law society of british columbia c. mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67
Law Society of British Columbia Appelante
c.
Jaswant Singh Mangat, Westcoast Immigration
Consultants Ltd. et Jill Sparling Intimés
et
Le procureur général du Canada, le procureur général
de l’Ontario, le procureur général du Manitoba,
le procureur général de la Colombie-Britannique,
l’Organization of Professional Immigration Consultants,
l’Association du Barreau canadien et l’Association
of Immigration Counsel of Canada Intervenants
Répertorié : Law Society of British Columbia c. Mangat
Référence neutre : 2001 CSC 67.
No du greffe : 27108.
2001 : 21 mars; 2001 : 18 octobre.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs législatifs -- Règle de la prépondérance -- Naturalisation et aubains -- Propriété et droits civils -- Exercice du droit -- Loi fédérale en matière d’immigration autorisant des non-avocats à comparaître en qualité de procureur rétribué devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié -- Loi provinciale interdisant aux non-avocats de comparaître en qualité de procureur rétribué devant un tribunal administratif -- La matière visée par la loi fédérale relève-t-elle à la fois de la compétence du Parlement relative à la naturalisation et aux aubains et de la compétence provinciale concernant les droits civils? -- Dans l’affirmative, la loi provinciale est-elle inopérante? -- Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(25), 92(13) -- Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, art. 30, 69(1) -- Legal Profession Act, S.B.C. 1987, ch. 25, art. 26.
L’intimé M était un consultant en immigration qui offrait ses services par l’intermédiaire d’une société d’experts‑conseils en immigration (« Westcoast »). Il n’avait pas étudié le droit au Canada et n’était pas membre du Barreau de la Colombie‑Britannique. M et d’autres employés de Westcoast se livraient à plusieurs activités concernant des procédures en matière d’immigration. Ils comparaissaient notamment à titre de conseils ou d’avocats pour le compte d’étrangers devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« CISR »), dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution. Le Barreau a déposé une demande d’injonction permanente contre M et Westcoast afin de les empêcher d’exercer le droit contrairement à la Legal Profession Act de la Colombie‑Britannique. M et Westcoast ont admis qu’ils exerçaient le droit au sens de l’art. 1 de la Legal Profession Act, mais ont soutenu que leur conduite était sanctionnée par l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration qui permettent à des non-avocats de comparaître pour le compte de clients devant la CISR. Le juge a délivré l’injonction sollicitée pour le motif que l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration n’autorisaient pas l’exercice du droit. Subsidiairement, le juge aurait accordé cette injonction pour le motif que les dispositions en cause excédaient la compétence du Parlement. La Cour d’appel a annulé l’injonction. Dans le présent pourvoi, il s’agit principalement de déterminer si l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration relèvent de la compétence du Parlement et si l’art. 26 de la Legal Profession Act, qui interdit l’exercice du droit à toute personne autre qu’un membre en règle du Barreau ou qu’une personne figurant dans la liste d’exceptions, est inopérant du point de vue constitutionnel à l’égard des personnes agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application. En notre Cour, l’intimée S a été ajoutée à l’instance pour le motif qu’elle est consultante en immigration et qu’elle se livre aux mêmes activités que M, étant donné que M est devenu membre du Barreau de l’Alberta peu après que l’autorisation de pourvoi devant notre Cour eut été accordée.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
De par leur caractère véritable, l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration ont pour objet d’accorder certains droits aux étrangers dans le processus administratif d’immigration. Ils leur confèrent le droit de se faire représenter, moyennant rétribution, par un avocat ou un autre conseil dans les procédures devant la section d’arbitrage et la section du statut. Ils permettent également aux étrangers de bénéficier des documents que le conseil ou conseiller en question a préparés en vue des procédures, et d’obtenir des avis sur des questions pertinentes quant à leur dossier, avant l’ouverture de ces procédures. La question de savoir qui les étrangers peuvent choisir pour les représenter devant la section d’arbitrage et la section du statut ressortit aux droits procéduraux qu’ils possèdent en matière quasi judiciaire. Cette matière relève de la compétence relative à la naturalisation et aux aubains que le Parlement possède en vertu du par. 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence législative fédérale dans le domaine de la naturalisation et des aubains comporte le pouvoir d’établir un tribunal comme la CISR, étant donné qu’elle inclut le pouvoir de décider qui est un étranger et qui devrait être naturalisé. La capacité de prescrire les pouvoirs d’un tel tribunal et sa procédure, dont la procédure de comparution devant lui, découle de cette compétence.
La matière visée par l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration relève également de la compétence provinciale relative aux droits civils dans la province. Ces dispositions ont trait à la profession juridique et donc aux professions en général. Dans le cadre de leur compétence en matière de réglementation des professions, les provinces ont le pouvoir de réglementer l’exercice du droit en vertu du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les avocats font partie intégrante de l’administration de la justice; dans cette mesure, le pouvoir des provinces d’adopter des lois relatives aux avocats peut donc tout aussi bien découler du par. 92(14) que du par. 92(13). Dans la mesure où elle comporte l’exercice du droit, la comparution devant la CISR en qualité de conseil ou conseiller est autant visée par l’art. 26 de la Legal Profession Act que par l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration.
Étant donné que la représentation des étrangers par un conseil ou conseiller devant la CISR comporte un aspect fédéral et un aspect provincial, dans ce domaine, les lois fédérales et les lois provinciales ainsi que leurs textes d’application respectifs coexistent dans la mesure où ils n’entrent pas en conflit. En cas de conflit, la loi fédérale l’emportera conformément à la règle de la prépondérance. Le fait que la matière visée à l’art. 30 et au par. 69(1) comporte un double aspect joue en faveur de l’application de la règle de la prépondérance plutôt que de celle de l’exclusivité des compétences. L’application de la règle de la prépondérance préserve le contrôle du Parlement sur les tribunaux administratifs qu’il crée. En même temps, elle préserve le principe du contrôle unifié de la profession juridique par les divers barreaux au Canada. L’immigration relève en général de la compétence concurrente du fédéral et des provinces. C’est ce qu’établit l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit lui‑même la prépondérance fédérale. D’un point de vue général, il n’y a pas de ligne de démarcation claire entre la compétence fédérale et la compétence provinciale en la matière.
En l’espèce, les deux lois en cause entrent en conflit. L’article 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration permettent à des non‑avocats de comparaître en qualité de procureurs rétribués alors que la Legal Profession Act leur interdit de le faire. Il est impossible de se conformer aux deux lois sans contrecarrer l’objectif du Parlement. La Loi sur l’immigration doit donc l’emporter sur la Legal Profession Act. En conséquence, la Cour rend une ordonnance déclarant que l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application relèvent de la compétence du Parlement, et que l’art. 26 de la Legal Profession Act est inopérant en ce qui concerne les non-avocats qui, agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1), sont rétribués pour représenter des gens devant la section d’arbitrage ou la section du statut et pour fournir des services à cet égard.
Étant donné que les dispositions contestées de la Loi sur l’immigration sont valides et l’emportent sur les dispositions de la Legal Profession Act, une injonction interdisant aux intimés M, Westcoast et S de se livrer aux activités reprochées ne peut pas être accordée. En outre, la question de l’injonction est théorique en ce qui concerne les intimés M et Westcoast. M est maintenant un membre en règle des barreaux de l’Alberta et de l’Ontario, ce qui lui donne le droit de représenter des clients à toute audience devant la CISR. Westcoast est maintenant dissoute et n’existe plus.
Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40; arrêts mentionnés : Law Society of British Columbia c. Lawrie (1991), 59 B.C.L.R. (2d) 1; General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31; Union Colliery Co. of British Columbia c. Bryden, [1899] A.C. 580; Cunningham c. Homma, [1903] A.C. 151; Brooks-Bidlake and Whittall, Ltd. c. Attorney-General for British Columbia, [1923] A.C. 450; In re Nakane and Okazake (1908), 13 B.C.R. 370; In re Narain Singh (1908), 13 B.C.R. 477; R. c. Hildebrand, [1919] 3 W.W.R. 286; In Re The Immigration Act and Munshi Singh, [1914] 6 W.W.R. 1347; Lafferty c. Lincoln (1907), 38 R.C.S. 620; Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157; Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; Malartic Hygrade Gold Mines (Quebec) Ltd. c. La Reine, [1982] C.S. 1146; Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45; Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; O’Grady c. Sparling, [1960] R.C.S. 804; Stephens c. The Queen, [1960] R.C.S. 823; Mann c. The Queen, [1966] R.C.S. 238; Smith c. The Queen, [1960] R.C.S. 776; Attorney-General of Ontario c. Attorney‑General for the Dominion of Canada, [1894] A.C. 189; Robinson c. Countrywide Factors Ltd., [1978] 1 R.C.S. 753; Attorney-General for Ontario c. Attorney-General for the Dominion, [1896] A.C. 348; Attorney-General for Ontario c. Barfried Enterprises Ltd., [1963] R.C.S. 570; Papp c. Papp, [1970] 1 O.R. 331; Rio Hotel Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59; R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89; R. c. Lewis (1997), 155 D.L.R. (4th) 442; R. c. Romanowicz (1999), 45 O.R. (3d) 506; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121; M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, [1999] 2 R.C.S. 961; Crown Grain Co. c. Day, [1908] A.C. 504.
Lois et règlements cités
Acte d’immigration, 1869, S.C. 1869, ch. 10, préambule.
Charte canadienne des droits et libertés.
Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125, art. 14(4)a).
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, ch. 165, art. 56(5).
Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 181, art. 29(3).
Legal Profession Act, S.B.C. 1987, ch. 25 [maintenant S.B.C. 1998, ch. 9], art. 1, 26, 100.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 91(25), 92, 92(13), (14), 95.
Loi électorale du Canada, L.R.C. 1985, ch. E-2.
Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-2, art. 37(2) [aj. ch. 33 (1er suppl.), art. 5].
Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, art. 3, 29(5), 30 [abr. & rempl. ch. 28 (4e suppl.), art. 9; mod. 1990, ch. 8, art. 51; abr. & rempl. 1992, ch. 49, art. 19], 32, 57(1), 61(2), 63.3, 64(3), 68(2), (3), 68.1, 69 [mod. ch. 10 (2e suppl.), art. 5; abr. & rempl. ch. 28 (4e suppl.), art. 18; mod. 1992, ch. 49, art. 59], 69.1(1), 70, 77(3), 80.1(4), (5), 114(1)v) [abr. & rempl. ch. 28 (4e suppl.), art. 29].
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, art. 47.1 [abr. & rempl. ch. 8 (2e suppl.), art. 18].
Loi sur le pilotage, L.R.C. 1985, ch. P-14, art. 28(1).
Loi sur le statut de l’artiste, L.C. 1992, ch. 33, art. 19(3).
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 140(7).
Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.), art. 31.
Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 15 [abr. & rempl. ch. 33 (3e suppl.), art. 4].
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, art. 28(1)f) [abr. & rempl. 1993, ch. 15, art. 62].
Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, art. 88 [mod. 1990, ch. 43, art. 26; rempl. 1995, ch. 18, art. 73].
Règles de la section d’arbitrage, DORS/93-47, art. 2.
Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, art. 2.
Doctrine citée
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Casey, James T. The Regulation of Professions in Canada. Scarborough, Ont. : Carswell, 1994 (loose-leaf updated 2001, release 1).
Cory, Peter deC. Cadre stratégique de réglementation de la profession d’agent parajuridique en Ontario. Toronto : Ministère du Procureur général, 2000.
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Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, vol. 1. Markham, Ont. : Butterworths, 1992 (loose-leaf updated April 2001, issue 37).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1998), 167 D.L.R. (4th) 723, 115 B.C.A.C. 50, 58 B.C.L.R. (3d) 280, 48 Imm. L.R. (2d) 170, [1999] 6 W.W.R. 588, [1998] B.C.J. No. 2756 (QL), qui a annulé une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (1997), 149 D.L.R. (4th) 736, 41 B.C.L.R. (3d) 205, [1998] 4 W.W.R. 790, [1997] B.C.J. No. 1883 (QL). Pourvoi rejeté.
William S. Berardino, c.r., et Elizabeth B. Lyall, pour l’appelante.
Richard R. Sugden, c.r., et Craig P. Dennis, pour l’intimé Mangat.
Jack Giles, c.r., et Susan B. Horne, pour l’intimée Sparling.
Urszula Kaczmarczyk, Kevin Lunney et Brenda Carbonell, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Michel Y. Hélie, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Rodney G. Garson, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.
Neena Sharma, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Jack Giles, c.r., et Susan B. Horne, pour l’intervenante l’Organization of Professional Immigration Consultants.
Mira J. Thow, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
Malcolm N. Ruby, pour l’intervenante l’Association of Immigration Counsel of Canada.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Gonthier —
I. Introduction
1 Dans le présent pourvoi, il s’agit principalement de déterminer si l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, relèvent de la compétence du Parlement fédéral et si une disposition de la Legal Profession Act (alors S.B.C. 1987, ch. 25, art. 26; maintenant S.B.C. 1998, ch. 9, art. 15), qui interdit l’exercice du droit à toute personne autre qu’un membre en règle de la Law Society of British Columbia (« Barreau de la Colombie-Britannique ») ou qu’une personne figurant dans la liste d’exceptions, est inopérante ou inapplicable du point de vue constitutionnel à l’égard des personnes agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application.
II. Les faits
2 Au moment du procès, l’intimé Mangat, titulaire d’un diplôme en droit de l’Université du Pendjab en Inde, travaille comme consultant en immigration. Il n’a pas étudié le droit au Canada et n’est pas membre du Barreau de la Colombie‑Britannique. Il offre ses services par l’intermédiaire de Westcoast Immigration Consultants Ltd. (« Westcoast »), une société d’experts‑conseils en immigration (qui n’existe plus).
3 Monsieur Mangat et d’autres employés de Westcoast se livrent à plusieurs activités concernant des procédures en matière d’immigration. Ils comparaissent à titre de conseils ou d’avocats pour le compte d’étrangers devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« CISR »), dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense. De plus, ils rédigent, révisent ou établissent des documents ayant trait à des procédures devant ce tribunal, donnent des consultations juridiques et se présentent comme ayant le droit de fournir de tels services et comme étant qualifiés pour le faire.
4 Dans le cadre de leurs activités, l’intimé Mangat et ses consultants associés demandent à leurs clients de signer une entente relative à des honoraires, dans laquelle ces derniers reconnaissent que les intimés sont des consultants en immigration et non pas des membres du Barreau de la Colombie-Britannique. Ils informent leurs clients qu’ils peuvent recourir à l’aide juridique ou aux services d’un avocat membre du Barreau. La participation des intimés prend fin du moment que le dossier passe de la CISR à la Cour fédérale.
5 Le 14 juillet 1986, l’appelante écrit à M. et à Mme Mangat au sujet d’une annonce parue dans l’Indo-Canadian Times, dans laquelle les intimés auraient offert des consultations juridiques sur diverses questions touchant l’immigration au Canada et se seraient présentés comme autorisés à exercer le droit. À l’époque, l’appelante avertit les intimés des peines imposées pour l’exercice illégal du droit et leur demande de fournir une explication écrite au plus tard le 11 août 1986, avant de prendre des mesures correctives. Le 8 août 1986, M. Mangat répond que Mme Mangat et lui n’ont jamais exercé le droit et n’ont jamais prétendu l’exercer. Il ajoute qu’ils ont parfaitement le droit d’utiliser les titres B.A. et LL.B. Toutefois, pour éviter tout autre malentendu, il offre d’apporter certains changements à l’annonce en ajoutant notamment les mots [traduction] « consultants en immigration ». Dans sa réponse du 22 septembre 1986, l’appelante indique que le comité des normes professionnelles a décidé d’accepter les assurances données par M. Mangat et de ne prendre aucune autre mesure.
6 Malgré cette décision, le 22 mars 1994, l’appelante dépose devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une demande d’injonction permanente contre les intimés Mangat et Westcoast afin de les empêcher d’exercer le droit contrairement à la Legal Profession Act de la Colombie‑Britannique. Le 14 août 1997, madame le juge Koenigsberg accorde une injonction interdisant aux intimés Mangat et Westcoast :
[traduction]
a) de comparaître à titre d’avocats dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense, directement ou indirectement;
b) de rédiger, de réviser ou d’établir des documents devant être utilisés dans des procédures judiciaires ou extrajudiciaires, dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense, directement ou indirectement;
c) de rédiger, de réviser ou d’établir des documents se rapportant de quelque façon que ce soit à des procédures engagées en vertu d’une loi du Canada ou de la province, dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense, directement ou indirectement;
d) de donner des consultations juridiques dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense, directement ou indirectement;
e) d’offrir les services énumérés aux alinéas a) à d) inclusivement ou de se présenter comme ayant le droit de les fournir ou comme étant qualifiés pour le faire, dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense, directement ou indirectement.
Le 27 novembre 1997, elle ordonne également à chaque partie d’assumer ses propres dépens parce qu’on a choisi le litige des intimés parmi plusieurs litiges potentiels pour en faire une cause type et que les dispositions législatives contestées sont imprécises.
7 Le 18 août 1997, les intimés déposent un avis d’appel à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Le 27 novembre 1998, les juges de la Cour d’appel décident, à l’unanimité, d’annuler l’injonction intégralement mais pour des motifs différents. Madame le juge Southin accueille l’appel en s’appuyant sur la règle de l’exclusivité des compétences. Les juges Mackenzie et Hollinrake souscrivent au résultat, mais accueilleraient l’appel en vertu de la règle de la prépondérance.
8 La demande d’autorisation de pourvoi devant notre Cour est accordée le 10 novembre 1999. Monsieur Mangat dépose des éléments de preuve selon lesquels il est maintenant membre en règle de la Law Society of Alberta (« Barreau de l’Alberta ») et que sa société d’experts‑conseils Westcoast a été dissoute au moment où il a déménagé en Alberta en 1999. En conséquence, le 24 mai 2000, notre Cour entend une requête des intimés visant à obtenir l’annulation du pourvoi pour le motif qu’il est devenu théorique, et une requête du Barreau de la Colombie‑Britannique visant l’ajout de l’intimée Sparling à l’instance. Le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour, refuse d’annuler le pourvoi, mais enjoint à l’appelante de payer à M. Mangat des dépens justes et raisonnables relativement à la requête et au pourvoi, et ordonne l’ajout de Mme Sparling à l’instance pour le motif qu’elle est consultante en immigration à Vancouver et qu’elle se livre à la même gamme d’activités que M. Mangat. Madame Sparling est aussi actuellement présidente de l’Organization of Professional Immigration Consultants qui a comparu à titre d’intervenante devant notre Cour.
9 Lors de l’audition du pourvoi, l’avocat de l’intimé Mangat affirme également que son client est maintenant membre en règle du Barreau du Haut‑Canada. Il ajoute que M. Mangat a aussi présenté une demande d’admission au Barreau de la Colombie-Britannique, mais que, pour une raison quelconque, l’appelante a décidé de tenir une audience relative aux titres de compétence de M. Mangat afin de statuer sur son admissibilité.
III. Les dispositions législatives pertinentes
10 Legal Profession Act, S.B.C. 1987, ch. 25 (par la suite R.S.B.C. 1996, ch. 255, art. 1, 26, 109; maintenant S.B.C. 1998, ch. 9, art. 1, 15, 85(5)-(8))
[traduction]
1. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« exercice du droit » Sont assimilés à l’exercice du droit :
a) la comparution à titre d’avocat;
b) la rédaction, la révision ou l’établissement
(i) de requêtes, d’actes constitutifs ou de statuts en vertu de la Company Act, de demandes, de déclarations, d’affidavits, de procès‑verbaux, de résolutions, de règlements administratifs ou d’autres documents relatifs à la constitution, à l’enregistrement, à l’organisation, à la réorganisation, à la dissolution ou à la liquidation d’une personne morale,
(ii) de documents devant être utilisés dans des procédures judiciaires ou extrajudiciaires,
(iii) de testaments, d’actes de disposition, d’actes de fiducie, de procurations ou de documents relatifs à l’homologation d’un testament, à la délivrance de lettres d’administration ou à la succession d’un défunt,
(iv) de documents se rapportant de quelque façon que ce soit à des procédures engagées en vertu d’une loi du Canada ou de la province,
(v) d’instruments se rapportant à des biens personnels ou immeubles et dont l’enregistrement ou le dépôt dans un bureau d’enregistrement ou tout autre bureau officiel est prévu, autorisé ou requis;
c) le fait d’agir ou de négocier de quelque façon que ce soit en vue de régler des demandes ou réclamations de dommages‑intérêts, ou le fait de régler de telles demandes ou réclamations;
d) le fait d’accepter de procurer à une autre personne les services d’un avocat;
e) le fait de donner des consultations juridiques;
f) le fait d’offrir d’accomplir tout acte mentionné aux alinéas a) à e);
g) le fait de se présenter comme ayant le droit d’accomplir tout acte mentionné aux alinéas a) à e) ou comme étant qualifié pour le faire;
à l’exclusion
h) des actes susmentionnés qui ne sont pas accomplis dans le but ou dans l’espoir d’obtenir une rétribution ou quelque autre forme de récompense, directement ou indirectement;
i) de la rédaction ou de la préparation d’instruments par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions;
j) de l’exercice légal du notariat;
k) des activités habituelles d’un expert en sinistres titulaire d’un permis délivré en vertu de la partie 10 de l’Insurance Act;
l) du fait d’accepter d’accomplir l’acte mentionné à l’alinéa d), lorsque l’entente en cause est conclue conformément à un régime d’assurance de protection juridique ou de tout autre régime d’assurance de responsabilité.
26. (1) Sous réserve des paragraphes (3), (4) et (5), il est interdit à toute personne autre qu’un membre en règle du Barreau d’exercer le droit, sauf
a) s’il s’agit d’une personne qui agit pour son propre compte dans des procédures auxquelles elle est partie;
b) dans les cas permis par la Court Agent Act;
c) s’il s’agit de stagiaires, dans la mesure permise par les conseillers du Barreau,
d) s’il s’agit de personnes ou de stagiaires mentionnés à l’article 9 de la Legal Services Society Act.
(2) Les employés d’un membre, d’un cabinet de membres ou de la province qui agissent sous la surveillance d’un membre ne contreviennent pas au paragraphe (1).
(3) Sous réserve des conditions qu’ils prescrivent, notamment le paiement d’un droit, les conseillers du Barreau peuvent autoriser un avocat d’une autre province ou d’un territoire
a) à agir à titre d’avocat dans une affaire donnée;
b) à comparaître à titre d’avocat dans la province relativement à une affaire donnée.
(4) Sous réserve des conditions qu’ils prescrivent, notamment le paiement d’un droit, les conseillers du Barreau peuvent autoriser une personne qui a obtenu ses titres de compétence professionnelle en droit dans un autre pays que le Canada à donner des consultations juridiques sur les lois de cet autre pays.
(5) La partie 6 s’applique à la personne ayant obtenu une autorisation en vertu des paragraphes (3) ou (4), mais les conseillers du Barreau n’ont pas le pouvoir de radier cette personne.
100. (1) Si elle est convaincue qu’il existe des raisons de croire qu’il y a ou qu’il y aura une violation de la présente loi ou d’une règle prise en application de celle‑ci, la Cour suprême peut, sur demande du Barreau, accorder une injonction interdisant de commettre une telle violation, et, en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de l’action en injonction, elle peut accorder une injonction provisoire.
(2) Sous réserve de la Court Agent Act, quiconque engage des procédures judiciaires ou les conteste en son propre nom ou au nom d’une autre personne sans être membre du Barreau ni partie à l’instance peut, sur demande du Barreau ou de toute autre partie intéressée à l’instance, être déclaré coupable d’outrage au tribunal et puni en conséquence.
Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2
30. L’intéressé doit être informé qu’il a le droit de se faire représenter par un avocat ou un autre conseiller [à l’enquête menée par un arbitre] et se voir accorder la possibilité de le choisir, à ses frais.
69. (1) Dans le cadre de toute affaire dont connaît la section du statut, le ministre peut se faire représenter par un avocat ou un mandataire et l’intéressé, à ses frais, par un avocat ou autre conseil.
114. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :
. . .
v) exiger de quiconque comparaît devant un arbitre, la section du statut ou la section d’appel en qualité de procureur rétribué sans être membre du barreau d’une province, qu’il soit titulaire d’une autorisation délivrée à cet effet par les autorités habilitées à le faire aux termes des règlements;
Règles de la section d’arbitrage, DORS/93-47, art. 2
« conseil » Personne qui représente une partie dans toute affaire dont connaît la section d’arbitrage.
Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, art. 2
« conseil » Personne autorisée en vertu du paragraphe 69(1) de la Loi à représenter une partie dans toute affaire dont connaît la section du statut.
Loi constitutionnelle de 1867
91. Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci‑haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés, savoir :
. . .
(25) La naturalisation et les aubains.
. . .
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d’une nature locale ou privée comprises dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.
92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés, savoir :
. . .
(13) La propriété et les droits civils dans la province;
(14) L’administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux;
95. Dans chaque province, la législature pourra faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans cette province; et il est par la présente déclaré que le parlement du Canada pourra de temps à autre faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans toutes les provinces ou aucune d’elles en particulier; et toute loi de la législature d’une province relative à l’agriculture ou à l’immigration n’y aura d’effet qu’aussi longtemps et que tant qu’elle ne sera incompatible avec aucune des lois du parlement du Canada.
IV. Les jugements des tribunaux d’instance inférieure
A. Cour suprême de la Colombie-Britannique (1997), 149 D.L.R. (4th) 736
11 Devant madame le juge Koenigsberg, les intimés Mangat et Westcoast admettent qu’ils exercent le droit au sens de l’art. 1 de la Legal Profession Act, mais soutiennent que leur conduite est sanctionnée par l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration qui permettent à des non-avocats de comparaître pour le compte de clients devant la CISR. Selon madame le juge Koenigsberg, il faut préalablement déterminer si la Loi sur l’immigration autorise l’exercice du droit. Elle conclut que cette loi n’accorde pas une telle autorisation et ne soustrait donc pas les intimés aux exigences de la Legal Profession Act. À son sens, il n’y a aucun lien rationnel entre la politique explicite de la Loi sur l’immigration ou l’exigence que les audiences soient tenues sans formalisme et avec célérité dans la mesure du possible et le fait d’autoriser des personnes non formées, non qualifiées ou échappant à toute réglementation à représenter, moyennant rétribution, des gens devant la CISR. Elle est d’avis que, bien que des mandataires non rétribués puissent représenter des étrangers, l’art. 30 et le par. 69(1) permettent de retenir, moyennant rétribution, les services d’un autre conseiller ou conseil titulaire d’une autorisation en ce sens, et que seuls les avocats sont munis d’une telle autorisation en l’absence d’un autre régime d’autorisation fondé sur l’al. 114(1)v) de la Loi sur l’immigration. Évoquant le raisonnement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Law Society of British Columbia c. Lawrie (1991), 59 B.C.L.R. (2d) 1, elle affirme que la protection du public est mieux assurée si on exige que les personnes qui comparaissent à titre de conseils devant les tribunaux de l’immigration soient titulaires d’une autorisation en ce sens, et que le fait de permettre à une catégorie différente de professionnels de représenter des gens n’est pas conforme aux objectifs de la Loi sur l’immigration. Enfin, eu égard aux normes constitutionnelles applicables, cette interprétation permet d’éviter un conflit entre les lois fédérale et provinciale.
12 Bien qu’elle tranche l’appel de cette manière, madame le juge Koenigsberg examine les questions constitutionnelles au cas où elle errerait dans sa conclusion. Elle accepte que la Legal Profession Act et la Loi sur l’immigration constituent toutes les deux un exercice valide de la compétence que la Constitution reconnaît aux gouvernements respectifs, précisant que la Loi sur l’immigration relève du par. 91(25) et de l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867. Appliquant le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, elle conclut ensuite que la Loi sur l’immigration est un régime de réglementation valide, mais qu’elle constitue un empiétement important sur la compétence provinciale relative à la réglementation de la pratique du droit dans la province, étant donné que la création d’une catégorie de professionnels autorisés à exercer le droit sans être soumis à une réglementation laisse le public sans protection. À son avis, si on n’assujettit pas l’exercice du droit à des normes grâce à la création d’un organisme de réglementation professionnelle, il n’y a aucun lien rationnel entre un tel empiétement et la politique explicite ou l’exigence que les audiences soient tenues sans formalisme. Elle décide que l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration excèdent la compétence du Parlement dans la mesure où ils permettent à des non-avocats d’exercer le droit.
13 En outre, madame le juge Koenigsberg estime que la règle de l’exclusivité des compétences ne s’applique pas en l’espèce parce que son application se limite aux affaires mettant en cause des entreprises fédérales (dont les ouvrages, choses ou personnes relevant de la compétence fédérale). En fait, dans la jurisprudence constitutionnelle, les tribunaux ont abordé la création des compétences exclusives en connaissance de cause, en ayant à l’esprit l’établissement d’un régime fédéral souple. Enfin, elle souligne que la règle de la prépondérance ne s’applique pas non plus étant donné que la loi fédérale potentiellement incompatible est inconstitutionnelle.
14 Vu sa conclusion qu’un certain nombre des activités des intimés constituent un exercice illégal du droit au sens de la Legal Profession Act et que ces activités ne sont donc pas visées par la Loi sur l’immigration, madame le juge Koenigsberg délivre l’injonction sollicitée pour le motif que la Loi sur l’immigration n’autorise pas l’exercice du droit. Subsidiairement, elle accorderait cette injonction pour le motif que les dispositions en cause excèdent la compétence du Parlement.
B. Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1998), 167 D.L.R. (4th) 723
1. Madame le juge Southin
15 Madame le juge Southin souligne d’abord que l’injonction est formulée beaucoup trop largement et qu’elle aurait dû être limitée à la conduite reprochée. Elle examine ensuite la prémisse de madame le juge Koenigsberg que la « pratique du droit » est un chef de compétence valide. À son avis, l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne comporte aucune disposition en ce sens et notre Cour n’a pas réglé catégoriquement cette question. Il faut donc se demander si la législature provinciale peut, en vertu de l’art. 92 (du chef des droits civils ou de l’administration de la justice dans la province), interdire à des personnes de comparaître devant des tribunaux administratifs établis par le Parlement en vertu de l’art. 91 (dans le cadre du processus d’immigration).
16 D’après madame le juge Southin, un attribut essentiel de chaque tribunal administratif est le pouvoir de décider des personnes aptes à comparaître devant lui ou à rédiger les documents requis dans les affaires dont il connaît, et il relève de la compétence de l’autorité législative qui a créé ce tribunal de traiter de toutes les matières qui s’y rapportent. En conséquence, bien qu’on puisse soutenir que la Legal Profession Act relève du pouvoir d’une province de réglementer les droits civils, madame le juge Southin conclut que la création, l’organisation, la pratique et la procédure des tribunaux administratifs établis en vertu de la Loi sur l’immigration sont des matières tombant dans les catégories de sujets énumérés à l’art. 91. Elle appuie cette conclusion en soulignant qu’un tribunal administratif fédéral peut siéger dans toutes les provinces et qu’il serait illogique d’exiger que l’avocat inscrit au barreau d’une province demande au barreau d’une autre province l’autorisation de comparaître devant ce tribunal lorsqu’il siège dans cette autre province.
17 Madame le juge Southin souligne, en aparté, que l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne paraît pas habiliter les provinces à adopter des lois relatives à la procédure applicable devant les tribunaux administratifs établis en vertu de la Loi sur l’immigration, et qu’en tout état de cause le Parlement a déjà légiféré en la matière, de sorte que les dispositions provinciales seraient incompatibles avec les dispositions fédérales. Elle accueille donc l’appel et annule l’injonction.
2. Le juge Mackenzie (avec l’appui du juge Hollinrake)
18 Le juge Mackenzie parvient à la même conclusion que madame le juge Southin, mais selon un raisonnement différent. Il conclut que les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration sont constitutionnelles et qu’elles relèvent à la fois du par. 91(25) et de l’art. 95, ajoutant que la validité des dispositions de la Legal Profession Act n’est pas en cause. Toutefois, dans la mesure où ses dispositions entrent en conflit avec la loi fédérale, la Legal Profession Act est non pas inapplicable en vertu de la règle de l’exclusivité des compétences, mais plutôt inopérante en vertu de la règle de la prépondérance.
19 Le juge Mackenzie fait d’abord remarquer que le Barreau appelant a concédé que, si le gouverneur en conseil avait pris des règlements autorisant d’autres conseillers ou conseils à exercer le droit et traitant de leurs compétences et des normes applicables, il ne pourrait contester à bon droit leurs activités. Toutefois, le Barreau prétend qu’en l’absence d’un tel régime l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration doivent être interprétés comme s’appliquant uniquement aux conseillers ou conseils non rétribués. Selon le juge Mackenzie, les mentions « autre conseiller » et « autre conseil » visent les non-avocats rétribués. Le fait que l’art. 30 et le par. 69(1) n’exigent pas que l’« autre conseiller » ou l’« autre conseil » détienne une autorisation et que le pouvoir de prendre des règlements prévu à l’al. 114(1)v) est simplement facultatif et n’a pas été exercé n’a aucune incidence sur le sens ordinaire de ces dispositions législatives. Étant donné que le Parlement a accordé au gouverneur en conseil un pouvoir de réglementation dans ce domaine, les craintes que l’intérêt public ne soit pas protégé ne sont pas fondées.
20 Bien que, eu égard à la concession de l’appelante, cette conclusion permette de trancher l’appel, le juge Mackenzie examine les questions constitutionnelles plus générales. Reconnaissant la validité des deux lois, il décide d’abord que la règle de l’exclusivité des compétences est inapplicable en l’espèce. Se fondant sur la règle établie dans l’arrêt Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, le juge Mackenzie conclut que la réglementation des services juridiques fournis aux personnes faisant partie de la catégorie des aubains (étrangers) ne touche pas à l’essentiel de la compétence fédérale. En outre, l’exclusivité des compétences serait incompatible avec le fait que, dans la Loi sur l’immigration, le Parlement a envisagé un rôle pour les avocats assujettis à la réglementation provinciale et que l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit lui‑même que le fédéral et les provinces possèdent une compétence concurrente en matière d’immigration dans une province (le juge Mackenzie conclut, en effet, que la compétence fédérale relative à cette loi découle du par. 91(25) et de l’art. 95). Le juge Mackenzie considère plutôt que la meilleure façon de résoudre le conflit consiste à appliquer la règle de la prépondérance. Cependant, cette règle ne soustrait les activités des intimés à l’application de la Legal Profession Act que dans la mesure où elles sont visées par l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration. Il affirme que le Barreau pourrait avoir droit à une injonction interdisant les activités qui relèvent de la Legal Profession Act, mais qui ne bénéficient pas de la protection de la Loi sur l’immigration. Cependant, comme la question d’une injonction plus limitée n’a pas été soulevée, il n’y a pas lieu de rendre une telle ordonnance. Le juge Mackenzie accueille donc l’appel et annule l’injonction.
V. Les questions en litige
21 Le 21 septembre 2000, le juge en chef McLachlin a formulé la question constitutionnelle suivante :
1. L’article 26 de la Legal Profession Act, S.B.C. 1987, ch. 25, est‑il inopérant ou inapplicable du point de vue constitutionnel à l’égard des personnes agissant en vertu des art. 30 et 69 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, et ses textes d’application? Dans l’affirmative, ces dispositions excèdent‑elles la compétence du Parlement?
22 Plus précisément, cette question comporte d’abord celle de savoir si l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application relèvent de la compétence du Parlement. Dans l’affirmative, il faut ensuite déterminer si l’art. 26 (maintenant l’art. 15) de la Legal Profession Act est inopérant ou inapplicable à l’égard des personnes agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration. Cette reformulation vise à respecter l’ordre suivi par l’analyse en l’espèce et ne modifie pas le fond de la question constitutionnelle énoncée.
VI. Analyse
23 Premièrement, en ce qui a trait à la détermination du caractère véritable de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration, je conclus que ces dispositions confèrent certains droits aux étrangers qui comparaissent devant la CISR, notamment le droit de se faire représenter, moyennant rétribution, devant la section d’arbitrage et la section du statut de la CISR par un avocat ou un autre conseiller ou conseil. Elles permettent également aux étrangers de bénéficier des documents que le conseil ou conseiller en question a préparés en vue des procédures, et d’obtenir des avis sur des questions pertinentes quant à leur dossier, avant l’ouverture de ces procédures. Deuxièmement, selon la règle du double aspect, la matière en cause relève à la fois de la compétence provinciale relative aux droits civils dans la province et de la compétence fédérale concernant la naturalisation et les aubains, que confèrent respectivement les par. 92(13) et 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867. En conséquence, les lois des deux ordres de gouvernement qui régissent cette matière coexistent dans la mesure où elles n’entrent pas en conflit. En cas de conflit, la loi fédérale l’emportera conformément à la règle de la prépondérance. En l’espèce, les deux lois en cause entrent en conflit. La Loi sur l’immigration permet à des non‑avocats de comparaître en qualité de procureurs rétribués alors que la Legal Profession Act leur interdit de le faire. Il est impossible de se conformer aux deux lois sans contrecarrer l’objectif du Parlement. La Loi sur l’immigration doit donc l’emporter sur la Legal Profession Act.
A. L’article 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration relèvent‑ils de la compétence du Parlement?
24 Pour répondre à cette question, nous devons faire une analyse en deux étapes, comme l’a fait récemment notre Cour dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31, par. 15. La première étape est la recherche du caractère véritable des dispositions contestées. La seconde consiste à classer ce caractère essentiel sous l’un des chefs de compétence établis dans la Loi constitutionnelle de 1867, afin de déterminer si les dispositions en cause relèvent de la compétence du gouvernement qui les a adoptées. Dans l’affirmative, les dispositions sont valides.
1. Quel est le caractère véritable de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration?
a) Le contexte législatif
25 Les objectifs de la Loi sur l’immigration sont énoncés à l’art. 3 de cette loi. Ce texte législatif a notamment pour objet de réaliser les objectifs démographiques du Canada, d’enrichir et de renforcer le tissu culturel et social du pays, de remplir envers les réfugiés les obligations imposées au Canada par le droit international, de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l’endroit des personnes déplacées ou persécutées et de promouvoir l’ordre et la justice sur le plan international en n’acceptant pas sur le territoire canadien des personnes susceptibles de se livrer à des activités criminelles.
26 Conformément à la Loi sur l’immigration, la CISR comporte trois sections : la section d’arbitrage, la section du statut de réfugié et la section d’appel de l’immigration (par. 57(1)). L’article 30 a trait aux procédures devant la section d’arbitrage. Cette dernière tient des enquêtes et revoit les cas de détention afin de déterminer si une personne peut être admise au Canada ou si elle doit faire l’objet d’une mesure de renvoi (art. 32). Un agent d’audience comparaît au nom du ministre.
27 Le paragraphe 69(1) vise la section du statut de réfugié qui entend et tranche les revendications du statut de réfugié présentées au Canada (par. 69.1(1)). Un avocat ou un mandataire peut comparaître en tant que représentant du ministre. La CISR peut être assistée par un agent d’audience, aussi appelé agent chargé de la revendication, qui est membre de la CISR et qui fait fonction de conseil auprès des membres du tribunal (par. 64(3) et l’art. 68.1).
28 La section d’appel entend les appels interjetés contre des mesures de renvoi prises contre des résidents permanents et les appels de répondants contre le rejet de demandes parrainées d’établissement présentées par un parent (art. 70 et par. 77(3)).
29 Les audiences devant les sections de ce tribunal administratif sont de nature quasi judiciaire. Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, la section d’arbitrage et la section du statut fonctionnent sans formalisme et avec célérité (par. 80.1(4) et 68(2)). Les arbitres et les membres du tribunal ne sont pas liés par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Ils peuvent recevoir les éléments qu’ils jugent crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder leur décision sur ces éléments (par. 80.1(5) et 68(3)).
30 Les membres de la CISR ne sont pas tous tenus d’être avocats; ils ne sont pas tous obligés non plus d’avoir une formation juridique. Il n’est pas nécessaire que la section d’arbitrage compte des avocats ou des personnes ayant une formation juridique (art. 63.3). Au moins 10 pour 100 des membres de cette section doivent être des avocats inscrits au barreau d’une province, ou des notaires membres de la Chambre des notaires du Québec, depuis au moins cinq ans (par. 61(2)). Par contre, le vice‑président de la section d’appel, la majorité des vice‑présidents adjoints et au moins 10 pour 100 des membres de cette section doivent être des avocats inscrits au barreau d’une province, ou des notaires membres de la Chambre des notaires du Québec, depuis au moins cinq ans (par. 61(2)). Il n’est pas nécessaire que les agents qui comparaissent au nom du ministre et les agents d’audience (qui assistent les membres de la section du statut) soient des avocats ou qu’ils aient une formation juridique.
b) Quelle est la matière visée?
31 L’article 30 confère les droits suivants à toute personne à l’égard de laquelle la section d’arbitrage doit tenir une enquête : a) le droit de se faire représenter par un avocat ou autre conseiller, et b) le droit de se voir accorder la possibilité de choisir ce représentant, à ses frais. Le paragraphe 69(1) confère à toute personne qui fait l’objet de procédures devant la section du statut le droit d’être représentée par un avocat ou autre conseil, à ses frais.
32 Je conclus que, de par leur caractère essentiel ou véritable, les dispositions en cause ont pour objet d’accorder certains droits aux étrangers dans le processus administratif d’immigration. Elles leur confèrent le droit de se faire représenter, moyennant rétribution, par un avocat ou un autre conseil dans les procédures devant la section d’arbitrage et la section du statut. Elles leur accordent le droit de se faire représenter par ledit conseil ou conseiller aux fins de ces procédures. Un tel droit comporte celui de bénéficier des documents que le conseil ou conseiller en question a préparés en vue des procédures et d’obtenir des avis sur des questions pertinentes quant à leur dossier. Cela est prévu expressément à l’art. 30 et implicitement au par. 69(1) étant donné que la représentation comprend la préparation de documents et les consultations relatives aux procédures. Le libellé des deux dispositions peut différer, mais leur portée est la même. Cependant, le droit en cause se limite à ces activités. Comme il n’est pas question en l’espèce d’autres services en matière d’immigration, le présent arrêt ne doit pas être interprété comme conférant aux personnes qui ne sont pas membres du Barreau un droit général d’exercer le droit dans toutes les affaires mettant en cause des étrangers et des immigrants. Ayant déterminé la matière visée par les dispositions de la Loi sur l’immigration, je vais maintenant analyser les chefs de compétence dont elle relève.
2. De quel(s) chef(s) de compétence relèvent l’art. 30 et le par. 69(1)?
a) Une matière fédérale en vertu du par. 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867
33 L’article 30 et le par. 69(1) traitent des droits des étrangers dans le processus d’immigration. La question de savoir qui les étrangers peuvent choisir pour les représenter devant la section d’arbitrage et la section du statut ressortit aux droits procéduraux qu’ils possèdent en matière quasi judiciaire. Cette matière relève de la compétence relative à la naturalisation et aux aubains que le Parlement possède en vertu du par. 91(25). Les tribunaux ont toujours considéré que les divers droits, privilèges et incapacités rattachées au statut d’étranger relèvent de la compétence exclusive que le par. 91(25) confère au Parlement (voir, par exemple, Union Colliery Co. of British Columbia c. Bryden, [1899] A.C. 580 (C.P.), Cunningham c. Homma, [1903] A.C. 15 (C.P.), et Brooks-Bidlake and Whittall, Ltd. c. Attorney‑General for British Columbia, [1923] A.C. 450 (C.P.), en ce qui concerne la jurisprudence plus ancienne).
34 De cette compétence relative à la naturalisation et aux aubains découle le pouvoir de constituer un tribunal administratif chargé de statuer sur les droits en matière d’immigration dans chaque cas particulier, dans le cadre de l’administration de ces droits. La capacité de prescrire les pouvoirs d’un tel tribunal et sa procédure, dont la procédure de comparution devant lui, découle également de cette compétence. La compétence législative fédérale dans le domaine de la naturalisation et des aubains comporte le pouvoir d’établir un tribunal comme la CISR, étant donné qu’elle inclut le pouvoir de décider qui est un étranger et qui devrait être naturalisé. Pour que de telles décisions puissent respecter les exigences de la justice naturelle et la Charte canadienne des droits et libertés, le gouvernement fédéral doit pouvoir déterminer la nature et le contenu d’une procédure équitable en la matière et qui peut y participer.
35 L’existence de l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui établit la compétence fédérale en matière d’« immigration dans toutes les provinces ou aucune d’elles en particulier » peut soulever certaines questions au sujet du chef de compétence constitutionnelle fédérale spécifique dont relèvent l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration. La jurisprudence et la doctrine relatives à l’art. 95 tendent à mettre l’accent non pas sur la tension qui existe entre le par. 91(25) et l’art. 95 dans le champ de compétence fédérale, mais plutôt sur la compétence concurrente du fédéral et des provinces en la matière et sur les conflits liés à cette disposition (voir, par exemple, In re Nakane and Okazake (1908), 13 B.C.R. 370 (C.A.); In re Narain Singh (1908), 13 B.C.R. 477 (C.S.); R. c. Hildebrand, [1919] 3 W.W.R. 286 (C.A. Man.); P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 15-40, et vol. 2, p. 43-2 (renvoi 4); L. Waldman, Immigration Law and Practice (feuilles mobiles), vol. 1, §§ 1.15 et suiv.). Dans l’arrêt In Re The Immigration Act and Munshi Singh, [1914] 6 W.W.R. 1347, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est penchée sur la coexistence du par. 91(25) et de l’art. 95, mais n’a pas réglé la question de manière définitive lorsqu’elle a affirmé que les pouvoirs fédéraux de détention de non‑citoyens pouvaient reposer sur l’art. 95, le par. 91(25) ou le pouvoir résiduaire du Parlement en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement. D. B. N. Bagambiire, à la p. 9 de son ouvrage intitulé Canadian Immigration and Refugee Law (1996), affirme que les lois en matière d’immigration reposent sur l’art. 95. À l’appui de cette affirmation, il cite le préambule de l’Acte d’immigration, 1869, S.C. 1869, ch. 10 :
CONSIDÉRANT que la juridiction concurrente que la 95e section de l’acte de l’Amérique Britannique du Nord, 1867, attribue au Canada et aux provinces, doit s’exercer comme suit, en conformité d’une convention arrêtée entre les différents gouvernements intéressés. . .
Le préambule énonce ensuite ce que les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent faire respectivement dans le domaine de l’immigration.
36 Il est exagéré de dire que la Loi sur l’immigration repose, dans son ensemble, sur telle ou telle disposition de la Loi constitutionnelle de 1867. La Loi contient des dispositions de nature diverse, et le chef de compétence fédérale sur lequel ces dispositions reposent peut varier en conséquence.
37 L’article 30 et le par. 69(1) énoncent les droits procéduraux des étrangers en tant que revendicateurs du statut de réfugié, de résidents permanents ou de visiteurs. Ces dispositions relèvent du par. 91(25) étant donné que, de par leur caractère véritable, elles ont trait aux droits que les étrangers possèdent devant certaines sections de la CISR et à la procédure applicable devant celles‑ci, et que le par. 91(25) confère la compétence relative à la naturalisation et aux aubains.
b) Une matière provinciale en vertu du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867
38 La représentation devant un tribunal administratif vise à déterminer les droits reconnus par la loi. Cet objectif relève de la représentation par avocat et de l’exercice du droit. Le Parlement a lui‑même reconnu cet aspect juridique en prévoyant qu’un certain pourcentage des membres de la section du statut et de la section d’appel doivent être avocats, et en accordant un droit à la représentation par avocat. L’article 30 et le par. 69(1) ont trait à la profession juridique et donc aux professions en général. Les parties ont convenu que, dans le cadre de leur compétence en matière de réglementation des professions, les provinces ont le pouvoir de réglementer l’exercice du droit à l’intérieur de leurs frontières respectives en vertu du par. 92(13).
39 Dans l’arrêt Lafferty c. Lincoln (1907), 38 R.C.S. 620, notre Cour a statué indirectement que l’adoption de normes applicables à l’exercice du droit relevait de la propriété et des droits civils dans la province. Les principales affirmations mentionnées par l’appelante ne sont pas concluantes étant donné qu’elles ont été faites au nom des juges minoritaires. Par contre, on peut dire que les juges majoritaires ont laissé entendre que la réglementation de l’exercice de la médecine relevait de la propriété et des droits civils.
40 Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307 (l’affaire Jabour), p. 335, le juge Estey, après avoir examiné les dispositions de la Legal Profession Act, a conclu qu’il ne voyait « aucune conséquence constitutionnelle qui découle nécessairement du mode de réglementation établi par la province au moyen d’une loi validement adoptée dans l’exercice de sa compétence exclusive, comme c’est le cas en l’espèce » (quoiqu’il ait reconnu qu’aucune des parties n’avait contesté le droit des provinces d’adopter la loi en cause). Dans l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, les juges Iacobucci et Bastarache, faisant une comparaison avec les règlements contestés dans Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591, ont affirmé, au par. 78, que l’Ontario et le Manitoba ont le droit d’établir leurs propres conditions d’admissibilité à l’exercice d’une profession en vertu du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. J. T. Casey, dans The Regulation of Professions in Canada (1994), p. 2-1 à 2-4, dit que le par. 92(13) constitue le chef de compétence provinciale qui permet de réglementer les professions.
41 Les barreaux provinciaux ont le mandat de réglementer l’exercice de la profession juridique en vue d’assurer la protection du public lors de la prestation de services professionnels. En échange d’un monopole sur l’exercice de la profession et conformément à l’objectif premier de protection des justiciables lorsqu’ils traitent avec des avocats, le barreau est tenu d’établir des critères d’admissibilité auxquels doivent satisfaire les juristes, des règles de discipline et des mécanismes permettant de les mettre en application, la portée de la responsabilité professionnelle, un régime d’assurance responsabilité professionnelle, ainsi que des lignes directrices et des règles concernant la gestion de fonds en fiducie. Dans ce contexte, le barreau est chargé d’empêcher l’exercice illégal du droit en vue à la fois de faire respecter son monopole et de protéger le public contre les imposteurs. Il s’agit là de l’objectif qui sous‑tend l’art. 26 de la Legal Profession Act (désormais l’art. 15). Dans la mesure où elle comporte l’exercice du droit, la comparution devant la CISR en qualité de conseil ou conseiller est autant visée par l’art. 26 de la Legal Profession Act que par l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration.
42 Bien que les provinces puissent réglementer les professions en vertu de leur compétence en matière de propriété et de droits civils, la profession juridique fait également partie de l’administration de la justice dans la province, que le par. 92(14) attribue aux provinces.
43 Dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 187-188, le juge McIntyre affirme très clairement qu’en leur qualité d’officiers de justice les avocats font partie de l’administration de la justice :
Il est incontestable que la profession juridique joue un rôle très important et, en fait, un rôle d’une importance fondamentale dans l’administration de la justice tant en matière criminelle qu’en matière civile. Je n’essaierai pas de répondre à la question que soulèvent les décisions des tribunaux d’instance inférieure et qui consiste à savoir si le rôle de la profession juridique peut être qualifié de judiciaire ou de quasi judiciaire, mais je soulignerai qu’en l’absence d’une profession juridique indépendante, possédant l’expérience et les compétences nécessaires à l’exercice de son rôle dans l’administration de la justice et le processus judiciaire, le système juridique en entier serait dans un état précaire. Dans l’exercice de ce que l’on pourrait appeler ses fonctions de nature privée, c’est‑à‑dire, en jouant le rôle de conseiller juridique et de représentant de clients devant les tribunaux judiciaires et autres, l’avocat se voit conférer de vastes pouvoirs non consentis aux membres d’autres professions libérales [. . .] Peu importe la norme qu’on applique, ces pouvoirs et fonctions sont essentiels au maintien de l’ordre dans notre société et à l’application régulière de la loi dans l’intérêt de toute la collectivité.
Les autres juges n’ont exprimé aucun désaccord sérieux avec cette affirmation. Le juge La Forest (s’exprimant en son propre nom) affirme, à la p. 203 : « Il est très irréaliste de dire qu’un avocat qui représente un particulier joue dans l’administration de la justice un rôle qui l’oblige à avoir la citoyenneté pour être en mesure d’y participer. » À mon avis, cette affirmation signifie que le rôle que joue un avocat dans l’administration de la justice n’est pas tel qu’il l’oblige à avoir la citoyenneté.
44 Dans l’arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 883, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) affirme que le droit à la confidentialité des communications du client avec son avocat est essentiel à l’administration de la justice. Dans l’arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, les juges majoritaires et les juges minoritaires ont estimé que la protection du secret professionnel de l’avocat est essentielle à l’administration de la justice et au maintien de la confiance du public dans celle‑ci (voir le juge Sopinka, p. 1245 et 1263, et le juge Cory, p. 1270; voir également R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 31-33). Dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 177, le juge Cory mentionne l’importance de la réputation d’intégrité des avocats dans l’ensemble du système d’administration de la justice. Dans la décision Malartic Hygrade Gold Mines (Quebec) Ltd. c. La Reine, [1982] C.S. 1146, à laquelle notre Cour renvoie dans l’arrêt Office canadien de commercialisation des oeufs, précité, par. 51 et 79, le juge en chef Deschênes a affirmé qu’une disposition législative limitant le droit des avocats qui ne relèvent pas du Québec de plaider devant les tribunaux québécois était fondée sur des considérations relatives à la saine administration de la justice.
45 Récemment, j’ai affirmé, au par. 49 de l’arrêt Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45, que l’avocat joue un rôle essentiel dans la société et qu’il est un officier de justice. En conséquence, il est tenu de soutenir les différentes qualités de l’administration de la justice telles l’impartialité et l’indépendance des tribunaux ainsi que l’honnêteté et la loyauté professionnelles.
46 Les avocats font partie intégrante de l’administration de la justice; dans cette mesure, le pouvoir des provinces d’adopter des lois relatives aux avocats peut donc tout aussi bien découler du par. 92(14) que du par. 92(13). Cependant, comme il ne s’agit pas d’une question essentielle en l’espèce, je m’abstiendrai d’en traiter davantage.
47 La représentation des étrangers par un conseil ou conseiller devant la CISR comporte un aspect fédéral et un aspect provincial. Le Parlement et les législatures provinciales peuvent tous deux légiférer conformément à leur compétence et à leurs fins respectives. Dans ce domaine, les lois fédérales et les lois provinciales ainsi que leurs textes d’application respectifs coexistent dans la mesure où ils n’entrent pas en conflit.
B. La règle du double aspect
48 Le Conseil privé a énoncé pour la première fois la règle du double aspect dans l’arrêt Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117, p. 130 : [traduction] « des sujets qui, à un égard et pour un motif précis, relèvent de l’art. 92 peuvent, à un autre égard et pour un autre motif, relever de l’art. 91 ». Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a examiné la même règle dans l’arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 180-181 :
Parce que [traduction] « le langage [des art. 91 et 92] et des divers paragraphes qu’ils comportent ne peut évidemment être interprété comme conçu de manière à tracer les contours précis d’un système logique parfait » (John Deere Plow Co. v. Wharton, précité, à la p. 338, motifs du vicomte Haldane), une loi peut relever de plusieurs paragraphes de l’un ou l’autre des art. 91 ou 92. Par exemple, une loi provinciale relève souvent à la fois du par. 92(13), propriété et droits civils, et du par. 92(16), une matière de nature purement locale, en raison du caractère très général du langage utilisé. Cela ne soulève évidemment aucun problème constitutionnel. Le problème constitutionnel se pose toutefois lorsqu’on peut dire d’une loi, comme cela se produit souvent, qu’elle relève à la fois d’un domaine de compétence fédérale et d’un domaine de compétence provinciale. . .
Je suis porté à croire que les dispositions attaquées concernant les opérations des dirigeants touchent à la fois au droit des valeurs mobilières et au droit corporatif, et pour appliquer la doctrine du double aspect en vue de sanctionner les deux ensembles de dispositions législatives, j’adopte le critère formulé par le professeur Lederman :
[traduction] Mais qu’arrive‑t‑il si le contraste entre l’importance relative de ces deux aspects n’est pas aussi net? Nous touchons ici la théorie d’interprétation du double aspect, qui constitue la deuxième façon dont les cours ont envisagé des catégories qui se chevauchent inévitablement. Lorsque la cour estime que les aspects fédéral et provincial de la règle attaquée sont d’importance à peu près équivalente de sorte qu’aucun de ces aspects ne peut être ignoré relativement au partage des pouvoirs législatifs, elle décide que la règle contestée peut être adoptée tant par le Parlement fédéral que par la législature provinciale. Comme l’a dit le Conseil privé, « des sujets qui, à un égard et pour un motif précis relèvent de l’art. 92 peuvent, à un autre égard et pour un autre motif, relever de l’art. 91 ». [Je souligne.]
49 La règle du double aspect a été appliquée notamment à l’égard des matières suivantes : circulation routière (O’Grady c. Sparling, [1960] R.C.S. 804; Stephens c. The Queen, [1960] R.C.S. 823; Mann c. The Queen, [1966] R.C.S. 238); réglementation provinciale des valeurs mobilières (Smith c. The Queen, [1960] R.C.S. 776, et Multiple Access, précité); insolvabilité (Attorney‑General of Ontario c. Attorney-General for the Dominion of Canada, [1894] A.C. 189 (C.P.) (l’affaire des cessions volontaires), et Robinson c. Countrywide Factors Ltd., [1978] 1 R.C.S. 753); tempérance (Attorney-General for Ontario c. Attorney-General for the Dominion, [1896] A.C. 348 (C.P.) (l’affaire des prohibitions locales)); taux d’intérêt (Attorney-General for Ontario c. Barfried Enterprises Ltd., [1963] R.C.S. 570); entretien des conjoints et des enfants, et garde des enfants (Papp c. Papp, [1970] 1 O.R. 331 (C.A.)); spectacles dans des débits de boissons alcoolisées (Rio Hotel Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59); jeu (R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89). Voir, de manière générale, Hogg, op. cit., vol. 1, p. 15-11 et 15-12.
50 L’aspect fédéral et l’aspect provincial des dispositions contestées ont une importance équivalente de sorte qu’aucun de ces aspects ne saurait être ignoré dans l’analyse du partage des pouvoirs. Le Parlement doit pouvoir décider qui peut comparaître devant les tribunaux administratifs qu’il a créés et les provinces doivent pouvoir réglementer l’exercice du droit comme elles l’ont toujours fait. Après avoir décidé que la matière visée à l’art. 30 et au par. 69(1) de la Loi sur l’immigration comporte à la fois un aspect constitutionnel fédéral et un aspect constitutionnel provincial, on peut conclure, en vertu de la règle du double aspect, que le Parlement a validement adopté ces dispositions. En conséquence, le critère à trois volets énoncé par le juge en chef Dickson dans l’arrêt General Motors, précité, p. 666-672, ne s’applique pas étant donné qu’aucune question d’empiétement sur la compétence des provinces n’est soulevée.
C. Application de la règle de la prépondérance
51 Les parties ont avancé de nombreux arguments quant à savoir laquelle de la règle de la prépondérance ou de la règle de l’exclusivité des compétences doit être préférée pour déterminer la manière dont les dispositions fédérales l’emporteraient sur les dispositions provinciales. L’application classique de la règle de l’exclusivité des compétences se trouve dans l’arrêt Bell Canada, précité. L’arrêt Multiple Access, précité, expose la règle de la prépondérance.
52 Je crois que le juge Mackenzie a tranché cette question de manière satisfaisante. La règle de la prépondérance est celle qui convient davantage en l’espèce. Le fait que la matière visée à l’art. 30 et au par. 69(1) comporte un double aspect joue en faveur de l’application de la règle de la prépondérance plutôt que de celle de l’exclusivité des compétences. Bien que le rôle attribué aux avocats assujettis à la réglementation provinciale ne soit pas exclusif, il est néanmoins incompatible avec la règle de l’exclusivité des compétences qui exclurait les dispositions législatives provinciales, même en l’absence de législation fédérale en la matière. L’application de la règle de l’exclusivité des compétences dans un tel contexte pourrait mener à une division de la réglementation et du contrôle de la profession juridique au Canada. L’application de la règle de la prépondérance préserve le contrôle du Parlement sur les tribunaux administratifs qu’il crée. En même temps, elle préserve le principe du contrôle unifié de la profession juridique par les divers barreaux au Canada. Dans le régime législatif même qu’il a établi pour les tribunaux de l’immigration dans la Loi sur l’immigration, le Parlement a envisagé un rôle pour les avocats assujettis à la réglementation provinciale. Bien que j’aie décidé que, de par leur caractère véritable, les dispositions en cause ont trait à la naturalisation et aux aubains dont il est question au par. 91(25), l’immigration relève en général de la compétence concurrente du fédéral et des provinces. C’est ce qu’établit l’art. 95 qui prévoit lui‑même la prépondérance fédérale. En conséquence, d’un point de vue général, il n’y a pas de ligne de démarcation claire entre la compétence fédérale et la compétence provinciale en la matière. Enfin, il n’est pas facile de distinguer les aspects de la situation juridique des étrangers qui ont trait à l’immigration de ceux qui n’y ont pas trait.
53 L’intimée Sparling a évoqué l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Lewis (1997), 155 D.L.R. (4th) 442, où le juge Rosenberg a appliqué la règle de l’exclusivité des compétences en décidant que la loi provinciale ne pouvait pas restreindre l’éventail des personnes ayant qualité pour agir à titre de vérificateurs aux fins de la Loi électorale du Canada, L.R.C. 1985, ch. E-2. Même si cette dernière loi permettait à un large éventail d’experts‑comptables, au sens de la loi provinciale, d’effectuer des vérifications pour des candidats à une élection fédérale, une telle tâche était réservée aux comptables agréés en vertu de la loi provinciale.
54 Notre Cour est certes d’accord avec le résultat auquel est parvenue la Cour d’appel de l’Ontario dans cette affaire. Toutefois, il aurait été possible d’arriver au même résultat en appliquant la règle plus souple de la prépondérance au lieu de celle de l’exclusivité des compétences, notamment puisque la loi fédérale elle‑même faisait appel aux définitions d’experts‑comptables établies par le législateur provincial pour déterminer l’éventail des personnes ayant qualité pour agir, et créait ainsi un rôle pour les lois provinciales de nature réglementaire.
1. L’article 26 de la Legal Profession Act est‑il inopérant du point de vue constitutionnel à l’égard des personnes agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application?
a) La Loi sur l’immigration autorise‑t‑elle les non-avocats à agir moyennant rétribution?
(i) Les expressions « autre conseiller » et « autre conseil » ne s’entendent pas uniquement des avocats
55 Les expressions « autre conseiller » et « autre conseil » contenues à l’art. 30 et au par. 69(1) respectivement ne sauraient constituer une simple répétition ou une autre façon d’exprimer la notion d’avocat. Il ressort clairement de la formulation de la Loi que ces expressions sont utilisées par opposition au terme « avocat ». Du fait que l’expression « autre conseil » ou « autre conseiller » est opposée au terme « avocat », elle doit sûrement s’entendre d’un non-avocat.
56 L’alinéa 114(1)v) mentionne directement quiconque comparaît sans être membre du barreau, ce qui démontre que le Parlement a prévu que des personnes qui ne sont pas des avocats joueraient un rôle dans le processus d’immigration. Le fait que le gouverneur en conseil n’ait pas encore établi un régime d’autorisation dans ce domaine, conformément à l’al. 114(1)v), n’a aucune importance en ce qui concerne le sens de l’art. 30 et du par. 69(1). Comme l’a souligné le juge Mackenzie au nom de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, rien dans ces dispositions n’exige que les autres conseillers ou conseils, qu’ils agissent ou non moyennant rétribution, détiennent une autorisation. En outre, l’art. 114 crée seulement une faculté. Il ne peut comporter une exigence que les « autre[s] conseiller[s] » et les « autre[s] conseil[s] » mentionnés à l’art. 30 et au par. 69(1) respectivement détiennent une autorisation. Bien au contraire, le fait que l’al. 114(1)v) crée uniquement la possibilité de réglementer « quiconque comparaît [. . .] sans être membre du barreau d’une province » indique que le Parlement avait d’abord et avant tout l’intention d’autoriser une catégorie de personnes à agir comme représentants et à fournir des services en cette qualité, et qu’il avait ensuite l’intention de permettre que cette catégorie de personnes soit assujettie à une réglementation.
57 L’article 2 des Règles de la section d’arbitrage, qui définit le terme « conseil » comme étant une « [p]ersonne qui représente une partie dans toute affaire dont connaît la section d’arbitrage », confirme également cette interprétation de l’expression « autre conseiller » ou « autre conseil », qui ne s’entend donc pas uniquement des membres du barreau d’une province. Comme l’article 2 des Règles de la section du statut de réfugié renvoie uniquement au par. 69(1), la disposition contenue dans les Règles de la section d’arbitrage est celle qui indique le mieux la portée des expressions « autre conseiller » et « autre conseil » figurant à l’art. 30 et au par. 69(1) respectivement.
58 En règle générale, cette interprétation est compatible avec les dispositions constitutives des tribunaux administratifs fédéraux. Un bon nombre de ces tribunaux permettent la représentation par des personnes autres que des avocats : la représentation par un « mandataire » devant le Tribunal de l’aviation civile, en vertu de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-2, par. 37(2); la représentation d’un membre de la GRC par un autre « membre » de la GRC devant la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada ou une autre commission, en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, art. 47.1; la représentation par un « représentant » dans toutes les procédures prévues par la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, art. 88; la représentation par un « représentant » devant l’Administration de pilotage en vertu de la Loi sur le pilotage, L.R.C. 1985, ch. P-14, par. 28(1); la représentation du délinquant par une « personne de son choix » dans les audiences devant la Commission nationale des libérations conditionnelles, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, par. 140(7); la représentation par un « mandataire » dans les instances devant le Tribunal canadien du commerce extérieur, en vertu de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.), art. 31; la représentation par un « mandataire » dans les affaires dont est saisi le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes‑producteurs, en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste, L.C. 1992, ch. 33, par. 19(3); la représentation par des « agents de brevets » devant le Bureau des brevets, en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 15; la représentation par des « agents de marques de commerce » devant le Bureau des marques de commerce, en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, al. 28(1)f). Tous ces rôles de non-avocats touchent à certains aspects de l’exercice traditionnel du droit. La représentation par des non-avocats est conforme à l’objet de ces organismes administratifs qui est de les rendre plus accessibles et d’en réduire le formalisme, ainsi que de reconnaître l’expertise d’autres catégories de personnes.
59 Dans la même veine, certaines lois de la Colombie‑Britannique permettent à des non-avocats de comparaître devant des tribunaux administratifs : Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 181, par. 29(3) (la représentation par un [traduction] « mandataire » devant le Health Care and Care Facility Review Board); Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125, al. 14(4)a) (la représentation par un [traduction] « mandataire » devant l’enquêteur désigné par l’Expropriation Compensation Board); Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, ch. 165, par. 56(5) (la représentation par un [traduction] « mandataire » à une enquête tenue par l’Information and Privacy Commissioner).
60 Les non-avocats peuvent fournir un service très utile aux personnes faisant l’objet de procédures devant la CISR. Il peut être difficile de trouver des avocats qui parlent couramment d’autres langues, en plus de bien connaître différentes cultures. Les dispositions mêmes de la Loi sur l’immigration prévoient que, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, les procédures doivent se dérouler sans formalisme et avec célérité (par. 68(2) et 80.1(4)). La possibilité de se faire représenter par un non-avocat peut favoriser l’absence de formalisme et la célérité. Dans son rapport récent intitulé Cadre stratégique de réglementation de la profession d’agent parajuridique en Ontario (2000), p. 50, l’honorable Peter Cory souligne que certaines personnes qui ne sont pas des avocats (plus précisément certains agents parajuridiques) sont en mesure de discuter avec des gens qui comparaissent devant la CISR dans leur langue maternelle. Il a conclu que les agents parajuridiques jouent un rôle très important très utile devant la CISR.
(ii) L’« autre » conseiller ou « autre conseil » peut agir moyennant rétribution
61 L’article 30 et le par. 69(1) prévoient que la personne qui fait l’objet des procédures peut se faire représenter, « à ses frais », par un conseiller ou conseil. Cette expression peut s’interpréter comme signifiant uniquement que le gouvernement fédéral n’assumera pas les dépenses engagées pour retenir les services de ce conseiller ou conseil. Toutefois, elle implique également que le Parlement a expressément prévu la possibilité que cet « autre conseiller » ou « autre conseil » demande une rétribution, et qu’il a donc adopté ces dispositions législatives pour éviter d’avoir à assumer les frais engagés à cet égard.
62 L’alinéa 114(1)v) prévoit clairement que le gouverneur en conseil peut, par règlement, exiger de quiconque comparaît devant la CISR en qualité de procureur rétribué sans être membre du barreau d’une province, qu’il soit titulaire d’une autorisation délivrée à cet effet par les autorités habilitées à le faire aux termes des règlements. Le fait qu’un organisme de réglementation n’ait pas encore été constitué ne limite pas la portée de l’art. 30 et du par. 69(1). Bien qu’il puisse fort bien être préférable d’assujettir ces personnes à une réglementation, le gouvernement n’est nullement tenu de le faire. En affirmant qu’il peut y avoir représentation par un « autre conseiller » ou « autre conseil » et en habilitant le gouverneur en conseil à prendre des règlements, le Parlement a légiféré de façon explicite et définitive dans ce domaine.
63 Cette question a été abordée dans l’arrêt R. c. Romanowicz (1999), 45 O.R. (3d) 506, où la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’utilisation des mots « avocat ou représentant » (art. 800 et 802 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46) signifiait que la loi autorisait des non-avocats à agir moyennant rétribution. Bien que les dispositions en l’espèce contiennent les mots « autre conseiller » et « autre conseil » plutôt que « représentant », la loi provinciale ne peut pas limiter l’application du libellé de la loi fédérale à des conseillers ou conseils non rétribués.
64 La Loi sur l’immigration et ses textes d’application n’établissent aucune distinction entre les avocats qui pourraient agir moyennant rétribution et les autres conseillers ou conseils qui ne pourraient pas le faire. Si le Parlement avait voulu limiter le sens des mots « autre conseiller » et « autre conseil » aux non-avocats qui ne sont pas rétribués, il aurait rédigé différemment les dispositions en cause de façon à indiquer clairement que l’expression « à ses frais » renvoie uniquement aux avocats et non aux autres conseillers ou conseils.
65 Cette interprétation est également étayée par le libellé des par. 29(5) et 69(5) de la Loi sur l’immigration. Lorsqu’elle utilise le terme « représentant » dans ces dispositions, la Loi reconnaît le droit du représentant en question à une rétribution en ordonnant qu’elle soit puisée sur le trésor public dans les circonstances qu’elle prévoit. Si le terme « représentant » figurant dans ces dispositions sous‑entend qu’il y a représentation rétribuée sur le trésor public, il devient encore plus clair que les mots « autre conseiller » et « autre conseil » ne comportent aucune restriction sur le plan de la rémunération. J’ai déjà analysé le fait que les Règles de la section d’arbitrage définissent le terme « conseil » comme étant une personne qui représente une partie dans une affaire. Si le Parlement avait voulu que les termes « autre conseiller » et « autre conseil » s’entendent uniquement des représentants non rétribués, il l’aurait précisé à l’art. 30 et au par. 69(1).
66 Pour répondre au commentaire de madame le juge Koenigsberg en première instance (par. 42), j’estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer le principe d’interprétation selon lequel il convient d’interpréter la loi de façon à confirmer la constitutionnalité des dispositions législatives pertinentes. Ce principe s’applique uniquement lorsque la cour peut raisonnablement adopter les deux interprétations opposées : R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, p. 771. En l’espèce, une interprétation conforme aux normes constitutionnelles applicables serait incompatible avec le texte et le contexte de la loi fédérale. Même si on accepte qu’il n’est pas nécessaire que les interprétations opposées soient également raisonnables pour que la présomption de constitutionnalité s’applique, je crois que l’art. 30 et le par. 69(1) n’étayent aucunement l’interprétation restrictive des termes « autre conseiller » et « autre conseil », c’est‑à-dire l’établissement d’une distinction entre les représentants non‑avocats qui exigent une rétribution et ceux qui n’en exigent pas. Il faut « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (le juge Iacobucci, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21).
67 Comme je l’ai mentionné précédemment, le Parlement n’est pas tenu d’assujettir les « autre[s] conseiller[s] » ou « autre[s] conseil[s] » à une réglementation, même s’il peut se révéler sage et utile de le faire. L’adoption de l’art. 30, du par. 69(1) et de l’al. 114(1)v) traduit l’intention du Parlement de traiter de la question des personnes qui peuvent comparaître devant la CISR. À part les cas où le Parlement renvoie aux dispositions législatives provinciales (comme il le fait pour les avocats), le gouvernement fédéral a défini le terme « conseil » comme signifiant une « personne », et les provinces ne peuvent intervenir dans ce domaine. En outre, en adoptant l’art. 114, le Parlement a démontré son intention d’assujettir ces personnes à une réglementation, si nécessaire. Ce n’est pas parce qu’il ne l’a pas encore fait que les provinces peuvent adopter des textes législatifs incompatibles entre-temps. Cependant, dans la mesure où le Parlement renvoie aux lois et aux règlements provinciaux ou n’aborde pas la question, les provinces peuvent réglementer cette question conformément à leurs propres pouvoirs.
b) Y a-t-il conflit d’application?
68 Comme je l’ai déjà indiqué, l’arrêt Multiple Access, précité, constitue l’arrêt de principe sur la règle de la prépondérance fédérale. Aux pages 189-191, le juge Dickson explique qu’en appliquant cette règle il faut avant tout vérifier s’il existe un conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale. En l’absence de conflit, la règle de la prépondérance est bien entendu inapplicable.
69 Il y a conflit d’application lorsque l’application de la loi provinciale a pour effet de déjouer l’intention du Parlement. Le critère applicable est énoncé à la p. 191 de cet arrêt : « une loi dit “oui” et [. . .] l’autre dit “non”; “on demande aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles”; l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre ».
70 Dans l’arrêt Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, notre Cour a réitéré le critère du « conflit réel d’application » (p. 151) et la raison d’être de l’application de la règle de la prépondérance. Aux pages 151-152, le juge La Forest a affirmé que la question dont était saisie la Cour était uniquement de savoir s’il y avait un conflit réel d’application « en ce sens que l’intention du Parlement risque d’être écartée si la banque appelante doit respecter la loi provinciale pour réaliser sa sûreté ». Aux pages 154-155, la Cour a commenté l’argument selon lequel il était possible de se conformer aux deux lois en observant la plus stricte d’entre elles :
En effet, comme nous l’avons vu, il ne sera pas possible de se conformer aux deux textes lorsqu’il est raisonnable d’affirmer que l’application de la loi provinciale aura pour effet de déjouer l’intention du Parlement.
. . .
La démonstration que le conflit peut être évité si la loi provinciale est respectée à l’exclusion de la loi fédérale peut difficilement constituer une réponse à la question de savoir si les lois provinciale et fédérale entrent en conflit et sont, par conséquent, incompatibles. À mon avis, cette conclusion reviendrait simplement à supposer vrai ce qui est en question. L’examen doit plutôt porter sur la question plus large de savoir si l’application de la loi provinciale est compatible avec l’objet de la loi fédérale. Dans la négative, le double respect des lois est impossible.
71 Dans l’arrêt M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, [1999] 2 R.C.S. 961, le juge Binnie applique, au par. 41, le raisonnement adopté par le Conseil privé dans Crown Grain Co. c. Day, [1908] A.C. 504, et « résumé » par Hogg, op. cit., vol. 1, p. 16-6.1 à 16-7 :
[traduction] . . . selon une analyse superficielle, le critère de l’impossibilité de se conformer aux deux lois n’est pas respecté : les deux lois n’imposaient pas de devoir aux parties en litige, et les deux lois pouvaient être observées si la partie qui succombait dans une affaire en matière de privilège du constructeur ne formait pas d’appel devant la Cour suprême. Toutefois, si les lois sont remaniées pour constituer des directives destinées à un tribunal qui doit déterminer s’il est possible d’interjeter appel devant la Cour suprême, la contradiction ressort. Un tribunal ne peut pas décider à la fois qu’il existe un droit d’appel (comme le prévoit la loi fédérale) et qu’il n’existe pas de droit d’appel (comme le prévoit la loi provinciale). Le tribunal ne peut pas se conformer aux deux textes de loi et, en conséquence, il y a contradiction expresse. [Je souligne.]
Appliquant ce raisonnement aux faits dont il était saisi, le juge Binnie a conclu, au par. 42 : « En résumé, nous avons ici une “contradiction expresse” au sens large où l’entend la jurisprudence pertinente » lorsqu’une loi fédérale sur les exploitations agricoles accorde à l’agriculteur un court délai de sursis, mais que la loi provinciale applicable permet d’intenter immédiatement une action en forclusion.
72 En l’espèce, il existe un conflit d’application étant donné que les dispositions législatives provinciales interdisent aux non-avocats de comparaître, moyennant rétribution, devant un tribunal, alors que les dispositions législatives fédérales leur permettent de le faire. À première vue, une personne peut réussir à se conformer aux deux textes de loi en devenant membre en règle du Barreau de la Colombie‑Britannique ou en n’exigeant pas de rétribution. L’observance de la loi la plus stricte entraîne nécessairement le respect de l’autre. Cependant, compte tenu de l’interprétation élargie que notre Cour a donnée dans des arrêts comme M & D Farm et Banque de Montréal, précités, le double respect est impossible. Exiger que les « autre[s] conseiller[s] » ou « autre[s] conseil[s] » soient des membres en règle du barreau de la province ou refuser qu’ils soient rétribués irait à l’encontre de l’intention que le Parlement avait en adoptant l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration. Dans ces dispositions, le Parlement a prévu que les étrangers pourront se faire représenter par des non-avocats rétribués et, à cet égard, il avait pour objectif légitime d’établir un processus informel, accessible (sur le plan financier, culturel et linguistique) et rapide, propre aux tribunaux administratifs. Lorsqu’il existe une loi fédérale habilitante, la loi provinciale ne peut aller à l’encontre de l’intention du Parlement. Enfin, un juge ou un fonctionnaire de la CISR serait incapable de se conformer aux deux lois en même temps.
73 Il y a lieu de distinguer la présente affaire de l’arrêt 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40. Dans cette affaire, il était possible de se conformer aux lois ou aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux sans déjouer l’intention du Parlement. Comme je l’ai montré précédemment, il est impossible en l’espèce d’observer la loi provinciale sans déjouer l’intention du Parlement.
c) L’étendue du conflit
74 Comme la présente affaire ne concerne que les audiences devant la section d’arbitrage et la section du statut, je suis d’avis de conclure que la Legal Profession Act est inopérante dans la mesure où elle interdit aux non-avocats d’être rétribués pour représenter des gens et fournir des services à cet égard. La prestation de services s’entend de la préparation de documents et du fait de donner des consultations sur des questions pertinentes relativement au dossier de l’intéressé.
D. La réparation
75 Étant donné que j’ai conclu que les dispositions contestées de la Loi sur l’immigration sont valides et l’emportent sur les dispositions de la Legal Profession Act, une injonction interdisant aux intimés Mangat, Westcoast et Sparling de se livrer aux activités reprochées ne peut pas être accordée. En outre, la question de l’injonction est théorique en ce qui concerne les intimés Mangat et Westcoast. Monsieur Mangat est maintenant un membre en règle des barreaux de l’Alberta et de l’Ontario, ce qui lui donne le droit de représenter des clients à toute audience devant la CISR. Il n’a pas l’intention de reprendre ses anciennes fonctions de consultant en immigration. Westcoast est maintenant dissoute et n’existe plus.
76 La Cour estime qu’il est justifié de rendre une ordonnance déclarant que l’art. 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application relèvent de la compétence du Parlement, et que l’art. 26 (maintenant l’art. 15) de la Legal Profession Act est inopérant en ce qui concerne les non-avocats qui, agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1), sont rétribués pour représenter des gens devant la section d’arbitrage ou la section du statut et pour fournir des services à cet égard.
77 L’intimée Sparling a droit à des dépens entre parties alors que, comme l’a décidé le juge Iacobucci dans la requête en annulation du pourvoi en raison de son caractère théorique, il y a lieu d’accorder des dépens procureur‑client à l’intimé Mangat.
VII. Le dispositif
78 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’accorder des dépens entre parties à l’intimée Sparling et des dépens procureur‑client à l’intimé Mangat.
79 Je réponds à la question constitutionnelle comme suit :
Q. L’article 26 de la Legal Profession Act, S.B.C. 1987, ch. 25, est‑il inopérant ou inapplicable du point de vue constitutionnel à l’égard des personnes agissant en vertu des art. 30 et 69 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, et ses textes d’application? Dans l’affirmative, ces dispositions excèdent‑elles la compétence du Parlement?
R. L’article 26 de la Legal Profession Act est inopérant du point de vue constitutionnel à l’égard des personnes agissant en vertu de l’art. 30 et du par. 69(1) de la Loi sur l’immigration et ses textes d’application. Il n’est pas nécessaire de déterminer si cette disposition est inapplicable du point de vue constitutionnel. L’article 30 et le par. 69(1) de la Loi sur l’immigration relèvent de la compétence du Parlement.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelante : Fasken Martineau DuMoulin LLP, Vancouver.
Procureurs de l’intimé Mangat : Sugden, McFee & Ross, Vancouver.
Procureurs de l’intimée Sparling : Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Le sous‑procureur général du Canada, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Le ministère du Procureur général, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba : Le ministère de la Justice, Winnipeg.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Le ministère du Procureur général, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante l’Organization of Professional Immigration Consultants : Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Mayland McKimm & Associates, Victoria; Zaifman Associates, Winnipeg.
Procureurs de l’intervenante l’Association of Immigration Counsel of Canada : Gowling Lafleur Henderson LLP, Toronto.