COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 2007 CSC 22
Date : 20070531
Dossier : 30823
Entre :
Banque canadienne de l’Ouest, Banque de Montréal, Banque Canadienne
Impériale de Commerce, Banque HSBC Canada, Banque Nationale du Canada,
Banque Royale du Canada, Banque de Nouvelle‑Écosse et Banque Toronto‑Dominion
Appelantes
et
Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta
Intimée
‑ et ‑
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général
du Québec, procureur général du Nouveau‑Brunswick, procureur général de la Colombie‑Britannique, procureur général de la Saskatchewan, Alberta Insurance Council, Association des conseillers en finance du Canada, Compagnie d’Assurance-Vie
AIG du Canada, Compagnie d’Assurance du Canada sur la Vie, La Capitale assureur de
l’administration publique Inc., La Capitale assurances et gestion du
patrimoine Inc., Compagnie d’Assurance-Vie CUMIS, Desjardins Sécurité financière, Compagnie d’Assurance-Vie, Empire, Compagnie d’Assurance-Vie, Équitable,
Compagnie d’Assurance-Vie du Canada, Great‑West, Compagnie d’Assurance-Vie, Industrielle Alliance, Assurance et services financiers Inc., Industrielle Alliance
Pacifique, Compagnie d’Assurance sur la Vie, London Life Compagnie
d’Assurance-Vie, Compagnie d’Assurance-Vie Manufacturers, Compagnie
d’Assurance Standard Life du Canada, Sun Life du Canada, Compagnie
d’Assurance-Vie et Compagnie d’Assurance-Vie Transamerica du Canada
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement conjoints :
(par. 1 à 110)
Motifs concordants :
(par. 111 à 129)
Les juges Binnie et LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella et Charron)
Le juge Bastarache
______________________________
Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 2007 CSC 22
Banque canadienne de l’Ouest, Banque de Montréal, Banque
Canadienne Impériale de Commerce, Banque HSBC Canada,
Banque Nationale du Canada, Banque Royale du Canada,
Banque de Nouvelle‑Écosse et Banque Toronto‑Dominion Appelantes
c.
Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta Intimée
et
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec, procureur général du
Nouveau‑Brunswick, procureur général de la Colombie‑Britannique,
procureur général de la Saskatchewan, Alberta Insurance
Council, Association des conseillers en finance du Canada,
Compagnie d’Assurance‑Vie AIG du Canada, Compagnie
d’Assurance du Canada sur la Vie, La Capitale assureur de
l’administration publique Inc., La Capitale assurances et gestion
du patrimoine Inc., Compagnie d’Assurance‑Vie CUMIS,
Desjardins Sécurité financière, Compagnie d’Assurance‑Vie,
Empire, Compagnie d’Assurance‑Vie, Équitable, Compagnie
d’Assurance‑Vie du Canada, Great‑West, Compagnie
d’Assurance‑Vie, Industrielle Alliance, Assurance et services
financiers Inc., Industrielle Alliance Pacifique, Compagnie
d’Assurance sur la Vie, London Life Compagnie
d’Assurance‑Vie, Compagnie d’Assurance‑Vie Manufacturers,
Compagnie d’Assurance Standard Life du Canada, Sun Life du
Canada, Compagnie d’Assurance‑Vie et Compagnie
d’Assurance‑Vie Transamerica du Canada Intervenants
Répertorié : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta
Référence neutre : 2007 CSC 22.
No du greffe : 30823.
2006 : 11 avril; 2007 : 31 mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges McFadyen, Hunt et Berger) (2005), 39 Alta. L.R. (4th) 1, 361 A.R. 112, 249 D.L.R. (4th) 523, [2005] 6 W.W.R. 226, 18 C.C.L.I. (4th) 161, [2005] A.J. No. 21 (QL), 2005 ABCA 12, qui a confirmé une décision du juge Slatter (2003), 21 Alta. L.R. (4th) 22, 343 A.R. 89, [2004] 5 W.W.R. 108, 4 C.C.L.I. (4th) 59, [2003] A.J. No. 1166 (QL), 2003 ABQB 795. Pourvoi rejeté.
Neil Finkelstein, Jeffrey W. Galway et Catherine Beagan Flood, pour les appelantes.
Robert J. Normey, L. Christine Enns et Nick Parker, pour l’intimée.
Peter M. Southey, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Robin K. Basu et Bay Ryley, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Alain Gingras, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
John G. Furey, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Sarah Macdonald, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Thomson Irvine et James Hall, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Katharine L. Hurlburt et Dale Gibson, pour l’intervenante Alberta Insurance Council.
David Stratas et Sara Gelgor, pour l’intervenante l’Association des conseillers en finance du Canada.
Terrence J. O’Sullivan et M. Paul Michell, pour les intervenantes Compagnie d’Assurance‑Vie AIG du Canada et autres.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron rendu par
Les juges Binnie et LeBel —
I. Introduction
1 Les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont dû penser que le contenu de la compétence fédérale sur « [l]es banques, l’incorporation des banques et l’émission du papier‑monnaie » (par. 91(15)) était suffisamment clair. Selon une jurisprudence ancienne, les opérations bancaires englobent plus ou moins ce qui [traduction] « entre dans l’entreprise légitime d’un banquier » (Tennant c. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31 (C.P.), p. 46). Les activités des banquiers, de nos jours, ne se limitent pas à celles auxquelles se livraient leurs prédécesseurs au dix‑neuvième siècle. Au cours des dernières années, ils ont convaincu le Parlement de leur donner accès à des secteurs d’activités qui leur étaient autrefois fermés, comme la promotion (mais non la souscription) de certaines assurances. De façon plus générale, les distinctions entre les [traduction] « quatre piliers » traditionnels du secteur canadien des services financiers, qui se divisaient jadis nettement en banques, sociétés de fiducie, sociétés d’assurances et maisons de courtage de valeurs, les premières étant assujetties à la réglementation fédérale et les trois dernières à celle des provinces, se sont d’ailleurs estompées.
2 La question qui se pose dans le présent pourvoi concerne la mesure dans laquelle les banques, en tant qu’institutions financières régies par le droit fédéral, doivent respecter les lois provinciales réglementant la promotion et la vente d’assurance. Plus particulièrement, nous sommes appelés à décider si et dans quelle mesure les règles de surveillance des pratiques du marché visant la protection du consommateur contenues dans la loi de l’Alberta intitulée Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, s’appliquent à la promotion par les banques d’assurance liée au crédit maintenant permise en vertu de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, modifiée.
3 Les banques appelantes affirment que la réglementation provinciale sur les assurances touche au cœur même de l’essence des banques, à savoir l’amélioration de la sécurité des portefeuilles de prêts. Comme l’a dit l’avocat des appelantes, [traduction] « la principale raison d’être de cette assurance, si liée à l’octroi de prêts par les banques, est la garantie accessoire des prêts consentis par celles‑ci » (transcription, p. 23) et une telle promotion, par conséquent, [traduction] « constitue un aspect fondamental des activités des banques, qui consistent à prêter de l’argent et à prendre des garanties » (transcription, p. 11). En outre, [traduction] « le prêt d’argent et l’amélioration de la sécurité sont étroitement interreliés et sont tous deux des éléments du contenu essentiel des opérations bancaires » (transcription, p. 13). Selon les appelantes, on ne saurait permettre que cette réglementation agisse sur un élément aussi essentiel de leur entreprise bancaire. Subsidiairement, les appelantes plaident qu’il existe un conflit d’application entre la réglementation provinciale et la Loi sur les banques et ses règlements, et que l’application de la loi provinciale entraverait la réalisation de l’objectif du Parlement.
4 Nous sommes d’accord avec les tribunaux de l’Alberta qui ont conclu qu’il faut rejeter la demande des appelantes fondée sur la doctrine de l’exclusivité des compétences. Le fait que le Parlement permette aux banques d’avoir accès à un secteur d’activités régi par le droit provincial comme les assurances ne peut, par le jeu d’une loi fédérale, élargir unilatéralement la portée de la compétence législative exclusive accordée par la Loi constitutionnelle de 1867. Lorsqu’elles font de la promotion d’assurance, les banques se livrent au commerce de l’assurance, et comme la preuve l’a clairement établi, ce n’est qu’accessoirement qu’elles améliorent la sécurité de leurs portefeuilles de prêts. Certes, cela signifie que les banques doivent respecter à la fois les lois fédérales et provinciales, mais lorsque des entités régies par le droit fédéral participent à des activités réglementées par les lois provinciales, il en résulte forcément un certain chevauchement de compétences. Néanmoins, la règle de la prépondérance n’entre pas en jeu. En l’absence de conflit avec une loi fédérale valide, les textes législatifs provinciaux valides s’appliquent. Il n’existe en l’espèce aucun conflit d’application. Le respect des lois provinciales sur l’assurance par les banques n’entrave pas la réalisation de l’objectif du Parlement mais la favorise. À l’égard des deux volets de l’argumentation des appelantes, le pourvoi doit être rejeté.
II. Les faits
5 Les modifications apportées à la Loi sur les banques en 1991 ont permis aux banques de se lancer dans la promotion de certains types d’assurances, une activité dont elles avaient depuis toujours été exclues. Dans une brochure d’information destinée aux consommateurs intitulée Guide des services financiers canadiens : Votre guide des produits et services financiers (1999), l’Association des banquiers canadiens a décrit ainsi cette évolution :
Jusqu’au milieu du 20e siècle, les banques avaient pour premier mandat d’agir comme intermédiaire financier, en recueillant les dépôts des épargnants et en les mettant à la disposition des emprunteurs. Si leurs principales activités demeurent toujours les dépôts et les prêts, les banques les ont élargies pour offrir des centaines de produits et de services différents à une clientèle variée. Parmi cet éventail, on trouve les comptes d’épargne et de chèques de base, les REER, les mandats bancaires, les services de change, les lettres de crédit, les prêts hypothécaires, la planification financière, les produits d’assurance comme l’assurance‑vie des créanciers et les placements. [Je souligne; p. 5.]
6 Plus particulièrement, la Loi sur les banques et son Règlement sur le commerce de l’assurance (banques et sociétés de portefeuille bancaires), DORS/92‑330 (« RCA »), autorisent maintenant les banques à faire la promotion, dans leurs succursales, des huit types d’assurances (« assurance autorisée ») suivants :
a) assurance carte de crédit ou de paiement : cette assurance couvre les dommages causés aux marchandises achetées par carte de crédit, y compris les véhicules loués;
b) assurance‑invalidité de crédit : l’assureur s’engage à rembourser la totalité ou une partie du prêt en cas d’invalidité du débiteur. Le bénéficiaire de la police est la banque. Le montant de l’assurance correspond habituellement à celui des paiements exigibles durant la période d’invalidité;
c) assurance‑vie de crédit : il s’agit d’une police d’assurance collective qui rembourse le prêt au décès du débiteur. Le bénéficiaire est la banque, et le montant de l’assurance correspond au solde courant du prêt, sous réserve des limites fixées par la police;
d) assurance crédit en cas de perte d’emploi : l’assureur rembourse la totalité ou une partie de la dette envers la banque en cas de perte d’emploi du débiteur. Le bénéficiaire est la banque, et le montant de l’assurance correspond généralement à celui des paiements exigibles pendant que le débiteur est sans emploi;
e) assurance crédit pour stocks de véhicules : l’assureur couvre les dommages causés aux véhicules que les clients de la banque (habituellement des concessionnaires) ont en stock lorsque ces véhicules ont été financés par la banque et cédés en garantie du remboursement du prêt consenti par celle‑ci;
f) assurance crédit des exportateurs : l’assureur protège l’exportateur contre le défaut de paiement par l’acheteur des biens. Lorsque la banque finance l’entreprise de l’exportateur, l’assurance lui est généralement cédée en garantie du remboursement du prêt;
g) assurance hypothèque : cette assurance protège la banque contre la défaillance d’un débiteur hypothécaire. Le bénéficiaire est la banque, et la somme payable en vertu de la police correspond au solde courant de l’hypothèque (habituellement le produit net après forclusion), et le risque assuré est la défaillance du débiteur hypothécaire;
h) assurance voyage : l’assureur s’engage à compenser les pertes résultant de l’annulation de voyages, la perte de biens personnels pendant un voyage et la perte de bagages, ainsi qu’à rembourser les dépenses médicales engagées pendant un voyage.
7 La preuve démontre qu’une forte proportion des clients des banques achètent de l’assurance liée au crédit. Donc, même si l’achat est facultatif, il reste que la promotion d’assurance à titre de garantie peut, dans une certaine mesure, améliorer la sécurité de l’ensemble des portefeuilles de prêts des banques. Le juge de première instance a accordé peu d’importance à cette incidence. Il a conclu que les banques exigent généralement une garantie suffisante avant que le prêt soit consenti, et la décision d’accorder le crédit n’est pas modifiée par la suite si le débiteur décline l’offre d’assurance facultative. Du point de vue de la banque, sa position est déjà pleinement protégée. La possibilité d’obtenir encore plus de garantie sous la forme d’une assurance achetée après coup revient donc, pour ainsi dire, à coiffer l’Olympe de la montagne Pelée.
8 Le juge de première instance a fait observer que de ces huit types de « produits » d’assurance, seules l’assurance hypothèque et l’assurance des exportateurs couvrent véritablement le risque de défaillance à l’égard du remboursement d’un prêt. L’assurance carte de crédit et l’assurance voyage, dont l’assurance individuelle contre les accidents, par contre, ne possèdent aucun lien significatif avec le montant d’un prêt contracté auprès d’une banque, et sont payables indépendamment de toute défaillance. Tout en reconnaissant que l’assurance contre l’invalidité, le décès ou la perte d’emploi d’un client améliore la sécurité du portefeuille de prêts de la banque, il a rappelé que le risque assuré n’est pas la défaillance à l’égard du remboursement du prêt mais l’invalidité, le décès ou la perte d’emploi de l’assuré. La promotion de cette assurance, qui est entièrement facultative pour l’emprunteur, est assurée en misant sur la tranquillité d’esprit qu’elle apporte à l’emprunteur (et non à la banque). Lorsque le risque se concrétise, on demande généralement à l’assureur de verser le produit de l’assurance directement à la banque, et ce, même si le prêt reste en règle et que la capacité de payer de l’assuré n’est pas mise en doute. Comme le juge de première instance l’a souligné, [traduction] « [s]’il est vrai que la suppression de l’obligation des banques de poursuivre les veuves et les orphelins peut améliorer la relation banque‑client, il est toutefois difficile d’apprécier l’importance de ce facteur » ((2003), 343 A.R. 89, 2003 ABQB 795, par. 41).
9 Le juge de première instance a ajouté que la façon dont les banques font la promotion de l’assurance varie quelque peu d’un produit à l’autre. Les polices d’assurances carte de crédit et voyage sont généralement vendues en tant que caractéristiques des cartes de crédit. La promotion de l’assurance hypothèque est faite au moment où les hypothèques sont consenties (bien qu’elle soit obligatoire, selon l’art. 418 de la Loi sur les banques, dans le cas d’un prêt hypothécaire à proportion élevée excédant 75 pour 100 de la valeur de la résidence hypothéquée). La promotion de l’assurance relative à la survenance d’une catastrophe dans la vie du débiteur (invalidité, perte d’emploi et décès) se fait parfois au moment où le prêt est contracté, parfois d’une manière indépendante, par publipostage direct ou par l’intermédiaire de télévendeurs. Si l’emprunteur répond par la négative à certaines questions sur sa santé, l’assurance est automatiquement approuvée dans le cadre d’une police collective.
10 En l’an 2000, l’Alberta a apporté à son Insurance Act des modifications visant à assujettir les banques à charte fédérale au régime provincial de délivrance de permis régissant la promotion des produits d’assurance. Selon l’art. 454, une banque qui désire faire de la promotion d’assurance doit obtenir un [traduction] « certificat restreint d’agent d’assurance ». Les banques sont ainsi devenues assujetties à la réglementation sur les normes du marché comme, par exemple, l’art. 486 qui exige la mise en place d’une procédure de formation, l’art. 500 qui vise les fausses déclarations concernant les primes nivelées, et les art. 480 et 764 qui prévoient des sanctions en cas de non‑respect de la loi et de mauvaise conduite. La loi habilite en outre le ministre provincial des Finances à prendre des règlements concernant la déontologie et les pratiques opérationnelles et commerciales des agents. Il s’agit de dispositions législatives visant la protection du consommateur.
11 Dès l’entrée en vigueur de l’Insurance Act, les banques appelantes ont sollicité un jugement déclarant que la promotion d’assurance à laquelle elles se livrent entre dans la catégorie des opérations des « banques » énoncée au par. 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867, et que l’Insurance Act et ses règlements d’application sont constitutionnellement inapplicables ou inopérants à l’égard de la promotion d’assurance par les banques.
III. Historique judiciaire
A. Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (2003), 343 A.R. 89, 2003 ABQB 795
12 Le juge Slatter a fait observer que, sauf pour les hypothèques dont le montant excède 75 pour 100 de la valeur de la résidence, l’achat d’assurance par un client de la banque est facultatif. Cet achat étant facultatif, il n’est sûrement pas considéré par la banque comme un élément vital et essentiel de son entreprise. Le juge de première instance a conclu, au regard de la preuve, que dans la majorité des cas où le prêt est remboursé par assurance, l’emprunteur aurait de toute façon été en mesure de procéder audit remboursement sans l’assurance. Le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que [traduction] « l’incidence globale sur la valeur du portefeuille est de faible importance et ne constitue pas la principale raison pour laquelle les banques font la promotion d’assurance » (par. 48). Il a plutôt conclu ce qui suit :
[traduction] Dans le présent dossier, il est clair que la raison première qui pousse les banques à vouloir faire la promotion d’assurance autorisée tient au fait qu’elles en tirent un bénéfice. La vente d’assurance ne représente ni plus ni moins qu’une autre gamme de produits. [par. 53]
13 Le juge Slatter a jugé que l’Insurance Act n’était pas, de par la doctrine de l’exclusivité des compétences, inapplicable aux banques. Il a examiné la preuve en détail. L’assurance ne fait pas partie de la décision d’accorder du crédit et n’a, selon la preuve, presque rien à voir avec l’octroi de prêts. Il a statué comme suit :
[traduction] Dans le présent dossier, on ne peut pas dire que la promotion d’assurance constitue un « élément irréductible » du processus d’octroi de crédit ou des opérations bancaires. Il s’agit d’une partie accessoire ou « auxiliaire » de ceux‑ci, d’un nouveau produit et centre de revenu n’ayant aucun rapport avec les opérations bancaires de base. La promotion d’assurance s’assimile au crédit hypothécaire et à la vente de régimes enregistrés d’épargne‑retraite qui, même s’ils sont pratiqués par les banques, n’entrent pas dans les opérations des « banques » sur le plan constitutionnel. Cette conclusion, qui s’impose encore davantage à l’égard des types d’assurances n’ayant rien à voir avec les soldes des prêts, s’applique à toutes les assurances. [par. 173]
14 À propos de la doctrine de la prépondérance des lois fédérales, le juge Slatter a conclu que [traduction] « la réglementation provinciale ne va pas à l’encontre de l’intention qu’avait le Parlement en autorisant les banques à faire la promotion d’assurance; elle complète les nouveaux pouvoirs des banques. Il n’y a pas de conflit d’application. La doctrine de la prépondérance n’entre pas en jeu dans le présent dossier » (par. 204).
B. Cour d’appel de l’Alberta (les juges McFadyen, Hunt et Berger) (2005), 39 Alta. L.R. (4th) 1, 2005 ABCA 12
15 La juge Hunt, s’exprimant pour elle‑même et pour la juge McFadyen, a souscrit à la conclusion du juge de première instance voulant que les dispositions contestées de l’Insurance Act s’appliquent aux banques. Seul le « contenu minimum élémentaire et irréductible » d’une matière relevant de la compétence fédérale est à l’abri de la réglementation provinciale. Les produits d’assurance des banques ne sont pas obligatoires (sauf dans le cas de certains prêts hypothécaires), peuvent être annulés unilatéralement par le consommateur, ne font souvent l’objet d’une promotion qu’après la conclusion du prêt, n’entrent pas en jeu à la suite d’une défaillance à l’égard du prêt et prennent souvent automatiquement fin lors du remboursement des prêts. Elles ont convenu avec le juge de première instance que [traduction] « l’assurance, dans la plupart des cas, est facultative et échappe au contrôle des banques. Les décisions des emprunteurs en matière d’assurance n’ont aucune incidence sur les décisions des banques d’accorder du crédit » (par. 81).
16 Les juges Hunt et McFadyen ont également refusé d’appliquer la doctrine de la prépondérance des lois fédérales. Il n’y avait aucun conflit entre les lois provinciales et fédérales. Les dispositions en matière d’assurance contenues dans la Loi sur les banques et le RCA sont plus permissives qu’exhaustives. Les textes législatifs fédéraux ou l’historique législatif ne supposent pas une intention du Parlement d’autoriser les banques à faire la promotion d’assurance sans qu’elles se conforment aux lois provinciales par ailleurs valides. Il n’existe aucune incompatibilité d’application.
17 Dans des motifs concordants, le juge Berger a insisté sur le fait qu’il faut s’attendre à un chevauchement des lois fédérales et provinciales et s’y adapter, et que les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l’égard de l’application des doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance. L’Insurance Act provinciale ne restreint pas les activités de crédit des banques, pas plus qu’elle ne limite le pouvoir des banques de prendre tout type de garantie quand bon leur semble. Les banques demeurent libres de faire la promotion d’assurance, et le respect de la loi provinciale contestée n’a pas pour effet d’empêcher ou d’entraver la réalisation de l’objectif du Parlement.
IV. Lois et règlements applicables
18 Voir l’annexe.
V. Questions constitutionnelles
19 Le 19 septembre 2005, la Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes :
1. Est‑ce que la loi de l’Alberta intitulée Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, et les règlements pris en vertu de cette loi, sont pour tout ou partie constitutionnellement inapplicables, par l’effet de la doctrine de l’exclusivité des compétences, à la promotion par les banques d’« assurance autorisée » et d’« assurance accidents corporels » au sens du Règlement sur le commerce de l’assurance (banques et sociétés de portefeuille bancaires), DORS/92‑330?
2. Est‑ce que la loi de l’Alberta intitulée Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, et les règlements pris en vertu de cette loi, sont pour tout ou partie constitutionnellement inopérants, par l’effet de la doctrine de la prépondérance des lois fédérales, à l’égard de la promotion par les banques d’« assurance autorisée » et d’« assurance accidents corporels » au sens du Règlement sur le commerce de l’assurance (banques et sociétés de portefeuille bancaires), DORS/92‑330?
VI. Analyse
A. Les questions en litige
20 Dans le présent pourvoi, nous ne sommes pas en présence d’un différend entre le gouvernement fédéral et l’Alberta. Les banques appelantes présentent plutôt une demande indépendante en vue d’être autorisées à poursuivre leurs activités d’assurance en Alberta sans avoir à respecter la réglementation sur l’assurance imposée à tous les autres promoteurs et vendeurs de produits d’assurance dans la province. Les banques affirment que, en tant qu’entreprises fédérales, elles sont « soustraites » à la réglementation provinciale en matière d’assurance qui vise de façon générale l’institution de pratiques commerciales équitables et la protection des consommateurs dans la province. Les appelantes reconnaissent en même temps que, depuis 125 ans, la réglementation de l’assurance est généralement considérée comme faisant partie de « [l]a propriété et les droits civils dans la province », une matière qui relève de la compétence provinciale aux termes du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867; voir Citizens Insurance Co. of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (C.P.); Canadian Indemnity Co. c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1977] 2 R.C.S. 504; et Canadian Pioneer Management Ltd. c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan, [1980] 1 R.C.S. 433. Selon la thèse des appelantes, lorsque les banques font la promotion d’assurance liée au crédit, elles se livrent à des opérations bancaires et non au commerce d’assurance. Comme l’a affirmé le procureur général du Canada dans sa plaidoirie, il s’agit de savoir [traduction] « si les produits d’assurance crédit autorisés constituent eux‑mêmes un élément vital et essentiel du crédit au point de s’adjoindre à celui‑ci au cœur des opérations bancaires » (transcription, p. 34). En ce qui concerne cette question, les tribunaux de l’Alberta, comme nous l’avons indiqué, ont catégoriquement rejeté cette thèse des banques. Nous acceptons cette décision.
B. Le principe du fédéralisme
21 Pour trancher le présent pourvoi, la Cour doit examiner et appliquer d’importantes doctrines constitutionnelles qui régissent le fonctionnement du fédéralisme canadien. Malgré les doutes parfois exprimés quant à la nature du fédéralisme canadien, il est incontestable que le fédéralisme a constitué un « principe directeur fondamental » de notre ordre constitutionnel depuis le début de la Confédération, comme l’a souligné notre Cour à l’occasion du Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 55.
22 Comme notre Cour l’a rappelé dans cet arrêt, le fédéralisme a été la réponse juridique des constituants aux réalités politiques et culturelles qui existaient à l’époque de la Confédération. Il représentait ainsi une reconnaissance juridique de la diversité des premiers membres de la Confédération. Le partage des compétences qui en représente l’un des éléments fondamentaux visait à respecter cette diversité au sein d’une même nation. De larges pouvoirs ont été conférés aux législatures provinciales, tandis que l’unité du Canada a été assurée en réservant au Parlement des pouvoirs dont l’exercice se prêtait davantage à l’ensemble du pays. Chacune des compétences législatives a été attribuée à l’ordre de gouvernement qui serait le mieux placé pour l’exercer. Le fédéralisme avait, et a toujours, pour objectifs fondamentaux de concilier l’unité et la diversité, de promouvoir la participation démocratique en réservant des pouvoirs réels aux instances locales ou régionales, ainsi que de favoriser la coopération des différents gouvernements et législatures dans la recherche du bien commun.
23 Dans le but d’atteindre ces objectifs, un certain degré de prévisibilité quant au partage des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales s’avère indispensable. C’est pourquoi les compétences de chaque ordre de gouvernement ont été énumérées aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou prévues dans quelque autre disposition de cette dernière. Comme toute autre partie de notre Constitution, cet « arbre vivant » selon l’image célèbre de l’arrêt Edwards c. Attorney‑General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), p. 136, l’interprétation de ces compétences et de leur articulation doit être évolutive et adaptée aux réalités politiques et culturelles changeantes de la société canadienne. Il importe aussi que les principes directeurs fondamentaux de notre ordre constitutionnel, notamment celui du fédéralisme, continuent à guider tant leur définition et leur mise en œuvre que leurs interactions. Le fonctionnement même du régime fédéral canadien doit donc continuellement faire l’objet de nouvelles analyses au regard des valeurs fondamentales qu’il était destiné à favoriser.
24 Ultimes arbitres du partage des compétences, les tribunaux ont développé certaines doctrines constitutionnelles qui, comme les interprétations des compétences auxquelles elles président, s’inspirent des principes organisateurs fondamentaux de notre ordre constitutionnel. Ces doctrines permettent d’établir un équilibre approprié dans la reconnaissance et l’aménagement des chevauchements inévitables des règles adoptées par les deux ordres de gouvernement, tout en reconnaissant la nécessité de sauvegarder une prévisibilité suffisante du fonctionnement du partage des compétences. Ces doctrines doivent aussi viser à concilier la diversité légitime des expérimentations régionales avec le besoin d’unité nationale. Elles doivent enfin reconnaître que, concrètement, le maintien de l’équilibre des compétences relève avant tout des gouvernements, et doivent faciliter et non miner ce que notre Cour a appelé un « fédéralisme coopératif » (Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, par. 162; Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56, par. 10). Nous exposerons maintenant comment, à notre avis, les doctrines constitutionnelles principales et leur articulation doivent être conçues, afin de mieux atteindre les objectifs de la structure fédérale du Canada.
C. Les règles constitutionnelles et leur articulation
(1) La doctrine du « caractère véritable »
25 Il est maintenant bien établi que la résolution d’une affaire mettant en cause la validité constitutionnelle d’une législation eu égard au partage des compétences doit toujours commencer par une analyse du « caractère véritable » de la législation contestée (Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, p. 450; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31, par. 16; Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, par. 52). L’analyse peut porter sur la législation prise dans son ensemble ou seulement sur certaines dispositions de celle‑ci.
26 Cette première analyse consiste dans une recherche sur la nature véritable de la loi en question afin d’identifier la « matière » sur laquelle elle porte essentiellement. Comme l’a affirmé le juge Rand dans l’arrêt Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, p. 333 :
[traduction] . . . les tribunaux doivent pouvoir, d’après ses termes et les circonstances qui l’entourent, rattacher un texte législatif à une matière relativement à laquelle la législature qui l’adopte a reçu le pouvoir de faire des lois. Ce principe fait partie de la nature même du fédéralisme . . . [En italique dans l’original.]
Si le caractère véritable de la législation contestée peut se rattacher à une matière relevant de la compétence de la législature qui l’a adoptée, les tribunaux la déclareront intra vires. Cependant, lorsqu’il est plus juste d’affirmer qu’elle porte sur une matière qui échappe à la compétence de cette législature, la constatation de cette atteinte au partage des pouvoirs entraînera l’invalidation de la loi.
27 Le caractère véritable de la loi doit être déterminé sous deux aspects : le but visé par le législateur qui l’a adoptée et l’effet juridique de la loi (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 16). Dans l’analyse du but visé, les tribunaux peuvent examiner tant la preuve intrinsèque, tels le préambule ou les dispositions de la législation énonçant ses objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le hansard ou les comptes rendus des débats parlementaires. Ce faisant, les tribunaux doivent toutefois rechercher l’objectif réel de la législation, plutôt que son but simplement déclaré ou apparent (Attorney‑General for Ontario c. Reciprocal Insurers, [1924] A.C. 328 (C.P.), p. 337). De même, les tribunaux peuvent tenir compte des effets de la législation. Par exemple, dans l’arrêt Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, [1939] A.C. 117 (« Alberta Banks »), le Conseil privé a invalidé une loi provinciale imposant une taxe aux banques pour le motif que les effets de cette loi sur les banques étaient si importants que son objet véritable ne pouvait pas être (comme le prétendait la province) le prélèvement de deniers par l’imposition d’une taxe (ce qui en aurait fait une loi intra vires), mais qu’il était la réglementation des opérations bancaires (ce qui la rendait ultra vires et donc l’invalidait).
28 Le corollaire fondamental de cette méthode d’analyse constitutionnelle est qu’une législation dont le caractère véritable relève de la compétence du législateur qui l’a adoptée pourra, au moins dans une certaine mesure, toucher des matières qui ne sont pas de sa compétence sans nécessairement toucher sa validité constitutionnelle. À ce stade de l’analyse de sa constitutionnalité, l’« objectif dominant » de la législation demeure déterminant. Ses buts et effets secondaires n’ont pas de conséquence sur sa validité constitutionnelle : « de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires » (Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, par. 23). Par « accessoires », on entend les effets de la loi qui peuvent avoir une importance pratique significative mais qui sont accessoires et secondaires au mandat de la législature qui a édicté la loi : voir Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49, par. 28. Ces ingérences accessoires dans les matières relevant de la compétence de l’autre ordre de gouvernement sont acceptables et prévisibles : General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, p. 670. Dans Bank of Toronto c. Lambe (1887), 12 App. Cas. 575, pour donner un autre exemple, et à la différence de l’affaire Alberta Banks susmentionnée, le Conseil privé a confirmé la validité d’une législation imposant une taxe aux banques en jugeant que le caractère véritable de la législation visait bien à générer des recettes pour la province et qu’en conséquence, elle avait essentiellement pour objet la taxation directe, et non les banques ou les opérations bancaires. Voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, par. 15.5(a).
29 La doctrine du « caractère véritable » repose sur la reconnaissance de l’impossibilité pratique qu’une législature exerce efficacement sa compétence sur un sujet sans que son intervention ne touche incidemment à des matières relevant de la compétence de l’autre ordre de gouvernement. Comme le soulignent les auteurs Brun et Tremblay, il serait par exemple impossible pour le Parlement fédéral de légiférer efficacement sur les droits d’auteur sans incidence sur la propriété et les droits civils ou pour les législatures provinciales de légiférer efficacement sur le droit civil sans toucher incidemment le statut des étrangers (H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel (4e éd. 2002), p. 451).
30 Par ailleurs, certaines matières sont, par leur nature même, impossibles à classer dans un seul titre de compétence : elles peuvent avoir à la fois une facette provinciale et une autre fédérale. Ainsi, le fait qu’une matière puisse, à une fin et à un égard précis, relever de la compétence fédérale ne signifie pas que cette matière ne peut, à une autre fin et à un autre égard, relever de la compétence provinciale : Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117 (C.P.), p. 130; Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749 (« Bell Canada (1988) »), p. 765. La théorie du double aspect, comme on l’appelle, qui trouve son application à l’occasion de l’analyse du caractère véritable de la législation, assure le respect des politiques mises en œuvre par les législateurs élus des deux ordres de gouvernement. La conduite automobile dangereuse en constitue un exemple classique : le Parlement peut légiférer sur l’aspect « ordre public » et les législatures provinciales sur son aspect « propriété et droits civils dans la province » (O’Grady c. Sparling, [1960] R.C.S. 804). La théorie du double aspect reconnaît que le Parlement et les législatures provinciales peuvent adopter des lois valables sur un même sujet, à partir des perspectives selon lesquelles on les considère, c’est‑à‑dire selon les « aspects » variés de la « matière » discutée.
31 En présence de problèmes découlant d’effets incidents, il peut souvent être possible d’y remédier par une mise en œuvre ferme de l’analyse du caractère véritable. L’importance des effets prétendument incidents peut jeter un jour nouveau sur la législation de manière à la faire passer dans une autre compétence législative. Les techniques d’interprétation courantes en matière constitutionnelle, comme celle de l’interprétation atténuée, peuvent alors jouer un rôle utile pour déterminer ponctuellement ce qui relève en exclusivité d’un ordre législatif. Les tribunaux définissent ainsi graduellement la portée des domaines de compétence pertinents. La nature souple de l’analyse du caractère véritable la rend parfaitement adaptée aux conceptions modernes du fédéralisme canadien qui ressortent de notre jurisprudence en matière constitutionnelle.
32 Cela dit, il faut aussi reconnaître que, dans certaines circonstances, les compétences d’un ordre de gouvernement doivent être protégées contre les empiétements, même accessoires, de l’autre ordre de gouvernement. À cette fin, les tribunaux ont développé deux doctrines. La première, la doctrine de l’exclusivité des compétences, reconnaît que notre Constitution repose sur les pouvoirs exclusifs, et non parallèles, répartis entre les deux ordres de gouvernement, encore que notre réalité constitutionnelle suscite inévitablement une interaction de ces pouvoirs. La seconde, la doctrine de la prépondérance fédérale, reconnaît que dans la mesure où les lois fédérales et provinciales entrent en conflit, une règle doit permettre de mettre fin à l’impasse. Dans notre régime, la loi fédérale l’emporte. Nous passons maintenant à l’étude de ces doctrines, en examinant d’abord celle de l’exclusivité des compétences.
(2) La doctrine de l’exclusivité des compétences et ses sources
33 La doctrine de l’exclusivité des compétences n’a qu’une application restreinte, mais son existence est étayée tant par les textes que par les principes du fédéralisme. La formulation moderne de la doctrine qui a été retenue se trouve dans l’arrêt de notre Cour Bell Canada (1988), où le juge Beetz a indiqué qu’il était nécessaire d’assurer dans les « catégories [. . .] de sujets » énumérées aux art. 91 et 92 un « contenu minimum, élémentaire et irréductible » (p. 839) qui échappe à l’application de la législation édictée par l’autre ordre de gouvernement. Le juge Beetz a fait remarquer, dans le contexte d’une entreprise fédérale, que l’immunité qui empêche ces empiétements constitue une
partie intégrante et essentielle de [l]a compétence législative [du Parlement] sur les entreprises fédérales. Si ce pouvoir est exclusif, c’est parce que les textes constitutionnels, qui auraient pu être différents mais qui ne le sont pas, le prescrivent expressément. Et c’est parce que ce pouvoir est exclusif qu’il écarte celui des législatures tant pour leurs lois d’application générale que pour leurs lois d’application particulière en autant qu’elles touchent à une partie essentielle d’une entreprise fédérale. [p. 840]
34 La doctrine trouve sa source dans les notions d’exclusivité omniprésentes dans les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. L’alinéa liminaire de l’art. 91 mentionne « l’autorité législative exclusive du parlement du Canada » se rapportant aux matières tombant dans les « catégories de sujets » y énumérées, notamment « [l]es banques, l’incorporation des banques et l’émission du papier‑monnaie » (par. 91(15)). D’après ce raisonnement, si cette compétence est vraiment exclusive, elle ne peut faire l’objet d’un empiétement de la part de la législation provinciale même si le pouvoir fédéral n’est pas exercé. [traduction] « [L]e fait que le Parlement du Dominion s’abstient de légiférer dans la plénitude de ses pouvoirs ne saurait avoir pour effet de transférer à une législature provinciale la compétence législative conférée au Dominion par l’art. 91 de la [Loi constitutionnelle de 1867] » : Union Colliery Co. of British Columbia c. Bryden, [1899] A.C. 580 (C.P.), p. 588. De même, l’art. 92 (intitulé « [p]ouvoirs exclusifs des législatures provinciales ») commence par les mots « [d]ans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés », y compris « [l]a propriété et les droits civils dans la province » (par. 92(13)) et « [g]énéralement toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province » (par. 92(16)). Le concept d’exclusivité et son pendant, celui du non‑empiétement d’un ordre législatif sur le domaine de compétence exclusive de l’autre, ont fait apparaître la célèbre métaphore des [traduction] « compartiments étanches » qu’a employée lord Atkin dans des motifs où il s’exprimait sur le fédéralisme canadien en disant que [traduction] « le navire de l’État s’engage maintenant dans de plus grandes aventures et dans des eaux étrangères, mais il conserve toujours les compartiments étanches qui constituent une partie essentielle de sa structure initiale » (Attorney‑General for Canada c. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 326 (C.P.), p. 354). L’application moderne du concept d’exclusivité montre que la crainte d’un risque d’érosion des compétences tant provinciales que fédérales subsiste (Bell Canada (1988), p. 766). En même temps, la doctrine de l’exclusivité des compétences cherche à éviter, dans la mesure du possible, les situations de pouvoirs parallèles (le juge en chef Laskin dans Parents naturels c. Superintendent of Child Welfare, [1976] 2 R.C.S. 751, p. 764).
(3) Le courant dominant en matière d’interprétation constitutionnelle ne favorise pas l’exclusivité des compétences
35 Malgré les efforts déployés pour attribuer à la doctrine un rôle approprié, l’application de l’exclusivité des compétences a suscité des inquiétudes en raison de ses effets potentiels sur les arrangements constitutionnels canadiens. En théorie, la règle joue dans les deux sens : elle protège tant les compétences provinciales et les entreprises assujetties à la réglementation des provinces contre les empiétements du gouvernement fédéral que les compétences fédérales et les entreprises assujetties à la réglementation du gouvernement fédéral contre les empiétements des provinces. Il appert toutefois que l’application de la doctrine par les tribunaux a produit des résultats quelque peu « asymétriques ». Son application aux lois fédérales en vue d’éviter l’empiétement sur la compétence législative provinciale a souvent consisté à donner au texte législatif fédéral ou à la compétence fédérale une « interprétation atténuée » sans que l’analyse doctrinale soit poussée très loin, par exemple, Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, Supermarchés Dominion Ltée c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 844, et Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914. De façon générale toutefois, la doctrine a été invoquée à l’appui de l’exclusivité de la compétence fédérale au détriment de la législation provinciale : Hogg, p. 15‑34.
36 Le regretté juge en chef Dickson, qui a décrit la doctrine de l’exclusivité des compétences comme n’étant pas « particulièrement impérieu[se] » (SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 17), a préconisé une vision du fédéralisme mettant davantage l’accent sur la possibilité d’une interaction légitime des pouvoirs fédéraux et provinciaux :
Historiquement, le droit constitutionnel canadien a permis passablement d’interaction et même de chevauchement en ce qui concerne les pouvoirs fédéraux et provinciaux. Il est vrai que des principes comme celui de l’exclusivité des compétences et celui de l’immunité de Sa Majesté ainsi que des notions comme celles des « compartiments étanches » restreignent l’étendue de cette interaction. Il faut cependant reconnaître que ces principes et notions n’ont pas représenté le courant dominant en matière constitutionnelle; ils ont constitué plutôt un contre‑courant opposé à l’effet puissant du principe du caractère véritable et du double aspect et, au cours des dernières années, une façon très limitée d’aborder les questions de conflit et de prépondérance en matière législative. [p. 18]
Cette affirmation a été reprise dans le jugement du juge en chef Dickson (au nom d’une formation unanime de la Cour comprenant le juge Beetz) dans l’affaire General Motors, p. 669.
37 Le fondement logique du « courant dominant » tient à la volonté que les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement. En l’absence de textes législatifs conflictuels de la part de l’autre ordre de gouvernement, la Cour devrait éviter d’empêcher l’application de mesures considérées comme ayant été adoptées en vue de favoriser l’intérêt public. Le professeur Paul Weiler a écrit ce qui suit il y a plus de 30 ans :
[traduction] [L]a cour devrait refuser d’essayer de protéger les possibles enclaves, encore inoccupées, du pouvoir gouvernemental contre les ingérences d’une autre assemblée législative représentative qui s’est aventurée dans le domaine. La cour devrait plutôt chercher à s’en tenir au rôle plus modeste mais néanmoins important qui consiste à interpréter les lois édictées par les différents ressorts dans un même domaine, dans un but d’éviter les conflits, et à appliquer la doctrine de la prépondérance dans les rares cas qui restent.
(« The Supreme Court and the Law of Canadian Federalism » (1973), 23 U.T.L.J. 307, p. 308)
38 Nous sommes d’avis que l’immunité complète à laquelle prétendent les banques en l’espèce ne saurait être acceptable dans la structure fédérale canadienne. L’argument révèle les dangers de laisser la doctrine de l’exclusivité des compétences sortir de son champ d’application (déjà fort restreint) pour écarter l’application de l’analyse du caractère véritable et la théorie du double aspect. Ces dernières permettent de résoudre la plupart des problèmes liés à la validité de l’exercice des pouvoirs législatifs à l’égard des compétences législatives applicables aux activités en question.
39 Fait intéressant, la doctrine de l’exclusivité des compétences, fruit d’un long processus d’évolution constitutionnelle, a initialement été élaborée dans un contexte très particulier, soit afin de protéger des compagnies constituées par le gouvernement fédéral contre des législations provinciales touchant l’essentiel des pouvoirs que leur accordait la constitution en personnes morales (John Deere Plow Co. c. Wharton, [1915] A.C. 330 (C.P.); Great West Saddlery Co. c. The King, [1921] 2 A.C. 91 (C.P.)). Puisque la création de personnes morales en vertu de lettres patentes délivrées par la Couronne constituait un exercice de sa prérogative de créer des compagnies, il aurait semblé naturel au Conseil privé d’étendre l’immunité de la Couronne aux personnes morales qu’elle constituait. Ainsi, l’application des lois générales d’une province à ces personnes morales pouvait être conçue comme une atteinte à l’exercice de la prérogative que constituait la constitution de personnes morales.
40 La doctrine de l’exclusivité des compétences a ensuite été appliquée afin de protéger les éléments « vitaux » des « entreprises » fédérales (Attorney‑General for Ontario c. Winner, [1954] 4 D.L.R. 657 (C.P.); voir également Toronto Corporation c. Bell Telephone Co. of Canada, [1905] A.C. 52 (C.P.) (« Toronto Corporation »)). Plus tard encore, les tribunaux ont eu recours à cette doctrine afin de soustraire les Autochtones et leurs terres à l’emprise des législations provinciales d’application générale touchant certains aspects de leur statut spécial (Parents naturels; Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285).
41 On voit donc que, de façon générale, la doctrine de l’exclusivité des compétences a servi à protéger la spécificité fédérale de certains ouvrages ou d’entreprises, de choses (par exemple les terres autochtones) ou de personnes (par exemple les Autochtones et les sociétés créées par la Couronne fédérale). Comme l’a fait remarquer le juge Gonthier dans l’arrêt Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec c. Canada (Commission des champs de bataille nationaux), [1990] 2 R.C.S. 838 :
L’immunité relative à la spécificité fédérale s’applique aux choses ou aux personnes tombant sous juridiction fédérale dont certaines dimensions spécifiquement fédérales seraient atteintes par la législation provinciale. Il en est ainsi car ces dimensions spécifiquement fédérales font partie intégrante de la compétence fédérale sur ces choses ou ces personnes et cette compétence se veut exclusive. [Nous soulignons; p. 853.]
Certes, l’intérêt spécifiquement fédéral peut très bien porter sur l’activité elle‑même relevant de la compétence fédérale plutôt que sur l’identité des participants. Dans l’arrêt Parents naturels, le juge en chef Laskin a d’ailleurs fait la remarque suivante, à la p. 760 :
Par conséquent, on ne peut prétendre qu’une loi provinciale peut embrasser des matières relevant exclusivement de la juridiction fédérale simplement parce que cette loi est d’application générale, c’est-à-dire que sa portée n’est pas expressément restreinte aux matières de juridiction provinciale. [. . .] S’il en est ainsi, c’est parce qu’interpréter une loi provinciale de façon qu’elle embrasse de telles activités équivaut à la faire empiéter sur un domaine de juridiction exclusivement fédérale. [Nous soulignons.]
(Cité et approuvé par le juge Beetz dans l’arrêt Bell Canada (1988), p. 834.)
Dans l’affaire Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, la Cour a reconnu dans son examen de la compétence fédérale sur le droit maritime que la doctrine est susceptible de s’appliquer à toutes les « activités » relevant de la compétence du gouvernement fédéral. Voir également McKay c. The Queen, [1965] R.C.S. 798, où il était question de l’applicabilité d’une loi municipale sur les enseignes à une activité relevant de la compétence fédérale, à savoir une élection fédérale; SEFPO, le juge Beetz, p. 30; et Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226, le juge La Forest, p. 257.
42 Bien que les textes juridiques encadrant notre structure fédérale et la logique de celle‑ci justifient l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences à certaines « activités » fédérales, l’appliquer généralement aux « activités » suscite néanmoins des problèmes d’application concrets beaucoup plus importants que ceux qui ont été relevés dans le cas des ouvrages ou entreprises, et des choses ou personnes, dont les limites sont plus faciles à définir. Rappelons qu’une application large paraît également contraire au fédéralisme souple que visent à promouvoir les doctrines constitutionnelles du caractère véritable, du double aspect et de la prépondérance fédérale. Voir F. Gélinas, « La doctrine des immunités interjuridictionnelles dans le partage des compétences : éléments de systématisation », dans Mélanges Jean Beetz (1995), p. 471, et Hogg, par. 15.8c). Or, ces doctrines se sont révélées les plus conformes aux conceptions modernes du fédéralisme canadien qui reconnaissent les inévitables chevauchements de compétences. La vie du fédéralisme canadien ne se réduit pas qu’à des problèmes juridiques. Si elle reste un document juridique, la Constitution fournit un cadre de vie et d’action politique à l’intérieur d’un État fédéral, dans lequel les tribunaux ont légitimement observé l’importance que présente la coopération des acteurs gouvernementaux pour la souplesse du fonctionnement du fédéralisme.
43 Accorder trop d’importance à la doctrine de l’exclusivité des compétences engendrerait une grande incertitude. La doctrine repose sur l’attribution à chaque chef de compétence législative d’un « contenu essentiel » indéterminé — difficile à définir, sinon au fil du temps par des interprétations judiciaires fortuites et ponctuelles. L’obligation d’élaborer une définition abstraite d’un « contenu essentiel » n’est pas, en général, conciliable avec la tradition canadienne en matière d’interprétation constitutionnelle, laquelle favorise une démarche progressive. En effet, s’il est vrai que le catalogue des art. 91 et 92 contient un certain nombre de pouvoirs précis et prêtant peu à discussion, il en est d’autres beaucoup plus imprécis, comme ceux sur le droit criminel, le commerce ou les matières d’intérêt local ou privé dans la province. À partir de la naissance de la Confédération, la jurisprudence s’est gardée de tenter de définir à jamais et à l’avance l’étendue possible de ce type de pouvoirs : Citizens Insurance, p. 109; John Deere Plow, p. 339. À titre d’exemple, elle n’a pas éviscéré le pouvoir fédéral sur le trafic et le commerce, mais en l’interprétant, elle a cherché à éviter de vider de leur contenu les pouvoirs provinciaux sur le droit civil et les matières d’intérêt local ou privé. Une application généralisée de la doctrine de l’exclusivité des compétences issue du domaine du « trafic et du commerce » aurait mené à une forme de fédéralisme fort différente, plus rigide et plus centraliste. Abordant avec prudence un cas d’espèce à la fois, la jurisprudence a graduellement su définir le contenu des pouvoirs législatifs du Parlement et des législatures, sans nier la réalité de leurs interactions inévitables, mais toujours en tenant compte de l’évolution des problèmes auxquels le partage des compétences législatives doit maintenant apporter des solutions.
44 Par ailleurs, nous tenons à rappeler que l’exclusivité des compétences signifie que même si un ordre législatif n’a pas légiféré sur une matière donnée, l’autre ne pourrait pas adopter des lois ayant des effets même accessoires sur ce qu’il est convenu d’appeler le « contenu essentiel » de la compétence. Ce genre de situation accroît le risque de création de « vides juridiques », ce que notre Cour a reconnu dans Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67, par. 52. En principe, ces « vides juridiques » ne sont guère souhaitables.
45 Une tendance centralisatrice de l’interprétation constitutionnelle risque également d’émerger involontairement d’une utilisation large de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Comme nous l’avons indiqué, l’histoire de la doctrine démontre qu’elle a surtout protégé les chefs de compétence fédérale contre les empiétements accessoires des législatures provinciales. L’application « asymétrique » de cette doctrine demeure inconciliable avec les besoins de flexibilité et de coordination du fédéralisme canadien contemporain. Les auteurs ont signalé qu’une application extensive de la doctrine afin de protéger les chefs de compétence fédéraux et les entreprises fédérales n’est ni nécessaire [traduction] « ni souhaitable dans une fédération où les provinces sont chargées d’adopter et d’appliquer un aussi grand nombre de lois visant à protéger les travailleurs, les consommateurs et l’environnement (pour ne nommer que ceux‑ci) » (Hogg, p. 15‑30; voir également Weiler, p. 312; J. Leclair, « The Supreme Court of Canada’s Understanding of Federalism : Efficiency at the Expense of Diversity » (2003), 28 Queen’s L.J. 411). L’effet asymétrique de la doctrine de l’exclusivité des compétences peut aussi être considéré comme une menace aux principes de subsidiarité, selon lesquels « le niveau de gouvernement le mieux placé pour [prendre des décisions est] celui qui est le plus apte à le faire, non seulement sur le plan de l’efficacité mais également parce qu’il est le plus proche des citoyens touchés » (114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40, par. 3).
46 Enfin, le recours à la doctrine semble généralement superflu dans la mesure où le Parlement fédéral peut toujours, s’il le considère approprié, légiférer de manière suffisamment précise pour que les personnes assujetties n’aient aucun doute quant à l’application résiduelle ou accessoire de la législation provinciale. L’examen de l’histoire et du fonctionnement de la doctrine de la prépondérance fédérale le confirme suffisamment, comme nous le verrons d’ailleurs.
47 Pour toutes ces raisons, bien que la doctrine de l’exclusivité des compétences joue un rôle légitime dans les cas indiqués, nous tenons à préciser maintenant que notre Cour ne préconise pas une utilisation intensive de cette doctrine, et nous déclinons l’invitation des appelantes d’en faire la première doctrine examinée dans le cadre d’un différend sur le partage des compétences.
D. Limitation de la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences
(1) « Entraver » ou « toucher »
48 Même dans les cas où la doctrine de l’exclusivité des compétences peut être utilisée, nous devons examiner la mesure de l’empiétement sur le « contenu essentiel » de la compétence de l’autre ordre de gouvernement qui ferait intervenir l’application de cette doctrine. Dans l’arrêt Bell Canada (1988), le juge Beetz a écrit ce qui suit, aux p. 859‑860 :
Pour que joue la règle de l’inapplicabilité, il suffit que la sujétion de l’entreprise à la loi provinciale ait pour effet d’affecter un élément vital ou essentiel de l’entreprise sans nécessairement aller jusqu’à effectivement entraver ou paralyser cette dernière. [Nous soulignons.]
Notre collègue le juge Bastarache approuve la notion d’« affecter » ou de « toucher » qui a été substituée dans l’arrêt Bell Canada (1988) à celle d’« entraver ». Il s’exprime ainsi :
. . . il faut donner au terme « touche » un sens qui représente en quelque sorte un juste milieu entre le critère peut‑être trop vague ou trop large que rend l’expression « avoir une incidence sur » et l’ancien critère trop restrictif fondé sur « la stérilisation » ou « l’entrave ». Sans exiger que le contenu essentiel de la compétence fédérale, ou les opérations de l’entreprise, soient complètement paralysés, l’application du règlement doit produire des effets suffisamment importants et graves pour que l’immunité puisse s’appliquer.
(Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., [2007] 2 R.C.S. 86, 2007 CSC 23, par. 139)
En toute déférence, nous ne pouvons souscrire à cette opinion. Nous estimons que l’état du droit antérieur à l’arrêt Bell Canada (1988) était plus fidèle à notre régime fédéral. À notre avis, il ne suffit pas que la législation provinciale « touche » simplement la spécificité fédérale d’un sujet ou d’un objet fédéral. La différence entre la notion de « toucher » et celle d’« entraver » réside dans le fait que la première ne suppose pas de conséquences fâcheuses, contrairement à la seconde. Le changement opéré dans Bell Canada (1988) en passant de la notion d’« entraver » à la notion de « toucher » n’est pas compatible avec le point de vue adopté par la suite dans l’arrêt Mangat, selon lequel « [l]e fait que la matière visée [. . .] comporte un double aspect joue en faveur de l’application de la règle de la prépondérance plutôt que de celle de l’exclusivité des compétences » (par. 52). Ce passage n’est pas compatible non plus avec l’application qu’avait faite le juge Beetz lui‑même du critère de l’« entrave » dans l’arrêt Dick c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 309, p. 323‑324. C’est lorsque l’effet préjudiciable d’une loi adoptée par un ordre de gouvernement s’intensifie en passant de « toucher » à « entraver » (sans nécessairement « stériliser » ou « paralyser ») que le « contenu essentiel » de la compétence de l’autre ordre de gouvernement (ou l’élément vital ou essentiel d’une entreprise établie par lui) est menacé, et pas avant.
49 Dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, le juge en chef Dickson et les juges Lamer et Wilson ont fait remarquer en passant que l’on pourrait faire une distinction entre l’application directe d’une loi provinciale (lorsque le verbe clé est « toucher ») et l’application indirecte (lorsque le verbe clé peut encore être « entraver ») (p. 957). La recherche d’une autre ligne de démarcation indiquait une certaine insatisfaction à l’égard du critère proposé par le verbe de « toucher » sans que rien ne soit fait pour y remédier. Nous nous devons, à ce stade‑ci, de compléter la reconsidération amorcée dans l’arrêt Irwin Toy, et de statuer qu’en l’absence d’une entrave, la doctrine de l’exclusivité des compétences ne s’applique pas.
(2) Éléments du « contenu minimum élémentaire et irréductible » d’une compétence législative
50 Parmi les contributions de l’arrêt Bell Canada (1988), l’une des plus importantes consiste à restreindre la portée de la règle à un « contenu minimum élémentaire et irréductible » (p. 839) parfois appelé le « contenu essentiel » de la compétence législative visée. (À notre avis, le juge Beetz entendait par « minimum », le contenu minimum nécessaire pour garantir la réalisation efficace de l’objectif pour lequel la compétence a été attribuée.) Selon le juge Beetz, l’existence de ce contenu est nécessaire pour donner effet à ce qu’il a appelé « le principe fédéral qui sous‑tend la constitution canadienne » (p. 766). Pour que les appelantes puissent avoir gain de cause dans le présent pourvoi, leur argument doit donc consister en partie à rattacher la promotion de l’assurance « paix d’esprit » au contenu essentiel des opérations bancaires. Pour les motifs que nous avons déjà exposés, et que nous précisons ci‑dessous, nous ne croyons pas que cet aspect de l’argument des appelantes puisse être retenu.
(3) L’élément vital ou essentiel d’une entreprise
51 Dans l’exercice de leurs compétences législatives, les législateurs, fédéral et provinciaux, créent des « entreprises ». Les banques appelantes sont des « entreprises fédérales », constituées en vertu de la compétence relative aux banques prévue au par. 91(15). Dans l’arrêt Bell Canada (1988), le juge Beetz a abordé l’exclusivité des compétences relativement aux « éléments essentiels ou vitaux » de telles entreprises (p. 839 et 859‑860). À notre avis, certains auteurs et certainement les appelantes ont eu tendance à donner une trop large portée à l’aspect qu’il faudrait considérer comme « vital ou essentiel » à une entreprise fédérale. Nous estimons que le juge Beetz a bien pesé ses mots et qu’il entendait employer le mot « vital » dans son sens grammatical ordinaire, à savoir ce qui est « [e]ssentiel à la vie d’un individu, d’une collectivité; indispensable » (Le Nouveau Petit Robert (2006), p. 2788). Le mot « essentiel » a un sens similaire, soit celui de « absolument nécessaire (opposé à inutile) » (p. 950). Les mots « vital » et « essentiel » n’ont pas été choisis au hasard. L’expression [traduction] « élément essentiel » a été employée pour limiter la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences par le juge Abbott, dans Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529, p. 592, et par le juge Martland dans l’arrêt Commission du salaire minimum c. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] R.C.S. 767 (« Bell Canada (1966) »), p. 774. Le juge Martland a également parlé, à la p. 777, d’une [traduction] « partie essentielle de l’exploitation d’une entreprise de ce genre ». Par définition, ce qui est « vital » ou « essentiel » ne correspond pas nécessairement à chaque élément d’une entreprise constituée sous le régime d’une loi fédérale ou assujettie à la réglementation fédérale. En ce qui concerne les entreprises fédérales, le juge Beetz a fait état d’un « principe plus général » selon lequel il n’existe aucune exclusivité des compétences pourvu que « [l’]assujettissement [aux lois provinciales] n’ait pas pour conséquence que ces lois [. . .] atteignent [les sujets qui relèvent de la compétence du Parlement] dans ce qui constitue justement leur spécificité fédérale » (Bell Canada (1988), p. 762 (nous soulignons)). Par exemple, en l’espèce l’argument des appelantes exagère la portée de ce qui peut raisonnablement être considéré comme « vital ou essentiel » à leur entreprise bancaire. La promotion d’assurance « paix d’esprit » peut difficilement être considérée comme « absolument essentielle » aux activités bancaires à moins que ces mots soient vidés de leur sens ordinaire.
52 À cet égard, suivant le vieil adage de common law voulant qu’il soit sage de s’attacher davantage à ce que les tribunaux font qu’à ce qu’ils disent, il peut être utile, pour comprendre les limites de la doctrine de l’exclusivité des compétences au regard des entreprises, de regarder comment on l’a appliquée aux faits. La comparaison entre l’arrêt Bell Canada (1988) et le présent pourvoi s’avère fort instructive. Dans l’arrêt Bell Canada (1988), la Cour a conclu qu’une loi provinciale sur la santé et la sécurité du travail ne pouvait s’appliquer à une entreprise de téléphone fédérale parce qu’une telle application entrerait « directement et massivement [. . .] dans le domaine des conditions de travail et des relations de travail et [. . .] de la gestion et des opérations » de cette entreprise (p. 798). La loi provinciale imposerait notamment « un régime de co‑gestion partielle de l’entreprise par les travailleurs et l’employeur » (p. 810), réglementant ainsi l’entreprise fédérale d’une manière non autorisée par le Parlement. L’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868, rendu en même temps que l’arrêt Bell Canada (1988), dans lequel la même loi provinciale a été déclarée inapplicable à une entreprise fédérale de chemin de fer (p. 890), abonde dans le même sens. Dans le troisième arrêt de la trilogie de 1988, Alltrans Express Ltd. c. Colombie‑Britannique (Workers Compensation Board), [1988] 1 R.C.S. 897, la Cour a conclu que les aspects préventifs (par opposition aux aspects d’indemnisation) de la Workers’ Compensation Act de la C.‑B. ne pouvaient s’appliquer à une entreprise de camionnage interprovinciale et internationale parce que cela toucherait à la gestion de l’entreprise fédérale, y compris le « pouvoir [de la Commission de la Colombie‑Britannique] d’ordonner à un employeur de fermer complètement ou partiellement le lieu de travail afin de prévenir des lésions corporelles » (p. 911). On peut utilement opposer ces arrêts à la décision Canadian Pacific Railway Co. c. Corporation of the Parish of Notre Dame de Bonsecours, [1899] A.C. 367 (C.P.), où l’on a statué qu’il n’était pas vital ou essentiel au gouvernement fédéral de réglementer l’enlèvement des déchets et débris du fossé se trouvant du côté sud de la plate‑forme du chemin de fer exploité par l’entreprise. (Voir également Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1028.) Il semble pourtant que l’enlèvement des débris de la plate‑forme soit au moins aussi essentiel aux activités d’un service de chemin de fer que la vente d’assurance « paix d’esprit » facultative aux emprunteurs des banques.
53 À notre avis, les autres décisions citées par les appelantes n’appuient pas non plus leur interprétation large des éléments qui sont vitaux et essentiels à leurs opérations bancaires. Nous estimons qu’il n’est simplement pas crédible de prétendre que la promotion d’assurance « paix d’esprit » est « absolument nécessaire » pour permettre aux banques d’exploiter leurs entreprises dans ce qui constitue justement leur spécificité fédérale.
E. Décisions relatives à l’exclusivité des compétences sur lesquelles s’appuient les appelantes
(1) Décisions en matière de transport fédéral
54 Les appelantes invoquent l’arrêt Greater Toronto Airports Authority c. Mississauga (City) (2000), 50 O.R. (3d) 641 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. ix, dans lequel il a été décidé qu’une municipalité voisine ne pouvait appliquer ses mesures de contrôle de l’aménagement du territoire (et ses frais) à l’agrandissement projeté des installations terminales de l’aéroport Pearson de Toronto. Il est évident que les transporteurs interprovinciaux et internationaux ont un intérêt vital et essentiel à pouvoir se poser dans un aéroport ou à accéder à un port sécuritaire. Les aéronefs ne peuvent rester indéfiniment en l’air dans l’attente d’une autorisation d’aménagement de la part d’autres ordres de gouvernement. Cette activité ne se prête pas à un chevauchement sur le plan de la réglementation. Voir Johannesson c. Rural Municipality of West St. Paul, [1952] R.C.S. 292; Re Orangeville Airport Ltd. and Town of Caledon (1976), 66 D.L.R. (3d) 610 (C.A. Ont.); et Venchiarutti c. Longhurst (1992), 8 O.R. (3d) 422 (C.A.). De la même façon, une loi provinciale visant à réglementer l’accès de ses résidants aux banques se heurterait vraisemblablement aux mêmes objections constitutionnelles qu’une loi provinciale visant à organiser l’embarquement et le débarquement des cargaisons et des passagers internationaux ou interprovinciaux. Dans Winner, le comité judiciaire a conclu qu’une loi provinciale obligeant une société exploitant un service d’autobus interprovincial et international à obtenir un permis avant de pouvoir [traduction] « faire embarquer ou débarquer » des passagers [traduction] « détruirait l’efficacité » de cette entreprise fédérale (p. 668 et 675). En réglementant cette partie de l’entreprise, la province se trouverait à usurper le pouvoir de réglementation du gouvernement fédéral. En d’autres termes, l’accès aux passagers et aux cargaisons était absolument nécessaire à la viabilité des transporteurs : voir au même effet Registrar of Motor Vehicles c. Canadian American Transfer Ltd., [1972] R.C.S. 811, et R. c. Toronto Magistrates, Ex Parte Tank Truck Transport Ltd., [1960] O.R. 497 (H.C.J.).
55 Par contre, les tribunaux ont décidé de façon constante qu’aucun intérêt fédéral vital ou essentiel ne pouvait justifier que l’on mette les entreprises de transport à l’abri des codes de la route ou des lois sur la sécurité dans l’industrie du transport. Voir, par exemple, R. c. Greening (1992), 43 M.V.R. (2d) 53 (C. Ont. (Div. prov.)); Commission des champs de bataille nationaux, p. 860; R. c. TNT Canada Inc. (1986), 37 D.L.R. (4th) 297 (C.A. Ont.), p. 303. À notre avis, ces affaires ressemblent davantage aux faits de l’espèce.
56 Dans Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754, la Cour a conclu qu’il n’était pas vital ou essentiel à l’intérêt fédéral de réglementer les salaires et les conditions de travail des employés d’un entrepreneur indépendant (il ne s’agissait pas d’une entreprise fédérale) chargé de la construction d’un aéroport. Dans l’arrêt Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), [1997] 2 R.C.S. 581, on a jugé que les lois provinciales en matière d’alcool étaient applicables aux compagnies aériennes parce que la vente d’alcool constituait un avantage mais n’était pas essentielle à l’entreprise aérienne. On pourrait en dire autant de la relation entre la promotion d’assurance et l’entreprise des banques.
(2) Les entreprises fédérales de communication
57 Nous avons déjà mentionné les arrêts Bell Canada (1966) et Bell Canada (1988) sur lesquels s’appuient les appelantes. L’arrêt Toronto Corporation est l’un des premiers arrêts dans lesquels on a conclu qu’une loi provinciale valide ne s’appliquait pas à une entreprise fédérale. La province cherchait à autoriser la municipalité à réglementer la construction des conduits, poteaux et câbles de Bell, mais la Cour a statué que [traduction] « aucune législature provinciale [. . .] n’a compétence pour intervenir dans les activités [de Bell] autorisées par le Parlement » (p. 57). Il convient de mentionner l’arrêt Re Public Utilities Commission and Victoria Cablevision Ltd. (1965), 51 D.L.R. (2d) 716 (C.A.C.‑B.), qui va dans le même sens. L’intérêt fédéral comprend non seulement la gestion de l’entreprise, mais aussi l’assurance que l’entreprise pourra accomplir son mandat fondamental « dans ce qui constitue justement [sa] spécificité fédérale » (Bell Canada (1988), p. 762). Autrement dit, un accès sans entrave aux conduits et poteaux devenait absolument nécessaire pour permettre à Bell d’accomplir son mandat fédéral.
58 Ces arrêts ne sont d’aucune utilité aux appelantes. Le droit des assurances de l’Alberta n’empêche pas les banques d’avoir accès à l’assurance comme garantie. Le simple fait que les banques exigent des garanties ne signifie pas qu’elles doivent jouer un rôle essentiel en tant qu’agents ou promoteurs de produits d’assurance. Les banques peuvent se contenter de faire connaître leurs exigences à l’emprunteur éventuel, et laisser à ce dernier le soin de trouver sa propre assurance. Certes, les profits tirés de la promotion d’assurance permettent aux banques de dégager un bénéfice net, tout comme le font les recettes publicitaires pour les radiodiffuseurs, mais la Cour a conclu, dans l’arrêt Procureur général du Québec c. Kellogg’s Co. of Canada, [1978] 2 R.C.S. 211, qu’une loi provinciale régissant la publicité s’appliquait à une société désirant acheter de la publicité à une entreprise de radiodiffusion fédérale.
(3) Les arrêts en matière de droit maritime
59 Les appelantes invoquent l’arrêt Succession Ordon, selon lequel les règles de droit maritime relatives à la négligence constituent un élément du contenu essentiel irréductible de la compétence exclusive du Parlement sur la navigation et les expéditions par eau, et ce, en partie parce que
les questions maritimes, de par leur nature, font intervenir une multiplicité d’autorités législatives, en particulier dans le cadre des actions dirigées contre des navires ou leurs exploitants. Ce souci d’uniformité est l’un des motifs pour lesquels l’application des lois provinciales de portée générale dans le cadre d’une action pour négligence en matière maritime ne saurait être permise. [par. 93]
Nous aurions pensé qu’en matière d’assurance, ce souci d’uniformité favoriserait le droit provincial, de sorte que tous les promoteurs d’assurance dans la province devraient être assujettis à des règles uniformes sur le plan de la commercialisation et des pratiques loyales.
(4) Les arrêts concernant les Indiens
60 Les appelantes s’appuient sur certaines observations faites au sujet de l’exclusivité des compétences dans Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, 2003 CSC 55, mais évidemment, suivant la conclusion tirée dans cet arrêt, malgré la compétence fédérale exclusive sur les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens », une commission provinciale d’appel des forêts pouvait valablement examiner les questions de droits ancestraux soulevées dans le cadre de l’accomplissement de sa mission provinciale valide en matière de ressources forestières. Dans l’arrêt Bande Kitkatla, notre Cour a conclu à l’applicabilité d’une loi provinciale sur la préservation des objets patrimoniaux parce que l’application de cette loi ne portait pas atteinte à un titre autochtone ou à des droits ancestraux. Ces arrêts démontrent en outre que la Cour a donné une interprétation restrictive au « contenu minimum élémentaire et irréductible » de la compétence fédérale sur les « Indiens » qui sont, à certains égards, des « personnes » fédérales, et dans cette mesure, ces arrêts affaiblissent l’argument des banques plutôt que de le renforcer.
61 Il est vrai que dans certaines décisions, pour faire reconnaître la compétence exclusive du gouvernement fédéral, la Cour a reconnu l’existence d’un intérêt fédéral vital ou essentiel en raison de la situation particulière des peuples autochtones au sein de la société canadienne ou, comme l’a affirmé le juge Gonthier dans l’arrêt Commission des champs de bataille nationaux déjà mentionné, de la « responsabilité fédérale fondamentale à l’égard d’une chose ou d’une personne » (p. 853). Ainsi, dans Parents naturels, le juge en chef Laskin a conclu que l’Adoption Act de la province était inapplicable aux enfants indiens vivant dans une réserve parce que le fait de contraindre les Indiens à abandonner leurs enfants aux mains de parents non indiens « porterait atteinte à la quiddité indienne et aux liens personnels qui font partie intégrante d’une matière qui ne relève pas de l’autorité provinciale » (p. 760‑761). De même, dans Derrickson, selon notre Cour, les dispositions de la Family Relations Act de la Colombie‑Britannique traitant du partage des biens familiaux ne pouvaient s’appliquer aux terres réservées aux Indiens parce que « [l]e droit de posséder des terres sur une réserve indienne relève manifestement de l’essence même de la compétence législative fédérale exclusive que confère le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 » (p. 296). Dans Paul c. Paul, [1986] 1 R.C.S. 306, notre Cour a jugé que le droit familial provincial ne pouvait régir le droit d’occuper une résidence familiale située sur une réserve. Ces arrêts portaient sur les relations au sein des familles indiennes et des collectivités vivant dans les réserves, matières qui pouvaient être considérées comme absolument nécessaires et essentielles à leur survie culturelle. Dans Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d’Amérique, [1980] 1 R.C.S. 1031, par contre, notre Cour a conclu qu’une entreprise non indienne située sur une réserve et partiellement détenue et exploitée par des Indiens (mais non par la bande) était assujettie à la réglementation provinciale sur les relations de travail. La Cour n’a pas admis la nécessité de reconnaître au fédéral une compétence exclusive dans une matière aussi éloignée de ses responsabilités particulières à l’égard des peuples autochtones. En d’autres termes, les Autochtones sont régis exclusivement par le droit fédéral dans leur dimension fédérale (la « quiddité indienne »), mais restent assujettis aux lois provinciales d’application générale dans les activités auxquelles ils se livrent en tant que citoyens d’une province. Il devrait en être de même des banques à charte.
(5) La gestion des entreprises fédérales
62 Les arrêts en matière de gestion des entreprises fédérales sur lesquels se fondent les appelantes, notamment la trilogie de 1988, s’inscrivent en fait dans un courant jurisprudentiel plus vaste traitant des institutions fédérales et dans lequel la gestion a été considérée comme un élément absolument nécessaire de la compétence fédérale. Ces entreprises comprennent les bureaux de poste : Reference re Minimum Wage Act of Saskatchewan, [1948] R.C.S. 248 (la province ne peut fixer les salaires des employés des postes); Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178 (la province ne peut réglementer les relations de travail dans les bureaux de poste); et la GRC : Procureur général du Québec c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218 (sur la nécessité de circonscrire les enquêtes publiques provinciales parce « qu’aucune autorité provinciale ne peut s’ingérer dans son administration » (p. 242)) et Procureur général de l’Alberta c. Putnam, [1981] 2 R.C.S. 267 (dans lequel on a conclu à l’inapplicabilité d’une procédure provinciale d’instruction des plaintes). Les agents de la GRC sont néanmoins tenus de respecter, par exemple, les lois provinciales régissant la circulation routière. Ces lois ne touchent pas au contenu essentiel « de leur existence et de leur être » dans ce qui constitue leur spécificité fédérale.
63 Dans ce contexte plus vaste, il semble évident que la trilogie de 1988, centrée comme elle l’était sur la question de la gestion des entreprises fédérales, ne peut recevoir une interprétation aussi large que celle préconisée par les banques. La vente facultative aux emprunteurs d’une assurance « paix d’esprit » n’a aucun lien avec le « contenu minimum élémentaire et irréductible » de la compétence fédérale sur les banques ou avec une partie « essentielle » de l’entreprise des banques appelantes.
(6) La réglementation des sociétés et entreprises fédérales
64 L’intimée, quant à elle, invoque l’arrêt Canadian Indemnity. Dans cette affaire, la Colombie‑Britannique avait instauré un régime d’assurance‑automobile obligatoire et universel devant être administré par la Corporation d’assurance de la Colombie-Britannique sauf en ce qui concernait les appelantes qui étaient des compagnies d’assurance constituées sous le régime d’une loi fédérale ou à l’étranger. La Cour a conclu que « [l]e fait qu’une compagnie à charte fédérale tire sa personnalité juridique et des pouvoirs spécifiques de la législation fédérale ne la soustrait pas pour autant à l’effet de cette réglementation provinciale » (p. 519). En l’espèce, évidemment, la compétence fédérale exclusive porte autant sur les opérations des « banques » que sur « l’incorporation des banques ».
65 En discutant de la nature des « opérations bancaires », cependant, la Cour a estimé qu’elles ne s’entendent pas de [traduction] « toute opération entrant dans l’entreprise légitime d’un banquier » parce qu’une telle définition, si on l’interprétait littéralement
signifierait, par exemple, que les emprunts ou les prêts d’argent, avec ou sans garantie, ce qui fait partie de l’entreprise légitime de plusieurs autres types d’institutions ainsi que des particuliers, relèveraient, à tout point de vue, de la compétence législative exclusive du Parlement. On n’a jamais voulu un tel résultat.
(Canadian Pioneer Management, p. 468, le juge Beetz)
Cette observation devient particulièrement pertinente en l’espèce. Le paragraphe 409(2) de la Loi sur les banques prévoit que « [s]ont notamment considérés comme des opérations bancaires : a) la prestation de services financiers ». Les appelantes ne sauraient vraisemblablement prétendre que les banques sont soustraites aux lois provinciales d’application générale relatives aux services financiers. Adopter une telle position non seulement rendrait inapplicables certains éléments de l’Insurance Act, mais pourrait aussi priver d’application des lois provinciales régissant les hypothèques, les valeurs mobilières ainsi que plusieurs autres « services ».
66 Le courant jurisprudentiel dans lequel on a appliqué le droit de l’environnement provincial à des entités fédérales se livrant à des activités réglementées par le fédéral se révèle nettement plus pertinent en l’espèce. Dans Ontario c. Canadien Pacifique, on a jugé que l’entreprise fédérale de chemin de fer était assujettie à la Loi sur la protection de l’environnement de l’Ontario en ce qui concernait la fumée dégagée par le brûlage des herbes sèches sur son emprise, malgré le fait qu’elle avait allumé les feux pour se conformer à la Loi sur les chemins de fer fédérale. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la doctrine de l’exclusivité des compétences ne s’appliquait pas (voir (1993), 13 O.R. (3d) 389), et le pourvoi devant notre Cour a été rejeté à l’unanimité dans de brefs motifs. Dans TNT Canada, une entreprise de camionnage interprovinciale a été contrainte à respecter la réglementation provinciale sur le transport de déchets contenant des BPC. Comme le juge en chef adjoint MacKinnon l’a fait observer, à la p. 303 :
[traduction] Tout comme elle peut réglementer les vitesses limites et l’état mécanique des véhicules circulant sur ses routes en vue d’assurer la protection et la sécurité des autres automobilistes, la province peut imposer des conditions quant au transport de certaines substances toxiques sur son territoire, pourvu que ces conditions n’entravent pas de façon importante le transport de marchandises général ou particulier du transporteur et n’entrent pas directement ou indirectement en conflit avec les lois fédérales dans le domaine.
(7) Conclusion
67 À notre avis, cette étude de la jurisprudence invoquée par les appelantes, l’intimée et les intervenants démontre que non seulement la doctrine de l’exclusivité des compétences devrait être appliquée avec retenue, mais qu’à de rares exceptions près, c’est ainsi qu’elle a été appliquée. Même si en principe la doctrine est applicable à tous les chefs de compétence législative fédérale ou provinciale, la jurisprudence nous enseigne que les chefs de compétence législative qui confèrent au Parlement la compétence sur certains ouvrages ou certaines choses, personnes ou entreprises se révèlent plus propices à son application. Dans la plupart des cas, une analyse du caractère véritable et l’application de la doctrine de la prépondérance ont permis de résoudre de manière satisfaisante les difficultés rencontrées.
68 Nous passons donc à l’examen du deuxième volet de l’argument des appelantes, soit qu’elles sont soustraites à la réglementation provinciale sur l’assurance en vertu de la doctrine de la prépondérance fédérale.
F. Doctrine de la prépondérance fédérale
69 Selon la doctrine de la prépondérance fédérale, lorsque les effets d’une législation provinciale sont incompatibles avec une législation fédérale, la législation fédérale doit prévaloir et la législation provinciale être déclarée inopérante dans la mesure de l’incompatibilité. La doctrine s’applique non seulement dans les cas où la législature provinciale a légiféré en vertu de son pouvoir accessoire d’empiéter dans un domaine de compétence fédérale, mais aussi dans les situations où la législature provinciale agit dans le cadre de ses compétences principales et le Parlement fédéral en vertu de ses pouvoirs accessoires. Cette doctrine est beaucoup mieux adaptée au fédéralisme canadien contemporain que celle de l’exclusivité des compétences, comme l’a d’ailleurs explicitement reconnu notre Cour dans les cas de « double aspect » (Mangat, par. 52).
70 Bien entendu, la difficulté principale consiste à déterminer le degré d’incompatibilité nécessaire pour déclencher l’application de cette doctrine. La réponse que les tribunaux donnent à cette question a pris une importance capitale pour le développement du fédéralisme canadien. En effet, une interprétation large de la notion d’incompatibilité étend les pouvoirs du gouvernement central. Au contraire, une interprétation plus restrictive tend à laisser plus de marge de manœuvre aux gouvernements provinciaux.
71 Dans l’élaboration de son analyse, malgré les problèmes parfois créés par certains aspects de sa jurisprudence sur le sujet, notre Cour a su faire preuve d’une retenue prudente en proposant des critères stricts : General Motors, p. 669. Dans l’arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, elle a énoncé le critère fondamental servant à déterminer s’il existe une incompatibilité suffisante pour déclencher l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale. Le juge Dickson a affirmé ce qui suit :
En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d’exclusion sauf lorsqu’il y a un conflit véritable, comme lorsqu’une loi dit « oui » et que l’autre dit « non »; « on demande aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles »; l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre. [p. 191]
72 Ainsi, selon ce critère, un simple dédoublement de normes semblables aux niveaux fédéral et provincial ne constitue pas en soi un cas d’incompatibilité déclenchant l’application de la doctrine. De plus, une loi provinciale peut en principe ajouter des exigences supplémentaires à celles de la législation fédérale (Spraytech). En effet, dans les deux cas, les législations peuvent agir concurremment et les citoyens peuvent les respecter toutes les deux, sans violer l’une ou l’autre.
73 Cela dit, il survient des cas où l’imposition de l’obligation de se conformer à une législation provinciale équivaudrait à empêcher la réalisation de l’objectif de la loi fédérale, sans toutefois entraîner une violation directe de ses dispositions. C’est ce que notre Cour a reconnu dans l’arrêt Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, lorsqu’elle a noté qu’il faut tenir compte de l’« intention » du législateur fédéral dans le cadre de l’analyse de l’incompatibilité. Notre Cour a ainsi admis que l’impossibilité de se conformer aux deux textes de loi ne constitue pas le seul signe d’incompatibilité. Le fait que la loi provinciale soit incompatible avec l’objet d’une loi fédérale suffira pour déclencher l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale. Cette précision a récemment été soulignée à nouveau dans les arrêts Mangat et Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, 2005 CSC 13.
74 Cela dit, il faut éviter de donner une portée trop large aux arrêts Hall, Mangat et Rothmans. Notre Cour n’a jamais donné d’indication qu’elle entendait, par ces arrêts, renverser ses décisions antérieures et adopter le test du « champ occupé » qu’elle a clairement rejeté dans l’arrêt O’Grady de 1960. Le fait que le législateur fédéral ait légiféré sur une matière n’entraîne pas la présomption qu’il a voulu, par là, exclure toute possibilité d’intervention provinciale sur le sujet. Comme l’affirmait récemment notre Cour, « on ne peut prêter au Parlement l’intention de vouloir [traduction] “occuper tout le champ”, en l’absence d’un texte de loi clair à cet effet, sans s’écarter de l’attitude de retenue judiciaire pour les questions de prépondérance des lois fédérales que respecte la Cour depuis au moins l’arrêt O’Grady » (Rothmans, par. 21).
75 L’intention législative fédérale incompatible doit être établie par la partie qui l’invoque et les tribunaux ne doivent jamais perdre de vue la règle d’interprétation constitutionnelle fondamentale selon laquelle « [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit » (Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, p. 356). En résumé, il revient à celui qui invoque la doctrine de la prépondérance fédérale de démontrer une incompatibilité réelle entre les législations provinciale et fédérale, en établissant, soit qu’il est impossible de se conformer aux deux législations, soit que l’application de la loi provinciale empêcherait la réalisation du but de la législation fédérale.
G. L’ordre d’application des doctrines constitutionnelles
76 L’étude des doctrines constitutionnelles que nous venons de faire conduit inévitablement à des interrogations sur l’ordre logique de leur application. On saurait difficilement éviter de recourir en premier lieu à l’analyse du « caractère véritable » des lois. En effet, cette analyse vise à vérifier la validité même de la législation en cause. Les deux autres doctrines ne servent qu’à contrôler son applicabilité ou son caractère opérant dans des circonstances particulières.
77 Malgré le point de vue différent de notre collègue le juge Bastarache sur ce point, nous ne croyons pas qu’il convienne de toujours commencer l’analyse en examinant d’abord la doctrine de l’exclusivité des compétences. La Cour risquerait ainsi de s’enfermer dans une analyse plutôt abstraite du « contenu essentiel » et des éléments « vitaux et essentiels » qui aurait peu d’utilité en pratique. Nous tenons à rappeler que la doctrine de l’exclusivité des compétences reste d’une application restreinte, et qu’elle devrait, en général, être limitée aux situations déjà traitées dans la jurisprudence. Concrètement, cela signifie qu’elle ne sera principalement destinée qu’aux chefs de compétence qui concernent les choses, personnes ou entreprises fédérales, ou encore qu’aux cas où son application a déjà été jugée absolument nécessaire pour permettre au Parlement ou à une législature provinciale de réaliser l’objectif pour lequel la compétence législative exclusive a été attribuée, selon ce qui ressort du partage constitutionnel des compétences dans son ensemble, ou qu’à ce qui est absolument nécessaire pour permettre à une entreprise d’accomplir son mandat dans ce qui constitue justement sa spécificité fédérale (ou provinciale). Si une affaire peut être décidée en appliquant l’analyse du caractère véritable, et la doctrine de la prépondérance fédérale au besoin, il sera préférable d’emprunter cette voie, comme l’a fait notre Cour dans l’arrêt Mangat.
78 En définitive, si en théorie l’examen de l’exclusivité des compétences peut être entrepris une fois achevée l’analyse du caractère véritable, en pratique, l’absence de décisions antérieures préconisant son application à l’objet du litige justifiera en général le tribunal de passer directement à l’examen de la prépondérance fédérale.
H. Application aux faits de l’espèce
79 Bien que nous ayons déjà passé en revue les éléments factuels de la présente affaire pour les besoins de notre analyse juridique, nous les examinerons maintenant de manière plus approfondie par respect pour les arguments rigoureux qu’ont invoqués les parties.
(1) Le caractère véritable de l’Insurance Act de l’Alberta se rapporte à la propriété et aux droits civils dans la province
80 L’Insurance Act de l’Alberta est une loi valide. Comme les banques le reconnaissent, le commerce de l’assurance en général relève de la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils. Voir, par exemple, les arrêts Parsons et Canadian Pioneer Management. Tel que mentionné précédemment, une société constituée sous le régime d’une loi fédérale demeure assujettie à la réglementation provinciale en ce qui concerne ses activités d’assurance : Canadian Indemnity. Les banques affirment toutefois que la promotion de leurs huit types de produits d’assurance « autorisée » fait partie intégrante de leurs pratiques de crédit, et donc des opérations bancaires, un secteur d’activité régi par le droit fédéral.
81 Les banques en tant que telles ne sont cependant pas soustraites au droit provincial. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’arrêt Bank of Toronto c. Lambe a décidé que la banque était assujettie à un impôt provincial visant les banques. Dans Gregory Co. c. Imperial Bank of Canada, [1960] C.S. 204, la Cour supérieure du Québec a statué que les banques étaient assujetties aux lois provinciales sur les valeurs mobilières. Par conséquent, le simple fait que les banques se livrent maintenant à la promotion d’assurance ne modifie en rien la nature essentielle de l’activité d’assurance, qui demeure une matière relevant généralement de la compétence provinciale.
82 À cet égard, les banques prétendent également que si l’assurance constitue généralement une matière provinciale, lorsqu’elle est utilisée comme garantie des prêts bancaires, l’assurance crédit est quant à elle « intégrée » aux opérations bancaires de la même façon que le droit de la négligence a été considéré comme faisant « partie intégrante » de la navigation et de l’expédition par eau dans Succession Ordon. Comme nous venons de le voir, cet argument de l’intégration échoue d’après les faits.
(2) Il incombe à celui qui invoque la doctrine de l’exclusivité des compétences d’établir, selon les faits de l’espèce, que l’assurance crédit fait partie du contenu minimum élémentaire et irréductible de la compétence sur les banques
83 L’attribution au Parlement de la compétence sur « [l]es banques, l’incorporation des banques et l’émission du papier‑monnaie » en vertu du par. 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867 avait pour but l’instauration d’un système financier harmonieux et uniforme relevant de la compétence et de l’autorité exclusives du gouvernement fédéral, par opposition à un système régional de banques qui, [traduction] « [d]urant les années ayant précédé la Confédération canadienne, avait marqué aux États‑Unis une “époque chaotique d’opérations bancaires à l’état sauvage” » (P. N. McDonald, « The B.N.A. Act and the Near Banks : A Case Study in Federalism » (1972), 10 Alta. L. Rev. 155, p. 156; B. Laskin, Canadian Constitutional Law : Cases, Text and Notes on Distribution of Legislative Power (3e éd. 1969), p. 603).
84 Au moins en partie, l’importance d’une autorité nationale tenait « [au] statut particulier des banquiers [en tant qu’intermédiaires financiers], [à] leur importance au centre de la communauté financière [et à] l’attente du public qu’il peut leur accorder une confiance implicite et absolue » (Canadian Pioneer Management, p. 461). En 1914, la Haute Cour d’Australie a affirmé ce qui suit :
[traduction] Les caractéristiques essentielles des opérations bancaires [. . .] peuvent être décrites comme la collecte de sommes d’argent par la réception de dépôts relatifs à des prêts, remboursables au moment et de la manière convenus expressément ou implicitement, et l’utilisation des sommes ainsi perçues pour accorder de nouveaux prêts. . .
(Commissioners of the State Savings Bank of Victoria c. Permewan, Wright & Co. (1914), 19 C.L.R. 457, p. 470-471)
85 Il n’est pas nécessaire, en l’espèce, d’examiner en profondeur la tâche notoirement difficile de définir les opérations bancaires, lesquelles comprennent l’incorporation des banques et certainement, comme le prétendent les appelantes, la protection des prêts par l’obtention d’une garantie suffisante. Ce qui est en cause, c’est la différence entre le fait d’exiger une garantie (une activité bancaire) et celui de promouvoir l’achat d’un certain type de produit (par exemple, une assurance) qui pourrait ensuite être utilisé comme garantie. Pour sa part, l’intimée soutient que la thèse des appelantes amène le contenu « minimum élémentaire et irréductible » de cette compétence à correspondre plus ou moins à ce que les banquiers peuvent faire. Il ne fait aucun doute que les opérations bancaires jouent un rôle crucial pour l’économie, et que même le contenu minimum élémentaire et irréductible de la compétence exclusive attribuée au Parlement à cet égard ne doit pas recevoir une interprétation étroite. Les banques sont des institutions de grande importance. Les autorités fédérales surveillent tous les aspects de leurs activités afin de s’assurer qu’elles demeurent solvables et n’abusent pas de la situation privilégiée dans laquelle elles se trouvent en tant qu’entités qui reçoivent des dépôts et accordent du crédit. La jurisprudence reconnaît que le Parlement, dans sa réglementation sur les banques, peut bien empiéter sur des matières qui relèveraient par ailleurs de la compétence provinciale, comme la propriété et les droits civils dans la province, y compris l’assurance. Dès 1894, on a conclu que la compétence fédérale sur les banques permettait au Parlement d’accorder à celles‑ci des privilèges ayant [traduction] « pour effet de modifier les droits civils dans la province » (Tennant, p. 47). (Voir également Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, [1947] A.C. 503 (C.P.), et Banque de Montréal c. Hall, p. 132‑133.) Toutefois, ces considérations ne devraient pas engendrer de confusion entre la portée de la compétence fédérale et le contenu minimum élémentaire et irréductible de celle‑ci.
(3) L’assurance crédit ne constitue pas un élément vital ou essentiel de l’entreprise bancaire
86 Les appelantes s’appuient sur l’arrêt Turgeon c. Dominion Bank, [1930] R.C.S. 67, pour affirmer que, lorsqu’une banque accepte une assurance en garantie d’un prêt, elle effectue une opération bancaire. Mais là n’est pas la question non plus. Il s’agit de déterminer si, en faisant la promotion d’assurance facultative, la banque se livre à une activité vitale ou essentielle à l’entreprise bancaire. Selon ce qu’ont conclu les tribunaux de l’Alberta, la réponse est non. Nous souscrivons à cette conclusion.
87 Les appelantes invoquent la décision rendue en leur faveur par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Bank of Nova Scotia c. British Columbia (Superintendent of Financial Institutions) (2003), 11 B.C.L.R. (4th) 206 (l’arrêt « Optima »), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2003] 3 R.C.S. viii. Cet arrêt portait sur la vente, par un télévendeur, d’une assurance carte Visa de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Il s’agissait de savoir si une loi provinciale pouvait obliger les télévendeurs à obtenir un permis provincial. La Cour d’appel de la C.‑B. a conclu ce qui suit :
[traduction] Un régime de délivrance de permis provincial qui permet à la province de décider qui obtient un permis et à quelles conditions, et qui pourrait en quelque sorte avoir pour effet d’empêcher la banque d’obtenir une garantie, toucherait à un élément essentiel d’une entreprise fédérale. . .
. . . qu’il suffise de dire que la prise de garanties de façon générale constitue un aspect essentiel de la compétence sur les banques. [Nous soulignons; par. 90‑91.]
88 Dans le présent pourvoi, les appelantes ont également axé leur argumentation sur l’obligation d’obtenir un permis provincial. Toutefois, si, comme nous le concluons, la promotion d’assurance n’est pas vitale ou essentielle à l’activité bancaire, rien ne justifie que les banques soient protégées contre les conséquences du non‑respect de l’Insurance Act provinciale. Si une banque fait des fausses déclarations quant au montant des primes d’assurance, communique à tort des renseignements confidentiels à des tiers ou se livre à des pratiques commerciales que l’Assemblée législative de l’Alberta considère déloyales, rien ne saurait justifier qu’elle échappe à la discipline réglementaire à laquelle tous les autres promoteurs d’assurance de la province sont assujettis. Évidemment, si le ministre en venait à imposer aux banques un traitement discriminatoire, ces dernières pourraient recourir au contrôle judiciaire de la manière habituelle. (Puisque les appelantes ont beaucoup insisté sur la décision prise par la Cour de refuser l’autorisation de pourvoi à l’encontre de l’arrêt Optima, nous soulignons en passant que ce refus ne saurait être interprété comme un acquiescement au jugement dont on veut faire appel, pas plus que l’octroi de l’autorisation ne peut être considéré comme un signe de désapprobation de ce jugement. Dans le cadre du processus d’autorisation, la Cour n’entend pas et ne tranche pas l’affaire sur le fond. La mention « autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée » figure dans les recueils de jurisprudence pour des raisons de commodité.)
89 Les appelantes se fondent également sur l’arrêt Banque de Montréal c. Hall, dans lequel notre Cour a conclu comme suit :
. . . il est incontestable que la compétence fédérale en matière d’opérations bancaires permet au Parlement d’établir une nouvelle forme de financement et de définir, d’une façon complète et exclusive, les droits et obligations des emprunteurs et des prêteurs en vertu de cette sûreté. [p. 150]
Toutefois, il nous faut réitérer que le simple fait pour le Parlement de pouvoir établir de nouvelles formes de financement ne signifie pas que le par. 91(15) attribue au Parlement la compétence exclusive d’en réglementer la promotion. S’il fallait que les lois provinciales soient jugées inapplicables à toutes les formes de garantie détenues par les banques, l’application d’une loi provinciale comme la Personal Property Security Act, R.S.A. 2000, ch. P‑7 (« PPSA »), serait également menacée. Les appelantes prétendent que l’Insurance Act diffère de la PPSA parce qu’elle peut entraîner une interdiction de l’activité (la promotion de l’assurance), alors que la PPSA ne vise que la façon dont le créancier réalise sa garantie. Cependant, l’Insurance Act n’interdit pas la promotion d’assurance, pas plus que la PPSA n’interdit la réalisation d’une garantie. Dans les deux cas, le respect des règles provinciales représente une condition préalable à l’obtention du bénéfice de la loi. La démarcation tranchée que les banques cherchent à obtenir entre les règlements fédéraux et provinciaux risque non seulement de créer un vide juridique, mais de priver les législateurs des deux ordres de gouvernement de la souplesse nécessaire pour qu’ils s’acquittent de leurs responsabilités respectives.
90 D’autres circonstances de la présente affaire, dont certaines sont mentionnées précédemment, justifient également la décision des tribunaux de l’Alberta de rejeter la thèse des appelantes.
91 Premièrement, le par. 416(1) de la Loi sur les banques autorise les entreprises bancaires à mener certaines activités d’assurance, mais il reconnaît que l’assurance constitue un commerce distinct des opérations bancaires. Le paragraphe 416(1) dispose : « [i]l est interdit à la banque de se livrer au commerce de l’assurance, sauf dans la mesure permise par la présente loi ou les règlements. » Le Parlement lui‑même ne semble pas considérer la promotion d’assurance comme une « opération bancaire ». Alors que le Parlement ne peut unilatéralement définir l’étendue de ses pouvoirs, il n’en reste pas moins qu’il a toujours considéré l’assurance et les opérations bancaires comme des activités distinctes, et continue de le faire.
92 Deuxièmement, selon les faits, l’assurance dont les banques font la promotion n’est pas obligatoire et peut être annulée en tout temps par le client, et cette promotion n’est souvent faite qu’après la conclusion du prêt. Les banques elles‑mêmes ne considèrent donc pas l’assurance comme un élément vital de leur activité d’octroi de crédit puisque, à l’exception des hypothèques à proportion élevée visées par l’art. 418, la conclusion du prêt ne dépend pas, en pratique, de l’obtention d’une assurance, comme l’a conclu le juge de première instance. Ce genre d’assurance se distingue de l’assurance hypothèque obligatoire. Comme l’a fait observer le juge Slatter :
[traduction] L’assurance‑prêt obligatoire ne fait pas l’objet d’une promotion par la banque, n’est pas facultative, ne génère pas de frais bancaires, fait partie de la décision d’accorder le crédit et ne peut être annulée en l’absence d’une défaillance à l’égard du prêt. Les produits d’assurance autorisée ont l’effet contraire à l’égard de chacun de ces points. [par. 165]
93 Troisièmement, l’assurance en question ne possède qu’un lien ténu avec le remboursement éventuel de la dette. L’élément déclencheur dans le cas de l’assurance « catastrophe personnelle » n’est pas le défaut de remboursement du prêt mais plutôt la survenance d’un événement dans la vie de l’assuré. Comme l’a fait remarquer à juste titre le juge de première instance, aucun banquier prudent n’accorderait de crédit si le remboursement n’était garanti qu’en cas de survenance d’un événement catastrophique dans la vie du débiteur. En outre, certaines couvertures d’assurance‑vie prennent fin lors du défaut de paiement des versements sur le prêt, ce qui dépouille l’assurance de toute utilité au moment même où les banques en auraient le plus grand besoin pour assurer le remboursement du prêt.
94 Quatrièmement, les banques exploitent leur entreprise d’assurance comme un centre de revenu distinct n’ayant aucun rapport avec leurs opérations bancaires. La promotion d’assurance peut constituer une importante source de revenu pour les banques et leur procurer un avantage concurrentiel, mais les avantages commerciaux ne transforment pas la promotion d’assurance en activité bancaire de base.
95 Cinquièmement, les appelantes soutiennent que la promotion d’assurance leur permet de réduire le risque d’ensemble de leur portefeuille. Toutefois, selon la preuve, les prêts sont garantis d’autres façons, et l’assurance est ensuite offerte pour que la banque n’ait pas à recourir à cette garantie. La preuve des banques concernant le nombre de clients qui ont souscrit une assurance (ou la valeur des prêts assurés) n’est pas utile car la plupart des prêts sont garantis par d’autres moyens. L’article 416 de la Loi sur les banques n’indique pas une façon pour les banques de réaliser leur garantie (comme dans Hall) mais leur permet simplement de faire la promotion de produits d’assurance, ce qu’elles font dans un but lucratif.
96 Selon le dernier argument des banques, la promotion d’assurance constitue un élément vital des opérations bancaires parce qu’elle permet le recouvrement de la dette sans qu’il soit nécessaire de réaliser la garantie à un moment où le client se trouve en mauvaise posture. Toutefois, comme l’a souligné le juge de première instance, il s’agit là d’une question de relations avec les clients et de fidélisation de la clientèle, qui n’est ni plus ni moins importante pour l’entreprise bancaire qu’elle ne l’est pour toute autre entreprise.
97 Les questions constitutionnelles formulées en l’espèce se limitant expressément à l’« assurance autorisée » et à l’« assurance accidents corporels », les présents motifs ne doivent pas être perçus comme s’appliquant aux questions constitutionnelles qui pourraient être soulevées à l’égard de l’assurance hypothèque obligatoire.
(4) La doctrine de la prépondérance des lois fédérales ne s’applique pas aux faits de l’espèce
98 Selon l’argument subsidiaire des banques, si la loi provinciale est applicable à la promotion d’assurance par les banques, elle devient néanmoins inopérante en raison de la doctrine de la prépondérance. Elles plaident que la Loi sur les banques fédérale autorise les banques à faire de la promotion d’assurance, sous réserve des restrictions qui y sont énumérées, et que ces dispositions législatives sont complètes et ont prépondérance sur celles édictées par la province. À notre avis, ni l’incompatibilité d’application ni l’entrave à la réalisation de l’objectif fédéral n’ont été établies.
a) Aucune incompatibilité d’application
99 Depuis l’an 2000, les banques font la promotion d’assurance en Alberta tout en respectant à la fois la Loi sur les banques et l’Insurance Act provinciale. Toutes les appelantes sont actuellement titulaires du certificat restreint provincial et se livrent activement à la promotion d’assurance en Alberta. On ne saurait affirmer, pour reprendre les propos du juge Dickson, qu’une loi dit « oui » et que l’autre dit « non », ou que « l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre » : Multiple Access, p. 191.
100 Les appelantes affirment qu’un conflit existe entre le par. 416(2) de la Loi sur les banques, qui interdit aux banques d’agir à titre d’« agents », et l’Insurance Act provinciale, qui oblige les banques à obtenir un [traduction] « certificat d’autorisation restreint les habilitant à agir comme agent d’assurance » (par. 454(1)). Il est cependant manifeste que le terme « agent » n’est pas employé dans le même sens dans les deux lois. Dans la Loi sur les banques, le terme « agent » n’est pas défini et a le sens que lui donne la common law, soit celui d’une personne pouvant engager légalement son mandant, ce que les banques ne peuvent pas faire. Elles ne peuvent pas engager un assureur. Elles ne font que la « promotion » d’assurance. L’expression « agent d’assurance », par contre, est définie dans l’Insurance Act et s’entend d’une personne [traduction] « qui, contre rémunération, sollicite de l’assurance pour le compte d’un assureur, d’un assuré ou d’un assuré éventuel » (art. 1). Les banques peuvent donc valablement agir à titre d’agents d’assurance selon l’Insurance Act en faisant la promotion d’assurance (ou en la sollicitant) et en transmettant les demandes sans engager l’assureur ou l’assuré éventuel conformément à l’interdiction prévue par la Loi sur les banques. Il ne s’agit pas d’un cas où la loi provinciale interdit ce que la loi fédérale permet.
b) Aucune entrave à la réalisation d’un objectif fédéral
101 L’affaire Mangat offre l’exemple classique d’une loi provinciale qui entrave la réalisation d’un objectif fédéral. Dans cette affaire, la loi provinciale interdisant aux non‑avocats de comparaître en qualité de procureur rétribué devant un tribunal, si elle avait été appliquée, serait allée à l’encontre de l’intention du Parlement de permettre aux non‑avocats de comparaître dans les instances en immigration afin de favoriser la tenue d’audiences informelles, accessibles et rapides.
102 Les banques prétendent que la Loi sur les banques et le RCA s’apparentent aux dispositions législatives en cause dans l’affaire Mangat et devrait être considérée comme exprimant l’intention du Parlement de faire en sorte que son règlement soit exhaustif. Cette prétention n’est cependant pas étayée par le dossier.
103 En l’espèce, comme dans l’affaire Rothmans, la disposition législative fédérale est permissive. Selon le par. 416(1), « [i]l est interdit à la banque de se livrer au commerce de l’assurance, sauf dans la mesure permise par la présente loi ou les règlements ». Cette formulation présente une certaine similitude avec la loi examinée dans l’arrêt Spraytech, où la Cour a conclu que la loi fédérale sur le contrôle des pesticides était « permissive, et non pas exhaustive » (par. 35). Le Parlement n’avait pas l’intention de réglementer complètement l’utilisation des pesticides et n’avait pas non plus pour objectif d’autoriser leur utilisation. La loi fédérale sur les pesticides elle‑même envisageait l’existence de règlements municipaux complémentaires; voir par. 40 et 42. De la même façon, la loi fédérale en cause en l’espèce, bien qu’elle permette aux banques de faire la promotion d’assurance autorisée, contient des mentions qui laissent entendre que le droit provincial pertinent est applicable. Le paragraphe 7(2) du RCA prévoit ce qui suit :
7. . . .
(2) Malgré le paragraphe (1) et l’article 6, la banque peut exclure de la promotion visée aux alinéas (1)e) ou 6b) toute personne, selon le cas :
a) dont il serait contraire à une loi fédérale ou provinciale qu’une telle promotion s’adresse à elle . . .
104 L’historique législatif pertinent peut être utile pour mettre en lumière l’objectif poursuivi par le Parlement en adoptant les modifications de 1991. Comme l’a affirmé le juge McIntyre dans Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, dans les affaires constitutionnelles, « on peut tenir compte d’éléments de preuve extrinsèques pour vérifier non seulement l’application et l’effet de la loi contestée, mais aussi son objet véritable » (p. 318).
105 En l’espèce, le dossier législatif pertinent comprend d’abord le Livre vert de 1985 du ministère des Finances intitulé La réglementation des institutions financières du Canada : propositions à considérer (p. 92‑93). Bien que la vente d’assurance par les banques n’ait pas été examinée en détail, le Livre vert a quand même souscrit à l’idée d’une uniformité des règles du jeu pour tous ceux qui participent à la vente d’un produit donné. Le comité sénatorial permanent qui a répondu au Livre vert a acquiescé, et a également recommandé l’instauration de règles du jeu uniformes pour faire en sorte qu’aucune institution ne tire un avantage concurrentiel du fait qu’elle est assujettie à un régime de réglementation différent de celui de ses concurrents (Vers une plus grande compétitivité dans le secteur financier (1986), seizième rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, p. 65).
106 Vu la portée de la réforme qui allait par la suite être adoptée en 1991, on a convenu de procéder à un examen des modifications cinq ans plus tard. Le document intitulé Changement, défis et possibilités, l’examen effectué par le Groupe de travail sur l’avenir du secteur des services financiers canadien (« Groupe de travail MacKay ») est postérieur à l’adoption des modifications de 1991 et n’a pas, pour ce motif, une grande valeur probante, mais il présente après le fait un énoncé réfléchi, par certains parlementaires, au sujet de leur objectif législatif et fournit, dans cette mesure, une certaine confirmation a posteriori de la thèse de l’intimée. Le Groupe de travail MacKay a analysé le rôle de la réglementation provinciale et a affirmé
que les employés des institutions de dépôts qui sont préposés à la vente d’assurance devraient se conformer aux exigences applicables au niveau provincial, en matière de connaissance et d’obtention de permis de vente d’assurance, dans la mesure où ces exigences ne sont pas discriminatoires. [Nous soulignons.]
(Groupe de travail MacKay, Document d’information no 2, Souplesse d’organisation des institutions financières : un cadre d’intensification de la concurrence (1998), p. 107)
Une recommandation contenue dans le rapport final du Groupe de travail MacKay traite expressément des permis comme le certificat restreint d’agent d’assurance de l’Alberta :
19) Les employés qui vendent de l’assurance dans les institutions de dépôts devraient être tenus de se conformer aux règles provinciales applicables en matière de scolarité et d’octroi de permis aux vendeurs et vendeuses d’assurance, tant que ces règles ne sont pas discriminatoires.
(Rapport du Groupe de travail MacKay, recommandation 19, p. 225)
107 Le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a examiné le rapport du Groupe de travail MacKay et a accepté cette proposition : « [l]es vendeurs de produits d’assurance doivent être accrédités et posséder toutes les qualifications exigées des autres personnes vendant des produits similaires » (L’avenir commence maintenant : Une étude sur le secteur des services financiers au Canada (1998), p. 185).
108 Nous n’accordons pas beaucoup d’importance aux interventions parlementaires après l’adoption des lois. L’intention du législateur dans les modifications de 1991 est claire à première vue. Les appelantes prétendent que le Parlement a voulu instaurer un système « bancaire » national uniforme à l’égard de la promotion d’assurance, mais rien dans le dossier n’étaye une telle conclusion. Depuis 1985 au moins, les membres du Parlement avaient le souci d’assurer le maintien de règles du jeu uniformes pour tous les fournisseurs de services financiers qui font le même commerce. Soustraire les banques à l’application de la réglementation provinciale sur les pratiques du marché les placerait dans une situation avantageuse sur ce marché. Tout indique que le Parlement désirait éviter une telle situation.
109 Les présents motifs, comme ceux de la juge Hunt, portent essentiellement sur les arguments des banques fondés sur la doctrine de la prépondérance concernant l’obligation d’obtenir un permis provincial et le conflit censé exister à l’égard de la définition du terme « agent ». D’autres conflits plus spécifiques ont été allégués devant le juge de première instance, qui les a rejetés. Ces contestations n’ont pas été reprises devant la Cour d’appel ni devant notre Cour. Si une question devait se poser à l’avenir relativement à un conflit qui n’a pas été abordé en l’espèce ou dans les motifs des tribunaux d’instance inférieure, les banques auraient, évidemment, tout le loisir de faire valoir un argument fondé sur la doctrine de la prépondérance en se fondant sur les faits existant à ce moment‑là.
VII. Conclusion
110 Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de répondre aux questions constitutionnelles de la façon suivante :
1. Est‑ce que la loi de l’Alberta intitulée Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, et les règlements pris en vertu de cette loi, sont pour tout ou partie constitutionnellement inapplicables, par l’effet de la doctrine de l’exclusivité des compétences, à la promotion par les banques d’« assurance autorisée » et d’« assurance accidents corporels » au sens du Règlement sur le commerce de l’assurance (banques et sociétés de portefeuille bancaires), DORS/92‑330?
Réponse : Non.
2. Est‑ce que la loi de l’Alberta intitulée Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, et les règlements pris en vertu de cette loi, sont pour tout ou partie constitutionnellement inopérants, par l’effet de la doctrine de la prépondérance des lois fédérales, à l’égard de la promotion par les banques d’« assurance autorisée » et d’« assurance accidents corporels » au sens du Règlement sur le commerce de l’assurance (banques et sociétés de portefeuille bancaires), DORS/92‑330?
Réponse : Non.
Version française des motifs rendus par
111 Le juge Bastarache — J’ai pris connaissance des motifs des juges Binnie et LeBel, et je suis d’accord avec la conclusion qu’ils proposent. Je ne peux souscrire, cependant, à leur interprétation de la doctrine de l’exclusivité des compétences et à leur appréciation de cette doctrine dans le cadre de la démarche méthodologique générale développée à l’égard des questions de partage des compétences. J’estime que leur interprétation restreint gravement la doctrine, et une telle restriction n’est pas justifiée. Comme je l’ai expliqué dans mes motifs dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., [2007] 2 R.C.S. 86, 2007 CSC 23, tant la doctrine que des raisons d’ordre pratique justifient le maintien de la doctrine de l’exclusivité des compétences (voir les par. 102 à 108). Je n’entends pas revoir en détail ma défense de cette doctrine, mais je signale que, dans Lafarge, j’ai bel et bien tenu compte de l’importante préoccupation voulant que cette doctrine crée inutilement et injustement une assise beaucoup plus vaste où le pouvoir central est davantage favorisé aux dépens des principes du fédéralisme et du régionalisme. Je suis arrivé à la conclusion que la meilleure façon de répondre à cette préoccupation était de clarifier le sens du terme « touche » contenu dans le critère proposé par l’expression « touche un élément essentiel » de manière à ce que la loi provinciale contestée doive produire sur le contenu essentiel d’un chef de compétence législative fédérale des effets suffisamment importants pour justifier que l’on conclue à l’existence d’une compétence exclusive (par. 109). À mon avis, cette interprétation favorise une évolution progressive de la doctrine, évite que l’on écarte de façon importante la jurisprudence récente de notre Cour dans ce domaine, et est mieux adaptée aux besoins d’ordre pratique dont nous devons toujours nous préoccuper dans les affaires constitutionnelles. Je propose donc de résoudre la présente affaire selon les principes et la méthode d’interprétation que j’ai énoncés dans l’arrêt Lafarge. À cette fin, j’accepte toutefois les faits tels que les ont exposés les juges Binnie et LeBel aux par. 5 à 11 de leurs motifs.
1. La démarche méthodologique applicable
112 Dans l’arrêt Lafarge, j’ai entrepris mon analyse en énonçant la démarche méthodologique applicable à l’égard des questions de partage des compétences. Comme je l’ai mentionné au par. 102, les contestations judiciaires de nature constitutionnelle devraient toutes suivre le même modèle. Premièrement, il faut examiner le caractère véritable des dispositions législatives provinciales et fédérales pour s’assurer qu’elles ont toutes été validement adoptées et pour déterminer la nature du chevauchement qui existe entre elles, le cas échéant. Deuxièmement, il faut trancher la question de l’applicabilité de la loi provinciale à l’entreprise ou la matière fédérale en cause en se fondant sur la doctrine de l’exclusivité des compétences. Troisièmement, ce n’est que si la loi provinciale et la loi fédérale ont toutes deux été déclarées valides, et que si la loi provinciale a été jugée applicable à la matière fédérale en question, que l’on doit comparer les deux lois afin de déterminer si le chevauchement qui existe entre elles constitue un « conflit » suffisamment grave pour entraîner l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale.
113 Ces étapes devraient être abordées suivant l’ordre indiqué ci‑dessus de sorte que, si la loi contestée est déclarée invalide selon le critère du caractère véritable, il ne sera pas nécessaire d’examiner si elle s’applique. De même, comme je l’ai démontré dans l’arrêt Lafarge, lorsqu’une loi contestée est jugée inapplicable à une entreprise ou matière fédérale en raison de l’exclusivité des compétences, il n’y a plus lieu d’examiner ensuite son caractère opérant. Je ne peux souscrire à l’affirmation des juges Binnie et LeBel, aux par. 76 à 78 de leurs motifs, selon laquelle l’examen du caractère opérant devrait généralement, en l’absence de « situations déjà traitées dans la jurisprudence », précéder celui de l’applicabilité dans le cadre analytique du partage des compétences, et que l’analyse fondée sur la doctrine de l’exclusivité des compétences devrait constituer une exception par rapport à la démarche méthodologique générale. Selon moi, il est impossible de conclure qu’une loi fédérale a prépondérance sur une loi provinciale, ou que la loi provinciale est inopérante, si la loi provinciale ne s’applique même pas à la matière fédérale en question. Il s’agit là d’une question de considérations pratiques tout autant que de logique.
114 Quant à la possibilité d’examiner d’abord la question de la prépondérance, J. E. Magnet, dans « Research Note : The Difference Between Paramountcy and Interjurisdictional Immunity », dans Constitutional Law of Canada : Cases, Notes and Materials (8e éd. 2001), vol. 1, p. 338, souligne de façon convaincante les différences entre les doctrines de l’exclusivité et de la prépondérance. Il écrit que la doctrine de l’exclusivité des compétences [traduction] « diffère de la doctrine de la prépondérance en ce sens que même lorsque les lois ne se contredisent pas ou ne se rejoignent pas, la loi provinciale obstrue considérablement la chose, la personne ou l’entreprise fédérales, touche leur statut ou atténue les attributs fédéraux essentiels qui font qu’ils relèvent de la compétence fédérale » (p. 339). Je conviens que les différents types d’analyses juridiques constitutionnelles sont manifestement nécessaires. J’aborde maintenant les étapes de la démarche méthodologique applicable en l’espèce.
2. Application aux faits
2.1 La validité des lois provinciale et fédérale
115 Nous devons d’abord nous demander si le caractère véritable de la loi contestée en cause, l’Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, se rapporte à une matière provinciale. Comme je l’ai indiqué dans l’arrêt Lafarge, il est également utile à cette étape de se prononcer sur la validité de la loi fédérale en question — en l’espèce, la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46 — pour déterminer comme il se doit si la doctrine de la prépondérance fédérale s’applique, dans l’hypothèse où l’analyse se poursuivrait jusqu’à cette étape (voir Lafarge, par. 117).
116 L’Insurance Act est manifestement une loi dont le « caractère véritable » se rapporte à la réglementation du commerce de l’assurance dans la province, et les dispositions particulières en cause portent sur la délivrance de permis aux fournisseurs, promoteurs et agents d’assurance, et sur la réglementation de leurs activités. La loi provinciale s’applique à toutes les personnes qui fournissent des services d’assurance ou qui en font la promotion, y compris les banques. Il s’agit donc d’une disposition d’application générale valide édictée en vertu de la compétence législative provinciale sur la « propriété et les droits civils » dans la province conférée par le par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il n’en reste pas moins que les effets de la loi provinciale créent un certain chevauchement avec les domaines de compétence fédérale étant donné qu’elle pourrait s’appliquer aux banques en tant que catégorie de personnes ou d’institutions exploitant une entreprise d’assurance. La loi provinciale produit donc des « effets accessoires » sur les banques et, par voie de conséquence, sur la compétence fédérale sur les banques; un tel chevauchement est généralement acceptable et ne devrait pas rendre inconstitutionnelle une loi qui relève par ailleurs de la compétence provinciale : voir Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, par. 54. L’importance de ces effets accessoires, cependant, et la possibilité qu’ils portent atteinte au « contenu essentiel » de la compétence sur les banques et qu’ils entravent la réalisation de l’objectif qu’avait le Parlement en modifiant la Loi sur les banques pour permettre aux banques de faire la promotion de certains types d’assurance autorisée, seront examinées à l’étape de l’application des doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance des lois fédérales.
117 Les parties n’ont pas contesté la validité de la Loi sur les banques, et le juge de première instance était disposé à présumer sa constitutionnalité selon le par. 91(15) pour les besoins de cette contestation ((2003), 343 A.R. 89, par. 86). Je suis moi aussi disposé à le faire. Toutefois, je suis d’accord avec la juge Hunt, qui ne partageait pas l’avis du juge de première instance en concluant que c’était la compétence fédérale sur les « banques » elle‑même, et non la compétence législative en matière d’« incorporation des banques » conférée par le par. 91(15), qui habilitait le Parlement à modifier la Loi sur les banques pour permettre à celles‑ci de se livrer à la promotion de produits d’assurance autorisée ((2005), 39 Alta. L.R. (4th) 1, par. 35). Pour certaines sociétés ou entreprises, la compétence fédérale en matière d’incorporation comprend la création d’une société, l’attribution à celle‑ci d’une personnalité juridique, la création de sa structure organisationnelle, et le pouvoir à l’égard de sa capacité et son statut juridiques. Cependant, selon Hogg, cette compétence fédérale [traduction] « n’autorise pas la réglementation des activités de sociétés constituées sous le régime de la loi fédérale, et il ne peut donc y avoir aucune immunité à l’égard des lois provinciales réglementant les activités de ces sociétés » (P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), par. 15.8c), note 116 (je souligne)). Ainsi, lorsque le Parlement a modifié le régime législatif fédéral pour permettre un élargissement des activités et opérations auxquelles les banques peuvent participer, il doit l’avoir fait en se fondant sur sa compétence sur les « banques », plutôt que sur sa compétence en matière d’« incorporation ». Si les banques doivent jouir d’une quelconque immunité en leur qualité d’entreprises fédérales et de sociétés constituées sous le régime d’une loi fédérale, ce doit être en raison de l’effet inacceptable que produit la loi provinciale sur le pouvoir fédéral de réglementer les activités des banques en vertu de la compétence sur les banques, et non en raison d’un effet quelconque sur la compétence en matière d’incorporation.
2.2 L’applicabilité de la loi provinciale
118 J’ai exposé ainsi au par. 118 de mes motifs dans l’arrêt Lafarge la démarche analytique qu’il convient d’appliquer à l’analyse de l’applicabilité :
La première étape consiste à préciser le « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale; c’est‑à‑dire, à déterminer en quoi consiste l’étendue immédiate de la compétence fédérale, et ensuite à déterminer si l’entreprise ou la matière fédérale en cause entre dans ce contenu essentiel. La deuxième étape consiste à déterminer si la loi provinciale contestée [. . .] touche d’une manière inacceptable un aspect vital du contenu essentiel de l’un ou l’autre des chefs de compétence fédérale, ce qui la rendrait de ce fait inapplicable à l’entreprise ou à la matière fédérale (voir l’arrêt Bell Canada (1988); voir également Hogg (éd. feuilles mobiles), p. 15‑25 à 15‑28, et Monahan, p. 123‑126).
La première étape consiste donc à préciser le « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale en cause, soit, en l’espèce, la compétence sur les « banques » conférée par le par. 91(15). Je ne préconise pas un concept du « contenu essentiel » trop restrictif, pas plus que je ne préconise un concept du « contenu essentiel » dont la définition est trop large (par. 127 de mes motifs dans Lafarge). En définitive, j’estime que l’étendue du « contenu essentiel » tient beaucoup au contexte; elle dépend du chef de compétence fédérale en question. Dans l’arrêt Lafarge, par exemple, j’ai conclu que la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires (par. 91(10)) a une vaste portée, et que son contenu essentiel doit donc être défini de façon plus globale et complète (par. 131). Bien que la compétence fédérale sur les « banques » conférée par le par. 91(15) ait également été considérée comme ayant une grande portée (voir Hogg, par. 24.2a)), je ne crois pas que son contenu essentiel soit aussi imprécis. Certes, ce n’est pas parce qu’une chose est permise par la Loi sur les banques qu’elle est essentielle aux opérations bancaires. Seuls les éléments de la compétence fédérale qui sont « vitaux ou essentiels » au bon fonctionnement de l’entreprise ou de la matière fédérale sont protégés contre les ingérences inacceptables des provinces : voir Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 955. À l’issue d’un examen approfondi de la jurisprudence, le juge de première instance a conclu que le prêt d’argent, la réception de dépôts, l’octroi de crédit sous forme de prêts et la prise de sûretés à l’égard de ces prêts constituaient les éléments essentiels des opérations bancaires (par. 129‑130). J’en conviens. L’étude des éléments « essentiels » de la compétence fédérale sur les banques nous porte naturellement à examiner les activités et opérations des banques qui sont au cœur des raisons pour lesquelles celles‑ci relèvent de la compétence fédérale. Ainsi, la réception de dépôts et l’octroi de crédit, qui constituent à maints égards la raison d’être des banques, se situent sans contredit au centre de cet ensemble essentiel d’opérations et d’activités. On peut également considérer ces activités comme intrinsèques au contenu essentiel des opérations bancaires parce qu’il s’agit là clairement et manifestement du « domaine » des banques en tant qu’entreprises fédérales. La question devient donc de savoir si la matière particulière en cause s’inscrit dans ce contenu essentiel.
119 En l’espèce, je suis d’accord pour qualifier la matière particulière en cause de promotion d’assurance autorisée. Je peux sembler m’intéresser uniquement à une activité plutôt qu’à une matière ou à une compétence — un raisonnement que j’ai critiqué dans l’arrêt Lafarge (par. 110). Cependant, le problème que posait l’analyse des juges Binnie et LeBel dans Lafarge tenait au fait qu’ils avaient mis l’accent sur le pouvoir de l’Administration portuaire de Vancouver de réglementer l’utilisation des sols tel qu’il avait été exercé dans un cas en particulier par la décision d’autoriser le projet Lafarge. En l’espèce, le genre d’examen « interdit » correspondant serait donc axé sur le pouvoir des banques de faire la promotion de la vente de produits d’assurance autorisée tel qu’exercé dans un contexte factuel particulier (comme une façon particulière de faire la promotion d’une assurance, ou d’un produit ou du type d’assurance en particulier). Tout comme l’activité particulière de l’Administration portuaire de Vancouver qui a consisté à autoriser l’aménagement n’était pas techniquement pertinente à l’analyse de la doctrine de l’exclusivité des compétences dans l’arrêt Lafarge, la façon particulière dont les banques font la promotion des produits d’assurance autorisée ou le type particulier d’assurance autorisée n’auraient, en l’espèce, aucune pertinence à l’égard de cette analyse. Ainsi, la matière ou la compétence qui se trouve au cœur de cette analyse de l’exclusivité des compétences est la capacité des banques de faire la promotion de l’achat de produits d’assurance autorisée, peu importe si elles exercent réellement ce pouvoir ou la manière de l’exercer.
120 À mon avis, les tribunaux d’instance inférieure ont eu raison de conclure que la promotion d’assurance autorisée n’entre pas dans le « contenu essentiel » de l’activité bancaire. Il en est ainsi pour plusieurs raisons. Premièrement, pour reprendre les termes du juge de première instance (par. 164), la promotion de produits d’assurance autorisée se situe de par sa nature [traduction] « à un pas » de ce qui est généralement reconnu comme relevant des domaines « essentiels » de l’activité bancaire mentionnés précédemment. L’octroi de crédit en contrepartie d’une garantie et la prise de « sûretés » peuvent être considérés comme faisant clairement partie du contenu essentiel de la compétence sur les banques (voir Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121; Tennant c. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31 (C.P.); et Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, [1947] A.C. 503 (C.P.)). La promotion, la vente ou la création d’une assurance en tant qu’élément accessoire pour l’exercice d’une telle sûreté ne fait pas partie du contenu essentiel de la compétence sur les banques. Comme l’a reconnu le juge de première instance au par. 118, l’assurance ne pourra jamais constituer une « sûreté ». L’assurance constitue plutôt un élément accessoire à l’octroi d’un prêt bancaire. La loi provinciale en question ne doit donc pas être interprétée comme touchant la promotion de garanties, mais plutôt comme touchant la promotion d’un élément accessoire (voir les motifs du juge de première instance au par. 121). C’est donc à bon droit que le juge de première instance n’a pas retenu le point de vue qu’a exprimé la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique sur ce point dans l’arrêt Bank of Nova Scotia c. British Columbia (Superintendent of Financial Institutions) (2003), 11 B.C.L.R. (4th) 206.
121 Deuxièmement, bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant (parce que le Parlement ne peut, sur le plan constitutionnel, déterminer le contenu essentiel d’un champ de compétence fédérale), la structure et le libellé des dispositions législatives fédérales qui permettent aux banques de faire la promotion d’assurance indiquent que le Parlement a manifestement voulu n’autoriser qu’une participation limitée au commerce de l’assurance, reconnaissant que cette participation constituerait effectivement une ingérence des banques dans un domaine qui n’est pas traditionnellement associé au contenu essentiel des opérations des « banques ». De plus, l’examen par le juge de première instance des documents de référence secondaires extrinsèques concernant l’intention qu’avait le Parlement en adoptant les modifications à la Loi sur les banques de 1991 étaye l’idée que ce dernier voulait que les banques se livrent à la promotion d’assurance non pas à la faveur d’un élargissement du contenu essentiel de la compétence sur les banques, mais plutôt à titre d’exception limitée à l’interdiction générale (par. 75‑84). Le Parlement semble donc avoir établi une nette distinction entre les opérations bancaires et le commerce d’assurance.
122 Troisièmement, le but de la promotion d’assurance fournit un autre indice de son exclusion du contenu essentiel de la compétence sur les banques. On s’attendrait normalement à ce que les matières qui entrent dans le contenu essentiel d’un chef de compétence fédérale visent un but ou objectif compatible avec l’exercice de cette compétence, et avec son maintien et son utilisation. En l’espèce, la promotion d’assurance par les banques ne vise pas à permettre l’exercice et le maintien continus de la compétence fédérale sur les banques; elle semble plutôt avoir pour seul but de générer un revenu supplémentaire en tant que groupe de produits et centre de profit distincts, et de conserver et consolider ainsi l’avantage compétitif de la banque dans une économie « d’opérations bancaires universelles ». Comme preuve supplémentaire que la matière ne fait pas partie du contenu essentiel des opérations bancaires, je signale le fait que l’assurance dont on fait la promotion est facultative et peut être annulée en tout temps, ainsi que le fait que l’incidence globale de la promotion d’assurance sur le risque du portefeuille de la banque est très minime. Manifestement, la promotion d’assurance autorisée ne fait pas partie du contenu essentiel des opérations bancaires parce qu’elle n’est pas essentielle au fonctionnement des banques.
123 L’analyse ne devrait pas s’arrêter ici, cependant, puisque la deuxième étape énoncée dans l’arrêt Lafarge consiste à déterminer si la loi provinciale contestée touche d’une manière inacceptable un aspect vital du contenu fédéral essentiel du chef de compétence, ce qui la rend de ce fait inapplicable à l’entreprise ou matière fédérale. L’avantage d’un tel examen en deux volets tient au fait que l’examen, plutôt que de porter presque exclusivement sur la question de savoir si une matière fédérale entre dans le « contenu essentiel », laisse plus de latitude lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’application de la doctrine de l’exclusivité. Même si une matière est jugée essentielle à une entreprise fédérale, une loi provinciale ne sera mise à l’écart que si l’« effet » qu’elle produit sur la compétence fédérale est « suffisamment grave » : la compétence législative fédérale doit être « attaquée », « empêchée » ou « restreinte » (voir par. 108 et 139 de mes motifs dans Lafarge). La promotion d’assurance ne faisant pas partie du contenu essentiel des opérations bancaires, il est évident qu’en l’espèce, l’Insurance Act de l’Alberta ne touche pas d’une façon importante le contenu essentiel des opérations bancaires. Si la promotion d’assurance faisait partie de ce contenu essentiel, il faudrait entreprendre un examen plus approfondi, comme dans l’arrêt Lafarge (voir par. 139-141), afin de déterminer l’importance de cette atteinte. Par conséquent, la doctrine de l’exclusivité ne joue pas dans les circonstances et nous pouvons passer à l’étape ultime de l’examen du caractère opérant.
2.3 Le caractère opérant de la loi provinciale
124 Comme je l’ai indiqué précédemment, la doctrine de la prépondérance fédérale entre en jeu lorsqu’il y a un « conflit » entre une loi provinciale et une loi fédérale, et ce, seulement après qu’elles ont toutes deux été déclarées valides et que la loi provinciale a été jugée applicable. Le sens du mot « conflit », que les parties ont débattu, est assez clair en jurisprudence. Le conflit devrait être considéré comme l’équivalent d’une « incompatibilité » entre les lois, et il y a généralement une incompatibilité lorsque la réalisation du but visé par le Parlement est entravée ou déplacée, soit parce qu’il devient impossible de respecter les deux lois, soit par d’autres moyens, malgré la possibilité théorique de se conformer aux deux lois en même temps : voir Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, 2005 CSC 13, par. 11‑14; Banque de Montréal c. Hall, p. 151‑155; Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67, par. 52, où le juge Gonthier a d’abord écarté l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences dans le contexte de cette affaire parce que celle‑ci « pourrait mener à une division de la réglementation et du contrôle de la profession juridique au Canada ». S’il existe un conflit ou une incompatibilité, la loi provinciale sera inopérante dans la mesure de ce conflit ou de cette incompatibilité, et la loi fédérale prévaudra.
125 En l’espèce, il est clair qu’il n’y a aucun conflit explicite entre les régimes provincial et fédéral concernant la promotion d’assurance par les banques et que, à la lecture des dispositions législatives en cause, le respect des deux régimes est possible et doit même être encouragé. Cela s’explique en grande partie par le fait que, plutôt que de constituer un code de réglementation exhaustif sur la capacité des banques de faire la promotion de types d’assurance autorisée, le régime fédéral est permissif et habilitant. Il n’y a effectivement presque rien dans la Loi sur les banques ou dans les règlements qui traite de la manière dont cette promotion doit être faite, ni de la façon dont elle doit être réglementée et régie. Les appelantes ont donc eu tort de prétendre que la présente affaire diffère profondément de la situation que l’on trouvait dans l’affaire 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40, où l’on a conclu à l’absence de conflit parce que le régime fédéral en question était simplement permissif et non exhaustif.
126 Il n’y a pas non plus de conflit explicite ou « d’application » entre l’interdiction fédérale, contenue au par. 416(2) de la Loi sur les banques, faite aux banques d’agir à titre d’« agents », et l’exigence provinciale, énoncée à l’art. 454 de l’Insurance Act, voulant que les banques qui font la promotion d’assurance soient titulaires d’un [traduction] « certificat restreint d’agent d’assurance ». Comme l’a fait observer le juge de première instance au par. 202, la loi fédérale ne donne aucune définition du terme « agent ». Cela suppose qu’on a dû vouloir attribuer à ce terme le sens restreint que lui donne la common law, soit celui d’une personne qui a le pouvoir d’engager son mandant. Par contre, le terme « agent » figurant à l’al. 1(bb) de la loi provinciale a un sens beaucoup plus large et extensif, et englobe une personne qui se contente de [traduction] « solliciter » de l’assurance ou d’en faire la promotion pour le compte d’un assureur, d’un assuré ou d’un assuré éventuel. Il est donc techniquement possible d’être un « agent » au sens de l’Insurance Act provinciale sans être un « agent » pour le besoin de l’application de la Loi sur les banques fédérale.
127 Finalement, il n’existe en l’espèce aucun élément de preuve établissant que l’application de la loi provinciale à la promotion par les banques de produits d’assurance autorisée entraverait l’intention qu’avait le Parlement en permettant à ces dernières de se livrer à cette activité. Rien n’indique que le Parlement a modifié la Loi sur les banques avec l’intention que la promotion de produits d’assurance autorisée soit soustraite à la réglementation provinciale. À vrai dire, le peu de preuve dont on dispose à l’égard de l’intention du Parlement en ce qui concerne l’applicabilité de la loi provinciale tend à étayer la conclusion contraire. La preuve révèle des cas précis dans lesquels des comités et des rapports parlementaires ont recommandé expressément que la promotion par les banques de produits d’assurance autorisée continue d’être assujettie aux régimes de réglementation provinciaux valides (voir par. 80‑82 des motifs du juge de première instance).
128 Dans l’ensemble, l’application de la loi provinciale en l’espèce n’irait pas à l’encontre de l’intention qu’avait le Parlement en adoptant les modifications apportées à la Loi sur les banques et à ses règlements, puisque ces modifications visaient à permettre aux banques de se livrer à la promotion de produits d’assurance autorisée et à préciser les types de produits dont on pouvait valablement faire la promotion, et non à énoncer la manière précise dont la promotion d’assurance allait être régie et réglementée. À l’inverse, la loi provinciale vise à mettre en place un mécanisme de réglementation applicable à la promotion d’assurance, et non à exercer un contrôle sur les types d’assurance dont les banques peuvent faire la promotion, ou sur la mesure dans laquelle elles peuvent le faire, respectant ainsi l’intégrité de l’objectif poursuivi par le Parlement. L’interaction entre les deux régimes législatifs est donc une affaire d’harmonie et de complémentarité plutôt que d’entrave ou de déplacement de l’objectif législatif.
3. Conclusion
129 Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de répondre par la négative aux questions constitutionnelles.
ANNEXE
Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46
409. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’activité de la banque doit se rattacher aux opérations bancaires.
(2) Sont notamment considérés comme des opérations bancaires :
a) la prestation de services financiers;
. . .
416. (1) Il est interdit à la banque de se livrer au commerce de l’assurance, sauf dans la mesure permise par la présente loi ou les règlements.
(2) Il est interdit à la banque d’agir au Canada à titre d’agent pour la souscription d’assurance et de louer ou fournir des locaux dans ses succursales au Canada à une personne se livrant au commerce de l’assurance.
. . .
(4) Le présent article n’empêche toutefois pas la banque de faire souscrire par un emprunteur une assurance à son profit, ni d’obtenir une assurance collective pour ses employés ou ceux des personnes morales dans lesquelles elle a un intérêt de groupe financier en vertu de l’article 468.
Règlement sur le commerce de l’assurance (banques et sociétés de portefeuille bancaires), DORS/92‑330
2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.
. . .
« assurance autorisée » Assurance de l’un des types suivants :
a) assurance carte de crédit ou de paiement;
b) assurance‑invalidité de crédit;
c) assurance‑vie de crédit;
d) assurance crédit en cas de perte d’emploi;
e) assurance crédit pour stocks de véhicules;
f) assurance crédit des exportateurs;
g) assurance hypothèque;
h) assurance voyage.
Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I-3
[traduction]
1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
n) « institution de dépôt » Selon le cas,
(i) l’Alberta Treasury Branch, une banque, une caisse populaire, une société de prêt ou de fiducie . . .
. . .
bb) « agent d’assurance » Personne qui, contre rémunération,
(i) sollicite de l’assurance pour le compte d’un assureur, d’un assuré ou d’un assuré éventuel,
. . .
454(1) Le ministre peut délivrer un certificat restreint d’agent d’assurance aux entreprises suivantes :
a) une institution de dépôt,
. . .
(2) Un certificat restreint d’agent d’assurance autorise son titulaire et ses employés d’agir ou d’offrir d’agir, sous réserve des conditions et restrictions réglementaires, comme agent d’assurance relativement aux catégories ou aux types d’assurance précisés par le ministre.
468(1) Le ministre peut refuser de délivrer un certificat si les exigences prévues par la présente loi et la réglementation relatives au certificat ne sont pas respectées.
. . .
482 Il peut être interjeté appel, conformément au règlement, d’une décision du ministre rendue en vertu de la présente partie de refuser de délivrer, de renouveler ou de rétablir un certificat, d’assortir un certificat de conditions ou modalités, de révoquer ou de suspendre un certificat ou d’imposer une sanction à un titulaire ou un ancien titulaire d’un certificat.
Insurance Agents and Adjusters Regulation, A.R. 122/2001
[traduction]
[Information fournie par le consommateur]
12(1) Il est interdit au titulaire d’un certificat restreint
a) d’utiliser des renseignements personnels fournis par une personne qui achète une assurance, si ce n’est pour les besoins auxquels les renseignements sont fournis et si la personne signe un consentement conforme aux exigences du paragraphe (2);
b) de communiquer les renseignements visés à l’alinéa (a) à un tiers qui n’est pas son employé à moins que la personne qui achète une assurance ne signe un consentement conforme aux exigences du paragraphe (3).
. . .
[Demande d’assurance]
14(1) Le titulaire d’un certificat restreint qui négocie ou conclut avec une personne un contrat d’assurance‑crédit en même temps que celle‑ci négocie ou conclut un contrat de crédit lui fait remplir une demande distincte pour la couverture d’assurance.
(2) Le titulaire d’un certificat restreint fournit sur demande à la personne qui présente une demande d’assurance une copie de cette demande d’assurance.
[Information et notification]
15(1) Au moment où une personne présente une demande d’assurance, le titulaire d’un certificat restreint
a) lui fournit
(i) un résumé des modalités de l’assurance proposée, y compris les limites et les restrictions;
(ii) un résumé des modalités régissant l’entrée en vigueur et la cessation de l’assurance et la procédure à suivre pour présenter une demande d’indemnité;
b) notifie à la personne qui achète une assurance que la police lui sera envoyée ou, dans le cas d’une assurance collective, qu’un certificat lui sera envoyé.
(2) Au moment d’une demande d’assurance, le titulaire d’un certificat restreint qui fait la promotion de l’assurance‑crédit
a) fournit à la personne qui achète une assurance
(i) une déclaration faisant état du droit de celle‑ci de résilier le contrat d’assurance et d’obtenir le remboursement intégral de la prime conformément à l’article 18,
(ii) une déclaration indiquant, si tel est le cas, que la durée de l’assurance est plus courte que la période d’amortissement de tout prêt connexe, ou que le montant de l’assurance est inférieur à l’endettement,
b) informe la personne qui achète une assurance qu’elle peut communiquer avec l’assureur pour obtenir plus de renseignements ou des précisions et lui fournit le nom de l’assureur, en indiquant la façon de communiquer avec ce dernier.
(3) L’assureur dont le titulaire d’un certificat restreint offre les produits d’assurance s’assure que les procédures permettant de satisfaire aux exigences du présent article sont en place.
(4) Le titulaire d’un certificat restreint qui reçoit d’un assureur, directement ou indirectement, une rémunération, un paiement incitatif ou un avantage pour la vente d’assurance doit informer de ce fait toute personne qui envisage l’achat d’une assurance auprès de lui.
[Offres de prêt]
16(1) Lorsqu’il offre de consentir un prêt à une personne ou de prendre des arrangements en vue de lui obtenir un prêt, le titulaire d’un certificat restreint ne peut, avant que le prêt soit accordé, dire à cette personne qu’elle doit acheter une assurance ni exiger qu’elle achète une assurance.
(2) Malgré le paragraphe (1), lorsqu’il offre de consentir un prêt à une personne, ou de prendre des arrangements en vue de lui obtenir un prêt, le titulaire d’un certificat restreint peut dire à cette personne qu’elle doit acheter une assurance, ou exiger que cette personne achète une assurance, si cette assurance vise à protéger le prêteur contre le défaut de l’emprunteur et est offerte par un assureur autorisé à faire affaires en Alberta.
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le titulaire d’un certificat restreint ne peut dire à la personne qu’elle doit acheter une assurance, ni exiger qu’elle achète une assurance, auprès de lui ou auprès d’un assureur ou d’un agent d’assurance qu’il désigne.
[Attestation de la communication de l’information]
17 Le titulaire d’un certificat restreint s’assure
a) que les acheteurs ou les acheteurs éventuels d’une assurance sont informés qu’ils achètent ou envisagent d’acheter une assurance d’un assureur et non du titulaire;
b) que l’acheteur d’une assurance obtient, dans les trente (30) jours de l’entrée en vigueur de l’assurance, les documents attestant la couverture d’assurance et faisant état des renseignements dont la communication est exigée à l’alinéa (a) et à l’alinéa 15(1)(b).
[Droit de résiliation]
18(1) La personne qui achète une assurance‑vie par l’entremise du titulaire d’un certificat restreint peut résilier le contrat d’assurance dans les dix (10) jours — ou dans la période plus longue prévue dans la police ou le certificat — après avoir reçu les documents visés à l’article 17.
(2) La personne qui résilie le contrat d’assurance conformément au paragraphe (1) a droit au remboursement intégral de la prime versée pour cette assurance.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelantes : Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureurs de l’intervenante Alberta Insurance Council : Emery Jamieson, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante l’Association des conseillers en finance du Canada : Heenan Blaikie, Toronto.
Procureurs des intervenantes Compagnie d’Assurance‑Vie AIG du Canada et autres : Lax O’Sullivan Scott, Toronto.