COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513, 2006 CSC 14
Date : 20060421
Dossier : 30615
Entre :
Robert Tranchemontagne et Norman Werbeski
Appelants
et
Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées du ministère des Services à la collectivité, à la famille et à l’enfance
Intimé
et
Commission canadienne des droits de la personne, Commission
ontarienne des droits de la personne, Centre ontarien de
défense des droits des locataires, African Canadian Legal
Clinic, Conseil d’autonomie des clients — Centre de toxicomanie
et de santé mentale, et Tribunal de l’aide sociale
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella
Motifs de jugement :
(par. 1 à 54)
Motifs dissidents :
(par. 55 à 98)
Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie et Fish)
La juge Abella (avec l’accord des juges LeBel et Deschamps)
______________________________
Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513, 2006 CSC 14
Robert Tranchemontagne et Norman Werbeski Appelants
c.
Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes
handicapées du ministère des Services à la collectivité, à la famille
et à l’enfance Intimé
et
Commission canadienne des droits de la personne, Commission
ontarienne des droits de la personne, Centre ontarien de
défense des droits des locataires, African Canadian Legal
Clinic, Conseil d’autonomie des clients — Centre de toxicomanie
et de santé mentale, et Tribunal de l’aide sociale Intervenants
Répertorié : Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées)
Référence neutre : 2006 CSC 14.
No du greffe : 30615.
2005 : 12 décembre; 2006 : 21 avril.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Labrosse, Weiler et Charron) (2004), 72 O.R. (3d) 457, 244 D.L.R. (4th) 118, 190 O.A.C. 108, [2004] O.J. No. 3724 (QL), qui a confirmé une décision de la Cour divisionnaire (les juges Then, Cameron et Desotti), [2003] O.J. No. 1409 (QL). Pourvoi accueilli, les juges LeBel, Deschamps et Abella sont dissidents.
Peter J. Chapin, Terence Copes et Grace Kurke, pour les appelants.
Rebecca J. Givens et Janet E. Minor, pour l’intimé.
R. Daniel Pagowski et Leslie A. Reaume, pour l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne.
Cathy Pike et Hart Schwartz, pour l’intervenante la Commission ontarienne des droits de la personne.
Katherine Laird et Toby Young, pour l’intervenant le Centre ontarien de défense des droits des locataires.
Marie Chen et Royland Moriah, pour l’intervenante African Canadian Legal Clinic.
Lesli Bisgould et Dianne Wintermute, pour l’intervenant le Conseil d’autonomie des clients — Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Jeff G. Cowan et M. Jill Dougherty, pour l’intervenant le Tribunal de l’aide sociale.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie et Fish rendu par
Le juge Bastarache —
1. Introduction
1 Le Tribunal de l’aide sociale (« TAS »), créé par une loi provinciale, est‑il tenu de suivre les lois provinciales relatives aux droits de la personne pour rendre ses décisions? C’est la question soulevée en l’espèce.
2 Les origines des présents différends remontent à novembre 1998 et à juillet 1999, dates auxquelles les appelants, Robert Tranchemontagne et Norman Werbeski, ont respectivement présenté au directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (le « directeur ») une demande de soutien en vertu de la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, L.O. 1997, ch. 25, ann. B (« LPOSPH »). S’ils avaient eu gain de cause, les appelants auraient reçu une aide financière leur permettant de mieux vivre leurs déficiences importantes. Sinon, il ne leur resterait plus qu’à demander l’aide, beaucoup moins importante, offerte en vertu de la Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail, L.O. 1997, ch. 25, ann. A (« LPOT »).
3 Il est clair que la LPOSPH et la LPOT visent des buts très différents. La première loi a pour objet de fournir un soutien aux demandeurs handicapés, reconnaissant que le gouvernement partage la responsabilité de fournir un tel soutien (LPOSPH, art. 1). La deuxième loi, quant à elle, ne vise qu’à fournir une aide provisoire reposant sur le principe de la reconnaissance de la responsabilité individuelle (LPOT, art. 1). Au lendemain de la promulgation de la LPOSPH, la ministre ontarienne des Services sociaux et communautaires, l’honorable Janet Ecker, a fait allusion aux objets divergents de ces deux lois :
[traduction] Ce nouveau programme retire les personnes handicapées du système d’aide sociale, dont elles n’auraient jamais dû faire partie de toute façon, et met en place, à leur intention, un système de soutien du revenu entièrement distinct. . .
(Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats, no 19A, 2 juin 1998, p. 971)
4 Le directeur a décidé que les appelants n’avaient pas droit aux prestations prévues par le régime de la LPOSPH. Suivant la procédure énoncée dans la LPOSPH, ils ont demandé une révision interne de la décision du directeur. Déboutés à cette étape également, ils ont alors interjeté appel devant l’intervenant le TAS.
5 Le TAS a rendu sa décision le 7 février 2001 quant à l’appel de M. Werbeski et le 18 septembre 2001 quant à celui de M. Tranchemontagne. Dans les deux décisions, il a conclu que les appelants souffraient d’alcoolisme. Il a qualifié l’alcoolisme d’[traduction] « affection invalidante » dans le cas de M. Tranchemontagne et de [traduction] « déficience importante » qui [traduction] « limite considérablement » la capacité de travailler dans le cas de M. Werbeski. Il a rejeté les deux appels.
6 Le TAS a fondé ses décisions sur le par. 5(2) de la LPOSPH. Cette disposition prévoit :
5. . . .
(2) Une personne n’est pas admissible au soutien du revenu si les conditions suivantes sont réunies :
a) la personne a développé une dépendance ou une accoutumance à l’égard de l’alcool, d’une drogue ou d’une autre substance chimiquement active;
b) l’alcool, la drogue ou l’autre substance n’a pas été autorisé par ordonnance, selon ce que prévoient les règlements;
c) la seule limitation importante de ses activités de la vie quotidienne est attribuable à l’utilisation ou à la cessation de l’utilisation de l’alcool, de la drogue ou de l’autre substance au moment de déterminer ou de réviser l’admissibilité.
7 Les appelants ne contestent pas que le par. 5(2), s’il est applicable, permette de leur refuser un soutien en raison de leur alcoolisme. Devant le TAS, ils ont tous deux fait valoir qu’ils avaient d’autres déficiences que l’alcoolisme; ces arguments ont été rejetés et les conclusions du TAS n’ont pas été portées en appel devant la Cour. Mais les appelants ont également soutenu que le par. 5(2) était inapplicable en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H.19 (« Code »). Ils ont affirmé qu’en visant à leur refuser un soutien du fait de leur alcoolisme, qui constitue, selon eux, un handicap au sens du Code, le par. 5(2) de la LPOSPH établissait une discrimination et était donc inapplicable en raison de la primauté du Code sur toute autre loi.
8 Au lieu d’analyser cet argument, le TAS a conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner la question de l’applicabilité du par. 5(2) selon le Code. Les appelants ont donc vu leurs appels rejetés sans pouvoir bénéficier d’une décision portant qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire.
9 Après jonction de leurs causes, les appelants ont interjeté appel devant la Cour divisionnaire. Dans de brefs motifs exposés à l’audience, la cour, alors composée des juges Then, Cameron et Desotti, a convenu avec le TAS que ses lois habilitantes ne lui conféraient pas le pouvoir d’examiner le Code ([2003] O.J. No. 1409 (QL), par. 3). Les appelants se sont ensuite pourvus en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario.
10 Rédigeant le jugement unanime de la cour, la juge Weiler a étudié en détail la LPOSPH et la LPOT. Elle a conclu que le législateur n’avait pas retiré au TAS la compétence pour examiner le Code et que le TAS avait donc le pouvoir de déclarer inapplicable une disposition de la LPOSPH en raison de son caractère discriminatoire ((2004), 72 O.R. (3d) 457, par. 58‑59 et 62). Toutefois, la juge Weiler a ensuite examiné la question de savoir si le TAS aurait dû, en l’espèce, refuser d’exercer sa compétence relative au Code. Elle a estimé qu’il n’était pas le mieux placé pour décider des questions relatives au Code, ce qui l’a finalement amenée à rejeter les appels (par. 70).
11 L’essentiel de l’argument invoqué par les appelants devant le TAS n’est pas en cause devant la Cour. Le présent pourvoi étant accueilli, cette question sera renvoyée au TAS. S’il avait été rejeté, les appelants auraient poursuivi leur demande de contrôle judiciaire, laquelle est actuellement en suspens devant la Cour divisionnaire. Il n’appartient donc pas à la Cour de se demander si le par. 5(2) de la LPOSPH entre en conflit avec le Code. La Cour s’occupe plutôt uniquement de la décision du TAS qu’il ne pouvait lui‑même trancher ces questions.
12 Il s’est écoulé près de cinq ans depuis que les demandes des appelants ont été rejetées par le directeur. Pendant cette période, les appelants n’ont bénéficié d’aucun soutien prévu par la LPOSPH. S’ils obtiennent finalement gain de cause quant au fond, aucun octroi de dommages‑intérêts ne changera rien au fait qu’ils ont vécu les cinq dernières années sans bénéficier de l’aide à laquelle ils avaient droit. C’est ainsi que les arguments présentés devant la Cour portaient principalement sur les craintes concernant la vulnérabilité des appelants et la nécessité pour eux d’obtenir la résolution complète de leurs appels par le TAS. Il faut toutefois tempérer ces craintes par l’importance d’assurer le bon fonctionnement du TAS d’une manière plus générale, de peur que d’autres demandeurs ne souffrent inutilement en attendant l’issue de leur appel. Au bout du compte, cependant, le présent pourvoi ne doit pas être tranché en fonction de considérations pratiques du point de vue des appelants, ni en fonction de raisons de commodité pour les tribunaux administratifs. Il doit être tranché selon le système législatif mis en place par le législateur.
13 Le Code est une loi fondamentale. Le législateur ontarien a confirmé la primauté du Code, dans la loi elle‑même, précisant qu’il s’applique tant aux simples citoyens qu’aux organismes publics. D’ailleurs, la résolution des questions relatives au Code n’est plus du ressort exclusif de l’intervenante la Commission ontarienne des droits de la personne (« CODP ») : art. 34 du Code. Le législateur a donc envisagé la possibilité que cette loi fondamentale soit appliquée par d’autres organismes administratifs et a modifié le Code en conséquence.
14 Ce n’est pas favoriser l’atteinte des objectifs louables du Code que d’imposer, par interprétation, des limites à son application. Il est bien établi en droit que les tribunaux administratifs créés par une loi qui sont investis du pouvoir de trancher les questions de droit sont présumés avoir le pouvoir d’aller au‑delà de leurs lois habilitantes pour appliquer l’ensemble du droit à une affaire dont ils sont dûment saisis. Si on applique ce principe au présent pourvoi, le TAS avait manifestement compétence pour examiner le Code lorsqu’il s’est agi de décider si les appelants étaient admissibles au soutien prévu par la LPOSPH. À ce moment‑là, le TAS était tenu d’appliquer le Code afin de rendre une décision qui reflétait l’ensemble du droit de la province.
2. Questions en litige
15 Le présent pourvoi soulève deux questions :
(1) Le TAS a‑t‑il compétence pour examiner le Code au moment de rendre ses décisions?
(2) Dans l’affirmative, le TAS aurait‑il dû décliner compétence dans les présentes affaires?
3. Analyse
3.1 Le TAS a‑t‑il compétence pour examiner le Code?
16 Les tribunaux administratifs créés par une loi, comme le TAS, ne possèdent aucune compétence inhérente. Il est donc nécessaire d’examiner les lois habilitantes du TAS pour déterminer ses pouvoirs : Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, 2003 CSC 54, par. 33; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, p. 14; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, p. 595. Les lois pertinentes en ce qui concerne le TAS sont la LPOSPH et la LPOT. Dans le contexte du présent pourvoi, cependant, on ne peut faire abstraction du régime législatif dans lequel s’inscrit le Code. Les lois habilitantes et le Code seront tous examinés à tour de rôle.
3.1.1 La LPOSPH et la LPOT
17 La LPOSPH et la LPOT sont des composantes jumelles du système que le gouvernement ontarien a mis en place pour fournir une aide sociale aux demandeurs qui le méritent. La LPOSPH s’occupe des demandeurs handicapés, alors que la LPOT vient en aide aux demandeurs admissibles qui ne souffrent d’aucun handicap. Pour saisir les différences de politique qui existent entre ces deux lois, il peut être utile de citer les dispositions introductives de chacune d’elles. Voici le texte de l’art. 1 de la LPOSPH :
1. [Objet de la Loi] La présente loi a pour objet de créer un programme qui :
a) fournit un soutien du revenu et un soutien de l’emploi aux personnes handicapées admissibles;
b) reconnaît que le gouvernement, les collectivités, les familles et les particuliers partagent la responsabilité de fournir de telles formes de soutien;
c) sert efficacement les personnes handicapées qui ont besoin d’aide;
d) comprend l’obligation de rendre de compte aux contribuables de l’Ontario.
Voici le texte de l’art. 1 de la LPOT :
1. [Objet de la Loi] La présente loi a pour objet de créer un programme qui :
a) reconnaît la responsabilité individuelle et favorise l’autonomie par l’emploi;
b) fournit une aide financière provisoire à ceux qui sont le plus dans le besoin pendant qu’ils satisfont des obligations en vue de se faire employer et de le rester;
c) sert efficacement les personnes qui ont besoin d’aide;
d) comprend l’obligation de rendre compte aux contribuables de l’Ontario.
18 Comme je l’ai déjà mentionné, l’aide accordée varie également beaucoup d’un régime à l’autre. Par exemple, selon la LPOT, la somme payable au titre des besoins essentiels pour un bénéficiaire seul qui n’a pas de personnes à charge est de 201 $ par mois (Règl. de l’Ont. 134/98, par. 41(1)). Sous le régime de la LPOSPH, cette somme est de 532 $ par mois (Règl. de l’Ont. 222/98, par. 30(1)1). Selon la LPOT, l’allocation de logement pour une personne seule est de 335 $ (Règl. de l’Ont. 134/98, par. 42(2)2), alors qu’elle est de 427 $ en vertu de la LPOSPH (Règl. de l’Ont. 222/98, par. 31(2)2). L’aide prévue par la LPOT peut aussi être assortie de conditions, comme celle de participer à des mesures d’emploi : al. 7(4)b).
19 La LPOSPH fournit un cadre détaillé pour le traitement des demandes de prestations d’invalidité. Le directeur reçoit les demandes de soutien du revenu : al. 38a). On tranche la question de savoir si une personne est handicapée en se reportant aux art. 4 et 5 de la LPOSPH :
4. (1) [Personnes handicapées] Est une personne handicapée pour l’application de la présente partie la personne qui satisfait aux conditions suivantes :
a) elle a une déficience physique ou mentale importante qui est continue ou récurrente et dont la durée prévue est d’au moins un an;
b) l’effet direct et cumulatif de la déficience sur la capacité de la personne de prendre soin d’elle‑même, de fonctionner dans la collectivité et de fonctionner dans un lieu de travail se traduit par une limitation importante d’une ou de plusieurs de ces activités de la vie quotidienne;
c) cette déficience et sa durée probable ainsi que les limites des activités de la vie quotidienne ont été confirmées par une personne qui a les qualités prescrites.
(2) [Décisions] Une décision prévue au présent article est rendue par une personne nommée par le directeur.
5. (1) [Admissibilité au soutien du revenu] Nul n’est admissible au soutien du revenu à moins de satisfaire aux conditions suivantes :
a) la personne répond aux exigences du paragraphe 3 (1);
b) la personne réside en Ontario;
c) les besoins matériels de la personne et de toute personne à charge dépassent leur revenu et leur avoir ne dépasse pas le plafond prescrit, selon ce que prévoient les règlements;
d) la personne et les personnes à charge prescrites fournissent les renseignements et l’attestation de ceux‑ci qui sont exigés pour déterminer l’admissibilité, notamment :
(i) les renseignements concernant l’identité, selon ce qui est prescrit,
(ii) les renseignements financiers, selon ce qui est prescrit,
(iii) les autres renseignements prescrits;
e) la personne et toute personne à charge satisfont aux autres conditions prescrites relatives à l’admissibilité.
(2) [Idem] Une personne n’est pas admissible au soutien du revenu si les conditions suivantes sont réunies :
a) la personne a développé une dépendance ou une accoutumance à l’égard de l’alcool, d’une drogue ou d’une autre substance chimiquement active;
b) l’alcool, la drogue ou l’autre substance n’a pas été autorisé par ordonnance, selon ce que prévoient les règlements;
c) la seule limitation importante de ses activités de la vie quotidienne est attribuable à l’utilisation ou à la cessation de l’utilisation de l’alcool, de la drogue ou de l’autre substance au moment de déterminer ou de réviser l’admissibilité.
(3) [Idem] Le paragraphe (2) ne s’applique pas à l’égard de la personne qui, en plus de sa dépendance ou de son accoutumance à l’égard de l’alcool, d’une drogue ou d’une autre substance chimiquement active, a une déficience physique ou mentale importante, que celle‑ci soit causée ou non par l’utilisation de l’alcool, d’une drogue ou d’une autre substance chimiquement active.
20 Il ressort clairement du par. 4(2) que ce n’est pas le directeur qui décide personnellement si une personne est handicapée au sens du par. 4(1). Il peut également permettre à une autre personne d’exercer ses fonctions sous sa supervision et sa direction : par. 37(3). La détermination de l’admissibilité, y compris l’application du par. 5(2), fait toutefois partie des responsabilités du directeur : al. 38b). Une fois que l’auteur de la demande est déclaré admissible au soutien, il revient également au directeur d’en déterminer le montant et d’en ordonner la fourniture : al. 38c).
21 En règle générale, il peut être interjeté appel devant le TAS, sauf dans certains cas exceptionnels prévus par le législateur : art. 21. Mais l’intéressé doit auparavant demander une révision interne : art. 22. Il n’est pas nécessaire que celle‑ci soit conforme à la Loi sur l’exercice des compétences légales, L.R.O. 1990, ch. S.22 : par. 22(4). Après la révision interne, l’auteur de la demande peut porter la décision du directeur en appel devant le TAS : par. 23(1). Il lui incombe de convaincre le TAS que la décision du directeur est erronée : par. 23(10).
22 Je dois souligner ici qu’il est difficile pour le demandeur dont la demande de soutien du revenu a encore été rejetée après la révision interne d’éviter le TAS. C’est le TAS que le législateur a investi du pouvoir de rendre, dans les appels en matière de soutien du revenu, des décisions auxquelles le directeur doit donner suite : par. 26(3). Compte tenu de l’existence du droit d’interjeter appel devant le TAS, il n’est pas du tout certain que le demandeur pourrait demander le contrôle judiciaire de la décision du directeur sans avoir d’abord fait valoir ses arguments devant le TAS : voir Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 32‑38, 112 et 140‑153. Et même si le demandeur qui s’est vu refuser des prestations pour des motifs discriminatoires peut effectivement tenter d’obtenir réparation par l’intermédiaire de la CODP, les demandeurs ne savent pas toujours qu’ils sont victimes de discrimination. Par exemple, dans le présent pourvoi, les lettres du directeur aux appelants concernant tant la demande initiale que la révision interne ne mentionnent nullement qu’on n’a pas tenu compte du fait que le handicap des appelants pouvait être attribuable à leur alcoolisme. On leur a dit simplement qu’ils n’étaient pas considérés comme des personnes handicapées. Les résumés de décisions font état de la question de l’alcoolisme, mais rien n’indique que ces documents ont été annexés aux lettres du directeur; il semble que les appelants les ont obtenus lors de la communication préalable.
23 La LPOSPH prévoit également la possibilité d’interjeter appel, sur des questions de droit, des décisions du TAS devant la Cour divisionnaire : par. 31(1). Ces questions de droit peuvent se poser régulièrement dans le cadre normal des activités du TAS : par exemple, il se peut que celui‑ci ait à déterminer le sens juridique de « déficience physique ou mentale importante » à l’al. 4(1)a) ou même de « substance chimiquement active » à l’al. 5(2)a). Il fait donc peu de doute que le TAS est investi du pouvoir de trancher des questions de droit : voir Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, 2003 CSC 55, par. 41. Ce pouvoir comporte des implications importantes.
24 Dans Martin, la Cour a rappelé le principe qu’« on présume que l’organisme administratif [habilité à trancher des questions de droit] peut déborder le cadre de sa loi habilitante et, sous réserve d’un contrôle judiciaire selon la norme applicable, trancher les questions de droit commun ou d’interprétation législative soulevées dans une instance dont il est dûment saisi » : voir par. 45. Je dois souligner que le pouvoir présumé d’un tribunal administratif (investi du pouvoir de trancher des questions de droit) de déborder le cadre de sa loi habilitante entre en jeu simplement lorsque celui‑ci est saisi des « questions [. . .] soulevées dans une instance dont il est dûment saisi ». On peut mettre ce pouvoir en contraste avec celui de soumettre une disposition législative à un examen fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés, qui n’existe que si le tribunal administratif a compétence pour décider des questions de droit se rapportant à cette disposition précise : voir Martin, par. 3.
25 Je dois conclure que le contraste dans le libellé de Martin est délibéré. Lorsqu’une disposition précise est déclarée invalide, il faut s’assurer que le tribunal administratif est habilité à l’examiner en détail. Le pouvoir d’examiner en détail d’autres dispositions ne suffit pas, car l’analyse constitutionnelle vise une disposition précise. Toutefois, il en va autrement lorsqu’on demande simplement au tribunal administratif d’examiner des sources juridiques externes. Dans ce cas, l’analyse n’est pas nécessairement centrée sur une disposition législative précise; par exemple, il se peut que le tribunal administratif soit appelé à déborder le cadre de sa loi habilitante parce qu’elle ne prévoit rien sur la question. Même si, en l’espèce, l’examen de la source juridique externe peut aboutir à l’inapplicabilité d’une disposition précise, cela ne signifie pas que le processus soit analogue à celui de l’invalidation constitutionnelle. Lorsqu’un tribunal administratif est simplement invité à appliquer une loi qui n’est pas sa loi habilitante, la Cour a toujours axé l’analyse sur la compétence du tribunal pour ce qui est d’examiner l’ensemble de la question dont il est saisi.
Bien que la question devant l’arbitre ait été soulevée de par un grief présenté en vertu d’une convention collective, l’arbitre a dû porter son regard au‑delà de la convention collective et interpréter et appliquer une loi qui n’était pas une projection des relations de négociation collective des parties mais un texte législatif général d’intérêt public émanant de la législature provinciale supérieure. [Je souligne.]
(McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, p. 518‑519 (motifs concordants du juge en chef Laskin))
26 La présomption qu’un tribunal administratif peut aller au‑delà de sa loi habilitante — contrairement à celle qu’il peut se prononcer sur la constitutionnalité — découle du fait qu’il est peu souhaitable qu’un tribunal administratif se limite à l’examen d’une partie du droit et ferme les yeux sur le reste du droit. Le droit n’est pas compartimenté de manière à ce que l’on puisse facilement trouver toutes les sources pertinentes à l’égard d’une question donnée dans les dispositions de la loi habilitante d’un tribunal administratif. Par conséquent, restreindre la capacité d’un tel tribunal d’examiner l’ensemble du droit revient à accroître la probabilité qu’il tire une conclusion erronée. Les conclusions erronées entraînent à leur tour des appels inefficaces ou, pire encore, un déni de justice.
27 Cependant, le pouvoir de trancher des questions de droit ne comporte pas toujours le pouvoir d’appliquer des principes juridiques qui débordent le cadre de la loi habilitante du tribunal administratif. Comme nous l’avons vu, les pouvoirs des créatures de la loi sont forcément assujettis aux limites qui leur sont imposées par le législateur. Sous réserve de ses propres limites constitutionnelles, le législateur peut restreindre la compétence de ses tribunaux administratifs comme il l’entend. L’intimé s’appuie sur deux dispositions de la LPOSPH et de la LPOT pour affirmer que c’est précisément ce que le législateur cherchait à faire dans le cas du TAS.
28 Le paragraphe 29(3) de la LPOSPH prévoit que « [d]ans un appel interjeté en vertu de la présente loi, le Tribunal ne doit pas rendre de décision que le directeur ne serait pas habilité à prendre. » Selon l’intimé, le directeur et ses mandataires ne sauraient être investis du pouvoir de recourir au Code pour refuser d’appliquer la LPOSPH, et il s’ensuit donc que le TAS ne possède pas non plus ce pouvoir. Il est facile, selon moi, de mesurer la valeur de cet argument.
29 Le paragraphe 29(3) n’est pas aussi extrême que l’intimé le laisse entendre. La disposition prévoit simplement que le TAS ne doit pas rendre de décision que le directeur ne serait pas habilité à prendre. Ainsi, le TAS ne pourrait décider d’accorder à un demandeur un soutien du revenu dont le montant n’est pas conforme aux règlements, puisque le directeur n’a pas le pouvoir de le faire : voir art. 11. Toutefois, le fait de permettre que le Code guide la détermination de l’admissibilité ne saurait guère être qualifié de « décision » en soi; il s’agit simplement d’un pouvoir que le TAS peut posséder. La LPOSPH ne limite pas non plus les pouvoirs du TAS à ceux que possède le directeur. En fait, la LPOSPH elle‑même confère au TAS des pouvoirs que le directeur ne possède pas. Par exemple, selon l’al. 38b), le directeur doit déterminer l’admissibilité de chaque demandeur au soutien du revenu, mais selon l’art. 28, le TAS doit refuser d’entendre les appels qu’il juge frivoles ou vexatoires. J’en conclus que le par. 29(3) n’écarte pas la possibilité pour le TAS d’examiner le Code.
30 La deuxième disposition sur laquelle l’intimé s’appuie pour affirmer que le TAS n’a pas compétence pour examiner le Code est le par. 67(2) de la LPOT. Cette disposition prévoit que le TAS ne peut se prononcer ni sur la constitutionnalité d’une disposition d’une loi ou d’un règlement, ni sur la compétence législative nécessaire pour prendre un règlement. L’argument de l’intimé repose donc sur l’idée qu’un examen fondé sur le Code ressemble au type d’examen que le par. 67(2) interdit expressément. Encore une fois, je ne suis pas de cet avis.
31 Le Code émane du législateur ontarien. Comme je l’exposerai dans le détail ci‑dessous, c’est une chose d’empêcher un tribunal administratif créé par une loi d’invalider une disposition législative adoptée par le législateur qui l’a créé, c’en est une autre de l’empêcher d’appliquer une loi que celui‑ci a adoptée pour résoudre des conflits apparents entre des lois. Le premier pouvoir — qui passe outre à l’intention du législateur — est manifestement plus offensant pour celui‑ci; il ne faut donc pas s’étonner qu’il l’écarte. Le deuxième pouvoir, quant à lui, n’est rien de plus qu’une instanciation de l’intention du législateur — intention qui, je le rappelle, comporte la primauté du Code et la compétence concurrente d’organismes administratifs pour l’appliquer.
32 L’argument fondé sur le par. 67(2) est donc rejeté parce que le législateur n’a pas pu vouloir que le Code soit privé de son application par analogie avec la Constitution. S’il est vrai que le législateur a clairement interdit au TAS d’examiner la constitutionnalité des lois et règlements, il a aussi clairement choisi de ne pas faire appel à la même interdiction en ce qui concerne le Code. Vu cette distinction, je dois conclure que le législateur a prévu que les questions constitutionnelles et les questions relatives au Code relèvent de « catégorie[s] de questions de droit » différentes, pour reprendre le terme utilisé dans Martin, par. 42. Respectant le régime législatif qu’il a établi en matière des droits de la personne, le législateur a permis une application large du Code, même s’il n’accorde pas au TAS le pouvoir de se prononcer sur les questions constitutionnelles.
3.1.2 Le Code
33 La caractéristique la plus importante du Code pour les besoins du présent pourvoi est qu’il s’agit d’une loi fondamentale, quasi constitutionnelle : voir Battlefords and District Co‑operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, par. 18; Insurance Corp. of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, p. 158. Il faut donc lui donner une interprétation libérale et téléologique, dans le but de protéger largement les droits des personnes visées : voir B c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 R.C.S. 403, 2002 CSC 66, par. 44. Et non seulement le Code doit s’entendre dans le contexte de son objet, mais il doit aussi, comme la Charte, être reconnu comme une loi pour le peuple : voir Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, par. 70, conf. par Martin, par. 29, et Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal des droits de la personne), [2004] 2 R.C.S. 223, 2004 CSC 40 (« Charette »), par. 28. Par conséquent, il faut non seulement lui attribuer un sens étendu, mais aussi lui assurer une application accessible.
34 L’importance du Code n’est pas affirmée que par la Cour. Le législateur ontarien a jugé bon de prévoir que lui et ses mandataires sont liés par le Code : par. 47(1). En outre, il a accordé au Code la primauté sur tous les autres textes législatifs : par. 47(2). Par suite de cette clause de primauté, les dispositions du Code l’emportent sur les dispositions incompatibles d’une autre loi provinciale.
35 Cette clause de primauté présente des ressemblances et des différences avec l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui proclame la suprématie de la Constitution. Au chapitre des ressemblances, les deux dispositions visent à rendre inopérantes les dispositions législatives incompatibles. Au bout du compte, s’il y a conflit avec le Code ou la Constitution, l’autre disposition n’est pas appliquée et, dans ce cas en particulier, c’est comme si la loi n’avait jamais été édictée. Mais à mon avis, les différences entre les deux dispositions sont beaucoup plus importantes. Tout d’abord, une disposition déclarée invalide sous le régime de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’a jamais été validement adoptée. Elle n’a jamais existé en tant que disposition valide parce que le législateur qui l’a adoptée n’a jamais eu le pouvoir de le faire. Mais lorsqu’une disposition est déclarée inapplicable en vertu du par. 47 du Code, il n’est pas question de sa validité. Le législateur avait le pouvoir d’adopter la disposition incompatible; il se trouve seulement qu’il a également édicté une autre règle de droit qui prévaut.
36 Ainsi, la question de savoir si une disposition est constitutionnelle et celle de savoir si elle est compatible avec le Code sont deux choses différentes mettant en jeu deux sortes d’analyse. Lorsqu’un tribunal administratif ou judiciaire se fonde sur l’art. 47 du Code pour déclarer une autre règle de droit inapplicable, il ne déborde pas le cadre de cette loi pour en examiner la validité, comme ce serait le cas s’il accomplissait les deux activités auxquelles le TAS ne peut se livrer selon le par. 67(2) de la LPOT. Il ne déclare pas que de toute façon le législateur a eu tort de l’édicter. Au contraire, il applique tout simplement la clause de primauté prévue par le législateur lui‑même et modifiée à son gré. La différence entre l’art. 47 du Code et l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 est donc la différence entre le fait de respecter l’intention du législateur et celui d’y passer outre.
37 En plus d’établir une analogie de forme entre l’art. 47 du Code et l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, l’intimé cherche à s’appuyer sur une similarité de fond entre l’art. 1 du Code et l’art. 15 de la Charte. En se fondant sur cette seconde comparaison, il soutient qu’une question suffisamment complexe pour être exclue de la compétence du TAS du fait qu’elle porte sur la Charte devrait l’être aussi du fait qu’elle est reliée au Code. À mon avis, cet argument comporte également des lacunes. Selon l’intimé, pour que le TAS puisse déterminer s’il a compétence à l’égard d’une question, il doit d’abord décider si cette question pouvait être formulée sur le plan constitutionnel. Mais on ne peut déduire une intention législative d’empêcher le TAS d’examiner des questions relatives à la Charte en raison de leur complexité et conclure en même temps qu’il lui incombe de déterminer sa propre compétence en se demandant si une revendication pouvait faire l’objet d’un débat fondé sur la Charte. L’analyse qui consiste à se demander « s’il s’agit vraiment d’une question relative à la Charte » se révélerait souvent aussi complexe que la question de fond elle‑même; elle nécessiterait que le TAS se penche d’abord sur la question de l’applicabilité de la Charte, pour ensuite examiner les avantages et les désavantages relatifs du Code par rapport à la Charte afin de s’assurer de ne pas désavantager le demandeur en l’obligeant à présenter un argument constitutionnel. Si le législateur estime que le premier type d’analyse est trop complexe pour le TAS, je vois difficilement comment on pourrait conclure qu’il invite le TAS à se livrer au deuxième type d’analyse.
38 Il est, au contraire, tout à fait compatible avec le régime législatif dans lequel s’inscrit le Code de le différencier de la Constitution et de permettre au TAS de l’examiner. Deux éléments de ce régime, outre ceux analysés au chapitre de la LPOSPH et de la LPOT, confirment cette intention législative. Le premier découle du par. 47(2). Cette disposition prévoit non seulement que le Code prime sur les autres textes législatifs, mais aussi que cette primauté s’applique « à moins que [l’autre] loi ou [. . .] règlement visé ne précise expressément qu’il s’applique malgré la présente loi [le Code] ». Ainsi, le législateur a réfléchi à la question des conflits entre le Code et d’autres textes de loi, a déclaré que le Code prévaut en règle générale et a élaboré des instructions sur la façon d’éviter l’application de la primauté du Code. Étant donné qu’il n’a pas suivi la procédure qu’il a déclarée obligatoire pour passer outre à la primauté du Code, la Cour n’est pas en mesure de déduire qu’il avait l’intention de le faire ou qu’il a failli le faire. Cela est d’autant plus vrai que cette déduction aurait pour conséquence de restreindre l’application des règles de droit en matière de droits de la personne.
39 Le deuxième élément du régime législatif qui confirme que le TAS a compétence pour appliquer le Code tient à la compétence non exclusive de la CODP en matière d’interprétation et d’application du Code. Certes, le par. 14b(6) de l’Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, ch. 318, dans sa version modifiée par la S.O. 1971, ch. 50 (suppl.), art. 63, conférait autrefois à une commission d’enquête une compétence exclusive pour connaître des contraventions au Code, mais le législateur a modifié son régime depuis. Dans sa forme actuelle, le Code peut être interprété et appliqué par une multitude d’instances administratives. Rien dans le régime législatif actuel ne permet de penser que la CODP est le gardien des lois relatives aux droits de la personne en Ontario. Ainsi, dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42, la Cour a décidé qu’un arbitre du travail pouvait appliquer le Code puisque les dispositions de celui‑ci sont contenues implicitement dans les conventions collectives. Et dans Charette, j’ai souligné à quel point le fait de permettre à de nombreuses instances administratives d’appliquer les lois en matière de droits de la personne favorise le développement d’une culture générale de respect des droits de la personne dans le système administratif : voir par. 28; voir aussi Parry Sound, par. 52. Ces énoncés sont compatibles avec le retrait par le législateur de la disposition attribuant une compétence exclusive à la CODP, ainsi qu’avec sa politique actuelle de permettre à la CODP de décliner compétence dans les cas où la question serait mieux tranchée en vertu d’une autre loi : voir al. 34(1)a) du Code. La Cour peut difficilement maintenant s’élever contre ce changement de politique législative au profit d’une compétence concurrente et chercher à rétablir la compétence exclusive de la CODP.
3.1.3. Conclusion quant à la compétence
40 Je conclus donc que le TAS a compétence pour examiner le Code. La LPOSPH et la LPOT apportent la confirmation que le TAS peut trancher des questions de droit. Il s’ensuit qu’il est présumé avoir compétence pour examiner l’ensemble du droit. Plus particulièrement, lorsqu’il détermine si le demandeur est admissible au soutien du revenu, il est présumé être en mesure d’examiner toute source juridique susceptible d’influer sur sa décision quant à l’admissibilité. Le Code est l’une de ces sources en l’espèce.
41 Rien n’indique que le législateur a voulu réfuter cette présomption. Au contraire, il a proclamé la primauté du Code et a donné lui-même des indications claires quant à la façon d’écarter cette primauté dans certaines circonstances. D’ailleurs, il a interdit au TAS d’examiner la constitutionnalité des textes législatifs, ou la validité des règlements, mais il n’a rien fait qui donne à penser que le TAS ne pouvait pas examiner le Code. Je ne peux lui imputer l’intention que le TAS fasse abstraction du Code alors qu’il n’a même pas suivi ses propres instructions permettant d’atteindre ce résultat.
42 La LPOSPH et la LPOT révèlent effectivement une intention législative d’empêcher le TAS de déborder le cadre des régimes législatif et réglementaire mis en place par le législateur et ses délégués. Cela n’est toutefois pas comparable à l’examen du Code. Loin de servir à déborder le cadre du régime législatif, le Code fait partie de ce régime. Exiger que le TAS en fasse abstraction irait à l’encontre de l’intention du législateur.
3.2 Le TAS aurait‑il dû décliner compétence dans les présentes affaires?
43 Bien que j’aie établi que le TAS a compétence pour appliquer le Code au moment de rendre ses décisions en matière de soutien du revenu, l’intimé fait valoir qu’une autre analyse s’impose. Il affirme que, dans les cas où deux organismes administratifs — le TAS et la CODP, en l’espèce — ont compétence à l’égard d’une question, il faudrait déterminer lequel des deux constitue la juridiction la plus indiquée avant que le demandeur soit autorisé à engager une procédure devant l’un ou l’autre. Selon le raisonnement de la Cour d’appel, cette approche permettrait d’utiliser le cadre établi dans le contexte des litiges relatifs à la compétence exclusive — notamment Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 S.C.R. 185, 2004 CSC 39, et Charette — pour déterminer la juridiction la plus appropriée dans les cas de concomitance de compétence.
44 L’analyse que préconise l’intimé repose sur l’hypothèse que le TAS peut décliner compétence s’il estime que la CODP est mieux placée pour permettre aux demandeurs de faire valoir leur revendication. Il n’est pas nécessaire de faire cette hypothèse quand un tribunal administratif détermine si un autre organisme décisionnaire a compétence exclusive; dans ce contexte, le tribunal administratif décide non pas laquelle des deux juridictions est préférable, mais plutôt laquelle des deux a, en fait, compétence. Cette hypothèse est toutefois vitale dans le présent pourvoi parce que la compétence du TAS est déjà enclenchée. Pour que celui‑ci puisse décliner compétence à l’égard d’une question dont il a été dûment saisi, il faut que le législateur lui ait conféré ce pouvoir.
45 Un examen de la LPOSPH et de la LPOT révèle que le législateur n’a pas investi le TAS d’un tel pouvoir. S’il est vrai que le TAS doit, selon l’art. 28 de la LPOSPH, refuser d’entendre un appel frivole ou vexatoire, le législateur ne lui confère nulle part le pouvoir discrétionnaire de refuser de connaître d’une question dont il est dûment saisi. Cette approche peut être mise en contraste avec le régime établi par le législateur ontarien dans lequel s’inscrivent la CODP (qui, selon l’art. 34 du Code, a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’entendre les plaintes qui seraient mieux tranchées en vertu d’une autre loi) et ses tribunaux (qui peuvent surseoir à des instances « aux conditions qu’il[s] estime[nt] justes » en vertu de l’art. 106 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43).
46 Le TAS n’ayant pas été investi du pouvoir de décliner compétence, il ne peut éviter d’examiner les questions relatives au Code soulevées dans les appels des appelants. Cela suffit pour trancher le pourvoi.
47 Le fait de permettre au TAS d’appliquer le Code pour rendre ses décisions comporte également de nombreux effets bénéfiques et est compatible avec la jurisprudence de la Cour qui confirme l’importance d’une législation accessible en matière de droits de la personne. Avant d’examiner ces effets, cependant, je dois souligner qu’ils n’ont pas été déterminants quant à l’issue du présent pourvoi. Il se trouve que le TAS est le mieux placé pour statuer sur les questions relatives au Code soulevées en l’espèce, mais même si ce n’était pas le cas, le fait qu’il ne possède pas le pouvoir de décliner compétence suffirait pour trancher la question. Le législateur définit la compétence des tribunaux administratifs qu’il créé et, dans la mesure où il la définit d’une manière qui ne contrevient pas à la Constitution, il n’appartient pas à ces tribunaux administratifs (ou judiciaires) de conclure que la compétence accordée est en quelque sorte insuffisante. Par conséquent, les facteurs comme l’expertise et les contraintes pratiques, si importants soient‑ils pour les demandeurs et les organismes administratifs, ne suffisent pas pour investir un tribunal administratif d’un pouvoir que le législateur n’a pas jugé bon de lui accorder.
48 Dans les présentes affaires, le TAS est l’instance la mieux placée pour se prononcer sur la question de l’applicabilité du par. 5(2) de la LPOSPH parce qu’il est presque impossible pour les demandeurs vulnérables qui se sont vu refuser un soutien financier en vertu de la LPOSPH de l’éviter. Les personnes qui interjettent appel devant le TAS, comme celles qui s’adressent à bien des tribunaux administratifs, n’ont pas tout leur temps et ne voudront pas nécessairement repartir à zéro en présentant une demande à la CODP une fois que leur appel devant le TAS a été rejeté. Et si elles optent pour cette solution de rechange, rien ne garantit qu’elles auront l’occasion de plaider leur cause devant la Commission ontarienne des droits de la personne : voir art. 36 du Code. Ces demandeurs méritent un règlement rapide, définitif et exécutoire de leurs conflits : Parry Sound, par. 50. Il est vraiment exceptionnel que les appelants dans le présent pourvoi aient réussi à tenir le coup tout au long de cette bataille juridique qui dure depuis près de cinq ans sans jamais avoir reçu les prestations prévues par la LPOSPH et sans même que l’on se soit encore prononcé sur leur argument de fond.
49 Dans les présentes affaires, la combinaison du régime de la LPOSPH, d’une part, et des lois en matière de droits de la personne, d’autre part, ne fait qu’accentuer l’importance que ce soit le TAS qui tranche l’ensemble du différend dont il est saisi. Dans Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, p. 339, le juge Sopinka a décrit les lois relatives aux droits de la personne comme constituant souvent le « dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation » et le « dernier recours des membres les plus vulnérables de la société ». Cependant, en faisant obstacle à ce recours, on peut lui faire perdre tout son sens. Pour être efficaces, les recours en matière de droits de la personne doivent être accessibles.
50 Lorsqu’un tribunal administratif est dûment saisi d’une question par suite de l’exercice d’un droit d’appel prévu par la loi et surtout lorsqu’un appelant vulnérable fait valoir des arguments pour défendre ses droits de la personne, il est extrêmement rare, à mon avis, que ce tribunal ne soit pas le mieux placé pour connaître de l’ensemble du différend. Il ne me vient à l’esprit aucune situation où un tel tribunal serait justifié de ne pas tenir compte des arguments de l’appelant en matière des droits de la personne, d’appliquer une disposition potentiellement discriminatoire, de renvoyer la contestation de la disposition législative devant une autre juridiction et de laisser l’appelant sans prestations dans l’intervalle.
51 Les contraintes pratiques auxquelles le TAS doit faire face sont d’un tout autre ordre que celles que doivent surmonter les demandeurs. Il est vrai que le bon fonctionnement des tribunaux administratifs est important. Et l’existence d’un autre tribunal administratif doté de plus grandes capacités institutionnelles peut effectivement indiquer qu’il est mieux placé pour entendre l’affaire en question : voir Paul, par. 39. Les tribunaux administratifs devraient néanmoins répugner à se dessaisir d’affaires en présumant que le législateur ne leur a pas donné suffisamment d’outils pour se charger des questions relevant de leur compétence. Mais dans les cas où le législateur accorde à un tribunal administratif le pouvoir de décliner compétence, il faut respecter scrupuleusement les limites de ce pouvoir afin de s’assurer que le tribunal ne se désintéresse pas à tort des questions que le législateur a voulu lui faire examiner.
52 Je conclus que le TAS est très bien placé pour débattre de la question de l’applicabilité du par. 5(2) de la LPOSPH selon le Code. En général, le fait d’encourager les tribunaux administratifs à exercer leur compétence pour trancher les questions touchant aux droits de la personne favorise la réalisation de l’objectif louable de rapprocher la justice des citoyens. Mais fait encore plus important en ce qui concerne le présent pourvoi, le législateur n’a pas investi le TAS du pouvoir de renvoyer à une autre juridiction une question dont il est dûment saisi. En l’absence d’un tel pouvoir, le TAS ne pouvait refuser d’examiner la question relative au Code au motif qu’il existe une juridiction mieux placée pour le faire.
4. Décision
53 Le présent pourvoi est accueilli. L’affaire est renvoyée au TAS pour qu’il se prononce sur la question de l’applicabilité du par. 5(2) de la LPOSPH.
5. Dépens
54 La demande de remboursement des débours devant la Cour présentée par les appelants est accueillie. Aucuns dépens ne sont adjugés puisque les parties n’en ont pas demandé.
Version française des motifs des juges LeBel, Deschamps et Abella rendus par
55 La juge Abella (dissidente) — Le gouvernement ontarien a créé un programme spécial destiné à fournir de façon efficace et efficiente des prestations de soutien du revenu aux personnes handicapées. Les personnes dont la seule déficience est l’accoutumance à l’égard de l’alcool ou d’une drogue ne sont pas admissibles à ce programme particulier même si elles peuvent avoir droit à des prestations d’aide sociale générale.
56 Les présentes affaires ne portent ni sur l’accessibilité ou l’applicabilité des lois relatives aux droits de la personne, ni sur la question de savoir si le gouvernement a le droit de refuser de verser des prestations d’invalidité à des personnes dont la seule déficience importante est la dépendance à l’égard de l’alcool ou d’une drogue. Elles soulèvent une question d’interprétation législative. Plus particulièrement, elles concernent la portée de l’intention du législateur lorsqu’il a édicté une disposition législative privant un tribunal administratif du pouvoir de décider si l’une de ses dispositions habilitantes outrepasse sa compétence ou viole la Charte canadienne des droits et libertés. En toute déférence, je ne partage pas le point de vue de mon collègue le juge Bastarache, selon lequel cette intention du législateur n’a aucune incidence sur la capacité d’un tribunal administratif d’appliquer le Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H.19 (« Code »), de manière à rendre une disposition législative inapplicable.
57 Le Tribunal de l’aide sociale (« TAS ») a été créé pour entendre les appels ayant trait au régime d’aide sociale générale prévu par la Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail, L.O. 1997, ch. 25, ann. A (« LPOT »), et au programme spécial ontarien de soutien du revenu destiné aux personnes handicapées et prévu par la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, L.O. 1997, ch. 25, ann. B (« LPOSPH »). La LPOT prescrit la structure générale, la composition, les procédures et la compétence du TAS.
58 Selon le par. 5(2) de la LPOSPH, une personne dont la seule affection invalidante est la dépendance à l’égard de l’alcool ou d’une drogue non autorisée par ordonnance n’est pas admissible au soutien du revenu prévu par la LPOSPH. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si le TAS a le pouvoir de refuser d’appliquer cette disposition en raison de sa prétendue incompatibilité avec le Code, ou s’il est empêché de le faire par le par. 67(2) de la LPOT, qui prévoit :
67. . . .
(2) Le Tribunal ne doit pas examiner les questions suivantes ni rendre de décisions à leur sujet :
a) la constitutionnalité d’une disposition d’une loi ou d’un règlement;
b) l’autorisation législative en vertu de laquelle un règlement a été pris en application d’une loi.
59 Dans Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, 2003 CSC 54, par. 42, la Cour a affirmé : « Il faut se demander si l’examen des dispositions législatives amène clairement à conclure que le législateur a voulu exclure la Charte ou, de manière plus générale, une catégorie de questions de droit mettant en cause la Charte des questions de droit pouvant être abordées par le tribunal administratif en cause » (je souligne).
60 À mon avis, le par. 67(2) créé une « catégorie de questions de droit » qui ont été expressément soustraites à la compétence du TAS, soit toute question de droit dont la réponse pourrait amener le TAS a déclaré inopérante une disposition de sa loi habilitante.
Contexte
61 La LPOSPH a été édictée au profit des personnes handicapées qui ont besoin d’un soutien du revenu. La disposition sur laquelle Robert Tranchemontagne et Norman Werbeski se sont appuyés pour demander une aide financière est le par. 4(1) de la LPOSPH, qui dispose :
4. (1) Est une personne handicapée pour l’application de la présente partie la personne qui satisfait aux conditions suivantes :
a) elle a une déficience physique ou mentale importante qui est continue ou récurrente et dont la durée prévue est d’au moins un an;
b) l’effet direct et cumulatif de la déficience sur la capacité de la personne de prendre soin d’elle‑même, de fonctionner dans la collectivité et de fonctionner dans un lieu de travail se traduit par une limitation importante d’une ou de plusieurs de ces activités de la vie quotidienne;
c) cette déficience et sa durée probable ainsi que les limites des activités de la vie quotidienne ont été confirmées par une personne qui a les qualités prescrites.
62 La portée de l’art. 4 est limitée par le par. 5(2), qui prévoit qu’une personne n’est pas admissible au soutien du revenu si les conditions suivantes sont réunies :
5. . . .
a) la personne a développé une dépendance ou une accoutumance à l’égard de l’alcool, d’une drogue ou d’une autre substance chimiquement active;
b) l’alcool, la drogue ou l’autre substance n’a pas été autorisé par ordonnance, selon ce que prévoient les règlements;
c) la seule limitation importante de ses activités de la vie quotidienne est attribuable à l’utilisation ou à la cessation de l’utilisation de l’alcool, de la drogue ou de l’autre substance au moment de déterminer ou de réviser l’admissibilité.
63 M. Tranchemontagne a fondé sa demande de soutien du revenu sur le motif que ses maux de dos, ses crises et son alcoolisme faisaient de lui une personne handicapée au sens du par. 4(1). Selon la preuve, les maux de dos de M. Tranchemontagne n’entraînaient que de légères limitations de ses activités quotidiennes, et on a réussi à traiter ses crises à l’aide de médicaments. Le directeur a estimé que ni les maux de dos ni les crises de M. Tranchemontagne ne constituaient des déficiences importantes. Le directeur et le médecin de M. Tranchemontagne ont tous deux conclu que la seule affection invalidante dont il souffrait était son utilisation chronique et excessive de l’alcool. Par conséquent, on lui a refusé le soutien du revenu en vertu du par. 5(2).
64 M. Werbeski a fondé sa demande de soutien du revenu sur le motif que sa dépendance à l’égard de l’alcool et de la drogue, son trouble de personnalité antisociale, sa dépression, son insomnie et son manque de motivation faisaient de lui une personne handicapée au sens du par. 4(1). Le directeur a conclu que la mobilité de M. Werbeski et sa capacité d’accomplir les activités de la vie quotidienne n’étaient pas limitées de façon importante par une affection physique ou mentale autre que l’alcoolisme. M. Werbeski s’est donc vu refuser, lui aussi, le soutien du revenu en vertu du par. 5(2).
65 En appel devant le TAS, M. Tranchemontagne et M. Werbeski ont tous deux fait valoir que le par. 5(2) ne devrait pas s’appliquer parce qu’il contrevient au Code. Dans les deux cas, le TAS a conclu qu’il n’avait pas compétence pour interpréter le Code et l’appliquer à sa loi habilitante de manière à rendre une disposition inopérante.
66 De même, la Cour divisionnaire a jugé qu’un tel pouvoir n’avait pas été conféré au TAS par sa loi habilitante, explicitement ou implicitement ([2003] O.J. No. 1409 (QL)).
67 La Cour d’appel de l’Ontario, appliquant la décision rendue par la Cour dans Martin, a estimé que le TAS, concurremment avec la Commission ontarienne des droits de la personne, avait compétence pour conclure à la violation de droits de la personne, mais a jugé que la Commission était mieux placée pour régler les plaintes ((2004), 72 O.R. (3d) 457).
68 M. Tranchemontagne et M. Werbeski ont tous deux interjeté appel. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, mais pour des motifs différents de ceux de la Cour d’appel.
Analyse
69 La question n’est pas de savoir si une partie peut contester une disposition de la LPOSPH au motif qu’elle n’est pas compatible avec le Code, mais bien de savoir où la contestation peut être soulevée et, plus précisément, si elle peut l’être devant le directeur ou le TAS.
70 Par l’art. 5 de la LPOSPH, le législateur a imposé des restrictions à l’admissibilité au soutien du revenu. Selon le par. 5(2), le directeur doit décider si « la seule limitation importante de ses activités de la vie quotidienne » à laquelle se heurte le demandeur est attribuable à l’utilisation de l’alcool, d’une drogue ou de toute autre substance. Dans l’affirmative, le demandeur n’est pas admissible au soutien du revenu.
71 Cette disposition, fait‑on valoir, est discriminatoire et doit s’incliner devant la primauté du Code. Selon le par. 47(2) du Code, lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement se présente comme exigeant ou autorisant une conduite en violation du Code, ce dernier prévaut en l’absence de disposition expresse contraire :
Lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement se présente comme exigeant ou autorisant une conduite qui constitue une infraction à la partie I, la présente loi s’applique et prévaut, à moins que la loi ou le règlement visé ne précise expressément qu’il s’applique malgré la présente loi.
72 Manifestement, les valeurs et les droits énoncés dans le Code sont fondamentaux. Mais cela n’a rien à voir avec la conclusion dérivative selon laquelle, en raison du par. 47(2), tous les organismes administratifs de l’Ontario sont des commissions des droits de la personne ad hoc capables d’appliquer le Code. Cette disposition ne confère pas une compétence, elle proclame la primauté du Code. Elle représente une directive législative selon laquelle, lorsqu’on demande à un organisme habilité à le faire d’appliquer le Code, les dispositions de ce dernier l’emportent sur toute disposition législative incompatible.
73 Il s’agit donc de savoir, dans le présent pourvoi, si le directeur ou le TAS ont compétence pour appliquer le Code de manière à rendre une disposition inopérante. Dans la négative, la primauté du Code ne peut servir d’outil d’interprétation à cet égard.
74 Dans Martin, la Cour a statué que le pouvoir d’évaluer la constitutionnalité d’une disposition législative découle du pouvoir de trancher les questions de droit que le législateur a conféré à l’organisme administratif :
Les tribunaux administratifs ayant compétence — expresse ou implicite — pour trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative sont présumés avoir le pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité de cette disposition. [Je souligne; par. 3.]
Cela confirme le truisme selon lequel la compétence des tribunaux administratifs est déterminée par leur loi habilitante. Cela confirme également que le législateur peut avoir voulu qu’une instance administrative soit autorisée à se prononcer sur certaines questions juridiques, mais non sur d’autres.
75 Selon l’art. 38 de la LPOSPH, les pouvoirs et fonctions qu’exerce le directeur sont les suivants :
38. Le directeur :
a) reçoit les demandes de soutien du revenu;
b) détermine l’admissibilité de chaque auteur de demande au soutien du revenu;
c) si l’auteur de la demande est déclaré admissible au soutien du revenu, en détermine le montant et en ordonne la fourniture;
d) applique la présente loi et les règlements;
e) détermine la façon de répartir le paiement des coûts engagés aux fins de l’application de la présente loi et de la fourniture du soutien du revenu;
f) veille à ce que les versements appropriés soient effectués ou retenus, selon le cas;
g) exerce les pouvoirs et les fonctions prescrits.
76 La décision du directeur, une fois qu’elle a fait l’objet d’une révision interne, est susceptible d’appel devant le TAS. Le paragraphe 26(1) de la LPOSPH prévoit que dans un appel, le TAS ne peut que rejeter l’appel, admettre l’appel, admettre une partie de l’appel ou renvoyer « la question au directeur pour réexamen conformément aux directives que le Tribunal juge indiquées ».
77 Le pouvoir du TAS est limité par le par. 29(3) de la LPOSPH, qui précise que « [d]ans un appel interjeté en vertu de la présente loi, le Tribunal ne doit pas rendre de décision que le directeur ne serait pas habilité à prendre », confinant ainsi le TAS dans l’exercice de la compétence limitée du directeur. Même si la LPOSPH confère au TAS des pouvoirs en matière de procédure plus étendus que ceux du directeur, il ressort clairement du par. 29(3) que le TAS n’a pas de pouvoirs décisionnels ni de compétences plus étendus que ceux du directeur.
78 Le paragraphe 67(2) de la LPOT a été édicté en 1997 par suite d’une décision de l’ancien TAS, qui avait interprété sa loi habilitante comme lui conférant une compétence en matière d’application de la Charte. Comme nous l’avons vu, le par. 67(2) prévoit que le TAS « ne doit pas examiner les questions suivantes ni rendre de décisions à leur sujet » : « la constitutionnalité d’une disposition d’une loi ou d’un règlement » et « l’autorisation législative en vertu de laquelle un règlement a été pris en application d’une loi ». L’examen de l’une ou l’autre de ces questions pourrait avoir pour effet de rendre un règlement ou une disposition législative inapplicable.
79 Dans ses motifs, mon collègue le juge Bastarache affirme que la révocation de la compétence relative à la Charte prévue par le par. 67(2) ne s’applique pas à la compétence relative au Code parce que la violation de la Charte a pour conséquence l’invalidité législative alors que le non‑respect du Code ne mène qu’à une déclaration d’inapplicabilité. La différence entre une déclaration d’invalidité et une déclaration d’inapplicabilité explique, selon lui, pourquoi le législateur a révoqué la compétence relative à la Charte, mais non celle relative au Code. Cette thèse, en toute déférence, ne tient pas compte du fait que les tribunaux administratifs n’ont pas le pouvoir de faire des déclarations formelles d’invalidité. Ils n’ont compétence que pour refuser d’appliquer la disposition attentatoire. Le législateur a révoqué la compétence du TAS en matière d’application de la Charte parce qu’il ne voulait pas que celui‑ci déclare inapplicable une partie quelconque de la loi. C’est précisément ce qui pourrait arriver si celui‑ci appliquait le Code.
80 Selon moi, la conclusion évidente qui se dégage du retrait spécifique de l’examen fondé sur la Charte et de l’examen qui constitue un excès de pouvoir est que le législateur ne voulait pas que le TAS soit en mesure de refuser d’appliquer l’une de ses dispositions habilitantes en la déclarant inopérante, tout simplement. Face à une directive législative aussi claire, on se demande bien comment il est possible de présumer que son intention était, néanmoins, de permettre qu’une telle déclaration soit faite en vertu du Code.
81 En édictant le par. 67(2), le législateur a fait tout ce à quoi on pouvait raisonnablement s’attendre pour manifester son intention de ne pas laisser le TAS décider de la validité d’un aspect quelconque de la LPOSPH. Il a expressément exclu des questions sur lesquelles le TAS pouvait se prononcer la « catégorie de questions de droit », pour reprendre le terme employé dans Martin, qui mette en cause la validité, et donc l’applicabilité, des dispositions législatives ou des règlements que le TAS est chargé d’administrer.
82 Le fait que le Code ne soit pas mentionné expressément dans la taxonomie des décisions interdites contenue dans le par. 67(2) n’est pas déterminant. Le chevauchement des droits et recours garantis par la Charte et de ceux garantis par le Code, y compris les droits des personnes handicapées, est tel qu’il serait anormal que le TAS ait le pouvoir de décider si une disposition de la LPOSPH constitue de la discrimination fondée sur un handicap selon le Code, mais non selon la Charte.
83 Dans Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, la Cour a estimé problématique toute dissonance entre l’analyse fondée sur la législation en matière de droits de la personne et celle fondée sur la Charte. Vu les parallèles conceptuels qui les unissent, la Cour a opté pour une interprétation qui concilie les deux sources de réparation en matière de droits de la personne. La juge McLachlin, au nom de la cour, a écrit : « Je ne vois pas pourquoi une méthode différente devrait être adoptée lorsqu’une demande est fondée sur une loi concernant les droits de la personne qui, bien qu’elle puisse avoir une orientation juridique différente, vise le même mal général que le par. 15(1) de la Charte » (par. 48). L’application de cette méthode a également mené à la conclusion de la Cour que l’interprétation de la Charte doit éclairer celle de tous les codes des droits de la personne du Canada : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27, par. 42.
84 Le Code et la Charte sont tous les deux des instruments juridiques capables de remédier à une discrimination fondée sur un handicap. L’issue de la contestation fondée sur l’un ou sur l’autre peut très bien être la même. Du point de vue du demandeur qui s’adresse au TAS, la conséquence d’une violation du Code ou de la Charte serait la même : le par. 5(2) ne lui est pas applicable.
85 En révoquant la compétence à l’égard des questions relatives à la Charte, le législateur a exprimé clairement son intention de ne pas permettre au TAS d’entendre et de trancher des questions juridiques pouvant entraîner l’inapplicabilité d’une disposition. Même si le par. 67(2) mentionne la constitutionnalité et non la conformité au Code, la ressemblance entre la Charte et le Code sur le plan de la réparation et du concept est telle que le législateur a, forcément, retiré le pouvoir d’accorder la réparation de l’inapplicabilité en vertu de l’un ou l’autre des mandats.
86 Outre le libellé de la disposition législative applicable, l’arrêt Martin conclut aussi que des considérations pratiques, comme la capacité institutionnelle du tribunal administratif, peuvent indiquer que le législateur avait l’intention d’empêcher celui‑ci d’examiner des questions juridiques mettant en cause l’applicabilité de sa loi habilitante. L’évaluation de la validité de la décision du législateur de rendre les personnes dont la seule déficience invalidante est la dépendance à l’égard d’une drogue ou de l’alcool inadmissibles au soutien du revenu prévu par la LPOSPH exige un examen des justifications fournies par le législateur, tâche complexe touchant à la preuve et au droit. À l’étape de la deuxième lecture de la LPOT, l’adjoint parlementaire de la ministre des Services sociaux et communautaires a dit à propos du par. 67(2) [traduction] : « . . . nous proposons de retirer au tribunal administratif sa compétence en matière d’examen des questions constitutionnelles. La raison en est simple : les questions constitutionnelles soulèvent des questions de droit complexes et peuvent avoir des conséquences d’une portée considérable que les tribunaux judiciaires sont mieux placés, selon nous, pour trancher » : Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats, no 222B, 2 septembre 1997, p. 11708 (M. F. Klees).
87 Manifestement, l’examen juridique de l’applicabilité d’une disposition par le directeur ou le TAS a été jugé inapproprié. Un survol de leurs caractéristiques institutionnelles explique pourquoi ni l’un ni l’autre n’ont été considérés comme ayant la capacité de trancher des questions juridiques aussi complexes et chronophages.
88 Le directeur ne tient pas d’audiences et ne reçoit pas d’éléments de preuve outre ceux déposés par le demandeur. L’appel interjeté devant le TAS contre la décision du directeur est introduit par le dépôt d’un avis d’appel dans lequel le demandeur doit simplement expliquer en quoi, et pourquoi, il n’est pas d’accord à propos de la décision du directeur. Ce dernier peut choisir de ne présenter que des observations écrites au TAS. Après réception de l’avis d’appel du demandeur, le directeur dispose de 30 jours pour déposer sa réplique.
89 Les décisions du TAS ne sont pas accessibles au public. Les audiences sont informelles et privées. La plupart d’entre elles ne durent pas plus d’une heure et demie.
90 Le TAS se veut un processus efficient, efficace et rapide. Il semble toutefois avoir de la difficulté à remplir ce mandat. En 2004‑2005, il avait un arriéré de 9 042 dossiers et a été saisi de 11 127 nouveaux appels fondés sur la LPOT et la LPOSPH. Dans Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, p. 34, la Cour a reconnu que les organismes administratifs chargés d’assurer le versement de prestations monétaires à des demandeurs admissibles pourraient sans nul doute être empêchés de remplir cet engagement important et commandant la rapidité si on leur demandait de trancher des questions de droit constitutionnel.
91 Imposer au TAS la tenue d’audiences sur le respect du Code influerait également et inévitablement sur sa capacité d’aider, en temps opportun, les personnes handicapées, au profit desquelles il a été établi. Il serait difficile de convaincre les milliers de personnes handicapées qui attendent l’audition de leur appel — dont plusieurs ne bénéficient d’aucun soutien provisoire — qu’il est dans l’intérêt public que le TAS se penche sur une question jurisprudentielle complexe, longue et forcément dilatoire sans que sa décision ait valeur de précédent. C’est là la véritable question d’accès qui se pose en l’espèce.
92 La capacité institutionnelle et les pratiques en matière de procédure du TAS sont fort différentes de celles d’un tribunal administratif constitué en vertu du Code (« Tribunal des droits de la personne »). Les règles de procédure du Tribunal des droits de la personne encouragent de véritables débats contradictoires et prévoient de réelles obligations en matière de communication et de production de documents. Je conviens que le fait que le Tribunal des droits de la personne ait des pouvoirs et une capacité institutionnels plus étendus ne signifie pas que seul un tribunal des droits de la personne peut appliquer le Code.
93 Autrefois, la Commission ontarienne des droits de la personne avait compétence exclusive pour connaître des plaintes en matière de droits de la personne : The Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, ch. 318, par. 14b(6); voir également Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181. En 1981, le législateur a édicté ce qui constitue maintenant l’al. 34(1)a) du Code, conférant ainsi à la Commission le pouvoir discrétionnaire de renvoyer une plainte en matière de droits de la personne à un autre organisme. L’alinéa 34(1)a) précise que :
34 (1) S’il appert à la Commission que, selon le cas :
a) la plainte pourrait ou devrait plutôt être traitée en vertu d’une autre loi;
. . .
la Commission peut, à sa discrétion, décider de ne pas traiter la plainte.
94 L’alinéa 34(1)a) du Code peut donner à penser que la Commission n’a plus compétence exclusive pour connaître des plaintes fondées sur le Code mais le législateur ne semble pas avoir remplacé cette compétence exclusive par un régime selon lequel tous les tribunaux provinciaux auraient, concurremment avec la Commission, une compétence autonome pour appliquer le Code. Cette compétence devrait être prévue dans la loi habilitante du tribunal administratif. Selon l’al. 48(12)j) de la Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A, p. ex., les arbitres des conflits de travail ont le pouvoir « d’interpréter et d’appliquer les lois ayant trait aux droits de la personne ainsi que les autres lois ayant trait à l’emploi ». Et les arbitres des conflits du travail nommés en vertu de la Loi de 1997 sur la prévention et la protection contre l’incendie de la province, L.O. 1997, ch. 4, al. 53(9)j), ont été investis de la même compétence qu’un ressort d’origine.
95 L’existence d’un organisme voué à la défense des droits de la personne, telle la Commission, témoigne du caractère forcément complexe et nuancé des décisions en matière de droits de la personne, qui ressort des nombreux mécanismes de contrôle prévus par le Code lui‑même, et préserve l’intégrité du Code, du processus décisionnel en matière de droits de la personne et de l’intérêt des parties et du public.
96 L’incapacité de déclarer une disposition inopérante selon le Code ne signifie pas que, lorsqu’ils prennent leurs décisions, le directeur et le TAS ne peuvent pas appliquer les valeurs et principes en matière de droits de la personne contenus dans le Code, mais plutôt que ces principes ne peuvent servir à « invalider » une disposition qui définit leur mandat.
97 Cela ne signifie pas non plus que les parties ne peuvent pas contester une disposition de la LPOSPH au motif qu’elle n’est pas compatible avec le Code, ou même avec la Charte, mais bien que la contestation doit être soulevée devant la juridiction appropriée. C’est précisément ce que les parties ont fait dans le présent pourvoi en soulevant devant la Cour divisionnaire une contestation fondée à la fois sur la Charte et sur le Code.
98 Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi, sans frais, et de rétablir la décision du TAS portant qu’il n’avait pas compétence pour déclarer le par. 5(2) inopérant en vertu du Code.
Pourvoi accueilli, les juges LeBel, Deschamps et Abella sont dissidents.
Procureur de l’appelant Robert Tranchemontagne : Sudbury Community Legal Clinic, Sudbury.
Procureur de l’appelant Norman Werbeski : Legal Aid Ontario, Toronto.
Procureur de l’intimé : Ministère des Services sociaux et communautaires, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne : Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa.
Procureur de l’intervenante la Commission ontarienne des droits de la personne : Commission ontarienne des droits de la personne, Toronto.
Procureur de l’intervenant le Centre ontarien de défense des droits des locataires : Centre ontarien de défense des droits des locataires, Toronto.
Procureur de l’intervenante African Canadian Legal Clinic : African Canadian Legal Clinic, Toronto.
Procureur de l’intervenant le Conseil d’autonomie des clients — Centre de toxicomanie et de santé mentale : ARCH : A Legal Resource Centre for Persons with Disabilities, Toronto.
Procureurs de l’intervenant le Tribunal de l’aide sociale : WeirFoulds, Toronto.