COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56
Date : 20051020
Dossier : 30187
Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
c.
Procureur général du Québec
Intimé
‑ et ‑
Procureur général du Nouveau-Brunswick,
procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador et
Congrès du travail du Canada
Intervenants
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 78)
La juge Deschamps (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron)
______________________________
Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56
Procureur général du Canada Appelant
c.
Procureur général du Québec Intimé
et
Procureur général du Nouveau‑Brunswick,
procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et
Congrès du travail du Canada Intervenants
Répertorié : Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23
Référence neutre : 2005 CSC 56.
No du greffe : 30187.
2005 : 11 janvier; 2005 : 20 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Pelletier et Morin), [2004] R.J.Q. 399, 245 D.L.R. (4th) 515, 31 C.C.E.L. (3d) 167, [2004] CLLC ¶240‑004, [2004] J.Q. no 277 (QL), relativement à un renvoi sur la constitutionnalité des art. 22 et 23 de la Loi sur l’assurance‑emploi. Pourvoi accueilli.
Claude Joyal et René Leblanc, pour l’appelant.
Dominique Rousseau et Pierre Christian Labeau, pour l’intimé.
Argumentation écrite seulement par Gaétan Migneault, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Argumentation écrite seulement par Barbara Barrowman, pour l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.
Steven M. Barrett et Charlene Wiseman, pour l’intervenant le Congrès du travail du Canada.
Le jugement de la Cour a été rendu par
1 La juge Deschamps — Le Parlement a-t-il l’autorité constitutionnelle d’accorder des prestations de maternité et des prestations parentales aux personnes qui interrompent leur emploi pour donner naissance ou prendre soin d’un enfant?
2 À la suite d’une demande d’opinion formulée par le gouvernement du Québec en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour d’appel, L.R.Q., ch. R‑23, art. 1, la Cour d’appel a conclu à l’inconstitutionnalité des art. 22 et 23 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (« LAE »), qui prévoient le paiement de prestations pendant un congé de maternité et un congé parental. (Ces dispositions sont reproduites en annexe.) Selon la Cour d’appel, les matières touchées par ces dispositions relèvent de la compétence provinciale.
3 Le procureur général du Canada se pourvoit devant la Cour en vertu de l’art. 36 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S‑26. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le Parlement pouvait adopter les art. 22 et 23 LAE en se fondant sur la compétence que lui confère le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 en matière d’assurance-chômage.
1. Les questions constitutionnelles et les positions des parties
4 La Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles de la même manière que l’a fait le gouvernement du Québec dans son décret no 244-2002 demandant le renvoi :
1. L’article 22 de la Loi sur l’assurance-emploi empiète‑t‑il sur la compétence des provinces, plus particulièrement la compétence relative à la propriété et aux droits civils ou aux matières d’une nature purement locale ou privée en vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
2. L’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi empiète‑t‑il sur la compétence des provinces, plus particulièrement la compétence relative à la propriété et aux droits civils ou aux matières d’une nature purement locale ou privée en vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
3. L’article 22 de la Loi sur l’assurance-emploi excède‑t‑il la compétence du Parlement du Canada, plus particulièrement la compétence relative à l’assurance‑chômage en vertu du paragraphe 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867?
4. L’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi excède‑t‑il la compétence du Parlement du Canada, plus particulièrement la compétence relative à l’assurance‑chômage en vertu du paragraphe 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867?
5 Le texte des dispositions contestées est reproduit en annexe. En substance, ces dispositions permettent à une femme qui ne travaille pas en raison de sa grossesse et à une personne qui s’absente de son travail pour prendre soin d’un nouveau-né ou d’un enfant placé chez elle en vue de son adoption de recevoir des prestations d’assurance-emploi.
6 Le procureur général du Québec plaide que « l’objet des prestations de maternité et des prestations parentales consiste à soutenir les familles [et] à aider les parents à prendre soin de leur enfant à la naissance ou lors de l’adoption et ce, dans le contexte de l’évolution du marché du travail et des réalités sociales qui en découlent » (mémoire de l’intimé, par. 20). Selon cette conception, le caractère véritable des prestations contestées est celui d’une mesure d’aide et de sécurité sociale qui empiète sur la compétence en matière de propriété et de droits civils ou en matière purement locale attribuée aux provinces par les par. 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867. Selon le procureur général du Québec, l’objet des prestations est distinct de celui de la LAE, qui est d’instaurer un régime d’assurance contre le risque de chômage.
7 Le procureur général du Canada, quant à lui, affirme que « la caractéristique essentielle [des] prestations [de maternité et des prestations parentales] est d’assurer un revenu temporaire aux femmes enceintes ou aux parents qui ont payé des cotisations et occupé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis et qui perdent leur revenu d’emploi en raison d’une grossesse ou pour prodiguer des soins à un enfant » (mémoire de l’appelant, par. 32). Selon le procureur général du Canada, les dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de créer un régime de congé de maternité ou de congé parental.
2. Analyse
2.1 Principes d’interprétation
8 Rares sont les cas où toutes les matières dont traite une loi relèvent entièrement d’une seule rubrique de compétence. Fréquentes sont donc les contestations portant sur le partage des pouvoirs. Comme la décision sur la portée des pouvoirs attribués par la Loi constitutionnelle de 1867 emporte des conséquences sociales et politiques indiscutables, c’est avec une grande prudence que la Cour se plie à l’exercice que la loi lui impose. Pour la guider dans sa décision, la Cour a élaboré une grille d’analyse. Le tribunal recherche d’abord le caractère véritable ou la caractéristique dominante de la loi ou de la disposition et détermine ensuite à quelle rubrique de compétence cette caractéristique se rapporte le plus : Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, [2005] 1 R.C.S. 292, 2005 CSC 20; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, 2004 CSC 79; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31. Comme chaque ordre de gouvernement peut légiférer sur les matières qui relèvent de sa compétence, très tôt le Conseil privé a reconnu que les catégories énoncées aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne constituent pas des compartiments étanches et a énoncé la théorie du double aspect : Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117 (C.P.), p. 130, et Citizens Insurance Co. of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (C.P.), p. 107-108 et 116-117. Le pouvoir d’un ordre de gouvernement de légiférer sur un aspect d’une matière n’enlève rien au pouvoir de l’autre ordre de régir un autre aspect qui relève de la compétence de cet autre ordre. Si, cependant, la loi ou la disposition empiète sur un champ de compétence ne relevant pas de l’autorité qui a légiféré, le tribunal vérifie si elle est tout de même valide parce qu’elle fait partie d’un régime législatif valide et y est suffisamment intégrée : Kitkatla, par. 58; Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21; General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641.
9 À la première étape de l’analyse, pour déterminer la rubrique de compétence, la Cour adopte une approche évolutive de façon à ce que le pacte confédératif puisse répondre aux réalités nouvelles. La Cour a d’ailleurs employé à de nombreuses reprises la métaphore de l’arbre vivant et il n’y a pas lieu d’y revenir à nouveau : Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, par. 29. Les débats ou les échanges de correspondance entourant la modification constitutionnelle sont pertinents pour l’analyse quant au contexte, mais ils ne peuvent dicter l’étendue exacte de la compétence législative. En effet, ils reflètent en grande partie la société de l’époque, alors que la compétence est, elle, essentiellement dynamique : Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 996, p. 1006. En leur accordant une importance primordiale, la Cour d’appel du Québec a adopté une approche originaliste à l’égard de l’interprétation de la Constitution, plutôt que l’approche évolutive à laquelle la Cour a adhéré depuis nombre d’années.
10 Le recours à une interprétation évolutive ne peut cependant pas justifier un empiétement par le Parlement sur un champ de compétence provinciale. Il est délicat de fixer les limites à l’évolution de la compétence constitutionnelle en se fondant sur la structure du Canada. Cette notion fait souvent appel à la conception qu’un tribunal donné peut se faire du fédéralisme. Les repères du fédéralisme peuvent varier d’un juge à l’autre et reposent sur des notions politiques plutôt que juridiques. Le maintien de l’équilibre entre les pouvoirs fédéral et provinciaux relève avant tout des gouvernements. Si le débat est judiciarisé, les tribunaux doivent se reporter à la description de la compétence faite par les constituants pour en dégager les composantes essentielles, en étant guidés par l’interprétation jurisprudentielle. En ce domaine, le sens des mots utilisés peut être adapté à la réalité moderne dans le respect de la séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.
11 Certaines rubriques énonçant des compétences étroites prêtent peu à interprétation. D’autres, plus larges, donnent lieu à des mesures législatives qui sont susceptibles de comporter plusieurs aspects.
12 En l’occurrence, le procureur général du Québec ne conteste pas que la LAE, prise dans son ensemble, ou plus spécifiquement, que les prestations régulières relèvent de la compétence du Parlement en matière d’assurance-chômage (par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867). Seule est en cause la constitutionnalité des prestations de maternité et des prestations parentales.
13 Quatre questions constitutionnelles distinctes ont été formulées, mais une seule démarche dicte toute l’analyse. Il importe donc de dégager d’abord le caractère véritable ou la caractéristique dominante des dispositions contestées avant de déterminer à quel chef de compétence la matière se rapporte.
14 Les premières prestations parentales résultent d’un élargissement des prestations de maternité adoptées plus de dix ans auparavant. Il convient d’analyser d’abord les prestations de maternité, car leur caractère véritable influera nécessairement sur celui des prestations parentales.
2.2 Caractère véritable des prestations de maternité
15 Le caractère véritable ou la caractéristique essentielle d’une disposition peut ressortir de l’examen de son objet ou de ses effets : Kitkatla, par. 53. L’objet d’une disposition est le but poursuivi par le législateur lors de son adoption. L’étude de l’effet d’une disposition consiste à examiner ses conséquences pratiques ou juridiques : Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299; Attorney-General for Alberta c. Attorney-General for Canada, [1939] A.C. 117 (C.P.). Ces deux critères de détermination, l’objet et l’effet, seront analysés tour à tour.
2.2.1 Objet des prestations de maternité
16 L’objet d’une disposition peut se dégager de son contexte ou être exprimé dans le texte même. Pour le déterminer, il est souvent utile de cerner le problème que le législateur cherchait à corriger. Le contexte de l’adoption d’une loi apporte donc souvent des informations pertinentes pour l’étude du texte. Je commencerai l’analyse avec la Loi de 1940 sur l’assurance-chômage, S.C. 1940, ch. 44 (« LAC de 1940 »), qui ne prévoyait pas de prestations de maternité, pour ensuite examiner le contexte de l’introduction des prestations de maternité puis le texte de la disposition contestée.
2.2.1.1 Le contexte de l’adoption de la Loi de 1940 sur l’assurance-chômage
17 À la fin des années 30, le Parlement considère que le problème national le plus urgent est le chômage : Loi sur la Commission nationale de placement, 1936, S.C. 1936, ch. 7, préambule, et Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, p. 534. Dans cet esprit, le Parlement adopte la première loi sur l’assurance-chômage : Loi sur le placement et les assurances sociales, S.C. 1935, ch. 38. Cette loi est cependant déclarée inconstitutionnelle parce qu’elle relève de la compétence des provinces : Reference re The Employment and Social Insurance Act, [1936] R.C.S. 427, conf. par Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355 (C.P.). En 1940, une modification à la Loi constitutionnelle de 1867 confère compétence au Parlement en matière d’assurance-chômage. La LAC de 1940 est alors adoptée. Elle reprend en substance les dispositions de la Loi sur le placement et les assurances sociales déclarée inconstitutionnelle quelques années plus tôt. Elle prévoit le versement de prestations aux chômeurs aptes au travail et disponibles pour travailler, mais incapables de trouver un emploi.
18 Au fil des ans, de nombreuses modifications sont apportées à la loi originale, généralement pour assouplir les conditions d’admissibilité, pour augmenter les prestations et pour éliminer les injustices, mais en 1988, la Cour juge que l’objectif premier demeure inchangé : Hills, p. 535. Dans Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, p. 10, la juge Wilson dit que le but général de la loi est de procurer des prestations aux chômeurs. Dans l’arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, p. 41, le juge La Forest, citant les propos du juge Lacombe, qui siégeait alors à la Cour d’appel fédérale dans cette affaire, décrivait ainsi l’objectif de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, qui ne semble pas différer de celui de la loi actuelle :
. . . d’établir un régime d’assurance sociale aux fins d’indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d’assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps et les aider ainsi à retourner sur le marché du travail.
Dans l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, le juge Gonthier ajoutait que l’objet des prestations d’assurance-chômage était
orienté vers le passé, le présent et l’avenir. L’admissibilité aux prestations dépend de l’exercice, dans le passé, d’un emploi donnant droit aux prestations. Ces prestations visent à fournir un revenu et une sécurité pour le présent, en remplacement du revenu d’emploi perdu. Cependant, les prestations sont également orientées vers l’avenir en ce qu’elles permettent au bénéficiaire de trouver un nouvel emploi, sans souffrir de privations et tout en éprouvant un sentiment de sécurité. [p. 895]
19 Les premières dispositions explicites à l’égard des femmes témoignent des mœurs de l’époque : on s’attendait à ce que les femmes soient entretenues par leur mari et qu’elles arrêtent de travailler après leur mariage. Un règlement les excluait pour une période de deux ans suivant leur mariage à moins qu’elles ne remplissent toute une série de conditions : Règlements de la Commission d’assurance-chômage, 1949, DORS/49-524, art. 5A (aj. DORS/50-515, annexe A, art. II). Il n’est pas inutile de rappeler qu’en 1950, la femme ne pouvait, au Québec, ni contracter (art. 177 du Code civil du Bas Canada) ni ester en justice (art. 176) sans le consentement ou l’assistance de son mari. Leur travail était loin d’être valorisé. Dans un rapport recommandant le resserrement des critères d’admissibilité des femmes enceintes ou ayant des enfants en bas âge, on lit :
Étant donné le choix qu’ont certaines femmes mariées, qui ne sont pas l’unique soutien de famille, de travailler dans l’industrie ou de s’en abstenir, il leur est particulièrement facile de se joindre à la population active ou d’en sortir à leur gré.
(Rapport du Comité d’enquête relatif à la Loi sur l’assurance-chômage (novembre 1962) (Rapport Gill), p. 140)
Sans être tout à fait considéré comme un caprice, le travail, pour une femme dont le mari travaille, est alors perçu comme optionnel et inusité. Dans ce contexte, il est aisé de comprendre que les demandes de prestations des femmes aient paru suspectes.
2.2.1.2 Contexte d’adoption des prestations de maternité
20 Dans les années 60, des changements profonds sont en cours. Ils bouleversent la société canadienne. Les développements technologiques, l’augmentation de l’incidence du travail à temps partiel et l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail provoquent une réflexion sur les nouveaux défis inhérents au marché du travail. Malgré cette évolution du marché du travail, certaines catégories d’emplois, par exemple employés d’hôpitaux, enseignants, fonctionnaires fédéraux et provinciaux, sont exclues du régime. L’insécurité économique n’est plus l’apanage des plus pauvres. Quant au traitement réservé aux femmes, le Report of the Study for Updating the Unemployment Insurance Programme (1968) (Rapport Cousineau), publié seulement six ans après le Rapport Gill, note d’ailleurs (p. 28) :
[traduction] Le taux de participation à la main‑d’œuvre des femmes mariées âgées de 20 à 65 ans est passé de 22,5 % en 1961 à 30,5 % en 1967. Cet accroissement est dû à un certain nombre de facteurs que nous ne pouvons aborder dans le présent rapport, mais il a pour effet de rendre tout à fait contestables les mesures discriminatoires envers les femmes prises dans le cadre du régime actuel. Jusqu’à ce jour, on a pu postuler l’existence d’un lien ténu entre les femmes mariées et le marché du travail, et leur faible taux de chômage « officiel » confirmerait qu’elles quittent la population active dans une grande proportion lorsqu’elles se retrouvent sans emploi. Cependant, des motifs portent à croire que « les femmes s’intègrent plus durablement à la population active ». Il faudra donc adapter le régime d’indemnisation des chômeurs en fonction de cette nouvelle réalité.
21 Le gouvernement prend conscience du caractère anachronique de plusieurs dispositions. La LAC de 1940 est complètement revue. Dans le livre blanc L’assurance-chômage au cours des années 70 (1970), p. 19 et 22, les prestations de maternité projetées sont décrites :
En vertu de la législation actuelle, un assuré a le droit de toucher des prestations (1) s’il est privé de ses gains parce qu’il est en chômage (2) s’il est capable de travailler et disponible pour travailler et (3) s’il ne peut trouver un emploi approprié.
. . .
Le régime proposé retient les trois principales conditions énoncées pour l’ouverture du droit aux prestations. Toutefois, il donne plus d’ampleur à la notion de « privation des gains » en prévoyant le versement de prestations de maternité, de maladie et de retraite . . .
. . .
L’établissement des prestations spéciales supprime les anomalies auxquelles la Loi actuelle donne lieu relativement à ces trois catégories de personnes et permet de leur offrir une aide pécuniaire établie d’après ce que signifie effectivement la « privation des gains » dans le monde du travail d’aujourd’hui.
22 Le rapport du Comité permanent du Travail, de la Main-d’œuvre et de l’Immigration déposé après l’étude du livre blanc contient aussi des commentaires sur l’objet des nouvelles prestations de maternité et de maladie (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent du Travail, de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, fascicule no 9, 3 décembre 1970, p. 9 : 29) :
Une telle mesure aidera à corriger le système de sécurité économique et à remédier aux contingences d’un monde où la population active comprend un grand nombre de femmes, et où une proportion importante de citoyens ne jouit d’aucune protection contre l’interruption des gains résultant de la maladie.
23 Il ressort de ce bref survol historique que, si les femmes ont initialement fait l’objet d’un traitement discriminatoire, cela est principalement attribuable au fait qu’elles n’étaient pas considérées comme faisant partie intégrante du marché du travail. Leur arrivée massive a provoqué une prise de conscience de leur rôle et du caractère réel de la perte de revenus subie pendant l’interruption de travail due à la grossesse. C’est dans ce contexte que les prestations de maternité ont été adoptées : Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48 (« LAC de 1971 »), par. 30(1).
24 L’élargissement a pour but de reconnaître aux femmes qui ont contribué au régime le droit de recevoir des prestations de remplacement du revenu. Les nouvelles prestations visent à assurer la sécurité économique et sociale des femmes enceintes de manière temporaire tout en les aidant à retourner sur le marché du travail. En plus de l’aspect purement économique relié au remplacement du revenu, les prestations de maternité, tout comme les prestations régulières, assurent le maintien de l’employabilité et le rattachement au marché du travail.
2.2.1.3 Texte de la disposition
25 Le texte de la disposition peut parfois énoncer clairement l’objet recherché par le législateur. En l’espèce, dépouillée de ses aspects techniques, la disposition est ainsi libellée :
(1) [D]es prestations sont payables à la prestataire [qui a exercé un emploi assurable pendant au moins six cents heures au cours de sa période de référence et] qui fait la preuve de sa grossesse [même si elle ne peut démontrer qu’elle était capable de travailler ou disponible à cette fin].
. . .
(3) Lorsque [. . .] des allocations, prestations ou autres sommes lui sont payables pour cette grossesse en vertu d’une loi provinciale, les prestations qui lui sont payables en vertu de la présente loi sont réduites ou supprimées tel qu’il est prévu par règlement.
26 Il ressort du texte que les prestations sont accordées à une femme privée de revenu d’emploi en raison de sa grossesse lorsqu’elle a exercé un emploi assurable pendant la période prescrite par la LAE. Le but primaire est de permettre à ces femmes de toucher une prestation de remplacement du revenu.
2.2.2 Effet de la disposition
27 Une mesure peut entraîner des effets qui débordent le but initial. Ces effets peuvent servir à mesurer sa validité constitutionnelle. Ainsi, dans Saumur, une mesure législative sur le contrôle des rues a été déclarée inconstitutionnelle parce que, d’après son effet prédominant, elle était utilisée comme moyen de censure. L’effet de la loi ne peut donc pas être ignoré.
28 En l’occurrence, l’effet de la disposition est de permettre aux femmes enceintes assurées de bénéficier de ressources pécuniaires à un moment où elles sont privées de leur revenu d’emploi.
29 Cependant, grâce à ces ressources, elles peuvent aussi s’absenter de leur travail pour des motifs physiologiques liés à la grossesse et pour prendre soin de leur famille pour une période plus longue que si elles étaient astreintes à un retour précoce en raison de leur indigence. L’effet primaire est donc de remplacer partiellement le revenu d’emploi, mais l’effet secondaire est de permettre aux femmes de se préparer à l’accouchement, de se rétablir physiologiquement et de bénéficier d’une période pour prendre soin de leur famille.
30 L’élargissement des prestations de maternité a mis l’accent sur la fonction de remplacement du revenu pour prendre soin des enfants. En effet, lors de l’adoption de la LAC de 1971, le par. 30(1) prévoyait le versement de prestations pendant les 15 semaines entourant l’accouchement. Le fait que les prestations n’aient été versées que pendant les semaines entourant l’accouchement laisse croire qu’elles étaient reliées aux limitations physiques dues à la grossesse. Plusieurs sources soutiennent qu’au moment de l’introduction des prestations de maternité, la justification principale des recommandations en faveur d’un tel régime était l’incapacité physique de la mère de travailler durant la période entourant la naissance de l’enfant : J. Frémont, « Assurance-chômage, maternité et adoption : les récentes modifications et leur validité » (1982-83), 17 R.J.T. 497, p. 503; P. Issalys et G. Watkins, Les prestations d’assurance-chômage : une étude de la procédure administrative à la Commission d’assurance-chômage (1977), p. 12; Emploi et Immigration Canada, L’assurance-chômage dans les années 1980 (1981), p. 73; Canada, Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (1970), p. 95. Dans l’arrêt Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183, p. 190, le juge Ritchie cite les propos du juge Collier en sa qualité de juge-arbitre :
Je ne sais ce qui a motivé les législateurs à inclure l’article 46 dans la loi de 1971. Il a été avancé qu’avant 1971, on prenait pour acquis qu’au cours de la période de huit semaines avant l’accouchement et de six semaines après, les femmes n’étaient en général pas capables de travailler ni disponibles à cette fin . . .
31 Or, l’étude de l’utilisation, au cours des ans, de ces prestations indique que c’était la fonction garde et soin des enfants, plutôt que l’inaptitude réelle causée par une incapacité physique, qui dictait le choix des semaines d’absence : rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité, Égalité pour tous (1985) (Rapport Boyer), ch. 2, p. 10. D’ailleurs, peu de personnes osent encore dire que, sauf exception, la grossesse rend les femmes incapables de travailler. Toutefois, leur incapacité physique pour une brève période entourant l’accouchement est reconnue.
32 L’assouplissement des règles qui permettent aux femmes de choisir les semaines pendant lesquelles elles reçoivent des prestations montre que la fonction de remplacement du revenu pendant que les mères prennent soin de leurs enfants revêt une plus grande importance que lors de l’adoption des premières dispositions. Cet effet secondaire amplifié ne pourrait cependant être observé si la femme n’était pas admissible, en premier lieu, aux prestations de remplacement du revenu. L’effet secondaire n’est donc pas étranger au but de la mesure et n’en pervertit pas l’objet.
33 Le législateur cherche à remplacer le revenu interrompu et c’est là l’effet premier de la mesure. Que l’effet primaire corresponde au but recherché n’est ni déterminant ni inusité. Si l’effet ne rejoignait pas le but recherché, la législation serait problématique. L’analyse de l’effet devient révélatrice lorsqu’il ressort des effets secondaires que la loi est détournée de son but avoué. Tel n’est pas le cas en l’occurrence. Les femmes peuvent bénéficier de prestations de remplacement de leur revenu, mais seulement lorsqu’elles s’absentent de leur travail en raison de leur grossesse. Le droit de s’absenter n’est pas accordé par la LAE. Il découle d’autres mesures législatives ou d’une entente entre l’employeur et l’employée. L’effet secondaire ne détourne donc pas la mesure de son objet ou de son effet primaire, il en est plutôt la conséquence naturelle.
2.2.3 Conclusion sur le caractère véritable de la disposition
34 Le contexte d’adoption de la première loi sur l’assurance-chômage permet de voir que le Parlement cherchait à enrayer le problème du chômage. Les prestations étaient peu élevées et de nombreux travailleurs étaient exclus, notamment les femmes enceintes. Après l’arrivée massive de celles-ci sur le marché du travail, des prestations spéciales ont été prévues pour pourvoir à l’interruption de gains qu’elles subissaient en raison de leur grossesse. Le contexte de la disposition, son texte et son effet mettent en lumière le caractère véritable, la caractéristique essentielle des prestations : elles remplacent le revenu d’emploi des femmes assurées qui subissent une interruption de gains à l’occasion d’une grossesse.
35 L’argument du procureur général du Québec selon lequel les prestations de maternité ont comme objet de soutenir les familles et de permettre aux femmes de prendre soin de leur enfant lors de la naissance ne peut être retenu. Aucun congé n’est accordé par la LAE. Les congés de maternité sont régis par d’autres lois ou par des arrangements entre employeurs et employés. Si le soutien des familles et le fait de prendre soin des enfants sont un des effets de la mesure, ils n’en constituent pas le caractère véritable. L’objectif fondamental du régime des prestations de maternité est de protéger le revenu des travailleuses entre le moment où elles perdent leur emploi ou cessent de l’occuper et celui où elles retournent sur le marché du travail.
2.3 Détermination de la rubrique de compétence
36 Une fois le caractère véritable d’une disposition défini, il faut déterminer la rubrique de compétence à laquelle il se rapporte. Le procureur général du Québec prétend que la disposition relève de sa compétence en matière sociale en raison de son lien avec la propriété et les droits civils et les matières purement locales ou privées (par. 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867). Le procureur général du Canada invoque sa compétence en matière d’assurance-chômage. Pour situer la question dans son contexte, il est pertinent de rappeler comment le Parlement en est venu à se faire octroyer compétence en matière d’assurance-chômage. Même si le contexte n’est pas déterminant, ce rappel aidera à dégager les éléments essentiels qui peuvent ou doivent être adaptés aux besoins contemporains. J’analyserai ensuite les objections du procureur général du Québec, qui soutient que les dispositions sont contraires aux notions d’assurance et de chômage.
2.3.1 Mise en contexte
37 Pour le Conseil privé, lors de la déclaration d’inconstitutionnalité de la Loi sur le placement et les assurances sociales, il n’y avait aucun doute qu’à première vue, les mesures concernant l’assurance, particulièrement celles relatives aux contrats de travail, visaient la propriété et les droits civils et étaient du ressort exclusif des législatures provinciales :
[traduction] Il ne peut y avoir de doute que, de prime abord, les dispositions relatives à une assurance de ce genre, surtout lorsqu’elles visent le contrat de travail, tombent dans la catégorie de la propriété et des droits civils de la province et sont du ressort exclusif de la législature provinciale. . .
. . .
Dans le cas actuel, leurs Seigneuries, comme la majorité de la Cour suprême, jugent que, par sa nature même, cette loi est une loi d’assurance qui touche aux droits civils des patrons et employés dans chaque province, et que, à ce titre, elle est invalide.
(Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, p. 365 et 367)
Comme la LAC de 1940 reprend en substance les dispositions de la Loi sur le placement et les assurances sociales, il est indéniable qu’elle touche le contrat de travail ou l’assurance s’y rattachant. C’est dire que, lors de la modification constitutionnelle, on a détaché une partie du champ de la compétence sur la propriété et les droits civils pour conférer au Parlement les aspects liés à l’assurance-chômage.
38 Que le régime public d’assurance-chômage concerne non seulement une assurance se rattachant au contrat de travail, mais aussi une mesure sociale ne fait aucun doute. Cette qualification ne permet cependant pas un rattachement exclusif avec une rubrique de compétence. Le vocable « mesure sociale » comporte plusieurs aspects qui peuvent être validement associés tout aussi bien à la propriété et aux droits civils qu’à l’assurance-chômage. Ainsi, personne ne contestera que les prestations d’assurance-emploi versées aux travailleurs licenciés à la suite d’une faillite relèvent de l’assurance-chômage. La mesure, qui touche à la propriété et aux droits civils, a indéniablement un caractère social, mais elle relève aussi de l’assurance-chômage. Débuter l’analyse en classant la disposition sur les prestations de maternité comme mesure sociale et en conclure qu’il s’agit d’une matière de compétence provinciale équivaut à escamoter l’étude de la portée de la modification constitutionnelle. La question qu’il faut poser pour déterminer à quelle rubrique se rapporte les prestations de maternité est de savoir si le caractère véritable de cette disposition relève de la compétence conférée par la modification constitutionnelle.
39 Le procureur général du Québec soutient que la compétence en matière d’assurance-chômage est limitée par les paramètres définis lors des premières lois. En vertu de ces lois, pour avoir droit aux prestations, les assurés devaient avoir perdu leur emploi de façon involontaire et ils devaient être aptes au travail et disponibles pour travailler. Par cet argument, le procureur général du Québec assimile le champ de compétence conféré par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 à l’exercice initial de la compétence fédérale. Cette approche est inappropriée à plus d’un égard, le plus évident étant que les conditions d’admissibilité établies dans le régime de la LAC de 1940 peuvent être modifiées à condition que le régime constitue toujours un exercice valable de la compétence en matière d’assurance-chômage. Ainsi, nul ne songerait à mettre en doute le droit de modifier les conditions d’admissibilité pour compter le temps assurable en heures plutôt qu’en semaines. Une telle modification rend certes le régime plus accessible aux travailleurs à temps partiel, mais elle ne change en rien le fondement même de l’assurance-chômage. La question porte donc non sur la façon dont le Parlement a exercé initialement sa compétence mais sur l’étendue de la compétence en matière d’assurance-chômage.
40 Si les vues des constituants ne sont pas déterminantes en matière d’interprétation constitutionnelle, le contexte de la modification est tout de même pertinent. En prenant comme point de départ les objectifs visés par les constituants, il est plus facile de cerner l’étendue de la compétence transférée pour ensuite déterminer comment elle peut être adaptée aux réalités contemporaines.
2.3.2 Circonstances du transfert de compétence
41 Dans une lettre adressée le 5 novembre 1937 à chacun des premiers ministres provinciaux, le premier ministre fédéral de l’époque, W. L. Mackenzie King, leur demande si leur province consent à ce que la compétence en matière d’assurance-chômage soit confiée au Parlement. Cette lettre contient les jalons de la justification alors invoquée par le gouvernement fédéral :
[traduction]
Monsieur le Premier ministre,
Mes collègues et moi sommes convaincus qu’un régime national d’assurance‑chômage contribuerait sensiblement à la sécurité des citoyens et à la stabilité de l’industrie partout au Canada, et soulagerait la misère résultant de tout nouvel épisode de chômage généralisé.
La Commission nationale de placement a présenté au gouvernement une recommandation ferme concernant la gestion nationale des bureaux d’emploi, fondée sur une analyse complète de la situation du chômage à la grandeur du Dominion. Nous estimons qu’un service national de l’emploi relevant de la compétence fédérale est le complément nécessaire de tout régime national d’assurance-chômage.
Le 13 mai 1940, le Québec acquiesce à la demande fédérale.
42 La lettre du premier ministre met en lumière deux informations utiles pour l’analyse. D’abord, il devenait important non seulement d’enrayer l’indigence causée par le chômage, mais également de mettre fin au chômage en organisant le retour au travail. Les bureaux de placement étaient vus comme une mesure de protection aussi importante que les prestations.
43 Dans son essence, la compétence recherchée visait à doter le Canada des outils nécessaires pour pallier les effets du chômage anticipé en fournissant des prestations à certaines catégories de chômeurs et en organisant des centres de recherche d’emploi. Le transfert de compétence se voulait un outil d’organisation interne, faisant appel à des mesures de secours à court terme, soit les prestations, et des mesures à moyen terme, soit le placement des chômeurs.
44 Le Parlement a continué d’exercer sa compétence en matière d’assurance-chômage au profit des Canadiens même après la période de chômage qui a suivi la guerre. Le chômage évolue avec les conditions qui prévalent au Canada et avec les besoins des Canadiens. L’action du Parlement doit être adaptée aux nouvelles conditions dans le respect des limites imposées par le partage constitutionnel des pouvoirs. Dans un cas où, comme en l’espèce, la compétence particulière a été détachée d’une compétence plus générale, il n’est pas possible d’évaluer la compétence particulière en fonction de la compétence générale, puisque toute évolution serait vue comme un empiétement. Il faut plutôt se reporter aux éléments essentiels du pouvoir conféré et vérifier si la mesure contestée s’insère dans son évolution naturelle.
2.3.3 Éléments essentiels de l’assurance-chômage
45 D’une part, aucune rubrique constitutionnelle n’est statique. D’autre part, l’évolution de la société ne peut justifier une dénaturation du pouvoir accordé par la Constitution à l’un ou à l’autre ordre de gouvernement. Les deux concepts ne sont pas contradictoires. Comme le signalent les professeurs H. Brun et G. Tremblay :
En définitive, toutefois, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’interprétation dynamique et le respect de l’intention première du constituant : pour évoluer, il faut partir de quelque part. Voir le Renvoi : circ. électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158, 180-187. La recherche de l’intention originaire du constituant doit évidemment se faire d’abord à partir d’une lecture généreuse des termes qu’il a utilisés, pris dans leur contexte proprement juridique. Ce contexte peut aussi être élargi, par la prise en considération d’éléments qui lui sont « extrinsèques », qui ont une portée historique plus que juridique. [Je souligne.]
(Droit constitutionnel (4e éd. 2002), p. 207-208)
46 L’interprète constitutionnel détermine les éléments essentiels d’une compétence en donnant une interprétation libérale aux termes utilisés, pris dans leur contexte proprement juridique. Il pourra aussi élargir l’interprétation en tenant compte des éléments historiques pertinents.
47 La compétence en matière d’assurance-chômage doit recevoir une interprétation évolutive et généreuse. Elle doit être replacée dans le contexte d’une mesure pan-canadienne destinée, selon le désir des auteurs de la modification constitutionnelle, à enrayer l’indigence causée par le chômage et à encadrer le rattachement des chômeurs au marché du travail.
48 Ayant à l’esprit ces principes et objectifs, il est possible de dégager les quatre caractéristiques essentielles suivantes d’un régime public d’assurance-chômage :
(1) Il s’agit d’un programme public d’assurance fondé sur la notion de risque social
(2) visant à préserver la sécurité économique des travailleurs et le rattachement au marché du travail
(3) par le versement d’indemnités temporaires de remplacement du revenu
(4) en cas d’interruption d’emploi.
49 Ces quatre caractéristiques ne tiennent pas compte des mesures de mise en œuvre qui pourraient être prises au cours des ans, mais permettent de prendre en considération l’évolution du marché de l’emploi. Ainsi, les risques sociaux reliés au chômage peuvent varier d’une époque à une autre et le calcul des besoins du régime peut être modifié. Les choix de politiques sociales relèvent de l’exercice de la compétence. Ils n’en constituent pas les balises.
50 Ayant défini les caractéristiques essentielles d’un régime public d’assurance-chômage, j’aborderai maintenant deux objections spécifiques soulevées par le procureur général du Québec. Il soutient d’abord que les prestations de maternité sont accordées pour une absence volontaire du travail et ne peuvent être considérées comme relevant de l’assurance. Il fait aussi valoir qu’elles ne sont pas accordées à des personnes qui sont en chômage parce qu’elles ne sont pas disponibles pour travailler.
2.3.4 Les prestations de maternité comme mesure d’assurance
51 Le juge Beetz, dans Martin Service Station, p. 1004, accepte que la compétence du Parlement en matière d’assurance-chômage soit limitée par un aspect d’assurance. Prenant appui sur cet énoncé, le procureur général du Québec soutient que l’interruption de travail en raison de la maternité ne peut correspondre à une assurance parce que la notion de risque en est absente. Il retient comme définition de risque ce qui est « un événement fortuit [dont la] concrétisation ne [peut] dépendre exclusivement de la volonté des parties et spécialement de celle de l’assuré ».
52 Sans contester que cette définition étroite soit souvent celle qui est donnée au mot « risque » dans les régimes privés d’assurance, je suis d’avis qu’elle ne permet pas d’exclure la maternité de tout régime d’assurance-chômage.
53 L’argument du procureur général fondé sur l’absence de risque rejoint ceux dont la Cour traite dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, p. 1237-1238. Dans cette affaire, la Cour devait décider si la grossesse pouvait être couverte par un régime d’assurance même s’il ne s’agit pas d’un accident ou d’une maladie. Selon l’employeur, elle en était écartée parce qu’il s’agit d’un état voulu. Son argument n’a pas été retenu. Le juge en chef Dickson s’exprime ainsi :
Il semble incontestable que dans notre société la grossesse est un motif de santé valable de s’absenter du travail. Il va sans dire que la grossesse a une importance primordiale dans notre société. De fait, son importance en rend la description difficile. Il est fallacieux d’établir un parallèle entre la grossesse et, par exemple, la décision de subir une opération de chirurgie esthétique, comparaison que l’intimée fait pourtant implicitement dans son argumentation. Si l’état de santé lié à la procréation ne constitue pas un motif légitime de s’absenter du travail, il est difficile d’en imaginer un autre. Considérée dans son contexte social, la grossesse constitue un motif de santé parfaitement légitime de ne pas se présenter au travail et, à ce titre, elle devrait donner droit aux prestations prévues par le régime de Safeway. Pour l’employée, les conséquences économiques de l’incapacité d’exécuter les tâches que son travail comporte sont les mêmes que cette incapacité résulte d’une grossesse ou d’un autre motif de santé entraînant l’absence du travail. [p. 1237-1238]
54 La décision d’avoir un enfant relève souvent à notre époque d’un acte délibéré d’un ou des deux parents. La grossesse revêt cependant des facettes multiples. La conception ne résulte pas d’une opération mathématique permettant d’en assurer le moment ou même le succès, et ce, malgré tous les progrès technologiques. De plus, le bénéfice découlant de la procréation dépasse celui des parents. Les enfants sont l’un des actifs les plus importants de la société et l’apport des parents ne saurait être trop valorisé. Si la grossesse peut être considérée comme un risque assurable dans les régimes privés d’assurance, comme cela a été décidé dans Brooks, à plus forte raison peut-il en être ainsi dans un régime public.
55 L’approche du procureur général du Québec fait donc fi de l’impact collectif de la décision des parents et du rôle social de l’assurance publique. Au-delà du fait qu’il est parfaitement légitime pour un assureur commercial d’accepter d’assurer les femmes enceintes contre la perte de revenus d’emploi, il faut constater que la qualité publique du régime d’assurance-chômage justifie plus encore la décision de faire reposer sur la collectivité des cotisants le risque de perte de gains des femmes lié à la maternité. Tout comme la marginalisation des travailleurs saisonniers ne peut justifier leur mise à l’écart comme le suggérait le Rapport Gill, p. 12-13, la protection contre la perte de gains due à la maternité relève d’une décision de politique sociale. Même si certains peuvent voir un rattachement ténu avec la notion de risque assurable, au sens strict de cette notion, la compétence en matière de chômage relève de l’assurance sociale. Par conséquent, la notion de risque peut être comprise au sens social et non actuariel. L’auteur S. Ledoux, dans L’influence du droit constitutionnel dans l’émergence et l’évolution du droit aux prestations de maternité, d’adoption et parentales au sein de la Loi sur l’assurance-chômage (1991), p. 76, fait à ce sujet une analyse utile des caractéristiques principales d’un régime d’assurance sociale et de la notion de risque propre à ce type de régime :
L’assurance sociale est l’application, sur un plan beaucoup plus large, du principe de la mise en commun qui depuis longtemps est le fondement de l’assurance. L’assurance sociale [est] une méthode particulière d’organisation de la sécurité sur le plan collectif, en obtenant de divers groupes des contributions pour faire face à un besoin, dont on ne peut sans danger laisser la charge aux ressources des individus ou des familles. [L. C. Marsh, Rapport sur la sécurité sociale au Canada (1943), p. 10-11 et 17] L’assurance sociale a donc comme objectif principal de réduire l’insécurité économique des individus en leur promettant une compensation en cas de risques sociaux. [L. Poulin Simon, Les assurances sociales pour une sécurité du revenu des salariés (1981), p. 7] [Je souligne.]
56 La décision d’offrir aux femmes la possibilité de bénéficier d’un revenu de remplacement lorsqu’elles s’absentent en raison de leur grossesse relève donc d’une décision de politique sociale qui n’est pas incompatible avec la notion de risque en matière d’assurance et qui, de plus, s’intègre harmonieusement à un régime public d’assurance-chômage.
2.3.5 Les prestations de maternité comme mesure de protection contre le chômage
57 Le procureur général du Québec plaide aussi que la grossesse ne peut être qualifiée de situation de chômage parce que la femme enceinte n’est pas apte au travail et disponible pour travailler. Cet argument ne peut non plus être retenu.
58 La dépression et la guerre qui ont donné lieu à la prise de conscience de la nécessité d’un régime national d’assurance-chômage sont terminées depuis longtemps, mais le chômage, lui, persiste. Sa nature a cependant évolué. Le chômage anticipé dans les années 30 devait résulter de la fin des activités de production liées à la guerre. Il s’agissait d’un chômage ponctuel. Mais le chômage peut aussi désigner la période écoulée entre la fin d’un emploi et le réengagement dans un autre emploi en dehors de toute contrainte structurelle dans une industrie donnée. On qualifie cette situation de chômage frictionnel : G. Campeau, De l’assurance-chômage à l’assurance-emploi : L’histoire du régime canadien et de son détournement (2001), p. 71. Certes, le chômage ponctuel lié à la dépression et à la guerre a provoqué la mise en place de mesures en matière d’assurance-chômage, mais il n’a jamais été mis en doute que le chômage frictionnel pouvait aussi donner droit aux prestations.
59 Le marché du travail connaît aussi le chômage technologique, c’est-à-dire celui provoqué par les changements technologiques. Que le chômage soit ponctuel, structurel, frictionnel, conjoncturel ou technologique, il est incontestable que l’interruption d’emploi sera considérée comme une situation de chômage, et ce, quelle que soit la nature du chômage.
60 Les conditions d’admissibilité aux prestations prévues par la LAC de 1940 ont été élargies, compte tenu des réalités nouvelles. La disponibilité pour un emploi ne veut pas nécessairement dire qu’il y ait des possibilités réalistes d’en trouver un. Le cas du chômage saisonnier illustre bien cette réalité. Alors que la première loi écartait tout emploi dans l’agriculture, la sylviculture, les pêcheries et la chasse (LAC de 1940, première annexe, partie II), le soutien du régime public ne saurait maintenant être remis en question pour ces activités économiques, vitales pour le Canada, mais assujetties à des contraintes sur lesquelles employeurs et employés n’ont aucun contrôle.
61 Les mots « chômeur », « chômé » ou « chômage » ont plusieurs acceptions. Par exemple, selon le Nouveau Petit Robert (2003), p. 431, un chômeur est une personne qui se trouve involontairement privée d’emploi; le mot « chômé » renvoie à une obligation de cesser le travail; le mot « chômage », dans son sens courant, signifie une interruption du travail en raison d’un manque d’emploi. Cet ouvrage donne cependant aussi un sens plus moderne qui évoque simplement l’interruption de travail. Le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary (10e éd. 1994), p. 1290, définit ainsi l’expression [traduction] « assurance‑chômage » (Unemployment Insurance) : « assurance sociale contre la perte d’emploi involontaire prévoyant le versement de prestations à un travailleur sans emploi pendant une période donnée ».
62 Le sens courant s’intègre bien au cadre des premières lois sur l’assurance-chômage. Il est vrai qu’à l’époque, la norme était celle de l’emploi stable et permanent. Les règles d’admissibilité de ces lois ne définissent cependant pas les limites de la compétence du Parlement. Les interruptions d’emploi ont maintenant des causes multiples. Les mises à pied prolongées où le travailleur bénéficie d’un droit de rappel et le travail temporaire ou à temps partiel ne sont que quelques exemples de la nécessité d’une réflexion sur la notion de chômage. Les notions de « manque d’emploi » ou de situation involontaire ne constituent pas un guide fiable. Le sens moderne, qui requiert simplement la notion d’interruption d’emploi, correspond mieux à la réalité contemporaine des milieux de travail et englobe plus aisément la signification donnée aux autres mots comportant la même racine.
63 Certains nouveaux cas de prestations ont d’ailleurs fait l’objet d’examen judiciaire et, dans chaque cas, la Cour leur a donné une portée large. Ainsi, une disposition discriminatoire envers les pêcheurs a été jugée invalide : Procureur général du Canada c. Silk, [1983] 1 R.C.S. 335. Dans une autre affaire, les contrats d’enseignement ont été interprétés de façon à ne pas préjudicier aux prestations de maternité : Dick c. Sous-procureur général du Canada, [1980] 2 R.C.S. 243.
64 La revue des circonstances de l’inclusion de l’interruption d’emploi pour cause de maladie offre un parallèle intéressant. Des études ont été menées préalablement à l’adoption de la LAC de 1940 sur la possibilité de faire bénéficier les cotisants malades des prestations : Rapport de la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces (1940) (Rapport Rowell-Sirois), vol. II, p. 25, 31 et 41. Cela indique à tout le moins que, malgré l’indisponibilité du cotisant, ces prestations ne paraissaient pas à l’époque antinomiques avec l’assurance-chômage. Dans cette optique, l’obligation de chercher un emploi et celle d’être apte sont vues comme des mécanismes de filtrage des demandes et d’incitation au retour sur le marché du travail et non comme des caractéristiques essentielles de la compétence constitutionnelle.
65 La condition de recherche d’un emploi ou de disponibilité pour un emploi, écartée dans le cas des prestations de maternité, est d’ailleurs parfois illusoire. Ainsi, pour certains travailleurs saisonniers ou des personnes œuvrant dans des régions éloignées, la recherche pendant leur période d’interruption de gains est souvent infructueuse. La nature du chômage varie selon l’époque, les régions et les groupes visés, mais la réalité demeure la même. Ce sont des travailleurs privés de leurs revenus d’emploi.
66 L’étendue de la protection requise par la société canadienne change avec les besoins de la population active. Celle-ci est composée d’une part grandissante de femmes et ces dernières ont des besoins particuliers qui concernent toute la société. L’interruption d’emploi due à la maternité ne peut plus être considérée comme une responsabilité individuelle. Le lien des femmes avec le marché de l’emploi est établi et leur intégration sous le vocable de chômeuses est une extension aussi naturelle que celle touchant d’autres catégories d’assurés qui perdent leur revenu d’emploi. Ce serait nier la fonction sociale d’un régime public d’assurance-chômage que de le limiter constitutionnellement aux cas où les cotisants recherchent activement un emploi ou sont disponibles à cette fin. Le caractère social de l’assurance-chômage dicte que le Parlement puisse adapter le régime aux nouvelles réalités du travail. Certaines conditions d’admissibilité relèvent de l’essence de la notion de chômage alors que d’autres conditions sont plutôt des mécanismes qui reflètent un choix de politique sociale lié à la mise en œuvre du régime.
2.3.6 Conclusion sur la détermination de la rubrique de compétence
67 Le procureur général du Québec affirme que le caractère véritable du programme social de prestations de maternité est d’aider les familles. Si c’est là un effet indéniable, ce n’est pas le caractère véritable. La LAE régit le droit aux prestations : elle fait bénéficier les femmes enceintes de prestations lorsqu’elles subissent une interruption de revenus. Les différentes facettes des interruptions de travail liées à la maternité ne relèvent cependant pas toutes de l’assurance-chômage. Les congés de maternité ne sont pas régis par la LAE. Le Parlement n’accorde aux travailleuses ni congé de maternité ni sécurité d’emploi. Comme les provinces disposent de la compétence générale en matière de droits civils, c’est à elles que revient la responsabilité d’établir la plupart des balises requises pour la protection de l’emploi des femmes enceintes. Ces règles font l’objet de lois provinciales et sont souvent incorporées dans les contrats individuels et collectifs de travail. De telles normes sont d’ailleurs prévues dans la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N-1.1, art. 81.4.
68 Le caractère véritable des prestations de maternité est de pourvoir au remplacement du revenu lors d’une interruption de travail. Il s’inscrit dans l’essence de la compétence fédérale en matière d’assurance-chômage, qui est de mettre en place un programme public d’assurance visant à préserver la sécurité économique des travailleurs et le rattachement au marché du travail par le versement des indemnités de remplacement du revenu en cas d’interruption d’emploi.
2.4 Les prestations parentales sont-elles de même nature que les prestations de maternité?
69 Fruit d’une recommandation d’un groupe de travail formé par le ministre de l’Emploi et de l’Immigration de l’époque, le programme des prestations pour parents a d’abord été mis en œuvre en 1984 dans un souci d’équité envers les parents adoptifs (L’assurance-chômage dans les années 1980, p. 77; Loi no 3 modifiant la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1980-81-82-83, ch. 150, art. 5).
70 Les prestations pour parents adoptifs ont comme objet de permettre à ces parents de prendre soin de leur enfant placé chez eux en vue de son adoption. Ici encore, la LAE ne régit pas le congé parental. Il permet seulement aux parents qui s’absentent de leur travail à cette fin de bénéficier de prestations de remplacement de leur revenu.
71 Le programme est étendu à tous les parents à la suite du jugement de la Cour fédérale dans l’affaire Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515 (1re inst.) : Loi modifiant la Loi sur l’assurance-chômage et la Loi sur le ministère et sur la Commission de l’emploi et de l’immigration, L.C. 1990, ch. 40, art. 14. Le juge Strayer y fait état de la discrimination subie par les parents naturels à la naissance de leur enfant. Alors que les parents adoptifs pouvaient s’absenter de leur travail et bénéficier de prestations pour prendre soin de leur enfant, les parents naturels étaient écartés de ce choix. Le juge Strayer voit dans cette distinction une discrimination injustifiée à l’égard des parents naturels par rapport aux parents adoptifs. L’affaire est portée en appel devant la Cour d’appel fédérale et devant notre Cour sur d’autres points, mais la conclusion concernant le caractère discriminatoire de la disposition n’a pas été contestée.
72 Cette distinction injustifiée avait d’ailleurs déjà été notée, plus particulièrement à l’égard des pères naturels, dans le Rapport Boyer, p. 9, qui voyait dans l’exclusion de ceux-ci la lacune la plus évidente. Le Rapport de la Commission d’enquête sur l’assurance-chômage (1986) (Rapport Forget), p. 132, a aussi examiné la question et a qualifié cette exclusion d’étonnante.
73 Je ne vois pas de raison pour laquelle les prestations parentales seraient caractérisées de façon différente des prestations de maternité. Dans les deux cas, elles sont liées à la fonction de reproduction de la société. Le statut de parent adoptif confère tous les droits et obligations du parent naturel. Tous les parents ont des obligations égales. À une époque où la société met l’accent sur la responsabilisation des deux parents, ils ne peuvent être traités de façon inégale. Une telle vision serait anachronique. En raison de la discrimination qui découlerait de l’absence de prestations pour les parents naturels et les parents adoptifs, les prestations parentales doivent être permises. L’inclusion de ce type de prestations dans le régime d’assurance-chômage constitue une extension nécessaire du régime, ce qui permet de respecter les droits à l’égalité, partie intégrante de notre Constitution.
74 Tout comme pour les prestations de maternité, le droit des prestataires de s’absenter de leur travail n’est pas régi par la LAE, mais par des dispositions provinciales : Loi sur les normes du travail, art. 81.10.
75 J’estime donc que les prestations parentales, tout comme les prestations de maternité, ont comme caractère véritable de pourvoir au remplacement du revenu à l’occasion d’une interruption d’emploi due à la naissance ou à l’arrivée d’un enfant et que ce caractère véritable permet de conclure que le Parlement peut se fonder sur la compétence qui lui est conférée par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867.
3. Conclusion
76 L’évolution de la portée d’une rubrique de compétence constitutionnelle ne peut engendrer un empiétement sur un champ conféré à un autre ordre de gouvernement. La prise en considération des contextes historique et juridique permet de dégager les caractéristiques essentielles sur lesquelles peuvent se greffer les réalités nouvelles.
77 L’évolution du rôle des femmes sur le marché du travail et celle du rôle du père dans le soin des enfants sont deux facteurs sociaux qui ont un impact économique indéniable sur les personnes actives sur le marché du travail. L’interprétation généreuse des termes de la Constitution permet de prendre en considération ces changements sociaux. Les législatures provinciales ont compétence pour régir les programmes sociaux, mais le Parlement a aussi compétence pour permettre aux parents qui doivent s’absenter du travail de bénéficier de prestations de remplacement du revenu pour l’accouchement ou le soin des enfants. Les prestations de remplacement du revenu pendant le congé de maternité et le congé parental n’empiètent pas sur la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils et peuvent valablement être intégrées à la LAE.
78 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel, le tout avec dépens, et de répondre aux questions constitutionnelles de la façon suivante :
Question 1 : L’article 22 de la Loi sur l’assurance-emploi empiète‑t‑il sur la compétence des provinces, plus particulièrement la compétence relative à la propriété et aux droits civils ou aux matières d’une nature purement locale ou privée en vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Réponse : Non.
Question 2 : L’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi empiète‑t‑il sur la compétence des provinces, plus particulièrement la compétence relative à la propriété et aux droits civils ou aux matières d’une nature purement locale ou privée en vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Réponse : Non.
Question 3 : L’article 22 de la Loi sur l’assurance-emploi excède‑t‑il la compétence du Parlement du Canada, plus particulièrement la compétence relative à l’assurance‑chômage en vertu du paragraphe 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Réponse : Non.
Question 4 : L’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi excède‑t‑il la compétence du Parlement du Canada, plus particulièrement la compétence relative à l’assurance‑chômage en vertu du paragraphe 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Réponse : Non.
ANNEXE
Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, telle qu’elle se lisait à l’époque du renvoi :
22. (1) [Grossesse] Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à la prestataire de la première catégorie qui fait la preuve de sa grossesse.
(2) [Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées] Sous réserve de l’article 12, les prestations prévues au présent article sont payables à une prestataire de la première catégorie pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :
a) commence :
(i) soit huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement,
(ii) soit, si elle est antérieure, la semaine de son accouchement;
b) se termine dix-sept semaines après :
(i) soit la semaine présumée de son accouchement,
(ii) soit, si elle est postérieure, la semaine de son accouchement.
(3) [Restrictions] Lorsque des prestations sont payables à une prestataire en raison de chômage causé par sa grossesse et que des allocations, prestations ou autres sommes lui sont payables pour cette grossesse en vertu d’une loi provinciale, les prestations qui lui sont payables en vertu de la présente loi sont réduites ou supprimées tel qu’il est prévu par règlement.
(4) [Application de l’article 18] Pour l’application de l’article 13, l’article 18 ne s’applique pas à la période de deux semaines qui précède la période visée au paragraphe (2).
(5) [Rémunération à déduire] Si des prestations sont payables à une prestataire de la première catégorie en vertu du présent article et que celle-ci reçoit une rémunération pour une période tombant dans une semaine comprise dans la période visée au paragraphe (2), le paragraphe 19(2) ne s’applique pas et, sous réserve du paragraphe 19(3), cette rémunération est déduite des prestations afférentes à cette semaine.
(6) [Prolongation de la période] La période durant laquelle des prestations sont payables en vertu du paragraphe (2) est prolongée du nombre de semaines d’hospitalisation de l’enfant dont la naissance est à l’origine du versement des prestations.
(7) [Restriction] La période prolongée en vertu du paragraphe (6) ne peut excéder les cinquante-deux semaines qui suivent la semaine de l’accouchement.
23. (1) [Prestations parentales] Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d’un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption en conformité avec les lois régissant l’adoption dans la province où il réside.
(2) [Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées] Sous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :
a) commence la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés chez le prestataire en vue de leur adoption;
b) se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont ainsi placés.
(3) [Abrogé L.C. 2000, ch. 14, art. 4]
(4) [Paiement aux deux prestataires de la première catégorie] Lorsque deux prestataires de la première catégorie prennent soin d’un enfant visé au paragraphe (1), les semaines de prestations payables en vertu du présent article peuvent être partagées entre eux.
(5) [Report du délai de carence] Le prestataire de la première catégorie qui présente une demande de prestations au titre du présent article peut faire reporter l’obligation de purger son délai de carence à toute autre demande de prestations éventuellement présentée au cours de la même période de prestations et qui ne viserait pas des prestations prévues à l’article 22 ou au présent article si, selon le cas :
a) il a déjà présenté une demande de prestations au titre de l’article 22 ou du présent article relativement au même enfant et a purgé son délai de carence;
b) un autre prestataire de la première catégorie a présenté une demande de prestations au titre de l’article 22 ou du présent article relativement au même enfant et est en train de purger ou a déjà purgé son délai de carence;
c) un autre prestataire de la première catégorie présente une telle demande relativement au même enfant au même moment que lui et choisit de purger son délai de carence;
d) lui-même ou un autre prestataire de la première catégorie répond aux exigences prévues par règlement.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureur de l’appelant : Procureur général du Canada, Montréal.
Procureur de l’intimé : Procureur général du Québec, Sainte‑Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick :
Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador : Procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, St. John’s.
Procureurs de l’intervenant le Congrès du travail du Canada : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.