COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49
Date : 20050929
Dossier : 30411
Entre :
Imperial Tobacco Canada Limitée
Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique
Intimée
ET ENTRE :
Imperial Tobacco Canada Limitée
Appelante
c.
Procureur général de la Colombie‑Britannique
Intimé
ET ENTRE :
Rothmans, Benson & Hedges Inc.
Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique
Intimée
ET ENTRE :
Rothmans, Benson & Hedges Inc.
Appelante
c.
Procureur général de la Colombie‑Britannique
Intimé
ET ENTRE :
JTI‑Macdonald Corp.
Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique
Intimée
ET ENTRE :
JTI‑Macdonald Corp.
Appelante
c.
Procureur général de la Colombie‑Britannique
Intimé
ET ENTRE :
Conseil canadien des fabricants des produits du tabac
Appelant
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique
Intimée
ET ENTRE :
British American Tobacco (Investments) Limited
Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique
Intimée
ET ENTRE :
Philip Morris Incorporated, Philip Morris International Inc.
Appelantes
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique
Intimée
‑ et ‑
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec,
procureur général de la Nouvelle-Écosse, procureur général du
Nouveau-Brunswick, procureur général du Manitoba, procureur
général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta et
procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 78)
Le juge Major (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)
______________________________
Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49
Imperial Tobacco Canada Limitée Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique Intimée
et
Imperial Tobacco Canada Limitée Appelante
c.
Procureur général de la Colombie‑Britannique Intimé
et
Rothmans, Benson & Hedges Inc. Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique Intimée
et
Rothmans, Benson & Hedges Inc. Appelante
c.
Procureur général de la Colombie‑Britannique Intimé
et
JTI‑Macdonald Corp. Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique Intimée
et
JTI‑Macdonald Corp. Appelante
c.
Procureur général de la Colombie‑Britannique Intimé
et
Conseil canadien des fabricants des produits du tabac Appelant
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique Intimée
et
British American Tobacco (Investments) Limited Appelante
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique Intimée
et
Philip Morris Incorporated et Philip Morris International Inc. Appelantes
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique Intimée
et
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec,
procureur général de la Nouvelle‑Écosse, procureur général du
Nouveau‑Brunswick, procureur général du Manitoba, procureur
général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta et
procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador Intervenants
Répertorié : Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée
Référence neutre : 2005 CSC 49.
No du greffe : 30411.
2005 : 8 juin; 2005 : 29 septembre.
Présents: La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOIS contre des arrêts de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Lambert, Rowles et Prowse) (2004), 239 D.L.R. (4th) 412, 199 B.C.A.C. 195, 326 W.A.C. 195, 29 B.C.L.R. (4th) 244, [2004] 9 W.W.R. 230, [2004] B.C.J. No. 1007 (QL), 2004 BCCA 269, qui ont infirmé un jugement du juge Holmes (2003), 227 D.L.R. (4th) 323, [2003] B.C.J. No. 1309 (QL), 2003 BCSC 877. Pourvois rejetés.
David C. Harris, c.r., William S. Berardino, c.r., et Andrea N. MacKay, pour l’appelante Imperial Tobacco Canada Limitée.
Kenneth N. Affleck, c.r., James A. Macaulay, c.r., Steven Sofer, Michael Sobkin et Ian G. Christman, pour l’appelante Rothmans, Benson & Hedges Inc.
Jack M. Giles, c.r., Jeffrey J. Kay, c.r., et Dylana R. Bloor, pour l’appelante JTI‑Macdonald Corp.
Argumentation écrite seulement par Maryanne F. Prohl, pour l’appelant le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac.
John J. L. Hunter, c.r., Craig P. Dennis, Matthew J. Westphal, pour l’appelante British American Tobacco (Investments) Limited.
Simon Potter et Cynthia A. Millar, pour les appelantes Philip Morris Incorporated et Philip Morris International Inc.
Thomas R. Berger, c.r., Daniel A. Webster, c.r., Elliott M. Myers, c.r., et Craig E. Jones, pour les intimés.
Robin K. Basu et Mark Crow, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Alain Gingras et Brigitte Bussières, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Argumentation écrite seulement par Edward A. Gores, pour l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.
John G. Furey, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Eugene B. Szach, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.
Graeme G. Mitchell, c.r., et R. James Fyfe, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Robert Normey, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Donna Ballard et Barbara Barrowman, pour l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Major — La Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, ch. 30 (la « Loi »), autorise le gouvernement de la Colombie‑Britannique à poursuivre un fabricant de produits du tabac en vue de recouvrer les dépenses engagées par le gouvernement au titre des soins de santé pour le traitement des personnes exposées à ces produits. La responsabilité découle de l’exposition de ces personnes à des produits du tabac parce que le fabricant aurait manqué à une obligation qu’il avait envers la population en Colombie‑Britannique, et de l’engagement, par le gouvernement de cette province, de dépenses au titre de soins de santé pour le traitement des maladies ainsi causées.
2 Les présents pourvois mettent en cause la constitutionnalité de la Loi. Les appelants, que le gouvernement de la Colombie‑Britannique a tous poursuivi en vertu de la Loi, contestent sa constitutionnalité au motif qu’elle viole (1) les limites territoriales de la compétence législative provinciale, (2) le principe de l’indépendance judiciaire, et (3) le principe de la primauté du droit.
3 Pour les motifs qui suivent, la Loi est constitutionnellement valide. Les pourvois sont rejetés avec dépens en faveur des intimés dans toutes les cours.
I. Contexte
A. Les dispositions législatives
4 La Loi est reproduite intégralement à l’annexe. Ses éléments essentiels sont résumés comme suit.
5 Le paragraphe 2(1) qui constitue la pierre angulaire de la Loi prévoit ce qui suit :
[traduction] Le gouvernement a contre un fabricant un droit d’action direct et distinct pour le recouvrement du coût des services de soins de santé occasionnés ou favorisés par une faute d’un fabricant.
6 Les termes [traduction] « fabricant », « coût des services de soins de santé » et [traduction] « faute d’un fabricant » sont définis au par. 1(1) de la Loi. Ces définitions renvoient à leur tour à d’autres définitions. Si l’on incorpore ces définitions à l’art. 2 et l’on paraphrase celui‑ci quelque peu, la disposition prévoit alors ce qui suit :
Le gouvernement a contre un fabricant un droit d’action direct et distinct pour la valeur actuelle des dépenses engagées et raisonnablement prévues par le gouvernement au titre :
a) des services au sens de l’Hospital Insurance Act ou de la Medicare Protection Act;
b) des versements faits aux termes de la Continuing Care Act;
c) des programmes, des services ou des prestations liés à une maladie;
lorsque
a) ces dépenses résultent d’une maladie ou d’un risque de maladie causés ou favorisés par une exposition à un produit du tabac;
b) cette exposition a été causée ou favorisée, selon le cas, par :
(i) un délit commis en Colombie‑Britannique par le fabricant;
(ii) un manquement par le fabricant à une obligation que lui impose la common law, l’equity ou la loi à l’égard de personnes en Colombie‑Britannique qui ont été exposées à un produit du tabac ou qui pourraient l’être.
7 Vu sous cet angle, le par. 2(1) crée une cause d’action permettant au gouvernement de la Colombie‑Britannique de recouvrer d’un fabricant de produits du tabac les sommes dépensées pour soigner les malades en Colombie‑Britannique, lorsque la maladie est causée par une exposition (entièrement ou en partie en Colombie‑Britannique) à un produit du tabac et que cette exposition résulte d’une faute commise en Colombie‑Britannique par un fabricant, ou d’un manquement à son obligation envers la population en Colombie‑Britannique.
8 Outre le fait qu’il soit [traduction] « direct et distinct », le droit d’action créé par le par. 2(1) ne constitue pas un droit de recours par subrogation : par. 2(2). Il n’est pas non plus prescrit par la Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266, par. 6(1). Essentiellement, il peut être exercé de manière globale — c.‑à‑d. à l’égard d’une population de personnes pour lesquelles le gouvernement a engagé des dépenses ou s’attend raisonnablement à engager des dépenses : al. 2(4)b).
9 Lorsqu’il procède par action globale, le gouvernement peut recourir à des éléments de preuve statistiques, épidémiologiques et sociologiques pour établir le bien‑fondé de sa demande : al. 5b). Il n’est pas nécessaire qu’il identifie les membres individuels de la population pour lesquels il présente sa demande, qu’il établisse la cause de la maladie de chaque personne ou qu’il prouve les dépenses engagées à l’égard de chacun : al. 2(5)a). En outre, nul ne peut exiger la production des dossiers et renseignements médicaux concernant ces personnes, sauf s’ils sont invoqués par un témoin expert : al. 2(5)b) et c). Le tribunal peut toutefois ordonner la communication préalable d’un [traduction] « échantillon statistiquement significatif » des dossiers médicaux qui concernent ces personnes, expurgés des indices permettant d’identifier les personnes : al. 2(5)d) et e).
10 Selon les par. 3(1) et (2), le gouvernement bénéficie d’une inversion de la charge de la preuve quant à certains éléments propres à une action globale. Lorsque l’action globale, à l’instar de celle intentée contre chacun des appelants, vise à recouvrer les dépenses engagées pour le traitement des maladies causées par une exposition à la cigarette, l’inversion de la charge de la preuve produit son effet. Ainsi, dès que le gouvernement prouve les faits suivants :
a) le fabricant défendeur a manqué à une obligation que lui impose la common law, l’equity ou la loi à l’égard des personnes en Colombie‑Britannique qui ont été exposées à la cigarette ou pourraient l’être;
b) une exposition à la cigarette peut causer ou contribuer à causer une maladie;
c) pendant la période où le fabricant manque à son obligation, des cigarettes fabriquées ou annoncées par lui ont été offertes en vente en Colombie‑Britannique;
le tribunal présumera que
a) la population à l’égard de laquelle le gouvernement intente une action globale n’aurait pas été exposée à la cigarette n’eût été le manquement du fabricant;
b) cette exposition a causé ou a contribué à causer la maladie chez une partie de la population à l’égard de laquelle le gouvernement a intenté l’action globale.
11 De cette façon, il incombe au défendeur fabricant de démontrer que le manquement à son obligation n’est pas à l’origine de l’exposition, ou que l’exposition résultant du manquement à son obligation n’est pas à l’origine de la maladie à l’égard de laquelle le gouvernement réclame le remboursement de ses dépenses. Le fabricant doit s’acquitter du fardeau de la preuve inversé selon la prépondérance des probabilités : par. 3(4).
12 Lorsque les présomptions mentionnées plus haut s’appliquent, le tribunal doit déterminer la partie des dépenses engagées par le gouvernement, après la date à laquelle le fabricant a manqué à son obligation, qui résulte de l’exposition à la cigarette : al. 3(3)a). Le fabricant devient responsable de ces dépenses au prorata de sa part du marché des cigarettes en Colombie‑Britannique, calculée en fonction de la période comprise entre la date où il a pour la première fois manqué à son obligation et celle du procès : al. 3(3)b) et par. 1(6).
13 Dans le cadre d’une action intentée par le gouvernement, un fabricant sera solidairement responsable des dépenses découlant d’un manquement commun à une obligation (c.‑à‑d. à l’égard des dépenses occasionnées par la maladie, laquelle maladie résulte d’une exposition, elle‑même causée par un manquement commun à une obligation imposée au fabricant) : par. 4(1).
14 Selon l’art. 10, toutes les dispositions de la Loi ont un effet rétroactif.
15 La Loi est la deuxième loi de la Colombie‑Britannique visant à permettre au gouvernement de poursuivre les fabricants de produits du tabac pour recouvrer le coût des soins de santé liés au tabac dont la constitutionnalité est contestée. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a annulé la loi antérieure, la Tobacco Damages Recovery Act, S.B.C. 1997, ch. 41, parce qu’elle touchait aux droits civils extraprovinciaux par son caractère véritable et était donc ultra vires de l’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique : voir JTI‑Macdonald Corp. c. British Columbia (Attorney General) (2000), 184 D.L.R. (4th) 335, 2000 BCSC 312.
16 L’historique législatif de la Loi confirme qu’elle a été conçue pour répondre aux préoccupations suscitées par les aspects extraterritoriaux de la loi antérieure et pour éviter toute contestation future à ce sujet : voir Debates of the Legislative Assembly, vol. 20, no 6, 4e sess., 36e lég., 7 juin 2000, p. 16314.
B. Historique des procédures judiciaires
17 La Loi est entrée en vigueur le 24 janvier 2001. Le même jour, le gouvernement a intenté, en vertu de l’art. 2 de la Loi, une action devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique contre 14 organismes de l’industrie du tabac.
18 Les appelants se retrouvent parmi les 14 organismes poursuivis par le gouvernement. Les appelants Imperial Tobacco Canada Limitée, Rothmans, Benson & Hedges Inc., JTI‑Macdonald Corp. et le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac sont des sociétés canadiennes et ont reçu signification de l’action en Colombie‑Britannique. Les appelantes Philip Morris Incorporated (maintenant Philip Morris USA Inc.) et Philip Morris International Inc. sont respectivement constituées sous le régime des lois de la Virginie et du Delaware et ont reçu signification ex juris. L’appelante British American Tobacco (Investments) Limited est constituée sous le régime des lois du Royaume‑Uni et a également reçu signification ex juris.
19 Les appelants canadiens ont sollicité un jugement déclarant que la Loi est inconstitutionnelle. Les appelants ayant reçu signification ex juris ont demandé l’annulation de ces significations au motif qu’en raison de l’inconstitutionnalité de la Loi, les actions intentées par le gouvernement sous son autorité sont vouées à l’échec.
20 Tout au cours de l’instance, la contestation constitutionnelle soulevée par les appelants a été essentiellement tripartite. Les appelants soutiennent que la Loi excède les limites territoriales de la compétence législative provinciale, qu’elle viole l’indépendance judiciaire et qu’elle porte atteinte au principe de la primauté du droit.
II. Les jugements antérieurs
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (2003), 227 D.L.R. (4th) 323, 2003 BCSC 877
21 Le juge Holmes a rejeté les prétentions des appelants concernant l’indépendance judiciaire et la primauté du droit, mais il a retenu celles portant sur l’extraterritorialité. Il a conclu toutefois que la Loi ne respecte pas les limites territoriales de la compétence législative provinciale parce que, à son avis, l’exposition aux produits du tabac qui donne naissance à une responsabilité n’est pas circonscrite territorialement, et que la Loi a pour objet de recouvrer le coût des soins de santé [traduction] « de l’industrie du tabac sur les plans national et international » (par. 222).
22 En conclusion, le juge Holmes a déclaré la Loi non valide, a rejeté les actions intentées par le gouvernement en vertu de la Loi et a annulé toutes les significations ex juris faites par le gouvernement.
B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2004), 239 D.L.R. (4th) 412, 2004 BCCA 269
23 La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a accueilli les appels des intimés. Les juges Lambert, Rowles et Prowse ont conclu que le caractère véritable de la Loi concerne la « propriété et les droits civils dans la province » au sens du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, que ses aspects extraterritoriaux, s’il en est, n’ont qu’un caractère accessoire et que, par conséquent, elle n’est pas invalide pour cause d’extraterritorialité. Tous ont reconnu que la Loi ne porte pas atteinte à l’indépendance judiciaire ou à la primauté du droit.
24 En conclusion, la cour a rejeté les demandes des appelants visant à obtenir un jugement déclarant que la Loi n’est pas valide, elle a annulé les ordonnances du juge Holmes rejetant les actions du gouvernement et elle a renvoyé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique les demandes d’annulation des significations formées par les appelants ayant reçu significations ex juris pour qu’elle statue sur ces demandes en tenant pour acquis que la Loi est constitutionnellement valide.
III. Questions en litige
25 La juge en chef McLachlin a énoncé les questions constitutionnelles suivantes :
1. La Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, ch. 30, est‑elle ultra vires de la législature provinciale pour cause d’extraterritorialité?
2. La Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, ch. 30, est‑elle inconstitutionnelle, en tout ou en partie, en raison de son incompatibilité avec l’indépendance judiciaire?
3. La Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, ch. 30, est‑elle inconstitutionnelle, en tout ou en partie, parce qu’elle va à l’encontre de la primauté du droit?
IV. Analyse
A. L’extraterritorialité
26 L’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 est la source première du pouvoir de légiférer des législatures provinciales. Les lois provinciales doivent donc respecter les limites, territoriales et autres, de la compétence législative provinciale que l’on trouve à l’art. 92. Le passage liminaire de l’art. 92 — « Dans chaque province » — constitue une limite territoriale générale aux pouvoirs des provinces. Cette limite est reprise dans une expression semblable qui atténue la portée d’un certain nombre de chefs de compétence figurant à l’art. 92 : « dans la province ».
27 Les limites territoriales de la compétence législative provinciale reflètent les exigences d’ordre et d’équité qui sous‑tendent les structures fédérales canadiennes et la Cour les a examinées dans Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1102‑1103, Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 324‑325, et Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63, 2003 CSC 40, par. 56. Elles servent à assurer que les lois provinciales conservent un lien utile avec la province qui les adopte et qu’elles respectent « la souveraineté législative des autres provinces dans leurs champs de compétence respectifs » : Unifund, par. 51. Voir également, de façon générale, R. E. Sullivan, « Interpreting the Territorial Limitations on the Provinces » (1985), 7 Sup. Ct. L. Rev. 511.
28 Dans le cas où la validité d’une loi provinciale est contestée pour le motif qu’elle viole les limites territoriales de la compétence législative provinciale, l’analyse porte essentiellement sur son caractère véritable. Si le caractère véritable de la loi se rapporte à des matières qui relèvent du domaine de la compétence législative des provinces, la loi est valide. Ses aspects extraprovinciaux accessoires ou indirects restent sans pertinence pour l’appréciation de sa validité. Voir Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297 (« Churchill Falls »), p. 332, et Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, par. 24.
29 Dans la recherche de son caractère véritable, le tribunal précise l’essence ou la caractéristique dominante de la loi : voir Global Securities Corp., par. 22, et Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31, par. 16. Pour ce faire, il peut se reporter à l’objet et aux effets de la loi : voir Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, par. 53. Voir également Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, [2005] 1 R.C.S. 292, 2005 CSC 20, par. 20.
30 Lorsque le caractère véritable d’une loi se rapporte à une matière tangible — c.‑à‑d. une chose tangible et observable — la question de savoir si la loi respecte les limites territoriales prévues à l’art. 92 se résout facilement. Il suffit de vérifier l’endroit où se trouve cette chose. Si elle se trouve dans la province, les limites ont été respectées et la loi est valide. Si elle se trouve à l’extérieur de la province, les limites ont alors été violées et la loi est invalide.
31 Lorsque le caractère véritable d’une loi se rapporte à une matière intangible, la qualification devient plus complexe. C’est le cas en l’espèce.
32 De par son caractère véritable, la Loi vise simplement la création d’une cause d’action civile. Plus particulièrement, il s’agit de la création d’une cause d’action civile par laquelle le gouvernement de la Colombie‑Britannique peut chercher à être indemnisé de certains coûts qu’il a engagés au titre des soins de santé. Les causes d’action civile relèvent de la compétence législative provinciale conférée au par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 : « La propriété et les droits civils dans la province ». Voir General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, p. 672.
33 Mais le par. 92(13) ne mentionne pas « la propriété et les droits civils » situés ailleurs. Son texte vise seulement la « propriété et les droits civils dans la province ». Et, je le répète, sa portée est atténuée, comme tous les chefs de compétence provinciale, par le passage liminaire de l’art. 92 : « Dans chaque province ». Il faut alors trouver une façon de déterminer si une matière intangible, telle que la cause d’action constituant le caractère véritable de la Loi, se situe « dans la province ».
34 L’arrêt Churchill Falls portait sur une question semblable. Dans cet arrêt, le juge McIntyre devait statuer sur une loi de Terre‑Neuve qui, de par son caractère véritable, visait à modifier des droits existant en vertu d’un contrat conclu entre Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited et la Commission Hydro‑Électrique du Québec. Puisque l’entité investie de ces droits (soit la Commission) était constituée au Québec et que les parties avaient convenu que les tribunaux du Québec avaient compétence exclusive pour trancher les différends concernant leur contrat, le juge McIntyre a considéré que les droits créés par cette entente étaient situés au Québec. La loi de Terre‑Neuve qui visait à modifier ces droits était de ce fait invalide. En effet, elle se rapportait aux droits civils, mais non aux droits civils « dans la province ».
35 La méthode adoptée par le juge McIntyre pour localiser les droits civils constituant le caractère véritable de la loi terre‑neuvienne illustre le rôle, signalé par le juge Binnie dans Unifund, par. 63, que jouent le « lien entre le territoire ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et [les] personne[s] qu’on entendait assujettir à celui‑ci » dans la détermination de la validité d’une loi dont on allègue la portée indûment extraterritoriale. Dans Churchill Falls, l’examen de ce lien a révélé que les droits civils intangibles constituant le caractère véritable de la loi de Terre‑Neuve en litige n’avaient pas de lien significatif avec la province ayant légiféré et qu’ils ne pouvaient validement faire l’objet que d’une loi québécoise. En termes légèrement différents, si la loi terre‑neuvienne contestée avait pu réglementer ces droits civils, aucun des objectifs qui sous‑tendent les limites territoriales prévues à l’art. 92 n’auraient été respectés. Il s’ensuit que ces droits civils devaient être considérés comme se trouvant hors de la portée territoriale de la compétence législative de Terre‑Neuve conférée par l’art. 92.
36 À la lumière de ce qui précède, on constate qu’une analyse en plusieurs étapes peut être nécessaire pour déterminer si, par son caractère véritable, une loi provinciale respecte les limites territoriales de la compétence législative provinciale. La première étape consiste à déterminer le caractère véritable, ou la caractéristique dominante, de la loi contestée, ainsi que le chef de compétence provinciale dont elle pourrait relever. En supposant qu’il soit possible d’établir le chef de compétence approprié, la deuxième étape consiste à déterminer si le caractère véritable respecte les limites territoriales de ce chef de compétence — c.‑à‑d., s’il se trouve dans la province. Si le caractère véritable est tangible, la question de savoir s’il se trouve dans la province se règle simplement sur la base de son emplacement physique. S’il est intangible, le tribunal doit examiner le lien entre le territoire ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et les personnes qui y sont assujetties, afin de déterminer si la loi, dans le cas où elle est maintenue, respecte le double objet des limites territoriales prévues à l’art. 92 (à savoir s’assurer que la loi provinciale a un lien significatif avec la province qui l’adopte et qu’elle respecte la souveraineté législative des autres territoires). Le cas échéant, l’objet véritable de la loi devrait être considéré comme situé dans la province.
37 En l’espèce, la cause d’action qui constitue le caractère véritable de la Loi sert exclusivement à faire en sorte que les personnes ultimement responsables des maladies liées au tabac dont souffrent les Britanno‑Colombiens — à savoir les fabricants de produits du tabac qui, par leurs actes fautifs, ont exposé au tabac ces Britanno‑Colombiens — deviennent responsables des frais engagés par le gouvernement de la Colombie‑Britannique pour le traitement de ces maladies. Il existe donc un lien solide entre le territoire ayant légiféré (la Colombie‑Britannique), l’objet de la loi (l’indemnisation pour les coûts des soins de santé liés au tabac engagés par le gouvernement de la Colombie‑Britannique) et les personnes assujetties à cette loi (les fabricants de produits du tabac ultimement responsables de ces coûts). On peut alors conclure facilement à l’existence d’un lien significatif entre la Loi et la province.
38 La Loi respecte la souveraineté législative des autres ressorts. Bien que la cause d’action qui en constitue le caractère véritable puisse, dans une certaine mesure, viser des activités menées à l’extérieur de la Colombie‑Britannique, aucun territoire autre que la Colombie‑Britannique ne pourrait prétendre à l’existence d’un lien plus fort avec cette cause d’action. En effet, un lien critique et exclusif les unit en tout temps : le recouvrement qu’autorise l’action se rapporte aux dépenses engagées par le gouvernement de la Colombie‑Britannique pour les soins de santé des Britanno‑Colombiens.
39 Pour déterminer si la Loi respecte les limites territoriales de la compétence législative de la Colombie‑Britannique, les appelants et la Cour d’appel ont fortement insisté sur la question de savoir si, sur le plan de l’interprétation législative, le manquement à une obligation par un fabricant, qui est une condition nécessaire à sa responsabilité suivant la cause d’action créée par la Loi, doit survenir en Colombie‑Britannique. Cette insistance était excessive, et ce pour deux raisons.
40 Premièrement, l’élément déterminant de la cause d’action créée par la Loi demeure l’indemnisation des coûts engagés par le gouvernement de la Colombie‑Britannique au titre des soins de santé, et non la correction des manquements aux obligations des fabricants de produits du tabac. La Loi fait de l’existence d’une violation d’une obligation une des diverses conditions préalables à l’établissement de la responsabilité du fabricant envers le gouvernement, mais ce n’est pas cette faute que vise la cause d’action créée par la Loi. La Loi laisse la réparation des manquements à une telle obligation aux dispositions législatives qui sont à l’origine de cette obligation. Ainsi, les manquements à une obligation auxquels renvoie la Loi ont, pour la cause d’action qu’elle crée, une importance secondaire, et le lieu où ces manquements pourraient survenir a peu de rapport, sinon aucun, avec la force du lien qui existe entre la cause d’action et le territoire ayant légiféré.
41 Ensuite, et en tout état de cause, seuls sont pertinents pour l’application de la Loi les manquements à des obligations envers [traduction] « des personnes en Colombie‑Britannique » (par. 1(1) « faute d’un fabricant » et l’al. 3(1)a)) qui sont à l’origine des dépenses engagées par le gouvernement de la Colombie‑Britannique au titre des soins de santé. Donc, même si l’existence d’un manquement à une obligation était l’élément central de la cause d’action créée par la Loi (ce qu’elle n’est pas), cette dernière demeurerait fortement liée à la Colombie‑Britannique.
42 La question de savoir si d’autres éléments mentionnés dans la Loi, tels que l’exposition et la maladie, doivent survenir en Colombie‑Britannique s’avère autant, sinon plus, dépourvue de pertinence pour la validité de la Loi. Ces éléments appartiennent aussi aux conditions préalables au succès d’une action intentée en vertu de la Loi et leur importance demeure secondaire quant à la validité de la Loi.
43 Il s’ensuit que la cause d’action qui constitue le caractère véritable de la Loi est à juste titre décrite comme se trouvant « dans la province ». La Loi n’est pas invalide pour cause d’extraterritorialité puisqu’elle est, par son caractère véritable, liée à la « propriété et les droits civils dans la province » aux termes du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.
B. L’indépendance judiciaire
44 L’indépendance judiciaire est reconnue comme un « principe fondamental » de la Constitution qui se reflète à l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’aux art. 96 à 100 et dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 109. Elle est un moyen de « préserver notre ordre constitutionnel et de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice » : Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, 2003 CSC 35, par. 29. Voir aussi Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248, 2004 CSC 42, par. 80‑81.
45 L’indépendance judiciaire consiste essentiellement en la liberté « de rendre des décisions que seules les exigences du droit et de la justice inspirent » : Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13, par. 37. Elle requiert que les juges soient libres d’agir sans « ingérence [indue] de la part de quelque autre entité » (Ell, par. 18) — c.‑à‑d. que les pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement ne doivent pas « empiéter sur les “pouvoirs et fonctions” essentiels du tribunal » (MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, p. 828). Voir aussi Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 686‑687; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 73 et 75; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, p. 152‑154; Babcock c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 3, 2002 CSC 57, par. 57; et Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), par. 87.
46 L’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative constituent les trois « caractéristiques essentielles » ou « conditions essentielles » de l’indépendance judiciaire : Valente, p. 694, 704 et 708, et Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, par. 115. Leur maintien est indispensable à l’indépendance judiciaire. Il faut qu’« une personne raisonnable et bien informée de toutes les circonstances » les perçoive comme étant sauvegardées : Mackin, par. 38 et 40, et Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick c. Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Justice), [2005] 2 R.C.S. 286, 2005 CSC 44, par. 6.
47 Or, même lorsque les conditions essentielles de l’indépendance judiciaire existent, et qu’elles sont raisonnablement perçues comme telles, l’indépendance judiciaire elle‑même n’est pas nécessairement assurée. La question critique est de savoir si la cour est libre, et raisonnablement perçue comme étant libre, d’exercer sa fonction juridictionnelle sans ingérence de la part de qui que ce soit, y compris des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement. Voir, par exemple, Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), par. 82‑92.
48 Les appelants soutiennent que la Loi viole l’indépendance judiciaire, tant dans les faits qu’en apparence, parce qu’elle contient des règles de procédure civile qui nuisent à la fonction juridictionnelle du tribunal saisi d’une action intentée sous le régime de la Loi. Ils attirent l’attention sur le par. 3(2) qui, affirment‑ils, oblige le tribunal à tirer des présomptions irrationnelles, et sur les al. 2(5)a), b) et c) qui, selon eux, empêchent le tribunal de découvrir certains faits pertinents. Ils prétendent que ces règles empiètent sur la fonction d’appréciation des faits par le tribunal et qu’elles garantissent pratiquement que le gouvernement aura gain de cause dans une action intentée en vertu de la Loi.
49 Les règles prévues par la Loi que contestent les appelants ne sont pas aussi injustes ou illogiques que ceux‑ci le prétendent. Elles semblent faire écho à des préoccupations d’intérêt général légitimes de la législature de la Colombie‑Britannique à l’égard des avantages systémiques dont bénéficient les fabricants de produits du tabac lorsque des réclamations relatives aux méfaits du tabac sont soumises aux tribunaux par voie d’action de common law individuelle en responsabilité civile. Là n’est toutefois pas la question. Il ne s’agit pas de déterminer si les règles prévues par la Loi sont injustes ou illogiques, ni si elles diffèrent de celles régissant les actions de common law en responsabilité civile, mais plutôt si elles interfèrent avec la fonction juridictionnelle des tribunaux et, partant, à l’indépendance judiciaire.
50 Le rôle principal des tribunaux est d’interpréter et d’appliquer le droit, qu’il soit procédural ou substantif, aux affaires qui leurs sont soumises. Ils doivent entendre et apprécier, conformément à la loi, la preuve pertinente aux questions de droit qui leurs sont posées et accorder aux parties les réparations qui s’offrent à eux.
51 Les tribunaux participent dans une certaine mesure à l’évolution du droit qu’il leur appartient d’appliquer. Grâce, par exemple, à l’interprétation qu’ils donnent aux lois, au contrôle qu’ils exercent sur les décisions administratives et à l’évaluation qu’ils font de la constitutionnalité des lois, ils peuvent grandement faire avancer le droit. Ils peuvent aussi faire évoluer progressivement l’ensemble des décisions antérieures — c.‑à‑d., la common law — afin d’adapter les règles de droit qu’elles comportent « aux changements sociaux » : R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, p. 666. Voir également Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 91 et 92. Mais le rôle des tribunaux dans l’évolution du droit reste relativement limité. « [E]n régime de démocratie constitutionnelle comme le nôtre, c’est le législateur et non les tribunaux qui assume, quant à la réforme du droit, la responsabilité principale » : Salituro, p. 670.
52 Il s’ensuit que le rôle des tribunaux n’est pas, comme les appelants semblent le prétendre, d’appliquer seulement le droit qu’ils approuvent. Il ne s’agit pas non plus pour eux de rendre des décisions simplement à la lumière de ce qu’ils (plutôt que le droit) estiment juste ou pertinent. Leur rôle ne consiste pas d’avantage à remettre en question la réforme du droit entreprise par le législateur, bien qu’elle introduise une nouvelle cause d’action ou des règles de procédure la régissant. Dans les limites de la Constitution, les législatures peuvent définir le droit comme bon leur semble. « Seuls les électeurs peuvent débattre de la sagesse et de la valeur des décisions législatives » : Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, par. 59.
53 Essentiellement, les arguments des appelants reflètent mal la nature et la portée de la fonction juridictionnelle des tribunaux, protégée de l’ingérence par la garantie d’indépendance judiciaire prévue dans la Constitution. Accepter leur point de vue sur cette fonction juridictionnelle reviendrait à reconnaître une garantie constitutionnelle, non pas à l’indépendance judiciaire, mais à la gouvernance judiciaire.
54 Cela ne signifie pas qu’une loi, en tant que règle de droit, ne peut jamais faire inconstitutionnellement obstacle à la fonction juridictionnelle des tribunaux. Mais il faut plus qu’une allégation selon laquelle le contenu de la loi dont l’application relève de la fonction juridictionnelle est illogique ou injuste, ou que la loi prescrit des règles différentes de celles établies en common law. La loi doit faire obstacle, ou être raisonnablement perçue comme faisant obstacle, à la fonction juridictionnelle des tribunaux ou aux conditions essentielles de l’indépendance judiciaire. Dans ses motifs, la juge en chef McLachlin affirme ce qui suit dans Babcock, par. 57 :
La législature a entièrement compétence pour édicter des lois — et même des lois que certains peuvent considérer draconiennes — , à condition de ne pas nuire ni faire obstacle sous un aspect fondamental aux rapports entre les tribunaux et les autres composantes du gouvernement.
55 L’édiction de la Loi par la législature n’a porté atteinte à aucun aspect fondamental de la fonction juridictionnelle des tribunaux. Un tribunal appelé à instruire une action introduite sous le régime de la Loi conserve en tout temps sa fonction juridictionnelle et sa capacité d’exercer cette fonction sans ingérence. Il doit statuer de façon indépendante sur l’applicabilité de la Loi à la demande présentée par le gouvernement, comme il doit apprécier de façon indépendante les éléments de preuve soumis à l’appui et à l’encontre de cette demande. Il doit aussi évaluer de façon indépendante le poids de cette preuve, et alors il doit déterminer, de la même manière, si son appréciation de la preuve justifie une conclusion de responsabilité. Le fait que la Loi déplace certains fardeaux de la preuve, ou qu’elle limite la contraignabilité à l’égard de renseignements que les appelants estiment pertinents, ne fait en aucun cas obstacle, ni en apparence ni en réalité, à la fonction juridictionnelle du tribunal ou à l’une des conditions essentielles de l’indépendance judiciaire. L’indépendance judiciaire peut s’accommoder de l’introduction de règles de procédure civile et de preuve novatrices.
56 Pour ces raisons, la prétention des appelants selon laquelle la Loi viole l’indépendance des tribunaux et qu’elle est donc inconstitutionnelle ne saurait être retenue.
C. La primauté du droit
57 La primauté du droit constitue [traduction] « un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » (Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 142) qui repose « à la base de notre système de gouvernement » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70). Elle est reconnue de manière explicite dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, et de manière implicite dans celui de la Loi constitutionnelle de 1867 : voir Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 750.
58 La Cour a décrit la primauté du droit comme embrassant trois principes. Le premier reconnaît que « le droit est au‑dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen et exclut, par conséquent, l’influence de l’arbitraire » : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, p. 748. Le deuxième « exige la création et le maintien d’un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l’ordre normatif » : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, p. 749. Selon le troisième, « les rapports entre l’État et les individus doivent être régis par le droit » : Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 71.
59 Lorsqu’on l’interprète de cette manière, il est difficile de concevoir que la primauté du droit puisse servir à invalider une loi comme celle qui nous occupe en raison de son contenu. Cela tient au fait qu’aucun des principes qu’embrasse la primauté du droit ne vise directement les termes de la loi. Le premier principe requiert que les lois soient appliquées à tous ceux, incluant les représentants gouvernementaux, à qui, de par leur libellé, elles doivent s’appliquer. Le deuxième principe signifie que les lois doivent exister. Quant au troisième principe, lequel chevauche dans une certaine mesure le premier et le deuxième, il exige que les mesures prises par les représentants de l’État s’appuient sur des lois. Voir R. Elliot, « References, Structural Argumentation and the Organizing Principles of Canada’s Constitution » (2001), 80 R. du B. can. 67, p. 114‑115.
60 Cela ne signifie pas que la primauté du droit, telle que décrite par cette Cour, n’a aucune force normative. Comme l’a affirmé la juge en chef McLachlin dans Babcock, par. 54, les « principes constitutionnels non écrits », incluant la primauté du droit, « [peuvent] limiter les actes du gouvernement ». Voir aussi Renvoi sur la sécession du Québec, par. 54. Mais les actes du gouvernement que limite la primauté du droit, comme l’entendent le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba et le Renvoi sur la sécession du Québec, sont habituellement, par définition, ceux des pouvoirs exécutif et judiciaire. Les actes du pouvoir législatif sont aussi limités, mais seulement dans le sens où ils doivent respecter des conditions légales de manière et de forme (c.‑à‑d., les procédures d’adoption, de modification et d’abrogation des lois).
61 Il reste que la question de savoir quels autres principes, s’il en est, la primauté du droit devrait embrasser, et dans quelle mesure ils pourraient entraîner l’invalidation d’une loi en raison de son contenu, soulève beaucoup de controverse. À ce propos, P. W. Hogg et C. F. Zwibel ont écrit ces commentaires dans « The Rule of Law in the Supreme Court of Canada » (2005), 55 U.T.L.J. 715, p. 717‑718 :
[traduction] De nombreux auteurs ont tenté de définir la primauté du droit et d’expliquer son importance ou son manque d’importance. Leurs vues couvrent un large spectre. [. . .] Selon T.R.S. Allan par exemple, les lois qui ne respectent pas l’égalité et la dignité humaine des personnes sont contraires à la primauté du droit. Luc Tremblay affirme que la primauté du droit inclut le principe libéral, le principe démocratique, le principe constitutionnel et le principe fédéral. Pour Allan et Tremblay, la primauté du droit n’exige pas simplement le respect du droit positif, mais l’intégration d’une certaine vision de justice sociale. David Beatty propose une autre conception importante en soutenant que l’« absolue primauté du droit » est un principe de « proportionnalité » auquel toutes les lois doivent se conformer sous peine d’invalidité (mise en œuvre par un contrôle judiciaire). Au milieu du spectre se situent ceux qui, à l’instar de Joseph Raz, admettent que la primauté du droit représente un idéal de légalité constitutionnelle qui suppose des règles de droit transparentes, stables, claires et générales, l’impartialité de leur application, l’indépendance des tribunaux et le contrôle judiciaire des actes administratifs. Raz reconnaît que le respect de la primauté du droit est souvent une question de degré, et que le manquement à ce principe ne mène pas à l’invalidité.
Voir également W. J. Newman, « The Principles of the Rule of Law and Parliamentary Sovereignty in Constitutional Theory and Litigation » (2005), 16 R.N.D.C. 175, p. 177‑180.
62 Ce débat souligne le caractère judicieux d’une remarque du juge Strayer dans Singh c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 185 (C.A.), par. 33, selon qui « [c]eux qui prônent ou défendent quelque chose en particulier tendent à voir dans le principe de la primauté du droit tout ce qui conforte leur vue de ce que doit être la loi. »
63 Il est possible d’affirmer en toute objectivité que les conceptions qu’offrent les appelants de la primauté du droit se situent à l’une des extrémités du spectre des conceptions possibles. Elles valident ainsi la remarque du juge Strayer. Les appelants plaident en effet que la primauté du droit exige que la loi (1) soit prospective, (2) qu’elle soit de nature générale, (3) qu’elle ne confère aucun privilège spécial au gouvernement, sauf pour les besoins d’une gouvernance efficace, et (4) qu’elle assure un procès équitable au civil. Ils soutiennent alors que la Loi contrevient à chacune de ces exigences, ce qui la rendrait invalide.
64 Un bref examen de la jurisprudence de notre Cour révélera qu’aucune de ces exigences ne jouit d’une protection constitutionnelle au Canada. Mais, avant de s’engager dans cet examen, il importe de noter que le fait de reconnaître la valeur constitutionnelle de conceptions de la primauté du droit analogues à celles que défendent les appelants compromettrait gravement la légitimité du contrôle judiciaire des lois fondé sur la Constitution. Deux raisons distinctes, mais interreliées, expliquent cette conclusion.
65 D’une part, plusieurs des exigences de la primauté du droit proposées par les appelants sont simplement des versions élargies des droits protégés par la Charte. Par exemple, l’exigence relative à la tenue d’un procès équitable que proposent les appelants constitue essentiellement une version élargie de l’al. 11d) de la Charte, qui dispose que « [t]out inculpé a le droit [. . .] à [. . .] un procès public et équitable. » Mais les rédacteurs de la Charte ont garanti ce droit à un procès équitable aux seules personnes « inculpées ». Si la primauté du droit exigeait sur le plan constitutionnel que toutes les lois prévoient la tenue d’un procès équitable, cette exigence priverait l’al. 11d), dont la portée est relativement limitée (sans compter la restriction apportée par l’article premier), d’une grande partie de sa pertinence parce que tous auraient le droit, non écrit mais constitutionnel, à un « procès [. . .] équitable ». (Bien que, comme je l’indique au par. 76, la Loi prévoit de toute manière la tenue d’un procès équitable.) Ainsi, la conception qu’ont les appelants du principe constitutionnel non écrit de la primauté du droit rendrait superflu un bon nombre de nos droits constitutionnels écrits. Elle compromettrait ainsi la délimitation de ces droits établie par les rédacteurs de notre Constitution. Ces difficultés expliquent la prudence recommandée par notre Cour à ce propos dans le Renvoi sur la sécession du Québec, par. 53 :
Étant donné l’existence de ces principes constitutionnels sous‑jacents, de quelle façon notre Cour peut‑elle les utiliser? Dans le [Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard], aux par. 93 et 104, nous avons apporté la réserve que la reconnaissance de ces principes constitutionnels [. . .] n’est pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution. Bien au contraire, nous avons réaffirmé qu’il existe des raisons impératives d’insister sur la primauté de notre Constitution écrite. Une constitution écrite favorise la certitude et la prévisibilité juridiques, et fournit les fondements et la pierre de touche du contrôle judiciaire en matière constitutionnelle. [Je souligne.]
66 D’autre part, les arguments des appelants ne tiennent pas compte du fait que plusieurs principes constitutionnels autres que la primauté du droit reconnus par notre Cour — plus particulièrement, la démocratie et le constitutionnalisme — militent très fortement en faveur de la confirmation de la validité des lois qui respectent les termes exprès de la Constitution (et les exigences, telles que l’indépendance judiciaire, qui découlent de ces termes par déduction nécessaire). Autrement dit, les arguments soulevés par les appelants ne reconnaissent pas que, dans une démocratie constitutionnelle telle que la nôtre, la protection contre une loi que certains pourraient considérer injuste ou inéquitable ne réside pas dans les principes amorphes qui sous‑tendent notre Constitution, mais dans son texte et dans l’urne électorale. Voir Bacon c. Saskatchewan Crop Insurance Corp. (1999), 180 Sask. R. 20 (C.A.), par. 30; Elliot, p. 141‑142; Hogg et Zwibel, p. 718; et Newman, p. 187.
67 La primauté du droit n’est pas une invitation à banaliser ou à remplacer les termes écrits de la Constitution. Il ne s’agit pas non plus d’un instrument permettant à celui qui s’oppose à certaines mesures législatives de s’y soustraire. Au contraire, elle exige des tribunaux qu’ils donnent effet au texte constitutionnel, et qu’ils appliquent, quels qu’en soient les termes, les lois qui s’y conforment.
68 Un examen des décisions montrant que chacune des exigences proposées par les appelants à l’égard de la primauté du droit ne jouit, en jurisprudence, d’aucune protection constitutionnelle met un terme à leurs arguments à ce sujet.
(1) Le caractère prospectif de la Loi
69 Sauf en droit criminel, où l’al. 11g) de la Charte limite le caractère rétrospectif et la rétroactivité de la législation, le principe de la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution n’exigent aucunement que les lois aient seulement un caractère rétrospectif. Le professeur P. W. Hogg expose avec précision l’état du droit sur ce point (dans Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, p. 48‑29) :
[traduction] Sous réserve de l’al. 11g), le droit constitutionnel canadien n’interdit pas la rétroactivité (ex post facto) des lois. En matière d’interprétation législative, il faut présumer qu’une loi n’a pas d’effet rétroactif, mais si cet effet est clairement exprimé, il n’y a alors place à aucune interprétation et la loi prend effet au moment prévu. Les lois rétroactives sont en fait courantes.
70 Ainsi, dans Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, p. 1193, le juge La Forest, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour, a affirmé « que la Constitution n’interdit pas » l’adoption d’une taxe rétroactive. Et dans Cusson c. Robidoux , [1977] 1 R.C.S. 650, p. 655, le juge Pigeon a écrit, au nom de la Cour, qu’il serait « futile » de laisser croire qu’une loi est inconstitutionnelle parce qu’elle fait revivre des actions déjà jugées prescrites par notre Cour (dans Hôpital Notre‑Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388).
71 Il n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant injuste : voir E. Edinger, « Retrospectivity in Law » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 5, p. 13. Ceux qui partagent cette perception seront peut‑être rassurés par les règles d’interprétation législative qui imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et [traduction] « a conclu que les avantages de la rétroactivité [ou du caractère rétrospectif] l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité » : Landgraf c. USI Film Products, 511 U.S. 244 (1994), p. 268.
72 Il convient aussi de faire remarquer que la jurisprudence en common law a toujours eu un effet à la fois rétroactif et rétrospectif. Lord Nicholls a récemment expliqué ce point dans In Re Spectrum Plus Ltd., [2005] 3 W.L.R. 58, [2005] UKHL 41, par. 7 :
[traduction] Une décision judiciaire qui modifie le droit tel qu’on le connaissait jusqu’alors s’applique d’une façon rétrospective aussi bien que prospective. La décision aura un effet rétrospectif dans la mesure où les parties en litige sont concernées, comme c’était le cas du fabricant de bière au gingembre dans Donoghue c. Stevenson [1932] AC 562. Lorsque M. Stevenson a fabriqué, embouteillé et vendu sa bière au gingembre, l’interprétation généralement donnée à la loi sur la responsabilité des fabricants aurait pu être celle que lui ont donnée les juges majoritaires de la deuxième division de la Cour de session et la minorité des lords juges dans cette affaire. Mais dans l’action intentée par Mme Donoghue contre M. Stevenson, les obligations légales de ce dernier devaient être déterminées en fonction des énoncés célèbres de Lord Atkin. En outre, en raison de la doctrine du précédent, il en serait ainsi pour quiconque saisit par la suite un tribunal de son affaire. Ses droits et ses obligations seraient tranchés en fonction des règles exposées par la Chambre des lords à la majorité dans cette affaire, même si les événements pertinents sont survenus antérieurement à cette décision.
Cette observation vient renforcer, si au besoin est, l’opinion suivant laquelle le caractère rétrospectif et la rétroactivité ne soulèvent généralement pas de préoccupations d’ordre constitutionnel.
(2) La généralité en droit, les règles de droit ordinaires applicables au gouvernement et les procès équitables au civil
73 Deux arrêts de notre Cour font échec à la prétention des appelants voulant que la Constitution, au moyen de la primauté du droit, exige que les lois soient de nature générale et dépourvues de privilèges spéciaux à l’égard du gouvernement (sauf lorsqu’un tel privilège est nécessaire à une gouvernance efficace), en plus d’assurer un procès équitable au civil.
74 La première décision est Air Canada. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé à la majorité la constitutionnalité des modifications apportées en 1981 à la Gasoline Tax Act, 1948, R.S.B.C. 1960, ch. 162, qui imposait une taxe rétroactive à certaines compagnies aériennes. Les modifications visaient strictement à faire échec aux poursuites intentées par trois sociétés en 1980 pour obtenir le remboursement des taxes sur l’essence payées entre 1974 et 1976, dont la perception excédait la compétence de la législature de la Colombie‑Britannique. En plus d’être rétroactives, les modifications législatives servaient les intérêts de l’État, visaient une industrie en particulier dont les membres étaient facilement identifiables et réduisaient à néant la capacité de cette industrie de faire valoir avec succès les demandes qu’elle avait déposées un an plus tôt. La constitutionnalité de ces modifications a néanmoins été confirmée par notre Cour à la majorité.
75 La deuxième décision est Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40, 2003 CSC 39. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé à l’unanimité la validité d’une disposition de la Loi sur le ministère des Anciens combattants, L.R.C. 1985, ch. V‑1, qui visait expressément à rendre irrecevables les actions intentées par certains anciens combattants invalides à l’encontre du gouvernement fédéral, actions dont le bien‑fondé n’était pas contesté. Les actions portaient sur des intérêts qui auraient dû être versés par le gouvernement sur les fonds qu’il gérait et qui appartenaient aux anciens combattants, intérêts qui n’avaient pas été payés pendant des décennies. Bien que le pourvoi reposât sur la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, la décision a confirmé que le Parlement possédait bien le pouvoir d’édicter la disposition en cause — même si elle ne visait qu’une seule catégorie connue d’anciens combattants vulnérables, elle conférait des avantages à l’État « pour des raisons qu’il [le législateur] n’a pas dévoilées » (par. 62) et elle anéantissait la possibilité d’un procès — équitable ou non — portant sur les revendications de ces anciens combattants. Voir par. 15 :
Le paragraphe 5.1(4) de la Loi sur le ministère des Anciens combattants a pour effet de déposséder les membres d’un groupe vulnérable de leur droit sur des biens, au mépris de l’obligation de fiduciaire de l’État envers les anciens combattants invalides. Toutefois, le législateur a effectivement le pouvoir de les déposséder ainsi. Le pourvoi doit être accueilli.
76 En outre, la conception que les appelants se font de la nature de procès « équitable » au civil semble, en bonne part, reprendre le contenu des règles traditionnelles de procédure civile et de preuve. Comme il devrait ressortir de l’analyse portant sur l’indépendance judiciaire, il n’existe aucun droit constitutionnel à un procès civil régi par de telles règles. De plus, les nouvelles règles ne sont pas nécessairement injustes. En effet, les fabricants de tabac poursuivis en application de la Loi subiront un procès équitable au civil, suivant le sens habituellement attribué à ce concept : ils ont droit à une audition publique, devant un tribunal indépendant et impartial, et ils peuvent contester les réclamations de la demanderesse et produire des éléments de preuve en défense. Le tribunal ne statuera sur leur responsabilité qu’à l’issue de cette audition, en se fondant exclusivement sur son interprétation du droit qu’il applique à ses conclusions de fait. Le fait que les défendeurs puissent estimer que le droit (c.‑à‑d. la Loi) est injuste, ou que les règles de procédure qu’il prescrit sont nouvelles, ne rend pas leur procès inéquitable.
77 La Loi ne met pas en jeu l’application du principe de la primauté du droit dans le sens où cette expression est consacrée dans la Constitution. Il s’ensuit que la Loi n’est pas inconstitutionnelle pour cause d’incompatibilité.
V. Conclusion
78 La Loi est constitutionnellement valide. Les pourvois sont rejetés avec dépens en faveur des intimés dans toutes les cours. Il convient de répondre « non » à chaque question constitutionnelle. Le sursis d’exécution ordonné par la juge en chef McLachlin le 21 janvier 2005 est annulé.
ANNEXE
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, ch. 30, mod. par S.B.C. 2003, ch. 70, art. 297
[traduction]
SA MAJESTÉ, sur l’avis et avec le consentement de l’Assemblée législative de la province de la Colombie‑Britannique, édicte :
Définitions
1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
« assuré »
a) Une personne, y compris une personne décédée, ayant reçu des services de soins de santé;
b) une personne vraisemblablement susceptible de recevoir des services de soins de santé.
« coentreprise » Une association de deux personnes ou plus si :
a) leurs rapports ne constituent pas une personne morale, une société de personnes ou une fiducie;
b) chacune d’elles possède un droit indivis à la propriété des biens de l’association.
« coût des services de soins de santé » La somme des éléments suivants :
a) la valeur actuelle des dépenses totales engagées par le gouvernement pour les services de soins de santé fournis aux assurés par suite d’une maladie liée au tabac ou du risque d’une maladie liée au tabac;
b) la valeur actuelle des dépenses totales prévues par le gouvernement pour les services de soins de santé qu’il peut raisonnablement s’attendre à fournir aux assurés par suite d’une maladie liée au tabac ou du risque d’une maladie liée au tabac.
« exposition » Tout contact avec un produit du tabac, incluant la fumée ou un autre sous-produit résultant de l’usage, de la consommation ou de la combustion d’un produit du tabac, ou toute ingestion, inhalation ou assimilation d’un tel produit.
« fabricant » Une personne qui fabrique ou a fabriqué un produit du tabac, y compris une personne qui :
a) directement ou indirectement, fait ou a fait fabriquer un produit du tabac dans le cadre d’ententes conclues avec des entrepreneurs, des sous-entrepreneurs, des titulaires de licence, des franchisés ou d’autres personnes;
b) au cours d’un exercice financier, tire ou a tiré au moins 10 pourcent de son revenu, calculé sur une base consolidée conformément aux principes comptables généralement reconnus au Canada, de la fabrication ou de la promotion de produits du tabac par elle-même ou par d’autres personnes;
c) fait ou fait faire, ou a fait ou fait faire, directement ou indirectement, la promotion d’un produit du tabac;
d) est ou a été une association commerciale qui se consacre principalement :
(i) à la promotion des intérêts des fabricants;
(ii) à la promotion d’un produit du tabac;
(iii) à la promotion par d’autres personnes, directement ou indirectement, d’un produit du tabac.
« fabrication » Est assimilée à la fabrication, à l’égard d’un produit du tabac, la production, l’assemblage ou l’empaquetage de ce produit.
« faute d’un fabricant »
a) Délit commis en Colombie-Britannique par un fabricant qui cause une maladie liée au tabac ou y contribue;
b) dans une action visée au paragraphe 2(1), manquement par un fabricant à une obligation que lui impose la common law, l’equity ou la loi à l’égard de personnes en Colombie-Britannique qui ont été exposées à un produit du tabac ou qui pourraient l’être;
« maladie » Est assimilée à la maladie la détérioration générale de la santé.
« maladie liée au tabac » Maladie causée ou favorisée par l’exposition à un produit du tabac.
« personne » Sont assimilées à une personne une fiducie, une coentreprise ou une association commerciale.
« produit du tabac » Le tabac et tout produit qui contient du tabac.
« promouvoir » ou « promotion » Sont assimilés à la promotion d’un produit du tabac le marketing, la distribution ou la vente de ce produit, de même que la recherche relative à ce produit.
« services de soins de santé »
a) Les services au sens de l’Hospital Insurance Act;
b) les services au sens de la Medicare Protection Act;
c) les versements faits par le gouvernement sous le régime de la Continuing Care Act;
d) les autres dépenses, engagées par le gouvernement, directement ou par un ou plusieurs représentants ou organismes intermédiaires, pour des programmes, services, prestations ou avantages semblables liés à la maladie.
« type de produit du tabac » Un des produits du tabac suivants ou une combinaison de ces produits :
a) cigarettes;
b) tabac à cigarettes:
c) cigares;
d) cigarillos;
e) tabac à pipe;
f) tabac à mâcher;
g) tabac à priser nasal;
h) tabac à priser oral;
i) forme de tabac réglementaire.
(2) La définition de « fabricant » au paragraphe 1 n’inclut pas :
a) un particulier;
b) une personne qui, selon le cas, :
(i) est un fabricant du seul fait qu’elle est un grossiste ou un détaillant de produits du tabac;
(ii) n’est pas liée à :
(A) une personne qui fabrique un produit du tabac;
(B) une personne visée à l’alinéa a) de la définition de « fabricant »;
c) une personne qui :
(i) est un fabricant du seul fait qu’elle est visée à l’alinéa b) ou c) de la définition de « fabricant »,
et qui
(ii) n’est pas liée à :
(A) une personne qui fabrique un produit du tabac;
(B) une personne visée à l’alinéa a) ou d) de la définition de « fabricant ».
(3) Pour l’application du paragraphe (2), une personne est liée à une autre personne si elle est, directement ou indirectement, selon le cas :
a) une affiliée, au sens que l’article premier de la Business Corporations Act donne à ce terme, de l’autre personne;
b) une affiliée de l’autre personne ou une affiliée d’une affiliée de l’autre personne.
(4) Pour l’application de l’alinéa (3)b), une personne est réputée être une affiliée de l’autre personne si elle est, selon le cas :
a) une société et que l’autre personne, ou un groupe de personnes ayant entre elles un lien de dépendance dont l’autre personne est membre, possède dans des actions de la société un intérêt bénéficiaire :
(i) donnant droit à au moins 50 pour cent des voix pour l’élection des administrateurs de la société, et les voix que comportent ces actions sont suffisantes, lorsqu’on y a recours, pour élire un administrateur de la société;
(ii) dont la juste valeur marchande, incluant une prime de contrôle, le cas échéant, correspond à au moins 50 pour cent de la juste valeur marchande de toutes actions émises et en circulation de la société;
b) une société de personnes, une fiducie ou une coentreprise, et que l’autre personne, ou un groupe de personnes ayant entre elles un lien de dépendance dont l’autre personne est membre, possède un droit de propriété dans l’actif de cette personne lui donnant droit de recevoir au moins 50 pour cent des bénéfices ou au moins 50 pour cent des éléments d’actif de celle‑ci au moment de la dissolution, liquidation ou cessation de la société de personnes, fiducie ou coentreprise.
(5) Pour l’application de l’alinéa (3)b), une personne est réputée être une affiliée d’une autre personne si cette autre personne, ou un groupe de personnes ayant entre elles un lien de dépendance dont l’autre personne est membre, a une influence directe ou indirecte dont l’exercice entraînerait un contrôle de fait sur la personne, sauf si l’autre personne n’a aucun lien de dépendance avec la personne et que son influence découle exclusivement de sa qualité de prêteur.
(6) Le tribunal détermine la part du marché d’un défendeur à l’égard d’un type de produit du tabac vendu en Colombie‑Britannique au moyen de la formule suivante :
pd
pmd = × 100%
FF
où
pmd = la part de marché du défendeur à l’égard du type de produit du tabac entre la date de la première faute d’un fabricant commise par ce défendeur et la date du procès;
pd = la quantité du type de produit du tabac fabriqué ou annoncé par le défendeur qui est vendue en Colombie‑Britannique entre la date de la première faute d’un fabricant commise par ce défendeur et la date du procès;
FF = la quantité du type de produit du tabac fabriqué ou annoncé par tous les fabricants qui est vendue en Colombie‑Britannique entre la date de la première faute d’un fabricant commise par ce défendeur et la date du procès.
Action directe par le gouvernement
2 (1) Le gouvernement a contre un fabricant un droit d’action direct et distinct pour le recouvrement du coût des services de soins de santé occasionnés ou favorisés par une faute d’un fabricant.
(2) Le gouvernement intente l’action prévue au paragraphe (1) en son nom propre et non par subrogation.
(3) Dans une action fondée sur le paragraphe (1), le gouvernement peut recouvrer le coût des services de soins de santé s’il y a eu recouvrement par d’autres personnes ayant subi un préjudice occasionné ou favorisé par une faute d’un fabricant commise par le défendeur.
(4) Dans une action fondée sur le paragraphe (1), le gouvernement peut recouvrer le coût des soins de santé dispensés :
a) à certains assurés en particulier;
b) globalement, à une population d’assurés par suite d’une exposition à un type de produit du tabac.
(5) Dans une action fondée sur le paragraphe (1), si le gouvernement cherche à recouvrer globalement le coût des services de soins de santé,
a) il n’est pas nécessaire
(i) d’identifier les assurés en particulier;
(ii) de prouver à l’égard d’un assuré en particulier la cause de la maladie liée au tabac;
(iii) de prouver le coût des services de soins de santé fournis à un assuré en particulier;
b) nul ne peut être requis de produire les dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier, ou les documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés, sauf dans la mesure prévue par une règle de droit, de pratique ou de procédure exigeant la production des documents invoqués par un témoin expert;
c) nul ne peut être contraint de répondre à des questions relatives à la santé d’assurés en particulier ou aux soins de santé prodiqués à ces assurés;
d) malgré les alinéas b) et c), le tribunal peut, à la demande d’un défendeur, ordonner la communication préalable d’un échantillon statistiquement significatif des dossiers mentionnés à l’alinéa b) et l’ordonnance doit comporter des directives concernant la nature, le degré de précision et le type des renseignements qui doivent être communiqués;
e) dans le cas d’une ordonnance rendue conformément à l’alinéa d), l’identité des assurés en particulier ne doit pas être divulguée, et tous les indices pouvant divulguer ou servir à divulguer le nom ou l’identité des assurés en particulier doivent être expurgés des documents avant leur communication.
Recouvrement global du coût des services de soins de santé
3 (1) Dans une action fondée sur le paragraphe 2(1) visant le recouvrement global du coût des services de soins de santé, le paragraphe (2) s’applique si le gouvernement prouve, suivant la prépondérance des probabilités, que, relativement à un type de produit du tabac :
a) le défendeur a manqué à une obligation que lui impose la common law, l’equity ou la loi à l’égard des personnes en Colombie‑Britannique qui ont été exposées à un type de produit du tabac ou pourraient y être exposées;
b) l’exposition à ce type de produit du tabac peut causer ou contribuer à causer une maladie;
c) pendant la totalité ou une partie de la période de manquement à une obligation mentionné à l’alinéa a), le type de produit du tabac fabriqué ou annoncé par le fabricant a été offert en vente en Colombie‑Britannique.
(2) Sous réserve des paragraphes (1) et (4), le tribunal présume que :
a) la population d’assurés qui a été exposée au type de produit du tabac fabriqué ou annoncé par le défendeur n’y aurait pas été exposée n’eût été le manquement visé à l’alinéa (1)a);
b) l’exposition mentionnée à l’alinéa a) a causé ou a contribué à causer la maladie ou le risque de maladie chez une partie de la population visée à l’alinéa a).
(3) Si les présomptions établies aux alinéas (2)a) et b) s’appliquent :
a) le tribunal doit déterminer globalement le coût des services de soins de santé fournis après la date du manquement mentionné à l’alinéa (1)a) résultant de l’exposition au type de produit du tabac;
b) chaque défendeur auquel s’appliquent les présomptions est responsable du coût global mentionné à l’alinéa a) au prorata de sa part de marché du type de produit du tabac.
(4) Le montant établi en application de l’alinéa (3)b) auquel est tenu un défendeur peut être réduit, ou les parts de responsabilité établies en application de l’alinéa (3)b) peuvent être rajustées entre les défendeurs, dans la mesure où l’un d’eux prouve, selon la prépondérance des probabilités, que le manquement visé à l’alinéa (1)a) n’a pas causé ou contribué à causer l’exposition mentionnée à l’alinéa (2)a) ou la maladie ou le risque de maladie mentionnés à l’alinéa (2)b).
Responsabilité solidaire dans une action fondée sur le paragraphe 2(1)
4 (1) Dans une action fondée sur le paragraphe 2(1), les défendeurs sont solidairement responsables du coût des services de soins de santé :
a) s’ils ont conjointement manqué à une obligation visée par la définition de « faute d’un fabricant » au paragraphe 1(1);
b) si, en conséquence du manquement visé à l’alinéa a), au moins un des défendeurs est responsable, dans l’action fondée sur le paragraphe 2(1), du coût de ces services de soins de santé.
(2) Dans le cadre d’une action visée au paragraphe 2(1), plusieurs fabricants, qu’ils soient ou non défendeurs dans l’action, sont réputés avoir manqué conjointement à une obligation mentionnée à la définition de « faute d’un fabricant » au paragraphe 1(1) dans les cas où :
a) il est reconnu qu’au moins un de ces fabricants a manqué à l’obligation;
b) il serait reconnu en common law, en equity ou en vertu d’un texte législatif que ces fabricants :
(i) auraient conspiré ou agi de concert relativement au manquement;
(ii) auraient agi dans le cadre d’une relation mandant‑mandataire relativement au manquement;
(iii) seraient solidairement ou indirectement responsables du manquement si des dommages‑intérêts avaient été accordés à une personne ayant subi un préjudice en conséquence du manquement.
Preuve fondée sur la population afin d’établir un lien de causalité et de quantifier les dommages‑intérêts ou le coût
5 Les renseignements statistiques et ceux découlant d’études épidémiologiques, sociologiques et d’autres études pertinentes, y compris les renseignements provenant d’échantillons, sont admissibles en preuve pour établir le lien de causalité et quantifier les dommages‑intérêts ou le coût des services de soins de santé imputables à une faute d’un fabricant dans une action intentée :
a) par ou pour une personne, agissant en son propre nom ou en sa qualité de membre d’une catégorie de personnes visée par la Class Proceedings Act;
b) par le gouvernement en application du paragraphe 2(1).
Délais de prescription
6 (1) Aucune action introduite dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur de la présente disposition par
a) le gouvernement,
b) une personne, agissant en son propre nom ou pour le compte d’une catégorie de personnes,
c) le représentant personnel d’une personne décédée, agissant pour le compte du conjoint, d’un parent ou d’un enfant de la personne décédée au sens de la Family Compensation Act,
en recouvrement de dommages‑intérêts ou du coût des services de soins de santé qui auraient été causés ou favorisés par une faute d’un fabricant n’est prescrite aux termes de la Limitation Act.
(2) Toute action visée au paragraphe (1) en dommages‑intérêts qui auraient été causés ou favorisés par une faute d’un fabricant est rétablie si l’action a été rejetée avant l’entrée en vigueur de la présente disposition du seul fait qu’un tribunal a conclu que l’action était prescrite ou éteinte par application de la Limitation Act.
Responsabilité fondée sur la contribution au risque
7 (1) Le présent article s’applique à une action en dommages‑intérêts ou en recouvrement du coût des services de soins de santé qui auraient été causés ou favorisés par une faute d’un fabricant, mais ne s’applique pas à une action en recouvrement global du coût des services de soins de santé.
(2) Si un demandeur ne peut établir l’identité du défendeur qui a causé l’exposition visée à l’alinéa b) ou y a contribué et que, en conséquence d’un manquement à une obligation imposée en common law, en equity ou en vertu d’un texte législatif :
a) un ou plusieurs défendeurs causent ou contribuent à causer un risque de maladie en exposant des personnes à un type de produit du tabac;
b) le demandeur a été exposé au type de produit du tabac mentionné à l’alinéa a) et est atteint d’une maladie résultant de cette exposition;
le tribunal peut tenir chaque défendeur ayant causé ou contribué à causer le risque de maladie responsable d’une partie des dommages‑intérêts ou du coût des services de soins de santé au prorata de sa contribution à ce risque de maladie.
(3) Dans le partage de la responsabilité prévu au paragraphe (2), le tribunal peut tenir compte des facteurs suivants :
a) la période pendant laquelle un défendeur a accompli les actes ayant causé ou contribué à causer le risque de maladie;
b) la part de marché détenue par le défendeur à l’égard du type de produit du tabac ayant causé ou contribué à causer le risque de maladie;
c) le degré de toxicité de toute substance toxique contenue dans le type de produit du tabac fabriqué ou annoncé par un défendeur;
d) le montant consacré par un défendeur à la promotion du type de produit du tabac ayant causé ou contribué à causer le risque de maladie;
e) la mesure dans laquelle un défendeur a collaboré ou participé avec d’autres fabricants aux actes ayant causé ou aggravé le risque de maladie ou ayant contribué à ce risque;
f) la mesure dans laquelle un défendeur a procédé à des analyses et à des études visant à évaluer le risque de maladie résultant de l’exposition au type de produit du tabac;
g) la mesure dans laquelle un défendeur a assumé un leadership dans la fabrication du type de produit du tabac;
h) les efforts déployés par un défendeur pour prévenir le public du risque de maladie résultant de l’exposition au type de produit du tabac;
i) la mesure dans laquelle un défendeur a continué de fabriquer ou de promouvoir le type de produit du tabac après qu’il eut connu ou aurait dû connaître le risque de maladie résultant de l’exposition à ce type de produit;
j) les mesures concrètes prises par un défendeur en vue de réduire le risque de maladie pour le public;
k) tout autre facteur que le tribunal estime pertinent.
Partage de la responsabilité en matière de fautes du fabricant
8 (1) Le présent article ne s’applique pas à un défendeur reconnu responsable par un tribunal aux termes de l’article 7.
(2) Un défendeur reconnu responsable d’une faute d’un fabricant peut intenter, contre un ou plusieurs des défendeurs reconnus responsables de cette faute dans le cadre de la même action, une action ou une procédure en contribution pour le paiement des dommages‑intérêts ou du coût des services de soins de santé causés ou favorisés par cette faute.
(3) Le paragraphe (2) s’applique que le défendeur introduisant l’action ou la procédure sous le régime de cette disposition ait payé ou non tout ou partie des dommages‑intérêts ou du coût des services de soins de santé causés ou favorisés par la faute d’un fabricant.
(4) Dans une action ou une procédure visée au paragraphe (2), le tribunal peut procéder au partage de la responsabilité et ordonner à chacun des défendeurs de verser une contribution établie en fonction des facteurs énumérés aux alinéas 7(3) a) à k).
Règlements
9 (1) Le lieutenant gouverneur en conseil peut prendre les règlements mentionnés à l’article 41 de l’Interpretation Act.
(2) Le lieutenant gouverneur en conseil peut notamment prescrire par règlement une forme de tabac pour l’application de l’alinéa i) de la définition de « type de produit du tabac » figurant au paragraphe 1(1).
Effet rétroactif
10 Toute disposition de la présente loi qui entre en vigueur aux termes de l’article 12 a l’effet rétroactif nécessaire pour lui donner plein effet à toutes fins utiles, notamment pour permettre l’introduction d’une action fondée sur le paragraphe 2(1) découlant d’une faute d’un fabricant, quelle que soit la date à laquelle la faute est survenue.
. . .
Entrée en vigueur
12 La présente loi entre en vigueur par règlement du lieutenant gouverneur en conseil.
Pourvois rejetés avec dépens.
Procureurs de l’appelante Imperial Tobacco Canada Limitée : Berardino & Harris, Vancouver.
Procureurs de l’appelante Rothmans, Benson & Hedges Inc. : Macaulay McColl, Vancouver.
Procureurs de l’appelante JTI-Macdonald Corp. : Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs de l’appelant le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac : Kuhn & Company, Vancouver.
Procureurs de l’appelante British American Tobacco (Investments) Limited : Sugden, McFee & Roos, Vancouver.
Procureurs des appelantes Philip Morris Incorporated et Philip Morris International Inc. : McCarthy Tétrault, Montréal.
Procureurs des intimés : Bull, Housser & Tupper, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse : Procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador : Procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, St. John’s.