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27/05/2022 | CANADA | N°2022CSC23

Canada | Canada, Cour suprême, 27 mai 2022, R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23

 

 
Appel entendu : 24 mars 2022
Jugement rendu : 27 mai 2022
Dossier : 39544


 
Entre :
 
Sa Majesté la Reine et procureur général du Québec
Appelants
 
et
 
Alexandre Bissonnette
Intimé
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Nouvelle-Écosse, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de l’Alberta, Association des avocats de la

défense de Montréal-Laval-Longueuil, Queen’s Prison Law Clinic, Toronto Police Association, Association canadienne des policiers, Karen Fraser, Jennifer Sweet, Nicol...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23

 

 
Appel entendu : 24 mars 2022
Jugement rendu : 27 mai 2022
Dossier : 39544

 
Entre :
 
Sa Majesté la Reine et procureur général du Québec
Appelants
 
et
 
Alexandre Bissonnette
Intimé
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Nouvelle-Écosse, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de l’Alberta, Association des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil, Queen’s Prison Law Clinic, Toronto Police Association, Association canadienne des policiers, Karen Fraser, Jennifer Sweet, Nicole Sweet, Kim Sweet, John Sweet, J. Robert Sweet, Charles Sweet, Patricia Corcoran, Ann Parker, Ted Baylis, Sharon Baylis, Cory Baylis, Michael Leone, Doug French, Donna French, Deborah Mahaffy, Observatoire des mesures visant la sécurité nationale, Independent Criminal Defence Advocacy Society, Canadian Prison Law Association, Conseil national des musulmans canadiens, Association canadienne des libertés civiles, British Columbia Civil Liberties Association et Association canadienne des chefs de police
Intervenants
 
 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 148)

Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Sa Majesté la Reine et
procureur général du Québec                                                                       Appelants
c.
Alexandre Bissonnette                                                                                         Intimé
et
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Nouvelle-Écosse,
procureur général de la Colombie-Britannique,
procureur général de l’Alberta,
Association des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil,
Queen’s Prison Law Clinic,
Toronto Police Association,
Association canadienne des policiers,
Karen Fraser,
Jennifer Sweet,
Nicole Sweet,
Kim Sweet,
John Sweet,
J. Robert Sweet,
Charles Sweet,
Patricia Corcoran,
Ann Parker,
Ted Baylis,
Sharon Baylis,
Cory Baylis,
Michael Leone,
Doug French,
Donna French,
Deborah Mahaffy,
Observatoire des mesures visant la sécurité nationale,
Independent Criminal Defence Advocacy Society,
Canadian Prison Law Association,
Conseil national des musulmans canadiens,
Association canadienne des libertés civiles,
British Columbia Civil Liberties Association et
Association canadienne des chefs de police                                             Intervenants
Répertorié : R. c. Bissonnette
2022 CSC 23
No du greffe : 39544.
2022 : 24 mars; 2022 : 27 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Traitements ou peines cruels et inusités — Peines cruelles et inusitées par nature — Réparation — Cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans en cas de meurtres multiples au premier degré autorisé par l’art. 745.51 du Code criminel — L’article 745.51 contrevient‑il à l’art. 12 de la Charte qui confère une protection contre les traitements ou peines cruels et inusités? — Dans l’affirmative, quelle est la réparation convenable? — Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1) — Charte canadienne des droits et libertés, art. 12 — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 745.51.
                    Le 29 janvier 2017, 46 personnes sont réunies à la Grande Mosquée de Québec pour la prière du soir. B y fait irruption et, armé d’une carabine semi‑automatique et d’un pistolet, il fait feu en direction des fidèles, provoquant ainsi la mort de 6 personnes, en plus d’en blesser grièvement 5 autres. B plaide coupable aux 12 chefs d’accusation portés contre lui, notamment 6 meurtres au premier degré. Lorsqu’un accusé est déclaré coupable de meurtre au premier degré, il est condamné à une peine minimale d’emprisonnement à perpétuité et il ne devient admissible à une libération conditionnelle qu’après un temps d’épreuve de 25 ans. B écope donc automatiquement de cette peine. Le ministère public demande également l’application de l’art. 745.51 du Code criminel. Cette disposition autorise le tribunal à ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement, plutôt que concurremment. Lorsqu’il s’agit de meurtres au premier degré, l’application de cette disposition permet au tribunal d’additionner des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans pour chaque meurtre.
                    B conteste la constitutionalité de l’art. 745.51. Le juge de première instance conclut que cette disposition viole le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne garantis à B par l’art. 12 et l’art. 7 de la Charte, respectivement, et qu’elle ne peut être sauvegardée par l’article premier. Pour remédier à l’inconstitutionnalité de la disposition, le juge de première instance recourt à la technique de l’interprétation large et interprète l’art. 745.51 comme ayant pour effet de conférer au tribunal le pouvoir discrétionnaire de choisir la durée de la période d’inadmissibilité additionnelle à infliger au contrevenant. Il condamne B à purger un temps d’épreuve total de 40 ans avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. La Cour d’appel accueille le pourvoi de B et déclare l’art. 745.51 invalide et inconstitutionnel parce que contraire aux art. 12 et 7 de la Charte. Elle précise que cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet immédiatement. Elle juge que le recours à la technique de l’interprétation large est inapproprié et annule donc la disposition frappée d’inconstitutionnalité. Elle ordonne en conséquence que B purge de façon concurrente un temps d’épreuve de 25 ans pour chacun des chefs avant de pouvoir demander la libération conditionnelle.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    L’article 745.51 du Code criminel est contraire à l’art. 12 de la Charte et n’est pas sauvegardé par l’article premier. Il doit être déclaré immédiatement inopérant en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et la déclaration doit invalider rétroactivement la disposition contestée à compter de l’adoption de celle‑ci. En cas de meurtres multiples au premier degré, l’art 745.51 permet l’infliction de peines d’emprisonnement qui, dans les faits, privent tous les contrevenants visés d’une possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle avant leur décès. De telles peines sont de nature dégradante, et donc contraires à la dignité humaine, puisqu’elles retirent aux contrevenants toute possibilité de réinsertion sociale, ce qui présuppose, de manière finale et irréversible, que ces derniers ne possèdent pas la capacité de s’amender et de réintégrer la société. B doit donc se voir infliger une période totale d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans, conformément au droit tel qu’il existait avant l’adoption de l’art. 745.51.
                    L’article 12 de la Charte confère une protection contre tous les traitements ou peines cruels et inusités. Fondamentalement, l’art. 12 de la Charte a pour objet de protéger la dignité humaine et d’assurer le respect de la valeur inhérente à chaque personne. La protection conférée par l’art. 12 comprend deux volets. L’article 12 protège contre l’infliction d’une peine excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine, d’une part, et contre l’infliction d’une peine intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, d’autre part. Le premier volet de la garantie prévue à l’art. 12 concerne les peines dont l’effet est exagérément disproportionné par rapport à ce qui aurait été approprié. Le deuxième volet de la protection conférée par l’art. 12 quant à lui vise une catégorie restreinte de peines cruelles et inusitées par nature, des peines qui sont toujours exagérément disproportionnées parce qu’intrinsèquement incompatibles avec la dignité humaine.
                    Une peine est cruelle et inusitée par nature si le tribunal est convaincu que, compte tenu de sa nature et de ses effets, cette peine ne pourrait jamais être infligée d’une manière conforme à la dignité humaine dans le contexte pénal canadien. Pour déterminer si une peine est intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, le tribunal doit évaluer si la peine est, par sa nature, dégradante ou déshumanisante. Les effets susceptibles d’être causés à l’ensemble des contrevenants condamnés à un tel châtiment peuvent également éclairer le tribunal et appuyer son analyse de la nature de la peine. Une peine cruelle et inusitée par nature doit toujours être exclue de l’arsenal des mesures punitives à la disposition de l’État. Il s’ensuit que la simple possibilité qu’une peine cruelle et inusitée par nature puisse être infligée suffit pour enfreindre l’art. 12 de la Charte.
                    Lorsque les deux volets de la protection de l’art. 12 sont en cause dans une même affaire, l’analyse de la nature de la peine doit précéder celle de la disproportion exagérée. En effet, si la peine susceptible d’être infligée est cruelle et inusitée par nature, et donc intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, il est inutile de s’interroger sur son caractère exagérément disproportionné dans un cas donné puisqu’elle est, par définition, toujours exagérément disproportionnée.
                    La période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle est une peine visée à l’art. 12. Une mesure imposée par l’État est considérée comme une peine visée à l’art. 12 lorsqu’elle est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée, et soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine, soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité. La durée de l’inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie du châtiment, dans la mesure où elle découle de la déclaration de culpabilité et a des conséquences importantes sur le droit du contrevenant à la liberté et à la sécurité de sa personne. De plus, elle répond aux objectifs de dénonciation et de dissuasion qui sous-tendent une peine. Ainsi, le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle autorisé par l’art. 745.51 constitue une peine, dont la constitutionnalité doit être évaluée au regard de l’art. 12 de la Charte.
                    L’article 745.51 autorise, dans les faits, l’infliction d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle. Cette peine est, par sa nature même, intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine. Elle est de nature dégradante en ce qu’elle présuppose, dès son infliction, que le contrevenant est irrécupérable et ne possède pas l’autonomie morale nécessaire pour se réhabiliter. Bien que le Parlement dispose d’une latitude pour établir des peines dont la sévérité exprime la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise, il ne peut prescrire une peine qui prive d’emblée tous les contrevenants qui y sont assujettis d’une possibilité réaliste de libération conditionnelle. Pour respecter la dignité humaine, le Parlement doit laisser la porte entre-ouverte à la réhabilitation, même dans les cas où cet objectif revêt une importance minime. Cet objectif est intimement lié à la dignité humaine en ce qu’il véhicule la conviction que chaque individu possède la capacité nécessaire pour se repentir et réintégrer la société. Il ne s’agit pas ici de faire primer l’objectif de la réhabilitation sur tous les autres, mais bien de lui préserver une certaine place dans un système pénal fondé sur le respect de la dignité inhérente à chaque individu, incluant les plus vils criminels. Dans le contexte de l’infraction de meurtre au premier degré, la réhabilitation est déjà subordonnée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, comme en témoigne la sévérité de la peine minimale obligatoire prévue pour cette infraction.
                    Les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas mieux servis par l’infliction de peines excessives. En effet, passé un certain seuil, ces objectifs perdent toute leur valeur fonctionnelle, particulièrement lorsque la peine infligée dépasse largement l’espérance de vie humaine. L’infliction de peines excessives qui ne remplissent aucune fonction a uniquement pour effet de déconsidérer l’administration de la justice et de miner la confiance du public dans la rationalité et l’équité du système de justice criminel. Un châtiment qui ne peut jamais se réaliser est contraire aux valeurs fondamentales de la société canadienne.
                    Les effets de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle appuient la conclusion selon laquelle elle est de nature dégradante et donc intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine. Les contrevenants qui n’ont aucune possibilité réaliste de libération conditionnelle sont privés de tout incitatif à se réformer, et les conséquences psychologiques découlant de cette peine sont, à certains égards, comparables à celles vécues par les détenus dans le couloir de la mort, puisque seul le décès mettra fin à leur incarcération. Pour les contrevenants condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle, le sentiment de mener une existence monotone, futile et isolée de leurs proches et du monde extérieur est très difficile à supporter, à un point tel que certains préfèrent mettre fin à leurs jours plutôt que de mourir à petit feu et endurer des souffrances qui leur paraissent interminables. En outre, en droit international et en droit comparé, une peine qui prive les contrevenants de toute possibilité de remise en liberté est généralement considérée comme étant contraire à la dignité humaine.
                    La prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté la Reine, qui lui confère le pouvoir discrétionnaire absolu d’accorder une remise de peine à tout individu condamné par un tribunal, ne peut sauvegarder la disposition contestée. La prérogative royale de clémence ne peut être considérée comme un véritable mécanisme de révision de la peine, puisqu’elle n’est exercée que dans des circonstances exceptionnelles. Elle constitue, au mieux, un mécanisme de libération fondé sur la compassion et sur l’existence de motifs humanitaires de sorte que les individus qui subissent les conséquences normales d’une peine régulièrement infligée ne sont pas susceptibles d’obtenir un tel pardon. L’existence de la prérogative royale de clémence ne crée donc aucune possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle pour les contrevenants assujettis à une peine d’emprisonnement à perpétuité qui n’est assortie d’aucun autre mécanisme de révision.
                    L’atteinte à l’art. 12 de la Charte n’est pas justifiée au regard de l’article premier. Pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte, l’État a le fardeau de démontrer que le texte de loi contesté répond à un objectif réel et urgent et que le moyen choisi pour réaliser cet objectif est proportionné à celui‑ci. En l’espèce, aucun argument sur la justification de la disposition attaquée n’a été présenté, de sorte que l’État ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait.
                    La réparation convenable en l’espèce est une déclaration portant que l’art. 745.51 est immédiatement inopérant en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel permet de déclarer inopérante toute disposition incompatible avec la Constitution. Le recours à la technique de l’interprétation large est inapproprié dans les circonstances. Cette technique permet au tribunal d’élargir la portée d’un texte de loi pour que celui‑ci inclue ce qui en a été exclu à tort. Lorsqu’il applique cette technique d’interprétation, le tribunal part du principe que, si le législateur avait su que la disposition était entachée d’un vice sur le plan constitutionnel, il l’aurait probablement édictée sous la forme modifiée que lui donne le tribunal. Or, en l’espèce le cumul de périodes d’inadmissibilité de 25 ans est directement lié à l’objectif poursuivi par le législateur par l’édiction de l’art. 745.51, comme le démontrent le texte de loi de même que les débats parlementaires. Le texte de l’art. 745.51 est clair en ce qui concerne la durée des périodes d’inadmissibilité susceptibles d’être cumulées par le tribunal : pour un meurtre au premier degré, ces périodes sont forcément de 25 ans en vertu de l’al. 745a) du Code criminel. De surcroît, les débats parlementaires illustrent clairement que l’intention du législateur était de permettre au tribunal de procéder au cumul de périodes d’inadmissibilité par bonds de 25 ans. Le législateur a d’ailleurs expressément rejeté une proposition d’amendement qui aurait conféré au tribunal un pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la durée totale de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. En conséquence, il est impossible de conclure que le législateur aurait probablement adopté la disposition attaquée avec les modifications qui découleraient de l’application de la technique de l’interprétation large comme l’a fait le juge de première instance.
                    La déclaration d’invalidité doit avoir un effet immédiat en raison de la gravité de la violation du droit de toute personne à la protection contre l’infliction d’une peine cruelle et inusitée. La déclaration doit également invalider rétroactivement la disposition contestée à compter de la date de l’adoption de celle‑ci considérant le caractère continu de la violation du droit prévu à l’art. 12 de la Charte. Le droit applicable est donc celui qui existait antérieurement à cette date. Les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans auxquelles est assujetti B pour chacun des 6 chefs de meurtre au premier degré doivent en conséquence être purgées concurremment. Ainsi, conformément à l’al. 745a), B ne pourra présenter de demande de libération conditionnelle avant d’avoir purgé un temps d’épreuve total de 25 ans. La Commission des libérations conditionnelles du Canada demeure l’arbitre qui décidera ultimement si B pourra obtenir une libération conditionnelle à la fin de la période d’inadmissibilité.
Jurisprudence
                    Arrêts appliqués : R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679; arrêt examiné : R. c. Luxton, 1990 CanLII 83 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 711; arrêts mentionnés : Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392; R. c. Shropshire, 1995 CanLII 47 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 227; R. c. Zinck, 2003 CSC 6, [2003] 1 R.C.S. 41; R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. B.W.P., 2006 CSC 27, [2006] 1 R.C.S. 941; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486; Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711; R. c. Paré, 2011 QCCA 2047; R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906; R. c. Simmonds, 2018 BCCA 205, 362 C.C.C. (3d) 215; Québec (Procureure générale) c. 9147‑0732 Québec inc., 2020 CSC 32; Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307; Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 211; R. c. Smith, 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; Edwards c. Attorney‑General for Canada, 1929 CanLII 438 (UK JCPC), [1930] A.C. 124; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), 1991 CanLII 78 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 779; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Steele c. Établissement Mountain, 1990 CanLII 50 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1385; R. c. Guiller (1985), 48 C.R. (3d) 226; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Bourque, 2014 NBBR 237, 427 R.N.‑B. (2e) 259; R. c. Saretzky, 2017 ABQB 496; R. c. Ostamas, 2016 MBQB 136, 329 Man. R. (2d) 203; R. c. Wilmott, 1966 CanLII 222 (ON CA), [1967] 1 C.C.C. 171; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; Vinter c. Royaume‑Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, 9 juillet 2013 (HUDOC); Murray c. Pays‑Bas [GC], no 10511/10, 26 avril 2016 (HUDOC); Hutchinson c. Royaume‑Uni [GC], no 57592/08, 17 janvier 2017 (HUDOC); Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, 12 février 2008 (HUDOC); Bodein c. France, no 40014/10, 13 novembre 2014 (HUDOC); Life Imprisonment Case (1977), 45 BVerfGE 187 (Allemagne); Harmelin c. Michigan, 501 U.S. 957 (1991); Graham c. Florida, 560 U.S. 48 (2010); Miller c. Alabama, 567 U.S. 460 (2012); R. c. McLoughlin, [2014] EWCA Crim 188, [2014] 1 W.L.R. 3964; R. c. Millard, 2018 ONSC 1299; R. c. Granados‑Arana, 2017 ONSC 6785, 356 C.C.C. (3d) 340; R. c. Husbands, [2015] O.J. No. 2673 (QL), 2015 CarswellOnt 7677 (WL), inf. par 2017 ONCA 607, 353 C.C.C. (3d) 317; Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621; R. c. Heywood, 1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761; R. c. Sarson, 1996 CanLII 200 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 223; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927; R. c. Albashir, 2021 CSC 48; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38; Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; R. c. Thomas, 1990 CanLII 141 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 713; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; R. c. Wigman, 1985 CanLII 1 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 246; R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595.
Lois et règlements cités
Acte des pénitenciers de 1868, S.C. 1868, c. 75, art. 62.
Acte relatif à la libération conditionnelle des détenus aux pénitenciers, S.C. 1899, c. 49.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 12, 24(1).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 231(2), 235, 718, 718.2c), 718.3(4), 745, 745.51, 748, 749.
Code de procédure pénale (France), art. 720‑4 al. 2,  729 al. 4.
Constitution de la République portugaise, art. 30(1).
Crime (Sentences) Act 1997 (R.‑U.), 1997, c. 43, art. 30.
Code pénal suisse, art. 86 al. 5.
Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947). Dans Gazette du Canada, partie I, vol. 81, p. 3109, art. XII [reproduites dans L.R.C. 1985, app. II, no 31].
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Loi de 1976 modifiant le droit pénal, no 2, S.C. 1974‑1975‑1976, c. 105, art. 21.
Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976‑1977, c. 53.
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Loi modifiant le Code criminel (Meurtre qualifié), S.C. 1960‑1961, c. 44, art. 1, 2.
Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l’inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence, L.C. 1996, c. 34.
Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples, L.C. 2011, c. 5, art. 5.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.C. 1958, c. 38.
Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1.
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20, art. 100, 100.1, 101a), 102, 103, 107, 120(1), 122, 123(1), (5), (5.01), 133(3), (3.1), 135, 140(4), (5.1), (5.2), (10) à (12).
Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000 c. 24, art. 4(2), 15(1).
Rikoslaki (Finlande), c. 2(c), art. 10.
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Straffeloven (Norvège), art. 43.
Sentencing Act 2002 (N.‑Z.), art. 103, 104.
Strafgesetzbuch (Allemagne), art. 57a.
Traités et autres instruments internationaux
Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7, préambule.
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Statut de Rome de la Cour pénale internationale, R.T. Can. 2002 no 13, art. 5(1), 77, 110(3).
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Doyon, Gagnon et Bélanger), 2020 QCCA 1585, 405 C.C.C. (3d) 524, 68 C.R. (7th) 1, [2020] AZ‑51725265, [2020] J.Q. no 11243 (QL), 2020 CarswellQue 12129 (WL), qui a infirmé en partie une décision du juge Huot, 2019 QCCS 354, [2019] AZ‑51568159, [2019] J.Q. no 758 (QL), 2019 CarswellQue 750 (WL). Pourvoi rejeté.
                    François Godin et Olivier T. Raymond, pour l’appelante Sa Majesté la Reine.
                    Jean‑François Paré, Sylvain Leboeuf, Julie Dassylva et Stéphanie Quirion‑Cantin, pour l’appelant le procureur général du Québec.
                    Charles‑Olivier Gosselin et Nicolas Déry, pour l’intimé.
                    Ian Demers, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Milan Rupic et Katie Doherty, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Argumentation écrite seulement par Glenn Hubbard, pour l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.
                    Micah B. Rankin, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
                    Argumentation écrite seulement par Christine Rideout, Q.C., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
                    Juliette Vani, pour l’intervenante l’Association des avocats de la défense de Montréal‑Laval‑Longueuil.
                    Erin Dann et Paul Socka, pour l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic.
                    Timothy S. B. Danson et Marjan Delavar, pour les intervenants Toronto Police Association, l’Association canadienne des policiers, Karen Fraser, Jennifer Sweet, Nicole Sweet, Kim Sweet, John Sweet, J. Robert Sweet, Charles Sweet, Patricia Corcoran, Ann Parker, Ted Baylis, Sharon Baylis, Cory Baylis, Michael Leone, Doug French, Donna French et Deborah Mahaffy.
                    Stéphane Beaulac, pour l’intervenant l’Observatoire des mesures visant la sécurité nationale.
                    Eric Purtzki et Alix Tolliday, pour l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society.
                    Simon Borys, pour l’intervenante Canadian Prison Law Association.
                    Sameha Omer et Daniel Kuhlen, pour l’intervenant le Conseil national des musulmans canadiens.
                    Stephanie DiGiuseppe et Harshi Mann, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                    Danielle Robitaille et Carly Peddle, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
                    Mathieu St‑Germain et Jason Fraser, pour l’intervenante l’Association canadienne des chefs de police.
 
 
 
                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Introduction

1

II.   Contexte et historique judiciaire

10

A.   Contexte factuel

10

B.   Cour supérieure du Québec, 2019 QCCS 354 (le juge Huot)

13

C.   Cour d’appel du Québec, 2020 QCCA 1585, 68 C.R. (7th) 1 (les juges Doyon, Gagnon et Bélanger)

20

III.   Questions en litige

25

IV.  Analyse

27

A.   L’historique de l’art. 745.51 C. cr.

27

B.   Le système de libération conditionnelle au Canada

37

C.   Les objectifs de la peine en droit canadien

45

D.   La protection contre les peines cruelles et inusitées garantie par l’art. 12 de la Charte

54

(1)      La période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle est une peine

56

(2)      Les deux volets de la protection contre les peines cruelles et inusitées

59

E.     L’article 745.51 C. cr. contrevient-il à l’art. 12 de la Charte?

71

(1)      La portée de l’art. 745.51 C. cr.

74

(2)      L’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle constitue une peine cruelle et inusitée par nature

81

a)      L’examen de la nature de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle

82

b)      Les effets de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle

96

c)      La dignité et l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle : perspectives en droit international et en droit comparé

98

d)      Le pouvoir discrétionnaire du tribunal de cumuler les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle a-t-il une incidence sur la constitutionnalité de la disposition contestée?

109

e)        La prérogative royale de clémence peut-elle sauvegarder la disposition contestée?

112

F.   L’atteinte à l’art. 12 de la Charte est-elle justifiée en vertu de l’article premier de la Charte?

120

G.   La réparation convenable

122

V.   Conclusion

139

 
Le jugement de la Cour a été rendu par
 
                  Le juge en chef —
I.               Introduction
[1]                             Les crimes commis à la Grande Mosquée de Québec par l’intimé le jour funeste du 29 janvier 2017 sont d’une horreur indicible et ont laissé de profondes et douloureuses cicatrices dans le cœur de la communauté musulmane et de la société canadienne dans son ensemble. Nous ne pouvons qu’éprouver de la sympathie envers les victimes et leurs proches pour leurs pertes irréparables et leurs souffrances indescriptibles.
[2]                             C’est dans le contexte de ces crimes que notre Cour est appelée à se prononcer sur les limites constitutionnelles du pouvoir de l’État d’infliger des châtiments aux contrevenants. Le pourvoi requiert que l’on soupèse des valeurs fondamentales de notre société qui sont inscrites dans la Charte canadienne des droits et libertés et que l’on réaffirme notre engagement envers la protection des droits que celle-ci garantit à toute personne, y compris aux criminels les plus vils.
[3]                             Plus particulièrement, notre Cour est saisie de la question de savoir si l’art. 745.51 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 (« C. cr. »), introduit en 2011 par la Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples, L.C. 2011, c. 5, art. 5, contrevient aux art. 7 et 12 de la Charte. La disposition contestée autorise le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples. Lorsqu’il s’agit de meurtres au premier degré, l’application de cette disposition permet au tribunal d’infliger une peine d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle pour une période de 50, 75, 100, voire 150 ans. En réalité, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal résulte inévitablement en un emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle pour tout contrevenant visé qui a été reconnu coupable de meurtres multiples au premier degré. Il s’agit d’une peine pour des infractions criminelles dont la sévérité est sans précédent dans l’histoire du pays depuis l’abolition de la peine de mort et des châtiments corporels dans les années 1970.
[4]                             Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’art. 745.51 C. cr. est contraire à l’art. 12 de la Charte et n’est pas sauvegardé par l’article premier. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner l’allégation de violation de l’art. 7 de la Charte.
[5]                             L’article 12 de la Charte confère une protection contre les peines et traitements cruels et inusités. Fondamentalement, cette disposition a pour objet de protéger la dignité humaine et d’assurer le respect de la valeur inhérente à chaque personne. Notre Cour a récemment affirmé, dans un contexte différent, que la dignité humaine transcende les intérêts individuels et concerne la société en général (Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, par. 33). En ce sens, la portée du présent pourvoi dépasse largement les faits qui lui sont propres.
[6]                             L’article 12 de la Charte interdit à l’État d’infliger des peines qui sont exagérément disproportionnées par rapport à la situation d’un contrevenant en particulier et de recourir à des peines qui s’avèrent, par leur nature même, intrinsèquement incompatibles avec la dignité humaine.
[7]                             La disposition contestée dans la présente affaire permet l’infliction d’une peine qui entre dans cette dernière catégorie de peines cruelles et inusitées par nature. Tous les contrevenants assujettis à un cumul de périodes d’inadmissibilité de 25 ans chacune en vertu de l’art. 745.51 C. cr. sont destinés à être incarcérés pour le restant de leurs jours, sans possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle. Poussée à l’extrême, la disposition contestée autorise le tribunal à ordonner à un contrevenant de purger un temps d’épreuve qui dépasse l’espérance de vie de toute personne humaine, une peine dont l’absurdité est de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
[8]                             La peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle est intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine. Une telle peine est dégradante dans la mesure où elle anéantit, de manière anticipée et irréversible, l’objectif pénologique de réinsertion sociale. Cet objectif est intimement lié à la dignité humaine en ce qu’il véhicule la conviction que chaque individu possède la capacité nécessaire pour se repentir et réintégrer la société. Cette conclusion selon laquelle la peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle est contraire à la dignité humaine est non seulement renforcée par les effets que sont susceptibles d’engendrer une telle peine sur l’ensemble des contrevenants qui y sont assujettis, mais elle trouve également appui en droit international et en droit comparé.
[9]                             Pour assurer le respect de la dignité inhérente à chaque individu, l’art. 12 de la Charte commande que le Parlement laisse entre-ouverte la porte donnant accès à la réhabilitation, et ce, même dans les situations où cet objectif revêt une importance secondaire. Sur le plan pratique, cela signifie que tout détenu doit bénéficier d’une possibilité réaliste de demander la libération conditionnelle à tout le moins avant l’expiration d’un temps d’épreuve de 50 ans, lequel correspond à la période d’inadmissibilité minimale résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal en vertu de la disposition contestée en cas de meurtres au premier degré.
II.            Contexte et historique judiciaire
A.           Contexte factuel
[10]                        Comme les présents motifs concernent la constitutionnalité de l’art. 745.51 C. cr. et que leurs enseignements s’appliqueront à de nombreuses affaires de meurtres multiples, je considère qu’il ne serait pas approprié de rappeler longuement les circonstances odieuses de l’espèce qu’a bien résumées le premier juge et qui ont été amplement médiatisées. Toutefois, par respect pour les victimes de cette tragédie, il importe de souligner que la haine, le racisme, l’ignorance et l’islamophobie sont au cœur des gestes révoltants commis par l’intimé ce funeste jour du 29 janvier 2017, lorsqu’il a semé la terreur et la mort dans la Grande Mosquée de Québec.
[11]                        Quarante-six personnes, dont quatre enfants, s’étaient réunies dans ce lieu de culte pour la prière du soir. L’intimé y a fait irruption et, armé d’une carabine semi-automatique et d’un pistolet, il a fait feu en direction des fidèles. En moins de deux minutes, l’assaillant a provoqué la mort de six personnes innocentes, Khaled Belkacemi, Ibrahima et Mamadou Tanou Barry, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane et Aboubaker Thabti, en plus d’en blesser grièvement cinq autres et de causer des séquelles psychologiques profondes et permanentes chez les survivants de la tuerie, ainsi que chez les proches des victimes.
[12]                          Le 26 mars 2018, l’intimé a plaidé coupable aux 12 chefs d’accusation portés contre lui, notamment 6 meurtres au premier degré, des actes criminels prévus au par. 231(2) et à l’art. 235 C. cr. En conséquence, il a écopé automatiquement d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. Le ministère public a alors demandé au tribunal d’appliquer l’art. 745.51 C. cr. et de condamner l’intimé à 6 périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans, pour un total de 150 ans. Il incombait donc au juge du procès de déterminer la durée de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle à infliger à l’intimé, et de se prononcer sur la constitutionnalité de l’art. 745.51 C. cr.
B.            Cour supérieure du Québec, 2019 QCCS 354 (le juge Huot)
[13]                          Dans une décision particulièrement étoffée, le premier juge conclut que l’art. 745.51 C. cr. viole les art. 12 et 7 de la Charte et qu’il ne peut être sauvegardé par l’article premier. Pour remédier à l’inconstitutionnalité de la disposition, le juge recourt à l’interprétation large et ordonne à l’intimé de purger un temps d’épreuve de 40 ans avant de demander la libération conditionnelle.
[14]                          Avant de se pencher sur la constitutionnalité de la disposition en litige, le premier juge se demande d’abord « s’il existe, en l’espèce, un fondement factuel justifiant » une telle analyse constitutionnelle et conclut par l’affirmative (par. 472 (CanLII)). De l’avis du juge, une certaine période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle doit être purgée de façon consécutive, compte tenu du caractère de l’intimé, de la nature des infractions, des circonstances entourant leur perpétration et des principes de détermination de la peine. En l’occurrence, une période supérieure à 25 ans, mais inférieure à 50 ans, serait indiquée. Le juge constate toutefois que l’art. 745.51 C.cr. limite l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à l’infliction de périodes consécutives de 25 ans chacune. Dans les circonstances, le juge considère qu’il lui incombe d’analyser la constitutionnalité de la disposition au regard des art. 7 et 12 de la Charte.
[15]                          Pour déterminer si l’art. 745.51 C. cr. crée une peine cruelle et inusitée au sens de l’art. 12, le premier juge applique le cadre d’analyse élaboré dans l’arrêt R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, bien qu’il constate que la disposition contestée n’impose pas de peine minimale (par. 810). Au terme de la première étape de cette analyse, le juge conclut qu’une période totale d’inadmissibilité à la libération conditionnelle variant entre 35 et 42 ans serait juste et appropriée en l’espèce, abstraction faite de la disposition contestée (par. 843). Concernant la deuxième étape de l’analyse, qui consiste à examiner l’effet de la peine prescrite sur le contrevenant, le juge statue que l’infliction de 2 périodes d’inadmissibilité consécutives de 25 ans chacune viole les droits garantis à l’intimé par l’art. 12. Le juge estime que « [d]e telles peines sont exagérément disproportionnées et totalement incompatibles avec la dignité humaine » (par. 980). À son avis, toute peine qui nie au contrevenant une possibilité raisonnable de mise en liberté sous condition dans les dernières années de sa vie serait considérée odieuse et intolérable par la société canadienne. En conséquence, l’art. 745.51 C. cr. a pour effet d’infliger à l’intimé une peine exagérément disproportionnée et, de ce fait, constitue une peine cruelle et inusitée.
[16]                          Le premier juge procède ensuite à l’analyse fondée sur l’art. 7 de la Charte et conclut que la disposition contestée a une portée excessive et produit des effets exagérément disproportionnés par rapport à son objet, de sorte qu’elle porte atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de l’intimé d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale. Dans son analyse, le juge rejette la protection de l’espoir comme principe de justice fondamentale, mais il inclut à ce chapitre la protection de la dignité humaine, un principe avec lequel l’art. 745.51 C. cr. est en porte-à-faux.
[17]                          En ce qui concerne l’article premier de la Charte, le juge considère que le ministère public n’a pas réussi à démontrer que les restrictions apportées aux droits prévus aux art. 7 et 12 sont raisonnables et justifiées dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[18]                          En définitive, le juge rappelle que l’invalidité de la disposition de la loi est généralement la réparation convenable en cas de déclaration d’inconstitutionnalité. Cependant, il estime que la disposition contestée est substantiellement constitutionnelle et marginalement problématique, et qu’elle peut en conséquence être corrigée en recourant à la technique de l’interprétation large. Selon le juge, les conditions essentielles pour recourir à l’interprétation large sont réunies en l’espèce, puisque la violation découle d’une omission dans le texte de la disposition. Le premier juge interprète donc l’art. 745.51 C. cr. comme ayant pour effet de conférer au tribunal le pouvoir discrétionnaire de choisir la durée de la période d’inadmissibilité additionnelle à infliger au contrevenant, période qui pourrait être inférieure à 25 ans.
[19]                          Le premier juge inflige donc à l’intimé la peine minimale obligatoire d’emprisonnement à perpétuité à l’égard des 6 chefs d’accusation de meurtre au premier degré et, conformément à l’interprétation large qu’il donne à l’art. 745.51 C. cr., il assortit chacune des déclarations de culpabilité relatives aux 5 premiers chefs d’une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans, périodes qui devront être purgées concurremment par l’intimé. Pour ce qui est du sixième chef, le juge condamne l’intimé à purger une période minimale de 15 ans avant de pouvoir demander une libération conditionnelle, de manière consécutive aux autres périodes ordonnées, et ce, pour un temps d’épreuve total de 40 ans.
C.            Cour d’appel du Québec, 2020 QCCA 1585, 68 C.R. (7th) 1 (les juges Doyon, Gagnon et Bélanger)
[20]                          Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel accueille le pourvoi de l’intimé, déclare l’art. 745.51 C. cr. invalide parce que contraire aux art. 12 et 7 de la Charte et conclut que le premier juge a fait erreur en s’arrogeant le pouvoir discrétionnaire de reformuler le texte de l’art. 745.51 C. cr. et en ordonnant, par le fait même, que l’intimé purge un temps d’épreuve non prévu par la loi.
[21]                        Dans son analyse fondée sur l’art. 12 de la Charte, la Cour d’appel se penche d’abord sur la constitutionnalité de la disposition en observant différents scénarios susceptibles de se produire par suite de l’application de l’art. 745.51 C. cr. La cour conclut que l’infliction d’une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dépassant largement l’espérance de vie de toute personne humaine est dégradante par son absurdité et, partant, contraire à la dignité humaine. La cour parvient au même résultat en ce qui concerne le cumul de périodes d’inadmissibilité totalisant 75 ans, une ordonnance qui est peu probable de se réaliser, considérant que, pour un contrevenant âgé de 18 ans au début de sa peine, l’âge minimal auquel ce dernier pourrait demander une libération conditionnelle serait 93 ans. De même, l’infliction d’une peine d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle avant 50 ans ne permet pas de respecter le critère fondamental de la proportionnalité des peines. Bien que la Cour d’appel écarte l’argument voulant que la perte d’espoir entraîne l’inconstitutionnalité de la disposition, elle exprime l’opinion que l’individu réhabilité après 25 ans d’emprisonnement doit pouvoir demander sa libération conditionnelle, sans quoi la peine possèderait tous les attributs d’une peine totalement disproportionnée. Selon la Cour d’appel, le fait que le cumul des périodes d’inadmissibilité constitue une peine discrétionnaire ne peut sauvegarder l’art. 745.51 C. cr., car dans presque tous les cas de figure la peine autorisée par cette disposition sera soit exagérément disproportionnée, soit par nature inacceptable.
[22]                        En ce qui concerne l’art. 7 de la Charte, la Cour d’appel est d’avis que la disposition attaquée a une portée excessive et produit des effets disproportionnés, comme le démontre l’analyse fondée sur l’art. 12. La cour refuse toutefois de se prononcer sur la question de savoir si la protection de la dignité humaine constitue un principe de justice fondamentale.
[23]                        La possibilité de cumuler des périodes de 25 ans ne constitue pas une atteinte minimale aux droits protégés par la Charte et n’est pas justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de son article premier. Vu l’inconstitutionnalité de la disposition, la Cour d’appel se prononce sur la réparation convenable et conclut que le recours à la technique de l’interprétation large est inapproprié en l’espèce. Les périodes fixes de 25 ans, moyen retenu par le législateur, sont si inextricablement liées aux objectifs législatifs qu’elles ne peuvent être mises de côté sans empiéter indûment sur le domaine législatif. Selon la Cour d’appel, le premier juge a usurpé le rôle du législateur en interprétant la disposition comme ayant pour effet d’octroyer aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de fixer la période appropriée d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.
[24]                        En conséquence, la Cour d’appel déclare l’art. 745.51 C. cr. inconstitutionnel, précisant que cette déclaration prend effet immédiatement, et elle ordonne que l’intimé purge de façon concurrente une période de temps d’épreuve de 25 ans pour chacun des chefs.
III.         Questions en litige
[25]                        Les questions en litige soulevées par le présent pourvoi sont les suivantes :
1.            L’article 745.51 C. cr. contrevient-il à l’art. 12 de la Charte?
2.            L’article 745.51 C. cr. contrevient-il à l’art. 7 de la Charte?
3.            S’il y a violation de l’art. 12 ou de l’art. 7, la disposition contestée peut‑elle être sauvegardée par application de l’article premier de la Charte?
4.            Dans l’éventualité où la disposition attaquée ne peut être sauvegardée par l’article premier de la Charte, quelle est la réparation convenable?
[26]                        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’art. 745.51 C. cr. contrevient à l’art. 12 de la Charte et ne peut être sauvegardé par l’article premier. Vu cette conclusion, il est inutile d’examiner l’allégation de violation de l’art. 7 de la Charte. La disposition doit être déclarée rétroactivement inopérante au moment de son adoption.  
IV.         Analyse
A.           L’historique de l’art. 745.51 C. cr.
[27]                        Il convient de débuter l’analyse en retraçant la manière dont le traitement réservé aux personnes condamnées pour meurtre au Canada a évolué au fil du temps, car cette évolution éclaire notre compréhension de la disposition contestée.
[28]                        Jusqu’en 1961, il n’existait en droit aucune catégorisation de types de meurtres au pays. Tout individu reconnu coupable de meurtre était condamné à la peine de mort et la sentence était exécutée, à moins que le gouverneur général, sur recommandation du conseil des ministres, ne la commue en emprisonnement à perpétuité. De fait, la prérogative royale de clémence était utilisée fréquemment et avec souplesse à cette époque (Bibliothèque du Parlement, Projet de loi S-6 : Loi modifiant le Code criminel et une autre loi, Résumé législatif 40-3-S6-F, 30 avril 2010, p. 5; Service correctionnel du Canada, Examen et estimation de la durée de la détention chez les délinquants condamnés pour meurtre, novembre 2002 (en ligne)).
[29]                        En 1961, le Parlement a établi une distinction entre les meurtres qualifiés et les meurtres non qualifiés. Les premiers, qui incluent les meurtres prémédités et commis de propos délibéré, étaient passibles de la peine de mort par pendaison lorsque l’infraction était perpétrée par une personne âgée de 18 ans ou plus. Les seconds, qui s’apparentaient aux meurtres au deuxième degré, étaient punissables de l’emprisonnement à perpétuité (Loi modifiant le Code criminel (Meurtre qualifié), S.C. 1960-1961, c. 44, art. 1 et 2; Bibliothèque du Parlement, p. 6).
[30]                        De 1961 à 1976, les contrevenants dont la peine avait été commuée et ceux dont le crime relevait de la seconde catégorie — les meurtres non qualifiés — pouvaient demander une libération conditionnelle après une période minimale d’incarcération (Service correctionnel du Canada).
[31]                        En juillet 1976, le Parlement a aboli la peine de mort à l’égard des infractions prévues au Code criminel (Loi de 1976 modifiant le droit pénal, no 2, S.C. 1974-1975-1976, c. 105)[1]. Aux termes d’un compromis politique, le législateur a remplacé la peine de mort par une peine minimale obligatoire d’emprisonnement à perpétuité pour les deux catégories de meurtres définies au Code criminel que nous connaissons aujourd’hui : les meurtres au premier degré et les meurtres au deuxième degré. En ce qui concerne les meurtres au deuxième degré, la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle variait entre 10 et 25 ans. Pour ce qui était des meurtres au premier degré, la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle était de 25 ans, sans égard au nombre de victimes. Aucune disposition ne prévoyait alors l’infliction de périodes d’inadmissibilité consécutives en cas de meurtres multiples.
[32]                        La période obligatoire d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans pour les meurtres au premier degré a vraisemblablement été instaurée pour satisfaire les partisans de la peine de mort (A. Manson, « The Easy Acceptance of Long Term Confinement in Canada » (1990), 79 C.R. (3d) 265, p. 266). En effet, elle est particulièrement sévère si on la compare aux périodes d’inadmissibilité prévues à l’époque dans les autres pays occidentaux à l’égard d’infractions similaires (Manson, p. 266-267). En outre, de 1961 à 1976, la durée de détention moyenne pour l’infraction de meurtre qualifié s’élevait à 15,8 ans, une durée bien inférieure à la période d’emprisonnement de 25 ans nouvellement édictée (Service correctionnel du Canada).
[33]                        Lors de l’abolition de la peine de mort, le Parlement a également établi un droit à la révision judiciaire de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, communément appelé la disposition de la « dernière chance » (Loi de 1976 modifiant le droit pénal, no 2, art. 21). Cette disposition permettait aux personnes qui avaient été condamnées à une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier ou au deuxième degré, sans possibilité de libération conditionnelle pendant plus de 15 ans, de demander la révision de leur période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, à la condition que ces personnes soient incarcérées depuis au moins 15 ans. Cette disposition de la dernière chance avait été ajoutée au Code criminel dans l’espoir de favoriser la réadaptation des contrevenants purgeant de longues peines d’emprisonnement et, par voie de conséquence, de créer un environnement carcéral plus sécuritaire. Au surplus, elle tempérait la sévérité accrue des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle (Ministère de la Justice du Canada, Une analyse de l’utilisation de la disposition de la dernière chance (2010), p. 5; Bibliothèque du Parlement, p. 3-4).
[34]                        En 1996, le Parlement a modifié la disposition de la dernière chance, notamment pour retirer aux personnes déclarées coupables de meurtres multiples la possibilité de demander une révision judiciaire (Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l’inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence, L.C. 1996, c. 34). Puis, en 2011, le Parlement a édicté une loi qui a, à toutes fins utiles, aboli la disposition de la dernière chance en la rendant inapplicable aux personnes commettant un meurtre à partir de la date d’entrée en vigueur de cette loi (Loi modifiant le Code criminel et une autre loi, L.C. 2011, c. 2).
[35]                        La disposition contestée a elle aussi été introduite dans le Code criminel en 2011 (Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples, art. 5). Le paragraphe pertinent de l’art. 745.51 C. cr. est rédigé ainsi :
745.51 (1) Au moment de prononcer la peine conformément à l’article 745, le juge qui préside le procès du délinquant qui est déclaré coupable de meurtre et qui a été déclaré coupable d’un ou plusieurs autres meurtres — ou en cas d’empêchement, tout juge du même tribunal — peut, compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration ainsi que de toute recommandation formulée en vertu de l’article 745.21, ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement.
[36]                          Étant donné que la disposition contestée concerne le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, une présentation du système de libération conditionnelle s’impose. Il convient cependant de préciser que le présent pourvoi ne porte pas sur le processus permettant au contrevenant de demander une telle libération à la fin de la période d’inadmissibilité.
B.            Le système de libération conditionnelle au Canada
[37]                          Le système de libération conditionnelle met en place un processus indépendant et distinct de celui de la détermination de la peine (Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392, par. 1). Avant sa mise en place, au cours du siècle dernier, il n’existait aucun mécanisme général de révision de la peine au Canada. Lors de la période précédant la Confédération, un contrevenant pouvait seulement voir sa peine d’emprisonnement réduite ou sa peine de mort commuée par l’exercice de la prérogative royale de clémence (D. P. Cole et A. Manson, Release from Imprisonment : The Law of Sentencing, Parole and Judicial Review (1990), p. 159).
[38]                          En 1868, l’Acte des pénitenciers de 1868, S.C. 1868, c. 75, art. 62, instaure un mécanisme de remise de peine qui permet aux détenus de réduire la durée de leur peine sur preuve de bonne conduite (Cole et Manson, p. 163). Ce n’est toutefois qu’en 1899 que le premier mécanisme administratif de libération conditionnelle voit le jour par suite de l’édiction de ce qu’on appelait le « Ticket of Leave Act » (Acte relatif à la libération conditionnelle des détenus aux pénitenciers, S.C. 1899, c. 49). Cette loi permettait aux détenus qui satisfaisaient aux critères d’admissibilité d’obtenir une libération sous réserve de conditions (Cole et Manson, p. 164-166).
[39]                        Durant les années 1950, le Parlement a mandaté un comité consultatif pour enquêter sur l’usage de la prérogative royale de clémence et sur le régime de la mise en liberté sous condition (Ministère de la Justice du Canada, Rapport d’un comité institué pour faire enquête sur les principes et les méthodes suivis au Service des pardons du ministère de la Justice du Canada (1956) (« Rapport Fauteux »)). En 1956, le comité a présenté ses recommandations, dont les plus importantes se sont concrétisées par l’adoption, en 1958, de la première loi moderne en matière de libération conditionnelle, la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.C. 1958, c. 38 (« Loi sur la libération conditionnelle »). Cette loi a créé un organisme indépendant investi du pouvoir d’examiner et de modifier les conditions de mise en liberté sous condition, organisme qui porte aujourd’hui le nom de Commission des libérations conditionnelles du Canada (« Commission »). En 1977, l’année qui a suivi l’abolition de la peine de mort, d’importantes modifications ont été apportées à la Loi sur la libération conditionnelle. Le rôle et les fonctions de la Commission ont alors été élargis (Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-1977, c. 53). En 1992, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (« Loi sur la mise en liberté sous condition ») est finalement adoptée, remplaçant notamment la Loi sur la libération conditionnelle. La Loi sur la mise en liberté sous condition définit l’objectif et les principes qui sous-tendent la mise en liberté sous condition, et met à l’avant-plan la protection de la société en en faisant son critère prépondérant.
[40]                          La Commission est un tribunal administratif indépendant, dont la fonction principale consiste à prendre des décisions en matière de mise en liberté sous condition (Loi sur la mise en liberté sous condition, art. 103 et 107). Elle a compétence exclusive pour accorder la semi-liberté et la libération conditionnelle totale aux personnes qui purgent une peine de deux ans ou plus au Canada (art. 122 et par. 123(1)). Un contrevenant qui purge une peine d’une durée déterminée est, de manière générale, admis à présenter une demande de libération conditionnelle totale après qu’il a purgé le tiers de sa peine à concurrence de sept ans (par. 120(1)). Cela dit, les contrevenants déclarés coupables de meurtre au premier ou au deuxième degré ne sont admissibles à une libération conditionnelle totale qu’après un temps d’épreuve de 25 ans ou de 10 à 25 ans respectivement (al. 745a) et c) C. cr.).
[41]                          À l’expiration du temps d’épreuve, la libération conditionnelle n’est pas garantie au contrevenant (R. c. Shropshire, 1995 CanLII 47 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 227, par. 34; M. E. Campbell et D. Cole, « Sentencing and Parole for Persons Convicted of Murder », dans D. Cole et J. Roberts, dir., Sentencing in Canada : Essays in Law, Policy, and Practice (2020), 183, p. 185-187). Ce dernier doit prouver à la Commission qu’il ne représente plus un danger pour la société et que, en conséquence, son maintien en détention n’est plus requis (Loi sur la mise en liberté sous condition, art. 102). La libération conditionnelle est un privilège d’origine législative et non un droit (Nur, par. 98).
[42]                          La Commission exerce un pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle prend une décision en matière de libération conditionnelle. L’exercice de ce pouvoir est guidé par l’objectif de la Commission, soit « contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois » (Loi sur la mise en liberté sous condition, art. 100; voir aussi Nur, par. 98). La Loi sur la mise en liberté sous condition insiste principalement sur la protection du public (voir R. c. Zinck, 2003 CSC 6, [2003] 1 R.C.S. 41, par. 19) et, depuis 2012, cette préoccupation est formellement reconnue comme étant le critère prépondérant dans la prise de décisions en matière de mise en liberté (Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1; Loi sur la mise en liberté sous condition, art. 100.1).
[43]                        En vertu de son large pouvoir discrétionnaire, la Commission peut assortir la mise en liberté de conditions (Loi sur la mise en liberté sous condition, par. 133(3)), notamment pour protéger les victimes ayant des préoccupations quant à leur sécurité (par. 133(3.1)). La Commission peut également suspendre ou révoquer la libération conditionnelle d’un contrevenant qui ne respecte pas les conditions auxquelles il est assujetti (art. 135). Lorsque la Commission refuse la libération conditionnelle, elle procède de manière générale au réexamen du dossier aux deux ans (par. 123(5)). Toutefois, cet examen a lieu aux cinq ans seulement dans le cas des contrevenants condamnés pour meurtre ou pour une autre infraction accompagnée de violence (par. 123(5.01)).
[44]                          Les victimes sont prises en compte dans le processus de libération conditionnelle. Pour déterminer si le contrevenant présente un « risque inacceptable pour la société » (Loi sur la mise en liberté sous condition, art. 102), la Commission considère notamment la nature et la gravité de l’infraction, ainsi que les renseignements obtenus des victimes (al. 101a)). Les victimes peuvent demander d’assister aux audiences sur la mise en liberté et déposer une déclaration à la Commission (par. 140(4), (5.1), (5.2) et (10) à (12)). Si ces audiences sont susceptibles d’éveiller des souvenirs douloureux chez les victimes et leurs proches, elles permettent toutefois de rappeler les souffrances causées par le contrevenant, et de condamner à nouveau les actes commis (D. Spencer, « How Multiple Murder Sentencing Provisions May Violate the Charter » (2019), 55 C.R. (7th) 165).
C.            Les objectifs de la peine en droit canadien
[45]                        Avant d’entreprendre l’analyse fondée sur l’art. 12, un survol des objectifs de la peine s’impose pour trancher le litige dont notre Cour est saisie. En droit canadien, le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes qui visent un ou plusieurs objectifs, dont la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion sociale, sur lesquels il convient de se pencher (art. 718 C. cr.).
[46]                        Tout d’abord, l’objectif pénologique de dénonciation exige que la peine exprime la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise. La peine représente le moyen par lequel la société communique ses valeurs morales (R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 81). Cet objectif doit être soupesé avec prudence, car il pourrait, à lui seul, justifier des peines dont la sévérité est sans limites (C. C. Ruby, Sentencing (10e éd. 2020), §1.22).
[47]                        L’objectif de dissuasion, pour sa part, se décline en deux formes. La première, la dissuasion spécifique, vise à décourager le contrevenant lui-même de récidiver. La deuxième, la dissuasion générale, a pour but de décourager les membres du public qui pourraient être tentés de se livrer à l’activité criminelle dont le contrevenant a été déclaré coupable (R. c. B.W.P., 2006 CSC 27, [2006] 1 R.C.S. 941, par. 2). Dans la poursuite de cet objectif, le contrevenant est puni plus sévèrement afin de communiquer un message à la population, en d’autres termes pour servir d’exemple. La dissuasion générale est un objectif qui doit être soupesé par le tribunal, mais dont l’efficacité a souvent été remise en question. En dépit de ces réserves légitimes, il demeure que la certitude d’être puni, de même que l’ensemble des sanctions pénales, produisent néanmoins un certain effet dissuasif, quoique difficilement mesurable, chez les contrevenants potentiels (Ruby, §1.31; Commission canadienne sur la détermination de la peine, Réformer la sentence : une approche canadienne (1987), p. 150-151).
[48]                        Enfin, l’objectif de réinsertion sociale vise à réformer le contrevenant en vue de sa réintégration dans la société, afin qu’il devienne un citoyen respectueux des lois. Cet objectif pénologique présuppose chez l’individu une capacité de prendre sa vie en main et de s’améliorer, avec pour conséquence ultime une meilleure protection de la société. Les auteurs M. Manning et P. Sankoff soulignent que la réhabilitation [traduction] « constitue probablement à long terme la solution la plus économique sur le plan financier et l’objectif pénologique le plus humain » (Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), ¶1.155). Dans ce même ordre d’idées, je réitère, comme je l’ai affirmé dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, que « [c]et objectif fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde » (par. 4).
[49]                        L’importance relative de chacun des objectifs de la peine varie selon la nature du crime et les particularités du contrevenant (R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309, p. 329). Il n’existe aucune formule mathématique permettant de déterminer ce qui constitue une peine juste et appropriée. C’est pourquoi notre Cour a décrit la détermination de la peine comme un « art délicat, où l’on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l’infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent » (M. (C.A.), par. 91).
[50]                        Cependant, la détermination de la peine doit en toutes circonstances être guidée par le principe cardinal de la proportionnalité. La peine doit être suffisamment sévère pour dénoncer l’infraction, sans excéder « ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction » (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 42; voir aussi R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37). La proportionnalité des peines est considérée comme un facteur essentiel au maintien de la confiance du public dans l’équité et la rationalité du système de justice pénal et criminel. L’application de ce principe permet d’assurer au public que le contrevenant mérite la punition qui lui a été infligée (Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.-B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533, la juge Wilson, motifs concordants).
[51]                        Ainsi, « on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi » (Nur, par. 45). De même, le juge Vauclair affirme avec justesse que « la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation » (Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 30 (CanLII), citant R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48 (CanLII), le juge Doyon). La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée.
[52]                        Le principe de la proportionnalité est si fondamental qu’il possède une dimension constitutionnelle consacrée à l’art. 12 de la Charte, lequel interdit l’infliction d’une peine exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine (Nasogaluak, par. 41; Ipeelee, par. 36). En tant que principe de détermination de la peine, le principe de proportionnalité ne bénéficie toutefois d’aucune protection constitutionnelle en tant que tel, n’étant pas reconnu comme un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7 de la Charte (R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 160; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 71).
[53]                        Les autres principes et objectifs de la détermination de la peine ne font pas non plus l’objet d’une protection constitutionnelle autonome. Il s’ensuit que « [l]e législateur peut les modifier et les abroger à son gré, sous réserve du seul respect de l’art. 12 de la Charte » (Safarzadeh‑Markhali, par. 71).
D.           La protection contre les peines cruelles et inusitées garantie par l’art. 12 de la Charte
[54]                        L’article 12 de la Charte, qui figure au chapitre des garanties juridiques, prévoit que « [c]hacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. » Bien que les présents motifs s’appliquent tant aux peines qu’aux traitements, par souci de concision, je ferai uniquement référence aux peines.
[55]                        Il convient donc, dans un premier temps, de déterminer si la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle est une peine, puis, dans un deuxième temps, de clarifier les deux volets de la protection conférée par cette garantie constitutionnelle.
(1)         La période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle est une peine
[56]                        L’article 12 de la Charte protège les individus contre les peines cruelles et inusitées. La condition préalable à l’application de cette disposition est donc que la mesure contestée constitue une peine. C’est le cas en l’espèce.
[57]                        Une mesure imposée par l’État est considérée comme une peine visée à l’art. 12 lorsqu’elle « (1) [. . .] est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et (2) soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine, (3) soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité » (R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 39, citant R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 41).
[58]                        La durée de l’inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie du châtiment (Shropshire, par. 23; voir aussi Zinck, par. 31). Elle découle de la déclaration de culpabilité et a des conséquences importantes sur le droit du contrevenant à la liberté et à la sécurité de sa personne. Au surplus, la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle répond aux objectifs de dénonciation et de dissuasion qui sous-tendent une peine (Shropshire, par. 21-23; M. (C.A.), par. 64; R. c. Simmonds, 2018 BCCA 205, 362 C.C.C. (3d) 215, par. 10). Il s’ensuit que le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle autorisé par l’art. 745.51 C. cr. constitue une peine, dont la constitutionnalité doit être évaluée au regard de l’art. 12 de la Charte.
(2)         Les deux volets de la protection contre les peines cruelles et inusitées
[59]                        Pour bien saisir les deux volets de la protection offerte par l’art. 12 de la Charte, il est nécessaire de recentrer l’analyse sur l’objet de cette disposition. Notre Cour a récemment dit de l’art. 12 qu’il a pour objet « d’interdire à l’État d’infliger des douleurs et des souffrances physiques ou psychologiques par des traitements ou peines dégradants et déshumanisants. Cette disposition vise à protéger la dignité humaine et à assurer le respect de la valeur inhérente de chaque personne » (Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 51, unanime sur ce point). Bien que la dignité ne soit pas reconnue comme un droit constitutionnel autonome, cette valeur fondamentale guide l’interprétation de l’ensemble des droits garantis par la Charte (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, par. 77). De manière générale, la notion de dignité évoque l’idée selon laquelle chaque personne possède une valeur intrinsèque et a, de ce fait, droit au respect (Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, par. 56; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 211, par. 105). Ce respect est dû à chaque individu, sans égard à ses agissements (voir C. Brunelle, « La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne : de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale », [2006] R. du B. (numéro thématique) 143, p. 150-151).
[60]                         Sur cette toile de fond, il convient maintenant de se pencher sur les deux volets de la protection contre les peines cruelles et inusitées. L’article 12 protège contre l’infliction d’une peine excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine, d’une part, et contre l’infliction d’une peine intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, d’autre part (R. c. Smith, 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1072-1074; L. Kerr et B. L. Berger, « Methods and Severity : The Two Tracks of Section 12 » (2020), 94 S.C.L.R. (2d) 235, p. 235-236). Cette distinction est souvent occultée et il convient d’y apporter certaines précisions dans le cadre du présent pourvoi.
[61]                        La première forme de peines cruelles et inusitées concerne les peines dont l’effet est exagérément disproportionné par rapport à ce qui aurait été approprié (Smith, p. 1072). Une peine outrepasse les limites constitutionnelles lorsqu’elle est exagérément disproportionnée et non simplement excessive (Smith, p. 1072). Une peine exagérément disproportionnée est cruelle et inusitée dans la mesure où elle démontre un mépris total de l’État envers les circonstances propres à l’individu condamné et la proportionnalité du châtiment qu’il subit.
[62]                        Déterminer si une peine est exagérément disproportionnée requiert une analyse contextuelle et comparative : une peine est jugée telle dans les circonstances particulières d’un cas donné, en rapport avec la peine qui aurait été juste et appropriée au regard des caractéristiques propres au contrevenant et des circonstances entourant la commission de l’infraction. En revanche, la nature de la peine infligée ne pose pas problème d’un point de vue constitutionnel. À titre d’exemple, il est reconnu que l’État peut recourir à l’emprisonnement à durée déterminée ou à l’infliction d’une amende comme mesures punitives. De telles peines ne sont donc pas en soi cruelles et inusitées, mais elles peuvent le devenir lorsque leurs effets les rendent exagérément disproportionnées.
[63]                        La jurisprudence sur les peines exagérément disproportionnées s’est développée dans le domaine des peines obligatoires, infligées sans égard aux circonstances particulières du contrevenant (p. ex. : des peines d’emprisonnement minimales obligatoires dans R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; Nur; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. Luxton, 1990 CanLII 83 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 711; Smith; une suramende compensatoire obligatoire dans Boudreault; une ordonnance obligatoire interdisant à l’intéressé d’avoir une arme en sa possession dans R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895). Dans l’arrêt Nur, notre Cour a rappelé que, pour déterminer si une peine minimale est exagérément disproportionnée, le tribunal doit d’abord se demander « ce qui constituerait une peine proportionnée à l’infraction eu égard aux objectifs et aux principes de détermination de la peine établis par le Code criminel » (par. 46). Il doit ensuite décider si la disposition contestée le contraint à infliger une peine totalement disproportionnée par rapport à la peine juste et appropriée pour le contrevenant ou un autre contrevenant placé dans une situation hypothétique raisonnable, auquel cas la disposition viole l’art. 12 de la Charte (Nur, par. 46). Le cadre d’analyse de l’arrêt Nur ne s’applique pas aux peines discrétionnaires. En l’absence de peine minimale obligatoire, l’infliction d’une peine dont la nature est acceptable, mais qui s’avère disproportionnée dans un cas particulier, peut être corrigée par un appel visant la justesse de la peine plutôt que par une déclaration d’inconstitutionnalité (Malmo-Levine, par. 167‑168).
[64]                        Le deuxième volet de la protection conférée par l’art. 12 vise une catégorie restreinte de peines cruelles et inusitées par nature, des peines qui sont « toujours exagérément disproportionné[es] » parce qu’intrinsèquement incompatibles avec la dignité humaine (Smith, p. 1074). De telles peines sont, en soi, incompatibles avec la dignité humaine en raison de leur caractère « dégradan[t] et déshumanisan[t] », pour reprendre les termes utilisés par notre Cour dans 9147-0732 Québec inc. (par. 51, unanime sur ce point). De par sa nature même, une peine dégradante ou déshumanisante porte atteinte « à nos normes de décence » (Luxton, p. 724).
[65]                        Comme les normes de décence d’une société ne sont pas figées dans le temps, ce qui constitue une peine cruelle et inusitée par nature est appelé à évoluer, conformément au principe selon lequel notre Constitution est un arbre vivant capable de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles, de manière à répondre aux nouvelles réalités sociales, politiques et historiques du monde contemporain (Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698, par. 22; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 155-156; Edwards c. Attorney‑General for Canada, 1929 CanLII 438 (UK JCPC), [1930] A.C. 124 (C.P.), p. 136). Comme le soulignait le juge Cory il y a plus de 30 ans, alors dissident sur un autre point dans l’affaire Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), 1991 CanLII 78 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 779, « [c]e qui est une peine acceptable pour une société dépend de la nature de cette dernière, de son degré de stabilité et de son niveau de maturité » (p. 818). Les châtiments que nous considérons aujourd’hui comme incompatibles avec la dignité humaine étaient répandus et acceptés à une autre époque. Le professeur A. N. Doob affirme avec justesse que « [l]a raison pour laquelle nous ne fouettons et ne pendons plus les gens n’est pas le manque de cuir ou de corde. C’est plutôt parce que ces châtiments ne sont plus en adéquation avec les valeurs canadiennes » (Ministère de la Justice du Canada, Une approche des objectifs et des principes de détermination de la peine basée sur les valeurs et sur les preuves (2017), p. 4).
[66]                        Parmi les peines et traitements reconnus à ce jour comme intrinsèquement incompatibles avec la dignité humaine, mentionnons « l’imposition d’un châtiment corporel comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de fouet imposé [. . .], la lobotomie de certains criminels dangereux, ou la castration d’auteurs de crimes sexuels » (Smith, p. 1074). La torture appartient également à cette catégorie, le but ultime de ce supplice étant « de priver une personne de son humanité » (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 51).
[67]                        Une peine est cruelle et inusitée par nature si le tribunal est convaincu que, compte tenu de sa nature et de ses effets, cette peine ne pourrait jamais être infligée d’une manière conforme à la dignité humaine dans le contexte pénal canadien. Une peine cruelle et inusitée par nature est « si intrinsèquement répugnante qu’elle ne saurait jamais constituer un châtiment approprié, aussi odieuse que soit l’infraction » (Suresh, par. 51). Pour déterminer si une peine est intrinsèquement incompatible avec la dignité, le tribunal doit évaluer si la peine est, par sa nature, dégradante ou déshumanisante. Les effets susceptibles d’être causés à l’ensemble des contrevenants condamnés à un tel châtiment peuvent également éclairer le tribunal et appuyer son analyse de la nature de la peine.
[68]                        L’analyse du tribunal doit demeurer centrée sur la nature de la peine plutôt que sur des considérations de proportionnalité entre la peine et la culpabilité morale du contrevenant. En effet, une peine cruelle et inusitée par nature est, par définition, « toujours exagérément disproportionn[ée] » (Smith, p. 1074). Une peine cruelle et inusitée par nature doit tout simplement être exclue de l’arsenal de sanctions à la disposition de l’État, ce qui signifie que ce dernier ne peut contourner les prescriptions de l’art. 12 en prévoyant certaines exemptions à l’infliction de cette peine ou en assujettissant celle-ci à la discrétion du tribunal. En d’autres termes, la simple possibilité qu’une peine cruelle et inusitée par nature puisse être infligée suffit pour enfreindre l’art. 12 de la Charte.
[69]                        En résumé, une peine peut violer l’art. 12 pour deux motifs distincts, soit parce qu’elle est exagérément disproportionnée dans un cas donné, soit parce qu’elle est intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine. Lorsque les deux volets de la protection de l’art. 12 sont en cause dans une même affaire, l’analyse de la nature de la peine doit précéder celle de la disproportion exagérée. En effet, si la peine susceptible d’être infligée est cruelle et inusitée par nature, et donc intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, il n’est pas nécessaire — et je dirais même inutile — de s’interroger sur son caractère exagérément disproportionné dans un cas donné, puisqu’une peine cruelle et inusitée par nature est « toujours exagérément disproportionnée » (Smith, p. 1074; voir aussi Kerr et Berger, p. 238).
[70]                        Dans leur analyse de l’art. 12 de la Charte, les tribunaux doivent faire preuve de déférence envers les décisions de politique générale du législateur en matière de peines (Lloyd, par. 45). La limite fixée par la Constitution pour qu’une peine soit jugée exagérément disproportionnée se veut exigeante et ne sera atteinte qu’en de rares occasions (Boudreault, par. 45; Lloyd, par. 24; Steele c. Établissement Mountain, 1990 CanLII 50 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1385, p. 1417; Lyons, p. 345). De la même manière, les tribunaux doivent faire montre de prudence et de retenue lorsqu’une peine est contestée au motif qu’elle fait partie de la catégorie restreinte de peines cruelles et inusitées par nature. Cependant, [traduction] « le jugement définitif quant à savoir si une peine excède les limites constitutionnelles fixées par la Charte constitue à bon droit une fonction judiciaire » (Lloyd, par. 45, citant R. c. Guiller (1985), 48 C.R. (3d) 226 (C. dist. Ont.), p. 238). C’est l’analyse qu’il nous incombe maintenant d’effectuer.
E.            L’article 745.51 C. cr. contrevient-il à l’art. 12 de la Charte?
[71]                        D’entrée de jeu, le présent pourvoi concerne uniquement la constitutionnalité, au regard de l’art. 12 de la Charte, d’une disposition qui permet au tribunal de cumuler des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dans un contexte de meurtres multiples. Plus particulièrement, en cas de meurtres au premier degré, le tribunal est autorisé, par le jeu de l’art. 745.51 et de l’al. 745a) C. cr., à additionner des périodes d’inadmissibilité de 25 ans pour chaque meurtre. En conséquence, il ne s’agit pas en l’espèce de décider si l’infliction de toute période d’inadmissibilité supérieure à 25 ans est inconstitutionnelle.
[72]                        Pour répondre à la question dont notre Cour est saisie, je vais d’abord circonscrire la portée de l’art. 745.51 C. cr. et la peine qui en découle. Je procéderai ensuite à l’examen de la nature de cette peine pour déterminer si elle est intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine et donc cruelle et inusitée par nature. Pour appuyer l’analyse de la nature de la peine, je vais me pencher sur les effets susceptibles d’être causés par le châtiment sur l’ensemble des contrevenants, ainsi que sur le droit international et le droit comparé. Enfin, je vais examiner l’incidence du pouvoir discrétionnaire du tribunal et de la prérogative royale de clémence sur la constitutionnalité de la disposition contestée.
[73]                        Pour les motifs qui suivent, je conclus que, par le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans en cas de meurtres au premier degré, l’art. 745.51 C. cr. autorise l’infliction de peines d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle avant la mort de tous les contrevenants qui sont assujettis à un tel cumul. De telles peines sont de nature dégradante, et donc contraires à la dignité humaine, puisqu’elles retirent aux contrevenants toute possibilité de réinsertion sociale, ce qui présuppose, de manière finale et irréversible, que ces derniers ne possèdent pas la capacité de s’amender et de réintégrer la société. L’analyse des effets susceptibles d’être causés à l’ensemble des contrevenants assujettis à une peine d’emprisonnement sans possibilité réaliste de libération conditionnelle, ainsi qu’un tour d’horizon du droit international et du droit comparé, appuient la conclusion selon laquelle une telle peine est contraire à la dignité humaine. Enfin, le pouvoir discrétionnaire du tribunal ne peut sauvegarder la disposition contestée et la prérogative royale de clémence ne constitue pas une possibilité réaliste de remise en liberté pour l’individu purgeant une peine d’emprisonnement qui n’est assortie d’aucun autre mécanisme de révision. 
(1)         La portée de l’art. 745.51 C. cr.
[74]                        Lorsqu’un accusé est déclaré coupable de meurtre au premier degré ou de meurtre au deuxième degré, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité (par. 235(2) C. cr.) et il ne devient admissible à une libération conditionnelle totale qu’après un temps d’épreuve de 25 ans ou de 10 à 25 ans respectivement (al. 745a) et c) C. cr.). L’article 745.51 C. cr. permet au juge qui préside le procès d’ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement, par dérogation au principe général selon lequel les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle doivent être purgées concurremment (al. 718.2c) et par. 718.3(4) C. cr.). Suivant l’interprétation proposée par les parties — et que nous tiendrons pour acquise pour les besoins du présent pourvoi, dans la mesure où elle n’est pas déterminante — l’art. 745.51 C. cr. s’applique indépendamment du fait que les meurtres multiples ont été commis lors d’une même occasion ou lors d’événements distincts, ainsi qu’en l’absence d’une condamnation antérieure.
[75]                        À l’instar du premier juge et de la Cour d’appel en l’espèce, je suis d’avis que l’art. 745.51 C. cr. n’habilite pas le tribunal à ordonner qu’un contrevenant condamné pour meurtre au premier degré purge seulement une partie de la période d’inadmissibilité de 25 ans de manière consécutive à une autre période imposée pour un autre meurtre au premier degré (motifs de la C.S., par. 824; motifs de la C.A., par. 64). La disposition en question autorise uniquement le cumul de périodes de 25 ans. L’intention du législateur, sur laquelle je reviendrai, était claire sur ce point. Je souligne d’ailleurs que l’art. 745.51 C. cr. ne fixe aucun plafond en ce qui concerne la durée totale du temps d’épreuve que peut infliger le tribunal. Cette disposition se limite à énoncer les critères guidant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal, pouvoir sur lequel je reviendrai.
[76]                        En cas de meurtres multiples au premier degré, la disposition contestée permet l’infliction de peines d’emprisonnement qui, dans les faits, privent tous les contrevenants visés d’une possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle. Dans le scénario le plus favorable au ministère public, mais par ailleurs rarissime, un contrevenant âgé de 18 ans qui prend le chemin de la prison et qui y demeure durant les 50 années suivantes de sa vie pourrait, en théorie, obtenir sa libération conditionnelle alors qu’il sera âgé de 68 ans. À titre d’information, il convient de signaler que l’espérance de vie moyenne des détenus qui décèdent de causes naturelles est d’environ 60 ans (Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada et Commission canadienne des droits de la personne, Vieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale (2019), p. 67), chiffre qui est nettement inférieur à l’espérance de vie moyenne au sein de la population générale (à titre indicatif, l’espérance de vie moyenne au Canada, tous sexes confondus, était de 81,7 ans en 2020; voir Statistique Canada, « Décès, 2020 », dans Le Quotidien, 24 janvier 2022 (en ligne)).
[77]                        Ainsi, au terme de 50 ans d’incarcération, certains contrevenants seront décédés, tandis que d’autres seront peut-être libérés une fois les années significatives de leur vie écoulées, faisant d’eux ce que certains auteurs appellent de [traduction] « véritables condamnés à perpétuité » (A. Iftene, « R. c. Bissonnette and the (Un)Constitutionality of Consecutive Periods of Parole Ineligibility for a Life Sentence : Why the QCCA Got It Right and Why Section 745.51 Should Never Be Re-Written » (2021), 69 Crim. L.Q. 312, p. 331). Pour les besoins de l’analyse de la constitutionnalité de la disposition contestée, cette dernière situation est assimilable à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle, dans la mesure où l’individu ne pourra jamais réintégrer la société et y contribuer en tant que citoyen actif, surtout lorsque l’on considère que les longues peines d’emprisonnement nuisent à la réinsertion sociale des contrevenants plus qu’elles ne la favorisent (R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 54-57; Ruby, §1.63).
[78]                        En ce qui concerne les autres hypothèses, c’est-à-dire l’infliction d’une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 75, 100, 125, voire 800 ans, la conclusion s’impose d’elle-même. L’individu est condamné à mourir en prison, privé de toute possibilité de regagner un jour une partie de sa liberté.
[79]                        De telles hypothèses sont loin d’être théoriques, comme en témoigne la jurisprudence. À titre d’exemple, dans l’affaire R. c. Bourque, 2014 NBBR 237, 427 R.N.-B. (2e) 259, un accusé âgé de 24 ans a été condamné à une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de demander une libération conditionnelle avant l’expiration d’un temps d’épreuve de 75 ans (voir aussi R. c. Saretzky, 2017 ABQB 496; R. c. Ostamas, 2016 MBQB 136, 329 Man. R. (2d) 203).
[80]                        J’entreprends donc l’analyse de la constitutionnalité de la disposition contestée en postulant qu’elle autorise, dans les faits, l’infliction d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle.
(2)         L’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle constitue une peine cruelle et inusitée par nature
[81]                        L’examen de la nature de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle mène à la conclusion qu’elle est incompatible avec la dignité humaine, valeur qui sous-tend la protection conférée par l’art. 12 de la Charte. Cette peine est de nature dégradante en ce qu’elle présuppose, dès l’infliction de la peine, et ce, de manière finale et irréversible, que le contrevenant est irrécupérable et ne possède pas l’autonomie morale nécessaire pour se réhabiliter. À lui seul, ce constat permet de conclure qu’il s’agit d’une peine cruelle et inusitée par nature. Il est néanmoins pertinent de procéder, de manière complémentaire, à l’analyse des effets susceptibles d’être causés par cette peine sur l’ensemble des contrevenants qui y sont assujettis.
a)      L’examen de la nature de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle
[82]                        La nature de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle est différente de celle d’une peine d’incarcération assortie d’un mécanisme de révision, en ce que la première prive le contrevenant de toute possibilité de s’amender et de réintégrer la société (voir Lyons, p. 340-341; I. Grant, C. Choi et D. Parkes, « The Meaning of Life : A Study of the Use of Parole Ineligibility for Murder Sentencing » (2020), 52 R.D. Ottawa 133, p. 172, citant A. Liebling, « Moral performance, inhuman and degrading treatment and prison pain » (2011), 13 Punishm. & Soc. 530, p. 536). Diverses expressions, qui évoquent toutes la mort inévitable du contrevenant derrière les barreaux, ont été employées pour décrire la nature de la peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle (p. ex. : [traduction] « condamnation à mourir à petit feu », « mort par incarcération », « sentence de mort virtuelle », « peine de mort lente », « peine de mort suspendue », « peine de mort sans date d’exécution », et « l’autre peine de mort »; voir J. S. Henry, « Death-in-Prison Sentences : Overutilized and Underscrutinized », dans C. J. Ogletree, Jr., et A. Sarat, dir., Life without Parole : America’s New Death Penalty? (2012), 66, p. 66). En effet, une fois entre les murs de l’établissement carcéral, le contrevenant est destiné à y rester jusqu’à son décès, et ce, sans égard à ses efforts de réhabilitation, malgré les effets dévastateurs que cela entraîne.
[83]                        L’objectif de réinsertion sociale est intimement lié à la dignité humaine en ce qu’il exprime la conviction que chaque individu porte en lui la capacité de se réhabiliter et de réintégrer la société. Comme l’écrivent avec justesse les auteures J. Desrosiers et C. Bernard, le droit criminel se construit, et doit se construire, « sur une conception de l’être humain comme agent libre et autonome et partant, capable de changement » (« L’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle : une peine inconstitutionnelle? » (2021), 25 Rev. can. D.P. 275, p. 303).
[84]                        Il est difficile, voire impossible de prédire la capacité d’un contrevenant de s’amender dans un horizon de 50 ans ou plus, et encore davantage de prédire s’il sera effectivement en mesure de le faire durant ses nombreuses années d’incarcération. En retirant à l’avance aux contrevenants toute possibilité de réintégrer la société, la disposition contestée ébranle les fondements mêmes du droit criminel canadien. La disposition réduit ainsi à néant l’objectif de réhabilitation dès le moment de l’infliction de la peine, ce qui a pour effet de nier toute autonomie aux contrevenants et de leur infliger une peine dégradante incompatible avec la dignité humaine.
[85]                        Pour respecter la dignité humaine, le Parlement doit laisser la porte entre-ouverte à la réhabilitation, même dans les cas où cet objectif revêt une importance minime. Si d’aventure un contrevenant parvenait à se réhabiliter, ce dernier doit avoir accès à un mécanisme de réexamen de sa peine, après avoir purgé une période d’incarcération qui est suffisamment longue pour dénoncer la gravité de l’infraction. Cette dernière précision est importante, car le Parlement dispose d’une latitude pour établir des peines dont la sévérité exprime la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise et, bien que ces peines puissent dans certaines circonstances avoir pour effet de condamner un contrevenant à mourir derrière les barreaux, elles ne constituent pas nécessairement une violation de l’art. 12 de la Charte.
[86]                        À titre d’illustration, dans l’arrêt Luxton, notre Cour a rejeté la prétention selon laquelle la peine obligatoire en cas de meurtre au premier degré viole l’art. 12 de la Charte. De l’avis de la Cour, le Parlement peut à bon droit traiter ce crime — le plus grave qui soit — avec un degré approprié de sévérité. La période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans exprime la réprobation de la société à l’égard de la perpétration d’un tel crime et ne constitue pas une atteinte à nos normes de décence (Luxton, p. 724-725). Un contrevenant reconnu coupable de meurtre au premier degré à un âge avancé n’aura donc que peu ou pas d’espoir de sortir de prison, vu la période de temps d’épreuve obligatoire de 25 ans. Mais, comme il a été jugé dans l’arrêt Luxton, cette peine demeure conforme à l’art. 12 de la Charte, car elle relève du pouvoir du Parlement de sanctionner le crime le plus odieux par une peine qui dénonce suffisamment la gravité de l’infraction, sans toutefois que cette peine outrepasse les limites constitutionnelles en privant d’emblée tous les contrevenants d’une possibilité de libération conditionnelle.
[87]                        Par contraste, la disposition contestée en l’espèce autorise le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle d’une durée de 25 ans chacune pour chaque meurtre au premier degré, ce qui a pour résultat de priver tout contrevenant visé de la possibilité de s’amender et de réintégrer la société. L’auteure Henry dit avec justesse que [traduction] « les peines [d’emprisonnement jusqu’à ce que mort s’ensuive] sont sévères et dégradantes parce que, tout comme la peine capitale, elles ne reconnaissent pas la valeur intrinsèque de la personne incarcérée. L’absence de toute possibilité de rédemption nie la dignité humaine » (p. 76). Comme le souligne la juge Martin dans l’arrêt Boudreault, dans lequel la Cour a invalidé la disposition portant sur la suramende compensatoire, « [l]’incapacité des contrevenants de s’acquitter entièrement de leur dette envers la société, d’obtenir la réinsertion sociale et de demander pardon va à l’encontre des fondements mêmes de notre système de justice pénale » (par. 79). Bien que le contexte de cet arrêt diffère de celui en l’espèce, son enseignement selon lequel chaque contrevenant doit bénéficier de la possibilité de s’amender et de réintégrer la société est d’application générale. Les fondements de notre système de justice pénale, dont il est question dans l’arrêt Boudreault, commandent de respecter la valeur inhérente de chaque individu, incluant les criminels les plus vils.
[88]                        Contrairement aux prétentions des parties appelantes, il ne s’agit pas ici de faire primer l’objectif de réhabilitation sur tous les autres, mais bien de lui préserver une certaine place dans un système pénal fondé sur le respect de la dignité inhérente à chaque individu. Dans le contexte de l’infraction de meurtre au premier degré, la réhabilitation est déjà subordonnée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, comme en témoigne la sévérité de la peine.
[89]                        Les objectifs de dénonciation et de dissuasion sont déjà réalisés par l’infliction de la peine minimale obligatoire la plus sévère que prévoit le Code criminel : l’emprisonnement à perpétuité (art. 235 C. cr.). Le fait de croire que la libération conditionnelle met fin à la peine du contrevenant relève du mythe. La mise en liberté sous condition a uniquement pour effet de modifier les conditions dans lesquelles la peine est purgée, mais la peine elle-même demeure en vigueur, et ce, pour toute la durée prévue, c’est-à-dire jusqu’à la mort du contrevenant (M. (C.A.), par. 57). Le contrevenant qui obtient une libération conditionnelle « porte encore les stigmates sociétaux découlant de sa condition de condamné en train de purger une peine criminelle » (M. (C.A.), par. 62). De surcroît, dans l’éventualité où le contrevenant obtient sa libération conditionnelle parce qu’il ne pose plus un danger pour la société, il demeure « assujetti à la surveillance stricte du système de libération conditionnelle, et sa liberté continue d’être considérablement restreinte » (M. (C.A.), par. 62). La menace de réincarcération pèse toujours sur lui en cas de bris de condition (Loi sur la mise en liberté sous condition, art. 135). Contrairement à la croyance populaire, [traduction] « [l]a personne en liberté sous condition n’est pas une personne libre » (R. c. Wilmott, 1966 CanLII 222 (ON CA), [1967] 1 C.C.C. 171 (C.A. Ont.), p. 181).
[90]                        La période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans doit elle aussi être remise en perspective pour bien faire ressortir sa sévérité. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, bien que constitutionnelle, cette période de 25 ans est loin d’être clémente. Dans un rapport publié en 1987, la Commission canadienne sur la détermination de la peine souligne que « [l]a période d’emprisonnement de 25 ans sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle a fait l’objet de vives critiques, beaucoup la jugeant inhumaine puisqu’elle prive les détenus de toute possibilité d’atténuer leur sentence » (p. 289). En outre, les détenus qui y sont assujettis ne sont pas incités à se conformer aux règles de l’établissement carcéral (p. 289).
[91]                        À titre indicatif, il existe dans plusieurs pays similaires au Canada — où règne la primauté du droit et où la peine d’emprisonnement à vie existe — un mécanisme de réexamen de la peine qui est accessible aux contrevenants condamnés à l’emprisonnement à perpétuité après un temps d’épreuve minimal inférieur à celui prescrit en droit canadien pour le meurtre au premier degré. Certains pays européens ont adopté un mécanisme de réexamen des peines ouvert aux contrevenants au terme de différentes périodes d’inadmissibilité : le Danemark et la Finlande (12 ans), l’Allemagne (15 ans), la Suisse (15 ans, exceptionnellement 10 ans) et la France (18 ans en principe, jusqu’à 22 ans en cas de récidive légale, mais 30 ans pour certains types de meurtre)[2]. Dans d’autres États européens, la peine d’emprisonnement à perpétuité n’existe tout simplement pas. À titre d’exemples, le Portugal a constitutionnalisé l’interdiction de la peine d’emprisonnement à vie (Constitution de la République portugaise, par. 30(1); D. van Zyl Smit, « Outlawing Irreducible Life Sentences : Europe on the Brink? » (2010), 23 Fed. Sentencing Rep. 39, p. 40), alors que la Norvège a prévu que la peine d’emprisonnement la plus sévère pouvant être infligée est de 21 ans, à l’exception du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre où la peine maximale est portée à 30 ans[3].
[92]                        Ce survol met en relief la sévérité de la peine minimale obligatoire pour meurtre au premier degré au Canada. La dénonciation et la dissuasion sont, sans l’ombre d’un doute, les objectifs prépondérants visés par cette peine, tandis que la réhabilitation occupe une place secondaire. L’article 745.51 C. cr. a pour seul effet d’anéantir complètement ce dernier objectif, ce qui est contraire à la dignité humaine pour les raisons énoncées précédemment.
[93]                        Les parties appelantes insistent sur l’importance de dénoncer avec plus de rigueur les meurtres multiples par l’infliction d’une peine qui reflète la valeur de chaque vie humaine perdue. Une telle peine repose sur une approche rétributiviste, approche qui pourrait à elle seule justifier une peine d’une sévérité illimitée, voire justifier une peine établissant une correspondance réelle entre le crime commis et le châtiment infligé. Mais, pour reprendre les termes des auteures Desrosiers et Bernard, « dans un système juridique fondé sur le respect des droits et libertés, la loi du talion est inapplicable » (p. 292). Les tribunaux doivent établir une limite au pouvoir de l’État de sanctionner les contrevenants, en conformité avec la Charte.
[94]                        Par ailleurs, les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas mieux servis par l’infliction de peines excessives. En effet, passé un certain seuil, ces objectifs perdent toute leur valeur fonctionnelle, particulièrement lorsque la peine infligée dépasse largement l’espérance de vie humaine. L’infliction de peines excessives qui ne remplissent aucune fonction, par exemple le temps d’épreuve de 150 ans réclamé initialement par le ministère public en l’espèce, a uniquement pour effet de déconsidérer l’administration de la justice et de miner la confiance du public dans la rationalité et l’équité du système de justice criminelle. Et c’est sans compter le fait que l’infliction de peines extrêmement sévères tend à banaliser de telles peines et à entraîner un effet inflationniste sur l’ensemble des peines infligées (Grant, Choi et Parkes, p. 138, citant M. Hamilton, « Extreme Prison Sentences : Legal and Normative Consequences » (2016), 38 Cardozo L. Rev. 59, p. 106-111).
[95]                        Comme l’a affirmé à juste titre la Cour d’appel, l’infliction d’une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle qui dépasse l’espérance de vie humaine « relève de l’absurdité. [. . .] Un tribunal ne doit pas rendre une ordonnance qui ne peut jamais se réaliser » (par. 93). Bien qu’un tel châtiment soit susceptible de réjouir la galerie, il est contraire aux valeurs fondamentales de la société canadienne. La soif de vengeance qui peut nous animer lorsque nous sommes devant un crime atroce commis par l’un de nos semblables ne saurait justifier l’infliction d’une peine qui, aussi sévère soit-elle, ne pourra jamais effacer l’horreur de son geste.
b)            Les effets de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle
[96]                        Sur le plan des effets, les contrevenants qui n’ont aucune possibilité réaliste de libération conditionnelle sont privés de tout incitatif à se réformer. Déjà en 1956, le Rapport Fauteux énonçait clairement que « [j]amais le détenu ne devrait avoir un motif de se sentir oublié. [. . .] Les prisonniers devraient avoir l’espoir que leur emprisonnement prendra fin un jour, ce qui les encouragerait à se réformer et à se réhabiliter » (p. 52).
[97]                        Les conséquences psychologiques découlant d’une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle sont, à certains égards, comparables à celles vécues par les détenus dans le couloir de la mort, puisque seul le décès mettra fin à leur incarcération. En tout état de cause, [traduction] « [b]ien que tous ne s’accordent peut-être pas pour dire que les peines [d’emprisonnement jusqu’à ce que la mort s’ensuive] sont pires que la mort, il est clair que ces peines sont exceptionnellement sévères et dégradantes en soi » (Henry, p. 75 (en italique dans l’original)). Pour les contrevenants condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle, le sentiment de mener une existence monotone, futile et isolée de leurs proches et du monde extérieur est très difficile à supporter. Certains d’entre eux préfèrent mettre fin à leurs jours plutôt que de mourir à petit feu et endurer des souffrances qui leur paraissent interminables (R. Johnson et S. McGunigall-Smith, « Life Without Parole, America’s Other Death Penalty » (2008), 88 Prison J. 328, p. 332-336; voir aussi R. Kleinstuber et J. Coldsmith, « Is life without parole an effective way to reduce violent crime? An empirical assessment » (2020), 19 Criminol. & Pub. Pol’y 617, p. 620). De tels effets appuient la conclusion selon laquelle une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle est de nature dégradante et donc intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine. Il s’agit d’une peine cruelle et inusitée par nature qui viole l’art. 12 de la Charte.
c)            La dignité et l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle : perspectives en droit international et en droit comparé
[98]                        Cette conclusion d’inconstitutionnalité trouve également appui en droit international et en droit comparé, la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle y étant généralement considérée comme étant contraire à la dignité humaine. Comme l’ont récemment rappelé les juges Brown et Rowe dans l’arrêt 9147-0732 Québec inc., le droit international et le droit comparé jouent un rôle dans l’interprétation des droits garantis par la Charte (par. 28). Toutefois, « ce rôle a comme il se doit consisté à appuyer ou à confirmer une interprétation dégagée en appliquant la démarche [téléologique] établie dans [R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295]; la Cour n’a jamais eu recours à de tels outils pour définir la portée des droits garantis par la Charte » (9147-0732 Québec inc., par. 28 (en italique dans l’original)).
[99]                        La dignité humaine est au cœur du développement du régime international de protection des droits de la personne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les atrocités commises pendant la guerre ont mené à la reconnaissance internationale de l’importance fondamentale de la dignité humaine (Ward, par. 57). Le préambule de la Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7, énonce explicitement la résolution des peuples des Nations Unies de « proclamer à nouveau [leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine ». Près de deux décennies plus tard, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, R.T. Can. 1976 no 47 (« PIDCP »), ratifié par le Canada en 1976, a réitéré l’importance de la dignité à titre de fondement des droits et libertés fondamentaux. Le PIDCP énonce dans son préambule que l’ensemble des droits qu’il garantit « découlent de la dignité inhérente à la personne humaine ». Si le préambule n’a en soi aucune force contraignante en droit canadien, il nous éclaire toutefois sur la façon dont la dignité est comprise en droit de la personne, c’est-à-dire comme une valeur qui sous-tend les droits reconnus plutôt que comme un droit en soi.
[100]                     En matière de détermination de la peine, en droit international, la notion de dignité s’exprime par la volonté de réinsérer les contrevenants dans la société en leur offrant une possibilité de remise en liberté. À titre d’exemple, l’art. 10 du PIDCP précise que « [t]oute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » (par. 10(1)) et que le « but essentiel » du régime pénitentiaire est l’« amendement » et le « reclassement social » des détenus (par. 10(3)). Comme le PIDCP est un traité international ratifié par le Canada, le droit canadien est présumé conforme aux engagements qu’il prévoit (Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 70; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245, par. 64). Il représente donc une source pertinente pour l’interprétation des dispositions de la Charte (9147-0732 Québec inc., par. 32-34).
[101]                     En outre, bien que le droit criminel soit, de manière générale, une question de droit interne, il convient en l’espèce de se pencher sur l’approche qui a été adoptée par la Cour pénale internationale (« CPI ») en matière de révision des peines, approche inscrite dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, R.T. Can. 2002 no 13. Le Canada a joué un rôle important dans la création de cette cour et il a été le premier pays à incorporer dans sa législation nationale les obligations de ce traité. Le Statut de Rome, ratifié par le Canada en juillet 2000, a créé la CPI. Ce tribunal international mène des enquêtes et, le cas échéant, juge les personnes accusées des crimes « les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale », soit le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression (Statut de Rome, par. 5(1)). Un mois avant la ratification de ce traité en juin 2000, le législateur canadien a adopté la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, c. 24 (« Loi sur les crimes contre l’humanité »), qui a criminalisé dans le droit interne le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
[102]                     La Loi sur les crimes contre l’humanité prévoit les peines applicables en droit canadien et les règles relatives à l’inadmissibilité à la libération conditionnelle à l’égard de ces trois types de crimes. Lorsque le meurtre intentionnel est à l’origine de l’infraction, la peine est la même que pour l’infraction de meurtre au premier ou au deuxième degré, soit l’emprisonnement à perpétuité (par. 4(2) de la Loi sur les crimes contre l’humanité). En matière de libération conditionnelle, le législateur a toutefois adopté un régime distinct de celui prévu par le Statut de Rome. La Loi sur les crimes contre l’humanité indique que les mêmes périodes d’inadmissibilité énoncées dans le Code criminel, soit 25 ans pour le meurtre au premier degré et 10 à 25 ans pour le meurtre au deuxième degré, s’appliquent (par. 15(1) de la Loi sur les crimes contre l’humanité). Le Statut de Rome, au contraire, établit relativement à ces crimes un mécanisme de révision de la peine qui oblige la CPI à réévaluer après 25 ans la peine d’emprisonnement à perpétuité qu’elle inflige (art. 77), « pour déterminer s’il y a lieu de la réduire » (par. 110(3)). Le processus de révision des peines de la CPI porte sur la réduction de la peine plutôt que sur la libération conditionnelle comme c’est le cas en droit canadien. Dans ce contexte, le Statut de Rome n’est pertinent en l’espèce que dans la mesure où, à l’instar du droit canadien, il reconnaît la nécessité d’offrir une possibilité de réhabilitation aux contrevenants, y compris ceux ayant commis les crimes les plus graves.
[103]                     Le droit européen apporte lui aussi un éclairage intéressant sur la notion de peines déshumanisantes et dégradantes et l’importance de la réhabilitation en droit pénal. Le poids à accorder à ses enseignements est toutefois limité, puisque les décisions des tribunaux internationaux et étrangers ne sont pas des sources contraignantes en droit canadien (9147-0732 Québec inc., par. 35 et 43).
[104]                     La jurisprudence de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») reconnaît le principe de réinsertion en matière de détermination de la peine (Vinter c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, § 114, 9 juillet 2013 (HUDOC); Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 102, 26 avril 2016 (HUDOC); Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], no 57592/08, §§ 42-43, 17 janvier 2017 (HUDOC)). L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, 213 R.T.N.U. 221, dispose que « [n]ul ne peut être soumis [. . .] à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». La Grande Chambre a eu à se pencher, dans différentes affaires, sur la question à savoir si la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle est contraire à l’art. 3. De façon générale, elle admet qu’une peine d’emprisonnement à vie n’est pas en soi contraire à cette disposition (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 97, 12 février 2008 (HUDOC); Murray, § 99; Hutchinson, § 42). Toutefois, elle considère que pour être compatible avec l’art. 3 une telle peine doit être « compressible de jure et de facto », c’est-à-dire que tout détenu doit avoir une possibilité de remise en liberté (Vinter, § 108; Hutchinson, § 42; voir aussi Bodein c. France, no 40014/10, § 56, 13 novembre 2014 (HUDOC); Murray, § 99). La procédure de réexamen « doit prendre en compte les progrès du détenu sur le chemin de l’amendement et déterminer si le détenu a fait des progrès tels qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention » (Hutchinson, § 43; voir aussi Vinter, §§ 113-116).
[105]                     Le droit comparé est lui aussi pertinent pour illustrer les différentes perspectives qui existent au sujet de la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Bien que le droit interne de pays similaires au Canada offre un éclairage intéressant en la matière, il n’a aucune force contraignante en droit canadien (9147-0732 Québec inc., par. 43). Dans le présent pourvoi, je m’y réfère donc uniquement à titre illustratif.
[106]                     Tout comme la France et l’Italie, l’Allemagne a établi que les peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération sont inconstitutionnelles (R. Hood et C. Hoyle, The Death Penalty : A Worldwide Perspective (5e éd. 2015), p. 486). C’est en 1977 que la Cour constitutionnelle fédérale allemande s’est penchée sur la constitutionnalité de la peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre (Life Imprisonment Case (1977), 45 BVerfGE 187, traduit vers l’anglais dans D. P. Kommers et R. A. Miller, The Constitutional Jurisprudence of the Federal Republic of Germany (3e éd. 2012), p. 363-368). Dans cet arrêt, elle a conclu qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité n’est pas inconstitutionnelle en soi (p. 367). Elle a toutefois statué que le fait d’emprisonner une personne sans lui offrir la possibilité [traduction] « concrète et réaliste » de regagner un jour sa liberté est contraire à la dignité humaine (p. 366). L’État doit reconnaître à chaque membre de la société une valeur égale, il ne peut [traduction] « transformer un contrevenant en outil de prévention du crime au préjudice du droit de cette personne au respect et à la reconnaissance de sa valeur au sein de la société qui lui est garanti par la Constitution » (p. 365). La Cour constitutionnelle soutient que la réhabilitation est un impératif constitutionnel pour toute société qui fait de la dignité humaine le pilier de son existence (p. 366). Cette décision a eu un certain écho dans le développement du droit européen relatif aux peines à perpétuité (Vinter, §§ 69 et 113).
[107]                     Cependant, d’autres pays similaires au Canada, qui respectent eux aussi la primauté du droit, adoptent une approche plus restrictive en matière d’accès à la libération conditionnelle. Aux États-Unis, par exemple, l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle est jugé constitutionnel (Harmelin c. Michigan, 501 U.S. 957 (1991)), sauf dans le cas des contrevenants juvéniles (Graham c. Florida, 560 U.S. 48 (2010)), y compris pour ceux condamnés pour homicide (Miller c. Alabama, 567 U.S. 460 (2012)). L’approche américaine se distingue toutefois de celle qui prévaut en droit canadien, dans la mesure où ce pays applique la peine de mort et interprète la notion de peine cruelle et inusitée plus restrictivement (Kindler, p. 812). D’autres pays reconnaissent également dans leur système législatif la possibilité d’infliger une peine d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle. En Nouvelle-Zélande, la période minimale d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de condamnation pour meurtre est de 10 ans, ou de 17 ans dans certaines circonstances particulières, mais il n’existe pas de temps d’épreuve maximal (Sentencing Act 2002 (N.-Z.), art. 103 et 104). En Australie, ce type de peine est également permis dans les différents États et territoires (J. L. Anderson, « The Label of Life Imprisonment in Australia : A Principled or Populist Approach to an Ultimate Sentence » (2012), 35 U.N.S.W.L.J. 747, p. 751-753 et 759-764). L’Angleterre et le Pays de Galles adoptent quant à eux une approche particulière. Le tribunal a le pouvoir d’ordonner, à l’égard de toute personne condamnée à l’emprisonnement à perpétuité pour meurtre, soit une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dont le point de départ est de 15 ans, ou encore de 30 ans dans des circonstances particulières, soit l’exclusion complète de toute possibilité de libération (D. Ormerod et K. Laird, Smith, Hogan, and Ormerod’s Criminal Law (16e éd. 2021), p. 536-537). Cependant, il faut noter que les tribunaux d’Angleterre et du Pays de Galles ainsi que la CEDH considèrent qu’il existe en droit anglais un mécanisme véritable de réexamen des peines à perpétuité du fait de l’existence du pouvoir de libération du ministre prévu à l’art. 30 de la loi intitulée Crime (Sentences) Act 1997 (R.-U.), 1997, c. 43 (R. c. McLoughlin, [2014] EWCA Crim 188, [2014] 1 W.L.R. 3964, par. 31-35; Hutchinson, §§ 70 et 72). Je reviendrai sur ce point plus loin.
[108]                     En somme, bien que, comme toute autre disposition de la Charte, l’art. 12 doive d’abord et avant tout être interprété au regard du droit et de l’histoire du Canada (9147-0732 Québec inc., par. 20; voir aussi Kindler, p. 812), un parallèle peut être établi entre l’approche du droit pénal canadien et celles du droit international et du droit de différents pays similaires au Canada en ce qui concerne les peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, qui sont généralement considérées comme étant incompatibles avec à la dignité humaine.
d)            Le pouvoir discrétionnaire du tribunal de cumuler les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle a-t-il une incidence sur la constitutionnalité de la disposition contestée?
[109]                     Au soutien de sa position selon laquelle l’art. 745.51 C. cr. est constitutionnel, le ministère public insiste sur la nature discrétionnaire du pouvoir conféré au tribunal par cette disposition (voir, dans le même sens, R. c. Millard, 2018 ONSC 1299; R. c. Granados-Arana, 2017 ONSC 6785, 356 C.C.C. (3d) 340; R. c. Husbands, [2015] O.J. No. 2673 (QL), 2015 CarswellOnt 7677 (WL) (C.S.J.), inf. par 2017 ONCA 607, 353 C.C.C. (3d) 317, mais non sur ce point). Suivant ce raisonnement, l’infliction d’une peine disproportionnée résulte d’une application erronée de ce pouvoir discrétionnaire par le tribunal et, partant, peut être corrigée au moyen d’un appel plutôt que d’une déclaration d’inconstitutionnalité.
[110]                     Il est vrai que l’infliction de périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle n’est pas obligatoire. L’article 745.51 C. cr. indique en effet que le tribunal peut ordonner le cumul des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle applicables pour chaque condamnation pour meurtre. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal prend en considération le caractère du contrevenant, la nature de l’infraction et les circonstances entourant sa perpétration. À cet égard, je souligne que l’obligation du tribunal de cumuler des périodes d’inadmissibilité par bonds de 25 ans, s’il choisit d’exercer son pouvoir discrétionnaire, se concilie mal avec le principe de la proportionnalité, ainsi que celui de l’individualisation des peines.
[111]                     Quoi qu’il en soit, je suis d’avis, comme il a été expliqué précédemment, que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire ne saurait sauvegarder une disposition qui permet l’infliction d’une peine cruelle et inusitée par nature. En effet, aucun crime, aussi odieux soit-il, ne peut justifier l’infliction d’une peine intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, telle une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle. Étant donné qu’une telle peine doit purement et simplement être exclue de l’arsenal des mesures punitives à la disposition de l’État, la simple possibilité qu’elle puisse être infligée constitue une violation de l’art. 12 de la Charte. Par analogie, une disposition qui prévoirait l’infliction d’un châtiment corporel à titre de peine pour la commission de meurtres multiples — peine qui serait infligée à la discrétion du tribunal et réservée aux criminels les plus ignobles — ne saurait, pour des raisons évidentes, être déclarée conforme à l’art. 12 de la Charte. La même conclusion s’impose ici.
e)            La prérogative royale de clémence peut-elle sauvegarder la disposition contestée?
[112]                     En dernier lieu, il est nécessaire de trancher la question de savoir si la disposition contestée peut être jugée constitutionnelle en raison de l’existence de la prérogative royale de clémence, puisque cette question est l’objet d’un certain débat. À mon avis, le système de libération conditionnelle constitue actuellement le seul mécanisme offrant une possibilité réaliste de remise en liberté aux individus purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité en droit canadien. La prérogative royale de clémence ne peut être considérée comme un véritable mécanisme de révision de la peine, puisqu’elle n’est exercée que dans des circonstances exceptionnelles.
[113]                     La prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté la Reine lui confère le pouvoir discrétionnaire absolu d’accorder une remise de peine à tout individu condamné par un tribunal, et ce, peu importe la nature ou la gravité du crime commis (art. 748 et 749 C. cr.). Cette prérogative découle de l’ancien pouvoir absolu qu’avaient les monarques britanniques de gracier leurs sujets. Historiquement, elle comportait deux volets et visait deux objectifs, soit « faire montre de compassion en libérant un individu du plein effet de sa peine » et « rectifier des erreurs judiciaires telles les condamnations erronées » (Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621, par. 28). Avant l’abolition de la peine de mort, elle était fréquemment utilisée pour commuer cette peine (C. Strange, « Mercy for Murderers? A Historical Perspective on the Royal Prerogative of Mercy » (2001), 64 Sask. L. Rev. 559, p. 561).
[114]                     La personne qui occupe la charge de gouverneur général du Canada est investie du pouvoir d’exercer cette prérogative en vertu des Lettres Patentes (Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947), Gazette du Canada, partie I, vol. 81, p. 3109, art. XII (reproduites dans L.R.C. 1985, app. II, no 31)). Elle agit seulement sur avis du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada ou d’au moins un autre ministre (Commission des libérations conditionnelles du Canada, Directives ministérielles sur la prérogative royale de clémence, 31 octobre 2014 (en ligne), p. 2). Elle peut octroyer deux types de pardon : un pardon absolu et un pardon conditionnel (par. 748(2) C. cr.).
[115]                     L’exercice de la prérogative royale de clémence est réservé « seulement [aux] rares situations dans lesquelles des raisons d’équité et des considérations humanitaires l’emportent sur l’administration normale de la justice » (Directives ministérielles, p. 5). Le pardon ne sera accordé que dans des situations exceptionnelles de grande injustice ou de châtiment trop sévère (p. 3-5). Les Directives ministérielles précisent qu’il ne peut être octroyé qu’aux « personnes qui le méritent vraiment » (p. 3). S’il est difficile de chiffrer le nombre de demandes d’exercice de la prérogative royale de clémence ayant été accordées, il semblerait que ce nombre soit très limité (à titre d’illustration, de 2014-2015 à 2018-2019, 5 demandes de clémence ont été octroyées, 3 ont été refusées et 175 ont été abandonnées (Commission des libérations conditionnelles du Canada, Rapport de surveillance du rendement 2018-2019, p. 128)).
[116]                     Notre Cour a établi que la prérogative royale de clémence faisait partie de l’arsenal des mécanismes permettant de respecter le principe de l’individualisation des peines (Luxton, p. 725). Toutefois, elle n’a jamais reconnu que ce pouvoir discrétionnaire constituait à lui-seul un mécanisme réel de révision des peines. Au contraire, dans Luxton, pour appuyer sa conclusion selon laquelle la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans est constitutionnelle, la Cour a simplement indiqué que la prérogative royale, tout comme les sorties sous surveillance pour raisons humanitaires, démontre que « le Parlement s’est montré conscient de la situation particulière de chaque délinquant » (p. 725). Dans R. c. Heywood, 1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, où il était question de la constitutionnalité d’une disposition restreignant à perpétuité la liberté des contrevenants déclarés coupables d’infractions sexuelles de se trouver dans divers espaces publics sous peine d’emprisonnement, notre Cour a jugé que la prérogative royale de clémence ne constituait pas un « processus acceptable de contrôle », puisqu’elle n’est utilisée qu’exceptionnellement (p. 798). Notre Cour a plutôt considéré que ce pouvoir discrétionnaire représente un mécanisme de dernier recours en cas d’emprisonnement injuste (R. c. Sarson, 1996 CanLII 200 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 223, par. 51; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, par. 89).
[117]                     La prérogative royale de clémence en droit canadien se distingue du pouvoir du ministre d’accorder une libération pour des motifs d’ordre humanitaire qui existe en droit anglais à l’art. 30 de la loi intitulée Crime (Sentences) Act 1997. En 2014, dans l’arrêt McLoughlin, une formation spéciale de la Cour d’appel de l’Angleterre et du Pays de Galles a conclu que le droit anglais offre une possibilité véritable de libération aux individus condamnés à des peines de prison à perpétuité (par. 35). La cour a statué que l’expression [traduction] « motifs d’ordre humanitaire » doit être interprétée largement, conformément à l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que ces motifs ne se limitent pas à ceux énumérés dans le manuel sur les peines de durée indéterminée (McLoughlin, par. 31-33; Royaume-Uni, Ministry of Justice, National Offender Management Service, PSO 4700 — The Indeterminate Sentence Manual (2010), c. 12). En 2017, dans l’affaire Hutchinson, la CEDH a conclu que le droit anglais est conforme à l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’il établit un véritable mécanisme de réexamen qui rend compressibles les peines d’emprisonnement à perpétuité réelle (§§ 57, 70 et 72). La CEDH a considéré que le ministre a l’obligation de libérer un détenu condamné à une peine à perpétuité réelle lorsque « le maintien en détention ne peut plus se justifier par des motifs légitimes d’ordre pénologique » (Hutchinson, § 70). Il semblerait donc que le droit anglais interprète largement ce pouvoir discrétionnaire. En conséquence, ces enseignements ne sont pas pertinents aux fins d’interprétation du pouvoir discrétionnaire conféré par la prérogative royale de clémence en droit canadien.
[118]                     En somme, en raison de son caractère exceptionnel, la prérogative royale de clémence constitue, au mieux, un mécanisme de libération fondé sur la compassion et sur l’existence de motifs humanitaires en droit canadien. De fait, les individus qui subissent les conséquences normales d’une peine régulièrement infligée ne sont pas susceptibles d’obtenir un tel pardon. Les Directives ministérielles l’indiquent clairement : « . . . la prérogative royale ne peut être exercée si les difficultés du demandeur résultent des conséquences normales de l’application de la loi » (p. 4 (je souligne); motifs de la C.S., par. 963 et 967). L’existence de la prérogative royale de clémence ne crée donc aucune possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle pour les contrevenants assujettis à une peine d’emprisonnement à perpétuité qui n’est assortie d’aucun autre mécanisme de révision.
[119]                     Enfin, vu ma conclusion sur la violation de l’art. 12 de la Charte, il n’est pas nécessaire de déterminer si la disposition contestée contrevient également à l’art. 7 (voir Lloyd, par. 38; Nur, par. 110; Boudreault, par. 95).
F.            L’atteinte à l’art. 12 de la Charte est-elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte?
[120]                     Pour qu’une atteinte à un droit garanti par la Charte soit justifiée au regard de l’article premier, l’État a le fardeau de démontrer que le texte de loi contesté répond à un objectif réel et urgent et que le moyen choisi pour réaliser cet objectif est proportionné à celui-ci (R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136-140; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 986). Une loi est proportionnelle lorsque les conditions suivantes sont réunies : « (1) [. . .] il existe un lien rationnel entre le moyen choisi et cet objectif, (2) [. . .] le moyen choisi est de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et (3) [. . .] il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables de ses dispositions et leurs effets bénéfiques » (Nur, par. 111; Oakes, p. 139-140).
[121]                     En l’espèce, les parties appelantes n’ayant présenté aucun argument sur la justification de la disposition attaquée, elles ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait. Quoi qu’il en soit, il est difficile de concevoir qu’une peine cruelle et inusitée par nature puisse se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique. Je note que, dans l’arrêt Nur, notre Cour a indiqué qu’il serait difficile de démontrer qu’une peine « totalement disproportionnée » au regard de l’art. 12 puisse être « proportionnelle pour ce qui est de ses effets préjudiciables et de ses effets bénéfiques aux fins de l’article premier » (par. 111).
G.           La réparation convenable
[122]                     Ayant conclu que la disposition attaquée viole la Charte, je suis d’avis de déclarer l’art. 745.51 C. cr. immédiatement inopérant en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les parties appelantes n’ont par ailleurs proposé aucune solution de rechange devant notre Cour.
[123]                     L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet de déclarer inopérante toute disposition incompatible avec la Constitution. Dans Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679, arrêt de principe en matière de réparations d’ordre constitutionnel, le juge en chef Lamer a précisé que le tribunal peut, selon les circonstances, invalider immédiatement la disposition incompatible, l’invalider et suspendre temporairement l’effet de la déclaration d’invalidité ou encore appliquer les techniques d’interprétation large (« reading in ») ou d’interprétation atténuée (« reading down ») ou encore la doctrine de la dissociation (voir p. 695-700). Lorsque les tribunaux se penchent sur la réparation convenable, ils prennent non seulement en considération le principe de la suprématie de la Constitution énoncé au par. 52(1), mais également ceux de la primauté du droit et de la séparation des pouvoirs dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de réparation (R. c. Albashir, 2021 CSC 48, par. 30 et 34; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, par. 61).
[124]                     Le juge de première instance a statué que le recours à la technique de l’interprétation large était approprié dans les circonstances. Il a en conséquence interprété la disposition comme ayant pour effet d’autoriser le tribunal à cumuler des périodes d’inadmissibilité dont la durée est discrétionnaire, c’est-à-dire « nonobstant les prescriptions de l’article 745 pour tout meurtre additionnel » (par. 1211 (soulignement omis)). Cette interprétation lui permettant d’opter pour une période additionnelle inférieure à 25 ans, il a ainsi ordonné que l’intimé purge un temps d’épreuve total de 40 ans avant de demander la libération conditionnelle.
[125]                     À cet égard, à l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis que le juge de première instance a fait erreur en optant pour l’interprétation large en tant que réparation (par. 154).
[126]                     La technique de l’interprétation large permet au tribunal d’élargir la portée d’un texte de loi pour que celui-ci inclue ce qui en a été exclu à tort (Schachter, p. 698; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, par. 113). À titre d’exemple, lorsqu’un texte de loi exclut un groupe d’individus de manière inconstitutionnelle, plutôt que d’invalider ce texte, le tribunal peut considérer que celui-ci inclut ce groupe (Schachter, p. 699-700; voir aussi Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143). La seconde technique, soit l’interprétation atténuée, consiste pour un tribunal à limiter la portée d’un texte de loi en déclarant celui-ci inopérant dans une mesure qu’il définit avec précision (G, par. 113). Pour ce qui est de la dissociation, cette technique permet au tribunal de déclarer inopérant un élément « que la loi inclut à tort et qui peut en être dissoci[é] et annul[é] » (Schachter, p. 698; G, par. 113).
[127]                     Le tribunal ne peut appliquer ces techniques que « dans les cas les plus clairs », et pour y recourir il doit être en mesure d’isoler la partie attentatoire du texte de loi (Schachter, p. 725; voir aussi p. 697). Dans l’arrêt R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, la juge en chef McLachlin a indiqué que le recours à ces solutions de rechange à l’invalidation est approprié en présence d’une « disposition législative substantiellement constitutionnelle et marginalement problématique » (par. 111). Il s’ensuit que le recours à l’une ou l’autre de ces techniques n’est souvent pas approprié (G, par. 114).
[128]                     L’utilisation de ces techniques d’interprétation doit demeurer respectueuse du rôle du législateur et fidèle à l’objectif visé par le texte de loi en cause. Dans l’arrêt Schachter, le juge en chef Lamer a précisé que, « dans certains cas, la dissociation de la partie fautive sera plus attentatoire à l’objectif législatif que l’annulation possible des dispositions qui ne sont pas fautives » (p. 697). Cette mise en garde vaut également pour l’interprétation large (Schachter, p. 725). Dans tous les cas, le tribunal doit s’assurer que l’interprétation qu’il propose est aussi fidèle que possible au texte de loi adopté par le législateur, le tout conformément aux exigences de la Constitution (Schachter, p. 700). Comme l’a indiqué la Cour dans l’arrêt Ferguson, lorsque le tribunal choisit l’une de ces techniques, « il part du principe que, si le législateur avait su que la disposition était entachée d’un vice sur le plan constitutionnel, il l’aurait probablement édictée sous la forme modifiée que lui donne maintenant le tribunal » (par. 51). En conséquence, « [s]’il n’est pas clair que le législateur aurait édicté la disposition avec les modifications envisagées par le tribunal — ou s’il est probable qu’il ne l’aurait pas fait —, le tribunal empiéterait de façon injustifiée sur le domaine législatif en les introduisant » (Ferguson, par. 51 (en italique dans l’original); G, par. 114). Dans un tel contexte, l’invalidation de la disposition inconstitutionnelle représente la solution la moins attentatoire (Ferguson, par. 51 et 65).
[129]                     En l’espèce, de l’avis du juge de première instance, comme l’incompatibilité constitutionnelle de l’art. 745.51 C. cr. « n’affecte en rien le cœur même de cette disposition » (par. 1187), le recours à l’interprétation large est approprié pour remédier à son inconstitutionnalité. Selon le premier juge, une interprétation large de la disposition contestée répond aux objectifs du législateur « [de] favoriser la proportionnalité, [de] s’assurer que les auteurs de meurtres multiples paient un “juste dû” pour leurs crimes, [de] renforcer l’objectif de dénonciation et [d’]assurer la protection de la société » (par. 1172).
[130]                     Tout comme la Cour d’appel, je considère que le premier juge a outrepassé les limites de ses fonctions judiciaires. La disposition contestée ne pouvait être sauvegardée par l’application de la technique de l’interprétation large. En élargissant le pouvoir discrétionnaire conféré au tribunal, le premier juge est allé à l’encontre de l’objectif du législateur. De fait, il a omis de considérer que le cumul de périodes d’inadmissibilité de 25 ans est directement lié à l’objectif poursuivi par le législateur par l’édiction de l’art. 745.51 C. cr. À cet égard, le texte de loi de même que les débats parlementaires constituent des indices qui nous éclairent sur l’objet de la disposition (voir Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 81).
[131]                     En premier lieu, le texte de l’art. 745.51 C. cr. est clair en ce qui concerne la durée des périodes d’inadmissibilité susceptibles d’être cumulées par le tribunal : « Au moment de prononcer la peine conformément à l’article 745, le juge qui préside le procès [. . .] peut [. . .] ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement ». Pour un meurtre au premier degré, ces périodes sont forcément de 25 ans en vertu de l’al. 745a) C. cr.
[132]                     En deuxième lieu, les débats parlementaires, qui sont fort instructifs en l’espèce, illustrent clairement que l’intention du législateur était de permettre au tribunal de cumuler les périodes d’inadmissibilité prescrites à l’art. 745 C. cr. Dans le cas du contrevenant déclaré coupable de plus d’un meurtre au premier degré, le tribunal n’a d’autre choix que de procéder au cumul des périodes d’inadmissibilité par bonds de 25 ans (Débats de la Chambre des communes, vol. 145, no 96, 3e sess., 40e lég., 15 novembre 2010, p. 5931; Débats de la Chambre des communes, vol. 145, no 121, 3e sess., 40e lég., 1er février 2011, p. 7510). L’interprétation préconisée par le juge de première instance a d’ailleurs été expressément rejetée par le législateur. En effet, on avait proposé d’apporter au projet de loi un amendement qui aurait conféré au tribunal un pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la durée totale de la période additionnelle d’inadmissibilité à la libération conditionnelle (Débats de la Chambre des communes, 1er février 2011, p. 7515; voir aussi Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 42, 3e sess., 40e lég., 9 décembre 2010, p. 10-11). En dépit de cette proposition, le législateur a opté pour l’infliction de périodes d’inadmissibilité d’une durée fixe de 25 ans chacune, sans possibilité de modulation par le tribunal (Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelle, no 22, 3e sess., 40e lég., 2 mars 2011, p. 10-11 et 23-24).
[133]                     En conséquence, puisqu’il est impossible de conclure que le législateur aurait probablement adopté la disposition attaquée avec les modifications proposées par le premier juge, le recours à l’interprétation large était inapproprié. Le législateur a délibérément choisi d’exclure l’approche retenue par le juge de première instance. Ainsi, en optant pour la réparation que constitue l’interprétation large, le premier juge a empiété de façon injustifiée sur les attributions du législateur. Dans les circonstances, notre Cour n’a d’autre choix que de déclarer invalide l’art. 745.51 C. cr.
[134]                     En ce qui concerne la portée temporelle de la déclaration d’invalidité, elle doit avoir un effet immédiat en raison de la gravité de la violation du droit de toute personne à la protection contre l’infliction d’une peine cruelle et inusitée. Afin de faire cesser la violation continue de l’art. 12 de la Charte, cette déclaration assortie d’une prise d’effet immédiate doit invalider rétroactivement la disposition contestée à compter de la date de l’adoption de celle-ci en 2011.
[135]                     Lorsqu’une disposition législative inconstitutionnelle est déclarée inopérante immédiatement, en application du par. 52(1), elle cesse à partir de ce moment de s’appliquer. Une telle déclaration a généralement une portée rétroactive qui invalide la disposition à partir de la date de son adoption (Albashir, par. 38-39 et 43; Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429, par. 82-83; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 28). La rétroactivité bénéficie aux parties en ce qu’elle permet de remonter dans le temps pour annuler les effets de la disposition jugée inconstitutionnelle (Hislop, par. 82; voir aussi Boudreault, par. 103). Le bénéfice de la rétroaction permet de plus aux personnes dont l’affaire est toujours « en cours » de faire appel pour des motifs constitutionnels (Boudreault, par. 103; R. c. Thomas, 1990 CanLII 141 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 713, p. 716).
[136]                     La doctrine de l’autorité de la chose jugée tempère toutefois l’application du principe selon lequel les réparations accordées en vertu du par. 52(1) ont un effet rétroactif (Albashir, par. 61). L’autorité de la chose jugée empêche de « rouvrir les dossiers sur lesquels les tribunaux ont statué en fonction de lois invalides » (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, p. 757). En matière de condamnation pénale, il est généralement établi que les dossiers qui ne sont plus en cours dans le système ne peuvent être rouverts, même si les dispositions en vertu desquelles les accusés ont été reconnus coupables ont été ultérieurement déclarées inconstitutionnelles (R. c. Wigman, 1985 CanLII 1 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 246, p. 257; Thomas, p. 716; Sarson, par. 25-27). Les tribunaux peuvent toutefois accueillir « une demande de réparation fondée sur la Charte dans une situation où il y a “actuellement violation continue” d’un droit protégé par la Charte, même si l’atteinte tire ses origines d’une ordonnance valide et inattaquable au plan juridique » (Boudreault, par. 107, citant R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595, p. 630).
[137]                     Dans l’arrêt Boudreault, notre Cour a conclu que la primauté du droit, dont l’un des piliers est le principe de l’autorité de la chose jugée, ne saurait autoriser « l’infliction continue d’une peine cruelle et inusitée qui ne peut se justifier dans une société libre et démocratique » (par. 105-106). Cette conclusion est d’autant plus vraie dans le cas d’une peine cruelle et inusitée par nature comme en l’espèce. Dans la présente affaire, il est question du cumul de périodes d’inadmissibilité de 25 ans en cas de meurtres multiples au premier degré en vertu de l’art. 745.51 C. cr. En application de cette disposition inconstitutionnelle, des contrevenants ont été condamnés à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 50 ans, et même 75 ans. Une telle peine est de nature dégradante, et donc contraire à la dignité humaine, car elle anéantit toute possibilité de réinsertion sociale. Tout contrevenant qui, en vertu de l’art. 745.51 C. cr., s’est vu imposer une période de temps d’épreuve de 50 ans ou plus — que ce soit pour des meurtres multiples au premier degré, au deuxième degré ou une combinaison des deux — doit pouvoir demander réparation. Si le dossier de certains d’entre eux n’est plus devant les tribunaux, la violation de leur droit garanti à l’art. 12 de la Charte, elle, est continue, dans la mesure où ces derniers demeurent totalement privés d’accès à la libération conditionnelle. L’autorité de la chose jugée ne peut interdire la présentation de demandes visant à faire cesser cette violation continue de l’art. 12 de la Charte. Ces personnes pourraient donc s’adresser aux tribunaux et demander réparation, notamment en vertu du par. 24(1) de la Charte (Boudreault, par. 109; Gamble, p. 649). En dernier lieu, comme notre Cour a limité son analyse à l’infliction de périodes d’inadmissibilité de 50 ans et plus, rien n’empêche les contrevenants assujettis à un cumul de moins de 50 ans en vertu de la disposition invalidée de faire valoir une violation continue de leur droit constitutionnel, à charge d’en faire la démonstration dans chaque cas.
[138]                     En ce qui concerne l’intimé, l’art. 745.51 C. cr. étant déclaré invalide immédiatement et la déclaration d’invalidité étant rétroactive à la date de l’adoption de cette disposition, le droit applicable est celui qui existait avant cette date. Les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans auxquelles est assujetti l’intimé pour chacun des 6 chefs de meurtre au premier degré doivent en conséquence être purgées concurremment. Ainsi, conformément à l’al. 745a) C. cr., l’intimé ne pourra présenter de demande de libération conditionnelle avant d’avoir purgé un temps d’épreuve total de 25 ans. La Commission demeure l’arbitre qui décidera ultimement si l’intimé pourra obtenir une libération conditionnelle à la fin de la période d’inadmissibilité.
V.           Conclusion
[139]                     En somme, en prescrivant le cumul de périodes d’inadmissibilité de 25 ans, la disposition attaquée autorise l’infliction d’une peine de nature dégradante, incompatible avec la dignité humaine. En vertu de cette disposition, un tribunal est habilité à condamner un contrevenant à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle avant 50, 75, voire 150 ans. En d’autres termes, dans le contexte de meurtres multiples au premier degré, tout contrevenant visé par cette disposition est destiné à passer le reste de ses jours derrière les barreaux, la peine de certains pouvant même excéder l’espérance de vie humaine.
[140]                     Non seulement de telles peines déconsidèrent l’administration de la justice, mais elles sont cruelles et inusitées par nature et violent de ce fait l’art. 12 de la Charte. Ces peines sont intrinsèquement incompatibles avec la dignité humaine en raison de leur caractère dégradant, car elles nient l’autonomie morale des contrevenants en leur retirant, de manière anticipée et définitive, toute possibilité de réinsertion sociale. Les peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité réaliste de libération conditionnelle sont de surcroît susceptibles de causer des effets dévastateurs chez les contrevenants, qui se voient ainsi privés de tout incitatif à se réhabiliter et pour qui seule la mort mettra un terme à leur incarcération. 
[141]                     Le législateur ne peut prescrire une peine qui réduit à néant l’objectif de réhabilitation de manière anticipée et irréversible pour l’ensemble des contrevenants. Cet objectif pénologique est intimement lié à la dignité humaine, en ce qu’il exprime la conviction que chaque personne porte en elle la capacité de se réformer et de réintégrer la société. Pour que l’objectif de réinsertion sociale ne reste pas lettre morte, tout détenu doit bénéficier d’une possibilité réaliste de demander une libération conditionnelle, à tout le moins avant l’expiration de la période de temps d’épreuve minimale de 50 ans prescrite par la disposition contestée en cas de meurtres au premier degré. Ce qui est en jeu, c’est notre engagement, comme société, envers le respect de la dignité humaine et de la valeur inhérente à chaque personne, aussi abominables que soient les crimes qu’elle a commis.
[142]                     Qu’on me comprenne bien. Cette conclusion d’inconstitutionnalité du cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans ne doit pas être perçue comme une dévalorisation de la vie de chacune des victimes innocentes. Tous conviennent que les meurtres multiples sont des actes intrinsèquement ignobles et représentent les crimes les plus graves qui soient, dont les séquelles sont permanentes. Le présent pourvoi ne porte pas sur la valeur de chaque vie humaine, mais bien sur les limites du pouvoir de l’État de punir des contrevenants, un pouvoir qui, dans une société fondée sur la primauté du droit, doit être exercé de manière conforme à la Constitution.
[143]                     Dans les circonstances, notre Cour n’a d’autre choix que de déclarer invalide immédiatement l’art. 745.51 C. cr. Cette déclaration a pour effet d’invalider rétroactivement cette disposition à compter de son adoption en 2011. Le droit applicable est donc celui qui existait antérieurement à cette date. En conséquence, l’intimé doit se voir infliger une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle pour une période totale de 25 ans.
[144]                     L’intimé a commis des crimes horribles, qui ont endommagé notre tissu social. Motivé par la haine, il a enlevé la vie à six victimes innocentes et causé des séquelles physiques et psychologiques graves, voire permanentes, aux survivants de la tuerie. Il a non seulement laissé des familles dévastées, mais il a également suscité un état de douleur et d’angoisse au sein de toute une communauté, la communauté musulmane de Québec et de l’ensemble du Canada, dont plusieurs membres continuent de craindre pour leur sécurité. Il a en outre fait naître un profond sentiment de tristesse et d’indignation chez tous les Canadiens et les Canadiennes par suite de ses crimes haineux, qui ont ébranlé les fondements mêmes sur lesquels repose notre société.
[145]                     Malheureusement, la présente affaire n’est qu’un exemple parmi d’autres des crimes qui sont commis par des meurtriers multiples et qui choquent notre conscience collective. Mentionnons également les meurtres que commettent des prédateurs sexuels qui n’accordent aucune valeur à la vie de leurs victimes et qui, tant qu’ils n’ont pas été appréhendés, laissent des communautés entières dans un état de peur et de terreur. Pensons aussi aux terroristes qui cherchent à détruire l’ordre politique du Canada, sans se soucier des dévastations et des pertes de vie que pourraient entraîner leurs crimes.
[146]                     Cependant, l’horreur des crimes ne nie pas la proposition fondamentale que tous les êtres humains portent en eux la capacité de se réhabiliter et qu’en conséquence, les peines qui ne tiennent pas compte de cette qualité humaine vont à l’encontre des principes qui sous-tendent l’art. 12 de la Charte.
[147]                     Tous les meurtriers multiples reçoivent une peine minimale d’emprisonnement à vie. Dans l’état actuel du droit, ces derniers sont admissibles à la libération conditionnelle après 25 ans en cas de meurtres au premier degré. L’admissibilité à la libération conditionnelle n’est pas un droit à la libération conditionnelle. L’expérience montre que la Commission procède généralement avec soin et prudence avant de prendre une décision aussi importante que celle de remettre en liberté des meurtriers multiples. La protection du public est le critère prépondérant dans le processus décisionnel de la Commission, mais celle-ci tient également compte d’autres facteurs tels que la gravité de l’infraction et son impact sur les victimes. Il peut être réconfortant, dans une certaine mesure, de savoir que des preuves convaincantes de réhabilitation sont exigées avant que les auteurs de tels crimes ne soient remis en liberté sous condition.
[148]                     Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté.
 
                    Pourvoi rejeté.
                    Procureur de l’appelante Sa Majesté la Reine : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Québec.
                    Procureur de l’appelant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Québec.
                    Procureur de l’intimé : Centre communautaire juridique de Québec, Québec.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Montréal.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse : Procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Justice and Solicitor General, Appeals, Education & Prosecution Policy Branch, Calgary.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association des avocats de la défense de Montréal‑Laval‑Longueuil : Juristes Power, Montréal.
                    Procureurs de l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic : Embry Dann, Toronto.
                    Procureurs des intervenants Toronto Police Association, l’Association canadienne des policiers, Karen Fraser, Jennifer Sweet, Nicole Sweet, Kim Sweet, John Sweet, J. Robert Sweet, Charles Sweet, Patricia Corcoran, Ann Parker, Ted Baylis, Sharon Baylis, Cory Baylis, Michael Leone, Doug French, Donna French et Deborah Mahaffy : Danson Recht, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant l’Observatoire des mesures visant la sécurité nationale : Université de Montréal — Faculté de droit, Montréal.
                    Procureurs de l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society : Melville Law Chambers, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenante Canadian Prison Law Association : Borys Law, Kingston.
                    Procureur de l’intervenant le Conseil national des musulmans canadiens : Conseil national des musulmans canadiens, Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Ruby Shiller Enenajor DiGiuseppe, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Henein Hutchison, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des chefs de police : Calgary Police Service — Legal Services Division, Calgary; York Regional Police, Aurora (Ont.).

[1]   La peine de mort est demeurée en vigueur à l’égard d’infractions d’ordre militaire jusqu’en 1999 (Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, L.C. 1998, c. 35).
[2] Straffeloven (Danemark), art. 41; Rikoslaki (Finlande), c. 2(c), art. 10; Strafgesetzbuch (Allemagne), art. 57a; Code pénal suisse, art. 86 al. 5; Code de procédure pénale (France), art. 729 al. 4 et art. 720-4 al. 2.
[3] Straffeloven (Norvège), art. 43.



Analyses

inadmissibilité ; libération conditionnelle ; dignité humaine ; emprisonnement ; contrevenants ; meurtres ; perpétuité ; peines ; Charte ; nature ; premier degré ; possibilité réaliste ; tribunaux ; inusitées ; disposition contestée ; protection


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Bissonnette

Références :
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 27 mai 2022, R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23


Origine de la décision
Date de la décision : 27/05/2022
Date de l'import : 19/12/2022

Fonds documentaire ?: CAIJ


Numérotation
Référence neutre : 2022CSC23 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-05-27;2022csc23 ?

Source

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