Canada (Sous‑ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, 2001 CSC 36
Mattel Canada Inc. Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Reebok Canada Inc. Intervenante
et entre
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Mattel Canada Inc. Intimée
et
Reebok Canada Inc. Intervenante
Répertorié : Canada (Sous‑ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc.
Référence neutre : 2001 CSC 36.
No du greffe : 27174.
2001 : 20 février; 2001 : 7 juin.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (1999), 236 N.R. 285, [1999] A.C.F. no 43 (QL), qui a accueilli l’appel en partie et rejeté l’appel incident interjetés contre une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur, [1997] T.C.C.E. no 7 (QL). Pourvoi accueilli en partie. Pourvoi incident rejeté.
Darrel H. Pearson, Richard S. Gottlieb et Jeffery D. Jenkins, pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.
Edward R. Sojonky, c.r., et Frederick B. Woyiwada, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident.
Richard W. Pound, c.r., et Glenn A. Cranker, pour l’intervenante.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Major — Il faut attribuer une valeur aux marchandises importées au Canada afin de déterminer les droits payables en application de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.).
2 La Loi sur les douanes prescrit différentes méthodes de calcul de la valeur en douane. Suivant l’une de ces méthodes, il faut déterminer, « [d]ans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, [. . .] le prix payé ou à payer » (par. 48(4)). Une fois déterminé, le prix « payé ou à payer » doit être ajusté par addition des « redevances et [d]es droits de licence » (sous‑al. 48(5)a)(iv)) et de « la valeur de toute partie du produit de toute revente » (sous‑al. 48(5)a)(v)), dans la mesure où ces sommes « n’y ont pas déjà été inclus[es] » (al. 48(5)a)).
3 Essentiellement, le présent pourvoi soulève trois questions :
(1) Une vente entre deux sociétés étrangères constitue‑t‑elle une vente « pour exportation au Canada » au sens de l’art. 48 de la Loi sur les douanes?
(2) Dans quelles circonstances des redevances sont‑elles payées « en tant que condition de la vente », au sens du sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes, et doivent en conséquence être ajoutées au « prix payé ou à payer » « [d]ans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada »?
(3) Certains versements périodiques constituent‑ils, au sens du sous‑al. 48(5)a)(v) de la Loi sur les douanes, le « produit de toute revente » qui doit également être ajouté au « prix payé ou à payer » pour les marchandises?
I. Les faits
4 Mattel Canada Inc. (« Mattel Canada ») est une filiale en propriété exclusive de Mattel Holdings Limited, elle‑même une filiale en propriété exclusive de Mattel Inc. (« Mattel É.‑U. »). Mattel É.‑U. est propriétaire de Mattel Trading Company Limited (« l’intermédiaire ») et de Mattel Trading Vendor Operations Ltd. (« Mattel Vendor Operations »). Les deux dernières sociétés sont établies à Hong Kong.
5 Mattel Canada commande, au moyen d’un système informatique appartenant à Mattel É.‑U., des marchandises qui sont fabriquées à Hong Kong.
A. « Vente pour exportation au Canada »
6 Une fois les marchandises fabriquées, leur facturation se fait en trois étapes :
(1) les fabricants étrangers facturent les marchandises à l’intermédiaire;
(2) l’intermédiaire les facture à Mattel É.‑U. (convention d’achat datée du 1er janvier 1992);
(3) Mattel É.‑U. les facture à Mattel Canada (convention d’achat datée du 1er avril 1992).
Si les fabricants étrangers ne font pas partie du groupe de sociétés Mattel, c’est normalement Mattel Vendor Operations (plutôt que l’intermédiaire) qui acquiert le titre relatif aux marchandises. Cette distinction n’est toutefois pas importante pour les fins du présent pourvoi. Tout au long des présents motifs, on se référera donc à la première étape, savoir la vente entre les fabricants étrangers et l’intermédiaire.
7 En l’espèce, à chacune des étapes les marchandises sont vendues à des prix progressivement plus élevés. L’intermédiaire et Mattel É.‑U. acquièrent le titre relatif aux marchandises avant son transfert à Mattel Canada, l’acheteur final. Les marchandises sont expédiées directement des fabricants étrangers à Mattel Canada.
8 Mattel Canada a estimé que la valeur en douane avant ajustement — ou « [d]ans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, [. . .] le prix payé ou à payer » visé au par. 48(4) de la Loi sur les douanes — était le prix auquel les fabricants étrangers facturaient les marchandises à l’intermédiaire. Mattel Canada a plaidé que le par. 48(4) n’exigeait pas qu’une vente soit faite à un résident du Canada pour constituer une vente pour exportation. Le sous‑ministre du Revenu national (le « sous‑ministre ») a exprimé son désaccord, estimant plutôt que le prix « payé ou à payer » approprié était celui auquel Mattel É.‑U. facturait les marchandises à Mattel Canada.
B. « Les redevances et les droits de licence »
9 Les marchandises importées font l’objet de marques de commerce. Mattel Canada a conclu un accord avec le concédant de la licence d’emploi de la marque de commerce, dont il sera fait mention dans les présents motifs au moyen de la désignation anonyme « Concédant de licence X », conformément à une ordonnance de confidentialité rendue par la Cour d’appel fédérale et maintenue par notre Cour. Aux termes de cet accord, daté du 2 décembre 1991, Mattel Canada accepte de verser au Concédant de licence X des redevances correspondant à un certain pourcentage de la valeur nette facturée pour les marchandises vendues aux clients canadiens.
10 Conformément au sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes, le sous‑ministre a inclus les redevances dans la valeur en douane des marchandises importées. Mattel Canada a contesté cette décision, soutenant que même si la vente pour exportation pertinente pour l’application de la Loi sur les douanes était celle intervenue entre Mattel É.‑U. et Mattel Canada, l’accord en vertu duquel Mattel É.‑U. a vendu des marchandises à Mattel Canada ne subordonne pas la vente des marchandises au paiement des redevances au Concédant de licence X. Par conséquent, Mattel Canada a prétendu que les redevances n’étaient pas payées « en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada », c’est‑à‑dire au sens de la formulation limitative prévue au sous‑al. 48(5)a)(iv).
C. Les versements périodiques
11 Mattel É.‑U. a conclu des accords avec divers concédants de licence (les « concédants de licences maîtresses ») en vue d’obtenir des droits de licences relatifs à certains produits. Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le « TCCE ») a conclu que Mattel É.‑U. avait transféré le fardeau de ses paiements à Mattel Canada et que les paiements de Mattel Canada étaient « transmis par l’intermédiaire de » Mattel É.‑U. aux concédants de licences maîtresses ([1997] T.C.C.E. no 7 (QL), par. 32).
12 Le sous‑ministre a voulu inclure, en vertu du sous‑al. 48(5)a)(iv) (redevances et droits de licence) ou 48(5)a)(v) (produit de toute revente, cession ou utilisation ultérieure), les versements périodiques de Mattel Canada dans la valeur en douane des marchandises importées.
II. Les dispositions législatives pertinentes
13 Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.)
44. Les droits, autres que les droits ou taxes prévus par la Loi sur la taxe d’accise ou la Loi sur l’accise, qui sont imposés sur des marchandises selon un certain pourcentage se calculent par l’application du taux à une valeur déterminée conformément aux articles 45 à 55.
45. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 46 à 55.
. . .
« prix payé ou à payer » En cas de vente de marchandises pour exportation au Canada, la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises.
. . .
48.(1) Sous réserve du paragraphe (6), la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable et si les conditions suivantes sont réunies :
. . .
(4) Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5).
(5) Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :
a) par addition, dans la mesure où ils n’y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :
. . .
(iv) les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises, y compris les paiements afférents aux brevets d’invention, marques de commerce et droits d’auteur, que l’acheteur est tenu d’acquitter directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, à l’exclusion des frais afférents au droit de reproduction de ces marchandises au Canada,
(v) la valeur de toute partie du produit de toute revente, cession ou utilisation ultérieure par l’acheteur des marchandises, qui revient ou doit revenir, directement ou indirectement, au vendeur, . . .
Loi modifiant la Loi sur les douanes, le Tarif des douanes et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 41
17. Le paragraphe 45(1) de la même loi est modifié par adjonction, selon l’ordre alphabétique, de ce qui suit :
« acheteur au Canada » S’entend au sens des règlements.
18. Le passage du paragraphe 48(1) de la même loi précédant l’alinéa a) est remplacé par ce qui suit :
48. (1) Sous réserve des paragraphes (6) et (7), la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable et si les conditions suivantes sont réunies :
Règlement sur la détermination de la valeur en douane, DORS/86-792 (mod. par DORS/97-443)
2.1 Pour l’application du paragraphe 45(1) de la Loi, « acheteur au Canada » s’entend :
a) d’un résident;
b) d’une personne, autre qu’un résident, qui a un établissement stable au Canada;
c) d’une personne, autre qu’un résident, qui n’a pas d’établissement stable au Canada et qui importe les marchandises faisant l’objet de la détermination de la valeur en douane :
(i) pour sa consommation ou son utilisation personnelles et qui ne les destinent pas à la vente,
(ii) pour les vendre au Canada pourvu que, avant leur achat, elle n’ait pas passé un accord visant leur vente à un résident.
III. Historique des procédures judiciaires
A. Tribunal canadien du commerce extérieur, [1997] T.C.C.E. no 7 (QL)
14 Le TCCE a conclu que la vente pertinente aux fins du calcul des droits de douane était celle intervenue entre Mattel É.‑U. et Mattel Canada. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le TCCE a estimé qu’il y avait eu non pas trois ventes pour exportation mais une seule. Le TCCE a raisonné que les fabricants étrangers et l’intermédiaire « ne semblent pas avoir le degré nécessaire d’indépendance à l’endroit de [Mattel É.‑U.] pour conclure qu’il y a eu de véritables ventes entre ces sociétés » (par. 24).
15 Le TCCE a estimé que les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X n’avaient pas été payées « en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada » au sens du sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes vu l’absence d’un « lien suffisant entre les paiements et les ventes pour exportation » (par. 30). Le TCCE a plutôt conclu que les paiements étaient plus étroitement liés à des droits exercés au Canada « ayant peu ou pas de rapport avec les ventes pour exportation » (par. 30).
16 Enfin, le TCCE a estimé que les versements périodiques effectués par Mattel Canada à Mattel É.‑U. n’étaient pas visés par le sous‑al. 48(5)a)(iv), essentiellement pour les mêmes raisons que les redevances : ils n’étaient pas faits en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada. De même, le TCCE a conclu que les versements n’étaient pas visés par le sous‑al. 48(5)a)(v) de la Loi sur les douanes, raisonnant que les sommes ne revenaient pas « directement ou indirectement, au vendeur », étant donné que Mattel É.‑U. ne faisait que les acheminer sans en retirer quelque avantage financier que ce soit.
B. Cour d’appel fédérale, [1999] A.C.F. no 43 (QL)
17 Le sous‑ministre a interjeté appel de la décision du TCCE auprès de la Cour d’appel fédérale, Mattel Canada formant un appel incident. S’exprimant pour la Cour d’appel, le juge Létourneau a accueilli en partie l’appel du sous‑ministre et rejeté l’appel incident.
18 Le juge Létourneau a confirmé la conclusion du TCCE selon laquelle la vente pertinente aux fins de détermination des droits de douane était celle intervenue entre Mattel É.‑U. et Mattel Canada.
19 À l’instar du TCCE, le juge Létourneau a conclu que les redevances n’étaient pas visées par le sous‑al. 48(5)a)(iv), mais sa conclusion repose sur des motifs différents. Selon lui, le TCCE a commis une erreur en exigeant l’existence d’un « lien suffisant » entre les redevances et la vente des marchandises pour exportation pour que ces redevances soient visées par le sous‑al. 48(5)a)(iv). De même, il a estimé qu’il fallait « plus qu’un simple lien entre les redevances et les marchandises importées » (par. 25).
20 Le juge Létourneau a conclu que des redevances sont versées en tant que condition de la vente de marchandises pour exportation au sens du sous‑al. 48(5)a)(iv) dans les cas suivants : (i) le contrat de vente entre le vendeur et l’importateur subordonne la vente des marchandises au paiement de redevances; (ii) dans les cas où il ne paie pas les redevances, l’importateur peut être empêché d’importer des produits ou sa capacité de le faire sérieusement compromise soit a) parce que le concédant de licence — la personne à qui les redevances sont dues — est propriétaire du vendeur ou le contrôle, soit b) parce que le vendeur détient la marque de commerce ou le droit d’auteur. Il a estimé que le sous‑al. 48(5)a)(iv) n’exigeait pas « que le paiement de redevances soit expressément stipulé dans le contrat de vente » (par. 26) et que le mot « condition » n’était pas utilisé « au sens qui lui est en général attribué dans le droit relatif aux ventes » (par. 26). Au contraire, d’affirmer le juge Létourneau, le mot « condition » est utilisé « dans son sens ordinaire commun et veut dire que les redevances doivent être acquittées en tant que condition ou en tant qu’exigence de l’exportation des marchandises » (par. 26). Ayant conclu que ni l’un ni l’autre des critères n’étaient respectés, il a jugé que les redevances n’étaient pas visées par le sous‑al. 48(5)a)(iv).
21 Contrairement au TCCE, le juge Létourneau a estimé que les versements périodiques étaient visés par le sous‑al. 48(5)a)(v). À la lumière de cette conclusion, il n’a pas examiné le sous‑al. 48(5)a)(iv).
IV. Les questions en litige
22 Dans le cadre de l’appel formé par Mattel Canada, notre Cour est appelée à déterminer si une vente entre deux sociétés étrangères constitue une vente pour exportation au Canada au sens de l’art. 48 de la Loi sur les douanes. L’appel de Mattel Canada soulève également la question de savoir si les versements périodiques effectués par cette société à Mattel É.‑U. doivent être inclus ─── au titre du sous‑al. 48(5)a)(iv) (redevances et droits de licence) ou 48(5)a)(v) (produit de toute revente, cession ou utilisation ultérieure) ─── dans la valeur en douane des produits importés. Dans le cadre de l’appel incident formé par le sous‑ministre, il s’agit de déterminer si les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X doivent être incluses, au titre du sous‑al. 48(5)a)(iv), dans la valeur en douane des produits importés. L’appel et l’appel incident soulèvent de façon générale la question de la norme de contrôle applicable à la décision du TCCE.
V. Analyse
A. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du TCCE?
23 Le tribunal judiciaire appelé à contrôler la décision d’un tribunal administratif doit déterminer quelle est la norme de contrôle applicable. Quoique la Cour d’appel fédérale ne l’ait pas indiqué explicitement, il est évident que la décision du TCCE a été contrôlée sur le fondement de la norme de la décision correcte. Pour répondre à la question de savoir si c’est cette norme ou une autre qui convient en l’espèce, il faut tenir compte de la jurisprudence considérable qui s’est établie sur cette question générale, comme en témoignent les récents arrêts suivants de notre Cour : Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31; et Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), [2001] 2 R.C.S. 132, 2001 CSC 37.
24 Les différentes normes de contrôle sont à juste titre considérées comme autant de points sur l’échelle de la retenue judiciaire. Ces normes vont de la décision manifestement déraisonnable — point où la retenue est la plus grande — à la décision raisonnable — norme la plus exigeante — en passant par la décision raisonnable simpliciter : voir Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, p. 589-590; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 54-56; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 27; et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 55. Depuis l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, les tribunaux canadiens ont adopté une démarche « pragmatique et fonctionnelle » en matière de détermination de la norme de contrôle appropriée. Dans toute affaire, l’examen porte sur la disposition en cause et s’attache principalement à déterminer si le législateur entendait que la question soulevée relève exclusivement de la compétence du tribunal administratif. Parmi les facteurs à prendre en compte, mentionnons les suivants : l’objet de la loi et de la disposition en cause, le texte de cette disposition et des clauses privatives prévues par la loi constituant le tribunal administratif, la nature de la décision rendue par le tribunal et l’expertise relative de celui‑ci sur ces questions par rapport à celle des tribunaux judiciaires. Aucun de ces facteurs n’est déterminant à lui seul.
25 Les facteurs les plus pertinents dans le présent pourvoi sont le texte de la clause privative prévue par la Loi sur des douanes et des dispositions particulières en cause, la nature des questions soulevées devant le TCCE et l’expertise relative du TCCE sur ces questions par rapport à celle des tribunaux judiciaires.
(1) La clause privative et le droit d’appel
26 Les décisions du TCCE portant sur la valeur en douane des marchandises importées et sur d’autres questions visées par la Loi sur les douanes sont protégées par une clause privative partielle (par. 67(3)), dont la portée est atténuée par le droit d’appel à la Cour d’appel fédérale sur « tout point de droit » (par. 68(1)). Par conséquent, les conclusions de fait tirées par le TCCE en l’espèce sont à l’abri de tout contrôle en appel, tandis que les conclusions portant sur des questions de droit sont susceptibles de contrôle.
27 Toutefois, même lorsqu’il n’existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d’appel, le concept de spécialisation des fonctions exige des tribunaux judiciaires qu’ils fassent preuve de retenue envers les décisions rendues par les tribunaux spécialisés sur les questions relevant directement de leur champ d’expertise (Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, p. 1746-1747; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, p. 335; Pezim, précité, p. 591; et Asbestos, précité, par. 49). En général, des normes de contrôle différentes s’appliquent à des questions de droit différentes, selon la nature de la question à trancher et l’expertise relative du tribunal administratif sur ces questions particulières.
(2) L’expertise du décideur et la nature du problème
28 La détermination de l’expertise relative du tribunal administratif constitue « le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable » (Southam, précité, par. 50; voir également Bradco, précité, p. 335). La question fondamentale dans l’application du facteur de l’expertise est de savoir si le tribunal est doté d’une certaine expertise pour réaliser les objectifs d’une loi : Pushpanathan, précité, par. 32. L’application de ce facteur peut faire intervenir plusieurs considérations, notamment les connaissances spécialisées des membres du tribunal, la question de savoir si le tribunal dispose de procédures spéciales ou de moyens non judiciaires d’appliquer la loi ainsi que la question de savoir s’il participe à l’élaboration de politiques.
29 Relativement aux connaissances spécialisées des décideurs, la cour peut examiner la loi constituant le tribunal administratif et se demander si les membres de celui‑ci doivent posséder des compétences d’expert ou être nommés par des personnes possédant de telles compétences : voir Southam, précité, par. 51. La Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.), n’exige pas que les membres du tribunal soient experts dans un domaine particulier ni que des experts en commerce international conseillent le ministre à l’égard des nominations au tribunal. Il est donc possible d’affirmer que la loi autorise la nomination au TCCE de personnes n’ayant aucune connaissance des questions commerciales. S’appuyant en partie sur le fait que la loi ne précise pas que les membres du TCCE doivent posséder des compétences techniques particulières, Mattel Canada prétend que la norme de contrôle applicable à la décision du TCCE dans le présent pourvoi devrait être la norme de la décision raisonnable.
30 À ce sujet, le juge Wilson a fait remarquer, dans l’arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, p. 1336, qu’une « gestion prudente » de secteurs comme « les relations économiques internationales » « nécessite souvent le recours à des experts ayant à leur actif des années d’expérience et une connaissance spécialisée des activités qu’ils sont chargés de surveiller ». Aux termes du par. 3(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le gouverneur en conseil doit nommer un président, deux vice‑présidents et au plus six autres titulaires. La durée maximale du mandat des titulaires est de cinq ans (par. 3(3)). Étant des titulaires, les membres du TCCE acquièrent de l’expérience relativement aux questions qu’ils examinent pendant la durée de leur mandat. Selon la nature de la question en cause, les membres du TCCE acquièrent de l’expérience et de l’expertise que les tribunaux judiciaires ne possèdent pas. Cette constatation est également compatible avec la façon dont le juge Wilson a décrit l’organisme prédécesseur du TCCE, savoir un tribunal « composé d’experts qui sont versés dans les complexités des relations commerciales internationales et dont les fonctions consistent à entendre un nombre considérable de causes en matière commerciale » (National Corn Growers Assn., précité, p. 1348).
31 Comme je l’ai mentionné précédemment, la participation du tribunal à l’élaboration de politiques constitue un autre facteur pertinent relativement à la question de l’expertise (Pezim, précité, p. 596; Bradco, précité, p. 336-337). Une disposition qui présente une certaine importance en l’espèce est l’art. 18 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, qui précise que le TCCE, « sur saisine par le gouverneur en conseil, enquête et lui fait rapport sur toute question touchant, en matière de marchandises ou de services — considérés individuellement ou collectivement — , les intérêts économiques ou commerciaux du Canada ». Bien que cette disposition ne soit pas en cause dans le présent pourvoi, elle indique que le législateur considère de façon générale le TCCE comme un organisme expert dans certaines questions économiques et commerciales. Tout comme dans l’arrêt Pezim, précité, il s’agit d’un motif incitant à la retenue, mais il est important de souligner que le TCCE joue un rôle limité en ce qui concerne l’élaboration de politiques, puisqu’il exerce principalement des fonctions de recherche et qu’il ne peut pas donner force de loi à ses recommandations en matière de politiques.
32 Le critère fondé sur l’expertise du décideur et la nature du problème sont étroitement liés (Pushpanathan, précité, par. 33). Il faut « examiner la question de droit en litige pour déterminer si elle relève de la compétence du tribunal et s’il y a lieu de faire preuve de retenue » (Pezim, précité, p. 596). Dans l’exécution de son mandat, le TCCE examine des questions de droit variées. Il est utile de comparer l’expertise relative du TCCE sur certaines questions concernant les tarifs douaniers et son expertise relative sur les questions en litige dans le présent pourvoi. Dans l’arrêt Canada (Sous‑ministre du Revenu national, Douanes et Accise -- M.R.N.) c. Schrader Automotive Inc., [1999] A.C.F. no 331 (QL), la Cour d’appel fédérale était appelée à contrôler une décision du TCCE qui, en application du Tarif des douanes, L.C. 1987, ch. 49, avait classé certaines marchandises importées sous la désignation « autres clapets et soupapes de retenue » plutôt qu’« autres articles de robinetterie et organes similaires, autres, actionnés à la main » (par. 2). La Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de contrôle applicable à la décision du TCCE était celle de la décision raisonnable simpliciter, estimant que, bien que le Tarif des douanes soit une loi, il s’agit d’une loi « très technique » (par. 5), qui a « tellement peu à voir avec le libellé des lois traditionnelles, qu’à toutes fins pratiques, la demande faite à la Cour consiste à donner un sens juridique à des mots techniques qui débordent complètement son mandat habituel » (par. 5).
33 À l’opposé, les questions de droit en litige dans le présent pourvoi ne sont pas de nature scientifique ou technique. En l’espèce, notre Cour est appelée à déterminer en quoi consiste une « vente de marchandises pour exportation au Canada » et quelle est la signification des mots « en tant que condition de la vente des marchandises ». Elle doit également se prononcer sur la corrélation entre deux dispositions de la Loi, les sous‑al. 48(5)a)(iv) et (v). Il s’agit de pures questions de droit, qui commandent l’application de principes d’interprétation législative et d’autres concepts inhérents au droit commercial. Ces questions relèvent traditionnellement de la compétence des tribunaux judiciaires et rien n’indique que le TCCE possède une expertise particulière à leur égard. Si, comme en l’espèce, l’expertise relative du TCCE ne se rapporte pas à la nature des questions en litige dans le cadre d’un appel, la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la norme de la décision correcte.
B. Laquelle des ventes constituait une vente de marchandises pour exportation au Canada au sens du par. 48(4) de la Loi sur les douanes?
34 Qu’est‑ce qui constitue une vente pour exportation au Canada? La question est importante parce que la méthode de la valeur transactionnelle utilisée pour calculer la valeur des marchandises importées dans le présent pourvoi exige que l’on détermine le prix payé ou à payer pour les marchandises « [d]ans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada » (par. 48(4)).
35 Les marchandises ont été vendues par le truchement d’un système de distribution à trois étapes : les fabricants ont vendu les marchandises à l’intermédiaire, ce dernier les a vendues à un deuxième intermédiaire qui les a à son tour vendues à l’acheteur final. La seule partie qui détenait le titre relatif aux marchandises lorsque celles‑ci ont été introduites au Canada était l’acheteur final, soit Mattel Canada. Selon la Cour d’appel fédérale, il était « juste de conclure que le [sous‑ministre] était convaincu que le lien qui existait entre [Mattel Canada] et [Mattel É.‑U.] n’a pas influé sur le prix payé ou à payer pour les marchandises » (par. 48).
36 Mattel Canada prétend que la vente intervenue entre les fabricants et l’intermédiaire constituait une vente de marchandises pour exportation au Canada et que le prix payé ou à payer pour ces marchandises devrait servir de base au calcul de la valeur en douane, sous réserve des ajustements prescrits par le par. 48(5). À l’opposé, le sous‑ministre soutient que la seule vente de marchandises pour exportation au Canada qui est intervenue est celle qui a eu lieu entre le deuxième intermédiaire et l’acheteur final.
37 Les tribunaux américains ont examiné la question de savoir si, pour qu’il y ait vente de marchandises pour exportation aux États‑Unis, l’acheteur doit être établi dans ce pays. Aux États‑Unis, la valeur transactionnelle des marchandises importées [traduction] « est le prix payé ou à payer dans les faits pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour exportation aux États‑Unis » (19 U.S.C. § 1401a.(b)(1)). Il s’agit d’une disposition semblable au par. 48(4) de la Loi sur les douanes, qui précise que, « [d]ans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer ».
38 Dans l’affaire E.C. McAfee Co. c. United States, 842 F.2d 314 (Fed. Cir. 1988), la Cour d’appel a conclu [traduction] « qu’il n’est pas nécessaire que la vente soit faite à des acheteurs établis aux États‑Unis pour servir de base au calcul de la valeur » (p. 318).
39 De même, dans Nissho Iwai American Corp. c. United States, 982 F.2d 505 (Fed. Cir. 1992), la Cour d’appel a jugé que le prix payé par un intermédiaire à un fabricant étranger pouvait constituer la valeur en douane des marchandises importées [traduction] « lorsque les marchandises sont clairement destinées à l’exportation aux États‑Unis et que le fabricant et l’intermédiaire n’ont aucun lien de dépendance, en l’absence de tout facteur étranger au marché influant sur la légitimité du prix de vente » (p. 509).
40 Les arrêts McAfee et Nissho Iwai concordent dans une large mesure avec la décision du juge Noël (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) dans l’affaire Canada (Sous‑ministre du Revenu national -‑ M.R.N.) c. Harbour Sales (Windsor) Inc., [1995] A.C.F. no 173 (QL) (1re inst.), où ce dernier a conclu que « [l]a résidence est une notion qui n’a absolument rien à voir avec la détermination de la valeur en douane en vertu de la Loi sur les douanes » (par. 5) et que « rien, en fait ou en droit, n’empêche les marchandises d’être “vendues pour exportation au Canada” à un acheteur qui ne réside pas au Canada » (par. 5).
41 Conformément à la méthode moderne d’interprétation législative (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 5, le juge Bastarache, et par. 50, le juge Iacobucci; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578; Will‑Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, 2000 CSC 36, par. 32), quel est le sens ordinaire du mot « exportation » au par. 48(4) de la Loi sur les douanes?
42 Pour qu’il y ait vente de marchandises pour exportation, il faut évidemment une personne qui exporte. Et un exportateur suppose un importateur. Autrement dit, une vente de marchandises pour exportation ne peut pas exister sans un achat correspondant, effectué aux fins d’importation.
43 Lorsque les marchandises ne sont pas transportées en territoire canadien, une vente entre deux sociétés étrangères ne peut généralement pas constituer une exportation. Elle peut constituer la première d’une série de ventes aboutissant à une vente pour exportation, mais elle ne peut généralement pas être une vente pour exportation. Dans l’affaire R. c. Gooderham & Worts Ltd., [1928] 3 D.L.R. 109 (C.S. Ont., Div. app.), le juge Grant a conclu [traduction] « qu’on ne dit pas que des marchandises sont “ exportées ” de Toronto à Montréal » (p. 116). Dans l’affaire Swan and Finch Co. c. United States, 190 U.S. 143 (1903), le juge Brewer a estimé que [traduction] « le mot “exportation”, tel qu’il est utilisé dans la Constitution et les lois américaines, signifie généralement le transport de marchandises depuis les États‑Unis jusque dans un pays étranger » (p. 145).
44 À l’inverse, la Loi sur les douanes du Canada ne vise pas vraiment à rendre passibles de droits les marchandises exportées de Hong Kong vers un pays autre que le Canada. La Loi sur les douanes regorge de références aux marchandises importées.
45 Aux fins de détermination de la valeur en douane de marchandises pour l’application de l’art. 48 de la Loi sur les douanes, la vente pour exportation pertinente est celle qui a pour effet de transférer à l’importateur le titre relatif aux marchandises. L’importateur est la partie qui détient ce titre au moment où les marchandises sont introduites au Canada. L’importateur peut être l’intermédiaire ou l’acheteur final, selon l’identité de la partie qui importe les marchandises au pays. Pour déterminer si une vente est faite pour exportation, le lieu de résidence de l’acheteur ou de la partie qui transporte les marchandises est sans importance.
46 Dans le présent pourvoi, Mattel Canada détenait le titre relatif aux marchandises au moment où celles‑ci ont été transportées en territoire canadien. La vente des marchandises pour exportation au Canada pertinente est celle qui a été faite à l’acheteur final, en l’espèce la vente par Mattel É.‑U. à Mattel Canada.
47 Mon analyse du sens ordinaire du mot « exportation » est renforcée par les répercussions insolites que pourrait avoir le fait de considérer qu’une vente entre les fabricants étrangers et l’intermédiaire constituait une vente pour exportation au Canada. Si une telle vente était considérée comme une vente pour exportation au Canada, les importateurs seraient tentés d’adopter, en matière d’importation, une [traduction] « attitude du genre “Multiplions les intermédiaires!” » (M. K. Neville, Jr., « “First‑Sale‑For‑Export” Rule Represents a Major Victory for Importers » (1996), 7 J. Int’l Tax’n 72, p. 75). Plutôt que d’avoir un système de distribution à trois étapes, les importateurs pourraient vouloir établir cinq, six ou sept étapes, le prix appliqué à chacune de ces étapes étant proportionnellement moins élevé qu’à la suivante.
48 De prétendre Mattel Canada, pour qu’une vente constitue une vente pour exportation au Canada, il suffit qu’un produit soit vendu en vue d’être exporté ultérieurement.
49 La conclusion que l’intention d’exporter ne suffit pas pour qu’il y ait exportation au Canada est évidente si on considère ce qui serait arrivé si les fabricants étrangers avaient vendu les marchandises à l’intermédiaire en vue de leur exportation, mais que ces marchandises étaient restées en possession de l’intermédiaire et n’étaient jamais parvenues au Canada. Dans ces circonstances, c.‑à‑d. une simple vente de marchandises intervenue entre deux sociétés étrangères en vue de leur exportation au Canada, est‑il possible d’affirmer qu’il y a eu, pour l’application de la Loi sur les douanes, vente pour exportation au Canada assujettie aux droits correspondants payables au Canada? Cet exemple démontre que la genèse d’une exportation se situe au point où les marchandises sont concrètement transportées en territoire canadien.
50 Depuis l’importation des marchandises en cause dans le présent pourvoi, les mots « à un acheteur au Canada » ont été ajoutés au par. 48(1) de la Loi sur les douanes. Ce paragraphe précise maintenant que « la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada » (je souligne) (Loi modifiant la Loi sur les douanes, le Tarif des douanes et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 41, art. 18). Un règlement a été pris afin de définir les mots « acheteur au Canada » (Règlement sur la détermination de la valeur en douane, DORS/86-792, art. 2.1 (ajouté DORS/97-443).
51 Mattel Canada prétend que, comme les mots « à un acheteur au Canada » ont été ajoutés au par. 48(1), la version antérieure de la Loi ─── qui ne contenait pas ces mots ─── devait permettre qu’une vente entre deux sociétés étrangères constitue une vente pour exportation au Canada, invoquant au soutien de cet argument le principe [traduction] « [qu’] il existe une forte présomption qu’un texte de loi n’est pas censé avoir d’effet rétroactif » (Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), par R. Sullivan, p. 512).
52 Ma conclusion que la vente de marchandises intervenue entre Mattel É.‑U. et Mattel Canada constitue la vente pour exportation dans le présent pourvoi ne repose pas sur l’application rétroactive des modifications législatives. Comme il a été indiqué précédemment, cette conclusion s’impose en raison de la méthode moderne d’interprétation législative et du sens ordinaire du mot « exportation » dans le contexte de la Loi sur les douanes, mot qui figurait dans la loi avant sa modification.
53 Cela dit, le sens du par. 48(1) de la Loi sur les douanes, tel qu’il s’appliquait avant les modifications législatives, n’est pas censé supplanter la signification des mots « acheteur au Canada » utilisés dans la nouvelle version de la Loi et dans le règlement.
C. Les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X doivent‑elles, conformément au sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes, être ajoutées au prix payé ou à payer pour les marchandises?
54 La question à laquelle il faut maintenant répondre est de savoir si les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X sont visées par le sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes, qui est ainsi rédigé :
48. (5) Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :
a) par l’addition, dans la mesure où ils n’y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :
. . .
(iv) les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises, y compris les paiements afférents aux brevets d’invention, marques de commerce et droits d’auteur, que l’acheteur est tenu d’acquitter directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, à l’exclusion des frais afférents au droit de reproduction de ces marchandises au Canada.
55 Comme a conclu la Cour d’appel fédérale, le sous‑al. 48(5)a)(iv) comporte trois critères : (i) les paiements doivent être des redevances ou des droits de licence; (ii) les paiements doivent être relatifs aux marchandises exportées; (iii) ils doivent être acquittés directement ou indirectement par l’acheteur des marchandises en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada.
56 Différents décideurs ont établi divers critères en vue de déterminer ce qui constitue une condition de vente. Dans l’affaire Reebok Canada, une division d’Avrecan International Inc. c. Canada (Sous‑ministre du Revenu national, Douanes et Accise -‑ M.R.N.), [1997] A.C.F. no 924 (QL) (1re inst.), le juge MacKay a conclu que des redevances peuvent constituer une condition de vente dans la mesure où il y a « un lien entre les droits en question et les marchandises achetées » (par. 21). À l’opposé, dans la présente affaire, le TCCE a considéré que des redevances sont versées en tant que condition de vente lorsqu’il y a un « lien suffisant » entre ces paiements et les ventes pour exportation (par. 30). En Cour d’appel fédérale, le juge Létourneau a modifié le critère pour créer une sorte de critère de « contrôle », qui a été résumé plus tôt dans les présents motifs.
57 Dans l’arrêt Will‑Kare, précité, il a été jugé que la décision du législateur d’utiliser les mots « à vendre ou à louer » dans la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63 (maintenant L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)) introduisait « des distinctions relativement subtiles issues du droit privé » (par. 30) et découlant de « la common law et des lois relatives à la vente de marchandises » (par. 35).
58 L’expression « condition de vente » a un sens bien établi en droit. Dans son ouvrage The Sale of Goods (8e éd. 1990), P. S. Atiyah déclare que [traduction] « dans son sens ordinaire, une condition est une modalité qui, sans être l’obligation fondamentale imposée par le contrat, est néanmoins si importante qu’elle touche au cœur de la transaction » (p. 60). Le professeur Atiyah ajoute par la suite que « [l]’importance d’une condition dans les contrats de vente de marchandises est que la violation de cette condition, si elle est le fait du vendeur, peut donner à l’acheteur le droit de refuser entièrement les marchandises et de ne pas les payer ou, s’il l’a déjà fait, d’en obtenir le remboursement » (p. 60 (référence omise)). Dans la Loi sur la vente d’objets de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. S.1, il est fréquemment fait mention des conditions de vente.
59 Plutôt que de créer un ensemble de critères complexes ne reposant pas strictement sur le sens bien établi des mots en droit, il est préférable de s’en remettre à la common law et au droit relatif à la vente de marchandises pour déterminer si les redevances et les droits de licence sont payés en tant que « condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada » au sens du sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes. La Cour d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que « le mot “ condition ” n’est pas utilisé dans la Loi au sens qui lui est en général attribué dans le droit relatif aux ventes » (par. 26).
60 Du seul fait de l’existence des recours accordés aux propriétaires de marques de commerce par la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, pratiquement toutes les redevances et tous les droits de licence seraient visés par le critère de contrôle énoncé par la Cour d’appel fédérale. Si le législateur avait voulu que toutes les redevances et tous les droits de licence soient passibles de droits, il n’aurait pas dit que seuls le sont ceux qui sont payés « directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada », conformément au sous‑al. 48(5)a)(iv).
61 Par exemple, l’intervenante Reebok a expliqué que, en vertu de l’art. 53.1 de la Loi sur les marques de commerce, le propriétaire d’une marque de commerce déposée peut demander au tribunal d’« ordonner au ministre de prendre [. . .] toutes mesures raisonnables pour détenir les marchandises », notamment lorsque « [le tribunal] [. . .] est convaincu [. . .] que des marchandises auxquelles a été appliquée une marque de commerce sont sur le point d’être importées au Canada [. . .] et que la distribution de ces marchandises serait contraire à [la Loi sur les marques de commerce] ». L’article 53.1 accorderait apparemment dans tous les cas au propriétaire d’une marque de commerce le genre de contrôle envisagé par la Cour d’appel fédérale, de sorte que pratiquement toutes les redevances et tous les droits de licence seraient visés par le sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes. Selon le critère de la Cour d’appel fédérale, le propriétaire d’une marque de commerce n’aurait même pas à suivre la procédure prévue par l’art. 53.1 afin d’obtenir le genre de contrôle nécessaire pour que les redevances et les droits de licence soient passibles de droits, étant donné que la cour a conclu qu’il existe une condition de vente et que les redevances et les droits de licence sont passibles de droits lorsque « la possibilité de pareil contrôle existe même si l’on n’y a pas recours » (par. 27).
62 En l’espèce, les redevances en cause n’étaient pas versées en tant que condition de vente. Si Mattel Canada refusait de verser les redevances au Concédant de licence X, Mattel É.‑U. ne pouvait refuser de vendre à Mattel Canada les marchandises visées par une licence ni résilier le contrat de vente. Le contrat de vente et le contrat de redevances constituaient des accords distincts intervenus entre des parties différentes. En fait, dans sa décision, le TCCE souligne que « certaines marchandises ont été achetées et importées au Canada sans que [Mattel Canada] verse de droits à l’égard de ces marchandises » (par. 30).
63 Le sous‑ministre a non pas plaidé que les redevances étaient payées en tant que condition de vente de la manière envisagée par la common law et le droit relatif à la vente de marchandises, mais plutôt proposé une sorte de critère fondé sur les réalités économiques. Il a prétendu que, si Mattel Canada ne versait pas les redevances au Concédant de licence X, la société [traduction] « cesserait, dans les faits » d’être autorisée à importer des marchandises portant la marque de commerce du Concédant. Le sous‑ministre a utilisé des expressions analogues telles que [traduction] « lien véritable », « contrôle de fait », « pratique » et « logique », pour décrire la manière dont les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X pouvaient constituer, entre Mattel É.‑U. et Mattel Canada, une « condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada ».
64 Les mots « condition de la vente » au sous‑al. 48(5)a)(iv) sont clairs et non équivoques. Notre Cour a jugé à maintes reprises que, lorsque des dispositions législatives claires et non équivoques peuvent être appliquées directement aux faits, il n’y a pas lieu de se livrer à une analyse de la réalité économique d’une opération (Will‑Kare, précité, par. 34; Shell Canada Lée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, p. 641-642).
65 Le sous‑ministre s’appuie sur les mots « prix payé ou à payer » figurant aux par. 48(4) et 48(5) pour avancer que les paiements de redevances sont visés par la Loi. L’expression « prix payé ou à payer » est définie au par. 45(1) de la Loi comme étant « la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises ». Cette définition est ensuite incorporée aux par. 48(4) (détermination de la valeur transactionnelle) et 48(5) (ajustement du prix payé ou à payer).
66 Les paiements de redevances ne sont pas visés par les mots « payé ou à payer » parce qu’ils ne sont pas faits au profit de Mattel É.‑U., le vendeur, mais plutôt au profit de celui qui les reçoit, le Concédant de licence X.
67 De même, les paiements de redevances ne sont pas visés par le sous‑al. 48(5)a)(iv) du seul fait que cette disposition comporte les mots « directement ou indirectement ». Bien que ces adverbes modifient le verbe « acquitter », indiquant ainsi que des redevances versées à des tierces parties peuvent être visées par le sous‑al. 48(5)a)(iv), un adverbe ne peut modifier un substantif tel le mot « condition ». Par conséquent, les mots « directement ou indirectement » ne changent rien à l’exigence selon laquelle, pour être passibles de droits, les redevances doivent être versées « en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada ».
68 En résumé, aux termes du sous‑al. 48(5)a)(iv), il faut que les redevances et les droits de licence soient acquittés « en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada ». Ces mots ont pour effet d’incorporer à la loi des notions traditionnelles qu’on retrouve dans la législation sur la vente de marchandises et les règles de la common law en matière de contrat. À moins que le vendeur n’ait le droit de refuser de vendre à l’acheteur les marchandises faisant l’objet d’une licence ou de résilier le contrat de vente lorsque l’acheteur ne paie pas les redevances ou les droits de licence, le sous‑al. 48(5)a)(iv) est inapplicable. Les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X ne constituent pas des redevances au sens du sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes.
69 Je suis donc d’avis de rejeter l’appel incident du sous‑ministre.
D. Les versements périodiques faits par Mattel Canada à Mattel É.‑U. doivent‑ils, conformément au sous‑al. 48(5)a)(iv) ou (v) de la Loi sur les douanes, être ajoutés au prix payé ou à payer pour les marchandises?
70 Comme je l’ai mentionné, Mattel É.‑U. a accepté de verser des redevances aux concédants de licences maîtresses pour obtenir les droits de licence relatifs à certains produits. Bien que les contrats aient été conclus par Mattel É.‑U. et les concédants de licences maîtresses, le TCCE a estimé que « le fardeau des paiements de redevance découlant des contrats à l’égard des ventes au Canada a été transmis à » Mattel Canada (par. 32). Le sous‑ministre veut rendre passibles de droits, au titre du sous‑al. 48(5)a)(iv) ou 48(5)a)(v) de la Loi sur les douanes, les paiements effectués par Mattel Canada.
71 Personne ne conteste que les sommes que Mattel É.‑U. a, affirme‑t‑on, versées aux concédants de licence maîtresses constituent des droits de licence. Toutefois, la preuve n’indique pas que Mattel É.‑U. a versé des droits de licence aux concédants de licence maîtresses.
72 Quoique le TCCE ait au départ affirmé que Mattel Canada « paie périodiquement Mattel [É.‑U.] pour lui rembourser les droits de licence qu’elle verse aux concédants de licences maîtresses » (par. 6), il a par la suite conclu (par. 32) que « le fardeau des paiements de redevance découlant des contrats à l’égard des ventes au Canada a été transmis à » Mattel Canada. En bout de ligne, le TCCE a estimé que « [c]es paiements étaient transmis par l’intermédiaire de Mattel [É.‑U.] aux concédants de licences maîtresses » (par. 32 (je souligne)).
73 Étant donné que le sous‑ministre reconnaît que les droits « payés » par Mattel É.‑U. aux concédants de licences maîtresses constituent des droits de licence et que le TCCE a conclu que le fardeau des paiements avait été transféré à Mattel Canada, les paiements effectués par cette dernière étaient des droits de licence.
74 Les droits de licence ne sont pas passibles de droits au titre du sous‑al. 48(5)a)(iv). Comme dans l’analyse des redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X, on ne prétend pas que Mattel É.‑U. aurait le droit de refuser de vendre des marchandises visées par une licence à Mattel Canada ou de résilier le contrat de vente si cette dernière refusait de payer des droits de licence aux concédants de licences maîtresses. L’obligation de Mattel Canada de verser des droits de licence aux concédants de licences maîtresses est distincte de son obligation d’acheter des marchandises de Mattel É.‑U.
75 Puisque les droits de licence ne sont pas visés par le sous‑al. 48(5)a)(iv), il n’y a pas lieu de se demander s’ils sont visés par le sous‑al. 48(5)a)(v). Le sous‑alinéa 48(5)a)(iv) vise l’imposition de droits sur « les redevances et les droits de licence ». Si les redevances et les droits de licence non visés par le sous‑al. 48(5)a)(iv) pouvaient néanmoins être visés par le sous‑al. 48(5)a)(v), le texte limitatif du sous‑al. 48(5)a)(iv) serait inutile. Autrement dit, si le sous‑ministre pouvait imposer des droits à l’égard des redevances et des droits de licence en vertu du sous‑al. 48(5)a)(v), il serait facile de contourner la décision du législateur, au sous‑al. 48(5)a)(iv), de n’imposer des droits qu’à l’égard des redevances et des droits de licence qui sont payés « directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada ».
76 La distinction faite entre les sous‑al. 48(5)a)(iv) et (v) trouve appui dans l’ouvrage Customs Valuation: Commentary on the GATT Customs Valuation Code (2e éd. 1988). Dans ce manuel, S. L. Sherman et H. Glashoff expliquent la distinction entre les al. 8.1c) et 8.1d) de l’Accord relatif à la mise en œuvre de l’Article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Code de la valeur en douane -- 1979), dispositions dont sont inspirés les sous‑al. 48(5)a)(iv) et (v). Les auteurs disent ce qui suit (à la p. 155) :
[traduction] La première et la plus importante chose à dire à propos de cette disposition relative au « produit » est ce qu’elle ne signifie pas. Comme elle suit immédiatement la complexe disposition spéciale sur les redevances et les droits de licence que nous venons d’analyser en profondeur, cette disposition n’est sûrement pas censée signifier que toute redevance correspondant à un pourcentage du produit de revente est automatiquement ajoutée à la valeur en douane en vertu de l’al. 8.1d), même si cette redevance a résisté à l’application du critère de l’al. 8.1c). L’alinéa 8.1d) vise les cas où le versement est effectué pour les marchandises, et non à l’égard d’un droit incorporel s’y rattachant. S’il y a versement de redevances ou droits de licence fictifs, c.‑à‑d. des paiements dont la seule raison d’être financière est l’achat de marchandises importées, les dispositions relatives au produit de revente peuvent être appliquées. [Souligné dans l’original.]
VI. Conclusion
77 a) Les versements périodiques acheminés par le truchement de Mattel É.‑U. aux concédants de licences maîtresses ne sont pas visés par le sous‑al. 48(5)a)(iv) ou 48(5)a)(v) de la Loi sur les douanes.
b) Conformément au par. 48(4) de la Loi sur les douanes, les prix payés ou à payer pour des marchandises dans le cas où elles sont vendues pour exportation au Canada sont les prix demandés par Mattel É.‑U. à Mattel Canada en vertu de la convention d’achat datée du 1er avril 1992.
Par conséquent, l’appel de Mattel Canada est accueilli en partie.
78 c) Les redevances versées par Mattel Canada au Concédant de licence X en vertu de l’accord de concession de licence daté du 2 décembre 1991 ne constituent pas des redevances au sens du sous‑al. 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes.
L’appel incident du sous‑ministre est en conséquence rejeté.
79 Mattel Canada a droit aux dépens, tant devant notre Cour que devant les juridictions inférieures.
Pourvoi accueilli en partie avec dépens. Pourvoi incident rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante/intimée au pourvoi incident : Gottlieb & Pearson, Toronto.
Procureur de l’intimée/appelante au pourvoi incident : Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante : Stikeman Elliott, Montréal.