à recouvrer des cotisations sociales ; qu'à l'exception de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui constitue un établissement public national à caractère administratif, les organismes compétents en matière de recouvrement sont des personnes morales de droit privé ;
44. Considérant que les auteurs de la première saisine soutiennent qu'en tant qu'il prévoit le recouvrement d'un impôt par des personnes morales de droit privé, l'article 131 entre en contradiction avec le "principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel seul l'État recouvre l'impôt" ;
45. Considérant que, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant "les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures" ; que, dans l'exercice de cette compétence, il doit se conformer aux principes et règles de valeur constitutionnelle ; que si aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République ne lui impose un mode particulier de recouvrement, il n'en demeure pas moins que le recouvrement d'une imposition contribuant, conformément à l'article 13 de la Déclaration de 1789, aux charges de la Nation, ne peut être effectué que par des services ou organismes placés sous l'autorité de l'État ou son contrôle ;
46. Considérant que l'article 131 de la loi n'est pas contraire à ces exigences, dans la mesure où les différents organismes chargés du recouvrement de la contribution instituée par l'article 127 exercent une mission de service public et sont placés sous la tutelle de l'État ou sous son contrôle ;
. Quant à la mise en cause des modalités de recouvrement et des procédures contentieuses au regard du principe d'égalité :
47. Considérant qu'à la différence de la contribution sociale instituée par l'article 127, les contributions visées respectivement par les articles 132 et 133 seront recouvrées, non par des organismes privés placés sous la tutelle ou le contrôle de l'État, mais par des services placés sous son autorité directe ;
48. Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa du paragraphe V de l'article 131, les différends d'ordre individuel relatifs à la contribution sociale sur les revenus d'activité et les revenus de remplacement sont du ressort des juridictions compétentes en matière de sécurité sociale ; que, pour les contributions instituées par les articles 132 et 133, demeurent en vigueur les règles de droit commun attribuant compétence à la juridiction administrative ;
49. Considérant que les auteurs de la première saisine soutiennent que la différence quant aux modes de recouvrement engendre des inégalités de traitement ; que selon les auteurs de la seconde saisine, la dualité des règles de contentieux porte atteinte, au cas présent, au principe d'égalité devant la justice ;
50. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, les contributions instituées par les articles 127, 132 et 133 de la loi constituent des impositions distinctes ; que, cependant, elles sont perçues au même taux, versées à un même organisme et poursuivent une même finalité ; qu'il s'ensuit que les modes de recouvrement et les procédures contentieuses applicables ne doivent pas aboutir à créer entre les diverses catégories de redevables des disparités qui porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi ou au principe d'égalité devant la justice ;
51. Considérant, d'une part, qu'en ce qui concerne les procédures de recouvrement et les procédures contentieuses, les redevables de la contribution sur les revenus du patrimoine et de la contribution sur les produits de placement sont pareillement soumis à des règles de nature fiscale ;
52. Considérant, d'autre part, que, s'agissant des redevables de la contribution sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement, les garanties en matière de recouvrement et de contentieux qui résultent tant du texte de l'article 131 que des dispositions auxquelles il renvoie, ne sont pas sensiblement différentes de celles applicables aux redevables des contributions instituées par les articles 132 et 133 ;
53. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les moyens tant de procédure que de fond dirigés contre les articles 127 à 135 de la loi doivent être écartés ;
- SUR L'ARTICLE 43 RELATIF A LA CREATION D'UNE TAXE ADDITIONNELLE SUR LES TICKETS DU PARI MUTUEL :
54. Considérant que, dans son premier alinéa, l'article 43 de la loi majore d'une taxe additionnelle dont le taux est fixé à 0,3 p. 100 du montant des sommes engagées dans la même course, le droit de timbre sur les tickets du pari mutuel ; qu'aux termes du second alinéa de l'article 43 "cette taxe additionnelle est recouvrée suivant les mêmes règles, sous les mêmes garanties et les mêmes sanctions que le droit de timbre" ;
55. Considérant qu'il résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que le principe du respect des droits de la défense ;
56. Considérant que ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;
57. Considérant que l'article 43 de la loi dispose que la taxe additionnelle qu'il institue est recouvrée sous les "mêmes sanctions" que le droit de timbre sur les tickets du pari mutuel ; que ce mode de recouvrement n'astreint nullement l'administration au respect des droits de la défense préalablement au prononcé d'une amende sur le fondement de l'article 1840-I du code général des impôts ou des dispositions mentionnées audit article ;
58. Considérant, dans ces conditions, qu'il y a lieu de déclarer contraires à la Constitution les mots "et les mêmes sanctions" figurant dans le texte de l'article 43 de la loi ;
- SUR L'ARTICLE 101 RELATIF AU CONTROLE EXERCE SUR LES OEUVRES ET ORGANISMES :
59. Considérant que l'article 101 de la loi présentement examinée ajoute à l'article 1er de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 relative à la Cour des comptes, tel qu'il a été modifié et complété par la loi n° 76-539 du 22 juin 1976 et par la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982, un alinéa supplémentaire ; qu'en vertu de cet alinéa, la Cour des comptes peut "exercer un contrôle sur les oeuvres et organismes qui font appel à la générosité publique pour soutenir des causes scientifiques, humanitaires ou sociales" ; qu'il est spécifié qu'"un décret en Conseil d'État précisera les conditions d'application de la présente disposition et notamment le niveau des sommes recueillies à partir duquel elle s'appliquera et les modalités selon lesquelles les conclusions de la Cour des comptes seront rendues publiques " ;
60. Considérant que l'article 101 de la loi ne concerne pas directement la détermination des ressources et des charges de l'État ; qu'il n'a pas pour but d'organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou d'imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires ; qu'il n'a pas davantage le caractère de disposition d'ordre fiscal au sens de l'article 1er, alinéa 3, de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 ; qu'ainsi, l'article 101 est étranger à l'objet des lois de finances ; qu'il suit de là que cet article à été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 120-II MODIFIANT CERTAINES DISPOSITIONS DU CODE DES PENSIONS MILITAIRES D'INVALIDITE ET DES VICTIMES DE LA GUERRE :
61. Considérant que le premier alinéa de l'article L. 16 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre règle la situation du pensionné dans le cas d'infirmités multiples dont l'une entraîne l'invalidité absolue, en prévoyant l'octroi, en sus de la pension, d'un complément de pension pour tenir compte de l'infirmité ou des infirmités supplémentaires ; que le deuxième alinéa du même article règle le cas où, à l'infirmité la plus grave, s'ajoutent deux ou plus de deux infirmités supplémentaires et prévoit, en pareille hypothèse, qu'il est fait application de la majoration instituée par l'article L. 14 du code précité ; que le troisième alinéa, ajouté à l'article L. 16 par l'article 124-I de la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989, fixe des règles spécifiques de calcul de la majoration lorsque le point de départ de la pension est postérieur au 31 octobre 1989 ;
62. Considérant que le a) du paragraphe II de l'article 120 de la loi ajoute à l'article L. 16 un alinéa supplémentaire ainsi rédigé : "Les dispositions des deuxième et troisième alinéas ne sont pas applicables aux invalides qui déposent une première demande de pension après le 31 décembre 1990" ;
63. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 34 de la Constitution : "La loi fixe les règles concernant... les sujétions imposées par la Défense Nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens" ; qu'au nombre de ces règles figurent notamment celles qui ont pour objet d'assurer aux personnes victimes de dommages corporels dus à des faits de guerre et assimilés, ainsi qu'à leurs ayants-cause, une réparation, par l'État, des conséquences dommageables de telles sujétions ; qu'en particulier, il appartient au législateur, en vertu de la disposition précitée de l'article 34, de déterminer les catégories de prestations que comporte cette réparation et de fixer, pour chacune d'elles, les conditions à remplir par leurs bénéficiaires ;
64. Considérant qu'il est ainsi loisible au législateur de fixer une date limite de présentation des demandes par lesquelles est sollicité le bénéfice de la législation assurant la réparation des dommages corporels dus à des faits de guerre et assimilés ; que, cependant, en raison de la finalité poursuivie par la loi, la consistance des droits de personnes frappées des mêmes infirmités ne saurait, sans qu'il soit porté atteinte au principe constitutionnel d'égalité, dépendre de la date à laquelle celles-ci formulent leur demande, dès l'instant qu'aucune forclusion ne leur est opposable en vertu de la loi ;
65. Considérant qu'il suit de là que les dispositions du a) du paragraphe II de l'article 120 de la loi doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
66. Considérant que, pour les mêmes motifs, ne sont pas conformes à la Constitution les dispositions du c) de l'article 120-II qui limitent le montant des sommes allouées aux veuves au titre des dispositions des articles L. 50 et L. 51 du code précité, lorsque leur droit à pension de veuve "naît postérieurement au 31 décembre 1990 en considération du taux de la pension du mari" ;
67. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
Dans le texte de la loi de finances pour 1991, sont déclarés contraires à la Constitution :
à l'article 43, les mots : " et les mêmes sanctions " ;
l'article 101 ;
l'article 120, le a et le c du paragraphe II.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.