COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650, 2007 CSC 15
Date : 20070323
Dossier : 30909
Entre :
Conseil des Canadiens avec déficiences
Appelant
et
Via Rail Canada Inc.
Intimée
‑ et ‑
Office des transports du Canada, Commission canadienne
des droits de la personne, Commission ontarienne des
droits de la personne, Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse, Commission des droits de la
personne du Manitoba, Saskatchewan Human Rights
Commission, Transportation Action Now, Alliance pour
l’égalité des personnes aveugles du Canada, Association
canadienne pour l’intégration communautaire, Association
des malentendants canadiens, Association canadienne des
centres de vie autonome et Réseau d’action des femmes
handicapées du Canada
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 246)
Motifs conjoints dissidents :
(par. 247 à 370)
La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel et Charron)
Les juges Deschamps et Rothstein (avec l’accord des juges Binnie et Fish)
______________________________
Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650, 2007 CSC 15
Conseil des Canadiens avec déficiences Appelant
c.
VIA Rail Canada Inc. Intimée
et
Office des transports du Canada, Commission canadienne
des droits de la personne, Commission ontarienne des
droits de la personne, Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse, Commission des droits de la
personne du Manitoba, Saskatchewan Human Rights
Commission, Transportation Action Now, Alliance pour
l’égalité des personnes aveugles du Canada, Association
canadienne pour l’intégration communautaire, Association
des malentendants canadiens, Association canadienne des
centres de vie autonome et Réseau d’action des femmes
handicapées du Canada Intervenants
Répertorié : Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc.
Référence neutre : 2007 CSC 15.
No du greffe : 30909.
2006 : 19 mai; 2007 : 23 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Décary, Sexton et Evans), [2005] 4 R.C.F. 473, 251 D.L.R. (4th) 418, 330 N.R. 337, [2005] A.C.F. no 376 (QL), 2005 CAF 79, qui a annulé des décisions de l’Office des transports du Canada. Pourvoi accueilli, les juges Binnie, Deschamps, Fish et Rothstein sont dissidents.
David Baker et Sarah Godwin, pour l’appelant.
John A. Campion, Robin P. Roddey, Annie M. K. Finn et Carole Mackaay, pour l’intimée.
Inge Green et Elizabeth Barker, pour l’intervenant l’Office des transports du Canada.
Leslie A. Reaume et Philippe Dufresne, pour l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne.
Argumentation écrite seulement par Hart Schwartz, Eric del Junco et Sylvia Davis, pour l’intervenante la Commission ontarienne des droits de la personne.
Argumentation écrite seulement par Béatrice Vizkelety et Stéphanie Fournier, pour l’intervenante la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Argumentation écrite seulement par Sarah Lugtig, pour les intervenantes la Commission des droits de la personne du Manitoba et Saskatchewan Human Rights Commission.
Argumentation écrite seulement par Debra M. McAllister et Lana Kerzner, pour les intervenantes Transportation Action Now, l’Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire et l’Association des malentendants canadiens.
Argumentation écrite seulement par David Shannon et Paul‑Claude Bérubé, pour l’intervenante l’Association canadienne des centres de vie autonome.
Argumentation écrite seulement par Melina Buckley et Fiona Sampson, pour l’intervenant le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel, Abella et Charron rendu par
1 La juge Abella — Le présent pourvoi soulève des questions au sujet de la mesure dans laquelle les personnes en fauteuil roulant peuvent être autonomes lorsqu’elles utilisent le réseau ferroviaire national.
2 La politique nationale des transports énoncée dans la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, veut que les services de transport au Canada soient accessibles aux personnes ayant une déficience. La Loi confie à l’Office des transports du Canada (« Office ») la responsabilité de déterminer s’il existe un « obstacle abusif » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Dans le cas où il conclut à l’existence d’un tel obstacle, l’Office est également chargé de déterminer quelles mesures correctives sont indiquées, conformément à la Loi et aux principes applicables en matière de droits de la personne.
3 En 1998, VIA Rail Canada Inc. a participé à la négociation et à la rédaction d’un code ferroviaire d’application volontaire. Ce document prévoyait que, dans le cas des nouvelles voitures ou de celles ayant subi un réaménagement majeur, au moins une voiture par train devrait être accessible aux personnes qui utilisent leur propre fauteuil roulant.
4 Pour remplacer son parc existant, VIA a acheté, à la fin de l’année 2000, 139 voitures de chemin de fer et des pièces de voiture qui n’étaient plus requises pour assurer le service de nuit empruntant le tunnel sous la Manche. Ces voitures, alors connues sous le nom de parc « Nightstock », ont été rebaptisées « voitures Renaissance » par VIA. Aucune de ces voitures n’était accessible aux personnes utilisant un fauteuil roulant personnel.
5 Au cours des procédures devant l’Office qui ont duré presque trois ans, et contrairement aux directives de l’Office, VIA a modifié unilatéralement les nouvelles voitures sans avoir préalablement obtenu l’approbation de ce dernier. L’Office a également demandé, à maintes reprises, à VIA de lui fournir une estimation des coûts qui lui permettrait de décider si les mesures correctives qu’il envisageait étaient raisonnables. VIA a constamment fait valoir qu’elle n’avait ni le temps ni l’argent requis pour préparer une estimation détaillée des coûts, et a demandé plusieurs fois à l’Office de rendre sa décision sans cette estimation.
6 L’Office, que VIA a réussi à convaincre de rendre sa décision finale sans disposer d’une autre estimation des coûts, a ordonné que des modifications soient apportées à 30 des 139 voitures nouvellement acquises afin qu’une voiture par train soit accessible aux personnes ayant une déficience qui utilisent leur propre fauteuil roulant.
7 Trente‑sept jours après que l’Office eut rendu sa décision finale, VIA a présenté une nouvelle estimation des coûts à la Cour d’appel fédérale dans le cadre de sa demande d’autorisation. Étant donné que VIA a choisi de ne pas fournir ces renseignements à l’Office au cours des procédures, l’estimation n’a fait l’objet d’aucune évaluation ou vérification.
8 L’Office, un organisme spécialisé, a examiné attentivement la preuve et le droit applicable avant d’imposer une mesure corrective conforme à la fois au code ferroviaire et aux normes acceptées à l’échelle internationale. Pour déterminer si la conception des voitures Renaissance représentait un obstacle abusif pour les personnes ayant une déficience, l’Office a pris en considération des facteurs habituellement associés à l’analyse de la « contrainte excessive », tels le coût, la rentabilité et la sécurité. Ce faisant, l’Office a fusionné à juste titre les principes applicables en matière de droits de la personne avec le mandat unique que lui confie la Loi. Je suis d’avis de ne pas modifier la décision de l’Office.
I. Les faits
9 VIA a complété l’achat du parc Renaissance le 1er décembre 2000 et en a accepté la livraison en 2001. Les voitures en étaient à divers stades d’assemblage au moment où VIA a acquis les droits à leur égard : 64 voitures étaient entièrement assemblées, 24 autres voitures étaient en construction et les 51 autres n’étaient pas assemblées. VIA voyait dans le parc de voitures Renaissance une occasion unique d’accroître substantiellement la taille de son parc à un coût relativement modique. Elle a payé la somme de 29,8 millions de dollars pour acheter le matériel Renaissance et, comme elle s’attendait au départ à ce que la préparation de ce matériel en vue de sa mise en service coûte 100 millions de dollars de plus, le coût total estimatif des voitures s’élevait à 129,8 millions de dollars. Au moment de l’achat, le budget d’immobilisations de VIA était de 401,9 millions de dollars.
10 Les frais prévus par VIA comprenaient les coûts liés au transport des voitures et des pièces vers le Canada, aux opérations destinées à rendre les voitures à l’épreuve des intempéries, à la modification des systèmes électriques et des systèmes de freinage, au retrait des pièces excédentaires et aux travaux de rénovation intérieure. Les travaux de rénovation intérieure consistaient notamment à agrandir le salon des voyageurs en supprimant des bureaux, à ajouter des distributeurs automatiques, à mettre hors service l’une des toilettes des voitures‑coach en vue d’accroître l’espace de rangement des bagages, à installer des prises d’ordinateur et un vestiaire dans les voitures de première classe (« VIA 1 »), à ajouter des appareils frigorifiques dans les voitures de service dans le but d’offrir le service actuel de classe VIA 1, et à retirer un siège dans chacune des voitures‑coach afin d’aménager un vestiaire. Le coût total des voitures Renaissance a atteint 139 millions de dollars.
11 Il n’y avait aucun « plan » d’amélioration de l’accessibilité au moment de l’achat des voitures. VIA prétendait que les voitures étaient suffisamment accessibles. Au lieu de procéder à des rénovations qui permettraient aux voyageurs utilisant leur fauteuil roulant personnel de subvenir eux‑mêmes à leurs besoins, elle a proposé que ses employés les transfèrent dans des fauteuils roulants de bord, leur servent leurs repas, les aident à utiliser les toilettes et leur fournissent d’autres services nécessaires. VIA a soutenu que son budget d’acquisition des voitures Renaissance ne comportait aucun poste prévoyant la réalisation de [traduction] « travaux de réaménagement ou de reconstruction majeurs » destinés à rendre les voitures plus accessibles, parce que des modifications de cette ampleur auraient « diminué ou annihilé la valeur de l’occasion qui se présentait ».
12 Le 16 novembre 2000, on a permis à des représentants du gouvernement et à des membres de groupes de défense des personnes ayant une déficience d’inspecter des modèles de voitures Renaissance en démonstration.
13 Le 4 décembre 2000, le Conseil des Canadiens avec déficiences (« CCD ») s’est fondé sur l’art. 172 de la Loi sur les transports au Canada pour présenter à l’Office une demande dans laquelle il se plaignait du manque d’accessibilité des voitures Renaissance. Les dispositions pertinentes de cet article sont rédigées ainsi :
172. (1) Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
. . .
(3) En cas de décision positive, l’Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l’obstacle en cause, ou les deux.
14 L’Office tient de l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada le mandat de remédier aux obstacles abusifs à la circulation ou aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, lequel article précise que ce mandat est un élément essentiel des services de transport :
politique nationale des transports
5. [Déclaration] Il est déclaré que, d’une part, la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs — y compris des personnes ayant une déficience — en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, et, d’autre part, que ces objectifs sont plus susceptibles de se réaliser en situation de concurrence de tous les transporteurs, à l’intérieur des divers modes de transport ou entre eux, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale, des avantages liés à l’harmonisation de la réglementation fédérale et provinciale et du contexte juridique et constitutionnel :
. . .
g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :
. . .
(ii) un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience,
. . .
15 Aux termes de la partie V de la Loi sur les transports au Canada, intitulée « Transport des personnes ayant une déficience », l’Office dispose de deux moyens d’éliminer les « obstacles abusifs » dans le réseau de transport fédéral : le pouvoir de réglementation conféré par le par. 170(1) et le pouvoir de statuer sur les plaintes prévu au par. 172(1).
16 Le paragraphe 170(1) habilite l’Office à « prendre des règlements afin d’éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport », y compris des règlements régissant « la conception et la construction des moyens de transport ainsi que des installations et locaux connexes » et les « conditions de transport applicables au transport [des] personnes ayant une déficience ». Selon le par. 172(1),
[m]ême en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
17 Lorsqu’il conclut à l’existence d’un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, l’Office peut, conformément au par. 172(3), exiger la prise de mesures correctives indiquées. Le pouvoir de réglementation conféré à l’Office et celui d’ordonner la prise de mesures correctives sont soumis au contrôle du Cabinet fédéral : art. 36 et 40.
18 Le CCD a allégué que 46 caractéristiques des voitures Renaissance constituaient des « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience : les voitures‑lits n’étaient pas accessibles aux voyageurs en fauteuil roulant; les personnes en fauteuil roulant ne pouvaient pas voyager à bord des voitures‑coach de la classe économique; les personnes en fauteuil roulant n’avaient accès qu’à des compartiments‑lits adjacents aux centres de surveillance de prisonniers ou d’immigrants en détention situés dans les voitures de service, d’où la nécessité d’utiliser des fauteuils roulants de bord étroits; les toilettes aménagées dans tous les types de voitures n’étaient pas accessibles aux fauteuils roulants personnels et les voitures Renaissance ne permettaient pas d’accommoder adéquatement les personnes ayant une déficience visuelle et celles accompagnées d’un animal aidant.
19 Croyant à tort que les voitures Renaissance n’avaient pas encore été achetées, le CCD a également demandé à l’Office de prendre, en vertu des par. 27(1) et 28(2) de la Loi sur les transports au Canada, un arrêté provisoire enjoignant à VIA de cesser toute démarche en vue de les acquérir. Après avoir appris que ces voitures avaient déjà été achetées, le CCD a cherché à empêcher VIA de conclure des contrats ou d’entreprendre d’autres travaux de construction relatifs au parc Renaissance jusqu’à ce que l’Office se prononce définitivement sur sa demande.
20 Le CCD a notamment fait valoir que VIA ne respectait pas le Code de pratiques de 1998, intitulé Accessibilité des voitures de chemin de fer et conditions de transport ferroviaire des personnes ayant une déficience (« code ferroviaire ») — un code d’application volontaire qui a été négocié et accepté par VIA et qui établit les normes minimales applicables à son réseau de transport. Aux termes du code ferroviaire, le matériel existant est assujetti à des normes moins rigoureuses afin de tenir compte du fait qu’il peut se révéler difficile, voire impossible, de rendre ce matériel plus vieux conforme aux normes d’accessibilité modernes. Des normes plus strictes s’appliquent aux nouvelles voitures ou à celles qui subissent un réaménagement majeur, la plus importante voulant que les voyageurs ayant une déficience puissent utiliser leur fauteuil roulant personnel à bord du train.
21 VIA a maintenu devant l’Office que le parc Renaissance, y compris les 75 voitures qui n’étaient pas encore entièrement assemblées, constituait du matériel existant et non du matériel nouveau ou subissant un réaménagement majeur. Elle a fait valoir que, selon les normes du code ferroviaire applicables aux voitures existantes, les nouvelles voitures Renaissance étaient suffisamment accessibles aux personnes ayant une déficience. Elle a donc prétendu qu’elle n’était pas tenue de les réaménager afin d’en améliorer l’accessibilité conformément aux exigences applicables aux nouvelles voitures ou à celles subissant un réaménagement majeur.
22 VIA a affirmé, en réalité, que les voitures Renaissance contribuaient à offrir aux passagers ayant une déficience plus d’options et de choix de voyage du fait qu’elles présentaient une accessibilité différente de celle de son parc existant et que les « personnes ayant une déficience qui ne [voulaient] pas utiliser les trains Renaissance [pouvaient] continuer à utiliser le parc ferroviaire existant [. . .] pour répondre à leurs besoins de voyage » (décision OTC no 175-AT-R-2003, p. 56).
23 VIA entendait toutefois remplacer son parc existant par des voitures Renaissance sur certains de ses parcours, et ce, à compter de 2003.
24 Dans le parc existant, une voiture par train était accessible aux fauteuils roulants personnels. À cette fin, VIA utilisait ses voitures VIA 1 qu’elle avait réaménagées afin de les rendre accessibles aux fauteuils roulants personnels. Une zone de « dispositif de retenue » avait été aménagée.
25 Le CCD voulait qu’une zone de même dimension soit disponible dans les voitures Renaissance, parce qu’elle répondait adéquatement aux besoins des personnes ayant une déficience. De plus, bien que leur superficie soit beaucoup plus modeste que celle des toilettes des voitures de service Renaissance, les toilettes des voitures VIA 1 du parc existant avaient néanmoins été réaménagées de manière à être accessibles aux fauteuils roulants personnels. Le parc existant accommodait également les personnes ayant une déficience qui voyageaient avec un animal aidant.
II. Les procédures devant l’Office
A. Enquête de l’Office
26 Le 24 janvier 2001, l’Office a rejeté la demande du CCD visant à obtenir un arrêté provisoire touchant le contrat d’achat des voitures Renaissance de VIA. Il a cependant demandé à VIA de s’engager à ne conclure aucun contrat de construction, de fabrication ou de réaménagement des voitures Renaissance avant qu’il ait rendu sa décision finale, et de lui fournir tous les détails concernant son contrat d’achat et les autres contrats conclus à l’égard de ces voitures.
27 En janvier 2001, VIA a déposé une copie incomplète du contrat d’achat — expurgée des données financières — et a demandé qu’elle demeure confidentielle. Elle a informé l’Office qu’elle n’avait pas encore conclu de contrat de construction, de fabrication ou de réaménagement des voitures Renaissance, tout en soutenant, à maintes reprises, qu’aucun plan de réaménagement ne serait disponible avant au moins la fin du mois d’août 2001. VIA prévoyait, dans un premier temps, mettre en service 24 voitures Renaissance (« voitures Renaissance de la phase I ») en décembre 2001, et ensuite d’autres voitures au fur et à mesure qu’elles seraient prêtes à être mises en service.
28 La prévision de VIA selon laquelle aucun plan de réaménagement ne serait disponible avant août 2001 signifiait que l’Office serait incapable de terminer son enquête sur la demande du CCD, déposée le 4 décembre 2000, dans le délai de 120 jours prescrit par le par. 29(1) de la Loi sur les transports au Canada, lequel est ainsi rédigé :
29. (1) Sauf indication contraire de la présente loi ou d’un règlement pris en vertu du paragraphe (2) ou accord entre les parties sur une prolongation du délai, l’Office rend sa décision sur toute affaire dont il est saisi avec toute la diligence possible dans les cent vingt jours suivant la réception de l’acte introductif d’instance.
29 La date d’échéance aurait été le 3 avril 2001. Dans une décision datée de ce jour, l’Office a fait remarquer que le retard était dû à des questions de procédure et de compétence soulevées par les parties et au fait qu’il attendait que VIA dépose des renseignements qui, selon elle, n’étaient pas encore disponibles. Par conséquent, l’Office a décidé qu’il demeurait compétent pour examiner la demande du CCD, malgré l’expiration du délai prescrit par la Loi. Ce faisant, il s’est fondé sur l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Ferroequus Railway Co., [2002] A.C.F. no 762 (QL), 2002 CAF 193, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que le par. 29(1) était de nature directive et non impérative.
30 Le 24 avril 2001, VIA a demandé à la Cour d’appel fédérale l’autorisation d’interjeter appel contre la décision de l’Office rendue le 3 avril 2001. Elle a obtenu une suspension des procédures devant l’Office jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa demande d’autorisation.
31 Le 25 mai 2001, le Chronicle Journal de Thunder Bay a publié un article selon lequel VIA avait conclu avec Bombardier Inc. un contrat de réaménagement et de modification des voitures Renaissance. On pouvait lire que [traduction] « Bombardier procédera[it] au réaménagement et à la modification des voitures à son usine de Thunder Bay » et l’on citait un porte‑parole de Bombardier qui affirmait que le contrat était évalué à 9,8 millions de dollars et qu’un autre contrat était en cours de négociation. Le 28 mai 2001, le CCD a déposé cet article auprès de l’Office afin de prouver que VIA ne respectait pas l’arrêté de l’Office l’enjoignant de fournir des renseignements concernant le calendrier et les modalités de tout projet de construction et de réaménagement, en plus de solliciter un arrêté provisoire suspendant le processus de réaménagement. L’Office a alors demandé à VIA de commenter l’exactitude de cet article de journal.
32 VIA a répondu à cette demande en tentant de faire déclarer l’Office coupable d’outrage au tribunal pour avoir dérogé à la suspension des procédures ordonnée par la Cour d’appel fédérale. Le 8 juin 2001, après que la Cour d’appel fédérale eut rejeté sa demande d’autorisation d’appel, VIA a retiré sa requête pour outrage.
33 Dans une décision datée du 29 juin 2001, l’Office a de nouveau ordonné à VIA de déposer une copie de son contrat avec Bombardier, ainsi que les annexes de son contrat d’achat qu’elle n’avait pas produites lors de son dépôt initial. VIA a obtempéré en demandant de nouveau que ces documents demeurent confidentiels. L’Office a, pour sa part, rejeté la demande du CCD visant à obtenir un arrêté provisoire suspendant le processus de réaménagement, mais il a prévenu VIA que, si elle donnait suite au contrat de Bombardier avant qu’il ait décidé ce qu’il fallait faire, elle ne pourrait pas se plaindre subséquemment que l’assemblage des voitures et les modifications qu’elle aurait effectuées unilatéralement rendraient trop coûteuse toute décision que l’Office pourrait éventuellement rendre.
34 Le 20 septembre 2001, l’Office a organisé une visite des voitures Renaissance à Montréal et a préparé un rapport d’inspection avec le concours des parties. Ce rapport d’inspection consistait en une description factuelle des dimensions et des caractéristiques d’accessibilité des voitures Renaissance et en une description des modifications effectuées unilatéralement par VIA.
35 Trois types de voitures Renaissance ont été inspectés : des voitures‑lits destinées au service de nuit, des voitures‑coach de la classe économique utilisées pour les trajets réguliers et des voitures de service comportant un salon et une suite de nuit réservée aux voyageurs en fauteuil roulant. Le rapport a révélé que, tout comme dans le parc existant de VIA, les voyageurs en fauteuil roulant de quelque dimension que ce soit étaient incapables d’entrer dans les compartiments‑lits des voitures‑lits standard du parc Renaissance. La largeur du couloir ne permettait pas d’utiliser un fauteuil roulant personnel standard.
36 Les voitures‑coach de la classe économique du parc Renaissance ont été jugées moins accessibles que les voitures VIA 1 existantes, qui avaient été réaménagées de manière à offrir une zone de dispositif de retenue pouvant accueillir des fauteuils roulants personnels de grande dimension, ainsi que des toilettes accessibles aux fauteuils roulants personnels. Cependant, les fauteuils roulants personnels ne pouvaient être admis, pendant le jour, que dans les voitures VIA 1 du parc existant qui avaient été réaménagées, et pendant la nuit, que si le passager se contentait de passer la nuit dans son fauteuil roulant.
37 Les voitures Renaissance étaient complètement inaccessibles aux fauteuils roulants personnels. Chaque voiture Renaissance de la classe économique comportait trois toilettes, dont aucune n’était accessible aux fauteuils roulants. Un dispositif de « retenue pour fauteuil roulant », servant à arrimer le fauteuil au plancher de la voiture, avait été installé. Toutefois, les dimensions de cette zone ne permettaient pas d’accueillir les fauteuils roulants personnels standard. La preuve soumise à l’Office indiquait que la zone du dispositif de retenue ne pouvait accueillir que le plus petit modèle de fauteuil roulant qui correspond au fauteuil roulant pour enfant.
38 En outre, à la différence du parc existant de VIA, où les passagers ayant une déficience pouvaient voyager avec d’autres passagers à bord des voitures‑coach VIA 1, c’étaient principalement les voitures de service du parc Renaissance qui devaient accueillir les voyageurs en fauteuil roulant. Il s’agissait de voitures spéciales comportant des bureaux et des salons où les voyageurs pouvaient se procurer des rafraîchissements et ranger leurs bagages.
39 Chaque train devait comporter une voiture de service disposant d’un compartiment‑lit complet séparé du salon des voyageurs. VIA a appelé ce compartiment‑lit la « suite accessible ». Aucune section des voitures de service, y compris la suite accessible, n’était accessible aux voyageurs utilisant leur fauteuil roulant personnel, du fait que les portes de la « suite accessible » et des toilettes étaient trop étroites pour qu’un fauteuil roulant personnel puisse passer, et que, même s’il pouvait passer, il n’y avait pas suffisamment d’espace pour le manœuvrer ou le faire tourner dans ces pièces. Les fauteuils roulants personnels des voyageurs devaient être placés dans un espace de rangement situé près de la « suite accessible » ou, si VIA avait besoin de cet espace pour réfrigérer des aliments et des boissons destinés aux passagers des voitures VIA 1, dans la voiture servant au transport des bagages.
40 Le 16 janvier 2002, l’Office a accueilli la requête de VIA visant à obtenir l’autorisation de présenter une plaidoirie avant qu’il rende sa décision préliminaire. L’audition de cette plaidoirie a eu lieu le 8 avril 2002.
41 Le 23 juin 2002, VIA a commencé à utiliser les voitures Renaissance.
42 Le 22 juillet 2002, l’Office a demandé à VIA de confirmer certaines mesures prises des toilettes de la « suite accessible ». VIA a informé l’Office que ces mesures ne correspondaient plus à celles qui avaient fait l’objet d’un commun accord dans le rapport d’inspection de l’Office.
43 L’Office a également appris que VIA avait modifié certaines caractéristiques essentielles d’accessibilité, et avait notamment élargi de seulement 2 ou 3 cm les deux portes coulissantes de la « suite accessible ». Cette modification, effectuée à l’insu de l’Office, était insuffisante pour rendre la « suite accessible » accessible aux fauteuils roulants personnels, en dépit du fait que VIA avait adhéré aux normes du code ferroviaire. VIA a affirmé que l’élargissement des portes pour satisfaire aux normes du code ferroviaire, bien que possible, n’était pas raisonnable du fait que cela exigerait une [traduction] « reprise complète de la conception de la porte, du retrait de porte et du module qui abrite actuellement le bouton de commande », ainsi que le retrait de couchettes.
44 Dans une décision datée du 14 août 2002, l’Office s’est dit « extrêmement mécontent » devant ce qu’il a assimilé à une dissimulation d’éléments de preuve, à savoir le fait « que VIA n’ait pas tenu l’Office informé des modifications qui influ[ai]ent sur le mandat même que l’Office [était] appelé à exercer » (décision OTC no LET‑AT‑R‑232‑2002).
45 Comme les modifications que VIA avait apportées aux voitures à l’insu de l’Office avaient créé une disparité entre les renseignements que celui‑ci possédait au sujet des voitures Renaissance et l’état véritable de ces voitures, l’Office a procédé à une deuxième inspection des voitures le 16 septembre 2002. Cette inspection a permis de constater qu’en plus d’avoir légèrement élargi les portes, VIA avait apporté un certain nombre d’autres changements aux voitures Renaissance, dont l’agrandissement du salon des voitures de service. Parce que les parties contestaient certaines mesures, une troisième inspection a eu lieu le 26 novembre 2002.
B. Décision préliminaire de l’Office (no 175‑AT‑R‑2003)
46 Le 27 mars 2003, l’Office a rendu une décision préliminaire détaillée de 150 pages qui reposait sur l’objectif de disposer d’une voiture accessible par train.
47 Cette décision préliminaire a pris la forme d’une ordonnance de « justification ». Dans cette ordonnance, VIA était appelée à expliquer, au plus tard le 26 mai 2003, pourquoi les obstacles qualifiés de potentiellement abusifs par l’Office n’étaient pas, en réalité, des obstacles abusifs. Ce processus de justification était la façon choisie par l’Office pour évaluer la contrainte que VIA pourrait subir si elle devait éliminer ces obstacles.
48 L’Office a relevé, dans le parc Renaissance, cinq problèmes majeurs qui, pour la plupart, se posaient dans les zones des voitures que VIA avait elle‑même ciblées expressément pour répondre aux besoins des voyageurs ayant une déficience. Ces problèmes ont amené l’Office à qualifier 14 obstacles de potentiellement abusifs.
49 Le processus de justification remplissait deux fonctions cruciales. Premièrement, il offrait à VIA « une dernière occasion de fournir des preuves précises pour justifier les raisons pour lesquelles l’Office ne devrait pas conclure » que les 14 obstacles qu’il avait relevés étaient abusifs, et de donner des renseignements sur la faisabilité et le coût des mesures correctives envisagées par l’Office (p. 6). Jusque‑là, VIA n’avait fourni que des renseignements généraux concernant ses exigences opérationnelles, économiques et structurales. L’Office a fait remarquer que « VIA pourrait présenter certains arguments spécifiques relativement aux conclusions préliminaires de l’Office » (p. 159).
50 Deuxièmement, VIA était également appelée à produire des réponses aux questions précises de l’Office concernant les mesures correctives possibles sur les plans structural, économique et opérationnel. VIA avait ainsi l’occasion de participer avec l’Office à l’accommodement des voyageurs ayant une déficience en trouvant des solutions potentielles, en formulant des observations sur les solutions proposées par le CCD et en établissant un plan de redressement.
51 Dans sa décision préliminaire, en plus de se livrer à une analyse détaillée de la nécessité de prendre des mesures destinées à améliorer l’accessibilité, tel l’aménagement de toilettes accessibles et de zones de dispositifs de retenue pour fauteuils roulants, l’Office a souligné l’importance d’assurer que les personnes ayant une déficience qui utilisent leur propre fauteuil roulant puissent avoir accès aux aménagements expressément conçus pour répondre à leurs besoins. Sous réserve des contraintes structurales et économiques, l’Office était d’avis qu’« il [était] inacceptable qu’une personne ayant une déficience soit privée de son aide à la mobilité dans une zone des trains Renaissance destinée aux personnes ayant une déficience, y compris les personnes qui utilisent un fauteuil roulant » (p. 121).
52 En avril 2003, VIA a demandé l’autorisation d’interjeter appel contre la décision préliminaire sous forme d’ordonnance de « justification » rendue par l’Office.
53 Le 26 mai 2003, alors que sa demande d’autorisation d’appel était pendante, VIA a réagi à l’ordonnance de « justification » de l’Office au moyen d’une lettre de trois pages. À son avis, [traduction] « il n’[était] pas raisonnable d’obliger VIA Rail à modifier les voitures ».
54 VIA a commencé par aborder certaines préoccupations du CCD relatives à la sécurité des personnes ayant une déficience, soulignant que [traduction] « la Direction de l’équipement et de l’exploitation faisant partie de la Direction de la sécurité ferroviaire a[vait] décidé que les voitures Renaissance ne présentaient aucun problème de sécurité ».
55 VIA a estimé que « le coût total et le manque à gagner de la réalisation des travaux mentionnés dans la demande de justification dépass[erai]ent 35 millions de dollars ». VIA a écrit que cela représentait sa « meilleure estimation pour répondre à la demande de justification ». Elle a ajouté qu’elle pouvait « justifier ses coûts estimatifs », sans toutefois assortir sa réponse d’une preuve de cette nature.
56 Le 29 mai 2003, trois jours après que VIA eut réagi à l’ordonnance de justification, le CCD a écrit à l’Office pour l’informer que, contrairement aux affirmations de VIA selon lesquelles aucun problème de sécurité ne se posait, la Direction de la sécurité ferroviaire de Transports Canada avait ordonné à VIA de déplacer les toilettes des voitures‑coach Renaissance de la classe économique parce qu’elles étaient situées dans une « zone de déformation » qui présentait des risques. Même si aucune décision finale n’avait été rendue au sujet de la manière d’effectuer les modifications obligatoires, le CCD a informé l’Office que Transports Canada avait approuvé trois plans de redressement possibles. L’un d’eux prévoyait l’aménagement de toilettes accessibles dans chaque voiture‑coach (« option 3 »). Le CCD a cependant été informé que VIA entendait mettre en œuvre un plan différent et moins coûteux, qui n’améliorait pas les caractéristiques d’accessibilité des voitures‑coach (« option 1 »).
57 Le 9 juin 2003, l’Office a rendu une décision dans laquelle il informait VIA que sa réponse du 26 mai 2003 à la décision préliminaire manquait de précisions et d’éléments justificatifs et était invérifiable. Dans cette décision, l’Office a réitéré son ordonnance de justification initiale et donné à VIA 60 jours supplémentaires pour préparer une réponse.
58 Il a aussi fait deux autres demandes à VIA en prescrivant pour chacune un délai de réponse précis. Premièrement, VIA devait fournir, au plus tard le 13 juin 2003, les éléments « justifiant » l’estimation des coûts qu’elle n’avait pas inclus dans sa réponse à l’ordonnance de justification rendue par l’Office. Deuxièmement, VIA devait, au plus tard le 23 juin, examiner la question de l’option 3 envisagée par Transports Canada et expliquer pourquoi cette option ne pourrait pas être mise en œuvre.
59 Le 3 juillet 2003, ces deux délais avaient expiré sans que VIA n’ait produit une réponse. Les éléments « justificatifs », que VIA avait dit à l’Office avoir en sa possession dans sa lettre du 26 mai, n’ont pas été fournis. VIA n’a également présenté aucune preuve démontrant pourquoi l’option 3 ne devrait pas être mise en œuvre.
60 Comme il pouvait le faire en vertu de sa loi habilitante, l’Office a fait homologuer par la Cour fédérale la décision préliminaire qu’il avait réitérée le 9 juin 2003. Il a informé VIA qu’il intenterait des poursuites pour outrage si elle ne soumettait pas, au plus tard le 14 juillet 2003, les renseignements supplémentaires qu’il lui avait demandés. VIA devait toujours répondre à l’ordonnance de justification initiale avant l’expiration du délai prolongé, soit le 8 août 2003.
61 VIA a répondu le 14 juillet 2003. Elle a fourni les éléments justifiant l’estimation des coûts des modifications que l’Office envisageait à l’égard des accoudoirs et des zones de dispositif de retenue. Elle a également soumis des copies des trois plans relatifs aux options 1, 2 et 3 qu’elle avait établis pour Transports Canada, ainsi qu’un tableau des avantages et inconvénients pour chacune de ces options.
62 Aucun renseignement précis n’a été fourni à l’Office au sujet du coût de ces options, mais les documents indiquaient que le coût de l’option 3, prévoyant l’ajout de toilettes accessibles aux fauteuils roulants dans les voitures‑coach Renaissance, serait deux fois et demie plus élevé que celui de l’option 1. VIA a fait valoir, dans un seul paragraphe, que l’option 3 ne pouvait pas être mise en œuvre parce qu’un plan plus détaillé demeurait nécessaire, qu’elle risquait de subir une perte de revenus excessive de 24,2 millions de dollars et que, même si les coûts directs de cette mise en œuvre n’avaient pas été quantifiés, elle n’avait pas, de toute façon, les moyens de les acquitter.
63 VIA a dit à l’Office qu’elle comptait mettre en œuvre l’option 1 à l’automne 2003. Selon cette option, qui représentait la solution la moins coûteuse, les toilettes qui présentaient des risques seraient remplacées par un vestiaire.
64 VIA a également informé l’Office qu’elle n’était pas en mesure de se conformer davantage à l’ordonnance de justification. Elle a affirmé qu’elle ne disposait pas de l’expertise interne nécessaire pour donner suite à la décision préliminaire de l’Office, qu’il lui faudrait plus que 60 jours pour faire préparer l’estimation des coûts et que le gouvernement ne lui avait pas fourni les fonds dont elle avait besoin pour répondre aux demandes de l’Office.
65 VIA n’a pas demandé plus de temps pour obtempérer.
66 Le 7 août 2003, VIA a de nouveau indiqué à l’Office qu’elle ne se conformerait pas davantage à sa décision préliminaire. Elle a écrit : [traduction] « VIA Rail propose respectueusement ce qui suit. Elle demande la tenue d’une audience, si nécessaire. Sinon, elle demande à l’Office d’examiner l’ensemble de ces questions, faits et estimations et de rendre sa décision finale. »
67 L’Office a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir une deuxième audience parce que « VIA n’a pas démontré l’utilité de poursuivre l’exercice fastidieux et coûteux que constitue la tenue d’une audience à ce moment‑ci, que ce soit pour permettre à VIA d’expliquer pourquoi elle n’a pas fourni les preuves requises ou pour lui donner l’occasion de produire des preuves qui auraient dû être soumises par écrit au cours du processus de plaidoiries ou en réponse aux demandes de justification » (décision finale, p. 14).
C. Décision finale de l’Office (no 620‑AT‑R‑2003)
68 Face au refus persistant de VIA de produire les estimations et les réponses nécessaires, même si elle avait eu du 27 mars au 8 août pour le faire, et en l’absence de toute demande de sa part visant à obtenir un délai supplémentaire pour préparer ces renseignements, l’Office a accédé à sa demande et a rendu, le 29 octobre 2003, sa décision finale en se fondant sur le dossier dont il disposait.
69 Dans sa décision finale rédigée par les membres Marian L. Robson et Michael Sutton, l’Office a ordonné à VIA de mettre en œuvre six mesures correctives, dont cinq comportaient un réaménagement des voitures Renaissance qui entraînait des coûts. Toutes ces mesures avaient été décrites par l’Office au moment où il a réitéré sa décision préliminaire le 9 juin 2003 :
· Afin qu’une voiture sur chaque train de jour soit accessible aux voyageurs utilisant leur propre fauteuil roulant, VIA a reçu l’ordre d’aménager dans 13 voitures‑coach de la classe économique des toilettes accessibles aux voyageurs en fauteuil roulant, ainsi qu’une zone de dispositif de retenue (c’est‑à‑dire mettre en œuvre l’option 3).
· Afin qu’une voiture sur chaque train de nuit offre un compartiment‑lit accessible, VIA a reçu l’ordre d’élargir une embrasure de porte et d’installer un dispositif d’arrimage au plancher du fauteuil roulant personnel d’un voyageur (un « dispositif de retenue pour fauteuil roulant ») dans le compartiment‑lit séparé qui est situé dans chacune des 17 « voitures de service » abritant la « suite accessible ».
· L’Office a également enjoint à VIA d’apporter à un plus grand nombre de voitures plusieurs des modifications qu’elle avait déjà effectuées ou commencé à effectuer. Ces modifications — abaissement d’un siège double dans 33 voitures de la classe économique, installation de deux accoudoirs mobiles dans 47 voitures‑coach et fermeture des contremarches dans 12 voitures — permettraient d’accommoder les passagers voyageant avec un animal aidant, les passagers pouvant et souhaitant être transférés dans un siège standard de voiture‑coach, et les passagers qui pourraient avoir de la difficulté à monter ou à descendre les escaliers d’entrée.
70 L’Office a conclu que le coût net des travaux que VIA devrait effectuer pour régler les problèmes de sécurité relevés par Transports Canada et rendre 13 voitures‑coach de la classe économique accessibles aux personnes utilisant leur fauteuil roulant personnel n’excéderait pas la somme de 673 400 $ à titre de coûts directs, plus 16 988 $ de perte de revenus provenant des voyageurs.
71 Il s’agissait de la mesure corrective la plus dispendieuse ordonnée par l’Office. Son coût était comparable à ce que VIA était disposée à payer annuellement pour accommoder les voyageurs portant un manteau.
D. Procédures devant la Cour d’appel fédérale
72 VIA a demandé l’autorisation d’interjeter appel contre les décisions préliminaire et finale de l’Office. Pour appuyer sa demande, elle a soumis à la Cour d’appel fédérale un rapport préparé par Peter Schrum de Bombardier Inc., à qui elle avait demandé d’examiner la décision finale de l’Office et de préparer une estimation du coût global des mesures correctives ordonnées par ce dernier. Selon le rapport Schrum, la mise en œuvre de la décision finale de l’Office coûterait au moins 48 millions de dollars. Ce rapport était daté du 5 décembre 2003, soit moins de 40 jours après la décision finale de l’Office. L’autorisation a été accordée le 10 mars 2004.
73 La Cour d’appel fédérale a convenu à l’unanimité que la détermination par l’Office des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience pouvait faire l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère manifestement déraisonnable ([2005] 4 R.C.F. 473, 2005 CAF 79). Le juge Sexton (avec l’appui du juge Décary) a conclu que, compte tenu de son expertise, de son mandat et de la présence d’une clause privative rigoureuse, l’Office avait droit à un degré élevé de déférence. Souscrivant au résultat, le juge Evans a convenu que la multiplicité des facteurs et des intérêts à apprécier, les aspects techniques de certaines questions soumises à l’Office et l’obligation de ce dernier d’exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur la preuve et les critères légaux relèvent tous du mandat spécialisé de l’Office et doivent faire l’objet d’une grande déférence.
74 Le juge Sexton a toutefois conclu que l’Office était assujetti à la norme de la décision correcte en interprétant le pouvoir d’entendre la demande du CCD que lui conférait l’art. 172, une disposition de la loi habilitante de l’Office qui, selon lui, soulevait une question de compétence. Il a décidé qu’en l’absence d’une plainte fondée sur une expérience vécue par un voyageur, le pouvoir de l’Office d’agir en vertu de l’art. 172 soulevait une question d’interprétation législative relevant de l’expertise des tribunaux, et non de l’Office, parce qu’elle mettait en cause des droits de la personne. Selon le juge Sexton, ces facteurs, y compris l’existence d’un droit d’appel avec autorisation prévu par la Loi, indiquaient que l’interprétation que l’Office donnait de sa compétence conférée par l’art. 172 pouvait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte qui fait appel à une moins grande déférence.
75 La Cour d’appel fédérale a conclu à l’unanimité que l’Office avait eu raison de décider que l’art. 172 lui conférait le pouvoir d’instruire la plainte du CCD.
76 Quant à la façon dont l’Office a exercé cette compétence conférée par l’art. 172, le juge Sexton a toutefois critiqué les conclusions de l’Office selon lesquelles les obstacles des voitures Renaissance étaient abusifs. Il a conclu que la décision avait été rendue sans tenir compte de l’ensemble du réseau de VIA, des intérêts des personnes n’ayant pas de déficience et des intérêts des personnes ayant une déficience autres que les utilisateurs d’un fauteuil roulant. Il n’était pas d’accord avec la conclusion de l’Office selon laquelle aucun élément de preuve versé au dossier n’étayait l’opinion de VIA voulant que son réseau existant permette de contourner les obstacles des voitures Renaissance. Le juge Sexton a souligné que, bien que l’Office ait précisé qu’il tentait d’établir un juste équilibre entre les droits des personnes ayant une déficience et ceux des fournisseurs de services de transport conformément à l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada, il n’avait pas bien soupesé les intérêts opposés lorsqu’il a décidé que les modifications structurales des voitures Renaissance étaient la mesure corrective indiquée. Estimant que cette décision était manifestement déraisonnable, le juge Sexton l’a annulée et a renvoyé l’affaire à l’Office pour qu’il la réexamine.
77 Le juge Evans n’était « pas convaincu que, ayant examiné les observations de VIA concernant son réseau, l’Office a[vait] commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a[vait] conclu dans la décision préliminaire que les obstacles aux possibilités de déplacement des personnes en fauteuil roulant constatés dans les voitures Renaissance étaient “abusifs” » (par. 98). Selon lui, l’Office pouvait conclure que la preuve n’établissait pas que le parc ou réseau existant permettrait de contourner les obstacles qu’il avait constatés dans les voitures Renaissance. La preuve démontrait qu’au fil du temps les voitures du parc existant seraient retirées, qu’aucune des voitures Renaissance n’était accessible aux utilisateurs d’un fauteuil roulant personnel et que VIA avait sous‑estimé le nombre de voyageurs touchés parce qu’elle n’avait pas tenu compte du nombre de voyageurs ayant une déficience qui utiliseraient les services de VIA si ses trains étaient plus accessibles.
78 Soulignant que le contrôle selon la norme du caractère manifestement déraisonnable ne permet pas à la cour qui l’effectue d’intervenir simplement parce qu’elle aurait évalué différemment les facteurs et les éléments de preuve pertinents, le juge Evans s’est dit d’avis que les choix que l’Office avait faits quant aux éléments à soupeser n’étaient manifestement pas déraisonnables compte tenu de la preuve dont il disposait.
79 Toutefois, la Cour d’appel fédérale a estimé à l’unanimité que, après avoir décrit les modifications qu’il croyait nécessaires, l’Office avait violé le droit de VIA à l’équité procédurale en ne lui donnant pas une possibilité suffisante de répondre à ses demandes de renseignements sur les coûts et la faisabilité.
80 VIA n’avait pas directement avancé cet argument de l’équité procédurale devant la Cour d’appel fédérale. Elle avait plutôt fait valoir, comme moyen d’appel, que l’Office avait commis une erreur de droit en qualifiant les obstacles d’« abusifs » avant qu’elle ait pu obtenir une estimation du coût des mesures correctives effectuée par des experts. Son argument de l’équité procédurale, qui était un moyen distinct et ne portait que sur le refus de l’Office de tenir une deuxième audience, a été rejeté par la cour à la majorité. Selon le juge Sexton, la décision d’accorder ou de refuser la tenue d’une audience relevait du pouvoir discrétionnaire de l’Office.
81 Pour arriver à la conclusion que le droit de VIA à l’équité procédurale avait été violé lorsque l’Office a rendu une décision finale sans lui donner la possibilité de fournir une estimation des coûts, la Cour d’appel fédérale a fusionné différents moyens d’appel invoqués par VIA.
82 La cour a donc accueilli l’appel de VIA et renvoyé l’affaire à l’Office pour qu’il la réexamine à la lumière de l’analyse fondée sur le réseau préconisée par les juges majoritaires ainsi que du « nouvel élément de preuve », à savoir le rapport Schrum, produit en appel par VIA.
III. Analyse
A. Norme de contrôle
83 L’Office a décidé qu’il y avait dans les voitures du parc Renaissance de VIA des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et il a ordonné que des mesures correctives soient prises en vue de remédier aux problèmes qu’il avait décelés. Ce faisant, l’Office agissait en vertu des par. 172(1) et 172(3) de la Loi sur les transports au Canada, que je reproduis ici pour en faciliter la consultation :
172. (1) Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1)* pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
. . .
(3) En cas de décision positive, l’Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l’obstacle en cause, ou les deux.
84 VIA avait fait valoir que le par. 172(1) ne conférait pas à l’Office le pouvoir d’enquêter sur une plainte non fondée sur une expérience vécue par un voyageur. Les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont retenu le point de vue de VIA, selon lequel le par. 172(1) était limitatif de compétence, parce qu’il tenait à des questions d’interprétation législative et de droits de la personne.
85 Selon le juge Sexton, l’art. 172, qui figure dans la partie V de la Loi sur les transports au Canada, compte parmi les différentes dispositions qui « comportent un aspect relatif aux droits de la personne » et commandent un « degré de déférence moindre » (par. 25).
86 Le juge Sexton s’est fondé sur l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office des Transports), [2003] 4 C.F. 558, 2003 CAF 271, pour établir une distinction entre l’expertise de l’Office en matière réglementaire et son expertise en matière de droits de la personne. À son avis, la question du pouvoir de l’Office d’instruire la plainte du CCD touchait à la protection des droits de la personne et dépendait d’une interprétation législative qui ne relevait pas du domaine d’expertise de l’Office. Il a décidé que ces facteurs, dont l’existence d’un droit d’appel avec autorisation prévu par la Loi, indiquaient que l’interprétation que l’Office donnait de la compétence qu’il tenait de l’art. 172 pouvait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte qui fait appel à une moins grande déférence, ce qui permettait à la cour de substituer la réponse qu’elle estimait correcte à celle de l’Office.
87 Comme nous l’avons vu, la Cour d’appel fédérale a toutefois décidé à l’unanimité que l’Office avait eu raison de conclure qu’il avait compétence en vertu de l’art. 172 pour instruire la plainte du CCD.
88 La Cour d’appel fédérale a aussi conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’Office sur la question de savoir si un obstacle est abusif est celle de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d’accord. Cependant, je ne partage pas l’opinion des juges majoritaires selon laquelle VIA a soulevé une question préliminaire de compétence qui ne relevait pas de l’expertise de l’Office et qui était donc assujettie à une norme de contrôle différente. Une telle approche risque de détruire l’essence de la décision et de miner la caractéristique même de l’Office qui lui donne droit au plus haut degré de déférence de la part d’une cour de justice — son expertise. Elle ne tient pas compte de la mise en garde formulée par le juge Dickson dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, selon laquelle les tribunaux judiciaires « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (p. 233).
89 Si chaque disposition de la loi habitante d’un tribunal administratif devait être traitée comme si elle avait des conséquences sur le plan de la compétence qui autoriseraient une cour de justice à substituer ce qu’elle estime être la juste interprétation à donner, le rôle du tribunal administratif se limiterait en réalité à constater des faits. Le contrôle judiciaire ou l’examen en appel sera [traduction] « mieux guidé par une appréciation des opinions du tribunal administratif qui œuvre quotidiennement dans le domaine pertinent » : D. Mullan, « Tribunals and Courts — The Contemporary Terrain : Lessons from Human Rights Regimes » (1999), 24 Queen’s L.J. 643, p. 660. Tout comme ils « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard », les tribunaux judiciaires devraient également s’abstenir de faire abstraction de l’expertise qu’un tribunal administratif peut mettre à profit lorsqu’il s’agit d’interpréter sa loi habilitante et de définir l’étendue du pouvoir que la loi en question lui confère.
90 L’article 172 fait partie de la loi habitante de l’Office, qui établit le cadre de compétence dans lequel l’Office est censé exercer son expertise. Il est un bon exemple de disposition qui reflète [traduction] « une décision claire et bien arrêtée du législateur de recourir à une attribution de pouvoir subjective et illimitée [ayant] pour effet d’élargir la compétence de l’organisme à qui le pouvoir est délégué et, partant, de réduire l’étendue du contrôle judiciaire de la légalité de ses actes » : D. P. Jones et A. S. de Villars, Principles of Administrative Law (4e éd. 2004), p. 140.
91 Dans l’arrêt Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, par. 18, notre Cour a affirmé ceci :
Le critère servant à déterminer si la disposition en cause est une disposition limitative de compétence est le suivant : La question soulevée par la disposition est‑elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission? [. . .] Des facteurs comme l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, son domaine d’expertise et la nature du problème qui lui est soumis sont tous pertinents pour déterminer l’intention du législateur.
Cette approche, confirmée par le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 26, réitère l’observation du juge Beetz dans l’arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 :
La notion de condition préalable détourne les tribunaux du véritable problème du contrôle judiciaire : elle substitue la question « S’agit‑il d’une condition préalable à l’exercice du pouvoir du tribunal? » à la seule question qu’il faut se poser, « Le législateur a‑t‑il voulu qu’une telle matière relève de la compétence conférée au tribunal? » [p. 1087]
92 Le tribunal administratif qui a le pouvoir de trancher des questions de droit a aussi le pouvoir de trancher des questions d’interprétation de sa loi habilitante, peu importe que celles‑ci fassent également intervenir des questions de droits de la personne. Dans l’arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, 2003 CSC 28, par. 86, le juge Bastarache, dissident, souligne que « le large contexte d’élaboration de politiques de l’organisme spécialisé inspire sa démarche d’interprétation législative, de sorte que l’application de sa loi habilitante n’est plus une question d’“interprétation législative pure”. Lorsque sa loi habilitante est en cause, l’organisme spécialisé sera plus qualifié que la cour ». Voir aussi l’arrêt Pushpanathan, par. 37.
93 La loi habilitante de l’Office démontre clairement que le législateur voulait que l’interprétation par l’Office de son pouvoir d’instruire la demande du CCD relève clairement de sa compétence et de son évaluation à titre d’expert. Aux termes du par. 172(1), « l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) ». Le paragraphe 170(1) donne à l’Office le pouvoir discrétionnaire de « prendre des règlements afin d’éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement ». Il énumère ensuite quatre domaines particuliers dans lesquels l’Office peut prendre des règlements, mais cette liste n’est pas exhaustive. Le législateur a plutôt accordé à l’Office le pouvoir discrétionnaire de décider si des règlements visant à éliminer tous obstacles abusifs dans le système de transport fédéral pouvaient être pris, sans pour autant limiter son pouvoir discrétionnaire de relever les questions précises que ces règlements pourraient régir.
94 Lorsqu’il a acquiescé à la demande du CCD, l’Office s’est fondé sur son pouvoir explicite de prendre des règlements concernant « la conception et la construction des moyens de transport ainsi que [. . .] leur modification » et les « conditions de transport applicables au transport [des] personnes ayant une déficience », prévues aux al. 170(1)a) et c), pour conclure qu’il avait compétence pour instruire la plainte du CCD. Comme la demande du CCD concernait clairement « la conception et la construction [. . .] ainsi que [la] modification » des voitures Renaissance, et les « conditions de transport » auxquelles sont confrontées les personnes ayant une déficience, ce moyen d’appel ne soulève, compte tenu de ces faits, aucune question légitime de compétence. Si une plainte fondée sur une expérience vécue était nécessaire pour que l’Office puisse exercer son pouvoir juridictionnel, on ne s’attendrait pas à trouver dans l’al. 170(1)c) le pouvoir de prendre des règlements concernant la « conception » ou la « construction » de voitures de chemin de fer.
95 Quoi qu’il en soit, le pouvoir de l’Office d’instruire la plainte du CCD était fonction de sa propre décision discrétionnaire quant à savoir si cette plainte soulevait une question à l’égard de laquelle il pouvait prendre un règlement destiné à éliminer des obstacles abusifs. Cette question relève clairement de la compétence de l’Office. Étant donné que la compétence que le par. 172(1) confère à l’Office pour instruire la plainte du CCD tient presque exclusivement à son propre pouvoir décisionnel discrétionnaire, le par. 172(1) est une disposition attributive, et non limitative, de compétence.
96 Il me semble plus néfaste que bénéfique que les tribunaux judiciaires analysent et requalifient des aspects de la compétence fondamentale d’un tribunal administratif, tel le pouvoir discrétionnaire de l’Office de prendre des règlements et de statuer sur des plaintes d’une manière qui mine la déférence que cette compétence visait à protéger. L’attribution d’une étiquette limitative de compétence, comme celle d’« interprétation législative » ou de « droits de la personne », à ce qui est en réalité une fonction confiée et exercée correctement en vertu de la loi habilitante, fait en sorte que c’est l’expertise d’un tribunal administratif qui doit céder le pas devant les connaissances générales d’une cour de justice, et non le contraire.
97 Je ne partage pas l’avis selon lequel la question soumise à l’Office était, en tant que question relative aux droits de la personne, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Ce point de vue limite indûment la qualification de la décision que l’Office était appelé à rendre et ne tient pas compte de la façon dont les questions de droits de la personne et de transport sont inextricablement liées. Le législateur a donné à l’Office le mandat précis de déterminer la façon de rendre les systèmes de transport plus accessibles aux personnes ayant une déficience. Ce mandat comporte indéniablement un aspect « droits de la personne ». Cependant, cela n’a pas pour effet d’exclure du mandat que le législateur a confié à l’Office les questions de savoir quand et comment ce tribunal administratif doit mettre à profit son expertise en matière de droits de la personne.
98 Les questions de droits de la personne que l’Office est appelé à examiner se posent dans un contexte particulier et particulièrement complexe, celui du système de transport fédéral. La Loi sur les transports au Canada est une loi de nature réglementaire hautement spécialisée qui est axée sur de solides considérations de politique générale. L’économie et l’objet de la Loi sont l’oxygène de l’Office. Lorsqu’il interprète la Loi, y compris ses éléments relatifs aux droits de la personne, l’Office est censé mettre à profit sa connaissance et son expérience de la politique des transports pour comprendre le mandat qui lui est confié par cette loi : Pushpanathan, par. 26.
99 Tout comme l’enquête sur le « caractère abusif », la soi‑disant décision en matière de compétence que l’Office devait rendre relève clairement du mandat que lui confie la Loi. Cela ne signifiait pas qu’il devait répondre à une question de droit dépassant son expertise, mais plutôt qu’il devait mettre à profit son expertise pour résoudre la question de droit qui lui était soumise. C’est l’Office, et non la cour de révision, qui est le mieux placé pour décider s’il peut exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre un règlement afin d’éliminer un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience — la compétence de l’Office pour instruire des demandes étant elle‑même fonction de cette décision.
100 L’Office est chargé d’interpréter ses propres dispositions législatives, y compris ce en quoi consiste cette responsabilité que lui confie la Loi. La décision qu’il a rendue comportait plusieurs parties, chacune d’elles relevant clairement et inextricablement de son domaine d’expertise et de son mandat. Elle commandait donc l’application d’une seule norme de contrôle faisant appel à la déférence.
101 Chaque fois qu’il faut faire preuve de déférence, « il y a souvent plus d’une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable. [. . .] Même dans l’hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, le rôle de la cour n’est pas de tenter de la découvrir lorsqu’elle doit décider si la décision est déraisonnable » : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, par. 51. Tout comme les évaluations judiciaires de ce qui est raisonnable peuvent varier, il est inévitable que « [c]e qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre » : Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963.
102 Je suis consciente du défi conceptuel que pose la détermination de la différence, sur le plan de la déférence applicable, entre ce qui est manifestement déraisonnable et ce qui est déraisonnable. Les deux concepts, me semble‑t‑il, reviennent à se demander si la décision d’un tribunal administratif a un caractère déraisonnable démontrable, c’est‑à‑dire si elle s’écarte de façon marquée de ce qui est rationnel au point d’être insoutenable. À mon avis, mon collègue le juge LeBel a examiné cette question de façon concluante dans les motifs concordants qu’il a rédigés dans l’affaire Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de s’y attarder davantage en l’espèce.
103 Mais peu importe le qualificatif employé pour décrire la norme du caractère raisonnable applicable, la cour de révision devrait faire montre de déférence lorsque « les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision » (Ryan, par. 56) ou si « la décision [du tribunal spécialisé pourrait] être maintenue selon une interprétation raisonnable des faits ou du droit » (National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, p. 1369, le juge Gonthier). Le « caractère flagrant ou évident », pour la cour de révision, d’une erreur d’analyse n’est pas, face à l’inévitable subjectivité que cela comporte, un indice fiable pour déterminer si une décision donnée est insoutenable ou si elle reflète une interprétation déraisonnable des faits ou du droit.
104 Comme l’a reconnu la juge Wilson, aux p. 1347‑1348 de l’arrêt National Corn Growers, c’est sur la façon dont un tribunal interprète la question à laquelle sa loi habilitante lui demande de répondre et les facteurs dont il doit tenir compte, et non sur la réponse précise à laquelle il arrive, que devrait porter l’enquête de la cour de révision :
On doit [. . .] commencer par se demander [. . .] si ce tribunal a interprété d’une manière manifestement déraisonnable les dispositions de sa loi constitutive qui précisent la façon dont il doit procéder pour répondre à des questions particulières. Si le tribunal n’a pas donné à sa loi constitutive une interprétation manifestement déraisonnable, les cours de justice ne doivent pas alors entreprendre une étude approfondie de la question de savoir si les conclusions du tribunal sont déraisonnables.
Entreprendre une étude approfondie des conclusions précises d’un tribunal, dans le cas où on ne peut pas dire qu’il a interprété sa loi constitutive d’une manière irrationnelle ou déraisonnable, constituerait une incursion injustifiée dans le domaine de la réévaluation de la preuve. Lorsqu’un tribunal spécialisé a établi une méthode d’analyse appropriée à ses besoins et que ses motifs servent de guide rationnel, les cours de révision ne devraient pas modifier à la légère son interprétation et son application de sa loi habilitante.
105 En l’espèce, l’Office a interprété le pouvoir d’instruire la demande du CCD, qu’il tient du par. 172(1), d’une manière qui, pour reprendre les propos inédits du juge Dickson, peut « rationnellement s’appuyer sur la législation pertinente » : Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, p. 237. Rien dans la loi habilitante de l’Office n’oblige à assujettir un aspect particulier de l’interprétation qu’il donne de l’art. 172 à un examen plus approfondi ou à une réévaluation des facteurs et des éléments de preuve qu’il a pris en considération.
106 L’Office — à qui il appartient d’interpréter et d’appliquer son vaste pouvoir de réglementation — a droit à la déférence lorsqu’il interprète ses propres dispositions législatives. Il n’a pas tiré une conclusion déraisonnable relativement à sa compétence lorsqu’il a rejeté l’idée que la plainte devait être fondée sur une expérience vécue par un voyageur pour qu’il puisse exercer son pouvoir juridictionnel.
107 Je partage également l’avis du juge Evans selon lequel il faut faire montre de déférence à l’égard de l’application au fond de l’art. 172 par l’Office. Son mandat comporte l’exercice du pouvoir discrétionnaire de relever les obstacles pour les personnes ayant une déficience, de décider si ces obstacles sont abusifs et, le cas échéant, quelles sont les mesures correctives les plus indiquées. Le législateur a chargé l’Office d’interpréter et d’appliquer sa loi habilitante, de choisir parmi une gamme de mesures correctives possibles, de protéger les intérêts du public, de résoudre des questions de politique générale et de soupeser des intérêts multiples et opposés.
108 L’Office a défini le processus analytique inhérent à la détermination des « obstacles abusifs » dans le réseau de transport fédéral d’une manière qui s’appuie sur la Loi sur les transports au Canada. Au sujet de son mandat, il a affirmé : « si l’Office estime que des mesures fournies destinées à répondre aux besoins ne sont pas convenables ou qu’elles représentent moins que ce qui est possible dans les circonstances, alors l’Office peut conclure qu’il y a là obstacle abusif et peut exiger des mesures correctives pour éliminer cet obstacle abusif » (décision préliminaire, p. 21).
109 Considérés globalement, les motifs de l’Office démontrent qu’il a interprété et exercé son mandat de manière raisonnable. Il s’est notamment conformé pour l’essentiel aux directives que la Cour a données dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), relativement à l’évaluation de l’accommodement raisonnable, et a appliqué le bon fardeau de preuve. Bien qu’il n’ait pas procédé à une application progressive de l’arrêt Meiorin, l’Office en a effectivement appliqué les principes directeurs et les a adaptés au mandat que lui confie la Loi. En l’absence de preuve précise de contrainte excessive, son rejet des arguments économiques de VIA était conforme à l’indication donnée par notre Cour dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (« Grismer »), par. 41, selon laquelle « la preuve, constituée d’impressions, d’une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement ».
110 Pour remédier aux exclusions discriminatoires, le droit en matière de droits de la personne préconise des solutions qui favorisent l’indépendance et l’accès, au lieu de les entraver. Il s’agit de solutions qui, dans la mesure où elles sont structurellement, économiquement ou autrement raisonnablement possibles, tendent à réduire au minimum ou à éliminer les inconvénients créés par les déficiences. Ce concept est connu sous le nom d’accommodement raisonnable.
111 À mon avis, comme je vais tenter de l’expliquer dans le reste des présents motifs, il était loin d’être déraisonnable que l’Office adopte un cadre de référence fondé sur l’accessibilité des fauteuils roulants personnels à 13 voitures‑coach de la classe économique et à 17 voitures de service parmi les 139 voitures achetées par VIA, et il aurait bien pu être jugé manifestement déraisonnable qu’il ne le fasse pas. L’Office n’a pas non plus violé les droits de VIA à l’équité procédurale.
B. La décision de l’Office devait‑elle faire l’objet de déférence?
112 L’adoption de la partie V de la Loi sur les transports au Canada visait à confirmer la protection des droits des personnes ayant une déficience dans le système de transport fédéral. L’historique de ce régime de réglementation démontre que le législateur entendait que l’on donne à ce qui constitue maintenant la partie V de la Loi une interprétation conforme aux principes en matière de droits de la personne et qu’on « utilis[e] la loi sur les transports plutôt que la loi sur les droits de la personne » pour appliquer les normes d’accessibilité établies dans la loi précédente, la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. 1985, ch. 28 (3e suppl.) (Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 2e sess., 33e lég., 17 juin 1987, p. 7272‑7273 (l’hon. John C. Crosbie)).
113 Les modifications apportées à la Loi de 1987 sur les transports nationaux ont confirmé l’intention du gouvernement que la loi sur les transports « s’ajout[e] à la liste des lois canadiennes qui illustrent [sa] volonté de protéger les droits de la personne et les valeurs des Canadiens » (Débats de la Chambre des communes, vol. XIII, 2e sess., 33e lég., 17 juin 1988, p. 16573 (l’hon. Gerry St. Germain)). La décision du législateur de se servir de cette loi comme source de protection des droits de la personne des gens qui ont une déficience garantit une protection spécialisée par l’application aux principes concernant les droits de la personne d’une expertise pratique en matière de transport. Une telle mesure renforce la protection et en permet une application réaliste.
114 Dans l’arrêt Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513, 2006 CSC 14, par. 26, notre Cour à la majorité a confirmé la présomption qu’un tribunal administratif peut examiner d’autres lois que sa loi habilitante pour interpréter des dispositions de sa loi habilitante « du fait qu’il est peu souhaitable qu’un tribunal administratif se limite à l’examen d’une partie du droit et ferme les yeux sur le reste du droit. Le droit n’est pas compartimenté de manière à ce que l’on puisse facilement trouver toutes les sources pertinentes à l’égard d’une question donnée dans les dispositions de la loi habilitante d’un tribunal administratif. » L’arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, p. 156, et l’arrêt Tranchemontagne établissent tous les deux clairement que, du fait qu’elle énonce « une politique générale applicable à des questions d’intérêt général », une loi sur les droits de la personne fait partie de l’ensemble des règles de droit pertinentes nécessaires pour aider un tribunal administratif à interpréter sa loi habilitante.
115 Dans l’arrêt Winnipeg School Division, le juge McIntyre a confirmé que, en cas de conflit entre une loi sur les droits de la personne et une autre loi particulière, la loi sur les droits de la personne, en tant qu’énoncé collectif d’une politique générale, doit prévaloir à moins qu’une exception ne soit créée. Il s’ensuit naturellement que, lorsqu’une disposition législative est susceptible de plus d’une interprétation, elle doit être interprétée conformément aux principes en matière de droits de la personne. L’Office est donc tenu d’appliquer les principes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, lorsqu’il définit et relève des « obstacles abusifs » dans le contexte du transport.
116 De plus, à l’art. 171, le législateur oblige l’Office à coordonner son action avec celle de la Commission canadienne des droits de la personne afin d’assurer une complémentarité sur les plans de la politique générale, de la procédure et de la compétence. Voici cette disposition :
171. L’Office et la Commission canadienne des droits de la personne sont tenus de veiller à la coordination de leur action en matière de transport des personnes ayant une déficience pour favoriser l’adoption de lignes de conduite complémentaires et éviter les conflits de compétence.
117 L’article 171 confirme que l’Office est tenu d’interpréter et d’appliquer la Loi sur les transports au Canada d’une manière conforme à l’objet et aux dispositions des lois sur les droits de la personne. Cela signifie que, dans le contexte du transport, il doit relever les obstacles abusifs pour les personnes ayant une déficience et y remédier d’une manière compatible avec l’approche adoptée pour relever la discrimination visée par les lois sur les droits de la personne. Comme l’Office l’a fait remarquer dans sa décision préliminaire, il en résulte concrètement que la Commission canadienne des droits de la personne renvoie régulièrement à l’Office, pour qu’il les examine et les tranche, les plaintes de personnes ayant une déficience concernant le réseau de transport fédéral.
118 En l’espèce, c’est la conception des voitures Renaissance qui est qualifiée d’obstacle abusif. L’existence réelle ou prévue d’un obstacle aux possibilités de déplacement peut suffire pour que l’Office soit en mesure d’exercer sa compétence pour enquêter sur des questions de conception, de construction ou de modification du moyen de transport. Le demandeur n’est pas tenu d’établir que l’obstacle existe déjà dans le système de transport fédéral ou que quelqu’un a vécu une expérience relative à cet obstacle.
119 En appréciant la portée du droit d’un demandeur de ne pas être confronté à des obstacles abusifs à ses possibilités de déplacement, l’Office est lié par l’arrêt Meiorin de notre Cour. Cet arrêt définit l’évaluation qui doit être faite pour déterminer si une norme ou un obstacle du milieu de travail porte atteinte d’une manière injustifiable à des principes en matière de droits de la personne. Il est possible de justifier une norme contestée « en établissant selon la prépondérance des probabilités » :
(1) [que l’employeur] a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
(2) [que l’employeur] a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. [par. 54]
120 La même analyse s’applique aux obstacles physiques. Un obstacle physique qui prive d’un bien, d’un service, d’une installation ou d’un moyen d’hébergement destinés au public ne peut être justifié que s’il est « impossible de composer » avec cette personne sans que le responsable de l’obstacle « subisse une contrainte excessive ». En d’autres termes, il existe une obligation d’accommoder les personnes ayant une déficience, à moins qu’il n’y ait un motif justifiable de ne pas pouvoir le faire.
121 La notion d’accommodement raisonnable reconnaît que les personnes ayant une déficience ont le même droit d’accès que celles n’ayant pas de déficience, et impose à autrui l’obligation de faire tout ce qui est raisonnablement possible pour tenir compte de ce droit. L’obstacle discriminatoire doit être éliminé, sauf s’il existe un motif justifiable de le maintenir, lequel peut être établi en prouvant que l’accommodement impose au fournisseur de services une contrainte excessive : Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525 (« Chambly »), p. 546.
122 Dans l’arrêt Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 79, notre Cour a fait remarquer qu’une « pierre angulaire de la jurisprudence en matière de droits de la personne est que l’obligation de prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que les membres d’un groupe défavorisé bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général est subordonnée au principe des accommodements raisonnables », ce qui signifie qu’elle cesse « lorsqu’elle va entraîner des “contraintes excessives” ». L’expression « contraintes excessives » laisse entendre qu’il se peut que l’accommodement relatif à la déficience d’une personne impose nécessairement certaines contraintes, mais qu’à moins qu’il n’en résulte un fardeau excessif ou déraisonnable, ces contraintes s’effacent devant la nécessité d’accommoder.
123 Ce qui constitue une contrainte excessive dépend des facteurs pertinents sur le plan des circonstances et des mesures législatives qui régissent chaque cas : Chambly, p. 546; Meiorin, par. 63. Les facteurs qui sous‑tendent l’obligation d’accommodement d’un intimé « ne sont pas consacrés, sauf dans la mesure où ils sont inclus ou écartés expressément par la loi » : Meiorin, par. 63.
124 Dans tous les cas, comme le juge Cory l’a souligné à la p. 546 de l’arrêt Chambly, « [i]l y a lieu [d’]appliquer [ces facteurs] d’une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas ».
125 Pourtant, VIA soutient que l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada, qui oblige l’Office à prendre en considération les questions de coût, de rentabilité et de sécurité ainsi que la qualité des services offerts à tous les voyageurs lorsqu’il rend des décisions en matière de transport accessible, [traduction] « contraste nettement avec l’approche consacrée dans les lois sur les droits de la personne ». Pour en faciliter la consultation, je reproduis ici les parties pertinentes de l’art. 5 de la Loi :
5. Il est déclaré que, d’une part, la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs — y compris des personnes ayant une déficience — en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, et, d’autre part, que ces objectifs sont plus susceptibles de se réaliser en situation de concurrence de tous les transporteurs, à l’intérieur des divers modes de transport ou entre eux, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale, des avantages liés à l’harmonisation de la réglementation fédérale et provinciale et du contexte juridique et constitutionnel :
. . .
g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :
. . .
(ii) un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience,
. . .
126 VIA affirme que l’obligation d’accommodement qui découle des lois sur les droits de la personne n’est pas limitée par « la mesure du possible » parce que ces lois n’établissent pas un équilibre entre des intérêts opposés. Selon VIA, les lois sur les droits de la personne offrent une protection quasi absolue aux personnes ayant une déficience, contrairement à l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada qui, soutient‑elle, visait à offrir une protection moins grande à cause de la plus grande déférence accordée aux considérations financières, opérationnelles et autres.
127 En toute déférence, cet argument procède d’une mauvaise interprétation des objectifs et de l’application appropriée des principes en matière de droits de la personne. La législation fédérale sur les droits de la personne vise à prévenir la discrimination et à y remédier : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114. En particulier, l’art. 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne crée une obligation de répondre aux besoins des personnes bénéficiant de sa protection tant qu’il n’en résulte pas une contrainte excessive. La portée du droit des personnes ayant une déficience d’être protégées contre la discrimination est fonction de la nature, de la légitimité et de la force des intérêts opposés qui sont en jeu dans une affaire donnée. Ces intérêts opposés guident l’appréciation de ce qui constitue un accommodement raisonnable.
128 Pour justifier le maintien d’un obstacle discriminatoire, on invoque dans presque tous les cas ce qu’il en coûterait pour l’atténuer ou l’éliminer afin de répondre aux besoins de la personne qui demande l’accès. Il s’agit là d’un facteur qui peut légitimement être pris en compte : Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, p. 520‑521. Cependant, dans l’arrêt Grismer, par. 41, notre Cour a averti que les tribunaux doivent « se garder de ne pas accorder suffisamment d’importance à l’accommodement de la personne handicapée ».
129 Selon l’al. 5a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, « [c]onstitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public [. . .] d’en priver un individu ». Toutefois, selon l’al. 15g) de cette même loi, ne constitue pas un acte discriminatoire le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public en prive un individu « s’il a un motif justifiable de le faire ». Dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, p. 518, la Cour a convenu à l’unanimité que « [s]’il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d’imposer une règle donnée aux membres d’un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme justifiée. » L’arrêt Grismer a précisé que, pour établir l’existence d’une justification réelle d’une atteinte prima facie à une loi sur les droits de la personne, un intimé doit démontrer que « l’employeur ou le fournisseur de services a pris toutes les mesures d’accommodement possibles tant qu’il n’en a pas résulté pour lui une contrainte excessive » (par. 21). Pour que l’Office conclue au caractère justifié d’un obstacle empêchant l’accès à des services de transport, il ne doit donc exister aucune solution raisonnable qui évite d’importuner les personnes ayant une déficience.
130 La jurisprudence de notre Cour révèle que l’existence d’une contrainte excessive peut être établie lorsque la norme ou l’obstacle est « raisonnablement nécessaire » dans la mesure où il existe un « risque suffisant » qu’un objectif légitime comme la sécurité soit assez compromis pour justifier le maintien de la norme discriminatoire (Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202), lorsqu’on a pris « les mesures qui peuvent être raisonnables pour s’entendre sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, p. 555), lorsqu’il n’existe aucune autre solution raisonnable (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970), lorsque l’exercice d’un droit est seulement assujetti à des « limites raisonnables » (Eldridge, par. 79), et, plus récemment, lorsque l’employeur ou le fournisseur de services démontre « qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu » (Meiorin, par. 38). Il y a contrainte excessive lorsque les moyens raisonnables d’accommoder ont été épuisés et qu’il ne reste que des options d’accommodement déraisonnables ou irréalistes.
131 Étant donné que le gouverneur en conseil n’a pas déterminé les critères d’évaluation d’une contrainte excessive, ainsi que l’y autorise le par. 15(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il faut s’en remettre aux faits de chaque cas et aux principes directeurs qui se dégagent de la jurisprudence pour répondre à la question de savoir si le coût estimatif de la mesure permettant de remédier à l’obstacle physique discriminatoire constituera une contrainte excessive. Le refus d’un fournisseur de services d’utiliser un faible pourcentage de la totalité des fonds dont il dispose pour remédier à un obstacle à l’accès tendra à miner un argument fondé sur la contrainte excessive (Eldridge, par. 87). La taille de l’entreprise d’un fournisseur de services et les conditions économiques auxquelles elle est confrontée sont pertinentes (Chambly, p. 546). L’ingérence majeure dans l’exploitation de l’entreprise d’un fournisseur de services peut constituer une contrainte excessive, mais une certaine ingérence est un prix acceptable à payer pour le respect des droits de la personne (Central Okanagan School District No. 23, p. 984). La capacité d’un fournisseur de services de déplacer et récupérer des coûts dans son entreprise rendra moins probable l’établissement d’une contrainte excessive : Howard c. University of British Columbia (1993), 18 C.H.R.R. D/353 (B.C.C.H.R).
132 Parmi les autres facteurs pertinents, mentionnons la possibilité d’obtenir un financement externe et l’incidence d’un tel financement, y compris les déductions fiscales (Brock c. Tarrant Film Factory Ltd. (2000), 37 C.H.R.R. D/305 (Comm. d’enq. Ont.)), le risque que le coût net à supporter compromette la survie de l’entreprise ou en modifie le caractère essentiel (Quesnel c. London Educational Health Centre (1995), 28 C.H.R.R. D/474 (Comm. d’enq. Ont.)), et la question de savoir si de nouveaux obstacles ont été érigés alors qu’il existait d’autres solutions abordables qui auraient permis d’améliorer l’accessibilité (Maine Human Rights Commission c. City of South Portland, 508 A.2d 948 (Me. 1986), p. 956‑957).
133 Répétons qu’« [i]l importe de se rappeler que l’obligation d’accommodement est limitée par les mots “raisonnable” et “sans imposer de contrainte excessive”. Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d’exprimer le même concept » : Chambly, p. 546, citant l’arrêt Central Okanagan School District No. 23, p. 984. Les facteurs énoncés à l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada découlent de l’évaluation même qui est inhérente à l’analyse de l’« accommodement raisonnable ». Concilier l’accessibilité pour les personnes ayant une déficience avec le coût, la rentabilité, la sécurité et la qualité du service offert à tous les voyageurs (des facteurs énoncés à l’art. 5 de la Loi) reflète le fait que l’évaluation s’effectue dans un contexte de transport qui, faut‑il le préciser, est exceptionnel.
134 L’énonciation de ces facteurs par le législateur est une façon de reconnaître que les facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer le caractère raisonnable d’une mesure d’accommodement proposée varient selon le contexte. Elle représente une approbation, et non un rejet, de la primauté des principes en matière de droits de la personne qui, comme l’a affirmé notre Cour dans les arrêts Chambly et Meiorin, prévoient que la souplesse et le bon sens ne seront pas écartés.
135 Chacun des facteurs décrits à l’art. 5 de la Loi est compatible avec ceux qui s’appliquent en vertu des principes en matière de droits de la personne. Toute mesure d’accommodement proposée qui entraverait déraisonnablement la réalisation des objectifs du législateur énoncés à l’art. 5 de la Loi peut constituer une contrainte excessive.
136 L’article 5 de la Loi sur les transports au Canada, combiné au par. 172(1), constitue une directive législative enjoignant à l’Office de déterminer s’il existe un « obstacle abusif » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Le sous‑alinéa 5g)(ii) de la Loi précise qu’il est essentiel que « les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas [. . .] un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience ». Le pouvoir de l’Office de relever les « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et d’y remédier l’oblige à appliquer le principe voulant que les personnes ayant une déficience aient droit à l’élimination des obstacles « abusifs » ou « déraisonnables », à savoir les obstacles injustifiables au regard des principes en matière de droits de la personne.
137 Les termes « dans la mesure du possible » expriment la reconnaissance légale du critère de la « contrainte excessive » dans le contexte du transport. Le fait que ce critère soit libellé différemment ne le rend ni plus ni moins rigoureux que celui établi dans l’arrêt Meiorin : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27, par. 46. La même évaluation est nécessaire pour déterminer de quelle façon l’obligation d’accommodement sera remplie.
138 Voilà précisément pourquoi le législateur a confié à l’Office, et non à la Commission canadienne des droits de la personne, la responsabilité publique d’évaluer les obstacles. Seul l’Office possède l’expertise nécessaire pour soupeser les exigences des personnes ayant une déficience et les réalités concrètes — financières, structurales et logistiques — d’un système de transport fédéral.
139 Ce qui est « possible » au sens du sous‑al. 5g)(ii) de la Loi sur les transports au Canada est fonction de la preuve concernant la question de savoir si l’accommodement relatif à la déficience a pour effet d’imposer un fardeau déraisonnable à la partie responsable de l’obstacle. Il s’agit de la même analyse que celle requise pour déterminer s’il y a contrainte excessive au regard de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou, si en vertu de la Loi sur les transports au Canada, il serait déraisonnable (ou abusif) d’exiger qu’un obstacle soit éliminé ou qu’il y soit remédié. La différence des contextes ne justifie pas de procéder différemment, d’autant plus qu’à l’art. 171 le législateur a ordonné à l’Office de favoriser l’adoption de lignes de conduite complétant celles de la Commission canadienne des droits de la personne. L’analyse de l’« accommodement raisonnable » dans le contexte du transport n’est exceptionnelle que dans la mesure où les objectifs de politique générale formulés à l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada sont des facteurs qui guident la détermination des moyens par lesquels la contrainte excessive peut être établie. Ces facteurs servent à définir, et non à diluer, l’obligation d’accommoder tant qu’il n’en résulte pas une contrainte excessive.
140 Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, par. 34‑37, la description que la Cour d’appel fédérale donne du mandat de l’Office est compatible avec cette approche. Bien que la cour n’ait pas donné une définition précise de l’expression « obstacle abusif », elle a néanmoins proposé une méthode analytique permettant de déterminer ce qui constitue un « obstacle abusif » (« undue obstacle ») au regard de la Loi sur les transports au Canada, en tenant compte de l’interprétation judiciaire du terme « indu » (« undue ») dans le cadre d’autres lois, dont des textes législatifs en matière de droits de la personne. La cour a statué que le « caractère indu » était une notion relative et, se fondant sur la jurisprudence de la Cour suprême, elle a reconnu que le terme « indu » signifie, de façon générale, disproportionné, illégitime, immodéré, excessif ou oppressif, et exprime la gravité ou l’importance.
141 Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, la cour s’est expressément reportée à la jurisprudence établie sur les « contraintes excessives » dans le contexte des droits de la personne lorsqu’elle s’est penchée sur la nécessité de soupeser les intérêts de diverses parties dans le cadre d’une « analyse relative aux obstacles abusifs ». Citant l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, p. 521, le juge Sexton (avec l’appui des juges Linden et Evans) a affirmé : « La Cour suprême a également reconnu que [l]e terme [indu] implique la pondération des intérêts des diverses parties » (par. 37). La cour a, par la suite, indiqué que « l’Office devait pondérer les intérêts des deux parties pour que la prise en compte des intérêts de l’une n’entraîne pas une contrainte disproportionnée pour l’autre » (par. 39 (je souligne)).
142 En l’espèce, VIA avait le fardeau d’établir que les obstacles aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience — résultant de son achat des voitures Renaissance — n’étaient pas « abusifs », en convainquant l’Office qu’elle ne pouvait pas accommoder ces personnes sans subir une contrainte excessive. Il ressort clairement de la décision de l’Office que VIA ne s’est pas acquittée de ce fardeau.
143 En concluant au caractère déraisonnable de la décision de l’Office, le juge Sexton a souligné que « le réseau ne peut se permettre que chacune des voitures de chemin de fer soit équipée de chacun des genres de mécanismes afin d’être en mesure de répondre aux besoins de chacun des genres de déficiences » (par. 55). Toutefois, ce n’est pas ce que l’Office a décidé. Sa décision était plutôt de rendre accessible aux personnes utilisant un fauteuil roulant personnel une voiture‑coach pour chaque voyage de jour, grâce à la modification de 13 voitures‑coach de la classe économique, et un compartiment‑lit pour chaque voyage de nuit, grâce à la modification de 17 voitures de service.
144 Je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse ou la décision de l’Office en l’espèce. Plus particulièrement, je ne vois rien d’inapproprié dans les facteurs sur lesquels il s’est — ou ne s’est pas — fondé, tels le code ferroviaire, l’utilisation de fauteuils roulants personnels, le réseau et le coût, soit pour déterminer si les obstacles étaient abusifs, soit pour décider quelles mesures correctives étaient indiquées. Ces facteurs seront examinés à tour de rôle.
a) Le code ferroviaire
145 L’Office a reconnu que le code ferroviaire de 1998 est un facteur qui doit être pris en considération. VIA s’y est opposé pour le motif que l’application de ce code est de nature volontaire.
146 Comme nous l’avons vu, le code ferroviaire est, en réalité, le fruit d’un « processus d’application volontaire fondé sur l’établissement de consensus et faisant appel à une consultation extensive du secteur des transports, de la communauté des personnes ayant une déficience et d’autres organismes gouvernementaux comme la Commission canadienne des droits de la personne [. . .] et le ministère des Transports » (décision préliminaire, p. 32). Établies en consultation avec un organisme spécialisé en matière de droits de la personne, les normes du code ferroviaire représentent des objectifs qui ont été reconnus publiquement par les transporteurs ferroviaires, y compris VIA. Ce code se veut une mesure volontaire établissant des normes minimales auxquelles tous les transporteurs ferroviaires acceptent de se conformer.
147 Par conséquent, le code ferroviaire était un facteur dont l’Office pouvait tenir compte dans son analyse, d’autant plus qu’il précise lui‑même, à l’art. 1.1.1 que l’on s’attend à ce qu’il soit respecté : « On s’attend à ce que la présente partie [accessibilité des voitures passagers de chemin de fer] du Code de pratiques soit suivie par VIA Rail Canada Inc. » Le fait que l’adhésion au code ferroviaire était volontaire et non imposée par le gouvernement renforce, au lieu de minimiser, sa pertinence en tant que facteur à utiliser pour évaluer les arguments de « contrainte excessive » avancés par VIA. VIA savait qu’elle avait adhéré au code ferroviaire et qu’on s’attendait à ce qu’elle s’y conforme.
148 Le code ferroviaire prévoit que, jusqu’à ce que chaque regroupement de voitures pour passagers reliées les unes aux autres pour former un train (une « rame ») compte au moins une voiture‑coach/voiture‑lit et des toilettes accessibles de manière autonome, les voitures nouvellement construites ou subissant un réaménagement majeur devraient offrir une telle mesure d’accommodement. Comme il peut être plus difficile et plus coûteux de réaménager le matériel existant, le code ferroviaire accorde une certaine souplesse en ce qui concerne le délai dans lequel les transporteurs ferroviaires sont censés rendre les voitures accessibles.
149 L’Office a conclu que les voitures Renaissance n’étaient pas du matériel existant pour les besoins du code ferroviaire, mais qu’elles entraient plutôt dans la catégorie des voitures nouvellement construites ou des voitures qui subissent un réaménagement majeur au sens de l’art. 1.1.1 de ce code. Soixante‑quinze des 139 voitures Renaissance sont arrivées au Canada partiellement assemblées ou en pièces détachées neuves. VIA voulait les assembler pour en faire des voitures de la prochaine génération qui seraient utilisées pendant 20 à 25 ans. Elle a dépensé au moins 100 millions de dollars pour apporter des modifications structurales et d’une autre nature aux voitures Renaissance, qui n’avaient elles‑mêmes coûté que 29,8 millions de dollars.
150 L’argument de VIA selon lequel les dispositions du code ferroviaire représentent maintenant des normes inapplicables sur les plans économique et structural constitue un argument avancé après coup que l’Office avait le droit de rejeter vu l’absence de preuve à l’appui et le manque de collaboration de la part de VIA. Compte tenu de la décision de VIA d’acheter de nouvelles voitures, l’Office a conclu, à juste titre selon moi, que le code ferroviaire « inform[ait] VIA des types d’obstacles qu’on se serait raisonnablement attendu qu’elle élimine au moment où elle envisageait l’achat de nouveau matériel roulant » (décision préliminaire, p. 23).
b) L’utilisation de fauteuils roulants personnels
151 Selon la norme Accessibilité des bâtiments et autres installations : règles de conception de l’Association canadienne de normalisation (ACN), CAN/CSA‑B651‑95, qui établit les normes minimales applicables à la transformation d’édifices et d’autres installations destinées à les rendre accessibles aux personnes ayant une déficience — dont plusieurs sont incorporées au code ferroviaire — , le modèle d’accessibilité retenu est l’accès en fauteuil roulant personnel. Cette norme a été adoptée dans le code ferroviaire, qui prévoit que « les voitures‑coachs ou voitures‑lits nouvellement construites et qui devraient être accessibles aux fauteuils roulants en vertu de ces sections, devraient, par leur conception, être accessibles aux personnes dans un fauteuil roulant personnel » (art. 1.1.1). Transports Canada a aussi incorporé la définition de fauteuil roulant personnel que donne la norme Accessibilité des bâtiments et autres installations : règles de conception de l’ACN dans son Règlement de sécurité relatif aux voitures voyageurs, lequel établit des normes de sécurité impératives.
152 Contrairement aux voitures VIA 1 du parc existant qui avaient été réaménagées, aucune des voitures Renaissance achetées ne respectait ces normes.
153 L’Office a souligné que l’accès indépendant est un élément crucial de la notion d’accessibilité des voitures de chemin de fer. Les utilisateurs d’un fauteuil roulant personnel sont plus indépendants physiquement et psychologiquement lorsqu’ils peuvent rester dans un fauteuil roulant personnel conçu pour répondre à leurs besoins physiques particuliers. Compte tenu de l’importance de l’accès indépendant, l’Office a décidé que la mesure d’accommodement consistant à fournir un fauteuil roulant étroit à bord du train (fauteuil roulant de bord), qui oblige à aider des voyageurs à y prendre place, ne remplace pas de manière acceptable le fauteuil roulant personnel d’un voyageur.
154 L’Office a fait remarquer que l’utilisation d’un fauteuil roulant personnel réduit au minimum les effets des déficiences, d’une manière que ne permet pas de faire un fauteuil roulant « de bord », et élimine à la fois les risques sur le plan physique et l’humiliation qui peuvent résulter d’un transfert d’un fauteuil roulant personnel à une autre place assise ou de l’obtention d’une aide pour utiliser la toilette. Selon ses propres termes, le fait d’être forcé de compter sur l’aide d’autrui entraîne « l’erreur humaine, les inconvénients, les retards, les atteintes à la dignité humaine et à la fierté, les coûts, l’incertitude et l’absence d’un sentiment de confiance ou de sécurité dans l’aptitude d’une personne à se déplacer dans le réseau » (décision préliminaire, p. 21).
155 D’après l’Office, l’utilisation d’un fauteuil roulant « de bord » laissait particulièrement à désirer dans les parties du train que VIA avait expressément désignées pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience, telle la « suite accessible » située dans les voitures de service. Soucieux de défendre le principe d’indépendance, l’Office a conclu que « lorsque des caractéristiques et des commodités sont conçues spécifiquement pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience qui souhaitent rester dans leur fauteuil roulant, il est essentiel qu’ils présentent des dimensions et une conception appropriées de façon à ne pas réduire le degré d’indépendance » (décision préliminaire, p. 21). Selon le code ferroviaire, un fauteuil roulant personnel s’entend d’un fauteuil roulant qui appartient à un passager et qui requiert une aire de plancher minimale de 750 mm sur 1 200 mm pour recevoir un fauteuil roulant et son occupant et une aire de braquage minimale de 1 500 mm de diamètre (art. 1.1.1).
156 Le CCD a invité l’Office à adopter une autre norme qui répond mieux aux dimensions plus grandes des fauteuils roulants modernes. L’Office a refusé de le faire. Tout en reconnaissant que l’ACN a donné au fauteuil roulant personnel une définition basée sur des données datant des années 1970, alors que les fauteuils roulants étaient plus petits que ceux d’aujourd’hui, l’Office a plutôt opté pour la reconnaissance de la norme bien établie de l’ACN qui est celle du fauteuil roulant personnel.
157 La norme de l’utilisation d’un fauteuil roulant personnel n’est pas propre au Canada. À l’instar du code ferroviaire, les normes américaines, britanniques et australiennes mettent l’accent sur l’importance d’assurer que les personnes ayant une déficience aient accès aux installations et services ferroviaires dans leur fauteuil roulant personnel. Les mesures législatives de chaque pays exigent qu’au moins une voiture par train de voyageurs soit accessible aux fauteuils roulants personnels.
158 Les normes britanniques obligent les fournisseurs de services ferroviaires à prévoir, dans chacune des catégories de voitures pour passagers, une aire de plancher permettant de recevoir un fauteuil roulant personnel. La partie V de la Disability Discrimination Act 1995 (R.‑U.), 1995, ch. 50, art. 46, autorise le secrétaire d’État à prendre des règlements régissant l’accessibilité des voitures de chemin de fer afin qu’elles soient accessibles aux personnes qui doivent rester assises dans leur fauteuil roulant. Ces normes britanniques impératives, prescrites par le Rail Vehicle Accessibility Regulations 1998, S.I. 1998/2456, sont fondées sur un fauteuil roulant de référence à peine plus petit que celui défini par la norme du « fauteuil roulant personnel » établie dans la norme Accessibilité des bâtiments et autres installations : règles de conception de l’ACN.
159 Aux États‑Unis, l’Americans with Disabilities Act, 42 U.S.C. § 12162 (2000), prévoit que [traduction] « l’achat ou la location de nouvelles voitures pour passagers destinées au transport ferroviaire interurbain sera jugé discriminatoire [. . .] à moins que les personnes ayant une déficience, y compris celles qui se déplacent en fauteuil roulant, puissent facilement y avoir accès et les utiliser de la manière prévue [. . .] dans le règlement ». L’accessibilité des voitures de chemin de fer américaines est définie au moyen de normes techniques prescrites dans l’Americans with Disabilities Act (ADA) Accessibility Guidelines for Transportation Vehicles, 36 CFR Part 1192 (1999), adoptée par le département des Transports, dont plusieurs sont essentiellement les mêmes que celles que la norme Accessibilité des bâtiments et autres installations : règles de conception de l’ACN prescrit pour les fauteuils roulants personnels.
160 En Australie, les Disability Standards for Accessible Public Transport 2002 (« Disability Standards ») visent à mettre fin à la discrimination fondée sur une déficience dans les services de transport publics dans un délai de 30 ans. Pour ce faire, les Disability Standards imposent des exigences nationales et des résultats obligatoires en matière de rendement qui régissent des questions telles que le remplacement ou l’amélioration de l’infrastructure, ainsi que les dépenses en immobilisations. Conformément à l’objectif d’assurer aux passagers se déplaçant au moyen d’une aide à la mobilité un accès indépendant au matériel de transport, l’aire minimale réservée à un fauteuil roulant correspond à ce qui, selon les normes canadiennes, est nécessaire pour recevoir un fauteuil roulant personnel. Toutefois, les Disability Standards soulignent que les données de base relatives à cette norme minimale peuvent être obsolètes et préviennent les fournisseurs de services qu’ils peuvent s’attendre à ce que ces normes soient révisées dans l’avenir de manière à accroître cette aire pour qu’elle puisse recevoir des fauteuils roulants plus grands.
161 Le modèle d’accessibilité qui privilégie l’accès en fauteuil roulant personnel est également compatible avec la jurisprudence de notre Cour en matière de droits de la personne. Dans l’arrêt Grismer, la Cour a conclu, au par. 19, que « [l]es employeurs et autres personnes régies par une loi concernant les droits de la personne sont maintenant requis, dans tous les cas, de tenir compte dans leurs normes des caractéristiques des groupes touchés, au lieu de maintenir des normes discriminatoires complétées par des mesures d’accommodement pour ceux qui ne peuvent pas y satisfaire » (souligné dans l’original). En d’autres termes, les normes doivent être aussi générales que possible : Grismer, par. 22.
162 Les mesures d’accommodement relatives aux fauteuils roulants personnels permettent aux personnes ayant une déficience d’avoir accès aussi facilement et indépendamment que possible aux installations et services publics. L’accès indépendant au même confort, à la même dignité et à la même sécurité que les personnes n’ayant aucune déficience physique est un droit fondamental de la personne pour les utilisateurs d’un fauteuil roulant. Tel est l’objectif du devoir d’accommoder : faire en sorte que les services et installations auxquels le public a accès soient accessibles autant aux personnes ayant une déficience physique qu’à celles qui n’ont pas une telle déficience.
163 VIA doit, dans la mesure du possible, tenir compte de ce droit non seulement parce que la loi canadienne l’exige, mais également parce qu’elle s’est elle‑même engagée publiquement à le faire en adhérant au code ferroviaire, qui énonce un ensemble de normes qu’elle a conçues avec l’Office en consultation avec la Commission canadienne des droits de la personne. La façon dont VIA a convenu de le faire était de privilégier l’accès en fauteuil roulant personnel lorsqu’elle ferait l’acquisition de nouvelles voitures ou lorsqu’elle procéderait à un réaménagement majeur de voitures existantes. Le modèle d’exploitation auquel elle a souscrit est la norme canadienne et acceptée à l’échelle internationale, et non l’exception.
164 VIA ne peut maintenant prétendre qu’elle a le droit de déroger à ces normes parce qu’elle a trouvé une meilleure aubaine pour ses clients physiquement aptes. Le code ferroviaire, la Loi sur les transports au Canada et les principes en matière de droits de la personne ne reconnaissent pas qu’une occasion unique d’acquérir des voitures inaccessibles à un prix d’achat relativement peu élevé peut être un motif légitime de maintenir l’inaccessibilité. En augmentant et améliorant son parc de voitures, VIA n’avait pas le droit de passer outre à ses obligations légales et aux engagements qu’elle avait pris publiquement. VIA aurait pu éviter de maintes façons la situation dans laquelle elle se trouve maintenant.
165 Compte tenu de l’acceptation générale, au Canada et à l’échelle internationale, des normes d’accessibilité fondées sur l’utilisation d’un fauteuil roulant personnel et, plus particulièrement, des engagements que VIA a elle‑même pris en adhérant au code ferroviaire, il n’était pas déraisonnable que l’Office retienne l’accès en fauteuil roulant personnel comme modèle d’accessibilité.
c) Le moyen de défense fondé sur le réseau
166 Le « moyen de défense fondé sur le réseau » avancé par VIA peut être scindé en deux éléments. Premièrement, VIA a fait valoir que les mesures d’accommodement spéciales fournies au besoin — comme les repas servis individuellement dans les voitures de service et le fait de pouvoir compter sur l’aide d’un personnel qualifié pour être transféré dans un fauteuil roulant de bord et pour utiliser les toilettes — constituaient des solutions de rechange adéquates à la nécessité de réaménager les voitures pour que les passagers utilisant leur fauteuil roulant personnel aient accès de manière autonome à ces services. Deuxièmement, VIA était d’avis que la [traduction] « plus grande souplesse » des options de voyage offertes par les voitures Renaissance, en plus de la possibilité qui, pour le moment, existe encore de voyager à bord des vieilles voitures, répondait entièrement aux préoccupations du CCD.
167 Bien qu’elle ait clairement indiqué que son parc de voitures existant et plus accessible serait progressivement retiré du service et remplacé par des voitures Renaissance sur les principaux parcours entre Montréal et Halifax et Montréal et Gaspé, VIA estimait que tout obstacle dans son parc Renaissance pourrait être atténué si les personnes ayant une déficience voyageaient à bord de ses voitures plus vieilles mais plus accessibles. Selon l’Office, l’argument de VIA signifie qu’« on ne peut s’attendre à ce que [les personnes ayant une déficience] montent à bord de tout train, en tout temps, peu importe la manière », comme peuvent le faire les personnes qui n’ont pas de déficience (décision préliminaire, p. 40).
168 Le juge Sexton a conclu que l’omission de l’Office de prendre dûment en compte l’ensemble du réseau de VIA était manifestement déraisonnable. À son avis, l’Office a commis une erreur en ne tenant pas compte des autres mesures que VIA pouvait prendre pour atténuer les obstacles dans les voitures Renaissance, comme offrir un autre moyen de transport ou différents trains à différentes heures.
169 Toutefois, le dossier révèle que l’Office a effectivement tenu compte du réseau de VIA dans la mesure où celle‑ci était disposée à fournir des renseignements le concernant, mais qu’il a rejeté l’argument du réseau en concluant qu’« aucune preuve au dossier ne vient étayer l’opinion du transporteur voulant que son parc ferroviaire existant ou son réseau existant, dans leur ensemble, permettront d’éliminer des obstacles qui pourraient se présenter dans les voitures Renaissance » (décision préliminaire, p. 42). L’Office était notamment conscient de la possibilité de remédier aux obstacles en intégrant au réseau des mesures d’accommodement sans qu’il soit nécessaire d’apporter des modifications physiques aux voitures Renaissance. Au début des procédures, le 29 mars 2001, l’Office a demandé à VIA s’il « sera[it] possible d’intégrer les voitures Nightstock [Renaissance] dans la flotte actuelle » (décision interlocutoire no LET‑AT‑R‑166‑2001). Le 2 avril 2001, VIA a répondu ceci : [traduction] « à l’exception des locomotives, les voitures Nightstock ne seront pas intégrées au parc existant ». L’Office a également obtenu des renseignements concernant la politique de réservation de VIA, le plan définitif de déploiement de son parc de voitures et ses normes de service.
170 Toutefois, lorsqu’il a ordonné à VIA de fournir une liste des services de réseau qu’elle proposait pour atténuer les obstacles dans les voitures Renaissance, VIA a répondu : [traduction] « Il s’agit en l’espèce d’examiner les dimensions des voitures Renaissance et de vérifier si elles représentent un obstacle abusif au transport des personnes ayant une déficience » (je souligne).
171 VIA a ensuite précisé : [traduction] « Aucune modification n’est apportée aux services que VIA Rail s’est engagée à fournir aux personnes ayant une déficience. » Dans son moyen de défense fondé sur le réseau, VIA affirmait qu’elle fournirait les mêmes services — rien de plus ni rien de moins — qu’elle fournissait déjà aux passagers ayant une déficience. Si les personnes ayant une déficience n’aimaient pas les caractéristiques d’accessibilité différentes du parc Renaissance, elles pourraient continuer de voyager à bord des vieilles voitures.
172 VIA a indiqué que son réseau comprenait [traduction] « un système de réservations, une politique sur les transports spéciaux, des services au sol, des services de traitement spécial, l’hébergement à bord des trains, la formation des employés et des demandes de services spéciaux ».
173 Le dossier comporte très peu d’éléments de preuve au sujet de la nature de ces caractéristiques du réseau et de la façon dont elles permettent effectivement d’accommoder les passagers ayant une déficience. Toutefois, il est évident qu’une personne en fauteuil roulant qui souhaite acheter un billet de train de VIA ne peut pas être assurée qu’elle obtiendra les services dont elle a besoin à bord du train qu’elle veut prendre.
174 VIA a affirmé devant l’Office qu’elle [traduction] « a une politique de transport de remplacement qui tient compte des besoins des voyageurs ayant une déficience et [qu’elle] a répondu à ces besoins dans le passé », mais elle n’a fourni aucune preuve à l’appui de cette affirmation. Lors de plaidoiries devant notre Cour, VIA a expliqué qu’elle a déjà fait transporter par taxi jusqu’à leur destination des voyageurs qu’elle ne pouvait pas accommoder à bord de ses trains, et qu’elle peut offrir de l’aide aux voyageurs qui l’avisent à l’avance par téléphone.
175 Il me semble qu’un réseau de services ferroviaires qui fournit un service spécial de taxi ou qui n’est accessible que sur certains parcours ne tient pas suffisamment compte des objectifs de l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada. Cet article prévoit que les services de transport relevant de la compétence législative fédérale doivent eux‑mêmes être accessibles. C’est le service ferroviaire lui‑même qui doit être accessible, et non les autres services de transport comme les taxis. Les personnes ayant une déficience ont le droit de voyager avec les autres passagers et non d’être confinées dans des installations distinctes.
176 De même, le fait que des trains soient accessibles sur certains parcours ne justifie pas la présence de trains inaccessibles sur d’autres parcours. Il doit y avoir accessibilité dans l’ensemble du réseau ferroviaire. Le fait que l’accessibilité soit limitée à certains aspects du réseau global de services — comme la politique de transport de remplacement de VIA ou l’idée que les personnes ayant une déficience peuvent, pour le moment, continuer de voyager à bord des voitures de son parc existant — ne cadre pas avec l’objectif permanent du législateur d’assurer des services de transport accessibles.
177 L’utilisation de l’adjectif « accessibles » au pluriel dans la version française de l’art. 5 de la Loi sur les transports au Canada dissipe toute ambiguïté quant à savoir si l’adjectif « accessible » utilisé dans la version anglaise qualifie les divers « services » offerts ou le « network » (« réseau ») global de services fournis. Le texte français est rédigé ainsi :
. . . la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience . . .
178 La marque du pluriel dans la version française confirme l’interprétation logique, à savoir que le législateur a voulu que tous les services de transport offerts au public soient accessibles, et non seulement certains aspects du réseau. Comme le souligne David Lepofsky, [traduction] « [l]a personne qui achète un billet de train de VIA ne voyage pas à bord de tous les trains et sur tous les parcours du réseau de VIA. Elle prend un train précis, sur un parcours précis, et à un moment précis. Pour la personne ayant une déficience qui doit voyager de Montréal à Toronto, il n’importe pas de savoir si VIA offre un train entièrement accessible entre Calgary et Vancouver » : « Federal Court of Appeal De‑Rails Equality Rights for Persons With Disabilities — Via Rail v. Canadian Transportation Agency and the Important Duty Not to Create New Barriers to Accessibility » (2005‑2006), 18 R.N.D.C. 169, p. 188.
179 L’Office a conclu que le moyen de défense fondé sur le réseau avancé par VIA, compte tenu des services disponibles dans son parc existant, allait à l’encontre des dispositions du code ferroviaire axées sur l’avenir, qui privilégiaient un accommodement progressif des personnes utilisant leur fauteuil roulant personnel dans le réseau ferroviaire fédéral. Dans une décision de 1998 concernant une Demande présentée par Yvonne Gaudet, au nom de Marcella Arsenault (décision OTC no 641‑AT‑R‑1998), il avait conclu que le manque de compartiments‑lits accessibles aux fauteuils roulants personnels dans le parc existant de VIA ne constituait pas un obstacle abusif compte tenu des conséquences financières et autres des changements structuraux qui devraient être apportés. Cette reconnaissance du coût et des difficultés liés aux changements structuraux devant être apportés au parc existant était fondée en partie sur l’idée que, en adhérant au code ferroviaire notamment, VIA s’était engagée publiquement à améliorer l’accessibilité de son futur parc de voitures pour passagers.
180 Cependant, l’Office a conclu qu’au lieu de satisfaire de plus en plus à cet objectif en achetant les voitures Renaissance, VIA a sciemment laissé perdurer les problèmes d’inaccessibilité de son parc existant. L’Office a donc décidé que VIA ne pouvait compter sur son matériel existant comme solution de rechange en matière d’accommodement.
181 Le moyen de défense avancé par VIA n’est pas compatible non plus avec la jurisprudence de notre Cour en matière de droits de la personne. Il ne tient pas compte du fait que la nature du milieu avec lequel la personne ayant une déficience doit composer est une cause importante de handicap. Monsieur Lepofsky a fait remarquer que [traduction] « [l]’un des plus grands obstacles auxquels se heurtent les Canadiens ayant une déficience réside dans le fait que la quasi‑totalité des principales institutions publiques et privées de la société canadienne étaient initialement conçues en fonction du principe implicite selon lequel elles étaient destinées à desservir des personnes physiquement aptes et non les 10 à 15 pour 100 des membres du public ayant une déficience » : « The Duty to Accommodate : A Purposive Approach » (1993), 1 Can. Lab. L.J. 1, p. 6. En fin de compte, c’est [traduction] « l’effet conjugué de la déficience ou de l’incapacité d’une personne et du climat social qui détermine si cette personne est atteinte d’un handicap » : I. B. McKenna, « Legal Rights for Persons with Disabilities in Canada : Can the Impasse Be Resolved? » (1997‑1998), 29 R.D. Ottawa 153, p. 164.
182 L’interprétation fondée sur le réseau maintient la prépondérance de ce modèle, contrairement à la directive de la Cour selon laquelle les normes doivent être aussi générales que possible : Grismer, par. 22.
183 Sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, VIA est tenue de prendre des mesures positives pour appliquer des normes générales et répondre aux besoins des voyageurs ayant une déficience tant qu’il n’en résulte pas une contrainte excessive. D’après le moyen de défense fondé sur le réseau avancé par VIA, les services qu’elle offre dans son parc existant seraient suffisants pour accommoder les voyageurs ayant une déficience. Toutefois, étant donné que les voitures Renaissance seraient « les seules voitures exploitées sur certaines lignes de VIA dans un avenir très rapproché et qu’elles constituer[aient] une partie importante du réseau de VIA pendant très longtemps » (décision préliminaire, p. 44), les personnes ayant une déficience devraient décider soit de ne plus voyager en train, soit de choisir entre deux générations de voitures différemment inaccessibles et de se faire aider par le personnel de VIA.
184 L’équivalent américain de l’Office, l’Architectural and Transportation Barriers Compliance Board (« Board »), a expressément rejeté la pertinence d’un « moyen de défense fondé sur les services offerts dans le réseau » dans le cas où il existe des obstacles au transport accessible. On a demandé au Board, au moment où il établissait ses directives réglementaires, [traduction] « d’ autoriser des méthodes de fonctionnement se substituant à l’obligation d’observer les dispositions techniques » de l’Americans With Disabilities Act (ADA) Accessibility Guidelines for Transportation Vehicles : Final Guidelines, 56 Fed. Reg. 45530 (6 septembre 1991), p. 45532. Le Board a rejeté cette approche en ces termes :
[traduction] . . . la loi a confié au Board le mandat d’assurer l’accessibilité de l’environnement construit, y compris dans les cas où des méthodes de fonctionnement pourraient échouer. Par exemple, le Board ne peut pas présumer que la force, l’agilité et l’attention d’un conducteur suffiront pour empêcher un fauteuil roulant lourd de sortir accidentellement d’un dispositif de levage. Il ne convient pas non plus, comme l’a laissé entendre un opérateur de véhicule de transport en commun, de présumer que les autres passagers auront la force ou l’aptitude requise pour aider les personnes ayant une déficience à monter à bord des véhicules. Il est tout aussi inopportun de s’attendre à ce que d’autres passagers soulèvent une personne en fauteuil roulant pour la faire monter à bord d’un véhicule, que de présumer que des passants devraient aider une personne en fauteuil roulant à monter sur un trottoir ou soutenir quelqu’un pour l’aider à gravir l’escalier menant à un édifice.
(Fed. Reg., p. 45532)
185 En outre, comme nous l’avons vu, les textes législatifs des États‑Unis, de la Grande‑Bretagne et de l’Australie exigent, tout comme le code ferroviaire, qu’au moins une voiture par train quittant une gare soit accessible aux personnes qui utilisent leur fauteuil roulant personnel. Chacun de ces pays exige également que tout nouveau matériel ferroviaire respecte des normes minimales d’accommodement des personnes qui utilisent leur fauteuil roulant personnel. Le moyen de défense de VIA fondé sur le réseau est, sur le plan conceptuel, l’antithèse de ces normes minimales d’accommodement.
186 Le double objectif consistant à prévenir la discrimination et à y remédier, qui est reconnu dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), ne saurait être atteint si l’on justifie la création de nouveaux obstacles qui entraînent une exclusion par le fait qu’ils ne sont pas plus discriminatoires que ceux qu’ils remplacent. Cette approche contribue à perpétuer et à accentuer le désavantage historique que subissent les personnes ayant une déficience. Permettre à VIA d’invoquer comme moyen de défense ses voitures existantes et les services spéciaux qu’elle fournit à titre de mesures d’accommodement ne tient pas compte du fait que, tout en reconnaissant que les obstacles ne peuvent pas tous être éliminés, les principes applicables en matière de droits de la personne interdisent également d’en créer de nouveaux ou, à tout le moins, de maintenir sciemment de vieux obstacles lorsqu’ils sont évitables.
187 L’arrêt Meiorin recommande aux tribunaux administratifs de tenir compte des efforts qu’un intimé a déployés en vue de trouver d’autres solutions moins discriminatoires et qui démontrent que, dans les circonstances, il n’y avait aucun autre moyen raisonnable ou concret d’éviter des conséquences négatives sur un demandeur. D’après la preuve, VIA ne paraît pas avoir sérieusement étudié la possibilité d’accommoder raisonnablement les utilisateurs d’un fauteuil roulant personnel, ni même avoir examiné toute autre question concernant la possibilité de donner accès aux personnes ayant une déficience.
188 Au moment où VIA a acheté les voitures Renaissance, il n’existait aucun « plan » d’amélioration de l’accessibilité de ces voitures ni aucune estimation des coûts qui s’y rattacheraient, ce qui affaiblit son argument voulant qu’au moment où elle a décidé d’acheter les voitures Renaissance elle se soit acquittée de son obligation de chercher et d’examiner d’autres moyens d’accommoder les personnes ayant une déficience. Même si, au départ, VIA s’attendait à ce que le coût de « mise en service » lié à l’assemblage et à la rénovation des voitures s’élève environ à 100 millions de dollars, aucune partie de cette somme ne paraît avoir été consacrée à l’amélioration de l’accessibilité, étant donné que VIA estimait que les voitures Renaissance étaient déjà accessibles.
189 VIA n’a pas convaincu l’Office qu’elle ne pouvait pas remédier raisonnablement aux obstacles en question. La forme d’accommodement qu’elle proposait faisait plutôt en sorte que les personnes ayant une déficience continueraient d’être entièrement dépendantes d’autrui. J’estime, en toute déférence, qu’en acceptant que le parc existant et les normes de service de VIA constituent des mesures d’accommodement offertes dans son réseau, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale n’ont pas suffisamment tenu compte des principes de l’arrêt Meiorin.
d) Le coût
190 Contrairement à l’appréciation que les juges majoritaires ont faite de la preuve, j’estime que l’Office a dûment pris en considération le coût de la mesure qui permettrait de remédier à un obstacle pour déterminer si cet obstacle était « abusif ». Le juge Sexton a conclu, au nom des juges majoritaires, que l’Office n’aurait pas pu déterminer correctement quels obstacles dans les voitures Renaissance étaient abusifs sans savoir ce qu’il en coûterait pour y remédier. La cour a en outre jugé à l’unanimité qu’il était manifestement déraisonnable pour l’Office de conclure qu’il n’y avait aucune preuve convaincante de l’existence de contraintes économiques empêchant de remédier aux obstacles présents dans les voitures Renaissance, avant d’avoir obtenu l’estimation des coûts qu’il avait demandé à VIA de fournir.
191 En toute déférence, j’estime que ces conclusions sont problématiques. Le dossier révèle que l’Office n’a qualifié aucun obstacle d’« abusif » ni ordonné la prise de mesures correctives sans tenir compte du coût de ces mesures et tenter activement d’obtenir la participation de VIA à leur détermination.
192 Il est utile d’énoncer les mesures correctives particulières que l’Office a ordonnées à VIA de prendre dans sa décision finale du 29 octobre 2003, la façon dont il a avisé VIA qu’il songeait à ces mesures correctives, ainsi que les renseignements sur les coûts qu’il avait demandés et obtenus de VIA avant d’ordonner ces mesures. Voici ce que prévoit la décision finale de l’Office :
. . . l’Office enjoint à VIA d’apporter les modifications nécessaires aux voitures à passagers Renaissance :
1. Dans la « suite accessible », pour assurer que
a) la porte allant du vestibule de la voiture de service au compartiment‑lit de la « suite accessible » [soit] élargie à au moins 81 cm (31,89 po);
b) il y a[it] un dispositif de retenue pour fauteuil roulant dans le compartiment‑lit afin qu’une personne puisse conserver son fauteuil roulant personnel.
2. Dans les voitures‑coach de la classe économique, grâce à la mise en œuvre de l’option 3, avec les modification[s] appropriées, pour assurer que :
a) il y a[it] une toilette, près du dispositif de retenue pour fauteuil roulant, à laquelle les personnes qui utilisent un fauteuil roulant personnel [puissent] accéder seules;
b) l’aire de plancher dégagée de la zone du dispositif de retenue pour fauteuil roulant [soit] suffisante pour accueillir une personne qui utilise un fauteuil roulant personnel et un animal aidant; et que la zone du dispositif de retenue [soit] située près d’une aire permettant de manœuvrer et de tourner en fauteuil roulant et d’accéder au dispositif de retenue;
c) il y a[it] un siège pour un accompagnateur en face du dispositif de retenue pour fauteuil roulant;
d) la largeur de la porte de cloison située derrière le dispositif de retenue pour fauteuil roulant et la largeur du couloir entre le vestiaire/compartiment d’entreposage futur [soit] d’au moins 81 cm (31,89 po);
3. Dans chaque voiture‑coach de la classe économique, assurer qu’il y a[it] au moins une rangée de sièges doubles au niveau du plancher afin de fournir suffisamment d’espace pour accueillir les personnes qui voyagent avec un animal aidant.
4. Dans chaque voiture‑coach, assurer qu’il y a[it] au moins deux accoudoirs mobiles additionnels côté couloir des sièges doubles, en plus des quatre qui existent déjà;
5. En ce qui a trait aux escaliers à l’extérieur des voitures, assurer que les contremarches des voitures Renaissance de la I so[ie]nt fermées;
6. En ce qui a trait aux rames de trains de nuit offrant un compartiment‑lit, assurer que la voiture de service [soit] attelée de sorte que la « suite accessible » soit adjacente à l’extrémité où est situé le dispositif de retenue pour fauteuil roulant de la voiture‑coach de la classe économique qui contient la toilette accessible aux fauteuils roulants, et que cette suite soit offerte comme un compartiment‑lit. [p. 76‑77]
(i) Mesure corrective 1a) : élargissement de la porte d’entrée du compartiment‑lit
193 Le 8 janvier 2002, l’Office a demandé à VIA de lui fournir une estimation des coûts liés à l’élargissement à 81 cm (31,89 po) des portes de la « suite accessible », après que celle‑ci ait omis de fournir ces renseignements à la suite d’une demande du CCD datée du 15 novembre 2001.
194 Le 14 janvier 2002, VIA a répondu au moyen d’une lettre de Bombardier Inc. portant la même date et indiquant qu’il faudrait 45 jours pour préparer une estimation qui coûterait au moins 100 000 $. Il ressort de la lettre d’accompagnement de VIA qu’elle croyait que l’Office envisageait l’élargissement des portes intérieures de la « suite accessible » et des portes extérieures des voitures de service, au moment où elle a fait préparer cette estimation de l’estimation à produire. Or, la décision finale de l’Office et la mesure corrective 1a) ne visaient que la porte intérieure allant du vestibule au compartiment‑lit. Dans sa correspondance avec l’Office, VIA a indiqué que [traduction] « [s]i VIA Rail est tenue de préparer une telle estimation, l’Office devrait ordonner que ce soit fait ». Le 1er mars 2002, l’Office a encore demandé à VIA de lui fournir le coût estimatif de l’élargissement des portes de la « suite accessible ».
195 Plus tard, dans sa décision préliminaire du 27 mars 2003, l’Office a formellement ordonné à VIA de lui fournir cette estimation. Il lui a alors donné 60 jours pour produire une estimation du coût de l’élargissement des portes intérieures. VIA a obtenu un autre délai de 60 jours lorsque l’Office a réitéré sa décision préliminaire le 9 juin 2003.
196 VIA n’a respecté aucun de ces délais en dépit du fait qu’elle avait déjà indiqué, dans sa lettre du 14 janvier 2002 adressée à l’Office, qu’elle pourrait fournir, dans les 45 jours, une estimation même au sujet de la question plus complexe des portes extérieures. L’Office a, par la suite, conclu « qu’aucune preuve contraignante n’a[vait] été présentée par VIA indiquant que, du point de vue structural ou économique, les portes de la chambre et de la toilette dans la “suite accessible” ne [pouvaient] être élargies à au moins 81 cm (31,89 po) » (décision préliminaire, p. 119).
197 Quoi qu’il en soit, VIA avait unilatéralement, et à l’insu de l’Office, augmenté la largeur de 72 et 73 cm respectivement à 75 cm, ce qui représentait 6 cm de moins que les 81 cm prescrits par le code ferroviaire. Si VIA détenait des renseignements de nature structurale ou économique pour justifier cette dérogation au code ferroviaire, elle n’en a fourni aucun à l’Office. Compte tenu du fait que VIA avait elle‑même reconnu qu’il faudrait 45 jours pour préparer une estimation plus complexe, et que les travaux qu’elle avait déjà effectués pour élargir les portes lui permettaient d’avoir une idée des coûts, rien ne justifiait sa décision de ne pas fournir à l’Office, dans les délais impartis, des éléments de preuve relatifs aux coûts.
(ii) Mesure corrective 1b) : installation d’un dispositif de retenue dans le compartiment‑lit
198 La décision finale de l’Office enjoignait à VIA d’installer un dispositif de retenue pour fauteuil roulant dans la « suite accessible ». Cette mesure est conforme à l’intention initialement exprimée par VIA au début des procédures lorsqu’elle a informé l’Office qu’un dispositif de retenue pour fauteuil roulant serait installé dans les compartiments‑lits des voitures de service. Dans une lettre datée du 3 janvier 2001, l’avocat général de VIA indique que [traduction] « [l]a voiture de service comporte des installations spéciales, dont une chambre pour deux personnes, des toilettes accessibles, un accès par une large porte, et sera dotée d’un dispositif de retenue pour fauteuil roulant » (je souligne).
199 La décision préliminaire de l’Office rendue en mars 2003 précisait : « l’Office est d’avis qu’il semble n’y avoir aucun empêchement structural à l’installation d’un dispositif de retenue pour fauteuil roulant dans la “suite accessible” et que le coût d’installation d’un tel dispositif est vraisemblablement minimal » (p. 122). Il est évident que VIA avait été suffisamment avisée de la mesure corrective envisagée par l’Office pour être en mesure de préparer une estimation des coûts qui réfuterait la conclusion préliminaire de l’Office selon laquelle le coût serait vraisemblablement « minimal ».
200 Dans sa décision finale, l’Office a souligné que « VIA a indiqué de son propre aveu qu’il est faisable d’installer un dispositif de retenue dans la “suite accessible”, mais qu’elle a décidé de ne pas le faire pour éviter l’isolement des personnes ayant une déficience » (p. 31). L’Office a ajouté que, bien qu’on lui ait demandé expressément de fournir des renseignements sur la faisabilité et le coût de l’installation d’un dispositif de retenue pour fauteuil roulant dans la « suite accessible », VIA n’en a fourni aucun. VIA avait déjà, à ce stade des procédures, unilatéralement ajouté un dispositif de retenue dans les voitures‑coach de la classe économique, de sorte qu’elle aurait eu des renseignements au sujet du coût d’un tel dispositif. De plus, VIA avait initialement prévu l’ajout d’un dispositif de retenue dans la « suite accessible ». Elle aurait donc pu fournir toute estimation des coûts qu’elle a pu préparer à cet égard. VIA n’a fourni aucun des renseignements sur les coûts dont elle disposait en raison des travaux qu’elle avait réellement effectués ou qu’elle avait initialement prévus.
(iii) Mesure corrective 2 : mise en œuvre de l’option 3
201 Les modifications des voitures‑coach de la classe économique étaient les plus importantes que VIA s’était vu ordonner d’effectuer. Dans les décisions rendues par l’Office les 9 juin et 9 juillet 2003, VIA avait été informée que l’Office songeait à ordonner la mise en œuvre de l’option 3, l’une des options de réaménagement que VIA avait proposées pour répondre à la préoccupation exprimée par Transports Canada au sujet du fait que les toilettes des voitures‑coach étaient situées dans la « zone de déformation » des voitures qui présentait des risques. On a donné plusieurs fois à VIA la possibilité d’expliquer pourquoi cette option ne pouvait pas être mise en œuvre. VIA a fini par présenter un texte d’un paragraphe comportant de vagues affirmations relatives aux coûts.
202 L’option 3, proposée à Transports Canada par VIA, consistait à modifier les deux toilettes situées à l’extrémité des voitures‑coach de la classe économique où est fixé le dispositif de retenue pour fauteuil roulant. L’espace récupéré en supprimant les toilettes du côté des sièges simples de voitures serait utilisé pour agrandir la zone du dispositif de retenue pour fauteuil roulant, laquelle serait transférée du côté des sièges doubles au côté des sièges simples. La zone du côté des sièges doubles, où se trouvait le dispositif de retenue pour fauteuil roulant inaccessible, serait utilisée pour agrandir et réaménager les toilettes existantes situées immédiatement derrière. Même si les préoccupations de Transports Canada n’avaient rien à voir avec l’accessibilité des voitures, l’Office estimait que l’option 3 pourrait être mise en œuvre dans 13 des 33 voitures‑coach de la classe économique d’une manière conforme aux normes de base du code ferroviaire. Selon l’Office, ces modifications — dont, a‑t‑il souligné, VIA avait confirmé la faisabilité sur le plan structural à Transports Canada et à l’Office — permettraient à la fois de répondre aux préoccupations de Transports Canada relatives à la sécurité et de remédier à l’inaccessibilité du dispositif de retenue pour fauteuil roulant actuellement en place ainsi qu’à l’absence de toilettes accessibles aux fauteuils roulants près de la zone de ce dispositif.
203 Bien que VIA n’ait pas fourni les dimensions de la zone du dispositif de retenue qu’elle prévoyait aménager dans l’option 3, l’Office a conclu qu’il disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour décider qu’il serait ou pourrait être facile de rendre cette zone accessible aux fauteuils roulants. Selon l’Office, il faudrait modifier l’option 3 de manière à assurer que les voyageurs qui utilisent un fauteuil roulant disposent de suffisamment d’espace pour pouvoir effectuer aisément les manœuvres nécessaires pour entrer dans la zone du dispositif de retenue et en sortir, ce qui pourrait être fait en enlevant la cloison existante ou l’espace de rangement que VIA prévoyait aménager, ou les deux. L’Office estimait également que, puisqu’on avait installé un siège amovible dans les zones de dispositif de retenue situées dans les voitures VIA 1 Renaissance, il était également possible d’installer un siège amovible pour un accompagnateur en avant de la zone du dispositif de retenue prévue dans l’option 3. L’Office prévoyait collaborer avec VIA pour ajuster en conséquence l’option 3, faisant remarquer qu’il procéderait à un « examen de la façon générale dont VIA entend mettre en œuvre les mesures correctives requises par la présente décision, dont VIA doit soumettre les modalités à l’Office pour examen et approbation » (décision finale, p. 39).
204 VIA privilégiait l’option 1, moins coûteuse, qui prévoyait la mise hors service des deux toilettes situées près de la zone du dispositif de retenue pour fauteuil roulant et leur remplacement par un espace de rangement. Les toilettes situées à l’autre extrémité de la voiture seraient mises en service, de sorte qu’il n’y aurait plus de toilettes dans la partie de la voiture où était situé le dispositif de retenue pour fauteuil roulant.
205 Dans sa décision préliminaire, l’Office a clairement indiqué que seules 13 voitures‑coach de la classe économique devraient être rendues accessibles aux fauteuils roulants personnels pour qu’il y ait conformité au code ferroviaire (qui exige qu’une voiture‑coach de la classe économique par train de jour soit accessible). VIA a néanmoins fourni à l’Office une estimation du coût de la mise en œuvre de l’option 3 dans toutes les 47 voitures‑coach, ce coût étant évalué à 100 800 $ par voiture, soit un coût total de 4,8 millions de dollars. Elle a également estimé à 24,2 millions de dollars la perte de revenus voyageurs pendant la durée de vie des voitures touchées.
206 VIA n’a pas non plus soustrait le coût de l’option 1 de son estimation du coût de l’option 3. Vu que, de toute manière, VIA serait tenue de mettre en œuvre l’une des options de réaménagement qu’elle avait préparées pour répondre aux préoccupations de Transports Canada relatives à la sécurité, l’Office a décidé que seuls étaient pertinents les coûts supplémentaires que VIA devrait supporter si elle était obligée de régler les problèmes de sécurité d’une manière qui améliorerait l’accessibilité des voitures Renaissance. Puisque le coût de l’option 1 serait « d’au moins 2,3 millions $ » (décision finale, p. 41), VIA aurait dû soustraire ce montant de son estimation du coût de la mise en œuvre de l’option 3.
207 La mise en œuvre de l’option 3 dans seulement 13 des 33 voitures‑coach de la classe économique de VIA, dont le coût total direct serait de 673 400 $, permettrait de satisfaire à la norme du code ferroviaire qui exige qu’une voiture par train soit accessible. L’Office a souligné que ces estimations de coût plus précises ne tenaient pas compte des divers stades d’achèvement des voitures‑coach et étaient donc elles‑mêmes « nécessairement gonflé[es] » (décision finale, p. 42). L’Office a tiré la conclusion de fait selon laquelle « on obtien[drait] une perte de revenus voyageurs résultant de la mise en œuvre de l’option 3 relativement insignifiante » (décision finale, p. 56), et a estimé que, dans le pire des cas, le coût total pour VIA de la mise en œuvre de l’option 3 dans toutes les 33 voitures‑coach de la classe économique (si elle choisissait de mettre en œuvre exclusivement l’option 3) s’élèverait à environ 1,7 millions de dollars (décision finale, p. 42).
208 L’Office a jugé nettement exagérée l’affirmation de VIA selon laquelle la perte de revenus voyageurs que lui ferait subir la mise en œuvre de l’option 3 serait de 24,2 millions de dollars au cours des 20 années de durée de vie des voitures Renaissance. L’Office a fait remarquer que, si VIA prévoyait « éliminer 47 sièges pour aménager un espace de rangement pour les manteaux des voyageurs et [. . .] se priver des revenus afférents, elle [devait aussi] être prête à se priver des revenus relatifs à l’élimination d’un maximum de 33 sièges (ou 13 sièges dans le cas du “meilleur scénario” [. . .]) pour mettre en œuvre l’option 3 » (décision finale, p. 57). Selon les propres statistiques de VIA concernant le très faible nombre de voyageurs qui utilisent un fauteuil roulant à bord de ses trains, la zone du dispositif de retenue serait occupée moins de 0,1 pour 100 du temps. Pendant l’autre 99,9 pour 100 du temps, le siège amovible installé au‑dessus de la zone du dispositif de retenue pourrait être utilisé.
209 L’Office a réexaminé les chiffres de VIA et a déterminé que la perte de revenus voyageurs s’élèverait à 16 988 $ au cours des 20 années de durée de vie des 33 voitures‑coach de la classe économique.
(iv) Mesure corrective 3 : espace pour les animaux aidants
210 L’Office a ordonné à VIA de retirer une plate‑forme afin d’abaisser une rangée de sièges doubles dans chaque voiture‑coach de la classe économique de manière à offrir un espace pouvant accueillir, le cas échéant, l’animal aidant d’un voyageur. Les sièges des voitures Renaissance sont installés sur une plate‑forme surélevée conçue pour offrir un espace de rangement pour les bagages à main, ce qui ne laisse aucun espace pour accueillir les animaux aidants. En installant un dispositif de retenue pour fauteuil roulant dans les voitures‑coach, VIA a modifié le cadre support des sièges et a créé de l’espace pour les animaux aidants dans chacune des zones de dispositif de retenue grâce à l’installation d’un siège amovible. Cependant, les personnes accompagnées d’un animal aidant ne pourraient pas occuper ce siège si un voyageur en fauteuil roulant devait utiliser le dispositif de retenue. L’Office a estimé qu’une zone réservée aux voyageurs accompagnés d’un animal aidant était requise.
211 Dans sa décision préliminaire, l’Office avait affirmé que la « solution évidente » au manque d’espace pour les animaux aidants consisterait à « enlever la plate‑forme sous d’autres sièges dans les voitures‑coach », ce qui aurait pour effet d’abaisser un siège double et de créer de l’espace pour ces animaux (p. 142). L’Office a fourni à VIA tous les détails concernant cette mesure corrective dans sa décision préliminaire en plus de lui donner tous les renseignements dont elle aurait besoin pour préparer une estimation des coûts si elle était disposée à le faire.
212 La mesure corrective 3 oblige VIA à effectuer certains travaux de structure qu’elle a déjà entrepris en ajoutant des dispositifs de retenue pour fauteuil roulant dans ses voitures‑coach. VIA n’a fourni à l’Office aucun renseignement sur ce que les modifications en question ont coûté lorsqu’elle a aménagé dans les voitures‑coach la zone de dispositif de retenue pour fauteuil roulant. Si le coût de ces travaux avait été prohibitif, VIA l’aurait su au moment où l’Office a rendu sa décision préliminaire et elle aurait pu, si elle l’avait voulu, en informer l’Office.
(v) Mesure corrective 4 : ajout de deux accoudoirs mobiles dans les voitures‑coach
213 L’Office a ordonné à VIA d’ajouter deux accoudoirs réglables dans chaque voiture‑coach. L’Office avait avisé VIA qu’il songeait à cette mesure corrective particulière dans sa décision préliminaire, où il exprimait l’avis que « VIA [devrait] apporter les modifications nécessaires pour offrir au moins deux accoudoirs mobiles côté couloir du côté des sièges doubles dans les voitures‑coach Renaissance » (p. 85). L’installation d’accoudoirs réglables visait à réduire la hauteur à laquelle les voyageurs devraient être soulevés lors d’un transfert de leur fauteuil roulant à un siège standard, ce qui permettrait un accès plus aisé et sûr à ces sièges.
214 Lorsqu’il a ordonné l’ajout de deux accoudoirs mobiles dans les voitures‑coach Renaissance, l’Office avait obtenu de VIA un coût estimatif de 133 125 $. VIA a indiqué qu’« il était possible d’installer des accoudoirs mobiles du côté couloir, du côté des sièges doubles des voitures », mais elle voulait s’« assurer que l’intégrité structurelle du siège [ne soit] pas compromise » (décision finale, p. 64). L’estimation de 133 125 $ en coûts directs ne comprenait pas le coût de l’entretien du mécanisme pendant sa durée de vie. Selon l’Office, « les coûts directs au montant de 133 125 $ pour l’installation de deux accoudoirs mobiles du côté couloir dans chacune des 47 voitures‑coach Renaissance [était] un coût raisonnable compte tenu de l’importance d’une telle caractéristique pour de nombreuses personnes ayant une déficience, et en particulier pour celles qui utilisent un fauteuil roulant » (décision finale, p. 65).
(vi) Mesure corrective 5 : fermeture des contremarches à bord de douze voitures
215 L’Office a ordonné à VIA de s’« assurer que les contremarches des voitures Renaissance de la phase I so[ient] fermées » (décision finale, p. 77). Dans les observations qu’elle a présentées à l’Office, VIA a indiqué que toutes les voitures Renaissance, à l’exception de celles mises en service dans un premier temps (c’est‑à‑dire les voitures Renaissance de la phase I), auraient des contremarches fermées. Cette mesure s’imposait parce que les contremarches fermées servent de point de repère important aux personnes ayant une déficience visuelle et améliorent leur sécurité pendant l’embarquement et le débarquement. Dans sa décision préliminaire, l’Office a demandé à VIA des renseignements sur la faisabilité et le coût de la fermeture des contremarches dans les 12 dernières voitures. Étant donné qu’elle avait planifié ou commencé ces travaux dans toutes les autres voitures Renaissance, VIA devait disposer de ces renseignements. Elle n’a cependant fourni aucun des renseignements demandés par l’Office. Comme dans le cas des mesures correctives 1 et 3, si le coût de la fermeture des contremarches à bord de 12 voitures avait été excessif, VIA l’aurait su au moment où l’Office a rendu sa décision préliminaire et elle aurait pu lui fournir les renseignements en matière de coût nécessaires pour étayer son argument voulant que cette mesure soit irréalisable.
(vii) Mesure corrective 6 : attelage des voitures pour assurer l’accessibilité
216 À la lumière de la preuve dont il disposait, l’Office a décidé que deux modifications seraient nécessaires pour remédier à l’absence de toilettes accessibles aux fauteuils roulants dans la « suite accessible ». Premièrement, l’ordre des voitures du train effectuant le trajet Montréal‑Toronto devrait être modifié. Deuxièmement, VIA devrait se servir de sa politique de réservation pour assurer que la « suite accessible » soit également offerte comme compartiment‑lit aux personnes qui utilisent un fauteuil roulant personnel. L’Office a conclu qu’« [a]vec ces deux mesures, les personnes dans ces “suites accessibles” qui ne peuvent pas utiliser la toilette de la suite ou qui préfèrent un accès indépendant pourraient utiliser la toilette accessible aux fauteuils roulants située dans la voiture‑coach de la classe économique adjacente » (décision finale, p. 74).
217 Aucun coût évident ou important n’est associé à l’une ou l’autre des dispositions que VIA devrait prendre pour mettre en œuvre la mesure corrective 6. L’Office avait refusé de conclure que les toilettes inaccessibles de la « suite accessible » étaient un obstacle abusif. Il estimait que, même si ce n’était pas la solution idéale, les voyageurs occupant la « suite accessible » pourraient utiliser les toilettes accessibles situées dans les voitures de la classe économique. Toutefois, cela signifiait que, à titre de mesure corrective correspondante, VIA devrait assurer que ses rames de trains de nuit soient attelées de manière à que la « suite accessible » soit adjacente à l’extrémité où est situé le dispositif de retenue pour fauteuil roulant d’une voiture‑coach de la classe économique munie de toilettes accessibles aux fauteuils roulants.
218 Le dossier contredit donc les affirmations de VIA selon lesquelles elle n’était pas en mesure de fournir une estimation du coût des mesures correctives avant la décision finale de l’Office parce qu’elle ignorait prétendument quelles étaient les mesures correctives qu’il envisageait. L’Office avait déjà décrit chacune des mesures correctives qui entraînaient des coûts et avait demandé, à maintes reprises, à VIA son avis quant à leurs conséquences sur les plans structural, opérationnel et économique.
219 En outre, les affirmations de VIA selon lesquelles, si l’occasion des voitures Renaissance ne s’était pas présentée, elle aurait seulement pu se permettre d’acheter 36 nouvelles voitures ou il lui aurait fallu au moins quatre ans et plus de 477 millions de dollars pour développer, concevoir, mettre au point et construire de nouvelles voitures de chemin de fer, ne constituent pas une preuve de contrainte excessive dans les circonstances. Le réaménagement des voitures Renaissance était une solution raisonnable et beaucoup moins coûteuse que la construction de nouvelles voitures. Les motifs de l’Office indiquent clairement que le coût du réaménagement de certaines voitures du parc Renaissance pour accommoder les personnes utilisant un fauteuil roulant personnel est loin de correspondre à celui avancé par VIA.
220 Les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont également reproché à l’Office de ne pas avoir tenu compte des intérêts des voyageurs n’ayant pas une déficience. Mentionnant le faible pourcentage des voyageurs ayant une déficience qui utilisent les services de VIA, les juges majoritaires ont exprimé l’avis qu’ordonner une mesure corrective susceptible d’entraîner une hausse importante des tarifs désavantagerait injustement, sur le plan économique, les autres membres du public.
221 Les personnes ayant une déficience se trouvent alors exclues du public. Les membres du public qui ont une déficience physique restent des membres du public. Il ne s’agit pas d’une lutte entre personnes physiquement aptes et personnes ayant une déficience qui vise à empêcher une hausse de tarifs en évitant les dépenses engendrées par l’élimination de la discrimination. Les mesures de sécurité peuvent être coûteuses aussi, mais on ne s’attendrait guère à entendre que leur coût justifie le maintien de conditions dangereuses. À long terme, le danger est plus coûteux que la sécurité, et la discrimination plus coûteuse que l’inclusion.
222 De plus, rien au dossier ne laisse prévoir une hausse des tarifs voyageurs à la suite de la décision de l’Office. Cependant, même s’ils augmentaient, les tarifs voyageurs de VIA fluctuent déjà en fonction du coût d’exploitation du système. Les salaires, le carburant et l’entretien comptent parmi les facteurs qui les font varier. L’Office s’est livré à une appréciation critique de l’estimation des coûts fournie par VIA, examinant ces chiffres en fonction du budget de VIA, de son plan d’affaires, de ses objectifs de rendement, de ses revenus totaux, du coefficient de recouvrement des coûts, du surplus du financement d’exploitation et du montant de 25 millions de dollars conservé dans un fonds de prévoyance incluant les responsabilités opérationnelles. L’Office a conclu que « VIA [. . .] possède des réserves substantielles tant pour des projets d’immobilisations futurs que pour des événements imprévus » (décision finale, p. 24).
223 Les juges majoritaires ont également reproché à l’Office de ne pas avoir tenu compte des intérêts des personnes ayant une déficience autres que celles qui doivent utiliser un fauteuil roulant personnel. Selon eux, équiper des voitures de chemin de fer pour faire face à toutes les formes de déficience engendrerait un coût qui compromettrait gravement la rentabilité des services ferroviaires.
224 Les formes de déficience ne sont jamais toutes en cause lorsqu’on prétend qu’une forme particulière soulève une question de discrimination. Bien qu’elles fassent indubitablement intervenir des considérations conceptuelles analogues, elles peuvent néanmoins commander des mesures correctives complètement différentes. Une analyse de l’« accommodement raisonnable », de la « contrainte excessive » ou de l’« obstacle abusif » est nécessairement fonction de l’identité du plaignant, de la nature de la plainte, de l’environnement dont on se plaint, des mesures correctives qui peuvent être requises et de celles qui sont raisonnablement possibles. Compte tenu de la nature de la demande et de l’identité des parties qui étaient devant lui, l’Office aurait agi déraisonnablement en sollicitant des observations sur toutes les formes de déficience imaginables. Ironiquement, la Cour d’appel a émis des doutes concernant la portée de la demande déposée par le CCD.
225 Le critère de la « contrainte excessive » ne se résume pas à l’efficacité. Il va sans dire que, lorsqu’il s’agit de soupeser les intérêts opposés dans un bilan, le coût d’une restructuration ou d’un réaménagement est financièrement calculable, alors que les avantages de l’élimination de la discrimination tendent à ne pas l’être. Quelle valeur pécuniaire peut‑on attribuer à la dignité au regard du coût mesurable d’un environnement accessible? Il semblera toujours manifestement moins coûteux de maintenir le statu quo et de ne pas éliminer un obstacle discriminatoire.
226 Toutefois, le coût n’est pas la seule question qui se pose. Il s’agit aussi de savoir si ce coût constitue une contrainte excessive. Il incombait à VIA d’établir que l’accommodement des personnes ayant une déficience représentait pour elle une contrainte excessive : Grismer, par. 32. Une preuve concrète est nécessaire pour établir l’existence d’une contrainte excessive : Hutchinson c. British Columbia (Ministry of Health) (No. 4) (2004), 49 C.H.R.R. D/348, 2004 BCHRT 58; Grismer, par. 41. Comme dans la plupart des cas, cela nécessite la présentation d’une preuve que seule la partie intimée a en sa possession. Toutefois, comme l’a fait remarquer le juge Evans,
les problèmes de l’Office étaient aggravés par un manque apparent de coopération de la part de VIA durant le processus administratif. N’importe quelle société dans une industrie réglementée, y compris VIA Rail, a le droit de défendre vigoureusement les intérêts de ses actionnaires et de sa clientèle, de même que les deniers publics, contre l’imposition de fardeaux réglementaires. Néanmoins, à la vue du peu de documents dont l’Office disposait concernant la question du réseau et celle du coût, il me semble difficile d’éviter de conclure que, si l’analyse de l’Office était fondée sur des renseignements incomplets, VIA serait, du moins en partie, l’artisan de son propre malheur. [par. 103]
Lorsque VIA refuse de fournir une preuve qu’elle seule possède pour étayer son argument de la contrainte excessive, on ne peut pas dire qu’il existe un motif raisonnable de refuser d’éliminer un obstacle abusif.
227 Il ressort des motifs de l’Office que celui‑ci était pleinement conscient du coût des mesures correctives qu’il ordonnait. À la lumière des renseignements que lui avait fournis VIA, l’Office a tiré des conclusions de fait sur ce qu’il en coûterait pour rendre accessibles aux fauteuils roulants personnels de taille normale 13 voitures‑coach de la classe économique et pour installer des accoudoirs mobiles dans 47 voitures‑coach. L’Office a également conclu que le coût de l’aménagement d’une zone de « dispositif de retenue » dans la « suite accessible » était « vraisemblablement minimal ». VIA n’a fourni à l’Office aucune estimation des coûts liés à d’autres travaux d’amélioration de l’accessibilité en dépit du fait que ces travaux étaient déjà terminés dans certaines voitures ou en cours dans d’autres. À partir du 15 novembre 2001, on lui a demandé à au moins cinq reprises de produire une estimation du coût de l’élargissement des portes de la « suite accessible ». Elle a répondu qu’elle pourrait préparer cette estimation dans un délai de 45 jours, mais elle ne l’a pas fournie à l’Office. À la lumière des renseignements dont il disposait, l’Office a estimé que le coût des mesures correctives qu’il ordonnait ne serait pas prohibitif.
228 Les faits constatés par l’Office ne justifiaient pas une conclusion de contrainte excessive fondée sur le coût financier. L’Office a conclu que les coûts des mesures qui permettraient de remédier aux obstacles abusifs relevés représenteraient, toutes proportions gardées, une somme relativement négligeable par rapport à l’ensemble du budget d’immobilisations de 401,9 millions de dollars de VIA ou au montant approximatif de 100 millions de dollars que celle‑ci s’attendait à consacrer à la rénovation des voitures Renaissance. L’Office a conclu que les états financiers de VIA « ne fournissent aucune indication d’une incapacité [. . .] à absorber les coûts [qui], selon elle, [résulteraient] » (décision finale, p. 23). Il a également conclu que VIA était dans une situation économique favorable, alors qu’elle disposait d’un excédent d’exploitation pour les années se terminant le 31 décembre 2001 et le 31 décembre 2002 et d’un fonds de prévoyance de 25 millions de dollars. D’après l’Office, le coût des mesures qui permettraient de remédier aux obstacles résultant de l’achat par VIA de voitures de chemins de fer inaccessibles pourrait être réparti sur l’ensemble de ses activités et atténué grâce à des efforts déployés pour réaffecter des fonds. En outre, l’Office a décidé que VIA pourrait prendre des mesures pour éliminer les obstacles en question sans compromettre substantiellement ses activités commerciales, par exemple, en « planifiant [l]es modifications dans le temps de manière à minimiser les incidences sur l’exploitation de son réseau de trains voyageurs » (décision finale, p. 25).
229 Bref, l’Office a conclu qu’il n’y avait pas de « preuves péremptoires de l’existence de contraintes économiques empêchant [. . .] de remédier à tout obstacle abusif trouvé dans les voitures Renaissance » (p. 25). Selon l’art. 31 de la Loi sur les transports au Canada, « [l]a décision de l’Office sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive. » Dans les circonstances, les conclusions de l’Office relatives au coût et à la preuve en matière de contrainte excessive étaient loin d’être déraisonnables et doivent faire l’objet de déférence.
C. L’Office a‑t‑il violé le droit de VIA à l’équité procédurale?
230 Le législateur a conféré à l’Office un vaste pouvoir de régir sa propre procédure. L’Office a tous les pouvoirs d’une cour supérieure pour ce qui est de contraindre à comparaître, d’interroger des témoins, d’ordonner la production de pièces, de visiter un lieu et d’exécuter ses arrêtés (Loi sur les transports au Canada, art. 25), y compris les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui a trait à l’adjudication de frais (art. 25.1). Il est responsable de l’application des Règles générales de l’Office national des transports, DORS/88‑23, qui régissent la pratique et la procédure à suivre devant lui. Il peut établir ses propres règles concernant de nombreux aspects du déroulement des procédures devant lui (Loi sur les transports au Canada, art. 17). L’article 8 des Règles générales de l’Office national des transports l’habilite à accorder des prorogations de délai, ce qu’il a fait régulièrement au cours des procédures.
231 Il faut faire montre d’une grande déférence à l’égard des décisions procédurales d’un tribunal qui a le pouvoir de contrôler sa propre procédure. La détermination de la portée et du contenu de l’obligation d’agir équitablement est fonction des circonstances et peut bien dépendre de facteurs qui relèvent de l’expertise et des connaissances du tribunal, notamment la nature du régime législatif ainsi que les attentes et pratiques des personnes et organismes régis par l’Office. L’analyse des procédures requises par l’obligation d’équité dans une affaire donnée devrait « prendre en considération et respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances » : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 27, citant D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 7‑66 à 7‑70. Voir aussi les arrêts Gateway Packers 1968 Ltd. c. Burlington Northern (Manitoba) Ltd., [1971] C.F. 359 (C.A.), et Allied Auto Parts Ltd. c. Commission canadienne des transports, [1983] 2 C.F. 248 (C.A.).
232 Tout au long des procédures, l’Office a demandé à VIA de lui fournir des renseignements sur le coût et la faisabilité des modifications pouvant être apportées aux voitures Renaissance pour en améliorer l’accessibilité. Dans sa décision préliminaire du 27 mars 2003, l’Office a ordonné à VIA de lui fournir, dans un délai de 60 jours, des estimations du coût et de la faisabilité des solutions qu’il envisageait pour améliorer l’accessibilité. Au cours des 60 jours dont elle disposait, VIA a préparé une lettre de trois pages dans laquelle elle a fourni une partie seulement des estimations de coût demandées. L’Office a réitéré sa décision préliminaire le 9 juin 2003, en accordant à VIA un délai supplémentaire de 60 jours pour préparer une réponse adéquate. Dans une lettre en date du 4 juillet 2003, l’Office a informé VIA des lacunes particulières de sa réponse de trois pages afin de l’aider à préparer une réponse plus appropriée.
233 Le 14 juillet 2003, VIA a écrit à l’Office pour lui dire qu’elle ne disposait pas de l’expertise interne nécessaire pour donner suite à sa décision préliminaire, qu’il lui faudrait plus que 60 jours et que le gouvernement ne lui avait pas fourni les fonds dont elle avait besoin pour donner suite aux ordonnances de l’Office. Au lieu de solliciter un délai supplémentaire, VIA a demandé à l’Office de rendre sa décision finale. Le 7 août 2003, VIA a de nouveau demandé à l’Office de rendre sa décision finale à la lumière de la preuve dont il disposait.
234 VIA avait déjà fait cette demande à l’Office dans ses observations des 3 et 31 janvier, 2 avril et 15 juin 2001, en plus de l’avoir fait, comme nous venons de le mentionner, les 14 juillet et 7 août 2003. La dernière demande, en date du 7 août 2003, est rédigée ainsi : [traduction] « VIA Rail [. . .] demande la tenue d’une audience, si nécessaire. Sinon, elle demande à l’Office d’examiner l’ensemble de ces questions, faits et estimations et de rendre sa décision finale ». Ce n’est qu’après avoir reçu la décision finale qu’elle avait demandée à maintes reprises qu’elle a sollicité un délai supplémentaire pour fournir une estimation des coûts.
235 La conclusion de la Cour d’appel fédérale, selon laquelle l’Office a violé le droit de VIA à l’équité procédurale en ordonnant des mesures correctives sans attendre l’estimation des coûts qu’il lui avait plus d’une fois ordonné de préparer, est difficilement soutenable compte tenu du fait que VIA a persisté à refuser de la fournir. VIA avait constamment insisté pour que l’Office rende sa décision à la lumière des renseignements sur les coûts dont il disposait déjà et n’avait pas demandé une prorogation de délai pour préparer les autres estimations de coût requises par l’Office pour l’aider à décider si des obstacles étaient abusifs. Il est évident que VIA avait pris la décision stratégique de priver l’Office de renseignements dont elle seule disposait et qui auraient rendu l’évaluation plus complète.
236 Si VIA avait tenté de donner suite aux ordonnances de l’Office dans le délai imparti, mais que de nouveaux faits auraient rendu sa tâche difficile, elle aurait pu demander à l’Office de réviser sa décision en raison de l’évolution des circonstances, conformément à l’art. 32 de la Loi sur les transports au Canada, lequel prévoit :
32. L’Office peut réviser, annuler ou modifier ses décisions ou arrêtés, ou entendre de nouveau une demande avant d’en décider, en raison de faits nouveaux ou en cas d’évolution, selon son appréciation, des circonstances de l’affaire visée par ces décisions, arrêtés ou audiences.
237 VIA n’a pas demandé à l’Office de réviser sa décision en raison de faits nouveaux dont elle a pris connaissance grâce au rapport Schrum. Elle a plutôt choisi d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale en vue d’obtenir une réparation fondée sur une absence de preuve qu’elle avait elle‑même créée. Si VIA avait accédé aux demandes de renseignements sur les coûts adressées par l’Office au cours des procédures, ou si elle s’était vu refuser des demandes raisonnables de prorogation du délai imparti pour répondre à ces demandes de renseignements, l’argument de VIA fondé sur l’équité procédurale aurait semblé juste. Mais puisqu’elle cherche plutôt à présenter cette preuve uniquement après que la décision finale qu’elle avait demandée à maintes reprises eut été rendue, sans par ailleurs fournir une explication raisonnable sur les raisons pour lesquelles ces renseignements n’étaient pas disponibles pendant les procédures, aucune question d’iniquité ne se pose.
238 L’argument de VIA, selon lequel elle était incapable de demander des opinions d’expert sur les coûts parce qu’elle ne pouvait pas savoir quelles seraient les mesures correctives que l’Office ordonnerait dans la décision finale, est insoutenable. Dans sa décision finale, l’Office n’a ordonné aucune mesure corrective au sujet de laquelle VIA n’avait pas déjà été invitée à préparer une estimation du coût et de la faisabilité. Étant donné que les obstacles et les solutions possibles avaient été décrits de façon précise dans la décision préliminaire quelques mois plus tôt, VIA aurait disposé de tous les renseignements requis pour se conformer à l’ordonnance de justification, si elle avait souhaité le faire. VIA savait déjà comment remédier à maints obstacles décrits, puisque les travaux que l’Office a par la suite ordonnés étaient déjà exécutés ou en cours. L’argument de VIA fondé sur l’équité procédurale consiste essentiellement à prétendre que son propre défaut de collaborer tout au long des procédures devant l’Office lui donne droit à une autre possibilité d’être entendue.
239 Au cours des procédures, VIA a soutenu qu’elle manquait de temps, d’expertise et d’argent pour préparer une estimation des coûts. Le dossier n’explique pas comment Peter Schrum, une tierce partie, a pu préparer une telle estimation dans les 37 jours suivant la décision finale, ni comment VIA a pu en défrayer le coût. Le rapport Schrum, qui a tiré des conclusions fondamentalement opposées à certaines conclusions de faits définitives de l’Office, a estimé à 48 millions de dollars le coût minimum de la mise en œuvre de la décision de l’Office. Cette estimation reposait sur la présomption que 47 voitures‑coach et 17 voitures de service feraient l’objet d’une reconstruction majeure, même si la décision de l’Office prévoyait que seules 13 voitures‑coach de la classe économique nécessiteraient d’importantes modifications. Des modifications beaucoup moins importantes étaient ordonnées à l’égard des 17 voitures de service utilisées, des 12 voitures‑coach de la classe économique dont les contremarches n’étaient pas fermées et des voitures‑coach dans lesquelles il fallait seulement installer deux autres accoudoirs mobiles (toutes les 47 voitures‑coach) ou enlever un siège double (33 voitures‑coach de la classe économique).
240 Le rapport Schrum semble tenir pour acquis que chaque mesure corrective ordonnée par l’Office nécessiterait des travaux d’ingénierie du début à la fin sans égard au fait que VIA avait déjà effectué de nombreuses modifications ordonnées par l’Office. Il indique notamment qu’une étude technique de faisabilité ainsi que l’élaboration et la mise au point de nouveaux concepts sont des mesures à prendre pour ajouter un dispositif de retenue pour fauteuil roulant dans le compartiment‑lit de la « suite accessible » et pour abaisser une rangée de sièges doubles au niveau du plancher afin d’accueillir les animaux aidants dans les voitures‑coach de la classe économique. Cela ne tient pas compte du fait que VIA avait déjà une certaine expérience pratique, voire une expérience pratique approfondie, de la façon d’effectuer ces modifications étant donné qu’elle les avait effectuées dans le passé.
241 Il ressort clairement des motifs de l’Office que le coût des mesures correctives qu’il a ordonnées serait loin de correspondre à 48 millions de dollars. Pourtant, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’Office aurait dû attendre le rapport Schrum avant de les ordonner. Cette conclusion semble reposer en partie sur la présomption que l’estimation des coûts fournie dans le rapport Schrum est exacte. Selon la Cour, « avant que les coûts de l’ampleur envisagée par le rapport Schrum soient encourus » (par. 76), il faut obliger l’Office à réexaminer sa décision. Or, les conclusions tirées par M. Schrum n’ont pas été vérifiées par l’Office étant donné que le rapport n’a été déposé qu’une fois les procédures devant ce tribunal terminées. En fait, il est difficile de dire pourquoi le rapport Schrum peut être admis comme « nouvel élément de preuve ».
242 En raison du moment où il a été déposé et de ses conclusions non vérifiées, le rapport Schrum ne saurait justifier de modifier les conclusions de fait tirées par l’Office et les mesures correctives qu’il a ordonnées. Mettre en doute le caractère raisonnable de la décision de l’Office en raison d’un élément de preuve que VIA pouvait et aurait dû soumettre à l’Office en temps opportun a pour effet de rendre la procédure de l’Office vulnérable aux attitudes cavalières adoptées devant lui et de laisser le « véritable » litige se dérouler devant la Cour d’appel fédérale.
243 Un tel argument procède d’une mauvaise interprétation des rapports entre l’Office et la cour. L’Office possède l’expertise et les connaissances spécialisées. C’est pourquoi il est chargé de soupeser tous les intérêts opposés, y compris les coûts et l’intérêt public. La cour est un organisme de révision et non un tribunal de première instance. Il ne devrait pas lui être permis de se transformer au tribunal de première instance ou de remettre en question les responsabilités de l’Office en raison d’un élément de preuve qui a été produit après coup alors qu’il aurait pu être produit pour les besoins des procédures devant lui.
244 L’Office a donné à VIA le temps et les possibilités qu’il fallait pour se conformer à ses directives. Il est évident que VIA aurait pu commander le rapport Schrum et le remettre à l’Office dans le délai imparti, mais elle ne l’a pas fait. L’Office avait, sur le plan procédural, le pouvoir d’accorder une prorogation de délai ou de réviser des décisions s’il estimait que VIA tentait d’obtempérer, mais ne pouvait pas le faire. Aucune prorogation ou révision de cette nature n’a été demandée par VIA.
245 Après avoir eu affaire aux parties pendant plusieurs années, l’Office était le mieux placé pour contrôler sa propre procédure tout en tenant compte de leur bonne foi et de leurs choix stratégiques. Rien ne justifie une cour de révision de s’immiscer dans le pouvoir discrétionnaire de l’Office de rendre sa décision finale sans attendre que VIA produise l’estimation des coûts qu’elle avait continuellement et explicitement refusé de produire. Dans les circonstances, VIA n’a pas été victime d’iniquité procédurale.
IV. Conclusion
246 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les décisions de l’Office avec dépens en faveur du CCD devant notre Cour et les juridictions inférieures.
Version française des motifs des juges Binnie, Deschamps, Fish et Rothstein rendus par
247 Les juges Deschamps et Rothstein (dissidents) — La question de l’accommodement se pose dans maints contextes et notre Cour a le devoir de donner des indications claires sur les principes juridiques devant guider ceux qui se prononcent sur des demandes d’accommodement. Il ne convient pas de s’en remettre uniquement à son jugement personnel pour déterminer ce qui est, en pratique, approprié. Dans la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (« Loi »), le législateur a énoncé une politique nationale des transports comportant un certain nombre d’objectifs, notamment en matière de droits de la personne. La Loi établit également un cadre régissant le règlement des demandes relatives aux droits de la personne. En déterminant les conditions d’accommodement raisonnable, notre Cour devrait tenir compte de la politique et du cadre établis par le législateur ainsi que des principes de common law qu’elle a elle‑même énoncés. Il est préoccupant de constater que les juges majoritaires confirment la décision d’un tribunal administratif en concluant qu’il a appliqué les principes de common law, alors qu’il les a expressément rejetés. Il est aussi problématique que les juges majoritaires confirment la décision du tribunal alors qu’un élément fondamental, à savoir le coût estimatif de l’accommodement, n’a pas été établi. Pour des motifs de déférence envers le tribunal administratif, les juges majoritaires renoncent à effectuer l’analyse juridique appropriée et ne tiennent pas compte du fait que le coût n’était pas déterminé. Avec égards pour l’opinion contraire, la déférence n’est pas une raison valable pour passer sous silence de telles erreurs.
248 Le litige découle de la décision de VIA Rail Canada Inc. (« VIA ») d’acheter 139 voitures pour passagers. Le Conseil des Canadiens avec déficiences (« CCD ») prétend que ces voitures présentent des « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience qui utilisent un fauteuil roulant. Le CCD a présenté une demande à l’Office des transports du Canada (« Office ») qui a, par la suite, ordonné à VIA d’apporter des modifications aux voitures de chemin de fer. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de VIA et renvoyé l’affaire à l’Office pour qu’il rende une nouvelle décision qui tiendrait compte du réseau de VIA et des questions de coût.
249 Nous souscrivons à la conclusion de la Cour d’appel fédérale et nous renverrions l’affaire à l’Office pour qu’il rende une nouvelle décision tenant compte des présents motifs.
I. Les faits
A. Les parties
250 Fondé en 1976, le CCD est un organisme national de défense des droits des personnes ayant une déficience. Il est formé de représentants d’organismes provinciaux et d’autres grands organismes nationaux œuvrant pour les personnes ayant une déficience. Le CCD a déjà comparu comme intervenant à un certain nombre de reprises devant notre Cour, dans des affaires qui soulevaient des questions de droits de la personne et d’égalité visées par la Charte canadienne des droits et libertés.
251 VIA a été créée en 1977 et est devenue, en 1978, une société d’État responsable du transport ferroviaire de voyageurs au Canada. Le gouvernement du Canada (« gouvernement ») est l’unique actionnaire de VIA. Depuis sa création, VIA compte sur des subventions gouvernementales pour suppléer au revenu qu’elle tire des voyageurs. Les besoins de financement gouvernemental de VIA, y compris certaines dépenses en immobilisations, doivent être approuvés annuellement par le Conseil du Trésor conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11.
252 L’Office, qui a agi en qualité d’intervenant devant notre Cour, est un tribunal administratif fédéral dont le mandat est fixé par la Loi. Ce mandat concerne principalement la réglementation économique des transporteurs et des modes de transport. L’Office est notamment investi des pouvoirs de réglementation et de décision requis pour éliminer les « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience qui voyagent par train.
B. Achat des voitures de chemin de fer Renaissance
253 En juin 1998, le Comité permanent des transports de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé La Renaissance des services ferroviaires voyageurs au Canada, dans lequel il affirmait que « pratiquement tous les témoins entendus [ont dit] que VIA Rail ne peut pas continuer ainsi » (p. 18) et que « chaque fois qu’un train de VIA Rail quitte la gare, la société perd de l’argent » (p. 4). Le comité permanent a signalé que tous les services et segments du réseau de VIA fonctionnaient à perte, celle‑ci atteignant un total de 196 millions de dollars en 1997.
254 Le comité permanent a conclu que, suivant le niveau actuel de financement, le coût d’entretien et d’exploitation des vieilles voitures de VIA constituait une spirale de la mort et entraînerait « inévitablement la disparition de VIA Rail » (p. 5). Selon le rapport du comité permanent, VIA devait accroître la fréquence de ses trains dans le corridor Québec‑Windsor. Le comité permanent estimait que, pour que VIA puisse renouveler et préserver ses voitures en temps utile simplement afin de conserver les niveaux de service actuels, le gouvernement devrait lui allouer une somme additionnelle de 800 millions de dollars au cours des prochaines années au titre des dépenses en immobilisations. Le gouvernement ne l’a pas fait.
255 En 2000, le Conseil du Trésor a accordé à VIA un montant total de 401,9 millions de dollars pour l’ensemble de ses dépenses en immobilisations, dont celles relatives aux améliorations de l’infrastructure, aux réparations des gares, à l’achat de locomotives et de voitures de chemin de fer, à l’exploitation, à la sécurité et à la signalisation. Cette somme était nettement inférieure à celle que VIA avait demandée. Environ 130 millions des 401,9 millions de dollars étaient affectés à l’achat de voitures de chemin de fer.
256 Le 28 septembre 2000, VIA a conclu un contrat d’achat de 139 voitures, qui prendrait effet le 1er décembre 2000. Le coût initial de l’achat et de la mise en service de ces voitures s’élevait à 130 millions de dollars. VIA affirme que l’achat de ces voitures constituait [traduction] « une occasion unique et exceptionnelle » parce qu’elles étaient peu dispendieuses et disponibles immédiatement. Selon VIA, le remplacement des voitures aurait coûté 400 millions de dollars et il aurait fallu quatre ans pour concevoir d’autres voitures de chemin de fer et en obtenir la livraison.
257 Conçues par un consortium formé en 1990 par la Grande‑Bretagne, la France, l’Allemagne, les Pays‑Bas et la Belgique, les voitures portaient à l’origine le nom de « Channel Tunnel Nightstock Cars » (« voitures Nightstock du tunnel sous la Manche ») parce qu’elles avaient été conçues pour assurer le service entre l’Europe continentale et les régions du nord du Royaume‑Uni. Au dire de VIA, elles ont été mises en vente principalement en raison de la déréglementation du transport aérien européen, qui a entraîné une chute des prix des billets d’avion telle qu’il est devenu impossible d’offrir un service de nuit à un prix concurrentiel. VIA a présenté avec succès une offre d’achat de ces voitures. Elle leur a donné le nom de voitures Renaissance vraisemblablement pour refléter le titre du rapport du Comité permanent des transports qui a sensibilisé le gouvernement à la nécessité de résoudre les difficultés financières et opérationnelles de VIA.
258 VIA affirme que les voitures Renaissance étaient conformes à la réglementation ferroviaire européenne et britannique en vigueur au moment de leur conception, réglementation qui comportait des exigences impératives concernant les personnes ayant une déficience. Bien que, de l’aveu même de VIA, elles ne répondent peut‑être pas entièrement aux vœux des personnes ayant une déficience, les voitures Renaissance ont été ajoutées à son parc existant afin de remédier à la situation urgente dans laquelle elle se trouvait, et ce, dans les limites de ses contraintes budgétaires. VIA a soutenu qu’elle avait amélioré les caractéristiques des voitures Renaissance grâce à son programme d’accessibilité. Les caractéristiques des voitures comprennent ce qui suit : utilisation de symboles en braille destinés aux voyageurs ayant une déficience visuelle, formation permettant au personnel à bord des trains de prêter assistance aux personnes ayant une déficience, mains courantes et barres d’appui, espace pouvant accueillir les animaux aidants, écrans d’information pour communiquer des messages aux personnes malentendantes, toilettes comportant différentes caractéristiques d’accessibilité, détecteurs de fumée à signal sonore et visuel, espace de rangement pour fauteuils roulants personnels et fourniture d’un fauteuil roulant de bord si nécessaire, quatre accoudoirs mobiles dans chaque voiture, des dispositifs de retenue pour fauteuil roulant ainsi qu’un compartiment‑lit et des toilettes accessibles aux personnes en fauteuil roulant.
C. La demande présentée à l’Office par le CCD
259 Le 4 décembre 2000, le CCD a déposé auprès de l’Office une demande dans laquelle il s’opposait à l’achat des voitures Renaissance. Il alléguait que de nombreuses caractéristiques de ces voitures constitueraient des « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, principalement celles qui utilisent un fauteuil roulant.
260 Lorsqu’il a été avisé que VIA avait déjà acheté les voitures Renaissance avant le dépôt de sa demande, le CCD a demandé à l’Office de rendre (i) une ordonnance provisoire enjoignant de cesser la livraison des voitures Renaissance à VIA jusqu’à ce que l’Office se prononce définitivement sur la demande, et (ii) une ordonnance interdisant à VIA de conclure des contrats de modification des voitures Renaissance, ou de faire d’autres démarches en vue d’acquérir ces voitures. L’Office a refusé de rendre ces ordonnances pour le motif qu’elles risqueraient de causer à VIA un tort considérable.
261 L’Office a alors poursuivi son enquête sur la demande du CCD en examinant les arguments précis selon lesquels certaines caractéristiques des voitures Renaissance constituaient des « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, principalement celles qui utilisent un fauteuil roulant.
II. Résumé des décisions des juridictions inférieures
262 Les procédures en l’espèce ont été longues et de nature technique, et se sont parfois déroulées dans un climat acrimonieux. À partir du moment où le CCD a déposé sa demande initiale jusqu’à ce que l’Office rende sa décision finale, il s’est écoulé un délai de quelque deux années et dix mois au cours duquel l’Office a rendu plus de 70 ordonnances et décisions.
A. La position des parties durant l’enquête
263 Au cours de l’enquête menée par l’Office, le CCD a soutenu que [traduction] « [l]es personnes ayant une déficience attendaient depuis des décennies la prochaine génération de trains de voyageurs de VIA Rail. » Il était d’avis que ces voitures de chemin de fer devraient être considérées comme « nouvellement construites » et assujetties à des normes d’accessibilité plus strictes. D’après le CCD, VIA n’aurait jamais dû acheter les voitures Renaissance.
264 Pour sa part, très tôt au début de l’enquête de l’Office, VIA a prétendu que celui‑ci n’avait pas compétence en la matière. Au fur et à mesure que l’enquête de l’Office prenait de l’ampleur, VIA lui a constamment reproché d’outrepasser son mandat et de s’arroger un rôle de surveillant des affaires de VIA. VIA a maintenu que l’Office s’immisçait dans la gestion du transporteur et dans sa décision d’acheter les voitures Renaissance en respectant les limites des fonds d’immobilisations approuvés par le gouvernement. VIA estimait que ces voitures ne pouvaient pas être considérées comme « nouvellement construites » et qu’elles assuraient une accessibilité raisonnable aux voyageurs ayant une déficience.
B. La décision préliminaire de l’Office (no 175‑AT‑R‑2003)
265 Le 27 mars 2003, l’Office a présenté ses conclusions préliminaires concernant les 46 problèmes d’accessibilité relevés par le CCD (« décision préliminaire »). L’Office a décidé à la majorité que les voitures Renaissance étaient des voitures « nouvellement construites » et devraient assurer le niveau plus élevé d’accessibilité des nouvelles voitures indiqué dans le Code de pratiques de l’Office de 1998, intitulé Accessibilité des voitures de chemin de fer et conditions de transport ferroviaire des personnes ayant une déficience (« code ferroviaire »).
266 Quant aux 46 problèmes relevés par le CCD, l’Office s’est d’abord demandé si chacun de ceux‑ci constituait un « obstacle » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Les conclusions techniques de l’Office découlant de ses inspections minutieuses des voitures Renaissance reposent, dans une large mesure, sur les dimensions du « fauteuil roulant personnel » défini dans la norme Accessibilité des bâtiments et autres installations : règles de conception de l’Association canadienne de normalisation, CAN/CSA‑B651‑95, et mentionné dans le code ferroviaire.
267 Pour déterminer si les « obstacles » dont il constatait l’existence étaient « abusifs », l’Office a écarté, dans le contexte de la partie V de la Loi, l’applicabilité du critère de la contrainte excessive utilisé dans les lois et la jurisprudence en matière de droits de la personne : « [b]ien que [. . .] l’Office rejette l’applicabilité du critère de contrainte excessive au contexte de la partie V de la LTC, il reconnaît que certains des facteurs cernés par le CCD au sujet de la contrainte excessive peuvent s’appliquer à la détermination relative à un obstacle abusif » (p. 39).
268 L’Office, à la majorité, a conclu de façon préliminaire que 14 des 46 caractéristiques des voitures Renaissance dont se plaignait le CCD constituaient des « obstacles abusifs ». Il a ordonné à VIA d’expliquer pourquoi ces conclusions préliminaires ne devraient pas devenir définitives.
269 L’un des trois membres du comité d’audience de l’Office a exposé des motifs dissidents. Selon le membre Richard Cashin, « rien ne prouve que [l]es obstacles [jugés abusifs par les membres majoritaires] ne pourront être éliminés grâce au réseau de VIA » et « [le transporteur] peut et pourra répondre aux besoins des personnes ayant une déficience au sein de son réseau » (p. 165). Cependant, comme le mandat de M. Cashin se terminait le 30 juin 2003, celui‑ci n’a pas pris part à la décision finale que l’Office a rendue par la suite.
C. La décision finale de l’Office (no 620‑AT‑R‑2003)
270 L’Office a rendu sa décision finale le 29 octobre 2003. Il a relevé 14 « obstacles abusifs » (qui n’étaient pas exactement les mêmes que les 14 obstacles constatés dans sa décision préliminaire) et ordonné à VIA d’apporter des modifications précises aux voitures Renaissance en vue d’éliminer ces obstacles.
D. Cour d’appel fédérale, [2005] 4 R.C.F. 473, 2005 CAF 79
271 Le 2 mars 2005, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté par VIA. S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Sexton conclut, au par. 43, que les décisions de l’Office étaient manifestement déraisonnables parce que « [celui‑ci] s’est limité à n’examiner que des modifications aux voitures Renaissance plutôt que d’examiner la question de savoir si le réseau de VIA pouvait être assez flexible pour s’adapter à ces déficiences ». Le juge Sexton a ajouté que l’Office « n’a[vait] pas effectué l’exercice de pondération nécessaire » prescrit par la Loi relativement aux intérêts des personnes n’ayant pas de déficience, au coût des modifications ordonnées et aux intérêts d’autres personnes ayant une déficience qui n’utilisent pas un fauteuil roulant.
272 La Cour d’appel fédérale a mis l’accent sur un élément de preuve que VIA a déposé pour la première fois devant elle. Il s’agit d’une estimation du coût total des modifications énoncées dans la décision finale de l’Office. L’estimation (le rapport Schrum) en situait le coût entre 48 et 92 millions de dollars. Le juge Sexton décrit le document comme étant le « seul rapport objectif produit par un tiers qui présente une estimation complète des coûts de l’ensemble des changements ordonnés par l’Office » (par. 69).
273 Le juge Evans a souscrit à la décision d’accueillir l’appel, concluant que l’Office avait manqué à son obligation d’équité procédurale. À son avis, l’Office aurait dû, dans sa décision préliminaire, inviter expressément VIA à démontrer comment elle comptait atténuer les obstacles dans les voitures Renaissance en ayant recours à son réseau. Il estimait également que, compte tenu de l’argument de VIA selon lequel il était trop onéreux de fournir une preuve relative au coût pour répondre à la décision préliminaire de l’Office, l’Office aurait dû, après avoir rendu son ordonnance « définitive » précisant les modifications devant être apportées aux voitures Renaissance, donner à VIA la possibilité de produire une estimation des coûts effectuée par un tiers.
III. Les questions en litige
274 Le CCD formule ainsi les questions en litige :
(1) l’interprétation correcte de la partie V de la Loi;
(2) l’équité du processus;
(3) le caractère raisonnable de la décision de l’Office.
En outre, VIA soulève des questions de compétence.
275 Nous aborderons les questions de compétence avant de nous pencher sur l’interprétation de la Loi. Compte tenu de notre conclusion relative à l’interprétation de la Loi — une question de droit — , il ne sera pas nécessaire d’examiner la question de l’équité du processus ou celle du caractère raisonnable de la décision de l’Office.
IV. Analyse
276 Étant donné que les questions examinées découlent d’une décision d’un tribunal administratif, nous commencerons par déterminer la norme de contrôle appropriée. Nous donnerons ensuite un bref aperçu du contexte de la loi applicable en mettant l’accent sur la politique nationale des transports énoncée à l’art. 5 de la Loi et sur le cadre établi à la partie V de la Loi relativement à l’élimination des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Nous effectuerons ensuite une analyse qui concilie la partie V de la Loi avec les principes applicables en matière de droits de la personne. Nous énoncerons alors le cadre législatif régissant l’examen des demandes que l’Office entend en vertu de l’art. 172. Enfin, nous évaluerons la décision de l’Office relative aux questions soulevées dans le présent pourvoi.
A. La norme de contrôle
(1) Segmentation et terminologie
277 Selon les juges majoritaires, « [l]a décision [que l’Office] a rendue comportait plusieurs parties, chacune d’elles relevant clairement et inextricablement de son domaine d’expertise et de son mandat. Elle commandait donc l’application d’une seule norme de contrôle faisant appel à la déférence » (par. 100). Nous ne pouvons partager ce point de vue.
278 La jurisprudence portant sur la norme de contrôle reconnaît que la segmentation d’une décision est indiquée pour préciser la nature des questions soumises au tribunal administratif et le degré de déférence qui s’impose à l’égard des décisions rendues par le tribunal administratif au sujet de ces questions. Dans l’arrêt Canada (Sous‑ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, 2001 CSC 36, par. 27, le juge Major a affirmé ceci :
En général, des normes de contrôle différentes s’appliquent à des questions de droit différentes, selon la nature de la question à trancher et l’expertise relative du tribunal administratif sur ces questions particulières.
Dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, même s’il n’y avait aucune question de droit à examiner séparément, le juge Iacobucci a clairement indiqué qu’il y a des cas où il convient d’isoler de telles questions (par. 41). Voir également l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, 2006 CSC 22, par. 39. L’application d’une seule norme de contrôle à tous les aspects d’une décision ne tient pas compte de la diversité des questions examinées et a pour effet soit de soustraire la décision à un contrôle plus rigoureux dans le cas où des considérations pragmatiques et fonctionnelles commandent un examen plus approfondi de certaines questions de droit, soit d’assujettir les questions de fait à une norme trop exigeante. La décision du tribunal administratif doit donc être segmentée afin de permettre à la cour de révision d’examiner comme il se doit les différents volets de la décision qui commandent plus ou moins de déférence.
279 De plus, la juge Abella utilise dans ses motifs une nouvelle expression : « caractère déraisonnable démontrable » (par. 102). En toute déférence, nous tenons à exprimer des réserves concernant l’introduction, dans un domaine du droit déjà complexe, d’une nouvelle expression qui ne peut que créer de l’ambiguïté. À l’instar des juges majoritaires, nous estimons qu’il est difficile d’établir une gradation de la différence entre ce qui est déraisonnable et ce qui est manifestement déraisonnable. Dans une affaire qui s’y prête — ce qui n’est pas le cas en l’espèce — , la Cour peut effectuer un examen des normes du caractère déraisonnable et du caractère manifestement déraisonnable. En attendant qu’un tel cas se présente, nous ne voyons pas la nécessité d’ajouter une nouvelle expression au vocabulaire des normes de contrôle.
(2) La méthode pragmatique et fonctionnelle
280 Malgré la diversité des arguments avancés en l’espèce, nos motifs ne portent que sur les questions touchant la compétence de l’Office pour statuer sur la demande du CCD, et sur la décision de l’Office en ce qui a trait aux principes applicables en matière de droits de la personne dans le contexte des règles fédérales sur le transport.
281 Les facteurs à examiner dans l’analyse pragmatique et fonctionnelle sont énoncés dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 26 et suiv. À notre avis, il ressort de l’examen de tous les facteurs qu’il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’égard de la décision de l’Office.
282 La compétence de l’Office et la détermination des principes applicables en matière de droits de la personne dans le contexte des règles fédérales régissant le transport sont purement des questions de droit. Bien que dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, la Cour d’appel fédérale ait été saisie d’une affaire concernant le caractère abusif d’un obstacle, la question était de savoir si les motifs exposés par l’Office étaient suffisants. La compétence de l’Office et les principes applicables en matière de droits de la personne n’étaient pas en cause. Par conséquent, étant donné que c’est la première fois qu’une cour est appelée à interpréter ces questions, la décision rendue en l’espèce aura une grande valeur comme précédent. Ce fait commande une norme de contrôle exigeante. Voir les arrêts Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 36‑37, et Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 23.
283 En outre, l’Office ne bénéficie pas de la protection d’une clause privative en ce qui concerne les questions de droit ou de compétence. La Loi établit plutôt, au par. 41(1), une procédure d’appel relativement à ces questions. Cela contraste avec les décisions factuelles de l’Office qui, aux termes de l’art. 31 de la Loi, sont « définitive[s] ».
284 Quant aux questions de compétence et à la détermination des principes applicables en matière de droits de la personne, l’Office ne possède pas une expertise relative supérieure à celle d’une cour de justice. L’Office est tenu d’appliquer des principes en matière de droits de la personne qui ne sont pas entièrement énoncés dans sa loi constitutive et à l’égard desquels il ne possède aucune expertise particulière, sa fonction première étant la réglementation économique du transport dans un secteur largement déréglementé. Ce facteur indique qu’il y a lieu d’appliquer une norme de contrôle faisant appel à une moins grande déférence.
285 Enfin, l’art. 172 de la Loi vise à conférer à l’Office une fonction juridictionnelle lui permettant d’examiner des demandes présentées par des personnes ayant une déficience qui allèguent l’existence d’obstacles abusifs à leurs possibilités de déplacement lorsqu’elles font appel à un transporteur fédéral. Les questions en litige découlent généralement d’un différend entre une partie lésée et le transporteur. Tandis que l’analyse à laquelle l’Office doit alors se livrer implique une mise en balance des divers intérêts, cet exercice n’est pas requis pour trancher les questions touchant la compétence de l’Office et la détermination des règles de droit applicables en matière de droits de la personne.
286 Compte tenu de tous ces facteurs, les questions touchant la compétence de l’Office et la détermination des principes applicables en matière de droits de la personne dans le contexte des règles fédérales régissant le transport doivent faire l’objet d’un examen fondé sur la norme de la décision correcte.
B. La politique nationale des transports
287 Nous allons d’abord analyser la politique nationale des transports énoncée à l’art. 5 de la Loi. Cette disposition établit le contexte dans lequel se situe l’ensemble de la Loi, y compris l’art. 172. Toutes les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites dans l’annexe.
288 L’article 5 est une disposition déclaratoire qui énonce la politique nationale des transports en vigueur au Canada. Il fait état d’un certain nombre d’objectifs, dont celui‑ci :
5. Il est déclaré que, d’une part, la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs — y compris des personnes ayant une déficience — . . .
289 L’objectif du transport accessible aux personnes ayant une déficience est une question qui concerne les droits de la personne. Cet objectif revêt une importance cruciale pour ce qui est de permettre aux personnes ayant une déficience d’obtenir un emploi, de poursuivre des études, d’avoir des loisirs et de vivre de façon autonome dans la société. Reconnaissant l’importance de l’accessibilité du réseau de transport fédéral aux personnes ayant une déficience, le législateur en a fait l’un des objectifs de la politique nationale des transports et, à la partie V de la Loi, a expressément habilité l’Office à remédier aux obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
290 Il n’y a donc aucun doute que l’accessibilité est l’un des grands objectifs de la Loi. Toutefois, plusieurs des objectifs énoncés à l’art. 5, dont l’accessibilité, sont des objectifs auxquels il faut tendre « dans la mesure du possible » — expression qui est utilisée à trois reprises à l’art. 5 et qui indique qu’on ne s’attend pas à ce que les objectifs soient réalisés à la perfection. Ainsi, le sous‑al. 5g)(ii) précise que « les liaisons assurées [. . .] par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible [. . .] selon des modalités qui ne constituent pas [. . .] un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience ». De plus, bien que le texte du sous‑al. 5g)(ii) reconnaisse que des obstacles peuvent entraver la circulation des personnes, la politique vise cependant à assurer que ces obstacles ne soient pas abusifs.
C. Partie V de la Loi : élimination des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience
291 Dans la partie V de la Loi, le législateur a habilité de deux manières l’Office à remédier aux obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Premièrement, l’art. 170 de la Loi accorde à l’Office certains pouvoirs de réglementation :
170. (1) L’Office peut prendre des règlements afin d’éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement, aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et peut notamment, à cette occasion, régir :
a) la conception et la construction des moyens de transport ainsi que des installations et locaux connexes — y compris les commodités et l’équipement qui s’y trouvent — , leur modification ou la signalisation dans ceux‑ci ou leurs environs;
b) la formation du personnel des transporteurs ou de celui employé dans ces installations et locaux;
c) toute mesure concernant les tarifs, taux, prix, frais et autres conditions de transport applicables au transport et aux services connexes offerts aux personnes ayant une déficience;
d) la communication d’information à ces personnes.
292 Deuxièmement, l’art. 172 de la Loi énonce la compétence juridictionnelle de l’Office :
172. (1) Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
(2) L’Office rend une décision négative à l’issue de son enquête s’il est convaincu de la conformité du service du transporteur aux dispositions réglementaires applicables en l’occurrence.
(3) En cas de décision positive, l’Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l’obstacle en cause, ou les deux.
293 Comme nous l’avons dit, l’accessibilité des personnes ayant une déficience est une question concernant les droits de la personne. Par conséquent, il s’agit en l’espèce de déterminer les principes applicables en matière de droits de la personne qui doivent guider l’exercice par l’Office du pouvoir de statuer sur des demandes que lui confère l’art. 172. Ces principes ne s’appliquent pas dans l’abstrait. Il existe au Canada une jurisprudence en matière de droits de la personne. Il est donc utile d’examiner cette jurisprudence pour comprendre comment elle se concilie avec la partie V de la Loi dans un cadre logique.
D. Conciliation du droit en matière de droits de la personne et de la partie V de la Loi sur les transports au Canada
294 Dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), notre Cour a établi la méthode d’analyse applicable aux demandes relatives aux droits de la personne. Le cadre d’analyse établi dans cet arrêt a été formulé dans des termes propres au contexte de l’emploi. Il a toutefois été appliqué à d’autres domaines, notamment à la délivrance de permis de conduire dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868.
295 Il est utile de reproduire textuellement la méthode que la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) énonce aux par. 54-55 de l’arrêt Meiorin :
Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ [exigence professionnelle justifiée]. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :
(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
Cette méthode est fondée sur la nécessité d’établir des normes qui composent avec l’apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d’un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l’a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool, précité, à la p. 518, « [s]’il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d’imposer une règle donnée aux membres d’un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une EPJ] ». Il s’ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu’aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu’elle existe n’est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l’existence de discrimination n’est pas réfutée.
296 L’approche adoptée dans l’arrêt Meiorin a guidé les analyses subséquentes de notre Cour dans des affaires relatives aux droits de la personne et, à notre avis, elle devrait être utilisée dans le contexte des règles fédérales régissant le transport. La Loi prévoit expressément que les droits de la personne s’appliquent à l’égard du transport des personnes ayant une déficience. L’article 171 de la Loi précise que l’Office et la Commission canadienne des droits de la personne sont tenus de veiller à la coordination de leur action et de favoriser l’adoption de lignes de conduite complémentaires en matière de transport des personnes ayant une déficience. Comme nous l’avons vu, l’art. 5 et la partie V de la Loi font tous les deux état de l’objectif d’élimination des « obstacles abusifs à la circulation ou aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience », lequel relève des droits de la personne. Il s’ensuit que le transport des personnes ayant une déficience devrait être guidé par les principes en matière de droits de la personne établis dans l’arrêt Meiorin.
297 Si l’on tient compte de ces facteurs et que l’on applique l’arrêt Meiorin dans le contexte des règles fédérales régissant le transport, l’exercice par l’Office du pouvoir de statuer sur des demandes que lui confère l’art. 172 doit comporter les étapes suivantes :
(1) Le demandeur doit convaincre l’Office qu’il existe un obstacle prima facie aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
(2) Il appartient ensuite au transporteur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que cet obstacle n’est pas abusif du fait
(i) qu’il est rationnellement lié à un objectif légitime,
(ii) qu’il a choisi de ne pas l’éliminer parce qu’il croyait sincèrement qu’il était nécessaire pour réaliser cet objectif légitime, et
(iii) que l’omission d’éliminer l’obstacle est raisonnablement nécessaire pour réaliser cet objectif légitime.
Dans l’analyse qui suit, nous expliquerons davantage les éléments de ce critère afin de donner à l’Office et aux cours de révision des indications sur l’approche qui, sur le plan du droit, devrait être adoptée pour interpréter l’art. 172 de la Loi.
E. L’analyse de l’obstacle
298 Dans le contexte du transport, l’analyse de l’obstacle prima facie doit commencer par une évaluation de l’obstacle invoqué. Pour que l’Office conclue à l’existence d’un obstacle, celui‑ci doit avoir plus qu’un impact mineur sur les possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. La perfection n’est pas la norme applicable. La présence de l’expression « dans la mesure du possible » dans la politique nationale des transports signifie qu’il n’est pas nécessaire que tout obstacle soit éliminé. Lorsque l’Office juge que l’obstacle invoqué n’a pas un impact suffisamment important, son analyse est terminée et il y a lieu de rejeter la demande.
F. L’analyse du caractère abusif
299 Lorsque l’Office estime qu’un obstacle a un impact suffisamment important, il doit alors décider s’il constitue un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
300 La première étape consiste à déterminer si l’existence de l’obstacle est rationnellement liée à un but légitime. Selon l’art. 5 de la Loi, un certain nombre d’objectifs et de buts sont liés à ce qui est « essentie[l] à la satisfaction des besoins des [. . .] voyageurs — y compris des personnes ayant une déficience — ». Ces objectifs ou buts sont intimement liés au contexte du transport au Canada et ont été expressément conçus par le législateur comme étant des résultats que les transporteurs doivent atteindre. Lorsqu’il est prouvé que le transporteur a cherché à atteindre un ou plusieurs des buts énoncés à l’art. 5 de la Loi, l’Office doit, dans son analyse, considérer que ces buts sont légitimes. Il va de soi que cela n’empêche pas un transporteur de poursuivre d’autres objectifs ni l’Office de décider si, en l’occurrence, ces objectifs constituent un but légitime dans le cadre d’une analyse des droits de la personne. Les buts légitimes qui sont énoncés dans la politique nationale des transports et qui s’appliquent au transport ferroviaire des voyageurs sont les suivants :
a) sécurité;
b) efficacité;
c) concurrence;
d) rentabilité;
e) prix concurrentiels.
Il se peut qu’en cherchant à atteindre les objectifs de sécurité, d’efficacité, de rentabilité ou tout autre objectif légitime, l’on crée, sciemment ou autrement, des obstacles aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Toutefois, du moment que ces obstacles sont rationnellement liés à un but légitime, la première étape de l’analyse du caractère abusif est franchie.
301 Plusieurs objectifs de la politique comportent des aspects économiques. En ce qui concerne l’objectif de rentabilité, VIA n’est pas rentable puisqu’elle doit être subventionnée. Dans un tel cas, il faut interpréter l’objectif de rentabilité comme une politique visant à limiter, autant qu’il est raisonnablement possible de le faire, le recours aux subventions gouvernementales. Pour le transporteur qui est géré efficacement et qui maximise les revenus voyageurs, mais qui ne dispose pas de revenus suffisants pour couvrir ses dépenses, les sommes requises pour éliminer un obstacle doivent être trouvées soit en réduisant les services, soit, auprès des contribuables, en obtenant des subventions gouvernementales plus importantes. Par conséquent, le maintien d’obstacles, en raison de leur coût financier, peut être rationnellement lié à un but légitime.
302 Dès qu’un transporteur a établi que l’obstacle est rationnellement lié à un but légitime, l’Office doit, dans un deuxième temps, examiner si le maintien de l’obstacle est dû à la croyance sincère qu’il est nécessaire pour réaliser ce but légitime.
303 Enfin, la troisième étape de l’analyse du caractère abusif consiste à vérifier si le refus du transporteur d’éliminer l’obstacle est raisonnablement nécessaire à la réalisation du but légitime invoqué. Pour répondre à la question de savoir si l’existence d’un obstacle est raisonnablement nécessaire, il faut apprécier objectivement a) les solutions de rechange raisonnables offertes par le transporteur aux personnes ayant une déficience qui sont touchées par l’obstacle, et b) les contraintes qui empêcheraient d’éliminer l’obstacle en question.
304 Si le transporteur a offert des solutions de rechange raisonnables aux personnes ayant une déficience, la troisième étape de l’analyse du caractère abusif est alors franchie et l’obstacle n’est pas jugé abusif. Pour être raisonnable, une solution de rechange doit respecter la dignité de la personne ayant une déficience. Il peut s’agir d’une solution pratique qui ne procure pas nécessairement un service identique, et il n’est pas nécessaire qu’elle soit la même sur tous les parcours. Un obstacle constaté dans une voiture peut faire l’objet d’une mesure corrective qui n’a pas pour effet de l’éliminer, mais qui permet plutôt de l’éviter. La recherche de solutions de rechange raisonnables variera en fonction des circonstances de chaque cas où un obstacle est relevé. Il appartiendra à l’Office de déterminer, dans chaque cas, ce qui peut constituer une solution de rechange raisonnable.
305 En l’espèce, VIA a soumis une preuve établissant que son « réseau » offrait des solutions de rechange raisonnables pour accommoder les personnes ayant une déficience. Elle a affirmé que son réseau [traduction] « comporte un système de réservations, une politique sur les transports spéciaux, des services au sol, des services de traitement spécial, l’hébergement à bord des trains, la formation des employés et des demandes de services spéciaux ». En fait, la Commission canadienne des droits de la personne a soutenu, au par. 25 de son mémoire, qu’un transporteur pourrait faire valoir en défense que
[traduction] . . . l’idée voulant que, dans certaines circonstances, il convienne [. . .] d’examiner l’ensemble du réseau avant de conclure qu’un obstacle est « abusif » ne pose aucun problème en soi.
306 Nous avons mentionné le « réseau » de VIA parce que c’est le terme qui est utilisé à l’art. 5 de la Loi. Ce terme a aussi été utilisé par les parties, l’Office et la Cour d’appel fédérale. Cependant, afin d’éviter toute ambiguïté, nous tenons à souligner qu’un parcours ne présentant pas de problème d’accessibilité ne permet pas d’obvier à un obstacle constaté dans le matériel servant au transport de voyageurs sur un autre parcours. En d’autres termes, pour être raisonnable la solution de rechange doit être utile au voyageur. Il se peut que les passagers effectuent un voyage d’affaires ou un voyage d’agrément. Néanmoins, dans l’un et l’autre cas, ils comptent se rendre d’un point à un autre. Lorsqu’il est question des possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, il faut considérer le transport des voyageurs entre deux points précis. Par exemple, l’accessibilité offerte sur le parcours Ottawa‑Toronto ne remédie pas aux obstacles abusifs qui peuvent exister sur le parcours Winnipeg‑Saskatoon.
307 S’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable qui permettrait aux personnes ayant une déficience d’éviter un obstacle, l’Office doit alors poursuivre son analyse des contraintes qui empêcheraient d’éliminer cet obstacle.
308 Si l’impossibilité de remédier à l’obstacle est attribuable à des contraintes structurales, la troisième étape de l’analyse du caractère abusif est alors franchie et l’obstacle n’est pas jugé abusif. Toutefois, s’il est possible, sur le plan technique, d’apporter des modifications, l’Office doit alors poursuivre son analyse des autres contraintes liées à ces mesures d’accommodement.
309 Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, la Cour d’appel fédérale s’est reportée à un certain nombre de facteurs à considérer pour accommoder les personnes ayant une déficience qui ont besoin d’un accompagnateur, par exemple, la disponibilité du personnel, le temps requis pour prêter assistance et la capacité de retenir les services d’employés occasionnels. Les facteurs dépendent des circonstances de chaque cas. Toutefois, presque toutes les mesures d’accommodement peuvent être évaluées du point de vue de leur coût, tel celui lié au personnel ou à la modification du matériel. Par conséquent, dans pratiquement tous les cas, l’ultime contrainte qui empêche d’éliminer l’obstacle est le coût de cette mesure. À ce stade, l’Office doit soupeser l’importance de l’obstacle en fonction du coût à supporter pour l’éliminer. Lorsque ce coût est disproportionné par rapport à l’incidence de l’obstacle sur les possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, la troisième étape de l’analyse du caractère abusif est alors franchie et l’obstacle n’est pas jugé abusif.
310 Il est bien établi dans la jurisprudence en matière de droits de la personne que le coût est un facteur qui doit être pris en considération. Dans l’arrêt Meiorin, par. 63, la juge McLachlin a affirmé que le coût de la méthode d’accommodement est un facteur pertinent. Dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, p. 520‑521, le « coût financier » est le premier facteur que la juge Wilson qualifie de pertinent en matière de contrainte excessive. De même, dans l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, le juge Cory a fait la remarque suivante, à la p. 546 : « Ce qui peut être parfaitement raisonnable en période de prospérité est susceptible d’imposer à un employeur un fardeau financier déraisonnable en période de restrictions budgétaires ou de récession. » Avant d’ordonner l’élimination d’un obstacle, l’Office doit donc tenir compte du coût de cette mesure.
311 La portée de l’examen du coût par l’Office variera nécessairement en fonction de la nature de la demande. Les demandes fondées sur l’art. 172 vont d’affaires où il est question d’un seul obstacle, jusqu’à des affaires, comme celle qui nous intéresse, où le CCD allègue l’existence de 46 obstacles. Dans chaque cas, l’Office doit adapter sa façon de procéder de manière à tenir compte des circonstances de l’affaire. Dans un cas où on allègue l’existence de nombreux obstacles, la tâche de l’Office se complique davantage. En effet, lorsque plusieurs obstacles sont invoqués, l’Office doit tenir compte du coût global de leur élimination et des répercussions que ce coût pourra avoir sur le transporteur. L’Office doit non seulement tenir compte du coût global, mais encore se demander si, au regard du coût pertinent dans chaque cas, l’élimination de certains obstacles est justifiable, alors que l’élimination d’autres obstacles ne l’est pas.
312 Lorsqu’un demandeur s’adresse à l’Office pour qu’il ordonne l’élimination d’un obstacle, la lourdeur des coûts de financement des modifications requises pour le transporteur, surtout s’il s’agit d’un transporteur subventionné, peut amener à conclure que, eu égard aux circonstances, l’obstacle ne saurait être qualifié d’abusif. Cela ne veut pas nécessairement dire que l’obstacle ne constitue pas un problème sérieux pour les personnes ayant une déficience. Toutefois, si une solution doit être apportée dans un tel cas, elle relève d’une décision de politique générale du gouvernement et non de la fonction juridictionnelle de l’Office.
313 Bref, nous pouvons affirmer que les principes en matière de droits de la personne qui s’appliquent dans le contexte des systèmes de transport de régime fédéral sont essentiellement les mêmes que ceux qui s’appliquent dans d’autres affaires relatives aux droits de la personne.
G. Analyse des décisions de l’Office
314 Deux questions doivent être examinées : la justesse de la décision de l’Office concluant à sa compétence et sa décision concernant les principes applicables en matière de droits de la personne dans le contexte des règles fédérales régissant le transport.
(1) Questions touchant la compétence
315 Le CCD a prétendu que VIA avait eu tort de soulever des questions de compétence devant notre Cour, parce que la Cour d’appel fédérale a conclu que l’Office avait effectivement compétence et que VIA n’a pas formé de pourvoi incident. Le paragraphe 29(3) des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, prévoit que l’intimé qui cherche à faire confirmer le jugement de la juridiction inférieure pour des motifs différents de ceux invoqués dans ce jugement peut, sans déposer de demande d’appel incident, le faire dans son mémoire d’appel. Citant l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, le CCD a soutenu que le par. 29(3) des Règles ne s’appliquait pas en l’espèce pour le motif que, dans son argumentation relative à la compétence, VIA n’a pas demandé simplement à la Cour de confirmer le jugement de la Cour d’appel fédérale renvoyant l’affaire à l’Office pour qu’il rende une nouvelle décision, mais a plutôt demandé à notre Cour d’ordonner que la demande du CCD soit rejetée définitivement. Nous ne jugeons pas nécessaire de nous prononcer sur l’application du par. 29(3) des Règles, étant donné notre conclusion selon laquelle l’Office n’a pas outrepassé sa compétence.
a) Un demandeur doit‑il s’être réellement heurté à un obstacle abusif?
316 La question de savoir si l’Office a compétence dans le cas où un demandeur ne s’est pas « réellement heurté » à un obstacle abusif a été discutée longuement aux cours des procédures.
317 Le texte du par. 172(1) de la Loi indique que le législateur a voulu que l’Office ait compétence lorsqu’une « demande » lui est présentée et que son enquête vise à « déterminer s’il existe un obstacle abusif ». Pourvu que l’obstacle invoqué existe, rien n’empêche l’Office de tenir une enquête lorsqu’un groupe de défense de l’intérêt public, comme le CCD, lui présente une demande et que rien n’indique qu’un demandeur s’est réellement heurté à un obstacle. En l’espèce, VIA avait déjà fait l’acquisition des voitures Renaissance, et l’enquête sur les prétendus obstacles que comportaient ces voitures n’excédait pas la compétence de l’Office.
b) L’Office perd‑il compétence lorsque son enquête dure plus que les 120 jours prévus à l’art. 29 de la Loi?
318 L’enquête menée par l’Office en l’espèce avait une portée exceptionnellement vaste. Le juge Sexton a souligné que le texte de l’art. 172 habilite l’Office à enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au par. 170(1), notamment la conception, la construction et la modification des voitures de chemin de fer. Il faut se demander si le genre d’enquête que nécessite la présente affaire relève de la compétence que l’art. 172 confère à l’Office.
319 Suivant l’art. 29 de la Loi, les décisions de nature juridictionnelle doivent être rendues « avec toute la diligence possible » dans un délai de 120 jours, à moins que les parties ne consentent à une prolongation de ce délai. C’est pourquoi VIA a prétendu que l’Office n’avait pas compétence en vertu de l’art. 172 pour entreprendre une enquête aussi longue.
320 Compte tenu de l’exigence, au par. 29(1), que les décisions de nature juridictionnelle soient rendues dans un délai de 120 jours, le législateur paraît avoir voulu que les procédures de cette nature soient plus limitées que lorsque l’Office exerce la fonction de réglementation générale prévue à l’art. 170. Néanmoins, rien ne limite expressément la portée ou la nature d’une enquête de nature juridictionnelle.
321 Dans l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Ferroequus Railway Co., [2002] A.C.F. no 762 (QL), 2002 CAF 193, le juge Décary a conclu que le délai de 120 jours prévu au par. 29(1) était de nature directive et non impérative. Nous souscrivons à ce raisonnement et sommes d’accord pour dire que le par. 29(1) a un caractère directif lorsqu’il s’applique aux procédures prévues à l’art. 172 de la Loi. Lorsque l’Office effectue une enquête juridictionnelle relativement limitée, il s’organise pour rendre une décision dans un délai de 120 jours. Par contre, lorsque des procédures juridictionnelles ont une large portée et sont lourdes de conséquences, l’Office doit procéder de manière à tenir compte de cette situation. Le délai de 120 jours prévu à l’art. 29 n’empêche pas l’Office d’agir ainsi et ne lui fait pas perdre compétence s’il l’excède. Bien que l’enquête menée en l’espèce ait été vaste, elle n’a pas outrepassé la compétence que l’art. 172 confère à l’Office.
c) Fardeau de réglementation
322 Selon VIA, le [traduction] « lourd fardeau de réglementation » qui lui est imposé en l’espèce démontre que la compétence juridictionnelle conférée à l’Office par l’art. 172 n’est pas censée s’appliquer dans les cas où les répercussions sur un transporteur sont importantes et profondes. Lorsque de telles répercussions sont en cause, c’est plutôt le pouvoir de réglementation que l’art. 170 confère à l’Office qui s’applique.
323 L’exercice par l’Office de son pouvoir de réglementation fait l’objet d’une supervision plus rigoureuse que l’exercice de son pouvoir juridictionnel. Suivant l’art. 36 de la Loi, le gouverneur en conseil doit superviser les règlements que l’Office prend en vertu de l’art. 170. Par contre, aux termes de l’art. 40 de la Loi, le gouverneur en conseil peut, soit de sa propre initiative, soit à la suite d’une requête en ce sens, modifier ou annuler les décisions ou arrêtés pris par l’Office en vertu de l’art. 172. Dans de tels cas, la supervision du gouverneur en conseil est discrétionnaire. La supervision obligatoire des règlements pris par l’Office en application de l’art. 170 semble découler du fait que les règlements sont de nature législative et d’application générale. Les décisions de nature juridictionnelle de l’Office, y compris celles prises en vertu de l’art. 172, sont fonction des circonstances particulières d’une affaire.
324 Nous sommes conscients du fait que la politique nationale des transports vise à réduire au minimum la réglementation économique des entreprises de transport. Néanmoins, le texte de la Loi s’applique et, dans le cas de la partie V, il confère à l’Office une large compétence générale. Le législateur ne s’attendait peut‑être pas à ce que de vastes enquêtes soient menées en vertu de l’art. 172, mais les mots utilisés ne font pas obstacle à la prise de telles mesures juridictionnelles. Aucun terme n’indique que, dès qu’elles prennent une certaine ampleur, certaines mesures juridictionnelles outrepassent la compétence que l’art. 172 confère à l’Office même si elles imposent un fardeau considérable au transporteur visé.
d) L’Office peut‑il procéder à un examen et à une réorganisation de l’ensemble de l’infrastructure et des services d’un transporteur?
325 VIA soutient également que la compétence juridictionnelle conférée à l’Office par l’art. 172 ne peut s’étendre à l’examen et à la réorganisation de l’ensemble de l’infrastructure et des services d’un transporteur. Nous serions de cet avis, mais ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. La demande que le CCD avait présentée à l’Office pour qu’il interdise à VIA d’acheter les voitures Renaissance avait été rejetée très tôt. La décision d’acheter les voitures Renaissance, quels que soient les avantages ou les inconvénients de ces voitures, n’est pas remise en question. De plus, les demandes imprécises fondées sur l’art. 172 ne peuvent pas être examinées. Toutefois, bien qu’elle ait eu une vaste portée, la demande présentée par le CCD en l’espèce comporte des allégations d’obstacles précis dans les voitures Renaissance. L’article 172 s’applique dès qu’une demande contenant des allégations d’obstacles abusifs précis et existants est déposée auprès de l’Office.
e) Autres arguments relatifs à la compétence
326 En faisant valoir que l’Office a outrepassé sa compétence, VIA a avancé des arguments qui, selon nous, participent davantage de questions de droit. Par exemple, dans son argumentation relative à la compétence, VIA soutient que l’Office a érigé, de facto, les dispositions d’application facultative du code ferroviaire en des exigences légales impératives. VIA a soutenu qu’en agissant ainsi l’Office avait irrégulièrement soustrait son pouvoir de réglementation à l’agrément du Cabinet. Nous croyons que la question de l’utilisation du code ferroviaire par l’Office constitue non pas une question de compétence, mais plutôt une question de droit. De même, VIA a fait valoir que l’Office n’avait pas compétence parce qu’il avait conclu au caractère abusif de certains obstacles sans connaître le coût requis pour remédier à ces obstacles (le coût constituant un aspect du caractère abusif). La question de la prise en compte par l’Office de considérations pécuniaires nous amène à nous demander s’il s’est conformé aux principes applicables en matière de droits de la personne dans le contexte du transport. Ces questions seront examinées en tant que questions de droit.
(2) Examen de la décision de l’Office concernant les principes applicables en matière de droits de la personne dans le contexte des règles fédérales régissant le transport
327 L’issue du pourvoi dépend de la question de savoir si l’Office a commis une erreur de droit en ce qui concerne le critère applicable pour déterminer le caractère abusif d’un obstacle. Comme nous l’avons vu, c’est la première fois que notre Cour est appelée à se prononcer sur cette question, de sorte que le critère applicable n’a pas encore été établi. Nous concluons que l’Office a commis une erreur de droit. Il n’a pas dégagé les bons principes et n’a pas tenu compte des facteurs pertinents dans des aspects importants de l’analyse.
328 L’Office a reconnu qu’il est assujetti à la Charte (décision préliminaire, p. 17). Il a mentionné expressément qu’il est chargé d’appliquer des principes économiques et commerciaux dans l’exercice de son mandat et, en particulier, que la notion de « la mesure du possible » doit être prise en considération pour décider si l’on a satisfait aux besoins des personnes ayant une déficience. Bien que l’Office ait traité de certains principes dans l’abstrait, son analyse révèle que la plupart des principes applicables ont été exclus de son raisonnement.
329 En l’espèce, l’enquête sur les faits s’est révélée fort complexe du fait que les obstacles dont on alléguait l’existence étaient nombreux et ne constituaient pas des obstacles auxquels s’étaient réellement heurtées des personnes ayant une déficience. Pour décider s’il y avait des obstacles, l’Office a choisi d’appliquer des critères fixes prédéterminés. Par exemple, l’Office a affirmé que le critère d’accessibilité des personnes ayant une déficience veut qu’un fauteuil roulant de bord (par opposition au fauteuil roulant personnel) « ne [soit] fourni qu’à titre facultatif aux personnes qui peuvent et désirent l’utiliser » (décision préliminaire, p. 21). Même si, au départ, l’application de critères fixes prédéterminés était acceptable, il aurait été prudent que l’Office se permette de réévaluer les critères sur lesquels il entendait fonder son analyse du caractère abusif, afin d’éviter que ces mesures prédéterminées occultent l’enquête contextuelle plus large qui est requise. L’Office s’en est plutôt tenu, à cette dernière étape, aux critères fixes prédéterminés qu’il avait établis au départ.
a) Obstacle prima facie
330 L’Office paraît avoir interprété largement le terme « obstacle ». Cette interprétation est compatible avec l’approche libérale qui doit être adoptée à la première étape d’une demande relative aux droits de la personne. Toutefois, comme nous l’avons vu dans la partie concernant la détermination des principes applicables, s’il n’a pas un impact suffisamment important, l’obstacle invoqué ne sera pas considéré comme un obstacle. Bien que l’Office n’ait pas formellement employé l’expression « impact suffisamment important », il paraît avoir appliqué cette norme nuancée dans certains cas. L’Office a conclu que cinq des obstacles invoqués par le CCD ne méritaient pas d’être examinés à l’étape de l’analyse du caractère abusif. Puisque c’est la justesse de la norme juridique qui est en cause, et non la détermination des faits, nous n’entendons pas examiner les conclusions de l’Office relatives à chacun des obstacles invoqués.
331 Comme c’est à l’étape de l’analyse du caractère abusif que les problèmes ont surgi en l’espèce, il n’est pas nécessaire de s’attarder davantage à l’analyse des obstacles.
b) Analyse du caractère abusif
332 Bien que le point de vue adopté par l’Office à l’égard de l’analyse du caractère abusif emprunte des éléments du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Meiorin, il en laisse certains aspects importants de côté, à savoir l’identification de l’objectif, le lien rationnel entre l’obstacle et l’objectif, la croyance sincère du transporteur, la détermination de solutions de rechange raisonnables et, enfin, l’évaluation de l’importance de l’obstacle en fonction de l’incidence économique des mesures correctives, compte tenu de l’objectif visé par le transporteur.
333 Pour expliquer les erreurs qui ont été commises, nous allons examiner la décision de l’Office à la lumière des principes applicables.
(i) Première étape : identification de l’objectif légitime et du lien rationnel
334 À la première étape de l’analyse, l’Office doit déterminer si l’obstacle est lié à un but légitime.
335 En l’espèce, l’Office devait déterminer quel était l’objectif visé par VIA et si la réticence de celle‑ci à améliorer l’accessibilité des voitures Renaissance aux personnes ayant une déficience était rationnellement liée à cet objectif.
336 L’Office a expressément souligné le point de vue de VIA selon lequel (1) elle avait besoin « des voitures Renaissance pour compléter son parc ferroviaire existant et satisfaire à ses obligations de fournir un réseau de transport ferroviaire de voyageurs qui soit efficient, rentable et efficace », et (2) « les voitures Renaissance ne figurent au budget d’immobilisations [. . .] que parce qu’elles ont pu être achetées et réaménagées de façon aussi avantageuse. VIA n’avait pas suffisamment d’argent pour satisfaire ses besoins de 124 nouvelles voitures en procédant par des achats conventionnels en Amérique du Nord » (décision préliminaire, p. 35).
337 VIA a produit des éléments de preuve indiquant qu’il lui aurait fallu quatre ans et quelque 400 millions de dollars pour acheter des voitures de conception nouvelle. La subvention accordée pour l’achat des voitures n’était que de 130 millions de dollars. Le fait que le comité permanent mentionne, dans son rapport, la nécessité d’améliorer le réseau de VIA, tout en concluant que la société perd de l’argent « chaque fois qu’un train [. . .] quitte la gare » (p. 4), constitue une preuve des objectifs que VIA visait en achetant les voitures Renaissance. L’efficacité et la rentabilité sont des objectifs de la politique nationale des transports, qui est énoncée à l’art. 5 de la Loi, et ces objectifs doivent être considérés comme légitimes. La décision de VIA d’engager des sommes ne dépassant pas la subvention accordée par le gouvernement est compatible avec ces objectifs. Néanmoins, l’Office n’indique pas qu’il était tenu d’identifier les objectifs que VIA visait en achetant les voitures et il n’a pas non plus précisé dans une conclusion s’il retenait l’argumentation et la preuve de VIA selon lesquelles l’achat des voitures était rationnellement lié à un objectif légitime.
338 Nos collègues les juges majoritaires ne se demandent pas si l’Office a tenu compte de l’objectif de VIA. Nous estimons que cette façon d’esquiver un aspect important de la méthode de l’arrêt Meiorin risque d’avoir une incidence considérable dans d’autres affaires relatives aux droits de la personne. L’étape qui consiste à identifier les objectifs légitimes et à déterminer si le maintien des obstacles a un lien rationnel avec ces objectifs peut paraître superfétatoire, mais elle demeure une étape indispensable de l’analyse du caractère abusif. Ce n’est qu’une fois les objectifs précisés qu’il est possible d’apprécier le lien rationnel et, à des étapes ultérieures de l’analyse, de mesurer la croyance sincère du transporteur et de procéder à la mise en balance appropriée des intérêts en jeu. Les objectifs visés par VIA constituaient les assises essentielles du reste de l’analyse du caractère abusif. L’erreur de droit de l’Office a été commise dès la première étape de l’analyse du caractère abusif.
(ii) Deuxième étape : croyance sincère du transporteur
339 N’ayant pas établi quels étaient les objectifs poursuivis par VIA, l’Office ne s’est pas demandé si VIA avait agi de bonne foi en cherchant à les réaliser. Il n’appartient pas à notre Cour de procéder à une appréciation de la preuve. Mais là encore, il importe de souligner qu’il existait une preuve relativement à la croyance sincère.
340 Par exemple, VIA semble avoir exposé à l’Office les grandes lignes de son analyse stratégique de rentabilisation des voitures avant leur inspection du 20 septembre 2001. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné, VIA a produit des éléments de preuve concernant son programme d’accessibilité et les mesures qu’elle prenait en vue d’éliminer certains obstacles. Comme il ne s’est pas interrogé sur la croyance sincère lors de l’analyse du caractère abusif, l’Office n’a pas apprécié ces éléments de preuve. L’erreur de droit commise par l’Office à la première étape de l’analyse du caractère abusif s’est aggravée à la deuxième étape lorsqu’il a omis de dégager et d’apprécier les raisons de la conduite de VIA.
(iii) Troisième étape : raisonnablement nécessaire à la réalisation du but visé
341 À la troisième étape, l’Office devait se demander si le défaut d’éliminer des obstacles était raisonnablement nécessaire compte tenu des objectifs légitimes visés par VIA. Pour ce faire, il devait effectuer une analyse des solutions de rechange raisonnables et, au besoin, des contraintes liées à l’élimination des obstacles abusifs invoqués.
1. Solutions de rechange raisonnables
342 En exposant les principes d’accessibilité applicables, l’Office a fait une affirmation importante :
Dans la mesure où les fournisseurs de service de transport sont conscients des besoins des personnes ayant une déficience et qu’ils sont disposés à répondre à ces besoins, on peut dire que les personnes ayant une déficience peuvent avoir un accès équivalent au réseau. La notion implicite derrière l’expression « accès équivalent » est que, pour assurer l’égalité d’accès aux personnes ayant une déficience, les fournisseurs de services de transport peuvent avoir à fournir un accès différent — plus de services ou des services différents, des installations ou des caractéristiques différentes — le tout, conçu pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience afin qu’elles aient accès au réseau, elles aussi.
(Décision préliminaire, p. 20)
343 Bien qu’on y utilise une terminologie différente, ce passage évoque néanmoins des solutions de rechange raisonnables. Toutefois, au moment d’évaluer les solutions de rechange, l’Office ne s’est pas demandé comment le réseau pourrait permettre de contourner les prétendus obstacles abusifs en offrant d’autres solutions susceptibles d’accommoder les personnes ayant une déficience. L’Office a seulement mis l’accent sur une façon très précise de mesurer les dimensions des voitures Renaissance, sans examiner la possibilité d’accommoder les personnes touchées au moyen d’autres services.
344 En fait, après avoir effectivement souligné la pertinence de solutions de rechange raisonnables, l’Office a fini par écarter complètement de son analyse les autres possibilités qu’offrait le réseau. Il ne s’est intéressé qu’aux voitures Renaissance elles‑mêmes. L’Office a rejeté l’argument relatif au réseau en se fondant sur l’exigence du code ferroviaire selon laquelle les voitures Renaissance doivent être accessibles aux personnes qui utilisent un fauteuil roulant personnel. Il est donc nécessaire d’examiner l’utilisation que l’Office a faite du code ferroviaire à cet égard.
345 Aucun règlement régissant la conception, la construction ou la modification de voitures de chemin de fer en vue d’en assurer l’accessibilité aux personnes ayant une déficience n’a été pris en vertu de l’art. 170 de la Loi. Au lieu de prendre un règlement ayant force exécutoire, l’on a fait le choix de politique générale d’encourager les transporteurs à améliorer l’accessibilité du réseau de transport fédéral pour les personnes ayant une déficience, en adoptant des codes de pratiques d’application volontaire comme le code ferroviaire. L’Office affirme ceci, à la p. 6 de son mémoire :
[traduction] À la suite d’un changement de politique gouvernementale favorisant une déréglementation au milieu des années 1990, toutes les autres mesures de réglementation ont été prises au moyen de codes de pratiques d’application volontaire et consensuelle : quatre codes de pratiques sont actuellement en vigueur [en ce qui concerne les aéronefs, les chemins de fer, les traversiers, et l’élimination des obstacles à la communication dans tous les modes de transport fédéraux].
346 Le code ferroviaire et les autres codes de pratiques d’application volontaire ne sauraient se voir reconnaître le statut de texte de loi comme s’ils étaient des règlements ayant force exécutoire. Agir ainsi reviendrait à contourner irrégulièrement la décision de politique générale consistant à privilégier le recours à un pouvoir juridictionnel plutôt qu’à un pouvoir de réglementation; l’Office s’est vu conférer le pouvoir de statuer et l’obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide si un obstacle donné est abusif. Appliquer le code ferroviaire comme s’il s’agissait d’un texte ayant force obligatoire a aussi pour effet de contourner l’obligation, prévue à l’art. 36, de donner au ministre des Transports un préavis concernant un règlement projeté, lequel doit ensuite être approuvé ou rejeté par le gouverneur en conseil.
347 Comme l’a conclu le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Ainsley Financial Corp. c. Ontario Securities Commission (1994), 21 O.R. (3d) 104, p. 109, qui portait sur une directive d’orientation de la Commission des valeurs mo bilières de l’Ontario :
[traduction] Après avoir convenu que la Commission peut utiliser des textes non réglementaires pour exercer son mandat, il faut aussi reconnaître les limites que comporte le recours à ces textes. Un texte non réglementaire est sans effet face à une disposition législative ou à un règlement qui le contredit : Capital Cities Communications Inc., précité, p. 629; H. Janisch, « Reregulating the Regulator : Administrative Structure of Securities Commissions and Ministerial Responsibility », dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada : Securities Law in the Modern Financial Marketplace (1989), p. 107. Un texte non réglementaire ne peut pas non plus empêcher l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’organisme de réglementation dans un cas particulier : Hopedale Developments Ltd., précité, p. 263. Qui plus est, pour les besoins de la présente affaire, un texte non réglementaire ne peut prescrire des exigences impératives dont le non‑respect entraînera des sanctions; en d’autres termes, l’organisme de réglementation ne peut adopter des directives qui constituent des règles de droit de facto. Dans l’arrêt Pezim, le juge Iacobucci affirme, à la p. 596 :
Cependant, il importe de faire remarquer que la Commission n’a qu’un rôle limité en matière d’établissement de politiques. Je veux dire par là que ses politiques ne peuvent obtenir le statut de lois ni être considérées comme telles en l’absence d’un pouvoir à cet effet prévu dans la loi. [Nous soulignons.]
348 À la lecture des décisions rendues par l’Office en l’espèce et malgré l’affirmation de celui‑ci selon laquelle le code ferroviaire est d’application volontaire, il appert que l’Office a effectivement appliqué le code ferroviaire comme s’il s’agissait d’un règlement établissant les normes minimales qu’un transporteur ferroviaire doit respecter pour assurer l’accessibilité des voitures de chemin de fer aux personnes ayant une déficience. L’Office s’est fondé sur le code ferroviaire pour évaluer l’accessibilité des voitures Renaissance à l’aide de la norme du « fauteuil roulant personnel » défini dans ce code. Dans sa décision préliminaire, l’Office a affirmé ceci :
À cet égard, il convient de noter que le code ferroviaire établit des normes minimales que l’Office s’attend à ce que les transporteurs ferroviaires respectent.
. . .
De fait, le code ferroviaire est le résultat d’un consensus établi entre la communauté des personnes ayant une déficience et l’industrie, et représente, à beaucoup d’égards, des compromis auxquels les transporteurs ferroviaires devraient adhérer.
. . .
En résumé, le code ferroviaire n’a pas été élaboré en vase clos par l’Office. C’est plutôt le produit de consultations avec l’industrie ferroviaire et la communauté des personnes ayant une déficience. À ce titre, bien que le code ferroviaire soit d’application volontaire, il constitue un important outil de référence, qui fixe des attentes clairement définies relativement aux normes d’accessibilité à respecter par des transporteurs ferroviaires comme VIA.
. . .
À la lumière de ce qui précède, l’Office est d’avis que la norme appropriée à sa détermination des obstacles abusifs présentés par certaines caractéristiques des voitures Renaissance aux possibilités de déplacement des personnes qui utilisent un fauteuil roulant est le fauteuil roulant personnel défini dans le code ferroviaire.
. . .
Le code ferroviaire consiste plutôt, comme il a été expliqué dans la section « Cadre de travail de la décision », en un ensemble de lignes directrices d’application volontaire sur [la norme minimale d]’accessibilité, élaborées par voie de consensus après consultation de l’industrie et de la communauté des personnes ayant une déficience. Par conséquent, l’Office peut tout de même constater la présence d’obstacles abusifs dans les voitures Renaissance, même s’il constate une conformité apparente aux dispositions du code. [Nous soulignons; p. 22, 25, 29 et 34.]
Il est évident que l’Office estimait que le code ferroviaire établissait des normes minimales qui ne l’empêchaient toutefois pas de déclarer un obstacle abusif, même si ces normes minimales étaient respectées. En d’autres termes, l’Office était d’avis qu’il pouvait imposer une norme plus exigeante que celles prévues par le code ferroviaire, mais non faire le contraire.
349 Même si certaines voitures Renaissance étaient incomplètes ou étaient en cours de réaménagement par VIA, il reste qu’elles n’étaient pas des voitures commandées à un fabricant selon des spécifications établies par VIA. Néanmoins, appliquant la formule prévue dans le code ferroviaire, l’Office a décidé qu’il s’agissait de « voitures nouvellement construites et, à ce titre, les normes d’accessibilité du code ferroviaire applicables [étaient] celles qui touchent les voitures nouvellement construites » (décision préliminaire, p. 33).
350 Nous ne doutons aucunement qu’il est souhaitable que les voitures de chemin de fer respectent ou dépassent les normes du code ferroviaire. Toutefois, en l’absence d’un règlement pris conformément à l’art. 170, l’Office ne peut pas considérer le fauteuil roulant personnel comme une norme ayant force obligatoire, car, s’il le fait, il omet alors d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont il est investi en rendant une décision en vertu de l’art. 172 de la Loi.
351 L’Office n’a manifestement pas pris en considération les solutions de rechange qui ne respectaient pas les normes d’accessibilité que le code ferroviaire établit à l’égard des fauteuils roulants personnels. L’ordonnance de justification contenue dans la décision préliminaire confirme qu’il ne l’a pas fait. Chaque élément de l’ordonnance de justification concernait les modifications qui devaient être apportées aux voitures Renaissance afin de les rendre conformes au code ferroviaire et à la norme du fauteuil roulant personnel. Bien que l’ordonnance comporte une clause générale dans laquelle VIA est invitée à présenter toute autre observation qu’elle jugera pertinente, le fait que l’Office se soit attaché exclusivement aux modifications requises pour rendre les voitures conformes à ces exigences tend à indiquer qu’aucune autre observation n’était sollicitée ou ne serait examinée. En réalité, l’Office a appliqué le code ferroviaire et la norme d’accessibilité du fauteuil roulant personnel comme s’il s’agissait d’exigences réglementaires. Ce faisant, il n’a pas pris en considération toute la gamme de solutions de rechange raisonnables que le réseau offrait pour remédier aux obstacles relevés dans les voitures Renaissance et il a, de ce fait, commis une erreur de droit.
2. Contraintes
352 À cette étape de son analyse, l’Office a évalué l’incidence des obstacles sur les possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience par rapport à d’autres contraintes — par exemple les contraintes structurales — et au coût total estimatif de l’élimination de ces obstacles, en tenant compte de l’objectif de rentabilité.
353 En ce qui concerne les contraintes structurales, l’Office ne paraît pas avoir jugé convaincante la preuve que VIA lui a présentée au sujet des problèmes de structure concrets. Toutefois, dans le rapport Schrum qui a été préparé par un tiers et qui a été déposé en preuve auprès de la Cour d’appel fédérale, on concluait que [traduction] « [l]a reconstruction des voitures, comme l’Office l’ordonne, n’a aucun sens tant sur le plan de l’ingénierie que sur celui de la production. » Monsieur Schrum a ajouté : « . . . j’estime que certains changements ne sont peut‑être pas possibles d’un point de vue technique ». Quant à la question des contraintes structurales, nous nous limitons à affirmer qu’il appartient à VIA de produire les éléments de preuve pertinents, qui doivent être évalués soigneusement par l’Office.
354 Les contraintes économiques soulevaient une question importante que l’Office devait trancher. Celui‑ci a tiré certaines conclusions relatives aux coûts liés à certains obstacles. Cependant, son raisonnement reflète une indifférence à l’égard des coûts. De plus, l’Office n’a lui‑même effectué aucune estimation du coût total. Lorsque des contraintes de coût sont en cause dans une analyse du caractère abusif, l’Office commet une erreur de droit s’il n’effectue pas une estimation du coût total des mesures correctives qu’il ordonne.
355 Pour répondre à l’ordonnance de justification contenue dans la décision préliminaire de l’Office, VIA a estimé à quelque 35 millions de dollars le coût total et le manque à gagner liés à la mise en œuvre des mesures correctives décrites dans l’ordonnance de justification. L’Office a jugé que cette estimation était gonflée. Plus particulièrement, il n’a pas retenu l’estimation de VIA établissant à 24,2 millions de dollars la perte de revenus voyageurs résultant du retrait de certains sièges qui devrait être effectué pour accommoder les personnes ayant une déficience. L’Office a lui‑même calculé que ce manque à gagner pourrait s’élever à environ 700 000 $ dans le meilleur des cas et à environ 1,7 millions de dollars dans le pire des cas. L’Office a également rejeté l’estimation de VIA concernant le coût de la mise en œuvre de certaines mesures correctives, jugeant notamment que VIA devrait, de toute manière, supporter ce coût pour apporter les modifications requises en matière de sécurité. Toutefois, bien qu’il ait présenté un certain nombre de chiffres et de calculs concernant certaines mesures correctives, l’Office n’a jamais fourni sa meilleure estimation du coût total des mesures correctives qu’il ordonnait à VIA de prendre. Sans une estimation du coût total, l’Office ne pouvait pas effectuer l’analyse du caractère abusif requise par l’art. 172, c’est‑à‑dire évaluer l’incidence des obstacles sur les personnes ayant une déficience en fonction du coût des mesures correctives, en tenant compte de l’objectif de rentabilité.
356 L’Office s’est également peu soucié de la capacité de VIA de financer les mesures correctives. Par exemple, il n’a pas examiné la possibilité d’éliminer certains obstacles et d’en maintenir d’autres pour des raisons de coût. Il a considéré que VIA disposait de ressources pratiquement illimitées, affirmant que les coûts liés à l’accessibilité « doivent toujours être budgétisés » (décision préliminaire, p. 50). L’Office a fait observer que « VIA reçoit d’importantes subventions du gouvernement du Canada », comme si le droit de VIA à ce financement était absolu (p. 51). L’Office n’a pas non plus tenu compte des limites du financement lorsqu’il a affirmé que « l’importance fondamentale de l’accessibilité du transport ferroviaire aux personnes ayant une déficience ne peut être négligée » en faveur de la réduction des dépenses d’immobilisations et de la souplesse du réseau de VIA (p. 51).
357 L’Office a mentionné que, pour la période 2003‑2007, un fonds de prévoyance de quelque 25 millions de dollars avait été constitué « pour des événements imprévus comme un fléchissement des marchés, des accidents possibles et d’autres responsabilités opérationnelles » (décision finale, p. 24). Cependant, rien n’indique que ce fonds peut servir à effectuer une reconstruction majeure des voitures Renaissance et, quoi qu’il en soit, la mention du fonds de prévoyance sans fournir une estimation des coûts est prématurée.
358 Aux termes de l’art. 172, l’Office peut ordonner à un transporteur de prendre des mesures destinées à éliminer un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Lorsque le financement nécessaire risque d’être considérable et lorsque, comme dans le cas de VIA, le transporteur fonctionne à perte chaque année et a, de ce fait, besoin de subventions gouvernementales pour être en mesure de poursuivre ses activités et de répondre à ses besoins de liquidités, l’Office doit prêter une attention particulière au coût des mesures qu’il entend imposer.
359 Les motifs de l’Office démontrent qu’il n’a pas prêté toute l’attention requise dans un cas où le coût des mesures risque d’être très élevé. Par exemple, l’Office a fait un rapprochement douteux, dans sa décision préliminaire (p. 51), lorsqu’il a comparé l’élimination des obstacles aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience à l’amélioration des gares et au réaménagement du salon des voitures Renaissance. L’Office a déclaré que chacune de ces dépenses « aura[it] pour effet d’accroître la perte d’exploitation du transporteur », n’ayant manifestement pas compris que l’amélioration des gares et des salons est motivée par des raisons financières et vise à hausser les revenus au fil du temps (p. 51).
360 En justifiant sa décision d’ordonner à VIA de retirer des sièges afin d’améliorer l’accessibilité, l’Office a comparé cette mesure au retrait de sièges effectué par VIA dans le but d’offrir un espace de rangement de manteaux :
. . . si VIA est prête à éliminer 47 sièges pour aménager un espace de rangement pour les manteaux des voyageurs et à se priver des revenus afférents, elle doit être prête à se priver des revenus relatifs à l’élimination d’un maximum de 33 sièges [. . .] pour mettre en œuvre l’option 3 . . .
(Décision finale, p. 57)
Là encore, cette comparaison était erronée. De toute évidence, offrir un espace de rangement de manteaux n’est pas un objectif en soi. Il s’agit plutôt d’une décision financière visant à maximiser les revenus. Le retrait de sièges pour aménager un vestiaire causera une perte des revenus, mais VIA doit avoir décidé que des espaces de rangement étaient nécessaires pour attirer et fidéliser des voyageurs et maximiser le revenu tiré de ses autres sièges. Par conséquent, on ne saurait affirmer, comme l’Office,
. . . [qu’]il semblerait que VIA puisse se permettre de perdre les revenus générés par un siège pour les 13 ou 33 voitures‑coach susmentionnées, puisqu’elle est prête à se priver des revenus de jusqu’à 47 sièges de voiture‑coach pour procurer aux voyageurs un espace de rangement pour leurs manteaux.
(Décision finale, p. 57)
361 Le raisonnement déficient de l’Office à cet égard découle peut‑être jusqu’à un certain point de la démarche qu’il a suivie. Le 17 septembre 2003, l’Office a demandé par écrit à VIA si elle avait retiré des sièges passagers dans les voitures Renaissance, ce qui aurait une incidence sur les revenus voyageurs de VIA. Le lendemain, VIA a répondu également par écrit qu’elle avait retiré des sièges pour aménager des vestiaires, un changement nécessaire en raison de l’absence d’autres installations convenables pour ranger des manteaux. VIA a souligné que l’Office lui avait donné moins de 26 heures pour répondre à sa question, ajoutant que [traduction] « VIA Rail ne compren[ait] pas la raison de cette question ». Dans sa décision finale, l’Office s’est servi de ces renseignements pour établir la comparaison avec l’espace de rangement des manteaux. L’Office a ajouté que VIA n’avait pas indiqué « pourquoi le compartiment existant ou même une partie du “vestiaire/compartiment de rangement futur” ne suffis[ai]ent pas » (p. 57). Cependant, il n’a pas donné à VIA la possibilité de donner des explications.
362 VIA affirme que, après que l’Office eut ordonné des mesures correctives dans sa décision finale, elle a pu obtenir, de source indépendante, une estimation du coût de ces mesures. Elle prétend qu’il était alors plus facile d’obtenir une estimation des coûts effectuée par un tiers du fait qu’elle portait sur des mesures précises ordonnées par l’Office plutôt que sur un nombre indéterminé de solutions possibles. Bien que l’ordonnance ait restreint la portée de l’estimation, l’expert en trains chez Bombardier, Peter Schrum, a affirmé que les directives de l’Office comportaient un certain nombre de risques complexes et inconnus en matière de structure, d’ingénierie, de production et d’échéancier, qui faisaient que ses conclusions relatives aux coûts devaient être assorties de réserves.
363 La Cour d’appel fédérale a permis que la preuve présentée par M. Schrum soit ajoutée au dossier. Le rapport Schrum indiquait que les modifications ordonnées par l’Office coûteraient environ 48 millions de dollars et peut‑être même 92 millions de dollars, ce qui représentait entre 37 et 71 pour 100 du coût d’achat et de mise en service des voitures Renaissance.
364 Dans leurs motifs, les juges majoritaires laissent entendre que le rapport Schrum n’aurait pas dû être admis en preuve devant la Cour d’appel fédérale. Toutefois, l’admission de cette preuve n’est pas en cause devant notre Cour. La Cour ne devrait pas, de sa propre initiative, faire abstraction d’un élément de preuve versé au dossier lorsque les parties ne présentent aucun argument à cet égard. Les deux parties ont déposé une preuve abondante et effectué des contre‑interrogatoires portant sur des affidavits. En fin de compte, plus de 2000 pages ont été déposées en preuve devant la Cour d’appel fédérale. Cette preuve fait partie du dossier soumis à notre Cour et ne saurait être écartée.
365 Les juges majoritaires mettent en doute la validité du rapport Schrum et disent qu’« [e]n raison [. . .] de ses conclusions non vérifiées, [il] ne saurait justifier de modifier les conclusions de fait tirées par l’Office et les mesures correctives qu’il a ordonnées » (motifs majoritaires, par. 242). Il n’appartient pas à notre Cour d’évaluer et d’apprécier la preuve. Quoi qu’il en soit, M. Schrum a été contre‑interrogé relativement à son affidavit. Son rapport a donc été mis à l’épreuve. En outre, la Cour d’appel fédérale s’est servi de la preuve présentée par M. Schrum non pour prendre une décision sur le fond, mais uniquement pour renvoyer l’affaire à l’Office pour qu’il l’examine de nouveau. C’était la bonne façon de procéder dans les circonstances. Dans un cas où le coût risque d’être élevé et où l’Office s’est peu soucié du coût et du financement des mesures correctives, il est évident que des éléments pertinents n’ont pas été pris en considération.
366 Il devrait appartenir à l’Office de déterminer — en fonction des nouveaux éléments de preuve qui lui ont été présentés (ou, s’il le juge opportun, de la preuve déposée en Cour d’appel fédérale) — combien coûteront les mesures correctives et si VIA sera capable de les financer, et d’effectuer la mise en balance des intérêts en jeu à laquelle il est tenu à la troisième étape de l’analyse du caractère abusif.
367 Par souci de déférence, les juges majoritaires sont d’avis de mettre fin à l’examen des décisions de l’Office pour le motif qu’il a appliqué les principes établis dans l’arrêt Meiorin. Cela fait problème pour deux raisons. Premièrement, l’Office s’est distancié de ces principes en matière de droits de la personne (décision préliminaire, p. 39). Il faut reformuler généreusement la décision de l’Office pour être en mesure d’affirmer qu’elle reflète la bonne approche. Deuxièmement, les juges majoritaires n’indiquent pas clairement comment et dans quelle mesure les principes de l’arrêt Meiorin doivent être appliqués. Les cadres d’analyse sont des outils créés pour guider les décideurs dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Les rendre ambigus est plus néfaste que bénéfique.
V. Conclusion
368 D’une part, le législateur veut, dans la mesure du possible, éliminer la réglementation du transport assujetti à la compétence fédérale. C’est dans ce contexte que VIA peut s’attendre à exercer ses activités. D’autre part, la partie V de la Loi confère à l’Office de vastes pouvoirs à l’égard des questions concernant les droits de la personne. Dans ce contexte, le rôle de l’Office, en tant qu’instance décisionnelle, l’oblige à imposer aux parties à des procédures des obligations procédurales. L’Office doit tenir compte de la possibilité de mettre à exécution les ordonnances qu’il délivre aux parties et de l’ingérence dans la gestion du transporteur qui peut résulter de son processus. En revanche, les parties doivent respecter le rôle de l’Office et se comporter en conséquence. L’examen du dossier nous permet de constater que le comportement adopté par VIA en cours d’instance n’a pas toujours paru productif. Bien qu’une demande fondée sur l’art. 172 déclenche un processus contradictoire dans lequel VIA, comme toute entreprise réglementée, a le droit de défendre vigoureusement ses intérêts, celle‑ci doit néanmoins reconnaître et respecter le rôle de l’Office.
369 En ce qui concerne les dépens, le CCD est un organisme sans but lucratif qui ne cherche pas à obtenir un avantage pécuniaire ou un droit de propriété, et sa demande a soulevé d’importantes questions comportant une dimension touchant les droits de la personne. VIA ne réclame aucuns dépens au CCD.
370 Pour ces motifs, nous rejetterions le présent pourvoi sans dépens. La décision des juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale devrait être confirmée et l’affaire renvoyée à l’Office pour qu’il rende une nouvelle décision tenant compte des présents motifs.
ANNEXE
Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10
politique nationale des transports
5. [Déclaration] Il est déclaré que, d’une part, la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs — y compris des personnes ayant une déficience — en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, et, d’autre part, que ces objectifs sont plus susceptibles de se réaliser en situation de concurrence de tous les transporteurs, à l’intérieur des divers modes de transport ou entre eux, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale, des avantages liés à l’harmonisation de la réglementation fédérale et provinciale et du contexte juridique et constitutionnel :
a) le réseau national des transports soit conforme aux normes de sécurité les plus élevées possible dans la pratique;
b) la concurrence et les forces du marché soient, chaque fois que la chose est possible, les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;
c) la réglementation économique des transporteurs et des modes de transport se limite aux services et aux régions à propos desquels elle s’impose dans l’intérêt des expéditeurs et des voyageurs, sans pour autant restreindre abusivement la libre concurrence entre transporteurs et entre modes de transport;
d) les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région;
e) chaque transporteur ou mode de transport supporte, dans la mesure du possible, une juste part du coût réel des ressources, installations et services mis à sa disposition sur les fonds publics;
f) chaque transporteur ou mode de transport soit, dans la mesure du possible, indemnisé, de façon juste et raisonnable, du coût des ressources, installations et services qu’il est tenu de mettre à la disposition du public;
g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :
(i) un désavantage injuste pour les autres liaisons de ce genre, mis à part le désavantage inhérent aux lieux desservis, à l’importance du trafic, à l’ampleur des activités connexes ou à la nature du trafic ou du service en cause,
(ii) un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience,
(iii) un obstacle abusif à l’échange des marchandises à l’intérieur du Canada,
(iv) un empêchement excessif au développement des secteurs primaire ou secondaire, aux exportations du Canada ou de ses régions, ou au mouvement des marchandises par les ports canadiens;
h) les modes de transport demeurent rentables.
Il est en outre déclaré que la présente loi vise la réalisation de ceux de ces objectifs qui portent sur les questions relevant de la compétence législative du Parlement en matière de transports.
. . .
20. [Experts] L’Office peut nommer des experts ou autres spécialistes compétents pour le conseiller sur des questions dont il est saisi, et, sous réserve des instructions du Conseil du Trésor, fixer leur rémunération.
. . .
25. [Pouvoirs généraux] L’Office a, à toute fin liée à l’exercice de sa compétence, la comparution et l’interrogatoire des témoins, la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses arrêtés ou règlements et la visite d’un lieu, les attributions d’une cour supérieure.
. . .
29. [Délai] (1) Sauf indication contraire de la présente loi ou d’un règlement pris en vertu du paragraphe (2) ou accord entre les parties sur une prolongation du délai, l’Office rend sa décision sur toute affaire dont il est saisi avec toute la diligence possible dans les cent vingt jours suivant la réception de l’acte introductif d’instance.
(2) [Délai plus court] Le gouverneur en conseil peut, par règlement, imposer à l’Office un délai inférieur à cent vingt jours pour rendre une décision à l’égard des catégories d’affaires qu’il indique.
. . .
31. [Décision définitive] La décision de l’Office sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive.
. . .
33. [Homologation] (1) Les décisions ou arrêtés de l’Office peuvent être homologués par la Cour fédérale ou une cour supérieure; le cas échéant, leur exécution s’effectue selon les mêmes modalités que les ordonnances de la cour saisie.
. . .
36. [Agrément du gouverneur en conseil] (1) Tout règlement pris par l’Office en vertu de la présente loi est subordonné à l’agrément du gouverneur en conseil.
(2) [Préavis au ministre] L’Office fait parvenir au ministre un avis relativement à tout règlement qu’il entend prendre en vertu de la présente loi.
. . .
Révision et appel
40. [Modification ou annulation] Le gouverneur en conseil peut modifier ou annuler les décisions, arrêtés, règles ou règlements de l’Office soit à la requête d’une partie ou d’un intéressé, soit de sa propre initiative; il importe peu que ces décisions ou arrêtés aient été pris en présence des parties ou non et que les règles ou règlements soient d’application générale ou particulière. Les décrets du gouverneur en conseil en cette matière lient l’Office et toutes les parties.
41. (1) [Appel] Tout acte — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l’autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l’acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l’Office et audition de ceux d’entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.
. . .
partie v
transport des personnes ayant une déficience
170. (1) [Règlements] L’Office peut prendre des règlements afin d’éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement, aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et peut notamment, à cette occasion, régir :
a) la conception et la construction des moyens de transport ainsi que des installations et locaux connexes — y compris les commodités et l’équipement qui s’y trouvent — , leur modification ou la signalisation dans ceux‑ci ou leurs environs;
b) la formation du personnel des transporteurs ou de celui employé dans ces installations et locaux;
c) toute mesure concernant les tarifs, taux, prix, frais et autres conditions de transport applicables au transport et aux services connexes offerts aux personnes ayant une déficience;
d) la communication d’information à ces personnes.
. . .
171. [Coordination] L’Office et la Commission canadienne des droits de la personne sont tenus de veiller à la coordination de leur action en matière de transport des personnes ayant une déficience pour favoriser l’adoption de lignes de conduite complémentaires et éviter les conflits de compétence.
172. (1) [Enquête : obstacles au déplacement] Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.
(2) [Décision de l’Office] L’Office rend une décision négative à l’issue de son enquête s’il est convaincu de la conformité du service du transporteur aux dispositions réglementaires applicables en l’occurrence.
(3) [Décision de l’Office] En cas de décision positive, l’Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l’obstacle en cause, ou les deux.
Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Binnie, Deschamps, Fish et Rothstein sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Bakerlaw, Toronto.
Procureurs de l’intimée : Fasken Martineau DuMoulin, Toronto.
Procureur de l’intervenant l’Office des transports du Canada : Office des transports du Canada, Gatineau.
Procureur de l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne : Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa.
Procureur de l’intervenante la Commission ontarienne des droits de la personne : Commission ontarienne des droits de la personne, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Montréal.
Procureur des intervenantes la Commission des droits de la personne du Manitoba et Saskatchewan Human Rights Commission : Commission des droits de la personne du Manitoba, Winnipeg.
Procureur des intervenantes Transportation Action Now, l’Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire et l’Association des malentendants canadiens : ARCH Disability Law Centre, St-Jean-sur-Richelieu.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des centres de vie autonome : Shannon Law Office, Thunder Bay; Bérubé & Pion, Toronto.
Procureur de l’intervenant le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : Melina Buckley, Vancouver.
*170. (1) L’Office peut prendre des règlements afin d’éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement, aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et peut notamment, à cette occasion, régir :
a) la conception et la construction des moyens de transport ainsi que des installations et locaux connexes — y compris les commodités et l’équipement qui s’y trouvent — , leur modification ou la signalisation dans ceux‑ci ou leurs environs;
b) la formation du personnel des transporteurs ou de celui employé dans ces installations et locaux;
c) toute mesure concernant les tarifs, taux, prix, frais et autres conditions de transport applicables au transport et aux services connexes offerts aux personnes ayant une déficience;
d) la communication d’information à ces personnes.