Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63, 2003 CSC 40
Insurance Corporation of British Columbia Appelante
c.
Unifund Assurance Company Intimée
Répertorié : Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia
Référence neutre : 2003 CSC 40.
No du greffe : 28745.
2002 : 12 décembre; 2003 : 17 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, LeBel et Deschamps.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Droit constitutionnel — Limites de la portée extraterritoriale d’une loi provinciale — Applicabilité à un assureur de l’extérieur de la province des dispositions en matière d’indemnisation entre assureurs prévues par le régime de réglementation ontarien.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2001), 204 D.L.R. (4th) 732, 146 O.A.C. 162, 28 C.C.L.I. (3d) 38, [2001] O.J. No. 1885 (QL), qui a infirmé une décision de la Cour supérieure de justice (2000), 23 C.C.L.I. (3d) 96, [2000] O.J. No. 3212 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Major, Bastarache et Deschamps sont dissidents.
Avon M. Mersey, Alan L. W. D’Silva, Michael Sobkin et Sophie Vlahakis, pour l’appelante.
Leah Price et Gerald George, pour l’intimée.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Iacobucci, Binnie et LeBel rendu par
Le juge Binnie —
I. Introduction
1 Le présent pourvoi soulève d’importantes questions touchant à la prétendue application extraterritoriale d’une loi provinciale de nature réglementaire. La société d’assurance intimée tente, en vertu de certaines dispositions législatives ontariennes concernant le droit des assurances, de recouvrer en Ontario la somme d’environ 750 000 $ de la société d’assurance appelante de la Colombie‑Britannique.
2 Le litige entre ces sociétés d’assurance découle d’un grave accident automobile survenu en Colombie‑Britannique. L’appelante, société d’assurance de Colombie-Britannique, a comparu dans cette province au nom des défendeurs. Les demandeurs blessés sont retournés en Ontario, où ils ont touché des indemnités d’assurance sans égard à la responsabilité versées par l’intimée, la société d’assurance faisant affaire en Ontario, laquelle sollicite maintenant le remboursement de ces indemnités en tentant d’assujettir l’appelante aux dispositions relatives à l’indemnisation des pertes entre assureurs prévues par le régime ontarien.
3 L’appelante dit n’avoir aucun lien réel et substantiel avec l’Ontario et que, en conséquence, le droit ontarien des assurances ne peut lui imposer d’obligation civile découlant d’un accident survenu en Colombie‑Britannique. Je souscris à l’argument selon lequel l’intimée cherche à donner à la loi ontarienne des effets extraterritoriaux qu’elle ne saurait avoir. À mon avis, le pourvoi devrait être accueilli.
II. Les faits
4 En août 1995, Marcia et Ronald Brennan, qui vivent à Cambridge en Ontario, se sont rendus en avion à Vancouver pour assister au mariage d’un de leurs fils. Pendant leur séjour en Colombie‑Britannique, ils ont loué une automobile. Alors qu’ils circulaient sur l’autoroute Upper Levels, dans la ville de North Vancouver, leur voiture de location a été heurtée à l’arrière par un camion gros porteur conduit par monsieur Baljinder Singh. Sous l’effet de la collision, l’automobile a été catapultée de l’autre côté du muret central, dans la voie réservée aux véhicules circulant en sens inverse. Les Brennan, Mme Brennan surtout, ont été grièvement blessés dans la collision, que le juge de première instance a qualifiée d’« horrible ». Une fois revenus en Ontario, les Brennan ont dû apporter des modifications majeures à leur résidence, ils ont fait l’achat d’un véhicule adapté et des soins auxiliaires ont été fournis 24 heures par jour à Mme Brennan, qui est décédée en mars 2001 des suites de ses blessures. La somme payable à titre d’indemnités d’accident légales (« IAL ») n’a pas encore été déterminée exactement, mais elle s’élève à environ 750 000 $.
5 Dans l’intervalle, les Brennan ont intenté une action en dommages‑intérêts en Cour suprême de la Colombie‑Britannique et se sont vus accorder, le 4 mars 1999, la somme d’environ 2,5 millions de dollars.
6 L’intimée, Unifund Assurance Company (« Unifund »), avait établi au nom des Brennan une police d’assurance automobile en Ontario. La police incluait la garantie obligatoire d’assurance pourvoyant au paiement d’indemnités sans égard à la faute (ou IAL) pour laquelle les Brennan avaient versé une prime. La Loi sur les assurances de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. I.8 (aussi appelée la « Loi ontarienne ») dispose que des IAL sont payables en vertu d’une police contractée en Ontario lorsque les assurés sont blessés dans un accident d’automobile survenant n’importe où en Amérique du Nord. Au moment de l’accident, Unifund, une société terre‑neuvienne, était autorisée à exercer ses activités en Ontario, mais non en Colombie‑Britannique.
7 L’appelante, Insurance Corporation of British Columbia (« ICBC »), est l’assureur en Colombie-Britannique des parties ayant été jugées négligentes, à savoir le propriétaire du camion, le camionneur et l’atelier qui a réparé le camion. L’appelante est tenue au paiement de la somme de 2,5 millions de dollars accordée au titre des dommages‑intérêts. Toutefois, en vertu du droit de cette province, elle peut déduire tout paiement hors‑faute fait aux Brennan, et ce même si, dans les faits, elle n’a versé aucune partie de cette somme.
8 Naturellement, Unifund s’estime lésée du fait que l’appelante, qui n’a pas contribué aux indemnités hors‑faute, se prévale, à ses dépens, d’une déduction de 750 000 $. Unifund prétend que l’appelante devrait lui payer les 750 000 $.
III. La cause d’action légale
9 Le problème que doit surmonter Unifund consiste à établir l’existence d’une cause d’action. Dans le présent pourvoi, nous n’examinons que la demande très précise de Unifund fondée sur l’art. 275 de la Loi ontarienne, disposition établissant un mécanisme de contribution des sociétés d’assurance de l’Ontario au paiement des IAL prévues par cette loi.
10 Il est important de souligner que Unifund n’invoque en l’espèce aucune cause d’action en common law ou en equity contre l’appelante, ICBC. Dans la présente affaire, ou bien Unifund dispose d’une cause d’action contre la société d’assurance de la Colombie-Britannique en vertu de la Loi ontarienne, ou bien elle n’en a pas du tout.
11 La déduction d’environ 750 000 $ réclamée par l’appelante, ICBC, est également un droit d’origine législative. Suivant le par. 25(5) de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Insurance (Motor Vehicle) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 231, les tribunaux de cette province sont tenus de soustraire de la somme accordée au titre de dommages‑intérêts les diverses [traduction] « indemnités », y compris les [traduction] « prestations d’assurance accidents similaires » aux indemnités d’assurance sans égard à la responsabilité de la Colombie‑Britannique [traduction] « versées en application d’un contrat [. . .] d’assurance automobile établi [. . .] en quelque lieu que ce soit . . . » (par. 25(1) (je souligne )). La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a ordonné que les 750 000 $ soient déduits des 2,5 millions de dollars accordés aux Brennan, et ce même si l’appelante n’a pas contribué au paiement des IAL, parce qu’elle estime que le par. 25(5) a pour objet [traduction] « d’éviter la double indemnisation en permettant aux parties de déduire des dommages-intérêts accordés au demandeur les “indemnités” qui lui sont versées — ou auxquelles il a droit — » : Brennan c. Singh (2000), 75 B.C.L.R. (3d) 93, 2000 BCCA 294, par. 4; voir aussi Ruckheim c. Robinson (1995), 1 B.C.L.R. (3d) 46 (C.A.), par. 50‑54. Il est possible que la Colombie‑Britannique ait adopté la déductibilité en raison du fait que, en tant que seul assureur automobile de la province, l’appelante, ICBC, est en général celle qui verse à la fois les indemnités d’assurance sans égard à la responsabilité et la somme accordée par le jugement définitif. Pour cette même raison, les lois de la Colombie‑Britannique ne comportent pas de disposition analogue à l’art. 275 de la Loi ontarienne, qui autorise l’indemnisation, entre sociétés d’assurance, du coût des indemnités sans égard à la responsabilité.
12 Pour ce qui est du régime d’assurance ontarien, qui réglemente de nombreuses sociétés d’assurance automobile concurrentes, un modèle différent a été adopté. Les dommages‑intérêts pour pertes non pécuniaires sont calculés « sans égard » aux IAL (sous‑disposition 267.1(8)2(i)). Toutefois, la société qui verse de telles indemnités (habituellement l’assureur de la victime) a droit, en vertu de la Loi, d’être indemnisée par l’assureur de tout [traduction] « véhicule commercial lourd » (Automobile Insurance Regulations, R.R.O. 1990, Règl. 664, art. 9) impliqué dans l’accident d’automobile en question, « en fonction du degré de responsabilité de l’assuré de chaque assureur tel qu’il est établi selon les règles de détermination de la responsabilité » (par. 275(2)), c’est‑à‑dire non pas selon les principes généraux de la responsabilité délictuelle mais selon les règles énoncées par règlement. Le paragraphe 275(4) de la Loi ontarienne dispose que les différends à l’égard de l’indemnisation doivent être réglés par voie d’arbitrage, conformément à la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario, L.O. 1991, ch. 17. Il ne fait aucun doute que si l’appelante était un assureur ontarien, elle serait tenue de faire trancher par arbitrage la demande de Unifund.
13 Il importe de souligner que si la Loi ontarienne s’applique l’intimée aurait droit de recouvrer les indemnités versées, et ce même si l’appelante n’était pas autorisée à déduire cette somme des dommages-intérêts accordés aux Brennan. Ce serait le cas parce que les deux régimes provinciaux de réglementation fonctionnent indépendamment l’un de l’autre et que la déductibilité d’une somme donnée par un assureur n’est pas un préalable au recouvrement de celle-ci par l’autre assureur en application de l’art. 275 de la Loi ontarienne.
14 On nous dit qu’il n’existe en Colombie‑Britannique aucune loi qui permettrait à Unifund d’intenter dans cette province une action en remboursement contre l’appelante. La réponse à la question constitutionnelle consistant à décider si la Loi sur les assurances de l’Ontario s’applique et fournit à Unifund une cause d’action légale est par conséquent décisive en ce qui concerne la demande de l’intimée.
IV. L’arbitrage prévu par la loi
15 Unifund a demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario de nommer un arbitre en vertu du par. 275(4) de la Loi ontarienne. L’appelante, ICBC, a répondu par une motion sollicitant une ordonnance portant [traduction] « suspension ou rejet » de la demande, invoquant notamment que « le droit ontarien, en particulier la Loi sur les assurances, et toute procédure fondée sur ces règles de droit, ne s’applique pas en l’espèce et ne régit pas les relations entre les parties ». Concrètement, l’appelante a plaidé dans sa requête que les faits invoqués dans la demande de Unifund ne révèlent aucune cause d’action contre l’assureur de l’autre province.
16 La Cour d’appel de l’Ontario a ordonné à l’appelante de faire valoir son objection devant un arbitre nommé en vertu de la Loi ontarienne. L’appelante affirme qu’on ne devrait pas lui ordonner de se présenter devant un arbitre nommé en vertu de la Loi ontarienne tant et aussi longtemps qu’il n’aura pas d’abord été jugé qu’elle est assujettie à cette loi en ce qui concerne les questions en litige.
17 J’estime que l’appelante a raison à l’égard de cette question d’ordre procédural, en plus d’être fondée à contester l’application de la Loi ontarienne au présent différend. Si le régime d’assurance ontarien est entièrement inapplicable à l’appelante eu égard aux faits de l’espèce, l’arbitre nommé en vertu de la Loi ontarienne ne dispose d’aucun pouvoir — d’origine législative ou autre — pour statuer sur quelque question que ce soit dans la présente affaire. Des considérations d’ordre pratique et de politique générale commandaient que la question constitutionnelle soulevée par l’appelante soit décidée par la cour supérieure qui en était saisie et, à mon avis, la cour aurait dû la trancher en faveur de l’appelante.
V. Le formulaire Procuration et engagements
18 Afin d’aider les automobilistes qui se déplacent à l’extérieur de la province ou de l’État où ils résident, tous les assureurs automobiles du Canada et bon nombre d’assureurs américains ont convenu d’utiliser un document appelé Procuration et engagements (le « formulaire P&E »), qui atteste [traduction] « le respect des exigences minimales en matière de garantie d’assurance et facilite l’acceptation de documents en cas de signification ». Le formulaire P&E fait partie d’un [traduction] « régime de réciprocité visant la mise en œuvre des polices d’assurance-responsabilité automobile dans les provinces et territoires du Canada » : Potts c. Gluckstein (1992), 8 O.R. (3d) 556 (C.A.), p. 557. Vu l’importance du texte de ce document pour la thèse de l’intimée, j’en reproduis les passages pertinents :
[traduction]
PROCURATION ET ENGAGEMENTS
(Le présent document atteste le respect des exigences minimales en matière de garantie d’assurance et facilite l’acceptation de documents en cas de signification.)
INSURANCE CORPORATION OF BRITISH COLUMBIA
dont le siège social est situé dans la ville de North Vancouver
dans la [. . .] province de la Colombie‑Britannique
au [. . .] Canada, confie par les présentes au surintendant des assurances de la Colombie‑Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario, du Nouveau‑Brunswick, de la Nouvelle‑Écosse, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, de Terre‑Neuve, du Québec, du territoire du Yukon et des territoires du Nord‑Ouest, la charge d’accomplir tout ce qui est prévu par les présentes, à savoir : recevoir en son nom signification de tout avis ou acte de procédure relativement aux actions ou autres procédures intentées contre elle ou contre son assuré, ou contre son assuré et d’autres, par suite d’un accident d’automobile survenu dans quelque province ou territoire concerné.
. . .
Par les présentes, Insurance Corporation of British Columbia s’engage : —
A. À comparaître à toute action ou autre procédure qui est intentée contre elle ou contre son assuré dans quelque province ou territoire et dont elle a connaissance :
B. Dès réception de la part de l’un quelconque des fonctionnaires susmentionnés, d’un avis ou acte de procédure qui lui est signifié à l’égard de l’assuré, ou à l’égard de son assuré et d’autres, à faire immédiatement signifier à l’assuré cet avis ou acte de procédure :
C. À n’invoquer, à l’égard de toute demande, action ou autre procédure, aucun moyen de défense fondé sur le contrat d’assurance‑responsabilité automobile qu’elle a conclu et qui ne pourrait être invoqué si ce contrat était intervenu dans la province ou le territoire canadien où cette action ou autre procédure est intentée et avait été conclu conformément aux lois y régissant les contrats d’assurance‑responsabilité automobile ou le régime d’assurance automobile, et à exécuter tout jugement définitif prononcé contre elle ou son assuré par un tribunal de la province ou du territoire à l’égard de la demande, de l’action ou de la procédure, relativement à toute garantie prévue par le contrat ou régime applicable ou qui doit, selon la loi, être prévue par le régime ou les contrats d’assurance automobile dans cette province ou ce territoire du Canada, jusqu’à concurrence de la plus élevée des sommes suivantes :
a) la somme maximale prévue par le contrat ou le régime pour ce genre ou cette catégorie de garanties ;
b) la somme minimale qui doit, selon la loi, être prévue par un régime ou contrat d’assurance automobile conclu dans cette province ou ce territoire au Canada pour ce genre ou cette catégorie de garanties, à l’exclusion de l’intérêt et des frais, et sous réserve des priorités applicables en vertu des lois de la province ou du territoire en matière de préjudice corporel ou matériel, à l’égard de ces sommes minimales. [Je souligne.]
(Signalons que le mot « Colombie-Britannique » figurant dans le paragraphe liminaire est biffé dans le formulaire P&E.)
VI. Historique des procédures judiciaires
A. Cour supérieure de justice de l’Ontario (2000), 23 C.C.L.I. (3d) 96
19 Le juge Campbell était saisi de la motion de l’intimée sollicitant la nomination d’un arbitre et de la motion incidente de l’appelante demandant la suspension de l’instance pour cause d’absence de compétence ou de forum non conveniens. Selon lui, l’arbitrage prévu par la Loi ontarienne a pour objet [traduction] « de trancher les questions qui sont clairement litigieuses eu égard aux règles applicables en Ontario » (par. 43). Il n’est pas conçu, a‑t‑il conclu, pour régler des questions de droit susceptibles de se soulever en raison d’un conflit de lois dans deux provinces différentes. Toutefois, il n’a pas rejeté l’instance introduite en Ontario. Il a appliqué les principes relatifs au forum non conveniens et jugé que [traduction] « la balance penche en faveur de la suspension de l’arbitrage en Ontario » (par. 43). Quoiqu’il n’ait pas tiré de conclusion précise sur la question de la simple reconnaissance de compétence, il a suspendu l’instance introduite par Unifund au lieu de la rejeter. Cette décision présupposait que, bien que le tribunal ontarien était compétent, l’exercice de cette compétence pourrait ne pas être approprié eu égard à toutes les circonstances.
B. Cour d’appel de l’Ontario (2001), 204 D.L.R. (4th) 732
20 La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision du juge des motions au motif que [traduction] « celui‑ci aurait dû refuser d’entendre la motion [sollicitant la suspension de l’instance] et nommer l’arbitre, lequel aurait alors examiné toutes les questions de compétence et de droit » (par. 3). La juge Feldman a examiné l’appel sous l’angle de la procédure. La décision initiale touchant la compétence était du ressort de l’arbitre nommé en vertu de la Loi ontarienne. Selon la juge, ayant signé le formulaire P&E, l’appelante avait l’obligation de prendre part à l’arbitrage en Ontario. De plus, l’arbitre nommé en vertu des lois de l’Ontario est habilité à trancher les questions concernant le forum non conveniens. L’appel a été accueilli pour ces motifs d’ordre procédural.
VII. Les dispositions législatives pertinentes
21 Les dispositions pertinentes de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, et de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, ch. 17, sont reproduites à l’annexe.
VIII. La question constitutionnelle
22 Le 27 août 2002, la Juge en chef a formulé la question constitutionnelle suivante :
L’article 275 de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, et ses modifications, est‑il constitutionnellement inapplicable à l’appelante pour le motif que, dans les circonstances de la présente affaire, son application ne serait pas conforme aux limites territoriales de la compétence provinciale?
IX. Analyse
23 Il est bien établi que le pouvoir de légiférer sur l’assurance automobile relève des provinces : Citizens Insurance Co. of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (C.P.). Depuis 1881, évidemment, les déplacements des Canadiens se sont multipliés de façon exponentielle. Les camions gros porteurs font entendre leur vrombissement d’un bout à l’autre du pays. Invités à visiter des provinces éloignées, les vacanciers sont nombreux à s’y rendre en automobile. Certains Canadiens, comme les Brennan, prennent l’avion jusqu’à leur destination et louent une voiture à leur arrivée. Pour fuir l’hiver, d’autres prennent régulièrement la route du Sud et conduisent jusqu’en Floride ou en Arizona.
24 Les gens tiennent pour acquis qu’ils continuent d’être assurés, où qu’ils se déplacent avec leur automobile, et c’est effectivement le cas. Si les Brennan s’étaient rendus en automobile en Colombie‑Britannique, au lieu de prendre l’avion, et qu’ils y avaient eu le même accident, leur assureur situé en Ontario, Unifund, aurait pu, conformément au régime prévu par le formulaire P&E, se voir signifier, par l’intermédiaire du surintendant des assurances, une déclaration introduite en Colombie‑Britannique, auquel cas il n’aurait pu, dans le cadre de l’instance intentée en Colombie-Britannique, faire valoir une défense qu’un assureur de cette province n’aurait pu invoquer dans les mêmes circonstances.
25 De même, si M. Baljinder Singh avait fait route vers l’est jusqu’en Ontario et que son camion était entré en collision avec la voiture des Brennan sur l’autoroute 401, à proximité de la résidence de ceux-ci à Cambridge, l’appelante, ICBC, aurait pu, en application du même régime, recevoir signification d’une action par l’intermédiaire du surintendant des assurances. Dans un tel cas, elle n’aurait pu faire valoir aucune défense que n’aurait pu invoquer un assureur de l’Ontario tenu à une garantie comparable. En outre, le droit ontarien s’appliquerait en tant que droit du lieu où l’accident s’est produit : Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022. Le formulaire P&E aurait facilité la signification des actes de procédures et autres documents aux auteurs du délit civil de l’autre province et à leur assureur, ainsi que la poursuite de l’action en responsabilité contre eux.
26 En l’espèce, l’accident et toutes les poursuites en découlant directement ont eu lieu en Colombie‑Britannique. Seule la procédure distincte prévue par la Loi ontarienne qu’a intentée Unifund contre l’appelante est présentée en Ontario.
27 La question constitutionnelle qu’a formulée la Juge en chef résume bien l’aspect décisif du litige :
L’article 275 de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, et ses modifications, est‑il constitutionnellement inapplicable à l’appelante pour le motif que, dans les circonstances de la présente affaire, son application ne serait pas conforme aux limites territoriales de la compétence provinciale?
Bien que, d’une part, il s’agisse simplement de décider quel tribunal a compétence sur le différend (et, si plus d’un tribunal est compétent, de décider si le tribunal ontarien est le forum approprié pour trancher ce différend), la véritable question en litige consiste à se demander si, compte tenu des limites territoriales de l’application des lois provinciales, l’intimée, Unifund, dispose d’une quelconque cause d’action valable contre l’appelante de l’extérieur de la province. S’il est jugé, selon le texte de la question constitutionnelle, que l’art. 275 de la Loi ontarienne est « constitutionnellement inapplicable à l’appelante [. . .] [à cause des] limites territoriales de la compétence provinciale », il conviendrait alors de faire cesser l’action intentée par Unifund en vertu de la Loi ontarienne, indépendamment de l’endroit où elle est intentée.
28 Le juge La Forest a commenté ainsi, aux p. 1050-1051 de l’arrêt Tolofson, précité, les objectifs généraux d’ordre et d’équité sur lesquels reposent les limites territoriales restreignant l’application des lois :
Les gens s’attendent habituellement à ce que leurs activités soient régies par la loi du lieu où ils se trouvent et à ce que les avantages et les responsabilités juridiques s’y rattachant soient définis en conséquence. Le gouvernement de ce lieu est le seul habilité à régir ces activités. Les autres États et les étrangers partagent normalement les mêmes attentes. Si d’autres États appliquaient systématiquement leurs lois à des activités qui se déroulent ailleurs, il y aurait confusion. Étant donné la facilité de voyager dans le monde moderne et l’émergence d’un ordre économique mondial, la situation deviendrait souvent chaotique si le principe de la compétence territoriale n’était pas respecté, du moins de façon générale. [Je souligne.]
29 Comme je l’ai indiqué précédemment, l’intimée invoque uniquement une cause d’action fondée sur une loi ontarienne. Sa demande sollicitant la nomination d’un arbitre ne saurait être accueillie que si le régime d’indemnisation prévu entre assureurs par la Loi ontarienne s’applique. Le paragraphe 275(4), que je reproduis pour des raisons de commodité, dispose que « [s]i les assureurs n’arrivent pas à s’entendre à l’égard de l’indemnisation visée au présent article, le différent est réglé par voie d’arbitrage aux termes de la Loi sur l’arbitrage » (je souligne).
30 Dans notre régime fédéral, chaque province est entièrement libre d’adopter son propre régime législatif pour régir son secteur de l’assurance automobile. La Colombie‑Britannique a décidé d’accorder à l’appelante le monopole de la vente d’assurance automobile dans cette province. La Colombie‑Britannique n’autorise pas la présentation de demande d’indemnisation entre sociétés d’assurance rivales dans la province, et ce tout simplement parce que l’appelante n’a pas de rivale. Évidemment, l’appelante n’est pas à l’abri des causes d’action fondées sur la common law et prenant naissance dans d’autres provinces, comme l’illustre la situation hypothétique mentionnée précédemment, où un de ses assurés se rendrait en automobile en Ontario et y aurait un accident de la route : Potts, précité, p. 560. L’appelante continue d’être liée contractuellement à son assuré et le formulaire P&E vise à lui faciliter la tâche de comparaître et de s’acquitter de ses responsabilités contractuelles dans la province où l’accident s’est produit.
31 L’intimée a relevé deux motifs susceptibles de justifier l’application du droit ontarien à sa demande de remboursement : premièrement, le fait que l’appelante exerce des activités en Ontario et est donc généralement assujettie au droit qui régit le marché de l’assurance en Ontario; deuxièmement, le fait que, suivant les modalités du formulaire P&E, l’appelante a de toute façon accepté, dans le cadre d’un accord de réciprocité, d’être liée par le régime d’assurance ontarien, y compris par les dispositions relatives à l’indemnisation entre assureurs applicable aux sociétés rivales du secteur de l’assurance en Ontario.
32 La Cour d’appel de l’Ontario n’a tranché aucune de ces questions, puisque, à son avis, elles devaient l’être en première instance par un arbitre.
33 En conséquence, voici les principales questions de droit en litige :
(i) La Cour d’appel de l’Ontario a‑t‑elle eu raison de conclure qu’un arbitre nommé en vertu de la Loi ontarienne constitue le forum approprié pour décider si cette loi s’applique ou non à l’appelante dans les circonstances de l’espèce (« la question de l’arbitrage »)?
(ii) Dans la négative, le juge des motions aurait‑il dû conclure que l’art. 275 de la Loi ontarienne est constitutionnellement applicable à l’appelante compte tenu du « lien réel et substantiel » qui existerait entre cette dernière et l’Ontario, eu égard aux faits de l’espèce, et/ou des termes du formulaire P&E (« la question constitutionnelle »)?
(iii) Dans l’affirmative, le juge des motions aurait‑il dû examiner la question additionnelle du forum non conveniens, ou, puisqu’il a conclu affirmativement à la question de la simple reconnaissance de compétence, la question du forum non conveniens aurait‑elle dû être renvoyée à un arbitre, conclusion à laquelle est arrivée la Cour d’appel? (« la question du forum non conveniens »)?
34 Je me propose d’examiner chacune de ces questions à tour de rôle.
(i) La Cour d’appel de l’Ontario a‑t‑elle eu raison de conclure qu’un arbitre nommé en vertu de la Loi ontarienne constitue le forum approprié pour décider si cette loi s’applique ou non à l’appelante dans les circonstances de l’espèce (« la question de l’arbitrage »)?
35 La Cour d’appel a estimé qu’il ressort de [traduction] « l’économie de la Loi de 1991 sur l’arbitrage » que « c’est à l’arbitre, et non au tribunal, qu’il appartient de trancher, en première instance à tout le moins, la question de la compétence, celle du droit applicable et les questions de droit, y compris celle de savoir si une partie est un “assureur” pour l’application de l’art. 275 » (par. 19 (je souligne)). La Cour d’appel a en conséquence renvoyé à l’arbitre la question de la compétence et toutes les questions de droit connexes, se fondant sur le par. 17(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage (qui s’applique par l’effet de l’art. 275 de la Loi ontarienne) et qui est ainsi rédigé :
17 (1) Le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence en matière de conduite de l’arbitrage et peut, à cet égard, statuer sur les objections relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage.
36 L’article 17 est basé sur l’art. 16 de la Loi type de la CNUDCI, lequel s’inspire du principe de la « Kompetenz ‑ Kompetenz », selon lequel un tribunal arbitral doit être compétent pour statuer sur sa propre compétence. Il s’agit d’une notion qu’on qualifie de « fondamentale » : L. Y. Fortier, « Delimiting the Spheres of Judicial and Arbitral Power : “Beware, My Lord, of Jealousy” » (2001), 80 R. du B. Can. 143, p. 145.
37 Il est certain qu’un arbitre ou un tribunal administratif peut se voir accorder le pouvoir de trancher des questions de droit — même des questions de droit constitutionnel touchant à sa propre compétence — , pourvu que le législateur ait clairement indiqué que telle était son intention : voir, par exemple, Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, et Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, par. 61.
38 À supposer, comme le veut la thèse de l’intimée, que la province d’Ontario entendait que le par. 17(1) ait pour effet de conférer une telle compétence, j’estime que rien dans la Loi de 1991 sur l’arbitrage n’indique que cette compétence était censée être exclusive dans tous les cas. En l’espèce, nous sommes en présence d’une contestation de nature constitutionnelle précédant la nomination de l’arbitre. Cette contestation a été soulevée, à titre d’objection préliminaire, devant le tribunal même à qui l’on demande de nommer l’arbitre.
39 L’argument de l’intimée selon lequel la compétence de l’arbitre devrait être considérée comme exclusive en première instance repose dans une large mesure sur une série d’arrêts en matière de relations du travail dans lesquels notre Cour a jugé que les tribunaux devaient s’en remettre aux arbitres du travail dans les litiges qui, dans leur essence, résultent d’une convention collective : St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14, par. 24.
40 Toutefois, ces arrêts reposent sur l’interprétation de notre Cour en ce qui concerne les lois sur les relations du travail dans lesquelles le législateur s’est exprimé en faveur de l’exclusivité (voir les arrêts St. Anne, précité, p. 718‑719, et Weber, précité, par. 41). Dans ces affaires, on ne demandait pas à notre Cour de s’en remettre à l’arbitre même dont la compétence était contestée du point de vue constitutionnel.
41 Rien dans la Loi sur les assurances de l’Ontario, qui a amené la Cour d’appel à examiner la Loi de 1991 sur l’arbitrage, ne tend à indiquer que le législateur entendait accorder à l’arbitre nommé en vertu de la première loi — habituellement un spécialiste du domaine des assurances — compétence exclusive (même en première instance) pour décider si cette loi est constitutionnellement applicable dans le cadre du partage des pouvoirs législatifs prévu par la Constitution canadienne.
42 L’intimée invoque également l’arrêt Jevco Insurance Co. c. Continental Insurance Co. of Canada (2000), 132 O.A.C. 379 (C.A.), conf. [1999] O.J. No. 2267 (QL) (C.S.J.), mais cette affaire a été décidée sur un point différent. Dans Jevco, la question qu’on voulait soumettre à l’arbitre était de savoir si les lois relatives aux accidents du travail dégagent l’assureur de toute responsabilité à l’égard des indemnités d’assurance hors‑faute. Toutes les parties étaient de l’Ontario et étaient assujetties aux lois de cette province. Le législateur ontarien avait la capacité d’investir un arbitre du pouvoir de se prononcer en première instance sur ce point de droit et la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’il l’avait fait. En l’espèce, par contre, il s’agit de décider si les dispositions législatives adoptées par le législateur ontarien s’appliquent de quelque façon au présent litige.
43 Les législateurs qui ont tenté de soustraire à la compétence des cours supérieures des provinces des questions d’applicabilité et de validité constitutionnelles ont généralement échoué dans leur tentative : voir, par exemple, Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, p. 328‑329. À mon avis, lorsqu’on invoque la compétence d’un tribunal de nommer un arbitre en vertu d’une loi qui, selon la prétention d’une des parties, ne peut constitutionnellement s’appliquer à elle, le tribunal devrait statuer sur la contestation. Comme l’a fait remarquer le juge Estey dans l’arrêt Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733, p. 741, les tribunaux sont, « dans la société, l’autorité qui contrôle les bornes de la souveraineté propre des deux gouvernements pléniers et celle qui surveille les organismes à l’intérieur de ces sphères pour vérifier que leurs activités demeurent dans les limites de la loi ».
44 Le pouvoir des tribunaux ontariens de nommer l’arbitre était lui‑même tributaire de l’application de l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario. Si cette Loi n’était pas constitutionnellement applicable au litige, la nomination d’un arbitre en vertu de celle-ci serait sans effet.
45 L’alinéa 48(1)c) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage dispose que le tribunal peut annuler la sentence arbitrale au motif que « l’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario ». Je ne vois aucune raison pratique de contraindre les parties à entreprendre un arbitrage inutile, dans les cas où la question fondamentale est l’applicabilité, du point de vue constitutionnel, de la cause d’action d’origine législative qui est invoquée, au lieu de demander au tribunal de se prononcer sur cette question en première instance.
46 Si, comme le prétend l’appelante, l’arbitrage est une mesure inconstitutionnelle, les coûts, les délais et les inconvénients d’une telle procédure sont autant d’arguments incitant à l’écarter d’entrée de jeu par euthanasie judiciaire.
47 Je tiens également à souligner que, aux termes du par. 8(2) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, l’arbitre peut statuer sur « toute question de droit qui est soulevée au cours de l’arbitrage » (je souligne). Si l’appelante a raison, la tenue même de l’arbitrage n’a aucune assise constitutionnelle.
48 Les tribunaux ontariens avaient compétence pour statuer sur l’applicabilité constitutionnelle de la Loi sur les assurances de l’Ontario à la présente affaire, qui concerne le remboursement d’une somme versée en Ontario à un assuré ontarien par une société d’assurance de cette province. Au moyen d’un avis de motion daté du 28 juillet 2000 et présenté en vertu de la règle 17.06 des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, l’appelante a sollicité diverses décisions touchant l’applicabilité constitutionnelle de la Loi sur les assurances de l’Ontario. Personne ne s’est opposé à ce que le tribunal ontarien connaisse de la question d’ordre constitutionnelle. Au contraire, l’avis de motion de l’appelante demandait au tribunal de trancher cette question.
49 J’arrive en conséquence à la conclusion que le juge des motions aurait dû se prononcer sur la question de l’applicabilité constitutionnelle de la Loi ontarienne soulevée par l’appelante.
(ii) Eu égard aux faits de l’espèce, la Loi ontarienne est-elle constitutionnellement applicable à l’appelante compte tenu du « lien réel et substantiel » qui existerait entre cette dernière et l’Ontario, et/ou des obligations contractées aux termes du formulaire P&E (« la question constitutionnelle »)?
50 Il est bien établi qu’une province n’a pas le pouvoir d’édicter des lois ayant une portée extraterritoriale. Si la Loi ontarienne visait à régir, en Colombie‑Britannique, les droits civils résultant d’un accident survenu dans cette province, il s’agirait d’une application extraterritoriale non permise d’une loi provinciale : Royal Bank of Canada c. The King, [1913] A.C. 283 (C.P.); Gray c. Kerslake, [1958] R.C.S. 3; P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 13‑4 à 13‑25; R. E. Sullivan, « Interpreting the Territorial Limitations on the Provinces » (1985), 7 Supreme Court L.R. 511, p. 531.
51 Cette restriction de la portée territoriale est fondamentale dans notre régime fédéral où chaque province est tenue de respecter la souveraineté législative des autres provinces dans leurs champs de compétence respectifs, et où elle s’attend au même respect en retour. Cette restriction ressort du passage liminaire de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui limite la portée territoriale des lois provinciales : « Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant » sous les chefs de compétence qui y sont énumérés (je souligne). Le pouvoir de légiférer en matière d’assurance découle du par. 92(13), lequel confère à chaque province le pouvoir de faire des lois relatives à la « propriété et [aux] droits civils dans la province » (je souligne).
52 Unifund ne conteste pas ces propositions fondamentales, mais dit chercher simplement à exercer, en Ontario, les droits civils qui lui sont reconnus dans cette province, à savoir le droit à indemnisation créé par l’art. 275 de la Loi ontarienne. Elle affirme avoir droit de le faire soit en vertu des principes ordinaires de droit constitutionnel, du fait de l’existence d’un « lien réel et substantiel » entre l’appelante et l’Ontario, soit en vertu du formulaire P&E.
53 Je vais donc examiner les deux moyens invoqués par l’intimée pour établir l’application du régime législatif ontarien.
a) L’intimée affirme qu’il existe, entre l’appelante et l’Ontario, un « lien réel et substantiel » et que, de ce fait, il convient que les lois de l’Ontario décident de l’issue du litige l’opposant à l’appelante.
54 Notre Cour a adopté et explicité le critère du « lien réel et substantiel » dans les arrêts Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1103 et 1109; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 328; et Tolofson, précité, p. 1049; elle l’a suivi et appliqué plus récemment dans des affaires telles que Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), [2001] 3 R.C.S. 907, 2001 CSC 90, par. 71, et Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205, 2002 CSC 78.
55 En l’espèce, toutefois, nous sommes appelés à appliquer le « critère du lien réel et substantiel » dans le contexte différent de l’applicabilité d’un régime de réglementation établi par une province donnée, à un défendeur de l’extérieur de cette province. Il ne s’agit pas seulement de décider si le tribunal judiciaire ontarien a compétence pour connaître de la demande de nomination de l’arbitre (comme dans les affaires de choix du forum), mais, comme le précise la question constitutionnelle, si le « lien » entre l’Ontario et l’intimée est suffisant pour justifier l’application à l’appelante du régime de réglementation ontarien.
56 L’examen de l’applicabilité du point de vue constitutionnel peut s’articuler autour des propositions suivantes :
1. La limitation territoriale de la portée du pouvoir de légiférer des provinces empêche les lois d’une province de s’appliquer aux affaires qui ne présentent pas de lien suffisant avec cette dernière.
2. Le caractère « suffisant » du lien dépend du rapport qui existe entre le ressort ayant légiféré, l’objet du texte de loi et l’individu ou l’entité qu’on cherche à assujettir à celui-ci.
3. L’applicabilité d’une loi provinciale par ailleurs valide à un défendeur de l’extérieur de la province concernée est fonction des exigences d’ordre et d’équité qui sous-tendent nos structures fédérales.
4. Comme ils visent une finalité, les principes d’ordre et d’équité sont appliqués d’une manière souple, en fonction de l’objet de la loi.
57 Je me propose d’examiner ces éléments dans la mesure nécessaire pour régler cet aspect du pourvoi.
1. L’existence d’un lien suffisant
58 Les limites territoriales du pouvoir de légiférer des provinces ont pour effet d’empêcher l’application des lois d’une province aux affaires qui ne présentent pas de lien suffisant avec cette dernière : J.‑G. Castel et J. Walker, Canadian Conflict of Laws (5e éd. (feuilles mobiles)), p. 2.1. Comme nous le verrons, un « lien réel et substantiel » qui serait par ailleurs suffisant pour permettre aux tribunaux d’une province de se déclarer compétents à l’égard d’un litige peut toutefois ne pas être suffisant pour que les lois de cette province décident de l’issue de ce litige.
59 Dans l’arrêt Tolofson, p. 1052, le juge La Forest a fait l’observation suivante : « Il me semble aller de soi, par exemple, qu’il n’appartient pas à l’État A de définir les droits et obligations des citoyens de l’État B à l’égard d’actes accomplis dans leur propre pays, [. . .] car il s’ensuivrait des résultats inéquitables et injustes si c’était le cas. Les mêmes considérations s’appliquent en ce qui concerne les provinces canadiennes. »
60 Les limites territoriales du pouvoir législatif constituent une vieille doctrine qui a été élaborée dans le contexte d’affaires concernant non pas des provinces mais des États souverains, comme l’indiquent les explications suivantes de Lord Russell of Killowen dans R. c. Jameson, [1896] 2 Q.B. 425, p. 430 :
[traduction] Selon un autre principe général d’interprétation, si une loi se prête à une interprétation différente, on ne saurait considérer qu’elle s’applique aux étrangers à l’égard des actes qu’ils accomplissent à l’extérieur du territoire de la puissance souveraine qui a édicté la loi en question. Il s’agit d’une règle fondée sur le droit international en vertu de laquelle chaque puissance souveraine est tenue de respecter les sujets et les droits des autres puissances souveraines à l’extérieur de son propre territoire.
61 Un souci analogue à l’égard de la courtoisie internationale — ou respect mutuel — est depuis longtemps intégré à la structure fédérale des États‑Unis comme en témoigne l’arrêt Pennoyer c. Neff, 95 U.S. 714 (1877), p. 722 :
[traduction] [A]ucun État ne peut exercer directement quelque compétence et autorité sur les personnes ou les biens à l’extérieur de son territoire. [. . .] Les divers États jouissent d’une dignité et d’une autorité équivalentes, et l’indépendance d’un de ces États implique exclusion du pouvoir de tous les autres.
62 Ces vieux énoncés expriment une conception très physique de la limitation territoriale, toujours présente en 1913 dans l’arrêt Royal Bank of Canada, précité, où notre Cour a invalidé une loi de l’Alberta qui prévoyait que des sommes recueillies pour un projet ferroviaire qui avait avorté seraient versées dans les coffres du gouvernement provincial au lieu d’être remboursées aux prêteurs, dont la plupart résidaient au Royaume‑Uni. Le vicomte Haldane, lord chancelier, a considéré notable le fait qu’[traduction] « [a]ucune somme n’avait été envoyée en espèces à la succursale » en Alberta (p. 294). Il a conclu que les obligataires pouvaient se faire payer leur créance au siège social de la banque à Montréal. Par conséquent, le droit des créanciers obligataires étrangers de recouvrer leur argent
[traduction] était un droit civil qui avait pris naissance en dehors de la province et dont on pouvait encore demander le respect à l’extérieur de celle-ci. Pour cette raison, la loi excédait les pouvoirs de l’assemblée législative albertaine, dans la mesure où les dispositions qu’on entendait édicter ne se limitaient pas à la propriété et aux droits civils dans la province, et ne se rapportaient pas uniquement aux questions de nature purement locale ou privée dans la province. [p. 298]
Voir également Attorney General for Ontario c. Scott, [1956] R.C.S. 137, p. 141; Interprovincial Co-Operatives Ltd. c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 477, p. 521; Credit Foncier Franco‑Canadien c. Ross, [1937] 3 D.L.R. 365 (C.S. Alb., div. app.); et Beauharnois Light, Heat and Power Co. c. Hydro-Electric Power Commission of Ontario, [1937] O.R. 796 (C.A.).
2. L’existence d’un « lien suffisant » dépend du rapport qui existe entre le ressort ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et les personnes qu’on entend assujettir à celui-ci.
63 Dans des énoncés ultérieurs de la règle de l’extraterritorialité, on a moins insisté sur la notion de présence physique proprement dite, s’attachant davantage au lien entre le territoire ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et la personne qu’on entendait assujettir à celui-ci. L’application potentielle des lois d’une province aux rapports mettant en cause des défendeurs se trouvant à l’extérieur de celle-ci est devenue une question plus nuancée. L’évolution de la règle était peut-être inévitable compte tenu du fait que, comme l’a souligné le juge La Forest dans l’arrêt Morguard, les États modernes « ne peuvent [. . .] pas vivre dans l’isolement le plus complet » (p. 1095). Cette insistance sur l’existence d’un lien ne requérant pas nécessairement une présence physique proprement dite dans le ressort a été énoncée par le juge Dixon, qui s’exprimait au nom de la Haute Cour d’Australie, dans l’arrêt Broken Hill South Ltd. c. Commissioner of Taxation (N.S.W.) (1936‑1937), 56 C.L.R. 337, p. 375 :
[traduction] . . . l’assemblée législative [d’un État] a également le pouvoir de fonder la responsabilité uniquement sur le lien qu’a une personne avec le territoire. Ce lien peut être la présence dans le territoire, la résidence, le domicile, l’exercice d’activités commerciales à cet endroit ou même un rapport plus ténu.
64 Considéré sous cet angle, le problème dans l’affaire Royal Bank of Canada, précitée, n’était pas la présence physique comme telle, mais le fait qu’il existait, entre la province d’Alberta, d’une part, et les créanciers obligataires de l’extérieur de la province et leur argent déposé au siège social de la banque dans la province de Québec, d’autre part, un lien insuffisant pour justifier la réglementation de ces sommes par l’Alberta.
65 Il ressort de la jurisprudence que différents degrés de rattachement à la province ayant légiféré peuvent être requis selon l’objet du différend. L’arrêt Broken Hill était une affaire fiscale. En matière de divorce, le simple fait pour les parties d’avoir une résidence dans un ressort était considéré, en common law, comme un « lien » insuffisant. On exigeait qu’elles y aient leur domicile réel : voir, par exemple, Kalenczuk c. Kalenczuk (1920), 52 D.L.R. 406 (C.A. Sask.). Dans un autre contexte, « [l]e seul fait de traverser l’espace aérien au‑dessus du Manitoba » ne constituait pas un « lien » suffisant avec la province pour justifier l’imposition d’une taxe provinciale « dans les limites de la Province » : La Reine du chef du Manitoba c. Air Canada, [1980] 2 R.C.S. 303, p. 316, le juge en chef Laskin. Pourtant, dans les affaires de responsabilité du fabricant, la présence du fabricant défendeur dans le ressort n’est pas considérée nécessaire. Est considéré comme suffisant le lien que constitue le fait pour l’intéressé d’expédier sciemment des marchandises dans le ressort ayant légiféré tout en s’attendant raisonnablement qu’on les y utilisera : Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393, p. 409. Dans un autre contexte, celui de l’affaire R. c. Thomas Equipment Ltd., [1979] 2 R.C.S. 529, l’exigence requérant l’existence d’un « lien » aux fins d’assujettissement au régime de réglementation a été satisfaite lorsque l’entreprise accusée, qui résidait dans une autre province, a non seulement vendu ses produits (lesquels n’étaient pas défectueux) dans le ressort ayant légiféré, mais a également embauché un représentant local pour les y promouvoir. Dans chacun de ces arrêts, la Cour a évalué, à la lumière de l’objet du texte de loi en cause, le lien entre le ressort ayant légiféré et l’individu ou l’entité de l’extérieur de la province qu’on entendait réglementer afin de déterminer si le lien était « suffisant » pour étayer la validité ou l’applicabilité de la loi en question.
66 Dans l’affaire Ladore c. Bennett, [1939] A.C. 468 (C.P.), la validité d’une loi ontarienne réduisant le taux d’intérêt accordé aux créanciers obligataires de l’extérieur de la province, a été confirmée. Les acheteurs — où qu’ils se trouvaient — d’obligations municipales émises en Ontario avaient créé entre eux et l’Ontario un lien suffisant pour asseoir la compétence du législateur relativement à l’objet précis de la loi. Au regard des faits, il est difficile de distinguer les affaires Ladore et Royal Bank of Canada. Pour ce qui est des parties de l’extérieur de la province, la différence de résultat ne peut s’expliquer que par le raffinement de la doctrine relativement à la portée réelle de la limitation territoriale de la compétence législative provinciale. Notre Cour a expressément approuvé l’arrêt Ladore dans le Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297.
67 La situation se complique davantage lorsque la question à trancher n’est pas la validité de la loi provinciale mais plutôt son applicabilité à certaines entités à l’extérieur de la province. En l’espèce, l’appelante ne conteste absolument pas la validité de la Loi sur les assurances de l’Ontario, qui à première vue réglemente un aspect visé par « la propriété et les droits civils dans la province » (je souligne) (Loi constitutionnelle de 1867, par 92(13)). L’appelante affirme seulement que la portée de la Loi ontarienne doit respecter les limites imposées par la Constitution et que son application ne peut validement être élargie à un assureur de l’extérieur de la province et décider de l’issue du présent litige.
3. L’applicabilité d’une loi provinciale par ailleurs valide à un défendeur de l’extérieur de la province concernée est fonction des exigences d’ordre et d’équité qui sous‑tendent nos structures fédérales.
68 L’interprétation plus souple de l’application extraterritoriale qui ressort clairement des arrêts plus récents accroîtra, dans une certaine mesure à tout le moins, le risque de conflit entre les provinces. Dans l’arrêt Hunt, précité, les exigences en matière d’ordre et d’équité ont été considérées comme un principe directeur de la fédération et qualifiées par notre Cour d’« impératifs constitutionnels » (p. 324). Au sein de la fédération canadienne, la courtoisie commande qu’on adhère aux « principes d’ordre et d’équité, des principes qui assurent à la fois la justice et la sûreté des opérations » (Morguard, précité, p. 1097). Comme l’a expliqué le juge La Forest dans l’arrêt Tolofson, précité, p. 1051 :
Bien des activités qui se déroulent à l’intérieur d’un État ont nécessairement une incidence dans un autre État, mais il faut éviter une multiplicité d’exercices concurrents du pouvoir étatique à leur égard.
69 Dans le même ordre d’idées, le juge La Forest a fait la remarque suivante, à la p. 1066 de l’arrêt Tolofson, précité :
On peut [. . .] prétendre qu’il n’est pas constitutionnellement permis que les deux provinces, celle où certaines activités ont eu lieu et celle dans laquelle résident les parties, connaissent de la responsabilité civile résultant des mêmes activités. À supposer que les deux provinces aient compétence législative en pareilles circonstances, il pourrait y avoir conflit de règles à l’égard du même incident.
70 Dans l’affaire Hunt, la question était de savoir si une loi québécoise, qui interdisait de transporter hors du Québec des documents commerciaux requis par voie judiciaire à l’extérieur de la province, permettait de refuser de produire de tels documents à un tribunal de la Colombie‑Britannique. Soulignant que si la validité de cette loi était confirmée, les entreprises situées au Québec n’auraient jamais à produire des documents demandés pour les besoins de litiges dans d’autres provinces (p. 330), le juge La Forest a conclu que la « loi prohibitive » du Québec était « constitutionnellement inapplicable [en Colombie-Britannique] parce qu’elle [était] contraire aux principes énoncés dans l’arrêt Morguard » (p. 331).
71 De même, je suis d’avis que l’ordre qui règne dans la fédération serait perturbé si chaque province prenait sur elle de réglementer, en ce qui concerne ses propres résidents, certains aspects des répercussions financières de l’accident d’automobile survenu en Colombie‑Britannique, et ce au détriment de l’assureur de cette province. Par exemple, l’accident dont les Brennan ont été victimes aurait pu provoquer un carambolage sur l’autoroute Upper Levels. Suivant la thèse de l’intimée, chacune des parties lésées et son assureur auraient pu imposer à l’appelante, ICBC, le régime d’assurance particulier du ressort où ils résident. Le problème est loin d’être théorique. Il aurait en effet suffi d’une collision entre le camion de M. Singh et un autobus de 58 places rempli de skieurs de l’extérieur de la province se rendant à Whistler sur l’autoroute Upper Levels. « [I]l faut éviter » de tels « exercices concurrents » d’établissement de régimes de réglementation. Ces incertitudes en matière de réglementation nuisent à l’efficience économique.
72 L’équité envers les défendeurs de l’extérieur de la province est également un facteur important à considérer au sein de la fédération. En l’espèce, si l’intimée a raison, l’appelante serait tenue de se soumettre aux régimes d’assurance de chaque province ou État revendiquant quelque intérêt assuré à l’égard des répercussions économiques de l’accident en Colombie‑Britannique, par suite d’obligations financières que les législateurs de ces ressorts auraient jugé bon, pour une raison ou une autre, d’imposer à leurs propres sociétés d’assurance.
73 L’adoption des principes d’ordre et d’équité, comme mécanisme servant à régir les problèmes d’extraterritorialité, différencie dans une certaine mesure le Canada de l’Australie (où l’art. 2 de la Constitution de ce pays confère expressément aux États une compétence extraterritoriale qui peut, dans certaines circonstances, s’étendre à la région extracôtière : Union Steamship Co. of Australia Proprietary Ltd. c. King (1988), 166 C.L.R. 1 (H.C. Aust.), p. 12) et des États‑Unis, où la jurisprudence est influencée par la clause d’application régulière de la loi du Quatorzième amendement et la clause de reconnaissance totale prévue à l’article IV de la Constitution.
74 Dans l’arrêt Broken Hill, par exemple, le juge Dixon a ajouté ceci : [traduction] « S’il existe un lien, il appartient à l’assemblée législative de décider jusqu’où elle entend aller dans l’exercice de ses pouvoirs » (p. 375). Depuis les arrêts Morguard, Hunt et Tolofson, on peut affirmer que, dans notre structure fédérale, il ne faut pas considérer uniquement le point de vue du ressort ayant légiféré, mais aussi les intérêts collectifs de l’ensemble de la fédération en matière d’ordre et d’équité. La même réserve doit également assortir la doctrine américaine des [traduction] « liens minimaux », à laquelle a souscrit la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt International Shoe Co. c. State of Washington, 326 U.S. 310 (1945). Dans ce pays également, on applique largement les lois des États à des différends qui présentent des liens limités avec le ressort ayant légiféré (voir, par exemple, Allstate Insurance Co. c. Hague, 449 U.S. 302 (1981)), et ce à un point tel que la situation a amené le professeur Laurence Tribe à faire les commentaires suivants:
[traduction] Ne manque pas de pertinence l’opinion selon laquelle les positions de la Cour Suprême sur la compétence à l’égard de la personne et sur le conflit de lois sont précisément à l’effet contraire. Il est facile pour un État d’appliquer ses lois (qui, par définition, ont pour effet de décider du résultat) à une affaire, mais il lui est relativement difficile d’obtenir compétence sur un différend, même si le fait d’avoir compétence ne décide jamais directement de l’issue de l’affaire. Les questions de compétence font l’objet de débats interminables et leur issue est imprévisible; les questions de conflit de lois ne sont, dans une large mesure, pas encadrées.
(L. H. Tribe, American Constitutional Law (3e éd. 2000), vol. 1, p. 1292)
75 La jurisprudence américaine et australienne sur l’application extraterritoriale des lois doit par conséquent être examinée en tenant compte des différences qui caractérisent nos arrangements constitutionnels et ceux de ces pays.
76 Si l’on revient à la jurisprudence canadienne, l’arrêt Thomas Equipment, précité, constitue un exemple frappant des principes d’extraterritorialité applicables. Dans cette affaire, on a statué qu’un fabricant néo‑brunswickois de matériel agricole (Thomas Equipment), qui avait conclu avec un commerçant albertain un contrat de vente et promotion de son matériel en Alberta, avait commis une infraction à la loi de l’Alberta intitulée The Farm Implement Act, R.S.A. 1970, ch. 136. Cette loi, qui régissait les divers aspects du secteur du matériel agricole en Alberta, précisait qu’en cas de résiliation d’un tel contrat le fournisseur devait racheter le matériel et les pièces non vendus. Le contrat de concession ne comportait aucune obligation du genre et stipulait expressément qu’il était régi par les lois du Nouveau‑Brunswick. Les produits manufacturés n’étaient pas défectueux. La société Thomas Equipment a refusé de racheter le matériel et a été poursuivie sur ce fondement en Alberta en vertu de la loi albertaine susmentionnée. S’exprimant au nom de la majorité des juges de notre Cour, le juge Martland a souscrit, à la p. 544, à la remarque incidente suivante, formulée par un des juges albertains :
[traduction] Si un fabricant veut vendre son matériel agricole ici, il doit respecter les règles du jeu, telles qu’établies par la législature de l’Alberta. Une de ces règles porte précisément sur la responsabilité d’un fabricant lorsque son contrat avec le commerçant prend fin.
77 Le juge Martland a considéré important le fait que la société Thomas Equipment avait conclu plus qu’un « simple contrat de vente de marchandises » (p. 542) destinées à être revendues en Alberta. L’entreprise avait engagé un commerçant de l’Alberta pour promouvoir ses produits et créer un achalandage dans cette province. Son « lien » avec l’Alberta n’était pas uniquement à titre de vendeur de l’extérieur de la province. En ce sens, la société Thomas Equipment elle‑même (en plus de son matériel) avait accédé au marché albertain.
78 Malgré cela, le juge Martland a pris soin de souligner, à la p. 545, que l’entreprise accusée, Thomas Equipment, n’avait soulevé aucune question d’ordre constitutionnel. La décision majoritaire était donc uniquement et expressément fondée sur « l’interprétation exacte de la loi [albertaine] par rapport aux faits ».
79 Dans une opinion dissidente, le juge en chef Laskin a examiné directement la question constitutionnelle, disant ceci, au sujet de la poursuite : « [à] mon avis, [. . .] [elle] revient à donner une portée extra‑territoriale à la loi albertaine » (p. 533). Il s’est référé en particulier à l’arrêt Gray, précité, dans lequel il a été jugé qu’une loi ontarienne ne pouvait, après le décès du rentier, obliger un assureur de l’État de New York à verser une rente viagère à sa conjointe légitime (en vertu des lois ontariennes) plutôt qu’à son ancienne conjointe de fait (comme l’exigeaient les lois de l’État de New York). Comme l’a expliqué le juge en chef Laskin, « l’Ontario ne pouvait modifier les termes du contrat [de rente conclu à New York] parce qu’elle porterait alors atteinte à des droits civils à l’extérieur de la province » (p. 535). De façon similaire, dans l’arrêt Thomas Equipment lui-même, le juge en chef Laskin était d’avis que le lien entre le fabricant néo‑brunswickois et la province d’Alberta n’avait pas pour effet de soumettre adéquatement la société Thomas Equipment au régime de réglementation de l’Alberta. Bien qu’il n’ait évidemment pas appliqué l’analyse de l’arrêt Morguard comme telle, le juge en chef Laskin estimait manifestement que la compétence dont se réclamait l’Alberta perturbait l’ordre établi entre les provinces et créait une injustice envers le fabricant néo‑brunswickois, compte tenu du choix de la loi applicable stipulé dans le contrat de concession.
4. Comme ils visent une finalité, les principes d’ordre et d’équité sont appliqués d’une manière souple.
80 Le lien requis doit présenter un caractère plus ou moins étroit selon la sorte de compétence invoquée. Un lien insuffisant pour soutenir l’application d’une loi de nature réglementaire peut néanmoins constituer un « lien réel et substantiel » permettant aux tribunaux de la province de se déclarer compétents dans un litige donné. Cela se produit régulièrement. S’étant d’abord déclarés compétents, les tribunaux appliquent ensuite le droit de l’autre province en recourant aux principes de règlement des différends régissant les problèmes de conflit de lois. Ainsi, dans l’affaire Tolofson, il existait un lien suffisant entre la Colombie‑Britannique et les parties pour que les tribunaux de cette province puissent connaître de l’affaire, mais il a été jugé que le droit de la Saskatchewan devait s’appliquer pour déterminer l’issue du litige.
81 Il ne serait pas sage de se lancer dans une analyse générale des notions d’« ordre et d’équité ». La question à laquelle nous devons répondre est très précise : l’intimée dispose-t-elle d’une cause d’action prévue par la loi contre l’appelante, compte tenu des limites d’ordre constitutionnel restreignant la portée de la Loi sur les assurances de l’Ontario?
5. Application de ces principes aux faits de l’espèce
82 L’intimée, Unifund, insiste sur le fait que les paiements dont on demande le remboursement ont été faits en Ontario, par un assureur ontarien, à un résident de l’Ontario. Tout cela est exact, mais fait abstraction du lien qui existe entre l’Ontario et la partie visée par la demande de paiement, en l’occurrence l’appelante de l’extérieur de la province. Non seulement cette dernière n’est‑elle pas autorisée à vendre de l’assurance en Ontario, mais, dans les faits, elle n’en vend pas. Aucun des véhicules assurés par l’appelante en l’espèce ne s’est rendu en Ontario. L’accident n’a pas eu lieu dans cette province et l’appelante a pu bénéficier de la déduction de 750 000 $ en vertu non pas des lois de l’Ontario mais de celles de la Colombie‑Britannique.
83 Le seul élément qui peut être invoqué en faveur de l’intimée, en l’espèce, est le fait qu’un accident d’automobile survenu en Colombie‑Britannique a donné lieu au paiement de certaines sommes en Ontario, sous le régime des lois de cette province. Toutefois, la décision du législateur ontarien d’assortir de conséquences juridiques en Ontario un fait (l’accident d’automobile) survenant ailleurs que dans cette province n’a pas pour effet d’étendre l’application de cette mesure législative aux résidents « de l’extérieur de la province ». Il est également possible d’affirmer que les paiements effectués en Ontario ont, à leur tour, entraîné la déduction d’une somme équivalente en vertu des lois de la Colombie‑Britannique. Ici aussi, cependant, la décision du législateur de la Colombie‑Britannique d’assortir de conséquences juridiques (la déduction), dans sa province, un événement survenu en Ontario (le versement des IAL) n’a pas pour effet d’assujettir l’appelante (bénéficiaire sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique) à la compétence du législateur ontarien et de retirer à cette dernière, au profit d’une société d’assurance ontarienne, l’avantage que lui accorde la Colombie‑Britannique.
84 En l’espèce, contrairement à la situation dans l’affaire Thomas Equipment, précitée, l’appelante n’a engagé personne en Ontario pour promouvoir ses produits. Elle n’était pas un acteur sur le marché ontarien et, à mon avis, elle n’était pas tenue de « respecter les règles du jeu [ontariennes] ». On ne peut invoquer la décision du législateur de l’Ontario d’imposer à Unifund le paiement d’indemnités sans égard à la faute pour fonder quelque pouvoir législatif permettant d’imposer une obligation correspondante à l’appelante, qui (indépendamment de l’argument relatif au formulaire P&E) échappait à la compétence territoriale du législateur ontarien.
85 Plus récemment, dans l’arrêt Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, notre Cour a confirmé la validité d’un régime législatif autorisant les organismes de réglementation du marché des valeurs mobilières de la Colombie‑Britannique et d’ailleurs de s’échanger des renseignements. La décision était clairement fondée sur la thèse selon laquelle la coopération volontaire, prévue par la loi, entre organismes étrangers de réglementation du marché des valeurs mobilières « ne tente pas d’étendre la portée de la mesure législative provinciale au‑delà des frontières de la province » (par. 38). Cette décision n’est d’aucun secours à l’intimée.
86 L’intimée a soulevé deux autres arguments qui nécessitent de brefs commentaires.
87 Premièrement, Unifund prétend que, en déduisant l’indemnité sans égard à la faute de la somme que le tribunal a accordée aux Brennan, l’appelante s’est trouvée à profiter de cet avantage offert par les lois ontariennes. L’intimée plaide qu’on ne saurait permettre à ICBC de recevoir cet avantage tout en évitant les obligations de la Loi ontarienne. Voici comment l’intimée a exposé cet argument (au par. 12 de son mémoire) :
[traduction] En réclamant la déduction prévue à l’article 25 de la Loi de la C.‑B. dans le cadre du litige qui l’oppose aux Brennan, ICBC a demandé et obtenu l’avantage accordé par la Loi ontarienne. Par l’argument qu’elle expose en l’espèce, ICBC tente d’éviter les obligations de la Loi ontarienne et en même temps d’obtenir une rentrée d’argent exceptionnelle.
88 Je ne crois pas que cette analyse soit juste. L’assurance privée est normalement une prestation parallèle que le défendeur ne peut généralement pas déduire des dommages‑intérêts qu’il est condamné à payer au demandeur : voir les arrêts Ratych c. Bloomer, [1990] 1 R.C.S. 940, p. 945 et 974, et Cunningham c. Wheeler, [1994] 1 R.C.S. 359. Les Brennan ont payé les sommes prévues à l’égard de la police émise par Unifund, y compris à l’égard des IAL, et ne seraient normalement pas privés du bénéfice que leur assurait le contrat. Ce n’est pas la Loi ontarienne qui a conféré le bénéfice de déductibilité à l’appelante, mais l’art. 25 de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Insurance (Motor Vehicle) Act.
89 Deuxièmement, Unifund souligne que, à d’autres occasions, l’appelante a elle‑même demandé (et obtenu) une ordonnance reconnaissant que le par. 268(2) de la Loi ontarienne lui donne le droit de réclamer une indemnité d’un assureur de l’Ontario en vertu de l’art. 275 : Insurance Corp. of British Columbia c. Royal Insurance Co. of Canada, [1999] I.L.R. ¶I-3705 (C.A.). Il s’agissait toutefois, dans cette affaire, d’un accident d’automobile survenu en Ontario et auquel les lois ontariennes s’appliquaient.
90 Il est vrai que l’appelante a été partie à des litiges en Ontario et qu’elle a, à l’occasion, « profité » de la Loi ontarienne. Cependant, ces incursions sporadiques de l’appelante en Ontario découlaient d’accidents d’automobile survenus dans cette province et couverts par des polices d’assurance automobile émises en Colombie-Britannique, et chaque cas constituait un cas d’espèce. Rien dans les activités de l’appelante dans ces affaires n’a fait naître l’obligation qu’on cherche à lui imposer dans le présent pourvoi.
91 Par conséquent, j’arrive à la conclusion que, suivant les principes ordinaires du droit constitutionnel, la Loi ontarienne est inapplicable en l’espèce à l’appelante de l’extérieur de la province. Je vais maintenant examiner le deuxième volet de l’argumentation de l’intimée, le prétendu « acquiescement » de l’appelante aux lois ontariennes par l’effet des modalités mêmes du formulaire P&E.
b) Le moyen fondé sur le formulaire P&E
92 Le formulaire P&E est un mécanisme constitué d’un ensemble d’arrangements entre provinces (et États) comportant des mesures de signification indirecte et des engagements qui permettent de faire en sorte que les automobilistes assument la responsabilité financière de leurs actes dans les autres provinces et États participants, en confirmant que les assureurs donneront suite aux réclamations présentées à l’égard des accidents survenus à l’extérieur du ressort d’origine des assurés. Ces mesures correspondent aux règles de droit ordinaires en la matière. Un automobiliste d’une autre province peut avoir à se défendre contre une action intentée dans la province où l’accident a eu lieu, et son assureur est contractuellement tenu de représenter le défendeur à cet endroit, peu importe si le formulaire P&E s’applique ou non.
93 Aux termes du formulaire P&E qu’elle a signé le 22 septembre 1988, l’appelante a convenu de charger le surintendant des assurances des autres provinces de recevoir en son nom signification des [traduction] « actions ou autres procédures intentées contre elle ou contre son assuré [. . .] par suite d’un accident d’automobile survenu dans quelque province ou territoire concerné » (je souligne).
94 En l’espèce, le formulaire P&E ne s’applique pas à l’ensemble des provinces et territoires. À mon avis, l’expression [traduction] « province ou territoire concerné » s’entend des ressorts y énumérés, à savoir les provinces et territoires autres que la Colombie‑Britannique, province dont le nom a été biffé sur le formulaire type.
95 La désignation est suivie des trois engagements suivants pris par les signataires :
premièrement, [traduction] « [. . .] comparaître à toute action ou autre procédure qui est intentée contre elle ou contre son assuré dans quelque province ou territoire et dont elle a connaissance »;
deuxièmement, [traduction] « faire immédiatement signifier à l’assuré cet avis ou acte de procédure »;
troisièmement, n’invoquer aucun moyen de défense [traduction] « fondé sur le contrat d’assurance‑responsabilité automobile qu’elle a conclu et qui ne pourrait être invoqué si ce contrat était intervenu dans la province ou le territoire canadien où cette action ou autre procédure est intentée et avait été conclu conformément aux lois y régissant les contrats d’assurance‑responsabilité automobile ou le régime d’assurance automobile ».
96 J’estime que le formulaire P&E ne s’applique pas aux faits de l’espèce.
97 En outre, même s’il était possible de considérer que le formulaire P&E oblige l’appelante à comparaître, en défense, à l’action intentée en Ontario, je ne crois pas que ce document en général, ou son troisième engagement en particulier, empêche l’appelante de contester la prétention selon laquelle la Loi sur les assurances de l’Ontario s’applique et a pour effet d’imposer à un assureur d’une autre province une obligation civile à l’égard d’un accident d’automobile survenu dans une autre province. Un tel moyen de défense n’est pas fondé sur le « contrat d’assurance‑responsabilité automobile » de l’appelante.
98 Dans l’affaire MacDonald c. Proctor (1977), 86 D.L.R. (3d) 455 (C.A. Ont.), un automobiliste manitobain a eu un accident en Ontario. Par la suite, on a introduit en Ontario une action à laquelle l’assureur manitobain a comparu conformément aux modalités du formulaire P&E. En vertu du droit manitobain, l’assureur du Manitoba avait l’obligation de verser des indemnités prévues par la loi. L’auteur du délit civil en Ontario a tenté de déduire les IAL des dommages‑intérêts accordés en Ontario, comme l’y autorise la Loi ontarienne, mais la déduction lui a été refusée. Le juge Zuber de la Cour d’appel de l’Ontario a fait observer que la question en litige dans cette affaire (comme dans celle qui nous occupe) portait sur [traduction] « l’applicabilité de la Loi sur les assurances de l’Ontario » (p. 456). Selon le juge Zuber, malgré l’existence du formulaire P&E, les dispositions de la Loi ontarienne relatives à la déductibilité ne s’appliquaient pas. Il a souligné que, lorsque les assureurs désirent intégrer des dispositions législatives ontariennes dans le formulaire P&E (par exemple les limites de couverture stipulées dans les polices d’assurance), ils le font de manière expresse (aux p. 457-458) :
[traduction] Je ne puis considérer l’engagement comme un accord intégrant dans les polices émanant d’autres provinces tous les éléments dont la Loi sur les assurances de l’Ontario exige l’inclusion dans les polices d’assurance ontariennes. . .
Bien qu’on ne nous ait pas fourni le détail de la police d’assurance du Manitoba, elle comporte sans doute des indemnités sensiblement similaires (voire identiques) à celles prévues à l’annexe E. Toutefois, la garantie accordant ces indemnités figure dans la police parce que la Société d’assurance publique du Manitoba l’y a insérée dans l’exécution de ses propres obligations, et non parce que la Loi ontarienne a incité à l’inclusion de ces indemnités dans la police.
. . . l’engagement de la Société d’assurance publique du Manitoba de respecter dans les faits les règles ontariennes jusqu’à un certain point, dans les cas où son assuré est partie à des procédures en Ontario, ne fait pas de la police d’assurance manitobaine une police « faite en Ontario ». [Je souligne.]
Dans l’arrêt MacDonald, le problème qui nous occupe a été examiné à partir de l’autre bout de la lorgnette, soit du point de vue du tribunal du ressort où l’accident a eu lieu et où le litige s’est déroulé. Toutefois, la restriction raisonnée à l’extraterritorialité est la même. Comme a dit le juge en chef Laskin en confirmant ce jugement séance tenante ([1979] 2 R.C.S. 153, p. 153‑54) :
La plaidoirie de l’avocat de l’appelant a surtout porté sur le droit de son client de pouvoir faire déduire des dommages‑intérêts dont il est tenu, les prestations d’invalidité auxquelles la demanderesse avait droit aux termes de son contrat manitobain conclu avec The Manitoba Public Insurance Corporation, comme si le par. 237(2) de The Ontario Insurance Act s’appliquait. L’engagement déposé par l’assureur manitobain, seul ou associé à l’art. 25 de The Ontario Insurance Act, n’est d’aucun secours à l’appelant sur ce point. Nous ne sommes pas d’avis que les prestations d’invalidité sont déductibles des dommages‑intérêts dus par l’appelant.
99 Notre Cour a donc reconnu l’effet limité du formulaire P&E, et elle a rejeté la thèse de l’intégration interprovinciale qu’invoque en l’espèce l’intimée. L’importance du formulaire P&E à cet égard a été exposée par le juge Goudge de la Cour d’appel de l’Ontario, à la p. 409 de l’arrêt Healy c. Interboro Mutual Indemnity Insurance Co. (1999), 44 O.R. (3d) 404 :
[traduction] [Le formulaire P&E] accorde les mêmes garanties légales à toute personne blessée dans un accident d’automobile survenu en Ontario, peu importe si le contrat d’assurance automobile en cause a été conclu en Ontario ou dans un autre ressort participant.
100 Le formulaire P&E vise à faciliter l’application des polices d’assurance, et non à aider les compagnies d’assurance — qui ont par ailleurs touché des primes pour la garantie d’assurance sans égard à la faute — à se faire indemniser de leurs pertes, dans leur ressort d’origine, par d’autres assureurs situés dans la province où l’accident a eu lieu et où les réclamations découlant de l’accident ont été débattues devant les tribunaux. L’appelante nous a cité cette observation du professeur Black :
[traduction] Le régime de réciprocité, dont le formulaire P&E est un élément fondamental, joue un rôle que l’on pourrait décrire assez librement comme tendant à l’indemnisation et à la protection du consommateur.
(V. Black, « Interprovincial Inter-Insurer Interactions : Unifund v. ICBC » (2002), 36 Rev. can. dr. comm. 436, p. 444)
101 Je suis d’accord avec cette observation. Plusieurs considérations viennent étayer cette conclusion :
Premièrement, comme il a été indiqué précédemment, la disposition liminaire du formulaire P&E, qui fixe le cadre applicable à l’ensemble du document, fait état des procédures intentées [traduction] « par suite d’un accident d’automobile survenu dans leur province [. . .] respecti[ve] », ce qui excluait, dans ce formulaire, la Colombie‑Britannique, province où l’accident s’est produit.
Deuxièmement, l’art. 275 de la Loi ontarienne est une disposition en matière d’indemnisation qui ne prend pas sa source dans la police d’assurance automobile elle-même. Comme leur nom l’indique, les IAL ou « indemnités d’accident légales » sont des indemnités prévues par la Loi ontarienne. Si l’intimée a raison, l’Ontario pouvait, à son gré, accorder n’importe quelle sorte d’indemnité à l’égard d’un accident survenu dans une autre province et obliger l’appelante à venir en Ontario rembourser l’assureur ontarien, peu importe si les lois de la Colombie‑Britannique permettaient de déduire quelque partie que ce soit de cette indemnité de la somme accordée par le jugement. Comme l’a souligné notre Cour à la p. 327 de l’arrêt Hunt, précité, « [u]ne province a sans doute intérêt à protéger les biens de ses résidents sur son territoire, mais elle ne peut pas le faire par des moyens inconstitutionnels. »
Troisièmement, la nature des trois engagements confirme le fait que le formulaire P&E vise les poursuites découlant directement des accidents d’automobile :
(1) Le premier engagement (celui de comparaître) prend effet avec la signification indirecte régulièrement effectuée au surintendant des assurances concerné. Si l’accident s’était produit en Ontario et que les auteurs du délit civil avaient été des visiteurs de la Colombie-Britannique, ils auraient pu recevoir signification (indépendamment du formulaire P&E) en vertu des règles relatives à la signification ex juris et l’appelante aurait été tenue par contrat de les défendre. En ce sens, le formulaire P&E ne fait que faciliter ce qui aurait été inévitable.
(2) Le deuxième engagement oblige l’assureur à faire signifier à personne à l’assuré les documents pertinents. En l’espèce, les assurés ne sont évidemment pas désignés comme partie à l’arbitrage proposé, tout simplement parce que les Brennan ne sont pas touchés par cette procédure. Comme je l’ai indiqué plus tôt, Unifund tente en l’espèce de tirer profit du régime établi par la Loi ontarienne et de se faire rembourser ainsi les sommes qu’elle a versées en vertu de la police d’assurance qu’elle a émise en Ontario, et à l’égard desquelles elle a reçu une prime. La non‑pertinence de cet engagement en ce qui concerne l’instance introduite par Unifund renforce la conclusion que le présent litige n’est pas visé par le formulaire P&E.
(3) Le troisième engagement consiste à s’abstenir d’invoquer un moyen de défense [traduction] « fondé sur le contrat d’assurance‑responsabilité automobile qu’elle a conclu ». Les mots « contrat d’assurance » s’entendent nécessairement des polices d’assurance émises en Colombie‑Britannique à l’égard du camion, du camionneur et de l’atelier de réparation. Cette interprétation est parfaitement logique lorsqu’on tente d’harmoniser une police d’assurance automobile émanant d’une autre province avec les lois de la province où s’est produit l’accident. La Cour d’appel de l’Ontario elle‑même a jugé que les moyens de défense qu’une société d’assurance pouvait soulever [traduction] « sont dictés par les lois de la province où l’accident a eu lieu » (je souligne) : Potts, précité, p. 562, citant Corbett c. Co‑operative Fire & Casualty Co. (1984), 14 D.L.R. (4th) 531 (B.R. Alb.), p. 535. Dans les décisions invoquées par l’intimée, Unifund, l’accident d’automobile s’était produit dans le ressort du tribunal qui avait « harmonisé » la police d’assurance émise dans une autre province avec les règles locales conformément aux modalités du formulaire P&E : voir Royal Insurance, précité, et Healy, précité, autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. xiii. Tous ces éléments sont toutefois peu pertinents dans une instance entre sociétés d’assurance introduite dans une province où l’accident n’est pas survenu.
(4) Le troisième engagement oblige en outre le signataire a exécuter, jusqu’à concurrence des limites prévues, tout jugement définitif prononcé contre lui [traduction] « à l’égard de la demande, de l’action ou de la procédure, relativement à toute garantie prévue par le contrat ou régime applicable ou qui doit, selon la loi, être prévue par le régime ou les contrats d’assurance automobile dans cette province ». Autrement dit, les actions visées par le formulaire P&E portent sur les sommes et les « garanties » prévues par la police d’assurance automobile source. Tout cela n’a cependant rien à voir avec la procédure d’indemnisation réciproque prévue par l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario.
Quatrièmement, le 16 décembre 1997, l’appelante a déposé, auprès de la Commission des assurances de l’Ontario, un engagement supplémentaire (intitulé [traduction] « Engagement à l’égard des défendeurs exclus »), lequel comporte notamment les stipulations suivantes :
[traduction] L’ASSUREUR S’ENGAGE à insérer, dans les polices d’assurance‑responsabilité automobile qu’il émet, à tout le moins les garanties prévues en Ontario, qui sont énoncées précédemment, lorsque les automobiles qu’il assure sont utilisées en Ontario. . .
. . .
L’ASSUREUR ACCEPTE ÉGALEMENT d’être assujetti aux lois de l’Ontario et de comparaître en défense à l’égard de toute réclamation fondée sur les polices d’assurance‑responsabilité automobile qu’il émet. [Je souligne.]
Bien que l’engagement à l’égard des défendeurs exclus s’applique en sus du formulaire P&E, qui demeure toujours en vigueur, j’estime que ses modalités confirment la nature des engagements intervenus entre l’appelante et l’Ontario, c’est-à-dire la présentation de défenses en cas de réclamations fondées sur les polices d’assurance émises par l’appelante, et non la présentation de défenses en cas de réclamations fondées sur la Loi ontarienne et sollicitant la répartition du coût des paiements que requiert cette loi entre les compagnies d’assurance assujetties à celle-ci.
102 Comme je l’ai indiqué plus tôt, le fait que l’appelante, ICBC, ait à l’occasion acquiescé à la compétence des tribunaux de l’Ontario en présentant une défense au nom d’automobilistes de la Colombie‑Britannique ayant eu des accidents en Ontario, ne constitue pas un acquiescement général à la compétence des tribunaux ontariens relativement à tout accident — peu importe le lieu où il se produit — et aux procédures qui en découlent.
103 Les tribunaux devraient s’efforcer de donner plein effet aux arrangements interprovinciaux volontaires conclus en vue de surmonter certaines des difficultés d’ordre pratique inhérentes à notre structure fédérale. Cela n’est toutefois pas sans risque, car si les tribunaux exagèrent les effets de ces arrangements volontaires et imposent en conséquence aux parties des obligations qu’elles n’avaient jamais envisagées, celles‑ci pourraient ne plus être disposées à coopérer. À mon avis, l’intimée cherche par son argument à donner au formulaire P&E une portée plus large que celle qu’il est censé avoir. Retenir cet argument aurait pour effet non pas de renforcer, mais plutôt d’affaiblir la coopération interprovinciale volontaire dans le domaine de l’assurance automobile. Si les assureurs souhaitent accroître cette coopération volontaire, le formulaire P&E peut être modifié pour réaliser cet objectif.
104 Si, conformément à la conclusion à laquelle je suis arrivé plus tôt, l’appelante ne relève pas de quelque autre façon de la compétence législative de l’Ontario, le formulaire P&E n’a pas pour effet de l’y assujettir par consentement.
105 Quoi qu’il en soit, comme je l’ai souligné précédemment, même si on considérait (à tort selon moi) que le formulaire P&E oblige l’appelante à contester la demande présentée par Unifund en Ontario, rien dans le formulaire P&E n’empêche l’appelante de contester la portée extraterritoriale qu’aurait, prétend-on, l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario. Pour les motifs exposés plus tôt, un tel moyen de contestation serait accueilli. Peu importe l’angle sous lequel on considère la présente affaire, la demande de l’intimée doit être rejetée.
(iii) Le juge aurait‑il dû examiner la question du forum non conveniens, ou, ayant conclu que la Loi ontarienne était constitutionnellement applicable, aurait-il dû renvoyer cette question à l’arbitre (« la question du forum non conveniens »)?
106 Puisque j’ai conclu, en réponse à la question constitutionnelle, que le régime ontarien ne s’applique pas à l’appelante de l’extérieur de la province eu égard aux faits de l’espèce, la question du forum non conveniens est devenue théorique. L’intimée ne dispose d’aucune cause d’action prévue par la loi la fondant à intenter des poursuites en Ontario ou en Colombie-Britannique. La demande de Unifund est constitutionnellement défectueuse et doit être rejetée.
X. Conclusion
107 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens dans toutes les cours, et de rejeter la demande de l’intimée.
108 La question constitutionnelle devrait recevoir la réponse suivante :
Q. L’article 275 de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8 et ses modifications, est‑il constitutionnellement inapplicable à l’appelante pour le motif que, dans les circonstances de la présente affaire, son application ne serait pas conforme aux limites territoriales de la compétence provinciale?
R. Oui.
Version française des motifs des juges Major, Bastarache et Deschamps rendus par
Le juge Bastarache (dissident) —
I. Introduction
109 Le présent pourvoi concerne deux assureurs qui sont parties à un régime de réciprocité visant l’exécution des demandes d’indemnités présentées par les victimes d’accidents d’automobile. Les parties ne s’entendent ni sur les effets du régime ni sur l’application extraterritoriale de la Loi sur les assurances de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. I.8, plus particulièrement l’art. 275 de cette loi, qui précise que l’assureur d’un assuré non responsable de l’accident, en l’occurrence Unifund Assurance Company (« Unifund »), a droit d’être indemnisé par l’assureur de l’auteur du délit civil, en l’occurrence Insurance Corporation of British Columbia (« ICBC »), lorsque les indemnités à verser dépassent 2 000 $. Est également en litige le pouvoir de l’arbitre visé au par. 275(4) de la Loi sur les assurances de l’Ontario de trancher les questions de la simple reconnaissance de compétence, du forum conveniens et du choix du droit applicable.
110 Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il appartient aux juges des cours supérieures de trancher les questions de la simple reconnaissance de compétence et du forum conveniens. Eu égard aux faits en l’espèce, je suis également d’avis que, en signant le document intitulé [traduction] « Procuration et engagements » (le « formulaire P&E »), ICBC a accepté que les lois ontariennes régissant la question s’appliquent à la présente affaire. Ce document, interprété à la lumière des principes de droit international privé qui ont été énoncés dans l’arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, et confirmés récemment dans l’arrêt Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205, 2002 CSC 78, constitue une assise solide pour justifier l’application aux parties de la Loi sur les assurances de l’Ontario. En raison notamment de l’acquiescement à la compétence des tribunaux ontariens, j’estime que la question visée a un lien suffisant avec cette province pour rendre la loi applicable à ICBC en l’espèce.
II. Les faits
111 M. et Mme Brennan, des résidents de l’Ontario, ont été blessés au cours d’un voyage en Colombie‑Britannique en 1995. Un camion gros porteur a heurté la voiture qu’ils avaient louée sur place, et l’accident a laissé Mme Brennan quadriplégique. Par la suite, les Brennan sont retournés en Ontario. Tous les véhicules en cause dans l’accident étaient immatriculés en Colombie‑Britannique et assurés par l’appelante, ICBC, laquelle vend l’assurance obligatoire dans cette province. M. et Mme Brennan ont reçu de leur assureur, l’intimée, Unifund, des indemnités d’accident légales substantielles.
112 Les Brennan ont obtenu des dommages‑intérêts élevés à l’issue d’une action intentée en Colombie‑Britannique contre le propriétaire et conducteur du camion gros porteur, et contre le garage qui avait réparé ce véhicule. Le juge de première instance n’a examiné que la question du montant des dommages-intérêts, étant donné que les trois défendeurs, assurés par l’appelante, ont reconnu leur responsabilité conjointe : Brennan c. Singh, [1999] B.C.J. No. 520 (QL) (C.S.). Conformément à l’art. 25 de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Insurance (Motor Vehicle) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 231, les trois codéfendeurs et auteurs du délit civil ont demandé que soit déduite des dommages‑intérêts la somme obtenue par les Brennan de l’intimée à titre d’indemnités d’accident légales. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé que la police émise par ICBC à l’égard du garage constituait une assurance automobile au sens de l’Insurance (Motor Vehicle) Act de la Colombie‑Britannique et que les auteurs du délit avaient droit, en vertu de l’art. 25, à la déduction des indemnités reçues de l’intimée : Brennan c. Singh (2000), 75 B.C.L.R. (3d) 93, 2000 BCCA 294, conf. (1999), 70 B.C.L.R. (3d) 342 (C.S.). Une action est en instance devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique afin de déterminer l’indemnité dont le tribunal ordonnera la soustraction du montant des dommages‑intérêts : Brennan c. Singh (2001), 15 C.P.C. (5th) 17, 2001 BCSC 1812.
113 Les parties ont été incapables de s’entendre sur l’indemnisation visée à l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario, l’appelante, ICBC, plaidant l’inapplication de cette loi. En conséquence, l’intimée, Unifund, a demandé à la Cour supérieure de l’Ontario la nomination d’un arbitre suivant l’article 10 de la loi ontarienne intitulée Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, ch. 17. En réponse à cette demande, l’appelante a effectué deux démarches. Premièrement, elle a sollicité de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une ordonnance déclarant, d’une part, que ce sont les lois de la Colombie‑Britannique (et non celles de l’Ontario) qui s’appliquent à l’égard des droits des deux assureurs, et, d’autre part, que l’intimée n’a aucun droit de subrogation en vertu des lois de la Colombie‑Britannique. Deuxièmement, elle a demandé à un juge de l’Ontario d’ordonner la suspension de l’arbitrage.
114 Selon le formulaire P&E, document dont le titre est [traduction] « Carte d’assurance‑responsabilité automobile interprovinciale pour non‑résidents du Canada », lorsqu’un assuré est poursuivi dans une autre province ou un autre territoire, le surintendant des assurances de cet endroit accepte de recevoir signification d’actes de procédure ou d’avis au nom de l’assureur ou de son assuré, et l’assureur s’engage à comparaître à l’action. À titre de signataire du formulaire P&E, l’assureur s’engage également à ne pas présenter, à l’égard de toute action découlant d’un contrat de responsabilité automobile, de moyen de défense qui ne pourrait être invoqué dans la province où l’action a été intentée, et à exécuter le jugement jusqu’à concurrence de la plus élevée des sommes suivantes : la garantie maximale prévue par le contrat ou la somme minimale prévue pour ce genre ou cette catégorie de garantie par les lois en vigueur dans la province ou le territoire où l’action a été intentée. Ce régime de réciprocité assure l’exécution uniforme des réclamations d’assurance automobile au Canada et, dans une moindre mesure, en Amérique du Nord.
III. Les dispositions législatives pertinentes
115 Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8
275 (1) L’assureur tenu de payer, aux termes du paragraphe 268(2), des indemnités d’accident légales à des catégories de personnes qui peuvent être nommées dans les règlements a droit, sous réserve des conditions, dispositions, exclusions et restrictions qui peuvent être prescrites, à une indemnisation, en ce qui concerne les indemnités qu’il a payées, de la part des assureurs d’une catégorie ou des catégories d’automobiles qui peuvent être nommées dans les règlements et qui étaient impliquées dans l’incident dont découle l’obligation de payer des indemnités d’accident légales.
(2) L’indemnisation visée au paragraphe (1) est effectuée en fonction du degré de responsabilité de l’assuré de chaque assureur tel qu’il est établi selon les règles de détermination de la responsabilité.
(3) Aucune indemnité n’est offerte aux termes du paragraphe (2) relativement à la première tranche de 2 000 $ d’indemnités d’accident légales payées à l’égard d’une personne mentionnée dans ce paragraphe.
(4) Si les assureurs n’arrivent pas à s’entendre à l’égard de l’indemnisation visée au présent article, le différend est réglé par voie d’arbitrage aux termes de la Loi sur l’arbitrage.
(5) Aucune audience d’arbitrage n’est tenue à l’égard de l’indemnisation visée au présent article si, en ce qui concerne l’incident qui a entraîné la demande d’indemnisation, un des assureurs et un assuré sont parties à une procédure de médiation entamée en vertu de l’article 280, à un arbitrage effectué aux termes de l’article 282, à un appel interjeté en vertu de l’article 283 ou à une instance judiciaire à l’égard d’indemnités d’accident légales.
IV. L’historique des procédures judiciaires
A. Cour supérieure de justice de l’Ontario (2000), 23 C.C.L.I. (3d) 96
116 Le juge Campbell a décidé que l’affaire portait uniquement sur la question de l’indemnisation entre deux assureurs en application de la Loi sur les assurances de l’Ontario. Il a conclu que son rôle ne consistait pas à décider de façon définitive du droit applicable au règlement du différend, mais plutôt à examiner la prépondérance des inconvénients dans le cadre d’une motion sollicitant le sursis de l’instance pour cause de forum non conveniens. Le juge des motions n’a pas examiné explicitement la question de la simple reconnaissance de la compétence.
117 Vu les circonstances, le juge des motions n’était pas convaincu qu’il y aurait, comme le craignait l’intimée, Unifund, perte d’un avantage juridique s’il ordonnait le sursis à l’arbitrage. Le caractère réciproque du régime et la nécessité qu’un tribunal d’une province donnée s’interroge sur l’applicabilité des règles dans une autre province ont amené le juge à conclure qu’il ne s’agissait pas simplement d’une affaire requérant d’un tribunal ontarien qu’il applique les lois de l’Ontario ou d’un tribunal de la Colombie‑Britannique qu’il applique les lois de cette province. L’un ou l’autre de ces tribunaux devra plutôt examiner la nature du régime de réciprocité au regard de la législation applicable dans les deux provinces. Le juge des motions a estimé que les facteurs pertinents justifiant de surseoir à l’arbitrage dans cette affaire étaient les suivants : (1) l’absence de preuve de quelque préjudice grave ou important pouvant être causé au demandeur s’il ordonnait le sursis à l’arbitrage; (2) la nécessité de favoriser le règlement expéditif des questions soulevées par le demandeur; (3) le risque important de jugements contradictoires si les deux instances devaient se poursuivre parallèlement. Le juge des motions a conclu que la balance penchait en faveur de la suspension de l’arbitrage en Ontario puisque, à son avis, la procédure d’arbitrage prévue par l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario n’a pas été instituée pour régler des questions de droit découlant de l’application d’un régime interprovincial créant des problèmes d’incompatibilité entre lois provinciales. Comme tous les éléments à l’origine du différend entre les assureurs ont pour point de départ un accident et une action en Colombie‑Britannique, les tribunaux de cette province ont été réputés être le forum approprié pour connaître du litige.
B. Cour d’appel de l’Ontario (2001), 204 D.L.R. (4th) 732
118 Rédigeant la décision unanime de la Cour d’appel, le juge Feldman a conclu que, lorsqu’une loi prévoit qu’une affaire doit être soumise à l’arbitrage en application de la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario, il appartient à l’arbitre de se prononcer sur les questions de compétence, sur les lois applicables et sur les questions de droit, sous réserve du droit des parties d’interjeter appel de sa décision à un tribunal judiciaire. Après avoir examiné la question du forum non conveniens, la Cour d’appel a estimé que le juge des motions avait commis une erreur en disant qu’un arbitre chargé de statuer sur les questions visées à l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario ne pouvait se prononcer que sur des questions [traduction] « régies par les lois de l’Ontario ». Premièrement, la Cour d’appel a décidé que la conclusion du juge des motions était incompatible avec l’art. 275, lorsque celui‑ci est lu en corrélation avec le texte du formulaire P&E auquel la Colombie‑Britannique et l’Ontario ont adhéré. Le paragraphe A de ce formulaire indique que la société signataire s’engage [traduction] « [à] comparaître à toute action ou autre procédure qui est intentée contre elle ou contre son assuré dans quelque province ou territoire et dont elle a connaissance ». La Cour d’appel a jugé, partiellement en raison de l’existence du formulaire P&E, que rien ne permettait de conclure que le par. 275(4) de la Loi sur les assurances de l’Ontario ne doit recevoir plein effet que dans les cas où les parties se trouvent en Ontario et les questions en litige y ont leur origine. Deuxièmement, selon la Cour d’appel, la conclusion du juge des motions était contraire à l’objet de la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario et aux pouvoirs conférés par cette loi au tribunal arbitral, à savoir celui de trancher en première instance toute question de droit et de compétence, sauf lorsque l’arbitre ou les parties acceptent de déférer la question à un tribunal judiciaire.
V. Analyse
A. Les questions d’ordre procédural
119 L’arrêt Morguard, précité, a modifié de façon radicale le droit en matière de saisine extraprovinciale et d’application extraterritoriale de lois provinciales. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les principes d’ordre et d’équité requièrent que soient assorties de limites la portée des lois provinciales visant à faciliter l’exécution des jugements émanant de l’extérieur de la province concernée, mais que les tribunaux d’une autre province peuvent néanmoins se saisir d’une affaire sur la base d’un lien réel et substantiel. La question de la territorialité s’est présentée à nouveau dans l’arrêt Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, où notre Cour s’est demandée si une loi québécoise interdisant la communication à l’extérieur de la province de tout document relatif à une entreprise commerciale située au Québec était ultra vires parce qu’elle portait sur une matière de nature extraprovinciale ou qu’elle était constitutionnellement inapplicable aux procédures judiciaires se déroulant dans une autre province. Dans l’arrêt Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, notre Cour a examiné la question de savoir quel droit doit régir les affaires dans lesquelles des intérêts situés dans plusieurs ressorts sont en jeu, en particulier lorsqu’il s’agit d’accidents d’automobile touchant des résidents de provinces différentes. Les principes élaborés dans les arrêts Hunt et Tolofson ne sont pas toutefois d’un grand secours dans le présent pourvoi, puisque nous sommes en présence d’une affaire d’acquiescement à la compétence des tribunaux, dans le contexte d’un conflit entre assureurs. En l’espèce, le problème tient au fait que les parties ne s’entendent ni sur les effets à donner au formulaire P&E ni sur la question de savoir si la signature de ce document constitue un acquiescement à la compétence des tribunaux et des lois de l’Ontario. Préalablement, toutefois, il faut se demander si ces diverses questions doivent être tranchées par un juge d’une cour supérieure ou, comme l’a décidé la Cour d’appel de l’Ontario, par un arbitre.
120 Dans ses motifs, la Cour d’appel a invoqué le paragraphe A du formulaire P&E, soit l’engagement à comparaître, et le fait que la conclusion du juge des motions selon laquelle l’Ontario est un forum non conveniens serait incompatible avec les dispositions de la Loi sur les assurances de cette province. L’appelante, ICBC, prétend que s’il existe quelque doute quant à l’application de la Loi sur les assurances de l’Ontario ou au choix de l’Ontario en tant que forum approprié, il n’appartient pas à l’arbitre nommé en vertu de la loi même dont l’application est contestée de dissiper ce doute. L’appelante affirme que la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario ne donne pas à l’arbitre compétence exclusive pour interpréter les lois en vue de statuer sur leur applicabilité au regard de la Constitution. L’appelante plaide qu’une partie ne devrait pas être tenue de s’en remettre à un tribunal administratif dont on conteste l’existence, l’autorité et la compétence fondamentales, sans d’abord pouvoir demander à un tribunal judiciaire de se prononcer sur cette importante question préliminaire.
121 L’intimée, Unifund, fait sienne l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle il appartient à l’arbitre de se prononcer en première instance sur la question préliminaire de savoir si l’assureur est un assureur au sens de l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario. L’intimée, Unifund, prétend que le fait pour l’appelante de qualifier cette question préliminaire de question de compétence et de constitutionnalité n’a pas pour effet de transformer la nature de l’examen et d’enlever à l’arbitre le pouvoir de prendre une telle décision. Elle soutient que la clause d’arbitrage obligatoire prévue au par. 275(4) de la Loi confère à l’arbitre compétence exclusive pour statuer, en première instance, sur toutes les questions soulevées par l’appelante.
122 J’estime que la première question présentée au juge des motions était celle de la simple reconnaissance de compétence et que, quoi qu’il en soit, il n’avait d’autre choix que de l’examiner avant d’aborder celle du forum conveniens. Bien qu’il puisse être difficile de dissocier complètement ces deux questions de compétence, je suis d’avis que la Cour d’appel ne pouvait décider que toute l’affaire relevait de l’arbitre sans implicitement conclure à l’application de la Loi sur les assurances de l’Ontario. Cette opinion repose sur le fait que la nomination de l’arbitre dépend de l’application de l’art. 275 de cette loi. En toute déférence, la décision de la Cour d’appel est, selon moi, illogique, puisqu’elle ordonne la nomination d’un arbitre tout en laissant à celui‑ci le soin de statuer sur la constitutionnalité de sa compétence.
123 L’argument voulant que comme l’arbitre a le mandat de trancher les questions de droit et qu’il doit en conséquence se prononcer sur celles‑ci avant qu’un tribunal judiciaire puisse le faire n’est pas convaincant en l’espèce, vu la nature même de la prétention de l’appelante, savoir que la loi ontarienne imposant l’arbitrage est constitutionnellement inapplicable. Je ne vois pas comment l’arbitre peut disposer de quelque compétence que ce soit si la procédure l’autorisant à trancher des questions de droit excède les pouvoirs de la législature. Ce raisonnement est compatible avec les principes qui régissent la Loi type sur l’arbitrage commercial international adoptée en 1985 par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, dont est inspirée la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario. Le paragraphe 8(1) de la Loi type est rédigé ainsi :
Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.
L’application territoriale de la Loi sur les assurances de l’Ontario est une question distincte de celles examinées dans les affaires portant sur le pouvoir de tribunaux administratifs de statuer sur leur propre compétence. À mon avis, ce point de vue concorde avec l’opinion exprimée par le juge La Forest dans l’arrêt Morguard, précité, p. 1099‑1100 :
Le système judiciaire canadien est organisé de telle manière que toute crainte de différence de qualité de justice d’une province à l’autre ne saurait être vraiment fondée. Tous les juges de cour supérieure — qui ont également un pouvoir de contrôle sur d’autres tribunaux judiciaires et administratifs provinciaux — sont nommés et rémunérés par les autorités fédérales. De plus, toutes les cours de justice sont sujettes à l’examen en dernier ressort de leurs décisions par la Cour suprême du Canada qui peut décider si les cours d’une province ont à bon droit exercé leur compétence dans une action et dans des circonstances où les cours d’une autre province devraient reconnaître ces jugements.
Cette même idée est énoncée de façon convaincante dans l’arrêt Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc., [1983] 1 R.C.S. 147, p. 162‑163.
B. La simple reconnaissance de compétence
124 La première question à trancher est donc celle de la simple reconnaissance de compétence. Dans l’arrêt Morguard, il a été jugé que, pour des raisons de courtoisie judiciaire, l’exercice d’une compétence extraterritoriale dépend de l’existence d’un lien réel et substantiel avec le tribunal qui s’est déclaré compétent et qui a rendu jugement. Aux pages 324 à 328 de l’arrêt Hunt, précité, notre Cour a donné à ces considérations une valeur de principe constitutionnel, tout en reconnaissant qu’elle n’avait pas entièrement fixé leur sens et leurs limites. Exprimant l’opinion unanime de notre Cour dans l’arrêt Spar Aerospace, précité, le juge LeBel a souligné, au par. 52, qu’il fallait faire montre de souplesse dans l’application du critère du « lien réel et substantiel ». Le juge LeBel a invoqué à cet égard les propos tenus par le juge La Forest à la p. 1106 de l’arrêt Morguard (et souscrit par le fait même à la démarche retenue par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393, p. 408‑409), relativement à la condition exigeant que toute décision concluant à la compétence soit « intrinsèquement raisonnable ». Plus loin, au par. 56 de l’arrêt Spar Aeorspace, le juge LeBel estime que les divers éléments énumérés au par. 3148(3) du Code civil du Québec — faute, fait dommageable, préjudice et contrat — sont autant d’exemples de lien réel et substantiel entre une province et une action pour l’application du critère de la simple reconnaissance de compétence. Approuvant un certain nombre de décisions dans lesquelles les tribunaux ont jugé que le préjudice subi dans une province était suffisant pour établir l’existence d’un lien réel et substantiel (ce qui, dans la majorité des cas, a permis au tribunal choisi par le demandeur de se déclarer compétent), le juge LeBel conclut que la reconnaissance d’une large assise juridictionnelle, découlant d’une application moins stricte du critère du lien réel et substantiel, est d’autant plus avantageuse lorsqu’il est possible de réduire les acceptations inappropriées de compétence par l’application de la doctrine du forum non conveniens : Spar Aerospace, par. 58‑61.
125 Il existe manifestement un lien entre les notions de simple reconnaissance de compétence et de forum non conveniens, et les facteurs déterminants dans le deuxième cas recoupent ceux applicables dans le premier. Néanmoins, la détermination de la compétence commande l’application d’une règle de droit impérative, et non d’une règle discrétionnaire, comme l’a fait remarquer, au par. 43 de l’arrêt Muscutt c. Courcelles, (2002), 60 O.R. (3d) 20, le juge Sharpe, qui exprimait alors la décision unanime de la Cour d’appel de l’Ontario. Le premier volet de cette détermination consiste à se demander s’il existe un lien suffisant entre le tribunal et l’action, et non si ce lien est plus solide que ceux qui existent entre l’action et d’autres forums. L’examen de la simple reconnaissance de compétence repose sur des considérations relatives à l’ordre, à l’équité et l’efficacité, dans le contexte des besoins du fédéralisme moderne.
126 Au paragraphe 53 de l’arrêt Muscutt, le juge Sharpe a conclu que l’al. 17.02h) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, lequel autorise la signification à l’extérieur de l’Ontario, est un mécanisme procédural constitutionnellement valide, qui n’empêche pas la partie qui reçoit signification de présenter une motion pour faire annuler la signification ou suspendre l’instance. La Cour d’appel a jugé que l’assujettissement personnel n’est pas un élément requis pour établir la simple reconnaissance de compétence, et qu’un lien substantiel avec l’objet du litige suffit. Ce raisonnement est, à mon avis, compatible avec les motifs exposés par notre Cour dans l’arrêt Spar Aerospace. Je tiens toutefois à signaler que plusieurs décisions de première instance, s’inspirant peut‑être de la doctrine américaine des [traduction] « liens minimaux », ont fait du lien entre le défendeur et le tribunal un préalable à la simple reconnaissance de compétence : Muscutt, par. 59‑62; voir, par exemple : Long c. Citi Club, [1995] O.J. No. 1411 (QL) (Div. gén.), par. 7; Brookville Transport Ltd. c. Maine (1997), 189 R.N.-B. (2e) 142 (B.R.), par. 23; Negrych c. Campbell’s Cabins (1987) Ltd., [1997] 8 W.W.R. 270 (B.R. Man.), par. 6. Je ne peux souscrire à ce raisonnement. De fait, plusieurs cours d’appel l’ont rejeté, dont celle de l’Ontario (Muscutt, par. 74; McNichol Estate c. Woldnik (2001), 150 O.A.C. 68, par. 12‑16), de la Nouvelle‑Écosse (Oakley c. Barry (1998), 158 D.L.R. (4th) 679, p. 691‑692 et 698‑699; O’Brien c. Canada (Attorney General) (2002), 210 D.L.R. (4th) 668, par. 20‑21) et de la Colombie‑Britannique (Pacific International Securities Inc. c. Drake Capital Securities Inc. (2000), 194 D.L.R. (4th) 716, par. 15‑17; Cook c. Parcel, Mauro, Hultin & Spaanstra, P.C. (1997), 143 D.L.R. (4th) 213, par. 20). Quoi qu’il en soit, à l’instar du juge Sharpe, j’estime qu’il faut préférer une théorie plus large que celle de l’assujettissement personnel et j’approuve la thèse défendue par G. D. Watson et F. Au dans « Constitutional Limits on Service Ex Juris : Unanswered Questions from Morguard » (2000), 23 Advocates’ Q. 167, thèse qu’il explique en ces termes au par. 73 de l’arrêt Muscutt :
[traduction] Se fondant sur ces objections, Watson et Au concluent qu’il faut considérer que le critère du lien réel et substantiel requiert l’existence d’un lien entre le tribunal et le défendeur, ou entre le tribunal et l’objet de l’action. À leur avis, le lien qui existe entre le défendeur et le ressort ne devrait pas déterminer le choix du tribunal, il ne constitue qu’un facteur pertinent qui doit être soupesé avec d’autres.
127 Le présent pourvoi ne porte pas sur une question d’acquiescement à compétence par simple acceptation de la signification, mais plutôt sur la portée du formulaire P&E eu égard à l’interrelation des différents régimes provinciaux d’assurance automobile. Ce fait n’enlève rien à la pertinence, pour trancher le présent pourvoi, de l’analyse faite plus tôt relativement à la condition exigeant l’existence d’un lien personnel pour l’établissement de la simple reconnaissance de compétence, condition que ne requiert pas la jurisprudence postérieure à l’arrêt Morguard.
128 L’appelante, ICBC, soutient que, selon les règles d’interprétation législative, la Loi sur les assurances de l’Ontario ne s’applique pas en l’espèce. Le modèle d’arbitrage retenu dans cette loi ne s’applique pas à elle, affirme l’appelante, parce qu’elle n’est pas un « assureur » au sens de la Loi, du fait qu’elle n’est pas autorisée à exercer ses activités en Ontario et qu’elle ne le fait d’ailleurs pas. Elle prétend que la Loi sur les assurances de l’Ontario n’a pas pour effet d’étendre l’application du régime provincial de répartition des pertes aux assureurs de l’extérieur de la province qui n’assurent pas les résidents ontariens et dont les obligations résultent d’accidents survenus à l’extérieur de l’Ontario. Selon l’appelante, le formulaire P&E ne change rien à la conclusion que les lois ontariennes ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce. Elle fait valoir que le régime de réciprocité auquel les assureurs souscrivent en Amérique du Nord vise la protection des assurés et des personnes ayant le droit d’être indemnisées par ceux‑ci. L’appelante estime en conséquence que le désir de l’intimée d’imposer un régime de répartition des pertes dans une affaire résultant d’un accident survenu en Colombie‑Britannique n’a rien à voir avec l’objet du formulaire P&E ou du régime de réciprocité. Elle plaide que le formulaire P&E n’emporte pas assujettissement général ou total aux lois de l’Ontario à toutes fins et dans tous les cas.
129 En l’espèce, l’action principale en responsabilité délictuelle n’est pas un facteur pertinent pour simplement reconnaître compétence à l’Ontario. Sont pertinents, d’une part le fait que, en signant le formulaire P&E, les assureurs ont reconnu la connexité entre les régimes d’assurance au Canada, et d’autre part le fait qu’ils aient accepté que les assureurs d’une province puissent à l’occasion être poursuivis dans une autre. À mon avis, il est donc raisonnablement prévisible que l’appelante sera parfois tenue de comparaître en Ontario afin de se défendre contre une action intentée dans cette province à la suite d’un accident survenu en Colombie‑Britannique. L’appelante est, en principe à tout le moins, assureur en Ontario ou un assureur exerçant des activités dans cette province. En fait, l’appelante a facilité la signification et a accepté, dans des cas limités, de ne pas plaider certains moyens de défense devant les tribunaux ontariens. Comme les assureurs qui participent au régime interprovincial à l’origine du présent pourvoi ont accepté le risque que des parties à l’accord venant d’autres provinces subissent un préjudice, il n’est pas injuste de considérer qu’ils ont acquiescé à la compétence des tribunaux ontariens. Je crois que toutes les raisons ayant justifié la reconnaissance d’une compétence élargie dans l’arrêt Morguard s’appliquent dans la présente affaire. Qui plus est, les exigences du fédéralisme canadien militent fortement en faveur de ce résultat. J’aimerais toutefois préciser, à ce stade‑ci de l’analyse, que ma conclusion ne porte pas atteinte au droit qu’a l’appelante, en l’espèce, de soutenir que l’Ontario est un forum non conveniens, ou que les lois ontariennes ne devraient pas s’appliquer.
130 En toute déférence, je ne peux souscrire à l’interprétation du juge Binnie, selon laquelle les mots [traduction] « province ou territoire concerné » figurant dans le premier paragraphe du formulaire P&E ont pour effet d’exclure la Colombie‑Britannique du champ d’application de ce document. La Colombie‑Britannique est l’une des diverses provinces qui participent au régime interprovincial. Compte tenu du fait que, comme il est indiqué au tout début du formulaire P&E, le siège de l’appelante ICBC est situé dans la ville de North Vancouver dans la province de Colombie‑Britannique, l’appelante n’a pas besoin de désigner le surintendant des assurances de la Colombie‑Britannique pour qu’il reçoive signification des avis ou actes de procédure. La seule raison pour laquelle le nom de la Colombie‑Britannique a été biffé dans le formulaire P&E est le fait que l’appelante est liée par les règles ordinaires en matière de signification pour ce qui est des actions intentées contre elle en Colombie‑Britannique.
131 L’appelante soutient que le formulaire P&E vise uniquement à protéger les assurés et les personnes ayant droit d’être indemnisées par ceux‑ci, et qu’il n’emporte pas acquiescement général à la compétence des tribunaux des autres ressorts signataires. L’appelante prétend que l’acquiescement à compétence auquel a consenti son assuré en matière d’accidents d’automobile n’a aucun rapport avec l’indemnisation entre assureurs. Relativement à l’interprétation du formulaire P&E, document rédigé en termes généraux, particulièrement le paragraphe A, l’appelante se réfère à l’art. 18 de la loi intitulée Insurance (Motor Vehicle) Act de la Colombie‑Britannique, qui précise sa capacité de prendre de tels engagements, afin de limiter la portée de ceux-ci. En outre, elle prétend que la promesse de comparaître vise les actions intentées de façon régulière, et que sa comparution ne doit pas être considérée comme ayant pour effet de restreindre son droit de soulever des questions de compétence. L’intimée affirme que l’existence d’un lien réel et substantiel entre l’Ontario et l’action est établie du fait qu’elle a versé des indemnités d’accident légales à son assuré conformément à la Loi sur les assurances de l’Ontario, et que l’appelante déduira ces sommes de celles qu’elle doit verser à l’assuré de l’intimée. Cette dernière soutient que, en réalité, l’appelante exerce des activités en Ontario, même si elle n’y vend pas de produits d’assurance, justement à cause des obligations qui lui incombent dans cette province, par l’effet du formulaire P&E, à l’égard des personnes assurées. Elle soutient que les termes du formulaire P&E sont suffisamment larges pour conclure à la simple reconnaissance de compétence parce qu’en signant ce document l’appelante a chargé le surintendant des assurances de l’Ontario d’accepter en son nom la signification d’avis ou d’actes de procédure [traduction] « relativement aux actions ou autres procédures intentées contre elle ou contre son assuré, ou contre son assuré et d’autres, par suite d’un accident d’automobile survenu dans quelque province ou territoire concerné » (je souligne). L’intimée prétend également que l’appelante s’est engagée « [à] comparaître à toute action ou autre procédure qui est intentée contre elle ou contre son assuré dans quelque province ou territoire et dont elle a connaissance » (je souligne).
132 Je reconnais que l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario, la disposition relative à l’indemnisation en litige dans le présent pourvoi, ne vise pas directement à protéger les assurés et les personnes à qui ceux‑ci causent préjudice, ni à faciliter la libre circulation des personnes au Canada. Cela dit, lorsqu’il s’agit de trancher la question de la simple reconnaissance de compétence, je ne crois pas qu’il soit raisonnable de s’engager dans une interprétation élément par élément d’un régime pourvoyant à l’intégration des garanties d’assurance en vigueur dans l’ensemble du Canada, et d’établir des distinctions entre les indemnités payables à l’assuré, d’une part, et l’indemnisation de leurs assureurs, d’autre part. Lorsqu’on examine des réclamations, dont certaines relèvent du formulaire P&E et d’autres non, il est intéressant, selon moi, de souligner la démarche globale similaire qu’a adoptée le juge Goudge de la Cour d’appel de l’Ontario dans son analyse de la simple reconnaissance de compétence, aux par. 11 à 13 de l’arrêt McNichol Estate, précité. À ce stade‑ci, il n’existe aucune raison valable d’interpréter restrictivement le formulaire P&E afin de surmonter l’approche fondée sur des principes élaborée dans l’arrêt Morguard.
133 À la lumière des paragraphes qui précèdent, dans lesquels j’admets que l’existence d’un lien avec l’objet de l’action suffit pour établir la simple reconnaissance de compétence d’un tribunal vu la démarche souple à laquelle a souscrit notre Cour, je pense qu’on peut légitimement dire qu’il existe un certain nombre de facteurs qui, conjugués aux termes généraux du formulaire P&E, indiquent que l’appelante est assujettie aux lois et tribunaux de l’Ontario. J’accepte la thèse de l’intimée selon laquelle tous les éléments suivants incitent à conclure à la simple reconnaissance de compétence : les indemnités que l’intimé a versées à un résident de l’Ontario et que l’appelante a ensuite déduites, la promesse générale de comparaître faite par l’appelante et son engagement limité de ne pas présenter certains moyens de défense dans les actions intentées en Ontario. En outre, j’estime que s’applique en l’espèce le raisonnement suivi par le juge Goudge, qui exprimait alors l’opinion unanime de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Insurance Corp. of British Columbia c. Royal Insurance Co. of Canada, [1999] I.L.R. ¶I‑3705. Dans cette affaire, le juge de première instance avait conclu que le droit à l’indemnisation prévu au par. 275(1) de la Loi sur les assurances de l’Ontario ne s’appliquait qu’aux assureurs tenus de verser les indemnités d’accident légales en vertu du par. 268(2) de la Loi. Il était d’avis que l’art. 268 de la Loi ne pouvait s’appliquer qu’aux contrats conclus en Ontario. Ne partageant pas cet avis, la Cour d’appel a exprimé son désaccord et a conclu, à la p. 5759, [traduction] « qu’un assureur de l’extérieur de la province qui a choisi d’adhérer au régime de réciprocité est tenu de verser les indemnités d’accident légales prévues par le par. 268(1) de la Loi sur les assurances, au même titre que si sa police était une police ontarienne de responsabilité automobile valide. En déposant le formulaire P&E, cet assureur [ICBC dans cette affaire] s’est engagé à respecter la garantie d’assurance sans égard à la faute prescrite par les par. 268(1) et (2). » La question que nous devons trancher à ce stade‑ci n’est pas de savoir si le choix du droit applicable aurait justifié un résultat différent dans l’arrêt Royal Insurance, mais de savoir si l’intégration des régimes provinciaux est réalisée de façon réelle et substantielle par l’obligation, prévue par le formulaire P&E, de verser les indemnités d’accident légales dans une autre province. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la simple reconnaissance de compétence est une question préliminaire, distincte des questions touchant le forum non conveniens et le choix du droit applicable. Je rejette l’idée que les analyses concernant ces questions devraient influer d’une manière ou d’une autre sur la décision relative à la simple reconnaissance de compétence. Cette conclusion est conforme à la démarche adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt unanime Berg (Litigation guardian of) c. Farm Bureau Mutual Insurance Co. (2000), 50 O.R. (3d) 109, démarche qui est à mon avis celle qu’il convient d’appliquer.
134 Ayant conclu à la simple reconnaissance de compétence, je dois maintenant décider si la question du forum non conveniens doit être tranchée par un tribunal judiciaire ou être renvoyée à un arbitre conformément à l’ordonnance de la Cour d’appel. À mon sens, les arguments justifiant qu’un tribunal judiciaire, et non un arbitre, statue sur la question de la simple reconnaissance de compétence dans la présente affaire s’appliquent également à la question de savoir si le tribunal ou l’arbitre doit décider s’il existe un autre tribunal plus approprié en l’espèce. La question du forum non conveniens est une question préliminaire qui doit être soulevée à la première occasion et tranchée avant que l’arbitre puisse avoir effectivement compétence dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis.
C. Contrôle de la décision relative au forum conveniens
135 La Cour d’appel ne s’est pas penchée sur cette question, estimant plutôt qu’un arbitre devait d’abord décider s’il existait un autre tribunal nettement plus approprié pour connaître de l’action. Quant au juge des motions, il avait décidé de surseoir à l’instance en Ontario pour les motifs suivants : il n’était pas convaincu que cette décision ferait perdre à l’intimée un avantage juridique; l’art. 275 de la Loi sur les assurances de l’Ontario n’a pas pour objet de régler des questions se soulevant dans le cadre d’un régime interprovincial; le fond du différend entre les parties est une action civile intentée en Colombie‑Britannique par suite d’un accident d’automobile survenu dans cette province.
136 L’appelante prétend qu’il a clairement été établi que la Colombie‑Britannique est le « ressort naturel » pour connaître de la demande d’indemnisation de l’intimée, étant donné que tous les faits à l’origine de la réclamation sont survenus dans cette province et que toutes les procédures judiciaires en découlant y ont été intentées. Elle ajoute que les tribunaux de la Colombie‑Britannique sont parfaitement capables de déterminer quel est le droit applicable et, au besoin, d’appliquer celui d’une autre province. L’intimée répond que le juge des motions a mal appliqué le fardeau de la preuve, du fait qu’il n’a pas obligé l’appelante à démontrer que la Colombie‑Britannique était clairement le ressort le plus approprié, mais s’est plutôt contenté d’exiger que l’intimée prouve qu’elle perdrait un avantage juridique s’il ordonnait la suspension de l’instance. Selon l’intimée, les autres facteurs dont il aurait fallu tenir compte sont les suivants : Les Brennan, ses assurés, sont des résidents de l’Ontario; les indemnités d’accident légales ont été versées en Ontario en vertu d’un contrat conclu dans cette province; le droit à l’indemnisation prend sa source en Ontario en vertu des lois de cette province; les documents et les témoins importants nécessaires pour décider du droit à l’indemnisation revendiqué se trouvent en Ontario; le droit à l’indemnisation n’a aucun lien avec l’action en responsabilité délictuelle intentée en Colombie‑Britannique; en signant le formulaire P&E, l’appelante a confié au surintendant des assurances de l’Ontario la responsabilité de recevoir signification des actes de procédure et autres documents et elle s’est engagée à comparaître à toute action ou autre procédure intentée contre elle; l’intimée n’est pas un assureur autorisé à exercer ses activités en Colombie‑Britannique.
137 À l’instar de l’intimée, j’estime que le critère applicable pour décider si le tribunal choisi par le demandeur à l’action est un forum non conveniens consiste à se demander si on a clairement établi l’existence d’un tribunal plus approprié : Amchem Products Inc. c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897, p. 920‑921; opinion confirmée par notre Cour dans l’arrêt Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), [2001] 3 R.C.S. 907, 2001 CSC 90, par. 89. Lorsqu’aucun des tribunaux n’est clairement le plus approprié, le tribunal interne l’emporte ipso facto : Amchem, p. 931. Le juge des motions a commis une erreur de droit en appliquant le critère de la prépondérance des inconvénients, puisque « la partie dont la demande a un lien réel et important avec un ressort peut légitimement faire valoir les avantages qu’elle peut en retirer » : Amchem, p. 920.
138 Pour ce qui est de la perte d’un avantage juridique, j’estime que le juge des motions a appliqué un critère excessivement exigeant lorsqu’il a sursis à l’instance, en partie parce qu’il n’était pas convaincu que l’intimée perdrait un avantage juridique. Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Amchem, p. 920 :
Le poids à accorder à un avantage juridique dépend grandement du lien des parties avec le ressort en question. [. . .] [L]a partie dont la demande a un lien réel et important avec un ressort peut légitimement faire valoir les avantages qu’elle peut en retirer. La légitimité de sa demande repose sur l’attente raisonnable qu’en cas de litige découlant de l’opération en cause, elle pourra se prévaloir de ces avantages. [Je souligne.]
En d’autres termes, la partie n’a qu’à démontrer qu’elle possède de [traduction] « bonnes chances d’obtenir un avantage en poursuivant l’action dans le ressort désiré » : Avenue Properties Ltd. c. First City Development Corp. (1986), 32 D.L.R (4th) 40 (C.A.C.-B.), p. 46‑47. En raison du lien réel et substantiel que l’intimée possède avec l’Ontario, je suis d’avis qu’elle peut légitimement faire valoir les avantages qu’elle peut tirer du régime d’indemnisation réciproque de l’Ontario, et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle les fasse valoir. L’intimée a de bonnes chances d’obtenir un avantage en intentant l’action en Ontario. D’autres facteurs sont également importants : il faut tenir compte des considérations de politique générale pertinentes, de l’endroit où les parties exploitent leur entreprise, des aspects pratiques et financiers de la tenue du litige dans un endroit ou dans l’autre, de la nécessité de dissuader les parties de s’adonner à la recherche d’un tribunal favorable (Holt Cargo Systems, par. 91) et de tous les autres facteurs pertinents qui peuvent se présenter.
139 À mon avis, ICBC n’a présenté aucune preuve établissant que la Colombie‑Britannique était clairement le forum le plus approprié. Le fait que l’action principale ait été intentée dans cette province n’a aucune pertinence, vu les questions qui se soulèvent en l’espèce. La présente action est tout à fait indépendante de celle dont est saisi le tribunal de la Colombie‑Britannique; elle a été introduite en Ontario, sur la base des paiements effectués en vertu d’une police d’assurance souscrite en Ontario. Bon nombre des facteurs mentionnés précédemment rattachent les parties à l’Ontario. De plus, la possibilité qu’il y ait indemnisation entre assureurs découle d’un régime législatif ontarien. Il est selon moi évident que l’intimée subira un désavantage juridique si l’action est entendue en Colombie‑Britannique. Il est clair que les deux parties craignent que le choix du tribunal ait une incidence sur le choix du droit applicable. Cette question est à mon avis une question distincte, qui doit être tranchée en première instance par un arbitre nommé conformément au par. 275(4) de la Loi sur les assurances de l’Ontario, décision normalement susceptible d’appel.
D. La question constitutionnelle
140 Je n’entends pas examiner en profondeur la question de la portée que l’on peut donner à la Loi sur les assurances de l’Ontario. Dans l’arrêt Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, la Cour a émis l’opinion qu’une loi provinciale valide peut porter atteinte de façon « accessoire » à des droits extraprovinciaux. Je suis d’avis qu’une loi provinciale valide peut produire des effets sur des « matières » qui présentent un « lien suffisant » avec la province. Voir J.-G. Castel et J. Walker, Canadian Conflict of Laws (5e éd. (feuilles mobiles)), p. 2.1. Selon moi, l’intimée a établi que la question traitée dans la Loi sur les assurances de l’Ontario, soit l’indemnisation entre assureurs, est un sujet de compétence provinciale qui présente un lien suffisant avec l’Ontario pour que la loi en question s’applique à ICBC.
VI. Dispositif
141 Je rejetterais le pourvoi, avec dépens, et je confirmerais la décision de la Cour d’appel renvoyant l’affaire au juge des motions pour qu’il nomme, en vertu de l’art. 10 de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, un arbitre chargé de trancher la question du choix du droit applicable et d’examiner les questions de fond soulevées par les parties. La question constitutionnelle devrait recevoir une réponse négative.
ANNEXE
Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8 (avant sa modification par L.O. 1996, ch. 21)
Indemnités d’accident légales
268 (1) Chaque contrat constaté par une police de responsabilité automobile, y compris chaque contrat en vigueur au moment où est prise ou modifiée l’Annexe sur les indemnités d’accident légales, est réputé prévoir les indemnités d’accident légales énoncées à l’Annexe et dans les modifications apportées à celle‑ci, sous réserve des conditions, dispositions, exclusions et restrictions énoncées à cette Annexe.
. . .
Indemnisation dans certains cas
275 (1) L’assureur tenu de payer, aux termes du paragraphe 268(2), des indemnités d’accident légales à des catégories de personnes qui peuvent être nommées dans les règlements a droit, sous réserve des conditions, dispositions, exclusions et restrictions qui peuvent être prescrites, à une indemnisation, en ce qui concerne les indemnités qu’il a payées, de la part des assureurs d’une catégorie ou des catégories d’automobiles qui peuvent être nommées dans les règlements et qui étaient impliquées dans l’incident dont découle l’obligation de payer des indemnités d’accident légales.
Idem
(2) L’indemnisation visée au paragraphe (1) est effectuée en fonction du degré de responsabilité de l’assuré de chaque assureur tel qu’il est établi selon les règles de détermination de la responsabilité.
. . .
Arbitrage
(4) Si les assureurs n’arrivent pas à s’entendre à l’égard de l’indemnisation visée au présent article, le différend est réglé par voie d’arbitrage aux termes de la Loi sur l’arbitrage.
Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, ch. 17
Sursis
7 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
Exceptions
(2) Cependant, le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants :
. . .
3. L’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario.
8 . . .
Questions de droit
(2) Le tribunal arbitral peut statuer sur toute question de droit qui est soulevée au cours de l’arbitrage. Le tribunal judiciaire peut également le faire à la requête du tribunal arbitral, ou à la requête d’une partie, si les autres parties ou le tribunal arbitral y consentent.
Appel
(3) La décision du tribunal judiciaire sur une question de droit peut faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel, sur autorisation de celle‑ci.
. . .
Désignation du tribunal arbitral
10 (1) Le tribunal judiciaire peut désigner le tribunal arbitral, à la requête d’une partie, dans les cas suivants :
. . .
b) une personne investie du pouvoir de désigner le tribunal arbitral n’a pas procédé à sa désignation après la remise par une partie d’un préavis de sept jours à cette fin.
Désignation sans appel
(2) La désignation du tribunal arbitral par le tribunal judiciaire n’est pas susceptible d’appel.
. . .
Possibilité pour le tribunal arbitral de statuer sur sa propre compétence
17 (1) Le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence en matière de conduite de l’arbitrage et peut, à cet égard, statuer sur les objections relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage.
. . .
Déclaration de nullité de l’arbitrage
48 (1) À quelque étape que ce soit durant ou après un arbitrage, à la requête d’une partie qui n’a pas participé à l’arbitrage, le tribunal judiciaire peut, par jugement déclaratoire, déclarer nul l’arbitrage pour l’un des motifs suivants :
. . .
c) l’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario. . .
Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Major, Bastarache et Deschamps sont dissidents.
Procureurs de l’appelante : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.
Procureurs de l’intimée : Fogler, Rubinoff, Toronto; Samis & Company, Toronto.